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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 27 - Témoignages du 28 novembre 2012


OTTAWA, le mercredi 28 novembre 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur les textes réglementaires et le Règlement sur les textes réglementaires en conséquence, s'est réuni aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous sommes réunis aujourd'hui pour commencer l'étude du projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur les textes réglementaires et le Règlement sur les textes réglementaires en conséquence. Le projet de loi a été présenté au Sénat le 17 octobre de cette année. D'après le sommaire, le projet de loi prévoit une habilitation expresse permettant l'incorporation par renvoi dans les règlements; il impose aux autorités réglementaires l'obligation de veiller à ce que les documents, indices, taux ou nombres incorporés par renvoi soient accessibles; et il prévoit qu'une déclaration de culpabilité ou une sanction administrative ne peut découler d'une contravention se rapportant à tout document, indice, taux ou nombre incorporé par renvoi que si les exigences en matière d'accessibilité sont respectées.

Le projet de loi S-12 a été renvoyé à notre comité le mardi 6 novembre de cette année pour étude supplémentaire. C'est la première séance que nous consacrons à ce projet de loi.

Les audiences du comité sont publiques et elles sont également diffusées sur le site Web, parl.gc.ca. Vous trouverez d'autres informations sur le calendrier de l'audition des témoins sur ce site Web sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Pour commencer notre discussion, nous avons invité des membres de la haute direction du ministère de la Justice Canada : John Mark Keyes, premier conseiller législatif, Philippe Hallée, premier conseiller législatif adjoint. Il y a d'autres représentants du ministère qui se trouvent dans la salle, mais qui n'ont pas pris place à la table. Bernard Auger est avocat général au sein de la section des services consultatifs et du perfectionnement et Patricia Pledge est avocate-conseil au sein de la même section.

Monsieur Keyes, vous voulez, je crois, faire une déclaration préliminaire.

John Mark Keyes, premier conseiller législatif, ministère de la Justice du Canada : Je vous remercie, sénateur Runciman. J'aimerais commencer par remercier le comité de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur les textes réglementaires et le Règlement sur les textes réglementaires en conséquence. Le titre abrégé décrit mieux son sujet — l'incorporation par renvoi dans les règlements.

Le ministre de la Justice, M. Nicholson, n'est pas en mesure d'assister à la réunion d'aujourd'hui, mais il a prévu de venir le 5 décembre avant l'étude article par article du projet de loi. Mon collègue, Philippe Hallée, et moi-même ferons de notre mieux pour vous être utiles aujourd'hui.

J'aimerais commencer par donner un bref aperçu du sujet du projet de loi S-12 et ensuite, parler de la façon dont il aborde ce sujet.

[Français]

L'incorporation par renvoi est une technique de rédaction couramment utilisée dans les textes législatifs, particulièrement dans les règlements. Cette technique permet de faire renvoi à un document dans un règlement et de l'y incorporer sans qu'il soit nécessaire d'en reproduire le texte. Le contenu d'un tel document a force obligatoire et fait autant partie du règlement que le texte du règlement lui-même.

L'incorporation par renvoi d'un document peut être statique ou dynamique. En anglais, on l'appelle ambulatory en anglais. Dans le cas d'une incorporation par renvoi statique, seule la mention du document cité dans le règlement est incorporée, comme si elle était figée dans le temps. Les modifications apportées au document, après que le règlement incorporant ait été pris, ne sont donc pas incluses dans le règlement. Dans le cas où il est souhaitable qu'elle le soit, il faut plutôt procéder par modification règlementaire afin de mettre à jour l'incorporation par renvoi dans le texte du règlement.

Dans le cas de l'incorporation par renvoi dynamique, les modifications apportées antérieurement au document incorporé par renvoi dans le règlement font partie du règlement sans qu'il soit nécessaire de modifier celui-ci. Autrement dit, les modifications successives apportées au document sont automatiquement intégrées au règlement.

L'incorporation par renvoi de différents types de documents dans la réglementation fédérale est utilisée depuis longtemps. Au nombre des documents qui sont fréquemment incorporés par renvoi, on retrouve des lois provinciales et territoriales ou de pays étrangers, des normes nationales et internationales, ainsi que des documents de nature technique créés par différents ministères.

[Traduction]

Pendant de nombreuses années, le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation a débattu de la question de savoir si l'incorporation par renvoi dynamique dans les règlements exigeait l'attribution d'un pouvoir exprès en ce sens. Le projet de loi a notamment pour objectif de trancher le débat en énonçant clairement qu'il est légal d'utiliser cette technique législative.

Le projet de loi S-12 propose de modifier la Loi sur les textes réglementaires de façon à attribuer un pouvoir exprès d'application générale permettant l'incorporation par renvoi dans des règlements qui vient compléter le pouvoir réglementaire que l'on trouve actuellement dans d'autres lois fédérales. D'une façon générale, avec cette mesure législative, les documents qui sont élaborés à l'extérieur du gouvernement pourraient être incorporés de façon statique ou dynamique, avec leurs modifications successives. Par contre, le pouvoir d'incorporer des documents élaborés par l'autorité réglementaire, seule ou conjointement avec une autre entité fédérale, serait plus limité. Dans la plupart des cas, ces documents pourraient uniquement être incorporés de façon statique et dans le seul cas où le document incorporé contient uniquement des éléments accessoires aux règles énoncées dans le règlement ou étoffant celles-ci.

Le projet de loi précise également que certains types de taux et d'indicateurs, comme l'indice des prix à la consommation ou le taux préférentiel fixé par la Banque du Canada, peuvent également être incorporés par renvoi dans les règlements.

En plus d'attribuer un pouvoir exprès en matière d'incorporation par renvoi, le projet de loi S-12 impose également aux autorités réglementaires l'obligation correspondante de veiller à ce que les documents incorporés par renvoi soient accessibles. Il prévoit également qu'une déclaration de culpabilité ou une sanction administrative ne peut être prononcée si le document incorporé n'est pas accessible.

En résumé, le projet de loi S-12 a pour but de confirmer la base juridique du recours à l'incorporation par renvoi dans les règlements fédéraux. Je serai heureux de répondre à vos questions et de parler de ce projet de loi.

Le président : Merci. Nous allons commencer les questions en donnant la parole à la vice-présidente du comité, le sénateur Fraser.

Le sénateur Fraser : Merci d'être venu. Pour une mesure aussi technique, nous avons vraiment besoin de vous.

Ce projet de loi qui, à première vue semble très technique et très aride, me paraît en fait avoir une portée très large lorsque j'y réfléchis. Je dois dire que mes réflexions doivent beaucoup au travail qu'a effectué le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation.

Il me semble que cette mesure risque notamment de soustraire à l'examen du Parlement de larges pans de notre réglementation. Vous voudrez peut-être répondre à cela, mais ma première question touche le projet de paragraphe 18.1(3), qui énonce :

Le pouvoir de prendre un règlement comporte aussi celui d'y incorporer par renvoi des indices, taux ou nombre — considérés à une date donnée ou fixés au besoin —

— c'est-à-dire, et leurs modifications postérieures éventuelles —

— établis par Statistique Canada, par la Banque du Canada ou par une personne ou un organisme autre que l'autorité réglementaire.

