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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 17 - Témoignages du 15 mars 2012


OTTAWA, le jeudi 15 mars 2012

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 3, pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).

Le sénateur Grant Mitchell (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

[Traduction]

Je m'appelle Grant Mitchell, et je suis vice-président du comité. Je suis originaire de l'Alberta et je préside la séance d'aujourd'hui pour le compte du sénateur David Angus, qui ne peut être des nôtres malheureusement. Vous devrez vous en accommoder.

Je voudrais souhaiter la bienvenue aux téléspectateurs qui regardent en direct notre séance ce matin ou qui la regarderont ce soir lorsque CPAC la rediffusera. Je suis convaincu qu'ils seront comblés.

Je suis entouré des membres du personnel et de mes collègues. Je souhaiterais vous les présenter. Il y a tout d'abord nos deux excellents analystes de la Bibliothèque du Parlement : Sam Banks et Marc LeBlanc. Je vous présente également Mme Labonté, notre greffière intérimaire, qui n'en est pas moins des plus compétentes. Passons maintenant à mes collègues sénateurs qui sont présents aujourd'hui : le sénateur Peterson, de la Saskatchewan; le sénateur Neufeld, de la Colombie-Britannique; le sénateur Seidman, du Québec; le sénateur Wallace, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Bert Brown, de l'Alberta, le premier des deux sénateurs à avoir été élus; le sénateur Daniel Lang, du Yukon; enfin, le sénateur Dennis Patterson, du Nunavut.

Nous poursuivons aujourd'hui l'examen de la stratégie énergétique de l'Alberta et du Canada. Entrepris il y a près de trois ans, cet examen se terminera sous peu. Nous avons entendu jusqu'à 250 témoins. Exercice complexe, difficile et, selon nous, extrêmement intéressant, cette étude a porté sur une question primordiale : les aspects économiques et environnementaux de la mise en valeur du secteur de l'énergie du Canada.

Je signale au public qu'on peut obtenir toute l'information pertinente sur cette étude en consultant notre site web à l'une des deux adresses suivantes : www.canadianenergyfuture.ca ou www.avenirénergiecanadienne.ca.

J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à deux éminents témoins du gouvernement du Nunavut. Ils sont arrivés à Ottawa à 4 h 30 ce matin. C'est ce que j'appelle prendre les choses à cœur. Nous leur en sommes d'autant reconnaissants.

Nous accueillons donc l'honorable Peter Taptuna, député, vice-premier ministre et ministre de l'Énergie du Nunavut. Il a été élu à l'Assemblée législative du Nunavut en 2008, dans la circonscription de Kugluktuk, le comté le plus à l'ouest du Nunavut. Il est donc habitué aux longs déplacements. En 2008, il a été nommé ministre du Développement économique et des Transports. Il occupe également les fonctions de vice-premier ministre, de ministre responsable de la Société de développement du Nunavut, de ministre responsable de la Société de crédit commercial du Nunavut et de ministre responsable des Mines. Il est né à Cambridge Bay, mais a vécu la plus grande partie de sa vie dans la circonscription qu'il représente. Il a fréquenté le pensionnat d'Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest. Il a travaillé dans l'industrie du pétrole et du gaz, ainsi que pour l'organisation des chasseurs et trappeurs de Kugluktuk pendant près de 10 ans. M. Taptuna mène une carrière fort remarquable.

Nous accueillons également Robert Long, sous-ministre au ministère du Développement économique et des Transports. Je n'ai malheureusement pas la notice biographique de M. Long. Mais je n'ai aucun doute que sa carrière est aussi remarquable que celle de M. Taptuna.

L'honorable Peter Taptuna, MAL, vice-premier ministre et ministre de l'Énergie : Je remercie le président et les membres du comité. Je suis ravi de comparaître devant le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je vous remercie de votre invitation.

Je parlerai aujourd'hui des défis uniques du Nunavut et des possibilités qui s'offrent à nous dans le domaine de l'énergie. Je dresserai également un bref portrait de la situation énergétique de notre territoire.

La création du Nunavut à titre de troisième territoire de notre pays a changé le visage du Canada en 1999, un événement qui prend sa source dans le plus important règlement de revendication territoriale de l'histoire canadienne.

Le Nunavut occupe une superficie de près de deux millions de kilomètres carrés, répartis sur trois fuseaux horaires. Il compte 25 collectivités. Selon les plus récentes statistiques, 33 000 personnes résident au Nunavut, et d'après les données de Statistique Canada, l'âge médian de notre population est légèrement inférieur à 25 ans, le plus bas du pays.

Le Nunavut possède le plus long littoral du Canada, car il occupe la plus grande partie de l'archipel arctique, la région la plus septentrionale du Canada. Il va sans dire qu'aux yeux des gens du Sud, le Nunavut est la région la plus éloignée du Canada. Mais les Nunavois qui y vivent ne considèrent pas le Nunavut comme un lieu éloigné.

Nous avons de bonnes raisons de croire que le reste du Canada réalise de plus en plus que le Nord fait partie intégrante de la grande famille canadienne. Nous entendons de plus en plus de gens parler des trois océans de notre pays.

Malgré notre intégration politique et économique accrue à l'ensemble canadien, les défis énergétiques auxquels nous sommes confrontés nous donnent parfois l'impression de vivre en pays étranger en raison de l'absence de lien routier vers le Sud et de notre faible population répartie sur un vaste territoire. Mon homologue des Territoires du Nord- Ouest, l'honorable David Ramsay, vous a déjà présenté le mois dernier les enjeux énergétiques de son territoire. Vous constaterez que les défis sont en plusieurs points semblables au Nunavut, mais qu'ils sont dans bien des cas encore plus marqués.

Contrairement à nos voisins du Sud, et même à certains de nos voisins du Nord, toute l'électricité du Nunavut est produite par des centrales au diesel. Aucune de nos collectivités n'est reliée à un réseau électrique ou à une source d'approvisionnement extérieure, et nous comptons uniquement quelques projets expérimentaux d'énergie éolienne ou solaire de très petite envergure. Nous avons entrepris des travaux de faisabilité pour la production d'énergie hydroélectrique, mais le Nunavut ne possède pas encore d'installations de ce genre.

Nos coûts énergétiques résidentiels moyens atteignent 75 cents par kilowattheure, et s'échelonnent de 52 cents par kilowattheure dans la capitale Iqaluit à 102 cents par kilowattheure à Kugaaruk, une petite collectivité plus isolée. Notre capacité globale en 2010 était d'environ 54 mégawatts produits par 27 centrales. En vertu de la législation territoriale, la Société d'énergie Qulliq, qui dessert quelque 11 500 clients, est la seule autorisée à distribuer de l'électricité.

Le gouvernement du Nunavut paie environ 80 p. 100 des coûts de l'énergie de manière directe ou indirecte. Les coûts de l'énergie sont financés au Nunavut dans le cadre de divers programmes de subvention, mais également en raison d'un sous- investissement chronique dans le remplacement et la mise à niveau des installations existantes qui arrivent dans la majorité des cas à la fin de leur cycle de vie utile. Cette situation est manifestement insoutenable.

Le gouvernement du Nunavut a élaboré une stratégie énergétique en 2007. Ikummatiit, qui signifie « différentes formes d'énergie » en inuktitut, a pour but de créer un système énergétique abordable, durable, fiable et respectueux de l'environnement.

Notre stratégie reconnaît que des décisions difficiles doivent être prises si nous voulons effectuer des changements réels dans le secteur de l'énergie. Nous devons changer le comportement des consommateurs et le mode de fonctionnement du gouvernement, et nous devons sensibiliser la population au sujet des conséquences environnementales des choix énergétiques. Nous devons également jeter les bases pour le développement des ressources énergétiques de notre territoire comme le gaz naturel, le pétrole et l'uranium. Parallèlement, nous devons développer des sources d'énergie renouvelables et de remplacement.

Le système énergétique actuellement en place au Nunavut est le plus coûteux du pays. Cela nous facilite la tâche afin de promouvoir le développement de l'énergie renouvelable, mais pour ce faire, nous avons besoin d'idées novatrices, d'expertise et d'investissements.

L'énergie hydroélectrique est bien entendu la première source d'énergie renouvelable que nous pourrions développer. L'hydroélectricité est une technologie éprouvée en climat nordique, et elle représente le meilleur espoir de réduire substantiellement, rapidement et à coût abordable la dépendance du Nunavut envers les combustibles fossiles. Il existe de nombreuses centrales hydroélectriques à travers le monde circumpolaire, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Yukon, en Alaska et au Groenland.

Les évaluations du potentiel hydroélectrique ont été réalisées pour divers emplacements à proximité d'Iqaluit sur l'île de Baffin et dans la région de Kivalliq qui se trouve sur la rive ouest de la baie d'Hudson. Il s'agit encore d'études théoriques qui attendent de se matérialiser. Les éventuels projets à proximité d'Iqaluit répondraient aux besoins de cette collectivité, alors que dans le cas de la région de Kivalliq, il serait possible d'envisager la construction d'un projet de plus grande envergure pouvant desservir des marchés énergétiques plus au sud, compte tenu de la proximité avec le Nord du Manitoba.

Le premier projet hydroélectrique devrait vraisemblablement être développé à Iqaluit, la capitale du Nunavut, qui compte près de 7 000 habitants. Mais le processus évolue très lentement, car il est difficile de rassembler le financement requis. L'investissement pour le site d'Iqaluit est estimé à 167 millions de dollars, et toutes les demandes d'aide financière transmises à ce jour au gouvernement fédéral pour ce projet ont été refusées. La Société d'énergie Qulliq a présenté à trois reprises, sans succès, des demandes de financement au Fonds pour l'infrastructure verte dans le but de faire progresser le projet hydroélectrique d'Iqaluit.

Parallèlement à nos efforts de développement de l'énergie hydroélectrique renouvelable, nous espérons que des sources d'énergie plus conventionnelles, comme le pétrole, le gaz naturel et l'uranium, contribueront à transformer notre économie en plein développement.

