Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 10 - Témoignages du 8 février 2012


OTTAWA, le mercredi 8 février 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois, se réunit aujourd'hui à 16 h 17, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à nos collègues sénateurs, à nos invités et aux membres du public qui regardent la séance d'aujourd'hui sur le réseau de télévision CPAC. Je m'appelle John Wallace; je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick, et je préside le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois. Ce projet de loi regroupe neuf projets de loi qui avaient été examinés séparément au cours de la troisième session de la 40e législature.

Le projet de loi C-10 a été déposé initialement à la Chambre des communes le 20 septembre 2011 par le ministre de la Justice, l'honorable Rob Nicholson. Le projet de loi a été étudié pendant plusieurs semaines à la Chambre avant d'être déposé au Sénat le 6 décembre 2011. Le projet de loi a été renvoyé à notre comité par le Sénat le 6 décembre 2011, pour que nous procédions à une étude détaillée de celui-ci.

Pour achever notre examen du projet de loi, le comité a l'intention de tenir de nombreuses séances supplémentaires. C'est pourquoi nous avons prévu 11 jours d'audiences publiques, y compris des séances d'une journée complète pendant la semaine du 20 au 24 février de cette année. C'est notre troisième séance qui porte sur le projet de loi C-10. Ces audiences sont publiques et elles sont également diffusées sur le site web parl.gc.ca.

Nous allons entendre en plus du témoignage de représentants et de fonctionnaires des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, celui de victimes de crime et leurs familles, de professeurs, de spécialistes du droit, de spécialistes de l'application de la loi, de défenseurs des droits des adolescents ainsi que des représentants de diverses organisations, des intéressés et d'autres qui travaillent dans le domaine de la justice pénale. Au total, le comité a invité près de 110 témoins. On trouvera d'autres renseignements au sujet de la comparution des témoins sur le site web, parl.gc.ca, sous l'intitulé « Comités du Sénat ».

Avant de présenter les invités qui se joignent à nous aujourd'hui, j'aimerais tout d'abord demander à chacun des sénateurs membres du comité de se présenter et d'indiquer la région qu'ils représentent, en commençant par le sénateur Fraser, vice-présidente du comité.

Le sénateur Fraser : Je m'appelle Joan Fraser, et je suis un sénateur du Québec.

[Français]

Le sénateur Joyal : Serge Joyal, sénateur de Kennebec, Québec.

[Traduction]

Le sénateur Baker : George Baker, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Chaput : Maria Chaput, Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Lang : Dan Lang, Yukon.

Le sénateur Angus : David Angus, Québec.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, Québec.

[Traduction]

Le sénateur Runciman : Bob Runciman, Ontario, Mille-Îles et lacs Rideau.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, Québec.

[Traduction]

Le président : Merci.

Nous allons commencer notre audience publique d'aujourd'hui en accueillant Gaylene Schellenberg, avocate, et Daniel A. MacRury, président, Section nationale du droit pénal de l'Association du Barreau canadien. Nous allons entendre Nicole Dufour, avocate, coordinatrice du Comité en droit criminel; Giuseppe Battista, représentant et Dominique Trahan, représentant du Barreau du Québec. Nous allons également entendre Peter Kirby, coordonnateur du Kenora Lawyers Sentencing Group.

Gaylene Schellenberg, avocate, Association du Barreau canadien : Merci. Je m'appelle Gaylene Schellenberg; je suis une avocate membre de la direction de la législation et de la réforme du droit de l'Association du Barreau canadien. Merci de nous avoir invités à présenter le point de vue de l'ABC sur le projet de loi C-10.

L'ABC est une association nationale qui regroupe plus de 37 000 avocats, étudiants en droit, notaires et professeurs. Un aspect important de notre mandat consiste à améliorer le droit et l'administration de la justice, et c'est dans cette optique que nous comparaissons devant vous aujourd'hui.

Je suis accompagnée par Daniel A. MacRury, président de la Section nationale du droit pénal de l'ABC. Cette section de l'ABC est composée de procureurs de la Couronne et d'avocats de la défense qui viennent de toutes les régions du pays. M. MacRury est le procureur chef du Service des poursuites publiques de la Nouvelle-Écosse pour la région du Cap-Breton et il va maintenant présenter notre exposé et répondre à vos questions.

Daniel A. MacRury, président, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien : Merci d'avoir invité l'Association du Barreau canadien à vous parler du projet de loi C-10. Une précision, je suis ici en qualité de président de la Section nationale du droit pénal. Je parle en son nom et non pas en celui de mon employeur, le Service des poursuites publiques.

J'ai pratiqué le droit pénal aussi bien comme procureur de la Couronne que comme avocat de la défense pendant plus de 26 ans. J'ai occupé le poste d'avocat de la Commission d'enquête Howard Hyde, qui avait pour mission d'examiner la façon dont un homme souffrant de problèmes de santé mentale avait été traité par le système de santé et celui de la justice pénale en Nouvelle-Écosse.

Le projet de loi C-10 reflète une nouvelle orientation dans les politiques canadiennes en matière de justice pénale. À notre avis, c'est une orientation qui nous conduit dans la mauvaise direction. L'ABC s'est engagée il y a très longtemps à améliorer le système correctionnel et de justice pénale du Canada. Plus récemment, au cours de notre conférence juridique canadienne de 2011, l'ABC a publiquement invité le Canada à adopter des mesures davantage axées sur la santé et non sur l'incarcération pour les personnes ayant des troubles mentaux, à élaborer des politiques et des lois reconnaissant les réalités sociales et économiques des Autochtones, à introduire une soupape de sécurité ou une exception législative aux peines minimales obligatoires du Code criminel de façon à assurer le prononcé de peines justes et enfin, à adopter une politique d'ouverture et de transparence pour ce qui est des coûts de toute initiative future en matière de justice pénale.

En tant qu'avocat criminaliste, j'ai personnellement constaté que l'on retrouvait un grand nombre de personnes souffrant de troubles mentaux dans le système de justice pénale alors qu'elles devraient être prises en charge par le système de santé. En limitant les choix offerts aux juges, le projet de loi C-10 fera en sorte qu'il y aura davantage de personnes souffrant de troubles mentaux qui seront incarcérées dans ce pays au lieu d'être traitées dans la collectivité. Cela nous paraît un traitement inhumain. L'ABC demande l'amélioration de la situation des personnes qui souffrent des troubles causés par l'ETCAF, ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale. À notre avis, le projet de loi C-10 fera en sorte que le nombre de personnes souffrant d'ETCAF qui seront incarcérées augmentera parce qu'on aura supprimé le pouvoir discrétionnaire que possédaient les juges de première instance. Cela nous paraît inhumain.

Dans R. c. Gladue, la Cour suprême a déclaré qu'il y avait lieu de porter une attention spéciale aux circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les Autochtones dans le système de justice pénale. L'alinéa 718.2e) du Code criminel est une disposition de nature réparatrice. L'Association du Barreau canadien estime que le projet de loi C-10 ne tient pas compte des circonstances particulières des Autochtones lorsqu'il modifie notre droit pénal. À notre avis, cela entraînera d'autres injustices pour les Autochtones.

L'Association du Barreau canadien a une grande confiance dans la magistrature de notre pays. Malheureusement, le projet de loi C-10 montre que ce n'est pas le cas pour le gouvernement.

L'augmentation du nombre de peines minimales obligatoires va restreindre davantage le pouvoir discrétionnaire des juges et c'est encore là une mauvaise approche. L'ABC demande au moins que le projet de loi C-10 soit modifié pour ajouter une soupape de sécurité à l'article 718 du Code criminel, ajout qui se lirait ainsi : « Lorsque l'imposition d'une peine minimale obligatoire risque d'entraîner une injustice dans des circonstances extraordinaires, le tribunal peut envisager d'autres peines. » D'autres pays occidentaux qui appliquent des peines minimales obligatoires, comme les États-Unis, l'Australie, le Royaume-Uni, ont adopté une soupape de sécurité de ce genre. Nous estimons que la justice exige que les dispositions du Code criminel en matière de détermination de la peine contiennent une telle disposition.

En tant que responsable des poursuites pénales, je peux dire que le projet de loi C-10 va considérablement alourdir le travail de tous les acteurs du système de justice pénale. Nos membres, parmi lesquels il y a autant de procureurs de la Couronne que d'avocats de la défense, savent que ce projet de loi va certainement ralentir le fonctionnement de notre système judiciaire et risque concrètement d'entraîner le rejet d'accusations en raison de retards; ce n'est certainement pas ce qui va aider les victimes.

Nous pensons que ce projet de loi sera, en raison de son contenu, finalement voué à l'échec et ira à l'encontre de son objectif qui est d'améliorer la sécurité de la population. Le projet de loi adopte une méthode erronée pour ce qui est du traitement des délinquants à toutes les étapes du processus pénal, depuis l'arrestation, jusqu'au procès, jusqu'à leur traitement au sein des établissements correctionnels, et à leur inévitable réintégration dans la société. Il représente un changement d'orientation fondamental qui nous fait passer d'un système axé sur la sécurité de la population par la personnalisation des peines, la réadaptation et la réinsertion à un système qui met de l'avant la répression et la vengeance.

Avec les mesures que contient le projet de loi C-10, il y aura plus de jeunes canadiens qui seront détenus en attendant leur procès. Davantage d'accusations donneront lieu à des procès en raison des peines d'emprisonnement sévères et incontournables associées à de nombreuses infractions. Il y aura moins de contrevenants amendés et réadaptés qui quitteront nos établissements correctionnels pour essayer de réintégrer la société.

Pour ce qui est des modifications que le projet de loi C-10 apporte à la LSCMLC, l'ABC insiste sur l'importance de protéger les droits de la personne, protection qui doit constituer une partie intégrante de nos lois correctionnelles. Le premier droit de la personne est la dignité et ce droit ne s'arrête pas au seuil des prisons. La Cour suprême du Canada a clairement précisé que la Charte s'appliquait pleinement aux détenus. Le projet de loi C-10 supprimera les références à la norme constitutionnelle des mesures les moins contraignantes.

Nous invitons les sénateurs à réintroduire dans la loi les mots « sanctions moins contraignantes ». Nous trouvons très troublant que ce projet de loi, qui va transformer notre système de justice pénale, soit adopté à la hâte par le Parlement pour remplir une promesse électorale voulant qu'il soit adopté dans les 100 jours. Les Canadiens méritent un autre traitement.

On a souvent qualifié le Sénat de chambre de réflexion. Nous estimons que, s'il y a vraiment un projet de loi qui appelle une réflexion approfondie et un réexamen, c'est bien le projet de loi C-10.

Merci de nous avoir donné la possibilité de vous parler de cette mesure.

Le président : Merci pour votre témoignage, monsieur MacRury.

[Français]

Nicole Dufour, avocate, coordonnatrice, Comité en droit pénal, Barreau du Québec : Bonjour, mon nom est Nicole Dufour. Je suis avocate au service de recherche et de législation du Barreau du Québec.

Au nom du Barreau du Québec, je vous remercie de nous recevoir. Je suis accompagnée de Me Giuseppe Battista, qui est le président de notre comité en droit criminel, et de Me Dominique Trahan, qui préside le comité en droit de la jeunesse. Nous sommes accompagnés de Mme Ana Victoria Aguerre, qui est également du service de recherche et de législation du Barreau du Québec.

À titre informatif, il est important de savoir que les comités du Barreau du Québec, qui ont participé à l'élaboration de notre mémoire, sont composés d'avocats œuvrant tant en poursuite qu'en défense, et que leurs membres représentent tant l'État, les victimes que les personnes accusées.

Le Barreau du Québec regrette le choix du gouvernement d'avoir recours à un projet de loi omnibus et, au surplus, d'insister pour adopter de telles modifications dans un délai de 100 jours.

Cette façon de procéder a, malheureusement, pour effet de confondre les enjeux et nuit à notre capacité de déterminer les véritables besoins de la société canadienne.

La tendance naturelle que nous avons de mettre en opposition les opinions diverses sur des sujets complexes comme l'est le traitement juste et équitable des victimes et des délinquants, mène inexorablement à la simplification à outrance de ces opinions.

Dans le processus d'adoption de nos lois, on ne devrait pas opposer systématiquement le respect des droits des victimes à celui des droits des accusés. Les Canadiens s'attendent du législateur et des acteurs du système de justice — ce qui incluent les groupes représentant les victimes — qu'ils collaborent afin d'adopter les meilleures lois possible qui répondent aux besoins de notre société.

Dans cette perspective, le nombre et la durée des consultations préalables à l'adoption d'un projet de loi ne devraient être ni perçus ni dénoncés comme des inconvénients.

L'utilisation accrue et l'augmentation des peines minimales d'emprisonnement constituent la figure de proue du projet de loi C-10. Le projet de loi propose notamment l'augmentation de certaines peines minimales d'emprisonnement, qui avait été adoptée en 2005, alors que l'effet concret de ces peines n'est pas encore véritablement connu.

Pour le Barreau du Québec, il ne fait aucun doute que le recours aux peines minimales d'emprisonnement rend notre système de justice criminelle plus complexe, moins efficace, tout en augmentant la possibilité d'erreurs judiciaires.

Un des principes fondamentaux de notre système de justice pénale est que la peine soit proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Seul l'exercice du pouvoir judiciaire permet de pondérer adéquatement les différents principes en matière de détermination de la peine et les circonstances de l'infraction et ainsi, imposer une sanction juste.

De tous les effets pervers du recours aux peines minimales d'emprisonnement, sans doute l'aspect le plus pernicieux et le plus dommageable pour notre société est le message que cela envoie à nos citoyens quant à leur système de justice et à ses juges.

Si le Parlement estime qu'il est nécessaire de limiter à ce point le pouvoir des tribunaux d'imposer une peine juste, la conclusion irrésistible est que nous ne pouvons faire confiance aux juges pour faire ce travail. Est-il nécessaire de faire la démonstration de l'effet désastreux de ce puissant message dans une société libre et démocratique comme la nôtre fondée sur le respect de la règle de droit?

Enfin, il est malheureux de constater comment les anecdotes ponctuelles continuent d'être invoquées pour justifier l'imposition des peines minimales d'emprisonnement. J'en veux pour preuve les commentaires faits lors de la dernière séance du Comité permanent de la Chambre des communes, le 18 octobre dernier, alors qu'on a fait référence à un dossier où un juge n'avait imposé qu'une peine de 23 mois à un individu qui avait agressé sexuellement un enfant, tout en mentionnant qu'il avait épargné sa virginité. Le problème est que cette décision a été invalidée par la Cour d'appel qui a imposé une peine d'emprisonnement de près de quatre ans. Cela, on a simplement oublié de le mentionner. C'est exactement le rôle que doivent jouer les tribunaux d'appel dans notre système de justice.

Quant aux modifications proposées au système de justice pénale pour les adolescents, le Barreau du Québec réitère ses préoccupations exprimées à l'égard du projet de loi C-4, qui est largement repris dans le projet de loi C-10. Ainsi, le projet législatif oppose la notion de protection du public à celle de la réadaptation et la réinsertion sociale alors qu'elles sont indissociables à l'atteinte de l'objectif de protection du public.

En apportant un changement à la déclaration de principe contenue dans la loi sur le système de justice pénale pour adolescents, un glissement vers les principes de droit criminel applicables aux adultes est à craindre. Le Barreau insiste à nouveau sur l'importance de maintenir la spécificité du droit pénal applicable aux jeunes en ciblant la réadaptation comme moyen de protéger le public à long terme.

Le Barreau du Québec tient à souligner que le projet de loi C-10 marque une rupture avec l'approche canadienne, qui existe depuis 1908, en regard des règles de la confidentialité de l'identification des adolescents. Cette brèche constitue une atteinte grave à la spécificité du système de justice pénale pour adolescents et comporte des risques accrus de stigmatisation de l'adolescent, ce qui aura comme conséquence de nuire à ses chances de réadaptation et de réinsertion sociale.

Le ministre de la Justice et procureur général du Québec, M. Jean-Marc Fournier, a fait part au ministre Nicholson de son désaccord avec l'adoption de ce projet de loi, parce qu'on ne peut accepter que soit retiré de la loi le concept de la protection durable du public qui implique de miser sur la rééducation, la réadaptation et la réinsertion sociale. Le Barreau du Québec partage entièrement l'avis du ministre Fournier à cet égard.

[Traduction]

Peter Kirby, coordonnateur, Kenora Lawyers Sentencing Group : Merci, c'est un plaisir d'être ici. Je fais partie d'un petit groupe d'avocats du district de Kenora, dont je suis le plus âgé. J'ai joint la biographie de nos membres. Ce sont de jeunes avocats énergiques et brillants qui sont prêts à faire tout ce qui est possible pour aider leurs clients, dont la plupart sont des Autochtones ayant des démêlés avec la justice.

Nous desservons 40 collectivités des Premières nations, dont certaines sont situées dans la zone du traité 3, qui se trouve au sud de la Transcanadienne, et les autres dans la zone du traité 9 qui est située au nord. On ne peut se rendre que par avion dans la plupart des collectivités situées dans la zone du traité 9.

La santé de ces collectivités varie : pour certaines elle est bonne, pour d'autres, elle ne l'est pas. Je ne veux pas vous parler uniquement de cette terrible situation, mais permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet de Pikangikum. C'est une collectivité d'environ 2 500 habitants située à 20 minutes d'avion au nord-ouest de Red Lake. En 2000, Pikangikum a connu le plus fort taux de suicide des adolescents au monde. À Pikangikum, 400 des 800 enfants qui devraient aller à l'école n'y vont pas. L'inhalation d'essence est courante.

Les juges de Kenora siègent deux à quatre fois par an dans les collectivités du Nord. Nous envoyons des juges à Pikangikum trois ou quatre fois par mois.

Le ministre de la Justice Shewchuk du Nunavut a parlé longuement, et de façon éloquente, de l'arrêt Gladue; je ne vais donc pas vous en dire davantage à ce sujet, si ce n'est qu'il est important et que les sénateurs en connaissent le contexte.

L'arrêt Gladue dit pour l'essentiel qu'il faut faire preuve de retenue. Il faut avoir recours aux mesures les moins contraignantes lorsqu'on impose une peine à un accusé. J'aimerais parler principalement d'une de ces possibilités qui est la peine d'emprisonnement avec sursis.

Le projet de loi C-10 a pour effet de supprimer 42 infractions du nombre de celles pour lesquelles cette peine est envisageable lorsque la Couronne décide de procéder par mis en accusation. Pour ces 42 infractions, l'accusé n'aura plus le droit de recevoir une peine d'emprisonnement avec sursis.

Je vous ai fourni des citations dans mes notes d'allocution, je ne vais donc pas m'y référer, au sujet d'affaires provenant du nord-ouest et qui ont été portées devant la Cour d'appel de l'Ontario. Je vous invite à examiner mes notes.

Pourquoi les infractions énumérées dans le projet de loi C-10 et jugées par mise en accusation devraient-elles être admissibles à l'emprisonnement avec sursis? On nous dit que le projet de loi C-10 vise les récidivistes. Ce n'est pas le cas. Il s'appliquera également aux contrevenants primaires. Le projet de loi ne mentionne aucunement qu'il ne vise que les délinquants primaires. Il va s'appliquer à ceux qui sont sous l'influence de substances intoxicantes, qui agissent par accident, qui ne prévoient pas les conséquences de leurs actes, qui agissent sous le coup d'une maladie mentale ou qui vont trop loin en cas de légitime défense.

En outre, le projet de loi C-10 supprimera l'emprisonnement avec sursis pour les contrevenants qui sont libérés sur caution et qui participent à de longs programmes de réadaptation. Ils n'en retireront aucun avantage. Rien ne les incitera à plaider coupable.

Comment l'emprisonnement avec sursis peut-il offrir un meilleur contrôle des contrevenants et rendre les communautés plus sûres? Il arrive souvent que les peines d'emprisonnement avec sursis soient plus longues que les peines de prison fermes. Il n'y a pas de réduction de peine pour l'emprisonnement avec sursis. Un emprisonnement avec sursis de 12 mois doit être purgé intégralement. Les conditions visant à faciliter la réadaptation sont courantes, comme la détention à domicile, et la cure de désintoxication. Dans certains cas, l'emprisonnement avec sursis suivi d'une probation permet un meilleur contrôle communautaire qu'une peine d'emprisonnement. Je vais vous en donner un exemple.

Lorsqu'un tribunal condamne un délinquant à une peine d'emprisonnement avec sursis d'une durée de 20 mois, suivie par trois ans de probation, le contrôle s'exerce pendant les 20 mois plus les trois années supplémentaires. Le contrevenant envoyé dans un pénitencier pour y purger une peine de trois ans est bien souvent libéré après avoir purgé un tiers de sa peine.

L'emprisonnement avec sursis reconnaît le travail de réadaptation que peut avoir fait le contrevenant avant qu'il reçoive sa peine. Lorsque le contrevenant participe à un programme de réadaptation et que le tribunal estime qu'il devrait poursuivre ce programme, la collectivité est protégée; la collectivité et le contrevenant sont en réalité gagnants et plus sûrs si cette personne continue à suivre ce programme.

Quand l'emprisonnement avec sursis sera-t-il une peine appropriée en cas d'infractions sexuelles? Rupert Ross, un procureur de la Couronne d'une grande expérience, et qui a récemment pris sa retraite dans notre district, a beaucoup écrit au sujet de la justice réparatrice. Je vous invite à lire le mémoire qu'il a envoyé au comité. D'après son expérience, il n'est pas facile, dans les régions nordiques, pour les victimes d'infractions sexuelles de rapporter ce qui s'est passé, en particulier lorsqu'il s'agit d'enfants. C'est parce que les gens vivent dans de petites communautés tissées serrées. Ils craignent de perturber les liens familiaux; ils craignent également de susciter de l'hostilité chez les autres membres de la collectivité. M. Ross a constaté, grâce à son expérience, qu'offrir au contrevenant la possibilité de recevoir une peine d'emprisonnement avec sursis l'incitait souvent à plaider coupable. Un plaidoyer de culpabilité offre un avantage très important; il confirme à la victime qu'elle a dit la vérité et qu'on la croit. C'est également le début de la réadaptation du délinquant, parce qu'admettre sa culpabilité est la première étape sur le chemin de la réintégration dans la société.

M. Ross a pu observer le système appliqué dans la Première nation Hollow Water au Manitoba. J'ai fourni quelques renseignements à ce sujet dans mes notes d'allocution. Je ne vais pas vous en parler, mais je tiens à vous parler des programmes de justice réparatrice qui existent dans notre région.

Nous avons un tribunal de la santé mentale à Kenora. Nous avons des comités de justice pour la jeunesse dans les Premières nations de Grassy Narrows et de Whitefish Bay. Nous avons également un programme de conférences communautaires qui est offert par le Ne'Chee Friendship Centre et la Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation, qui relève de l'aide juridique de l'Ontario et qui a des travailleurs en justice réparatrice dans le Nord. Dans l'ensemble, ces programmes s'occupent des personnes accusées d'infractions mineures, bien souvent des infractions contre les biens. Ces programmes auraient toutefois vocation à viser les crimes avec violence. En retirant au tribunal la possibilité de prononcer l'emprisonnement avec sursis, on ne permet pas à ces programmes de justice réparatrice de se développer et de se renforcer.

En réalité, le projet de loi C-10 va frustrer les juges; il va également frustrer les procureurs de la Couronne. Je l'affirme parce que tous les acteurs du système de justice doivent s'efforcer de réduire la surreprésentation des Autochtones parmi les détenus. Les juges doivent assumer cette responsabilité, tout comme les procureurs de la Couronne. La Couronne a une obligation de fiduciaire envers les Autochtones.