« Personne ou organisme » me paraissent être des termes qui constituent une catégorie extrêmement vaste. J'espère que vous allez me dire que je me trompe, mais il me semble que nous risquons d'autoriser une association de fabricants de gadgets à élaborer des règlements permettant d'établir des indices relatifs aux normes applicables à ces gadgets ou même risquer de donner à des organismes étrangers le pouvoir de décider ce que sera notre droit. Dès qu'un règlement est adopté, le fait d'y contrevenir est sanctionné.

J'aimerais que vous me disiez que je me trompe.

M. Keyes : Merci d'avoir posé cette question, sénateur.

Il s'agit effectivement d'une technique de rédaction et de réglementation particulière, mais nous parlons également des pouvoirs substantiels que le législateur a attribués aux autorités réglementaires dans certains domaines. Nous parlons en réalité de la façon dont ces autorités peuvent réglementer ces domaines et il serait bien sûr possible de le faire en incluant tout dans les règlements. L'incorporation par renvoi est une technique qui vise à faciliter l'exercice de ce pouvoir réglementaire. Elle n'a pas pour effet d'élargir ce pouvoir ou de l'étendre, mais elle concerne uniquement la façon dont il est exercé.

À la Justice, nous faisons depuis très longtemps une distinction basée sur la jurisprudence entre les documents qui sont produits par l'autorité réglementaire elle-même et ceux qui sont produits par un autre organisme. C'est une distinction qui repose sur la jurisprudence constitutionnelle en matière d'incorporation par renvoi et qui reconnaît également cette distinction, à savoir qu'il n'y a pas de délégation de pouvoir lorsque l'autorité réglementaire se contente d'adopter des éléments provenant d'un organisme externe.

Cette disposition vise principalement les taux, et en particulier, les données statistiques. Elle reflète en réalité les paragraphes précédents qui traitaient d'une façon plus générale de l'incorporation des documents. La raison pour laquelle elle traite des taux en particulier est que cette disposition ne s'attache pas principalement aux documents, mais au taux; c'est le taux lui-même dont il s'agit et c'est un aspect qui autorise l'autorité réglementaire à utiliser des données en général publiques et pour en tenir compte dans l'exercice de son pouvoir réglementaire.

Le sénateur Fraser : Vous ne m'avez pas vraiment rassurée. N'est-il pas exact qu'à l'heure actuelle, lorsqu'on utilise l'incorporation dynamique celle-ci doit être prévue cas par cas par la mesure législative en question et qu'on ne peut dire simplement que n'importe quel règlement peut avoir recours à cette technique, comme le fait le projet de loi?

M. Keyes : Je pense que les règlements fédéraux utilisent depuis de nombreuses années l'incorporation de ces genres de taux et leurs modifications successives. Je peux dire que les taux bancaires et les données statistiques provenant de Statistique Canada sont incorporés dans les règlements depuis de nombreuses années, et que l'on retrouve ce type d'incorporation par renvoi dans des règlements en vigueur. La base sur laquelle repose la position à laquelle j'ai fait allusion il y a quelques instants est fondée sur la distinction qu'établit la jurisprudence.

Le sénateur Fraser : Permettez-moi de reposer ma question : Ai-je tort de penser qu'à l'heure actuelle l'utilisation de cette technique doit être autorisée dans chaque cas, en réalité, pour chaque loi?

M. Keyes : Je ne pense pas que cela soit exact. Je pense qu'il existe des domaines où il n'existe pas de pouvoir exprès autorisant l'incorporation de taux.

Le sénateur Fraser : Pourrions-nous demander au témoin de nous fournir quelques exemples de ce genre de chose. Comme vous le savez, Noël approche et notre calendrier est serré, de sorte que le plus tôt sera le mieux.

Ma question suivante concerne les nombres et les organismes. Je peux comprendre ce raisonnement lorsqu'il est appliqué à un indice ou à un taux, mais il me semble que la notion de nombre est très large. Pourquoi est-il nécessaire d'inclure les « nombres »? Pourquoi ne pas tout simplement nous contenter des indices et des taux? Pourquoi ne pas préciser le genre de personnes ou d'organismes, autre que l'autorité réglementaire, dont nous voulons parler? Préciser qu'il s'agit d'une personne ou d'un organisme canadien; préciser les personnes ou organismes exerçant certaines attributions légales. Je sais que le comité mixte a déclaré que ce type d'autorisation très vaste devrait être réservé aux lois provinciales ou fédérales. Pourquoi n'acceptez-vous pas de limiter davantage la gamme des possibilités que vous fixez dans ce projet de loi?

M. Keyes : Cela touche en fait la vaste portée des pouvoirs réglementaires qui existent actuellement. Par exemple, il existe des pouvoirs réglementaires qui ont pour but de faciliter la mise en œuvre des conventions internationales et qui nous amènent à essayer de collaborer avec d'autres pays pour réglementer certains domaines. Ce projet de loi vise à fournir une base légale aux pratiques qui seront utilisées dans tous ces domaines et qui ne s'appliqueront pas uniquement aux domaines qui touchent exclusivement le Canada ou qui ne concernent pas nos ententes ou nos relations internationales.

Le sénateur Fraser : Il est évident que les objectifs recherchés avec ces conventions internationales sont fort louables — et dans l'ensemble, nous ne les ratifions pas si leur objectif n'est pas louable — mais il me semble que c'est beaucoup demander au législateur que de dire d'accord, nous allons donner un chèque en blanc pour que les autres pays puissent décider du contenu de nos règlements, sans aucun contrôle du Parlement.

M. Keyes : La décision d'incorporer ce genre de renseignements n'est pas prise à la légère. Elle est prise pour des fins qui doivent être fondées sur la loi habilitante et autorisées par elle. Je dirais que les décisions qui ont été prises dans ce domaine l'ont été de façon responsable et qu'elles étaient adaptées aux objectifs de la loi habilitante et aux besoins du Canada en matière de réglementation.

Si le fait d'utiliser trop largement l'incorporation par renvoi aux taux a été, ou devait être, inapproprié, c'est un aspect à propos duquel l'autorité réglementaire pourrait être appelée à rendre des comptes.

Le sénateur Fraser : « Faites-nous confiance », c'est bien ce que vous me dites.

M. Keyes : Ne faites pas seulement confiance à nous; faites confiance aux délégués auxquels le législateur a déjà confié des pouvoirs réglementaires. Faites-leur confiance parce qu'ils possèdent déjà le pouvoir substantiel de définir le contenu des règles. Nous parlons d'une technique qui a essentiellement pour but de faciliter la promulgation de ces règles.

Le sénateur Fraser : Ils ont ce pouvoir, mais...

Le président : Vous avez posé une question et maintenant il y en a trois; et il risque même d'y en avoir une quatrième.

Le sénateur Frum : Permettez-moi de poser l'autre aspect des questions qu'a soulevées le sénateur Fraser pour ce qui est des avantages qu'offre ce projet de loi sur le plan de l'efficacité. Si nous n'avions pas ce projet de loi, pourriez-vous nous dire quels sont les difficultés et les problèmes que cela créerait?

M. Keyes : Le principal aspect du projet de loi qui intéresse le comité est la notion d'incorporation par renvoi dynamique. L'incorporation statique de documents est universellement reconnue comme étant autorisée. Je vais aborder cet aspect de votre question.

