Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 13 - Témoignages du 22 février 2012
OTTAWA, le mercredi 22 février 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois, se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur John D. Wallace (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, chers collègues. Je suis le sénateur John Wallace, du Nouveau-Brunswick, et je préside le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude détaillée du projet de loi C-10. Au cours des dernières semaines, nous avons examiné divers aspects du projet de loi. C'est ce que nous avons continué à faire cette semaine dans le cadre de séances d'une journée complète, et nous procéderons ainsi jusqu'à vendredi. Cette semaine, nous avons séparé les divers sujets qui sont inclus dans le projet de loi afin d'en étudier un par jour.
La question dont nous sommes saisis aujourd'hui concerne la partie 4 du projet de loi C-10, qui porte sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
En guise de résumé, la partie 4 du projet de loi C-10 modifie la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en plusieurs aspects, notamment pour faire de la protection des citoyens un principe fondamental de la loi et faciliter la détention des jeunes contrevenants qui commettent des infractions ou présentent une menace pour la sécurité publique. Plus précisément, le projet de loi C-10 établit les objectifs de dissuasion spécifique et de dénonciation comme principes de détermination de la peine; élargit la définition d'« infraction avec violence » établie par la jurisprudence afin d'y ajouter les comportements insouciants qui mettent en danger la sécurité publique; modifie les règles de la détention avant le prononcé de la peine afin de faciliter la détention des adolescents accusés de crimes contre les biens punissables d'une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans et plus et de ceux contre lesquels plusieurs accusations pèsent toujours ou qui ont fait l'objet de plusieurs déclarations de culpabilité; autorise le juge à condamner à l'emprisonnement un adolescent qui a fait l'objet par le passé de plusieurs sanctions extrajudiciaires; oblige la Couronne à envisager la possibilité de demander une peine applicable aux adultes à l'égard des adolescents de 14 ans à 17 ans déclarés coupables de meurtre, de tentative de meurtre, d'homicide involontaire coupable ou d'agression sexuelle grave; facilite la publication des noms des adolescents condamnés pour des infractions violentes; oblige la police à consigner dans un registre les mesures extrajudiciaires imposées à des jeunes contrevenants afin qu'il soit possible de documenter leurs tendances criminelles; et proscrit l'emprisonnement des adolescents dans des établissements correctionnels destinés aux adultes.
Chers collègues, nous sommes ravis d'accueillir aujourd'hui notre premier groupe de témoins pour examiner la question. Nous comptons parmi nous des représentants de trois différentes organisations. Tout d'abord, de la Gendarmerie royale du Canada, nous avons le plaisir d'accueillir Michael Lesage, directeur général par intérim, Services nationaux de police autochtones; et Beth Rolston, Services nationaux de la prévention du crime. Ensuite, de l'Association canadienne des chefs de police, nous recevons Chris McNeil, chef adjoint des opérations du service de police d'Halifax. Enfin, nous recevons Steven Nevill, enquêteur à la section jeunesse du service de police de Toronto.
Mesdames et messieurs, nous sommes heureux de vous avoir parmi nous aujourd'hui. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire sur le sujet et d'avoir l'occasion de vous poser des questions.
Nous allons commencer par les déclarations préliminaires.
Inspecteur Michael Lesage, directeur général par intérim, Services nationaux de police autochtones, Gendarmerie royale du Canada : Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui de l'intervention policière auprès des jeunes.
En 1999, la GRC a fait des jeunes une priorité stratégique pour l'organisation et elle s'est donné pour objectifs de réduire le nombre de jeunes impliqués dans des crimes, que ce soit comme victimes ou comme contrevenants, de promouvoir la participation des jeunes, de soutenir des interventions à long terme concernant la criminalité et la victimisation chez les jeunes et de mettre l'accent sur les risques et les facteurs de protection, sur la prévention et sur les interventions précoces.
Pour atteindre ces objectifs, les Services nationaux à la jeunesse de la GRC appuient les agents de première ligne qui travaillent auprès des jeunes en leur donnant de la formation, des conseils relatifs aux questions policières et des ressources, et en leur proposant des activités pour l'intervention et la réorientation visant les jeunes, la prévention de la criminalité et l'application de la loi. Cependant, nous ne pouvons pas y arriver seuls. La GRC croit que la prévention à long terme de la criminalité et de la victimisation chez les jeunes ne peut être faite qu'en collaboration avec le milieu. Nous travaillons avec des partenaires locaux pour trouver des occasions de mobiliser les jeunes et, ensemble, nous nous attaquons aux causes profondes de la criminalité afin que les jeunes courent moins le risque de devenir des victimes ou des contrevenants.
J'aimerais maintenant prendre quelques minutes pour présenter des exemples d'initiatives des Services nationaux à la jeunesse de la GRC. Comme je l'ai mentionné, bon nombre de nos programmes mettent l'accent sur l'intervention précoce. Le but est d'agir sur les facteurs de risque avant qu'un crime ne soit commis. Le projet pilote du Programme national d'intervention et de réorientation visant les jeunes en est un exemple. Le programme vise la sensibilisation à l'importance du risque dans la prise de décision et il soutient les programmes pour les jeunes à risque, lesquels programmes aident à réduire les cas de récidive.
Le programme est conçu pour accroître la capacité des agents de première ligne de la GRC de reconnaître les jeunes à risque et de pouvoir ainsi les renvoyer à des programmes communautaires pour qu'ils y soient évalués et traités, contribuer à la réintégration dans la collectivité des jeunes aux prises avec des problèmes d'abus d'alcool ou d'autres drogues et favoriser des partenariats entre la police et le milieu pour agir sur les facteurs de risque rattachés à la criminalité chez les jeunes.
À l'heure actuelle, la GRC fournit des services de police à environ 5 000 écoles dans les régions du Canada où elle est compétente. En faisant activement participer les administrateurs des écoles, les élèves et leurs parents, le Programme national des policiers éducateurs vise à établir de bonnes relations entre les policiers éducateurs de la GRC et la population qu'elle sert.
La GRC est consciente qu'il faut des compétences spécialisées pour travailler auprès des jeunes à risque. C'est pourquoi les policiers éducateurs de la GRC suivent une formation qui leur permet d'acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour composer avec les nombreux problèmes auxquels font face les jeunes d'aujourd'hui.
Parallèlement à nos autres programmes pour les jeunes, la formation des policiers éducateurs de la GRC met l'accent sur la prévention de la criminalité, la détermination des risques menant à la criminalité chez les jeunes, l'établissement de partenariats avec des intervenants communautaires travaillant dans des secteurs comme la santé mentale et les services de probation, la réhabilitation et la réintégration dans la collectivité des jeunes qui ont eu des démêlés avec la justice et la connaissance des procédures judiciaires établies pour garantir le respect des droits et libertés des jeunes tout en leur imposant des sanctions dissuasives s'ils commettent des infractions.
Voici un exemple qui montre comment la formation des policiers éducateurs de la GRC profite à la population.
Une de nos agentes à Keremeos, en Colombie-Britannique, ayant suivant la formation, attribue directement sa participation actuelle au centre local pour les jeunes toxicomanes au fait d'avoir suivi sa formation. L'agente peut maintenant compter sur l'assistance d'un autre membre de la GRC pour agir comme mentor auprès des jeunes qui participent à ce programme et pour exercer du leadership. Le centre local dit qu'il est très satisfait du soutien qu'il reçoit du détachement local de la GRC.
L'éducation et la sensibilisation des jeunes et des agents de police de première ligne sont une autre composante importante de la stratégie pour les jeunes de la GRC. Grâce au Centre de ressources pour les policiers éducateurs, ou CRPE, la GRC permet aux policiers d'avoir accès aux outils dont ils ont besoin pour communiquer avec les jeunes.
Le CRPE est un site web qui offre des plans de leçon en fonction de l'âge que les policiers peuvent utiliser dans les écoles et qui les aident à mobiliser les jeunes dans leur milieu. Les plans de leçon du CRPE portent sur une panoplie de sujets, notamment la sensibilisation aux drogues, les relations violentes, la prévention du suicide, l'intimidation et la sécurité sur Internet.
La GRC croit que les jeunes ont des solutions utiles à proposer et qu'ils devraient jouer un rôle actif dans leur milieu. C'est pourquoi en 2011, la Section de la mobilisation des jeunes de la GRC a organisé deux ateliers de perfectionnement en leadership et de développement de projet pour les jeunes, qui ont eu lieu à l'École de la GRC, à la Division Dépôt, à Regina, en Saskatchewan.
Pendant les ateliers, des agents de la GRC et des jeunes d'un peu partout au pays ont discuté des causes profondes des problèmes, comme l'abus de drogues et l'intimidation chez les jeunes, et des répercussions de ces comportements sur les personnes, les écoles et le milieu. Les jeunes; ainsi que leurs mentors de la GRC, sont retournés dans leur région avec un plan pour s'attaquer aux problèmes liés à la criminalité et à la victimisation chez les jeunes qu'ils ont recensés dans leur milieu.
Il est possible de suivre les progrès réalisés par l'équipe en consultant le site web de la GRC, CHOIX.org, qui est une autre initiative importante visant les jeunes. Le site est géré par des jeunes, pour des jeunes. Le site CHOIX.org fonctionne selon le principe de prévention de la criminalité grâce au développement social. De plus en plus de gens consultent le site, car il fournit aux jeunes des outils et des ressources utiles pour les aider à faire face aux divers problèmes qui les touchent.
Le site CHOIX.org héberge aussi la page du Comité consultatif sur la jeunesse de la GRC. Le Comité consultatif sur la jeunesse communique à la GRC le point de vue des jeunes sur la prévention de la criminalité, et il nous donne l'occasion d'élaborer des approches novatrices en matière de services de police afin de tenir compte des priorités des jeunes et d'offrir des services qui répondent à leurs besoins propres.
En terminant, j'aimerais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de vous présenter quelques exemples de la façon dont la GRC travaille pour réduire la criminalité et la victimisation chez les jeunes au Canada. J'espère que mon exposé a donné aux membres du comité un aperçu de l'importance de la question de l'intervention policière auprès des jeunes pour la GRC. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Lesage.
Madame Rolston, avez-vous quelque chose à ajouter?
Gendarme Beth Rolston, Services nationaux de la prévention du crime, Gendarmerie royale du Canada : Non, monsieur le président. Merci.
Le président : Nous passons maintenant au chef adjoint Chris McNeil, de l'Association canadienne des chefs de police.
Chris McNeil, chef adjoint des opérations, Service de police d'Halifax, Association canadienne des chefs de police : Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité ici pour vous parler du projet de loi, en particulier des modifications apportées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, ou la LSJPA. Comme vous le savez, en plus de mes fonctions à l'Association canadienne des chefs de police, l'ACCP, je suis chef adjoint du service de police d'Halifax.
D'entrée de jeu, permettez-vous de dire que l'ACCP appuie l'approche plus concrète prévue par la LSJPA pour le système de justice pénale pour les adolescents afin de réduire le nombre de jeunes ayant des démêlés avec la justice. C'est pourquoi les forces policières au Canada ont joué un rôle de premier plan dans la promotion d'initiatives telles que la justice réparatrice. De plus, l'Association canadienne des chefs de police estime que la LSJPA est, en gros, une bonne mesure législative, mais il y a deux aspects dans les répercussions initiales de la LSJPA qui nous préoccupent depuis longtemps.
Premièrement, le système de justice pénale pour les adolescents prévu par la LSJPA doit être assorti de services de soutien complets. Par là, j'entends des services qui vont bien au-delà du système de justice pénale, notamment l'éducation, les services sociaux, les services de santé physique et mentale et les services d'aide à l'enfance. Malheureusement, dans les cas où ces services sont déjà offerts, la capacité n'est pas suffisante.
Un des objectifs énoncés dans le préambule de la LSJPA, qui constitue sans doute l'objectif principal, c'est de créer un système de justice pénale pour les adolescents qui diminue le recours à l'incarcération des adolescents non violents. Si on part du principe qu'il y a un recours excessif à l'incarcération, il est simpliste de supposer qu'on règlera le problème en changeant la loi et en exigeant qu'un plus grand nombre de jeunes restent dans la collectivité.
Selon l'ACCP, le problème du recours excessif à l'incarcération tient surtout au manque de services de soutien offerts aux jeunes ayant des démêlés avec la justice. En effet, la LSJPA a été mise en œuvre sans une amélioration correspondante des services aux jeunes. Même si de nouveaux fonds ont été débloqués pour l'application de la LSJPA, ils visaient à améliorer les programmes et les services de justice pour les jeunes. Par conséquent, les services de soutien tels que les services de santé mentale, d'aide à l'enfance et de lutte contre la toxicomanie n'ont pas été suffisamment bonifiés en prévision de l'adoption de la LSJPA.
Les jeunes restent dans la collectivité sans l'appui nécessaire pour se sortir des conditions sociales à l'origine même de leurs démêlés avec la justice. Dans pareilles circonstances, leur incarcération est chose inévitable. Tant qu'on n'aura pas réglé la question des services aux jeunes, on continuera à avoir du mal à créer le système de justice pénale pour les adolescents auquel on aspire.
Bien que l'objectif de diminuer le recours à l'incarcération soit louable, la LSJPA ne nous permet pas de lutter contre un petit groupe de jeunes incorrigibles qui présentent une menace pour la sécurité publique. Il est largement admis que le principe fondamental du droit pénal est d'assurer la protection du public. La LSJPA, en tant que loi pénale, va à l'encontre de ce principe car elle accorde moins de priorité à la protection du public.
La SLJPA est très normative. Elle établit clairement que la détention n'est pas nécessaire dans la plupart des circonstances, mais uniquement dans le cas d'infraction avec violence, qu'elle ne définit pas cependant. La Cour suprême du Canada a circonscrit sa définition d'« infraction avec violence » : « Toute infraction commise par un adolescent et au cours de la perpétration de laquelle celui-ci cause des lésions corporelles ou bien tente ou menace d'en causer. »
En vertu de cette définition, tout comportement susceptible de mettre en danger la sécurité publique ne déboucherait pas sur une détention en vertu de la LSJPA. Est donc exclue de la loi une vaste gamme de comportements dangereux et insouciants qui mettent en danger la sécurité publique, mais qui ne constituent pas une infraction avec violence, comme voler à répétition des automobiles et les conduire d'une façon dangereuse et imprudente.
Il n'est guère étonnant que la confiance du public soit ébranlée face à un système de justice pénale qui semble impuissant à intervenir lorsque des adolescents répètent les mêmes comportements mettant en danger leur vie, tout simplement parce que de tels comportements ne sont pas considérés violents sur le plan légal.
Dans l'interprétation de la LSJPA, la définition d'« infraction avec violence » est assujettie à la déclaration de principes et aux règles en matière de détermination de la peine. En excluant le critère de la sécurité publique de la loi, simplement élargir la définition d'« infraction avec violence » ne favorisera pas une meilleure approche en matière de sécurité publique.
En 2005, l'ACCP a adopté une résolution préconisant des modifications à la LSJPA pour y intégrer la protection du public comme principe fondamental et pour autoriser la détention des adolescents dont le comportement criminel constitue un danger public.
Le projet de loi corrige ces lacunes tout en maintenant les dispositions de la LSJPA qui tiennent compte de la nécessité d'assurer la sécurité publique et, parallèlement, de continuer à moins recourir à l'incarcération des adolescents non violents.
Venant d'Halifax, je m'en voudrais de passer sous silence l'influence qu'a eue sur mes observations le décès tragique de Theresa McEvoy, cette mère de trois enfants d'Halifax qui a été tuée lorsque sa voiture a été emboutie par un autre véhicule. Ce véhicule avait été volé, et son conducteur, un adolescent de 16 ans nommé A.B., avait brûlé un feu rouge à toute vitesse. Cet adolescent venait d'être remis en liberté deux jours plus tôt, et ce en dépit de 38 accusations au criminel pour des gestes analogues.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'une enquête publique a été menée par l'honorable Merlin Nunn à la suite du décès de Mme McEvoy. Dans son rapport, le juge Nunn formule plusieurs recommandations à propos de la LSJPA et du système de justice pénale pour les adolescents en Nouvelle-Écosse. Si j'ai bien compris, il vous fera part de ses constatations. Je ne m'attarderai donc pas sur le sujet. Je suis ravi que vous puissiez entendre son témoignage.
Le décès de Theresa McEvoy et l'enquête qui s'ensuivit ont fait ressortir, selon moi, les deux graves lacunes de la LSJPA et de sa mise en œuvre, lacunes dont je vous ai déjà fait part. Le projet de loi en corrige une. Il vaut la peine, je pense, de répéter l'autre. Les modifications législatives ne déboucheront pas sur un système de justice pénale pour les adolescents que nous souhaitons si les services destinés à ceux-ci ne sont pas améliorés en conséquence.
L'ACCP exhorte tous les ordres de gouvernement à accorder les fonds pour assurer la prestation de services afin d'aider les jeunes qui éprouvent des problèmes susceptibles de leur causer des démêlés avec la justice.
Je sais que certains s'inquiètent du fait que les modifications à la LSJPA entraîneront trop d'incarcérations. Je m'inscris en faux. J'estime que ces modifications ne visent que le petit nombre de contrevenants qui demeurent impunis. À cet égard, je souhaiterais terminer ma déclaration en vous citant le juge Nunn :
Ce serait faire fausse route que de laisser les aspects positifs de la LSJPA occulter ses lacunes. A.B. a profité d'une de ses lacunes. Il a répété son comportement criminel sans que personne n'intervienne, et ce jusqu'à ce qu'il soit à la cause du décès de Theresa McEvoy. Les récidives de A.B. ne sont pas sans précédent. Il y a peut-être jusqu'à 100 adolescents qui ont été récidivistes en Nouvelle-Écosse et pour lesquels le recours à la loi est inutile. Toute proportion gardée, on retrouve les mêmes chiffres pour les autres provinces. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et nous enorgueillir du caractère noble que revêtent nos objectifs de réintégration et de réadaptation tout en négligeant ceux dont les besoins sont les plus grands. Les objectifs de la loi sont utiles, tout comme l'est l'incarcération lorsque celle-ci s'impose pour assurer la sécurité publique tout en respectant les objectifs de la loi.
Stephen Nevill, enquêteur, Section jeunesse, Service de police de Toronto : Je voudrais tout d'abord remercier le comité de m'avoir invité à comparaître au nom du Service de police de Toronto. Je suis policier depuis près de 30 ans. Je suis actuellement enquêteur. J'ai travaillé dans l'un des 17 postes de police ou divisions à Toronto. Je dirige une équipe de 13 policiers menant des enquêtes criminelles, dont six sont affectés aux crimes commis par les adolescents, à la violence faite aux enfants, aux agressions sexuelles et à la violence familiale. Quatre de mes policiers sont directement responsables de la vérification du respect des conditions de libération sous caution imposées par les tribunaux.
Au cours des 15 dernières années, j'ai travaillé avec des adolescents, tant des accusés que des victimes. Les crimes vont des infractions commises avec une arme à feu au meurtre. Dans mes activités quotidiennes, je constate les effets positifs de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et ce que j'estime être les aspects négatifs de celle- ci.
Le Service de police de Toronto s'efforce d'intervenir auprès des adolescents d'une façon positive tout en protégeant les Torontois contre les jeunes récidivistes violents.
J'aborderai la façon dont j'interviens auprès des récidivistes qui, même s'ils ont reçu des sanctions extrajudiciaires, continuent dans la criminalité sans encourir de peines d'emprisonnement ou après avoir purgé de faibles peines d'incarcération, et auprès de ceux qui ne sont pas incarcérés même après avoir violé à de nombreuses occasions les conditions de leur libération sous caution.
Je peux vous parler des affaires dont je m'occupe à l'heure actuelle et qui impliquent quatre jeunes contrevenants différents. J'ai avec moi la documentation concernant ces affaires. Malheureusement, elles ne sont pas représentatives des cas graves qu'il m'arrive de traiter. Je crois avoir enlevé de la documentation les éléments susceptibles de permettre l'identification de ces jeunes contrevenants. Les tribunaux sont actuellement saisis de ces affaires. C'est la raison pour laquelle je ne peux vous remettre la documentation. Dans ces quatre affaires, les inculpations, les sanctions extrajudiciaires, les mises en liberté, les abandons des accusations et les comparutions sont trop nombreux pour que je puisse m'en souvenir.
En ma qualité de policier, je considère que les recommandations figurant dans le projet de loi C-10 sont une mesure positive pour s'attaquer aux problèmes que causent les jeunes contrevenants récidivistes et violents et pour protéger l'ensemble de la société.
Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
Le président : Merci infiniment. Nous passons maintenant aux questions des membres du comité.
Le sénateur Fraser : Bonjour à vous tous, et merci de votre présence parmi nous.
Il s'agit d'une partie très importante du projet de loi C-10, parce qu'il y est question des adolescents. Il est donc essentiel que nous entendions le témoignage des intervenants.
Monsieur McNeil, vous avez évoqué le problème de la détention présentencielle ainsi que le rapport Nunn à la suite du décès tragique survenu en Nouvelle-Écosse. Le projet de loi C-10 compte une longue disposition détaillée sur la détention présentencielle. D'après vous, cette disposition répond-elle aux objectifs énoncés dans le rapport Nunn? Faudrait-il amender cette disposition?
M. McNeil : La LSJPA est probablement la mesure législative la plus complexe jamais rédigée.
Le sénateur Fraser : Quelqu'un a même employé, à juste titre, le terme « hermétique ».
M. McNeil : Les modifications proposées sont, à mon avis, pertinentes. Tout repose sur la définition d'« infraction avec violence ». Il s'agit moins de modifier la définition que d'y ajouter un peu plus d'infractions, et c'est chose faite.
Le sénateur Fraser : Je vais donc vous poser des questions sur la définition d'« infraction avec violence ». On a proposé qu'il serait pertinent d'intégrer à cette définition la notion que l'adolescent non seulement a causé un préjudice physique mais qu'il savait ou qu'il aurait dû savoir que son comportement était susceptible d'entraîner cette conséquence. Je vous donne l'exemple d'un adolescent qui, un samedi soir, lance une pierre pour fracasser une fenêtre de l'école, inconscient de la présence du concierge qui est frappé par la pierre lancée alors que l'autre ne voulait que briser la fenêtre. Voyez-vous où je veux en venir?
M. McNeil : Tout à fait, mais je ne crois pas que ces modifications se rapportent aux infractions de cette nature. Il est plutôt question de comportements extrêmement dangereux de la part d'adolescents. Malgré ces modifications, il n'en demeure pas moins que la détention est assujettie à de nombreuses conditions. Compte tenu de toutes les circonstances, il faut déterminer si l'adolescent peut demeurer en liberté sans que la protection du public ne soit mise en danger. Les conditions précisées dans la loi interdiraient la détention d'un adolescent qui aurait commis l'infraction que vous avez évoquée.
Le sénateur Fraser : Il ne s'agit pas uniquement de détention. L'expression « infraction avec violence » pullule dans le projet de loi.
Je m'adresse maintenant aux représentants de la GRC. Les sénateurs vieillissants ont notamment de la difficulté à se souvenir de leur comportement lorsqu'ils étaient adolescents. Au fil des ans, divers experts nous ont signalé que l'aspect dissuasif d'une loi n'a vraiment aucune influence sur les adolescents, qui sont insouciants du lendemain. Ils n'ont pas la maturité pour saisir toutes les conséquences de leurs actes. N'est-ce pas ce à quoi sert la dissuasion? Se dire que tel geste entraînera telles conséquences.
Êtes-vous d'accord?
Mme Rolston : Mon collègue répondra à la question.
M. Lesage : Il s'agit de gens dangereux. Ont-ils la maturité nécessaire pour saisir les conséquences de leurs actes? Je l'ignore. Je n'ai pas l'expérience nécessaire pour le déterminer.
M. McNeil : Je comprends fort bien. Il y a deux aspects que nous devons comprendre au sujet de la dissuasion. Tout d'abord cette modification, contrairement à de nombreuses autres, n'a pas d'effet coercitif, en ce sens qu'elle donne la possibilité d'envisager une mesure dissuasive. Dans certains cas, c'est peut-être justifié.
Nous sous-estimons souvent la capacité des adolescents de comprendre la portée de leurs actes. Comme policiers de première ligne, nous savons qu'ils sont très conscients des répercussions de la loi. Ils sont au courant qu'un adolescent en possession d'une arme à feu sera traité différemment que s'il avait 18 ou 19 ans. Il faut être naïf pour croire qu'ils n'en sont pas conscients. Les adolescents d'aujourd'hui sont beaucoup plus délurés que nous le croyons.
Le sénateur Runciman : Merci à tous de votre présence.
Monsieur Nevill, je suis sûr que vous êtes au courant de la série d'articles publiés par le Toronto Star l'an dernier par le journaliste David Bruser qui a passé quatre mois à couvrir les audiences du tribunal pour adolescents de la rue Jarvis. Voici un extrait de son article paru le 30 octobre :
[...] les adolescents qui commettent un crime grave ne sont pas incarcérés ou reçoivent une légère peine d'emprisonnement, qu'il s'agisse de récidivistes qui n'ont pu être réhabilités ou de jeunes qui, inculpés d'un crime grave avec violence, sont remis en liberté sous caution trop facilement.
Pendant ces quatre mois, le journaliste du Toronto Star a constaté que des récidivistes recevaient une sentence suspendue pour un vol à main armée ou une infraction sexuelle avec violence. Il a découvert que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents n'autorisait même pas les tribunaux à contraindre les contrevenants à comparaître. Il cite notamment le cas d'un adolescent qui, accusé de vol qualifié et de voies de fait causant des lésions corporelles, avait fait l'objet de 29 assignations à comparaître auxquelles il ne donnait toujours pas suite sans raison valable, la seule solution s'offrant alors au tribunal étant de lancer un mandat d'arrêt en séance avec réserves. Si cet accusé avait été un adulte, il aurait été en détention avant le procès, ce qui est impossible dans le cas d'un adolescent en raison des dispositions de la LSJPA. Le système de justice pénale pour les adolescents ne correspond pas à la réalité. Vous travaillez dans le cadre de ce système. Est-il inefficace? Les modifications proposées dans le projet de loi C-10 constituent-elles au moins une amorce de solution?
M. Nevill : Je ne crois pas qu'il soit inefficace. Comme mes collègues l'ont souligné, les modifications proposées dans le projet de loi C-10 étaient nécessaires pour commencer à corriger les problèmes.
Je vous donne un exemple. Tous les jours, je me rends au tribunal pour adolescents du 311, rue Jarvis dans le cadre des affaires dont je suis responsable. L'une d'entre elles concerne un adolescent de 16 ans accusé de vol qualifié, de menaces d'infliger des lésions corporelles et de possession de produits de la criminalité. Toutes ces accusations ont été abandonnées lorsque l'accusé a reçu une sanction extrajudiciaire. Il a ensuite été accusé et reconnu coupable d'entrave au travail d'un policier et de non-respect d'un engagement. C'est donc dire qu'après avoir été libéré sous caution par le tribunal, il avait commis une autre infraction, ce qui constituait une violation des conditions imposées à sa mise en liberté sous caution. On lui a imposé une amende de 1 $. Par la suite, il a été de nouveau accusé de non-respect d'un engagement alors qu'il était en liberté sous caution. Encore une fois, on lui a imposé une amende de 1 $. Cet adolescent est impliqué dans sept affaires. Paradoxalement, il est notamment accusé de non-respect d'un engagement, de possession de marihuana et de non-respect d'une ordonnance de probation de la part d'un tribunal pour la jeunesse. Il est inculpé de vol qualifié, d'utilisation d'une arme à feu lors de la perpétration d'un acte criminel, de menace d'infliger des lésions corporelles, de possession de drogues, notamment, de marijuana, de défaut de comparaître devant le tribunal, de vol de courrier et de vol de moins de 5 000 $. Pour chaque acte d'accusation, il a été remis en libération sous caution. C'est un perpétuel recommencement : les accusations se succèdent, mais il est toujours remis en liberté.
Vous avez parlé de dissuasion. À un moment donné, les adolescents doivent comprendre qu'ils devront assumer des conséquences s'ils commettent une infraction mais, je le répète, ils commencent à saisir que, quelles que soient les mesures dissuasives en vigueur, ils sont toujours remis en liberté. Il y a également trois autres affaires analogues.
Le sénateur Runciman : Un autre élément du projet de loi a aussi fait l'objet de critiques. Et c'est un aspect que je connais relativement bien étant donné que ma famille compte trois policiers de première ligne. Je connais la frustration que les policiers éprouvent avec les dispositions de la LSJPA, particulièrement celles relatives à la tenue de dossiers à l'égard des mesures extrajudiciaires. Vous pourriez peut-être tous les deux nous donner votre avis sur la question et nous indiquer l'importance que vous accordez aux modifications proposées dans le projet de loi et la mesure dans laquelle elles peuvent améliorer la sécurité publique.
M. Nevill : À Toronto, nous tenons de tels dossiers. Naturellement, les autres services ne peuvent pas les consulter, à moins qu'ils ne soient centralisés, problème que le projet de loi permet de corriger, si j'ai bien compris.
À Toronto, une mesure extrajudiciaire peut être traitée par un cercle de justice pour la jeunesse, notamment lorsqu'il s'agit d'un cas d'intimidation ou d'un petit vol et que l'accusé reconnaît sa culpabilité et est disposé à ce qu'un cercle de justice pour la jeunesse se penche sur son cas pour l'aider à comprendre les répercussions de son infraction. Nous tenons également des dossiers sur les adolescents qui commettent une première infraction, notamment un vol à l'étalage. Ils reçoivent alors un avertissement qui est versé à leur dossier qui n'est conservé qu'à Toronto.
Le sénateur Runciman : La plupart des services de police n'ont pas recours à cette façon de procéder.
M. Nevill : Effectivement. Le Service de police de la région du Grand Toronto, la Police régionale de Peel, la Police régionale de York et la Police régionale de Durham cherchent à établir un système d'échange de renseignements, car ce sont souvent les mêmes individus qui sont impliqués. Il serait pertinent que le gouvernement fédéral centralise les renseignements de manière à ce que je puisse, depuis Toronto, obtenir de l'information sur un adolescent qui a déménagé de l'Alberta ou de Halifax.
Le sénateur Runciman : En agissant ainsi, enfreindriez-vous la loi? Qu'adviendrait-il de la protection des renseignements personnels? La loi ne vous autorise pas à communiquer ce genre de renseignements.
M. Nevill : Je pense que nous assurons la confidentialité de ces renseignements. Je le répète, rien n'est divulgué au public. Les renseignements sont communiqués aux services de police qui mènent des enquêtes.
Le sénateur Runciman : Je suis ravi que vous le fassiez, mais je me demande si vous êtes en mesure de le faire. Le présent projet de loi vous le permettra.
M. McNeil : Nous tenons également des dossiers sur les cautions et les sanctions extra judiciaires. La mesure législative nous y autorise, mais elle nous interdit en quelque sorte de les divulguer.
Nous tenons donc aussi ce genre de dossier. Ça ne constitue pas la principale partie de cette mesure législative. Avoir accès à ces renseignements permettrait de déterminer les cas où un adolescent devrait faire l'objet de mesures plus rigoureuses.
Le sénateur Cowan : Je vous remercie de votre présence aujourd'hui et du magnifique travail que vous accomplissez tous les jours. Je voudrais formuler quelques observations et vous demander de bien vouloir les commenter si, naturellement, vous le souhaitez.
Tout d'abord, M. Lesage a signalé dans sa déclaration préliminaire que, selon la GRC, la prévention à long terme de la criminalité et de la victimisation chez les jeunes ne peut s'accomplir qu'en collaboration avec le milieu. Je voudrais aborder cette question sous l'angle des collectivités autochtones. Vous n'avez pas mentionné le projet de loi C-10 dans votre déclaration, mais des dirigeants autochtones nous ont fait part de leurs préoccupations à propos du projet de loi en général et de sa partie 4 en particulier, étant donné la surreprésentation des Autochtones et des jeunes Autochtones dans notre système de justice pénale pour les adolescents et notre système carcéral. La situation vous inquiète-t-elle? Comme vous estimez qu'il faut la collaboration du milieu pour prévenir la criminalité et la victimisation, que pensez- vous des répercussions de ce projet de loi sur les adolescents autochtones? Des Autochtones et leurs dirigeants nous ont fait part de leurs inquiétudes à cet égard.
J'aimerais ensuite que vous me parliez des répercussions qu'auront les changements concernant les ordonnances de non-publication. Personne n'en a parlé, mais je serais ravi de connaître votre point de vue à ce sujet.
Ma dernière observation concerne l'équilibre dont le sénateur Fraser a parlé tout à l'heure, c'est-à-dire l'effet dissuasif des peines d'emprisonnement plus longues en général et la question de savoir si c'est vraiment la crainte de devoir subir une peine qui empêche les comportements criminels ou si c'est davantage la crainte de se faire prendre. C'est ce qui nous ramène peut-être, monsieur McNeil, à ce que vous avez dit sur le besoin d'offrir de meilleurs services d'aide, et le fait qu'adopter des mesures législatives, malgré leurs mérites, n'est pas la seule solution, et nous devons mettre beaucoup de ressources à la disposition de la collectivité pour appuyer les mesures législatives adoptées. J'invite les témoins à donner leur point de vue.
Le président : Je vous remercie de vos questions, sénateur. Avant de vous donner la parole, je veux souligner qu'il s'agit de trois questions et qu'il y a quatre témoins. Comme vous le savez, il nous reste encore 55 minutes avant la comparution du prochain groupe de témoins. Nous aimerions que vous répondiez le plus rapidement possible.
M. Lesage : Je vais répondre à la première question. En tant que représentants du gouvernement, nous ne sommes pas en mesure de donner notre opinion sur les mesures législatives. Nous avons la responsabilité de les appliquer lorsqu'elles sont adoptées. Toutefois, la GRC travaille dans bon nombre de collectivités éloignées dont la population est vulnérable et où le seul centre de détention pour jeunes est le détachement local de la GRC, ce qui a des répercussions quant aux ressources qu'il faut pour surveiller les jeunes, les nourrir et répondre à d'autres besoins jusqu'à leur comparution. Bon nombre de détachements n'ont qu'un nombre limité de cellules, ce qui ne permet pas de séparer les adolescents des adultes. De plus, pour la détention avant le procès, il peut être nécessaire d'envoyer les adolescents dans des centres de détention pour jeunes, ce qui a également des répercussions sur les ressources de la GRC.
En ce qui concerne l'accroissement des taux d'incarcération des jeunes, qui a un effet disproportionné dans les collectivités vulnérables, en général, les jeunes autochtones sont surreprésentés dans le système correctionnel, et ce sont eux qui seront les plus touchés par l'adoption du principe de dissuasion.
M. McNeil : Lorsque nous parlons des modifications apportées à la loi, nous ne parlons pas de peines plus longues ou de la détention des adolescents pour une plus longue période. En Nouvelle-Écosse, le juge Nunn et A.B. se sont rendu compte que ce n'est pas tant cela que le fait que les comportements criminels pouvaient se reproduire longtemps sans qu'on puisse y mettre un frein.
Par exemple, à l'époque, les jeunes ont compris que si l'on ne plaidait pas une cause, on pouvait être libéré parce qu'on n'a jamais été condamné. Tant qu'on ne plaidait pas, on pouvait accumuler les accusations — 45, 50. C'est préoccupant en ce sens que si les jeunes savent que personne ne les arrêtera, ils garderont le même comportement. Comme le juge Nunn l'a dit, parfois, il faut intervenir et les prendre au dépourvu.
Pour nous, cela ne signifie pas qu'on les jette en prison. De notre point de vue, il s'agit de les stabiliser en les plaçant sous une forme de garde et de les réintégrer dans la collectivité. Il m'apparaît illogique qu'une mesure législative indique que les jeunes ne sont pas en mesure de comprendre ce qu'ils font, et qu'ils ne doivent donc pas subir de peine, et que pour une raison ou une autre, nous pensions qu'en ne ramenant cela qu'au milieu, ils comprendront et cesseront de voler des voitures et de conduire de façon dangereuse. C'est déroutant.
Ensuite, je répète que je suis inquiet lorsque j'entends des gens parler de les « remettre en liberté dans la collectivité ». Il y a un mythe selon lequel il existe plein d'infrastructures communautaires, des services de santé mentale, et cetera, alors que ce n'est tout simplement pas le cas. En tant que parent sensibilisé et personne en vue qui a de l'influence dans sa collectivité, j'ai été confronté à la difficulté d'obtenir des services de santé mentale pour jeunes. En tant que personne influente et instruite, j'ai frappé à des portes, qui ne se sont pas ouvertes.
Il faut comprendre que la plupart de ces jeunes viennent de milieux vulnérables, que souvent, ils sont victimes de racisme, vivent dans la pauvreté et ont tous les autres problèmes sociaux qui en découlent. Il est déraisonnable de penser que le simple fait de les abandonner dans la collectivité les amènera à changer leur comportement délinquant. C'est ce qui me ramène aux services, car je crois que la vraie solution en matière de justice pour les jeunes ne réside pas du tout dans le système de justice pour les adolescents, ni dans le système de justice pénale, mais bien ailleurs, dans la collectivité.
M. Nevill : Je peux parler de la question de la publication de l'identité. Aux termes de la loi actuelle, on n'y a recours que dans certains cas; pour un jeune qui commet une infraction grave avec violence, par exemple. Nous pouvons adresser une requête à un juge et publier cette information pendant une période limitée. Le projet de loi semble confier à la Couronne la responsabilité de faire la requête, ce qui facilite un peu les choses. Encore une fois, je pense qu'il faudra agir en fonction de chaque cas et de façon très prudente.
Comme vous le savez, à Toronto, beaucoup d'infractions relatives aux armes à feu sont commises par des jeunes. Ce qui nous préoccupe, c'est la protection du public, si cette personne est toujours recherchée et identifiable.
Le sénateur Angus : Bonjour messieurs. Merci, madame.
Brièvement, chef McNeil, je ne connais pas tous les faits de cette terrible affaire, mais qu'est-il arrivé à A.B.? A-t-il péri dans cet accident lui aussi? Que lui arrive-t-il maintenant?
M. McNeil : Non. Malheureusement, A.B. est maintenant dans le système pour adultes, et sa situation est toujours hors de contrôle.
Le sénateur Angus : Je m'intéresse à la question de l'application de peines pour adultes dans le cas des jeunes contrevenants. Je crois comprendre qu'en 2008, la Cour suprême a déterminé que la présomption actuelle d'assujettissement à une peine d'adulte contrevenait à l'article 7 de la Charte. Le projet de loi C-10 vient-il corriger cela, à votre avis? Quelles en sont les répercussions?
M. McNeil : D'une certaine façon, je ne suis qu'un policier d'Halifax, et de toute évidence, la constitutionnalité de certaines de ces questions donnera lieu à des litiges ou fera l'objet de discussions. Je ne pense pas que le projet de loi C- 10 ait une action déterminante à cet égard.
Le sénateur Angus : Il ne vient pas corriger le problème?
M. McNeil : C'est une question complexe, et je ne crois pas être en mesure de dire s'il résisterait à une contestation de sa constitutionnalité. Il s'agit de modifications modestes à la loi dans son ensemble, mais la loi préconise toujours de ne pas incarcérer les jeunes et de protéger leurs droits. Je ne crois donc pas que le projet de loi s'éloigne de cela.
Le sénateur Angus : Bien sûr, ce dont il est question ici, c'est la capacité d'imposer une peine pour adultes à un adolescent de 14 ans ou plus qui est reconnu coupable d'une infraction autre que le meurtre, la tentative de meurtre, l'homicide involontaire coupable ou l'agression sexuelle grave. Pour que le public, sans compter les membres du comité, puisse comprendre, je me demande si vous pouvez nous en dire un peu plus à ce sujet. Dans l'affaire devant la Cour suprême, il est devenu clair qu'on ne peut pas le faire, n'est-ce pas?
M. NcNeil : Je crois comprendre que ce qui a été invalidé, c'est la présomption, l'idée que chaque affaire devait être évaluée individuellement. On ne pouvait pas présumer qu'une peine pour adulte convenait ou ne convenait pas dans toutes les situations; il fallait examiner cela individuellement.
Le sénateur Angus : Chef Nevill, vouliez-vous intervenir? Je vous ai vu sourciller.
M. Nevill : Non, pas du tout. Je vous remercie de la promotion. Je ne pense pas que cela arrivera. Je resterai détective.
Encore une fois, les changements contenus dans le projet de loi C-10 concernent les responsabilités — qui fait la demande et qui doit être convaincu pour ce qui est de l'application d'une peine pour adultes. Je crois que la responsabilité revient à la Couronne, qui examine la question. Je le répète, si cela devait être mis en place, je pense qu'il faudrait agir en fonction de chaque cas. Il y aurait probablement des difficultés. Le projet de loi C-10 contient quelques changements quant à la responsabilité, mais comme le chef adjoint l'a dit, on ne s'éloigne pas beaucoup de la version originale.
Le sénateur Angus : Si je comprends bien, pour régler le « problème », il faut essentiellement trouver une façon de contourner la Charte. Comme vous le dites, c'est très compliqué. Le projet de loi ne va donc vraiment pas assez loin; c'est ce que je comprends.
M. McNeil : Non, je ne dirais pas que nous contournerions la Charte. Je dirais qu'il est souvent difficile d'élaborer des mesures législatives, et nous ne savons pas de quelle façon elles seront interprétées après quelques années, conformément à la Charte. Parfois, on ne peut que faire de notre mieux.
Le sénateur Angus : Les représentants de la GRC?
M. Lesage : Nous ne sommes pas en mesure de donner notre point de vue sur les mesures législatives. Nous avons la responsabilité de les appliquer lorsqu'elles sont adoptées. Nous croyons que les mesures législatives, quelle que soit leur forme, ne constituent que l'un des différents outils dont nous avons besoin pour nous attaquer à la criminalité chez les adolescents. Nous devons également axer nos efforts sur la prévention, l'intervention et la réorientation.
Le sénateur Angus : Vous l'avez dit à quelques reprises, et nous comprenons. Cependant, nous vous avons demandé de comparaître pour nous aider à comprendre le projet de loi. Nous voulons savoir s'il fournit de meilleurs outils aux gens qui l'appliquent — vous dites que c'est votre devoir — dans le cadre de leurs fonctions, et s'il leur permet de rendre nos collectivités et nos rues plus sûres. Sans vouloir vous offenser, monsieur, votre approche me pose problème, et je sens que c'est la même chose pour mes collègues.
Le président : Sénateur, si vous me le permettez, nous avons invité les témoins à comparaître devant nous. Ils peuvent répondre aux questions de la façon qu'ils jugent appropriée.
Le sénateur Angus : D'accord.
Le président : Personnellement, cela ne me gêne pas; continuons.
Le sénateur Angus : J'ai terminé.
Le sénateur Jaffer : J'ai un certain nombre de questions à poser, et je vais tenter d'en poser le plus possible au cours du premier tour.
Je comprends ce que le détective Nevill dit au sujet des cas de récidives. Deux membres de ma famille travaillent pour la GRC, et je connais la frustration. J'aimerais que si possible, à tour de rôle, vous me disiez quelle est la proportion de récidivistes violents parmi tous les adolescents avec qui vous travaillez. C'est ma première question, et j'en aurai une autre.
M. Nevill : Je m'excuse, mais je n'ai pas apporté de statistiques sur les arrestations et sur les différentes catégories, soit infraction avec violence ou sans violence.
Le sénateur Jaffer : D'accord. Toutefois, parle-t-on de 50 p. 100 de jeunes récidivistes? Je ne vous demanderai pas les chiffres exacts.
M. Nevill : Si vous le faites, je peux uniquement parler du secteur dans lequel je travaille, à Toronto.
Le sénateur Jaffer : C'est bien; c'est seulement pour en avoir une idée.
M. Nevill : Je dirais qu'il y a probablement 60 p. 100 de récidivistes.
Le sénateur Jaffer : Chef?
M. McNeil : Probablement 60 p. 100 des gens.
Le sénateur Jaffer : Des récidivistes?
M. McNeil : La population dont nous parlons représente environ 10 p. 100. Il s'agit d'un très petit nombre d'adolescents. Toutefois, lorsqu'il est question du droit pénal en général, on parle d'un très faible pourcentage de la population qui cause la plupart des dommages. Pour l'essentiel, le droit pénal concerne cette très petite partie de la population et vise à les empêcher de causer du tort au reste d'entre nous.
Les adolescents ne représentent qu'un très faible pourcentage. Je comprends ce que le détective dit; parmi le groupe de délinquants, 60 p. 100 récidivent, mais ce groupe représente une très petite partie de la population.
Le sénateur Jaffer : Ce qui me préoccupe, c'est ce que le directeur général, monsieur Lesage, a dit, et j'aimerais que vous interveniez à ce sujet.
Monsieur McNeil, vous avez parlé avec beaucoup d'éloquence de la question des programmes de santé mentale dans les collectivités. Vous avez très bien transmis votre message.
Je ne parle pas de la personne qui est déclarée non coupable pour cause d'aliénation mentale. Je parle des gens qui souffrent de troubles mentaux et de troubles du comportement. Nous n'avons pas encore parlé du syndrome d'alcoolisation fœtale et des enfants qui en sont atteints.
Monsieur Lesage, vous avez vraiment attiré mon attention lorsque vous avez parlé de la formation d'un partenariat avec des intervenants de la collectivité dans des domaines comme la santé mentale et les services de probation. Vous avez ensuite parlé du moment et de l'endroit où les jeunes étaient détenus. Quels moyens sont en place — surtout en ce qui concerne les collectivités autochtones — pour aider les jeunes qui souffrent de troubles mentaux? Nous savons tous qu'il y a un très grand nombre de gens, surtout des jeunes, qui souffrent du syndrome d'alcoolisation fœtale.
J'aimerais commencer par vous; pourriez-vous nous dire quels programmes peuvent leur venir en aide?
M. Lesage : Il existe des programmes communautaires auxquels les collectivités ont accès et la GRC s'efforce de travailler avec les jeunes avant qu'ils aient des démêlés avec la police.
Le sénateur Jaffer : Pensez-vous que l'emprisonnement est la solution pour ces jeunes qui souffrent de troubles mentaux?
M. Lesage : À mon avis, non. Ils devraient être confiés au soin de l'organisme compétent.
Le sénateur Jaffer : Monsieur McNeil?
M. McNeil : Si vous parlez du comportement délinquant chez les jeunes, vous pouvez l'attribuer à une dépendance quelconque, aux problèmes de santé mentale ou à d'autres conditions sociales qui mettent ces enfants à risque, car dans de nombreux cas, ils ne peuvent pas compter sur un adulte qui s'occupe d'eux ou qui est en mesure de les appuyer. Si ce soir, à Halifax, un policier rencontre un jeune qui s'est livré à des actes criminels et qu'il est clair que ce jeune est toxicomane, je doute que quelqu'un puisse me dire ce que ce policier devrait faire. Je vous assure que le policier choisirait d'envoyer le jeune dans un centre de traitement plutôt qu'au tribunal si cette solution lui était offerte. Je ne dis pas que ce n'est pas possible, car il y a des gens qui font un travail colossal dans ce domaine, mais leur capacité est tout simplement insuffisante. Souvent, lorsque les jeunes ont recours à ces centres, seuls les plus gravement atteints obtiennent un traitement, et souvent, à ce moment précis, ils ne sont pas là. Ils ne sont simplement pas là. C'est ce qui m'inquiète lorsque nous nous concentrons surtout sur la loi.