Les vastes réserves de pétrole et de gaz du Nunavut pourraient être la clé pour nous aider à réaliser nos rêves d'autonomie. Nos ressources connues atteignent près de deux milliards de barils de pétrole brut et 27 billions de pieds cubes de gaz naturel. Le développement de ces ressources permettrait de réduire considérablement notre dépendance à l'égard des transferts fédéraux et aurait des retombées considérables pour différentes régions du Canada.

Je comprends personnellement très bien ce potentiel, ayant travaillé plus de 13 ans dans le secteur pétrolier et gazier au large des côtes de la mer de Beaufort. Je faisais partie de la première équipe de forage inuit, et j'ai pu observer les retombées économiques que ce secteur d'activités peut générer pour le Nord.

Mais le développement pétrolier n'est pas sans risques. Même avant la catastrophe écologique survenue dans le golfe du Mexique en 2010, de nombreux Nunavummiuts avaient de sérieuses préoccupations au sujet des risques de déversement dans l'Arctique. Les Inuits sont un peuple maritime, et nos activités traditionnelles sont liées à la mer. Nous sommes donc très conscients de ces risques.

D'autre part, nous savons qu'il est possible d'atténuer les risques, même en milieu nordique. Nous savons également que certains risques peuvent être acceptés en raison des avantages qu'ils procurent. Peu de gens remettent en question les déplacements des navires qui transportent les produits pétroliers vers nos collectivités pendant la courte saison de navigation. Nous reconnaissons que les avantages associés à cette activité dépassent largement les risques qui s'y rattachent.

Pour l'instant, le Nunavut considère que le développement des ressources pétrolières comporte encore plus de risques que d'avantages. En effet, le gouvernement fédéral contrôle entièrement le processus de réglementation, de sorte que nous devons avoir pleine confiance qu'il gérera le risque de manière responsable en notre nom. Bien entendu, nous pourrions tirer profit de la création d'emplois et des activités économiques liées à l'exploitation pétrolière, mais le gouvernement fédéral recevrait toutes les redevances. Le Nunavut doit avoir son mot à dire dans la gestion de l'exploration et de l'exploitation des ressources pétrolières et gazières, et nous devons tirer profit directement de ce développement.

Le système de tenure des ressources existant dans le domaine gazier et pétrolier constitue un autre obstacle au développement pétrolier. Ce système a permis aux sociétés pétrolières de détenir des permis d'exploration pendant des décennies sans frais ou sans obligation de démontrer qu'elles souhaitent concrètement développer ces ressources. Cela est unique dans le monde moderne, nulle part ailleurs la tenure commerciale de ressources géologiques comporte si peu d'obligations.

Nous avons accompli un travail considérable afin d'évaluer tous les aspects économiques liés au développement des ressources de gaz naturel du Nunavut. Pour produire ce gaz, il faudrait des installations de liquéfaction et d'expédition fonctionnant à longueur d'année. Les principaux obstacles sont liés à l'accès aux marchés et aux risques réglementaires, techniques et financiers.

Le marché nord-américain du gaz naturel ne peut soutenir un tel développement, mais l'expédition de ce gaz vers les marchés européens serait rentable. Notre géographie serait favorable au développement d'un tel marché, car les distances de transport du Nunavut vers l'Europe sont presque identiques à celles qu'il faudrait parcourir pour rejoindre les marchés potentiels en Amérique du Nord.

Les risques techniques, financiers et réglementaires sont similaires à ceux qui existaient avant le développement des sables bitumineux. Aujourd'hui, des dizaines de milliards de dollars ont été investis dans les sables bitumineux par les mêmes sociétés qui détiennent des permis sur les ressources du Nunavut, et cela pour des marges de profits qui ne sont pas aussi attrayantes que celles qui pourraient être obtenues au Nunavut.

La différence réside dans le fait que le développement des sables bitumineux est maintenant considéré à faible risque. Le gouvernement fédéral et celui de l'Alberta ont travaillé sans relâche et consacré d'importants investissements afin de créer un environnement à faible risque pour l'exploitation des sables bitumineux. Nous sommes prêts à travailler avec le gouvernement fédéral et l'industrie afin d'examiner les risques techniques, financiers ou réglementaires associés au développement des ressources pétrolières du Nunavut.

Nous sommes déterminés à travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral, l'industrie et nos collectivités afin d'assurer le développement responsable des importantes ressources pétrolières du Nunavut, à l'avantage du Nunavut et du Canada. Le Canada doit cependant procéder à un transfert de responsabilités vers le gouvernement du Nunavut concernant ces ressources, afin que nous puissions aborder toutes les questions qui font obstacle au développement, de manière à assurer d'importantes retombées économiques pour le Nunavut et le Canada.

L'autre source d'énergie conventionnelle à laquelle j'ai fait référence est l'uranium. Un projet d'exploration d'uranium et présentement à l'étape du processus d'examen environnemental. Il s'agit du projet Kiggavik d'AREVA Ressources Canada, à proximité de Baker Lake. Quelques autres projets sont également au tout début du processus d'exploitation. Le développement de l'uranium fait l'objet d'un débat au Nunavut, et nous avons effectué plusieurs recherches et tenu de vastes consultations publiques à ce sujet. Nous faisons confiance au système de réglementation, et nous appuyons le développement responsable de l'uranium.

Je conclurai en abordant brièvement le principal sujet des travaux de ce comité, qui a reçu beaucoup d'attention publique récemment. Le Nunavut appuie l'élaboration d'une stratégie canadienne de l'énergie. Selon nous, cette stratégie doit reconnaître « l'écart énergétique » qui sépare les régions de ce pays qui sont reliées à un réseau énergétique et celles qui ne le sont pas. Plus de 300 collectivités du Canada ne sont pas reliées à un réseau, la plupart situées dans le Nord, et cela comprend les 25 collectivités du Nunavut.

La stratégie canadienne de l'énergie devra tenir compte des défis et des besoins particuliers des collectivités isolées du Canada qui ne sont pas reliées à un réseau, notamment en appuyant l'innovation, l'efficacité énergétique et le développement des sources d'énergie de remplacement.

Monsieur le président, la stratégie devrait également établir un cadre permettant d'intégrer les abondantes ressources énergétiques du Nunavut dans le contexte plus global de développement de l'économie canadienne d'une manière profitable pour la population du Nunavut. J'espère que j'ai aidé les membres du comité à mieux comprendre la situation de l'énergie au Nunavut, tant dans son contexte actuel que pour ses possibilités futures.

Le vice-président : Merci. Votre déclaration nous a été très utile, mais vous devrez encore nous aider en répondant à nos questions. Nous commencerons par le sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : Merci, monsieur le président. Je suis fier d'avoir le privilège d'être ici et de pouvoir poser des questions. Je tiens à souhaiter la bienvenue au ministre, à son sous-ministre, et à ses fonctionnaires à notre séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

Monsieur le ministre, je suis heureux de votre présence parmi nous. Je voudrais signaler à mes collègues qu'en raison des aléas de la politique, M. Taptuna a hérité du portefeuille de l'Énergie il y a à peine quelques semaines. Nous lui sommes donc très reconnaissants d'être parmi nous aujourd'hui.

J'ai été désolé d'apprendre le peu de progrès qui a été accompli à l'égard de la proposition visant à mettre en valeur l'hydroélectricité de concert avec le gouvernement fédéral à Iqaluit qui est la ville la plus importante du Nord et qui, je crois, consomme environ 30 p 100 du diesel utilisé pour produire de l'énergie au Nunavut. Le ministre a indiqué qu'il n'est pas possible de produire autrement l'énergie électrique pour le Nunavut, ce qui est sans précédent au Canada.

Il s'agirait d'un projet de 20 ou 25 mégawatts à proximité de la capitale. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur ce projet et nous indiquer pourquoi il a été impossible jusqu'à présent de le financer sur le Fonds pour l'infrastructure verte?

M. Taptuna : Je vous remercie de cette question.

Il a été très difficile d'obtenir des fonds fédéraux pour ce projet, notamment parce que la Société d'énergie Qulliq est une entreprise à but lucratif. Mon nouveau ministère de l'Énergie se substituera donc à la Société d'énergie Qulliq pour présenter, à des fins de recherches, une demande au Fonds pour l'infrastructure verte.

Le sénateur Patterson : Je me rends compte que ce projet nécessite des coûts d'immobilisations élevés, qui se chiffreraient, selon vous, à 167 millions de dollars. Le Canada accorde d'importantes subventions annuelles pour financer les coûts d'exploitation au Nunavut. Je crois que c'est plus de 90 p. 100 d'un budget supérieur à un milliard de dollars. Par conséquent, le Canada a probablement intérêt à réduire le coût de l'énergie.

Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails sur le projet, sur son emplacement et sur la date à laquelle il pourra être mis en œuvre?

M. Taptuna : Le projet serait mis en œuvre dans la région de James Inlet, à quelques kilomètres seulement d'Iqaluit. Nous tentons de réaliser une étude de faisabilité. Je vais laisser mon sous-ministre vous donner plus de détails là-dessus.

Robert Long, sous-ministre, ministère du Développement économique et des Transports, gouvernement du Nunavut : Je crois que la ligne de transport serait d'environ 45 kilomètres. La bonne nouvelle, c'est que la société d'électricité a présenté une demande auprès de CanNor et, si je ne me trompe pas, une contribution de 4 millions de dollars pourrait amener ce projet à l'étape de la planification. On songe à la possibilité d'en faire un projet de partenariat public-privé. Nous élaborons d'ailleurs un projet de PPP à l'aéroport d'Iqaluit, le premier à voir le jour dans la région. Nous acquérons donc de l'expérience et de l'expertise à cet égard, et nous avons bon espoir que ce sera le prochain projet à être considéré de la sorte.

Notre ministère des Finances discute actuellement avec le gouvernement fédéral au sujet de notre plafond d'endettement. En ce moment, il nous serait très difficile de financer une partie de ces dépenses par des emprunts. Notre plafond d'endettement n'est pas assez élevé pour réaliser des projets d'infrastructure d'une envergure qui dépasse celle de l'aéroport d'Iqaluit.

Pour ce faire, nous aurions besoin d'un plafond d'endettement qui frôle le milliard de dollars. Je crois savoir que notre plafond a doublé et qu'il est passé de 200 à 400 millions de dollars, mais c'est encore insuffisant pour financer des projets de cette envergure. Le gouvernement fédéral pourrait revoir notre plafond à l'avenir, en fixant peut-être une limite de financement pour les dépenses du gouvernement et une autre pour les projets d'infrastructure.