Le projet de loi C-10 va étouffer les tentatives lancées dans notre région pour mettre sur pied des programmes de justice réparatrice. Le système va aliéner davantage les Autochtones. Nous savons dans le Nord que les collectivités comme Pikangikum, il n'y a pas de comité de justice. Le conseil de bande ne participe pas au processus judiciaire. Il faut que les Autochtones participent à notre système pour que nous puissions l'améliorer et réduire les taux d'incarcération extraordinaires des Autochtones dans ce pays.

L'Association du Barreau canadien propose une solution pour améliorer le projet de loi C-10. Le contrevenant accusé d'une infraction reliée aux drogues et qui risque une peine minimale obligatoire aux termes du projet de loi C-10 peut participer à un programme de traitement. Il peut alors revenir devant le juge et celui-ci n'est pas obligé de dire ce qui suit, mais il peut le faire : « Je ne vais pas vous condamner à la peine minimum obligatoire ». Je propose d'introduire le même genre de soupape de sécurité ou de disposition d'exception à l'égard des programmes de justice réparatrice. Cela permettrait au tribunal de dire à un contrevenant : « Suit un programme de justice réparatrice, termine-le et revient ensuite devant le tribunal. » Le juge pourra alors imposer l'emprisonnement avec sursis, ce qui permettra d'exercer un contrôle communautaire sur lui.

Voici mes commentaires.

Le président : Désolé de vous interrompre. Nous avions prévu cinq minutes environ pour les déclarations préliminaires.

M. Kirby : Oui; j'ai terminé.

Le président : Je ne voulais pas vous interrompre parce que ce que vous dites est extrêmement important.

M. Kirby : Non, j'ai terminé.

Le président : Merci, d'avoir présenté ces commentaires.

Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité, en commençant par le sénateur Fraser, notre vice-présidente.

Le sénateur Fraser : J'ai deux questions et j'espère que la réponse à la première sera brève de sorte que je pourrai poser ma seconde question.

Je m'adresse à vous, monsieur Kirby, et cela va directement dans le prolongement de ce que vous disiez. Serait-il utile de mentionner expressément les tribunaux de la santé mentale et les tribunaux de l'arrêt Gladue dans le genre d'exception que vous proposez?

M. Kirby : Oui, cela serait utile. Ces tribunaux existent déjà et il faudrait également ajouter les tribunaux de traitement de la toxicomanie.

Le sénateur Fraser : Mais ces derniers tribunaux n'existent qu'à l'ouest d'Ottawa et ils ne sont pas nombreux.

M. Kirby : Le policier qui travaille dans notre collectivité et qui veut introduire un tribunal de traitement de la toxicomanie peut se baser sur l'exemple d'une autre collectivité en Ontario qui en a créé un sans recevoir d'aide financière. La collectivité a tout simplement décidé de mettre sur pied un tribunal de traitement de la toxicomanie. Il est possible de mettre sur pied ce genre de chose sans financement public.

Le sénateur Fraser : S'ils existent, en particulier dans les modifications à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui sont proposées ici, si nous pouvions ajouter les tribunaux de la santé mentale et les tribunaux Gladue aux tribunaux de traitement de la toxicomanie, pensez-vous que cela pourrait améliorer la loi?

M. Kirby : Effectivement, mais n'oubliez pas qu'il n'y a en Ontario qu'un seul tribunal de l'arrêt Gladue et qu'il se trouve à Toronto. Ne vous méprenez pas : nos juges et notre district appliquent les principes de l'arrêt Gladue. Ce ne sont pas officiellement des tribunaux de l'arrêt Gladue, mais ce sont quand même des tribunaux qui suivent l'arrêt Gladue.

Le sénateur Fraser : Cette question s'adresse à tous, mais je vais vous viser, monsieur MacRury, parce que vous demandiez principalement le rétablissement d'un certain pouvoir discrétionnaire en matière de détermination de la peine.

Là encore, l'article de la loi qui modifie la Loi réglementant certaines drogues et autres substances contient ce qui pourrait devenir une échappatoire énorme. L'article 42 du projet de loi qui ajouterait un nouvel article 8 se lit ainsi :

Le tribunal n'est pas tenu d'imposer une peine minimale d'emprisonnement sauf s'il est convaincu que la personne accusée a été avisée avant d'enregistrer son plaidoyer qu'une peine minimale d'emprisonnement peut être imposée pour l'infraction qui lui est reprochée et que le procureur général a l'intention de prouver que l'infraction a été commise dans des circonstances entraînant l'imposition d'une peine minimale d'emprisonnement.

Cette disposition introduit à nouveau, cela est bien évident, un certain pouvoir discrétionnaire, mais qui est attribué au poursuivant et non pas au tribunal. Qu'en pensez-vous? Quelle est votre réaction?

M. MacRury : De notre point de vue, cela n'est pas différent du cas des ivressomètres, lorsque nous donnons un avis de peine aggravée. Je ne pense pas que cela introduise beaucoup de souplesse dans le système. Je vous dirais franchement que ce que nous proposons en termes de disposition créant une soupape de sécurité, ce qui a été fait dans d'autres pays, à cause des peines minimales obligatoires, consiste à introduire dans le système davantage de souplesse, ce qui est nécessaire.

Pour répondre à la question que vous avez posée à mon ami M. Kirby, je ne pense pas que cette exception devrait uniquement viser les tribunaux spécialisés. Ce qui m'inquiète, c'est que cela exigera que les provinces trouvent des ressources pour le faire et qu'il y en a beaucoup qui n'en ont pas les moyens. Je pense que la soupape de sécurité que nous proposons au comité introduira suffisamment de souplesse et d'égalité dans l'ensemble du pays pour que les tribunaux tiennent compte, grâce à la disposition créant une soupape de sécurité, d'aspects particuliers comme la maladie mentale, les considérations découlant de l'arrêt Gladue. Nous vous invitons vivement à réfléchir à cette possibilité parce qu'il n'est pas possible d'adopter une règle générale en matière de détermination de la peine. Je peux vous dire que tous les jours les tribunaux font face à des circonstances spéciales. J'invite vivement le comité à examiner la soupape de sécurité que nous proposons.

Le sénateur Fraser : J'aurais beaucoup d'autres questions à poser et je vous demanderais, monsieur le président, de bien vouloir inscrire mon nom pour le deuxième tour.

Le président : Bien sûr.

Le sénateur Runciman : Ma première question s'adresse à M. Kirby. Je connais un peu Pikangikum. Ma plus jeune fille est une agente de la PPO qui a été affectée dans ce secteur et elle m'a parlé de certains aspects de la situation auxquels fait face cette collectivité. C'est effectivement vrai. Vous avez présenté un exposé émouvant.

Je crois que ce qui s'est fait en matière d'emprisonnement avec sursis dans ce secteur, et plus précisément ce qui touche la surveillance, soulève un problème. Les violations de la surveillance ne sont pas rapportées. Il n'y a pas de surveillance appropriée. Avez-vous quelque chose à dire sur cet aspect?

M. Kirby : C'est une excellente remarque et c'est paradoxal. Dans des collectivités comme Pikangikum, où l'emprisonnement avec sursis serait le plus utile, il n'y a pas de ressources pour la surveillance des contrevenants. Elles n'ont tout simplement pas les moyens de le faire, mais vous pouvez retirer ces personnes de la collectivité pendant une certaine période. Vous pouvez les faire participer à un programme de traitement des délinquants sexuels. Il y en a un à Thunder Bay d'une durée d'environ 36 semaines, par exemple. Vous pouvez demander à ces personnes de suivre des programmes de traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme. Vous pouvez les envoyer dans des maisons de transition.

Voilà ma réponse pour les collectivités qui n'ont pas les moyens de surveiller l'exécution de ce genre de peines, qui exigent beaucoup de surveillance.

Le sénateur Runciman : Dans la lettre que vous avez envoyée aux membres du Parlement en octobre, vous disiez que les contrevenants membres d'une minorité — et là je cite votre lettre — « risquaient davantage d'être inculpés d'infractions passibles d'une peine minimale. » Je me demande de quel aspect vous parlez ici parce qu'une partie importante de ce projet de loi traite des crimes sexuels commis contre les enfants. Pourriez-vous être plus précis au sujet de ce dont vous parlez à propos des accusations? Pourriez-vous également expliquer cette situation?

M. Kirby : Je n'ai pas cette lettre avec moi, mais les personnes accusées de crimes avec violence, certains de ces crimes, comme les crimes sexuels commis contre les enfants, peuvent entraîner des peines minimales obligatoires. C'est ce qui se passe depuis quelque temps, mais je n'affirme pas que les Autochtones soient plus fréquemment accusés de ce genre de crimes que les non-Autochtones. Ce que je viens de dire ne vous sera peut-être pas très utile, mais il faudrait que je relise cette lettre.

Le sénateur Runciman : Vous pourriez peut-être nous envoyer quelque chose lorsque vous aurez relu cette lettre.

Mme Dufour, vous parliez de proportionnalité et c'est un aspect qui m'intéresse parce que si vous lisez le projet de loi, la personne qui fait pousser 200 plantes de marihuana en vue de faire le trafic est passible d'une peine minimale de six mois et d'une peine maximale de 14 ans. En 2000, la Cour suprême du Canada a déclaré que les peines minimales — et je cite la décision — « ne violent pas le principe de la proportionnalité, en particulier lorsque la peine minimale ne représente qu'une fraction de la peine maximale applicable à l'infraction. » La Cour suprême du Canada a non seulement confirmé la validité des peines minimales, mais a déclaré qu'elle n'allait pas à l'encontre du principe de la proportionnalité, en particulier lorsqu'elles sont structurées comme elles le sont dans le projet de loi, qui introduit de grandes différences entre les peines minimales et les peines maximales. Votre association estime-t-elle que la Cour suprême s'est trompée sur cette question?

Giuseppe Battista, représentant, Barreau du Québec : Nous ne disons pas que la Cour suprême a tort. Vous nous avez donné un exemple où la peine minimale est de six mois et où la peine maximale est beaucoup plus élevée, mais le projet de loi C-10 contient également des dispositions où la peine minimale est de six mois et la peine maximale de deux ans pour les infractions sommaires. Il est évident que, si nous appliquons ce que vous venez de dire, cela n'est pas proportionnel.

Nous disons qu'il faut examiner l'ensemble du droit. Ce projet de loi va d'un seul coup modifier fondamentalement les règles du jeu en matière de peine. Il y a désormais toute une série d'infractions qui n'auraient pas débouché auparavant sur la détention. L'essentiel du message que transmet ce projet de loi est qu'il va mettre en prison des gens qui n'y auraient jamais été autrement. Lorsque des contrevenants primaires comparaissent devant des juges, lorsque la situation l'exige, et même lorsqu'ils ont commis une infraction où d'autres personnes auraient été envoyées en prison pour une première infraction, les juges peuvent aujourd'hui prendre ce genre de décisions. Ils peuvent évaluer le dossier. Les poursuivants peuvent également prendre aujourd'hui ce genre de décisions. Cela est très important. Désormais, les poursuivants n'auront plus le droit de prendre ce genre de décision et les juges n'auront aucun pouvoir discrétionnaire dans ce domaine.

C'est le problème. Vous avez donné un bon exemple d'une peine minimale et d'une peine maximale, mais ce n'est pas ce qui nous préoccupe. Même dans ce cas, il peut y avoir une ou deux personnes qu'un juge estime ne pas devoir envoyer en prison.

Le sénateur nous a également fait remarquer que la loi réglementant certaines substances accorde, avec l'article 8 proposé, un certain pouvoir discrétionnaire au poursuivant. Je dois dire, de façon très objective, que c'est une possibilité intéressante. C'est ainsi que le Barreau du Québec considère la chose.

Nous avons mentionné cet aspect, mais nous émettons également une réserve. Ce genre de possibilité offre des avantages, mais elle pourrait également avoir un effet pervers, à savoir qu'elle risque d'inciter les accusés à plaider coupable si on leur promet qu'une peine d'emprisonnement ne sera pas demandée alors qu'ils peuvent avoir un moyen de défense à invoquer et ne sont pas coupables. Confrontés à la certitude d'être envoyés en prison en cas de condamnation, ces personnes risquent de décider de plaider coupable. Je ne pense pas qu'il y ait des poursuivants qui vont promettre consciemment et délibérément de ne pas envoyer en prison une personne qu'ils croient innocente, mais c'est ainsi que se produisent les erreurs judiciaires. Elles se produisent lorsque la police est convaincue d'avoir attrapé le coupable et que le poursuivant est convaincu d'avoir attrapé le coupable. Il se peut que l'avocat de la défense soit distrait ou peu attentif et que le juge estime que l'accusé est coupable au-delà de tout doute raisonnable. Ce sont là les genres d'erreurs judiciaires qui se produisent. De ce point de vue, c'est ce qui arrive avec les peines minimales.

De nos jours, les récidivistes vont en prison. Il n'est pas nécessaire d'adopter le projet de loi C-10 pour le faire. Aujourd'hui, les juges envoient en prison les personnes qui doivent y être. Ce projet de loi va par contre faire en sorte que les personnes qui ne devraient pas être envoyées en prison le seront.

Le président : Les questions touchant les peines minimales obligatoires sont évidemment essentielles pour chacun d'entre vous. Les ministres qui ont comparu, le ministre Nicholson en particulier, nous ont parlé abondamment de cet aspect. Le ministre a déclaré que les peines minimales obligatoires avaient pour but de renforcer la sécurité de la population. J'ai entendu vos commentaires, mais le ministre estime qu'elles amélioreraient la sécurité publique et que les peines minimales obligatoires prévues par le projet de loi sont réservées aux pires situations — infractions graves avec violence, récidivistes, pornographie juvénile, agression sexuelle armée, agression sexuelle grave, fait de fournir à un enfant du matériel sexuellement explicite, entente ou arrangement par un moyen de télécommunications pour perpétrer une infraction à l'égard d'un enfant, activités de crime organisé, et cetera. Ce sont là des cas extrêmement graves. Le ministre semble penser que dans ces cas-là, il est nécessaire d'isoler le contrevenant de la société pendant un certain temps et que cela est conforme aux principes de détermination de la peine, que vous connaissez fort bien, énoncés à l'article 718 du Code criminel, qui comprend la dénonciation d'un comportement illégal, la dissuasion du délinquant et l'isolement du délinquant de la société, lorsque cela est nécessaire.

Vous avez également déclaré qu'avec ce projet de loi, certains contrevenants seront emprisonnés alors qu'auparavant ils ne l'auraient pas été, mais, dans ces exemples, — et lorsque vous pensez à l'objet du projet de loi — vous opposeriez-vous à ce que des contrevenants qui commettent ce genre d'infractions graves soient emprisonnés pendant une certaine période? Bien sûr, ils devraient suivre des programmes de réadaptation pendant leur détention, mais ces peines minimales obligatoires ne sont-elles pas justifiables pour renforcer la sécurité de la population, dans ces circonstances extrêmes?

M. Battista : Selon la tradition canadienne, le principe fondamental de la détermination de la peine est que celle-ci ne dépend pas de l'infraction; elle dépend du contrevenant. La peine vise la personne qui a commis l'infraction.

Lorsque vous parlez d'une de ces infractions, par exemple d'agression sexuelle sur une personne de moins de 16 ans, il est évident que c'est indéfendable. Personne ici ne dit que c'est une bonne chose. Il s'agit par contre de savoir comment le système judiciaire traite un certain contrevenant qui a commis une infraction particulière dans les circonstances particulières dans lesquelles elle a été commise.

Nous pouvons imaginer qu'une de ces infractions a été commise dans des circonstances extrêmes, mais également qu'elle peut avoir été commise d'une façon qui franchit tout juste le seuil de l'illégalité. Voilà le genre d'affaires dont s'occupent les tribunaux sur une base quotidienne.

Certaines personnes traduites devant les tribunaux sont accusées d'avoir commis des voies de fait. Ces voies de fait peuvent prendre la forme d'une volée de coups ou d'une claque sur le visage. Comment un juge traite-t-il ces différences? Il traite d'une façon la volée de coups et d'une autre, la claque sur le visage. La personne qui a donné une claque à un autre et qui a déjà été condamnée 15 fois sera traitée d'une certaine façon et la personne qui en bat une autre dans des circonstances complexes sera également traitée différemment. C'est cela la détermination de la peine. Cela consiste à imposer une peine au contrevenant qui a commis une infraction particulière.

Les exemples que vous avez donnés sont des exemples où aujourd'hui les personnes qui méritent d'être envoyées en prison le sont déjà. Si le juge n'envoie pas quelqu'un en prison qui devrait y être, il existe une procédure d'appel. Les cours d'appel interviennent lorsque la peine est trop légère ou trop sévère. Ce sont là les normes que nous appliquons.

Le président : Je ne veux pas monopoliser le plancher. Il y a d'autres sénateurs qui veulent parler d'un aspect aussi important.

Ne pensez-vous pas qu'il incombe aux législateurs, au Parlement d'établir des paramètres raisonnables applicables à la détermination de la peine? Ces paramètres comprennent le niveau maximal que peut atteindre une peine ainsi que le niveau minimal. Ce sont là les deux côtés de la pièce. Le pouvoir discrétionnaire des tribunaux consiste à situer la peine entre la peine minimale et la peine maximale.

J'ai presque l'impression que les législateurs n'ont aucun rôle à jouer en matière de détermination de la peine, qu'ils n'ont pas la responsabilité ni le pouvoir de fixer ces paramètres; il convient de s'en remettre complètement aux juges. Admettez-vous que nous avons le pouvoir et la responsabilité de fixer des paramètres raisonnables en matière de détermination de la peine.

M. Battista : Je pense que ces paramètres raisonnables existent déjà. Ils ont été fixés. Lorsque le législateur indique quelles sont les circonstances aggravantes ou les circonstances atténuantes, lorsque le législateur précise ce que la société condamne et ce qu'elle accepte, alors je dirais qu'il fixe des paramètres.

Lorsque le législateur affirme qu'il faut agir aveuglément de telle façon, j'estime qu'il dépasse les bornes et je ne pense pas que cela soit bon pour le système de justice pénale.

Le président : Merci pour ce commentaire.

Le sénateur Baker : Avec ce projet de loi, pour une infraction relativement mineure, par opposition à une infraction grave, comme vous l'avez fait remarquer, même quand on se base sur l'infraction elle-même, l'accusé pourrait se voir infliger une peine minimale obligatoire d'un an de prison s'il faisait le trafic d'une drogue, c'est-à-dire s'il donnait ou vendait à quelqu'un d'autre une petite quantité de drogue sous la menace de violence. C'est le facteur aggravant, pour une première infraction. Pour une personne qui souffre de troubles mentaux, cette circonstance aggravante va avoir pour effet d'envoyer cette personne en prison pendant un an; n'est-ce pas exact, monsieur Battista? C'est un bon exemple.

M. Battista : Oui.

Le sénateur Baker : C'est parce que la peine a été fixée en tenant compte dans ce cas de l'infraction et non pas du contrevenant.

Je félicite tous les témoins qui sont ici aujourd'hui. Il y a un aspect qui dérange la population et les législateurs canadiens; c'est qu'il y a des tribunaux qui sont obligés de libérer des criminels d'envergure parce qu'il y a eu violation de l'alinéa 11b) de la Charte, qui exige que l'accusé subisse son procès dans un délai raisonnable. Nous assistons à ce genre de chose chaque semaine. Nous lisons les jugements et il y a de plus en plus d'accusés qui sont libérés. La Cour suprême du Canada a précisé les périodes dans lesquelles il fallait tenir un procès. Bien évidemment, on ne peut pas subir un procès pendant 50 ans; il faut que cela se termine.

L'Association du Barreau canadien affirme que ce projet de loi va augmenter le nombre de personnes qui auraient peut-être pu être déclarées coupables d'une accusation très grave à cause de la violation de l'alinéa 11b) de la Charte, en raison de ce projet de loi. Pouvez-vous nous en dire davantage?

M. MacRury : Absolument. C'est une préoccupation très réelle pour nous. Dans notre province, pour vous donner un exemple, il s'écoule à l'heure actuelle plus d'un an entre le plaidoyer et le procès. Vous pouvez être certain qu'il y aura davantage de procès et que ces procès seront retardés. Nous n'avons pas entendu dire qu'on allait augmenter les crédits ou accorder de nouvelles ressources au système pour être sûr que les procès soient tenus rapidement.

Pour ce qui est des victimes, nous estimons choquant que les législateurs suscitent de grandes attentes et que ce soit ensuite à nous d'essayer de répondre à ces attentes alors que nous n'avons pas les moyens de le faire. C'est ce qui se produira avec ce projet de loi.

Si vous le permettez, sénateur, j'aimerais faire un commentaire au sujet de la dernière question. Il semble que le ministre de la Justice ait déclaré que nous visions uniquement les infractions graves avec les peines d'emprisonnement avec sursis. Si vous examinez le projet de loi, vous constaterez qu'aux termes du Code criminel, toute personne déclarée coupable d'une infraction passible d'une peine maximale de 14 ans ne peut obtenir un emprisonnement avec sursis. C'est la fraude de plus de 5 000 $. Je pense qu'il est difficile de parler ici de « ciblage ». Cette disposition a une portée très large. Le sénateur Baker le comprendrait si je disais que c'est un peu comme une capture accessoire, pour parler en termes de pêche.

Je dirais, si vous le permettez, que le gouvernement prend des mesures qui ont une portée très large.

J'aimerais faire remarquer une autre chose et mon ami du Québec l'a également dit, le Canada est aujourd'hui un pays sûr. Les juges prennent les crimes graves très au sérieux.

J'ai le plaisir de plaider l'affaire R. c. Sharpe, l'affaire de pornographie juvénile, au Canada. Si vous lisez les commentaires de madame la juge McLachlin, vous constaterez qu'elle précise la façon de traiter l'exploitation des enfants. Je peux vous assurer, parce que j'ai plaidé de nombreuses affaires devant la Cour d'appel que nous obtenions des peines d'emprisonnement d'un an, même s'il n'y avait pas de peine minimale obligatoire, pour la possession de pornographie juvénile, et ce, il y a bien longtemps.

Je suis d'accord avec mon ami québécois. J'estime que nous possédons déjà les outils et le pouvoir discrétionnaire nécessaires. À mon avis, le système fonctionne bien. Il est temps que les législateurs prennent position et défendent le système de justice pénale canadien, au lieu d'adopter un système américain qui ne fonctionne pas.

Le sénateur Baker : Le Barreau du Québec a également fait remarquer dans son exposé qu'il pouvait arriver dans certains cas que la peine soit tellement disproportionnée qu'elle créerait une injustice. Ce serait une autre violation de la Charte, l'article 12, peines cruelles et inusitées. Dans certains cas, avec l'adoption de ce projet de loi, est-ce que des témoins pourraient présenter des demandes fondées sur la violation de l'article 12 de la Charte, dans son application à certaines dispositions — comme vous le dites, monsieur MacRury — compte tenu de la petite taille des mailles du filet qui est lancé ici?

M. Battista : Je ne pense pas que nous ayons fait référence à l'article 12 dans notre exposé.

Le sénateur Baker : Non, effectivement, mais j'ai interprété cela par rapport à ce que vous avez dit.

M. Battista : La raison pour laquelle je vous réponds ainsi est que je ne sais pas s'il est possible de parler de peines cruelles et inusitées pour certaines peines minimales qui sont proposées. Il ne s'agit pas tant de savoir si la peine est cruelle et inusitée, mais si elle est disproportionnée compte tenu des circonstances.