Le sénateur Jaffer : Lorsque vous dites qu'ils ne sont tout simplement pas là, parlez-vous des services? Je n'ai pas compris.
M. McNeil : Les services sont là, mais ne peuvent rien faire. Les policiers, à trois heures du matin, ne seraient pas en mesure de référer cette personne, même s'ils croient fermement que c'est ce qu'elle veut, et ils n'ont pas beaucoup d'autres choix.
Si nous abandonnons ces jeunes à la collectivité, ils vont finir par se livrer à des actes criminels qui entraîneront une sanction pénale.
Le président : Monsieur Nevill, avez-vous un commentaire à ce sujet?
M. Nevill : Non, je pense que M. McNeil a très bien répondu à la question.
Le sénateur Lang : Monsieur McNeil, lorsqu'on vous a demandé si le système était défectueux, vous avez répondu qu'il ne l'était pas, et je trouve cela difficile à croire, étant donné que vous nous avez parlé d'un cas particulier qui est devant les tribunaux et dans lequel un individu est toujours en liberté, d'après ce que je comprends, même si on a porté contre lui de nombreuses accusations qui s'ajoutent à celles auxquelles il devra éventuellement faire face.
Il y a vraiment quelque chose qui cloche. Croyez bien que je compatis avec vous; votre travail doit être très difficile.
J'aimerais que les témoins commentent la définition de la jeunesse. Il me semble que les jeunes se développent plus rapidement sur le plan physique — et dans plusieurs cas sur le plan mental — qu'il y a 30 ans, pour plusieurs raisons. Aujourd'hui, nous avons affaire à des jeunes de 12 ans alors qu'il y a peut-être 20 ans, ces mêmes jeunes auraient été âgés de 14 ans. Trouvez-vous que les jeunes sont plus avertis, plus habiles et comprennent beaucoup mieux les choses, ce qui rend votre travail encore plus difficile?
M. McNeil : Les jeunes sont certainement exposés à un plus grand nombre de choses que nous l'avons été. Ils sont plus avertis d'une certaine façon, mais je ne pense pas qu'ils soient plus matures. Dans un sens, ils peuvent être très adaptés à la rue, mais ils peuvent aussi être très naïfs. Je suis parent d'un garçon de 18 ans; lorsque j'avais un an de plus que lui, je suis devenu policier; il n'a certainement pas encore atteint la maturité nécessaire pour cela. Est-il au courant d'un plus grand nombre de choses concernant le monde? Certainement, et il en apprendra beaucoup d'autres prochainement. C'est très difficile pour les jeunes, car le monde leur est ouvert; il ne s'agit plus du petit quartier dans lequel j'ai grandi. D'une certaine façon, ils ont donc plus de connaissances, mais je ne suis pas sûr qu'ils soient plus avertis, surtout en ce qui concerne les questions de responsabilités sociales.
Le sénateur Lang : J'aimerais aborder un autre domaine. Nous sommes tous préoccupés par les victimes. Ce qui m'inquiète, en ce moment, c'est la détermination de la peine. Ces jeunes sont accusés, mais on ne s'en occupe pas, et ils sont libérés le lendemain. Maintenant qu'ils se sont introduits par effraction dans votre maison, ils peuvent en faire autant dans la mienne. Parfois, ils ne sont pas appréhendés; ils commettent une série d'infractions, et on ne porte même pas d'accusations contre eux. Avec le temps, on finit par les arrêter. Par conséquent, on permet au même individu de commettre une série d'actes criminels, et la population doit s'en inquiéter, car la sécurité publique en dépend.
Cela m'amène à poser une autre question. Les organismes sociaux que nous avons mis sur pied, que ce soit au niveau provincial ou fédéral, ne fonctionnent pas comme ils le devraient. Il y a quelque chose qui cloche. Il est évident que ces jeunes reçoivent une certaine attention, mais elle est peut-être insuffisante, et c'est pourquoi j'aimerais vous offrir une solution de rechange : il s'agit du Mouvement des cadets du Canada, qui prône la discipline. Le mouvement offre un programme qui permet d'enseigner à ces jeunes des choses qu'ils n'apprennent manifestement pas à la maison.
Avez-vous envisagé cette possibilité lorsque vous essayez de rediriger ces jeunes dans un domaine où il existe un programme auquel d'autres jeunes du même âge participent et pour lequel ils se portent volontaires, afin que ces jeunes contrevenants y soient exposés?
M. McNeil : En tant que parent d'un jeune homme dans les cadets, je pourrais chanter les louanges de ce mouvement. Souvent, ce qui est difficile avec les jeunes dont nous parlons, c'est de les stabiliser assez pour qu'ils puissent s'engager dans une activité significative ou quelque chose de ce genre. Souvent, ils ne peuvent pas fonctionner dans une activité structurée. Il suffit d'amener certains d'entre eux jusqu'à la porte, mais souvent, il faut fournir les efforts nécessaires si l'on veut qu'ils soient en mesure de participer à une activité de ce genre.
M. Nevill : Il ne s'agit pas d'un programme exactement comme celui-là, mais à Toronto, il y a le programme ProAction, financé par des fonds privés. Ces fonds obtenus du secteur privé sont à la disposition des policiers de Toronto pour mettre sur pied des programmes en vue de travailler précisément avec les jeunes à risque. Ces cinq dernières années, j'ai participé à un camp de soccer dans le cadre de l'un de ces programmes. Il s'agit, encore une fois, de recruter des jeunes qui sont sur le point de participer à des activités criminelles et de travailler avec eux. Les questions qu'ils posent sont surprenantes, car ils ne peuvent pas croire que nous avons des familles, des congés, et cetera. En effet, ils sont nombreux à n'avoir connu que les policiers qui se présentent à leur porte en uniforme pour arrêter quelqu'un.
Ces camps durent habituellement environ une semaine. Depuis sept ans, je participe à l'un de ces camps dans une école secondaire de notre division. Il s'agit d'un camp de hockey. Des policiers, habituellement dans leurs temps libres, s'en occupent. Les fonds pour la patinoire et les uniformes viennent de ProAction. C'est l'une des façons dont nous nous en servons. L'an dernier, deux policiers de mon bureau se sont occupés tout l'été d'un programme de mentorat pour un groupe de joueurs de tambour.
Nous essayons d'avoir recours à un certain nombre de ces programmes. Ce n'est pas très formel, mais c'est une façon de le faire. Je peux vous dire que ces programmes sont mis en œuvre quotidiennement un peu partout dans la ville. J'ai vu des tournois de golf et de basketball. Je ne peux pas me souvenir du nom du programme, mais un policier a organisé un camp où l'on fait du canot pendant une semaine, et cetera.
On profite de certains de ces programmes, même si ce n'est pas de façon aussi formelle que vous l'avez laissé entendre.
M. Lesage : La GRC en a quelques-uns, mais ce sont des initiatives communautaires. Nous avons le Programme de valorisation des cadets autochtones dans quelques provinces, certainement en Saskatchewan et en Alberta. Nous avons aussi un programme de formation pour étudiants dans le cadre duquel ils peuvent interagir avec la GRC avant d'y entrer comme étudiants d'été. Nous avons des programmes de ce genre un peu partout au pays, mais ils sont propres aux collectivités.
Le sénateur Baker : J'aimerais féliciter les témoins de leurs exposés. J'ai une question sur la discrétion laissée au policier, car c'est lui qui arrête le jeune.
Comme on l'a souligné, 60 p. 100 — je pense que c'est la proportion utilisée — des personnes qui ont violé la loi violeront ensuite une autre loi ou ne respecteront pas une condition de leur mise en liberté ou un engagement assorti de conditions. Pour ce qui est de la discrétion, on trouve, dans le Code criminel, certaines conditions de mise en liberté qui sont associées à certaines situations, mais ce sont évidemment les tribunaux qui ont créé les conditions de mise en liberté. Les deux conditions les plus souvent fixées sont de ne pas s'associer avec quelqu'un qui a un casier judiciaire et de ne pas se trouver dans un endroit ou à proximité d'un endroit où l'on sert de l'alcool.
Dix pour cent des Canadiens ont un casier judiciaire; cela comprend des hommes, des femmes et des enfants. Savez-vous à quel point l'alcool est présent partout? À mon avis, pour respecter leur engagement assorti de conditions ou leurs conditions de mise en liberté, certains de ces jeunes devraient déménager dans une autre ville. Je vois souvent des cas comme celui-là ou je lis une divulgation dans laquelle un jeune homme marche dans la rue en compagnie d'un autre jeune homme qui possède un casier judiciaire. Le policier sait qu'une condition de mise en liberté s'applique, c'est-à-dire qu'on a interdit à ce jeune de s'associer avec une personne qui a un casier judiciaire; ensuite, évidemment, il doit amener le jeune en prison.
Accorde-t-on, dans votre système, une discrétion au policier en ce qui concerne la façon dont il doit procéder? Encore une fois, je suppose que vous devez vous contenter d'appliquer la loi et de respecter les conditions imposées par le tribunal qui a libéré la personne. Est-ce la réponse, ou accorde-t-on une certaine discrétion?
Les témoins n'ont pas à répondre à la question, monsieur le président, s'ils préfèrent ne pas le faire.
Le président : Vous avez posé la question, mais ils n'ont pas à y répondre?
Le sénateur Baker : Non, ils n'ont pas à y répondre. C'est à leur discrétion. Nous leur donnons le choix.
M. McNeil : Je ne refuserai jamais de répondre à une question posée par une personne originaire du Canada atlantique. La LSJPA supprime, à bien des égards, le pouvoir de discrétion des policiers. Elle dit en fait le contraire. Elle dit que vous devez évaluer si une mise en garde et des sanctions extrajudiciaires seraient appropriées. À bien des égards, vous n'avez d'autre choix que de considérer votre discrétion dans le cas d'un jeune.
Ces conditions sont souvent imposées, et la plus importante, dans ma collectivité, serait le couvre-feu. Les couvre- feux nous permettent de gérer le comportement des gens de la collectivité, c'est-à-dire s'ils sont à la maison et que nous pouvons vérifier qu'ils y sont vraiment.
Toutefois, d'après mon expérience, ces conditions sont appliquées et devraient l'être. Il ne s'agit pas de ce que le policier fait avec ces conditions; ce qui est important, c'est quand elles sont imposées. Par exemple, la condition relative à l'alcool devrait être imposée lorsque l'alcool est au centre du problème. Si vous vous associez avec un gang de jeunes criminels, on devrait vous imposer la condition de ne pas vous associer avec un tel gang.
Elles ne devraient pas être arbitraires, ce serait une erreur qu'elles le soient. Les tribunaux ont dit que les conditions doivent être établies en fonction des actes délictueux commis. Je pense que si les actes délictueux sont associés aux conditions, nous imposerons ces conditions parce notre objectif est de contrôler les activités des délinquants dans la collectivité.
Le sénateur Baker : Deux de vos conditions normales de libération sont les suivantes, et j'en donne la citation exacte : Ne pas fréquenter quelqu'un qui a un casier judiciaire et s'abstenir d'aller dans un lieu où l'on sert de l'alcool. Voilà des conditions normales de libération qui forceront un adolescent à quitter la collectivité.
M. McNeil : Elles sont appropriées lorsque l'activité sous-jacente est associée aux conditions, mais elles ne le sont pas si l'activité sous-jacente n'est pas associée aux conditions.
Le sénateur Baker : Vous exercez votre pouvoir discrétionnaire que ce soit pour intercepter ou non quelqu'un.
M. McNeil : Nous exerçons notre pouvoir discrétionnaire pour déterminer le fondement des conditions, et ces conditions doivent être reliées aux actes délictueux initiaux. Si un adolescent en état d'ébriété commet une infraction, la condition imposée serait qu'il se tienne à l'écart des lieux de consommation d'alcool. Si un adolescent commet une infraction avec un groupe d'adolescents en état d'ivresse, mais qu'il ne l'est pas, il ne faudrait donc pas lui imposer une telle condition.
Le sénateur Baker : Bonne réponse; il n'a pas vraiment répondu.
M. Nevill : Puis-je ajouter quelque chose? Je répète que je travaille surtout avec des adolescents. Si un adolescent est placé sous garde avant d'être présenté au tribunal pour une audience sur la libération sous caution, nous discuterons beaucoup avec lui de ses antécédents. Nous vérifions si d'autres accusations sont portées contre lui, ce qu'est sa situation à la maison, à l'école et nous établissons les conditions que nous demanderons aux tribunaux pour cette personne et pour ce cas particulier.
Si, ce que nous appelons, un vol dans la rue a lieu dans une école secondaire et que la victime et l'accusé vont tous deux dans cette école, nous imposerons comme condition que l'accusé ne fréquente plus cet établissement, et ce, pour protéger la victime.
Nous ne nous arrêtons pas là. Nous demandons au responsable de l'école quand l'accusé pourra être transféré dans une autre école ou un autre programme d'enseignement.
Ainsi que l'a dit le sénateur, je n'ai pas imposé la condition d'abstention d'alcool à beaucoup d'adolescents. Cette condition est surtout imposée dans les cas de situation familiale où l'alcool était un facteur aggravant.
Une condition que nous imposons très souvent aux adolescents est l'obligation d'aller chaque jour à l'école pour assister à tous les cours. Nous essayons ainsi de leur offrir à nouveau une structure scolaire d'enseignement et de leur faire comprendre qu'ils doivent fréquenter l'école, non seulement pour se conformer à la Loi sur l'éducation mais aussi parce qu'un juge le demande. À Toronto, des policiers sont affectés dans des écoles pour assurer le respect de ces conditions.
Comme je l'ai dit à propos des gangs, si quelqu'un est accusé avec une autre personne, nous veillons bien sûr à ce que cette personne ne rencontre pas le jeune délinquant coaccusé. Mais si nous découvrons qu'ils font partie d'un gang, nous inscrirons comme condition dans le casier judiciaire qu'ils ne doivent pas se rencontrer.
Il incombe au policier de s'assurer que les accusés comprennent que leur rencontre constitue une violation de la condition. Si nous pouvons prouver que ces deux personnes se rencontraient auparavant et que, soudainement, ils se rencontrent à nouveau alors que l'un d'eux est sous le coup de cette condition, alors oui. Sinon, les policiers feront souvent appel aux détectives qui diront qu'il n'y a pas de condition pour le moment, mais ils s'assureront que la personne comprenne bien que dorénavant si elle continue à rencontrer son coaccusé, elle commettra une violation de la condition.
Le président : Merci pour vos réponses. Le temps qu'il reste dans la première série de questions permet à quatre sénateurs de pouvoir intervenir.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je ne vous cacherai pas que je suis toujours très heureux de voir des collègues policiers témoigner au comité.
Ma question s'adresse à M. McNeil. Les policiers sont ceux qui travaillent le plus avec les jeunes délinquants, du moins, ce sont les premiers intervenants et ceux qui font du travail de terrain. Malgré tout le respect que j'ai pour mes collègues sénateurs, je peux très bien concevoir qu'il est parfois difficile d'imaginer ce qu'un policier peut voir et entendre.
D'après vous, en tant que policier, jusqu'à quel point peut-on attribuer l'augmentation des délits, des cas graves parfois, au fait que les délinquants n'ont pas peur des conséquences de leurs gestes ni de la justice actuelle?
[Traduction]
M. McNeil : Je pense que les adolescents aux prises avec le système ne le craignent certainement pas. Les délinquants très impliqués dans des activités criminelles, particulièrement graves, n'ont certainement pas peur du système. En fait, ils le connaissent très bien et l'utilisent à leur avantage.
Il y a des problèmes sociaux beaucoup plus graves à l'origine de cette violence souvent perpétrée par des adolescents — 64 fusillades dans ma collectivité l'année dernière — et qui expliqueraient les raisons pour lesquelles ces adolescents ont recours aux armes à feu. Voilà la grande question qu'il faut se poser.
Pour vous répondre, non, je ne pense pas que les adolescents aux prises avec le système de justice en aient peur. Ils le connaissent très bien.
Le sénateur Angus : J'aimerais un éclaircissement. Vous venez de dire, chef McNeil, qu'ils connaissent le système, vous avez également dit que l'une des raisons pour lesquelles ils peuvent rester en liberté et continuer de commettre des infractions, c'est parce qu'ils ne répondent pas à l'inculpation. Je n'ai pas compris, ne sont-ils pas obligés de répondre à l'inculpation ou cela entre-t-il dans le cadre du système de justice pénale pour les adolescents?
M. McNeil : Non. Comme je l'ai dit, parfois les délinquants savent très bien comment fonctionne le système et ils en retardent la procédure à leur avantage.
Le sénateur Baker : Ou leurs avocats.
M. McNeil : Les adolescents savent très bien que s'ils ne répondent pas à l'inculpation... Il arrive souvent qu'au premier plaidoyer, quand ils sont acculés au pied du mur, ils répondent à toutes les inculpations et ils s'en sortent.
Mais s'ils plaident non coupables et qu'il n'y a pas de procès, ils peuvent alors continuer à retarder le processus pendant un certain temps. Les adolescents vivent au jour le jour, donc tant qu'ils peuvent reporter quelque chose au lendemain, ils le feront. Pour nous, cela représente des actes délictueux perpétrés entre trois et sept mois, pendant lesquels ils accumulent les accusations.
Le sénateur Angus : Sans être obligés de dire s'ils sont ou non coupables.
M. McNeil : Non, ils disent qu'ils ne sont pas coupables; et alors ils ne vont tout simplement pas en procès et ils n'ont pas à se défendre contre des accusations.
[Français]
Le sénateur Chaput : Ma première question peut sembler répétitive, mais elle s'adresse à M. McNeil.
J'aimerais redire que plusieurs experts maintiennent que l'adolescent n'a pas atteint le degré de maturité suffisant pour être pleinement conscient des conséquences de ses décisions et de ses actes.
Si j'ai bien compris, vous avez dit, au début — et vous étiez fort convaincant —, que les adolescents étaient capables d'évaluer les conséquences de leurs actes, qu'ils ont appris à manipuler le système pour arriver à leur but.
Est-ce que cette affirmation est basée sur votre expérience?
[Traduction]
M. McNeil : Elle est basée sur mon expérience de policier. Quand on les questionne à ce sujet, les adolescents répondent qu'ils comprennent que leurs actions ont des conséquences. Ont-ils le degré de maturité pour bien comprendre ces conséquences au point de contrôler leurs impulsions? Non. Je suis d'accord avec les experts.
Ce que je dis, c'est que les adolescents avertis qui sont aux prises avec le système de justice pénale le connaissent très bien.
J'ajoute que tout comme ils ont du mal à comprendre les conséquences de leurs actions, malheureusement quand ils sont dans la collectivité les adolescents n'ont pas la capacité de contrôler leurs impulsions et de cesser de commettre des actes très dangereux si un service structuré n'a pas les moyens d'intervenir. Le projet de loi fonctionne très bien pour un adolescent qui bénéficie de l'appui d'un adulte aimant. Mais il ne fonctionne pas aussi bien pour un adolescent qui ne bénéficie pas d'un tel appui.
[Français]
Le sénateur Chaput : Pour ceux qui ne bénéficient pas de cet appui, quelle serait la meilleure façon de les arrêter?
[Traduction]
M. McNeil : Je reviens au premier point que j'ai soulevé. On ne peut mettre fin à ce comportement qu'en offrant un appui aux adolescents au sein de la collectivité. Nous avons des services intensifs très structurés pour venir en aide aux adolescents, souvent en matière de santé mentale, mais aussi en ce qui concerne un logement adéquat, l'éducation, enfin dans tous ces domaines. Si la collectivité n'offre pas de tels services pour aider ces adolescents dans un environnement structuré, ils continueront à commettre des actes délictueux et éventuellement ils commettront un crime qui attirera l'attention.
Le sénateur Frum : Inspecteur Nevill, je suis aussi de la région de Toronto et nous tous qui venons de Toronto avons été très attristé par le meurtre de l'officier de police Garrett Styles l'été dernier. Une affaire qui ressemble un peu à celle dont est saisie la commission Nunn qui impliquait un adolescent âgé de 15 ans, si je ne m'abuse, qui sans avoir été arrêté auparavant par la police en était très bien connu. Il avait subtilisé à maintes reprises la voiture de ses parents, et je crois que même l'officier de police Styles qui l'avait intercepté le connaissait bien.
Je ne sais pas si une des dispositions du projet de loi C-10 aurait pu prévenir cet incident. Le jeune homme est, bien sûr, paralysé maintenant et lui aussi paie un prix terrible.
Pourriez-vous nous dire, sur le plan de l'efficacité du système, si dans un cas comme celui-ci une chose aurait pu être faite mais ne l'a pas été? Peut-on faire maintenant quelque chose que nous ne pouvions pas faire auparavant?
M. Nevill : Le seul problème que j'ai pour m'exprimer sur cet incident est que c'était un cas suivi par la police régionale de York. Je n'ai donc aucune information sur les antécédents du jeune homme impliqué. Je sais, comme vous, qu'il a pris un véhicule appartenant à ses parents, que l'officier l'a intercepté et que ça s'est terminé tragiquement. Il y a des nuits où un adolescent qui a volé la voiture de ses parents peut être intercepté et d'autres nuits ça finit malheureusement comme dans ce cas. Cela fait partie du maintien de l'ordre.
Je ne saurais vraiment dire si le projet de loi C-10 aurait été d'une utilité dans ce cas, mais pour revenir aux conclusions de la commission Nunn qui ont mené au projet de loi C-10, il faut espérer que le projet de loi aurait pu avoir un meilleur effet, à savoir que cet adolescent n'aurait pas pu voler la voiture. Je crois comprendre qu'il avait été placé sous garde pour d'autres accusations et libéré deux jours avant l'incident.
Dans le cas que j'ai mentionné, un adolescent dont je m'occupe tombe sous le coup de six accusations distinctes, la plupart parce qu'il n'a pas respecté les conditions de sa libération sous caution. Quand nous l'avons arrêté mercredi dernier, l'une de nos conditions était qu'il présente une nouvelle caution au tribunal, autrement dit quelqu'un qui veille sur lui, qui en soit responsable et qui le représente. Sa mère a déclaré qu'elle ne se porterait pas caution en raison du nombre élevé d'accusations, et c'est sa grand-mère qui est intervenue et qui va servir de caution. Mais la semaine dernière, elle a convenu qu'elle n'était pas une caution adéquate.
Hier, avant de quitter Toronto, j'ai eu sur mon bureau sa nouvelle caution qui est identique à celle des six accusations précédentes. Sa grand-mère a été relevée de ses responsabilités et il a été autorisé à se porter caution pour lui-même. Je vous garantis que je le reverrai dès mon retour cet après-midi ou demain matin très tôt.
Si le projet de loi C-10 aborde finalement ces questions et prévoit qu'un adolescent ne va pas respecter les conditions de sa libération par le tribunal — et j'estime qu'on lui a donné suffisamment de chances, comme le disait le sénateur Fraser au sujet de la dissuasion —, il faut qu'il comprenne à un moment donné que s'il ne respecte pas les conditions, il sera détenu. Toutefois, cet adolescent a compris que s'il ne respecte pas les conditions, il est libéré. En plus, il est maintenant libéré sans que quelqu'un se soit porté caution pour lui; quelqu'un que nous aurions pu contacter pour dire qu'il ne respecte pas les règles.
Le sénateur Frum : Entendu. Il faut combler l'écart entre ce que vous, en tant que policiers, savez qui va se produire inévitablement et ce que vous pouvez faire pour empêcher que ça ne se produise.
M. Nevill : Oui.
Le sénateur Fraser : En outre. Le projet de loi C-10 aura les conséquences suivantes. Le juge du tribunal pour adolescents ou le juge de paix ne peut ordonner la détention sous garde que si les conditions suivantes sont réunies : l'adolescent est accusé d'une infraction grave ou, si plusieurs accusations pèsent toujours contre lui ou qu'il a fait l'objet de plusieurs déclarations de culpabilité, d'une infraction autre qu'une infraction grave. Cette disposition s'appliquerait à votre jeune homme, n'est-ce pas?
M. Nevill : Oui, parce que je crois qu'initialement la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne mentionnait que les déclarations de culpabilité. Le projet de loi C-10, quant à lui, mentionne les accusations qui pèsent contre eux. Comme l'a dit le sénateur, ils continuent leurs méfaits et ne répondent pas à l'inculpation et, donc, quand ils sont à nouveau arrêtés, il n'y a pas de déclaration de culpabilité, et plusieurs accusations pèsent contre eux.
Le sénateur Fraser : Même les accusations en instance seront incluses.
M. Nevill : Elles devraient être incluses puisque la plupart des accusations portées contre ce jeune homme sont toutes relatives à la violation de ses conditions de libération sous caution.
Le sénateur Fraser : Je pense que cette disposition s'applique à ce cas précis.
M. Nevill : Oui, absolument. En fait, cette disposition s'applique aux quatre affaires que j'ai apportées.
Le président : Les amendements du projet de loi C-10 visant à modifier la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents vont évidemment accroître le nombre de circonstances qui permettraient de mettre un adolescent en détention et pourraient prolonger, dans certains cas, la période de détention. Je sais, d'après les courriels et les messages que m'ont envoyés beaucoup de personnes — et je sais que mes collègues ont en également reçus — que la détention des adolescents soulève des préoccupations chez les gens, comme chez nous tous. La détention ne devrait être utilisée, j'en suis sûr, qu'en dernier recours.
Cependant, le projet de loi, tel que je le comprends, vise principalement les groupes de délinquants qui accumulent la durée et les circonstances des incarcérations. Le projet de loi semble cibler les délinquants violents et dangereux, les récidivistes et les délinquants dont les actes délictueux comprendraient aussi, en vertu du projet de loi, la conduite insouciante. Par exemple, une fusillade au volant d'une voiture à Toronto a coûté la vie à des innocents.
Pensez-vous que le projet de loi C-10, en ce qui concerne la période de détention supplémentaire, vise ou non un trop large éventail d'adolescents? Ou bien est-il suffisamment précis pour viser vraiment les jeunes délinquants les plus dangereux, les plus violents et les plus récidivistes?
M. McNeil : Les délinquants réellement violents sont toujours visés par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Le groupe qui n'était pas visé est celui des adolescents dangereux mais pas jugés violents. À mon avis, ils sont maintenant visés par le projet de loi.
Il est difficile de lire séparément les amendements. Le projet de loi met toujours l'accent sur la détention, même dans les dispositions qui indiquent que la détention est possible, on revient encore aux articles qui prévoient qu'elle doit être utilisée en dernier recours, qu'il faut déterminer si une autre solution moins sévère peut assurer la sécurité du public. La détention n'est pas automatique comme certains cas le laissent entendre. Il faut encore commencer par les mesures les moins sévères avant de recourir aux mesures les plus sévères.
Les tribunaux interpréteront la mesure législative au fur et à mesure, et dans une certaine mesure, ce n'est qu'à ce moment que nous comprendrons éventuellement ce qu'elle signifie, mais je crois qu'il s'agit d'amendements modestes qui essaient de viser ce groupe. Je ne pense pas que nous risquons de voir les digues s'ouvrir d'un seul coup.
M. Nevill : Je rejoins les propos du sénateur. Un adolescent qui commet un vol à l'étalage, un vol d'une valeur inférieure à 5 000 $, ne se retrouvera pas soudainement en prison. Cependant, les cas que j'ai mentionnés et dont nous nous occupons sont les cas visés par le projet de loi. Comme je l'ai dit, la structure devrait changer pour assurer la protection du public. Malheureusement à cause des fusillades au volant d'une voiture, il faut maintenant considérer qu'il s'agit parfois de l'intérêt de la jeunesse dans ces cas. Des gens sont assis chez eux et, d'un seul coup, des balles sifflent dans la chambre à coucher. Cela est bien sûr attibuable à une conduite insouciante qui menace la sécurité publique. Je suis d'accord avec ce qu'a dit le sénateur.
M. Lesage : Je crois que le projet de loi vise les délinquants très actifs. D'après mon expérience, je pense que nous devons leur accorder aussi la priorité. Je suis d'accord avec mes collègues.
Le président : Il se peut que vous ne puissiez pas répondre à ma question, mais quel pourcentage des jeunes délinquants auxquels vous avez affaire, sont dangereux, violents et récidivistes? Quel pourcentage sera touché par le projet de loi C-10?
M. McNeil : C'est difficile, mais parmi les récidivistes qui y retournent — c'est-à-dire les délinquants qui sont détenus — je dirais un peu moins de 50 p. 100. À peu près 40 p. 100 des délinquants auxquels nous avons affaire sont des récidivistes. Comme je l'ai dit, la LSJPA fonctionne très bien pour un jeune qui peut compter sur la présence d'un adulte qui l'aime et qui l'appuie. Il suffit d'un contact avec le système, dès la première intervention, pour qu'on ne les revoie plus. Ce sont ceux qui n'ont pas de soutien qui reviennent.
M. Nevill : Encore une fois, je suis d'accord avec les propos du chef adjoint. Même si j'ai mentionné le chiffre de 60 p. 100, comme il l'a indiqué, cela représente un faible pourcentage des jeunes à qui j'ai affaire. De ces 60, ce sont ceux qui seraient directement visés par le projet de loi C-10, à juste titre, à mon avis.
M. Lesage : Je ne peux parler que de ce qui concerne la GRC. Moins du tiers sont des délinquants violents.
Le sénateur Chaput : Parmi les 50 p. 100 ou 60 p. 100 de récidivistes, et des cas les plus graves, quel serait ou pourrait être le pourcentage de jeunes Autochtones?
M. Nevill : Dans ma région, celle de Toronto, j'ai affaire à très peu de jeunes Autochtones.
M. McNeil : Je ne suis pas dans une collectivité où il y en a beaucoup; cependant, par exemple, elle compte une communauté afro-canadienne. Manifestement, les Canadiens d'origine africaine seraient surreprésentés dans cette population. Ils ne constituent pas la majorité des cas, mais il y aurait une surreprésentation en raison de leur population.
M. Lesage : Nous n'avons pas de statistiques se rapportant aux jeunes Autochtones. Cependant, ils sont surreprésentés dans notre système correctionnel.
Le sénateur Lang : J'aimerais m'attarder particulièrement au pourcentage : que représentent les 60 p. 100? En moyenne, pour une année donnée, parlons-nous de 200 récidivistes ou de 100 récidivistes? Donnez-nous une idée des chiffres réels plutôt que de nous donner des pourcentages.
M. McNeil : Dans le cadre de sa commission d'enquête, le juge Nunn a observé qu'à tout moment, en Nouvelle-Écosse, il y avait plus de 100 habitués, comme il les appelle. Étant donné que la population de la Nouvelle-Écosse s'élève à environ un million, Toronto en aurait autant de plus, en fonction de sa population. Ils ont de lourds antécédents et à tout moment il y a jusqu'à 100 récidivistes — des habitués, comme le juge Nunn les a appelés.
Le sénateur Angus : Dans l'ensemble de la province?
M. McNeil : Oui.
Le sénateur Lang : On dit que le projet de loi C-10 élimine certaines options liées aux services de réadaptation. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Avez-vous le sentiment que même après l'adoption du projet de loi, vous pourrez avoir accès à tous les programmes de réadaptation existants et que vous pourrez même les bonifier?
M. McNeil : Soyons clairs : la LSJPA ne prévoit pas de services, et il n'y en a tout simplement pas en ce moment. Je ne pense pas que cela élimine les options de réadaptation; au contraire. Je pense que les dispositions sont toujours là et qu'il faut les trouver. Toutefois, la question consiste à savoir où on peut les trouver. Où doit-on diriger ces jeunes pour qu'ils reçoivent ces services?
Le sénateur Jaffer : Vous y avez répondu quelque peu, mais ma question portait sur le fait que dans votre région, Toronto, évidemment, les Canadiens d'origine africaine sont malheureusement surreprésentés. Je voulais que M. Nevill me donne la ventilation.
M. Nevill : Je ne compile pas de statistiques à cet égard. Personnellement, la plupart des jeunes auxquels j'ai affaire sont de diverses origines ethniques.
Le président : Chers collègues, ainsi se termine cette partie. Malheureusement, plusieurs étaient sur la liste pour la deuxième série de questions, mais nous n'aurons pas l'occasion de le faire en raison du temps qu'il nous reste.
Je tiens à vous remercier beaucoup de nous avoir éclairés sur la réalité du terrain et sur l'incidence que pourraient avoir les modifications proposées sur votre travail. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Honorables sénateurs, nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-10 et, en particulier, de la partie 4 du projet de loi C-10, qui porte sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui un groupe d'experts formé de trois éminentes personnes.
Nous entendrons Marc Bellemare, qui est avocat au cabinet Bellemare Avocats, de Montréal. Nous accueillons aussi Line Lacasse, de Laval, au Québec, et Joanne Jong, de Gatineau, au Québec.
Monsieur Bellemare, si vous avez une déclaration liminaire à faire, nous commencerons par vous
[Français]
Marc Bellemare, avocat, à titre personnel : Je suis ici aujourd'hui pour vous présenter mon point de vue sur le projet de loi C-10. Je le ferai à titre d'avocat spécialisé depuis 32 ans dans la défense de victimes d'accidents et d'actes criminels et d'ex-ministre de la Justice et procureur général du Québec.
La réadaptation sociale et professionnelle d'une victime d'acte criminel est largement tributaire de la façon dont le système de justice criminelle a géré les accusations, le procès de l'accusé et la détermination de la peine. Si un grand nombre de victimes se plaignent du fait qu'elles sont très peu considérées dans le déroulement d'un procès de nature criminelle, presque toutes déplorent le caractère souvent clément voire dérisoire de la peine. De là découle une immense frustration. Je puis vous assurer qu'aucune réadaptation n'est possible tant que la victime aura la certitude que la justice a failli à imposer une peine correcte à la hauteur de la perte irrémédiable à laquelle elle sera confrontée pour le reste de ses jours.
Pour les victimes, le projet de loi C-10 est un immense message d'espoir. Que l'agresseur soit un adulte ou un jeune contrevenant, le projet de loi C-10 introduit des mécanismes assurant plus de sévérité à l'égard des crimes violents, des prédateurs sexuels et des narcotrafiquants. Une justice criminelle plus sévère et plus vigilante sera une justice également plus respectée et plus crédible. Le niveau de confiance de la populaire sera haussé. La réprobation sociale face à ce type de crime atteint des sommets actuellement. Le projet de loi C-10 apporte des solutions concrètes, notamment par les peines minimales obligatoires, l'imposition de peines pour adulte au jeune délinquant ayant commis un crime violent et grave, et la diffusion de l'identité du jeune violent à haut risque de récidive.
Un sondage récent révèle que 77 p. 100 des Québécois souhaitent une justice criminelle plus sévère. Il y va de la peine imposée, mais aussi du sentiment de sécurité que chaque citoyen doit éprouver pour lui et sa famille. Le gouvernement actuel a joué franc-jeu avec la population canadienne. Ses orientations en matière de justice criminelle étaient connues, et les électeurs les ont validées sans conteste en lui confiant un mandat majoritaire.
Le projet de loi C-10 refonde neuf projets de loi déjà discutés et déposés entre 2006 et 2011. Il est maintenant temps de livrer et appliquer ces réformes. Je souhaite même que le gouvernement aille plus loin, dans un avenir prochain, en imposant des peines minimales à ceux qui tuent et blessent criminellement sur la route. Je souhaite également que, éventuellement, toute victime d'acte criminel insatisfaite de la peine prononcée puisse, d'elle-même, s'adresser de plein droit à une cour d'appel. Je souhaite enfin que le gouvernement se penche sur la possibilité que les détenus canadiens, qui en ont les moyens, aient l'obligation de contribuer financièrement aux frais d'incarcération.
Je vous remercie de m'avoir donné la chance d'être entendu devant le comité sénatorial chargé d'étudier le projet de loi C-10.
Line Lacasse, à titre personnel : Bonjour à tous. Je me présente, Line Lacasse, et je suis accompagnée de mon mari Luc Lacasse. Nous sommes les parents de Sébastien Lacasse, qui a été assassiné le 8 août 2004 par un groupe de jeunes délinquants à Laval. Notre fils n'était âgé que de 19 ans; il nous a été arraché et volé avec une grande violence par une dizaine de jeunes sans scrupules et sans respect pour la vie.
Il a été battu avec acharnement, poursuivi et arrosé de poivre de Cayenne, piétiné sans aucune chance même s'il leur demandait d'arrêter, et, finalement, il a été poignardé à mort. Parmi les 10 jeunes, aucun n'a cru bon appeler de l'aide. Tous sans exception ont quitté les lieux sans même éprouver de l'empathie pour le jeune homme qui se mourait et qui baignait dans son sang.
Pour nous, la vie n'aura plus jamais le même sens. Cela ne touche pas seulement la famille proche, mais aussi tous ceux qui aimaient Sébastien. Des sentiments jamais jusque là ressentis ont fait surface : la colère, la rage, l'injustice, la détresse, l'esprit de vengeance et la peur. La perte d'un enfant est inacceptable, surtout de façon si violente. En général, ce sont les parents qui devraient partir avant les enfants et non le contraire.
Quelle est la valeur d'une vie de nos jours? Ici, autour de cette table, nous pouvons tous nous poser la question. Pour ajouter à l'odieux, je dois dire que les procédures judiciaires sont un vrai cirque. Nous avons consacré trois ans de notre vie à suivre des procédures interminables et difficiles émotionnellement. Nous avons dû revivre cette nuit d'horreur de façon répétitive à chacune des étapes des procédures, et ce pour les différents accusés dans le dossier du meurtre de notre fils.
Il était très important pour nous de suivre toutes les étapes des procédures pour tenter de comprendre l'incompréhensible et pour s'assurer que les meurtriers reçoivent une sentence qui soit à la hauteur de leur crime, proportionnelle à la gravité des actes inhumains qu'ils ont posés le 7 août 2004. Il va sans dire que toute la famille y a laissé de sa santé mentale et physique.
L'aide apportée aux meurtriers est exceptionnelle. Ils ont droit à de l'aide médicale et psychologique, ils peuvent poursuivre leurs études tout en étant encadrés, tout cela aux frais des gouvernements en place. Ce qui est pathétique toutefois, c'est l'aide apportée aux familles des victimes.
Il n'y a aucun soutien ou aide de ces mêmes gouvernements, ou si peu. Ce ne sont certainement pas les 600 $ donné par le gouvernement du Québec, lors du meurtre de Sébastien, qui a pu nous aider à faire face aux problèmes financiers créés par la situation. Nous avons plutôt eu le sentiment qu'on nous manquait carrément de respect et que nous n'avions aucune importance aux yeux de nos élus.
Finalement, ce montant est dérisoire. Il représente un affront face à la famille éprouvée. Nous sommes laissés à nous-mêmes avec notre peine et avec tous les soucis qui s'ensuivent. Nous avons moins de revenus parce que je n'ai pas pu travailler pour des raisons de santé et Luc travaillait moins afin de pouvoir suivre le procès. Ce manque de revenus a fini par nous occasionner des soucis supplémentaires qui n'étaient vraiment pas nécessaires à ce moment-là.
Heureusement qu'il existe l'Association des familles des parents et enfants assassinés et disparus, qui nous a aidés et qui nous a accompagnés pendant les procédures judiciaires. Nous avons eu l'opportunité d'avoir un ami avocat qui nous a soutenus tout au long des procédures.
La loi de Sébastien, le projet de loi C-4, en mémoire de notre fils et de notre détermination, apporte un baume sur le cœur. Il est gratifiant et rassurant de voir qu'un gouvernement se penche sur ce problème. Le plus important pour nous c'est qu'on ait pris le temps de nous écouter et d'entendre toute l'histoire des familles éprouvées.
Je sais que d'autres gouvernements se penchent beaucoup sur les statistiques, mais dites-vous bien qu'une seule vie perdue est déjà une vie de trop. Je ne souhaite à personne ici présent de vivre un tel drame et je mets au défi toute maman ou tout papa de passer au travers d'une telle épreuve et de se lever contre ce projet de loi qui permettra, entre autres, de punir des assassins et ce, proportionnellement à la violence des actes commis.
À mon avis, il est essentiel de renforcer la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il faut se rappeler que cette loi fait référence à des crimes graves et veillera à ce qu'une peine applicable aux adultes soit envisagée à l'endroit des adolescents âgés d'au moins 14 ans qui commettent des infractions graves avec violence. On parle ici de meurtres, tentatives de meurtre, homicides involontaire coupable et agressions sexuelles graves.
D'ailleurs, un des buts de ce projet de loi est d'être dissuasif en prévoyant des peines plus sévères à l'endroit des récidivistes les plus violents. Il est important que les juges se dotent des outils nécessaires pour protéger la société contre des crimes commis par des adolescents afin que les jeunes délinquants reçoivent des peines proportionnelles à la gravité de leur crime.
Un autre point important de cette loi est la publication des noms qui permettra une plus grande vigilance et protégera le public. Finalement, la modification qui touche les antécédents judiciaires, qui pourraient pris en considération par le juge du procès, est importante afin de prouver la tendance à la criminalité du jeune délinquant et permettre au juge de déterminer la peine appropriée.
En terminant, j'aimerais que vous réalisiez que la famille purge une sentence à vie lorsqu'elle perd un être cher de façon aussi cruelle et odieuse.
Améliorons notre système de justice, soyons respectueux de la vie et sachons préserver la sécurité de tous en appuyant l'adoption de ce projet de loi afin qu'il soit en vigueur le plus tôt possible. Bien sûr, cela ne nous ramènera jamais notre fils, mais au moins sa mort et son drame auront contribué à quelque chose pour la société.
Joanne Jong, à titre personnel : Honorables sénateurs, mon nom est Joanne Jong. Toute une vie de dur labeur honnête s'est achevée pour mon père, âgé de 88 ans et en pleine possession de ses moyens, par une attaque barbare, délibérée et injustifiée, commise par deux ignobles truands dont un était mineur et l'autre venait d'atteindre l'âge de 18 ans.
Les meurtriers ont pris la précaution de s'armer de gants chirurgicaux et après leur crime, ils ont caché le corps de mon père, fait disparaître toute trace de sang dans sa maison. De retour chez eux, ils ont brûlé leurs vêtements. Par chance, ils n'ont pas pu procéder à la dissection de son corps en vue de la dispersion des restes.
Les tueurs font le choix de tuer. Aucune tuerie ne se justifie. En tuant, les tueurs font des victimes : d'abord la personne qu'ils tuent et également ses proches. Nous, les victimes, ne sommes victimes par choix. Nous, les victimes, devenons victimes par les choix et les actes posés par d'autres. Notre sentence à nous, est une sentence à vie.
C'est à titre de victime que je comparais devant le comité afin de commenter le projet de loi C-10 surtout les articles qui concernent les tueurs. En tant que victime, je suis soulagée de constater que le gouvernement, par l'introduction de ce projet de loi, prend les mesures législatives afin d'assurer la protection de la population.
La Charte canadienne des droits et libertés nous confère le droit à la vie et à la sécurité et il est rassurant de constater que le gouvernement prend ses responsabilités afin de soutenir ces droits. Le projet de loi C-10 est un pas important dans la bonne direction car il vise les criminels les plus dangereux et les crimes les plus graves. Et même, je le bonifierais.
Un crime n'est pas une erreur. Un crime est un acte délibéré et destructeur pour autrui. Il est grand temps d'arrêter de ne penser qu'aux droits des pires criminels, de se lamenter sur leur sort, de les prendre en pitié et d'exiger pour eux encore plus de ressources. Toute cette énergie dépensée à les plaindre contrecarre le temps et l'énergie qui devraient plutôt être consacrée aux besoins des victimes.
Je suis tout à fait d'accord avec la proposition du projet de loi C-10 qui consiste à dévoiler l'identité des mineurs accusés de meurtre, car nous avons le droit d'être protégés contre les individus les plus violents et les plus dangereux de la société. Si certaines des mesures proposées avaient été en vigueur, les autorités auraient eu le droit de dévoiler à mon père les antécédents criminels des jeunes, ce qui lui aurait sauvé la vie.
Le prononcé des peines vise plusieurs objectifs dont, entre autres, assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité. Il est important pour les victimes que les dédommagements et la réparation des torts deviennent des composantes obligatoires de toute peine et quantifiées dans une ordonnance. Un détenu ne devrait pas avoir le droit à la libération tant qu'il n'a pas payé le montant de l'ordonnance en totalité, car le non-respect d'une telle ordonnance devrait être considéré comme un outrage au tribunal.
En prison, le travail rémunéré obligatoire devrait être imposé dans le but de payer cette dette. À l'article 54 du projet de loi intitulé « Objet et principes », j'ajouterais le paragraphe 3.2 « Dédommagement et réparation des préjudices » comme principe fondamental. Ce principe de justice réparatrice devrait figurer comme premier point de l'article 55 du projet de loi intitulé « Plan correctionnel ». Le recouvrement auprès des parents du montant des honoraires d'avocat défendant un mineur devrait être rendu obligatoire.
Toute information concernant les criminels devrait être fournie aux victimes, incluant, par exemple, les évaluations présentencielles, car elles ont le droit de tout connaître sur ceux qui se sont imposés dans leur réalité, le droit de connaître le danger potentiel auquel elles peuvent être exposées. Présentement, les criminels ont le droit de tout connaître sur leur victime lorsqu'elle participe au processus, ce qui rend les victimes encore plus vulnérables.
En ce qui a trait au pardon, je trouve impératif qu'il n'y ait pas de pardon pour les tueurs et qu'ils soient déclarés délinquants dangereux dès la première condamnation, car tuer un autre être humain est le pire crime de tous. Il est primordial de protéger la société des assassins. Je trouve essentiel que le processus de justice accorde une attention particulière à la réalité des victimes aussitôt qu'un crime est perpétré, ainsi qu'aux dommages et préjudices subis. Je suis d'avis que les centres d'aide aux victimes d'actes criminels devraient être regroupés sous l'égide de l'ombudsman des victimes et relever du gouvernement fédéral.
Nous, les victimes, ne sommes pas des anecdotes. Nous avons ce vécu qui nous rend spécialistes. Je vous remercie de donner une voix aux victimes lors de l'étude du projet de loi C-10 et de m'avoir entendue.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité, en commençant par notre vice-présidente, le sénateur Fraser.
[Français]
Le sénateur Fraser : Monsieur Bellemare, comme vous le savez, nous sommes ici aujourd'hui pour nous concentrer surtout sur la partie du projet de loi C-10 qui concerne les jeunes contrevenants. Je sais que, dans votre mémoire, vous en parlez, mais vous n'en avez pas fait mention lors de votre présentation orale.