L'autre chose que je voudrais dire à ce sujet, c'est que nous envisageons avec optimisme un projet de mine de diamants qui est à un stade avancé d'exploration. Si le plan d'activités laisse entrevoir une réussite sur le plan financier, on pourrait collaborer avec l'industrie pour combler les besoins en électricité. Ce serait très utile pour nous et toutes les parties intéressées.

J'espère avoir bien répondu à votre question au sujet du projet hydroélectrique.

Le sénateur Lang : J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos invités. Monsieur le ministre, j'ai jeté un coup d'oeil à votre biographie, et je trouve très intéressant que vous ayez consacré 13 ans de votre carrière au forage de pétrole dans la mer de Beaufort. Vous avez donc plus d'expertise que quiconque ici.

J'aimerais approfondir quelques questions. Tout d'abord, vous dites envisager la possibilité de mener des activités de forage en mer dans l'Arctique, compte tenu des réserves qui, semble-t-il, sont massives. Je crois savoir qu'il y a un ou deux groupes environnementaux qui souhaitent créer un parc ou une réserve dans cette région afin de protéger l'ours polaire et de se pencher sur la possible disparition de cette espèce animale. Avez-vous quelque chose à dire là-dessus? Cela changerait-il vos plans dans la région? Avez-vous pris position à ce sujet?

M. Taptuna : Je vais tenter de répondre à votre question et ajouter quelques remarques. Je sais qu'une association inuite a demandé un parc national sur l'île Bathurst, dans le nord de l'île de Baffin. On a mené beaucoup de travaux sur le sujet ces 20 dernières années. On veut y inclure une île, c'est-à-dire l'île Cameron qui, autrefois, était le seul endroit où on produisait du pétrole au Nunavut. On y trouve un puits de pétrole productif, qui a permis d'alimenter le site du projet à cet endroit et à Resolute Bay. On y a produit trois millions de barils. Si ma mémoire est bonne, la dernière fois qu'on y a extrait du pétrole, c'était en 1996. Il reste toutefois quatre millions de barils dans ce puits. Ce qui préoccupe le gouvernement du Nunavut, entre autres, c'est qu'il est très difficile de subventionner ces petites collectivités. Le coût moyen est de 1,02 $ par kilowattheure, et cela est en grande partie financé par l'entremise de nos principaux centres régionaux et, évidemment, du gouvernement.

Au fil des années, ce n'était tout simplement pas soutenable. Le prix du pétrole augmente; nos coûts aussi. Nous en arrivons à un point où il faut prendre du recul et envisager d'exploiter nos réserves connues de pétrole. Je crois qu'il y a eu un appel de candidatures par le passé. Lorsqu'une organisation a présenté une demande pour inclure une des îles qui n'avaient pas été soumises au processus de l'ERME, cela a en quelque sorte obligé le gouvernement fédéral à retirer ses candidatures pour ce qui est de l'exploration, du forage et ainsi de suite.

Le sénateur Lang : J'aimerais que vous nous disiez dans quelle mesure cela pourrait avoir une incidence sur la région dont vous parlez. Je crois savoir que c'est Coca-Cola, en collaboration avec le Fonds mondial pour la nature, qui souhaite créer un parc, une réserve ou encore un parc océanique dans cette région. Je suis curieux de savoir comment vous, ou le gouvernement, percevez cela. Chose certaine, cette réserve ou ressource pourrait vous être profitable. Avez- vous quelque chose à dire là-dessus?

M. Long : De toute évidence, à l'instar de tous les autres gouvernements provinciaux, notre gouvernement doit concilier les préoccupations environnementales et les perspectives de développement économique. Nous en débattons très vigoureusement en comité et entre les ministères, et nous avons convenu que nous allions appuyer le développement de l'économie et des ressources tout en respectant, dans la mesure du possible, les réserves fauniques et les réserves naturelles comme les parcs.

En ce qui concerne le parc dont il est question, sachez que l'île Cameron n'en est qu'une petite partie. On se dispute au sujet d'une petite île dans un grand parc. On a cerné un potentiel économique avec le champ de pétrole Bent Horn et d'autres possibilités de développement dans la région. Nous ne sommes pas entièrement d'accord dans ce dossier, mais nous sommes favorables à la création du parc. Ce n'est que cette petite île qui nous pose problème. La question est toujours en suspens pour l'instant.

Le sénateur Lang : Dans un tout autre ordre d'idées, vous avez parlé, dans votre déclaration, du processus de réglementation et de la collaboration avec le gouvernement fédéral. Si j'ai bien compris, le gouvernement du Nunavut et le gouvernement fédéral ont travaillé à mettre en place un processus de réglementation semblable à celui qu'on retrouve au Yukon. Il s'agit d'une approche unique entre le gouvernement fédéral et, dans ce cas, le gouvernement du Nunavut et d'autres intervenants. Je croyais qu'on était sur le point de parvenir à une conclusion et de prendre des décisions à cet égard. Vous pourriez peut-être faire le point là-dessus.

M. Taptuna : J'aurais besoin de précisions. Parlez-vous du système de réglementation des revendications territoriales ou de l'exploration pétrolière et gazière en mer?

Le sénateur Lang : Je parle du transfert des responsabilités.

M. Taptuna : Il y a eu des progrès à ce chapitre. Cependant, il incombe au Cabinet du premier ministre de faire progresser le dossier. Nous sommes conscients que cela peut prendre du temps. Même s'il est peu peuplé, le Nunavut connaît l'une des plus rapides croissances démographiques au Canada. D'ici quatre ans, nous devrons créer 2 500 emplois pour nous adapter à l'accroissement de la population. Dans huit ans, ce sera 3 500 emplois qui seront nécessaires, et dans 10 ans, 4 500. Nous misons donc sur l'exploration et l'exploitation minières et minérales. Quant à l'exploration gazière et pétrolière, nous suivons de près ce qui se passe avec l'examen de l'office national sur le forage du pétrole et du gaz naturel dans l'Arctique qui vient tout juste d'être rendu public.

Nous jouons un rôle dans le processus, mais lorsqu'il s'agit du dossier du transfert des responsabilités, c'est principalement le Cabinet du premier ministre qui s'en occupe.

Le sénateur Lang : Quand le processus de réglementation devrait-il être mis en place? Dans six mois, dans un an? En avez-vous une idée? J'imagine que c'est une grande préoccupation pour le gouvernement du Nunavut.

M. Long : Je vais tenter de vous éclairer là-dessus. D'après ce que nous savons, les discussions entre les premiers ministres du Nunavut et du Canada se sont révélées très positives au cours des derniers mois. Nous avons bon espoir que le gouvernement du Canada annoncera la nomination d'un négociateur. On n'amorcera pas le processus de transfert des responsabilités tant que les deux parties n'auront pas entrepris les négociations. Jusqu'à maintenant, le gouvernement fédéral n'avait pas de négociateur; on ne pouvait donc pas enclencher le processus.

Une fois le processus en cours, nous anticipons que cela prendra au moins 10 ans avant que toutes les questions ne soient réglées.

On s'attend à un délai semblable à celui du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. À l'heure actuelle, le Yukon a conclu une entente de transfert, et les Territoires du Nord-Ouest sont sur le point de faire la même chose. Cela devrait se faire au cours des prochaines semaines. Ils en sont arrivés à la dernière étape, alors que nous, nous voulons commencer. Ce sont les seules précisions que je peux vous donner.

Le sénateur Wallace : J'aimerais que vous me parliez des projets d'infrastructure au Nunavut. Nous savons que le Nunavut couvre un immense territoire, mais que sa population n'est pas très dense. Cela peut donc poser problème sur le plan des infrastructures, particulièrement pour l'obtention du financement. Évidemment, si votre gouvernement pouvait avoir accès plus facilement aux revenus provenant des ressources naturelles et exploiter le potentiel du Nunavut, cela aiderait énormément.

Monsieur le ministre, vous avez parlé du système de tenure des ressources naturelles, que je ne connais pas vraiment, soit dit en passant. Vous avez dit qu'il empêchait le gouvernement du Nunavut de profiter pleinement des retombées économiques des ressources naturelles. Apparemment, il accorde aux entreprises privées un contrôle illimité sur le vaste territoire du Nunavut sans qu'elles ne soient obligées de faire quoi que ce soit.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus là-dessus? Je ne connais pas très bien le système, mais j'ai l'impression qu'il est une source de préoccupation pour vous.

M. Taptuna : En effet. C'est une question de procédure dans le cadre du système de réglementation. Une fois qu'une entreprise détient un permis de travail aux fins de l'exploration pétrolière et gazière, elle n'est assujettie à aucune exigence après avoir nettoyé l'endroit et effectué certains travaux. Rien ne l'oblige à exploiter la propriété à l'intérieur d'un certain délai.

Dans le cas de l'exploration minérale, lorsqu'on obtient une propriété, on doit exécuter certains travaux afin de l'aménager. C'est donc l'inverse dans le cas de l'exploration pétrolière et gazière, où l'entreprise n'a aucune obligation à l'égard de la propriété.

Le sénateur Wallace : Est-ce que cela s'applique aux ressources pétrolières et gazières terrestres et extracôtières?

M. Taptuna : Je ne suis pas entièrement certain en ce qui a trait au gaz et au pétrole extracôtiers, mais lorsqu'une entreprise possède une propriété foncière, elle n'a pas besoin de prendre d'engagement à son égard. Je crois que c'est la même chose en mer.

Le sénateur Wallace : Est-ce que la terre leur appartient ou si on leur accorde simplement le droit de mener des activités d'exploration?

M. Taptuna : On leur donne le droit de faire de l'exploration.

Le sénateur Wallace : Est-ce que cela couvre le vaste territoire du Nunavut ou seulement des régions isolées où les propriétés sont visées par le système de tenure des ressources?

M. Taptuna : La ressource connue est là. Pour ce qui est des zones potentielles où du travail d'exploration a été fait dans le passé, soit dans les années 1970, il y a des zones connues offrant un grand potentiel pour l'exploration pétrolière et gazière. Nous ne savons pas exactement comment cela fonctionne, mais la majeure partie des régimes fonciers sont des parcelles verticales vouées au forage pétrolier et gazier, contrairement à l'exploration minière, qui se fait l'échelle du territoire.