Par exemple, si quelqu'un a un travail, est réinséré dans la collectivité et vit correctement, et si tout le monde est convaincu que cette personne est dans le droit chemin, il serait terrible de retirer cette personne de son milieu. Elle risque de perdre son emploi et ne pourra pas en obtenir un autre, ce qui peut entraîner une forme de peine excessive qui serait tout à fait disproportionnée par rapport à ce qu'exigent les dispositions habituelles en matière de peine.

Il faut comprendre que de nos jours, les poursuivants et les juges s'occupent tous les jours du genre d'infractions envisagées ici et qu'ils déterminent quelle est la peine appropriée compte tenu du crime commis et du contrevenant. Lorsqu'il est possible de réadapter l'accusé, lorsqu'il existe un risque réel que la détention de cette personne fasse plus de mal que de bien — non seulement au contrevenant lui-même, mais à sa conjointe, à ses enfants et à son entourage — c'est une personne qui payait des impôts et qui n'en paiera plus. C'est le genre de choses dont nous tenons compte lorsque nous appliquons les dispositions relatives aux peines. Lorsque nous examinons cela du point de vue de la protection des collectivités, il faut se demander si la peine imposée fera de cette personne un actif ou un adversaire.

Le sénateur Baker : Pour ce qui est de la disposition...

Le président : Sénateur Baker, le temps nous manque. Accepteriez-vous de poser votre question suivante pendant le second tour?

Le sénateur Baker : C'est vous le chef, monsieur le président. Je n'oserais pas vous contredire.

Le président : Eh bien, j'aimerais beaucoup obtenir votre accord. Vous êtes habituellement tout à fait disposé à le donner.

Le sénateur Baker : Si je refusais, vous m'interdiriez de toute façon de parler. Allez-y.

Le président : Chers collègues, je sais que ce sont là des questions complexes et que vous avez adopté des positions très solides sur ces sujets. J'apprécierais beaucoup que vous fassiez des commentaires aussi concis que possible.

Le sénateur Jaffer : Merci pour vos exposés. Vous nous avez certainement donné beaucoup à réfléchir.

J'ai voyagé dans le monde entier et je peux dire avec une grande certitude que nos juges sont parmi les plus compétents au monde. Je suis fier de nos juges. Mon juge en chef, qui a été nommé par ce gouvernement, fait des déclarations au sujet du projet de loi C-10, ce qui est très inhabituel de la part d'un juge, et il affirme que l'adoption du projet de loi C-10 aura pour effet de surcharger le système.

Je l'ai déjà dit au comité et je le redis encore une fois. Lorsque j'ai commencé à pratiquer le droit, mon associé principal était un juriste bien connu, Thomas Dohm, qui avait l'habitude de dire : « Il est impossible d'enfermer les gens indéfiniment. Tôt ou tard, la plupart des contrevenants vont quitter le système pénitentiaire. Il est impossible d'imposer les peines de façon automatique. »

J'aimerais que vous me disiez tous, de façon détaillée, l'effet qu'aura le projet de loi C-10 sur les principes de détermination de la peine.

M. MacRury : Il va restreindre les options offertes aux juges, ce qui est une grave préoccupation. C'est le ton général de ce projet de loi. Lorsque vous dites qu' « il n'est pas possible d'emprisonner les gens indéfiniment », le problème est que les dispositions relatives à la réhabilitation, par exemple, empêcheront certaines personnes de réintégrer notre société. Cela revient à ce que disait mon ami du Québec, à savoir voulez-vous nous faire des amis ou des adversaires?

Le fait est que le système que nous avions, qui était fondé sur des principes en matière de peine et des politiques correctionnelles, est complètement modifié, tout cela au nom de la répression. En fin de compte, nous estimons qu'il ne permettra pas d'assurer la sécurité comme ils l'affirment tous. Nous allons libérer davantage de détenus dangereux et à qui on offrira moins de possibilités.

Nous rencontrons beaucoup de pauvres et de personnes qui vivent dans la pauvreté. Le seul fait d'augmenter les frais pour les demandes de réhabilitation est une bonne chose pour quelqu'un dont les parents sont riches, parce qu'ils peuvent payer ces frais, mais certains de ces frais sont payés avec des prestations d'aide sociale. Il ne faut pas perdre de vue le fait que nous sommes confrontés à beaucoup de pauvreté et à beaucoup de personnes défavorisées. Ce sont là les gens que l'on retrouve dans le système de justice.

J'estime qu'il serait préférable d'investir davantage dans l'éducation, dans la santé et dans la prévention que de choisir une voie vouée à l'échec, je vous le dis franchement.

Le sénateur Jaffer : J'étais intéressée par la proposition que vous faites dans votre mémoire, si je vous ai bien compris, de modifier l'article 718. Pourriez-vous nous en dire davantage?

M. MacRury : Oui. Nous avons proposé cela l'été dernier. C'est une résolution qui a été adoptée au cours de notre conférence juridique, à savoir une disposition contenant une soupape de sécurité. Cette disposition accorderait aux juges un pouvoir discrétionnaire lorsqu'il y a une injustice. Cela s'appliquerait à un accusé souffrant de graves troubles mentaux, mais qui n'est pas visé par les dispositions du Code criminel en matière de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ou lorsque quelqu'un vient d'une collectivité autochtone. Cela donnerait aux juges une autre possibilité. Ce n'est pas quelque chose que nous avons inventé. Cela existe dans les autres pays qui ont adopté des peines minimales obligatoires et qui ont prévu une disposition jouant le rôle de soupape de sécurité. Cela figure dans notre mémoire et je vous invite à examiner cette proposition. Les États-Unis en ont également adopté une.

J'invite vivement le Sénat à examiner cette possibilité parce que j'estime qu'elle introduit dans le système une certaine souplesse qui permettrait d'éviter des injustices.

Un des problèmes que pose, d'après nous, ce débat est que l'on procède bien trop souvent par étiquetage. Quelqu'un est en faveur de l'accusé ou de la victime. La réalité est qu'il arrive que les accusés soient des victimes. Nous avons connu un cas en Nouvelle-Écosse il y a deux semaines où quelqu'un avait été victimisé par un agent de probation qui avait maltraité 30 personnes. Cet individu a fini par commettre une introduction par effraction, par obtenir une peine d'emprisonnement avec sursis, sur recommandation conjointe, peine qu'il ne pourrait obtenir avec ce nouveau projet de loi. Je défie qui que ce soit de dire que cette peine n'était pas juste. J'estime qu'elle l'était.

Les peines dépendent du contexte et il ne s'agit pas ici de statistiques; nous parlons d'êtres humains. En fin de compte, il faut se baser sur le contrevenant dont il s'agit, et lui infliger une peine et non pas infliger une peine à un article du Code criminel.

Le sénateur Jaffer : Je sais que vous ne parlez pas ici en qualité de poursuivant, mais une des questions qui me préoccupent — et j'ai déjà moi-même exercé dans ce domaine — est le marchandage de plaidoyer. Quel sera l'effet de cette loi sur le marchandage de plaidoyer?

M. MacRury : Le marchandage de plaidoyer est une réalité. Dans notre province, il n'y a qu'environ 15 p. 100 des dossiers qui donnent finalement lieu à un procès. S'il y a davantage de dossiers qui donnent lieu à un procès, je me demande comment nous ferons. C'est là un problème, c'est la réalité. Malheureusement, cela va entraîner une réduction de la gravité des accusations. Les gens vont chercher les poursuivants et essayer de les amener à décider de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité et non pas par voie de mise en accusation alors qu'il s'agit manifestement d'un acte criminel. Cela vous place dans une situation où vous êtes tenté d'effectuer ce choix pour éviter une injustice. Je ne pense pas qu'un tel résultat soit juste parce qu'en fin de compte il faut expliquer à la victime, par exemple, que vous procédez par voie sommaire. Ce n'est pas non plus équitable pour la victime. Ce sont tous des gens que le système doit traiter de façon équitable et nous devons être transparents dans ce domaine. Ce qui m'inquiète, c'est que ce processus est transparent à l'heure actuelle, parce que cela se passe ouvertement en salle d'audience, mais si nous encourageons ce que j'appelle le « marchandage du choix », ce qui arrivera avec ce projet de loi, cela ne me paraît pas non plus très sain.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour vos présentations. Ma question s'adresse à Me Dufour. Je pense que Me Ouimet déclarait, il y a quelques mois ou quelques années, que l'objectif premier du Barreau du Québec est de protéger et défendre le public ou la population.

J'essaie de comprendre votre opposition au projet de loi C-10. Alors qu'au Québec 77 p. 100 de la population est d'accord à ce qu'on ait des sentences plus sévères pour les crimes plus graves, que les groupes de victimes appuient unanimement le projet de loi C-10 au Québec, j'essaie de comprendre cette espèce de dualité qui existe entre la population en général — qui a des attentes spécifiques par rapport à des sentences plus graves, à des crimes plus graves — et le Barreau du Québec, qui est un peu à côté en disant qu'il ne faut pas être trop sévère et qu'il faut laisser la chance au coureur.

Est-ce que c'est le barreau qui s'écarte de la population ou c'est la population qui s'écarte du barreau?

M. Battista : Si vous me le permettez, sénateur. Vous dites que 77 p. 100 de la population appuie l'idée des sentences plus sévères.

Le sénateur Boisvenu : Ce n'est pas moi, c'est un sondage Léger & Marketing.

M. Battista : Vous savez, il faut toujours poser la question de la personne raisonnablement bien informée.

Il y a des années, on avait fait un sondage. On avait donné des informations à un groupe d'individus, qui étaient rapportées dans les médias. On disait : « Tel crime s'est produit, voici ce que les médias ont rapporté et voici la peine que le juge a imposée. » La majorité des gens trouvait que la peine était trop basse.

Ensuite, à ces mêmes personnes, on a donné toute l'information qui avait été donnée aux juges. La majorité trouvait que la peine était trop sévère.

Ce que mon collègue vous a dit — il est un procureur de la Couronne et travaille dont tous les jours avec des victimes —, et que j'ai appris moi aussi dans mes années de pratique, c'est que très souvent, les personnes qui commettent des délits ont été eux-mêmes des victimes. Ils ont pu être des victimes dans leur jeunesse, dans leur enfance, ils ont pu être des victimes dans d'autres circonstances. Et le but d'une peine, c'est d'être juste, juste à l'endroit de tout le monde.

Tout le monde, y inclut la personne qui a fait le tort. On ne doit pas agir par vengeance, on ne doit pas agir de façon aveugle. Évidemment, la société doit se protéger. Personne ici — et le Barreau du Québec, jamais — n'a dit qu'il ne faut pas que les peines soient justes. Jamais. Le Barreau du Québec est toujours intervenu en faveur des droits des victimes, en faveur de leur place dans le système de justice. À chaque occasion qu'on a pu le faire, on l'a fait et on va continuer à le faire.

Mais ce qu'il faut retenir, c'est que les victimes ont besoin d'appui et de soutien. Les victimes ont besoin qu'on les accompagne, ont besoin que le système s'occupe d'eux. Et ce n'est pas vrai qu'en doublant une peine ou en triplant une peine, sans qu'on apporte un appui quelconque à une victime, qu'on fait quoi que ce soit pour les victimes. Et je pense qu'il faut faire attention à ces discours parce qu'on fait croire aux gens qu'on leur fait du bien alors qu'ils ont besoin d'aide et d'appui. Nous, au Barreau du Québec, c'est ce qu'on prône.

Le sénateur Boisvenu : Vous dites d'être prudent, de ne pas enlever la discrétion au juge car la discrétion qu'on laisse au juge sert la justice. J'ai feuilleté quelques sentences données dernièrement et je vais vous en soumettre une.

C'est un individu qui a violé une femme pendant 12 heures après l'avoir séquestrée. Le juge lui a donné deux sentences, la première de 18 mois pour séquestration et une pour viol. La juge avait la discrétion, il aurait pu donner des sentences plus sévères. Et le juge a décidé, comme c'était la même victime, les mêmes circonstances, que les deux sentences seraient concurrentes plutôt que consécutives.

Est-ce que la discrétion que le juge avait à ce moment-là a vraiment servi la justice? Lorsqu'on connaît notre système de libération conditionnelle où on sait qu'au Québec on libère encore au sixième pour les crimes contre la personne. Cela veut dire que l'individu en question a été libéré après trois mois. Je pense que dans ce cas, la population a eu toute l'information : deux sentences de 18 mois. Au lieu de faire 36 mois dans un pénitencier fédéral et avoir des services, il a fait 18 mois dans une prison du Québec où il n'y a aucun service, on le sait, et a été libéré après trois mois.

Est-ce que ce genre de sentence ne laisse pas dans la tête du public un message que pour certains crimes graves comme le viol, on devrait être plus sévère?

M. Battista : Avec respect, sénateur, je crois que vous illustrez ce que je disais tantôt. Vous citez un cas, comme je le disais tantôt en réponse à un de vos collègues, évidemment, quand on parle d'une agression sexuelle, c'est quelque chose d'inacceptable. Comme société on ne peut pas accepter cela et personne ne doit accepter cela. La question n'est pas là. La question est de savoir quelle était l'information? Par exemple dans ce dossier, quelle était la position du ministère public? Est-ce que le ministère public est allé en appel? Est-ce que la Cour d'appel a étudié le dossier?

On peut juger une affaire, on peut dire qu'il faut faire ceci et cela, sauf que l'imposition de la peine est un exercice qui doit s'individualiser. Je ne connais pas cet individu, je ne connais pas les faits dont vous m'avez parlé, mais j'ai confiance dans le système de justice, dans le fait que les procureurs travaillent et qu'ils travaillent très fort. J'ai confiance dans le fait que les juges — je peux vous le dire, je me sens à l'aise de le dire —, la qualité des juges aujourd'hui est, à mon avis, de beaucoup supérieure à ce qu'elle était dans le passé. Les juges sont consciencieux, sont rigoureux. Ils essaient de faire la chose juste. Et ils y réussissent la plupart du temps. Et lorsqu'ils ne réussissent pas, il y a les cours d'appel et la Cour suprême, en dernier lieu, pour régulariser le tout.

Nous ne sommes pas ici pour dire qu'il ne faut pas que les personnes qui méritent d'être punies soient punies. Ce n'est pas notre propos. Notre propos est plutôt qu'il faut que ce soit juste. Et pour ce faire, on a besoin d'êtres humains qui ont les pleins pouvoirs pour le faire et non pas des robots qui appliquent aveuglément des sanctions.

[Traduction]

Le sénateur Angus : Merci à tous de nous avoir présenté des exposés très fouillés et très stimulants. Comme vous le savez, nous étudions un projet de loi énorme qui contient neuf mesures législatives différentes. Je veux être sûr d'avoir bien compris que vos exposés — ceux de l'Association du Barreau canadien, du Barreau du Québec et également le vôtre, monsieur Kirby — portent principalement sur les peines minimales obligatoires et la suppression, ou l'inexistence, d'une disposition introduisant une soupape de sécurité sous la forme d'un pouvoir discrétionnaire.

M. MacRury : Si vous lisez les 100 pages de notre mémoire, vous constaterez qu'il couvre de nombreux autres sujets, sénateur. Je vous invite à le faire.

Le sénateur Angus : Votre exposé d'aujourd'hui était centré sur cet aspect.

M. MacRury : Avec neuf mesures législatives, il est difficile de tout couvrir en cinq minutes. Je dois admettre que notre exposé était ciblé, mais je vous invite vivement à lire notre mémoire, qui a été élaboré par nos membres, parce que c'est l'idée générale de cette mesure législative qui fait problème, et non pas un aspect particulier.

Le sénateur Angus : Exact. Y a-t-il de bonnes choses dans ce projet ou est-ce que tout est mauvais?

M. MacRury : Vous constaterez dans notre mémoire que nous félicitons le gouvernement lorsque nous reconnaissons que certains choix législatifs sont bons. Nous ne disons pas que ce projet de loi est tout à fait mauvais ou tout à fait bon et j'espère que nous avons formulé des commentaires constructifs dans notre mémoire. Encore une fois, je vous invite à le lire.

Le sénateur Angus : Je le comprends. Il faut essayer de lire autant de choses que nous pouvons sur cette question. Il y a également le fait qu'il n'est pas facile pour nous de tout lire.

J'aimerais parler de deux choses. Premièrement, pour ce qui est de cette soupape de sécurité, à la fois cette fois-ci et au moment où nous avons examiné ce projet de loi auparavant, je crois que l'un d'entre vous a déclaré que nous imitions le système américain avec la notion de peine minimale obligatoire. Personnellement, je n'en sais rien, même si j'ai pratiqué le droit pendant 50 ans. Cette notion est-elle basée sur ce qui se fait aux États-Unis? Est-ce bien de là qu'elle vient?

M. MacRury : Je ne sais pas si elle vient de là, mais nous savons, grâce aux études, que des États comme le Texas et la Californie hésitent maintenant beaucoup au sujet de l'infliction de peines minimales obligatoires.

Le sénateur Angus : Elles sont beaucoup plus extrêmes qu'ici.

M. MacRury : En fait, c'est la question des pouvoirs discrétionnaires qui fait problème. Je dirais que, d'après moi, le système actuel fonctionne bien. Il est évident qu'il faut, bien sûr, l'améliorer encore, mais nous estimons que ce projet de loi n'est pas la chose à faire.

Le sénateur Angus : Comme le président l'a fait remarquer, il y a encore un pouvoir discrétionnaire qui permet de choisir entre la peine minimale et la peine maximale, mais ce n'est pas votre argument. Vous faites remarquer que cela risque de créer de nombreuses injustices dans le cas de certaines personnes à qui le tribunal sera obligé d'infliger la peine minimale obligatoire. S'il existait une soupape de sécurité, le juge pourrait alors fixer la peine de façon appropriée, est-ce bien cela? Est-ce que cette disposition relative à une soupape de sécurité se retrouve dans une loi actuelle ou est-ce une notion relativement nouvelle?

M. MacRury : On la retrouve dans les lois actuelles d'autres pays.

Le sénateur Angus : Dans d'autres pays, oui.

M. MacRury : Bien évidemment, elle n'existe pas au Canada à l'heure actuelle.

Le sénateur Angus : Non.

M. MacRury : Cette absence de pouvoir discrétionnaire nous préoccupe, parce qu'elle va causer des injustices, si l'on pense à toutes les peines minimales obligatoires qui sont proposées. Je vous le dis, sénateur, parce que j'ai mentionné dans mes remarques préliminaires que j'ai agi comme avocat pour l'enquête Hyde et je vous invite à lire les recommandations de la juge Anne Derrick dans cette enquête. Tous les policiers qui ont témoigné au cours de cette enquête ont déclaré qu'ils s'occupaient tous les jours de personnes souffrant de troubles mentaux. Nous avons maintenant des conférences avec des policiers que nous appelons les psychiatres en bleu. Notre juge en chef fait des commentaires à ce sujet. Ce n'est pas un problème qui va disparaître. C'est un problème auquel nous faisons face depuis très longtemps. Malheureusement, le système de justice pénale ne possède pas les outils qui lui permettraient de lutter contre ce problème. En restreignant davantage nos pouvoirs, nous disposerons de moins d'outils. C'est un grave problème. Je vous invite vivement à lire ces recommandations. Nous avons besoin de pouvoirs discrétionnaires parce qu'aucune peine ne convient à tous.

Le sénateur Angus : J'ai tendance à être d'accord avec vous. Je pense que vous démontrez que tout cela est très logique. Je pense que les gens qui sont assis derrière vous sont des gens raisonnables. Ils viennent du ministère de la Justice, un bon nombre d'entre eux, et de la sécurité publique, et il y a aussi les ministres. Je sais qu'il y a eu des consultations et je sais que vous faites très sérieusement ce que vous faites et je suis fier d'être membre de votre association.

Vous êtes-vous demandé pourquoi ces personnes ont décidé de ne pas ajouter une clause contenant une soupape de sécurité? Pourquoi pensez-vous que cette solution est si évidente? Je crois que c'est là une question intéressante.

M. MacRury : L'aspect regrettable et décevant, sénateur, est que cette disposition a été proposée au cours de notre conférence cet été et que le ministre l'a rejetée moins de 24 heures après. Je ne sais pas si on y a vraiment réfléchi, pour être franc, au moins sur le plan politique, ou c'est du moins ce qui semble s'être passé pour un observateur.

Cela dit, j'ai moi aussi une grande confiance dans les personnes qui se trouvent derrière moi et je travaille avec des fonctionnaires du ministère de la Justice. Je dirais simplement que nous avons la possibilité à cette étape-ci — et je vous implore de le faire — de modifier le projet de loi, de le renvoyer aux spécialistes du ministère de la Justice pour qu'ils élaborent un mécanisme de sûreté acceptable qui permette que justice soit faite.

Le sénateur Angus : Vous avez comparé nos délibérations avec celles des différentes cours d'appel; nous accordons beaucoup de poids aux arguments des avocats.

Peu importe qui répond à ma question, mais pratiquement tous les témoins qui viennent nous parler de ces lois traitent en fait d'autres sujets que celui du projet de loi. À mon avis, j'examine le droit et le rôle qui incombe au gouvernement fédéral de légiférer en droit pénal conformément à ce qui constitue, à son avis, de bonnes orientations et de bonnes lois. Cependant, l'administration de la justice, comme nous le savons, s'effectue ailleurs, du moins en partie.

Tout le monde dit que, si ce projet de loi est adopté, il va surcharger le système, et que ce n'est pas bon pour le système de justice pénale canadien, que cela va le bloquer — beaucoup de mots de ce genre. « Il va surcharger le système » est une affirmation que je peux comprendre. J'écoute les témoignages. Notre système est déjà surchargé à l'heure actuelle, même sans les lois proposées.

Je ne pense pas que ce soit un bon argument de dire que ce projet de loi va surcharger le système. Je crois qu'il faut aussi régler ce problème et obtenir les fonds nécessaires. Les provinces et le gouvernement fédéral doivent se réunir et s'attaquer à la surpopulation des prisons, au manque de juges, au manque de poursuivants et tout le reste. Tout le monde dit que quelles que soient les améliorations apportées au droit actuel, que ce soit dans le domaine des drogues, des mauvais traitements aux enfants ou des infractions sexuelles, tout cela surcharge le système. C'est peut-être une bonne loi, mais il est dommage que les prisons ne soient pas en mesure d'accueillir toutes ces personnes, les dossiers vont s'accumuler devant les tribunaux et le reste, que je ne conteste pas. J'entends ce que vous dites et je vous crois, mais ne s'agit-il pas là d'un aspect distinct?

M. Battista : Vous remarquerez que nous n'avons pas centré notre mémoire sur cet aspect. Lorsqu'on présente ce genre d'arguments, on pense à l'aspect coût-avantage. Autrement dit, quel est l'avantage que nous espérons retirer de ce projet de loi? S'il n'y en a pas et que nous voyons les coûts qui y sont associés, c'est peut-être un argument qui vous convaincra de ne pas aller de l'avant avec une mesure qui n'offre aucun avantage réel. Cette mesure comporte de nombreux éléments négatifs, comme nous l'avons vu sur le plan de la proportionnalité et des injustices qu'elle peut causer dans des cas individuels, et il faut comparer cela aux effets et aux conséquences.

Si vous le permettez, vous avez demandé s'il existait d'autres problèmes. Nous avons également fait des commentaires. Nous avons également appuyé l'idée de créer une sorte de soupape de sécurité qui permettrait aux juges de ne pas imposer des peines minimales lorsque les circonstances le justifient. Nous n'utilisons pas nécessairement le même langage et nos commentaires ne touchent pas uniquement les cas où il y a des problèmes de santé mentale, par exemple. Je ne pense pas que ce soit ce que vous dites, mais ce sont là des exemples. Nous sommes tout à fait en faveur d'une telle mesure.

