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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 18 - Témoignages du 27 mars 2012


OTTAWA, le mardi 27 mars 2012

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à, 17 h 36, pour étudier l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada (y compris les énergies de remplacement).

Le sénateur Grant Mitchell (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Bonjour à tous et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

[Traduction]

Je souhaite la bienvenue à toutes les personnes venues nous observer, ainsi qu'à celles qui nous suivent à la télé. Je suis le sénateur Grant Mitchell, vice-président du comité. Je viens de l'Alberta et je remplace ce soir le président, le sénateur David Angus, qui n'est malheureusement pas en mesure d'être avec nous aujourd'hui. Il aurait bien aimé être là, mais il a un empêchement.

Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, et je salue les gens de partout au Canada qui nous regardent à la télé.

Je vais maintenant présenter les sénateurs qui sont membres du comité. À partir de mon extrême gauche, le sénateur Paul Massicotte, du Québec, et le sénateur Linda Frum, de l'Ontario. Bon retour parmi nous. Elle remplace le sénateur Brown, de l'Alberta, qui n'a pas pu venir. Ensuite, il y a le sénateur Daniel Lang, du Yukon; le sénateur Janis Johnson, du Manitoba; le sénateur Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique, et Lynn Gordon, notre greffière, qui veille à ce que nos activités se déroulent en douceur, comme toujours.

À ma droite, il y a Marc LeBlanc, l'analyste de la Bibliothèque du Parlement, qui est le rédacteur principal de ce rapport. Comme en témoignent les poches qu'il a sous les yeux, ce n'est pas une mince tâche. Ensuite, il y a Sam Banks, également analyste de la Bibliothèque du parlement, qui nous appuie tous avec Marc. Il y a ensuite le sénateur Bob Peterson, de la Saskatchewan; le sénateur George Baker, de Terre-Neuve-et-Labrador, et le sénateur Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude de l'état actuel et futur du secteur de l'énergie du Canada, y compris les énergies de remplacement. Depuis l'automne 2009, le comité étudie ce sujet d'importance nationale. Jusqu'à présent, nous avons entendu plus de 250 témoins, et nous espérons que d'ici la fin juin ou la mi-juillet, nous aurons compilé et produit un rapport qui aidera considérablement les gens à comprendre les enjeux énergétiques et la stratégie énergétique au Canada, et qui enrichira le débat que nous savons tous devoir mener d'une façon concertée et rigoureuse.

Je mentionne que nous avons un site web spécial consacré à l'étude du secteur de l'énergie et dont l'adresse est www.avenirenergiecanadienne.ca, ou www.canadianenergyfuture.ca.

Je suis heureux d'accueillir ce soir deux témoins : M. Andrew Weaver et M. Richard Peltier. Permettez-moi de vous les décrire un peu.

M. Weaver est professeur Lansdowne et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en modélisation et en analyse climatique à l'école des sciences de la Terre et de l'Océan l'Université de Victoria. Il a signé ou cosigné plus de 200 articles jugés par des pairs et publiés dans des revues traitant de climat, de météorologie, d'océanographie, des sciences de la Terre, de politiques, d'éducation et d'anthropologie. Il a été l'auteur principal de certaines phases des travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) des Nations Unies. Il a été rédacteur en chef du Journal of Climate de 2005 à 2009. M. Weaver est, entre autres, Membre de la Société royale du Canada, de la Société canadienne de météorologie et d'océanographie et de l'American Meteorological Society.

Au fil des ans, il a reçu de nombreux honneurs, dont la bourse commémorative E.W.R. Steacie du CRSNG, la bourse de recherche Killam et le Prix des jeunes chercheurs de l'ICRA remis aux 20 principaux scientifiques canadiens de moins de 40 ans. À vous regarder aujourd'hui, il n'y a pas si longtemps de cela.

M. Peltier est présentement professeur d'université et professeur de physique à l'Université de Toronto, où il est directeur fondateur du centre pour la science du changement climatique planétaire et directeur scientifique chargé du dispositif ScietNet de calcul de haute performance de Mount Sinai. Sa recherche porte principalement sur les processus qui contrôlent l'évolution de l'atmosphère, des océans et de la croûte terrestre, et sur la variabilité du climat à long terme.

En 2011, il s'est vu remettre la médaille d'or Gerhard-Herzberg en sciences et en génie du Canada, le prix scientifique le plus prestigieux au Canada. Il a aussi reçu le prix Vetlesen décerné par la Fondation G. Unger Vetlesen de New York, prix qui est souvent qualifié comme étant l'équivalent du prix Nobel des sciences de la Terre.

Messieurs, je tiens à vous remercier de votre présence. Vous nous avez fourni divers documents contextuels se rapportant à ce dont vous parlerez ici. Je crois que M. Peltier commencera, puis M. Weaver le suivra. Nous passerons ensuite aux questions et discussions habituelles.

W. Richard Peltier, professeur, Département de physique, Université de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup de m'avoir présenté ainsi et de m'avoir invité à venir témoigner ici.

Je parlerai pendant 15 minutes environ, peut-être 20 si je tarde un peu. Je commenterai la présentation PowerPoint dont je crois que vous avez une copie. Elle s'intitule « Réchauffement climatique au Canada : Avenir ».

Si vous voulez bien suivre ce que j'ai à dire, je commenterai les enjeux, une diapositive après l'autre. J'espère que vous trouverez ma présentation intéressante et qu'elle vous intéressera et vous renseignera sur bien des questions qui ont été soulevées au cours de la dernière décennie ou plus, dans le cadre du débat sur la véracité de la conclusion du GIEC attribuant à l'homme la responsabilité du réchauffement planétaire qui se poursuit depuis 150 ans environ, c'est- à-dire depuis le début de l'industrialisation dans l'hémisphère nord.

Commençons par la diapositive 3. C'est la plus récente compilation de la variation chronologique de la température moyenne à la surface de la planète, depuis le début de l'industrialisation dans l'hémisphère nord. Je suis certain que plusieurs d'entre vous ont déjà vu ce chiffre, mais peut-être pas ce plus récent exemple. Vous remarquerez qu'au cours de ces 150 ans environ, la température moyenne à l'échelle planétaire a augmenté d'à peu près huit dixièmes d'un degré Celsius.

Pour commencer, j'attire votre attention sur la dernière période d'environ 10 ans de cette série chronologique, car elle est devenue une importante source de débat concernant la question fondamentale des origines du réchauffement manifeste de la température à la surface de la Terre qui est représentée dans ce graphique.

Ce sont des observations réelles. Avant de m'attacher à des éléments particuliers de la série chronologique, j'attire votre attention sur le fait que ces données ont été reproduites par un programme à l'Université de Californie à Berkeley, dans le cadre du projet BEST — pour « Berkeley Earth Surface Temperature ». Berkeley trouve toujours d'excellents acronymes. Ce programme était parrainé en partie par les frères Koch aux États-Unis. Plusieurs d'entre vous savent qu'ils sont les principaux défenseurs de l'argument voulant que le réchauffement planétaire ne soit pas causé par l'activité humaine.

Avec le financement du projet BEST par les frères Koch, certains espéraient que l'équipe de Berkeley, dirigée par Richard Muller, découvrirait que la série chronologique utilisée par le GIEC en guise de talisman du réchauffement planétaire comportait de graves lacunes. En fait, ce que le projet BEST a démontré — et vous pouvez aller en voir les conclusions sur le Web —, c'est que Richard Muller et ses collègues ont reproduit précisément la même série chronologique. La question de la légitimité de cet ensemble de données ne se pose donc plus. Étant donné que ces données ont été analysées rigoureusement par de multiples groupes, on ne peut plus prétendre qu'elles ne sont pas réelles.

Comme je l'ai dit plus tôt, si vous prenez les 10 dernières années de la série, vous constaterez que le réchauffement planétaire s'est quelque peu ralenti. Selon plusieurs, le fait que le dioxyde de carbone a continué d'augmenter sans que le réchauffement planétaire n'augmente démontre en quelque sorte que notre hypothèse voulant que le dioxyde de carbone produit le réchauffement planétaire n'est pas crédible.

Dans la diapositive suivante, je vous montre les plus récentes données résultant d'observations par satellite de l'intensité réelle du Soleil. Il faut comprendre que l'argument de plusieurs voulant que le réchauffement planétaire est entièrement une conséquence de l'augmentation du débit solaire est anéanti par ces observations directes par satellite qui montrent essentiellement trois cycles approximatifs de 11 ans d'activité solaire.

Vous remarquez qu'au cours du dernier cycle, la période du débit solaire minimal est exceptionnellement longue. Elle dure au moins deux ans, presque trois ans de plus que toute autre période mesurée jusqu'à présent. Selon l'une des explications les plus rationnelles de ce ralentissement de l'augmentation de la température moyenne en surface qui est représenté dans le graphique précédent, il est la conséquence de la période d'activité solaire minimale d'une durée exceptionnelle qui s'achève à peine. Il y a un délai de l'ordre de 2 000 ans dans ce rapport entre le forçage solaire et la réaction climatique. Nous commençons à peine à sortir du refroidissement associé à cette variation, pourtant faible, du forçage solaire.

Vous remarquerez que la puissance du forçage solaire, qui est d'un quart de watt par mètre carré, est indiquée dans la partie droite de cette série chronologique. Vous remarquerez aussi que dans la partie gauche de la même diapositive, la variation effective de l'activité solaire totale se chiffre à 1,5 p. 100 watt par mètre environ — ce qui est bien plus élevé. Cet écart s'explique par le fait que la majeure partie de la variabilité de l'activité solaire touche la planète dans la partie ultraviolette du spectre, qui est complètement éliminée par l'effet filtrant de l'ozone dans l'atmosphère moyenne. Le forçage qui atteint effectivement le système climatique est extrêmement faible, mais pas au point d'être entièrement négligeable. C'est là l'explication claire la plus probable du fait que c'est au cours de la dernière décennie à peu près que le réchauffement normalement rapide forcé par l'augmentation du dioxyde de carbone a ralenti quelque peu. Nous entrons dans une période d'activité solaire maximale, et nous allons sortir de la période d'activité solaire minimale avec un effet amplifié, car la combinaison de l'activité solaire et de la concentration du dioxyde de carbone entraîne une accélération du réchauffement.

J'attire votre attention sur la diapositive 5. Là encore, ce sont des données; nous ne parlons pas du tout de modèles, mais de contraintes sur le système climatique effectivement observées. Il s'agit essentiellement de quatre tableaux indiquant la température moyenne à chaque point de la surface de la Terre au cours des décennies 1970, 1980, 1990 et 2000. Ces données, qui résultent d'observations directes, montrent une amplification progressive du réchauffement de la surface de la planète dans les latitudes boréales polaires.

Il s'agit d'une conséquence bien connue de la rétroaction intense de l'albédo de la glace et de l'albédo de la neige dans le système climatique, conséquence du fait que, tandis que le climat se réchauffe, la superficie de la surface recouverte de glace marine dans les latitudes boréales polaires diminue, la superficie recouverte de neige en hiver diminue et la superficie hautement réfléchissante parce que couverte de neige ou de glace diminue. Un rayonnement solaire arrivant accru est forcé dans le système et, par conséquent, davantage de surface hautement réfléchissante fond. C'est ce qu'on appelle la rétroaction positive. C'est une caractéristique très bien comprise qui est intégrée avec exactitude dans les modèles climatiques que nous utilisons pour faire des projections en matière de réchauffement planétaire. Nous savons que, dans les latitudes boréales polaires, il y a une amplification intense du réchauffement.

Allons maintenant à la diapositive 6. Nous savons qu'il y a dans les latitudes boréales polaires et aussi dans les latitudes australes ce que j'appelle des « canaris » polaires dans le système. Ce sont des accumulations massives de glace terrestre qu'on trouve principalement dans l'hémisphère nord du Groenland, ainsi que dans les hautes montagnes de l'Amérique du Nord, tant en Alaska que dans la province canadienne voisine. C'est un autre canari, si vous voulez, dans la mine chaude. Dans l'hémisphère sud, l'Antarctique tout entier est couvert essentiellement de glace terrestre.

Je viens de démontrer que le réchauffement est fortement amplifié dans les latitudes boréales polaires et, si c'est vrai, on pourrait s'attendre à entendre ces canaris chanter. Nous pouvons utiliser des instruments hautement perfectionnés pour les entendre et pour voir ce qui se passe dans ces régions couvertes de glace. Représentent-elles ce que nous nous attendons à voir comme conséquence du réchauffement continu?

Dans la diapositive 7, vous verrez une image de l'instrument qu'on utilise pour surveiller le comportement de ces canaris. Il s'agit du système de satellites GRACE — pour « Gravity Recovery and Climate Experiment » — qui est un train de deux satellites. Ces satellites sont à une altitude de 450 à 500 kilomètres. Cette expérience de physique qui nous permet de voir ce qu'il advient de la glace mesure simplement la différence entre la distance des deux satellites, si vous voulez.