Je suis persuadé que plusieurs hectares ont été réclamés par les sociétés, mais la plupart du temps, plus d'une société fait l'acquisition d'un même territoire linéaire vertical. Par exemple, les 100 premiers mètres appartiennent à une société, et les 200 ou 1 000 mètres suivants vont appartenir à une autre société, tous en ligne droite.

Nous devons remuer ciel et terre pour ces sociétés, et elles doivent s'entendre sur l'exploitation du territoire. Quand cinq ou six sociétés sont propriétaires d'un territoire linéaire vertical, il est très difficile d'en venir à une entente sur la façon d'exploiter le territoire en question.

Le sénateur Wallace : Est-ce que votre gouvernement envisage de modifier les droits en vigueur actuellement pour peut-être imposer de nouvelles limites, pour inciter les sociétés à effectuer certains travaux dans un délai raisonnable?

Je pense aussi aux droits qui seraient accordés aux sociétés d'exploration à l'avenir. Pensez-vous établir de nouvelles règles pour éviter qu'elles s'éternisent et accaparent les ressources naturelles? L'état actuel des choses n'avantage pas la population du Nunavut.

M. Taptuna : Nous espérons avoir des réponses d'Affaires autochtones Canada afin de remédier aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. J'aimerais que le sous-ministre complète ma réponse.

M. Long : Pour le moment, c'est le gouvernement fédéral qui détient les pouvoirs à cet égard; nous n'avons aucun contrôle sur ces concessions pétrolières. Un bon nombre d'entre elles sont le résultat de magouilles entre les sociétés pétrolières, chose qu'on voit très souvent. Je pense que Suncor est l'un des plus importants propriétaires en ce moment. Nous ne comprenons pas vraiment pourquoi le gouvernement fédéral a choisi de se dégager de toute responsabilité à l'égard du développement et qu'il n'impose pas de frais pour le maintien de ces concessions au fil des ans. Je crois que c'est inhabituel au Canada et ailleurs dans le monde; ce n'est pas ainsi que cela fonctionne normalement.

Les ressources sont inexploitées, et nous ne savons pas exactement pourquoi. À l'issue du processus de transfert des pouvoirs qui se fera au cours de la prochaine décennie, nous adopterons certainement une approche différente et plus agressive à l'égard du développement, pour que les choses se fassent dans un délai raisonnable et de façon responsable.

Le sénateur Wallace : À l'heure actuelle, le gouvernement du Nunavut n'a aucunement le pouvoir de modifier le régime, puisqu'il est de responsabilité fédérale?

M. Long : Il n'y a effectivement rien que nous puissions faire, à part formuler des plaintes.

Le vice-président : Je signale l'arrivée du sénateur Nancy Greene Raine à la séance. Merci de vous joindre à nous.

Le sénateur Neufeld : Merci d'être ici, monsieur le ministre. Vos commentaires sont précieux pour nous, et nous reconnaissons que vous avez des défis de taille à relever quand il est question d'offrir des services à un si grand nombre de collectivités dans un territoire aussi vaste, avec une population peu nombreuse. Je peux comprendre les difficultés que vous éprouvez.

Concernant le parc proposé dont vous avez parlé au sénateur Lang, j'aimerais savoir quelle superficie aurait ce parc. Pourriez-vous aussi me dire quel pourcentage de la masse terrestre du Nunavut représente actuellement les parcs et les zones protégées? Je ne cherche pas de chiffres exacts, mais si vous pouviez me donner cette information, je vous en serais reconnaissant.

M. Taptuna : Je n'ai pas cette information par coeur, mais je peux vous dire que le Nunavut compte plus de parcs nationaux, de parcs territoriaux, de zones protégées, de zones contrôlées et de sanctuaires que le reste du Canada réuni. Nos zones protégées s'étendent sur de nombreux kilomètres carrés.

Le sénateur Neufeld : Je vois. Je sais que dans ma province, 18 p. 100 du territoire sont consacrés à des parcs et à des zones protégées. Vous n'avez pas à nous donner cette information maintenant, mais pourriez-vous indiquer au comité, par l'entremise de notre greffière, quel pourcentage ou quelle superficie couvrent les parcs, zones protégées et sanctuaires, là où aucun développement ne peut avoir lieu? Aussi, quelle est la superficie du parc proposé?

J'aimerais parler de l'uranium. Vous dites que vous pouvez produire de l'uranium là-bas. Est-ce près d'un point d'expédition? Si j'ai bien compris, tout est gelé en hiver. Étant donné qu'il pourrait être difficile de s'y rendre par bateau pour transporter l'uranium, que proposez-vous pour en faire l'expédition? Je ne suis pas tellement au courant de la situation, alors vous pouvez peut-être éclairer ma lanterne. J'habite dans le nord de la Colombie-Britannique, mais c'est quand même encore bien au sud du Nunavut. Je sais un peu de quoi il en retourne, mais j'aimerais que vous précisiez les choses pour moi.

M. Taptuna : Le projet de production d'uranium d'AREVA est l'un des plus avancés. Je crois qu'il se situe à 70 kilomètres de Baker Lake. Baker Lake se trouve en plein centre du Canada.

Avec le temps qu'il lui a fallu pour finir ses travaux d'exploration, la société doit maintenant se soumettre au processus de la Commission du Nunavut chargée de l'examen des répercussions. Elle a déposé son énoncé des incidences environnementales, et le processus suit son cours.

Cependant, le transport se fait à partir du site par Baker Lake. La société a parlé d'autres sites, notamment en assurant le transport par bateau dans la région de Rankin Inlet. Il faudra toutefois voir ce qu'en dira l'examen des répercussions environnementales. Je suis sûr que la société a des plans finaux à ce stade-ci.

Je vais laisser M. Long finir de répondre à la question.

M. Long : J'aimerais aller un peu plus loin et parler des routes dont nous aurons besoin, un autre enjeu lié aux infrastructures qui est important pour le développement du Nunavut. Nous allons vous remettre l'allocution que notre première ministre a donnée hier au symposium annuel sur le pétrole et le gaz dans l'Arctique. Elle a parlé de reprendre le Programme d'établissement des voies d'accès aux ressources, créé par John Diefenbaker dans les années 1960. Dans la région de Kivalliq, le long des côtes de la baie d'Hudson — notre région centrale —, c'est perçu comme un programme absolument nécessaire. Cela permettrait de relier le Nunavut et le Manitoba, le port de Churchill, le réseau ferroviaire, et tout ce que cela suppose. Nous étudions activement la possibilité avec la province du Manitoba.

L'idée serait de construire une route longeant la côte pour relier trois des collectivités en chemin jusqu'à Rankin Inlet, et peut-être de construire un embranchement vers Baker Lake. AREVA aménagerait probablement sa propre route pour se raccorder au réseau, par souci d'efficience.

Si je peux vous en parler encore un peu, j'ajouterais que nous entrevoyons avec beaucoup d'enthousiasme le potentiel hydroélectrique là-bas, et que nous espérons réduire notre consommation d'électricité générée par le diesel. Ce serait avantageux pour nous d'avoir une telle route et de pouvoir se raccorder au réseau du Manitoba. Les projets hydroélectriques se multiplient au nord de la province, et le potentiel de vente à l'extérieur du Manitoba est substantiel. Il serait possible d'offrir une source d'énergie plus écologique et économique aux collectivités reliées par cette route. Quatre ou cinq collectivités en bénéficieraient. Cela permettrait de réduire considérablement notre consommation d'électricité générée par le diesel.

Encore là, il serait très profitable en soi de favoriser le développement hydroélectrique là-bas, plus tard, et de raccorder le tout au réseau du Manitoba, mais cela permettrait également de créer de meilleures possibilités économiques pour le secteur minier. Dans ce cas-ci, on parle précisément de quelques mines d'or et de la mine d'uranium qu'AREVA propose d'exploiter.

C'est en quelque sorte le coeur de l'une de nos aspirations.

Le sénateur Neufeld : Merci. Quelle est l'envergure du projet hydroélectrique dont vous venez de parler? À quoi peut- on s'attendre?

M. Long : Quel était le potentiel hydroélectrique; était-ce de 30 mégawatts?

M. Taptuna : Vous parlez d'Iqaluit?

Le sénateur Neufeld : Non, pas Iqaluit; celui dont vous venez de parler, monsieur Long.

M. Long : Il y en a plusieurs. Je dirais que le potentiel se situe entre 30 et 50 mégawatts, mais ce n'est qu'une estimation.

Le sénateur Neufeld : Vous dites que le gouvernement du Nunavut paie environ 80 p. 100 des coûts énergétiques du territoire, directement ou indirectement, et vous accordez des subventions. Un dollar le kilowattheure, c'est cher, j'en conviens. Quelle proportion du tarif est subventionnée? Est-ce que les subventions sont les mêmes à l'échelle du Nunavut, un certain pourcentage par personne, ou est-ce différent d'une collectivité à l'autre? Comment est-ce que cela fonctionne?

M. Taptuna : Merci d'avoir posé la question. Pour ce qui est des subventions territoriales, il coûte beaucoup plus cher de transporter de l'essence dans les petites collectivités éloignées que dans les centres régionaux comme Iqaluit, Rankin Inlet et Cambridge Bay. Le gouvernement subventionne la société d'énergie pour que les tarifs soient plus abordables pour les petites collectivités. Sans cela, la plupart d'entre elles ne pourraient entretenir leurs résidences, ni quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. Il en coûtera beaucoup plus que les 102 cents le kilowattheure dont je parlais tantôt.

Le gouvernement subventionne la société d'énergie de façon à réduire le coût de l'électricité. Il y a un an et demi, si je ne m'abuse, nous avons versé des subventions de l'ordre de 13 millions de dollars pour éviter une augmentation de 31 p. 100 pour tout le monde. Nous subventionnons la société d'énergie de sorte que les taux soient plus abordables pour la population du Nunavut.

Le sénateur Neufeld : Quel est le tarif résidentiel par kilowattheure à Iqaluit?