Les juges possèdent toutefois un certain pouvoir discrétionnaire, même s'ils doivent justifier son exercice, expliquer leur décision, la présenter par écrit, ce qui est très bien, mais il devrait y avoir un mécanisme de sûreté.

Si je regarde l'ensemble, j'aimerais parler de deux autres aspects. L'un est la réhabilitation. Ce projet de loi va même plus loin que certaines modifications qui ont été apportées récemment au mécanisme des demandes de réhabilitation.

Avec ce projet de loi, il y a aura des situations où des gens ne pourront jamais obtenir leur réhabilitation, même s'ils ont purgé leur peine. Il pourrait y avoir des gens qui sont tout à fait réadaptés, qui représentent des actifs, mais qui ne pourront obtenir leur réhabilitation et il faudrait tenir compte de cet aspect pour évaluer les effets à long terme du projet de loi.

Nous avons également formulé des commentaires importants au sujet des mesures touchant les jeunes contrevenants. M. Trahan est ici pour répondre à vos questions, si vous voulez soulever des aspects particuliers. Cet aspect nous préoccupe également beaucoup. Il y a d'autres choses, mais ce sont là les deux principaux points.

Ma dernière remarque, si vous le permettez, touche le transfèrement des prisonniers. C'est une réalité. Malheureusement, il arrive que des Canadiens commettent des infractions au Canada, mais que, parfois, ils les commettent à l'étranger. Cela est regrettable, mais cela arrive. Il s'agit parfois d'une première infraction et parfois d'un contrevenant primaire qui est emprisonné dans un pays étranger. Avec ce projet de loi, il me semble que le processus à suivre pour revenir au Canada et purger sa peine au Canada sera beaucoup plus complexe, beaucoup plus difficile; il accorde un pouvoir discrétionnaire subjectif au ministre et supprime les critères objectifs, ce qui nous inquiète tous.

[Français]

Le sénateur Joyal : Je voudrais soumettre à votre considération la question de la constitutionnalité de certains des projets de loi contenus dans le projet de loi C-10.

À mon esprit, il y a quatre aspects de ce projet de loi qui peuvent faire l'objet d'une contestation sur les bases de la constitutionnalité. Le premier, c'est le dernier que vous avez exprimé, à savoir que dans certains cas, les sentences minimum pourraient être un déni des principes fondamentaux de la justice.

À l'article 7 de la Charte, il y a si, je ne m'abuse, un cas actuellement d'une décision — je crois que c'est en Ontario — qui a été rendue l'année dernière, d'un juge qui a refusé d'appliquer une sentence minimum sur la base du principe que le résultat serait tellement outrancier qu'il équivaudrait à un déni de justice. Je crois que le gouvernement a appelé de cette décision, mais à mon avis, c'est une illustration très claire que, dans certaines circonstances, l'application d'une peine minimum serait contraire à la Charte.

Le deuxième exemple est relié à la Loi sur les jeunes contrevenants et j'aimerais beaucoup entendre M. Trahan à ce sujet. La Cour suprême du Canada, dans la dernière décision impliquant, à ma connaissance, la Loi sur les jeunes contrevenants, est en 2008, R. c. D.B. Vous connaissez certainement cette décision. La Cour suprême a reconnu la constitutionnalité des articles 62, 63, 64 et 72 de la Loi sur les jeunes contrevenants alors que le projet de loi aboli ces articles. Je peux vous donner la référence du projet de loi. Vous connaissez certainement le texte de la loi là-dessus.

Ma question est la suivante : dans la mesure où on rapproche le système de justice criminelle pour les adolescents au point où il se confond avec le système de justice pénale pour les adultes, à mon avis, on va à l'encontre d'un des principes fondamentaux qui reconnaît la non-responsabilité juridique égale d'un adolescent à celle d'un adulte.

[Traduction]

Mon troisième point touche les suggestions qu'ont faites M. Kirby et M. MacRury selon lesquelles le projet de loi introduit tellement de peines minimales qu'en réalité, l'arrêt Gladue sera pratiquement vidé de sa substance. La portée de ces dispositions est tellement large que finalement les principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Gladue seront dépourvus d'effet.

Ne s'agit-il pas là d'un cas où il serait possible de contester la loi en se fondant sur l'argument constitutionnel selon lequel il y a une discrimination systémique, celle que la Cour a examinée dans Gladue, et qui contrevient à un principe impératif dans l'infliction des peines aux Autochtones?

Le président : Pouvons-nous commencer avec cette question?

Le sénateur Joyal : Oui.

M. Kirby : Je vais répondre brièvement à votre dernière remarque et ma réponse est oui. J'estime qu'il y a deux aspects, si l'on ajoute à cela la remarque qu'a faite le sénateur Baker. Il est possible de présenter un argument fondé sur l'article 12, les peines cruelles et inusitées. Il y a peut-être un argument constitutionnel plus simple selon lequel ce projet de loi pourrait, dans certains cas, priver d'effet l'alinéa 718.2e) du Code criminel, tel qu'interprété dans Gladue.

[Français]

Dominique Trahan, représentant, Barreau du Québec : Au niveau de l'inconstitutionnalité de certaines des dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, effectivement, l'arrêt que vous avez mentionné, R. c. D.B., apporte des précisions et qualifie comme valable certains des articles. Je rajouterai au niveau de cette possibilité, toute la levée de l'interdit de publication des noms des adolescents.

Dans ce contexte, on est en train de créer, à l'intérieur d'une loi d'exception qui s'applique à des adolescents de 18 ans et moins, une exception qui les associe à des adultes à l'avance. Si jamais la peine à laquelle ils feraient face est une peine d'adolescents, on pourrait, dans la mesure où c'est une infraction grave avec violence ou une infraction avec violence, faire en sorte qu'on publie leur nom. À des étapes où le processus judiciaire n'est pas encore terminé, on fait défaut du droit d'appel, entre autres, et la catégorie des infractions pour lesquelles les jeunes sont susceptibles de faire face à ce processus est tellement élargie que quand on parlait publiquement de 3 p. 100 des jeunes — je considère que c'est une affirmation qui est erronée — techniquement parlant, il est écrit noir sur blanc que tous les jeunes susceptibles de recevoir une peine spécifique ou pour les adolescents qui ont fait l'objet d'une accusation grave avec violence, dans ce contexte, le pourcentage, selon moi, au niveau de la pratique courante, est beaucoup plus élevé que cela.

Il me semble qu'on est à côté, et il est fort possible que ce soit une disposition qui est attaquable.

[Traduction]

M. MacRury : Sénateur, vous avez fait une excellente remarque. Je pense que personne ne sera surpris de savoir que ce projet de loi fera l'objet de contestations constitutionnelles pour un certain nombre de raisons, mais certainement en se fondant sur le principe de l'arrêt Gladue, mais également sur le principe des peines cruelles et inusitées. Il me paraît regrettable qu'il faille en arriver là avant de penser à modifier un projet de loi pour régler ces situations. J'estime toutefois qu'il serait naïf de penser que cela ne se produira pas. Ce projet de loi ouvre la porte à ce genre d'arguments.

[Français]

M. Trahan : Un peu dans le même sens, ce que cela crée, particulièrement chez les adolescents, où vous avez des jeunes qui peuvent avoir 16, 17 ans qui seront accusés et dans le processus judiciaire ils vont devoir contester. Ces contestations sont longues, d'une durée épouvantable, bloquent le système, ce qui fait en sorte qu'on a des décisions finales alors que les adolescents sont rendus à 22 ans. Qu'est ce qui arrive avec eux? On a manqué notre coup parce que ce n'était pas ce qu'il fallait faire. Il fallait s'en occuper et les réhabiliter.

[Traduction]

Le président : Sénateur Joyal, nous allons devoir passer à l'intervenant suivant et je pourrais vous inscrire pour le deuxième tour de question, si nous avons le temps.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse aux représentants du Barreau du Québec. Il n'est pas anecdotique que des criminels aient choisi le Canada pour exercer leurs activités comme le trafic de la drogue, la fraude, l'abus auprès des personnes âgées. Ils le font parce qu'ils connaissent le peu de risque d'emprisonnement qu'ils encourent au Canada. Une sentence doit être dissuasive, certes, favoriser la réhabilitation, comme vous l'avez mentionné, mais elle doit être aussi punitive. Ce n'est pas parce qu'on est convaincu qu'un meurtrier ne tuera plus qu'il doit bénéficier de sa liberté.

Le Barreau du Québec semble favoriser un système dans lequel un criminel a le loisir — comme c'est le cas actuellement — de négocier un plaidoyer de culpabilité juste pour éviter l'emprisonnement même pour des crimes graves. Cependant, dans les faits, l'aveu de culpabilité ne diminue en rien la gravité du crime commis.

Croyez-vous sincèrement que par ce genre de disposition l'on favorise une bonne confiance du public dans le système jurdiciaire?

M. Battista : J'ai mal saisi la dernière partie de la question.

Le sénateur Dagenais : Autrement dit, le système actuel favorise-t-il une bonne confiance du public dans le système judiciaire?

M. Battista : Je vous dirais que, oui, et aussi qu'il faut pour cela s'adresser au public bien informé.

Vous avez évoqué la fraude et le trafic de drogue, les crimes de violence. Je ne vous apprendrai rien, monsieur le sénateur, vous avez été policier dans votre carrière, que ce que vous avez décrit, malheureusement, se retrouve dans tous les pays de la terre. Ce que vous avez décrit se retrouve aussi dans des États américains où, par exemple on applique des peines minimales, dans des États où on applique la peine de mort et dans des États qui parfois sont l'un à côté de l'autre. On a constaté que les peines et les sentences qu'on peut imposer n'ont aucune incidence. Dans les États où on exécute des personnes qui commettent des meurtres, l'incidence du meurtre monte ou baisse parfois de façon équivalente aux endroits où on ne le fait pas.

La question, en tant que société, le système de justice, est : quelle approche doit-on prendre? Que souhaitons-nous faire? Souhaitons-nous miser sur le fait que la personne qui est devant le tribunal puisse être réintégrée, mettre toutes les chances de notre côté comme société, pas juste du côté de la personne qui a commis le crime? Quand on parle de la protection du public et de la protection de la société, on doit penser en termes de réinsertion de cette personne. Est-ce qu'on va en faire un actif? On ne dit pas qu'on peut toujours faire de ces personnes des actifs, nos prisons sont pleines. Ce n'est pas vrai que les gens ne vont pas en prison. La question est de savoir si on peut faire un actif d'un individu et est-ce qu'on doit le faire? Notre position, c'est oui.

On dit que les juges sont les mieux placés pour prendre de telles décisions. Donc bien expliqué et bien compris, le public canadien doit avoir confiance dans le système de justice.

Nous avons des juges qui sont indépendants. Nous avons un système judiciaire qui s'est perfectionné avec les années. Tout est perfectible. On peut tout améliorer, mais nous avons des juges qui sont solides et indépendants, et qui agissent selon le droit, selon la loi, selon la règle de droit et c'est vers cela qu'on doit tendre. C'est ce qu'on pense.

Le sénateur Dagenais : Dans l'ordre de vos priorités, où placez-vous les besoins, vos priorités d'apparence de justice pour les victimes? On parle beaucoup des prévenus, de la justice pour récupérer ces gens. Il faut penser aux victimes aussi.

M. Battista : Nous avons toujours préconisé que les victimes aient une participation et un rôle dans le processus judiciaire. Quand j'ai commencé à pratiquer, les victimes n'étaient pas du tout considérées dans le système de justice. Les victimes étaient des témoins ordinaires. Aujourd'hui, ce n'est plus la même situation.

Malheureusement, parfois, le système étant ce qu'il est, la machine étant ce qu'elle est, la participation, la présence, l'information ne sont pas toujours au rendez-vous, et c'est regrettable.

Mon expérience, et je suis un avocat de la défense depuis 25 ans, est que dans tous les cas, quand les personnes comprennent bien ce qui passe, sont informées, sont impliquées dans le processus, elles sortent du processus avec une meilleure compréhension et, je crois, comprennent le fonctionnement du système de justice, ce qui se passe et, je crois, l'accepte aussi. Malheureusement, il arrive trop souvent des situations où les gens n'ont pas tout l'appui dont ils devraient bénéficier, pas tout l'accompagnement requis, toutes les ressources mises à leur disposition et qu'on devrait mettre à leur disposition. Donc leur rôle en souffre et leur compréhension du processus en est affectée.

Je suis avec vous sur cette question, mais je ne crois pas qu'en augmentant des peines et en envoyant des gens en prison plus longtemps, on règle cet aspect et ce problème qui est un vrai problème qui doit être traité.

M. Trahan : Sur le même sujet, en matière de justice pénale pour les adolescents, il y a un mécanisme prévu qui s'appelle « les sanctions extrajudiciaires », qui est administré par le directeur provincial, donc des agents de probation, des travailleurs sociaux qui, à l'occasion, ont la possibilité pour des crimes parfois sérieux d'asseoir les accusés, les parents des accusés avec la victime et d'en venir à une information pour dire, « moi je me suis senti comme cela quand vous m'avez attaqué. Moi, j'ai subi cela. »

La victime l'explique, l'adolescent l'apprend, les parents écoutent et tout le monde en bénéficie. Ce sont des processus qui n'impliquent pas nécessairement de la détention et de la garde. Toutefois, ils sont aussi utiles et appliqués au quotidien.

[Traduction]

Le président : Nous allons probablement dépasser l'horaire prévu pour cette séance et je vais la prolonger aussi longtemps que je le peux parce que vos commentaires nous sont vraiment très utiles.

[Français]

Le sénateur Chaput : J'ai déjà fait part de certaines préoccupations à l'égard du projet de loi C-10. J'aimerais les répéter brièvement aujourd'hui.

Ma première préoccupation est le peu de ressources disponibles aux victimes. Ma deuxième est l'absence de considération aux circonstances particulières des jeunes contrevenants. Ma troisième est le délaissement d'un système axé sur la réhabilitation au profit d'un système axé sur l'emprisonnement.

Suite aux discussions que nous avons eues ici, en comité, je crois que le projet de loi C-10, tel qu'il est présenté et formulé, aggrave l'incarcération d'un nombre disproportionné d'Autochtones. C'est ce que nous avons entendu la semaine dernière et encore aujourd'hui.

J'aime me concentrer sur des éléments de solution. Mes questions seront brèves. Ma question s'adresse à M. Kirby. Quelles initiatives ou mesures pourriez-vous citer ont été les plus utiles, dans vos communautés autochtones, dans votre lutte contre la criminalité et le récidivisme? Y a-t-il des initiatives ou mesures qui ont été positives?

[Traduction]

M. Kirby : À Pikangikum, par exemple, il y a beaucoup de jeunes qui inhalent de l'essence et il y a un programme qui envoie les jeunes de la collectivité suivre un traitement à Thunder Bay, au Manitoba et en Saskatchewan. Ce n'est pas une solution parfaite, mais c'est une solution. Il existe également des programmes de traitement des délinquants sexuels. Il n'y a pas suffisamment de programmes de ce genre. Nous avons un programme pour partenaires violents dans les zones urbaines; ces programmes n'existent pas dans les collectivités des Premières nations. Il faudrait des travailleurs en justice réparatrice dans ces collectivités, et il faudrait que les conseils de bande participent au processus pour qu'ils décident d'introduire dans leurs collectivités ces mécanismes de justice réparatrice. Ce serait là les trois choses que je mentionnerais.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma dernière question s'adresse au Barreau du Québec. À la page 10 de votre rapport, vous avez indiqué que 97 p. 100 des personnes ayant obtenu un pardon n'ont pas récidivé.

Existe-t-il un risque que les personnes, qui ne sont plus éligibles à une demande de pardon, puissent récidiver à un taux supérieur à 3 p. 100 — pourcentage de personnes qui, selon vous, ont obtenu un pardon et ont récidivé? Y a-t-il danger, si elles sont incarcérées plus longtemps, que ce taux, qui est tout de même positif, change? Vous dites que 97 p. 100 de ces personnes, qui ont obtenu un pardon, n'ont pas récidivé. Ai-je bien lu?

M. Battista : Ces statistiques ont été publiées par les agences gouvernementales. À notre avis, ce n'est pas une question d'incarcération. La demande de réhabilitation permet aux gens de réintégrer la société.

Par exemple, pour un grand nombre d'emplois, on demande aux personnes si elles ont une condamnation ou un casier judiciaire. On dit alors que si vous avez obtenu un pardon, vous n'êtes pas obligé de répondre à cette question. On parle des possibilités d'emploi et de réintégration pleine comme citoyen dans une société.

Prenons l'exemple de personnes qui, pendant cinq ou dix ans, se sont comportées de façon tout à fait adéquate, mais qui ont commis une, deux, trois, quatre erreurs de jeunesse, comme cela arrive. Des personnes, entre l'âge de 19 ans et 22 ans, peuvent avoir connu un moment plus difficile. Elles se sont ressaisies et ont maintenant 35 ans. Ces personnes devraient pouvoir bénéficier de toutes les possibilités qui s'offrent à elles pour réintégrer la société. Nous craignons qu'en excluant ces personnes de possibilités, nous nous privions de leurs acquis et favorisons le fait qu'elles ne s'intègrent pas. Quelles options alors leur laisse-t-on?

Lorsqu'on met une personne en prison, on ne l'envoie pas parmi des gens qui l'aideront à se réintégrer dans la société. On augmente les possibilités que cette personne entretienne de moins bonnes fréquentations.

C'est en ce sens qu'il faut voir le problème. La réhabilitation est une mesure qui vise à permettre aux gens de participer pleinement à la société. C'est un avantage pour la société, c'est un bien public. Et donc, on écarte cet avantage en privant les gens de la possibilité de réhabilitation, dans certains cas de façon absolue.

Mme Dufour : La statistique qui figure à la lettre du Barreau était une façon pour nous d'indiquer que le système actuel de réhabilitation fonctionne.

[Traduction]

Le sénateur Frum : Monsieur Battista, dans une de vos réponses au président, vous avez déclaré que le code en matière de détermination de la peine contenait déjà des paramètres raisonnables et que c'était là une des raisons pour lesquelles vous vous opposiez à ce projet de loi. Il me paraît nécessaire de dire ou d'expliquer que les peines minimales obligatoires font déjà partie de notre arsenal de peines, et que le projet de loi C-10 n'a pas inventé les peines minimales obligatoires; il les introduit certes pour certains crimes et les aggrave pour d'autres. Il ne crée pas une nouvelle notion. On dirait à entendre les gens parler que cela est tout nouveau.

M. Battista : Notre position a été toujours de s'opposer aux peines minimales quelles que soient les circonstances. Chaque fois que des gouvernements ont proposé ces peines — non seulement le gouvernement conservateur, mais le gouvernement libéral a fait la même chose — nous nous y sommes opposés à ce moment-là et nous nous y opposons aujourd'hui. C'est une question de principe. C'est une question de conception des peines. Vous avez raison de dire que ce projet de loi n'a pas inventé cette mesure, mais il l'applique de façon très générale à toute une série d'infractions. C'est ce qui est nouveau dans le système.

Autrement dit, on aurait pu soutenir auparavant que nous ciblions certaines façons très particulières de commettre quelques infractions — avec une grande violence ou un risque de violence, utilisation d'armes, arme chargée, et cetera. C'était l'explication. Même dans de telles circonstances, nous estimons que les juges devraient pouvoir disposer d'une certaine latitude parce que chaque affaire est différente. Ces mesures étaient isolées, mais le projet de loi a une portée très générale. Il s'applique automatiquement à toute une série d'infractions.

Le sénateur Frum : Cela touche deux grands domaines, les crimes sexuels et les crimes reliés aux drogues. Ce n'est pas toute une série d'infractions; ce sont là deux domaines très particuliers de la criminalité. Lorsque j'ai étudié cette question, j'ai été frappée par le fait que nous parlions encore une fois de proportionnalité et des limites raisonnables déjà en place. Je n'ai pas de données statistiques, mais j'ai une fille de huit ans. Lorsque je vois cela, la production et l'impression de pornographie juvénile, la transmission et la distribution, ainsi que la possession de cette pornographie, je constate que la peine minimale obligatoire — parce qu'il y en a déjà une pour ces crimes — est de 45 jours pour certains de ces crimes ou de 90 jours. Nous proposons une peine de six mois. Cela nous amène à parler de proportionnalité et de limites raisonnables. Je pense que cela dépend en fait de notre conception personnelle de la justice et il me semble que 90 jours pour produire et distribuer de la pornographie juvénile n'est pas proportionné. C'est une peine disproportionnellement faible.

M. Battista : Vous avez raison si vous examinez l'infraction et si vous dites : « Eh bien, cette infraction est grave et elle mérite donc d'entraîner une peine sévère. » Les juges doivent toutefois punir la personne qui a commis l'infraction et cette infraction peut être commise de différentes façons. La personne qui a commis l'infraction avait peut-être toutes sortes de raisons de la commettre. Cela ne la justifie pas, mais il y a des raisons qui expliquent davantage son comportement.

Vous avez entendu mon collègue dans la salle expliquer qu'il y a beaucoup de gens qui souffrent de troubles mentaux et qui ne sont pas nécessairement criminellement responsables; mais ils ne sont pas non plus des personnes stables et il leur arrive de faire des choses qui ne doivent pas se faire. La question est de savoir ce qu'il faut faire avec ces personnes.

Il y a des gens qui ont un emploi et qui sont pour le reste de bons citoyens, mais qui ont fait une grave erreur, une erreur de jugement. Les juges et les poursuivants examinent la situation de ces individus et décident ce qui est dans l'intérêt public et quelle est la peine appropriée. Lorsque les gens méritent d'aller en prison, ils y vont.

Ce projet de loi ne dit pas que les récidivistes doivent aller en prison. Il affirme que toute personne inculpée de l'infraction X doit recevoir cette peine minimale, quelles que soient les circonstances. C'est le problème que pose ce projet de loi. Nous ne disons pas que les gens qui commettent ces infractions ne sont pas traités de façon appropriée dans le système. Ce n'est pas ce que nous disons. Nous nous opposons à ce qu'une infraction particulière déclenche une réponse automatique.

Le sénateur Frum : Je reviens toujours à la proportionnalité. Dans toutes les circonstances que vous avez décrites, lorsque la personne n'est pas en bonne santé, il est évident qu'elles ne le sont pas si elles commettent ce genre de crime. Je ne pense pas que de leur imposer une peine légère pour qu'ils puissent ensuite récidiver soit dans l'intérêt des enfants ou dans celui de la société.

M. MacRury : Sénateur, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que le projet de loi vise uniquement les vendeurs de drogue et les gens qui exploitent les enfants. Comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire, il vise également les personnes qui commettent une faute de plus de 5 000 $. Si vous ne pensez pas que ces infractions sont graves, vous devriez peut-être alors examiner celles qui sont visées par le projet de loi.

Aux termes du Code criminel, toute infraction passible d'une peine maximale de 14 ans ne peut entraîner une peine d'emprisonnement avec sursis. C'est une règle évidemment bien plus large que...

Le sénateur Frum : Ce n'est pas une peine minimale obligatoire. Cela supprime l'emprisonnement avec sursis.

M. MacRury : L'effet est le même.

Le sénateur Frum : C'est toutefois un aspect différent.