Si l'incorporation dynamique n'est pas autorisée, cela voudrait dire que tous ces documents devraient être incorporés de façon statique. S'il faut mettre à jour ces références, le gouvernement ou l'autorité réglementaire serait obligé de recourir au processus d'adoption des règlements pour introduire ces mises à jour et les faire approuver selon cette procédure. Cela voudrait dire que le nombre des règlements qu'il faudrait prendre régulièrement pour mettre ces références à jour augmenterait de façon très significative.

Un autre désavantage est le temps que cela prendrait; le processus réglementaire est en effet lent. Un règlement ne peut être adopté du jour au lendemain. Je crois que dans certains cas, il est essentiel que ces mises à jour soient mises en vigueur relativement rapidement après que le document incorporé ait été modifié. La réglementation a pour but de faire en sorte que le Canada puisse avoir un régime harmonisé avec celui d'autres pays. Nous ne voulons pas qu'il existe des écarts entre ces deux régimes. Ce sont là deux difficultés qui surgiraient si le Parlement autorisait uniquement l'incorporation par renvoi de façon statique.

Le sénateur Frum : Nous sommes parfois tenus d'harmoniser nos règles avec celles d'autres pays et d'assurer ce genre de coopération internationale, mais nous craignons que cela revienne à déléguer à d'autres pays le pouvoir de fixer nos propres normes. Premièrement, l'harmonisation de certains régimes se fait à l'heure actuelle et c'est une mesure que bien souvent, nous sommes tenus de prendre. Nous ne demandons pas à d'autres pays d'assumer nos responsabilités.

M. Keyes : C'est exact. La plupart de ces régimes harmonisés vont dans les deux sens. L'autre pays doit également harmoniser ses lois, dans une certaine mesure, avec les nôtres.

Une des décisions qui fait autorité en matière d'incorporation par renvoi au Canada est l'arrêt Scott. Il s'agissait de l'exécution réciproque des ordonnances alimentaires. Les gens ont des enfants, ils se séparent et l'un d'entre eux va dans un autre pays. C'est une loi qui a pour but de faciliter les ententes alimentaires dans ce genre de situation. Il faut choisir le droit applicable. Quel est celui qui doit alors s'appliquer? Est-ce le droit de notre pays ou celui de l'autre pays? La loi avait pour but d'harmoniser ces choix. Dans certains cas, cela peut être le droit de notre pays et dans d'autres, celui d'un autre pays, mais l'objectif est d'avoir un régime légal harmonisé pour les Canadiens et les groupes familiaux qui vivent dans des pays différents.

Bien évidemment, dans une situation comme celle-ci, il n'est pas souhaitable d'être obligé de mettre à jour la référence chaque fois qu'un de ces pays modifie ses lois sur le divorce ou sur les relations familiales.

Le sénateur Jaffer : J'ai déjà été membre du Comité mixte d'examen de la réglementation et ce n'est pas nous qui retardions la prise des règlements. Nous attendions constamment que les ministères nous présentent les règlements, et cette attente était parfois d'un an. Je ne comprends vraiment pas pourquoi cela devrait se passer ainsi, dans le cas où il faut adopter un règlement. Dites-moi pourquoi cela serait aussi long de suivre cette procédure. Pourquoi cette hâte? L'exemple que vous avez donné, celui de la pension alimentaire, prend des années. J'ai déjà été avocate en droit familial. Je sais combien de temps ces choses prennent. Il n'est pas nécessaire que cela se fasse du jour au lendemain et je ne sais pas pourquoi ces modifications devraient être soustraites au contrôle qu'exerce le Comité mixte de l'examen de la réglementation.

M. Keyes : La procédure réglementaire actuelle comprend un certain nombre d'étapes mentionnées dans l'examen de la Loi sur les textes réglementaires effectué par le service de la publication et de l'enregistrement du ministère de la Justice. Le gouvernement vient récemment d'ajouter un certain nombre d'étapes pour des raisons de politique générale. Le Cabinet a approuvé une directive sur la gestion de la réglementation, qui fait suite à une série de directives du Cabinet qui remontent à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Ces directives du Cabinet tiennent compte du fait que la décision de prendre un règlement ne doit pas être prise à la légère. Il faut tenir compte d'un certain nombre de considérations, examiner le fardeau qu'un règlement pourrait avoir sur ceux auxquels il s'applique, mais également étudier des aspects comme nos obligations internationales. Les étapes à suivre pour effectuer cette analyse et cet examen prennent du temps. Ces étapes sont justifiées parce que l'on veut veiller à ce que les décisions réglementaires reposent sur une base solide et ne créent pas un fardeau injustifié. Le désavantage est que la procédure réglementaire est lente.

Le sénateur Jaffer : Pouvez-vous me donner un exemple d'une situation dans laquelle il était nécessaire de suivre cette procédure très rapidement, de faire adopter un règlement très rapidement?

M. Keyes : Je vais vous citer un cas auquel j'ai été mêlé il y a quelques années; il s'agissait du réacteur nucléaire de Chalk River et il fallait autoriser l'opérateur de ce réacteur à le redémarrer rapidement parce qu'il était urgent d'obtenir des isotopes médicaux. Un projet de loi a été adopté en moins d'une semaine par les deux chambres et parallèlement, une directive, qui est pour l'essentiel un règlement, a été émise à l'endroit de la Commission canadienne de sûreté nucléaire pour compléter ce projet de loi. Voilà un exemple de situation d'importance nationale où il fallait agir rapidement, et je dirais que tous les partis l'ont reconnu.

Le sénateur Jaffer : La loi parle-t-elle de « situations d'urgence »? Cette loi a une portée très large. Elle ne parle pas de situations de crise ou d'urgence.

M. Keyes : Vous avez raison. Elle ne contient pas de critères de ce genre. Encore une fois, je m'en remettrai aux critères qui s'appliquent généralement à l'exercice du pouvoir réglementaire — ce sont là les critères et les buts qui influencent la décision d'utiliser la technique de l'incorporation par renvoi ainsi que la teneur des règlements en voie d'adoption.

Le sénateur McIntyre : D'après la loi et le règlement, il y a, si j'ai bien compris, trois grandes étapes à franchir pour adopter un règlement : l'examen juridique, l'enregistrement et la publication dans la Gazette du Canada. Je me pose des questions au sujet du projet d'article 18.4, qui n'exige ni l'enregistrement ni la publication, à moins que l'incorporation soit dynamique ou évolutive. À votre avis, le projet de loi S-12 respecte-t-il les conditions de la loi et du règlement?

M. Keyes : Le projet d'article 18.4 a pour but de reconnaître l'un des aspects fondamentaux de l'incorporation par renvoi, à savoir que les documents incorporés ne sont pas assujettis aux exigences qui s'appliquent à l'adoption d'un règlement, en particulier à l'obligation de le publier dans la Gazette du Canada.

Une des raisons d'être initiales de l'incorporation par renvoi était le souci d'éviter d'avoir à publier de nouveau les documents incorporés pour le motif que les documents sont habituellement publiés et accessibles sous une autre forme. Par conséquent, la suppression de l'obligation de publier dans la Gazette du Canada les documents incorporés découle du fait que ces documents sont facilement accessibles à la population et que leur publication dans la Gazette du Canada ne servirait pas à grand-chose pour ce qui est de les porter à l'attention des personnes concernées.