M. Taptuna : Environ 52 cents.

Le sénateur Neufeld : Ce serait plus cher s'il n'y avait pas le processus de subvention dont vous venez de parler, n'est- ce pas?

M. Taptuna : Ce serait beaucoup moins si les tarifs n'étaient pas subventionnés pour quelques-unes de ces petites collectivités. Comme je le disais, le tarif est de 102 cents pour l'une d'elles.

Le sénateur Neufeld : Merci. S'il y a un deuxième tour, j'aimerais revenir là-dessus.

Le sénateur Seidman : Merci, monsieur le ministre, et merci, monsieur Long. Vous avez certainement bien illustré tous les défis auxquels vous êtes confrontés, des défis de taille d'ailleurs.

Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Neufeld. Vous nous avez dit que le Nunavut dépendait presque exclusivement des carburants fossiles, très dispendieux, pour alimenter en électricité les résidences, les entreprises, le gouvernement et l'industrie. De toute évidence, ce n'est pas une solution durable. Vous assumez 80 p. 100 de ces coûts — qui ne cessent de grimper —, et ce n'est pas une situation viable. Vous avez également mentionné qu'en 2007 le gouvernement avait mené à bien une stratégie visant à créer un système énergétique abordable, durable, fiable et respectueux de l'environnement. Vous nous avez dit dans votre présentation que vous deviez développer des sources d'énergie renouvelable et de remplacement.

Pourriez-vous me dire quels types de recherches sont menées à l'égard des énergies de remplacement, qui sont absolument nécessaires et moins coûteuses, comme l'énergie éolienne, l'énergie marémotrice et l'énergie solaire? J'aimerais aussi que vous me disiez s'il existe des programmes fédéraux, ou autres, pour financer ces recherches.

M. Taptuna : Merci pour la question. Nous avons effectué quelques recherches par l'entremise de notre société, la Société d'énergie Qulliq. Je dois souligner qu'elle a essuyé trois refus dans le passé du Fonds pour l'infrastructure verte. La raison invoquée, encore une fois, est qu'il s'agit d'une organisation à but non lucratif. Nous espérons pouvoir investir davantage dans la recherche sur les énergies de remplacement grâce à notre nouveau portefeuille énergétique. Nous savons d'ores et déjà qu'il faudra beaucoup d'argent pour développer des énergies de remplacement durables.

Je le répète, le moyen le plus rapide et le plus abordable de produire de l'énergie respectueuse de l'environnement pour notre territoire est probablement l'hydroélectricité. Cela nécessitera cependant d'importants investissements. J'ai parlé d'une estimation de 167 millions de dollars pour le projet qui desservirait Iqaluit seulement. Nous savons que le Labrador se prépare à la venue d'un mégaprojet hydroélectrique à Muskrat Falls, je crois.

Ce genre de projet intéresse aussi le Nunavut, mais nous comprenons qu'il nécessite beaucoup d'argent. C'est pour cette raison que nous voulons miser sur l'exploitation des ressources pétrolières et gazières du Nunavut; les redevances que nous toucherons ainsi nous permettront de commencer à songer sérieusement à une énergie de remplacement. Pour l'instant, Ottawa finance environ 90 p. 100 des activités du gouvernement du Nunavut. Si nous dépendons autant du fédéral, c'est parce que notre gouvernement n'a aucune véritable source de revenus. C'est donc pour éviter le statu quo que nous nous tournons sérieusement vers le gaz et le pétrole, sans quoi nous ne pourrons jamais produire d'énergie de remplacement, car nous savons à quel point c'est cher.

Le sénateur Seidman : J'ai certainement déjà posé la question suivante à bien d'autres témoins : dans quelle mesure les régions nordiques du pays mettent-elles en commun leurs pratiques exemplaires et leurs innovations? Compte tenu de notre vaste territoire nordique, nous avons besoin du genre de développement dont vous avez parlé. C'est très cher. Dans quelle mesure ces régions mettent-elles en commun ce qui fonctionne?

M. Taptuna : Je sais que les territoires échangent de l'information, mais je ne peux pas vous dire exactement dans quelle mesure en matière d'énergie. Nous sommes aux prises avec les mêmes problèmes que les autres territoires. Nous voulons favoriser l'exploitation de nos ressources énergétiques gazières et pétrolières afin de pouvoir un jour réaliser des projets ayant trait à l'énergie de remplacement, ou des projets moins polluants.

J'aimerais laisser mon sous-ministre compléter ma réponse.

Le vice-président : Vous venez d'un gouvernement très civilisé où tout doit passer par l'entremise de la présidence. C'est très agréable, mais ce n'est pas nécessaire. Vous pouvez interagir avec les autres. À titre de président, je trouve cela admirable et je suis assez impressionné, mais n'hésitez pas à intervenir.

Le sénateur Seidman : Vous pouvez vous adresser directement à nous.

Le vice-président : Tout à fait. Allez-y, monsieur Long.

M. Long : J'imagine que c'est un argument convaincant en faveur d'un gouvernement de consensus.

Lorsque nous examinons nos sources d'énergie renouvelable, nous sommes confrontés à des problèmes uniques. La marée de la baie Frobisher est presque aussi importante que celle de la baie de Fundy. Or, cette dernière n'est pas remplie de gigantesques cubes de glace à la dérive qui arrachent tout sur leur passage. Les tentatives d'innovation à la baie de Fundy nous intéressent grandement, car si elles fonctionnent, nous pourrons nous en inspirer tout en trouvant un moyen de contourner notre problème de glace.

L'énergie éolienne fonctionne très bien dans le reste du Canada, mais cette technologie ne supporte pas vraiment notre climat. Dans le passé, le système n'a simplement pas tenu le coup. Ce qui est encourageant, c'est que chez nos voisins des Territoires du Nord-Ouest, la mine de diamants Diavik vient d'investir environ 25 millions de dollars dans un système d'éoliennes afin de répondre à ses besoins énergétiques dans cette région éloignée. Les quatre éoliennes sont assez impressionnantes et atteignent chacune 300 mètres, je crois. Elles peuvent générer un peu plus de 10 mégawatts, et il se pourrait que la mine en construise deux de plus. Un tel projet est encourageant. Si cette technologie fonctionne, nous ne manquerons pas de l'envisager sérieusement. En effet, l'énergie éolienne s'est affinée au cours des 20 dernières années. Je crois qu'il s'agit d'une technologie allemande dans ce cas-ci. Ce projet, s'il est couronné de succès, nous donnera véritablement espoir et réduira nos risques si jamais nous essayons de réaliser un parc semblable.

L'énergie solaire soulève elle aussi deux ou trois problèmes. L'obscurité totale de l'hiver n'est pas d'une grande aide, car c'est le moment où la demande énergétique est la plus importante. Nous avons réalisé quelques essais, et nous pourrions l'envisager au sein d'un système mixte. Je dois dire que ce type d'énergie aussi s'est affiné. Son utilisation est désormais très courante; je m'en sers même sur mon voilier. La technologie fonctionne bien la plupart du temps au soleil, ou du moins à la lumière du jour. Compte tenu de son prix de plus en plus abordable, nous allons essayer d'encourager les gens à l'utiliser davantage à l'avenir.

Le sénateur Seidman : Des recherches ont-elles été entreprises pour trouver des façons de l'utiliser comme technologie d'appoint? Évidemment, comme vous l'avez dit, on ne peut pas utiliser l'énergie solaire en hiver, car il fait trop sombre. Toutefois, vous pourriez utiliser ces sources d'énergie complémentaires lorsque les conditions le permettent. J'aimerais savoir si on effectue des recherches pour tirer parti de ces sources d'énergie de rechange.

M. Long : Nous venons de nous attaquer au dossier, et nous avons bien l'intention d'y infuser une nouvelle énergie. Nous sommes enthousiastes. Ces dernières années, le secrétariat de l'énergie a été assez tranquille, et nous avons l'intention de le revitaliser et de le pousser dans cette voie.

Le sénateur Brown : Il y a quatre ans, j'ai visité Iqaluit dans le cadre de mes fonctions pour le comité. Il faisait assez froid lorsque nous sommes descendus de l'avion; je crois qu'il faisait moins 47 degrés Celsius. Nous avons visité une centrale au diesel; on nous a dit que si on avait besoin de diesel, qui vient de Frobisher avant que la baie gèle, on devait le faire venir par avion.

Vous avez dit que vous avez 27 centrales au diesel. À la page 5, vous dites aussi que 27 billions de pieds cubes de gaz naturel ont été découverts. A-t-on cherché à savoir s'il était possible de convertir les centrales au diesel pour utiliser une partie de ce gaz naturel? S'il est possible de le liquéfier, on pourrait en obtenir une grande quantité. Est-ce trop loin d'Iqaluit, ou peut-on l'utiliser pour la conversion à certains endroits?

M. Taptuna : Comme je l'ai dit plus tôt, les droits de concession sont détenus par des sociétés qui n'ont aucune obligation de mettre les ressources en valeur. Nous avons les ressources, mais les sociétés qui détiennent les droits et tout le reste n'ont aucune obligation de les mettre en valeur, alors elles attendent.

Étant donné que mon ministère s'occupe aussi des mines, je sais qu'il y a une société d'exploration là-bas qui aimerait alimenter ses centrales énergétiques au gaz naturel. Nous collaborons aussi avec le secteur privé pour trouver des façons de mettre cela en œuvre.

Le sénateur Brown : Vos efforts sont louables, car il semble que même si l'énergie hydroélectrique est formidable, il faut des années pour terminer la construction d'une centrale hydroélectrique. Cela pourrait vous servir de transition entre la façon dont vous utilisez le gaz naturel maintenant et ce que vous souhaitez accomplir dans ce domaine. Vous seriez en mesure de l'utiliser toute l'année si des sociétés acceptaient de participer au projet. Je pense qu'on pourrait obtenir du gouvernement fédéral qu'il exerce des pressions sur l'une de ces sociétés afin qu'elle fasse entrer du gaz naturel sur le marché. S'il n'y a pas de marché pour le gaz naturel, peut-être envisageront-elles de mettre sur pied un marché local.