En mesurant la distance en fonction du temps entre les deux satellites, nous pouvons mesurer la variation temporelle du champ gravitationnel et déterminer si la masse sous le satellite, à n'importe quel point de la surface de la Terre, augmente ou diminue, et nous pouvons l'observer. Par exemple, dans le cas du Groenland, que vous pouvez voir sous les deux satellites dans le système gris, nous pouvons mesurer le taux de changement temporel de la masse glaciaire du Groenland.

Si vous regardez la diapositive 8, vous verrez ce que GRACE voit. Regardez plus précisément les données brutes de GRACE dans le coin supérieur gauche de cet ensemble de six images. On peut voir trois anomalies extrêmement importantes dans le champ gravitationnel de la planète. La première, et la plus évidente, est l'énorme anomalie positive qui est au-dessus du Canada et qui couvre presque entièrement la masse terrestre canadienne. Elle est délimitée par des anomalies négatives au nord-est et au nord-ouest. L'anomalie dominante, dans le milieu de l'image, qui couvre toute la masse terrestre canadienne, est associée à l'influence continue de l'âge glaciaire.

Il y a 20 000 à 25 000 ans, tout le Canada était recouvert d'une masse de glace de quatre kilomètres d'épaisseur environ au nord et à l'ouest de la baie d'Hudson. La limite sud de cette masse de glace se trouvait presque au niveau de la frontière qui sépare actuellement le Canada et les États-Unis. Cette masse est demeurée 80 000 à 90 000 ans à peu près sur la surface du Canada. Le poids de toute cette glace enfonçait continuellement la masse terrestre canadienne. Quand la glace a disparu, ce qui a commencé il y a environ 14 000 ans et s'est terminé il y a environ 7 000 ans, la masse terrestre a commencé à émerger de la mer. Dans la région de la baie d'Hudson, aujourd'hui, la masse terrestre continue à émerger à raison d'à peu près 1,5 centimètre par année. Cela fait augmenter la masse sous les satellites qui observent la masse terrestre canadienne. J'ai donc élaboré une théorie qui me permet de projeter ce que les satellites de GRACE devraient voir en raison de cet effet.

Dans le coin supérieur droit de cet ensemble de six images, on voit ce qui arrive si l'on soustrait simplement les projections faites au moyen de la théorie de l'empreinte entière de GRACE représentée dans le coin supérieur gauche. On voit que seuls ces deux signaux négatifs restent, un au-dessus du Groenland et l'autre au-dessus de l'Alaska et de la majeure partie du nord-ouest du Canada. Ces signaux négatifs résiduels résultent du fait que la glace terrestre dans ces régions est en train d'être éliminée par le réchauffement planétaire. Les canaris chantent exactement la chanson prévue si le réchauffement planétaire se déroule effectivement au rythme que les modèles projettent. C'est donc un autre ensemble de données, si vous voulez, qui vient étayer la théorie du réchauffement planétaire élaborée au cours des 20 dernières années d'activités du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

Je vous demande maintenant de passer à la neuvième diapositive qui nous présente une orientation légèrement différente. C'est une image fixe provenant d'une animation de la vapeur d'eau enveloppant la planète dans des conditions contemporaines, et projetées. Les défenseurs de la notion voulant que le dioxyde de carbone n'ait aucune importance prétendent souvent que tout repose sur la vapeur d'eau. Je sais que le comité a déjà entendu cet argument.

Il est important que vous compreniez que ce que plusieurs climato-sceptiques ne comprennent pas du tout, c'est la physique fondamentale. Il est vrai que la vapeur d'eau est un gaz à effet de serre important, mais il est également vrai qu'il est impossible d'augmenter la quantité de la vapeur d'eau dans l'atmosphère sans réchauffer cette atmosphère. La vapeur d'eau est une rétroaction. Il faut réchauffer l'air pour qu'il puisse contenir plus de vapeur d'eau et, à cette fin, il faut du dioxyde de carbone. Le dioxyde de carbone est l'agent qui permet à l'atmosphère de se réchauffer, qui la force même à se réchauffer, et qui rend possible le fait qu'elle contienne davantage de vapeur d'eau. Les exposés expliquant au comité comment la vapeur d'eau augmente sont invalidés par une lacune fondamentale. La vapeur d'eau est une rétroaction et non pas un premier responsable dans le système. Il est très important que vous compreniez cela. La notion selon laquelle ce n'est pas le CO2 mais plutôt la vapeur d'eau qui est responsable est tout simplement ridicule sur le plan de la physique.

Je voudrais maintenant vous exposer une application moderne, en quelque sorte, de la science du climat qui essaie de réduire la portée de notre compréhension du réchauffement planétaire aux régions pour lesquelles on doit élaborer une politique. Les représentations à l'échelle planétaire du réchauffement climatique ne procurent pas vraiment les données qu'il faut pour prendre des décisions stratégiques, car les politiques sont élaborées à l'échelle régionale et non à l'échelle planétaire. Autrement dit, il ne s'agit pas seulement du continent où vous vous trouvez; il s'agit aussi de l'endroit où vous vous trouvez sur ce continent.

Je vais vous montrer certains résultats récents de travaux en cours de mon propre groupe visant à réduire à une échelle régionale la portée des projections actuelles sur le réchauffement planétaire. Il s'agira plus précisément de l'Ontario et du bassin des Grands Lacs.

Dans l'image de la partie gauche de la diapositive 10, on voit une projection du degré de réchauffement qui se serait produit à l'échelle planétaire selon ce que nous appelons le « scénario A2 du maintien du statu quo des gaz à l'état de traces ». Il s'agit de ce qui arriverait si nous continuions à charger l'atmosphère de dioxyde de carbone au même rythme que nous le faisons maintenant sans mettre en œuvre des changements stratégiques qui nous permettraient de réduire le taux des émissions et, donc, de minimiser le degré de réchauffement qui se produira par la suite. C'est donc le maintien du statu quo, et c'est le portrait que projettent les modèles planétaires. Cependant, ces modèles ne fournissent pas vraiment ce dont les responsables des politiques ont besoin pour prendre des décisions concernant les mesures requises dans une région donnée.

Dans la diapositive 11, qui nous amène en Ontario et dans le bassin des Grands Lacs, on utilise des moyens techniques de pointe pour mettre ces projections de réchauffement planétaire à l'échelle d'une région de la taille d'une province canadienne, région où l'on trouve une des plus grandes quantités d'eau douce de la planète. Pour comprendre l'influence de ces énormes quantités d'eau douce sur le réchauffement planétaire, il faut se détacher de l'échelle de résolution de 150 kilomètres environ que nous utilisons dans les modèles habituels de projection du réchauffement planétaire et adopter une échelle de 10 kilomètres au plus nous permettant de voir véritablement les lacs et leur impact sur le réchauffement local.

La méthode que nous utilisons s'appelle la méthode dynamique de mise à l'échelle. Sans entrer dans les détails techniques, je vous dirai que nous pouvons établir des projections de ces modèles de réchauffement planétaire à une très petite échelle en utilisant des techniques qui nous permettent, premièrement, de moduler l'application de façon à reproduire le relevé instrumental avec tellement de précision que nous pouvons raisonnablement croire que les projections nous seront utiles sur le plan de l'élaboration de politiques.

Nous allons nous concentrer sur l'Ontario et le bassin des Grands Lacs, que vous pouvez voir dans l'image gauche de la diapositive 11.

Je vais vous montrer, pour cette région, des résultats qui sont fondés sur deux scénarios des gaz à l'état de traces très différents, l'un appelé A2, c'est-à-dire le maintien du statu quo, et l'autre appelé A1B. Selon ce dernier scénario, on ne limite pas l'ampleur du réchauffement planétaire aux fameux 2 degrés Celsius qui, selon certains, sont absolument nécessaires pour que nous évitions la catastrophe qui pourrait se produire; c'est plutôt un scénario des gaz à l'état de traces qui, à plus long terme dans notre siècle, limite l'ampleur du réchauffement à 3 ou 3,5 degrés environ.

Les scénarios des gaz à l'état de traces sont représentés dans le graphique de gauche de la diapositive 12. Dans le graphique de droite, on voit, dans la partie supérieure, les températures moyennes projetées pour la Terre dans son ensemble selon ces deux scénarios des gaz à l'état de traces. Le rouge — soit le maintien du statu quo — continue à monter, alors que le bleu finit par se saturer à l'échelle planétaire.

Dans le graphique de droite qui représente la masse terrestre canadienne entière, on voit que les projections oscillent un peu plus parce que moins de calculs de moyenne sont faits pour une superficie moins grande. Et en dernier lieu, dans le bas, on voit que les projections pour l'Ontario oscillent encore plus que celles qui portent sur le Canada entier. Néanmoins, l'effet du changement d'orientation stratégique — de rouge à bleu — est évident.

La diapositive 13 montre les variations de température projetées par rapport à la température moyenne dans cette région au cours de la période de 1950 à 1980, variations qui se produiraient selon les deux scénarios des gaz à l'état de traces pour la température annuelle moyenne, la température hivernale moyenne — décembre, janvier et février — et la température estivale — juin, juillet et août — dans la dernière colonne.

J'attire votre attention sur une chose sans vous imposer un exposé détaillé sur l'une ou l'autre de ces images. Les faits saillants sont, premièrement, que l'impact sur la température est beaucoup plus profond en hiver qu'en été. Selon le scénario du maintien du statu quo, d'ici la fin du présent siècle — c'est-à-dire d'ici 2090 à 2100 —, la température annuelle moyenne en Ontario augmentera de 5 degrés Celsius environ. C'est énorme.

En décembre, janvier et février — les mois d'hiver —, c'est essentiellement la même chose que pour la moyenne annuelle. Même selon le scénario A1B qui présuppose l'établissement d'un régime de mesures qui réduira le degré de réchauffement — non pas un régime de mesures rigoureux au point de réduire l'augmentation moyenne de la température à la surface de la planète dans son ensemble à 2 degrés, mais un régime qui lui permet d'augmenter de plus de 3 degrés Celsius — même dans ce cas, l'augmentation de la température au-dessus de la masse terrestre de l'Ontario est de l'ordre de 3 degrés Celsius à peu près. Donc, même aux latitudes moyennes — pas aux pôles — l'impact prévu sur la température en surface est profond.

Autre facteur concluant : l'une des principales répercussions du réchauffement sur la région des Grands Lacs est une réduction marquée de la couche de glace en hiver. Il y a donc une plus grande proportion de l'eau des lacs qui s'évapore, et une forte répercussion sur le niveau de l'eau. Ainsi, on peut projeter de façon détaillée les niveaux de l'eau des lacs selon ces régimes climatiques changeants, par exemple, et cela donne matière à inquiétude sur ce plan également.

La diapositive 14 montre les répercussions projetées sur le régime des précipitations. C'est extrêmement intéressant. Vous remarquerez que les Grands Lacs eux-mêmes se trouvent sur un gradient prononcé caractérisé par l'augmentation des précipitations au nord et la réduction des précipitations au sud. Comme les lacs sont dans une région présentant un gradient très prononcé, la projection de répercussions précises sur ces lacs est particulièrement difficile.

Je dois vous dire que ces images sont sur le point d'être publiées dans une revue à comité de lecture — le Journal of Climate dont mon collègue, M. Weaver, était rédacteur en chef.

On peut voir dans la diapositive 15 l'un des arguments les plus marquants sur le plan des orientations stratégiques de ce pays, et du monde entier en général, en ce qui concerne la capacité du système d'effectivement mettre en œuvre les changements stratégiques qui s'imposent si l'on veut minimiser les répercussions que je viens de décrire très brièvement.

Le graphique représente des projections de la température moyenne en surface de 1900 à 2300, donc une période de 400 ans de l'histoire de la Terre. On y voit les variations projetées du réchauffement de la température en surface de la planète correspondant au scénario A2 que j'ai décrit pour l'Ontario, soit le maintien du statu quo. Il y a aussi les projections selon le scénario A1B, en vert, qui montrent que d'ici la fin de 2300, la température planétaire moyenne est plus élevée d'à peu près 3 degrés Celsius.

La chose que je veux que vous reteniez le plus dans ce graphique, qui provient du quatrième rapport d'évaluation du GIEC, c'est que ces projections ne présentent aucune divergence visible, statistiquement significative, jusqu'au milieu du siècle à peu près.

Si vous êtes un décideur intéressé à mettre en œuvre des changements de stratégie environnementale visant à minimiser les effets nocifs du réchauffement, vous devez comprendre qu'aucune reconnaissance ne vous sera probablement accordée, pendant votre carrière politique, pour avoir pris les décisions qu'il fallait prendre pour minimiser les effets nocifs que nous prévoyons.