Vous êtes en faveur des changements, si j'ai bien compris?
M. Bellemare : Oui.
Le sénateur Fraser : Est-ce que vous avez participé à l'immense consultation qui a eu lieu avant que le gouvernement ne propose un projet de loi. . . cela fait plusieurs fois, j'oublie les numéros des projets de loi.
M. Bellemare : Le projet de loi C-4, le projet de loi C-15, le projet de loi C-54 et le projet de loi S-10.
Le sénateur Fraser : Voilà, ils se sont succédé. Avez-vous participé à cette consultation?
M. Bellemare : Non, pas activement, mais j'ai suivi les travaux.
Le sénateur Fraser : Est-ce que vous étiez d'accord avec les conclusions générales de cette consultation?
M. Bellemare : D'abord, c'est assez vague. Il y a beaucoup de gens qui ont été consultés et qui ont témoigné. Je suis d'accord avec le projet de loi C-10. Quant au reste, je sais qu'il y a toutes sortes d'opinions pour ou contre qui ont été émises.
Le sénateur Fraser : Les conclusions générales à travers le pays — mais aussi au Québec —, c'était que les problèmes que nous avons ne se trouvent pas tellement dans la loi telle qu'elle existe en ce moment. Comme nous l'ont dit les policiers qui ont témoigné avant vous, dans tout le système, les problèmes sont le manque de ressources, le manque de services de réhabilitation, de soins de santé mentale, bref, tous les services qu'on peut imaginer. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Bellemare : Le crime est un secteur multifactoriel. Il y a toutes sortes de raisons qui expliquent pourquoi un individu va commettre un crime, et il y a toutes sortes de raisons de s'en sortir après, quand on est en mesure de le faire. Cependant, il ne faut pas non plus éviter d'agir concrètement avec des lois qui encadrent davantage le processus judiciaire ou qui apportent plus de sévérité. Il ne faut pas éviter d'introduire des mécanismes plus répressifs parce que le crime est un élément multifactoriel et qu'il y a toutes sortes de raisons sociales qui expliquent pourquoi le crime a été commis.
J'entends souvent des gens me dire : « Attaquez-vous aux problèmes qui font en sorte qu'il y a des criminels dans la société. Attaquez-vous aux problèmes de pauvreté, aux problèmes reliés aux couples qui éclatent, aux problèmes reliés à l'éducation, à l'absence de ressources pour les jeunes. » Cependant, une fois que le crime est commis, une fois qu'on a tué ou agressé sexuellement ou qu'on a importé ou vendu des drogues à des jeunes, comme société, comment on règle ce crime? Il faut des mécanismes judiciaires qui feront en sorte qu'une peine correcte va être imposée à la personne qui a commis le crime.
Cela n'empêche pas de philosopher et de rêver à la société idéale qui ferait que, ultimement, il n'y aurait peut-être plus de crimes dans notre société, mais je ne pense pas que ce soit concrètement atteignable.
Le sénateur Fraser : Avant de passer la parole aux autres sénateurs, madame Lacasse et madame Jong, je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Nous savons qu'il n'est pas facile pour vous de revivre vos expériences dans un contexte comme celui de ce comité. Je vous remercie sincèrement.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : J'aimerais remercier les témoins. Je me fais l'écho des propos du sénateur Fraser. Nous vous sommes reconnaissants d'être venus ici aujourd'hui. À bien des égards, nous savons à quel point il est difficile pour vous d'évoquer le souvenir de ce que vous et vos familles avez dû subir.
La première question s'adresse à M. Bellemare. Monsieur, l'actuel ministre de la Justice du Québec et certains éléments des médias québécois ont beaucoup parlé des changements apportés aux principes fondamentaux de la LSJPA, en particulier de la suppression de l'expression « long terme ». L'amendement modifie la protection du public. Voilà ce qui est modifié dans le projet de loi.
Je considère que cela englobe la protection tant à court terme qu'à long terme du public. Il s'agit de notre obligation fondamentale envers la société, à titre de législateurs. J'ai eu de la difficulté à comprendre la préoccupation qu'a exprimée l'actuel gouvernement du Québec à cet égard et je me demande ce que vous en pensez.
[Français]
M. Bellemare : Personnellement, je pense que cela ne change rien. Le ministre de la Justice du Québec semblait dire, dans son exposé du 1er novembre dernier, qu'il fallait la présence du terme « durable » pour s'assurer qu'on allait analyser la question de la peine avec une certaine perspective dans le temps, dans le futur. Je pense que ce ne serait qu'un terme d'interprétation et que cela n'aurait pas d'impact sur le prononcé des sentences. Encore là, ce serait une disposition qui pourrait peut-être nous assurer qu'on tiendrait compte davantage du facteur de réhabilitation, mais tout dépend de la façon dont les tribunaux pourraient l'interpréter. Je ne pense pas que cela affecte l'importance d'appliquer les mécanismes du projet de loi C-10.
À mon avis, ce n'est pas cela qui est important. Ce sont plutôt les peines minimales qui sont essentielles, également la possibilité qu'un jeune contrevenant puisse être jugé comme un adulte dans certaines circonstances, comme on le prévoit, je pense, à l'article 176, et qu'on puisse diffuser son identité dans certains cas bien encadrés tels que prévus à l'article 185. Je ne pense pas que la société québécoise soit très préoccupée par le fait qu'on applique ou non le terme « durable », ou qu'on introduise ce terme-là. Ce qui est important pour les Québécois, c'est de s'assurer qu'on va avoir une justice crédible qui va donner des outils au gouvernement.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Madame Jong, je crois comprendre que les assassins de votre père avaient commis de nombreux crimes auparavant.
Mme Jong : Oui.
Le sénateur Runciman : Des crimes pour lesquels ils n'avaient pas été poursuivis.
Mme Jong : Exactement.
Le sénateur Runciman : Le projet de loi C-10 exige qu'on tienne un dossier à l'égard des mesures extrajudiciaires qui sont prises. Pourriez-vous nous donner votre avis sur cette modification apportée au projet de loi C-10?
Mme Jong : Oui. C'est ce que je veux dire lorsque j'ai dit que si ces articles avaient été en vigueur, mon père aurait eu le droit de prendre connaissance de ces procédures extrajudiciaires. Dans le régime actuel, les autorités n'avaient pas le droit de dévoiler à mon père à quel point ces deux jeunes étaient dangereux.
Le sénateur Runciman : Madame Lacasse, dans votre mémoire, vous avez mentionné la publication des noms. Vous pourriez nous indiquer pourquoi vous croyez que la modification qui vise à permettre une plus grande latitude par rapport à la publication des noms des jeunes délinquants est importante.
[Français]
Mme Lacasse : Je pense que publier le nom permet au public et aux gens qui fréquentent la personne de savoir à quel individu ils ont à faire. C'est important. Quand Sébastien est décédé, on ne pouvait pas rendre les noms publics, et les gens avaient peur parce la personne n'était pas encore arrêtée et on ne pouvait pas savoir qui c'était. Je pense que, ce qu'un jeune délinquant a fait, c'est important aussi de pouvoir le savoir après sa sortie de prison.
[Traduction]
Le sénateur Cowan : Madame Jong, madame Lacasse, je suis certain qu'il doit être très douloureux pour vous de venir ici et de revivre les expériences que vous avez vécues, et nous vous en sommes reconnaissants. Il est difficile pour nous, comme parents, d'imaginer l'épreuve que vous avez traversée. Vous avez toute notre sympathie.
J'aimerais vous lire un paragraphe d'un mémoire que nous avons reçu de l'Association du Barreau canadien, et j'aimerais avoir vos commentaires, madame Lacasse. Il s'agit du cas relatif au meurtre de votre fils. On y lit ceci :
Au demeurant, l'issue de cette affaire a été opportune. Trois adultes ont plaidé coupables à des accusations d'homicide involontaire et ont été condamnés à des peines de quatre ans. Un autre a plaidé coupable à une accusation de négligence criminelle ayant causé la mort. Deux autres ont été accusés d'entrave à la justice. La personne qui a poignardé M. Lacasse avait 17 ans à l'époque et a plaidé coupable à une accusation de meurtre au deuxième degré. Il a été condamné comme adulte, à l'emprisonnement à perpétuité. La version actuelle de la LSJPA a été utilisée pour imposer une peine d'adulte de prison à perpétuité à l'adolescent de 17 ans. Aucun élément figurant dans le projet de loi C-4...
— qui est le prédécesseur de celui-ci, le projet de loi C-10 —
... n'aurait empêché la mort tragique de M. Lacasse, ni n'entraînerait une sanction plus dure que celle imposée.
Font-ils erreur? Ont-ils manqué quelque chose?
[Français]
Mme Lacasse : Si vous parlez de celui de 17 ans qui a commis le meurtre, c'est sûr que, lui, il a eu une peine d'adulte, sept ans minimum. Probablement qu'il est sorti, il a sûrement demandé un appel. Pour moi, c'est sûr qu'il a 25 ans sur sa tête; mais sept ans, ce n'est vraiment pas beaucoup pour une vie.
Je peux vous parler aussi d'autres jeunes qui étaient dans les 10 qui ont assassiné mon garçon. Trois ont eu quatre ans; six mois après ils sortaient, et je vous dirais que, deux ans après, ils agressaient un autre garçon à Brossard — la même chose que mon garçon mais, heureusement pour lui, il a survécu. Aujourd'hui, deux de ceux qui ont tué mon garçon sont encore en procédure judiciaire. Pour moi ça prouve vraiment qu'il n'y a pas de réhabilitation. Ils ont reçu une peine de quatre ans, ils ont fait six mois et ils ont recommencé après. C'est vraiment une preuve que cela n'a pas aidé du tout; l'incarcération ne les pas aidés à se réhabiliter, ils sont retournés dans la vie publique et ils ont recommencé la même chose.
[Traduction]
Le sénateur Cowan : Ma question est la suivante. Aujourd'hui, nous examinons le projet de loi C-10. Qu'y a-t-il dans le projet de loi qui aurait pu prévenir le meurtre ou changé la décision judiciaire? Voilà ma question. J'aimerais d'abord avoir les commentaires de Mme Lacasse, puis peut-être ceux de M. Bellemare.
[Français]
Mme Lacasse : Comme je vous disais tout à l'heure, c'est sûr que tout ce qu'il y a dans le projet de loi C-10 ne veut pas dire que ça empêcherait quelqu'un de tuer, mais, en tout cas, je pense que ça donnerait des outils aux juges, par exemple. Peut-être aussi que, même si les statistiques nous disent encore que de donner des sentences plus élevées ne fait pas peur aux jeunes, qu'ils ne voient pas cela comme quelque chose de dissuasif, moi je pense le contraire. Je pense que si les jeunes voient qu'il y a des sentences plus élevées, cela fait peur. C'est ce qu'on me dit quand j'en parle autour de moi.
Pour répondre à votre question, je suis ici pour le futur; je sais que le projet de loi C-10 ne touche pas nécessairement ce qui est arrivé à mon garçon, mais je pense que c'est bon pour le futur, pour les autres. Ça ne fera pas revenir mon garçon, mais je trouve important qu'on mette des sentences plus sévères. On a des sentences bonbon pour plein de choses même si on a aussi des sentences sévères pour des crimes réels. Oui, le meurtrier principal de Sébastien a eu une bonne sentence. Mais les autres se promènent encore dans la rue et ils ont fait une autre tentative de meurtre. Alors je pense que si on resserre un peu plus et si on donne plus d'outils aux juges, cela peut faire une différence.
M. Bellemare : L'affirmation de l'Association du Barreau canadien disant que rien dans ce projet de loi n'aurait pu prévenir ce crime est une affirmation farfelue. Personne ne peut dire que ce crime n'aurait pas été commis si nos lois, au Canada, avaient été plus sévères avant. Personne ne peut dire qu'un individu va récidiver; c'est lui qui le décide. Je crois que, si nos peines sont plus sévères au Canada, si nos tribunaux sont plus crédibles en appliquant des peines plus sévères dans le cas de crimes graves, il y aura un effet dissuasif. Mais il n'y a rien de plus compliqué que la dissuasion.
Tout le monde va vous dire qu'il n'y a pas d'études qui établissent que cela a un effet dissuasif. Moi, je suis dissuadé de commettre un crime parce qu'il existe des prisons au Canada. Les gens honnêtes le sont également; les criminels le sont également. Et la prison a un effet dissuasif. J'en suis convaincu, sinon il n'y aurait pas de prisons, on les aurait abolies depuis des siècles. Quand l'Association du Barreau canadien, du haut de son prestige — une institution prestigieuse qui regroupe 40 000 avocats — vient vous dire sans sourciller que rien dans le projet de loi C-4, maintenant C-10, n'aurait pu empêcher ce type de crime, je pense que c'est une affirmation farfelue. Je pourrais vous dire le contraire et ce serait tout aussi vrai.
[Traduction]
Le président : Madame Jong, désirez-vous faire un commentaire?
Mme Jong : Le commentaire qui me vient à l'esprit, c'est que si les peines minimales avaient été en place lorsque les meurtriers du fils de Mme Lacasse subissaient leur procès, ils ne seraient pas sortis aussi rapidement.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D'abord, je tiens à remercier Me Bellemare pour sa présence aujourd'hui; je sais qu'il est un avocat très occupé. Madame Lacasse et madame Jong, je sais qu'il est toujours difficile de témoigner de son propre vécu, alors je vous en félicite et vous en remercie. Je voudrais aussi informer mes collègues du comité et notre président que nos témoins sont accompagnés aujourd'hui par les membres d'une dizaine de familles dont un proche a été assassiné. Ce sont tous des membres de l'association, ils sont présents un peu partout dans la salle et je tiens à les remercier car ils sont ici en signe de solidarité. Ils viennent à leurs frais, ce qui montre aussi leur motivation à voir le Canada se doter d'un système de justice plus juste et plus sûr pour la population.
Maître Bellemare, dans votre mémoire vous faites référence à une lettre publiée l'automne dernier par Éric Bergeron, psychologue dans le système carcéral canadien depuis des années. Il est aussi un témoin expert dans le cadre de la Cour criminelle du Québec. Je voudrais juste citer quelques passages :
Pour certains délinquants, la répression est la forme la plus utile de réhabilitation. Ce sont des jeunes qui, dès le jeune âge, sont fortement criminalisés, présentent des éléments de personnalité psychopathiques et toutes les recherches montrent clairement que les interventions sont inefficaces sur eux.
Dans de tels cas, les peines bonbon qu'on leur donne au début de leur carrière criminelle sont non seulement inefficaces, elles représentent des renforcements à leur délinquance.
Ce n'est pas Pierre-Hugues Boisvenu qui parle, c'est un psychologue spécialiste du domaine. Il dit plus loin :
De dire que la répression s'oppose à la réhabilitation, c'est d'être incapable de comprendre qu'avant toute réhabilitation, le crime se doit d'être puni chez les individus ne présentant aucun malaise moral ni remise en question face à leurs agissements. Cette punition devient alors essentielle afin de mettre une limite claire à des personnes qui n'en ont jamais eu dans la vie, ou qui ont utilisé la violence afin de les abattre.
Je sais, maître Bellemare, que vous êtes un avocat très occupé, vous avez été ministre de la Justice, vous défendez aujourd'hui beaucoup de victimes, vous le faites bénévolement à de nombreuses occasions, et je tiens à le souligner publiquement et à vous en remercier.
Ma question s'adresse à nos trois témoins. Le système actuel protège-t-il mieux les criminels, les récidivistes particulièrement, que la population?
Et en sous question, comment le projet de loi C-10 va-t-il rétablir l'équilibre entre la protection des droits des récidivistes et la protection de la population?
M. Bellemare : Je crois que la population va être mieux protégée avec le projet de loi C-10. Par exemple, les peines minimales pour les prédateurs sexuels; un an. Qui peut être contre le fait qu'on impose un an de prison minimum à un adulte qui, gratuitement, agresse un enfant de huit ans? Je n'en connais pas. Les gens à qui j'en parle — je fais beaucoup de pédagogie dans le cadre de mon travail — s'étonnent que ce ne soit pas déjà comme cela.
Pendant l'année où l'individu va être incarcéré, en principe, on est protégé. À moins qu'il ne commette d'autres délits, il n'y a pas de mineur dans la prison parce qu'on sait très bien que l'article 186 du projet de loi C-10 fait en sorte que les jeunes mineurs ne seront pas dans les prisons pour adultes. Toutefois, pendant que l'adulte prédateur sexuel va être entre les murs, il faut s'en occuper. En principe, si on est capable de s'en occuper correctement, que ce soit dans une prison québécoise ou dans un pénitencier fédéral, on devrait être en mesure de le réadapter et de faire de cet individu un meilleur citoyen. Oui, on est protégé pendant qu'il est en dedans, mais aussi, pendant qu'il est en dedans, il faut faire quelque chose avec lui. Je sais que les pénitenciers fédéraux et du côté des institutions carcérales fédérales il y a CORCAN, il y a plein de programmes de réadaptation. C'est de notoriété publique que les plans de réadaptation dans les pénitenciers sont plus intéressants, plus positifs et donnent de meilleurs résultats que dans les prisons québécoises. On nous dira qu'une question de budget en est la cause. C'est certain que du côté du Québec, il faut faire des efforts. La peine minimale est importante, mais doit être accompagnée d'une réadaptation intra muros pendant la détention et, à mon avis, on va limiter les risques de récidive si on en fait un meilleur citoyen en principe, s'il a compris quelque chose pendant qu'il était en dedans.
Mais les peines plus longues, si on s'occupe du détenu correctement, cela donne des résultats. Il y a même des programmes, des incarcérations trop courtes qui ne donneront aucun résultat. Un pédophile récidiviste, qu'on va garder en dedans pendant deux ans, si on s'en occupe, on va faire quelque chose de bien avec lui, mais pas si on le laisse sortir au bout de trois mois, comme on le fait dans bien des cas — un exemple, dans la région de Québec il n'y a pas très longtemps, un leurre informatique; un adulte agresse sexuellement une petite fille de 13 ans et fait trois mois dans la communauté.
Est-ce qu'on peut penser qu'on atteint un effet de sécurité pour le public et un effet de réadaptation pour cet individu? Pas du tout. C'est comme s'il ne s'était rien passé. Je pense que les peines minimales, la durée plus longue des peines, le fait que pour les crimes passibles de dix ou 14 ans de pénitencier qui sont des crimes graves, en principe, qu'il n'y ait plus de peine dans la communauté, je ne sais plus quelle est la disposition, mais c'est prévu dans le projet de loi C-10. Cela aussi c'est correct parce qu'on va pouvoir faire de meilleurs citoyens avec ces gens. Je crois qu'en prison, s'il y a de la réadaptation correcte, comme CORCAN qui peut même donner des cours universitaires à des détenus, on va en faire de meilleurs citoyens et on atteint un objectif. Ce n'est pas vrai que la durée des peines fait en sorte, comme je l'ai entendu dans certains témoignages précédents, que la prison est l'école du crime et plus tu y es longtemps, tu deviens un pire citoyen. C'est quoi cette affaire-là? Ce n'est pas établi. La prison a des vertus pour peu qu'on fasse quelque chose avec les prisonniers, surtout les jeunes prisonniers. Je ne parle pas nécessairement des mineurs, mais les jeunes prisonniers, j'entends les adultes aussi.
Le sénateur Boisvenu : Dans le projet de loi C-10, on a un des volets le plus contestés au Québec, c'est l'élément lié aux jeunes contrevenants. Depuis des mois, on vante ce modèle québécois. J'ai des statistiques sur la criminalité concernant les jeunes de 12 à 17 ans au Québec, entre 2004 et 2010, donc sur cinq ans. On y voit une augmentation de 37 p. 100 de la criminalité chez les jeunes de 12 ans; 1 p. 100 chez les 13 ans; 5 p. 100 de plus chez les 14 ans; 7 p. 100 de plus chez les 15 ans; 20 p. 100 de plus de criminalité chez les jeunes de 16 ans et 20 p. 100 de plus chez les jeunes de 17 ans.
Quel est ce discours de vanter notre modèle au Québec alors que je vois que la criminalité chez les jeunes de 12 à 17 ans a augmenté de 12 p. 100 au cours des cinq dernières années? Ce qui est encore plus inquiétant, c'est de voir une augmentation de 37 p. 100 chez les jeunes de 12 ans.
M. Bellemare : Il y a des augmentations effectivement et dans certains secteurs d'activités les statistiques de Statistique Canada de 2010 montraient qu'il y avait augmentation pour les infractions de nature sexuelle; pornographie juvénile c'était 35 p. 100. Il y a des augmentations de crime particulièrement dans les secteurs de nature sexuelle même si de façon générale il y a une baisse. Encore là, permettez-moi de demander à ceux qui disent et qui prétendent qu'il y a une baisse de la criminalité au Canada, pourquoi le projet de loi C-10? Je leur répondrai qu'il y a une baisse constante de la criminalité routière au Canada depuis 30 ans, cela n'a pas empêché le gouvernement libéral à Ottawa, le 1er juillet 1999, d'augmenter considérablement les maximums pour les crimes routiers même s'il y avait une baisse généralisée dans les statistiques relatives aux crimes routiers. Ce n'est pas parce que la criminalité baisse dans certains secteurs qu'il faut être plus clément pour ceux qui commettent ces crimes. Il faut l'être encore plus parce que si cela baisse partout puis tu n'as pas compris, tu es un problème. Il faut s'occuper de toi en tant que criminel. Ce n'est pas parce que ça baisse partout qu'il faut faire moins de choses pour ceux qui commettent des crimes encore aujourd'hui. Il y a peut-être une réprobation sociale encore plus grande face à ce type de crime.
Dans le projet de loi C-10, par exemple, les peines minimales pour l'inceste c'est cinq ans. Certains vous diront : c'est quoi cinq ans pour l'inceste? En 2012, un père de famille qui agresse sa fille de 13 ans, ne doit-il pas être puni de cinq ans minimum? Y a-t-il quelqu'un quelque part qui n'a pas encore compris? La peine minimale a un effet pour ce genre de personne. Qui peut traduire la réprobation sociale en termes législatifs? Le gouvernement dûment élu au Canada qui porte un projet de réforme de la justice criminelle comme celui qui a été élu le 2 mai 2011. Cela ne peut pas être plus clair. Il y a un mandat de la population. La réprobation sociale, c'est traduit également en termes de vote pour vous permettre d'adopter ce projet de loi. La volonté populaire est claire.
Le sénateur Boisvenu : Des commentaires à ajouter?
Mme Lacasse : M. Bellemare a pas mal tout dit ce que je pensais.
Mme Jong : ll faut se rendre compte que le public est très cynique face au système de justice en place actuellement et que le projet de loi C-10 va permettre une reprise de confiance du public envers le système de justice.
Le sénateur Dagenais : Je remercie la présence des témoins, monsieur Bellemare, et je salue le courage de mesdames Jong et Lacasse. Je sais que ce n'est pas facile.
Ma première question s'adresse à M. Bellemare. Elle pourra vous apparaître un peu politique. On sait que le gouvernement provincial, dont vous avez fait partie par le passé, est définitivement loin de partager votre point de vue sur le projet de loi C-10 et plus spécifiquement sur les sentences.
En dehors des questions des coûts d'emprisonnement qui semblent faire peur, et sans faire de débat de personnalité avec certains membres, croyez-vous que cette opposition provinciale aux dispositions du projet de loi C-10 en matière d'emprisonnement reflète réellement le souhait de la population au Québec, même au Canada?
M. Bellemare : Le 25 octobre 2011, j'en parle dans mon mémoire, a paru un sondage Léger Marketing au Québec établissant que 77 p. 100 des Québécois voulaient que les tribunaux soient plus sévères. Ils voulaient que les criminels soient punis plus sévèrement. On peut dire oui, mais ce n'était pas ciblé. On ne dit pas de quel crime il s'agit, et cetera. Mais le sentiment général de la population, c'est qu'on a besoin de tribunaux un peu plus affirmés, des messages plus clairs face aux crimes, des peines proportionnelles aux gestes commis. Quand je vous parlais du trois mois dans la communauté pour une agression sexuelle chez une jeune fille, c'est évident qu'il y a un tollé et les gens ne comprennent pas, ça fait l'actualité et c'est dommageable au système judiciaire.
À mon avis, plus de fermeté, plus de peines minimales dans des cas précis tels les narcotrafiquants, les prédateurs sexuels. De toute façon, les peines minimales existent au Canada depuis 1892. Il y a en a toujours eu et pour la plupart des crimes sexuels où le projet de loi C-10 augmente à un an, il y a déjà des peines minimales de 45 jours. On va augmenter cela et on va s'actualiser en fonction de la réprobation de la population.
Le 27 octobre, il y a une émission télévisée à grande écoute au Québec qui s'appelle JE qui diffuse un reportage percutant sur la liberté déconcertante avec laquelle les prédateurs sexuels circulent sur le Net.
L'équipe de l'émission JE a attrapé une quinzaine de déviants sexuels alors que l'animateur se faisait passer pour une petite fille de 13 ans. Il a voulu donner le document à la police, mais le ministre de la Justice et de la Sécurité publique a répondu que ça ne l'intéressait pas, qu'il n'a même pas écouté l'émission et qu'il ne l'écouterait pas. Ça, c'est trois jours avant que M. Fournier vienne ici le 1er novembre 2011 pour vous dire que le projet de loi C-10 était trop sévère.
Je pense que le gouvernement du Québec est en rupture avec la population du Québec sur la question de la sévérité. Je suis convaincu, sondages à l'appui, que les Québécois veulent une justice plus sévère. Ils sont d'accord avec le projet de loi C-10 sur la question de la sévérité des peines.
En gros, quand on explique bien les mécanismes, par exemple l'article 176 concernant les peines pour adultes et l'article 185 concernant la diffusion de l'identité du jeune; contrairement à ce qui a été dit à la Chambre des communes par le ministre québécois, ce sont des mécanismes exceptionnels, très bien encadrés, qui s'appliquent à des cas rarissimes et qui ne sont pas automatiques, donc qui donnent des outils au procureur général pour obtenir plus de sévérité dans des cas particulièrement crapuleux, odieux et violents.
Pour l'essentiel, le projet de loi C-10 ne change rien à la réalité de l'immense majorité des jeunes criminalisés au Québec. La réadaptation n'est pas empêchée non plus par le projet de loi C-10.
Par contre, personnellement, je pense que le plan de communication du gouvernement est assez anémique concernant le projet de loi C-10. Quand j'ai entendu le ministre québécois, je me suis tapé le projet de loi C-10 à fond — j'en connaissais les grandes lignes mais je l'ai lu — et je me suis demandé ce que c'était que cette histoire parce que la population du Québec se fait dire des choses qui ne sont pas véridiques.
Le gouvernement a une responsabilité de diffuser le contenu exact de son projet de loi massivement afin que les Québécois le comprennent davantage. Cela n'a pas été fait, mais j'espère que ça va se faire un jour parce que le sénateur Boisvenu fait un bon travail, mais le gouvernement majoritaire, qui a tous les outils pour faire connaître son projet de loi, aurait intérêt à le faire rapidement, et particulièrement au Québec.
Le sénateur Dagenais : Madame Lacasse, votre fils a été victime d'un geste tout à fait gratuit et vous disiez que vous aviez perdu trois ans à suivre les procédures judiciaires. Avez-vous l'impression que les accusés, malgré leur jeune âge, connaissaient très bien les subtilités du système judiciaire? Pouvez-vous m'en donner quelques exemples? Avez-vous l'impression qu'ils savaient ce qu'ils faisaient et qu'ils connaissaient le système de justice quand ils ont posé ces gestes?
Mme Lacasse : Oui, c'est sûr. Les mineurs savent que les sentences sont minimes. On sentait vraiment qu'ils se foutaient de nous complètement.
Le sénateur Dagenais : Avez-vous l'impression qu'ils étaient au courant de ce qu'ils pouvaient leur arriver?
Mme Lacasse : Oui, ils étaient au courant que les jeunes n'ont pas de grosses sentences et que plus ils sont âgés, plus la sentence est importante. C'est sûr que pour le principal accusé c'était le principal argument puisqu'il voulait absolument être jugé comme une personne mineure. Il a même fait appel à la Cour supérieure pour essayer de changer le verdict de peine pour adulte puisqu'il croyait vraiment s'en sauver avec une peine pour jeune.
Je suis entourée de beaucoup de jeunes et tous me disaient qu'ils changent quand ils ont 18 ans. Ils savent qu'avant 18 ans ils peuvent faire « à peu près n'importe quoi », puis qu'après 18 ans, il faut qu'ils se tiennent plus serrés. Ça, je l'ai entendu bien souvent chez des jeunes que je côtoie encore aujourd'hui.
[Traduction]
Le sénateur Lang : J'aimerais remercier Mme Lacasse et Mme Jong de façon toute spéciale. Aux représentants des victimes de crime qui sont venus aujourd'hui, je sais que je peux m'exprimer au nom de tous lorsque je dis que nous sommes de tout cœur avec vous, et nous ne pouvons pas imaginer ce que vous avez traversé.
Ces derniers jours, nous avons entendu le témoignage de plusieurs témoins. Ceux qui œuvrent dans le système judiciaire semblent penser que le système judiciaire fonctionne bien dans sa forme actuelle. Il ne devrait y avoir aucun changement, mais on devrait tout simplement fournir plus d'argent.
Ensuite, il y a les témoins représentant le public qui ont comparu. Ce qui revient constamment, c'est que la façon dont le système judiciaire est administré actuellement démontre un véritable manque de respect pour cette institution, et il existe un réel manque de confiance dans la façon dont les choses sont menées.
Si le projet de loi n'est pas adopté et n'entre pas en vigueur, croyez-vous que l'érosion de la confiance dans le système de justice se poursuivra s'il demeure inchangé? Monsieur Bellemare, pourriez-vous y répondre? Puis, ce sera au tour des autres témoins, s'ils le souhaitent.
[Français]
M. Bellemare : Je pense que ce projet de loi doit être adopté pour augmenter la confiance du public dans l'institution judiciaire. Les peines minimales ont un effet important pour peu qu'elles soient diffusées et connues. L'effet dissuasif est en lien avec la diffusion de l'existence des peines minimales.
Par exemple, au Cambodge et en Thaïlande, lorsque vous vous promenez sur les autoroutes — mon épouse est d'origine cambodgienne et j'y suis allé souvent —, vous voyez des panneaux publicitaires dans les écoles et dans les centres d'achat qui disent que, dans ce pays, si vous agressez un mineur, vous serez cinq ans en prison. Je ne comprends pas pourquoi, au Canada, nous n'avons pas cela. À mon avis, on devrait le faire.
De façon générale, les tribunaux appliquent les lois. Je pense que les Québécois particulièrement — parce que je les connais plus que l'ensemble des autres Canadiens — veulent que l'État adopte des mesures plus sévères; sans nécessairement que cette sévérité soit définie dans l'esprit de chacun.
Au quotidien, dans les journaux, dans l'actualité, on entend des choses qui ne plaisent pas; des gens qui sont libérés prématurément. Il n'y a pas longtemps, à Québec, une policière a été agressée par un individu qui va dans une maison de transition à 500 pieds de chez elle alors qu'elle a une peur bleue de cet individu. Un autre au Saguenay a écopé de 10 ans de prison, mais a refusé toutes les thérapies. Je représente la victime devant les tribunaux et elle a une peur bleue de le revoir n'importe quand dans son coin et ses enfants demeurent à deux kilomètres de chez lui. On voit ça dans l'actualité. Les gens se demandent comment se fait-il qu'on laisse sortir des gens dangereux? Même au terme de leur peine d'emprisonnement. C'est peut-être parce qu'au début la peine n'était pas assez sévère. C'est tout ça.
La justice est un concept très subjectif et très philosophique. Des gens se demandent pourquoi un an de peine minimale pour les prédateurs sexuels? Je leur réponds pourquoi un taux de 0.08 p. 100 pour l'alcool au volant et pourquoi pas 0.05 p. 100 ou 0.02 p. 100? Pourquoi on libère les gens en libération conditionnelle au tiers ou aux deux tiers de la peine? Tout cela est subjectif.
À quelque part, il y a un gouvernement qui tire une ligne et qui dicte comment cela va se passer. Je pense qu'il y a suffisamment d'éléments dans le projet de loi C-10 qui viennent renforcer à différents niveaux, surtout pour les criminels violents et les prédateurs sexuels, qu'il y a des mécanismes positifs qui montrent que le gouvernement est au niveau des préoccupations de l'ensemble des citoyens.
La justice, ce n'est pas juste l'affaire d'une poignée d'avocats et des juges. La justice et le fonctionnement du système judiciaire origine d'une loi qui est essentiellement le Code criminel et qui est adoptée par des élus qui décident que le Code criminel sera de cette façon. La seule façon pour le citoyen ordinaire d'être entendu et d'espérer avoir un système judiciaire correspondant à ses valeurs puis à la réprobation qu'il éprouve face à un certain nombre de crimes, c'est de s'assurer que quelque part un gouvernement va changer la loi pour augmenter la sévérité des peines, renforcer le mécanisme des sentences et diminuer le nombre de sentences dans la communauté dans des cas de crimes graves.
Le projet de loi C-10 ne fait pas tout; j'ai des reproches à faire concernant ce projet de loi parce que, à certains égards, je trouve que ça ne va pas assez loin.
Par exemple, concernant les peines pour un individu qui commet un crime sexuel en autorité, le projet de loi C-10 mentionne une peine d'un an pour l'entraîneur de hockey, le professeur de ballet, le professeur à l'école, le prêtre, et cetera.
Je ne comprends pas pourquoi c'est un an pour une personne en autorité et cinq ans pour un père de famille qui abuse de ses enfants par inceste. On devrait imposer cinq ans également dans les cas de crimes sexuels liés aux enfants de moins de 16 ans, commis par des personnes en autorité. Ces personnes ont toute la confiance de l'enfant. Or, cet enfant, qui vit une peine et une peur épouvantables, jour et nuit, est abusé par quelqu'un qui en a la charge et la responsabilité.
Je ne suis donc pas d'accord avec tout ce que renferme le projet de loi C-10. Je crois que, à certains égards, il devrait aller plus loin. Malgré tout, le projet de loi C-10, comme je l'ai indiqué dans ma présentation, est un message d'espoir pour les victimes avant tout car il les respecte et reconnaît leur détresse. Pour le citoyen ordinaire, c'est un message selon lequel on sera plus sévère. C'est tout ce qu'il comprend, mais c'est déjà beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Lang : Quelqu'un d'autre veut faire un commentaire?
[Français]
Mme Jong : J'abonde dans le même sens que M. Bellemare. Je trouve que le projet de loi C-10 va redonner confiance à la population ordinaire, qui est présentement très cynique face au processus. On est très cynique face aux droits des accusés, face aux sentences bonbon imposées. On se demande à quoi servent les efforts des procureurs de la Couronne, des corps policiers à traduire ces criminels devant la justice, alors que ceux-ci s'en tirent avec rien et sont morts de rire.
Ce que le projet de loi C-10 fera également, c'est de la prévention en imposant des sentences minimales. Ceux qui commettent des crimes sont très au fait de leurs droits et des sentences qu'ils peuvent encourir. En ayant des sentences minimales, ils vont y penser deux fois avant de poser des gestes criminels. Cela générera des économies à long terme pour le système de justice pénale.
[Traduction]
Le sénateur Lang : Monsieur Bellemare, j'aimerais poser une question complémentaire par rapport à un de vos commentaires. Vous avez dit que dans beaucoup de milieux, le message sur ce que contient vraiment le projet de loi n'est pas diffusé de façon honnête. Je ne peux qu'être d'accord. Je crois que dans certains cercles, les médias ont accepté une partie des critiques formulées par ceux qui critiquent le projet de loi, qu'ils les ont acceptées comme s'il s'agissait de paroles d'évangile, ils ont emboîté le pas et n'ont pas cherché à savoir si c'était fondé ou non.
Cela nous ramène à vos commentaires sur les peines minimales obligatoires. De toute évidence, nous pouvons être soit d'accord, soit en désaccord quant à savoir si elles devraient être plus longues ou non, mais il n'en demeure pas moins que dans la plupart des cas, pour la plupart des infractions, il y a un minimum d'un an, parfois jusqu'à cinq ans. Or, comme vous le savez, on compare cela au système américain. Certains médias en ont abondamment parlé, indiquant que cela nous amènerait à une situation semblable à celle qui prévaut dans beaucoup d'États américains. En particulier, celui que j'ai regardé portait sur le Texas. Je pense que c'était tout à fait faux, et cela n'a apporté rien de bon aux Canadiens parce qu'ils ne connaissent pas le projet de loi. L'intention était de faire peur aux gens à propos de ce qui était dans le projet de loi. Voudriez-vous faire un commentaire à ce sujet?
[Français]
M. Bellemare : Je crois que ces affirmations sont largement exagérées. Vous savez, on est dans la sphère politique, des perceptions, des impressions. Rien ne se compare au système judiciaire canadien. Notre justice criminelle est particulière. Elle a de bons côtés. Certains aspects méritent d'être améliorés, mais de comparer le système juridique canadien de justice criminelle, même le projet de loi C-10, avec certains systèmes qui existent dans des États américains, à mon avis, est plutôt grossier.
Le projet de loi C-10, je le répète, n'a pas autant d'influence qu'on le croit. Il donne des outils aux tribunaux. Prenons l'exemple de la publication de l'identité d'un jeune, tel que stipulé à l'article 185 du projet de loi C-10. Beaucoup de gens au Québec, depuis la prestation d'une personne que vous connaissez, pensent que les jeunes vont tous aller dans les prisons pour adultes, qu'on ne fera plus de réadaptation sociale, que la réadaptation prend fin avec le projet de loi C-10. On va faire connaître l'identité d'un jeune mineur qui a commis un crime. Je crois qu'il faut un plan de communication de toute urgence car plusieurs ont encore de telles perceptions. L'article 185 encadre par six conditions les cas extrêmement rares où l'identité d'un jeune sera rendu publique : premièrement, il faut tout d'abord une demande du procureur général — il n'y a aucune garantie qu'il la fera; deuxièmement, il faut qu'un jeune ait commis un crime violent et grave; troisièmement, il faut un très haut risque de récidive; troisièmement, il faut que cette récidive soit en lien avec un crime tout aussi grave; quatrièmement, le risque de récidive ne doit pas simplement constituer le vol d'un paquet de cigarettes au dépanneur; cinquièmement, il faut qu'on parle d'un risque de crime violent et grave; et sixièmement, il faut que le juge l'accorde. On est donc très loin du spectre où on verra la photo de tous les jeunes dans les journaux.
Malheureusement, c'est la perception qui fut dégagée par certaines personnes du Québec qui ont dit, de façon plutôt exagérée, que l'identité du jeune allait être compromise et que cela allait être traumatisant pour lui. On parle de qui? Je ne connais pas de jeune qui correspondent aux six critères que je viens d'énoncer. Il se pourrait qu'un, deux ou trois de ces jeunes se promènent et que le juge, comme le procureur de la Couronne, dise que dans ce cas on va diffuser l'identité parce ce jeune fréquente peut-être une école, des bars ou des gangs de rue, il est peut-être mon deuxième voisin. J'ai donc le droit de protéger mes enfants et m'assurer que mes enfants n'iront pas au même party que ces gars- là. C'est une question de sécurité. Dans ces cas extrêmes, si je le sais, je vais prendre les précautions qui s'imposent pour que mon enfant ne fréquente pas la même école ou pour éviter que ma fille monte dans sa voiture.
Au niveau de la sécurité, comme père de famille, je trouve que cette disposition a des vertus. Malheureusement pour le jeune dont l'identité sera connue, peut-être que cela aura des conséquences. Toutefois, les conséquences sur ma famille sont importantes. Dans ce cas extrême, je crois que la mesure est justifiée.
J'ai parlé dans mon mémoire de Julie Surprenant, qui est décédée et dont le père, Michel, est ici — je le salue bien bas pour son courage. Si Michel avait su que le voisin d'en haut était un prédateur sexuel dangereux, jamais sa fille n'aurait vécu dans cet appartement.
Alors le fait de connaître l'identité des prédateurs sexuels dangereux, à risque de récidive, a des vertus car on peut se protéger. Les gens qui disent que le jeune sera stigmatisé, je suis d'accord. Par contre, on ne le fait pas dans tous les cas; on ne le fait que dans des cas exceptionnels. On verra bien dans cinq ans combien de cas correspondront à l'article 185 du projet de loi C-10. Cela donne un instrument aux juges. Et des instruments, dans un système judiciaire de cette nature, on en a besoin, on n'en a jamais assez.
[Traduction]
Le sénateur Lang : Merci.
Le président : Chers collègues, pour le temps qu'il reste, nous avons trois sénateurs; alors, veuillez garder cela à l'esprit, en regardant l'horloge.
[Français]
Le sénateur Chaput : Dans un premier temps, je tiens à remercier très sincèrement Mme Lacasse et Mme Jong ainsi que tous ceux et celles qui les ont accompagnées dans le témoignage qu'elles ont fait ici devant le comité. Je reconnais que cela doit être très difficile. Vous nous avez sensibilisés à ce que vous avez vécu et la grande injustice que vous vivez. Je vous en suis reconnaissante.
On discute de la partie 4. J'ai une question pour Me Bellemare qui ne vise pas la partie 4, mais plutôt des suggestions qu'il a faites dans sa présentation liminaire.
À la toute fin, vous avez mentionné que, suite au projet de loi C-10, on pourrait aussi aller plus loin. Dans vos suggestions, que je trouve fort intéressantes, il y a celle de dire que les criminels, qui peuvent se le permettre financièrement, puissent contribuer aux frais liés à leur incarcération. Pourquoi ne pas aller plus loin et ajouter qu'ils devraient contribuer aux besoins des victimes? Après tout, c'est leur acte criminel qui a causé le fait que ces personnes sont devenues victimes.
M. Bellemare : J'ai toujours trouvé anormal que les détenus, où qu'ils se trouvent, qui en ont les moyens ne puissent le faire. Ils ne sont pas tous des pauvres. La pauvreté existe, mais les riches commettent également des crimes. On retrouve beaucoup de cols blancs dans les cas d'alcool au volant, de fraude financière et d'agressions sexuelles.
Les gens qui sont très bien nantis peuvent commettre des crimes. J'en donne trois exemples dans le mémoire : l'ex- juge Robert Flahiff, de la Cour supérieure, condamné à 30 mois de prison, je pense, en 1999, pour avoir blanchi 1,7 million de dollars; Guy Cloutier, condamné à 42 mois de pénitencier — il en a fait 29 — pour avoir abusé de deux jeunes pendant une dizaine d'années; et la famille Shafia, tristement célèbre et condamnée récemment.
Je lisais le journal La Presse il y a quelques semaines, et j'apprends que Mohammad Shafia est propriétaire d'un immeuble d'une valeur de 2,35 millions de dollars à Laval, au Québec. De l'intérieur des murs, il gère ses actifs, notamment un centre d'achats. Je me dis que cela coûte cher, qu'on n'a plus d'argent et qu'on essaie d'en trouver où on peut. Et pourtant, dans l'ensemble de notre système, les seuls qui ne sont pas appelés à contribuer financièrement à leurs frais carcéraux qui sont élevés — et qui en ont les moyens, j'entends —, ce sont les criminels dans nos prisons et nos pénitenciers. Je ne trouve pas cela normal. Le gouvernement devrait se pencher sur la possibilité de les faire contribuer financièrement. L'État du Connecticut le fait.
Supposons que j'aie un enfant de 15 ou 16 ans qui a des problèmes et qui doive séjourner dans un centre d'accueil au Québec. Il n'a pas nécessairement commis un crime — peut-être que oui, peut-être que non —, mais il souffre d'un trouble social. On va l'envoyer dans un centre jeunesse et, tous les mois, on va m'envoyer une facture de 500 à 600 dollars pour financer l'hébergement de ma fille ou de mon fils parce que je suis solvable. Quant à ma mère, qui est en perte d'autonomie et qui habite dans un centre d'accueil, on va éplucher ses comptes de banque pour essayer de voir si elle a suffisamment d'argent pour financer son hébergement.
Les criminels dans les pénitenciers fédéraux et dans les prisons québécoises ne contribuent pas. Je ne trouve pas cela normal. Qu'on leur demande 7 $ par jours comme on le fait dans les Centres de la petite enfance au Québec, ça va au moins faire ça. Il serait peut-être normal, éventuellement, qu'on en arrive à ça.
Ce que vous dites est intéressant aussi. Le détenu devrait obligatoirement être confronté à ses victimes. Il devrait leur venir en aide d'une façon ou d'une autre, que ce soit une conséquence financière au crime commis, pas seulement la prison, mais des obligations morales ou des obligations de soutien aux victimes. Je suis d'accord avec cela. On les incarcère, on les réadapte, mais on devrait beaucoup insister sur une forme de réadaptation qui serait davantage axée sur la responsabilité sociale, financière, et la responsabilité morale et humaine auprès des victimes. C'est important de le faire.
Le sénateur Chaput : Merci.
Le sénateur Angus : J'aimerais vous féliciter tous les trois et vous remercier pour vos témoignages si importants sur le projet de loi C-10.
Monsieur Bellemare, votre mémoire nous est très utile. Il nous présente un autre côté de la médaille. Vous avez mentionné la comparution du procureur général du Québec, M. Fournier, à la Chambre des communes, de même que des représentants de l'Association du Barreau canadien et du Barreau du Québec, dont je suis membre aussi. Je partage votre opinion selon laquelle c'est un mauvais moyen de procéder parce qu'il ne représente pas les 40 000 membres du Barreau canadien ni les 20 000 membres du Barreau du Québec.
Votre témoignage est contraire à celui de M. Fournier et à ceux des représentants des barreaux. Vous avez cité, entre autres, le sondage Léger Marketing du 27 octobre. Pouvez-vous citer d'autres organismes ou personnes au Québec qui appuient votre position?
J'ai bien écouté vos réponses aux questions du sénateur Dagenais, et je suis d'accord. Cependant, j'aimerais avoir d'autres références, si possible, provenant du Québec. Les Québécois et les Québécoises préfèrent un système et des sentences beaucoup plus sévères au lieu d'un doux système de justice.
M. Bellemare : Beaucoup de gens ont comparu devant le comité de la Chambre des communes, comme il y en a beaucoup qui ont comparu ici. Certains sont pour, certains sont contre. Le Québec est une terre de lobby, et à partir du moment où il y a une nouvelle loi qui se prépare à Ottawa ou à Québec, les lobbys débarquent. Ils s'opposent ou ils sont favorables. Ceux qui sont favorables sont généralement moins bruyants.