M. MacRury : Je dirais également que j'agis comme poursuivant dans les dossiers de pornographie juvénile. Je peux vous dire que, comme poursuivant, nous les prenons très au sérieux. Nous les prenions très au sérieux avant le dépôt de ce projet de loi, c'est pourquoi je ne vois pas où est la différence. Nous disposons déjà des outils qui nous permettent de sanctionner ces prédateurs, parce que c'est ce qu'ils sont. Les tribunaux prennent ce genre d'infraction également très au sérieux.

Il y a toute une série d'affaires — que ce soit devant la Cour suprême du Canada, ou de ma cour, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse — qui contiennent de grandes déclarations sur cette question à propos de la gravité de l'infraction. Je me permets d'affirmer que les praticiens disposent déjà des outils qui leur permettent d'intervenir dans ces cas-là.

Le sénateur Frum : Quelle est la valeur que notre société attribue aux enfants lorsque notre code actuel prévoit que la personne qui commet ce genre d'infraction contre un enfant va en prison pour 60 jours? Quel est le message ici?

M. MacRury : En tant que poursuivant, je tiens compte de la gravité de l'infraction, et non pas de la question de savoir s'il s'agit d'une peine minimale ou maximale. La peine dépend essentiellement des faits de l'affaire et c'est l'aspect que nous examinons.

Ce que nous disons à notre société, tout comme la Cour suprême du Canada l'a dit, c'est que notre Cour suprême applique probablement les lois relatives à la pornographie juvénile qui sont les plus sévères au monde, plus sévères que celles des États-Unis. Par exemple, aux États-Unis, elles ne visent pas le morphage des images en matière de pornographie juvénile, alors qu'au Canada elles les visent.

J'aimerais vous dire que nous devrions probablement commencer par faire savoir à tout le monde que nous avons des lois sévères, parce que c'est le cas. C'est là la différence. On laisse entendre à tort que nous ne défendons pas nos enfants. Je peux vous dire que nous le faisons.

Le sénateur Frum : Monsieur Kirby, pour ce qui est de l'idée de supprimer l'emprisonnement avec sursis pour les infractions sexuelles, vous soutenez que cela serait mauvais, parce qu'avec le système actuel, vous pouvez amener les accusés à plaider coupable.

M. Kirby : Oui.

Le sénateur Frum : Nous avons fait une étude, avant le dépôt du projet de loi C-10 sur la façon d'amener les victimes à signaler plus fréquemment les agressions sexuelles. Nous avons appris que certaines victimes s'abstiennent de signaler ces infractions parce qu'elles craignent que leurs auteurs obtiennent une peine légère et retournent dans la société très rapidement; les victimes sont épouvantées par cette possibilité. Nous avons également entendu que, lorsqu'elles pensent que le contrevenant vivra près de chez elles et qu'elles l'ont dénoncé, elles vont simplement aggraver le risque de violence à leur endroit. J'aimerais que vous répondiez à cela.

M. Kirby : Premièrement, le juge Barry Stuart est passé à la radio CBC il y a quelques semaines. Il a été juge au Yukon pendant des années. Il a finalement pris en compte le fait que les contrevenants retournent toujours dans leur collectivité. Il importe donc peu que vous leur donniez une peine d'emprisonnement d'un, de deux ou de trois ans; ils vont toujours revenir. L'important est de veiller à ce qu'ils reçoivent de l'aide entre-temps.

Pour revenir à la question des peines minimales obligatoires, est-il préférable d'imposer une peine de 60 jours pour une infraction sexuelle mineure contre un enfant ou d'imposer un emprisonnement avec sursis de 18 mois, ce qui permet à l'accusé de suivre un programme de traitement des délinquants sexuels? L'accusé n'aura pas accès à un traitement pour les délinquants sexuels avec une peine de 60 jours. Il n'en aura pas non plus avec une peine de six mois, et peut-être pas non plus avec une peine de neuf mois. Nous savons que, lorsque nous envoyons des gens au pénitencier, ils ne suivent leur traitement qu'à la fin de leur peine; cela est donc un problème.

Pour revenir à votre première remarque, je n'ai pas de réponse satisfaisante à vous offrir. Personne ne peut vous en fournir une. Il y a toujours la crainte que le contrevenant retourne dans la collectivité de la victime. Pour que la victime se sente en sécurité, je pense que celle-ci aimerait savoir que le contrevenant a suivi un traitement et que le traitement a réussi. C'est peut-être la meilleure réponse que je puisse donner à cette question.

[Français]

Le sénateur Chaput : J'aurais une question complémentaire à la première question posée par le sénateur Frum concernant la protection de nos enfants. J'abonde dans la direction des propos du sénateur.

Si nous n'étions pas saisis du projet de loi C-10, les prédateurs, ceux qui abusent de nos enfants, seraient-ils traités de la même façon ou moins sévèrement? Le projet de loi C-10 permet-il d'être plus sévère envers les prédateurs?

M. Battista : À mon avis, le projet de loi C-10 ne changera rien aux prédateurs. Les prédateurs reçoivent les peines et les sentences qui s'appliquent à ces situations. Les minimums ne changeront rien, car ils ne s'appliquent pas à ces gens. Quand les minimums s'appliqueront à des personnes qui se retrouvent devant les tribunaux pour une première fois, les personnes qui pourraient ne pas aller en prison, ces gens vont maintenant être envoyés en prison. Mais celles qui sont, aujourd'hui envoyées en prison, continueront de l'être. Qu'il y ait des minimums ou non, cela ne changera rien. Si vous me demandez si les minimums vont mieux protéger les enfants, je crois que c'est un non pertinent. Le malheur est qu'on peut, à la longue, faire en sorte que des personnes qui pouvaient être réhabilitées ne le seront pas. On peut manquer le bateau avec un grand nombre d'individus inutilement.

Le sénateur Chaput : Est-ce que la réhabilitation ne s'applique pas vraiment aux prédateurs sexuels des enfants? Souvent, ces personnes ne sont pas réhabilitables, n'est-ce pas?

M. Battista : Une peine minimale ne fera absolument rien à cet égard, mais c'est plutôt des suivis que la société a besoin de faire. Ce sont des encadrements.

[Traduction]

Le sénateur Lang : Je sais que le temps passe, mais j'aimerais faire quelques remarques.

M. Kirby a fait référence au Yukon et à M. Stuart. Je suis le sénateur du Yukon et j'ai vécu là toute ma vie. Je connais très bien cette région.

Dans le cas des prédateurs sexuels, des circonstances et des valeurs de notre société qui ont été violées, j'estime — et aucun d'entre vous ne semble nous avoir présenté cette recommandation — que nous devrions peut-être adopter une loi qui prévoit que dans ces cas extrêmes, les prédateurs ne retourneront jamais dans la collectivité. C'est une mesure très simple qui réglerait ce problème.

J'aimerais passer à autre chose. J'aimerais passer à un autre aspect dont j'aimerais parler. J'ai écouté un certain nombre de vos exposés, et cela fait deux ans et demi que j'écoute ces exposés. Nous parlons très rarement de la victime. Nous parlons du système juridique, du contrevenant et des conséquences pour le contrevenant. Le projet de loi à l'étude traite jusqu'à un certain point de la victime et des conséquences pour la victime. Ce que je ne comprends pas, c'est que nous tenons des conférences fédérales-provinciales depuis cinq ans au sujet de ce projet de loi. Il regroupe neuf mesures législatives. Celles-ci ont été débattues de diverses façons et devant diverses instances au cours des cinq dernières années. Elles ont été acceptées pour la plupart dans l'ensemble du pays.

Vous avez déclaré, monsieur Battista, que le système judiciaire fonctionnait bien et que vous en étiez satisfait. Pourtant, au cours des dix dernières années, les gens qui ont été touchés, à savoir les victimes, estiment que les contrevenants n'ont pas connu les conséquences de leurs actes et ils ont été obligés de constituer des organismes appelés groupes d'aide aux victimes. Qu'est-ce que cela nous apprend? Cela nous apprend-il pas qu'il y a une bonne partie de la population qui estime que le système judiciaire ne fonctionne pas et que nos lois doivent veiller à ce que tous ces actes entraînent des conséquences graves de façon à ce que la population reconnaisse que l'on s'occupe de nos droits et de notre sécurité? J'aimerais entendre la réponse de l'Association du Barreau canadien ainsi que celle de M. Battista, si cela est possible.

M. MacRury : Excusez-moi, mais je suis tout à fait en désaccord avec votre affirmation. Premièrement, sur le plan personnel, je défends les victimes tous les jours, je vous le dis franchement, que ce soit lorsque je mène des poursuites dans les affaires de meurtre ou de vol à l'étalage. Cela fait longtemps que je le fais. Je me suis occupé personnellement de la mise en œuvre de la première loi d'aide aux victimes en Nouvelle-Écosse. Notre système juridique a beaucoup évolué sur le plan de la participation des victimes, qui a été grandement renforcée, ce qui est une bonne chose pour notre système. Je suis en faveur de ces mesures, mais il ne s'agit pas de demander justice pour les victimes. Il n'y a pas « nous » et « les autres ». Il faut que justice soit faite pour tous ceux qui participent au système. L'ABC croit effectivement que oui, vous donnez l'impression d'accorder davantage de droits aux victimes avec ce projet de loi.

Nous avons tout à l'heure parlé de ressources. Sans ressources supplémentaires, je peux vous dire que les victimes ne seront pas très satisfaites de voir des accusations retirées pour cause de retard. Il ne servira à rien de vous dire : « Nous vous l'avions dit », à ce moment-là. La réalité est que le système n'est pas en mesure de mettre en œuvre ce projet de loi. Si vous vous intéressez aux victimes, je vous suggère de trouver des fonds pour la mise en œuvre de ce projet de loi plutôt que de dire que ce n'est pas notre responsabilité constitutionnelle, mais celle des provinces. Permettez-moi de vous dire que vous devriez également être clair sur ce point. Sur le terrain, il n'y a pas de ressources pour mettre en œuvre ce projet de loi et vous allez susciter de fausses attentes chez les victimes, ce qui n'est pas juste.

Le sénateur Fraser : Je pense que le sénateur Lang voulait également entendre la réponse du Barreau du Québec.

M. Battista : Permettez-moi de vous dire que je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que ce projet de loi traite des victimes. Je ne pense pas que ce projet de loi aborde vraiment la question des victimes. Il mentionne que les victimes peuvent assister aux audiences relatives aux libérations conditionnelles. Cependant, dans les modifications au Code criminel sur la protection des adolescents, il n'y a aucune mention des victimes. Ce projet de loi traite uniquement des peines, des peines qui ne peuvent plus être imposées, des mesures qui ne peuvent plus être prises à l'égard des personnes accusées de certaines infractions. Il ne mentionne par contre aucunement les victimes.

Dans mes exposés et mes commentaires, j'ai parlé de la question des victimes et le Barreau est depuis longtemps en faveur des droits des victimes dans le processus et dans le système judiciaires. Nous disons que les victimes ont besoin de soutien et d'aide. Lorsqu'une personne a été violemment agressée, elle a besoin de thérapie, et il faut l'inciter à suivre une thérapie et la lui offrir. Si le gouvernement fédéral veut imposer ce projet de loi aux provinces, par exemple, il pourrait peut-être au moins fournir de l'argent pour ce genre de mesures. Nous allons trouver des fonds pour aider les victimes à participer au processus. Lorsque les victimes ont subi des dommages personnels, une perte matérielle ou une perte affective, elles ont besoin de soutien. Elles n'ont pas besoin qu'on impose une peine particulière à l'accusé. Vous pouvez imposer à l'accusé la peine que vous voulez; il faut que la personne qui a besoin d'aide puisse l'obtenir et ce projet de loi n'en parle pas, permettez-moi de le mentionner, sénateur.

Le sénateur Lang : Excusez-moi, mais le projet de loi répond à la plupart des demandes qu'ont formulées les groupes d'aide aux victimes. Ils veulent un cadre législatif dans lequel les délinquants doivent rendre compte de leurs actes et en subir les conséquences, plutôt que bien souvent, voir le délinquant s'en sortir. C'est ce que je pense et je ne souscris pas à votre remarque, si vous le permettez.

J'aimerais aborder un autre point, si cela est possible. Nous avons parlé des retards. Je crois que peu importe les lois que nous allons adopter maintenant, d'après ce qu'a dit M. MacRury; nous ne sommes pas en mesure de traiter les dossiers judiciaires actuels et ce projet de loi va en augmenter le nombre. Mais au moins, je serais satisfait de savoir qu'en fin de compte, il y aura des conséquences si un dossier donne lieu à un procès.

J'aimerais savoir si l'Association du Barreau canadien, au lieu de venir et constamment demander de l'argent, a examiné les procédures et la façon dont les tribunaux traitent ces dossiers pour voir comment l'on pourrait abréger ces délais pour répondre à la demande actuelle?

M. MacRury : Je peux vous dire que c'est ce que nous faisons à l'heure actuelle dans ma province. Nous avons un projet de déjudiciarisation, par exemple, pour les chasseurs autochtones. Nous avons un programme de justice réparatrice dans ma province. Nous mettons sur pied ce genre de projets à l'heure actuelle pour essayer d'améliorer l'efficacité du système.

Je dois vous dire franchement que nous nous trouvons dans une situation où nous sommes obligés de dire aux personnes dont nous nous occupons qu'il y a un problème. Il est certes possible de faire comme si le problème n'existait pas et de dire que nous accentuons la répression; mais si vous mettez en œuvre ce projet de loi, le système ne pourra absorber la surcharge de travail. C'est la réalité concrète. Vous pouvez faire comme si elle n'existait pas, mais c'est la réalité.

Le sénateur Lang : Vous avez constaté au cours des cinq dernières années, je crois, une augmentation de 30 milliards de dollars dans les transferts aux provinces pour ce qui est du fonctionnement des divers gouvernements provinciaux et territoriaux. Pensez-vous que cette somme suffira aux divers gouvernements provinciaux et territoriaux, parce que la justice est une de leurs responsabilités?

M. MacRury : Je crois que nous n'avons pas abordé cette question dans notre mémoire, mais je peux tout de même vous dire que l'ABC a adopté cet été une résolution qui demande que tout nouveau projet de loi soit accompagné d'une étude de coût. Voici ma question : Avez-vous fait une analyse de coût avec les provinces et ensuite préparé le projet de loi au lieu d'examiner la question du point de vue fédéral? La plus grande partie de sa mise en œuvre relève des provinces. Avant d'adopter ce projet de loi, vous devriez vous demander s'il est possible de le mettre en œuvre. Ce qui m'inquiète, et je parle là en tant qu'acteur de première ligne, c'est que je ne pense pas qu'il puisse être mis en œuvre. Si vous voulez vraiment l'adopter, alors je vous dirais de respecter votre engagement et de fournir les fonds nécessaires.

Le président : Sénateur Fraser, avez-vous une question supplémentaire?

Le sénateur Fraser : J'en avais deux. L'une est une remarque et l'autre, une question.

La remarque concernait le commentaire qu'a fait le sénateur Lang au sujet du fait que tous les éléments du projet de loi ont été étudiés et débattus. Il n'y a que deux éléments du projet de loi qui ont été soumis au comité. Les sept autres sont nouveaux pour nous. Je crois que vous constaterez que pratiquement toutes les questions portaient sur ces sept éléments.

[Français]

Ma question s'adresse à M. Trahan et concerne l'attitude du législateur envers les victimes. Il y a un élément de ce projet de loi qui, il me semble, a été conçu en ayant en tête les conséquences d'un geste d'un adolescent pour les victimes, mais où on a peut-être fait pencher un peu trop la balance dans ce sens. Il s'agit de la définition « d'infraction avec violence » qui dit carrément :

167.(3)a) infraction commise par un adolescent dont l'un des éléments constitutifs est l'infliction de lésions corporelles;

Là on ne parle nullement de l'intention ou de la compréhension qu'un adolescent aurait eue ou aurait dû avoir en posant le geste dont il s'agit. Cela m'étonne d'autant plus que plus loin, à la même page du projet de loi, on reconnaît, tout comme la Cour suprême l'a reconnu, que :

168.(2)b) le système de justice pénale pour les adolescents doit être [...] fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée [...]

C'est-à-dire que les adolescents comprennent moins bien, saisissent moins bien, jugent moins bien.

Il y a des gens, notamment le professeur Bala de l'Université Queen's, qui disent que pour la définition « d'infraction avec violence », il faudrait inclure un élément d'intention ou de compréhension. Est-ce que vous seriez d'accord?

M. Trahan : Cela peut être une façon. J'en parlais tantôt de façon indirecte en réponse à la question du sénateur Joyal. Je mentionnais que les nouvelles définitions sont très larges. Dans un premier temps, si c'est une façon de réduire l'étendue pratique de la définition, cela peut être une possibilité. Mais il est aussi important de se rendre compte que ces infractions, telles que définies, font en sorte que les adolescents qui pourraient les commettre vont faire face à des conséquences qui sont très fortes. À partir de ce moment-là, on peut donner multitude d'exemples, un taxage, de l'intimidation, c'est de la violence. On parle de menace. Cela peut être un garçon dans une école qui fait quelque chose à une jeune fille, qui peut être entre guillemets « anodin », mais on tombe dans ces infractions à un moment donné dépendamment de la façon dont cela a été fait. Évidemment, la question d'intention devient importante, mais là aussi, sur le plan du Code criminel, il y a l'aspect que les voies de fait, en soi, ce sont des infractions de résultat. Il faut regarder.

La réponse peut être oui, mais je ne suis pas sûr de pouvoir répondre par oui ou non à cette question telle qu'elle est formulée. Il y a plein d'éléments à considérer et la définition telle qu'on la met dans la loi actuellement, entraîne des conséquences pour plusieurs jeunes que je ne suis pas sûr que l'on voudrait.

Le sénateur Fraser : J'aurais aimé continuer.

M. Trahan : Moi aussi.

[Traduction]

Le sénateur Fraser : J'ai lu votre mémoire de 100 pages, monsieur MacRury, et je vous félicite pour ce travail. C'est un document clair et facile à comprendre, même pour quelqu'un qui n'est pas avocat. Je vous remercie beaucoup. Je vous remercie tous.

Le président : Nous avons considérablement dépassé notre horaire et je dois vous dire que nous avons vraiment apprécié la contribution que vous avez tous apportée à ce débat. J'aurais un dernier commentaire et je crois que cela mettra un terme à l'audition de ce panel.

Il y a eu beaucoup de discussion sur la façon dont le projet de loi C-10 pourrait toucher les Autochtones. Je vous ai entendu dire que vous craigniez que les peines minimales obligatoires soient particulièrement problématiques, ou incompatibles, avec les principes du Code criminel relatifs aux peines. En particulier, l'alinéa 718.2e) exige qu'il soit tenu compte de toutes les circonstances, en particulier en ce qui concerne les Autochtones. Cette disposition s'applique uniquement aux Autochtones et non pas aux autres citoyens. Les peines minimales obligatoires seraient incompatibles avec ce principe parce qu'elles suppriment une partie des pouvoirs discrétionnaires du juge lorsqu'il impose une peine aux Autochtones. Vous avez fait référence à l'arrêt Gladue — la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Gladue — comme étant un arrêt clé dans ce domaine. J'aimerais vous lire quelques passages de l'arrêt Gladue. En voici un :

L'alinéa 718.2e) ne doit pas être considéré comme un moyen de réduire automatiquement la peine d'emprisonnement des délinquants autochtones. [...] Il n'est pas raisonnable de présumer que les peuples autochtones ne croient pas en l'importance des objectifs traditionnels de la détermination de la peine, tels la dissuasion, la dénonciation et l'isolement, quand ils sont justifiés. Dans ce contexte, en règle générale, plus grave et violent sera le crime, plus grande sera la probabilité d'un point de vue pratique que la période d'emprisonnement soit la même pour des infractions et des délinquants semblables, que le délinquant soit autochtone ou non-autochtone.

Là encore, cela vise les infractions graves avec violence.

Le ministre Nicholson a été très clair lorsqu'il a comparu la semaine dernière; il a déclaré que le projet de loi visait essentiellement les crimes graves avec violence. De ce point de vue, le projet de loi C-10 est tout à fait compatible avec l'arrêt Gladue en ce qui concerne les peines infligées aux Autochtones.

Monsieur MacRury, j'aimerais beaucoup entendre vos commentaires sur ce point.

M. MacRury : J'ai mentionné plus tôt au sénateur l'exception qui interdit d'octroyer une peine d'emprisonnement avec sursis, par exemple, pour la fraude de plus de 5 000 $. Cela n'est pas inhabituel dans les collectivités des Premières nations.

Dans ma province, je m'occupe de la plus importante collectivité des Premières nations. À Eskasoni, par exemple, il y a un tribunal qui siège tous les mardis et ces principes sont appliqués régulièrement. Cela va toucher ma collectivité. Je peux vous dire que les passages de Gladue que vous avez cités sont exacts. Cet arrêt n'accorde pas un droit automatique, mais il donne au juge le droit d'examiner ces aspects. Cela concerne la situation du délinquant. Cela pourrait se faire, par exemple, dans le contexte d'un rapport Gladue, ce qui est parfois difficile parce qu'il n'y a pas toujours des fonds fédéraux pour préparer ces rapports.

Je vous dirais que nous ne sommes pas d'accord avec le ministre et que ce projet de loi aura un effet sur les collectivités des Premières nations. Il va certainement modifier la façon dont nous traitons à l'heure actuelle les aspects reliés à l'arrêt Gladue.

Le président : N'avez-vous pas déjà connu des victimes qui vous ont dit — pour poursuivre sur la remarque du sénateur Frum — qu'il fallait retirer le contrevenant de la collectivité et qu'elles craignaient qu'il revienne? Il est nécessaire de retirer, pendant une période raisonnable, cette personne de la collectivité. Encore une fois, je pense que le fait d'emprisonner les contrevenants est tout à fait compatible avec ces principes. Je vous demande donc si des victimes ne vous ont jamais dit qu'il fallait que le Code criminel offre des outils pour assurer ce genre de protection durant la période pendant laquelle les contrevenants sont retirés de la collectivité?

M. MacRury : J'ai certainement connu des victimes qui avaient très peur des contrevenants et j'en tiens toujours compte. Je peux vous dire qu'en tant que poursuivant, cet aspect est pris en compte dans la peine que je recommande, même sans le projet de loi C-10. Je ne pense pas que cela changera, je vous le dis franchement. L'important est en fait le contexte de la décision à prendre.

Nous sommes tous d'anciens étudiants de l'UNB. Mon vieux professeur de droit pénal disait toujours que la peine dépend du contexte. Je vous dirais à nouveau, sénateur, que ces outils existent déjà. Il me paraît important, en tant qu'acteur du système, de s'asseoir avec les victimes et de leur expliquer ce qui se passe. Il est vraiment très important qu'elles soient informées de ce qui se passe. Une partie du problème vient du fait qu'elles obtiennent de mauvais renseignements et que cela crée à son tour d'autres problèmes.

Le président : Les outils existent peut-être, mais il demeure que, dans les collectivités autochtones en tout cas, la victimisation est plus fréquente que dans le reste de la société. Les outils existent peut-être déjà, mais cela semble indiquer que ces outils ne sont pas suffisamment efficaces pour protéger correctement les innocents.

M. MacRury : Je crois que nous ne sommes pas d'accord sur ce point.

Le président : C'est exact. C'est une simple observation.

Le sénateur Baker : J'invoque le Règlement, monsieur le président. Vos questions étaient très importantes. Pour être juste envers les autres témoins, il faudrait peut-être leur donner la possibilité de commenter vos questions.