Partant de 2012, si je sais qu'aucune reconnaissance ne me sera accordée avant 30 ou 40 ans pour mes bonnes actions, j'aurais peut-être tendance à voir peu de mérite dans la prise des décisions que nous croyons nécessaires. Et ça, c'est un des aspects les plus profonds du réchauffement planétaire, c'est-à-dire que les résultats des divers scénarios des gaz à l'état de traces qui, selon nous, intègrent bien les variations que les mesures stratégiques peuvent produire, ne seront pas visibles avant le milieu du siècle ou plus tard.

Je vous remercie de votre attention.

Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Peltier.

Je pense que nous pouvons siéger jusqu'à 19 h 15, et j'aimerais donner au moins 45 ou 50 minutes aux membres. Je ne veux pas vous presser, monsieur Weaver. Je sais que votre exposé suscite un profond intérêt.

Nous n'accueillons pas souvent des députés ici; je voudrais donc présenter Mme Elizabeth May, qui nous rend visite. C'est un plaisir de la voir parmi nous. Elle est, bien sûr, chef du Parti vert.

Andrew Weaver, professeur, École des sciences de la Terre et de l'Océan, Université de Victoria, à titre personnel : Merci de m'avoir invité ici. C'est un grand honneur de pouvoir témoigner devant le comité. J'aimerais commencer par la diapositive 2 du diaporama que je vous ai distribué — le bleu. Je commencerai par quelques sondages d'opinion publique pour établir le contexte social de nos discussions.

Le Center for Local, State, and Urban Policy a mené un sondage à plusieurs reprises au cours des quelques dernières années. Le sondage posait une question précise aux Américains, à savoir s'il y a ou non des preuves solides du réchauffement planétaire. Vous voyez maintenant les résultats de l'automne 2008 jusqu'à 2011. Bien que les résultats récents, ceux de 2011, aient augmenté, on constate qu'il y a encore une proportion appréciable d'Américains qui ne croient pas qu'il existe des preuves solides du réchauffement planétaire. Ce même sondage a été mené au Canada. Au bas de la page 2, vous voyez que 14 p. 100 des Canadiens croient qu'il n'y a pas de preuve solide, et 80 p. 100 croient qu'il y a des preuves solides.

Dans le cadre de la dernière évaluation du GIEC mentionnée tout à l'heure, la preuve de l'existence du réchauffement a été qualifiée de « sans équivoque ». Les scientifiques n'utilisent pas très souvent des expressions comme « sans équivoque ». Donc, il y a problème lorsque toute une communauté scientifique, comme nous l'a montré ici M. Peltier avec ses meilleures données, qualifie le réchauffement de « sans équivoque », alors qu'il y a encore une grande proportion du public qui n'y croit même pas.

Passons à la diapositive 3 qui porte sur le Canada et qui démontre clairement que l'incrédulité correspond de façon marquée aux partis politiques. Par exemple, 64 p. 100 de ceux qui disent avoir tendance à voter conservateur croient qu'il y a des preuves solides du réchauffement planétaire, alors que les pourcentages sont plus élevés la plupart des autres partis. Dans la diapositive 4, qui présente les mêmes résultats pour les Américains, la comparaison entre démocrates et républicains est très semblable.

La science ne sait pas si vous votez NPD, libéral ou conservateur, et les températures du réchauffement planétaire qui sont observées sans équivoque n'ont pas la moindre idée elles non plus du parti politique que vous appuyez. Pourtant, il est très clair que la question est devenue hautement politisée dans notre société. Dans une certaine mesure, bien sûr, cela peut être attribué à l'ancien vice-président Al Gore qui, tant en raison de son poste que de l'ardeur avec laquelle il a défendu cette cause, a en quelque sorte amené la question à être associée, surtout aux États-Unis, à un enjeu démocrate, comme si l'aspect scientifique était démocrate par opposition à républicain.

Le problème réside en partie dans la source de notre information scientifique. En tant que société, la plupart d'entre nous obtenons notre information des médias, comme le montre la diapositive 5. En général, les médias ont tendance à essayer de présenter toutes les facettes d'une question, et cela est très important. Le rôle des médias dans une société démocratique est de donner aux citoyens un aperçu des enjeux. Par exemple, supposons que le Canada va signer une entente de libre-échange avec le Japon, et que vous êtes un journaliste chargé d'écrire un article sur la question. Vous voudrez présenter différents aspects de cette nouvelle. Vous obtiendrez peut-être des commentaires pour donner à votre lecteur un aperçu des enjeux. Vous parlerez peut-être de la position d'une entreprise de haute technologie de Vancouver et de son PDG qui est emballé par cette décision en raison de l'ouverture de nouveaux débouchés et de la création d'emplois intéressants, et vous ajouteriez une déclaration enthousiaste de sa part. Vous pourrez par ailleurs obtenir une déclaration d'un chef syndical ontarien qui s'inquiète de la perte éventuelle d'emplois syndiqués. Ensuite, vous obtiendrez la politique en cause, vous en citerez quelques passages, puis ce sera à votre lecteur de déterminer s'il appuie la mesure et, par conséquent, ceux qui ont pris la décision politique, en fonction de ce que vous lui avez présenté.

Le problème survient quand on applique à la science cette norme déontologique du journalisme. Par exemple, si je laisse tomber mon épinglette et si j'ai pour tâche de produire un article sur cet événement, je pourrais faire état de la chute de l'épinglette, mais je devrais aussi présenter à mes lecteurs les enjeux en cause. Je pourrais me rendre au département de physique de l'Université d'Ottawa et y obtenir la déclaration d'un physicien qui pourrait dire quelque chose d'intéressant au sujet de Newton inspiré par des pommes, mais je devrais aussi équilibrer les choses; alors, je pourrais aller au bureau local de la Société antigravité et demander à son directeur exécutif de me faire une déclaration au sujet d'un univers parallèle où la gravité s'exerce effectivement en sens inverse.

Tout cela, bien sûr, est absurde, mais très représentatif de ce qui se passe dans le domaine de la climatologie aujourd'hui. Nous sommes en présence d'une énorme somme de connaissances scientifiques, dont je parlerai tout à l'heure, et d'un très petit dissentiment qui n'est pas représenté dans les documents scientifiques évalués par les pairs, mais qui se manifeste dans l'opinion de gens et auquel une importance disproportionnée est accordée dans la presse locale qui, en fin de compte, façonne l'opinion du public.

En général, la nature humaine nous porte à chercher l'information qui valide les croyances ou les convictions que nous avons déjà. Si vous ne croyez pas ou ne voulez pas croire que le réchauffement existe, malgré le fait que la communauté climatologique croit que c'est sans équivoque, vous allez peut-être chercher et trouver de l'information facile d'accès qui appuie ou renforce vos convictions initiales.

Max Boykoff, qu'on voit ici dans la diapositive 6, a essayé de quantifier cela dans la presse de prestige américaine. Il s'agit du New York Times, du Washington Post, du L.A. Times et du Wall Street Journal. La diapositive 7 présente les constatations de son analyse couvrant la période de 1998 à 2002.

Il a constaté que 53 p. 100 des articles accordaient une importance approximativement égale à l'activité humaine et aux fluctuations naturelles en tant que causes du réchauffement planétaire; 35 p. 100 penchaient plus vers les causes humaines, mais présentaient tout de même un portrait équilibré, et 6 p. 100 étaient profondément sceptiques quant à une contribution humaine quelconque au réchauffement planétaire, du style « Ce n'est qu'un canular » et autres affirmations du genre. Seulement 6 p. 100 présentaient en tant que fondement de l'article la notion que les humains contribuaient au réchauffement de la planète. Cela signifie que 94 p. 100 des articles de journal dans la presse de prestige américaine présentaient soit une opinion équilibrée concernant la cause du réchauffement, soit l'opinion selon laquelle le réchauffement n'existe pas ou est une sorte de canular. Seulement 6 p. 100 ont présenté le consensus scientifique.

Naomi Oreskes, que l'on voit ici dans la diapositive 8, voulait pour sa part déterminer s'il y avait, dans les documents évalués par les pairs, un important dissentiment qui était ignoré dans les évaluations internationales. Elle a fondé plus précisément sa recherche sur les mots « changement du climat planétaire » pour voir dans quelle mesure il y avait des publications scientifiques qui contredisaient les opinions apparentées à la position fondamentale du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

Elle n'en a trouvé aucune : sa conclusion a été qu'il n'y avait aucune étude. De fait, je vous ai distribué, en tant qu'une de mes évaluations, un article écrit par Rosemarie Came, John Eiler, Jan Veizer et divers collaborateurs qui ont témoigné devant vous le 15 décembre. Cet article a été mentionné par M. Veizer dans son témoignage en décembre. Permettez-moi de vous lire la dernière phrase du résumé de l'article :

Nos résultats corroborent la suggestion que des concentrations atmosphériques accrues de dioxyde de carbone causent ou amplifient l'augmentation des températures planétaires.

Cet article a été mentionné dans le cadre de ce témoignage mais, pour des raisons qui m'échappent, la conclusion présentée dans le témoignage était complètement opposée au document en question.

Une autre étude a été menée par feu Steve Schneider et divers collaborateurs, dont un est à l'Université de Toronto. Ils voulaient déterminer dans quelle mesure les scientifiques avaient pour opinion que les humains causaient le réchauffement — non pas s'il y avait réchauffement ou non. Je vous renvoie à la diapositive 9. Ces scientifiques ont étudié 1 372 chercheurs en climatologie qui signaient diverses choses, qui envoyaient des lettres à la rédaction, qui avaient fait partie d'une campagne du genre « 100 scientifiques qui appuieraient cette lettre », et ainsi de suite. Ils cherchaient dans les médias d'intérêt général populaires à déterminer la mesure dans laquelle ces chercheurs en climatologie croyaient la position fondamentale voulant que le changement climatique anthropique existe effectivement, et qu'il est largement imputable à l'activité humaine.

Ils ont déterminé que 97 à 98 p. 100 de ces chercheurs en climatologie qui publiaient le plus activement appuyaient la théorie fondamentale du changement climatique anthropique telle qu'énoncée par le GIEC, et que l'expertise climatologique relative et l'éminence scientifique des non convaincus étaient considérablement inférieures à celles des chercheurs convaincus.

Nous avons donc un portrait clair ici : un reportage médiatique très équilibré de l'information scientifique, qui donne invariablement à penser, comme je l'ai démontré, qu'il y a en quelque sorte un grand débat au sein de la communauté scientifique. Les publications à comité de lecture sont claires à cet égard, y compris les publications de personnes qui témoignent devant votre comité.

Cependant, certaines personnes croient en quelque chose — ce qui est leur droit —, mais une conviction n'est pas de la science. Dans ma collectivité, il y a peut-être des gens qui croient que, vu que Dieu veille sur nous, nous n'avons pas à nous inquiéter du réchauffement planétaire, car leur foi les incite à penser : « Je crois en un être supérieur, infiniment bon, qui veillera sur nous », et c'est très bien. C'est ce qu'ils croient. Ce n'est pas quelque chose que vous publieriez dans un document évalué par des pairs, mais c'est une croyance que certains chercheurs en climatologie pourraient considérer comme une raison — je ne nomme personne —, mais il y a des gens qui signent des choses dans lesquelles ils affirment croire qu'ils n'ont pas à s'en inquiéter. Il n'y a rien de mal à cela, et je n'essaie pas du tout de le réfuter. Cependant, nous devons garder à l'esprit que c'est une croyance qui n'a rien à voir avec la science.

La science est diffusée par l'entremise des revues scientifiques, comme le montre la diapositive 11 dans laquelle je présente cinq exemples types. Quelque 10 000 revues scientifiques sont évaluées par le Thomson ISI Web of Science. Entre 1955 et 2011, 70 986 rapports d'études dans lesquels figuraient les termes « réchauffement planétaire » ou « changement climatique » ont été publiés — 70 986 publications évaluées par des pairs. Vous comprendrez que, si toute cette hypothèse était un grand complot des scientifiques, on en verrait une indication quelque part dans ces 70 986 publications, mais il n'y en a aucune trace.

De fait, et je vous renvoie à la diapositive 12, on voit bien dans l'histoire de la science que le réchauffement planétaire n'a pas été inventé de toutes pièces en 1988, ce que plusieurs croient, quand Jim Hansen a affirmé dans son témoignage devant le Sénat américain qu'il était certain que le réchauffement planétaire se produisait.

Il faut remonter à Jean-Baptiste-Joseph Fourier, le mathématicien français qui, en 1824, a été le premier à reconnaître que l'atmosphère tenait un rôle très important en se laissant traverser par le rayonnement solaire tout en bloquant très efficacement le rayonnement sortant.