Le sénateur McIntyre : Si j'ai bien compris, le projet de loi S-12 contient trois dispositions : le pouvoir d'utiliser l'incorporation par renvoi dans les règlements; l'obligation imposée à l'autorité de réglementation de veiller à ce que les documents, indices, taux ou nombres soient accessibles, et enfin, une exception en matière de responsabilité.

Pour ce qui est de la responsabilité, je m'interroge au sujet du nouvel article 18.6, qui énonce qu'une déclaration de culpabilité ou une sanction administrative ne peut être prononcée que « [...] si le document, l'indice, le taux ou le nombre étaient accessibles [...] à la personne en cause ». Le nouveau paragraphe 18.3(1) traite de l'accessibilité. Je constate que ce terme n'est pas défini. Que veut dire à votre avis, le mot « accessible »?

M. Keyes : Je pense que les tribunaux diront que la personne touchée par le règlement doit être en mesure d'obtenir une copie du document en question et de comprendre grâce à lui ce qu'elle doit comprendre. Il n'est pas obligatoire d'envoyer une copie du document à cette personne; il faut simplement que le document lui soit accessible, si elle déploie un effort raisonnable. Les personnes visées devraient pouvoir retrouver une copie du document ou du taux incorporé en faisant un effort raisonnable.

Si ce n'est pas le cas, alors le projet d'article 18.7, que vous avez mentionné, les soustrairait à toute sanction ou déclaration de culpabilité fondée sur le document incorporé.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Keyes. Je suis heureux de vous revoir devant le comité. Puis-je vous dire franchement que j'aurais bien aimé que votre déclaration soit présentée dans les deux langues, parce que je ne pense pas que l'invitation que vous a lancée le comité — je l'ai demandée et je ne l'ai pas obtenue.

Le sénateur Fraser : Non, nous n'avons pas le texte.

Le sénateur Joyal : C'est bien ce que je dis.

Le sénateur Fraser : Je suis désolée. Je n'avais pas compris. Veuillez m'excuser.

Le sénateur Joyal : Je l'aurais apprécié. Ce sont là des questions complexes et il aurait été utile d'avoir le temps d'y réfléchir, parce que vos mémoires sont toujours bien conçus, approfondis et riches en enseignements. Personnellement, j'aurais aimé avoir votre exposé. Je voulais commencer par vous dire cela.

M. Keyes : Certainement. J'ai remis une copie de mes commentaires à la greffière, de sorte que vous y aviez accès.

Le sénateur Joyal : Je sais, mais il n'a pas été possible de les distribuer parce qu'ils n'étaient pas dans les deux langues officielles. Voilà ce que je veux dire.

M. Keyes : Oui.

Le sénateur Joyal : Ma première question fait suite à celle du sénateur McIntyre. Elle porte sur le projet de paragraphe 18.3(1) du projet de loi, qui se trouve en haut de la page 3. Je vais le lire :

L'autorité réglementaire veille à ce que le document, l'indice, le taux ou le nombre incorporé par renvoi soit accessible.

Ce qui me préoccupe, c'est la définition d'« accessible ». Que veut dire accessible? Le paragraphe suivant, que le sénateur McIntyre a cité, exclut la possibilité qu'un document soit accessible s'il n'a pas été publié dans la Gazette du Canada. Comment le citoyen ordinaire peut-il avoir accès à ce document s'il n'est pas publié quelque part dans une source officielle et fiable?

Comme vous le savez, la tendance moderne en matière de législation est d'avoir des projets de loi qui contiennent deux ou trois articles et de mettre tout le reste dans des règlements. Le comité étudie le projet de loi C-293, qui va interdire à un détenu de déposer une plainte dans un établissement pénitentiaire et qui prévoie que le mécanisme qui permettra de supprimer ce droit pour un détenu se trouvera dans les règlements. On nous a dit que cela figurerait dans un règlement, de sorte que nous avons un projet de loi très court, deux articles, mais que le fond du projet de loi qui consiste à protéger les droits des citoyens sera précisé par règlement.

Il me semble que, si nous voulons incorporer des documents, des données statistiques, des indices, des taux, et cetera, il faut que tout cela soit facilement accessible pour les citoyens, en particulier dans notre société moderne.

Que veut donc dire, à votre avis, le mot « accessible » que l'on trouve dans le projet de loi?

M. Keyes : « Accessible » veut dire que la personne doit pouvoir obtenir une copie du document en faisant un effort raisonnable.

L'obligation en matière d'accessibilité incombe à l'autorité réglementaire. Si cette obligation n'est pas respectée, il devient alors impossible de mettre en application le règlement. C'est la façon qui a été retenue pour assurer le respect de cette obligation. Si elle ne l'est pas, il est alors impossible de mettre en œuvre le règlement en intentant des poursuites ou en imposant des sanctions administratives.

Le projet de loi reconnaît que l'autorité réglementaire a cette obligation. Elle doit prendre des mesures pour veiller à ce que les documents soient accessibles. Si elle ne le fait pas, elle risque d'avoir de la difficulté à appliquer le règlement.

Le sénateur Joyal : En deux mots, est-ce bien l'autorité réglementaire à qui il incombe de faire en sorte que les documents, les statistiques, les indices ou le reste soient accessibles?

M. Keyes : C'est exact : elle doit veiller à l'accessibilité des documents. Il est possible que ces documents soient déjà accessibles, de sorte qu'elle n'a rien à faire de plus. Il est facile de se procurer un élément comme l'indice des prix à la consommation auprès de Statistique Canada. Dans d'autres cas, il peut y avoir quelques mesures à prendre.

C'est une obligation qui varie considérablement en fonction du règlement concerné, des circonstances particulières et du type de document qui a été incorporé. Par exemple, si le document incorporé est une loi provinciale, je dirais qu'il n'y a rien à faire de plus pour en assurer l'accessibilité. Il est raisonnable d'affirmer que les lois provinciales sont accessibles au Canada.

Dans d'autres cas, lorsque le document visé par le renvoi est plus obscur ou plus spécialisé, alors il faut veiller à ce que les personnes qui doivent respecter le document y aient en fait accès. Si cette obligation n'est pas respectée, alors l'autorité réglementaire éprouvera de la difficulté à appliquer ce règlement à ces organismes ou à ces personnes.

Le sénateur Joyal : Pourquoi les rédacteurs n'ont-ils pas ajouté dans le projet de loi une disposition exigeant que l'autorité de réglementation rende accessibles les documents incorporés, en précisant clairement dans le projet de loi que cette obligation incombe à l'autorité de réglementation? Il me semble que vous dites que ces autorités doivent les rendre accessibles, mais il n'y a pas de mécanismes qui permettent de contrôler l'autorité en question pour être sûr que l'information dont il est question est disponible. En fait, l'article 18.4 est un avis de non-responsabilité, c'est du moins comme cela que je comprends le projet de loi.

M. Keyes : Je crois que l'article 18.3 énonce assez clairement cette obligation. Il se lit ainsi :

L'autorité réglementaire veille à ce que le document, l'indice, le taux ou le nombre incorporé par renvoi soit accessible.