M. Taptuna : Je suis d'accord. Le prix du gaz naturel sur le marché nord-américain est très bas. Pour la plupart de ces sociétés, il n'est pas rentable de produire du gaz naturel. Dans d'autres régions de l'Europe, du Japon et de l'Asie, le prix du marché est d'environ 10 $ le mètre cube, alors qu'il est juste sous 2 $ sur le marché nord-américain. En fait, il varie entre 2 $ et moins de 2 $. Par contre, de nouveaux marchés émergent, y compris en Asie et en Angleterre — où le prix tourne autour de 8 $, je crois —, et il serait très rentable pour les sociétés de commercialiser leur gaz naturel là-bas. À mon avis, ces marchés potentiels rendent possible l'ouverture d'une usine de liquéfaction dans le Nord, afin d'exploiter les 27 billions de pieds cubes de gaz naturel qu'on y a découvert.

Le sénateur Brown : J'ai une dernière question à ce sujet. Si les distances ne sont pas trop importantes, est-il possible d'installer un oléoduc? Est-il possible de voyager par camion-citerne pour amener le gaz naturel d'une usine à Iqaluit? Quelle serait la distance?

M. Taptuna : Avant, on voyageait en camion-citerne à Bent Horn, sur l'île Cameron — l'île dont nous avons parlé plus tôt —, où on a transporté trois millions de barils de pétrole en 10 ans. La technologie existe. Le plus important, c'est que ce soit rentable pour les sociétés qui déplacent leurs activités là-bas. En même temps, il y a de grandes quantités de pétrole facilement exploitable dans d'autres régions du Canada, et les sociétés se concentrent plutôt sur ces ressources, car elles peuvent faire plus de profits. De plus, étant donné que les scientifiques indiquent que la glace marine libère les détroits du Nord, il est maintenant possible de réaliser encore plus de profits en Europe et en Asie dans le domaine du gaz naturel.

Le sénateur Brown : J'aimerais poser une dernière question. Les gisements de gaz naturel qui ont été découverts sont- ils purs? Autrement dit, surgissent-ils avec la pression lors du forage, ou avez-vous un puits de pétrole dans lequel le gaz naturel est comprimé sous le pétrole? Avez-vous des puits de gaz naturel qui ne produisent rien d'autre?

M. Taptuna : Une fois qu'on trouve un puits qui peut produire, que ce soit du pétrole, du gaz ou un condensat, cela varie. Si le gaz naturel est présent en plus grande quantité, nous allons bien sûr l'appeler un puits de gaz naturel. S'il y a plus de pétrole, il s'agira d'un puits de pétrole. La plupart de ces puits contiennent toutes sortes de gaz — ils peuvent aussi contenir du condensat et du pétrole brut léger —, mais on nommera le puits selon la substance la plus abondante.

Le sénateur Brown : Savez-vous si vous pouvez avoir accès à des puits qui donnent seulement du gaz naturel? Ainsi, vous n'auriez pas besoin d'aller sous le pétrole pour pouvoir l'atteindre. C'est ce que je me demande, car il serait alors beaucoup plus facile d'obtenir du gaz naturel liquéfié et de l'utiliser pour le chauffage, les usines, l'énergie, et tout le reste.

M. Taptuna : Oui, absolument. Dans certains puits, c'est possible, mais la plupart des puits contiennent différents types de produits.

Le sénateur Brown : Je sais. Je viens de l'Alberta.

M. Taptuna : Je crois que mon sous-ministre veut ajouter un élément à la question.

M. Long : J'aimerais soulever quelques points, sénateur Brown. Premièrement, il n'y a pas de routes, alors si on doit transporter ces matières, ce sera par bateau. Deuxièmement, je peux vous dire quelque chose d'encourageant pour l'industrie du gaz naturel liquide; en effet, toutes nos centrales au diesel sont âgées, et nous les remplaçons lorsque c'est nécessaire. Les deux ou trois dernières qu'on a installées peuvent être converties au GNL. Nous envisageons cette possibilité.

Le sénateur Brown : S'agit-il d'une solution de rechange possible?

M. Long : Oui, absolument.

Le sénateur Peterson : Merci, messieurs, de votre exposé.

Pour revenir à la question des redevances — et il semble que c'est 100 p. 100 au gouvernement fédéral —, vous avez parlé de cette mine potentielle qui est sur le point d'ouvrir. Vous ne percevez aucune redevance, mais je présume qu'on vous demande de fournir l'infrastructure nécessaire. Est-ce exact?

M. Taptuna : Dans une certaine mesure. On s'attend à ce que les sociétés du secteur privé construisent leur propre infrastructure, qu'il s'agisse d'installations maritimes ou de routes qui mènent aux sites.

Le sénateur Peterson : Il faut recruter une main-d'œuvre nombreuse. Je présume que vous devez aussi fournir l'infrastructure pour le personnel. Vous profitez de la création d'emplois, mais cela engendre aussi beaucoup de coûts. Je ne comprends pas comment cette situation crée de la richesse. Vous avez parlé de l'industrie pétrolière et gazière; vous voulez exploiter ces ressources, mais vous ne percevez aucune redevance. Grâce à leurs permis de prospection, les sociétés peuvent se rendre là-bas, évaluer les réserves et se contenter d'attendre le bon moment. Un grand nombre d'entre elles souhaitent seulement augmenter leurs revenus pour que cela paraisse bien dans leur bilan. Je ne comprends pas comment quoi que ce soit puisse se produire avant que vous puissiez régler tout cela. Où en êtes-vous au sujet des redevances? Quand pourrez-vous commencer à y participer? Faudra-t-il attendre encore 10 ans, comme vous l'avez dit plus tôt?

M. Taptuna : Nous avons encore beaucoup de travail à faire avec le fédéral concernant les redevances, mais Ottawa finance et participe à la plupart des projets d'exploitation minière, pétrolière ou gazière au pays, comme les sables bitumineux. Nous espérons que le fédéral va construire une partie de l'infrastructure pour attirer les sociétés d'investissement et améliorer l'économie des territoires et de tout le pays. Nous voulons conclure des ententes de partage, surtout pour le pétrole et le gaz. Par exemple, les projets de Terre-Neuve et de la Saskatchewan donnent d'excellents résultats et permettent de renforcer l'économie. Même si nous n'avons pas beaucoup de résidants et aucune infrastructure, nous espérons qu'il en sera de même au Nunavut. Nous avons le port de Pangnirtung, situé sur la plus longue côte du Canada. Nous n'avons aucune autre installation maritime, tandis que Terre-Neuve dispose de plus de 300 installations construites par le fédéral. Au Nunavut, notre seule installation maritime sera terminée l'été prochain.

L'infrastructure construite par Ottawa ou avec l'aide du privé attire toutes sortes d'activités économiques. C'est pourquoi notre premier ministre parle de la voie de la richesse évoquée par Diefenbaker il y a une cinquantaine d'années.

Le sénateur Peterson : Avez-vous approuvé un projet d'exploitation minière comme la mine de diamants dont vous avez parlé? Le Nunavut a-t-il le dernier mot, ou l'approbation d'Ottawa est-elle suffisante?

M. Taptuna : Nous avons l'entente sur les revendications territoriales du Nunavut, et la CNER, la Commission chargée de l'examen des répercussions, s'occupe des processus de réglementation. Pour les projets d'exploitation minière, pétrolière ou gazière, c'est le fédéral qui délivre les permis et les licences, pas notre gouvernement. Pour sa part, la CNER approuve le projet final.

Le sénateur Raine : Merci beaucoup, c'est très instructif.

Je m'intéresse à la Société d'énergie Qulliq, une société à but lucratif qui n'a pas reçu de subventions fédérales tirées du Fonds pour l'infrastructure verte. Comment fonctionne cette société? S'agit-il d'un partenariat public-privé?

M. Long : C'est une société d'État.

Le sénateur Raine : À but lucratif?

M. Long : Oui.

Le sénateur Raine : Entièrement subventionnée?

M. Long : Oui.

Le sénateur Raine : Ou en grande partie?

M. Long : Oui.

Le sénateur Raine : Ce modèle d'entreprise me paraît différent.

Cette société énergétique est-elle chargée de livrer le diesel à toutes les communautés éloignées? Comment fonctionne-t-elle?

M. Long : Au départ, un autre ministère livrait le carburant, entre autres pour les communautés, mais c'est maintenant la responsabilité de la Société d'énergie Qulliq. Cette société achète et fournit tous les produits pétroliers nécessaires au Nunavut. L'approvisionnement annuel s'effectue l'été par navire.

Le sénateur Raine : Étant donné que la population augmente dans les communautés éloignées, les demandes de service augmentent-elles aussi?

M. Long : Oui.

Le sénateur Raine : Le grand défi pour le Nunavut, c'est que les gens ont désormais besoin de combustibles fossiles pour se chauffer, mais les revenus sont insuffisants.

M. Taptuna : C'est une excellente question. Notre gouvernement est à la merci des prix courants. Nous devons acheter des combustibles pour toute l'année au prix établi le jour de la vente. Nous cherchons des façons d'en réduire les conséquences. À un certain moment, le baril se vendait plus de 130 $, et nos coûts ont beaucoup augmenté.

M. Long : Le prix des combustibles entraîne des conséquences. Je crois que le litre d'essence à la pompe coûte aujourd'hui 1,22 ou 1,23 $ en Ontario. Je pense que le prix a grimpé jusqu'à 1,27 $ le mois dernier. Présentement, l'essence nous coûte 1,16 $, parce que nous l'avons acheté l'an dernier. Nous profitons d'un assez bon prix, car nous avons bien choisi le moment de procéder à l'achat en fonction des hausses et des baisses dans le cycle annuel du marché mondial. Nous serons peut-être très malchanceux l'an prochain. Ce n'est pas toujours ainsi, mais en comparaison, notre essence est plutôt abordable actuellement.

Le sénateur Raine : Un seul navire livre tous les combustibles?

M. Long : Bon nombre de navires sont nécessaires.

Le sénateur Raine : Tout l'approvisionnement se fait l'été?

M. Long : Entre juillet et octobre.

Le sénateur Raine : Les communautés reçoivent-elles leur propre approvisionnement?