Ici, vous faites face à une problématique particulière. Les victimes d'acte criminel — il y en a dans la salle, j'en connais des centaines — ne sont pas outillées, organisées, structurées comme l'Association des avocats de la défense au Québec, comme le Barreau du Québec ou comme un gouvernement. Je travaille avec des associations de victimes, je peux vous dire qu'elles sont massivement favorables au projet de loi C-10, de même que les gens ordinaires. Les gens ordinaires ont peu de moyens d'expression. Ils en ont lors d'une élection. Ils en ont eu un le 2 mai 2011, et c'était pour l'ensemble du Canada.
Vous parlez du Barreau du Québec. J'en suis membre depuis 1979. J'ai participé à de nombreux comités. J'ai fondé le Comité des victimes d'actes criminels et le Comité sur l'assurance automobile, et j'ai longtemps été membre du Comité sur les accidents du travail et du Comité sur le droit administratif.
La position officielle du Barreau du Québec est celle du Comité de justice criminelle sur lequel siègent une vingtaine d'avocats, essentiellement des procureurs de la défense. Ce sont des praticiens du droit qui gagnent leur vie à défendre les accusés. J'ai beaucoup de respect pour ce qu'ils font. La Couronne est relativement silencieuse. Les juges encore plus. Alors qui peut parler pour le projet de loi C-10? Peu de gens. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'appui. Ils sont plus subtils, ils sont moins éclatants et moins articulés peut-être, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de soutien pour le projet de loi C-10.
Le barreau n'a pas consulté ses membres sur le projet de loi C-10 et cela m'irrite beaucoup. Je paie des cotisations au barreau, et je vois le représentant du comité, Me Battista, qui dit devant le comité de la Chambre des communes : « Nous sommes contre le projet de loi C-10. » Il parle pour son comité, mais il ne parle pas pour moi. On n'a jamais été consulté en ligne, par sondage ou autrement. Dans le bas des communiqués, on écrit toujours la petite phrase, qui se trouve dans le mémoire, selon laquelle le barreau représente 24 000 avocats au Québec, et que sa position qu'on voit dans les journaux un peu partout n'est pas la position des 24 000 avocats du Québec. L'Association du Barreau canadien n'a pas le droit non plus de parler au nom des 40 000 avocats membres, quoiqu'ils en disent dans leur communiqué. Cela donne aux médias l'impression que les avocats du Québec sont contre le projet de loi et que les membres de l'Association du Barreau canadien sont contre le projet de loi. Personnellement, je trouve cela malheureux.
Quand on tient compte du caractère représentatif de ceux qui ont fait beaucoup de bruit contre le projet de loi C-10, on s'aperçoit que, finalement, c'est quelques dizaines d'avocats qui travaillent à rédiger un mémoire, qui vivent de grandes frustrations parce qu'ils représentent des intérêts opposés, les intérêts des accusés essentiellement. Cette frustration se manifeste dans un mémoire et éventuellement dans la position officielle du barreau. Cependant, cela ne reflète pas l'opinion de l'ensemble des avocats. Je pourrais vous en présenter un très grand nombre qui sont très favorables au projet de loi C-10 et qui ont hâte que le système judiciaire canadien, le système de justice criminelle, soit davantage affirmé.
Le sénateur Angus : Vous êtes un bon porte-parole pour la majorité silencieuse.
M. Bellemare : On peut le penser, oui.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur Bellemare. Notre dernière question sera posée par le sénateur Frum.
Le sénateur Frum : Vous êtes un excellent porte-parole, et vous avez tous donné un témoignage extrêmement éloquent et important, alors, j'aimerais également vous remercier.
Madame Jong, vous avez déjà répondu à cette question, mais je veux vraiment comprendre la réponse à la question suivante : si le projet de loi C-10 avait été en place, aurait-il pu prévenir le meurtre de votre père? Je veux que vous répondiez à cette question.
Monsieur Bellemare, je suis touchée par la présence des gens qui sont venus ici aujourd'hui pour vous entendre. Vous avez fait allusion à une personne dans la salle. Y a-t-il d'autres victimes ici qui n'auraient pas perdu leurs êtres chers si le projet de loi C-10 avait été en place?
Mme Jong : Oui. Si le projet de loi C-10 avait été en vigueur en 2009, mon père serait toujours vivant, parce que les autorités et les gens qui étaient au courant auraient eu le droit de parler de ces jeunes. Les jeunes connaissent leurs droits. Ils savent que lorsqu'ils ont moins de 18 ans, ils peuvent faire beaucoup de choses et ne pas être tenus responsables, et le public n'a pas le droit de savoir quoi que ce soit de ces jeunes. Le public n'a pas le droit de connaître le danger auquel il s'expose lorsqu'il a affaire à ces jeunes.
Cette partie du projet de loi C-10 donne le pouvoir aux gens qui ont affaire à ces jeunes de parler à d'autres membres du public qui aimeraient en savoir un peu plus, qui font des vérifications de référence ou des choses de cette nature. Ce n'est pas la partie concernant la publication des noms; c'est la partie portant sur l'information que le grand public a le droit de connaître.
Comme je l'ai dit, ces jeunes savaient très bien ce qu'ils faisaient. Ils ont mis des gants, ils ont fait disparaître les traces de sang et ils ont brûlé leurs vêtements. Ils savaient très bien que tuer est un crime et qu'ils pouvaient aller en prison à cause de cela; alors, ce ne sont pas de pauvres petits enfants innocents qui méritent qu'on s'apitoie sur eux.
[Français]
Mme Lacasse : Pour moi c'est sûr que c'est peut-être différent du cas de Mme Jong. C'était pour la plupart des jeunes, et je sais que quelques-uns de ces jeunes, qui étaient dans le groupe des dix, avaient quelques antécédents, mais ils n'avaient pas été mentionnés et le juge ne pouvait pas les prendre en considération. Aujourd'hui, le projet de loi C-10 pourrait permettre de prendre en considération les méfaits commis auparavant. Si on avait su que telle personne avait fait telle chose, probablement que mon garçon ne se serait pas rendu à cette fête, ou probablement qu'il aurait fait plus attention à ceux qu'il pouvait côtoyer. Le projet de loi C-10 apporte beaucoup de petits outils pour aider, surtout pour que la population soit moins en danger dans nos rues.
Le sénateur Boisvenu : J'ai une question supplémentaire pour Me Bellemare. Je pense que question est fondamentale. Si le projet de loi C-10 avait 10 ans d'existence, est-ce qu'on aurait, cinq, 10 ou 20 femmes de moins qui auraient été assassinées? Car ce sont majoritairement des femmes qui sont assassinées.
Dans le cas de ma fille, l'individu commet une agression et une séquestration, en 1995. Il reçoit une sentence dans la collectivité. En 1997, une autre sentence dans la collectivité. En 1999 : séquestration et viol de sa victime pendant 12 heures; trois mois de pénitencier. Est-ce que, pour un tel cas, le projet de loi C-10 aurait sauvé la vie de ma fille?
M. Bellemare : Je pense que le projet de loi C-10 aura un effet dissuasif, j'en suis convaincu, sur l'ensemble de la criminalité au Canada et au Québec. J'insiste sur le fait qu'il faut faire connaître les dispositions du projet de loi C-10 rapidement et de façon permanente, car nos lois criminelles sont relativement peu connues. Les gens qui sont sur le point de commettre des crimes ne savent pas vraiment à l'avance à quoi ils doivent s'attendre en termes de minimum et de maximum. Mais de façon générale, je suis convaincu que le projet de loi C-10 aura un effet à la baisse sur la criminalité au Canada.
Des mécanismes existent, mais de façon générale, le fait de savoir que le gouvernement sévit, que les peines seront plus sévères, que les peines dans la communauté seront plus limitées, qu'il y aura des peines minimales, je vois cela d'un très bon œil et cela fait longtemps que j'attends que cela se fasse. J'en suis très content.
Si je peux ajouter quelque chose : dire que le projet de loi C-10 aurait pu empêcher la mort de telle femme ou de tel homme, jamais on ne pourra le savoir. Et ça fait trop longtemps sur la base de ce manque de certitude absolue qu'on n'a pas bougé. L'exemple du Barreau canadien est tout aussi vide de sens, car cela légitime le statu quo, et le statu quo, cela ne marche plus. Les gens ont besoin d'avoir une justice plus sévère, plus rassurante.
[Traduction]
Le président : Monsieur Bellemare, je vais vous donner l'occasion de prendre la parole puisque le sénateur Frum vous a adressé la question également. Je ne suis pas sûr que vous ayez eu l'occasion de répondre. Y a-t-il autre chose que vous aimeriez ajouter au sujet de sa question?
M. Bellemare : Non, merci.
Le président : Honorables sénateurs, ceci met fin à notre discussion avec ce groupe de témoins. Il est difficile de trouver les mots pour conclure, mais je dirais à Mme Jong, à Mme Lacasse et à tous vos collègues, qu'il n'y a pas de mots pour exprimer nos condoléances et notre sympathie à l'égard de la perte que vous avez subie. Il n'y a tout simplement pas de mots pour le faire, mais je crois que vous savez ce que je ressens.
Pour ce qui est du travail que nous faisons dans ce comité, il est important que nous essayions de comprendre quelles répercussions peuvent avoir les modifications touchant le droit pénal, de sorte que nous puissions comprendre les répercussions dans le monde réel et les répercussions qu'elles pourront avoir dans l'avenir. Malheureusement, nous ne pouvons revenir en arrière pour les pertes subies. Tout ce que nous pouvons faire, c'est essayer d'empêcher que d'autres surviennent dans l'avenir. Vous nous avez certainement transmis ces éléments d'information — les répercussions, les inquiétudes et le monde réel — d'une manière très efficace. Nous vous remercions du fond du coeur.
Nous sommes heureux d'accueillir, pour continuer notre étude de la partie 4 du projet de loi C-10, qui concerne la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, le juge en chef à la retraite de la Cour territoriale du Yukon, l'honorable juge Barry Stuart, et de l'Aide juridique de Longueuil, Québec, Mme Marie-Pierre Blouin, avocate de la Section jeunesse.
Madame Blouin, je crois savoir que vous avez une déclaration liminaire; ensuite, nous céderons la parole à M. Stuart.
[Français]
Marie-Pierre Blouin, avocate, Section jeunesse, Aide juridique de Longueuil : Je suis Me Marie Pierre Blouin, avocate à l'Aide juridique de Longueuil. Je travaille pour la défense des droits des adolescents depuis près de neuf ans. Je suis accompagnée d'une de mes collègues, Me Catherine Pilon, présente dans l'audience, avec qui j'ai eu l'occasion de défendre des dossiers d'envergure et d'importance pour des adolescents, dont notamment une décision à la Cour suprême du Canada, en 2009, la décision R. c. S.J.L.
Maître Pilon m'accompagne aujourd'hui parce que nous avons été parmi les premières à réagir dès que le ministre a proposé des modifications à la loi, car nous ne comprenions pas les inquiétudes du ministre face à la criminalité des adolescents compte tenu que le système actuel répond déjà aux inquiétudes soulevées par le ministre.
Si le projet de loi C-10 est adopté, il risque de créer de grandes contestations constitutionnelles puisque dans la décision de la Cour suprême du Canada, R. c. D.B., en 2008, il a été reconnu qu'il existe une présomption de culpabilité morale moins élevée pour les adolescents.
Lorsqu'on me demande ce qu'est une présomption de culpabilité morale moins élevée pour les adolescents, je réponds que cela signifie que l'on doive traiter les adolescents différemment des adultes. Spontanément, si le public canadien me demandait de quelle façon ici on traite différemment les adolescents, je leur dirais qu'il existe deux distinctions fondamentales entre les adolescents et les adultes, dont la détermination de la peine, qui est tout à fait différente pour les adolescents, et le respect de la confidentialité des informations que l'on préserve chez les adolescents.
Avec le projet de loi C-10, on risque d'intervenir sur ces deux différences fondamentales. Si on intervient au plan de la confidentialité des renseignements et de la détermination de la peine, les adolescents ne bénéficieront pas d'un traitement différent et recevront les mêmes traitements que ceux réservés aux adultes.
S'il n'y a plus de différence, il n'y a plus de présomption de culpabilité morale moins élevée pour les adolescents. C'est un point important, car si on traite les adolescents comme des adultes, alors n'existe plus de présomption de culpabilité morale moins élevée. Et oui, il y aura des contestations constitutionnelles sur les modifications qui seront apportées par le projet de loi.
Lorsqu'on pense, entre autres, à l'ordonnance de non-publication, ce qui était visé au départ par le gouvernement, et même à l'heure actuelle, c'étaient les infractions les plus graves dans le Code criminel. On parle du meurtre, d'agression sexuelle grave et de cas où un adolescent recevrait une peine pour adulte.
En ce moment, avec le libellé de la disposition, cela pourrait être ouvert à toute infraction avec violence. Dans les faits, actuellement, un adolescent de 12 ans, qu'on peut même qualifier d'enfant, qui se retrouverait à faire des menaces verbales dans la cour d'école à un autre camarade de classe pourrait voir son identité dévoilée par souci de protection du public.
Je comprends qu'au départ, quand on avait tenté de modifier les dispositions, c'était vraiment pour les cas où le procureur de la Couronne avait demandé un avis d'assujettissement à une peine pour adulte et qu'il ne l'avait pas eu. À ce moment, il y avait une possibilité de lever l'ordonnance de non-publication, mais dans le libellé tel qu'il est actuellement, l'infraction avec violence, on vise tous les adolescents, dont l'exemple que je vous ai donné.
Maintenant, en ce qui concerne les critères de détermination de la peine, je vois mal comment on peut inclure la dissuasion générale dans notre système actuel. Le juge doit tendre vers un objectif de réadaptation et de réinsertion sociales pour les adolescents, et il y a d'autres critères qui existent en ce moment dans le système pour les adolescents, dont la peine doit être la moins contraignante possible.
Comment un juge pourra-t-il appliquer ce critère, à savoir que la peine doit être la moins contraignante possible dans un objectif de réadaptation et de réinsertion sociale et, en même temps, envoyer un message de dissuasion pour les autres adolescents?
Également, certaines peines précises applicables pour les adolescents n'existent pas pour les adultes. La réprimande, par exemple, n'est pas une peine applicable pour les adultes et n'est pas punitive en soi. Elle s'applique dans des cas exceptionnels chez certains adolescents. Si le projet de loi inclut la dissuasion générale, je vois mal comment un juge pourrait donner une peine de réprimande à un adolescent tout en respectant le principe de dissuasion générale; ce sont des principes contradictoires.
Au niveau de la détention avant procès, j'ai compris que le but recherché était de faciliter la détention avant procès des adolescents violents et récidivistes, cependant, je vous assure qu'avec ce libellé, c'est le contraire qui va se produire. En ce moment, certaines situations font en sorte qu'ils sont exclus. Un adolescent, par exemple, accusé de voie de fait causant des lésions corporelles par voie sommaire — dont le maximum est de 18 mois — n'entre pas dans la définition d'infraction grave, donc le procureur général ne pourrait pas demander sa détention avant procès. C'est un peu particulier parce le législateur voulait justement faciliter la détention avant procès; les règles deviennent tellement complexes en ce moment que c'est le contraire qui risque de se produire.
C'est la même chose pour le cas d'un adolescent qui décide de ne pas se présenter au tribunal. Actuellement, un adolescent accusé de vol à l'étalage, qui ne se présente pas devant le tribunal, peut finir par être détenu avant procès, mais avec les modifications proposées, étant donné qu'il ne s'agit pas d'une infraction grave, l'adolescent ne se verra pas détenu avant son procès. Par cette disposition, on a tenté d'encadrer l'enquête sur remise en liberté, mais je vous assure que le système fonctionne bien actuellement et que les adolescents violents et récidivistes peuvent se voir détenus avant leur procès.
La majorité des adolescents que l'on voit chaque jour au tribunal — parce que je suis au Tribunal de la jeunesse chaque jour —, ce ne sont pas des adolescents violents. Ils viennent une seule fois au Tribunal de la jeunesse et ne reviendront plus par la suite. Manifestement, le fait de passer devant le tribunal fait en sorte qu'ils ne récidivent pas.
Les adolescents violents récidivistes font malheureusement partie de notre société et le système actuel est adéquat; il est possible de les détenir avant procès, d'ordonner une peine de détention, et même, dans les cas extrêmes et importants, il est possible de leur donner une peine pour adulte.
Au départ, le projet de loi C-4 avait été appelé la loi de Sébastien, compte tenu du fait que ce jeune garçon avait été tué par un adolescent et plusieurs adultes. Dans ce cas, le seul adolescent impliqué dans le dossier a été jugé en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et il a reçu une peine pour adulte.
À mon avis, le système a fait ses preuves; il fonctionne et, dans les cas particuliers et extrêmes, il répond adéquatement aux besoins.
[Traduction]
Le président : Juge Stuart, voulez-vous faire une déclaration liminaire?
Barry Stuart, à titre personnel : Je pourrais simplement dire : « Idem ».
Je vais essayer de dire ce que j'ai à dire en cinq minutes et je vais essayer de respecter cette limite. Je vais essayer de ne pas parler rapidement, mais je vais essayer d'aller au but. Je vais me concentrer principalement sur les répercussions des peines minimales obligatoires sur les limites concernant les peines d'emprisonnement avec sursis et le recours à la libération conditionnelle.
Ce projet de loi omnibus comporte de nombreux changements que j'aime, mais je vais me concentrer sur ceux que je n'aime pas. Je devrais préciser ma pensée dès le départ en disant ce que je n'appuie pas. Je ne suis certainement pas ici pour appuyer que l'on consacre plus d'argent au système de justice. En fait, je pense qu'il y a une responsabilité collective au sein du système de justice de trouver des façons d'économiser. Nous n'avons pas fait cela collectivement. Nous devons le faire et nous devons commencer à dépenser de manière intelligente.
Une des conséquences, je pense, en particulier dans le cas des jeunes contrevenants, c'est que nous devons dépenser beaucoup d'argent sur les jeunes enfants. Il y a trop de jeunes enfants autochtones qui sont placés en foyer nourricier. Si nous suivons les enfants qui sont placés en foyer nourricier à un jeune âge, nous constatons qu'ils reviennent encore et encore en nombre disproportionné dans notre système de justice pour jeunes contrevenants, et encore, en nombre disproportionné, dans nos prisons.
Depuis que j'ai quitté le banc, j'ai visité certains de mes clients dans les prisons et dans une de ces séances, nous avons eu un cercle. J'ai demandé aux contrevenants dans ce cercle de lever la main s'ils avaient déjà été placés en foyer nourricier. Sur les 27 contrevenants, et il s'agissait d'une prison à sécurité maximale, combien pensez-vous avaient été placés en foyer nourricier? Plus des trois quarts.
Deuxièmement, je ne m'oppose pas du tout aux peines sévères. Je m'oppose au recours excessif au châtiment et à l'emprisonnement partout dans le système de justice. Je m'y oppose parce que cela ne fonctionne pas. Cela semble être une opinion unanime chez tous ceux qui ont examiné la question de près.
Troisièmement, je pense que nous devons accroître de manière très prononcée le rôle des victimes dans le système de justice. Nous devons leur donner une voix entière. En fait, je pense que nous devons créer un système distinct pour elles, parce que le système doit se concentrer sur le préjudice causé, sur les vies brisées, et non seulement sur les lois transgressées. Dans ce cas, les victimes devraient avoir un système distinct qui s'occupe de leurs besoins, que le contrevenant soit devant les tribunaux ou non, que le contrevenant ait été trouvé coupable ou non. Nous ne pouvons pas simplement les utiliser comme des pions dans le jeu qui consiste à obtenir la condamnation d'un contrevenant.
L'autre chose que j'aimerais dire, c'est que je pense que le système de justice, et en particulier en ce qui concerne les jeunes contrevenants, doit se concentrer sur ce qu'il fait le mieux et laisser la collectivité faire ce qu'elle peut faire le mieux, parce qu'en essayant d'être tout pour tout le monde, le système de justice devient un outil très coûteux à utiliser. Je ne peux m'imaginer un hôpital qui s'occupe de quelqu'un qui a une écharde, mais c'est ce que nous faisons. Un jeune vole une boisson gazeuse ou quelque chose du genre, et il se retrouve immédiatement devant les tribunaux. C'est ridicule. Étant donné que le système de justice essaie de tout faire pour tout le monde, nous ne pouvons pas nous concentrer sur les crimes les plus sérieux qui méritent notre attention — les tueurs en série, les violeurs en série, la corruption, la criminalité en col blanc, le crime organisé, la criminalité multi-juridictionnelle. Nous ne sommes pas outillés pour faire face à ces infractions de manière sérieuse. Pourquoi? Parce que ces infractions sont des infractions qui sont très coûteuses au niveau du processus, et nous ne nous occupons pas de ces choses qui posent véritablement un défi pour la stabilité de notre démocratie et la crédibilité de nos institutions.
À cause de la passion qui m'anime pour cette question, ce que je vais dire pourrait vous faire croire, comme cela a été le cas pour d'autres, que je suis ici pour démanteler le système de justice. Ce n'est pas le cas. En fait, je suis ici pour le sauver. Je veux le sauver en faisant en sorte qu'il puisse se concentrer sur ce qu'il fait le mieux.
Je veux examiner les répercussions des peines obligatoires, de la réduction du recours à la libération conditionnelle, et un grand nombre d'autres éléments soulevés par Mme Blouin. Les répercussions seront que l'on fera un nouvel investissement énorme dans la partie aval du système. En faisant un investissement aussi important, un investissement en capital fixe, parce qu'il s'agit d'une dépense en immobilisations, cela donnera le ton aux dépenses dans le système de justice pour des années et des années. Il s'agit d'une erreur très grave et nous devons regarder toutes les autres administrations qui ont fait cela, qui reconnaissent maintenant les coûts énormes que cela a entraînés pour le système.
Je veux regarder, depuis une altitude de 10 000 pieds, certains des changements importants qui surviendront à la suite de cette dépense. La première chose que cela fera, sera d'étendre le filet pour faire entrer dans notre système de justice des personnes qui ne devraient pas s'y retrouver en nombre aussi disproportionné. Je suis certain que vous avez vu beaucoup de données statistiques au sujet des contrevenants des Premières nations qui aboutissent dans le système, des personnes atteintes d'une déficience intellectuelle, des pauvres, des personnes victimes d'abus psychologiques qui se sont tournés vers la toxicomanie pour faire face à ce problème. Voilà les gens que nous enfermons dans nos prisons. Les peines obligatoires et la diminution de la capacité d'avoir suffisamment de fonds pour faire intervenir la collectivité auront nettement pour effet d'augmenter leur nombre.
Nous allons nous concentrer davantage sur le châtiment et la guérison. Nous allons faire tellement de choses qui vont changer la façon dont le système de justice fonctionne que cela aura pour effet qu'il y aura beaucoup plus de personnes qui se retrouveront dans notre système.
À une certaine époque, au Yukon, lorsque j'ai été nommé à la cour, en 1978, nous n'avions pas de prison pour les jeunes. Vous savez ce qui est arrivé? Personne ne voulait envoyer ces enfants en Alberta ou à Vancouver. La communauté a travaillé ensemble pour trouver des façons ingénieuses de garder les enfants dans la collectivité. Ensuite, nous avons construit une prison et tout à coup, les statistiques sur le nombre d'enfants incarcérés se sont mises à grimper. Nous l'avons construite et nous l'avons remplie.
Lorsque je suis allé au Yukon pour la première fois, ce qui m'a attiré là-bas, en plus des nombreuses autres choses qui ont attiré le sénateur Lang là-bas, c'était le fait que nous avions une équipe de représentants de la justice qui avait à cœur d'assurer la sécurité de la collectivité, et qui travaillait jour et nuit pour y arriver. Nous avons travaillé pendant un an ou deux pour essayer désespérément de rendre nos 14 collectivités sécuritaires. Nous avons échoué. Savez-vous pourquoi? Nous avons omis l'élément le plus important et, je vous dirais, l'élément le plus significatif pour la réduction de la criminalité, la réadaptation des contrevenants et l'aide aux victimes, c'est-à-dire la collectivité. Toutes les études sans exception ont dit que l'outil le plus efficace que le système de justice peut faire intervenir, c'est la collectivité, et je crains que cette loi vienne fermer la porte à la collectivité, parce qu'il y aura un manque d'argent au fur et à mesure que les prisons se rempliront et que la première chose qui disparaîtra, et c'est toujours la première chose à disparaître, c'est le dernier venu. Au cours des 10 dernières années, le dernier venu, ce sont les initiatives communautaires en matière de justice, initiatives qui ont fracassé tous les records en matière de succès.
Vous pensez peut-être diriger le système de justice comme on dirige une entreprise. Aucune entreprise ne peut survivre avec un rendement de 50 p. 100. Aucune entreprise ne peut survivre en faisant le genre de travail que nous faisons, qui ne vous permet pas d'atteindre vos objectifs. Nous n'avons pas la confiance du public parce que nous ne sommes pas outillés pour faire ce qu'il nous demande de faire. Nous devons nous retirer et laisser une place aux collectivités pour qu'elles puissent faire ce qu'elles doivent faire.
Regardons ce qu'elles peuvent faire. Toutes les études indiquent que la meilleure ressource, la ressource la plus efficace pour prévenir la criminalité, ce sont les liens informels, les liens qu'ont les enfants avec leur famille et leur collectivité. Vous brisez ces liens, surtout dans les collectivités autochtones, et vous lancez ce jeune dans un processus, dans la rue, dont le résultat, comme l'indiquent les données statistiques, est que 46 p. 100 des jeunes autochtones ne réussissent pas à terminer leurs études secondaires mais réussissent à aller en prison. Que devons-nous savoir de plus?
Pour ce qui est de la résolution des crimes, je parlais il y a quelques instants au nouveau sénateur Vernon White, qui est un ardent défenseur de l'idée que sans la participation de la collectivité, vous n'allez pas résoudre les crimes. J'essaie en ce moment de donner un coup de main à la Commission d'enquête sur les femmes disparues de Vancouver. Il est clair que l'étude indique et que la commission constatera exactement ce qu'a constaté M. Campbell en Ontario au sujet de Bernardo : sans la participation active de la collectivité, la police a beaucoup de difficulté à résoudre les crimes.
Deuxièmement, la détention avant le procès. J'ai ordonné la détention avant le procès de beaucoup d'enfants parce que je n'avais pas d'autre choix. Toutefois, dès que la collectivité a commencé à participer, nous disposions d'une abondance de ressources faisant en sorte que, tout à coup, nous pouvions faire des choses qui me donnaient l'impression que je servais la collectivité en laissant l'enfant entre les mains de la collectivité pour commencer immédiatement à travailler sur sa responsabilité à l'égard de l'infraction et sur sa réadaptation. Si vous n'arrivez pas devant un enfant avec quelque chose de nouveau et que vous devez attendre qu'il arrive à son procès, un an plus tard dans certains cas, vous pouvez oublier ça. Rendu là, c'est devenu un jeu pour lui. Lorsque vous rendez visite à ces enfants dans des centres de détention pour jeunes, ils disent : « Je n'avais pas le bon avocat. Je n'avais pas le bon juge. Si seulement j'avais eu cet autre juge, les choses auraient été différentes. » Pour eux, c'est un jeu. Dès le tout début, cela devient un jeu pour eux.
De plus, si les parents savent que leur enfant ne recevra pas d'aide mais qu'il ira simplement en prison, je pense qu'il y aura beaucoup plus de plaidoyers de non-culpabilité. Vous savez quoi? Si tous les enfants se regroupaient et disaient : « Nous plaidons tous non coupables », le système de justice pénale cesserait de fonctionner. Nous devons inciter ces enfants et leur famille à penser que le système de justice leur fournira de l'aide. Les familles participeront dans un processus qui est convivial, qui collabore avec eux et qui essaie de les aider. Ils ne collaboreront pas avec un système qui essaie de leur arracher leur enfant pour l'envoyer en prison.
Pour ce qui est de la déjudiciarisation, un grand nombre d'excellentes initiatives de la collectivité se sont taries. Pourquoi? Parce que vous avez un policier seul ou un procureur seul qui ne sait absolument rien de la collectivité particulière et qui ne connaît l'enfant qu'à partir de son casier judiciaire; alors, il décide de garder l'enfant dans le système de justice pénale. Pourquoi? C'est parce que s'il y a une erreur dans le système de justice pénale, il ne sera pas responsable, mais s'il renvoie l'enfant dans son propre réseau, il sera responsable.
En ce qui concerne la détermination de la peine, je n'ai jamais pensé avoir infligé une peine qui avait du succès jusqu'à ce que la collectivité participe. Si vous avez la participation de la collectivité, elle s'assurera que vous avez les ressources qui feront en sorte que le contrevenant sera véritablement responsable et qu'il regrettera sincèrement ses gestes et qu'il sera en mesure de faire face au processus d'indemnisation.
Pour ce qui est de répondre aux besoins des victimes et des collectivités, vous ne pouvez le faire sans la participation de la collectivité.
Enfin, il y a une ou deux choses que je dois dire à ce sujet. J'ai dépensé des millions de dollars provenant de l'argent des contribuables pour que des gens puissent profiter de services de counselling professionnel et de programmes de traitement au Yukon. Ils faisaient le travail difficile qui est nécessaire pour faire face à un problème de toxicomanie. Toutefois, s'ils revenaient dans la collectivité sans le soutien de cette dernière, ils faisaient une rechute. C'était un gaspillage d'argent.
Le deuxième moment où nous avons besoin de la communauté, c'est pour assurer la transition et la réintégration des jeunes qui ont passé deux ou trois ans en prison. Et y a-t-il aujourd'hui des services pour assurer cette transition? Il n'y a rien. Si vous ne vous occupez pas du processus de réintégration, comme les Américains le font aujourd'hui en gardant contact avec les jeunes qui sont en détention, en nouant avec eux des rapports de collaboration et en commençant à les réintégrer dans la collectivité, nous aurons certainement de plus en plus de jeunes dans les centres de détention qui leur sont destinés, et, finalement, de plus en plus de jeunes dans des prisons pour adultes.
Je sais que mon temps est écoulé; on me fait signe gentiment. Je n'attendrai pas qu'on insiste, mais j'ai quelques recommandations à faire.
Sans vouloir offenser le Sénat, je ne crois pas que vous réussirez à vous débarrasser des peines obligatoires. D'accord, mais prévoyez au moins une dispense pour les Premières nations comme les Teslin qui commencent à assumer la responsabilité de la justice. Pour l'amour du ciel, nous devons encourager la responsabilité civique dans les collectivités. Permettez-leur d'acquérir cette capacité. Accordez une dispense aux collectivités qui ont mis sur pied des partenariats avec les représentants de la justice.
Ma deuxième recommandation — et je vous en ai déjà fait part — est de créer un processus distinct et de donner aux victimes une voix entière au chapitre.
Ma troisième recommandation est de récompenser les réussites. Nous savons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Or, nous continuons de récompenser ce qui ne fonctionne pas et non pas ce qui fonctionne. On a fait de nombreuses propositions sur la façon dont nous pourrions amener les collectivités à mériter leur salaire. Elles peuvent, si elles changent les choses, devenir capables de fonctionner.
La dernière chose la plus importante que j'aurais à vous dire, je crois, c'est que nous ne pouvons pas nous permettre de flirter avec certains concepts politiques s'ils ne résistent pas à l'épreuve des faits. Vous passez probablement plus de temps à vérifier tous les faits lorsqu'il s'agit d'acheter des avions de combat que vous ne le faites en songeant à ce que vous ferez de nos jeunes. Le Sénat est l'instance que ma mère m'avait promis de me montrer lorsque je vivais à Brockville. Elle m'avait dit : « Voilà le Sénat, dont les membres sont nommés. Ils étudient les enjeux sans idéologie politique. Ils examinent les faits. » Vous devez à votre tour examiner soigneusement les faits. Si les faits le justifient, c'est parfait. Mais si les faits ne le justifient pas, j'espère que vous aurez le courage de dire non.
Le président : Merci, monsieur Stuart. Voilà certainement de quoi réfléchir.
Madame Blouin, avant de passer aux questions, nous aimerions parler de votre expérience des services d'aide juridique. Vous représentez des jeunes qui se retrouvent devant les tribunaux ou qui pourraient s'y retrouver, n'est-ce pas?
[Français]
Mme Blouin : Tous les jours, je suis au Tribunal de la jeunesse et je défends les adolescents poursuivis en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, et ce depuis maintenant près de neuf ans. Je dois traiter environ 500 dossiers par an en tant qu'avocate à l'aide juridique.
[Traduction]
Le président : Nous passons maintenant aux questions. Nous avons 45 minutes, chers collègues, et je sais que l'on aura bien des questions intéressantes à poser à nos invités.
[Français]
Le sénateur Fraser : Merci à nos deux témoins, c'était vraiment extraordinaire comme présentation; vous nous avez donné beaucoup de matière à réfléchir.
[Traduction]
Je le demanderai à tous les deux, si vous pouviez changer une seule chose dans ce projet de loi, que serait-elle? Outre la dispense pour les Autochtones, que vous avez déjà citée — et vous n'avez donc pas à en parler à nouveau, monsieur le juge Stuart —, quel autre changement serait à votre avis utile?
[Français]
Mme Blouin : C'est très difficile parce qu'il y en a deux, vraiment, que je changerais. Premièrement, la levée de l'ordonnance de divulgation; c'est vraiment une des choses les plus importantes. Je pense qu'il ne faut pas l'étendre aux infractions avec violence parce qu'on inclut alors beaucoup trop de jeunes.
Également, la dissuasion générale; je pense que cela n'a pas sa place dans notre système.
[Traduction]
M. Stuart : Si je pouvais changer une chose; en fait, j'en ajouterais une. Est-ce possible, ou doit-on enlever quelque chose?
Le sénateur Fraser : Certainement, un changement peut-être un ajout. De toute façon, le débat est théorique.
M. Stuart : J'espère que non. J'ajouterais certainement une disposition appuyant l'engagement communautaire. Je pense que les collectivités ont fait un travail fantastique sans argent ou avec à peine suffisamment d'argent pour atteindre leur but, sans formation ni changement législatif, changement dont nous n'avons pas réellement besoin. La Loi sur les jeunes contrevenants en est la preuve, mais il n'y a pas de financement. Un financement s'impose cependant. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que ces gens fassent du bénévolat et entrent en concurrence avec le système de justice.
J'aimerais beaucoup qu'il y ait un projet pilote, un partenariat qui associerait le système de justice et la collectivité, voire une collectivité seule contre un système qui ne s'occuperait que de justice. Il ne fait aucun doute, selon mon expérience de travail dans de très nombreuses administrations — j'ai passé beaucoup de temps aux États-Unis où le sentiment de responsabilité civique est beaucoup plus fort; ils savent se relever les manches et changent énormément de choses dans les collectivités. Pourtant, ils ont des collectivités réellement perturbées où les taux de criminalité sont élevés. Si nous soutenions les collectivités plutôt que la construction de prisons, ce serait merveilleux. J'aimerais tant que vous soyez le Père Noël.
Le sénateur Fraser : Nous aussi.
M. Stuart : Je le sais.
Le sénateur Fraser : C'est intéressant, merci à vous deux.
Le sénateur Runciman : Merci d'être venue témoigner. Nous vous en savons gré.
Je vais laisser mon collègue le sénateur Boisvenu vous rassurer sur le fait que tout va bien au Québec, aux termes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Mais vous avez fait un commentaire que je ne suis pas certain de retrouver dans la traduction. Vous avez parlé de l'affaire Lacasse et de la tragédie qui l'a entourée. J'ai personnellement beaucoup de mal à accepter pareille assertion, si c'est bien ce que vous avez dit. La mère est venue témoigner aujourd'hui. Peut-être vous donnerai-je la possibilité de rétablir les faits.
[Français]
Mme Blouin : Ce que j'ai mentionné sur ce cas particulier, c'est que le seul adolescent, qui était impliqué dans ce drame tragique, a reçu une peine pour adulte. Donc, selon moi, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a fait ses preuves parce que, dans ce cas particulier, il a reçu cette peine pour adulte. Donc, on a jugé que c'était un cas extrême.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Je comprends votre commentaire. Je m'interrogeais simplement sur l'utilisation du mot « tragédie » dans le contexte du témoignage qu'est venue faire une victime.
Monsieur le juge Stuart, si vous aviez un point de vue à faire valoir à propos des commentaires de certains de vos collègues du barreau selon lesquels les peines imposées ne sont pas uniformes, diriez-vous que c'est un problème généralisé dans le système de justice au Canada? Je vais vous laisser un peu plus de temps pour réfléchir à ce sujet. Précédemment, j'ai fait allusion à un verdict prononcé par la Cour d'appel de l'Alberta en 2010. On y disait que la recherche de juges conciliants est une pratique florissante et que sans un minimum d'uniformité d'approche par rapport à l'imposition des peines parmi les juges de première instance et les juges d'appel au Canada, bien des objectifs et principes prescrits dans le Code criminel ne seraient pas respectés. On ajoutait que la recherche de sanctions justes était au mieux une loterie et au pire un mythe, et que si les tribunaux ne tenaient pas les promesses de la loi, la confiance du public diminuerait, ce qui amènerait le Parlement à agir.
Je me demande si vous avez des commentaires à ce sujet et son rapport avec les peines minimales obligatoires.
M. Stuart : Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'y viendrai de façon indirecte, parce que je pense que c'est une question très difficile sur laquelle nous nous penchons depuis fort longtemps.
Si nous dirigions un hôpital et que nous avions des remèdes prévus d'avance pour tous ceux qui s'y présentent, que ces remèdes fonctionnent ou non, nous nous trouverions très vite dans une situation vraiment difficile, n'est-ce pas? Si des gens se présentaient avec certains symptômes et que nous utilisions sans cesse le même remède, nous n'accomplirions pas la mission de l'hôpital, qui est de guérir.
Si nous suivons des lignes directrices en vertu desquelles exactement la même peine est imposée à tous, nous perdons de vue les possibilités qui se présentent, particulièrement chez les jeunes, d'utiliser l'acte criminel pour en trouver les causes sous-jacentes.
Le fait de s'attacher à la peine et de s'assurer qu'elle est la même pour tout le monde présente un problème : on ne reconnaît plus que chaque enfant est différent. On ne reconnaît plus que chacun a la possibilité qui lui est propre de pouvoir avancer. Si nous ne traitons que les symptômes et non pas les causes sous-jacentes de cette criminalité, nous n'avancerons pas.
J'ai une anecdote intéressante à vous rapporter. Jessie Scarf, une aînée du Yukon, faisait partie d'un conseil de détermination des peines qui se penchait sur le cas d'une jeune fille dont le dossier comportait 22 infractions distinctes. La Couronne avait fait circuler le dossier en montrant qu'il s'agissait d'un échec total et en expliquant les raisons pour lesquelles nous ne devions pas donner d'autre chance à cet enfant. Lorsqu'est arrivé le tour de Jessie Scarf de commenter, elle a brandi le dossier et a déclaré : « Oui, voilà le bilan d'un échec; cela fait 22 fois que le système de justice a eu affaire à cet enfant et cela fait 22 fois qu'il échoue. Pourquoi ne pas prendre le risque de nous donner une occasion de plus pour faire quelque chose de différent? »
Je m'inquiète encore plus pour les jeunes que pour les adultes. D'ailleurs, la cour d'appel à laquelle vous faisiez allusion parlait en fait des délinquants adultes et non des jeunes délinquants.
Le sénateur Runciman : C'est vrai.
M. Stuart : Lorsque l'on a affaire à des jeunes, c'est donc d'autant plus inquiétant de dire à tous les juges du pays, qu'ils exercent dans le Nord où les conditions sociales et culturelles sont fondamentalement différentes ou en plein centre de Vancouver, que tous les enfants seront traités de la même façon. Leur marge de manœuvre est alors très étroite. On a vu ce que ce genre d'approche a donné au Minnesota et dans plusieurs autres États : un désastre.
Le sénateur Runciman : J'ai du mal à voir où vous voulez en venir.
M. Stuart : Je veux dire par là que je ne crois pas que les juges devraient aspirer dans tous les cas à imposer exactement la même peine que ne le ferait un collègue d'une autre province.
Le sénateur Runciman : Oui, mais il peut y avoir des différences assez considérables. En l'occurrence, cette personne avait reçu une peine discontinue de 90 jours et avait été mise en probation pour avoir violé une fillette qui était inconsciente. Vous pouvez certainement comprendre la réaction de colère de la collectivité.
M. Stuart : Oui.
Le sénateur Runciman : Je ne parle pas d'uniformité généralisée, mais d'uniformité dans les cas de crimes très graves, qui offensent l'ensemble de la société. Dans bien des cas et de par les décisions qu'ils ont prises, les membres de la magistrature ont créé ce manque d'appréciation du système de justice canadien.
Je pense que c'est cela qui a encouragé le gouvernement à examiner toute la question des peines minimales obligatoires; parce qu'un grand nombre de vos collègues n'a pas su traiter convenablement les nombreux cas épouvantables et horribles qu'ils devaient juger.
M. Stuart : Je ne connais pas les faits dans cette affaire. Les connaissez-vous?
Le sénateur Runciman : Je ne fais que lire le jugement de la cour d'appel.
M. Stuart : Je ne dis pas qu'il ne devrait pas y avoir de lignes directrices. Le système canadien a un processus d'appel qu'il devrait utiliser de façon plus efficace. Nous devrions, comme les Américains, avoir un ou deux juges qui examinent uniquement les peines imposées. Si une peine est vraiment disproportionnée, cela veut dire que le juge a eu une mauvaise journée ou qu'il a exercé un pouvoir indu.
Dans certains États américains, les peines sont systématiquement examinées par deux juges qui ne font rien d'autre que cela dans les cours d'appel. Ils en viennent à savoir exactement ce que devrait être la norme et évitent ainsi les peines extravagantes.
Le président : Je devrais dire cela aux deux témoins, au lieu de me concentrer sur le juge Stuart.
M. Stuart : Vous pouvez vous en prendre à moi.
Le président : C'est par respect pour la magistrature, même si vous êtes à la retraite. Comme il ne nous reste que 35 minutes, je vous saurais gré d'avoir des réponses aussi brèves que possible.
M. Stuart : D'accord.
Le sénateur Cowan : Je voudrais revenir au point que le sénateur Runciman soulevait il y a quelques minutes, monsieur le juge Stuart. Je sais que les cours d'appel ont des limites d'intervention dans les peines imposées, mais hier, il a fait allusion à ce qu'il a qualifié « d'abus du pouvoir discrétionnaire des juges ».
Pourriez-vous nous dire de quelle façon vous avez exercé votre propre pouvoir discrétionnaire et de quelle façon vos collègues l'ont fait dans ces types de situations, et nous parler de l'importance du pouvoir discrétionnaire dans l'imposition des peines? En tant que juge, vous entendez toute la preuve et vous ne vous contentez pas de lire les articles de journaux le lendemain matin. Vous voyez toute la preuve, vous entendez tous les arguments et les plaidoyers des deux parties. Pourriez-vous commenter l'importance de préserver le pouvoir discrétionnaire des juges dans cette situation et le rôle des cours d'appel dans l'examen des peines imposées?
M. Stuart : La meilleure réponse est celle que je vous ai déjà donnée. Je pense que nous devrions probablement avoir un processus d'appel spécialisé par lequel on examinerait tout ce qui pourrait paraître extravagant par rapport aux attentes de la collectivité.
Le sénateur Cowan : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie beaucoup de votre présence. Les trois derniers meurtres qui ont été commis par des mineurs au Québec en 2011 l'ont été à cause des problèmes de drogue. Trois jeunes de 14 à 16 ans ou 16 et 17 ans ont assassiné des personnes âgées, dont deux étaient leur propre mère.
Maître Blouin, je rencontrais des groupes d'intervenants dans votre région il y a moins d'un an. On suit actuellement dans la région de la Montérégie près de 200 jeunes filles de 12 et 13 ans, qui se prostituent pour payer des dettes de drogue.
La criminalité chez les jeunes change à cause principalement du développement des gangs de rue et surtout de leur influence chez les jeunes. Le décrochage scolaire, qui est très élevé au Québec, n'est pas étranger à cela. Ce sont des cibles faciles pour ces gens. On voit rapidement la consommation de drogue alors qu'ils sont très jeunes, s'en suivent les dettes de drogue et la seule éventualité pour payer ces dettes, c'est la prostitution chez les jeunes filles et de l'intrusion de domicile pour les garçons, qui souvent se terminera par des drames comme on l'a vu au Québec dernièrement.
Je ne dis pas que le modèle québécois est parfait, il y a besoin d'amélioration. Entre 2004 et 2010, on note une augmentation de 37 p. 100 du nombre de crimes commis chez les jeunes de 12 ans. Ce qui m'inquiète, c'est que les jeunes sont de plus en plus ancrés dans une forme de criminalité et ce, de plus en plus jeune. Je me souviens que dans mon temps, et j'ai 63 ans, les petits bums avaient 15, 16 ou 17 ans.
Mme Blouin : Est-ce que vous me permettez de répondre?
Le sénateur Boisvenu : Je vais juste terminer. Mais aujourd'hui, les jeunes sont plus jeunes et on le voit au niveau scolaire, les problèmes d'éducation c'est au primaire maintenant pour toutes sortes de raisons.
Monsieur Stuart sera content d'apprendre que le ministre annonçait hier un investissement de 7,7 millions de dollars dans l'Ouest canadien pour soutenir la prévention de la criminalité en ayant des modèles de counselling, de développement de compétence et de mentorat. Le gouvernement a cette préoccupation de balancer le soutien aux communautés pour ces jeunes qui appartiennent aux gangs de rue et d'avoir des lois ou des mesures plus difficiles.
Un psychologue du système carcéral canadien disait que dans les cas où on est devant des jeunes qui représentent un danger évident, leur donner des sentences bonbons a l'effet inverse sur leur réhabilitation qu'une sentence sévère. C'est comme accepter qu'il soit délinquant. Il faut vraiment balancer réhabilitation et incarcération.
Dans votre exposé, j'ai senti une contradiction. Vous dites que le projet de loi C-10 va rendre presque tous les jeunes susceptibles d'être condamnés pour des crimes violents et en même temps, vous dites que vous rencontrez beaucoup de jeunes et il n'y a pas tant de violence chez les jeunes.
Comment pouvez-vous affirmer que le projet de loi C-10 risque de toucher tous les jeunes et qu'il n'y a pas tellement de violence chez les jeunes que vous rencontrez? Vous faites la preuve que le projet de loi C-10 va s'attaquer strictement aux jeunes qui sont vraiment violents, qui est la minorité.
Mme Blouin : Il y a plusieurs parties à votre question. Dans un premier temps, lorsque vous dites que la criminalité est en hausse chez les jeunes, ce n'est pas ce que j'ai lu dans le résumé législatif du projet de loi C-10. Ce que j'en ai lu, c'est que la criminalité chez les adolescents est en baisse.