En 1861, John Tyndall — diapositive 13 — a procédé à des mesures élaborées des propriétés d'absorption individuelles de divers gaz à effet de serre, y compris la vapeur d'eau et le dioxyde de carbone.

En 1896 — diapositive 14 —, Svante Arrhenius a entrepris de calculer les conséquences du doublement de la concentration du dioxyde de carbone. Il a donc produit la première estimation de ce qui est appelé la « sensibilité du climat », ou réchauffement de la température planétaire moyenne en surface, par suite du doublement du dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Déjà à cette époque lointaine, il a projeté que le doublement de la concentration du dioxyde de carbone causerait un réchauffement de cinq à six degrés.

En 1936, Guy Callendar s'est attaché à faire des prédictions échelonnées sur plusieurs siècles concernant la conséquence de l'activité humaine et de la combustion des combustibles fossiles, et plus particulièrement l'augmentation résultante des gaz à effet de serre.

En 1979, le premier rapport d'évaluation majeur a été entrepris aux États-Unis par le National Research Council, sous la direction de Jule Charney, un météorologue de renom. Ce rapport avait pour objet d'évaluer des fondements scientifiques aux fins de la projection des changements climatiques possibles résultant du rejet par l'homme du dioxyde de carbone dans l'atmosphère.

L'année où ce rapport a été publié, j'obtenais mon diplôme d'études secondaires.

Et 1979, le rapport a produit l'estimation suivante, entre autres : la sensibilité du climat était de 1,5 à 4,5 degrés environ, avec une meilleure estimation de 3 degrés. Cela signifie que, pour le doublement de la concentration du dioxyde de carbone dans l'atmosphère — à partir de valeurs préindustrielles —, la meilleure estimation du réchauffement serait de 3 degrés Celsius, à l'intérieur d'une plage de 1,5 à 4,5 degrés.

En 1896, Arrhenius a produit une projection quelque peu plus élevée. Dans le contexte de la climatologie, les modèles sont fondés sur des principes de physique. Dans le domaine de la géologie, on emploie souvent indifféremment les mots « modèle » et « hypothèse ». Un modèle est une explication d'une occurrence. En physique climatique, un modèle sert à faire des prédictions au moyen des équations physiques qui régissent les propriétés du sujet ou de l'objet étudié. On fait une projection ou une prédiction, et on la teste.

En 1975, Manabe et Wetherald ont fait les premières projections par modèle climatologique du genre, et sont arrivés à une estimation de 3 degrés de réchauffement pour le doublement du dioxyde de carbone.

Dans le premier rapport d'évaluation du GIEC en 1990, la meilleure estimation du réchauffement pour le doublement du dioxyde de carbone était entre 1,5 et 4,5 degrés. Dans le deuxième rapport d'évaluation en 1995, la meilleure estimation était entre 1,5 et 4,5 degrés. Dans le troisième rapport en 2001, elle était entre 1,5 et 4,5 degrés, et dans le quatrième rapport, entre 2 et 4,5 degrés.

Il s'agit de 30 ans de travail acharné de la part de nombreux scientifiques qui se sont penchés sur ce problème, et on voit que l'estimation médiane a à peine changé. Cela attribuable au fait que la science ne change pas en fonction du dernier numéro d'une revue ou d'un magazine particulier.

Le problème auquel nous sommes confrontés dans le cas présent est le réchauffement depuis l'époque préindustrielle, ce que montre la diapositive 17. L'année la plus chaude jamais enregistrée est 2010, ex aequo avec 2005. Comme le faisait remarquer mon collègue, M. Peltier, le Soleil en était à son minimum d'activité. L'année la plus chaude précédente a été 1998. Les 10 années les plus chaudes ont été enregistrées au cours des quelque 12 dernières années.

Pour essayer d'expliquer ces chiffres, il faut tenir compte non seulement des valeurs en surface, mais aussi des valeurs de la troposphère, comme le montre, dans la diapositive 18, le relevé de valeurs mesurées par ballons météorologiques. Ces ballons mesurent un réchauffement de la troposphère qui est presque équivalent au réchauffement constaté à la surface. Si l'on regarde le contenu thermique de la couche supérieure des océans, présenté dans la partie droite de la diapositive 18, on est porté à se demander où va cette chaleur. Il faut tenir compte du fait que la Terre est couverte d'eau à raison de 70 p. 100. Là, nous voyons que les couches supérieures des océans se réchauffent également, car il leur faut un certain temps pour se réchauffer.

Vous vous direz peut-être : « Ah, mais j'ai entendu dire que c'est à cause du Soleil. » Regardons la diapositive 19. Il est inévitable de constater, dans le graphique supérieur gauche, la corrélation frappante entre la durée du cycle des taches solaires et les anomalies de température. Ce graphique a paru dans une revue de prestige au début des années 1990.

Il y a un certain nombre de choses à remarquer au sujet de ce graphique. Premièrement, il vous est montré aujourd'hui, en 2012. Il y a des satellites dans l'espace depuis 1979. Alors, pourquoi continuer à montrer, en 2012, un graphique qui se termine en 1980?

On peut aussi se demander pourquoi ne pas montrer l'image corrigée — à cause des erreurs arithmétiques qu'elle renferme — qui se trouve dans la partie inférieure gauche de la diapositive 19? En effet, une partie de cette corrélation est inexistante en raison de simples erreurs arithmétiques dans les calculs initiaux.

Dans le relevé graphique complet présenté dans la partie droite, le trait bleu représente les températures et le trait orange, un cycle de taches solaires. On voit bien qu'il n'y a presque aucune corrélation entre les deux. Il est certain qu'au cours des 30 dernières années, justement au moment où le réchauffement s'est accéléré, justement au moment où nous avons placé des satellites dans l'espace pour mesurer directement le rayonnement entrant et le rayonnement sortant, le Soleil a refroidi la Terre. Ce phénomène est représenté dans la diapositive 20 qui montre le réchauffement et l'activité solaire.

Les spécialistes de la science solaire Mike Lockwood et Claus Fröhlich, comme le montre la diapositive 21, ont fait remarquer dans une revue prestigieuse plutôt informative, les délibérations de la Royal Society du Royaume-Uni, qu'au cours des 20 dernières années, toutes les tendances manifestées par le Soleil qui auraient pu influer sur le climat de la Terre ont eu des effets opposés à ceux qui pourraient expliquer l'augmentation des températures planétaires moyennes. Ces données proviennent de mesures directes.

Nous disposons aussi de nombreux relevés de données climatiques qui remontent très loin — données provenant de noyaux de glace et de relevés géologiques —, dont un est présenté dans la diapositive 22. Il s'agit d'un relevé de 650 000 ans de Vostok, en Antarctique, qui présente des données sur le dioxyde de carbone, le méthane, la température indirecte et le volume de glace, provenant de sédiments proches.

Nous savons très certainement que, historiquement, les niveaux élevés de gaz à effet de serre sont associés aux climats chauds, et les niveaux faibles aux climats froids. Les niveaux élevés de gaz à effet de serre sont associés aux faibles volumes de glace, et les niveaux faibles aux volumes élevés de glace. Le tracé inférieur dans ce graphique illustre à quel point les scientifiques communiquent mal ce qu'ils font, parce qu'il faudrait l'inverser pour représenter le volume élevé de glace par opposition au faible volume. À droite, on peut voir un rapport isotopique.

Dans la diapositive 23, qui applique cela en remontant jusqu'à 800 000 ans, si on examine attentivement ce relevé, on peut constater que la température a 800 ans d'avance sur le dioxyde de carbone pendant cette période. Vous avez peut- être entendu dire que c'est la preuve que le dioxyde de carbone n'est pas la cause du réchauffement planétaire. Nous comprenons cela.

Notre communauté le comprend depuis longtemps déjà. Il n'y avait pas de centrales thermiques au charbon il y a 21 000 ans, à la fin de la dernière ère glaciaire, mais il y avait quelque chose qu'on appelle les cycles de Milankovitch , qui étaient actifs à cette époque et qui continuent de l'être. Dans son orbite autour du Soleil — et vous l'avez entendu dans un témoignage en décembre —, la Terre oscille et s'incline, et l'excentricité de cette ellipse varie selon des plages de temps variées. L'effet combiné de ces facteurs fait varier le degré de rayonnement que la Terre reçoit en été par comparaison à ce qu'elle reçoit en hiver.

Par le passé, de petites perturbations de la répartition saisonnière du rayonnement en été par rapport à en hiver étaient amplifiées par des processus inhérents au système terrestre, dont certains augmentent la concentration du dioxyde de carbone dans le système. Je n'ai pas le temps de les expliquer davantage, mais je les décris dans l'ouvrage de référence que je vous ai remis.

Nous comprenons cela. Le dioxyde de carbone doit agir en tant que rétroaction du passé. Son rôle de rétroaction du passé est identique à son rôle de facteur aujourd'hui. Ce rôle est fondé sur l'effet de serre et sur des principes de physique élémentaires, comme l'ont esquissé Fourier, Arrhenius et d'autres, c'est-à-dire que des climats chauds ne peuvent pas se maintenir sans qu'il y ait un excès de gaz à effet de serre. Les climats froids ne peuvent pas se maintenir sans qu'il y ait une réduction des gaz à effet de serre. Quand la concentration de ces gaz augmente, un forçage positif se produit et la Terre doit se réchauffer jusqu'à ce qu'elle atteigne un nouvel équilibre.

Que le dioxyde de carbone soit la rétroaction de sources naturelles ou d'activités humaines, l'effet est le même. Par exemple, le dégel du pergélisol et la décomposition résultante de la matière organique dorénavant exposée à l'oxygène sont une cause de l'augmentation du dioxyde de carbone, tout comme l'est la combustion du charbon qui cause le rejet du dioxyde de carbone dans l'atmosphère.

Nous savons que la Terre s'est réchauffée au cours des 1 000 dernières années. La diapositive 24 présente une douzaine de reconstitutions du réchauffement au cours de cette période, dont certaines qui montrent une période chaude, appelée la période chaude médiévale, entre 900 et 1108 après Jésus-Christ. Certains d'entre vous avez peut-être entendu dire que les Vikings avaient colonisé le Groenland et que leur colonie s'est effondrée en raison de la variabilité naturelle du climat. Cependant, ce que l'on ne vous dit pas souvent, c'est que dans ces colonies vikings aujourd'hui — diapositive 25 —, on y pratique l'agriculture, on y cultive des légumes, car il y fait plus chaud aujourd'hui que pendant la période chaude médiévale.

Nous avons donc des preuves que le climat a varié naturellement dans le passé, mais nous comprenons également que les variations climatiques des 100 dernières années sont de loin supérieures à tout ce que la variabilité naturelle aurait pu causer.

En ce qui concerne les méthodes formelles de détection et d'attribution, c'est un domaine compliqué que je ne peux pas couvrir adéquatement au cours des trois dernières minutes de mon exposé. Je vous renvoie à la diapositive 26 qui montre ce que nous faisons dans notre communauté : nous prenons un relevé de valeurs observées, comme le Hadley CRUT3, qui est le relevé des anomalies de température observées. Cela nous donne une représentation de ce qui s'est vraiment passé. Par contre, on peut exécuter les modèles climatiques plusieurs fois et on peut obtenir des résultats différents, car il y a une certaine mesure de comportements chaotiques à l'échelle des systèmes météorologiques. Quand on exécute plusieurs simulations, on obtient une enveloppe. On espère que la courbe noire — les observations — se retrouve à l'intérieur de l'enveloppe des multiples intégrations résultant de l'exécution de divers modèles à l'échelle planétaire.

Nous essayons d'expliquer le relevé des valeurs observées en incluant tout le forçage, seulement le forçage naturel et seulement le forçage anthropique ou résultant de l'activité humaine. La courbe bleue et la zone ombrée bleue ici nous montrent qu'il est impossible d'expliquer le réchauffement observé par n'importe quel mécanisme connu, que ce soit le rayonnement solaire, l'activité volcanique ou la variabilité naturelle, alors que nous pouvons expliquer le relevé des températures observées à partir de l'augmentation des gaz à effet de serre d'origine anthropique conjuguée à la variabilité naturelle.

De fait, dans la diapositive 27, je fais remarquer que la détection et l'attribution des changements climatiques ont atteint un point où nous pouvons affirmer que nous voyons le signal du réchauffement planétaire à toutes les échelles et dans toutes les régions du monde. Nous pouvons entreprendre la détection et l'attribution de choses comme l'augmentation des superficies brûlées par des feux de forêt, l'apport accru de l'homme à l'intensification des précipitations, des sécheresses, et ainsi de suite. Les exemples sont nombreux.