M. Long : Oui, le gouvernement possède des parcs de stockage assez volumineux pour contenir l'approvisionnement annuel. Avant, nous avions ce qu'il fallait pour deux ans, mais ce n'est plus le cas, compte tenu de l'augmentation de la population.

Le sénateur Raine : C'est exactement ce que j'allais vous demander. Puisque la population augmente, il vous faut bien sûr d'autres parcs de stockage. Le simple fait de s'approvisionner en combustibles représente un défi d'infrastructure important.

M. Long : En effet. Ces parcs ne sont pas notre principal défi d'infrastructure, mais nous devons le relever, sinon une crise va survenir.

Le sénateur Raine : J'ai beaucoup de respect pour l'ingéniosité et la capacité de survivre des gens du Nunavut. Je vous souhaite du succès, parce que vous avez de grands défis à relever.

Le sénateur Wallace : L'approvisionnement se fait bien sûr une fois l'an, en raison des glaces. Vous n'avez pas le choix de procéder de la sorte. Avez-vous une stratégie de couverture pour que tout le combustible acheté ne soit pas facturé le même jour? Les sociétés pétrolières ont la même préoccupation et elles se servent de stratégies de couverture pour répartir les coûts sur une longue période. Les prix s'équilibrent selon les hausses et les baisses quotidiennes qui se produisent sur les marchés. Employez-vous une telle stratégie pour payer les combustibles?

M. Taptuna : Merci de la question. Nous avons examiné une telle stratégie, mais elle n'est pas à notre avantage. Nous avons fait un autre choix. Nous achetons les combustibles d'avance au plus bas prix durant l'année et nous les stockons dans le Sud. Auparavant, tout le combustible était acheté au prix courant. Après examen, nous avons conclu que la stratégie de couverture n'était pas à notre avantage. C'est pourquoi nous avons fait un autre choix.

Le sénateur Wallace : Même si vous stockez ce que vous achetez d'avance, c'est difficile d'établir quand les prix courants sont les plus bas. Si quelqu'un sait quel est le meilleur moment d'effectuer des transactions boursières, il doit nous le dire. Les sociétés pétrolières ont la même préoccupation et elles répartissent le risque sur une longue période lorsqu'elles établissent le prix de leurs produits. Vous pourriez réexaminer une telle stratégie, qui pourrait vous aider.

M. Taptuna : Nous nous intéressons entre autres à la diminution des banquises et à la prolongation de la saison des eaux libres annoncées par tous les scientifiques. Nous pourrions en tirer profit, au lieu d'acheter notre approvisionnement annuel au prix fixé un jour donné. La prolongation de la saison des eaux libres nous permettra peut-être d'effectuer nos achats en deux étapes.

Le sénateur Lang : Je veux simplement revenir aux commentaires liminaires du président. Depuis quelques années, notre comité examine la possibilité d'établir un cadre énergétique national et doit présenter des recommandations. Quelle est la responsabilité du fédéral par rapport à celle des territoires et des provinces? Quel rôle pouvons-nous ou devons-nous jouer, tout en respectant les compétences des provinces et des territoires?

Vous n'êtes peut-être pas en mesure de répondre aujourd'hui, mais je dirais que nous avons diverses responsabilités concernant les provinces et les territoires. Les régions plus populeuses peuvent payer une partie de l'infrastructure pour répondre aux exigences, mais les communautés isolées des territoires et du Nord des provinces ont peu d'options à l'heure actuelle pour ce qui est d'utiliser des énergies de remplacement sans l'aide du Canada, du Nunavut, des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon ou des provinces qui s'étendent au Nord.

Avez-vous songé ou allez-vous réfléchir à la façon dont le fédéral peut vous aider, étant donné que vous devez assumer une part de responsabilité?

Je pense que c'est un problème important. Le gouvernement du Canada verse des paiements de transfert au Nunavut, qui subventionne toutes ses communautés isolées. Si les fonds sont suffisants, la personne qui habite dans une de ces communautés n'a pas besoin de conserver l'énergie ou de trouver une énergie de remplacement. Vous payez le prix fort, mais personne ne s'en rend compte, puisque l'argent est versé de manière indirecte.

On dirait qu'il faut établir une relation entre les gouvernements du Canada, des provinces et des territoires pour subventionner les communautés, réaliser des économies, conserver l'énergie et protéger l'environnement.

Avez-vous des commentaires sur l'objectif de notre comité? Vous pourriez nous envoyer des suggestions sur ce que nous allons recommander concernant les responsabilités du fédéral et les vôtres.

M. Taptuna : Merci beaucoup de la question.

Au Nunavut, nous voulons que l'on ait confiance dans notre développement, qui créera de l'activité économique et des emplois pour les gens d'ici et qui va améliorer l'éducation et la qualité de vie. Nous n'avons pas assez de logements.

En renforçant notre partenariat avec l'industrie, nous pourrons construire l'infrastructure nécessaire pour attirer plus d'investissement privé dans les ressources naturelles et non renouvelables du Nunavut. Nous voulons participer au développement, au lieu de dépendre longtemps des paiements de transfert d'Ottawa. Nous voulons devenir indépendants, pas sur le plan politique, mais nous voulons être autosuffisants.

Nous avons beaucoup de ressources minières, pétrolières et gazières. Nous sommes conscients qu'il y a des risques environnementaux. Nous devons exploiter nos ressources, parce que le statu quo n'est pas acceptable. Nous voulons travailler en partenariat pour améliorer l'économie, pas seulement du Nunavut, mais de tout le pays.

Avec de l'aide, nous construirons les installations maritimes, les routes et les aéroports qui vont favoriser l'investissement privé. Nous envisageons surtout des partenariats avec le gouvernement et le secteur privé pour améliorer notre économie. Le statu quo est inacceptable.

Le sénateur Patterson : Je sais que vous êtes ministre des Mines. Dans la même veine que le sénateur Lang, je me demande si vous pouvez nous dresser le portrait de l'extraction et de l'exploration minières au Nunavut. Veuillez nous indiquer quelles sont les activités en cours et quel est le potentiel minier.

M. Taptuna : Il y a beaucoup d'activité dans notre territoire. L'an dernier, près de 400 millions de dollars ont été dépensés dans le secteur de la prospection. Dans la plupart des cas, les projets se déroulent sur des terres appartenant aux Inuits en vertu de l'entente sur les revendications territoriales. Ces terres sont gérées par des associations inuites régionales dont Nunavut Tunngavik Incorporated (NTI). Les Inuits sont responsables de leurs terres et le gouvernement territorial a très peu à dire au sujet de ces projets de développement.

Nous appuyons tous les projets durables et rentables qui ne portent pas atteinte à l'environnement et sont sans danger pour nos citoyens. Il est parfois très difficile de transiger avec la plupart des entreprises privées en cause parce que les projets se déroulent sur les terres appartenant aux Inuits et qu'il faut se conformer à l'ensemble des règles et des modalités négociées dans le cadre de l'entente sur les répercussions et les retombées pour les Inuits que l'entreprise doit conclure avec les propriétaires fonciers.

Comme notre gouvernement n'est pas au courant des détails de ces négociations, il devient difficile pour nous d'essayer d'assurer des retombées pour les résidants du Nunavut. Nous avons conclu une entente de partenariat pour le développement avec quelques-unes de ces sociétés minières. Ces ententes n'entrent toutefois en vigueur qu'une fois le certificat de projet émis à l'entreprise qui est prête pour la production. Nos moyens sont donc plutôt limités en ce sens.

Les droits de surface et d'exploitation souterraine appartiennent aux Inuits pour environ 16 p. 100 de la masse terrestre du Nunavut, et les proposants doivent négocier avec eux une entente sur les répercussions et les retombées.

Le vice-président : Vous avez bien dit 16 p. 100?

M. Taptuna : C'est bien cela.

Le sénateur Neufeld : Je veux revenir à la question de la production d'électricité et aux enjeux touchant notamment les énergies de substitution. Vous avez indiqué dans votre exposé que votre capacité globale se chiffrait en 2010 à 54 mégawatts pour 27 centrales. Diverses sources de remplacement sont envisageables, qu'il s'agisse de l'éolien ou du solaire — ou même du gaz naturel qui, sans être une énergie de substitution, est moins polluant que le diesel — mais il faut tout de même pouvoir compter sur une source d'énergie garantie, utilisable en tout temps, ce qui n'est pas le cas des énergies de substitution. Je crois que la prise en compte de tous ces facteurs vous complique grandement la tâche lorsque vient le temps de prendre ces décisions.

Pourriez-vous me dire à combien se chiffrent vos émissions de gaz à effet de serre pour ces 27 centrales produisant 54 mégawatts d'électricité? Si vous n'avez pas ces données avec vous, vous pouvez les transmettre ultérieurement à notre greffière.

Ma seconde question concerne les aspects économiques liés au développement des ressources de gaz naturel au Nunavut. Vous indiquez dans votre déclaration que « Pour produire ce gaz, il faudrait des installations de liquéfaction et d'expédition fonctionnant à longueur d'année ». Avez-vous actuellement de telles installations pour l'expédition?

M. Taptuna : Pas pour l'instant.

Le sénateur Neufeld : Comment pensez-vous que cela se produira? Grâce au changement climatique?

M. Taptuna : Les scientifiques ne cessent de nous en parler. Il est question du réchauffement planétaire tous les jours dans les actualités.

Le sénateur Neufeld : Dans un certain sens, le réchauffement climatique vous serait bénéfique — seulement sur cet aspect-là — en permettant l'expédition à longueur d'année de telle sorte que vous puissiez liquéfier le gaz naturel. Il y a aussi plusieurs aspects négatifs, mais à cet égard tout au moins, c'est l'aide que vous attendez pour pouvoir exploiter vos ressources en gaz naturel. Je pensais bien que c'est ce que vous nous disiez, mais je voulais seulement confirmer que le réchauffement planétaire est, dans certaines circonstances, bénéfique à vos concitoyens.

Votre tour viendra, sénateur Mitchell. Si vous lisez bien le rapport, une grande partie du développement économique est liée à ce phénomène.

Je voulais que cela figure au compte rendu. Je vous remercie. Si vous n'avez rien à ajouter, je vous suis reconnaissant pour ce que vous nous avez déjà dit.