Dans un deuxième temps, quand vous dites que les enfants de 12 ans commettent plus de crimes aujourd'hui, il faudrait se poser la question et aller voir si c'est parce que plus de crimes sont judiciarisés. On travaille avec des adolescents qui sont immatures et qui commettent des crimes immatures. Parfois, lorsqu'on pense à une voie de fait armée chez l'adulte, on pense à une voie de fait avec une arme ou un couteau. Lorsqu'on voit parfois des judiciarisations de dossiers d'adolescents, une voie de fait armée peut être une balle de neige lancée dans la cour d'école. C'est une voie de fait. C'est le type de délit qui se retrouve parfois au tribunal. On a vu des voies de fait armée avec une balle de neige, une chaudière d'eau, avec le lancé d'un verre d'eau. Ce sont des voies de fait armée auxquelles il faut faire face, mais est-ce qu'on doit donner une peine avec une dissuasion générale à un adolescent de 12 ans qui a commis ce type de voie de fait armée? Non. Et c'est pour cette raison que la discrétion du juge est importante pour ce type de délit parce qu'il y a des délits qui sont saisis par le Tribunal pour la jeunesse et qui sont parfois et souvent des délits immatures.
Le sénateur Boisvenu : Croyez-vous que le projet de loi C-10 enlèvera toute discrétion aux juges?
Mme Blouin : Non. La définition d'infraction avec violence a été modifiée dans le but de respecter la définition qui avait été prise dans la décision de R. c. C.D.K en 2005, par la Cour suprême. Par contre, on a inclus les crimes d'insouciance dans la définition de crime avec violence et la Cour suprême avait clairement exclu cette définition de l'infraction avec violence parce qu'elle disait que cela allait à l'encontre de l'objectif de la loi, qui était de réduire le recours à l'incarcération chez les adolescents.
[Traduction]
Le président : Nous allons devoir nous arrêter là, madame Blouin. Autrement, nous n'irons pas bien loin avec nos autres sénateurs. Je suis désolé d'avoir à vous interrompre.
Le sénateur Baker : Monsieur le juge, ne conviendriez-vous pas que pour juger si une peine est convenable, il faudrait consulter les transcriptions des délibérations, examiner les éléments qui ont motivé l'exposé conjoint des faits, le cas échéant, et ne pas se contenter du sommaire de l'arrêt ou d'un rapport journalistique? Êtes-vous d'accord?
M. Stuart : Oui, absolument.
Le sénateur Baker : Je ne devrais pas dire cela, mais je pense que lorsque vous étiez un juge ordinaire, avant de devenir juge en chef, vous faisiez preuve d'un certain militantisme. Dans certains de vos jugements, vous nommiez des avocats pour ceux qui n'étaient pas représentés et fixiez un paiement pour le procureur général, en ne tenant pas compte des règles; et pourtant, ces jugements étaient maintenus par les tribunaux supérieurs. Je vous admire pour cela.
L'an passé, des jugements ont retenu deux de vos réalisations. On vous cite en détail pour vos jugements sur l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale. Ces citations largement utilisées aujourd'hui par des juges de la Cour supérieure de l'Ontario, témoignent de votre expertise et de votre contribution. Votre deuxième réalisation a trait au conseil de détermination des peines par lequel vous vous êtes débarrassé de toutes les règles des tribunaux. Ce faisant, vous avez conçu un système qui a survécu à votre mandat à la magistrature.
Comment adapteriez-vous ces réalisations au contexte actuel, ailleurs que dans une petite communauté du Nord, en associant la collectivité au processus? Est-ce faisable?
M. Stuart : On me pose souvent la question. La réponse est simple. Il est beaucoup plus facile et beaucoup plus efficace de mettre sur pied un conseil de détermination des peines au centre-ville d'Ottawa, de Boston, de Saint-Paul, de Minneapolis, de Chicago ou de Toronto, qu'à Old Crow. Contrairement à Old Crow, il n'y a pas, dans tous ces autres endroits, 75 p. 100 de la population qui consomme des substances nocives ou 75 p. 100 de chômage. À Old Crow, il n'y a pas beaucoup d'enseignants, d'instructeurs sportifs, de musiciens et autres à la retraite. La collectivité n'a pas ces ressources, mais même dans ces collectivités, comme Teslin et d'autres, ces conseils changent vraiment les choses.
Oui, je pense vraiment que ces conseils fonctionnent. Ils fonctionnent parce qu'ils créent un endroit où l'on peut, en toute sécurité, mener ces débats difficiles. On n'y parle pas de violence conjugale en soi, mais de violence conjugale dans la collectivité. On part d'abord du principe qu'on ne peut pas s'occuper de ces choses qui concernent la justice parce qu'on ne connaît rien là-dedans. Mais lorsqu'on s'en occupe, on comprend que si on ne le fait pas, rien ne changera.
Oui, les cercles peuvent être plus efficaces. En fait, dans cette salle, il y a quelqu'un qui le fait de manière très efficace avec des jeunes dans le centre-ville de Toronto.
Le sénateur Baker : Au sujet des renvois sur l'ETCAF vous concernant dans les récents jugements rendus par les tribunaux et de vos belles citations, où se situent les peines minimales obligatoires dans tout cela? Diriez-vous qu'elles se situent sous la moyenne, de faible à élevé, que vos peines minimales obligatoires sont même en deçà de cela, et donc, où se situent-elles par rapport à vos paroles qui sont citées quotidiennement dans les causes concernant l'ETCAF devant les tribunaux?
M. Stuart : Pourquoi envoyer une personne atteinte du SAF en prison? Pourquoi envoyons-nous ces personnes qui souffrent de déficiences intellectuelles en prison? Je l'ai fait récemment juste avant de quitter la magistrature, dans un cas qui a essentiellement clos ma carrière. Tous les intervenants du système ont fait leur travail, mais cela n'a abouti à rien. Le jeune était atteint du SAF et a commis le viol le plus grave qu'il m'ait été donné de juger ou d'entendre parler, mais l'envoyer en prison fera de plus un contrevenant encore plus dangereux à sa sortie, car il sera encore plus déconnecté des contrôles communautaires informels qu'il ne l'aurait normalement été.
C'est à cela qu'il faut réfléchir. Regardez ce qui se passe aux États-Unis : 900 000 détenus sont remis en liberté chaque année. Nous ne voulons pas que cela se produise ici. Les peines minimales obligatoires n'ont aucun sens dans ce cas.
Le président : Ce que nous comprenons du projet de loi C-10, c'est qu'il cible les jeunes qui commettent des crimes graves ou violents ou qui sont des récidivistes. Comme vous le savez, la portée en a été élargie pour inclure les comportements irresponsables, et je crois que cela s'est fait après que des jeunes à bord d'une voiture aient tué des passants innocents à Toronto. La mesure ne doit pas être interprétée comme un chèque en blanc pour incarcérer les jeunes, mais elle vise, bien sûr, à mieux protéger la société.
Le fait est qu'il faut parfois isoler des contrevenants de la société pendant un certain temps pour protéger la population. Il me semble qu'il n'est pas nécessaire de faire un choix entre réadaptation ou incarcération. Vous le savez; vous avez vécu cela. Il faut de toute évidence que les deux soient dans la balance et il faut que la collectivité soit impliquée.
Mme Blouin et vous avez parlé d'un choix : il faut choisir entre l'incarcération ou la réadaptation, et il faut choisir entre l'État ou la collectivité pour s'occuper de la réadaptation. Pour moi, la question n'est pas aussi simple. Il se peut que j'aie mal compris vos propos ou votre interprétation du projet de loi C-10.
M. Stuart : Non, c'est sans doute parce que je suis trop passionné. Je serais heureux que l'on aille de l'avant avec l'idée du sénateur d'investir à parts égales dans les prisons et la réadaptation. Si pour chaque dollar qu'on investit dans les prisons, on en investit un dans la réadaptation, cela ferait mon bonheur. Les prisons doivent bien sûr faire partie de notre trousse d'outils, mais elles ne doivent pas être le seul outil. C'est le point que je veux faire valoir.
J'ai essayé d'expliquer au début que je ne suis pas contre l'idée d'envoyer des gens en prison. Je l'ai fait souvent. Les peines d'emprisonnement sont efficaces si elles sont combinées à d'autres mesures, mais s'il faut choisir entre la prison ou rien, un choix qui s'impose à la plupart des juges, car c'est ce que le code leur permet dans bien des cas, on fait alors un mauvais usage des prisons. Si on combine l'emprisonnement à d'autres mesures, en particulier si elles mettent la collectivité à contribution, cela permet de rentabiliser beaucoup mieux l'investissement dans les prisons.
Le président : Je consacre à cette question plus de temps qu'il ne le faudrait, mais elle est extrêmement importante. D'après les commentaires des ministres, le ministre Toews et le ministre Nicholson, et d'après ceux des responsables de l'application de la loi, ils reconnaissent tous cela. Je n'ai encore entendu personne dire que c'est l'incarcération, point final. Je n'ai entendu personne dire que la collectivité ou la réadaptation n'est pas un élément important.
M. Stuart : C'est pour cette raison que je veux avoir un portrait d'ensemble. Si on investit autant d'argent dans les prisons, il n'en restera plus pour la réadaptation. Il n'y aura plus assez d'argent pour utiliser adéquatement les autres outils que le système de justice criminelle met à notre disposition.
Sachez qu'il y a 100 ans, les prisons ne devaient servir qu'à punir les crimes très graves. Voyez ce qui s'est passé. On ouvre la porte, les peines minimales obligatoires croissent et on se retrouve avec un problème sur les bras.
[Français]
Le sénateur Angus : Vous dites, madame Blouin, que vous êtes presque tous les jours au Tribunal de la jeunesse à Montréal.
Mme Blouin : À Longueuil.
Le sénateur Angus : Vous représentez les accusés?
Mme Blouin : Oui, toujours des adolescents.
Le sénateur Angus : Et des deux choses que vous changeriez dans le projet de loi C-10, vous avez mentionné la publicité. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
Me Blouin : Dans la loi actuelle, il est possible de lever l'identité d'un adolescent dans les cas les plus extrêmes, par exemple les anciennes infractions désignées, donc dans les cas de meurtre, d'agression sexuelle grave, de tentative de meurtre et d'homicide involontaire.
Le libellé actuel du projet de loi C-10 ouvre la porte à toutes les infractions avec violence, ce qui donne lieu à la divulgation de l'identité d'un adolescent de 12 ans.
La loi avait prévu ces cas mais ce sont des cas extrêmes où l'adolescent était assujetti à une peine pour adulte. C'est donc dans les cas les plus graves, où la loi stipulait que si un adolescent reçoit une peine pour adulte, à ce moment-là, il y aura divulgation de son identité. Ou encore s'il reçoit une peine spécifique mais pour ce type d'infraction. Il y avait à ce moment-là possibilité de divulguer son identité.
Mais en ce moment, ce qui est prévu et de la façon dont c'est rédigé, je ne sais pas si c'était l'intention du législateur. Cela ouvre la porte à tous les adolescents entre 12 et 17 ans et également à tout type d'infraction avec violence, ce qui a une interprétation très large.
Le procureur général du Canada avait affirmé, dans le renvoi d'une décision de la Cour d'appel du Québec, que la protection des renseignements d'un adolescent était la pierre angulaire de notre système de justice pénale pour les adolescents. Dans la mesure où on permet cette divulgation, dans des cas vraiment multiples, il est clair à ce moment-là qu'on ne respecte plus la pierre angulaire de notre système et que le système vient d'être perturbé. Pour moi, cela affecte grandement le système de justice pénale.
Le sénateur Angus : Le problème est que les adolescents de 10 ou 12 ans sont comparés à ceux de 17 ans.
Mme Blouin : Il est évident qu'il y a une différence entre un adolescent de 12 ans — on peut être poursuivi à partir de l'âge de 12 ans — et d'un adolescent de 16 ans. Mais un adolescent de 16 ans, qui se bat dans la cour d'école et inflige des lésions à quelqu'un, qu'il est impliqué dans une altercation physique avec un individu qui ne sera plus jamais revu par le tribunal, est-ce qu'on doit vraiment mettre en péril la divulgation de son identité? Je ne le crois pas. Et la divulgation de ces informations touche au cœur même de notre système. Cela va complètement à l'encontre de la réhabilitation et cela stigmatise les adolescents.
Le sénateur Angus : Je comprends votre point de vue. Et quelle est la deuxième chose que vous aimeriez changer?
Mme Blouin : C'est la dissuasion générale. Je crois que ça n'a pas sa place dans le système pénal pour les adolescents. Pour l'adolescent qui comparaît devant le tribunal, le seul fait d'y comparaître le dissuade d'y revenir parce que l'adolescent est impressionné par le système quand il comparaît devant la cour. Souvent même, il a honte et il nous demande si vraiment tout le monde va rester dans la salle de cours. Il n'est pas fier de ce qu'il a fait. Il est gêné; ses parents sont présents et il doit recevoir une punition devant le tribunal.
C'est clair qu'il y a un effet dissuasif qui est apporté par notre système de justice, mais la dissuasion générale en soi n'a pas sa place dans notre système et le juge doit pourvoir user de discrétion parfois pour imposer une peine qui soit adéquate pour l'adolescent. Cela a été prouvé, de toute façon, que la dissuasion générale n'aide pas les adolescents à ne pas récidiver non plus. Je crois vraiment que c'est en contradiction avec les principes de peine.
Par exemple, au niveau de la réprimande : une peine qui existe au tribunal pour adolescents, dans quel contexte pourra-t-on donner une réprimande à un adolescent si le juge doit tenir compte de la dissuasion générale?
Le sénateur Angus : Vous prétendez aussi que le projet de loi C-10, tel que rédigé, est vulnérable et pourrait être considéré ultra vires. Donnez-nous un exemple de ce que vous voulez dire.
Mme Blouin : Par exemple, compte tenu de la confidentialité des informations jugée comme étant au cœur de notre système pénal pour adolescents, il y aussi la question de la détermination de la peine. Si l'adolescent est jugé maintenant comme un adulte et si les critères de détermination de la peine pour l'adulte sont les mêmes pour l'adolescent, il n'aura plus droit à sa présomption de culpabilité morale moins élevée et que la Cour suprême lui a reconnu.
La présomption de culpabilité morale moins élevée s'applique à toutes les procédures. C'est ce que la Cour suprême a dit. Cela veut dire que les adolescents ont le droit d'être traités différemment des adultes, mais s'ils sont maintenant traités de façon pareille aux adultes, ils n'auront plus droit à cette présomption. Il est clair, selon moi, qu'il y aura des contestations, et une des grandes différences de notre système pour adolescents par rapport à celui des adultes est la confidentialité des informations.
Si le fait de pouvoir demander la divulgation de l'identité de l'adolescent devient une règle générale, il est clair qu'on vient d'atteindre la présomption de culpabilité morale moins élevée. C'est mon opinion et je suis certaine qu'il y aura des contestations constitutionnelles sur ce point.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, nous avons quatre sénateurs qui veulent poser des questions, et je vais faire tout mon possible pour leur donner la parole.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie beaucoup pour vos exposés. Ils m'ont beaucoup appris.
Monsieur Stuart, je suis une de vos grandes admiratrices depuis de nombreuses années. J'ai travaillé au Yukon avec Tommy Dohm, qui vous connaissait bien, et je connais vos réalisations.
J'aimerais avoir une précision. Vous avez parlé avec passion du besoin pour les contrevenants de vivre dans la collectivité. Je pense que vous alliez même plus loin — je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche — et que vous avez dit que les contrevenants devaient être redevables à la collectivité, et que la collectivité devait prendre en charge les contrevenants. Le ministre de la Justice du Nunavut nous a dit que le territoire n'a pas de prison et que les contrevenants doivent aller purger leur peine dans les prisons du sud. J'aimerais que vous nous disiez ce que vous entendez par « collectivité ».
M. Stuart : Ce sont les gens qui montrent un intérêt.
Le sénateur Jaffer : Il faut que ce soit dans la collectivité, là où le contrevenant habite, et non pas dans le sud, ou quelque part ailleurs, n'est-ce pas?
M. Stuart : Oui. Nous avons probablement six ou sept collectivités. Nous avons nos collègues de travail, nous avons notre famille, nous avons les membres de la chorale à l'église, si nous en faisons partie, et cetera. Nous faisons partie de toutes ces collectivités. Lorsque tous ces gens s'unissent pour aider un jeune en difficulté, cela peut donner de bons résultats.
J'ai souvent essayé de faire peur aux jeunes en leur disant : « Tu vas faire cela. » Cela n'a pas fonctionné, ou parfois si, mais pendant un mois seulement. Ces gens peuvent jouer le rôle de la collectivité. Il ne faut pas nécessairement que ce soit toujours les mêmes gens, bien qu'à certains endroits, on ait mis en place des comités de justice qui sont formés d'anciens policiers, d'anciens juges, d'anciens enseignants, d'anciens professionnels de la santé, et cetera. Toutefois, la justice communautaire repose sur les bénévoles qui veulent prendre en main le jeune, et sur la victime elle-même. Que celle-ci participe au processus ou non, peu importe, d'autres le feront. C'est la collectivité qui doit prendre les décisions morales difficiles qui s'imposent au sujet de ce qui va se passer.
Le sénateur Jaffer : Vous êtes bien connu pour avoir mis en place des cercles. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure les cercles que vous avez mis en place ont été efficaces?
Vous avez parlé un peu de la voix des victimes et de leurs droits. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Comment pourrait-on donner plus de droits aux victimes?
M. Stuart : Il est plus facile pour moi de parler brièvement des victimes que des cercles. Au sujet des cercles, je dirai simplement qu'il s'agit d'une vieille idée qui doit être remise au goût du jour. Ce n'est pas une idée nouvelle, même si on dit que cela en est une. C'est ce qu'on faisait dans toutes les familles, dans toutes les collectivités, dans toutes les cultures à l'époque où l'on ne traitait pas les gens comme s'ils n'avaient pas d'importance.
En ce qui a trait aux victimes, je crois sincèrement que le système de justice servirait mieux la collectivité si on se concentrait sur le préjudice. Pour se concentrer sur le préjudice, il faut se concentrer sur la victime. Comme je l'ai mentionné, je crois qu'il faut avoir un système à part pour les victimes. Je crois que les victimes doivent être pleinement entendues. Je ne comprends pas pourquoi on restreint la voix des victimes. Je crois que les juges sont à même de comprendre les émotions des victimes et qu'ils ne se laisseront pas émouvoir à l'excès, d'une manière ou d'une autre.
Toutefois, la voix des victimes doit être entendue. Le contrevenant doit entendre la victime directement. Cet élément est aussi important que tout autre. Les jeunes qui commettent des crimes ne se rendent pas compte qu'ils blessent quelqu'un. Lorsqu'ils pénètrent dans une maison par effraction pour commettre un vol, pour eux, il s'agit simplement de biens que la compagnie d'assurance remplacera. Ils ne se rendent pas compte que ce qu'ils ont volé, c'est le sentiment de sécurité des habitants de la maison. C'est de cela que la victime a été dépouillée, et lorsqu'elle le dit à un contrevenant en le regardant dans les yeux, cela produit son effet.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Ma question s'adresse à Mme Blouin.
Je vous ai entendue dire tantôt que le projet de loi pourrait faire les frais d'une contestation constitutionnelle, mais est-ce une raison suffisante et raisonnable pour interdire le projet de loi?
Nous savons que le projet de loi, entre autres, s'adresse à des jeunes qui ont commis des crimes très graves. Je vous écoutais dire que parfois les jeunes ne sont pas totalement conscients, qu'ils ne sont peut-être même pas matures lorsqu'ils commettent un crime. Pourtant, beaucoup de jeunes sont conscients lorsqu'ils commettent un crime, vont quitter les lieux, vont tenter de détruire la preuve, vont éviter de se faire arrêter et peut-être même, quand ils vont se faire arrêter, leur première réaction sera de dire aux policiers qu'ils ont droit au silence et qu'ils ont droit à un avocat. Ceci pour des jeunes, donc, qui ne sont pas matures. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Mme Blouin : La plupart du temps, ce n'est pas ce que les adolescents qu'on voit tous les jours disent aux policiers. C'est peut-être une classe d'adolescents qui sont récidivistes. Cela, on ne doit pas se le cacher, cela existe des adolescents récidivistes. Peut-être qu'eux ont l'habitude du système, mais la plupart des adolescents avec lesquels on travaille et qu'on voit chaque jour n'ont pas ce réflexe. C'est un peu l'effet inverse, c'est-à-dire qu'ils vont tout de suite parler aux policiers pour leur avouer leur faute.
C'est la raison même pour laquelle il y a une disposition particulière dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui vise des garanties supplémentaires pour protéger les déclarations faites par des adolescents. Les policiers doivent procéder en vertu de cet article dans certaines mesures et même essayer d'inviter l'adolescent à appeler ses parents ou un avocat avant de discuter avec lui.
Si on a prévu cette garantie, c'est qu'on sait que les adolescents sont souvent plus vulnérables et qu'ils vont parler directement aux autorités lorsqu'ils se font appréhender. Évidemment, si on est en présence d'un adolescent récidiviste, ce ne sera peut-être pas la même chose qui va se produire.
Pour revenir au projet de loi concernant la détention avant procès et ce qui est recherché, ce qui est un peu particulier, c'est que je crois vraiment que ce sera l'effet inverse. En ce moment, le système fonctionne très bien et les adolescents récidivistes et violents peuvent être détenus avant procès.
Mais selon les dispositions prévues en ce moment, je vous dis qu'un adolescent qui commet un voie de fait causant des lésions corporelles et qui n'a pas d'antécédent, qui n'a pas de cause pendante mais qui est dangereux, ne pourra pas être détenu avant procès. C'est ce qui est indiqué en fait dans la disposition parce qu'on prévoit une infraction. L'adolescent, pour être détenu, doit avoir commis une infraction grave. Une infraction grave, c'est une disposition qui vaut au moins cinq ans et plus d'emprisonnement. Pour l'infraction de voie de fait et lésions, on parle d'une peine maximale de 18 mois. Cet adolescent ne serait donc pas visé.
J'ai du mal à comprendre pourquoi on change un système qui fonctionne bien actuellement. Et même concernant le renversement du fardeau de la preuve pour le procureur général dans cette disposition, il n'y en aura plus. Actuellement, pour un jeune accusé de meurtre qui comparaît devant le tribunal, la détention avant procès fait en sorte qu'il n'a pas droit à une présomption de non-détention, donc c'est à lui de démontrer devant le tribunal qu'il doit être remis en liberté.
Les dispositions actuelles, c'est la façon dont on fonctionne. Maintenant, avec le projet de loi proposé, l'effet est inversé, on dit que c'est au procureur général de convaincre le juge du tribunal que la détention est nécessaire.
Je trouve un peu particulier qu'on veuille changer un système et qu'on dise en même temps vouloir garder et faciliter les règles de détention avant procès, car ce n'est pas ce que j'en déduis lorsque je lis les dispositions.
[Traduction]
Le président : Merci, madame Blouin. Cher collègue, nous devons poursuivre. Je vous remercie de votre collaboration.
Le sénateur Frum : Madame Blouin, j'aimerais remettre en question votre affirmation au sujet de la levée des ordonnances de non-publication. Vous avez donné l'exemple d'une bataille dans une cour d'école impliquant un jeune de 12 ans et dit que ce serait possible dans ce cas. Je ne crois pas que ce soit une interprétation juste de ce que dit le projet de loi. Le projet de loi dit que l'ordonnance de non-publication peut être levée lorsqu'un jeune a été reconnu coupable d'une infraction avec violence et que d'autres facteurs entrent en ligne de compte. Le juge doit être convaincu que la jeune personne présente un risque important de récidive, et il doit en outre être convaincu que la levée de l'ordonnance de non-publication est nécessaire pour protéger la population. Qui plus est, il revient à la Couronne de prouver au juge que les critères sont bel et bien remplis avant que l'ordonnance soit levée.
Ce sont les conditions et il revient alors au juge de décider. Le juge a un pouvoir discrétionnaire à cet égard. J'aimerais que vous répondiez parce que ce n'est pas ainsi que vous avez décrit cela.
[Français]
Mme Blouin : Si on doit appliquer cette disposition chaque jour, cela donnera lieu à des contestations devant des tribunaux, ce qui aura pour résultat de paralyser les tribunaux, parce que, chaque fois, on devra se poser la question à savoir si on doit lever ou non l'interdiction lorsqu'il y a eu infraction avec violence.
Par exemple, proférer des menaces est qualifié d'infraction avec violence. Donc un jeune qui a des difficultés avec la protection de la jeunesse, qui est placé dans un centre, qui dit à un intervenant dans un moment de colère qu'il va le battre — un jeune homme qui peut même avoir des troubles psychiatriques — est considéré comme une infraction avec violence au sens de la loi et de la définition qui est donnée présentement. On devra tenir une audience, car le juge devra se poser la question : dois-je divulguer l'identité de cet adolescent, par crainte qu'il recommence et commette à nouveau une infraction avec violence? Le risque est présent parce que c'est un jeune qui a des troubles psychiatriques et qui commettra probablement une autre infraction, qui sûrement proférera d'autres menaces par la suite. Donc, il est clair que cela met en péril tout le principe de la confidentialité pour les jeunes. Est-ce qu'on doit mettre en péril ce concept fondamental dans notre système de justice pénal pour adolescent?
M. Stewart mentionnait plutôt que cela fera en sorte que les adolescents plaideront moins souvent coupable à la cour. Ils ne collaboreront plus avec le système s'ils savent qu'en plaidant coupable à ce type d'infraction, on risque de divulguer leur identité, ce qui risque de les affecter pour leur vie entière. On parle d'une divulgation qui peut être permise dans un plumitif au niveau adulte. Donc des informations sur un adolescent, qui commet une erreur de jeunesse ou qui souffre de troubles psychiatriques, pourront être données jusqu'à ce qu'il soit majeur et même par la suite. Une fois que l'information est divulguée, elle demeure ouverte au public à vie. Cela comporte donc de graves conséquences pour les adolescents.
Évidemment, les tribunaux devront se pencher pour savoir dans quelle mesure cela vise à protéger le public. En ce moment, il y a déjà des dispositions dans la loi qui permettent la divulgation de ces informations lorsque c'est nécessaire et lorsqu'il y a une notion d'urgence quant à la protection des autres personnes. Entre autres, je pense à l'article 127 de la loi qui permet de s'adresser à un tribunal pour lever certaines informations. Je ne voudrais pas non plus que le public canadien pense que toutes les informations sont confidentielles. Il y a déjà plusieurs exceptions à la loi et les victimes ont le droit d'être bien renseignés pour ce qui est des renseignements qui concernent un adolescent accusé.
[Traduction]
Le président : Nous allons devoir poursuivre, chère collègue.
Je crois que la question du sénateur Frum portait sur votre interprétation des situations où la levée de l'ordonnance de non-publication s'appliquerait et votre interprétation de la loi. C'est ce que j'ai compris de sa question. Je ne suis pas certain que vous y ayez répondu. De toute manière, cela pourrait faire partie de la réponse à la question du sénateur Lang.
Le sénateur Lang : Je sais que la fin approche.
Le président : Nous allons dépasser un peu le temps prévu.
Le sénateur Lang : J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins, et en particulier au juge Barry Stuart. Il est bon de vous revoir, étant donné que nous avons partagé la même histoire en quelque sorte en ce qui a trait à votre mandat au Yukon.
J'ai quelques points que je veux porter à l'attention des témoins. Nous en sommes à notre troisième journée d'audiences intensives, qui durent du matin au soir, et on peut voir un fil conducteur se dégager des témoignages, à savoir qu'il existe un manque de respect et un manque de confiance à l'égard du système de justice. À tort ou à raison, on éprouve le sentiment que le système de justice ne représente pas les victimes et qu'il ne répond pas aux attentes de la population. On peut se demander pourquoi, mais le message est très clair.
Un autre élément qui a fait surface — et cela m'amènera à ma question — est le fait que le projet de loi cible les récidivistes, les récidivistes violents, les délinquants sexuels, soit les crimes parmi les plus violents pouvant être commis. Pour nous donner des repères moraux, nous établissons des peines minimales obligatoires pour que le pouvoir judiciaire dise que la population prend ces cas au sérieux et qu'ils doivent être traités en conséquence.
L'autre élément qui a fait surface également, c'est la question des récidivistes, en particulier lorsqu'il s'agit d'adolescents. Le juge Stuart a mentionné qu'ils pouvaient cumuler 21, 25, et dans un cas peut-être même 60 accusations, parce qu'ils se sont présentés devant le tribunal, ont plaidé non coupables, sont retournés dans la rue, et ont été accusés encore et encore, et ils ne sont pas entrés par effraction seulement dans la maison du juge Stuart, mais aussi dans celle du sénateur Frum, et le roman-savon se poursuit jusqu'à ce qu'ils soient traduits en justice et qu'on règle leur cas.
Monsieur le juge, vous avez mentionné dans votre déclaration liminaire que le système judiciaire n'a pas besoin de plus d'argent. En fait, vous pensez qu'on pourrait accroître son efficacité si les juges avaient la responsabilité d'examiner son fonctionnement.
Pourriez-vous nous donner aujourd'hui au moins cinq mesures qui pourraient être prises au sein des systèmes judiciaires provinciaux ou territoriaux, ou du système fédéral, pour nous permettre, en particulier dans le cas des adolescents, de régler la question de manière expéditive, pour éviter, comme c'est le cas actuellement, que ceux qui connaissent le système puissent y échapper longtemps, soit jusqu'à ce qu'on en arrive à un point où personne ne veut parler du problème?
M. Stuart : Ce n'est pas juste.
Le sénateur Lang : Donnez-nous en seulement cinq.
M. Stuart : Ce n'est pas juste. D'accord, je vais avancer une réponse.
Si la collectivité est mise à contribution, elle n'a pas besoin d'attendre qu'un crime se produise. Tous les gens de la collectivité savent que Dany est un mauvais garçon et qu'il va s'attirer des ennuis. Tous les gens le savent. L'air de rien, ils le surveillent. Nous nous sommes éloignés de l'idée voulant qu'il faut un village pour élever un enfant. Il faut renverser cette tendance. Plus tôt on intervient, mieux c'est. Inversement, plus le système de justice intervient tôt et plus on s'enfonce, plus la personne devient une ressource pour nous.
La première chose qui me vient à l'esprit, c'est qu'on pourrait économiser beaucoup d'argent si on appuyait le système de justice en investissant plus d'argent dans l'éducation, la santé, et cetera. Nous investissons au mauvais endroit lorsqu'on investit de l'argent dans le système judiciaire dans l'espoir de réadapter ces jeunes. C'est mon premier point.
Le deuxième point, je dirais qu'on dépense beaucoup trop d'argent dans les services de police. À Old Crow, il y a quatre ou cinq agents de la GRC qui font la rotation tous les trois ans. Il faut doter l'endroit d'un service de police local. Je dis souvent qu'il est préférable d'avoir des services de police locaux, car ils coûtent moins cher et sont plus efficaces, parce que ses membres sont plus près de la population. Ils peuvent effectuer de la prévention beaucoup mieux que des étrangers.
Ensuite, nous n'avons pas besoin d'autant de juges que nous en avons à l'heure actuelle. Honnêtement, sénateur Lang, nous avons beaucoup de gens au Yukon qui veulent être nommés juges de paix. Ils connaissent beaucoup mieux la collectivité que les gens de l'extérieur. Ils peuvent prendre des mesures sur-le-champ, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir les tribunaux. Ils coûtent beaucoup moins cher que les juges et ils connaissent mieux la collectivité. Il faut déterminer qui est le mieux à même de faire quoi.
Ces jeunes n'ont absolument pas besoin d'être envoyés en prison. Je suis tout à fait pour l'idée d'envoyer en prison des gens qui ont commis des crimes graves, mais je suis contre l'idée d'utiliser les prisons comme seul remède. Il faut qu'il y ait d'autres options.
D'un certain point de vue, on peut dire que ces jeunes sont extrêmement brillants. C'est là où se situe la vraie tragédie au Yukon, et à nombre d'autres endroits. Ce sont des jeunes brillants qui se rebellent. Il faut trouver ce qui les incite à se rebeller. Souvent, ce sont des jeunes qui n'ont personne vers qui se tourner ou qui ont été victimes de maltraitance ou agressés sexuellement. Bon nombre de ces jeunes sont des victimes. C'est pourquoi je veux que les victimes puissent pleinement faire entendre leur voix, car derrière les agresseurs se cachent souvent des victimes, surtout dans les cas d'agressions sexuelles. Voilà pourquoi nous devons régler le problème à la source.
Les tribunaux consacrés en matière de drogues ne doivent pas être confiés à des juges. Nous coûtons trop cher. Nous ne connaissons rien aux abus d'alcool et de drogues et aux questions de réhabilitation. Placez dans ces tribunaux des gens qui savent de quoi ils parlent. Ça n'a aucun sens d'y mettre des juges.
Il faut investir là où ce sera le plus rentable, et non pas le moins rentable.
Je pourrais vous donner 30 exemples si nous avions le temps.
Le président : Vous nous avez donné vos cinq points prioritaires et nous allons nous en contenter.
Cela met fin à cette partie de la séance. Il est très intéressant et utile pour les membres du comité de voir toutes les facettes du problème. Les deux groupes de témoins précédents avaient une approche et des conclusions quelque peu différentes, sauf qu'on met toujours l'accent sur la nécessité de la réadaptation.
Monsieur Stuart, vous avez insisté sur la nécessité de mettre la collectivité à contribution, et c'est un point qui revient constamment. Vous avez soulevé une facette du problème qui contraste quelque peu avec ce que nous avions entendu, et c'est exactement ce que nous avons besoin d'entendre, car nous devons savoir ce qui fonctionne le mieux et comment cela s'inscrit dans le projet de loi.
Vous avez fait un excellent travail. Vos commentaires étaient réfléchis et basés sur une expérience concrète. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-10, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Nous poursuivons en particulier notre examen de la partie 4 du projet de loi C-10, qui porte sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Nous entendons divers groupes de témoins aujourd'hui et nous sommes très heureux d'accueillir les nouveaux témoins qui sont devant nous. Nous avons les représentants de trois organisations. Il s'agit de Marvin Bernstein, conseiller principal, Promotion et défense des droits, UNICEF Canada; Juliette Nicolet, directrice des politiques, Ontario Federation of Indian Friendship Centres; Mary-Ellen Turpel-Lafond, présidente, Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, qui témoignera de Vancouver par vidéoconférence, comme vous pouvez le constater, et ici à Ottawa, nous avons Sylvie Godin, qui est vice-présidente de cette organisation.
Nous allons maintenant procéder aux déclarations préliminaires, en commençant par Mme Turpel-Lafond.
Mary-Ellen Turpel-Lafond, présidente, Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes : Le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes regroupe des défenseurs des enfants de partout au Canada. Lorsque le projet de loi C-4 était à l'étude, nous avons soumis un mémoire officiel. Nous comparaissons devant vous aujourd'hui. Trois membres de notre conseil, soit moi, de la Colombie-Britannique, Mme Godin, du Québec, et Irwin Elman de l'Ontario, ont soumis des mémoires au comité. Je suis ici en compagnie de ma collègue, Sylvie Godin pour vous faire part, au nom de notre organisation nationale, de nos préoccupations au sujet du projet de loi C-10 et de certaines modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents qui auront des répercussions sur les groupes d'enfants et de jeunes les plus vulnérables au Canada. Comme je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, je vais mettre l'accent sur quelques points seulement.
La première grande préoccupation que nous avons concerne le fait de pouvoir dévoiler le nom des délinquants, soit les modifications à l'article 75, qui permettront que le nom d'un jeune soit publié. Cette modification d'une très grande portée s'appliquera à une vaste gamme d'infractions, y compris, je le souligne, l'article 266 du Code criminel, qui porte sur les voies de fait simples, soit l'une des infractions les plus communes dans les causes devant les tribunaux de la jeunesse, ce qui pourrait mener à la publication du nom de jeunes délinquants dans une grande variété de cas.
Le conseil craint les répercussions que cela pourrait avoir sur le bien-être de ces jeunes gens et se demande si cela est conforme aux droits de la personne et à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Nous voulons en particulier souligner au comité le fait qu'une forte proportion des jeunes qui entrent en conflit avec le système de justice ont été victimes de maltraitance ou d'événements traumatisants. Ils peuvent provenir ou faire partie du système de protection de la jeunesse. Ce sont majoritairement des enfants autochtones. Ce sont souvent des enfants qui ont des besoins spéciaux et complexes. La publication de leur nom est une question très grave qui, à notre avis, n'a pas fait l'objet d'un examen adéquat dans le cadre de ce projet de loi. Nous vous encourageons donc à adopter une approche ferme à cet égard et à veiller à ce que les droits des enfants soient bien protégés.
Nous voulons vous souligner, en particulier, que pour certains types d'infraction, certains chercheront la notoriété et voudront voir leur nom publier. C'est un phénomène que nombre d'entre nous constatent chez les jeunes dans le cadre de nos activités de lutte contre les gangs de rue. On pourrait exiger que leur nom soit publié pour gagner des galons ou la reconnaissance au sein d'un gang. Cela les suivra toute leur vie et pourrait nuire à leur réadaptation, à leur protection et à leur réintégration au sein de la société. Il s'agit donc d'une question de grande importance.
Un autre élément dont nous voulons vous parler brièvement est l'utilisation des sanctions extrajudiciaires et la tenue d'un dossier de police. Le projet de loi prône essentiellement la mise en place d'un nouveau dossier de type CIPC pour les sanctions extrajudiciaires. Les mesures extrajudiciaires sont très importantes. Elles ont été utilisées avec beaucoup de succès dans les provinces ayant un faible taux de criminalité, des provinces prosociales comme la Colombie-Britannique et le Québec, et qui obtiennent les meilleurs résultats au chapitre de la sécurité et du bien-être des enfants. Si on crée un dossier, ce dossier pourrait être utilisé d'une façon qui empêcherait ces systèmes de continuer à avoir recours aux travaux communautaires pour responsabiliser les jeunes et sanctionner leurs méfaits à l'extérieur du système judiciaire. Nous sommes préoccupés par le coût et l'utilisation des dossiers de police. Nous croyons qu'il serait préférable d'investir ces ressources dans la justice et les solutions communautaires.
Je terminerai par une préoccupation d'ordre général du conseil, à savoir que le projet de loi et les modifications n'offrent pas un soutien adéquat aux enfants qui ont des besoins complexes, comme ceux qui sont atteints notamment de troubles mentaux et de déficiences développementales liées à l'ETCAF. Nombre d'entre eux se retrouvent dans un centre de détention juvénile parce qu'ils n'ont pas accès à des services sociaux adéquats. Nous sommes d'avis que le projet de loi ne tient pas suffisamment compte de leur situation et ne veille pas à leur offrir des solutions et un soutien adéquats à l'extérieur du système de justice pénale.
Nous tenons également à souligner aux membres du comité que nombre d'entre nous — ma collègue du Québec vous en parlera probablement — ont participé aux consultations que le ministre a menées en vue de la préparation du projet de loi C-4. Nous avons participé aux consultations dans toutes les provinces et les territoires. Dans le rapport final, nous n'avons pas vu d'éléments venant appuyer certaines modifications contenues dans le projet de loi, ce qui veut dire que certains éléments du projet de loi ne sont pas le fruit du processus de consultation.
De plus, nous avions reçu l'assurance dans le cadre du processus de consultation que l'on accorderait une attention toute particulière aux répercussions de l'initiative sur les populations vulnérables, comme les enfants autochtones, et qu'il y aurait un processus de consultation adéquat à cet égard. Je sais que le chef national a témoigné devant le comité hier et qu'il vous a fait part de cette préoccupation. Il s'agit également d'une préoccupation pour nous, en tant que défenseurs de leurs droits.
Je vais m'arrêter ici et céder la parole à ma collègue du Québec. Je tiens à vous remercier de nous avoir invitées, et c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Français]
Sylvie Godin, vice-présidente, Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes : Merci pour votre accueil. Lorsque nous sommes deux, le grand défi est de partager les cinq minutes pour notre présentation. Je vais donc poursuivre rapidement en mettant en lumière d'autres aspects du projet de loi qui nous interpellent.
L'introduction des nouveaux principes de dénonciation et de dissuasion pour la détermination de la peine sont effectivement des principes carrément importés du système pénal pour les adultes. Ils contredisent l'objectif de réadaptation et de réinsertion qui doit rester au cœur du système de justice pénale pour les adolescents.
Sous mon chapeau de tous les jours, je suis vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. Nous sommes très orientés sur le respect des droits, et vous comprendrez que mon propos est largement influencé par le respect de la Convention relative aux droits de l'enfant, mais aussi par le respect des observations du Comité des droits de l'enfant de l'ONU. Selon le comité, à cet égard, les objectifs traditionnels de la justice pénale, comme la répression et la rétribution, doivent céder la place à des objectifs de réadaptation et de justice réparatrice dans le traitement des enfants délinquants. Cela est parfaitement conciliable avec le souci d'efficacité dans le domaine de la sécurité publique.
Un autre aspect que j'aimerais mettre en lumière, c'est l'obligation de tenir un dossier sur les mesures extrajudiciaires et l'utilisation des sanctions extrajudiciaires antérieures. Évidemment, les amendements proposent d'obliger les corps de police à tenir un dossier des mesures extrajudiciaires prises à l'égard de tout adolescent et de les prendre en compte lors de l'ordonnance d'une peine de placement sous garde, alors que sous l'actuelle loi, seules les déclarations de culpabilité sont prises en compte. Cette proposition, encore une fois, va à l'encontre d'une directive formulée à ce sujet par le Comité des droits de l'enfant. Celui-ci a insisté sur le fait que l'aveu donné par l'enfant dans le contexte de mesures de déjudiciarisation ne doit pas être exploité à son détriment dans une éventuelle poursuite judiciaire.
J'insisterais sur la modification au principe de justice fondamentale que l'on retrouve à l'article 3. Je vous réfère au rapport du Canada, qui a été soumis au Comité des droits de l'enfant, le 4 janvier dernier, et dans lequel on retrouve les statistiques selon lesquelles le nombre de mineurs condamnés à une peine d'emprisonnement a diminué considérablement depuis l'entrée en vigueur de la loi en 2003.
On y fait état d'une diminution de 45 à 56 p. 100 du nombre d'incidents de nature criminelle causés par un mineur et impliquant une accusation depuis l'entrée en vigueur de la loi.
Évidemment, ce sont les statistiques du gouvernement canadien; je ne voudrais pas entrer dans un débat de statistiques, mais ces données démontrent que tout en faisant de la réadaptation et de la réinsertion sociale un objectif primordial du système de justice pénal pour adolescents, cela a aussi grandement contribué à la protection du public. Ainsi, la réadaptation et la réintégration doivent demeurer des objectifs prioritaires de la loi et non seulement des moyens tels que le propose le projet de loi C-10.
En terminant, je vous soumettrai la question suivante : alors que certaines modifications proposées s'éloignent des principes fondamentaux du système de justice pénal, comment pouvez-vous réconcilier les risques qui y sont associés et vivement dénoncés avec les enseignements de la Cour suprême et nos responsabilités sur la scène internationale en lien avec le comité des droits de l'ONU?
[Traduction]
Le président : Merci, madame Godin. Nous allons maintenant entendre M. Bernstein, de l'UNICEF.
Marvin Bernstein, conseiller principal, Promotion et défense des droits, UNICEF Canada : Je tiens à vous remercier de l'invitation à comparaître aujourd'hui. Nous avons remis un mémoire détaillé au comité et nous avons distribué aux membres des notes d'allocution. Je vais m'efforcer de résumer certains commentaires pour respecter la limite de temps.
UNICEF Canada est d'avis que toutes les modifications proposées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui se trouvent à la partie 4 du projet de loi C-10, devraient être supprimées du projet de loi et regroupées dans un projet de loi séparé axé sur les adolescents, et ce, uniquement après qu'on aura procédé à une évaluation indépendante et transparente de leur conformité avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et avec les pratiques exemplaires et les recherches factuelles au Canada et à l'étranger.
Nous vous proposons quelques mesures clés pour remédier à différentes sources de préoccupation. La première consiste à apporter les modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents dans un projet de loi séparé, et non dans un projet de loi d'application générale. Dans notre mémoire, nous considérons que c'est une erreur au départ d'inclure les modifications proposées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents dans une section particulière d'un projet de loi d'application générale sur la criminalité qui porte essentiellement sur les infractions commises par des adultes. Le système de justice pénale pour les adolescents est différent de celui des adultes parce que les jeunes de moins de 18 ans ne sont pas encore des adultes mûrs. Leur stade de développement, leur vulnérabilité et leur possibilité de réadaptation exigent des mesures qui sont tout particulièrement adaptées à leur âge.
La stratégie qui consiste à regrouper divers projets de loi semble aller à l'encontre des règles normales d'interprétation de la loi. En effet, nous adoptons dans la partie 2 du projet de loi une approche protectionniste à l'égard des enfants qui sont victimes de crimes, puis dans la partie 4, nous traitons les jeunes comme des acteurs indépendants qui peuvent être sévèrement sanctionnés pour leurs actions. Des incohérences aussi flagrantes au sein d'un même projet de loi remettent en question l'intention législative globale et la cohérence du projet de loi.
J'encourage donc le comité du Sénat à demander au ministère de la Justice le rapport d'évaluation de la conformité des mesures avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, et à procéder lui-même à une évaluation indépendante des modifications proposées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents afin de s'assurer qu'elles respectent les obligations du Canada en vertu de ce traité international contraignant que le pays a signé. Nous sommes d'avis qu'il faut procéder à cette évaluation avant l'adoption de la partie 4 du projet de loi.
Dans notre mémoire, nous avons dressé la liste, à la page 3, des dispositions de la partie 4 du projet de loi C-10 qui contreviennent aux obligations du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Je ne prendrai pas le temps ici de vous les énumérer.
Lors de leur témoignage devant le comité le 1er février dernier, le ministre de la Justice et une des avocates-conseils au ministère de la Justice ont tous les deux confirmé qu'il y a eu une évaluation de la conformité des dispositions du projet de loi C-10 avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, et que cette évaluation a permis de confirmer leur conformité. Interrogée à savoir s'il était possible d'en obtenir une copie, l'avocate-conseil a répondu qu'elle pouvait vérifier, mais qu'elle croyait qu'il s'agissait d'un document confidentiel du Cabinet.
Je suggère donc respectueusement au comité de demander qu'on lui remette une copie du rapport d'évaluation de la conformité et qu'il soit rendu public. Il est d'autant plus important de le faire que des organisations de bonne réputation comme la Coalition canadienne pour les droits des enfants, Justice for Children and Youth, et Défense des enfants-international-Canada, en plus d'UNICEF Canada, sont d'avis qu'il y a des contradictions entre la partie 4 du projet de loi C-10 et la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
De plus, sans la divulgation de ce document, il est impossible de savoir comment le ministère de la Justice a procédé à son évaluation de la conformité et quels outils, cadres ou documents de référence ont été utilisés. À mon avis, il est important de s'appuyer sur divers documents d'orientation du Comité des droits de l'enfant pour interpréter les articles pertinents de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. On ne peut se contenter d'examiner des articles particuliers de la convention. Il faut également examiner, pour faciliter l'interprétation, les observations finales parues en 2003 du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies et l'Observation générale no 10 relative aux droits de l'enfant dans le système de justice pour mineurs. Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a, en outre, présenté des observations importantes et fait d'excellentes recommandations dans son rapport de 2007 intitulé Les enfants : des citoyens sans voix.