Le dernier exemple que je vous donnerai figure dans la diapositive 30. Il s'agit d'une illustration absolument superbe, d'après moi, du changement qui s'est produit au cours des quelques dernières décennies. Cela fera partie d'un article publié par Jim Hansen et divers collaborateurs dans les délibérations de la National Academy of Sciences.

Il s'intéressait à la mesure dans laquelle la surface de la Terre est couverte par des vagues de chaleur estivale extrême. On s'attendrait à ce qu'un été normal ait plus ou moins un écart-type, et à ce que la plupart des étés fassent partie de cette plage. Les épisodes correspondant à quatre écarts-types — quatre sigmas — sont censés ne se produire que six millièmes de un pour cent du temps. C'est très rare. Quant aux cinq sigmas ici, où il y a tellement de zéros, c'est extraordinairement rare.

Si l'on regarde, pour 1955, 1965, 1975 et pour les quelques dernières années, le pourcentage de la planète qui a subi en été des épisodes de chaleur de plus que trois écarts-types au-dessus de la normale, on constate qu'il y en a de plus en plus, c'est-à-dire entre 5 et 13 p. 100 de la planète au cours des cinq dernières années, qui ont subi des épisodes de chaleur de plus que trois écarts-types. Cela ne signifie pas que le réchauffement s'exerce partout, mais on peut voir du bleu là, même en 2007, et il y a aussi du bleu en 2009. Cela veut donc dire qu'en moyenne, une superficie de plus en plus grande de notre planète subit de plus en plus d'épisodes de chaleur estivale extrême.

J'aimerais conclure avec les trois dernières diapositives, 38, 39 et 40, car leur contenu fait fond sur ce que disait mon collègue M. Peltier au sujet de l'équité transgénérationnelle et de la difficulté, sur le plan des décisions stratégiques, associée à la mise en œuvre aujourd'hui de décisions dont les résultats ne seront pas visibles au cours de la vie politique de ceux qui les auront mises en œuvre.

Permettez-moi d'utiliser ici la métaphore classique de la « tragédie des biens communs ». Il s'agit, comme vous le savez tous — mais peut-être pas certains des observateurs par Internet — de l'époque où on laissait paître les troupeaux sur les terres publiques.

Dans l'histoire classique de la tragédie des biens communs, il y a les terres publiques, et les fermiers sont autorisés à laisser leurs troupeaux paître sur ces terres publiques. Chacun des fermiers se demande s'il serait dans son intérêt de mettre une autre vache sur ces terres. Il fait une analyse coût-bénéfice et se dit : « Eh bien, si je mets une vache sur ce terrain, je retire 100 p. 100 du bénéfice, mais le coût en est partagé par tous les autres fermiers. » Il conclut son analyse coût-bénéfice en se disant : « J'ai intérêt à mettre une autre vache sur ces terres, car c'est à mon avantage. »

Maintenant, chacun des autres fermiers suit le même raisonnement coût-bénéfice, et ils finissent tous par conclure qu'ils devraient mettre des vaches sur ces terres. Si tout le monde suit ce raisonnement, l'effondrement est inévitable, car les terres ne peuvent subvenir aux besoins de tant de vaches; il y a vite surpâturage et toutes les vaches meurent.

Supposons que nous nous rendons compte de ce qui se passe, et nous élisons un conseil municipal très sage. Ce conseil, comme le montre la diapositive 39, pourrait proposer plusieurs démarches pour régler le problème. Dans le langage de l'économie, il se dirait : « Nous devons internaliser les effets externes associés à notre comportement. » Il pourrait faire une de trois choses. Il pourrait choisir d'être très sévère et de réglementer le nombre de vaches autorisées sur les terres, et déclarer : « Fermiers, nous autorisons 100 vaches sur cette terre. Arrangez-vous entre vous, battez-vous s'il le faut, mais il n'y aura pas plus que 100 vaches sur cette terre. »

Ou encore, il pourrait dire : « Nous savons que cette terre peut prendre 50 vaches; nous plafonnons donc le nombre de vaches qui y sont autorisées et nous vous permettons, vous les fermiers, de mettre aux enchères entre vous le droit d'avoir une vache sur cette terre et nous vous laissons, vous le marché, établir le prix du droit de mettre une vache sur cette terre. Si nous constatons que nous ne pouvons pas avoir autant de vaches sur cette terre, nous baisserons le plafond et le prix augmentera. »

Aussi, il pourrait permettre aux fermiers d'échanger le droit de mettre des vaches sur cette terre, ce que, de fait, les municipalités font régulièrement en plafonnant le nombre des permis de taxi. On peut faire une offre pour obtenir le droit d'exploiter un taxi, et on peut échanger ce droit avec d'autres. Ou encore, les fermiers pourraient dire : « Nous aimons avoir une certaine certitude au sujet du prix; nous allons donc attribuer un prix aux vaches. Si vous voulez mettre une vache sur cette terre publique, il vous faudra internaliser les effets externes, payer le prix véritable de la présence d'une vache ici, et cela vous coûtera tant; vous payez ce montant au conseil municipal et nous déciderons de la façon dont il sera redistribué. Nous vous verserons peut-être des dividendes, ou nous vous accorderons une réduction de votre impôt, ou autre chose du genre. »

Évidemment, je viens d'esquisser les trois ans de la pire de toutes les tragédies des biens communs : l'atmosphère qui est perçue comme le lieu de décharge pour n'importe quoi que nous voulons y mettre. Que ce soit au Canada, en Chine, en Grande-Bretagne ou n'importe où ailleurs, tout le monde dit la même chose. Tout le monde fait sa propre analyse coût-bénéfice, que ce soit moi, ma ville, ma province, mon pays ou mon monde, et il est toujours profitable de se servir de l'atmosphère comme lieu de décharge non réglementé parce qu'il n'y a pas de coût à payer directement; ces coûts sont répartis. La seule façon de gérer cela est d'internaliser effectivement ces effets externes et de reconnaître que nous devons attribuer un prix aux émissions. Que cela soit fait par l'entremise du système de plafond et d'échange ou du système fiscal, peu m'importe, mais quand il s'agit d'essayer de mettre en œuvre une méthode obligatoire, vous constaterez que les économistes à l'échelle mondiale conviennent que le moyen le plus efficace de le faire est d'attribuer un prix aux émissions. Sur ce, je m'arrête.

Le vice-président : Merci beaucoup, messieurs Weaver et Peltier. Vos exposés sont convaincants; nous les avons appréciés.

Nous commencerons par le sénateur Neufeld.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, de vos exposés et de votre présence. Vous nous avez présenté une énorme quantité de renseignements à absorber en peu de temps.

Monsieur Weaver, vous avez utilisé des données du GIEC à certains moments de votre exposé. J'ignore quelle proportion de votre exposé provient du GIEC. Avez-vous confiance en l'information que le GIEC publie, vu que beaucoup de questions ont été soulevées, d'après ce que je sais, à savoir que l'information n'est pas bien évaluée par des pairs, que la recherche n'est pas faite par de véritables scientifiques comme vous et qu'il y a de nouveaux diplômés qui essaient de se faire connaître? Dites-moi ce que vous en pensez. Je crois connaître votre opinion, mais j'aimerais vous l'entendre dire.

M. Weaver : J'apprécie beaucoup votre question. J'ai participé, probablement plus que tout autre Canadien, aux quatre dernières évaluations. Permettez-moi de vous décrire le processus.

La première étape est la nomination. Le gouvernement du Canada désigne ses scientifiques au bureau à Genève. J'ai été désigné tant par des gouvernements libéraux que par des gouvernements conservateurs. Il n'y a jamais eu de mécanisme politique dans le processus de nomination, parce que les nominations peuvent venir de l'extérieur du secrétariat.

Le sénateur Neufeld : Je ne parle pas de politique.

M. Weaver : En ce qui concerne les personnes désignées, ce sont les meilleurs scientifiques de la plupart des pays. Les règles de l'ONU exigent que diverses parties du monde soient représentées. Pour chaque chapitre, on s'assure que la plupart des parties du monde sont représentées. Cela veut dire qu'il y a toujours deux ou trois représentants de l'Amérique du Nord, de l'Europe, de l'Asie, de l'Océanie, de l'Afrique et de l'Amérique du Sud, mais ce sont toujours des scientifiques qui sont les experts de leur pays.

Il n'y a aucune ingérence politique dans la rédaction des 1 800 pages qui constituent le plus récent Rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Ce sont des scientifiques qui risquent leur réputation; ils sont les meilleurs scientifiques de leur domaine qui ont été nommés par leur gouvernement et approuvés par des comités à Genève qui vérifient leur curriculum vitæ. Ils vérifient aussi leur relevé de citations signé. Ils doivent avoir été publiés dans leur domaine. Ça ne peut pas être n'importe qui.

Personne ne nous dit quoi écrire. On nous donne les titres de chapitre, parce que seuls les titres de chapitre sont approuvés en plénière, mais pas les sujets réels chapeautés par ces titres. Même dans ce cas, il y a des réunions de cadrage, avant les plénières de l'ONU, où les experts se rencontrent et suggèrent ce qui devrait être fait.

Étant donné que le GIEC est un organisme de l'ONU, chaque mot et chaque ligne du résumé à l'intention des décideurs aux plénières qui se tiennent à la fin du processus doivent être approuvés; cependant, le contenu scientifique ne peut pas être changé. Dans le pire des cas, il est dilué.

Par exemple, si l'on remonte au rapport de 1997, deux pays, le Koweït et l'Arabie saoudite, ont consacré énormément de temps à retirer des passages concernant leurs premières études de détection et d'attribution liées au changement climatique pour s'assurer que ces passages ne paraîtraient pas dans le résumé destiné aux décideurs, malgré le fait que ces passages faisaient partie intégrante du texte lui-même. En fin de compte, c'est la science qui gagne, parce que la politique ne peut pas avoir le dessus sur elle, même en plénière. On ne peut pas dire quelque chose qui n'est pas confirmé dans le rapport.

D'après moi, ce processus est le plus rigoureux examen par les pairs auquel j'ai participé, et je dis cela en tant que rédacteur en chef du Journal of Climate de 2005 à 2009, époque où nous avions l'habitude de faire examiner chaque article par trois personnes et même parfois quatre. Je me rappelle avoir reçu quelque 1 700 pages d'évaluations de notre chapitre. Le nombre des évaluations est absurde, et n'importe qui peut en faire une. Si vous êtes un expert examinateur, cela veut seulement dire que vous avez fait une demande d'examen. Depuis toujours, n'importe qui peut faire une évaluation. Nous avons eu des examinateurs qui ne faisaient que commenter. Des lobbyistes pour le charbon nous écrivaient des commentaires et rédigeaient des pages d'évaluation. Des économistes et des gens provenant de toutes sortes de domaines évaluaient nos données scientifiques. Nous n'avions pas le droit de rejeter leurs commentaires. Laissez-moi vous dire que c'était très frustrant à l'occasion, parce que nous devions quand même répondre à toutes sortes d'affirmations et de déclarations, et les réfuter.

Je rejette sans équivoque la notion que ce processus n'est pas rigoureux; je dirais même que le GIEC fait tellement d'évaluation maintenant que c'est en train de devenir un processus très lourd en raison de l'énorme quantité de matière scientifique produite. Notre prochaine rencontre aura lieu à Marrakech en avril. Plusieurs centaines de scientifiques s'y rendront pour la première série d'évaluations. Il devient de plus en plus difficile de se tenir au fait de toute cette information variée, parce qu'il s'en produit tellement.

Le vice-président : Monsieur Peltier, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mr. Peltier : J'aimerais ajouter quelque chose à ce que M. Weaver a dit. Beaucoup de gens ne comprennent peut-être pas que le processus du GIEC évalue de fait des travaux publiés et déjà évalués par des pairs. Il ne produit aucune donnée scientifique originale. Il évalue simplement les travaux scientifiques évalués par des pairs qui ont déjà été publiés. À l'étape de la rédaction, personne n'a l'intention ni la possibilité d'incorporer des données qui n'ont pas déjà été évaluées par des pairs.

Cela échappe peut-être au comité, mais c'est un fait extrêmement important. Aucune tentative d'insertion de nouvelles données dans ces documents n'est faite; pas question d'y glisser une idée spéciale parce qu'on l'aime particulièrement. Cela ne peut jamais se produire dans ce genre de document. Tout ce qui y figure a été sérieusement évalué par des pairs et déjà publié.

Le vice-président : Monsieur Weaver, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Weaver : Oui. Je veux préciser que dans la diapositive 37 de mon exposé — que j'ai sautée —, je présente le mandat du GIEC, qui correspond exactement à ce que M. Peltier vient de dire.