Le président : Monsieur Kirby, vous vous intéressez principalement aux collectivités autochtones. Voulez-vous faire un commentaire?

M. Kirby : L'exemple que j'ai donné est que, si vous imposez à un accusé un emprisonnement avec sursis de 20 mois suivi de trois ans de probation, cela donne au juge la possibilité d'interdire au contrevenant de retourner dans sa collectivité.

Il y a également les engagements de ne pas troubler l'ordre public de l'article 810 qui permettent — c'est un processus très compliqué — au procureur général de demander, lorsqu'un délinquant a été remis en liberté ou a purgé sa sentence, que celui-ci signe un engagement de ne pas troubler l'ordre public de façon à l'empêcher de communiquer avec la victime. Il faudrait peut-être modifier le Code criminel pour que les juges puissent rendre des ordonnances interdisant de communiquer avec la victime qui aient une longue durée. On pourrait les appeler ordonnances de probation, engagements de ne pas troubler l'ordre public ou ce que vous voulez.

Le président : Merci de cette suggestion.

M. Kirby : Comme je l'ai dit, il y a l'article 810, mais ce n'est pas le mécanisme le plus simple.

Le président : Voilà qui termine le temps consacré à ce panel. Je tiens vraiment à remercier chacun d'entre vous. Je pense qu'il y a au moins huit avocats autour de la table et un certain nombre d'autres personnes qui connaissent la réalité. Je trouve surprenant que nous ayons pu couvrir autant de domaines en deux heures et quinze minutes. Votre participation est très importante et très utile pour nous. Nous vous en remercions sincèrement.

Chers collègues, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-10. Nous avons aujourd'hui, pour notre deuxième panel, M. William Trudell, président du Conseil canadien des avocats de la défense et Jamie Chaffe, président de l'Association canadienne des juristes de l'État.

Je crois, messieurs, que vous voulez tous les deux faire une déclaration préliminaire. Monsieur Chaffe, voulez-vous commencer?

Jamie Chaffe, président, Association canadienne des juristes de l'État : L'ACJE représente des organismes, dans chaque province et un palier fédéral, qui regroupent des poursuivants et des avocats du gouvernement spécialisés en droit civil. Nous représentons près de 7 000 personnes qui seront chargées de mettre en œuvre la loi de ce Parlement.

En tant qu'officiers quasi judiciaires, nous ne faisons pas de commentaires sur les avantages et les inconvénients d'une mesure législative particulière. Notre seul objectif est de vous fournir le point de vue d'avocats appelés à œuvrer en première ligne sur l'effet systémique du projet de loi. Nous avons préparé un rapport qui est beaucoup plus détaillé que peuvent l'être mes commentaires préliminaires. En bref, les mesures que propose le projet de loi C-10 auront un effet important sur la charge du système de justice pénale, un système qui comprend les policiers, les poursuivants, les avocats de la défense et de l'aide juridique, les juges, le personnel judiciaire, les services de probation et de libération conditionnelle ainsi que les services correctionnels.

Les modifications que l'on se propose d'apporter au Code criminel augmentent les peines minimales obligatoires, créent de nouvelles peines minimales obligatoires, de nouvelles infractions pénales et réduisent encore les infractions passibles d'une peine d'emprisonnement avec sursis. Nous prévoyons que de nombreuses accusations qui auraient été déjudiciarisées grâce à un plaidoyer de culpabilité donneront maintenant lieu à un procès et que davantage d'accusés recevront une peine d'emprisonnement.

Les changements proposés à la LDS vont augmenter le nombre de dossiers qui donneront lieu à un procès ainsi que celui des enquêtes sur cautionnement. Les changements à la LSJPA vont augmenter le nombre de procès, le nombre des enquêtes d'identité, les enquêtes sur cautionnement, ainsi que les demandes de peine pour adultes.

Le surcroît de travail que va occasionner le projet de loi C-10 après son adoption constitue un grave problème. C'est un grave problème si l'on pense à la façon dont le système de justice pénale est financé à l'heure actuelle. En raison de la situation, il aura un effet négatif sur la sécurité des Canadiens, sur le principe de la primauté du droit et sur la confiance de la population dans l'administration de la justice au Canada. Pourquoi? Parce que ce projet de loi est en voie d'être adopté sans être accompagné des ressources nécessaires à la mise en place d'un système de justice pénale qui soit véritablement en mesure de mettre en œuvre et d'appliquer ces lois, parce que les dispositions vont augmenter le nombre de procès dans un système qui n'est déjà pas en mesure de tenir les procès qu'il devrait tenir, et encore moins d'en augmenter le nombre, parce que ces nouvelles lois vont continuer à élargir la portée du Code criminel dans un système de justice pénale qui n'est déjà en mesure d'appliquer qu'une partie de plus en plus restreinte du Code criminel actuel.

Quelle est l'ampleur du déficit de la justice pénale? Eh bien, dans le mémoire que je vous ai remis, on trouve une évaluation de la situation dans chaque province. Brièvement, vous avez peut-être lu dans le Globe and Mail d'hier un article sur le système de la justice pénale de la Colombie-Britannique, qui se trouve dans une situation très critique. Il y a une statistique éclairante. Le nombre des juges de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique est égal à l'heure actuelle au nombre des juges qui siégeaient en 2005. Il y a au moins 20 postes de la magistrature provinciale qui ne sont pas comblés. Cela dans un système judiciaire dans lequel tous les jours des poursuites sont suspendues en raison des retards. Le système de justice pénale de l'Ontario est également surchargé. Cela a été reconnu par le gouvernement de la province en 2007, à savoir qu'il se trouvait dans une situation critique. Malgré tout cela, les efforts déployés pour ajouter des ressources au système ont été abandonnés. La nouvelle stratégie consiste à déjudiciariser davantage de dossiers plutôt qu'à augmenter les ressources. Il y a des parties importantes du Code criminel que nous ne sommes pas en mesure d'appliquer dans certaines provinces et territoires à cause de tout cela.

Comme vous le savez, le Québec vient de commencer à restructurer son système de justice pénale. C'est une tâche à laquelle il devra consacrer près d'une dizaine d'années. Il devra y consacrer régulièrement de nouveaux investissements, et continuer à absorber une charge de travail supérieure à la capacité du système et à en accepter de nouvelles tâches dans le domaine de la corruption et du crime organisé. La situation au Manitoba est très semblable. Cette province est en train de restructurer le service des poursuites. C'est une tâche qui prendra une dizaine d'années et exigera qu'on y consacre des ressources existantes et nouvelles. Le service des poursuites de la Nouvelle-Écosse compte le même nombre de poursuivants qu'il en avait en 2005 et ce service éprouvait déjà à l'époque de la difficulté à effectuer son travail. Bien sûr, le nombre des accusations a augmenté de 20 p. 100 en 2011. Terre-Neuve-et-Labrador, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard continuent à connaître des difficultés en raison d'un personnel limité et d'une augmentation des charges de travail.

Comme vous le savez, les poursuivants fédéraux et les avocats du ministère de la Justice feront face à une augmentation importante de leur travail avec le projet de loi C-10. Au même moment, ils attendent de savoir quel sera le nombre des postes supprimés par le gouvernement fédéral avec le prochain budget.

Quel est l'appui dont bénéficie ce nouveau projet de loi? Il semble que l'Alberta, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick aient accepté d'appuyer ce projet de loi en prévoyant un financement supplémentaire et ces provinces ont officiellement indiqué qu'elles le feraient. Elles n'ont jusqu'ici mentionné que les prisons et n'ont pas parlé des ressources supplémentaires nécessaires pour le reste du système de justice pénale.

Le sénateur Angus : Quelles étaient ces trois provinces?

M. Chaffe : L'Alberta, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick.

L'Ontario, la Colombie-Britannique et le Québec reconnaissent que ce nouveau projet de loi va exiger qu'on affecte d'autres ressources à sa mise en œuvre et elles ont indiqué qu'elles ne fourniraient pas ces ressources.

Je vais utiliser une comparaison que des personnes proches de moi et très chères m'ont demandé de ne pas utiliser, mais je vais le faire quand même. Imaginons que le système de justice est un seau et que le travail est de l'eau. La justice n'est faite que lorsque l'eau sort par un robinet situé sur la partie inférieure du seau. Nous en sommes arrivés à un point où le travail est versé dans ce seau et que la plus grande partie déborde et se retrouve sur le plancher. C'est le système actuel. Le projet de loi C-10 va augmenter la quantité d'eau versée dans le seau, mais en réalité, cela ne fera qu'augmenter la quantité d'eau qui se retrouve sur le plancher.

C'est une mauvaise comparaison, parce que le travail qu'effectue notre système est de rendre la justice. Des accusations de comportement criminel sont portées. Ces accusations contiennent des allégations indiquant que des personnes réelles ont subi un préjudice — des personnes dont les êtres chers ont été assassinés, des personnes qui ont été maltraitées physiquement ou sexuellement, des personnes dont les maisons ont été vandalisées, des personnes qui ont perdu des biens parce qu'ils ont été volés ou qui ont été privées frauduleusement de leur logement ou de leurs économies. Notre système doit, en théorie, donner aux victimes du crime la possibilité d'obtenir justice et de protéger nos collectivités contre les personnes dangereuses. Notre système est de moins en moins en mesure d'assurer ces choses à ces personnes. Les victimes ne peuvent obtenir justice et ceux qui ont commis des crimes sont libérés et peuvent récidiver.

De la même façon, les accusés ont le droit d'être traités avec justice et ils s'y attendent. Avec un système de justice surchargé, il faut savoir que malheureusement, le nombre de personnes condamnées à tort va augmenter. Un système de justice surchargé aura un effet négatif direct sur la sécurité publique. Il aura également un effet négatif sur la primauté du droit. Avec le scénario auquel nous faisons face, avec trois provinces qui ont déclaré être disposées à financer la mise en œuvre de cette loi et trois autres qui ont déclaré très publiquement qu'elles n'allaient pas le faire, nous avons un Code criminel et des normes de protection des collectivités différentes, parce qu'elles sont basées sur la volonté des diverses provinces de fournir l'infrastructure de justice pénale nécessaire à la mise en œuvre du Code criminel.

Cela aura également un effet profond sur la confiance de la population dans l'administration de la justice. « L'eau sur le plancher » représente, comme vous le savez, des personnes réelles. Ce sont les dossiers dont personne ne s'occupe. Ce sont des infractions mineures contre les biens qui sont déjudiciarisées et il y a des accusés qui seront condamnés à tort.

L'Association canadienne des juristes de l'État recommande fortement la tenue, le plus tôt possible, d'un sommet national sur la justice. Il faut que les procureurs généraux et les chefs de file des milieux juridiques s'attaquent aux défis concrets et importants auxquels fait face notre système de justice nationale. Il se pose des questions comme l'utilité du système. Le système de justice pénale va-t-il continuer à être utile pour les collectivités? On peut se demander si nous allons avoir un Code criminel uniforme sur le plan national, des politiques pénales uniformes dans l'ensemble du pays? Peut-être que la question la plus importante est la suivante : pouvons-nous replacer les programmes liés à la justice dans le financement de base?

Le Canada est basé sur la primauté du droit. Le système de justice devrait faire partie du financement de base pour notre gouvernement. Ce n'est pas le cas. L'éducation et la santé sont des domaines très importants. La justice mérite qu'on lui attribue le même genre de priorité.

À l'heure actuelle, notre système est surchargé. Mesdames et messieurs, le temps presse. L'effet préjudiciable des mesures législatives qui ont augmenté les charges de travail depuis 10 ans continue à se faire sentir, sans qu'il puisse être atténué par le financement de base. Il paraît raisonnable de prévoir que nous ressentirons les répercussions du projet de loi C-10 neuf mois environ après son adoption. Il faut unir nos efforts pour nous entendre sur la façon de protéger le principe de la primauté du droit et en arriver à une stratégie nationale en matière de justice pénale qui soit efficace et viable.

Le président : Merci, monsieur Chaffe.

William Trudell, président, Conseil canadien des avocats de la défense : Je vous remercie au nom du Conseil canadien des avocats de la défense, qui, on vient de me le rappeler, aura 20 ans en novembre. Un des aspects importants de notre travail consiste à comparaître devant la Chambre des communes et le Sénat pour vous aider, dans la mesure de nos capacités, à exercer votre rôle de législateur. Nous vous sommes reconnaissants de prendre le temps de nous écouter. Mon collègue et moi assistons à votre séance depuis deux heures. Nous savons que faites un gros travail et nous connaissons certains des sujets qui vous préoccupent.

J'aimerais vous fournir une méthode d'analyse ciblée au nom du Conseil canadien. Depuis que je travaille comme avocat de la défense, je n'ai jamais vu une telle collaboration entre les différents acteurs du système de justice; il y a eu des conférences, des rencontres d'idées entre tous ces acteurs, les juges, les procureurs de la Couronne et les policiers — qui sont bien souvent à la pointe de nombreuses questions — les travailleurs sociaux et les agents correctionnels, tout cela au cours des deux dernières années. Nous avons participé, ces dernières années, à une série de réunions qui nous ont permis de constater que nous avons davantage de choses en commun que de différences.

Une des choses que nous avons apprises est qu'il faut cesser de réfléchir en vase clos. Un des autres thèmes sur lequel j'aimerais insister aujourd'hui, et qui est ressorti de ces conférences, est la question des rapports entre la santé mentale et la justice pénale. Je sais que l'on vous en a dit quelques mots au cours des dernières heures, mais je voudrais vous faire comprendre que la situation a vraiment changé, à mon avis, pour ce qui est de la question de la santé mentale, dans notre collectivité, dans notre pays et dans la justice pénale.

C'est un véritable honneur d'être ici pour la journée Bell Cause pour la cause. Les gens parlent de santé mentale dans tout le pays. C'est un événement extraordinaire et qui a suscité l'intérêt de nombreuses personnes. Ce même thème a été repris dans les conférences — la santé mentale est un problème réel qui doit être pris en compte dans le système de justice pénale. Les choses ont changé, à mon avis, même depuis que ces projets de loi ont été rédigés et déposés. Elles ont changé de plusieurs façons. Le crédit en appartient au gouvernement — au gouvernement conservateur. Nous l'avons félicité devant la Chambre, et je le refais maintenant, pour l'attention qu'il porte à la santé mentale. La Commission de la santé mentale est un organisme très important.

Au printemps dernier, le Canada et Justice Alberta ont organisé une conférence à Calgary. On avait appelé cette conférence Création de liens. On y parlait de santé mentale et le gouvernement était disposé à prendre des mesures dans ce domaine. Je vais vous mentionner une des recommandations qui est ressortie de la conférence Création de liens : il devrait y avoir une exception dans le Code criminel; nous devrions agir dans le domaine de la santé mentale.

Il y a deux semaines, le communiqué de presse de la réunion des premiers ministres tenue à Charlottetown mentionnait cette question. Tous les premiers ministres sont préoccupés par la santé mentale et par ses répercussions sur la justice pénale. Lorsque le projet de loi a été présenté, la situation avait changé sur le plan du dialogue au sujet de la santé mentale et de l'attention qui était accordée à cette question. Je ne pense pas que l'on pourrait me reprocher de dire qu'il n'y a personne au gouvernement — aucun policier, juge, procureur de la Couronne, avocat de la défense, agent correctionnel — qui ne vous dirait pas qu'au Canada, il y a une crise de la santé mentale. Lorsque nous avons examiné le projet de loi, nous avons constaté qu'il ne mentionnait aucunement la santé mentale. Il était muet à ce sujet et nous ne pensons pas que cela soit conforme à l'initiative du gouvernement dans ce domaine, aux discussions en cours, ni aux progrès réalisés depuis un an sur ce plan.

Nous avons présenté un amendement devant le comité de la Chambre — et je vous l'ai remis à vous également. L'amendement porte principalement sur l'article 43 du projet de loi. L'article 43 énonce, pour l'essentiel, que dans le cas — et je vous en ai donné une copie — d'une personne toxicomane, le tribunal peut suspendre la peine minimale obligatoire, suspendre le prononcé de la peine, l'envoyer suivre un programme de traitement et n'est pas tenu d'imposer la peine minimale obligatoire. Nous avons pensé que c'était là un amendement très important. Le projet de loi est muet au sujet de la santé mentale. Je vous laisse le texte de cet amendement. Il aborde la question de la santé mentale. Il est rédigé en fonction des peines minimales obligatoires, mais j'ai entendu les discussions qui ont eu lieu tout à l'heure. Le fait est qu'une possibilité s'offre à vous. J'ai écouté mes collègues de l'Association du Barreau canadien qui ont présenté ce même sujet et ils ont suggéré d'ajouter une disposition à ce sujet dans les principes de détermination de la peine.

Je dois dire que nous ne sommes pas des spécialistes de la rédaction législative, mais je vous dirais que cet amendement représente une possibilité très importante pour vous, les législateurs, celle d'ajouter une disposition qui ne compromet en rien l'objectif du projet de loi. C'est votre travail de législateur de présenter une mesure législative sous la forme qui vous paraît appropriée, mais elle doit être le fruit d'une approche axée sur la collaboration, comme l'a mentionné mon collègue, M. Chaffe.

Nous savons et vous savez — cela est public — que les statistiques sur le nombre des détenus qui souffrent de maladies mentales sont très impressionnantes et gênantes. Cet aspect a été abordé à la conférence Building Bridges. Je crois que le ministre Toews a parlé de ce problème lorsqu'il a pris la parole au cours de cette conférence. C'est un fait dont il est essentiel de tenir compte. Cela ne change rien au projet de loi. En réalité, je me permettrais de vous dire que cela renforcerait la sécurité des rues et des collectivités. Nous avons présenté l'amendement traitant des peines minimales obligatoires, mais il n'est pas nécessaire qu'il soit aussi restrictif. Il me paraît, si je puis m'exprimer ainsi, tout à fait illogique que ce projet de loi soit muet au sujet d'une question dont tout le monde reconnaît — quel que soit son parti politique — qu'elle fait problème. Lorsque les premiers ministres disent : « Nous allons faire quelque chose à ce sujet », lorsque les recommandations de la conférence Building Bridges demandent de créer une exception, lorsque le pays entier parle de santé mentale, alors même si le projet de loi a été déposé sans mentionner cet aspect, le Sénat pourrait rendre un grand service au pays en proposant de rajouter une telle disposition au sujet de cet aspect de la justice pénale qui n'est pas mentionnée dans le projet de loi. C'est là l'essentiel de ce que je vous suggère aujourd'hui. La mesure proposée ne vient pas uniquement du Conseil canadien; elle jouit d'un vaste appui. Les services de police ont été des précurseurs et des chefs de file dans ce domaine. Bien évidemment, les policiers sont en première ligne. Les policiers savent ce qu'il faut faire avec les personnes qui souffrent de troubles mentaux et qui deviennent des récidivistes chroniques. Le système de justice pénale n'est pas un système de santé. Au cours de cette conférence, un agent correctionnel d'expérience m'a dit : « On est en train de transformer nos établissements et nos locaux en hôpitaux. »

Il existe une façon simple de le faire. Reconnaître dans ce projet de loi qu'il y a un problème. Cela ne modifie aucunement la portée du projet de loi. Peu importe que vous soyez favorable aux peines minimales obligatoires ou à la suppression de l'emprisonnement avec sursis — et vous savez qu'en tant qu'avocat de la défense, quelle serait ma position sur ces questions. Nous avons laissé de côté un aspect très important dans ce projet de loi et nous vous invitons très respectueusement à corriger cette lacune. J'estime que, lorsque les premiers ministres parlent de faire quelque chose à ce sujet, lorsque la conférence Building Bridges parrainée par les gouvernements à Ottawa et en Alberta, affirme que c'est une question qu'il convient d'aborder, cela veut dire que quelque chose sera fait. Cet aspect est en train d'être examiné en ce moment même. Je ne pense pas qu'il y ait le moindre doute à ce sujet. Il serait mal d'adopter ce projet de loi et de dire : « Eh bien, nous ferons quelque chose au sujet de la santé mentale, mais plus tard. » Si c'est bien un problème, il faut faire quelque chose. C'est notre message et je vous remercie.

Le sénateur Fraser : J'ai deux questions, une pour chaque témoin. Je vais commencer par vous, monsieur Trudell. Bienvenue. Je n'ai pas eu la possibilité de vous souhaiter la bienvenue avant de commencer notre séance.

Les dispositions relatives à la santé mentale que vous proposez m'intéressent beaucoup. Ce que je ne comprends pas très bien, c'est la raison pour laquelle vous parlez de les introduire uniquement dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Il est évident que la santé mentale est un problème grave pour de nombreux toxicomanes et les personnes souffrant de divers troubles, mais elle l'est également pour beaucoup d'autres personnes. Pourquoi ne pas en faire une disposition plus générale?

M. Trudell : Sénateur Fraser, je ne limitais pas cet amendement au domaine des drogues.

Le sénateur Fraser : C'est là que se trouve l'article 43 et je pensais que c'était là que vous vouliez placer votre amendement.

M. Trudell : Je disais que cet aspect est reconnu à titre d'exception et de préoccupation à l'article 43 pour ce qui est des drogues, mais la santé mentale n'est mentionnée nulle part. Cela n'est pas relié uniquement aux drogues.

Le sénateur Fraser : Vous voulez donc que ces amendements s'appliquent d'une façon générale, y compris dans la partie du projet de loi qui traite des drogues et dans les autres?

M. Trudell : Absolument. Nous disons que cela figure dans la partie touchant les drogues, mais pourquoi n'a-t-on pas abordé cette question?

Le sénateur Fraser : Je crois que c'est bien le cas. Vous avez éclairci les choses pour moi et je vous en remercie.

Monsieur Chaffe, ce n'est pas la première fois que vous avertissez le comité que le système est en train de se bloquer et vous n'êtes pas la seule personne à nous avoir donné cet avertissement. Je me demande si vous pouviez me donner des exemples précis.

Je pense que les affaires de meurtre donnent toujours lieu à des poursuites. Si le fait de traverser une rue en dehors des passages pour piétons était une infraction pénale, ce qui n'est pas le cas, elle ne donnerait probablement pas lieu à des poursuites parce que si l'on prend un peu de recul, on dirait que cette infraction n'est pas très grave.

Quels sont, de ce point de vue, les domaines où nous allons commencer à limiter nos interventions, alors que la population ne le souhaite pas? Vous nous avez parlé de façon très éloquente du fait que la situation est arrivée à un point qui compromet l'intégrité de notre système de justice, mais j'aimerais avoir une idée concrète du genre de choses dont vous parlez.

M. Chaffe : Ce surcroît de travail, sénateur, nous oblige à laisser de côté davantage de dossiers.

Le sénateur Fraser : Quels sont les dossiers qui sont laissés de côté?

M. Chaffe : Dans les provinces et territoires les plus occupés, ce sont les infractions contre les biens qui sont ciblées en premier. Nous consacrons le peu de ressources judiciaires que nous avons aux infractions les plus violentes.

À mesure que la charge de travail augmente, nous sommes obligés de choisir entre les infractions graves. Certaines infractions graves contre les biens sont ciblées maintenant, en particulier les affaires de fraude. Vous avez peut-être vu sur The National, il y a environ six mois, la vive réaction qu'avait suscité la décision d'un des bureaux des procureurs de la Couronne le plus important et le plus occupé du pays, le bureau du centre-ville de Toronto, de ne pas intenter de poursuites au sujet d'une fraude de plusieurs millions de dollars. Il suffirait de faire un Google pour trouver cette affaire. Vous pouvez l'examiner.