Je propose également que l'on examine attentivement les recherches factuelles et les pratiques exemplaires, notamment l'information contenue dans le rapport des tables rondes tenues à l'échelle nationale, ainsi que les mesures et les recommandations contenues dans le rapport du Comité sénatorial permanent sur les droits de la personne intitulé Les enfants : des citoyens sans voix, avant d'adopter la partie 4 du projet de loi C-10.
Il y a quelques années, j'ai été protecteur des enfants pour la province de la Saskatchewan. J'ai pris part aux consultations nationales qui ont eu lieu à Regina. Le rapport produit à l'issue de ces consultations mentionnait que le problème ne résidait pas dans la loi, mais dans le système derrière la loi. Comme je l'ai mentionné dans mes notes d'allocution, il était intéressant de constater que seulement 1 p. 100 des répondants étaient en faveur de la dénonciation et de la dissuasion comme principe de détermination de la peine. On comprend difficilement alors comment ce principe a pu être intégré à la partie 4 du projet de loi C-10.
La quatrième mesure consiste à tenir dûment compte de la population marginalisée des Autochtones et des autres populations de jeunes qui sont surreprésentées dans le système de justice pénale pour les adolescents et à appliquer une « approche axée sur l'équité » qui soit solide. Mes collègues aborderont ce point. Je ne prendrai pas du temps du comité pendant ma déclaration préliminaire, sauf pour dire que lorsque j'ai été protecteur des enfants en Saskatchewan, j'ai été frappé par la surreprésentation écrasante des jeunes autochtones dans les systèmes de justice pénale et de protection de la jeunesse. Alors qu'environ 15 p. 100 des jeunes étaient autochtones, ils comptaient pour 80 p. 100 de la population dans le système d'aide à l'enfance et le système de justice pénale pour les adolescents. Si des modifications sont apportées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui entraînent une augmentation du nombre de détentions avant procès et d'incarcérations, elles auront très certainement un effet négatif disproportionné pour les jeunes autochtones, qui seront ainsi coupés de leur famille, de leur communauté et de leur culture. Comme le mentionnait un des rapports du Canadian Council of Child and Youth Advocates, les jeunes autochtones ont plus de chance d'avoir des démêlées avec la justice que de terminer leurs études secondaires. Les répercussions pour cette population sont donc très sérieuses.
Finalement, si la partie 4 du projet de loi C-10 devait être adoptée, j'encourage le comité à apporter les amendements nécessaires ou à demander à tout le moins au gouvernement fédéral de déposer à intervalle régulier et raisonnable un rapport public transparent sur les répercussions, directes et indirectes, de la mise en œuvre de la partie 4.
Compte tenu de la controverse entourant la partie 4 du projet de loi C-10, et des conséquences graves qu'elle pourrait avoir pour les jeunes, leur famille, la collectivité, et la société tout entière, il serait logique d'examiner les répercussions directes et indirectes de sa mise en œuvre. Ces rapports devraient être rendus publics afin que nous soyons tous bien informés et que les décisions soient prises en s'appuyant sur des données concrètes à jour.
Le président : Merci, monsieur Bernstein.
Juliette Nicolet, directrice des politiques, Ontario Federation of Indian Friendship Centres : Je remercie tout d'abord le comité d'avoir invité l'OFIFC à comparaître devant le comité aujourd'hui. Je suis très heureuse d'être ici. Pour gagner du temps, je vais entrer tout de suite dans le vif du sujet.
Les programmes de l'OFIFC touchant la justice sont au cœur de notre travail. Nous avons administré le Programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones de l'Ontario pendant 30 ans. Depuis 1999, nous administrons le Programme de justice communautaire, et depuis un an et demi, nous administrons le programme Gladue au tribunal de London en Ontario.
L'OFIFC n'est pas à l'aise avec le projet de loi C-10 dans sa forme actuelle. Dans l'ensemble, le projet de loi propose d'opérer un tournant en faveur d'un système de justice plus punitif qui n'aura pour effet que d'accroître encore davantage la surreprésentation déjà sévère des Autochtones dans les prisons, dont un nombre affligeant de jeunes autochtones.
Il importe de tenir compte du fait que les Autochtones sont surreprésentés parmi les délinquants, mais aussi parmi les victimes. Au moment d'apporter des modifications aux mesures législatives touchant la sécurité publique, il ne faut pas oublier que la majorité des délinquants incarcérés à l'heure actuelle sont d'anciennes victimes.
Je vais résumer rapidement les principales préoccupations de l'OFIFC.
Nous sommes contre les dispositions du projet de loi C-10 qui limitent le pouvoir discrétionnaire des tribunaux par l'imposition de peines minimales obligatoires dans plus d'affaires. C'est très important que les juges puissent exercer ce pouvoir dans la détermination de la peine la plus appropriée et la plus juste pour les délinquants autochtones.
Les peines avec sursis donnent aux procureurs et au système judiciaire les outils nécessaires au respect de l'article 718.2e) du Code criminel et des principes établis par la Cour suprême dans l'affaire Gladue pour établir les peines des délinquants autochtones. Les peines avec sursis qui contiennent des options de réadaptation sans détention et des obligations liées aux programmes de justice réparatrice peuvent établir des conditions bien plus sévères et être bien plus efficaces que les peines d'emprisonnement. En outre, les tribunaux peuvent tenir compte des intérêts particuliers des victimes avec d'autres approches que l'incarcération, comme l'a montré l'étude du ministère de la Justice sur les programmes de justice réparatrice, produite en 2000.
À propos des modifications à la Loi sur le casier judiciaire, nous sommes préoccupés par la période prolongée d'inadmissibilité au pardon ou à la suspension du casier. Plus d'anciens délinquants devront attendre plus longtemps avant que leurs casiers judiciaires ne soient suspendus.
En ce qui a trait aux modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, le recensement de 2006 montre que 6 p. 100 des jeunes Canadiens de 12 à 17 ans ont indiqué qu'ils étaient Autochtones. En 2008-2009, les jeunes Autochtones représentaient 27 p. 100 des jeunes détenus, 36 p. 100 des jeunes ayant reçu une peine d'emprisonnement et 24 p. 100 des jeunes en probation. Nous avons d'autres statistiques inquiétantes sur la santé mentale et les jeunes, mais les changements que le projet de loi C-10 propose d'apporter à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents n'en tiennent pas compte.
Les changements qui seraient apportés à la loi pour justifier davantage de détentions présentencielles vont causer une forte hausse du nombre de détenus dans les établissements déjà surchargés. L'ajout à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents des principes de dissuasion et de dénonciation dans la détermination de la peine va entraîner le même résultat. Ces principes sont inappropriés concernant les jeunes, surtout les jeunes Autochtones, car ceux-ci n'ont pas la même maturité morale ou intellectuelle que les adultes. C'est pourquoi la dissuasion et la dénonciation ne sont tout simplement pas des méthodes efficaces de communication avec les jeunes.
Nous sommes particulièrement préoccupés par les jeunes Autochtones défavorisés sur le plan socioéconomique et ayant beaucoup de problèmes de santé mentale, car ils sont plus susceptibles d'être impulsifs et de prendre des risques. Ces jeunes sont incapables de comprendre les conséquences de leurs actes.
Un certain nombre d'autres modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoient des peines plus sévères contre les jeunes, au lieu de privilégier la réadaptation et la réparation. Notre mémoire détaille chaque modification, mais je veux souligner les suivantes : la conservation par la police d'un dossier sur les mesures extrajudiciaires; le recours accru aux peines d'emprisonnement pour les jeunes — que nous déplorons sans retenue; la publication des noms des jeunes.
La meilleure approche pour s'occuper de la criminalité chez les jeunes Autochtones, c'est la prévention effectuée de diverses façons par toute la communauté. Pour que les jeunes aient d'autres choix que la criminalité, il faut financer adéquatement les ressources communautaires, comme les centres d'amitié, les services directs, les programmes culturels ou même un simple centre d'hébergement temporaire pour éviter que les jeunes traînent dans la rue et soient exposés aux dangers.
En terminant, compte tenu des causes historiques de la situation actuelle des Autochtones, il est impératif que le gouvernement fédéral change ses priorités en matière de justice pour mettre l'accent sur les mesures de prévention et de réparation. Au bout du compte, ce sont les prochaines générations de jeunes Autochtones qui porteront le fardeau de ces lois. Il faut investir dans les programmes élaborés par la communauté et axés sur la prévention qui favorisent des communautés en santé. Il importe de promouvoir les approches qui encouragent le bien-être, la participation, les relations saines et la capacité de faire profiter de son plein potentiel à la communauté.
Un dernier mot pour dire que nous tenons compte des générations précédentes, actuelle et futures dans l'élaboration des programmes. Nous vous recommandons fortement d'en faire autant dans l'étude de ce projet de loi.
Le président : Merci beaucoup, madame Nicolet. Passons maintenant aux questions des sénateurs. Il semble toujours nous manquer de temps, alors je demanderais à tous de le garder à l'esprit.
Vos exposés étaient très complets, plus que ce qu'on nous présente en temps normal. Vous avez pris un peu plus de cinq minutes, mais ça va. Votre message est important, et vous vouliez le transmettre. Toutefois, chers collègues, il faudra respecter les temps impartis et poser des questions les plus brèves possible. Veuillez aussi donner des réponses les plus brèves possible.
Le sénateur Fraser : Bienvenue à tous et merci beaucoup. Votre témoignage est très important pour nous. Je vais poser des questions très brèves et je vous demande de donner des réponses courtes. Si vous pouvez répondre en une phrase, c'est parfait.
Monsieur Bernstein, le préambule du projet de loi précise que le Canada a signé la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant. Cette mention signifie que la convention fait partie du droit canadien, n'est-ce pas?
M. Bernstein : En effet, la convention est incluse dans la loi en question, parce qu'elle figure dans son préambule. Mais elle ne s'applique pas aux lois canadiennes en général.
Le sénateur Fraser : Merci. Ma question s'adresse aux témoins qui voudront répondre. Sans parler de la nature de l'infraction, je m'intéresse aux interdictions de publication qui s'appliqueraient aux jeunes de 12 au lieu de 14 ans. Pouvez-vous expliquer l'influence de la levée d'une telle interdiction sur un jeune de 12 ans par comparaison à un jeune de 14 ans? Y a-t-il une différence que nous devons connaître?
Mme Turpel-Lafond : Le retrait des interdictions de publication est préoccupant, quel que soit l'âge de l'adolescent. Des décisions juridiques en faveur de la protection des renseignements personnels des jeunes indiquent qu'il s'agit d'un principe de justice fondamentale au Canada, en raison de l'ajout de la convention à la loi.
C'est clair que le retrait des ordonnances de non-publication est néfaste pour le jeune de 12 ans, qu'un adulte ou un adolescent plus vieux et plus rusé peut inciter à commettre certains actes et dont le nom sera entaché à vie s'il est publié. L'intéressé n'est pas le seul à en subir les conséquences. Ce genre de notoriété nuit aussi énormément à l'épanouissement de ses frères et sœurs et de sa famille. La loi doit plutôt se fonder sur la réadaptation et la réinsertion sociale.
Le sénateur Fraser : Comme la Commissaire à la protection de la vie privée nous l'a rappelé dans son témoignage, à l'ère de l'Internet, lorsqu'un renseignement est rendu public, c'est pour toujours. Déménager ne règle pas le problème. Il n'y a rien à faire, sauf changer de nom, j'imagine. Qu'en pensez-vous, monsieur Bernstein?
M. Bernstein : J'ai passé l'essentiel de ma carrière d'avocat à défendre les jeunes, dont l'identité était protégée. Les préjugés ainsi que les possibilités d'études et d'emploi réduites sont préoccupants pour les jeunes de cet âge. Ils peuvent mener le jeune à s'autodétruire, comme on l'a vu dans des cas de cyberintimidation qui ont poussé des adolescents au suicide. Les conséquences peuvent être graves.
Le sénateur Fraser : Merci beaucoup.
Le sénateur Runciman : Je tiens aussi à remercier les témoins. Tout d'abord, y a-t-il des éléments de ce projet de loi que vous soutenez, concernant la partie sur le système de justice pénale pour les adolescents? Y a-t-il des éléments positifs à votre avis? Vous ne savez pas quoi répondre, à ce que je vois.
Mme Turpel-Lafond : D'après moi, certaines dispositions sont bénéfiques. C'est clair que la culpabilité morale réduite constitue un ajout important. Après la Commission Nunn, il y avait matière à débat sur les jeunes qu'il fallait peut-être détenir et certaines autres questions. Cependant, nous craignons que la réaction soit démesurée par rapport aux problèmes mineurs. Certaines dispositions sont compréhensibles et se fondent sur les études et le besoin de maintenir l'ordre public, mais celles dont j'ai parlé aujourd'hui ne s'appuient pas sur les faits, les études et une mûre réflexion. C'est pourquoi nous avons peur que le projet de loi aille trop loin et mine les bonnes mesures adoptées partout au Canada.
Le sénateur Runciman : Êtes-vous tous en faveur de la disposition sur la détention présentencielle appuyée par Mme Turpel-Lafond? Vous connaissez bien les recommandations de la Commission Nunn? Je pense que la modification découle de ces recommandations.
Le président : Monsieur Bernstein, voulez-vous répondre?
M. Bernstein : Je ne pense pas avoir autre chose à ajouter.
Le président : D'accord. Madame Nicolet ou madame Godin?
Mme Godin : Je suis d'accord avec ma collègue du conseil.
Le sénateur Runciman : Nous avons entendu que le système fonctionnait. Je pense que plusieurs témoins ont indiqué qu'ils n'appuyaient pas la plupart des modifications.
L'an dernier, le Toronto Star a présenté une analyse des statistiques sur la criminalité chez les jeunes. L'analyse porte sur l'Ontario. Elle ne s'applique donc pas à l'ensemble du Canada. L'article précisait que près de 60 p. 100 des jeunes Ontariens qui commettaient des crimes graves récidivaient dans les deux ans. À la lumière de cette analyse, dans quelle mesure pouvez-vous dire que le système fonctionne de nos jours?
Mme Turpel-Lafond : Si vous le permettez, j'aimerais répondre.
Le président : Allez-y.
Mme Turpel-Lafond : Notre témoignage ne se fonde pas sur une étude ou une analyse réalisée par les médias. Je ne connais pas l'article du Toronto Star dont vous avez parlé, mais nous nous basons sur les données du Centre canadien de la statistique juridique. Nous avons examiné le système de justice pour les adolescents. Notre mémoire et celui du bureau des représentants des jeunes en Colombie-Britannique comprennent des données bien connues qui indiquent une diminution du taux de criminalité chez les jeunes Canadiens. Dans certaines régions, surtout en Colombie- Britannique et au Québec, ce taux a baissé considérablement depuis l'adoption de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
C'est clair que cette loi permet de s'occuper adéquatement des infractions graves. Mais la grande question, c'est que certains jeunes au début ou à la fin de l'adolescence ont besoin de beaucoup de soutien. Comme des témoins précédents l'ont souligné, certains jeunes sont suivis par les organismes de protection de la jeunesse. Même si les jeunes Autochtones en Colombie-Britannique sont visés par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, ils représentaient 29 p. 100 des jeunes détenus en l'an 2000, par comparaison à 50 p. 100 de nos jours. La loi n'a pas profité à certains jeunes qui rencontrent des difficultés persistantes, comme le fait d'être soumis à un organisme de protection de la jeunesse. Les jeunes Autochtones sont désavantagés, parce qu'ils ne peuvent pas compter sur un bon système d'éducation ou le soutien social approprié.
Ce n'est pas à cause du système de justice pénale pour les adolescents que certains jeunes récidivent. C'est souvent à cause du manque de soutien. Même si le taux de criminalité diminue, ce qui caractérise les jeunes récidivistes, c'est le besoin de soutien. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les peines d'emprisonnement et les détentions prolongées peuvent amener ces jeunes à passer au système de justice pour adultes, au lieu de participer à la vie sociale et communautaire.
Le sénateur Runciman : Dans le mémoire qu'il a remis au Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, M. Bernstein parle de réduire le taux de crimes violents chez les jeunes. Vous en avez parlé aussi, mais j'emploie d'autres données que les vôtres. Selon les données de Statistique Canada sur les crimes déclarés par la police en 2010, le taux de crimes violents commis par les jeunes a augmenté de 5 p. 100 en 10 ans. Ces modifications n'ont pas d'influence sur la majorité des jeunes délinquants, mais c'est clair qu'elles peuvent s'appliquer aux jeunes délinquants violents qui présentent un risque pour la sécurité publique. Plusieurs témoignages nous indiquent que la loi n'est pas efficace pour s'occuper des jeunes délinquants violents, mais c'est clair que vous êtes tous en désaccord.
Le sénateur Cowan : Je veux poursuivre dans la même veine que mon ami le sénateur Runciman, concernant le mémoire de l'UNICEF. Mme Godin l'a sous les yeux, mais je ne sais pas si c'est le cas pour Mme Turpel-Lafond.
Mme Turpel-Lafond : Oui, je l'ai devant moi.
Le sénateur Cowan : Je fais référence à la section qui cite des extraits du Rapport sur les tables rondes à l'échelle nationale, commandé par le ministre. On rapporte que le consensus indiscutable, c'est que les lacunes perçues ne sont pas dans la loi, mais dans le système, et que les modifications éventuelles devraient être fondées sur des données probantes et élaborées selon le même processus mûrement réfléchi qui a précédé l'élaboration de la LSJPA.
Pour traiter du type d'incidents dont parlait le sénateur Runciman, est-il nécessaire, selon vous, de modifier la loi? Croyez-vous qu'il faut plutôt pointer du doigt l'absence de filet social dans la collectivité et le manque de ressources dans d'autres secteurs du système de justice? Par exemple, pour l'application de la loi et la détermination des problèmes sous-jacents et leur prise en charge? À votre avis, est-ce là que se situent les lacunes, et pas dans la loi?
Mme Turpel-Lafond : Je dirais d'abord qu'il faut faire preuve de prudence à l'égard des données qu'on utilise. Quand vous employez les expressions « infraction avec violence » et « infraction grave avec violence », je présume que vous vous rapportez au projet de loi, parce que si on parle des statistiques sur la criminalité, ce ne sont pas les termes employés à l'heure actuelle. Il y a entre autres les voies de fait simples. Quand un jeune souffrant d'un trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale bouscule un policier après s'être enfui de son foyer d'accueil, on parle de voies de fait simples. S'agit-il d'une infraction grave avec violence? Je pense que la prudence est de mise.
Est-il question de meurtres et d'homicides? En Colombie-Britannique, par exemple, on ne recense aucun homicide commis par des jeunes pour certaines années. Puis, l'année suivante, il peut y en avoir deux. On enregistre une augmentation de 200 p. 100 d'une année à l'autre; l'année d'après, on retombe à zéro. Il faut examiner de près les statistiques sur le nombre d'infractions graves avec violence ayant causé un décès au cours d'une année dans une province ou un territoire. On peut constater une importante tendance à la baisse, ce qui ne signifie pas nécessairement que cela n'arrive jamais ou qu'il ne faut pas protéger le public et parfois incarcérer des jeunes et fournir les ressources nécessaires. On parle de crimes qualifiés d'infractions avec violence, c'est-à-dire des voies de fait simples, parce que c'est ainsi que les définit le projet de loi. C'est un autre débat en soi. Il faut faire extrêmement attention à la façon dont on traite et catégorise les jeunes, parce que différentes circonstances entrent en ligne de compte.
Vous avez raison; modifier la loi ne règlera pas tous les problèmes. L'intention était de remédier à certaines lacunes. Probablement que la loi ratisse trop large à l'égard de ce qui attend quelques-uns des citoyens les plus vulnérables, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas pu profiter de solides réseaux de soutien social. Les services en santé mentale ne répondent pas aux besoins des jeunes. Nous savons que la Commission de la santé mentale du Canada se penche sur la situation des enfants et des jeunes. Vu la piètre qualité des services en santé mentale, les jeunes Canadiens victimes de traumatismes sont nombreux à se retrouver derrière les barreaux et peuvent tomber dans la récidive. Les services de toxicomanie ne sont pas à la hauteur, et les familles sont souvent brisées, laissant les enfants errer d'une famille d'accueil à l'autre — des situations que ne vivent pas généralement les familles moyennes au Canada.
Il faut se demander quelles répercussions aura ce projet de loi sur les enfants les plus démunis. Le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes veut vous signaler que même si ce n'est pas votre intention, l'adoption de ces modifications fera en sorte que la loi va ratisser trop large et causera peut-être un préjudice disproportionné aux enfants qui ont le plus besoin de notre aide, et non pas des outils prévus par ce projet de loi.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Mmes Godin et Turpel-Lafond. Le projet de loi, comme vous le savez, s'adresse à des jeunes qui ont commis des crimes violents et aussi des crimes graves.
Je peux vous dire que, pour avoir travaillé 39 ans dans un service de police, au moment de leur arrestation, beaucoup de ces jeunes étaient conscients de ce qu'ils avaient fait; je pourrais même ajouter qu'ils étaient connus de milieu policier, même si ce n'était pas publicisé. Le projet de loi vise, entre autres, les récidivistes, qui vont commettre des crimes d'adulte. Je vous ai entendue parler des traumatismes causés à ces jeunes adultes, mais moi j'aimerais vous entendre parler au sujet des traumatismes qui ont été causés aux victimes de jeunes adultes.
Mme Godin : La préoccupation que le projet de loi actuel dessert, c'est non seulement les accusés mais aussi les victimes. À l'heure actuelle il y a une préoccupation. Le problème aussi, c'est qu'on réagit à des cas. Effectivement, tout le monde est très sensible à des situations particulières dans lesquelles il y a des victimes et, évidemment, votre parcours sur le terrain a pu vous permettre d'apprécier les situations où il y avait des ratées dans le système; mais les outils sont là, le système est bon. Il y a effectivement une intensification, mais au Québec on a quand même eu de bons résultats.
Je vous dirais que les principes, à l'heure actuelle, permettent de considérer les victimes. D'ailleurs, c'est pour cela que l'approche au Québec constitue le meilleur moyen, au bon moment, avec chacun des délinquants. Cela a permis de prendre en considération la situation des victimes.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Malheureusement, nous avons très peu de temps et j'ai une foule de questions à poser. Vous nous avez dit plus tôt que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne avait étudié en profondeur la Convention relative aux droits de l'enfant. J'ai les mêmes réserves que vous à l'égard de cette évaluation, monsieur Bernstein. Pour revenir à ce que vous disiez, j'ai voulu en savoir plus à ce sujet, mais comme il s'agit d'un document confidentiel du cabinet, nous ne pourrons pas consulter l'évaluation et savoir ce qu'elle contient.
Mes collègues ont tous votre mémoire, alors je ne parlerai pas des sujets qu'il aborde. Ce mois-ci, nous étions à Genève pour travailler sur une fiche de rendement concernant nos progrès à l'égard de la Convention relative aux droits de l'enfant. J'aimerais que M. Bernstein dise au comité comment s'en sort le Canada.
M. Bernstein : Je crois que des rapports parallèles ont été présentés au Comité des droits de l'enfant, et ces rapports sont publics. Nous n'avons toujours pas atteint les objectifs de mise en œuvre de la Convention des droits de l'enfant. Il sera intéressant de connaître les conclusions du Comité des droits de l'enfant à l'égard de divers domaines, notamment la justice pénale à l'intention des adolescents, l'enfant migrant ou la nomination d'un commissaire national aux enfants, une des recommandations d'UNICEF Canada, d'ailleurs. Je note que cette recommandation a été réaffirmée par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne dans son rapport intitulé Les enfants : des citoyens sans voix, mais aussi dans un autre rapport portant sur l'exploitation sexuelle.
On remarque parfois des décalages et un manque de coordination entre le gouvernement fédéral et les provinces. Certaines des approches employées sont inconséquentes, et on s'interroge parfois sur le financement des ressources et des établissements. J'encourage encore une fois le comité à prendre conscience de l'importance de la nomination d'un commissaire national aux enfants, une mesure qui permettrait de faire d'importants progrès dans la mise en œuvre de la convention. Il y a quelques années, on a publié un rapport intitulé Not There Yet Canada's implementation of the general measures of the Convention on the Rights of the Child, qui fait état des progrès réalisés par le Canada, mais aussi du chemin qu'il lui reste à parcourir pour atteindre les objectifs de la convention.
Le sénateur Jaffer : Pour revenir plus précisément au projet de loi, on y parle de dissuasion et de dénonciation. La Convention relative aux droits de l'enfant préconise davantage la réinsertion sociale et la réadaptation.
M. Bernstein : Effectivement, en ce qui a trait à la déjudiciarisation et à la réadaptation, le Comité des droits de l'enfant s'est montré catégorique pour ce qui est de l'adoption d'approches parallèles pour éviter l'incarcération. Le mémoire que nous vous avons soumis fait référence à certains de ces points.
En ce qui concerne l'Observation générale no 10, des observations finales de 2003, cela oriente certainement le Canada dans la mauvaise direction. Par ses recommandations claires, le Comité s'est montré critique à l'endroit du Canada, qui affichait un taux d'incarcération parmi les plus élevés des pays industrialisés. Les modifications proposées vont donc à l'opposé des recommandations formulées.
Le sénateur Angus : Je veux m'assurer de bien comprendre ce dont il s'agit quand on parle de conformité à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
Monsieur Bernstein, vous nous avez pressés de donner suite à la question, même si vous savez, et vous l'indiquez dans votre mémoire, que le ministre de la Justice et un des avocats principaux du ministère ont témoigné devant nous le 1er février et nous ont confirmé qu'une évaluation avait été faite en rapport au projet de loi C-10, afin de déterminer s'il était conforme à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Vous avez reconnu qu'ils nous l'avaient confirmé. Prétendez-vous qu'ils essaient de nous induire en erreur?
M. Bernstein : Pas du tout. Je ne mets pas en doute la bonne foi, ni l'expertise, ni le professionnalisme de ces personnes qui ont témoigné avant moi.
Je dis simplement qu'il semble y avoir des divergences d'opinions à ce sujet et qu'il serait sans doute utile que le comité tire ses propres conclusions. Nous ne savons pas, par exemple, si cette évaluation a été faite en fonction d'une simple liste de contrôle ou de certains critères, si elle s'est concentrée sur des articles de la convention en particulier, ou si on a également tenu compte de toutes les observations finales adressées au Canada, de l'Observation générale no 10 et des recommandations formulées par le comité sénatorial en 2007.
Il existe des processus pour étayer une étude d'impact sur les droits des enfants; on peut procéder à une analyse documentaire, consulter des personnes qui pourraient être touchées par les mesures et consulter des jeunes. Il y a moyen de faire une évaluation plus riche et plus complète.
Puisque les différents groupes d'experts semblent ne pas s'entendre à cet égard, on peut en conclure qu'il serait utile que le comité en sache plus sur la méthode employée et sur ce qui a permis de tirer ces conclusions, afin de comparer le tout aux arguments présentés par les groupes et organisations qui maintiennent que le projet de loi contrevient à la Convention relative aux droits de l'enfant. S'il adopte le projet de loi dans sa forme actuelle, le Canada ne respectera pas les obligations internationales qu'il a acceptées en ratifiant la convention en 1991.
Le sénateur Angus : J'ai relu le mémoire, très intéressant, que vous nous avez soumis. À la page 3, vous énumérez six ou sept points qui pourraient être incompatibles avec la convention.
En tant qu'expert dans ce domaine, êtes-vous d'avis que le projet de loi n'est pas conforme à la convention et que le gouvernement du Canada trahirait ses engagements s'il l'adoptait tel quel?
M. Bernstein : C'est ce que je crois.
Le sénateur Angus : C'est ce que vous croyez.
[Français]
Mme Godin : Tout à fait. D'ailleurs la question a été posée par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU, et je l'ai notée, de savoir si le projet de loi C-10 est en conformité avec les obligations du Canada en vertu de Convention des droits de l'enfant. La démonstration n'a pas été faite, malheureusement. C'est là que nous nous éloignons de ces principes fondamentaux de justice pénale qui gouvernent le Canada depuis plus de 50 ans; et malheureusement, pour répondre à des problèmes ponctuels, nous nous inscrire en faux de nos engagements internationaux. Et c'est cela qui est extrêmement désolant. Au-delà du débat passionnel, il faut être rationnel et être très conscient de ces engagements.
Nous avons été l'un des premiers pays à signer la Convention des droits de l'enfant. C'est une grande satisfaction pour nous. Nous avons des obligations. Le Canada sera entendu à l'automne et le rapport, qui a été déposé, fait référence à la statistique canadienne qui, depuis l'entrée en vigueur de la loi actuelle, a chuté. Donc, cela démontre que le système est, à certains égards, déficient, mais il ne mérite pas le bouleversement que nous sommes en train de provoquer actuellement avec ces amendements.
Le sénateur Angus : Vous savez que ces affirmations contre le gouvernement sont assez graves?
Mme Godin : Oui. Évidemment, je suis ici sous le chapeau du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, mais la Commission des droits de la personne, que je représente, a également déposé un mémoire que je vous ai remis tantôt. Je suis un peu mal à l'aise de le déposer, parce que j'y suis sous mon autre chapeau. Je vous invite à lire toutes les références en lien avec le Comité des droits de l'ONU ainsi qu'avec la Cour suprême.
Le sénateur Angus : On va voir. Merci.
[Traduction]
Le président : Sénateurs, il ne reste que 10 minutes du temps qui nous était alloué pour ce groupe de témoins, et nous devons encore donner la parole aux sénateurs Chaput, Boisvenu et Lang.
[Français]
Le sénateur Chaput : Je poserai ma question la plus brève et qui a trait à un sujet que Mme Turpel-Lafond a abordé plus tôt. Je vais citer ce que vous avez dit.
[Traduction]
Vous nous avez dit que deux provinces canadiennes offraient les meilleures conditions pour les enfants.
[Français]
Vous parliez du Québec et de la Colombie-Britannique. Pouvez-vous nous donner des exemples de ce que vous voulez dire?
[Traduction]
Quelles sont ces meilleures conditions pour les enfants?
Mme Turpel-Lafond : En ce qui concerne les deux provinces que j'ai nommées, depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, le Québec affiche le plus faible taux de criminalité juvénile, et la Colombie-Britannique arrive au deuxième rang. Ces deux provinces ont également beaucoup investi dans des mesures de rechange aux procédures d'accusation formelle, optant pour la détention en dernier recours. D'importants investissements ont été faits sur le plan communautaire dans la déjudiciarisation, les processus de réconciliation avec les victimes et la responsabilisation des jeunes contrevenants, tout en s'attaquant aux problèmes énoncés qui les placent souvent en conflit avec le système judiciaire.
Le Canada a d'importantes réalisations à son actif. En parlant de la Convention des Nations Unies, je note que le rapport du Canada sur ses dix années de mise en application de la convention indique que la LSJPA s'est avérée un outil très efficace pour la promotion d'un système prosocial, adéquat et axé sur le développement des jeunes au Canada. Les deux provinces affichent des résultats extrêmement positifs pour ce qui est des comportements prosociaux des jeunes, c'est-à-dire des 12 à 18 ans. Ce n'est pas parfait; le crime est encore présent, mais il y a eu une baisse notable.
Les résultats ne sont pas aussi probants dans d'autres provinces et territoires. Je cite ces deux provinces, parce qu'il faut voir comment les choses fonctionnent là où les résultats sont positifs. Nous considérons qu'il s'agit d'un investissement dans le développement des comportements prosociaux des enfants, d'un investissement positif dans l'aide à l'enfance, le soutien à l'éducation et de bons services de placement familial. C'est le genre d'aide qui peut faire toute la différence.
[Français]
Le sénateur Chaput : Avez-vous un commentaire, madame Godin?
Mme Godin : Effectivement, les deux provinces qui ont des résultats probants avec le modèle et l'approche, à l'heure actuelle, sont le Québec et la Colombie-Britannique. Nous avons beaucoup investi dans la réadaptation et la réintégration, toujours dans le respect de la protection du public. On ne met pas en opposition ce que le projet de loi va tenter de faire. Évidemment, la protection du public découle de cette approche que nous avons favorisée depuis l'entrée en vigueur de la loi, loi qui donne des résultats.
Le sénateur Chaput : Merci beaucoup.
Le sénateur Boisvenu : Mesdames et monsieur, bonjour. D'abord, je ne veux pas contredire vos statistiques, mais j'aimerais que vous preniez connaissance du rapport de Statistique Canada, le CANSIM, qui démontre effectivement que la Colombie-Britannique a connu une baisse de l'ordre de 38 p. 100 de la criminalité chez les jeunes depuis 2000. Au Québec, il s'agit d'une augmentation de 12 p. 100. J'aimerais que vous preniez connaissance de ces statistiques qui contredisent un peu vos données. Et remarquez bien qu'elles ne sont pas de moi, mais bien de Statistique Canada.
Ce matin, nous avons reçu Me Marc Bellemare et nous avons certainement réalisé que l'on peut voir de grandes vertus dans le projet de loi C-10 selon le siège que l'on occupe. Un avocat de la défense y accorde beaucoup de vertus parce qu'il y voit une espèce de correction majeure du système carcéral.
Je comprends que vous êtes du côté de l'enfant — remarquez bien, le projet de loi C-10 traite plus des adolescents que des enfants — et vous semblez rejeter en bloc les éléments du projet de loi C-10.
Je vous présente le contexte suivant : vous êtes une mère de famille, votre fille de huit ans se fait violer par un homme de 40 ans; selon la loi actuelle, on lui donne une sentence de 45 jours, mais les amendements du projet de loi C-10 lui donneraient une sentence minimale d'un an. Peut-on s'opposer à cela?
Mme Godin : Sénateur Boisvenu, nous ne devons pas personnaliser le débat selon un cas particulier, nous devons envisager la majorité des cas. Il est trop facile de tomber dans le débat émotif.
La mère de Sébastien a témoigné ce matin de son cas particulier, mais il faut examiner les résultats sur l'ensemble et c'est un peu ce qui est reprochable. Les statistiques auxquelles j'ai fait référence — parce que je connais votre grand intérêt pour la statistique —, sont celles que le Canada a présentées dans son rapport au Comité des droits de l'ONU, ce sont ces statistiques qui démontrent qu'il y a un déclin depuis l'entrée en vigueur de la loi.
Je suis une mère de famille, mais je ne répondrai pas à cette question. Moi, je regarde l'application, le système. Je l'ai mal exprimé tout à l'heure en m'adressant à un autre sénateur, mais nous pouvons répondre à une situation particulière avec le système actuel, même dans le cas que vous évoquez, alors qu'avec le projet de loi C-10, l'erreur vient du fait que nous allons stigmatiser et renforcer pour répondre à des situations particulières. On s'éloigne des principes fondamentaux de justice pénale auxquels le Canada a adhéré il y a 50 ans. C'est la grande tristesse de ce projet de loi.
Le sénateur Boisvenu : Il faudrait alors m'expliquer pourquoi la France, l'Angleterre, les Pays-Bas et la Suisse, au cours des dix dernières années, ont abaissé l'âge légal pour reconnaître une responsabilité pénale plus grande. Je pense à la France où on l'a ramené à 16 ans, aux Pays-Bas, je crois que c'est à 12 ans et la Suisse, dix ans. Il y a donc un mouvement qui fait en sorte qu'on essaie de différencier un enfant et un jeune adulte, pour que le jeune adulte puisse assumer un minimum d'imputabilité lorsqu'il commet un crime grave.
Mme Godin : Il aurait été souhaitable, dans tout ce débat, qu'on ait des statistiques. C'est un peu ce à quoi ma collègue référait tantôt, dans le cadre de la consultation que le ministre a faite. On n'a pas vu de résultat probant. On peut invoquer, autour d'une table, des statistiques de la Suisse et de la France, mais aujourd'hui, on vous dit qu'il y a des provinces où cela fonctionne. On a des résultats sur les statistiques. Malheureusement, en Saskatchewan, par exemple, ce n'est pas parfait, mais le système a montré que le Québec avait des résultats positifs. On est en train de bouleverser toute une approche et des principes de justice fondamentale dictés également par le Comité des droits de l'ONU. Il ne faut pas négliger cela, sénateur Boisvenu. Il ne s'agit pas d'une fantaisie du Québec ou des provinces, c'est le Comité des droits de l'ONU, qui dicte les principes de droits fondamentaux et nous avons adhéré à cette convention. Pour nous, c'est un peu cette référence qui, ultimement, dicte notre conduite aujourd'hui.
[Traduction]
Le président : Soyons clairs. Ce que vous dites est différent de ce que dit le sénateur Boisvenu, et nous allons utiliser le Québec, votre province, à titre d'exemple. D'après vos statistiques au Québec, les infractions graves avec violence n'ont pas augmenté chez les jeunes? Est-ce bien ce que vous dites? Nous croyons comprendre que c'est ce que vise le projet de loi C-10 : les récidives graves et violentes chez les jeunes. Est-ce que vous dites que ces crimes n'ont pas augmenté au Québec?
Mme Godin : Je ne voulais pas lancer un débat, parce que je sais que le sénateur Boisvenu a eu cette discussion avec M. Fournier, au sujet des statistiques au Québec.
Je fais référence aux statistiques du Canada, et non à celles des provinces, aux statistiques qu'a publiées le gouvernement du Canada et qui montrent qu'il y a eu une diminution au pays. J'ai pris les statistiques dans leur ensemble.
Le président : Qui confirment un déclin des infractions graves avec violence par rapport au crime en général?
Mme Godin : Absolument.
Le président : Très bien. Je ne veux pas débattre de ce sujet avec vous. Je voulais simplement m'assurer que nous comprenions bien les données sur lesquelles vous vous basez, puisque nous allons examiner cette question attentivement.
Mme Turpel-Lafond : Excusez-moi, monsieur le président. C'est difficile d'intervenir, mais j'aimerais clarifier un des points de vue du conseil. Je comprends que Mme Godin en parle, mais j'aimerais revenir à un aspect très précis. Depuis 1998, le taux de criminalité chez les jeunes au Canada a chuté de façon très importante. En 2001-2002, il est resté stable, mais on a enregistré une baisse passablement marquée.
Certaines questions reviennent constamment, à savoir que ces modifications portent sur les infractions graves avec violence. Il y a une définition de ce type d'infraction, mais les modifications qui se trouvent dans cette partie du projet de loi ne portent pas toutes sur cela. On tente de régler d'autres problèmes également, et j'aimerais préciser que le conseil comprend qu'il y a d'autres enjeux entourant la détention. Certaines définitions pourraient être nécessaires, comme le laisse entendre M. Nunn, des définitions qui sont importantes et utiles. Nous disons que certaines des autres dispositions ratissent trop large. La publication prévue à l'article 75 ne vise pas seulement les infractions graves avec violence; on ouvre une porte très large. Il faut éviter de comparer des pommes et des oranges et voir quelles sont les données probantes dans chaque catégorie.
Par ailleurs, lorsque vous observez une augmentation des infractions graves avec violence, cette observation se fait- elle sur 10, 5 ou 4 ans, 1 an ou 6 mois? Les bonnes études criminologiques présentent les tendances à long terme. Or, les tendances à long terme sont très prometteuses et positives, ce qui ne signifie pas que la loi ne peut jamais être améliorée. Toutefois, les changements proposés doivent s'appuyer sur des données probantes et, avec tout le respect que nous vous devons, les données probantes ne permettent pas de justifier les mesures générales prévues dans la partie 4.
Le président : Merci beaucoup pour ces commentaires, madame Turpel-Lafond.
Le sénateur Lang : J'aimerais faire une observation, si vous me le permettez. Plus tôt aujourd'hui, nous avons entendu les témoignages d'un certain nombre de représentants des forces policières. Ils nous ont dit très clairement que les modifications prévues dans cette partie de la loi allaient grandement faciliter leur travail tout en protégeant le public. Toutefois, on a souligné également au cours de ces discussions que la portée du projet de loi, que vous avez tous mentionnée, restera intacte pour les 99 p. 100 de la clientèle dont nous parlons quand il est question de réadaptation. Pourtant, sans ces modifications, ils ne sont pas en mesure de composer avec ces quelques jeunes délinquants qui défient la loi et commettent ces crimes violents et ils ne peuvent agir rapidement.
J'ai du mal à comprendre pourquoi, dans ces cas, vous vous opposeriez à l'adoption d'une telle mesure législative. On peut certes débattre des nuances ou des détails de cette mesure, mais en principe, c'est ce qu'on devrait faire avec toutes les lois. La réalité, c'est qu'il y a des personnes, de jeunes personnes qui se sont vraiment égarées. Nous avons la responsabilité de protéger le public. Je tiens à faire cette observation, et vous pourriez peut-être en tenir compte. Dans toutes les discussions que nous avons eues ici au cours de la dernière heure, nous n'avons pas du tout parlé de la sécurité publique et de la responsabilité qui nous incombe. Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet?
Mme Turpel-Lafond : Je serais ravie de parler de la sécurité publique. Ce qui préoccupe le conseil, c'est que les enfants sont des victimes. Ils peuvent être impliqués dans un comportement antisocial. Ils peuvent souvent avoir des collaborateurs. Nous voulons que des mesures de soutien bien conçues soient mises en place pour les jeunes au Canada, mais aussi pour que nos communautés soient en sécurité. Ne vous méprenez pas. C'est ce que nous croyons.
Nous ne disons pas non plus que toutes les dispositions prévues à la partie 4 sont inutiles. À l'instar de notre conseil, je conviens tout à fait que l'article 169, qui modifie le paragraphe 29(2), concernant la détention avant procès, était nécessaire, et je comprends que les agents de police aient cerné ce besoin. De nombreuses personnes l'ont fait. J'ai moi- même été juge d'une cour juvénile pendant neuf ans, et je sais très bien qu'il peut parfois être nécessaire de détenir des gens qui commettent des infractions à répétition, que vous ne pouvez pas arrêter. Vous devez parfois intervenir, et c'est important. Voilà une chose.
C'est une autre chose d'avoir des mesures de vaste portée qui s'appuient sur d'autres principes qui ne sont pas éprouvés, qui ne sont pas étayés par des données probantes; ces mesures créent un fardeau très lourd, peut-être nocif. C'est le cas de l'article 75, qui dit que le tribunal décide s'il convient de lever l'interdiction de publication pour toutes les infractions avec violence, ce qui comprend les voies de fait simples. L'article ne dit pas qu'il peut décider, mais bien qu'il décide. Ce sera une mesure très importante et il arrivera que le nom de l'enfant soit publié, ce qui aura un effet nocif sur lui, sur ses frères et sœurs et sur sa famille. On va trop loin. Ce n'est pas ce que les agents de police demandent. On a déjà la possibilité de transmettre aux victimes ou aux personnes concernées le nom de ceux qui commettent des infractions graves justifiant le renvoi devant un tribunal pour adultes.
Certaines dispositions sont très bénéfiques. Il ne fait aucun doute que l'on tient compte de la sécurité publique et qu'il faut combler une lacune. D'autres dispositions ne s'appuient sur aucun fait ni sur aucune donnée probante et semblent motivées par d'autres facteurs qui ne relèvent pas du développement de l'enfant, de la loi ou de la preuve.
Le président : Honorables sénateurs, nous devons malheureusement mettre fin à cet entretien. Le temps file. Un autre groupe de témoins nous attend. Ces discussions ont été très utiles et, comme je l'ai dit au groupe de témoins précédent, c'est très intéressant d'entendre tous les points de vue. Vous avez fait valoir avec beaucoup d'énergie des points de vue différents de ceux que nous avons entendus, et c'est pourquoi nous menons cette étude, pour trouver, au bout du compte, le meilleur de ce que nous pouvons en tirer. Vous nous avez été extrêmement utiles et nous vous en remercions.
Nous sommes ravis d'accueillir maintenant Rachel Grondin, professeure à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa. Un autre témoin devait aussi comparaître mais, malheureusement, il n'a pas pu se libérer.
Madame Grondin, nous avons hâte de vous entendre.
[Français]
Rachel Grondin, professeure, Section de droit civil, Université d'Ottawa, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant vous concernant la partie 4 du projet de loi C-10. Je sais que vous avez beaucoup de travail concernant ce projet de loi.
J'aurais souhaité faire des commentaires positifs concernant cette partie du projet de loi, mais les modifications proposées à la Loi sur le système de justice pénal pour les adolescents apportent des changements fondamentaux; et spécialement trois changements fondamentaux qui sont négatifs selon moi.
Premièrement, plusieurs sont contraires à l'existence d'un système de justice pénal distinct pour les adolescents. Certains ont un effet négatif sur la protection durable de la société canadienne et d'autres vont à l'encontre des engagements pris par le Canada pour ce qui est de la Convention relative aux droits de l'enfant.
Pour ce qui est des propositions contraires à l'existence d'un système de justice distinct pour les adolescents, je m'appuie sur une décision de la Cour suprême du Canada de 2008 pour affirmer cet aspect de la loi. La Cour suprême a déclaré, en 1968, que c'est un principe de justice fondamental, donc protégé par l'article 7 de notre Charte canadienne des droits et libertés, qu'il y ait une culpabilité morale moins élevée des adolescents au Canada. C'est un principe qui a été reconnu depuis longtemps, mais maintenant c'est constitutionnel.
La nouvelle loi s'éloignerait de la culpabilité morale moins élevée de l'adolescent pour insister sur le crime. On laisse donc la personne et on insiste sur le crime.
Finalement, on conserve la règle de demande générale pour l'assujettissement d'une peine applicable aux adultes. Par exemple, on demande au procureur général — et même on l'oblige — d'aviser le tribunal de la raison pour laquelle il ne veut pas un assujettissement pour peine pour adulte.
Je crois que l'assujettissement à une peine pour adulte est exceptionnel et devrait rester exceptionnel. C'est l'aspect général de la situation que je critique. Il faut des peines pour adulte pour certaines personnes, pour certains adolescents, mais c'est finalement une exception et l'exception ne doit pas devenir la règle.
J'applaudis la proposition faite dans la partie 4 du projet de loi C-10 de séparer les enfants des adultes privés de liberté. Mais une peine pour adulte doit-elle être applicable dès qu'un certain crime est commis? C'est ce qui me dérange. L'âge de la personne est un critère essentiel pour déterminer la peine d'un système reconnaissant la culpabilité morale moins élevée des adolescents.
On ne peut comparer les adolescents aux adultes. On sait que le développement n'est pas terminé et, pour cette raison, il faut des règles différentes et distinctes.