Le sénateur Neufeld : Quand on regarde une liste des émissions de CO2 de divers pays, je crois que nous sommes en 10e place à peu près — du moins dans la liste que j'ai. Et elle ne diffère pas de beaucoup de votre liste, monsieur Weaver. Je crois que nous comptons pour 2 p. 100 environ du total mondial des émissions.

Si nous éliminons complètement ces émissions — c'est une hypothèse —, pensez-vous que tout ira bien et que nous n'augmenterons pas de 2 degrés, vu que la population augmentera de deux milliards au cours des 25 à 30 prochaines années? Les pays qui sont loin d'avoir les services dont nous jouissons au Canada, les endroits comme la Chine et l'Inde et les endroits où tous s'efforcent d'atteindre le niveau de vie que nous avons... Pouvez-vous me dire avec assurance que nous pourrions vraiment résoudre les problèmes du monde en réduisant à zéro les émissions du Canada?

Je ne dis pas que nous ne devons pas le faire. Je ne suis pas peu fier du Canada, et je l'ai dit souvent dans le cadre du comité. L'électricité que nous produisons est propre à 75 p. 100. La plupart des pays, sauf deux ou trois à ma connaissance, aimeraient pouvoir en dire autant.

Si nous prenons la proportion par habitant, nous faussons un peu la perspective. Notre pays est grand et diversifié. Je vis dans la partie nord, pas autant au nord que certains sénateurs ici, mais relativement loin au nord, et nous brûlons du gaz naturel pour chauffer nos maisons — pas pour les refroidir; ce n'est pas nécessaire, car nous vivons dans un climat assez froid. Quand je pense à tout cela et que je vous écoute parler, si vous changez plusieurs choses, l'aspect économique changera considérablement.

Qu'est-ce que nous nous imposons? En fin de compte, allons-nous pouvoir respecter la limite des deux degrés? Pouvez-vous m'assurer que, si le Canada pouvait éliminer complètement ses émissions, nous pourrions respecter la limite des deux degrés?

M. Weaver : Deux choses : je peux vous donner mon opinion ou l'aspect scientifique. Premièrement, scientifiquement parlant, il est très clair que si chaque pays atteignait son objectif librement consenti dans le cadre de l'Accord de Copenhague, je vous garantis que nous ferons mieux que 2 degrés. L'objectif du Canada équivaut à environ 2,5 p. 100 de plus que les niveaux de 1990 d'ici 2020. Si tous les pays participants atteignaient leur objectif librement consenti, nous dépasserions 2 degrés. De fait, nous avons une chance sur deux de dépasser 3 degrés ce siècle- ci et 4 degrés peu de temps après.

Cependant, si tout le monde est de l'opinion que nous ne devrions rien faire, la question devient...

Le sénateur Neufeld : Je ne préconise pas de ne rien faire, car le Canada fait beaucoup, même si nous sommes déjà très propres.

M. Weaver : Le total des émissions canadiennes s'est stabilisé au cours des quelques dernières années.

Si vous regardez la diapositive 43, vous remarquerez qu'il y a aussi des écarts à l'échelle du Canada. Moi aussi je suis un fier Canadien, et je suis un très fier Britanno-Colombien, comme vous le savez. J'ai été émerveillé par le leadership politique que la Colombie-Britannique a démontré quand nous avons pris la tête du monde. Maintenant, nous voyons l'Afrique du Sud et l'Australie mettre en œuvre la tarification du carbone en copiant des modèles que la Colombie- Britannique a été la première à mettre en œuvre. En ce qui me concerne, nous avons fait preuve de leadership et je ne crois pas que cela a nui à notre économie.

Pour répondre directement à votre question, si le Canada éliminait complètement ses émissions, nous dépasserions quand même les 2 degrés. J'en conviens, mais cela signifie-t-il que nous ne devrions pas nous efforcer de faire preuve de leadership? À l'échelle internationale, nous avons une bonne réputation en ce qui concerne la négociation d'ententes et le respect des accords internationaux. Je crois qu'en tant que Canadiens, nous aimerions faire preuve de leadership à cet égard, et que c'est en établissant une sorte de modèle de tarification que nous pouvons le faire.

Je sais, par mes contacts fréquents avec des industriels, que c'est ce qu'ils veulent également. Ils veulent savoir quelles sont les règles du jeu; ils savent qu'elles sont en train de changer. Ils voient l'arrivée en Europe des normes de carburants à faible teneur en carbone et de la tarification des émissions. Ils sont inquiets parce que ça les touche.

Mon opinion maintenant; laissons la science de côté. Pourquoi consacrons-nous tout notre temps à faire des pressions contre le changement plutôt que d'essayer de l'incorporer dans des politiques cohérentes qui nous permettent, en tant que société, d'avancer dans la voie requise pour gérer ce problème à l'échelle planétaire? Si tout le monde décide de ne pas faire plus que ce que nous faisons maintenant, la tragédie des biens communs nous montre où nous finirons.

Le sénateur Neufeld : Vous conviendrez avec moi que le Canada progresse assez bien dans l'élimination...

M. Weaver : Je vous dirais que le Québec est en tête de file. Il a réduit ses émissions de 12,5 p. 100 en 2009 par rapport à 2000. Déjà en 2000, il avait les plus faibles émissions par habitant, et pourtant il a réussi à les réduire encore plus par la suite.

La Colombie-Britannique a adopté des politiques novatrices. Elle a encore beaucoup à faire, parce qu'il y a un secteur industriel qui grossit dans votre région et qui n'est pas régi par certaines de ces politiques. L'Ontario a aussi fait preuve d'une certaine mesure de leadership. Cependant, tout cela n'est pas à l'échelle du Canada. Il y a un certain leadership au Canada, mais nous pouvons faire mieux.

Je ne sais pas quelle est vraiment la politique fédérale; nous avons entendu dire que nous aurons des objectifs de réduction d'ici 2020, mais je suis cela de près et je ne sais pas quelles sont les politiques qui vont nous permettre d'atteindre ces objectifs, parce qu'elles n'ont pas encore été établies. Je crois que nous allons les établir, mais elles n'existent pas pour le moment.

Le sénateur Peterson : Merci de votre exposé; j'ai beaucoup appris.

Vous mentionnez que nous nous dirigeons vers une situation irréversible ou une échéance inéluctable. Quelle heure est-il aujourd'hui à l'horloge du réchauffement planétaire?

M. Weaver : Pardon, nous n'avons pas bien entendu.

Le sénateur Peterson : Nous parlons de tout ce qui ajoute du CO2 dans l'atmosphère, et de tout le reste, et de ce que nous pouvons faire à ce sujet. Beaucoup de pays ne veulent rien faire. Je vous demande donc où en sommes-nous à l'horloge du réchauffement planétaire par rapport au moment où il sera difficile, voire impossible, de revenir en arrière?

Mr. Peltier : C'est une très bonne question.

M. Weaver : Excellente question. La valeur des 2 degrés s'est dégagée de discussions de l'Union européenne au cours des années 1990 en tant que valeur approximative de la sensibilité climatique, et elle s'est enracinée depuis. Si la société dans son ensemble croit que ces 2 degrés sont l'objectif que nous devons atteindre, nous devons commencer à réduire les émissions à l'échelle planétaire au cours des 10 prochaines années.

Si la société ne croit pas que c'est une valeur que nous devons atteindre, si nous sommes indifférents à l'idée que 50 p. 100 des espèces actuelles seront condamnées à l'extinction et si un réchauffement de 3 ou 4 degrés ne nous dérange pas, ça change les choses.

Il ne peut pas y avoir de point de non-retour si vous ne définissez pas ce que vous voulez faire. Si vous adoptez les 2 degrés comme point de non-retour, nous devrons réduire les émissions au cours de la présente décennie. Si vous préférez 3 degrés, ce ne sera pas dans cette décennie, mais dans deux ou trois décennies.

Le sénateur Peterson : Vous êtes disposé à subir des pertes pour atteindre l'objectif, mais ne pensez-vous pas que c'est le genre de renseignements que nous devons diffuser de sorte que le commun des mortels puisse comprendre ce à quoi nous faisons face? Quand vous dites de telles choses, les gens décrochent. Ils aiment le temps chaud. À quoi faudra-t-il renoncer si nous ne faisons rien?

M. Weaver : J'ai un dernier exemple à vous donner qui montre pourquoi plusieurs des projections économiques coût-bénéfice sont fondamentalement erronées. Plusieurs de ces modèles économiques produisent une estimation des dommages associés aux températures croissantes. Ils sont une sorte de fonction qui augmente, sans toutefois atteindre un plafond d'équilibre. Ils produisent une estimation des dommages associés à une température de réchauffement planétaire de 30 degrés et ils en arrivent à un chiffre, une sorte de PIB réduit. Cependant, je peux vous assurer que si la température planétaire augmente de 30 degrés, il n'y aura plus de vie sur la Terre.

Obtenir un pourcentage de réduction du PIB fondé sur un quelconque modèle économique qui s'arrête à un certain changement de température ne signifie absolument rien. Au fond, on connaît le résultat ultime, et ce résultat ultime est la disparition de toute civilisation. Il s'agit de savoir où nous en sommes aujourd'hui, et la question à laquelle nous devons répondre en tant que société est où nous allons finir sur cette courbe.

M. Peltier : C'est une bonne question. Je crois qu'il incombe à la science, comme j'ai essayé de le décrire dans ma présentation, de faire des projections directes à l'échelle régionale des conséquences d'un quelconque scénario d'émissions pour donner aux gens un fondement leur permettant de comprendre ce qui est menacé dans leur région. Voilà pourquoi les travaux qui se font actuellement dans le monde de la science du réchauffement planétaire sont tellement importants pour la régionalisation des projections du réchauffement, de sorte que nous puissions faire des déclarations explicites sur les risques à l'échelle régionale. Essentiellement, ce sont là les effets auxquels la politique et les décisions stratégiques doivent réagir, et les données scientifiques paraissent trop complexes quand elles ne régionalisent pas les effets projetés. Je vois l'importance de votre question dans cette perspective.

Le sénateur Massicotte : J'ai deux ou trois questions. Je reviens à la page 43, pour parler d'un aspect technique. Vous l'avez montrée tantôt et vous avez affirmé que nous avons fait de bons progrès.

Comme vous le savez, 2009 est une année qui suivait une réduction importante de l'activité économique dans notre pays. Dans quelle mesure ces résultats ont-ils été influencés par ça? Je vois l'Ontario à moins 26 p. 100, mais l'industrie automobile a subi un grand ralentissement cette année-là. Dans quelle mesure le ralentissement économique influe-t-il sur ces chiffres?

M. Weaver : Vous avez raison. J'actualise ces chiffres tous les ans. Ceux-ci proviennent du plus récent rapport de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, qui portait sur 2009. En 2008, c'était le même ordre. Les chiffres sont un peu plus élevés parce que, comme vous l'avez fait remarquer, le secteur de la fabrication en Ontario souffrait encore plus cette année-là. L'Ontario est donc très en baisse en raison de l'effondrement de son secteur de la fabrication. L'Alberta est en baisse par habitant, mais la Saskatchewan est très en hausse, comme elle l'était en 2008.

Le sénateur Massicotte : Pourquoi sont-ils en hausse de 65 p. 100?

M. Weaver : En Saskatchewan, il y a le secteur du pétrole et du gaz, ainsi que le secteur florissant de la potasse; de plus, il n'y a pas beaucoup de monde en Saskatchewan.

Le sénateur Massicotte : Ils devraient tous être tenus responsables.

Permettez-moi d'aller au vif du sujet. Nous avons écouté, et nous avons lu tout cela. Je ne vous surprendrai pas en disant que nous ne pouvons pas déterminer la validité de l'argument scientifique à savoir s'il y a réchauffement climatique ou autre chose. Ça nous dépasse. Regardons les arguments des détracteurs, si vous le voulez bien. Ils ne nient pas qu'il y ait réchauffement, mais ils nient qu'il est causé par le CO2 dans une certaine mesure. Nous, les sénateurs, ne pouvons pas contester les données scientifiques. Nous devons nous en remettre à la communauté des scientifiques et essayer de comprendre leur raisonnement et quels sont les meilleurs arguments.

À la page 9, vous dites que 97 p. 100 de tous les chercheurs en climatologie appuient et acceptent essentiellement l'argument voulant que le changement climatique soit causé par l'activité humaine. Est-ce que tout le monde accepte ce pourcentage élevé?

M. Weaver : Oui. Je ne connais personne dans la communauté scientifique de la météo, de l'atmosphère ou du climat au Canada qui ne l'accepte pas. Personne. J'en connais probablement trois en Amérique du Nord, dont deux qui n'y croient pas pour des motifs religieux.

Le sénateur Massicotte : Quel est leur argument de fond et pourquoi n'est-il pas pertinent? Ils font beaucoup de bruit.