Les procureurs de la Couronne de ce bureau se trouvaient dans une situation intenable. Ils devaient choisir entre une fraude très grave s'élevant à plusieurs millions de dollars, mais il y avait besoin de locaux judiciaires pour toutes les autres poursuites graves dont s'occupait ce bureau, notamment les agressions sexuelles et les autres infractions avec violence.

Pour ce qui est des infractions pour lesquelles nous sommes en mesure d'intervenir avec vigueur, nous constatons que le nombre de ces infractions est de plus en plus limité. Cela a, je crois, un impact non seulement sur les policiers qui viennent nous voir régulièrement en nous demandant ce qui arrive à leur dossier, mais également sur les victimes du crime. Je crois que les données de Statistique Canada vous indiquent que le signalement des crimes a sensiblement diminué. Nous le constatons, et ce, depuis un certain temps, pour ce qui est des infractions avec violence et des personnes qui acceptent de venir témoigner. Pourquoi viendriez-vous témoigner si cela ne permet pas à la poursuite d'obtenir gain de cause, si la personne n'est pas arrêtée et si le témoin n'est pas en sécurité après avoir livré son témoignage?

Il y a une limite, je suppose. Je ne suis pas suffisamment compétent ou ne j'ai pas suffisamment de renseignements pour vous dire à quel moment cela se produira dans nos différentes collectivités. La charge de travail s'alourdit constamment, sans que des ressources supplémentaires soient accordées; notre système est ainsi prêt de se bloquer dans certaines collectivités et dans d'autres, le ralentissement commence à se faire sentir.

Le sénateur Fraser : On nous a dit, à plusieurs reprises, ces dernières années que le pouvoir discrétionnaire était en train de passer des tribunaux aux procureurs de la Couronne. Vous dites en fait que c'est bien ce qui se produit, n'est-ce pas?

M. Chaffe : Bien évidemment, les peines minimales obligatoires suppriment les pouvoirs discrétionnaires des tribunaux.

Le sénateur Fraser : Si l'affaire donne lieu à un procès.

M. Chaffe : Notre objectif premier est de tenir un procès. La peine est un peu comme la cerise sur le gâteau. Nous avons intenté une poursuite et de notre point de vue, justice a été rendue et il y a ensuite une condamnation. La peine dépend plus ou moins du juge.

Le sénateur Fraser : Je comprends cela, mais je vais préciser ma question. Avez-vous constaté que l'on recourait davantage au marchandage de plaidoyer pour traiter plus rapidement les dossiers?

M. Chaffe : C'est comme cela que l'on trie les dossiers. C'est de cette façon que nous réservons nos précieuses ressources judiciaires aux infractions les plus violentes. Nous sommes obligés d'alléger d'une façon ou d'une autre le travail que demandent les autres dossiers.

Je crois que vous avez raison de dire qu'avec l'augmentation des peines minimales obligatoires, la réduction des infractions passibles d'un emprisonnement avec sursis, les procureurs de la Couronne n'obtiennent pas nécessairement davantage de pouvoirs discrétionnaires, mais ceux des juges sont réduits et cela touche les négociations de plaidoyer. Vous avez des poursuivants de première ligne qui essaient de bien faire leur travail et d'axer leurs décisions sur la sécurité publique. Ce sont là les principes qu'ils appliquent pour effectuer ce tri.

À un moment donné, ce tri est basé par des questions pratiques. Cela va à l'encontre de notre obligation de faire respecter la primauté du droit.

Le sénateur Fraser : Je ne voudrais pas donner l'impression que j'accuse les procureurs de la Couronne de ne pas faire leur devoir ou quelque chose du genre. J'essaie tout simplement de comprendre ce qui se passe en pratique.

M. Trudell : Je crois que mon ami est bien trop poli. Il y a deux questions ici. La première concerne le fait que ces questions sont abordées en vase clos. J'espère que le sénateur Angus va me poser la question au sujet de la séparation qui existe entre les mesures législatives et l'administration des tribunaux.

Le gouvernement a la responsabilité de financer correctement la gestion préliminaire des dossiers avant qu'ils soient pris en charge par le système, en procédant à leur déjudiciarisation et à un tri appropriés. Nous serions autrement ensevelis sous les dossiers et la situation deviendrait ingérable.

C'est pourquoi je dirais que les procureurs de la Couronne ont un nouveau rôle et que c'est un rôle beaucoup plus important : le procureur de la Couronne choisit les infractions qui donneront lieu à des poursuites et décide de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité ou de mise en accusation. En tant qu'avocat de la défense, si j'ai affaire à M. Chaffe, je n'ai pas de problème, mais en principe, c'est un fardeau qui ne devrait pas reposer sur la Couronne et c'est un fardeau qui me paraît inapproprié.

Lorsque le droit change, nous devons comprendre quelles en sont les conséquences. Si vous voulez consacrer vos énergies au problème A, il y aura toujours un effet de domino sur le projet B, et le système n'est pas armé pour le faire. C'est la réalité.

Pour revenir à ce que je disais au début, vous constaterez, dans le système de justice pénale, qu'il y a un nombre considérable de violations touchant l'administration de la justice, comme, par exemple, les infractions d'omission de comparaître, de violation de la probation, ce genre de chose. Il est fréquent que les personnes qui commettent ces infractions souffrent de troubles mentaux ou de toxicomanie, soient déprimées, désorientées, sans abri, autochtones ou souffrant de toxicomanie. Si nous abordions ces choses dès le départ, alors les procureurs de la Couronne pourraient exercer leur rôle correctement en disposant des ressources nécessaires.

Écoutez, il y a peut-être des affaires graves qui ne donnent pas lieu à des poursuites, ce qui choque la population, mais ce que j'aimerais voir, en tant qu'avocat de la défense, ce sont des dossiers de la Couronne bien financés pour que nous puissions obtenir la divulgation des preuves et disposer de suffisamment de temps. Il faut gérer les étapes initiales. C'est ce que fait le projet de loi C-52 pour la gestion des grands dossiers, mais cela a été pensé en vase clos, ce qui n'est plus possible.

Pour revenir à ce que je disais, mon ami, M. Chaffe, est trop gentil.

Le président : Merci, monsieur Trudell.

Je vais maintenant donner la parole au sénateur Joyal. Encore une fois, j'aimerais demander à tous mes collègues de poser des questions aussi concises que possible; même chose pour les réponses. J'apprécierais beaucoup que vous présentiez vos arguments, et vous le ferez de toute façon, en aussi peu de mots que possible.

Le sénateur Joyal : Monsieur Trudell, vos commentaires au sujet des contrevenants malades mentaux sont très importants, mais comment reliez-vous cela avec l'élément moral de l'infraction qu'a commise la personne qui comparaît devant un tribunal? Le juge doit être convaincu que la personne qui se trouve devant lui a la capacité de former l'élément moral et la personne qui souffre d'une maladie mentale n'est pas en mesure d'établir l'élément moral au point où le juge sera convaincu qu'elle doit être déclarée coupable.

M. Trudell : Il y a une distinction nette entre la non-responsabilité criminelle, le fait de ne pas avoir la capacité de juger de la nature et de la qualité de l'acte commis, ce qui entraîne un verdict de non criminellement responsable — anciennement l'aliénation. Je parle de cela. Je parle des gens qui souffrent du syndrome d'alcoolisation fœtale, qui peuvent être gravement déprimés, qui viennent de perdre leur emploi, qui ont vécu des tragédies familiales, qui sont désorientés, qui sont toxicomanes ou sans-abri.

Il y a de nombreuses formes de troubles mentaux. Certaines sont définies dans le DSM, mais cela ne recouvre pas toutes les possibilités. Sénateur Joyal, je ne voulais pas parler de cette question qui est bien définie. Je parle des gens que rencontrent les policiers dans les rues, ceux qui se retrouvent devant les tribunaux judiciaires et en prison, malheureusement, et qui ne devraient pas y être. C'est un problème de santé. Lorsque le gouvernement déclare : « Non, c'est un problème de justice. C'est un problème de santé. C'est un problème de services sociaux. » Cela ne devrait plus se produire. Il faut viser la collaboration. Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Joyal : Oui, vous posez une distinction qui me paraît importante.

Monsieur Chaffe, je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps. Je ne sais pas si vous le savez, mais lorsque le président de l'association des policiers est venu témoigner la semaine dernière, il a terminé son exposé en disant ce qui suit :

Nous espérons que le gouvernement fédéral et ses partenaires provinciaux vont rapidement s'entendre sur la meilleure façon de régler sans délai les questions de financement.

Saviez-vous que l'association des policiers semblait avoir les mêmes préoccupations que vous, à savoir que, si l'on veut mettre en œuvre ce projet de loi de la façon la plus efficace possible, il faudra absolument régler les problèmes financiers sous-jacents. Lorsque les deux ministres ont témoigné la semaine dernière devant le comité, j'ai proposé de constituer un groupe de travail mixte composé de représentants du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux qui serait chargé de suivre la mise en œuvre de nombreux articles de ce projet de loi qui vont, nous le savons, entraîner un surcroît de travail. C'est toutefois une décision qui me paraît inévitable si nous voulons vraiment mettre en œuvre cette loi sur les peines et sur la sécurité des rues et des collectivités. Sans cette collaboration, je pense que ce projet de loi restera au niveau des bonnes intentions. Par contre, pour ce qui est de véritablement protéger la population, je crois que ce sera un échec.

M. Chaffe : Je n'étais pas au courant du témoignage du président de cette association. Je ne suis pas surpris que les policiers aient adopté cette position. Les services de police, plus encore que n'importe quel autre acteur institutionnel, sont extrêmement sensibles au fait qu'il faut des ressources pour porter des accusations et intenter des poursuites de façon appropriée. Lorsque je dis « intenter des poursuites de façon appropriée », je veux simplement dire obtenir un résultat équitable. Je ne parle pas de gagner ou de perdre. S'il vous plaît, ne me faites pas dire ce que je ne veux pas dire.

Il me semble évident qu'il faut résoudre ce problème. C'est une mesure législative assez spéciale. C'est une mesure fédérale qui touche les lois pénales, non seulement le Code criminel, mais aussi la LDS et la LSJPA. Les procureurs généraux sont des personnes spéciales, sur le plan constitutionnel, provincial et fédéral. L'ACJE estime que les gouvernements ont non seulement l'obligation constitutionnelle d'adopter des lois, mais également celle de les mettre en vigueur. C'est là quelque chose qui ne se fait pas.

Il est parfois très utile d'adopter une nouvelle loi pénale, mais dans la situation actuelle où notre système de justice est complètement dépassé, le fait d'alourdir la charge de travail en adoptant de nouvelles mesures législatives, sans accorder des ressources supplémentaires, ne sera d'aucune utilité. En fait, cela ne pourra qu'exacerber une situation déjà très difficile et troublante.

Le président : Merci pour ce commentaire, monsieur Chaffe. Je crois que vous avez clairement présenté votre point de vue.

Le sénateur Runciman : Monsieur Chaffe, je ne conteste pas votre affirmation selon laquelle il faut augmenter le financement, mais je crois qu'il y a, dans notre système, des problèmes systémiques assez importants. Il est peut-être temps qu'une commission royale examine le système de justice canadien et tous les défis auxquels il fait face. Bien sûr, ce sont les différents procureurs de la Couronne qui prennent les décisions, par exemple, dont un d'entre eux a récemment porté des accusations contre un individu qui a fait peur à ses voisins en essayant d'incendier sa maison dans laquelle des munitions étaient entreposées de façon non sécuritaire. On ne peut que de se poser des questions au sujet des décisions individuelles que prennent certains procureurs de la Couronne et au sujet de leur charge de travail.

J'aime prendre l'exemple de ce gars qui vient de ma collectivité et qui a été arrêté parce qu'il avait fait entrer des drogues en contrebande en Grande-Bretagne; il a subi son procès trois semaines après avoir été inculpé de cette infraction. Nous avons vu la même chose avec les émeutes en Grande-Bretagne, au cours desquelles les contrevenants se sont retrouvés devant les tribunaux dans l'espace d'une ou deux semaine. Je pense qu'il existe au Canada des problèmes systémiques graves qu'il conviendrait d'examiner en plus de toute cette question du financement.

Pour ce qui est du projet de loi, je n'ai pas eu la possibilité de parler à l'ABC à ce sujet, mais je sais qu'elle a exprimé certaines préoccupations; je pense que c'est ce qu'a également fait le Barreau du Québec au sujet de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et la possibilité d'accorder davantage de pouvoirs discrétionnaires aux juges pour les décisions concernant les jeunes contrevenants, en particulier concernant la détention avant le procès. Tout ceci découle des recommandations de la Commission Nunn en Nouvelle-Écosse. Ce sont là des récidivistes chroniques et le tribunal aura maintenant le pouvoir de les détenir jusqu'à leur procès, s'ils représentent un danger pour la société. Je me demande quelle a été votre expérience en tant que procureur de la Couronne dans ce genre de situation. Pensez-vous qu'il s'agit là d'une initiative nécessaire?

M. Chaffe : Sénateur, je respecte tout à fait la question que vous avez posée. Je ne suis pas en mesure de faire des commentaires sur les bons ou les mauvais aspects de cette mesure législative particulière. Je dirais toutefois ceci. Une partie des dispositions antérieures de la LSJPA concernaient la question de savoir s'il était possible de demander une peine pour adultes ou la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. C'était là un aspect problématique dans les enquêtes sur cautionnement tenues par les tribunaux de la jeunesse.

Je dirais que ce projet de loi, en particulier en ce qui concerne la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, a bien évidemment éclairci toute cette question. Sur le plan systémique, j'estime que, pour certaines raisons que vous avez mentionnées, le nombre des enquêtes sur cautionnement augmentera. Les procureurs de la Couronne demanderont davantage la détention des accusés. Résultat, il y aura davantage de jeunes contrevenants qui seront placés en détention. Je pense que c'est là une évaluation correcte sur le plan systémique.

Pour ce qui est de ma capacité à faire des commentaires sur cette mesure législative...

Le sénateur Runciman : Le juge prendra cette décision en se fondant sur l'objectif de la sécurité publique.

M. Chaffe : Bien sûr. Pour ce qui est de l'effet systémique, je crois qu'il y aura davantage d'enquêtes et probablement davantage d'adolescents en détention. En ce qui nous concerne, la question systémique consiste à nous demander si nous avons le temps de faire tout cela. Traditionnellement au Canada, les tribunaux de la jeunesse tiennent des procès dans un pourcentage très faible des dossiers. Telle qu'elle est rédigée actuellement, la LSJPA aura pour effet d'augmenter le nombre des procès entendus par ces tribunaux, dans l'ensemble du pays.

Le sénateur Runciman : Conséquence que j'accepte tout à fait. De toute façon, c'est une autre question.

M. Chaffe : Il y a beaucoup de gens qui l'acceptent et d'autres qui ne l'acceptent pas, même parmi les membres de mon association.

La question systémique consiste à nous demander comment résoudre les difficultés que nous connaissons sur le plan des ressources? Nous avons réussi à faire fonctionner ce tribunal avec des moyens vraiment très réduits. Cela ne pourra plus se faire.

Je vais m'arrêter là.

Le sénateur Runciman : Monsieur Trudell, dans quelle province travaillez-vous? En Ontario?

M. Trudell : Oui.

Le sénateur Runciman : Vous avez mentionné l'absence de modifications touchant la santé mentale, mais il y a un changement qui est apporté à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour ce qui est des objets et des principes. À l'article 54 du projet de loi, le projet de l'alinéa 4g) de la loi énonce le principe suivant : « ses directives d'orientation générale, programmes et pratiques respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu'entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux Autochtones, aux personnes nécessitant des soins de santé mentale et à d'autres groupes. » C'est un changement et il en est tenu compte dans la nouvelle loi.

Je partage la préoccupation que vous avez à ce sujet.

M. Trudell : Je le sais.

Le sénateur Runciman : Je ne pense pas que la population soit suffisamment sensibilisée aux défis que cela pose pour le système et à l'impact que cela peut avoir sur la sécurité publique. Vous proposiez un amendement pour que cet aspect puisse être traité un peu comme l'option relative au traitement de la toxicomanie. Comment cela pourrait-il se faire, d'après vous?

Lorsque le ministre Toews a comparu devant nous, il n'a pas été très précis à ce sujet. Il a exprimé des préoccupations, mais il a parlé des mécanismes d'institutionnalisation qui ont été mis en place dans les différentes régions du pays au cours des 34 dernières années et a déclaré que c'était là une responsabilité qui incombait aux gouvernements provinciaux. Cela me semble faire quelque peu problème pour ce qui est de l'avenir. Qui est responsable de cette question?

Si nous adoptions l'amendement que vous proposez, comment cela fonctionnerait-il? Où ces personnes seraient-elles traitées? Je pense que vous connaissez sans doute le programme ontarien — l'unité de traitement sécuritaire — qui fonctionne depuis environ six ans en Ontario et qui a un effet extrêmement positif sur les taux de récidive. S'il y avait un programme semblable au palier fédéral, cela allégerait également la charge de travail des tribunaux, des policiers et des victimes, et réduirait les dommages aux biens, aspect que j'appuie tout à fait.

Pour ce qui est de replacer dans son contexte la modification que vous proposez, que ferions-nous avec les personnes qui nous seraient référées de cette manière?

M. Trudell : Sénateur Runciman, je sais que vous vous intéressez de très près aux questions de santé mentale dans la collectivité, et je suis heureux que vous ayez posé une question sur ce sujet.

Permettez-moi de vous répondre de deux façons différentes. Le communiqué de presse de la réunion des premiers ministres, qui a été tenue il y a deux semaines, disait ceci :

Les ministres ont reconnu que les questions de santé mentale constituent un défi de taille pour le système de justice. Les ministres ont fait ressortir le succès du Symposium sur la santé mentale et le système de justice qui a eu lieu en mai 2011 en Alberta et ils ont discuté des recommandations qui y ont été formulées. Les ministres ont demandé aux hauts fonctionnaires d'inviter leurs homologues des services de la santé et des services sociaux à participer à l'examen des recommandations afin de gérer de façon plus efficace cette population à risque.

Cela ne constitue pas, d'après moi, une réflexion en vase clos. Ce sont des ministres fédéraux et provinciaux qui se sont réunis pour parler de santé et de services sociaux.

Par conséquent, dans un monde idéal, qui n'existe pas encore, mais qui viendra plus tard, lorsque l'accusé comparaît devant un tribunal et que le juge, le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense reconnaissent que l'accusé souffre d'un trouble mental — n'a pas la capacité requise — il doit y avoir des services de soutien communautaire financés par les gouvernements fédéral et provincial, parce que c'est le gouvernement fédéral qui adopte la loi qui amène l'accusé devant le tribunal. Cette personne participe à ce programme et le juge décide alors par la suite, s'il y a lieu ou non de l'incarcérer ou s'il devrait être déjudiciarisé pour cause de santé mentale, ce que nous faisons en Ontario.

Quant à savoir comment un tel amendement serait mis en œuvre, je signale qu'il existe des tribunaux de la santé mentale et de traitement de la toxicomanie dans certaines régions, alors qu'il n'y en a pas ailleurs. À Vancouver et en Alberta, le service de police collabore, sur le plan de l'intervention de première ligne, avec les travailleurs sociaux communautaires et les travailleurs de la santé à l'étape de l'arrestation. Il faut poursuivre dans la direction mentionnée par les ministres, réunir tous les intéressés et élaborer des façons de mettre en œuvre cette initiative.

Le sénateur Frum : De quel pourcentage de dossiers parlez-vous?

M. Trudell : Pourcentage de?

Le sénateur Frum : Les dossiers qui sont transmis aux tribunaux.

M. Trudell : Les statistiques montrent que 30 p. 100 des détenus fédéraux souffrent de troubles mentaux. Avant d'être traduits devant les tribunaux, je dirais que ce pourcentage est de 40 p. 100, voire plus élevé encore.

Sénateur Frum, je travaille comme avocat de la défense depuis près de 40 ans. Je peux vous dire qu'il n'y a pas beaucoup de gens, qu'il s'agisse de jeunes contrevenants ou de personnes âgées, que je n'envoie pas suivre des programmes de counseling et dont je n'essaie pas de comprendre l'évolution. J'estime que le nombre des personnes ayant des problèmes de santé mentale et qui commettent des infractions pénales par frustration est considérable.

Pour ce qui est des adolescents, l'information ponctuelle que me fournissent les gens qui travaillent dans ce secteur m'indique qu'ils sont très inquiets des problèmes de santé mentale qui touchent les adolescents.

Nos gouvernements ont la capacité, l'intérêt et l'infrastructure ainsi que les fonds pour lutter contre ce problème. Nous pourrions bien dire : « Oui, mais cela va coûter très cher », mais il en coûte extrêmement cher de détenir une personne.

Il y a une chose que vous avez mentionnée, sénateur Runciman — et je vais terminer très rapidement mon intervention — c'est que le projet de loi reflète une préoccupation pour la santé mentale des personnes qui sont remises en liberté dans la collectivité. L'article 199 du projet de loi parle d'inciter les détenus à participer aux programmes offerts par les institutions et d'obtenir par là une réduction de peine. L'article 199 remplace le paragraphe 6(1) de la loi et parle de réduction de peine. Je vous le recommande. Il énonce :

[...] il observe les règlements de la prison et les conditions d'octroi des permissions de sortir et participe aux programmes, à l'exception de la libération conditionnelle totale, favorisant sa réadaptation [...]

Les personnes qui souffrent de troubles mentaux ont tendance à s'isoler. Il arrive que les personnes qui se conduisent mal dans les établissements semblent ne pas vouloir participer aux programmes alors qu'elles agissent de cette façon parce qu'elles souffrent de troubles mentaux.

Nous pourrions économiser des sommes considérables pour notre système judiciaire surchargé en agissant dans ce domaine.

Le sénateur Runciman : Je n'en disconviens pas. Je pense qu'en théorie, c'est la chose à faire, mais lorsque vous examinez les aspects concrets de la désinstitutionnalisation, vous constatez que le soutien communautaire qui devait être en place n'existe pas. Nous constatons aujourd'hui que le système correctionnel en subit le contrecoup. Il y a des gens qui couchent sur les grilles à air dans la ville de Toronto. C'est la réalité.

Je suis en fait partisan de lancer certaines initiatives, mais pas par l'intermédiaire du système correctionnel, mais par des fournisseurs de services privés comme, du côté provincial, l'hôpital Royal d'Ottawa, qui sont spécialisés dans le traitement des maladies mentales. Le représentant des services correctionnels a reconnu ici que ses services n'avaient tout simplement pas les ressources nécessaires. Ils n'ont pas les moyens d'attirer des professionnels. Ce n'est pas l'endroit pour offrir un traitement approprié.

M. Trudell : C'est la raison pour laquelle j'ai essayé de dire au début — et il est possible que je prenne beaucoup trop de temps — que je n'ai jamais vu auparavant une situation où la population, les collectivités et les sociétés canadiennes sont toutes prêtes à s'attaquer au problème de la santé mentale. C'est un moment très spécial. C'est une incitation à agir, mais le gouvernement fédéral a la responsabilité d'examiner l'ensemble de la situation, lorsqu'il dépose un projet de loi. Un agent correctionnel de l'Alberta m'a dit : « Vous projetez de construire une grande prison, mais il faut attendre sept à huit ans avant que celle-ci ouvre ses portes. Lorsque le moment arrive, la prison est déjà désuète et trop petite. » Nous pouvons faire quelque chose au sujet de ces problèmes.

Le sénateur Fraser : J'ai une question supplémentaire pour le sénateur Runciman. Vous possédez une expérience unique au Sénat, sénateur Runciman — peut-être même au Canada. Est-il moins coûteux d'envoyer les gens subir un traitement dans un établissement psychiatrique que de les envoyer en prison?