Il impose clairement cette obligation à l'autorité réglementaire.

L'autre aspect de cette obligation est que, lorsqu'on arrive à l'article 18.7, on constate que, si l'autorité réglementaire ne s'est pas acquittée de cette obligation, elle ne pourra appliquer le règlement en intentant une poursuite pénale ou administrative.

Le sénateur Joyal : Lorsque l'autorité réglementaire fait référence à des documents incorporés, pourquoi n'avez- vous pas précisé que cette autorité était tenue d'informer les personnes concernées de la façon d'avoir accès aux documents au lieu de laisser ces personnes se battre contre l'administration pour trouver cette information?

M. Keyes : Il peut arriver que ces personnes soient obligées de prendre l'initiative de rechercher cette information. Mais dans de nombreuses circonstances, voire la plupart, il n'est pas nécessaire de prendre l'initiative de faire une telle recherche parce que les documents incorporés sont déjà disponibles et accessibles. Une des raisons pour lesquelles on utilise la technique de l'incorporation est le fait que ces documents sont déjà accessibles et que les gens concernés les connaissent déjà très bien. Dans ces cas-là, il ne serait guère utile d'imposer une obligation au-delà de rendre ce document accessible, pour, par exemple, exiger que ces autorités prennent des mesures pour rendre public le fait que ces documents sont accessibles.

Le sénateur Joyal : J'ai l'impression que vous limitez grandement l'obligation imposée à l'autorité de régulation de rendre l'information accessible. Il me semble que les consommateurs ou les citoyens sont habituellement tellement perdus lorsqu'ils essaient de communiquer avec l'administration que cette information devrait être facile à trouver. Autrement dit, il faut leur faciliter les choses. J'estime que le projet de loi est très restrictif : « Notre obligation est limitée et c'est tout; à vous de faire ce que vous pouvez pour obtenir l'information. »

Il me semble que, si nous voulons faciliter le travail de l'autorité de régulation en lui permettant d'incorporer un grand nombre de renseignements, nous devrions faire autant d'effort pour que le consommateur et le citoyen moyen aient accès à ces renseignements. Il y a un équilibre à respecter dans un tel système.

Vous nous demandez en fait de faciliter votre travail, mais parallèlement, nous devrions rendre l'accès à ces renseignements plus facile pour le consommateur et pour le citoyen moyen. C'est la façon dont j'essaie de comprendre les principes qui sous-tendent le projet de loi.

M. Keyes : Je pourrais peut-être proposer un point de vue légèrement différent au sujet de cet article du projet de loi. C'est en réalité la première fois qu'une loi canadienne impose l'obligation de rendre ces documents accessibles.

À l'heure actuelle, il y a peut-être quelques cas de ce genre dans quelques lois, mais il n'existe aucun énoncé général dans le droit fédéral qui déclare que les documents incorporés doivent être accessibles. Nous nous en remettons en fait essentiellement à la common law, qui reconnaît que, si ces documents font vraiment partie de la loi et partie du règlement, alors ils doivent être accessibles pour qu'ils soient applicables.

Je pense que le projet de loi constitue une amélioration importante dans la mesure où il énonce pour la première fois de façon générale cette obligation, et dans l'ensemble, il reprend cette obligation telle qu'elle existe à l'heure actuelle selon la common law et telle que les tribunaux ont abordé ces questions dans les quelques affaires, très peu nombreuses, qui ont porté sur des documents incorporés.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Keyes, dans votre présentation, vous avez fait valoir que l'incorporation par renvoi facilitait l'harmonisation interjuridictionnelle, si j'ai bien compris. Pourriez-vous nous donner un exemple précis de cette harmonisation?

M. Keyes : J'ai mentionné tout à l'heure les ententes internationales, c'est-à-dire la réglementation d'une question entre deux pays. Dans ce cas-ci, c'est tout à fait nécessaire d'harmoniser la réglementation entre les deux pays. Quand on réglemente la sûreté des produits qui nous viennent de l'extérieur du pays, par exemple les véhicules automobiles, ils doivent être conformes à des normes de sécurité. C'est le cas notamment entre le Canada et les États-Unis. Les deux pays ont un régime très semblable actuellement dans cette industrie et on incorpore fréquemment les normes américaines aux nôtres.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Je remercie le témoin pour cet exposé très instructif. Lorsque vous avez décrit la notion d'accessibilité et de connaissance de la loi, il m'est venu l'idée que nous utilisons l'expression « personne raisonnable » lorsque nous faisons un jugement, et nous tenons pour acquis qu'une personne raisonnable connaît la loi.

Dans ce cas particulier, je pense au principe selon lequel nul n'est censé ignorer la loi, et je vais vous citer le paragraphe 87 d'un jugement rendu en mai de cette année, par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, l'arrêt Vilardell v. Dunham :

Comme John Mark Keyes l'a fait remarquer dans son essai « Perils of the Unknown - Fair Notice and the Promulgation of Legislation » (1993), 25 Ottawa L. Rev. 579 à la page 582 :

La loi n'est plus, et on peut vraiment se demander si elle l'a jamais été, un jeu de Parker Brothers auquel on peut jouer en lisant ce qui est écrit à l'intérieur de la boîte.

Vous souvenez-vous avoir dit cela?

M. Keyes : Oui, tout à fait.

Le sénateur Baker : Le juge de la Cour supérieure conclut alors en disant :

Désormais, la loi est une structure complexe qu'il n'est pas possible de comprendre en se contentant de l'examiner ou de la lire. Par sa structure même, la loi suppose l'existence d'avocats et l'accès à des conseils juridiques.

Lorsque vous parlez d'accessibilité et de familiarité, vous faites en réalité référence aux avocats et non pas à la personne touchée par la situation.

M. Keyes : Oui, c'est certainement vrai. Bien souvent, il s'agit de mesures législatives très complexes que seuls les spécialistes de ces domaines peuvent comprendre, de sorte que oui, c'est effectivement exact. Pour ce qui est de l'accessibilité réelle aux documents, une notion qui doit profiter aux personnes qui sont finalement touchées par le règlement, l'essentiel est que leurs conseillers juridiques ou autres aient accès aux renseignements dont ils ont besoin pour leur fournir de bons conseils dans la gestion de leurs affaires.

Le président : Il y a deux sénateurs qui ont demandé de prendre la parole pendant le second tour.

Le sénateur Fraser : C'est un projet de loi important.

Le sénateur Jaffer : Quels sont les autres pays qui ont adopté le même genre de mesure législative que celle que vous proposez?

M. Keyes : Pour l'essentiel, la mesure proposée s'inspire beaucoup de ce qui s'est fait aux États-Unis et au Royaume- Uni. Il y a d'autres pays — et même d'autres provinces — qui ont donné à l'incorporation par renvoi une portée plus limitée que celle que nous avons adoptée au Canada. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, on retrouve des dispositions semblables touchant la portée de l'incorporation lorsque celle-ci est évolutive.

Le sénateur Jaffer : Comment allez-vous consulter les intéressés? Je sais que l'adoption d'un règlement est habituellement précédée par la consultation des intéressés et de la population générale. Comment allez-vous procéder à ces consultations pour ce genre de règlements?

M. Keyes : Il y aura des consultations au moment où le règlement sera proposé et celui-ci sera présenté avec le document incorporé.