M. Weaver : C'est dans la nature humaine que de trouver les voix qu'on veut entendre. Voilà pourquoi nous consultons des sites web. Quand il est question d'aller s'informer sur le web, certains vont dans le site de CTV, d'autres dans celui de Radio-Canada, et d'autres encore dans celui du Globe and Mail ou du National Post. Les gens vont dans le site où ils sont à l'aise. Nous entendons ce que nous voulons entendre. Il y a une voix qui est très disponible pour ces dénégations. C'est la même voix. Plusieurs de ces mêmes personnes prétendent que la fumée des autres ne cause pas le cancer. Vous trouverez effectivement les mêmes noms associés à cet argument. D'ailleurs, la CBC a produit un épisode à ce sujet, intitulé Denial Machine, dans lequel on voit les mêmes noms et les mêmes personnes.

Le sénateur Massicotte : Ils cherchent l'attention.

M. Peltier : Ils nagent à contre-courant.

M. Weaver : En science, on fait sa réputation en découvrant quelque chose qui est différent au point de révolutionner la pensée conventionnelle. C'est ainsi que l'ADN a été découvert.

C'est comme une équipe d'avocats qui sait qu'elle a perdu sa cause. Elle sait que le client est coupable, mais elle cherche à obtenir un verdict de non-culpabilité; elle avance donc tout un paquet de choses dans l'espoir de créer un doute.

Dans les témoignages en décembre, une personne a dit que c'étaient les rayons cosmiques, une autre a dit que c'était le Soleil, et une autre encore a affirmé qu'il n'y a pas de réchauffement du tout. J'ai entendu ces trois déclarations distinctes.

Le sénateur Massicotte : Vous faites allusion à une de nos séances.

M. Weaver : Oui. Vous entendrez de tout. Cependant, la réponse est toujours décidée d'avance, et ce n'est pas l'activité humaine.

Le sénateur Massicotte : La plupart d'entre nous ici savons que nous ne sommes pas des experts, mais reconnaissons qu'il y a un problème. Nous nous en remettons donc à vous pour le comprendre. Nous aimerions bien que le problème n'existe pas, car la société épargnerait des milliards de dollars. N'oubliez pas qu'à l'approche de l'an 2000, la plupart des scientifiques pensaient qu'une catastrophe informatique s'abattrait sur nous, ce qui ne s'est pas produit.

M. Weaver : Je travaille dans le domaine de la modélisation informatique, avec des millions de dollars de matériel informatique. Et qu'est-ce que j'ai fait pour protéger tout cela? Rien.

Le sénateur Massicotte : Vous étiez minoritaire.

M. Weaver : Dans l'informatique, ils étaient nombreux à ne pas s'inquiéter. Le problème provenait de la manière dont les équipements avaient été programmés à employer des nombres entiers pour calculer l'écoulement du temps. Selon moi, ces équipements devaient avoir disparu bien avant 2012.

Le sénateur Massicotte : Cela montre simplement que notre société peut se tromper lourdement.

Voyons maintenant la page 3.3. Nous avons récemment recueilli l'avis de l'économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie. Selon lui, si les gouvernements faisaient tout ce qu'ils se sont dits prêts à faire, ce qui, disons-le, n'est pas fréquent, la température moyenne augmenterait de 3,5 degrés Celsius.

Or, si nous continuons comme nous le faisons actuellement, l'augmentation sera plutôt de 5,5 degrés Celsius. Je pense qu'il entendait par cela qu'il ne faut même pas songer à une augmentation de 2 degrés, car cet objectif est depuis longtemps déjà irréalisable. Il nous faut voir la réalité en face et se faire à l'idée d'une augmentation de 3,5 ou de 4 degrés.

Je vais maintenant vous demander de me dire comment il convient d'interpréter le tableau qui figure à la page 3.3. Vous partez d'une augmentation de 3 p. 100. Est-ce à dire 3 p. 100 de plus que l'actuelle température moyenne? Puis, le chiffre est ramené à 0,9. À supposer que nous parvenions à limiter à 3,5 ou à 4 p. 100 l'augmentation moyenne de la température, quelles en seraient pour nous les conséquences?

M. Weaver : Une augmentation de 3,3 degrés par rapport à la température actuelle représente un réchauffement de 4 degrés par rapport à l'ère préindustrielle. C'est cela qu'on entend par une augmentation de 4 degrés. La plupart des chiffres sont établis par rapport à l'ère préindustrielle. Dans mon tableau, je pars de la situation actuelle. Une augmentation de 4 degrés par rapport à la température moyenne de l'ère préindustrielle entraînerait la disparition de 40 à 70 p. 100 des espèces qui peuplent actuellement la Terre.

Le sénateur Massicotte : Selon cette hypothèse, donc, de 40 à 70 p. 100 des espèces qui se trouvent actuellement sur Terre disparaîtraient.

M. Weaver : Personne n'évoque l'extinction de la race humaine.

Le sénateur Massicotte : La situation est donc sérieuse.

M. Weaver : En effet.

Le sénateur Massicotte : Que pouvez-vous nous dire des autres conséquences. Certains affirment, par exemple, que le Bangladesh serait inondé et que des millions de ses habitants auraient à s'établir dans d'autres pays. L'hypothèse est- elle réaliste?

M. Weaver : Tout à fait . . . ce serait des réfugiés environnementaux.

Lorsqu'on me demande pourquoi il y a lieu de s'inquiéter, je range les motifs d'inquiétude dans deux grandes catégories : d'abord les écosystèmes, auxquels on n'attribue en général aucune valeur économique, puis la sécurité mondiale et l'instabilité politique. Que se passerait-il en cas d'assèchement du lac Chad, situé au carrefour de quatre pays? Les populations locales mourraient-elles tranquillement par manque d'eau, ou manifesteraient-elles leur trouble, sachant très bien qu'elles ne sont pour rien dans le problème dont elles vont devoir pâtir? On risque donc l'instabilité politique. Le problème, causé par le monde développé, présente des risques encore plus graves pour les pays en développement qui n'ont ni les capacités technologiques, ni les moyens économiques d'y faire face. Le problème est colossal.

Le sénateur Massicotte : La situation est extrêmement grave et nous, qui, dans notre administration des choses, sommes censés veiller aux intérêts des générations futures, manquons manifestement à nos responsabilités.

Monsieur Peltier, vous disiez tout à l'heure que le problème réside dans le fait que les conséquences ne se manifesteront que dans 30 ou 40 ans, alors que le monde politique s'intéresse essentiellement à l'état actuel de l'environnement, et à l'élection qui aura lieu dans un an ou deux. Est-ce là, effectivement, le nœud du problème?

M. Peltier : C'est une dure réalité de la vie politique. Nous nous trouvons face à un problème extrêmement grave, alors que ceux qui seraient à même de prendre les mesures permettant d'atténuer la situation ne sont guère incités à prendre les décisions qui s'imposent. C'est, à grande échelle, toute la tragédie des biens communs avec d'énormes enjeux politiques.

Le sénateur Lang : J'aurais voulu revenir à la question du sénateur Neufeld au sujet du groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat. Je me suis, comme nous tous j'imagine, documenté sur les doutes exprimés ces dernières années, concernant la validité des données scientifiques sur lesquelles repose tout ce dossier. Je pense notamment aux données biaisées invoquées par certains scientifiques, ainsi qu'au graphique en « crosse de hockey » auquel on a fini par renoncer.

M. Weaver : Ce n'est pas vrai.

Le sénateur Lang : Permettez-moi de continuer.

Il y a, dans le monde, beaucoup de gens qui aimeraient savoir si l'information publiée est vérifiée par des spécialistes du domaine en cause. Selon certains, de 30 à 40 p. 100 des données présentées comme des résultats scientifiques n'ont fait l'objet d'aucune évaluation par les pairs. Je ne sais pas si c'est effectivement le cas, mais c'est ce que certains affirment. Il a également été question de conflits d'intérêts chez ceux qui veillent au fonctionnement interne du groupe d'experts. Je crois savoir qu'en réaction, des lignes directrices en matière de conflit d'intérêts ont été adoptées en 2009 ou 2010.

Ces lignes directrices sur les conflits d'intérêts ont-elles été acceptées, et s'appliquent-elles à toute personne prenant part à la prochaine étude du groupe d'experts?

M. Weaver : Oui, tout à fait. Les lignes directrices adoptées en matière de conflit d'intérêts ne font qu'officialiser des règles qui s'appliquaient déjà. D'après moi, il est d'ailleurs absurde d'appliquer ce genre de règles à un tel niveau, car cela en a porté certains à démissionner du comité éditorial de revues scientifiques. Je n'en vois pas l'intérêt. À qui voulez-vous confier la rédaction de ce genre de document? Il est clair qu'on ne saurait demander à des ouvriers non spécialisés de préparer une étude sur la chimie du cerveau. Ce travail relève en effet d'un neurochirurgien. Dans le même ordre d'idée, comment exiger des plus grands climatologues à la tête de revues scientifiques qu'ils démissionnent s'ils entendent participer aux travaux du groupe d'experts? C'est pourtant ce qui se produit actuellement. Certaines des exigences sont ridicules..

Peu de débats scientifiques ont été au XXe siècle marqués par autant de mauvaise foi que la controverse du graphique en « crosse de hockey », car il y avait, il ne faut pas l'oublier, toute une équipe de joueurs. Le rapport 2001 du GIEC comporte en effet 12 reconstitutions. Or, pour des raisons que l'on comprend mal, l'une d'entre elles s'est vu accorder une valeur emblématique. On crée un symbole, on lui associe une hypothèse, puis on abaisse le symbole en espérant discréditer en même temps l'hypothèse. C'est ce qui est en train d'arriver avec le GIEC.

Dans le rapport de 1995, Ben Santer s'est attelé aux premiers travaux visant à déceler un changement climatique. On attribue à ses résultats une valeur de symbole, on nomme le responsable des travaux, on lui associe l'hypothèse d'un réchauffement climatique et on s'attache ensuite à le descendre. C'est de cette manière qu'on s'en est pris à Michel Mann et à son graphique de bâton de hockey, en passant sous silence le fait que 12 autres travaux allaient dans le même sens. On s'en prend maintenant au GIEC dans son ensemble, car on s'est aperçu que les arguments avancés n'ont pas été retenus. On associe un dossier à un symbole et on espère, en renversant le symbole, que le dossier passera lui aussi par la trappe.

Ce qui a été dit au sujet du graphique en forme de « crosse de hockey » est inexact. Cet ergotage occupe beaucoup de place au sein de la blogosphère, mais n'a pas la moindre importance pour les spécialistes du climat. Il s'agit d'une étude publiée par Michael Mann en 1997, ou à peu près. C'est de l'histoire ancienne, mais on continue pourtant à rabâcher les mêmes arguments usés. Je rappelle par ailleurs que cette étude contenait pas moins de 12 reconstitutions. C'est grotesque.

M. Peltier : J'ajoute que ceux qui ont rédigé le résumé à l'intention des décideurs, de manière à occulter le fait que le rapport contenait une douzaine de graphiques en crosse de hockey différents, devraient reconnaître leur erreur.

D'après moi, c'est en raison d'une erreur administrative qu'on a mis dans le résumé à l'intention des décideurs le graphique en bâton de hockey plus achevé de Michael Mann. C'est la seule chose qu'on puisse reprocher à l'élaboration de cette reconstitution. Il n'aurait pas fallu privilégier le graphique en question simplement parce que c'est celui qui ressemblait le plus à une crosse de hockey et il n'aurait pas fallu lui accorder une telle importance en le faisant figurer seul dans le résumé à l'intention des décideurs. Là, le GIEC a fait une grosse erreur.

Le sénateur Lang : Je voudrais savoir, maintenant, si les lignes directrices régissant les conflits d'intérêts s'appliquent aux auteurs du rapport qui doit être remis sous peu. Je vous pose la question, car certains se demandaient si elles s'appliqueraient.

M. Weaver : Chacun des auteurs a dû, avant de participer à la rédaction du rapport, remplir un formulaire sur les éventuels conflits d'intérêts.

Le sénateur Lang : Je cherche à comprendre comment au juste fonctionne cette organisation et à m'assurer qu'elle applique effectivement les lignes directrices qu'elle dit appliquer, car dans certains milieux, et dans de nombreux secteurs de la communauté scientifique, on prétend que ce n'est pas le cas.

M. Weaver : J'ajoute que de nombreux pays, dont les États-Unis, ont procédé à une évaluation indépendante de celle qu'avait menée le GIEC, et que la nouvelle évaluation a abouti exactement aux mêmes conclusions. Ces dernières années, le programme américain de recherche sur le réchauffement climatique a procédé à des synthèses et à des évaluations reprenant de manière tout à fait indépendante celles qui figurent dans le rapport du GIEC. En ce qui concerne d'éventuels conflits d'intérêts, ces travaux ont, dès le départ, fait l'objet de lignes directrices très strictes.