Le sénateur Runciman : Je peux uniquement vous parler d'une étude qui a été effectuée récemment au sujet de la construction d'un établissement pour contrevenantes par le gouvernement fédéral. On a effectué une analyse coût-avantage qui portait uniquement sur le volet traitement. Cela a été conforme à ce que cela coûterait dans le système fédéral. Il y a parfois des situations extraordinaires dans lesquelles des détenus entraînent des frais de 300 000 à 500 000 $ par an. Les autres coûts, qui sont difficiles à quantifier, sont les sommes épargnées pour les procureurs de la Couronne, les victimes, les services de police, par exemple. Il est difficile de saisir tout cela, pour ce qui est des avantages indirects.

M. Trudell : J'ajouterais à ceci les récidivistes. Le récidiviste chronique, nous le connaissons et si nous ne le traitons pas, nous savons ce qui arrivera; c'est un délinquant chronique et ensuite les coûts augmentent. Si cela semble conforme au reste lorsque nous examinons, comme l'a dit le sénateur Runciman, ce qui se passera dans quelque temps, dans un an environ, nous savons que cette personne reviendra parce que nous n'avons pas réglé le problème central; il est alors facile de calculer le coût dans ce cas.

Le président : Monsieur Trudell, il me semble que tout le monde, et je crois que cela comprend le ministre et mes collègues des deux côtés de la table, reconnait la nécessité d'agir de façon plus efficace que nous ne le faisons aujourd'hui pour lutter contre ces problèmes de santé mentale. Nous pouvons bien sûr parler de la façon et des endroits de le faire, et des ressources, mais la situation doit changer. Je pense que nous nous entendons tous là-dessus.

Ma question porte sur la proposition que vous avez faite aujourd'hui. Si je vous ai bien compris, vous proposez qu'une personne qui souffre de troubles mentaux et qui accepte de suivre un traitement, de la même façon que les dispositions relatives aux drogues prévoient le tribunal de traitement de la toxicomanie, puisse bénéficier d'une exception aux dispositions relatives aux peines minimales obligatoires qui s'appliqueraient autrement — dans le cas d'une personne avec des problèmes de santé mentale qui ont joué un rôle dans la perpétration de l'infraction. Ce qui me frappe, c'est la difficulté de décider quels seront les problèmes de santé mentale qui permettront de bénéficier de cette exception. Il ne s'agit pas ici, comme le sénateur Joyal l'a mentionné, de la question de l'élément moral qui est examinée pour décider si l'accusé a pu avoir l'intention requise. Vous avez donné un exemple : pour reprendre vos paroles, vous avez déclaré : « Eh bien, il s'agit de quelqu'un qui a perdu son emploi, qui a eu une mauvaise journée et qui a commis un crime. » Serait-ce là un exemple de situation où une personne pourrait utiliser cet élément pour éviter de recevoir la peine minimale obligatoire? Comment définiriez-vous le « problème de santé mentale » qui leur donnerait le droit de bénéficier de cette exception?

M. Trudell : Nous avons tous des mauvaises journées, mais je ne parle pas ici de mauvaises journées. Vous m'écoutez et vous pensez peut-être que cela sera une mauvaise journée. C'est ce que fait un juge. Le juge estime que telle personne souffre d'une véritable maladie mentale — un problème de santé. Vous ne levez pas la main pour dire que vous avez eu une mauvaise journée. Le juge veut entendre des preuves à ce sujet et être convaincu du fait que l'accusé souffre d'une maladie mentale. Un trouble de stress post-traumatique, par exemple, pourrait être un problème pour un soldat qui revient au Canada après avoir servi à l'étranger et qui n'a pas encore réussi à se réacclimater. Il y a toutes sortes de choses et c'est ce que font les juges. Le procureur de la Couronne dira et bien nous ne sommes pas convaincus que ce soit le cas; le procureur de la Couronne pourrait tout aussi bien dire il faudrait que cette personne voie un médecin. Il est alors décidé, de façon collective et en collaboration, que dans ce cas-ci, cette personne ne devrait pas être détenue parce que le juge, le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense sont convaincus que cette personne a besoin d'aide. Il s'agit ensuite de trouver l'endroit où elle pourrait obtenir cette aide. Il y en a.

Il est impossible de donner une définition précise de cette notion et je n'essayais pas d'être drôle. Je parlais de dépression grave que peuvent entraîner ces éléments déclencheurs. C'est ce que font les juges. C'est ce que font les procureurs de la Couronne. Je m'adresserais à mon ami, M. Chaffe, et lui dirais, il y a un problème grave. Voici le contexte et le juge prend une décision ou refuse la demande.

Le président : Pour gagner du temps, je comprends votre remarque. Votre réponse est très claire. Merci.

Le sénateur Jaffer : J'ai trouvé vos exposés très intéressants, mais troublants. Monsieur Chaffe, votre exemple du seau m'a aidée, mais cela concerne en fait les premières étapes du traitement d'un dossier. L'un d'entre vous a mentionné que la justice devait paraître être faite. Pour que le poursuivant obtienne une condamnation après avoir porté les accusations, il faut préparer le témoin, il faut accompagner la victime, il faut fixer la date du procès, il faut convaincre le juge, il faut préparer le dossier. Vous n'avez pas le temps de faire tout cela avec les ressources dont vous disposez. Que se passera-t-il avec les condamnations que vous obtiendrez?

M. Chaffe : Pour les affaires les plus graves que nous traitons, vous constaterez que les procureurs de la Couronne sont extrêmement bien préparés, par exemple, pour les cas d'homicides et les autres affaires très graves.

Le sénateur Jaffer : Je ne parle pas de ces affaires.

M. Chaffe : Nous n'avons tout simplement pas le temps de rencontrer les victimes dans chaque dossier. Je pense que toutes les provinces ont adopté une sorte de déclaration des droits des victimes qui contient des principes suivant lesquels il faut informer les victimes de l'évolution du dossier, les préparer au procès, leur fournir des renseignements généraux au sujet du processus judiciaire, à l'exception des affaires les plus graves et même parfois, même pas dans ce cas. Les procureurs de la Couronne n'ont tout simplement pas le temps de s'acquitter de leurs obligations dans ce domaine que l'on retrouve non seulement dans les lois provinciales, mais également dans la plupart des guides à l'intention des procureurs de la Couronne.

Le sénateur Jaffer : Lorsque je présidais le Comité canadien sur la violence faite aux femmes, nous avons présenté une recommandation principale. Nous avons beaucoup parlé dans cette salle d'aider les victimes. Nous avons dit qu'il faudrait avoir des groupes d'aide aux victimes qui les aideraient à passer par les différentes étapes du processus parce que cela n'est pas facile. Je ne parle pas des affaires mineures. Avons-nous, à l'heure actuelle, dans notre système judiciaire des défenseurs des victimes? Qui aide les victimes?

M. Chaffe : Nous avons des groupes d'aide aux victimes. De nombreuses provinces ont des programmes d'aide aux témoins et aux victimes. Celui de l'Ontario est excellent. Il accomplit un travail considérable pour préparer et rencontrer les victimes, les diriger vers les services nécessaires pour qu'elles puissent mieux assumer ce qui leur est arrivé, ce qui soulage d'autant le travail des procureurs de la Couronne. Cela varie d'une province à l'autre et cela dépend des priorités en matière de justice des gouvernements provinciaux, et dans certains cas, du gouvernement fédéral.

Le président : Sénateur Jaffer, je suis désolé de vous interrompre, mais je viens d'apprendre que nos témoins doivent partir dans 25 minutes parce qu'ils doivent prendre un avion.

Le sénateur Jaffer : Je suis désolée d'être interrompue parce que je pensais avoir posé une question très importante.

Le sénateur Angus : Messieurs, je vous remercie tous les deux au nom de tous les sénateurs d'avoir profité de notre étude du projet de loi C-10 pour signaler deux questions vraiment importantes — des questions extrêmement importantes, du moins d'après moi.

Monsieur Chaffe, nous en avons déjà parlé. Je m'occupe beaucoup de santé mentale, monsieur Trudell — plus que je ne le voudrais. Monsieur Chaffe, vous avez utilisé l'expression « le déficit de la justice pénale » et vous avez expliqué ce qui vous a amené à utiliser cette expression. J'ai conclu en résumant ce que vous avez dit : « Le système ne fonctionne pas. » Notre système de justice pénale ne fonctionne pas; pour l'essentiel, c'est une question d'argent et de ressources connexes; cela devrait être traité comme l'éducation et la santé, y compris la santé mentale, comme une question de financement de base dans notre fédération; et cet aspect n'est pas traité de cette façon à l'heure actuelle.

Je crois que vous m'avez dit — mais j'aimerais vous l'entendre dire pour que cela figure au compte rendu — que, si l'on tient compte de l'ensemble de la situation, comme elle vient d'être qualifiée il y a un instant, ce n'est pas un chiffre énorme.

M. Chaffe : Cela me paraît juste. Les budgets de la justice — et le sénateur Runciman peut nous aider à ce sujet, je crois, ou les sénateurs qui connaissent les budgets provinciaux, au moins — le volet justice d'un budget provincial et du budget fédéral est peu important si on le compare aux autres ministères. Je pense qu'en Ontario, il représente entre 3,5 et 3,8 p. 100 du budget total. Nous avons les moyens d'assumer le coût qu'entraînerait l'amélioration du système. Ce ne sont pas des problèmes comparables à ceux des soins de santé, mais ce sont des problèmes de base et il faut faire quelque chose.

Je suis sûr que les provinces pourraient facilement vous fournir le montant qu'il faudrait ajouter à ces budgets pour mettre en œuvre ces projets de loi. Il est intéressant de constater qu'au moins, officiellement, pratiquement toutes les provinces reconnaissent qu'il existe un lien entre l'ajout de lois pénales qui ont pour effet d'alourdir la charge de travail et la nécessité de fournir des ressources. La question n'est pas de savoir s'il faut investir dans ce domaine; il s'agit plutôt de savoir qui va investir et si c'est une priorité?

Le sénateur Angus : Vous êtes un des principaux acteurs du système, dans votre emploi actuel, et vous dites que le système ne fonctionne pas et qu'il faut le réparer; il faut attribuer une grande priorité à cette réforme. Si j'ai bien compris vos recommandations sur la façon d'aborder cette question, vous avez parlé de tenir un sommet national de la justice qui regrouperait les principaux acteurs — les différents gouvernements, les provinces, les représentants fédéraux et tout le reste — pour examiner cette question et proposer un nouveau système. Je pense que les deux témoins ont fait remarquer qu'il fallait absolument ne pas réfléchir en vase clos pour pouvoir trouver une solution. Est-ce bien exact?

M. Chaffe : Absolument.

Le président : Est-ce là votre réponse?

M. Chaffe : Oui.

Le président : Voilà qui est excellent.

Je vais devoir donner la parole aux sénateurs suivants pour que tout le monde puisse intervenir au cours du premier tour de questions.

Le sénateur Angus : Je ne peux pas parler à M. Trudell?

Le président : Non. Nous devons aller de l'avant. Nous n'allons pas pouvoir respecter notre horaire, malheureusement.

Le sénateur Baker : J'aimerais poser une question à M. Chaffe. Auparavant, j'ai un commentaire à faire au sujet de l'excellent travail qu'a accompli William Trudell.

Il me paraît naturel, monsieur Trudell, que votre amendement soit ajouté au Code criminel et il y a un endroit pour le faire. À l'heure actuelle, si quelqu'un comparaît pour la première fois devant un juge pour enregistrer un plaidoyer et qu'il est évident que la personne souffre d'une grave maladie mentale — autrement dit, si cette maladie affecte sa capacité — alors il y a dans le Code criminel une procédure pour ce genre de cas. Cette personne sera envoyée dans un établissement psychiatrique et non pas en prison. Il y a ensuite les dispositions relatives à la NRC.

Cependant, dans toutes les enquêtes de détermination de la peine, si je me souviens bien, le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense peuvent se réunir et dire : « Nous allons demander un rapport présentenciel ». Dans ces rapports présentenciels, des médecins et des spécialistes donnent leur opinion au sujet de la sanction appropriée pour cette personne particulière. Cela figure déjà dans le Code criminel, auquel il suffirait d'ajouter votre amendement pour que les spécialistes préparent le rapport présentenciel.

La question que je veux poser à M. Chaffe est la suivante : le ministre a parlé des récidivistes en ce qui concerne les peines minimales obligatoires. L'article 727 du Code criminel, si je me souviens bien, impose au poursuivant — le texte de la dispostion utilise ce mot — l'obligation d'aviser l'accusé avant son plaidoyer qu'une peine plus sévère peut lui être infligée du fait d'une condamnation antérieure. Ensuite, au moment du prononcé de la peine, à la fin du processus, si l'accusé est déclaré coupable, il faut produire le casier relatif à la condamnation antérieure.

Est-ce que cela n'impose pas désormais à tous les poursuivants l'obligation qui incombe déjà à un juge, sans parler de peine minimale obligatoire; ou voyez-vous là une responsabilité supplémentaire attribuée à la Couronne et est-il possible que le procureur de la Couronne, agissant à titre de ministre de la Justice, comme cela est dit dans le rapport Martin, demanderait que ne soit pas mentionnée la condamnation antérieure?

M. Chaffe : Le juge est nécessairement au courant de la chose. Je crois que nous avons l'obligation de ne pas dissimuler au tribunal l'existence d'une condamnation antérieure. Je ferai une comparaison avec l'avis concernant une demande de peine aggravée dans les cas de conduite avec facultés affaiblies.

Le sénateur Baker : L'article 253.

M. Chaffe : Exact. Il nous arrive de décider de ne pas fournir cet avis. Bien entendu, le juge est informé de toute condamnation antérieure qui n'a pas été enregistrée dans une période, disons, de cinq ou sept ans. Cela crée-t-il une nouvelle obligation? L'obligation de donner un avis en est une. C'est une mesure supplémentaire. L'obligation d'informer l'accusé est nouvelle, effectivement.

Le président : Si nous le pouvons, j'aimerais beaucoup garder un peu de temps pour la fin. Lorsque j'ai appris que nos témoins allaient nous quitter, j'ai été obligé d'interrompre le sénateur Jaffer. J'aimerais lui donner la possibilité de poser une question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Chaffe. Vous savez que tout changement peut apporter son lot d'inquiétudes. Évidemment, on parle d'un changement avec l'adoption du projet de loi C-10. Si, pour quelque raison que ce soit, il y a changement, vous allez devoir vivre avec les modifications qui seront apportées, et je comprends votre situation. Évidemment, le constat n'est pas différent de ce qui peut se passer aussi dans la majorité des milieux de travail où on veut effectuer des changements. S'il fallait s'arrêter à ce constat, la modernisation des lois et du Code criminel ne pourrait peut-être pas se faire ou ne se ferait peut-être jamais.

J'ai pris connaissance de votre mémoire. Il met l'accent sur l'impact administratif du projet de loi C-10, mais il ne met pas tellement l'accent sur les améliorations que le législateur apporterait pour augmenter la sécurité de la population. Si un projet de loi plus sévère était adopté, il aurait peut-être un effet dissuasif. On émet l'hypothèse qu'il pourrait diminuer le crime et peut-être même la récidive de la part des délinquants. Si c'était le cas, est-ce que votre fardeau de travail ne deviendrait pas acceptable? Est-ce que vous l'avez analysé?

[Traduction]

M. Chaffe : Sénateur, le problème que posent les peines minimales obligatoires est qu'elles vont augmenter le nombre des procès. Les restrictions apportées au recours à l'emprisonnement avec sursis à des fins de plaidoyer de culpabilité vont limiter ces aspects. Ces dossiers vont donner lieu à des procès. Nous ne pourrons pas tenir ces procès sans exclure d'autres dossiers.

C'est une question de capacité. Sans ressources nouvelles pour la mise en œuvre de ces lois, nous ne saurons jamais si elles auront l'effet dissuasif que vous pensez qu'elles ont, que de nombreuses personnes pensent qu'elles ont ou si elles n'en auront pas comme de nombreuses personnes le pensent également. Nous ne le saurons jamais. Nous n'avons pas les moyens de le savoir. C'est ce que je voulais dire.

Je respecte bien sûr le pouvoir qu'a le Parlement d'aggraver ou d'alléger les peines. C'est une question de capacité. C'est une question de première ligne, pas une question administrative, si vous me permettez de le dire. Cela touche le travail quotidien des procureurs de la Couronne qui sont en première ligne et c'est une question de capacité. Nous ne le saurons jamais.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse à M. Chaffe. Les procureurs de la Couronne travaillent de concert avec les policiers sur le terrain dans la lutte contre la criminalité. Le ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique nous ont mentionné assez souvent qu'ils voulaient mieux équiper, grâce à ce projet de loi, les gens travaillant sur le terrain. Y a-t-il dans ce projet de loi, selon vous, des éléments de réponse pouvant faciliter votre travail ou améliorer votre efficacité dans la lutte contre les criminels dangereux?

[Traduction]

M. Chaffe : Je ne pense pas que je puisse parler des avantages ou des inconvénients des modifications proposées. Je peux toutefois dire — et je l'ai déjà dit — que, si nous n'ajoutons pas des ressources pour les mettre en vigueur, nous ne saurons pas si elles sont efficaces.

Le sénateur Chaput : Merci.

Le sénateur Lang : M. Chaffe a énuméré les provinces qui appuyaient la mesure législative et celles qui ne le faisaient pas; le Yukon est une de celles qui l'appuient et je ne pense pas que vous l'ayez mentionné.

M. Chaffe : Vous avez raison, j'ai omis de le faire, sénateur; je suis désolé.

Le sénateur Lang : Je voulais simplement le faire remarquer.

Plus tôt aujourd'hui, j'ai parlé du transfert de 30 milliards de dollars aux provinces. Je tiens à corriger ce chiffre pour le compte rendu. L'augmentation des versements aux provinces était de 30 p. 100, et représente 12,7 milliards de dollars. Dans le budget de 2010 — et c'est ce dont nous parlons ici, les fonds fédéraux destinés aux provinces — les paiements de transfert aux provinces et territoires s'élevaient à 54 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 2,4 milliards de dollars. Je crois comprendre que dans la plupart des cas, les provinces sont libres de dépenser ces fonds comme elles l'entendent.

Monsieur Chaffe, recommandez-vous d'ajouter une clause aux transferts du gouvernement fédéral pour veiller à ce qu'un certain montant des transferts soit affecté au système judiciaire?

M. Chaffe : Je serais peut-être obligé de retenir les services d'un avocat pour répondre à cette question. Voilà qui dépasse largement...

M. Trudell : Je conseille à M. Chaffe de ne pas répondre à cette question.

M. Chaffe : Cela dépasse largement ma capacité de répondre à cette question. Il faut en réalité que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux se concertent. C'est une fonction essentielle d'un gouvernement. Il faut en arriver à une entente au sujet de la mise en œuvre des lois pénales. Nous avons à l'heure actuelle une situation dans laquelle certaines provinces les appliquent et d'autres ne le font pas. C'est une question qui compromet le principe de la primauté du droit et il faut que tous les acteurs fédéraux et provinciaux l'abordent ensemble.

Le sénateur Lang : J'aimerais aller plus loin avec l'idée du sénateur Runciman de créer une commission royale, ou quelque chose du genre, chargée d'examiner les systèmes fédéral-provinciaux. Cela me dérange — et je serai franc à ce sujet — de constater que chaque fois qu'un membre du barreau ou qu'un procureur de la Couronne comparaît devant le comité, il demande toujours davantage de fonds pour résoudre nos problèmes. Je ne pense pas que cela permettra nécessairement de les régler. Cela pourrait aider jusqu'à un certain point, mais je crois que nous pourrions modifier autrement notre système pour qu'il soit plus rapide et plus efficace qu'il ne l'est actuellement.

De toute façon, je voulais simplement faire cette remarque, à savoir qu'il me paraît être temps de travailler tous ensemble et de voir ce que nous pouvons faire avec les ressources existantes plutôt que d'envisager d'en ajouter. C'est ma remarque conservatrice.

Le président : Je crois que vous allez obtenir l'unanimité des personnes qui siègent à cette extrémité de la table. C'est exactement ce que nous avons entendu dire tout à l'heure.

Pour le temps qu'il nous reste, je vais donner la parole au sénateur Jaffer. Encore une fois, je tiens à présenter mes excuses pour l'avoir interrompue il y a un instant.

Le sénateur Jaffer : Merci, monsieur le président.

Il y a un aspect qui n'a pas été abordé, en particulier par vous, en tant qu'avocat de la défense, monsieur Trudell, et c'est l'aide juridique. Nous avons parlé de toutes sortes de ressources. Je peux vous parler de ma propre province. En Colombie-Britannique, la situation de l'aide juridique est tout simplement terrible. D'après ce que j'ai compris lorsque je pratiquais le droit, l'aide juridique était accordée en priorité aux accusés qui risquaient la prison. C'était les premières personnes qui obtenaient une aide juridique. Cela ne laisse pas beaucoup d'aide juridique pour les autres.

Lorsque nous parlons de ressources, je pense qu'il s'agit là d'un aspect très important. Nous avons parlé des personnes marginalisées, des Autochtones et des personnes souffrant de maladie mentale. Toutes ces personnes bénéficient-elles d'un soutien?

M. Trudell : Il est évident qu'un régime d'aide juridique bien financé renforce la sécurité des rues, la sécurité des collectivités et améliore le système de justice pénale. Je ne pense pas que les services de police, les procureurs de la Couronne et les tribunaux critiqueraient cette affirmation. Il ne s'agit pas simplement de demander de l'argent, il s'agit de financer un excellent système de justice pénale.

Nous allons dans les pays en développement pour leur enseigner comment fonctionne notre système. Cela est tout à fait certain; le système doit être financé. S'il est financé correctement, il fonctionnera bien, il permettra de faire des économies et finalement, nos collectivités seront plus sûres.

Le sénateur Jaffer : En tant qu'avocat de la défense, quel est l'état de l'aide juridique en général, dans l'ensemble du pays?

M. Trudell : Cela varie d'une province à l'autre, bien évidemment, mais je peux dire que d'une façon générale, la situation est très inégale. Il n'y a pas d'uniformité. Nous faisons ce que nous pouvons. Certaines provinces font davantage que d'autres; les juges aident parfois en nommant un avocat. Il est toutefois incontestable que la situation est loin d'être uniforme. Il y a beaucoup d'avocats de la défense au Canada qui ne gagnent vraiment pas beaucoup d'argent.

Le sénateur Jaffer : Bien évidemment, cela complique votre tâche s'il n'y a pas d'avocats en mesure d'aider l'accusé.

M. Chaffe : Effectivement.

M. Trudell : Souvent, les accusés ne sont pas représentés, ce qui est un problème très grave. Je suis désolé.

M. Chaffe : Ce problème s'aggrave. Il y a de plus en plus souvent des accusés non représentés devant les tribunaux parce que l'aide juridique est insuffisante. Cela fait partie de la question du financement de base.

Le président : Merci, sénateur Jaffer.

Messieurs, je vous remercie pour la contribution très utile que vous avez apportée à nos travaux. Nous apprécions beaucoup le temps que vous nous avez consacré. Nous avons considérablement dépassé notre horaire, mais vous pouvez juger par les questions posées que nous étions très intéressés par ce que vous aviez à dire.

Chers collègues, nous allons lever la séance et nous la reprendrons demain matin, à 10 h 30, dans cette salle.

(La séance est levée.)


Haut de page