Le sénateur Jaffer : Exact.

M. Keyes : La consultation portera sur l'ensemble du projet de loi. Habituellement, le règlement proposé est remis aux intéressés qui sont consultés et ils vont y trouver la référence aux documents incorporés. S'ils ont des questions à poser à ce sujet, la consultation va non seulement porter sur l'opportunité d'incorporer ces documents, mais peut-être aussi sur le caractère approprié de certains éléments du contenu de ces documents.

La consultation portera sur l'ensemble de la mesure réglementaire. Si le document incorporé contient des éléments importants de cet ensemble, alors la consultation doit également porter sur cet ensemble.

Le sénateur Jaffer : Ai-je bien compris ce que disait le sénateur Baker : à savoir que pour certains règlements, je ne pourrais pas me contenter d'examiner la Gazette du Canada et devrais retenir les services d'un avocat? Est-ce bien ce que vous dites?

M. Keyes : Tous les règlements vont continuer à être publiés dans la Gazette du Canada, mais ce qui peut se passer et qui se passe déjà, c'est que certains règlements font référence à des documents incorporés.

Avec les renseignements contenus dans le règlement, vous devriez être en mesure d'identifier le document en question et d'y avoir accès grâce aux détails fournis dans le règlement.

Le sénateur Joyal : Dans la lettre que le comité mixte a envoyée au ministre en 2009 au sujet de l'incorporation par renvoi, le comité distinguait quatre types de documents. Il y a ceux qui sont reliés à des lois fédérales et provinciales, dont l'accès est facile parce qu'ils se trouvent dans les recueils. Cependant, il y a aussi les documents de réglementation, qui sont plus difficiles à trouver; les lois étrangères qui sont encore plus difficiles à trouver et à interpréter; et enfin, les documents élaborés par des organismes non gouvernementaux.

Le comité mixte a demandé que les trois derniers groupes de renseignements ne puissent être incorporés que si la loi habilitante énonçait clairement que c'était là l'objectif recherché. Pourquoi n'avez-vous pas repris dans le projet de loi le genre de recommandation que le comité avait faite pour assurer l'accessibilité dont nous avons parlé — le projet d'article 18.3 — et pour qu'elle soit réelle pour les citoyens ordinaires?

M. Keyes : Nous avons examiné très soigneusement les recommandations qu'a formulées le comité au sujet de ces quatre catégories. Nous avons estimé qu'en fin de compte, la meilleure solution consistait à nous fonder sur la façon dont nous avons appliqué le droit pendant des années et à présenter un projet de loi qui reflète une conception du droit qui est plus large que la simple incorporation des lois provinciales et territoriales, mais plutôt une conception qui englobe l'incorporation évolutive de ces autres types de documents, les trois autres catégories. Nous avons conçu un mécanisme d'établissement des règlements qui recoupe ces trois groupes et le projet de loi avait pour objet de fournir une base législative claire à ce principe.

Le sénateur Joyal : Il me semble qu'il aurait été facile d'être précis et d'indiquer clairement dans le projet de loi que les renseignements concernant les lois étrangères et les documents élaborés par des organismes non gouvernementaux pouvaient être incorporés pourvu que la loi habilitante l'autorise. Il me semble que les citoyens auraient facilement compris que la loi habilitante attribuait le pouvoir d'incorporer par renvoi des renseignements qui risqueraient autrement de s'y trouver sans que les citoyens le sachent. Il me semble qu'il aurait été facile d'élaborer une mesure législative reflétant ce principe, ce qui aurait, à mon avis, protégé l'accès aux renseignements.

M. Keyes : Cela aurait pu être fait de cette façon, mais une telle mesure aurait introduit un changement par rapport à l'approche qu'a adoptée le gouvernement depuis des dizaines et des dizaines d'années. Cela aurait été un changement par rapport à notre conception de ce que la common law autorise à l'heure actuelle. Nous admettons bien évidemment qu'à l'heure actuelle, le comité mixte et nous avons des conceptions différentes du droit actuel. Nous avons estimé qu'il était préférable que le gouvernement présente cette mesure législative qui donnerait une base solide à des pratiques qui existent depuis des années et des années.

Le sénateur Joyal : Cela se fait pourtant au Manitoba et en Ontario.

M. Keyes : Oui, il y a effectivement d'autres provinces qui ont adopté une conception plus étroite. Je ne sais pas très bien quelle est leur pratique en matière d'incorporation par renvoi. Ce projet de loi reflète la pratique fédérale.

Le sénateur Joyal : Il a toutefois certaines répercussions. Vous accordez en fait une autorisation générale et globale alors que le comité mixte a estimé qu'il fallait faire des distinctions et que certaines provinces faisaient également ces distinctions. Cela me paraît être l'approche prudente qu'il fallait adopter.

M. Keyes : C'est bien là la question qui est soumise au comité et aux chambres; à savoir, quelle est la meilleure approche?

Le sénateur Fraser : J'ai quelques questions et je vais essayer d'être aussi concise que possible par respect pour votre générosité.

Pour revenir aux projets d'articles 18.3 et 18.4, comme vous l'avez fait remarquer à juste titre, l'article 18.3 énonce que l'autorité réglementaire doit veiller à ce que le règlement soit intégralement accessible, avec ses modifications.

Il faut alors se demander comment cela sera fait, et c'est le sujet dont nous parlons. Je reconnais avec vous que le taux bancaire et l'indice des prix à la consommation, et ce genre de choses sont des données tout à fait publiques, mais ce n'est pas vrai dans tous les cas. J'examine ensuite l'article 18.4. Selon ses termes, l'autorité réglementaire pourrait-elle inclure dans le règlement une disposition obligeant le tiers — c'est-à-dire l'entité dont le document est incorporé par référence — à informer officiellement l'autorité réglementaire de toute modification apportée à ce document ou cela est-il interdit par l'article 18.4? Dans le cas de ces documents, il n'est pas exigé qu'ils soient transmis pour enregistrement ou publication dans la Gazette du Canada. Je ne sais pas très bien jusqu'où va l'interdiction que l'on retrouve à l'article 18.4.

M. Keyes : Je ne pense pas que l'article 18.4 s'appliquerait à la situation que vous venez de décrire, à savoir celle où l'autorité réglementaire s'entendrait avec l'organisme qui a élaboré le document incorporé pour que celui-ci informe de lui-même l'autorité réglementaire des changements apportés à ce document.

Le sénateur Fraser : Cela pourrait même faire partie du règlement.

M. Keyes : Le projet d'article 18.4 parle uniquement d'enregistrement et de publication dans la Gazette du Canada. Dans la situation que vous avez décrite, on pourrait certainement publier les documents en question dans la Gazette du Canada. La partie I de la Gazette du Canada contient toutes sortes de documents officiels. Quant à savoir si cela serait une façon efficace d'assurer l'accès à ces documents, c'est peut-être une autre question et je pense qu'il y aurait peut- être des manières plus efficaces que celle-ci.

Le sénateur Fraser : De toute façon, cela prendrait en compte ce genre de situation. Cela n'était que ma première question.

Le projet de loi fait souvent référence à des documents, y compris à des documents qui peuvent être modifiés et qui sont incorporés par renvoi. Je vais montrer mon ignorance et vous demander ce qu'est, à cette fin, un document.