Comme deuxième point, j'aimerais affirmer aussi que certaines des modifications ont un effet négatif sur la protection durable de la société. Par exemple, le nouvel article 3, proposé à l'article 168 du projet de loi, fait partie de la déclaration de principe de la loi. C'est un article qui doit s'appliquer pour toute la loi.
Je ne comprends pas pourquoi on veut le modifier. Il est clair. C'est affirmé clairement qu'on veut protéger la société, qu'on veut faire de la réadaptation et de la réinsertion afin de protéger la société. Je crois que cette affirmation est claire. Je ne vois pas l'intérêt de la changer. La réadaptation et la réinsertion doivent demeurer au premier plan.
Ensuite, j'aimerais vous dire quelques mots sur la dissuasion. Mon collègue aurait été beaucoup mieux que moi pour en parler parce que c'est son domaine d'expertise. Selon moi, il a été prouvé, par plusieurs recherches, que la dissuasion ne fonctionne pas avec les adolescents.
On ne protège pas la société avec quelque chose qui ne fonctionne pas. On amène la dissuasion, la dénonciation, alors qu'on a des études qui démontrent clairement que cela ne fonctionne pas chez les adolescents. On veut rapprocher le système des adolescents du système des adultes, et ce sont deux systèmes différents qui doivent demeurer distincts. La protection de la société que l'on cherche doit durer. C'est une protection durable de la société qu'on veut. Je ne comprends pas pourquoi on enlève le mot « durable ».
Troisièmement, je trouve que certaines des propositions sont contraires aux engagements pris par le Canada en ratifiant la Convention internationale des droits de l'enfant. La loi s'applique pour des personnes qui sont âgées de 12 à 18 ans. Or, selon la convention, ces personnes sont encore des enfants. Une personne est considérée un enfant jusqu'à 18 ans. Récidiviste ou pas, c'est un enfant. En ratifiant cette convention, le Canada s'est engagé à tenir compte de l'âge d'un enfant accusé d'infraction pénale, pas de crime, et aussi de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de la société; pas de le dissuader ou de le dénoncer. Cela ne marche pas, et c'est reconnu dans la convention. On n'en parle pas.
En 2007, le Sénat a unanimement accepté les recommandations du Comité sénatorial permanent des droits de la personne pour qu'on respecte les obligations de la convention. Le gouvernement a aussi accepté, à l'époque, de s'assurer que ses projets de loi allaient intégrer la convention.
C'est peut-être une opinion différente, mais je trouve que la partie 4 du projet de loi C-10 n'intègre pas la convention. En permettant des peines applicables aux adultes, on impose à des enfants des peines pour adultes alors qu'on dit le contraire dans la convention. On dit que cela doit être un système distinct où la réintégration et la réadaptation sont importantes. Donc seules des situations exceptionnelles chez un délinquant devraient permettre l'application d'une peine applicable pour adultes.
Aussi, au paragraphe 37(b) de la convention, il est dit que la détention doit être une mesure de dernier ressort. Or, en permettant des peines applicables pour adultes, on permettra que des peines minimales de détention s'appliquent automatiquement pour les jeunes parce qu'on sait qu'il y a des peines minimales dans le Code criminel et dans d'autres lois. Est-ce une mesure de dernier recours quand on applique automatiquement une peine minimale pour des jeunes?
Comme parent, citoyenne et professeure dans le domaine, je vous encourage à assurer la protection durable de la société canadienne en refusant les modifications proposées par la partie 4 du projet de loi C-10, que l'histoire retiendrait certainement comme une régression du système de justice pénale pour les adolescents au Canada.
[Traduction]
Le président : Merci, madame Grondin. Les sénateurs vont maintenant vous poser des questions, et nous allons commencer avec la vice-présidente du comité, le sénateur Fraser.
[Français]
Le sénateur Fraser : Bienvenue chez nous, professeure Grondin. Merci beaucoup pour votre présentation. Je comprends que vous aviez compté sur un autre témoin pour vous tenir compagnie, mais vous avez très bien fait toute seule.
Si vous permettez, je vais vous poser une question sur cette protection durable ou non-durable. Vous n'êtes pas la première, à commencer par le ministre de la Justice du Québec, à dire que la protection durable doit être conservée comme principe. Justement, on voudrait s'assurer que devenus adultes, ces jeunes soient des membres productifs de la société.
D'autre part, des gens disent que c'est bien beau de penser à l'avenir des enfants, mais entretemps, il faut protéger la société en général maintenant. Je les comprends. Il y a des cas où des jeunes menacent la sécurité actuelle de leur communauté. Pas beaucoup de jeunes, mais quelques-uns. Je pense, par exemple, aux gangs qui peuvent rendre la vie misérable dans un quartier où ils sont actifs.
Est-ce qu'on ne peut pas faire la combinaison des deux concepts et énoncer clairement dans un projet de loi qu'on a deux buts : la protection immédiate actuelle et à long terme de la société? Est-ce qu'il y aurait une raison juridique qui empêcherait cela?
Mme Grondin : Pas du tout. C'est le mot « durable » que je ne veux pas qu'on enlève. C'est un qualificatif qui précise, et on sait que la précision, spécialement en droit pénal, c'est très important. C'est pour qu'on n'oublie pas qu'on cherche aussi la protection durable de la société. La protection à court terme, quand on essaie de réadapter et réintégrer, c'est pour protéger la société. En choisissant la solution facile qui est de mettre en prison, on protège pour un instant, mais dès que la personne sort, que ce soit à court ou à long terme, elle est encore dangereuse.
On doit insister sur la réadaptation; c'est ce qu'il faut faire. Quant à la protection, on l'assurera de cette façon-là à court et à long terme. Je trouve que c'est un qualificatif qu'on ne devrait pas enlever.
Le sénateur Fraser : J'aimerais vous poser une deuxième question, cette fois-ci sur la publication des noms des jeunes contrevenants. Est-ce que vous avez des exemples à nous donner qui pourraient nous éclairer un petit peu sur l'impact, surtout sur les très jeunes de 12 ou 13 ans, de la publication de leur nom?
Mme Grondin : La publication de leur nom peut avoir un impact sur une bonne partie de leur développement et de leur vie dans le but de devenir des membres positifs pour la société. Par exemple, si leur identité est révélée, cela peut avoir un effet sur la poursuite de leurs études. On sait que l'intimidation existe à l'école et on sait que cela peut même mener au suicide. Est-ce que c'est ce qu'on recherche? Aussi, la plupart du temps, les jeunes qui se font intimider vont souvent décider de se retirer. Ils se retirent pour quelque temps, et certains se retirent de l'école. Je voyais encore dans le journal, hier, qu'il y en a un du Québec qui s'est retiré en Colombie-Britannique. C'est l'intimidation qui a mené à cela.
Je crois que cette levée de l'interdiction de publication pourrait provoquer de telles situations. Est-ce qu'on va aller dans un sens et dans l'autre? On a un projet de loi pour protéger les jeunes contre l'intimidation, et on apporterait une mesure qui favoriserait l'intimidation?
Le sénateur Fraser : Je comprends, merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Je vous remercie, madame, de votre témoignage. Je ne crois pas que vous ayez abordé cette question, à moins que la chose m'ait échappée. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la protection du public et des victimes innocentes. Quel rôle doit jouer le système de justice à cet égard?
[Français]
Mme Grondin : La meilleure façon de protéger la société — et il faut la protéger, c'est le but du droit pénal —, c'est la réhabilitation, la réadaptation, la réinsertion, ce n'est pas enfermer quelqu'un pour qu'il sorte plus violent quelques années plus tard. C'est pour cette raison que je trouve que ce projet de loi ne devrait pas repousser la réadaptation plus loin dans la loi. Cela doit demeurer en tout premier lieu à l'article 3, qui est l'article fondamental de cette loi.
C'est un article de déclaration de principes. Les juges vont s'en servir pour interpréter toutes les dispositions de la loi. Donc, je crois qu'il est important que cet article soit précis quant à la protection de la société. C'est un objectif qui est poursuivi dans le droit pénal et on ne doit pas y déroger.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Personne, je crois, n'est contre la position en ce qui a trait à la réadaptation. Comme le sénateur Lang l'a souligné en s'adressant aux témoins précédents, ces dispositions n'auront aucun effet sur les cas mineurs; elles visent ceux qui commettent des infractions graves avec violence. Dans l'étude de Toronto — encore une fois, c'est bien à Toronto, et non au Québec —, les jeunes qui commettent des vols ou des agressions sexuelles graves et violentes sont remis en liberté sous probation. Ils contreviennent aux ordonnances de la cour et récidivent. À l'heure actuelle, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne fournit pas les outils nécessaires pour composer avec les délinquants les plus dangereux.
Je vais vous donner un exemple bien précis. L'automne dernier, à Toronto, un délinquant sexuel de 17 ans, qui a des antécédents, viole une jeune fille dans une salle de toilettes. Il contrevient ensuite à une ordonnance d'un tribunal et ne manifeste aucun remords. En fait, dans une évaluation présentencielle, on dit qu'il croit n'être responsable que dans une proportion de 60 à 70 p. 100 puisque la fille en question ne lui a pas trop résisté. Il obtient une probation, soit la même peine qu'on lui avait imposée à sa première déclaration de culpabilité.
Où est la justice dans tout cela? Pourquoi une victime signalerait même l'agression si elle sait qu'aucune sanction ne sera imposée? Quel message envoie-t-on aux victimes de crimes avec l'approche que vous semblez soutenir?
[Français]
Mme Grondin : La réadaptation, ce n'est pas dire qu'on ne le sanctionne pas. On lui donne une peine. On ne le remet pas en liberté. Ce n'est pas juste de la prison et un nombre d'années en prison qui vont permettre de dire que c'est la bonne chose pour satisfaire la victime. Ce qui va être mieux pour la victime, c'est que dans trois ans, l'agresseur ne revienne pas la violer encore. Il va être réadapté. Tant que le jeune n'a pas atteint 18 ans, ce n'est pas un échec, il faut continuer. Si ça n'a pas fonctionné la première fois, on continue la deuxième fois, jusqu'à 18 ans.
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Je ne peux tout simplement pas comprendre ce raisonnement, et je soupçonne que la plupart des Canadiens ne le peuvent pas non plus. Je vous remercie.
Le président : Madame Grondin, j'ai une autre question. Je réalise que ceci vient du Code criminel, et non de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, mais il doit bien y avoir des circonstances où il est nécessaire d'isoler un délinquant de la société pendant une période de temps, afin de protéger la société. C'est reconnu dans les principes de détermination de la peine et dans le Code criminel. Ne croyez-vous pas que, dans les cas les plus graves, il soit nécessaire d'isoler le délinquant pour protéger le public?
[Français]
Mme Grondin : Pas du tout. Je parle de la règle générale. J'ai même insisté sur le fait que ça devrait demeurer exceptionnel. Oui, c'est nécessaire dans certains cas, oui, c'est la seule solution, oui, c'est le dernier recours. Même la convention le permet. On l'a ratifiée, mais c'est le dernier recours. Il faut tout essayer avant.
Maintenant, si ça ne fonctionne pas, dans ce cas, peut-être qu'il faudrait à la toute fin l'emprisonner, mais il faut tout essayer avant. On ne peut pas se sentir satisfait si on n'a pas tout essayé.
[Traduction]
Le président : Même s'il s'agissait d'un récidiviste violent, vous auriez la même opinion?
[Français]
Mme Grondin : Oui, parce que si ces gens sont violents, c'est qu'ils ont besoin d'aide. Ils ont un problème. Ces gens ont besoin d'être réhabilités. Souvent ils n'ont pas eu chez eux une bonne échelle de valeurs. Il faut travailler encore plus fort avec eux. Ce ne sont pas des gens qui volent dans un dépanneur ou des petites choses qui demandent le plus de temps, de la réhabilitation. C'est celui qui commet un crime plus violent. Maintenant, il faudrait peut-être que la société pense que l'emprisonnement n'est pas la seule solution, mais le dernier recours.
Le sénateur Fraser : Dans le cas que le sénateur Runciman a cité, il s'agissait d'un crime très violent, le viol. Il ne se croyait pas responsable parce que la fille n'avait pas suffisamment résisté. C'est frappant comme circonstance. La loi actuelle ne permet-elle pas, dans de tels cas, une combinaison de détention et de traitement? Il me semble qu'il faudrait peut-être, au moins à court terme, encadrer ce jeune de façon très stricte, non?
Mme Grondin : Certainement, et à l'article 42 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, il y a un éventail de peines prévues et on permet la combinaison de ces peines. C'est possible qu'il y ait aussi encadrement psychologique de ces personnes avec de la détention. Je crois que cela doit rester. Ce n'est pas de cela que je parle.
Je parle de l'article 3 et d'enlever la réhabilitation au premier plan et de la mettre plus bas. C'est la chose à faire pour assurer la protection de la société. Ça va ensemble, ça ne va pas l'un contre l'autre.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : J'aimerais revenir à l'article 40 de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui parle du traitement des jeunes personnes qui contreviennent à la loi. Le Canada a signé cette convention et, en fait, a été l'un des premiers pays à le faire, et je crois qu'il a aussi signé le protocole connexe. La convention dit que toute une gamme de dispositions et des « solutions autres qu'institutionnelles seront prévues en vue d'assurer aux enfants un traitement conforme à leur bien-être et proportionné à leur situation et à l'infraction. » Vous dites aujourd'hui qu'il faut songer à la réinsertion et à la réhabilitation. Ce projet de loi met l'accent sur la dissuasion et la dénonciation, et c'est ce que vous décriez. Est-ce exact?
[Français]
Mme Grondin : C'est exactement ça. C'est le problème et c'est là que je trouve que ça ne fonctionne pas avec la convention ni avec les études, qui ont été menées antérieurement, ni avec les États qui l'ont vécu. Les États dont la criminalité n'a pas diminuée. Les endroits où la criminalité a diminué sont ceux où l'on insiste sur la réadaptation et la réinsertion. Pourquoi ajouter quelque chose qui ne fonctionne pas?
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : J'ai demandé à notre gouvernement s'il avait évalué le projet de loi en tenant compte de la Convention relative aux droits de l'enfant, et le ministre et les fonctionnaires ont dit qu'une évaluation avait été effectuée. Il est clair que nous ne l'avons pas vue. Si une évaluation a été faite — je n'en doute pas du tout —, alors comment a-t-on pu passer à côté de cette disposition? Vous ne pouvez pas répondre parce que vous n'étiez pas là, mais vous auriez certaines réserves si l'évaluation avait été faite sans tenir compte de l'article 40. Est-ce exact?
[Français]
Mme Grondin : Je crois aussi qu'ils l'ont peut-être fait, mais je me demande qu'est-ce qui s'est passé. Peut-être a-t-il été oublié. On n'a certainement pas vu que la convention ne parle pas de dissuasion et de dénonciation. Ce sont des termes qu'on emploie pour les adultes. La dissuasion et la dénonciation sont dans le Code criminel. On a décidé de ne pas les considérer pour les jeunes parce que ça ne fonctionne pas avec les jeunes. Les jeunes ne pensent pas trop loin.
Le sénateur Boisvenu : Je suis satisfait parce que je lis à travers vos commentaires que le projet de loi C-10 vise une bonne cible lorsqu'on parle particulièrement de jeunes délinquants pour qui la possibilité de réhabilitation est presque nulle, qui ont commis des crimes très graves, donc des exceptions. Et vous me dites que dans le Code international, ce n'est pas autorisé, mais disons admis.
Je disais tantôt aux gens qui vous précédaient, qu'on voit poindre dans beaucoup de pays très modernes, même de gauche sur le plan social — je pense à la Suède — un changement de cap par rapport au traitement des jeunes de 16, 17 ou 18 ans. On fait une distinction entre l'enfant de 12 ans et le jeune de 17 ans et 300 jours, disons. J'avais des données qui se sont ajoutées. La Suisse et l'Angleterre ont ramené à 10 ans l'âge de responsabilité pénale. La Grèce et la Suède à 14 ans, alors que la Suède est reconnue comme un pays relativement tolérant, les Pays-Bas à 12 ans et la France de 10 ans à 16 ans. À cause de l'influence des gangs de rue, du trafic de la drogue et de la prostitution, on rend ces jeunes plus responsables des crimes commis.
Le projet de loi C-10 reste pour les juges un élément important pour ce qui est de la réhabilitation. J'ai toujours dit que la réhabilitation devait passer après la protection à la société. Dans la Charte des droits et libertés du Canada, la notion de droit à la sécurité est contenue dans les deuxième ou troisième articles et nous mettons tout en œuvre pour protéger la société.
Dans le projet de loi C-10, on laisse au juge l'option, lorsqu'il sera devant un criminel, jeune ou moins jeune, s'il y a certaines possibilités de réhabilitation, de substituer l'appel à, par exemple, un programme de désintoxication.
C'est la preuve qu'on laisse beaucoup d'éléments de discrétion au juge dans ce projet de loi qui privilégie la réhabilitation à l'incarcération.
Mme Grondin : Vous me permettrez d'être en désaccord avec vous quand vous parlez de protection de la société et ensuite de réhabilitation. Ces deux notions ne s'opposent pas. Elles vont ensemble.
Le sénateur Boisvenu : Je suis d'accord avec vous. Je n'ai pas dit le contraire.
Mme Grondin : La réhabilitation se fait pour la protection. C'est une façon de protéger la société, et je dirais qu'avec les jeunes c'est la meilleure façon de faire. C'est à long terme, on se trompe, ça prend du temps, les programmes sont difficiles. Mais c'est la meilleure solution qu'on a trouvée jusqu'à maintenant.
Le droit criminel existe depuis que le Canada existe. Il y a toujours des criminels, il ne faut pas lâcher. Il faut continuer à protéger la société, c'est certain. Mais de quelle façon le faire? Je crois qu'il faut insister sur la réhabilitation. La détention est le dernier recours.
Le sénateur Boisvenu : Vous prétendez que le projet de loi C-10 met en opposition la réhabilitation et la détention?
Mme Grondin : Pourquoi a-t-on changé à ce point la rédaction? Pourquoi n'a-t-on pas laissé la rédaction antérieure qui mettait tout cela ensemble?
Le sénateur Boisvenu : Ma question n'est pas celle-là. On a dit qu'on mettrait la protection de la population avant la réhabilitation, mais on ne les a pas opposées.
Mme Grondin : Non, mais le législateur ne parle pas pour rien dire. Dans l'article 3 qui existe présentement, les deux sont là : protection de la société et réadaptation. Tout est là à l'alinéa (a) de l'article 3. Pourquoi a-t-on décidé de réécrire cela et de le mettre un peu plus bas?
Le sénateur Boisvenu : Il va falloir l'expliquer davantage.
Mme Grondin : Pourquoi? Parce que pour les juges, il faut être précis et clair. Tout cela a une signification. J'ai parlé à des gens qui s'occupent de l'interprétation des lois et on me dit toujours : si cela vient après, cela a moins d'importance.
Le sénateur Boisvenu : C'est pour cela les sentences minimales.
Mme Grondin : Les sentences minimales, c'est pour les adultes.
Le sénateur Boisvenu : C'est un commentaire.
Mme Grondin : Il ne faut pas confondre les adultes et les adolescents.
Le sénateur Boisvenu : D'accord.
Mme Grondin : Les adolescents sont des enfants. Ils sont encore en développement. Il ne faut pas l'oublier. Ces gens ne voient pas les conséquences de leurs gestes. Il faut faire tout ce qu'il faut pour protéger la société. Peut-être n'y a-t-il pas assez de programmes pour insister sur la réadaptation, mais il ne faut pas changer cela.
Je ne trouve pas que cela va à l'encontre l'un de l'autre, la protection de la société et la réhabilitation.
Le sénateur Boisvenu : Je suis d'accord avec vous, madame.
[Traduction]
Le président : Sénateur Boisvenu, avons-nous terminé sur cette question?
Le sénateur Boisvenu : Oui.
Le président : Nous écouterons maintenant le sénateur Cowan, et il reste trois autres sénateurs. Comme je l'ai dit plus tôt, nous empiétons sur le temps que nous avions réservé au dernier groupe de témoins, alors nous allons devoir mettre fin à ces échanges à 16 h 30. Je vous prie de vous en rappeler.
Le sénateur Cowan : Bienvenue. Avez-vous participé à la table ronde que le ministre a organisée entre mai et août 2008?
Mme Grondin : Non.
Le sénateur Cowan : Avez-vous lu le rapport de la table ronde?
Mme Grondin : Oui.
Le sénateur Cowan : On concluait dans ce rapport que le consensus indiscutable, c'est que les lacunes perçues dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne sont pas dans la loi, mais dans le système. Les modifications éventuelles à la loi devraient être fondées sur des données probantes et élaborées selon le même processus mûrement réfléchi qui a conduit à l'élaboration de la loi. On dit aussi que moins de 1 p. 100 des participants — les experts qui ont participé à cette consultation — appuyaient le concept de dissuasion pour ce qui est du prononcé de la sentence.
Êtes-vous d'accord sur ce point? Cette conclusion correspondrait-elle à votre expérience et vos connaissances?
[Français]
Mme Grondin : Oui, en autant que je peux me prononcer, je crois que M. Corrado était beaucoup mieux que moi pour se prononcer sur la dissuasion. De ce que j'ai lu au sujet de la dissuasion, ce n'est vraiment pas la solution avec les adolescents.
Le sénateur Cowan : Merci.
Le sénateur Dagenais : Merci, madame Grondin. Évidemment, la société a beaucoup évolué. Les adolescents qui ont commis des crimes hier sont maintenant de jeunes adultes.
Dans le projet de loi, on parle de crimes violents et graves lorsqu'il est question d'incarcération. Ne croyez-vous pas que le projet de loi en étant plus punitif tendra à dissuader les récidivistes?
Mme Grondin : La dissuasion ne fonctionne pas avec les jeunes selon moi, peu importe la nature des crimes. Les jeunes qui ont commis des crimes, qui sont un peu moins développés, arriveront à l'âge adulte à un moment donné et ils devront être réadaptés. Finalement, la dissuasion chez les jeunes ne fonctionne pas.
Le sénateur Dagenais : Vous êtes persuadée de cela?
Mme Grondin : Je suis persuadée de cela. J'ai parlé à des gens qui ont fait des études sur le sujet et la dissuasion n'est pas vraiment la solution.
Maintenant, il est évident que c'est une solution rapide. C'est satisfaisant, les gens s'en lavent les mains. On se dit qu'on a tout fait, on a mis les gens en prison et là tout le monde est content. Non, c'est une solution trop facile pour moi. Ce n'est pas la solution du travail et de l'effort.
Le sénateur Dagenais : Vous savez qu'il peut se faire quand même du travail en prison.
Mme Grondin : Il peut se faire du travail en prison, mais en dehors aussi. Pourquoi les mettre avec d'autres personnes dures? Pourquoi mettre des gens durs ensemble?
Le sénateur Dagenais : Merci, madame.
Le sénateur Chaput : Nous avons reçu aujourd'hui des policiers qui nous expliquaient que l'adolescent d'aujourd'hui sait très bien ce qu'il fait, même s'il n'est pas nécessairement mature. On pourrait se poser la question de savoir s'il est responsable de l'impact de ces actes, mais par ailleurs, les adolescents d'aujourd'hui ont appris très vite à manipuler le système pour s'en servir afin d'accomplir des choses qu'ils ne devraient pas et ensuite à manipuler le système pour ne pas se faire prendre. C'est quelque chose qui ne se voyait peut-être pas dans le passé.
Dans vos recherches, lorsque vous consultez la documentation, auriez-vous lu cela quelque part, cette différence entre les adolescents de maintenant comparée à ceux d'autrefois?
Mme Grondin : L'adolescent du passé?
Le sénateur Chaput : Oui?
Mme Grondin : Mais pourquoi le taux de criminalité diminue lorsqu'on fait de la réhabilitation? Le taux de criminalité diminue. On peut faire dire toutes sortes de choses aux statistiques, mais ici, je ne m'appuie pas seulement sur des statistiques d'il y a un an ou deux ans. Les statistiques au-delà d'une dizaine d'années contiennent des failles et elles reviennent tous les ans.
Dans les États qui insistent sur la réadaptation, on peut voir qu'il y a une diminution de la criminalité. Il est certain que pour un policier, qui fait face à un cas exceptionnel, il peut avoir besoin d'une solution exceptionnelle.
Ce qui me dérange dans ce projet de loi, c'est qu'on regarde plus le crime, on ne regarde plus l'enfant. S'il a commis un crime grave, on intervient.
Le sénateur Angus : J'ai juste une petite remarque à faire. Sur l'avis de convocation, il est écrit que vous êtes professeure à la section de droit civil de l'Université d'Ottawa. Il me semble qu'on parle plutôt de droit criminel ou de criminologie.
Mme Grondin : À la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, il y a deux sections : la common law et le droit civil. Nous enseignons toutes les matières aux étudiants qui travailleront au Québec.
Le sénateur Angus : Toutes les matières?
Mme Grondin : On l'appelle la section de droit civil, parce que c'est le système de droit civil. Si vous voulez, on peut l'appeler le système romano-germanique.
Le sénateur Angus : Je sais, je suis avocat au Québec.
Mme Grondin : C'est donc ce système. Cela ne veut pas dire qu'on enseigne seulement le droit civil. Moi, j'enseigne le droit criminel, mais en français.
Le sénateur Angus : Vous avez terminé votre allocution en disant que vous étiez « un parent, une citoyenne et une professeure dans le domaine ». Donc votre domaine, c'est le droit criminel?
Et tout votre témoignage, d'après moi, porte sur la criminologie et même la sociologie. Vous parlez des moyens d'améliorer la société. On ne parle pas nécessairement des dispositions. Votre philosophie semble prétendre qu'on n'emprisonne pas les jeunes.
Il ne fait aucun doute que vous êtes une experte dans ce domaine, mais avez-vous écrit des articles, des livres à ce sujet?
Mme Grondin : Excusez-moi, mais chez nous, à la faculté de droit, on a un cours sur le droit criminel et un cours sur le droit de la peine. Il y a la faculté de criminologie, tout est relié. On ne se met pas d'ornières pour éviter de voir ce qui se passe ailleurs. C'est là la solution.
Nous avons même un cours interdisciplinaire pour le droit des enfants, qui est dispensé par 10 facultés. Parce qu'on ne voit pas l'enfant que du côté criminel, il y a aussi le côté familial, il y a le côté psychologique. On doit examiner tous ces aspects. On ne peut pas isoler le cas criminel.
Le droit criminel, c'est là où j'ai le plus d'expérience, cela fait au-delà de 30 ans que je l'enseigne. Mais j'enseigne aussi le droit de l'enfance et je suis directrice de thèses dans ce domaine. Et, finalement, en droit de la peine, c'est ma collègue qui m'informe.
Le sénateur Angus : Merci beaucoup, madame.
[Traduction]
Le président : J'ai une question. Je ne suis pas certain que nous aurons assez de temps.
Le sénateur Angus : J'aime vous laisser du temps.
Le président : Vous le faites parfois.
Madame Grondin, j'ai écouté la discussion et j'ai écouté ce que vous avez dit. Nous nous demandons tous comment nous influençons le comportement humain pour qu'il corresponde à ce que la société juge convenable, pour que les gens vivent une bonne vie. Lorsque quelqu'un déraille et affiche un comportement déviant, que faisons-nous, en tant que société, pour qu'il ne récidive pas et qu'il fasse plutôt les choses acceptables dans la société? Nous avons tous, individuellement, vécu cela avec nos propres enfants, en nous demandant comment nous pouvions les inciter à agir correctement. Nous avons été influencés à notre tour par nos parents. Dans une certaine mesure, à partir de cette cellule familiale, c'est ce qui façonne notre société. Les principes auxquels nos familles et nous adhérons sont les mêmes que nous essayons de répandre dans la société. Je crois que c'est là la base de la société canadienne.
Vous avez affirmé que la dissuasion ne fonctionne pas avec les jeunes. Vous penseriez probablement la même chose en ce qui a trait à la dénonciation, à savoir que la dissuasion et la dénonciation n'ont pas d'effet sur les jeunes. Je sais que nous parlons de droit criminel ici, mais cette dissuasion vise à influencer le comportement humain. J'ai du mal à comprendre vos propos. Je n'ai pas fait d'études complexes; je ne suis pas professeur et je n'ai pas analysé le sujet comme vous l'avez fait, mais j'ai élevé des enfants. J'ai du mal à accepter que la dissuasion ne fonctionne pas chez les jeunes. Nous avons essayé de dissuader nos propres enfants, de leur montrer ce qui est mal, ce qui est vraiment mal, et nous dénonçons ces comportements pour qu'ils fassent la distinction entre ce qui est un peu répréhensible et ce qui l'est beaucoup. Nous essayons ensuite de les dissuader et de les influencer pour qu'ils ne recommencent pas. D'après mon expérience, et dans ce contexte, la dissuasion et la dénonciation fonctionnent. Cela a fonctionné pour moi. Je songe à mes parents et ce qu'ils ont essayé de faire.
Comment pouvez-vous affirmer que la dissuasion ne fonctionne pas chez les jeunes? Je comprends que tout dépend du moyen employé, mais avez-vous exagéré votre pensée au sujet des répercussions possibles de la dissuasion et de la dénonciation?
[Français]
Mme Grondin : Je ne déclare pas cela sur mon expérience personnelle. Plusieurs études faites par des criminologues ont démontré que, après avoir étudié la chose pendant plusieurs années, cela ne fonctionnait pas. C'est dans ce sens. Je me fonde sur des études d'experts. Je ne les ai pas faites moi-même.
Je trouve qu'il faut intervenir avec un jeune, certainement. On ne doit pas le laisser aller. Il faut le ramener dans le bon chemin. Mais ce n'est pas en le mettant en détention qu'on va nécessairement le ramener dans le bon chemin. C'est un dernier recours. Et la détention est là au bout.
C'est une façon d'essayer, mais il y a d'autres solutions à essayer d'abord avec un jeune. Et quand on est avec un jeune, on est au début de sa vie, il y a beaucoup de choses qu'on peut essayer avant d'aller à l'étape de la détention. C'est quand on se dit qu'on ne peut plus rien faire qu'on va avec la détention.
[Traduction]
Le président : Vous n'êtes pas le seul témoin à nous l'avoir dit. Il n'y a pas de réponse simple et universelle en matière de réadaptation et de participation de la collectivité, et tout le monde en convient. C'est ce que nous ont dit les responsables de l'application de la loi ainsi que d'autres intervenants. Je pense donc que tout le monde est sur la même longueur d'onde à ce sujet. Il ne reste qu'à trouver une façon de combiner le tout.
Merci. Je vous suis très reconnaissant de votre réponse.
Il reste environ deux minutes. Je sais que le sénateur Fraser a une dernière question pour terminer le deuxième tour.
Le sénateur Fraser : C'est un peu ce dont vous avez parlé, monsieur le président.
Le président : Je devais donc être sur la bonne voie.
[Français]
Professeure Grondin, on a beaucoup parlé, avec vous et avec d'autres témoins, de la dissuasion, mais ce même paragraphe du projet de loi dit que la peine peut viser — « peut » et non pas « doit » — à dissuader l'adolescent de récidiver, mais aussi à dénoncer un comportement illicite.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de ce principe de dénonciation dans le cadre d'un tel projet de loi.
Mme Grondin : Je pense qu'il faut intervenir pour lui dire que ce n'est pas bien. Il faut qu'il y ait une dénonciation dans le sens d'une intervention.
Le sénateur Fraser : Mais on parle de la peine.
Mme Grondin : De la peine et de l'interdire parce que c'est ce qui va arriver au jeune. Les jeunes ne pensent pas à cela. Dans l'actualité, on voit beaucoup de gens qui font des courses de rue. J'ai vu un jugement, l'été dernier, où un jeune était avec son meilleur ami. Tous les deux avaient une voiture neuve. Finalement, il y en a un qui s'est tué.
Le sénateur Fraser : Je pense que je connais le cas.
Mme Grondin : C'était son meilleur ami. Même la mère de cet individu trouvait qu'on ne devait pas détenir l'autre jeune, qui est allé faire la course avec lui. Quand des jeunes décident de jouer au hockey, se frappent et que l'un d'eux devient handicapé, c'est grave. Mais est-ce que, en allant jouer au hockey, on pense à tout ça? C'est même toléré dans notre société. Les jeunes vont jouer au hockey, ça va. Une course de rue, ça ne va pas. Pourtant, c'est un sport pour eux; ils s'amusent — on s'entend que ce sont des « conneries » qu'ils font! Mais est-ce qu'il faut sanctionner avec une grosse détention tout de suite? Je ne pense pas.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, voilà qui met fin au témoignage de Mme Grondin. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie. Vous nous avez amplement donné matière à réflexion, mais comme vous l'avez démontré, il n'y a pas de solution facile. Les options sont nombreuses, mais les arguments que vous avez fait valoir avec force nous seront utiles.
Mesdames et messieurs les membres du comité, nous poursuivons notre examen de la partie 4 du projet de loi ayant trait à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. La journée est longue, et avons déjà entendu le témoignage de toute une série de témoins sur le sujet.
Je dois dire que nous sommes sincèrement heureux d'accueillir notre dernier invité de la journée, le juge Merlin Nunn. Il est l'auteur du rapport de la Commission d'enquête Nunn déposé en 2006, qui soulevait bon nombre des questions abordées dans le projet de loi C-10. Comme vous le savez tous, le projet de loi tient compte de bien des recommandations du rapport.
Sans plus tarder, monsieur le juge Nunn, nous vous invitons avec plaisir à nous présenter votre déclaration préliminaire.
Merlin Nunn, à titre personnel : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un privilège d'être ici. J'espère ne pas vous ennuyer à mourir ni vous répéter ce que vous avez déjà entendu plusieurs fois aujourd'hui.
Tout d'abord, je pense qu'il est important que vous saisissiez le contexte de toute cette affaire; je ne l'avais pas compris lorsque j'ai accepté de diriger la commission d'enquête. En tant que juge de la Cour suprême, je n'avais jamais eu affaire à un jeune en 22 ans, car c'est le tribunal pour les jeunes contrevenants qui s'occupe d'eux. À vrai dire, je n'avais même jamais lu la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, car je savais que je n'en aurais jamais besoin. On m'a nommé à la tête de cette commission d'enquête, mais j'ai vite été pris au dépourvu.
Vous devez comprendre que je ne me considère pas comme un spécialiste de la justice pour les jeunes. Je n'ai pas cette prétention. Plus particulièrement, j'ai eu affaire à un jeune qui devenait incontrôlable, comme l'indique le titre du rapport. Il avait fait l'objet d'environ 38 accusations sans jamais aller en prison, être placé sous garde ni être traduit en justice. Personne ne s'en occupait. Lorsque l'accident mortel est survenu, l'affaire a été exposée au grand jour : pourquoi ce jeune était-il en liberté? C'est la question que j'ai examinée.
Je pense que tout examen de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents doit commencer par son histoire, qui est très simple. La loi sur les jeunes délinquants est entrée en vigueur en 1908, puis elle est demeurée en place presque 100 ans — quelque chose comme 80 ou 90 ans. Cette loi ne servait qu'à jeter les enfants derrière les barreaux sans tenir compte de leurs droits. Ils étaient placés sous garde, un peu comme dans une prison, où ils étaient relégués aux oubliettes. Les jeunes incarcérés dans ces prisons pour jeunes ont été victimes de toutes sortes de mauvais traitements. D'ailleurs, les envoyer dans ces établissements constituait le premier faux pas. C'est ce qui posait problème avec la loi.
La Loi sur les jeunes contrevenants est entrée en vigueur après l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantissait notamment des droits à tous ces enfants. Cette loi a donc donné lieu à de nombreuses actions devant le tribunal de la jeunesse et à la détention de bien des jeunes; la pratique en la matière variait d'un établissement à l'autre et d'une province à l'autre.
À la fin des années 1990, le Canada comptait plus de jeunes en détention par habitant que presque tout autre pays, y compris les États-Unis. Nous nous plaisons toujours à l'idée que les Américains jettent tout le monde en prison. C'était la situation.
Puis la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est entrée en vigueur. Ceux qui ont participé à sa création ont décidé que pratiquement aucun jeune ne serait désormais jeté en prison ou gardé en détention. Ses dispositions compliquent extrêmement la chose. Si vous prenez connaissance des quelques articles à ce sujet, soit les articles 29 et 39 de la loi, ainsi que de l'article 515 du Code criminel, je crois, vous constaterez qu'un individu ne risque pas d'être gardé en détention à moins d'avoir commis une infraction violente. Le problème, c'est qu'il existe deux types de détention. Mon enquête ne portait pas sur la détention suivant une condamnation, qui n'a fait l'objet d'aucune recommandation.
L'autre type de détention, c'est celle qui précède le procès. L'idée maîtresse du rapport, c'est qu'à la lumière de tous les témoignages entendus, personne n'aurait pu d'aucune façon saisir ce jeune au collet et lui dire : « Nous allons te garder en détention jusqu'à ton procès parce que nous n'en pouvons plus. » D'un autre côté, le procès doit aussi se tenir le plus tôt possible.
En résumé, c'est l'objectif de ma recommandation sur la détention avant le procès. On ne peut pas laisser filer un jeune qui fait face à 38 accusations, sans quoi il sera certain de ne jamais se faire coincer. Il croira que tous ces propos sur la justice en cours de procès ne sont que des paroles futiles. De cette façon, il aurait pu être arrêté.
Dans ce cas, vous vous demandez sûrement pourquoi je propose d'assouplir la détention avant le procès. C'est très simple. Je voulais entrebâiller un peu la porte sans l'ouvrir complètement, car je sais que les tribunaux appliquent la loi au pied de la lettre. J'étais sûr que si la porte était entrouverte, on ne ferait pas mauvais usage de la détention avant le procès.
Le Canada a signé la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qui accorde la priorité absolue à l'intérêt supérieur de l'enfant dans les domaines administratif, juridique, juvénile ou autre. Par conséquent, toute modification apportée à la loi doit respecter l'intérêt supérieur de l'enfant, car il s'agit d'une priorité absolue.
J'avais l'impression que mes recommandations protégeaient l'intérêt supérieur du jeune en question, car il aurait ainsi pu comprendre que la société n'endurerait pas sa conduite et ne le laisserait pas voler des voitures une nuit sur deux ou trois. Ce jeune arrivait à démarrer une Dodge Neon plus rapidement que vous le feriez à l'aide d'une clé. Il en avait des tonnes.
La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant est incluse dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui tient compte des droits particuliers et des privilèges des enfants, entre autres.
Avant de pouvoir modifier la loi, il faut accepter les principes sur lesquels repose le système de justice pénale pour les adolescents, comme l'adolescence. En vertu de la loi, il s'agit de la période correspondant à l'âge de 12 à 18 ans. Compte tenu des études, les professionnels s'entendent désormais pour dire que cette période est marquée par l'insécurité et la vulnérabilité, ainsi que par un sens des responsabilités, un tempérament et un sens moral qui ne sont pas développés. L'adolescence regroupe donc tous ces éléments. Vous devrez y réfléchir dans quelques minutes. Vous devez reconnaître que l'adolescence fait partie des principes à l'origine de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
De plus, à la lumière de l'expérience acquise au fil des ans, la détention n'est pas la solution. C'est pour cette raison qu'on a modifié la loi de façon à empêcher cette pratique à tout prix. Certains disaient à la blague que personne ne risque la détention avec cette loi. C'était ainsi.
Comme je l'ai dit, mon rapport portait sur un jeune ayant échappé à 38 accusations. À la lecture des articles 29 et 39 de la loi, on comprend rapidement que le jeune ne pouvait d'aucune façon être gardé en détention. En décembre, lorsqu'il a été traduit en justice pour répondre de ses actes, le juge a examiné toute la question de la détermination de la peine pour les adolescents, puis est parvenu à la conclusion qu'il ne pouvait absolument pas autoriser la détention du contrevenant; et il avait bien raison.
Qu'ai-je fait? Tout d'abord, j'ai entendu environ 55 témoins, y compris des témoins de l'enquête policière, des procureurs, des travailleurs sociaux, des enseignants et des policiers. J'ai écouté le témoignage d'un éventail complet de professionnels, que ce soient des responsables de maison d'enfants ou des travailleurs en santé mentale. Le plus intéressant, c'est qu'aucun d'entre eux n'a vraiment parlé contre la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. J'étais un peu surpris de constater qu'ils étaient tous en sa faveur, mais surtout d'apprendre que la loi fonctionne vraiment. Telle qu'elle est, la loi est efficace auprès de plus de 95 p. 100 des jeunes.
La loi permet aux policiers d'aller porter les jeunes chez eux et de leur dire qu'ils auront de gros problèmes s'ils se font encore prendre la main dans le sac, alors il vaudrait mieux ne pas recommencer; la plupart du temps, cette tactique porte ses fruits. Certains jeunes recommencent, mais dans ce cas, ils sont pris en charge autrement. Ces jeunes ont désormais accès à un grand nombre de services sociaux, qui, pour la plupart, sont efficaces et fonctionnent bien.
Pendant les audiences sur le jeune en question, j'ai appris qu'on le considérait comme un grand délinquant, et des témoins m'ont dit qu'il y en a toujours 30 ou 35; ils cherchaient un moyen de leur mettre la main au collet et de commencer par lui imposer une peine peu sévère, peut-être suivie d'un programme de réadaptation, car si un individu sait que ses gestes seront punis, il se réadaptera bien plus facilement.
J'étais convaincu que les instances supérieures empêcheraient mes recommandations de prendre une ampleur démesurée. J'ai bien pris soin de ne proposer aucun libellé de modification. J'ai voulu laisser la tâche aux rédacteurs. J'ai formulé des recommandations sur certains articles, dont l'article 3, pour lequel je proposais de substituer l'expression « protection du public » à l'expression « protection durable du public ». Je ne sais pas vraiment ce que cela signifie, mais ce serait qu'il ne faut pas se montrer trop sévère puisque ce n'est pas garant de la protection durable.
Quoi qu'il en soit, j'ai donc laissé aux rédacteurs le soin de modifier le libellé. L'article 29 intégrait l'article 515 du Code criminel à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, et je suis d'accord avec la modification. Je trouve que c'est une bonne chose. Les modifications apportées à l'article 39 définissent la nature des infractions, alors qu'auparavant, l'article ne mentionnait que l'infraction avec violence. De plus, une modification inclut désormais les infractions qui mettent en danger la population d'une manière ou d'une autre. Je ne connais pas le libellé exact, mais c'est l'idée maîtresse de la modification, et je suis d'accord. C'était nécessaire, car l'article 29 renvoie à l'article 39, et si l'infraction en question n'apparaît pas à l'article 39, on ne peut imposer une peine en vertu de l'article 29; c'était un cercle vicieux.
C'est la raison pour laquelle je n'ai rien suggéré. J'appuie ces changements. Cependant, je n'appuie pas bon nombre des autres changements proposés. Il faut les prendre individuellement et se demander s'ils sont dans l'intérêt fondamental de l'enfant. Si ce n'est pas le cas, il ne faudrait pas les apporter. Ils ne devraient pas figurer dans la loi.
Je ne parlerai pas des autres choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord, mais je dirai simplement que je m'oppose à ce que les termes dénonciation et dissuasion apparaissent dans la loi. Je ne crois pas que ce changement soit nécessaire, qu'il soit dans l'intérêt fondamental de l'enfant ou qu'il aide à sa réadaptation.
Je m'oppose totalement à ce que les corps de police tiennent des dossiers à l'égard des mesures extrajudiciaires. À mon avis, cette pratique donnera lieu à un cauchemar bureaucratique qui ne servira pas l'enfant. Au contraire, cela nuira à sa réadaptation.
Les peines applicables aux adultes me posent problème, et je vais vous dire pourquoi, car certains vont me rappeler l'affaire A.B. Son vrai nom a été rendu public. Il a été incarcéré après avoir été reconnu coupable et, si je ne m'abuse, il a reçu la peine maximale pouvant être imposée à un enfant. Il avait 16 ans lorsqu'il a commis son infraction et probablement 17 ans lorsqu'il a été reconnu coupable. Les choses allaient bien pour lui au centre de détention pour jeunes de Waterville, en Nouvelle-Écosse. Je lui ai rendu visite et discuté avec les responsables.
Si j'avais un enfant et que celui-ci était envoyé dans un centre de détention, j'aimerais que ce soit à Waterville, et ce, le plus rapidement possible, car les gens là-bas font tout ce qu'il faut. Ils enseignent aux détenus. Oui, les jeunes doivent être disciplinés et respecter un horaire précis. Mais ce jeune homme est arrivé au centre alors qu'il était en huitième année et environ un an et demi plus tard, lorsque je lui ai rendu visite, il avait terminé sa 10e année. Il avait également franchi toutes les étapes menant à l'attestation de sauveteur de la Croix Rouge, sauf la dernière, qu'il prévoyait franchir. Il avait appris à jouer de la guitare et s'était mis à la lecture. On parle d'un enfant qui souffrait d'hyperactivité avec déficit de l'attention et qui était incapable de lire quoi que ce soit. En 8e année, il avait le niveau de lecture d'un étudiant de 5e année. Il s'était mis à lire et lisait du Zane Grey. Je lui ai dit : « C'est excellent. Si tu peux lire du Zane Grey, tu pourras lire quelque chose de plus difficile. » Il prévoyait aussi suivre une formation et aller travailler dans l'ouest du pays.
Puis, lorsqu'il a eu 18 ans, ou peu de temps après, je ne suis pas certain, il a été transféré à un pénitencier fédéral pour purger le reste de sa peine. Le résultat fut désastreux. Après sa libération, il a commis de nombreuses infractions. Il ne s'est jamais rendu dans l'ouest du pays pour devenir électricien, comme il le souhaitait. Il a été mis en état d'arrestation trois ou quatre fois pour des infractions plutôt mineures. À mon avis, ce que l'on fait avec les jeunes contrevenants qui n'ont pas terminé de purger leur peine lorsqu'ils atteignent l'âge de 18 ans constitue un des plus gros problèmes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Un pénitencier fédéral est un environnement épouvantable pour un jeune homme.
On lit des choses sur ce qui se passe dans ces pénitenciers, puis on les oublie. J'imagine qu'on se dit que ces choses-là arrivent, mais personne n'y prête attention. Je crois que c'est la raison pour laquelle A.B. a eu des ennuis après sa libération. Je crois qu'il a oublié les bienfaits de sa réadaptation au centre de détention pour jeunes.
Cela dit, tout ce que l'on peut faire lorsqu'on analyse un amendement, c'est de se demander si celui-ci est dans l'intérêt fondamental des enfants. C'est la norme que le gouvernement devrait adopter. C'est la norme qu'il a dit qu'il adopterait. Je ne veux pas m'en prendre au gouvernement au pouvoir. Peu importe qui est au pouvoir, la situation demeure problématique. Le gouvernement doit faire ce qui est dans l'intérêt fondamental de l'enfant.
Le président : Votre témoignage est très utile, monsieur Nunn. Nous allons maintenant amorcer la série de questions.