M. Taptuna : Vous avez tout à fait raison, il y a du pour et du contre dans le réchauffement planétaire et le changement climatique. Comme je le mentionnais précédemment à un membre du comité, nous espérons pouvoir éventuellement recevoir deux livraisons de combustible par année. Nous pourrons ainsi commander en fonction des conditions du marché.

Le sénateur Neufeld : Et ne plus avoir à tout acheter du même coup.

M. Taptuna : Tout à fait. Bien évidemment, s'il y a moins de glaces pour entraver l'accès à nos immenses ressources, nous deviendrons plus attrayants pour les investisseurs.

Le sénateur Neufeld : Cela ne se limite pas au pétrole et au gaz; il y a toutes les ressources minières que vous avez au Nunavut, en commençant par l'uranium.

M. Taptuna : Tout à fait.

Le vice-président : Il suffit d'attendre suffisamment longtemps et vous avez des réponses à la plupart de vos questions sans même les avoir posées. Il m'en reste tout de même quelques-unes.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que le gouvernement fédéral vient tout juste de nommer un négociateur ou d'en annoncer la nomination. Ces négociations sont en cours depuis un bon moment déjà. Il ne semble pas y avoir de sentiment d'urgence, tout au moins du côté du gouvernement fédéral. Qu'est-ce qui retarde les négociations au sujet de la dévolution? Les redevances, les infrastructures, le potentiel de développement et tout le reste; tellement de choses en dépendent.

M. Taptuna : Je ne peux pas vraiment vous répondre, mais différents facteurs ont sans doute influé sur les progrès des négociations. À ce moment-ci, je ne saurais vous dire exactement de quoi il en retourne. Le territoire du Nunavut n'existe toutefois que depuis 12 ans, ce qui en fait une entité relativement nouvelle, bien qu'il ait été là depuis...

Le vice-président : Des milliards d'années.

M. Taptuna : Depuis très très longtemps. On considère donc que c'est une entité relativement nouvelle. Nous sommes conscients que bien du temps et des efforts ont été consacrés à des négociations semblables pour d'autres administrations. Je pense notamment aux Territoires du Nord-Ouest. Nous avons bon espoir que les choses pourront aller de l'avant. Je dois dire que le statu quo est inacceptable. Notre population est en pleine croissance. D'ici quatre ans, nous aurons besoin de 2 400 à 2 500 nouveaux emplois dans notre territoire. En l'absence d'activités de mise en valeur des ressources permettant une création d'emplois de cet ordre, nous ne pourrons pas nous en tirer.

Le vice-président : Est-ce que l'exploitation des ressources fonctionne au ralenti en raison des aspects économiques qui y sont associés et/ou de l'absence de dévolution et d'une certaine réticence de la part de votre gouvernement à aller de l'avant tant que vous n'en tirerez pas un certain bénéfice?

M. Taptuna : Tout à fait. Différents éléments entrent en jeu. Il y a notamment le cours des minéraux sur les marchés mondiaux. Au nord de l'île de Baffin, le projet Mary River deviendra un mégaprojet dès qu'une entreprise décidera d'aller amorcer la production. Le minerai de fer pourrait y être exploité pendant 100 ans.

Le vice-président : S'il y avait une entente de dévolution et si vous aviez droit à des redevances, cela aurait au moins pour effet d'accélérer les choses. Cela servirait de catalyseur pour des projets semblables.

M. Taptuna : Je vous rappelle qu'en vertu de l'entente sur les revendications territoriales, Nunavut Tunngavik Incorporated et les associations inuites régionales sont les bénéficiaires de ce projet. Ce sont des terres qui appartiennent aux Inuits. Dans son évaluation de l'exploitation minière, l'Institut Fraser nous a plutôt mal classés en raison du manque d'infrastructures, comparativement à ce qu'on peut voir plus au Sud. Dans ces régions où l'on a accès à des routes, des ports, des chemins de fer et tout le reste, il faut compter en moyenne sept ans entre la découverte d'un gisement et son exploitation. Dans notre territoire, c'est beaucoup plus long. Nous ne disposons pas des infrastructures nécessaires pour attirer les investisseurs et faire progresser les choses. Le réchauffement planétaire peut jouer un rôle à ce chapitre également. Notre saison de construction se limite à deux ou à trois mois, ce qui n'est guère intéressant pour les investisseurs. Ceux-ci seront davantage intéressés si nos eaux deviennent navigables pendant une plus longue période.

Le sénateur Peterson : Des groupes inuits détiennent les droits de surface et d'exploitation souterraine pour 16 p. 100 de la masse terrestre du Nunavut. Pourquoi est-ce 16 p. 100? Pourquoi pas davantage?

M. Taptuna : Les négociations au sujet des revendications territoriales ont pris bien des années et je crois que le sénateur Patterson y a été mêlé de près. Ce sont les négociateurs représentant les trois régions inuites qui en sont arrivés à ce taux de 16 p. 100, tant pour les droits de surface que pour l'exploitation souterraine. Le Nunavut est divisé en trois régions. Kitikmeot est dans la partie ouest du territoire; c'est la région d'où je viens. Kivallip est la région centrale, et Qikiqtaaluk correspond à l'île de Baffin. Chaque région a sa propre association inuite qui gère et négocie les ententes sur les répercussions et les retombées pour les Inuits avec les entreprises qui mettent en valeur les terres appartenant aux Inuits. Il s'agit d'un droit constitutionnel, car il est prévu dans l'entente sur les revendications territoriales.

Le sénateur Raine : C'est toutefois dans cette portion de 16 p. 100 appartenant aux Inuits que l'on retrouve la plus grande partie des ressources. Cette tranche de 16 p. 100 de la masse terrestre a été sélectionnée dans une perspective de développement économique. Est-ce bien le cas?

M. Taptuna : Tout à fait. Les Inuits ont bien négocié; ils ont choisi les portions du territoire où on savait qu'il y avait des gisements.

Certains de ces gisements avaient été découverts dans les années 1920, mais n'avaient jamais été exploités en raison du manque d'infrastructures. C'est profitable pour l'organisation inuite et pour les bénéficiaires à partir du moment où les ressources sont effectivement mises en valeur et où des redevances sont versées.

Le sénateur Raine : Le taux d'exploitation dépend vraiment des cours sur le marché mondial et de la capacité à inciter les investisseurs à injecter des capitaux pour obtenir un bon rendement.

M. Taptuna : Tout à fait. Comme pour n'importe quel produit dans n'importe quelle région, nous sommes à la merci des prix sur les marchés mondiaux.

Le sénateur Patterson : Peut-être puis-je essayer d'aider le comité à y voir plus clair. La question posée par le sénateur Peterson est lourde de considérations. On parle ici de la viabilité du gouvernement territorial. Il est intéressant de noter que la revendication territoriale visait des terres ne faisant l'objet d'aucun traité et couvrant une superficie correspondant à environ 20 p. 100 de celle du Canada. Les Inuits ont accepté de se contenter de moins de 100 p. 100 des terres, soit d'environ 16 p. 100, mais ils avaient pour ainsi dire le libre choix. Comme l'indiquait le ministre Taptuna, ils ont sélectionné les terres abritant ou avoisinant tous les grands projets de mise en valeur des ressources sur le territoire du Nunavut. Leur choix était tout à fait stratégique. Fait important à noter, ils ont en outre acquis le droit à une part de 5 p. 100 des redevances fédérales pour tout projet d'exploitation des ressources sur l'ensemble du territoire du Nunavut. Même si les projets ont lieu à l'extérieur des portions sélectionnées, les Inuits ont ainsi accès à une part des redevances, car la zone de règlement de leurs revendications territoriales correspond à l'ensemble du territoire.

Quant au projet Mary River, on prévoit que les Inuits toucheront des redevances dépassant 2 milliards de dollars pendant les 21 premières années d'extraction du minerai de fer sur l'île de Baffin. C'est le double de l'indemnisation en espèces reçue lorsque les Inuits ont cédé leurs terres en 1993. Et voilà que le gouvernement territorial affirme en toute transparence au comité qu'il n'a pas le contrôle sur ses ressources naturelles et qu'il n'en tire aucune redevance, car celles-ci vont plutôt aux Inuits. C'est là qu'intervient l'entente de dévolution. En principe, c'est la voie à emprunter car le gouvernement territorial assume les impacts et les coûts sociaux du développement et doit offrir tous les services publics et sociaux nécessaires, notamment pour la santé et les transports. En principe, il apparaît donc logique d'accorder la dévolution et d'offrir au gouvernement territorial sa juste part de l'exploitation des richesses naturelles.

Des métaux communs en passant par l'uranium pour aller jusqu'aux métaux précieux et aux diamants, l'ampleur de ces richesses est plutôt renversante. On peut dire qu'il y a encore du chemin à faire pour l'édification de cette nation.

Le sénateur Peterson : Vous parlez de qui exactement? Il y a les Inuits et les gens du Nunavut?

Le sénateur Patterson : Désolé. La population du Nunavut est constituée à environ 85 p. 100 d'Inuits, ce qui laisse quelque 15 p. 100 de résidants qui ne sont pas inuits.

M. Taptuna : C'est exactement ce que je voulais dire. Les redevances touchées par les Inuits au titre des projets d'exploitation minière réalisés sur les terres leur appartenant vont aux organisations inuites, et le gouvernement territorial n'en tire pas un traître sou.

Le vice-président : Même lorsque les ressources sont mises en valeur et qu'on détient la plus grande partie des moyens d'exploitation, comme c'était tout au moins le cas au moment où les revendications territoriales ont été réglées, le gouvernement ne tire aucune somme de ces projets?

M. Taptuna : Non.

Le sénateur Patterson : Seulement les taxes.

Le vice-président : S'il y a dévolution, ce sera différent.

Un grand merci à vous deux. Je veux également remercier le sénateur Patterson, notre invité spécial d'aujourd'hui. Vos réponses étaient à la fois pertinentes et très concises, souvent davantage que les questions posées. C'est tout un exploit pour un comité comme le nôtre. Nous vous sommes reconnaissants de votre aide, compte tenu de votre très courte nuit de sommeil. Je crois que vous avez parlé d'une heure et demie à peine.

C'est ainsi que se termine notre séance d'aujourd'hui.

(La séance est levée.)


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