M. Keyes : Un document.

Le sénateur Fraser : N'importe quel document? Un calendrier? Une lettre? Je suis sérieuse. Nous allons entendre des témoins qui vont dire qu'ils s'inquiètent énormément du fait que des documents connexes pourraient être inclus dans un règlement. Je ne dis pas que je partage leur préoccupation, mais je crois la comprendre; c'est pourquoi j'aimerais que vous me donniez d'autres précisions sur ce qu'est un « document ».

M. Keyes : Sur le plan théorique, c'est un contenant dans lequel se trouve du matériel, du contenu, que l'autorité réglementaire veut insérer dans un règlement. On peut utiliser un grand nombre de noms pour décrire ce document. Il faut que ce soit un contenant identifiable, transportable, communicable des renseignements souhaités.

La présence de la disposition qui traite des taux s'explique par le fait que la référence vise bien souvent non pas le document, ni le contenant, mais directement le contenu. C'est la raison pour laquelle nous avons mentionné les taux sans qu'il soit nécessaire de préciser le document dans lequel Statistique Canada les publie. Nous mentionnons uniquement ce qui est publié.

Dans tous les autres cas, cette notion de document joue un rôle essentiel pour ce qui est de communiquer aux citoyens l'information dont ils ont besoin pour avoir accès au document ou pour le trouver eux-mêmes. Un document est un contenant qui a normalement un nom et qui peut être identifié de façon à ce que la personne intéressée puisse trouver le document, le lire et y avoir accès.

Le sénateur Fraser : Étant donné que M. Keyes a déjà accepté de nous fournir certains renseignements, pourrions- nous lui demander d'ajouter deux ou trois exemples de ce qu'est un « document » dans ce contexte, pour que je comprenne plus facilement ce dont nous parlons?

M. Keyes : Bien sûr.

Le sénateur Joyal : L'autorité réglementaire sera-t-elle tenue de traduire dans les deux langues officielles les documents qui seront incorporés par renvoi?

M. Keyes : Ce projet de loi ne change d'aucune façon les obligations constitutionnelles ou quasi constitutionnelles en matière de langues officielles. Il préserve le statu quo à ce sujet. À la Justice, nous prenons très au sérieux les obligations qui ont été reconnues dans des arrêts comme l'arrêt Blakey et le Renvoi concernant les droits linguistiques au Manitoba. Nous fournissons des conseils en nous fondant sur le droit relatif à ces obligations, tel qu'il a été exposé par la Cour suprême du Canada. Le projet de loi ne modifie aucunement ces obligations. Elles demeurent inchangées et nous prévoyons continuer à fournir des conseils en nous basant sur ces mêmes principes, dans le cas où le projet serait adopté.

Le président : Merci, monsieur. Merci, messieurs. Nous avons apprécié votre témoignage.

J'aimerais maintenant présenter au comité M. Robert White, directeur des Affaires réglementaires, Produits de santé consommateurs du Canada. Produits de santé consommateurs du Canada est l'association nationale qui représente les fabricants, les agents de commercialisation et les distributeurs de produits de santé consommateurs.

Bienvenue, monsieur White. Vous avez la parole.

Robert White, directeur des Affaires réglementaires, Produits de santé consommateurs du Canada : Je remercie monsieur le président et les membres du comité de m'avoir permis de prendre la parole devant vous aujourd'hui au sujet du projet de loi S-12.

Produits de santé consommateurs du Canada est l'association nationale qui représente les fabricants, les agents de commercialisation et les distributeurs de produits de santé consommateurs. Les membres de l'association, qui vont des petites entreprises aux grandes sociétés, sont responsables de la très grande majorité des ventes de 4,7 milliards de dollars enregistrées dans le marché des produits de santé consommateurs. Les ventes de nos membres se répartissent également entre le secteur des produits de santé naturels et celui des médicaments en vente libre. Produits de santé consommateurs du Canada est le principal porte-parole de ce secteur depuis plus de 115 ans.

Il a été proposé de réviser la Loi sur les textes réglementaires pour permettre d'incorporer par renvoi tout ou partie d'un document, soit dans sa version à une date donnée, soit avec ses modifications successives. Produits de santé consommateurs du Canada appuie le but de cette initiative qui autorise des approches souples et rapides à la modernisation de la réglementation en permettant l'incorporation par renvoi dynamique.

En ce moment, le ministère avec lequel Produits de santé consommateurs Canada fait le plus souvent affaire est Santé Canada, qui applique la Loi sur les aliments et drogues et le Règlement sur les aliments et drogues.

Il est souvent arrivé que Santé Canada ait été amené à faire référence à des documents étrangers, comme les doses quotidiennes recommandées d'ingrédients ou à des pharmacopées dans un règlement. Nous pouvons attester de l'efficacité de cette approche et nous croyons qu'elle a permis d'épargner des sommes importantes associées à l'adoption des lois.

Nous estimons toutefois qu'il est important de préciser davantage les règles en énonçant expressément dans le projet de loi S-12 que les documents d'orientation du gouvernement ne doivent pas entrer dans ce que l'on considère comme des documents aux fins de la loi. Les ministères préparent régulièrement, nous le savons, des documents d'orientation pour permettre d'y voir plus clair dans l'interprétation des règlements et pour faire en sorte que l'industrie et les autorités réglementaires aient une compréhension claire et uniforme des exigences à respecter.

L'alinéa 18.1(2)b) tel que proposé permettrait à des entités ou à des personnes étrangères à l'autorité réglementaire de produire des documents d'orientation que l'autorité réglementaire pourrait ensuite incorporer par renvoi. Avec cette méthode, de nouvelles exigences pourraient se voir accorder un statut juridique sans que la population ait été consultée et aller à l'encontre des initiatives d'allègement du fardeau administratif lancées par le gouvernement qui visent à réduire le plus possible les coûts assumés par les Canadiens et les entreprises pour atteindre les objectifs stratégiques visés.

Nous appuyons la Loi sur l'incorporation par renvoi dans les règlements pourvu que des mesures de protection appropriées soient mises en place et nous proposons de modifier le projet d'article 18.1 en ajoutant une disposition qui préciserait qu'un document ou une partie de document incorporé par renvoi ne comprend pas les documents d'orientation qui ont pour but de préciser pour les intéressés le sens du règlement ainsi que les objectifs recherchés.

Nous proposons également d'ajouter à la fin de l'alinéa (2)a), une disposition indiquant que l'alinéa peut contenir des listes ou des annexes; il ne pourrait toutefois pas comprendre les documents d'orientation destinés aux intéressés qui ont pour seul but de préciser le sens du règlement. Enfin, nous proposons d'indiquer que l'alinéa (2)b) vise non seulement les documents élaborés par une personne ou par un organisme autre que l'autorité réglementaire, mais également ceux qui sont élaborés par l'autorité réglementaire.

Je vous remercie de votre attention et de bien vouloir prendre en compte le point de vue de notre industrie sur cette importante mesure législative. Ce sera avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le sénateur Fraser : Merci d'être venu, monsieur White. Votre exposé était très intéressant.

Permettez-moi de commencer par poser une brève question qui va montrer mon ignorance. Que sont les produits de santé consommateurs? Cela comprend-il les médicaments sur ordonnance?