Le sénateur Fraser : Nous avons entendu, plus tôt, le témoignage d'une avocate de l'aide juridique qui travaille uniquement avec des jeunes jugés en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Elle a parlé de ce que certains d'entre nous considèrent être le sujet principal de votre rapport, soit la phase précédant l'instruction, la période présentencielle et la mise en état d'arrestation. Une disposition importante du projet de loi porte sur ces éléments. Je croyais que celle-ci avait été rédigée de façon à éviter que les autorités ne mettent n'importe qui en état d'arrestation et qu'ils se concentrent sur ceux qui le méritent.
À la lumière de votre rapport, je crois que ceux qui le méritent sont ceux ayant des comportements violents, très dangereux ou à risque. Selon l'avocate, ça ne fonctionnera pas ainsi, car la première chose que précise ce projet de loi, c'est que le jeune contrevenant doit avoir commis une infraction grave ou être un récidiviste. En vertu de ce projet de loi, une infraction grave est un acte criminel passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans ou plus. Selon l'avocate, on n'obtiendrait pas le résultat souhaité.
Êtes-vous d'accord avec elle?
M. Nunn : Oui. Le problème avec la loi actuelle et les changements proposés, c'est que l'ajout d'un seul mot entraîne des interprétations différentes. Avec l'emploi du mot « grave » dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, c'est coulé dans le béton.
J'ai encore un problème avec ceux qui croient que la détention avant l'instruction et la détention après la déclaration de culpabilité sont la même chose. Ce n'est pas la même chose. Il s'agit d'une détention dans les deux cas, mais elle est de courte de durée pour le premier. Le contrevenant peut demander à être libéré sous caution. Le tribunal peut alors revoir sa position dans le dossier en question. L'ajout de contraintes n'est pas la solution. J'aimerais que le mot « grave » soit retiré. Pourquoi ne pas tout simplement parler d'une « infraction en vertu de l'article 39 »?
Le sénateur Fraser : Ou « avec violence »?
M. Nunn : L'article 39 traite des infractions avec violence.
Le sénateur Fraser : Pardonnez-moi. Je voulais parler des définitions.
M. Nunn : Si les changements proposés sont adoptés, il serait question d'infractions préjudiciables ou pouvant causer préjudice au public en général. La plupart des gens n'y voient aucun inconvénient, mais il faut analyser les cas individuellement. Par exemple, un jeune vole une voiture et roule à 150 kilomètres-heure en pleine ville où la limite de vitesse est de 50 kilomètres-heure, causant sur son passage toutes sortes de dommages. De quoi est-il coupable? De vol de voiture. C'est insensé. En vertu du projet de loi, même s'il heurte quelqu'un, il pourrait ne pas être reconnu coupable d'infraction avec violence. Il a conduit une voiture à haute vitesse, et cela n'est pas considéré comme une infraction avec violence. C'est une question d'interprétation et ça ne devrait pas l'être.
Le sénateur Fraser : Il faut apporter certains ajustements.
Ma prochaine question porte sur la définition de « infraction avec violence » proposée dans ce projet de loi. L'expression revient souvent. Selon le projet de loi, une infraction avec violence est une infraction commise par un adolescent dont l'un des éléments constitutifs est l'infliction de lésions corporelles.
Certains nous ont dit qu'il serait approprié d'ajouter une notion de conscience à cette définition, c'est-à-dire que le jeune contrevenant savait ou aurait dû savoir que son geste causerait ou pourrait causer des lésions corporelles. Cette suggestion a attiré mon attention, car nous savons tous que les jeunes font parfois des folies qui peuvent causer accidentellement des lésions corporelles sans que ce soit leur intention ou qu'ils aient même envisagé une telle éventualité.
Un de mes collègues a dit : « Nous lancions des balles de neige lorsque nous étions jeunes. » Si un jeune lance une balle de neige en direction d'un autobus et frappe au passage une vieille dame à la tête, est-ce que ce serait considéré comme une infraction avec violence en vertu du projet de loi ou est-ce que ça devrait l'être?
M. Nunn : Je ne crois pas qu'il faudrait considérer cela comme une infraction avec violence. Pouvez-vous répéter la suggestion qu'on vous a faite?
Le sénateur Fraser : Ajouter l'élément de conscience ou d'intention. Mais, même un adolescent devrait comprendre que s'il pose un tel geste, il risque de blesser quelqu'un.
M. Nunn : En ajoutant cet élément, vous risqueriez d'engendrer de grandes inégalités partout au pays. Aussi, vous vous éloigneriez de la notion d'adolescence. Ils ne sont pas assujettis au même niveau de responsabilité morale que les adultes.
À Halifax, deux jeunes garçons se préparaient à cambrioler un magasin. Un d'eux avait une carabine de calibre .22. Soudainement, un des jeunes a pris la carabine et fait feu sur un homme qui marchait près d'eux sur le pont. L'homme en question est décédé.
Le tribunal va-t-il se demander quel était le niveau de conscience de l'adolescent?
Le sénateur Fraser : J'aurais pensé que l'acte de faire feu lui-même donnait la réponse.
M. Nunn : On parle d'adolescents âgés de 14 ou 15 ans. J'ai beaucoup de difficulté avec cela. J'ai de la difficulté à accepter l'idée d'imposer à des jeunes des peines applicables aux adultes, sachant ce que c'est que d'être adolescent. Ce que je dis, c'est qu'il faut tenir compte de cela. La loi actuelle a été conçue de façon à pouvoir traiter les problèmes des adolescents en fonction de leur réalité. On voudrait maintenant imposer à un jeune de 14 ans une peine applicable aux adultes?
J'ai beaucoup de difficulté à accepter certaines des propositions formulées. Je le répète, je ne suis un pas un spécialiste, mais je crois qu'il y a parfois trop de spécialistes d'impliqués dans le processus. Je crois que c'est le bon sens qui devrait prévaloir. On ne peut pas dire qu'un adolescent de 14 ou 15 ans a moins de responsabilités morales pour ensuite l'accuser d'une infraction stupide et typique de la part d'un adolescent et lui imposer une peine applicable aux adultes. Ce serait ignorer toute la section de la loi qui le protège en raison de la nature de l'infraction. C'est la nature de l'infraction qui fait la une des journaux. Après le début de l'enquête à laquelle j'ai participé dans l'affaire que j'ai soulevée plus tôt, les journaux ont eu suffisamment de matériel pour en parler tous les jours pendant un an ou un an et demi.
Le président : Monsieur Nunn, beaucoup de sénateurs voudraient intervenir. Je sais qu'ils feront leur possible pour être brefs.
M. Nunn : Je vais essayer, moi aussi, d'être bref.
Le président : Nous sommes très intéressés d'entendre ce que vous avez à dire.
Le sénateur Runciman : Merci, monsieur Nunn, d'avoir accepté notre invitation. Nous vous en sommes tous très reconnaissants. Dans votre déclaration, vous avez dit que, dans le cas de certains jeunes contrevenants, il faudrait les retourner chez eux après leur avoir servi un sérieux avertissement. Ensuite, s'ils récidivent, ils pourraient se voir imposer une peine d'emprisonnement ou une peine plus sévère. Selon vous, cela pourrait avoir un effet dissuasif. Je me suis rendu compte par la suite que vous étiez peut-être mécontent que ce projet loi propose de redonner aux juges le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des objectifs de dissuasion ou de dénonciation dans la détermination de la peine. Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails? D'un côté, vous dites que la peine d'emprisonnement pourrait avoir un effet dissuasif, et de l'autre côté, vous trouvez inquiétant que le projet de loi propose d'en tenir compte.
M. Nunn : C'est vrai, j'ai dit cela. Pour répondre à la première partie de votre question, il y a de nombreuses étapes qui suivent le renvoi à la maison de l'enfant. Le policier et le procureur peuvent faire d'autres démarches. Ce dernier peut dire au jeune quoi faire et quand le faire s'il ne veut pas se retrouver devant les tribunaux.
Je ne veux pas offenser quiconque, mais, à mon avis, la dissuasion n'est pas dans l'intérêt fondamental de l'enfant. Il s'agit d'une mesure punitive. Peut-être que ça l'empêchera de récidiver, et peut-être pas. Au cours de mes nombreuses années en tant que juge, j'avais l'habitude de dire que la dissuasion a deux objectifs : dissuader l'individu, le criminel reconnu, et dissuader les autres de commettre la même infraction. Je l'ai répété si souvent que, après un certain temps, je n'y croyais plus. Je ne crois pas que l'esprit criminel fonctionne de cette façon. Disons qu'un homme braque une banque, qu'il est reconnu coupable et qu'il se voit imposer une peine d'emprisonnement. Habituellement, en Nouvelle- Écosse, un tel crime était passible d'une peine de cinq ou six ans. Un autre individu va se dire : « Je suis plus intelligent. Je vais voler la banque, et je ne me ferai pas prendre. » Le fait que l'autre individu ait été envoyé en prison ne constitue pas pour lui un élément dissuasif. Je ne crois plus en la notion de dissuasion. Je crie peut-être dans le désert, car les tribunaux doivent trancher et c'est l'approche qu'ils adoptent à l'égard des adultes. Je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt fondamental de l'enfant que l'on tente de réadapter d'utiliser une peine d'emprisonnement à titre de mesure dissuasive. Ce qui risque de se produire, c'est que le juge lui imposera une peine de trois ans plutôt que de deux ans en espérant qu'elle aura un effet dissuasif sur les autres.
Le sénateur Runciman : Vous êtes donc en désaccord avec le principe de la discrétion judiciaire.
Si je ne m'abuse, vous avez parlé dans votre déclaration des mesures extrajudiciaires. Avez-vous dit que vous êtes en désaccord avec cet élément du projet de loi? Je ne suis pas certain d'avoir bien entendu. Je fais référence ici à l'obligation de tenir un dossier.
M. Nunn : Non, je le suis vraiment.
Le sénateur Runciman : Vous soutenez cet élément ou non?
M. Nunn : Je ne le soutiens pas. Je ne le comprends pas.
Le sénateur Runciman : Plus tôt aujourd'hui, le chef adjoint d'Halifax est venu nous dire que le service de police d'Halifax conserve de tels dossiers.
M. Nunn : J'admire beaucoup M. McNeil. Je crois qu'il était présent chaque jour de mon enquête. Il s'intéresse beaucoup aux jeunes. Toutefois, il a l'esprit d'un policier, et les policiers fonctionnent avec des dossiers. Nous nous penchons sur la situation. Si vous conservez des dossiers sur les jeunes, pourquoi ces derniers accepteraient-ils de faire de la réadaptation s'ils savent que, peu importe ce qu'ils font, ils ont un dossier et quelqu'un peut s'en servir pour leur causer plus d'ennuis.
On parle ici de jeunes âgés de 12 à 18 ans. Selon moi, avec des jeunes de cet âge, il faut se concentrer sur l'infraction. On ne tient compte de son dossier que s'il a été reconnu coupable d'une série d'infractions graves. C'est alors qu'il a un dossier, puisqu'il aura été devant un tribunal pour adolescents. Vous vous imaginez le cauchemar si les policiers conservent de tels dossiers? Selon la police, 95 p. 100 des cas sont réglés de façon extrajudiciaire, c'est-à-dire, sans avoir recours à la loi. Si vous conservez tous ces dossiers...
Le sénateur Runciman : Les corps policiers semblent croire qu'ils sont utiles. Selon M. McNeil, les changements proposés sont des réformes modestes et ciblées. À son avis, cela n'entraîne pas systématiquement l'incarcération, qui est plutôt assujettie à de nombreuses restrictions. Je voulais simplement que vous sachiez ce qu'il a dit.
Vous avez également fait référence à votre recommandation concernant la protection du public, recommandation que le gouvernement a accueillie, et au retrait de l'expression « longue durée ». Le Québec, notamment, s'est dit préoccupé par cette expression. Pourriez-vous nous donner plus de détails? Je n'arrive pas à comprendre les préoccupations du Québec à cet égard. J'imagine que l'on croit que cela éliminera l'aspect réadaptation pour les jeunes contrevenants. Selon moi, les engagements envers la réadaptation, tant à court terme qu'à long terme, sont maintenus.
M. Nunn : C'est le chef adjoint McNeil qui a vraiment fait valoir ce point lors de son témoignage dans le cadre de mon enquête et dans les documents qu'il a fournis. Comme je l'ai dit, je l'admire beaucoup. Ce n'est pas un policier ordinaire. J'ai accepté cette notion, car en tant que juge, lorsque vous étudiez les options qui s'offrent à vous, vous considérez les infractions et l'article 3 en vous disant : « Cette loi a été conçue pour les jeunes et leur réalité, mais aussi pour protéger le public à long terme. » Je crois que les juges de la Cour suprême du Canada se sont penchés sur l'expression « longue durée » et celle-ci ne leur plaisait pas. Enfin, ils aimaient l'expression, puisqu'ils ont adopté l'approche la plus draconienne possible au problème auquel ils étaient confrontés.
Je ne crois pas que cette expression soit un problème. C'est comme les dispositions générales d'une loi. Je suis maintenant commissaire à l'éthique, en Nouvelle-Écosse. Les dispositions générales de la loi disent, entre autres, que celle-ci vise à assurer que les membres de l'assemblée législative et les fonctionnaires se comportent de manière adéquate.
Toutefois, au tribunal, les dispositions générales vous aident à formuler votre décision, que ce soit dans le cadre du jugement ou de la détermination de la peine. Elles peuvent aussi avoir une autre utilité, par exemple, lorsque le procurer dit que l'accusé devrait être gardé en détention préventive et que l'avocat de la défense prétend le contraire. Vous pouvez lire les dispositions générales et vous dire : « La population est-elle à risque? Si j'ordonne de garder l'accusé en détention préventive, quel effet cela aura-t-il sur la protection du public? Par conséquent, dans ce dossier, je vais ordonner la liberté de l'accusé, puisque la population ne court aucun risque. »
Selon moi, ça va dans les deux sens. Je crois qu'il s'agit d'un bon changement à apporter à la loi.
Le président : Quand je vous entends dire cela, monsieur Nunn, je me rappelle le témoignage des familles de victimes que nous avons entendu un peu plus tôt. Il s'agissait de jeunes récidivistes ayant commis des infractions avec violence et qui n'ont pas été incarcérés ou l'ont été très peu de temps, qui ont tué leur enfant ou leur père. J'ai de la difficulté à comprendre comment l'incarcération ou la détention d'un individu faisant partie des 5 p. 100 — comme vous dites, 95 p. 100 des cas traités en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne posent plus problème, mais nous nous concentrons sur les 5 p. 100 qui restent —, comment l'incarcération donc ne permet pas de protéger les familles et le public. Je ne comprends pas.
M. Nunn : Premièrement, lorsque vous dites « ayant commis plusieurs infractions avec violence », vous devez vous assurer qu'il s'agit bien d'une « infraction avec violence » selon la définition. Il est difficile de convaincre les tribunaux qu'il s'agit bien d'infractions avec violence. Un vol de voiture qui entraîne des gestes violents par la suite ne constitue pas une infraction avec violence.
Les pourcentages que je vous ai fournis ne sont pas nécessairement précis. Je crois que c'est un peu plus de 95 p. 100, peut-être 96, 97 ou 98 p. 100 des jeunes traités en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui ne posent plus problème. Ce sont plutôt les 2 ou 3 p. 100 des cas qui posent problème. Il y en a une trentaine en Nouvelle- Écosse et certainement plus de 30 en Ontario et au Manitoba, mais ils ne sont pas nombreux. Encore une fois, selon moi, la société a une grande soif de vengeance. La vengeance semble être la seule réponse. Elle entraîne — quelle est l'expression?
Le sénateur Fraser : La résolution du deuil?
M. Nunn : Oui, c'est cela. Je me souviens d'une affaire de meurtre dans laquelle j'étais le juge. Il s'agissait d'un colosse qui n'avait jamais eu d'ennuis. La victime avait eu une altercation avec un des amis de l'accusé dans une brasserie. L'accusé et son ami ont quitté les lieux. La bataille a éclaté entre un homme de petite taille et un autre de 6 pieds 2. L'accusé a sorti un couteau et a poignardé la victime et la lame s'est faufilée au bon endroit. Si je ne m'abuse, la victime est décédée 35 secondes plus tard. Au moment du prononcé de la peine, j'ai regardé dans l'audience et y ai vu une femme qui prenait des notes. J'ai dit : « Je vois que les médias sont présents. C'est une bonne occasion pour moi d'expliquer les problèmes liés à la détermination de la peine. » J'ai clairement expliqué cette étape du processus. Je me suis dit qu'au moins, le lendemain, il en serait question dans les journaux. L'article publié le lendemain disait que les parents étaient en désaccord avec la peine imposée. Selon eux, j'aurais dû imposer à l'accusé la prison à perpétuité. Ils voulaient qu'il paie pour ses gestes. Toutefois, l'article ne faisait aucune mention de mes explications concernant la détermination de la peine.
À mes yeux, la vengeance n'est pas un très bon motif.
Le président : Comme vous le savez, monsieur Nunn, les victimes et ce qu'elles éprouvent, c'est une chose. Mais les législateurs ne doivent pas en tenir compte.
M. Nunn : Vous ne pouvez pas élaborer une loi uniquement en fonction des victimes. Malheureusement, les victimes sont des gens lésés. J'imagine que vous pourriez rédiger une loi qui impose une peine supplémentaire ou une peine très longue pour un crime en particulier. Mais est-ce que ce serait dans l'intérêt fondamental de l'enfant? C'est de cela qu'il est question. C'est peut-être dans l'intérêt fondamental de la victime, mais pas dans celui de l'enfant.
Le sénateur Cowan : Bienvenue au comité, monsieur Nunn. Les rôles sont inversés. C'est la première fois que c'est moi qui pose des questions à un juge. Je suis très heureux que vous soyez ici. Votre point de vue est très important pour nous.
J'aimerais revenir sur la question de la discrétion judiciaire et des peines minimales obligatoires. Je suis convaincu que vous avez instruit des affaires où, après avoir donné des explications ou imposé une peine qui vous semblait adéquate dans les circonstances, les médias ont émis une opinion différente. Il y a sûrement des gens qui vous ont demandé comment vous avez fait pour tirer de telles conclusions. Vos collègues ont certainement eu des expériences semblables.
En tant que juge, vous qui devez analyser toute la preuve avant de rendre une décision, que pensez-vous de cette réaction? Est-ce préférable que la discrétion du juge soit limitée ou qu'elle soit moins limitée ou même sans limites? J'imagine qu'il faut qu'il y ait des limites. Est-ce préférable qu'elle soit moins limitée?
M. Nunn : Est-ce que vous parlez dans le cas des adultes?
Le sénateur Cowan : Je fais appel à votre expérience en tant que juge d'instance. Vous avez été témoin de nombreuses affaires en 22 ans.
M. Nunn : Vingt-deux ans, effectivement. Je ne crois pas que les peines minimales obligatoires soient la meilleure approche. Les juges sont nommés. Il y a quelques années, j'ai été président de l'organisation des juges. À l'époque, il devait y avoir environ 800 juges un peu partout au pays. Il y en avait peut-être deux ou trois, peut-être une demi- douzaine, devant lesquels je n'aurais pas voulu comparaître. Les autres étaient des magistrats efficaces et consciencieux. Je crois que les peines obligatoires ne tiennent pas compte des aspects individuels de chaque affaire. C'est facile de dire : « On impose la peine minimale. »
Je l'ai compris très tôt dans ma carrière de juge. Je devais juger un homme de race noire de 6 pieds 3 ou 6 pieds 4 accusé de vol. Le vol était survenu dans les toilettes d'une brasserie. Un homme est entré dans les toilettes et l'accusé lui a dit : « Donne-moi ton argent. » L'homme en question a répondu qu'il n'avait qu'un dollar sur lui. L'accusé a pris le dollar et l'homme est ressorti des toilettes. L'homme est allé voir son frère qui l'accompagnait et lui a dit qu'il s'était fait voler. Son frère lui a dit : « Je vais m'en occuper. » Il est allé dans les toilettes où l'accusé l'a approché et lui a dit : « Je veux ton argent. » Le frère de la victime a répondu qu'il n'avait qu'un dollar sur lui. L'accusé a pris le dollar et il a été accusé de vol.
L'accusé avait 34 ans. Il avait un emploi régulier comme ouvrier et gagnait un revenu décent. Il vivait avec sa mère dans un appartement d'Halifax et prenait soin d'elle. Je ne me souviens plus s'il avait plaidé coupable ou non.
Donc, j'ai cet homme devant moi, et je me demandais bien quoi faire de lui. Selon la Cour d'appel, un vol entraîne automatiquement une peine d'au moins trois ans, une sorte de peine minimale. Je ne voulais pas imposer une peine de trois ans à cet accusé. Donc, je l'ai condamné avec sursis et l'ai mis sous probation pour une période de six mois à un an. Je croyais avoir bien fait. L'accusé pouvait rester à Halifax pour travailler et aider sa mère et il se retrouvait sans casier judiciaire. La Couronne a porté l'affaire en appel. C'est mon ancien partenaire qui était juge en chef à l'époque. Il a jugé que j'avais fait erreur et a imposé à l'accusé une peine d'emprisonnement de trois ans à purger dans un pénitencier.
Qu'est-il arrivé à cet homme? L'accusé a perdu son emploi et j'ignore ce qu'est devenue sa mère. De toute évidence, elle s'est probablement tournée vers l'aide sociale. Mais, qu'est-ce que cela a donné? Le problème avec les peines minimales, c'est que chaque individu qui se présente devant les tribunaux est différent. Ils ont tous des caractéristiques différentes et vivent tous des situations différentes.
Je ne comprends pas pourquoi on nommerait un juge pour ensuite lui dire ce qu'il doit faire. Le problème, c'est que les peines sont de plus en plus légères. Je m'arrachais les cheveux à l'époque pour déterminer la peine à imposer à un accusé. Je lui donnais une peine de six ans, et il était libéré après un an et demi ou deux ans. Je lui donnais un an, et il était libéré trois mois plus tard. Ce n'est pas ma faute, mais je ne crois pas que les peines minimales vont régler la situation. Tous les accusés vont être mis dans le même panier.
Le président : Honorables collègues, six sénateurs souhaitent poser des questions au juge Nunn, et il ne nous reste qu'une demi-heure. Gardez ce fait à l'esprit. Monsieur Nunn, je vous saurais gré d'en tenir compte également lors de vos réponses.
Le sénateur Lang : Le sénateur Runciman a parlé de certains des témoins plus tôt aujourd'hui, et je l'ai dit à quelques reprises. La tendance commune semble indiquer que le public ne fait pas confiance au système judiciaire en général. Quelles qu'en soient les raisons, ce phénomène ressort clairement au fil de nos séances.
Vous avez effleuré la question quand vous avez évoqué le fait que les délinquants à qui vous imposez des peines de cinq ou six ans retrouvent leur liberté après 16 ou 18 mois. C'est là, je crois, un des problèmes inhérents.
M. Nunn : C'est de la commission des libérations conditionnelles dont il s'agit.
Le sénateur Lang : Je ne remets pas ce fait en question et je comprends comment le système fonctionne. N'empêche que Monsieur Tout-le-monde, qui pensait que le délinquant passait six ans derrière les barreaux, est estomaqué de voir ledit délinquant se présenter chez lui 16 mois plus tard. Et après, on se demande pourquoi la population ne fait pas confiance au système judiciaire.
De plus, en ce qui concerne le principe de dissuasion, je crois que la plupart des gens ne réclament pas vengeance, mais considèrent que les coupables doivent assumer les conséquences de leurs actes. Les pénitenciers sont là pour cela. À quoi bon avoir des prisons si ce n'est pour avoir un effet dissuasif? On accorde à tous une libération conditionnelle et on agit en conséquence. Mais ce n'est pas ainsi que les choses se passent dans le monde réel.
Vous vous êtes beaucoup investi dans cette affaire, cette véritable tragédie provoquée par un jeune. Vous avez indiqué qu'au fil du temps, il avait fait l'objet de 38 chefs accusation, mais comme le système judiciaire ne s'occupait pas de son dossier, il passait son temps à entrer en prison et à en sortir. Toute cette situation n'est, à dire vrai, pas de sa faute.
Selon moi, un des problèmes fondamentaux qui se posent ici, c'est que les dossiers ne sont pas traités rapidement, ce qui permet à la situation de perdurer. Il me semble que les gens tels que vous, qui connaissez bien le système et ses rouages, devraient formuler des recommandations sur la manière d'accélérer le processus judiciaire pour que justice soit faite, au vu et au su de tous. Si on s'était occupé de ce jeune dès le départ, il ne serait peut-être pas dans sa situation actuelle.
Je me suis rendu au tribunal de la jeunesse. Je ne vous relaterai pas mon expérience en détail, mais je peux vous affirmer que les jeunes qui sont à l'évidence des habitués de l'endroit, ces 35 multirécidivistes qu'on trouve partout, que ce soit au Yukon ou en Nouvelle-Écosse, n'ont aucun respect pour la loi.
Peut-être pourriez-vous nous en dire davantage sur la manière dont nous pourrions remanier le système de justice pour pouvoir traiter sans délai les dossiers de ces jeunes dans l'espoir d'éviter de nouveaux drames?
M. Nunn : Je l'ai fait dans le rapport. Je souhaitais que la police perde l'habitude de dire aux jeunes : « Regarde, je t'ai pris en flagrant délit; maintenant, je veux que tu reviennes en cour le 10 juin pour ta comparution. » Pour un jeune pris sur le fait en février, le 10 juin, c'est dans une éternité. Comme l'a souligné un autre témoin, le jeune n'envisage pas l'avenir au-delà de la fête organisée vendredi soir, puis du prochain vendredi. Il aborde la vie une semaine à la fois. Voilà où le bât blesse.
Dans le rapport, j'indique que la mise en accusation et la comparution devraient avoir à lieu en l'espace d'une semaine. Quelqu'un devra en payer le prix, mais le processus est sensé être assez rapide.
On m'a dit que toutes les recommandations ont été acceptées et qu'on s'emploie à les appliquer en Nouvelle-Écosse. Je présume donc qu'on fait quelque chose. Je leur ai proposé le système anglais, qui améliore considérablement le temps d'intervention auprès du jeune. Je crois qu'on travaille à améliorer la situation.
Je conviens avec vous que si l'on demande à un jeune de revenir dans trois mois, il s'imaginera qu'il ne comparaîtra jamais.
Le sénateur Lang : Je veux continuer à examiner la question, car je crois que c'est important. Si on veut accélérer les procédures judiciaires pour que les intéressés comparaissent dans un délai d'une semaine et qu'une décision soit rendue à l'intérieur d'une ou deux semaines, ne faudrait-il pas modifier également ces procédures pour y arriver?
M. Nunn : Oui.
Le sénateur Lang : Mais encore?
M. Nunn : Il faudrait peut-être affecter plus de juges au tribunal de la jeunesse. Je doute qu'il y en ait 400 qui se présentent d'ici une semaine. Il y aura probablement une période de transition au cours de laquelle il faudra peut-être trois semaines ou un mois pour régler les dossiers, mais le processus prendra de la vitesse jusqu'à ce qu'il atteigne le rythme désiré. Voilà comment on devrait procéder.
Le président : Merci de votre réponse.
Le sénateur Baker : Il conviendrait également d'accroître le nombre d'agents de police pour leur permettre de témoigner en cour, en plus d'accélérer la divulgation d'information nécessaire dans les procès criminels. Ces démarches exigeront des ressources supplémentaires. Je ne suis pas certain qu'il soit possible d'agir en une semaine, monsieur.
M. Nunn : Ce n'est peut-être pas possible. À dire vrai, avant de venir ici, je n'ai pas beaucoup réfléchi aux propos que j'ai tenus il y a cinq ans, mais je sais que j'ai indiqué qu'il fallait accélérer le processus.
Le sénateur Baker : Monsieur, nous avons eu votre opinion et celui d'un autre juge. Vos propos sont une véritable bouffée d'air frais. Malheureusement, les gens vous attribueront la paternité des modifications apportées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, car elles figurent dans votre rapport. Vous avez toutefois pris une bonne distance à l'égard de certaines mesures que nous examinons aujourd'hui.
M. Nunn : En effet.
Le sénateur Baker : Certaines d'entre elles trouvent-elles grâce à vos yeux?
M. Nunn : J'approuve celles qui portent sur la protection du public, soit les articles 29 et 39 sur les infractions avec violence, car les définitions actuelles constituent un vrai casse-tête. J'ignore s'il y a autre chose. Je m'oppose certainement à la dissuasion et à la dénonciation.
En ce qui concerne la dénonciation, l'infraction, de par sa nature même, constitue une dénonciation. Je suis contre l'imposition de peines pour adultes, particulièrement à des jeunes de 14 ans. Si vous décidez d'aller de l'avant, je vous suggère d'ajouter une disposition obligeant le poursuivant à prouver que l'inculpé n'est pas aussi adolescent qu'il en a l'air, et de le faire hors de tout doute raisonnable et non selon la prépondérance des probabilités.
Le sénateur Baker : Oui, hors de tout doute raisonnable. J'aimerais éclaircir un point concernant le nombre d'infractions, en supposant, par exemple, que quelqu'un fasse l'objet de 30 chefs d'accusation. Contrairement à ce qui se faisait il y a 20 ans, il faut maintenant examiner attentivement les accusations pour déterminer le nombre de délits réellement commis. Ai-je raison d'affirmer que pour chaque délit, chaque infraction qui aurait donné lieu à un chef d'accusation il y a 20 ans, on peut en porter six ou sept aujourd'hui?
M. Nunn : Oui.
Le sénateur Baker : Quelqu'un peut avoir un casier judiciaire de 10 ou 15 pages, mais avoir commis toutes les infractions en deux fois. Pour que le grand public comprenne ce qu'il en est, quand quelqu'un commet un certain nombre d'infractions, il est présumé innocent quand il est accusé et comparaît pour la première fois dans un délai de 24 heures, conformément au code. Puis, si l'infraction n'est pas punissable par mise en accusation, la pratique courante veut qu'une fois qu'il est accusé, même si c'est au poste de police, l'agent doive le libérer sur promesse de comparaître, sans même qu'il ait à voir un juge.
Malheureusement, le public en général, et parfois nous-mêmes, comprenons mal toutes ces facettes, l'importance de certains de termes et ce qui se passe dans les faits.
C'est ce sur quoi porte ma question. Je considère que vous avez accompli un travail formidable et je vous en félicite.
Le président : Est-il d'accord?
Le sénateur Baker : Je vous souhaite la meilleure des chances dans l'avenir. J'espère que vous êtes d'accord avec moi.
M. Nunn : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Nunn, c'est un privilège de vous entendre cet après-midi. Je peux vous assurer que toutes les victimes ou les proches de victimes, moi compris, ne sont pas chargés de colère ni de vengeance. Vous avez amené une réflexion intéressante que je fais moi-même depuis des années, à savoir : les différentes instances ne travaillent-elles pas trop en silo?
J'ai déjà comparé la gestion de notre criminalité à la situation d'un jeune de 15 ans atteint d'un cancer qui est soigné par un premier médecin et qui, lors de récidives à 24 et 40 ans, se fait soigner par des médecins différents chaque fois; le deuxième médecin ne voit pas le dossier médical du premier et le troisième ne voit pas ceux des deux premiers. J'ai l'impression que nous gérons notre criminalité un peu de la même façon. Un jeune criminel passe trois ou quatre ans dans un centre jeunesse et, lors de sa sortie, son dossier ne le suit pas. Il se retrouve plus tard dans une prison provinciale et on n'a pas accès à l'information concernant son cheminement criminel. Tout ce que nous savons, c'est le type de crime pour lequel il a été trouvé coupable. Ensuite, il se retrouve dans un pénitencier fédéral et on recommence.
Avec toutes vos années d'expérience, n'y aurait-il pas lieu de réfléchir à des moyens pour intégrer davantage les outils dits de répression — les centres jeunesse, les prisons —, pour mieux intégrer tous les programmes de réhabilitation? C'est comme si tous travaillent chacun de son côté.
[Traduction]
M. Nunn : En ce qui concerne les criminels adultes, les dossiers sont conservés et accessibles. Ils sont remis au tribunal. Quand quelqu'un est accusé d'une infraction quelconque, la GRC remet tout son dossier au procureur à l'aube du procès. Je n'y trouve rien à redire. Je m'objecte toutefois au fait que l'on propose de conserver les dossiers des jeunes contrevenants où sont consignés leurs arrestations, leurs remises en liberté, leurs comparutions et les procédures de justice réparatrice, bref, tout le déroulement de leurs démêlés avec la justice. Je considère qu'il ne faudrait pas conserver ces dossiers, d'abord et avant tout parce que ce n'est pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant.
Selon moi, cette pratique nuit à la réhabilitation du jeune, car le fait de savoir que toutes les étapes du processus sont consignées ne l'aide pas à corriger son comportement.
Le président : Voulez-vous poser une autre brève question?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Le nombre moyen de séjours dans les prisons du Québec, c'est sept fois. Dans une prison fédérale, c'est quatre fois. Je visitais récemment la prison de Donnacona. J'y ai découvert un tas de boîtes de carton contenant les dossiers des prisonniers qu'on n'avait jamais pris le temps de regarder.
C'est comme si le système reprenait à zéro la thérapie d'un malade sans regarder son dossier médical. Il y a quelque chose en termes d'intégration qui cloche, selon moi.
[Traduction]
Le président : Souhaitez-vous répondre à cette intervention?
M. Nunn : J'ignore si quelque chose cloche. C'est un problème. Par exemple, quand on a devant soi un accusé qu'on s'apprête à condamner, la première chose que l'on apprend, c'est que son père ou son oncle l'ont maltraité, engendrant ainsi toute une spirale de violence. Tôt ou tard, on finit par faire la sourde oreille à ce genre de récit. Au bout du compte, il y a tant de cas qu'on finit par ne plus voir que des dossiers au lieu de personnes, si vous voyez ce que je veux dire.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Nunn, j'ai évidemment lu votre rapport et les recommandations que vous y faites concernant le processus et la responsabilisation. J'aimerais que vous nous disiez si, d'après votre expérience, nous devrions envoyer en prison les personnes atteintes de troubles mentaux?
M. Nunn : Vous voulez savoir si nous devrions les incarcérer? Je l'ignore. On pourrait dire que presque tous les délinquants que nous rencontrons souffrent d'un trouble psychiatrique quelconque, ce qui ne nous empêche pas de les condamner. Il n'y a pas d'autre endroit où les envoyer. C'est probablement la meilleure solution.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Nunn, en ma qualité d'ancienne avocate, j'ai discuté avec certains juges et je sais qu'ils trouvent souvent difficile d'établir une peine juste. C'est également ce que vous nous avez indiqué aujourd'hui. Les juges m'ont souvent affirmé qu'il n'existe pas de formule universelle pour la détermination de la peine. Or, je considère que l'imposition de peines minimales obligatoires constitue une manière uniformisée de traiter les délinquants. Nous savons que chaque délinquant est différent et se trouve dans une situation qui lui est propre. La peine que l'on imposerait au délinquant A sera très différente de celle que l'on donnerait au délinquant B dans les mêmes circonstances parce qu'il s'agit de deux personnes distinctes.
Considérez-vous qu'en réduisant la marge de manœuvre des juges, on accélérera ou ralentira le système judiciaire?
M. Nunn : Je ne suis pas favorable aux peines minimales obligatoires parce que j'ai vu à quel point une même infraction peut différer selon les circonstances. Une infraction commise par cinq personnes différentes constitue chaque fois une tout autre affaire. Je suis certainement opposé aux peines minimales pour adultes.
J'ignore comment les peines minimales s'appliqueraient si je commettais une infraction en vertu du Code criminel, mais je suis un jeune et mon délit est punissable d'une peine minimale. Je ne sais pas ce qui se passe au tribunal de la jeunesse en pareil cas. Tout ce que je puis dire, c'est que cela ne me plaît pas.
Le sénateur Angus : Votre honneur, vous nous apportez un véritable vent de changement aujourd'hui. Je vous sais gré de témoigner et de nous faire part de votre opinion.
Vous avez indiqué, à plusieurs reprises d'ailleurs, que vous étiez contre les principes de dissuasion et de dénonciation. J'ai besoin de comprendre un peu mieux cet aspect. Qu'entendez-vous par dénonciation? Je sais qu'il s'agit d'un terme technique, mais qu'y voyez-vous de mal?
M. Nunn : J'ai toujours été d'avis qu'il a pour effet d'inciter les juges à imposer des peines légèrement plus sévères qu'ils ne le feraient normalement, en tentant de plaire aux instances supérieures en montrant qu'ils appliquent les principes de dénonciation et de dissuasion. Le premier élément dissuasif, c'est l'infraction. On ne cambriole pas une banque pour le plaisir de commettre une infraction. Je ne crois pas qu'il existe autre chose ayant un effet dissuasif.
Le sénateur Angus : J'en conviens, mais en quoi consiste la dénonciation? On dénonce quelque chose. Ce n'est pas un principe que je connais bien.
M. Nunn : Il s'agit de dénoncer l'activité du jeune dans l'infraction qu'il a commise. On dénonce cette infraction précise.
Le sénateur Angus : En punissant le coupable?
M. Nunn : Eh oui. Je ne vois pas ce qu'on pourrait faire d'autre. Je crains que cette pratique n'ouvre la porte à l'augmentation du nombre de peines pour adultes infligées aux jeunes de 14 à 18 ans. J'espère que vous n'ouvrirez pas cette porte.
Le sénateur Angus : Vous avez également évoqué, à l'instar d'autres témoins, la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies. C'était au tout début de votre exposé, en parlant de ce que vous compreniez de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et de la manière dont elle protège les enfants. Avez-vous étudié les amendements que nous envisageons d'apporter au projet de loi C-10?
M. Nunn : Oui.
Le sénateur Angus : Selon vous, est-ce que le projet de loi dans sa forme actuelle pose un problème par rapport à la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies?
M. Nunn : Si on s'intéresse à l'intérêt supérieur de l'enfant, il convient de se demander comment le fait de préconiser la dénonciation et d'imposer des peines plus sévères à cette fin sert cet intérêt. En quoi la dissuasion favorise-t-elle l'intérêt supérieur de l'enfant? On peut dire à ce dernier qu'on lui impose une peine de trois ans, pour la bonne raison qu'on veut le dissuader de récidiver, mais ce n'est pas ce genre de dissuasion dont il s'agit. Il faut s'adresser aux tribunaux, qui vous indiqueront qu'il existe deux genres de dissuasion.
J'ai condamné quelqu'un dans une affaire de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort, mais c'était une situation abracadabrante dont je ne me souviens pas en détail. Le procureur m'a demandé de prendre en compte le principe de dissuasion, pas seulement en ce qui concernait l'intimé, mais aussi la société. Je lui ai répondu que j'accordais peu de foi à ce principe, qui n'a pas tellement d'effet. L'affaire a abouti en cour d'appel, laquelle a statué que l'éminent juge avait erré et que le principe de dissuasion était un facteur dont il fallait tenir compte.
Le sénateur Angus : Le tribunal a-t-il infligé une peine plus sévère?
M. Nunn : Oui, il l'a accrue.
À ma sortie de l'école de droit de Dalhousie, j'ai suivi un cours de criminologie à l'Université Harvard. Nous avons étudié toutes les facettes de la détermination de la peine. Comme je devais rédiger une dissertation, j'ai demandé au professeur de me proposer un sujet. C'était en 1958, et la Cour d'appel criminelle d'Angleterre a été instituée en 1908, il me semble. Elle existait donc depuis 50 ans. L'enseignant m'a suggéré d'écrire un rapport sur la contribution de ce tribunal au problème de la détermination de la peine. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce tribunal a commencé, en 1908, à parler de dénonciation et de dissuasion, et à évoquer d'autres principes semblables, et il ne les a jamais modifiés en 50 ans. Il a tout simplement continué de se répéter. Mon rapport sur la question a été bref, mais j'étais vraiment stupéfait.
Le sénateur Angus : Eh bien, les choses doivent changer maintenant. Je vous remercie beaucoup de l'aide que vous nous apportez. Il semble que nous ayons dépassé la portée de vos recommandations.
M. Nunn : Je dois cependant vous dire que concernant la cour d'appel, je n'avais pas toujours raison.
Le sénateur Frum : Monsieur Nunn, j'ai été fortement émue quand vous nous avez indiqué que les familles des victimes cherchent souvent à obtenir vengeance. Il se trouve, en effet, que nous avons entendu plus tôt aujourd'hui le témoignage de Line Lacasse, dont le fils de 17 ans a été tué par un groupe de 10 jeunes délinquants. Elle nous a expliqué que huit d'entre eux ont purgé moins de deux ans de prison et que deux, si je me rappelle bien, ont tenté de tuer quelqu'un d'autre peu après.
Son témoignage m'a bouleversée, car elle ne semblait absolument pas assoiffée de vengeance. Elle témoignait en faveur du projet de loi parce qu'elle se souciait de la sécurité publique et de la mise en place de mesures de prévention.
Elle n'agissait pas sous le coup de l'émotion. Elle croyait, je suppose, que si de telles mesures avaient existé, son fils serait peut-être encore vivant.
Je trouve donc difficile d'entendre dire que c'est dans un esprit de vengeance que les gens souhaitent l'imposition de longues peines.
M. Nunn : Je ne veux pas que vous croyiez que tout le monde crie vengeance dans toutes les situations. Je ne fais que remarquer que le public en général, que ce soit en réaction à une décision de la cour ou même dans la rue, considère que si quelqu'un agit mal, il mérite la potence. Plus le crime est grave, plus cette attitude est évidente. Nombreux sont ceux qui pensent qu'il est inutile de jeter le coupable en prison; il faut s'en débarrasser.
Je crois que bien des gens, qui cherchent ce que le sénateur Fraser a qualifié d'apaisement, pensent que le fait de punir le plus sévèrement possible le coupable leur permettra de trouver la paix. Cette quête est, selon moi, illusoire.
Je ne peux qu'admirer la femme dont vous avez parlé, car, malgré la terrible tragédie qu'elle a subie, elle est capable de chercher une bonne approche sociale. Je ne crois pas un seul instant que tout le monde cherche à se venger. Bien des gens réagissent autrement.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le juge. Vous avez parlé, plus tôt, du common sense qui doit prévaloir en matière de justice. Dans notre système, on offre des options aux jeunes délinquants même quand ils récidivent. D'un autre côté, on porte peut-être trop peu d'attention aux victimes, et peut-être se soucie-t-on parfois trop peu de la protection des citoyens en invoquant le fait que ces personnes sont encore des enfants.
Au lieu de parler de common sense, avec votre grande sagesse, pouvez-vous nous parler un peu du sens de la communauté?
[Traduction]
M. Nunn : Vous dites que ces personnes sont des enfants. Ce sont effectivement des enfants. Ce ne sont pas des adultes : ils ne pensent pas comme des adultes et ne sont pas responsables comme des adultes. Il faut composer avec le fait qu'ils existent et qu'ils sont comme ils sont.
J'étais juge à l'époque où on a proposé que les victimes préparent une déclaration où elles expriment ce qu'elles ressentent afin de la présenter au tribunal. Peut-être les gens éprouvent-ils un certain réconfort à pouvoir exprimer leurs sentiments et raconter leurs déboires, mais cette déclaration, dont je ne nie pas les mérites, n'a aucune incidence sur la détermination de la peine. Elle inspire un bel article dans la presse du lendemain. Le juge l'entend et la lit, mais n'impose pas de peine plus longue à cause des victimes.
J'ignore ce qu'on peut faire concernant les victimes dans le Code criminel ou la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, puisqu'il s'agit d'un aspect entièrement nouveau. On ne détermine pas la peine en fonction de la victime. Si la mère d'un enfant est abattue, on ne s'en prend pas à quelqu'un qui tue la mère de 10 enfants. Un meurtre est un meurtre, et la peine est prévue dans le code.
Je ne sais pas comment on peut agir à l'égard des victimes. Ce n'est pas que je ne m'en soucie pas : je sais ce qui les ronge. Seigneur, j'ai reçu des lettres, des télécopies et des courriels où on me conseille de faire pendre les responsables ou de préconiser le rejet de la mesure législative. C'est là un point de vue assez répandu.
Je crois qu'à long terme, vous devrez comprendre et accepter que c'est une excellente loi. Elle compte 200 sections complexes et a complètement transformé le système de justice pour les jeunes.
Aux États-Unis, les délinquants ont droit à trois chances avant de prendre le chemin de la prison. Quiconque se fait prendre à trois reprises avec une cigarette de marijuana est envoyé derrière les barreaux pour un bon bout de temps.
Notre système est, selon moi, excellent. Il m'a semblé qu'il nécessitait de menues interventions, et j'ai recommandé celles qui me semblaient pertinentes. Certaines de celles que vous étudiez ne sont pas aussi heureuses.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Si je comprends bien ce que vous dites, condamner n'est pas nécessairement bon pour la société?
[Traduction]
M. Nunn : Non, ce n'est pas ce que je dis. Je crois que la condamnation est automatique. Si quelqu'un est déclaré coupable, il faut lui infliger une peine.
Vous devez faire confiance aux tribunaux et aux juges pour appliquer une peine appropriée. Deux personnes peuvent commettre la même infraction, mais comme leurs situations ne sont pas les mêmes, elles peuvent mériter des peines très différentes.
Prenez par exemple l'histoire rapportée récemment dans les journaux sur cet individu qui avait sur son miroir une photo de lui en short, pistolet à la main. La police s'est présentée chez lui pour une autre raison, a vu la photo et a porté des accusations à son endroit. La peine minimale en pareil cas est de trois ans. Un juge a toutefois statué que cette peine ne devrait pas s'appliquer, car elle constituerait une mesure cruelle et inusitée. La loi n'a jamais visé à s'appliquer à ce genre de situation, mais je n'aimerais pas être à la place de l'intéressé.
Le président : Merci, monsieur Nunn. Vos propos, extrêmement intéressants, font ressortir les différentes opinions et le fait qu'il est difficile pour nous de trouver des réponses aussi proches de la perfection que possible afin d'assurer la protection de la société. C'est un objectif difficile à atteindre, et la question s'avère complexe. Les avis divergent, selon le point de vue d'où l'on se place. Nous respectons toutefois les efforts et le dévouement dont vous avez fait preuve à titre de juge.
Pour ce qui est des mesures que nous envisageons concernant le projet de loi C-10, que vous avez qualifiées d'interventions, celles que vous proposez sautent aux yeux, grâce à l'excellent travail que vous avez accompli dans le cadre de votre commission, et nous vous en félicitons. Merci.
Nous avons dépassé notre temps, mais comme vous avez pu le constater par nos questions, nous étions très intéressés à savoir ce que vous aviez à dire. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d'avoir comparu, monsieur Nunn.
M. Nunn : Merci de m'avoir convoqué.
Le président : La séance est levée. Nous reprendrons nos travaux à 8 h 30 demain.
(La séance est levée.)