Le sénateur Lang : Je crois savoir, monsieur Weaver, que vous venez de mener une étude comparant les émissions de gaz à effet de serre provenant des sables bitumineux à celles qu'entraîne, dans le reste de l'Amérique du Nord, l'emploi de combustibles à base de charbon. Il est, selon moi, important que soient consignées officiellement les conclusions auxquelles vous êtes parvenu sur ce point.

M. Weaver : J'ai pensé que quelqu'un me poserait la question et c'est pourquoi j'ai inséré le tableau à la page 45 des notes que je vous ai distribuées. Nous avons étudié l'effet de réchauffement potentiel des diverses réserves d'hydrocarbures et indiqué quel pourrait être l'effet de leur utilisation au plan du réchauffement climatique, qu'il s'agisse de charbon, de pétrole, de nouveau pétrole ou de gaz naturel.

Dans l'ensemble, la presse a convenablement rendu compte du fond de notre rapport, mais j'ai beaucoup appris sur l'art des gros titres. Certains étaient en effet remarquables.

Le sénateur Sibbeston : Je suis originaire des Territoires du Nord-Ouest où l'on peut voir des signes du réchauffement climatique. On y aperçoit en effet des animaux et des oiseaux qu'on n'y avait jamais vus.

On prévoit que les changements les plus importants auront lieu vers le milieu du siècle. À quoi les peuples inuits peuvent-ils s'attendre dans les 30, 40 ou 50 prochaines années? On pensait jusqu'ici qu'en raison de la rigueur du climat de la région et des basses températures hivernales, peu d'habitants du sud du pays se rendraient dans l'Arctique, et le Nord a toujours été, pour les Inuits et les peuples autochtones de la région, une sorte d'enclave.

Étant donné le réchauffement qu'on prévoit pour le milieu du siècle, pensez-vous que d'importants changements se produiront dans le Nord? J'ai eu l'occasion de me rendre dans l'Arctique et j'ai pu constater que la terre y est rare . Le sol est essentiellement constitué de sable et de gravier, et la région ne se prête guère à l'agriculture. À quoi les gens de l'Arctique peuvent-ils s'attendre dans les 30, 40 ou 50 prochaines années?

M. Peltier : La question est de savoir si le Nord verra arriver du sud des réfugiés environnementaux. C'est ce que je voulais faire comprendre en disant que le réchauffement sera sensiblement plus prononcé dans le Nord. Comparé au réchauffement moyen sur l'ensemble de la planète, les côtes du Nord du Canada subiront un réchauffement de deux à deux fois et demie plus élevé, c'est-à-dire que le Nord éprouvera une augmentation de la température de deux à deux fois et demie plus forte que la moyenne mondiale. Cela affectera inévitablement le pergélisol, et donc la stabilité des constructions. Nous constatons déjà de gros impacts dans le Nord : l'érosion des côtes en raison de la fonte de la banquise côtière et l'élévation du niveau de la mer sur la côte de l'océan Arctique. Ce sont là des effets très nets du réchauffement dans le Nord qui se font déjà sentir et continueront de se faire sentir.

Cela aura des conséquences à la fois favorables et défavorables. Certains voient d'un très bon œil la possibilité accrue d'exploiter les ressources du Nord et la diminution de la couverture de glace de mer dans l'Arctique.

Le sénateur Wallace : Vous avez évoqué les différences d'opinions qui peuvent, comme entre avocats, exister entre scientifiques.

J'ai écouté l'exposé que vous nous avez présenté. Nous connaissons votre parcours. Les conclusions dont vous nous avez fait part sont le résultat d'études et de recherches détaillées. Il est clair que vous avez traité ce sujet avec beaucoup de sérieux. C'est votre profession.

Cela étant dit, nous avons recueilli d'autres avis sur la question, et nous savons que les conclusions auxquelles on parvient dépendent des hypothèses à la base du modèle déployé. Différentes hypothèses et différentes variables peuvent être retenues, et c'est notamment le cas lorsqu'on se penche sur les changements climatiques qui ont eu lieu sur des milliers d'années, et que les données initiales sont le fruit de telles recherches.

Je ne vous demande pas s'il y a des données ou des circonstances qui vous porteraient à réviser l'opinion que vous nous avez exposée aujourd'hui. Je me demande, cependant, après avoir écouté votre exposé, et réfléchi à ce que nous ont dit d'autres témoins, si vous avez étudié à fond toutes les autres hypothèses sur le changement climatique, hypothèses différentes de celle que vous avez retenue? Estimez-vous les avoir analysées de manière suffisamment approfondie pour pouvoir écarter le moindre doute à cet égard? Je sais que toute conclusion comporte une certaine marge d'erreur. Avez-vous, donc, examiné toutes les autres hypothèses qui ont été avancées avant de parvenir à une conviction, ou pensez-vous que certains aspects de la question devraient faire l'objet d'études plus poussées?

M. Peltier : Je précise que mon frère est avocat plaidant en Californie, et je comprends donc fort bien ce que vous disiez tout à l'heure.

Comme vous le savez sans doute, dans le milieu scientifique, la concurrence est acharnée. On peut faire carrière en démontrant la fausseté de tel ou tel aspect de la thèse du réchauffement de la planète. Des chercheurs compétents tentent continuellement de voir si la thèse du réchauffement de la planète ne comporterait pas une faille. Vous vous trompez si vous croyez que ce n'est pas ainsi que ça se passe.

Les hypothèses et les arguments avancés sont en permanence disséqués par des scientifiques qui cherchent à se faire un nom.

Il ne faut surtout pas perdre de vue que, dans les milieux scientifiques, la concurrence est acharnée.

Le sénateur Wallace : J'en suis conscient.

M. Peltier : Ainsi, tout argument légitime, ou tout argument qui paraît légitime va être examiné non pas par un ou deux scientifiques, mais par d'innombrables chercheurs dans divers domaines de spécialisation, qui vont tenter de confirmer la validité de telle ou telle proposition, ou au contraire de la réfuter. Hors des milieux scientifiques, peu de gens comprennent que c'est effectivement comme cela que fonctionne la recherche scientifique. Il s'agit d'une démarche extrêmement concurrentielle dans le cadre de laquelle les idées sont soumises à vérification, car il est dans l'intérêt d'un chercheur de parvenir à démontrer la fausseté d'une thèse généralement admise. Celui qui parvient à démontrer qu'une thèse généralement acceptée comporte une erreur arrivera à se faire un nom.

Le sénateur Wallace : C'est un fait que tout modèle repose sur un certain nombre d'hypothèses.

Je dis donc simplement que d'autres nous ont présenté des conclusions différentes. Vous avez été catégorique, et je dirais même que vous avez carrément écarté les résultats dont ils ont fait état, mais je sais que vous avez fait cela au terme d'une démarche scientifique qui, selon vous, ne laisse place à aucun doute.

M. Weaver : Les analyses scientifiques dont ce problème fait normalement l'objet sont publiées dans le Journal of Climate ou autres revues spécialisées, et je peux dire n'avoir jamais vu les recherches réalisées par les personnes dont vous avez recueilli les témoignages. C'est un point important. Je n'ai eu aucun écho de leurs travaux.

J'ai pu, en revanche, vous faire part de travaux qui aboutissent à une conclusion géologique confirmant l'hypothèse du réchauffement. Permettez-moi de vous en donner un exemple cité dans la documentation que j'ai fait distribuer. Il faut, je le rappelle, comprendre ce qu'est un modèle. En géologie, on emploie souvent le terme de modèle pour parler d'une hypothèse. Je constate tel ou tel phénomène et j'appelle modèle l'explication que je tente d'en donner. En physique, cela ne s'appellerait pas un modèle. En physique, en effet, on élabore des équations qui permettent de prévoir tel ou tel résultat, et c'est cette capacité de prévision de l'équation qui fera l'objet de vérifications.

C'est une de mes meilleures prévisions et je vous renvoie, dans la documentation, à la page 36, où vous trouverez un article de la revue Physics Today, écrit par Ray Pierrehumbert. Il décrit les satellites qu'on a mis sur orbite pour mesurer directement les rayons infrarouges émanant de la terre. On voit cela en rouge. En bleu, l'auteur a indiqué les émissions du code de transfert radiatif telles que représentées dans un modèle climatique. Il s'agit d'un travail indépendant. On voit que le modèle climatique aboutit à une prédiction, que nous avons maintenant les moyens de vérifier au moyen des détecteurs d'infrarouge montés à bord des satellites. Le code de transfert radiatif du modèle climatique comprend du dioxyde de carbone, de l'ozone et d'autres molécules qui retiennent chacun des bandes de rayonnement différentes. Regardez, dans le dessin A, le rouge et le bleu. La comparaison entre les deux est tout à fait frappante. Elle nous permet de dire que nos codes de transfert radiatif — et d'après moi, dans la plupart des cas, ceux qui critiquent ces travaux, ne savent pas ce que sont ces codes de transfert radiatif — sont suffisamment au point pour nous permettre d'obtenir ces remarquables résultats qui, en l'occurrence, ont été publiés dans une des principales revues de physique.

Le sénateur Johnson : On apprend toujours quelque chose en s'entretenant avec des gens comme vous, ou en les entendant décrire leur travail. Nous souhaitons tous la santé de notre planète et de notre climat. C'est naturellement ce que je souhaite dans l'intérêt de mes enfants et de mes petits-enfants.

Vous avez dit, monsieur Weaver, que le pétrole, et le nouveau pétrole ne sont pas à l'origine du réchauffement de la planète. Le problème proviendrait du charbon et du nouveau gaz naturel.

Qu'en est-il au Canada?

M. Weaver : J'ai toujours maintenu que les sables bitumineux ne sont qu'un symptôme du problème. En effet, la difficulté provient d'une dépendance excessive de notre société aux combustibles fossiles. Les sables bitumineux sont comme les champs de pavot d'Afghanistan. Ils produisent ce dont nous avons besoin. Nous pouvons critiquer les sables bitumineux et rejeter sur eux la faute. Cela nous évite de réfléchir à notre manière de nous comporter et au fait que la production répond tout simplement à nos exigences.

Le Canada, société occidentale civilisée, devrait interdire les centrales au charbon. On en revient ici à la tragédie des biens communs, métaphore que j'ai évoquée tout à l'heure, et l'emploi du charbon comme combustible devrait être, sans plus attendre, réglementé.

Rien ne nous empêche de soumettre à une réglementation très stricte les opérations de fracturation actuellement menées hors de tout cadre réglementaire. Le Québec est intervenu et a imposé un moratoire en attendant que l'on connaisse mieux les tenants et aboutissants de cette technique. Il s'agit de mieux réglementer ce type d'activité. Les réserves sont vastes, mais nous risquons gros si nous continuons à les exploiter. Cela est particulièrement vrai des réserves de nouveau gaz naturel, et encore plus des réserves de charbon.

L'exploitation des sables bitumineux crée, elle aussi, de nombreux risques environnementaux. Il y a, bien sûr, le problème de la pollution de l'eau, les droits des peuples autochtones, la disparition des habitats naturels, les risques qui pèsent sur la biodiversité et une foule d'autres questions. Je ne nie aucunement l'importance de ces divers problèmes et je pense qu'il faut effectivement s'y intéresser de très près. Cela dit, il s'agit d'un produit dont nos populations vont continuer à avoir besoin. Nous devrions sérieusement réfléchir à la question et nous demander pourquoi nous nous en servons comme combustible. Le pétrole est un produit d'une extraordinaire utilité. On en retrouve dans presque tous les produits qui nous entourent, mais nous semblons pourtant décidés à nous en servir comme carburant jusqu'à la dernière goutte, ce qui nous oblige à prospecter des zones de plus en plus difficiles d'accès, étant donné que nous avons déjà consommé tout le pétrole qui pouvait être extrait aisément.

Le sénateur Johnson : On entend parfois parler de charbon propre, mais cela n'existe pas, n'est-ce pas?

M. Weaver : Je ne connais rien d'aussi contradictoire que l'expression « charbon propre ».

Le vice-président : Eh bien, je tiens à remercier MM. Weaver et Peltier de la vigueur et de la qualité de leurs témoignages, ainsi que de la force de leurs convictions.

Je tiens également à remercier de leur assiduité les membres du comité. La séance a été longue, mais nos efforts ont été récompensés. Je vous remercie de votre participation.

Nous avons organisé, à l'intention de MM. Weaver et Peltier, une petite réception à laquelle vous êtes conviés. Je vous donnerai les précisions nécessaires dès que les caméras ne tourneront plus.

Je vous remercie. Nous vous souhaitons une bonne continuation.

(La séance est levée.)


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