M. White : Cela comprend les médicaments en vente libre comme les analgésiques, les remèdes pour la toux et le rhume et les brûlures d'estomac, ainsi que les produits de santé naturels, qui comprennent les vitamines et les compléments alimentaires ainsi que les ingrédients à base végétale. Ce sont tous les produits que vous pouvez vous procurer sans ordonnance et sans l'intervention d'un pharmacien.

Le sénateur Fraser : Pour ce qui est de vos préoccupations au sujet des documents d'orientation, dois-je en déduire que votre préoccupation vient du fait que les fonctionnaires de Santé Canada, ou d'autres ministères, selon le cas, qui élaborent les documents d'orientation, ne sont pas des autorités réglementaires? J'ai compris, en lisant le paragraphe (2), qu'un document établi par l'autorité réglementaire ne peut être incorporé par renvoi. Ai-je mal compris cette disposition? Veuillez me préciser tout cela.

M. White : Voilà une excellente question. Nous avons lu ce document plusieurs fois et il ne semble pas être très clair pour ce qui est de l'intention du règlement ou de celle de la loi. Nous nous sommes également demandé si nous avions bien compris ce qui pouvait être fait et ce qui ne pouvait l'être. J'ai écouté les questions qui ont été posées il y a un instant et je crois qu'il y a des gens qui sont quelque peu confus. Ce n'est certainement pas rédigé dans un anglais clair et simple.

Je ne peux pas répondre à cette question. Il y a un document d'orientation qui parle de la publicité et qui explique le but du règlement. Notre préoccupation vient du fait que l'autorité réglementaire allait introduire ce document directement dans le règlement en l'incorporant par renvoi sans que la population ait été consultée au sujet de son contenu. Ce document pourrait ajouter de nouvelles exigences à l'industrie sans qu'on ait évalué à nouveau les coûts qu'un tel changement pourrait entraîner pour les entreprises ou les consommateurs.

Le sénateur Fraser : Je suis heureuse de constater que je ne suis pas la seule à ne pas très bien comprendre tout cela. Merci, monsieur White.

Le sénateur Frum : Vous avez entendu la conversation que nous avons eue avec le dernier témoin au sujet de l'accessibilité. J'aimerais poser une question pour obtenir de l'information et des précisions. Lorsque l'on modifie un règlement qui touche l'industrie des produits de santé consommateurs, comment apprenez-vous en général qu'il y a eu un changement?

M. White : Il y a beaucoup de gens qui suivent tout cela de près et c'est ce que nous faisons. Habituellement, Santé Canada nous prévient à l'avance que les politiques ou les règlements vont être modifiés et nous communiquons avec ce ministère assez régulièrement tous les six mois. Nous sommes très vigilants et nous suivons l'évolution de la situation pour en informer nos membres. Je ne pense pas que nos membres éprouvent de la difficulté à savoir ce qui se passe, mais les groupes qui ne font pas partie de notre association ou la population ne sont pas toujours au courant des changements. L'accessibilité est un aspect essentiel.

Le sénateur Frum : Quel est le rôle que joue la Gazette du Canada dans votre organisation?

M. White : Je lis chaque parution de la Gazette du Canada, et pas uniquement les parties qui touchent la santé. Je l'examine d'un bout à l'autre pour voir s'il y a des mesures qui risquent de toucher les entreprises qui sont membres de notre association.

Le sénateur Frum : C'est donc à vous qu'il incombe de découvrir ces choses? On ne vous les envoie pas; vous devez les chercher?

M. White : Le gouvernement publie régulièrement certaines listes et nous les recevons. Santé Canada a une liste de distribution et nous recevons donc automatiquement un certain nombre de choses, mais nous sommes proactifs et veillons à ce que les modifications ne nous échappent pas, parce qu'il est important que les gens soient consultés et que nous puissions faire connaître notre point de vue à l'autorité de réglementation pour ce qui est des répercussions que les nouveaux règlements pourraient avoir sur les entreprises.

Le sénateur Fraser : Le projet de loi S-12 ne compromettra pas votre capacité d'avoir accès aux documents incorporés par renvoi dynamique? Cela ne sera pas un problème pour votre organisation?

M. White : Je dirais d'une façon générale que non. Nous savons quand des changements sont apportés aux documents qui sont déjà incorporés par renvoi et nos membres sont également au courant. S'ils ne le sont pas, nous les en informons, mais encore une fois, il est certain que la population n'en saura rien.

Le sénateur Joyal : Monsieur White, vous avez mentionné que vous ne souhaitiez pas que les documents d'orientation soient incorporés par renvoi. Est-ce une question de responsabilité sociale pour vos membres? Pourquoi exiger de façon aussi précise que les documents d'orientation ne puissent être incorporés par renvoi?

M. White : Pour commencer, nous nous sommes posé des questions au sujet du mot « document ». Le sénateur Fraser a soulevé la question du sens du mot document. Nous partageons cette préoccupation.

Le gouvernement élabore les documents d'orientation pour expliquer l'objet recherché avec un règlement donné. Nous savons qu'il y a une loi et que pour appliquer la loi, il y a des règlements. Je crois que vous avez fait quelques commentaires au sujet du fait que la loi ne contient pas grand-chose, mais que ce sont les règlements qui contiennent beaucoup de choses.

En dessous des règlements, il y a quelque chose qu'on appelle les documents d'orientation qui expliquent l'interprétation qui est donnée actuellement aux règlements. Ce document est encore plus détaillé que le règlement. Toutefois, si ce document détaillé devait être ajouté au règlement sans qu'il y ait eu de discussion publique, il risquerait d'ajouter de nombreuses exigences sans qu'elles aient fait l'objet de discussion. Les documents d'orientation proposent une façon de faire les choses, mais il y a d'autres façons de les faire, pourvu que l'on puisse établir qu'elle respecte l'intention du texte d'origine. Si le document d'orientation, qui ne constitue qu'une interprétation possible, est introduit dans le règlement, cela supprime toutes les autres façons de mettre en œuvre le règlement.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, vous craignez que les documents d'orientation donnent au règlement une interprétation qui va au-delà de ce que vous savez du contenu du règlement.

M. White : Les documents d'orientation sont préparés par les autorités de réglementation, mais celles-ci ne sont pas contrôlées du tout par le Parlement. Ces autorités ne font qu'indiquer ce qui leur paraît être la bonne façon d'interpréter le règlement.

Le sénateur Joyal : Tout à fait.

M. White : Si ce genre de document était incorporé à un règlement, le Parlement n'aurait pas la possibilité de contrôler ce qu'englobe le nouveau règlement.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, cela reviendrait à réglementer certains aspects sans que personne ne soit consulté.

M. White : C'est bien là notre principale préoccupation.

Le sénateur Joyal : Est-ce que l'on retrouve cette préoccupation dans d'autres industries ou est-elle particulière à la vôtre?

M. White : Je ne suis pas en mesure de parler au nom des autres industries. Nous sommes en rapport avec Santé Canada, mais je crois qu'il y a également d'autres industries qui élaborent des documents d'orientation. Toutefois, je ne connais pas suffisamment bien leurs contenus pour savoir ce qu'en pensent d'autres organisations. Je suis désolé.

Le sénateur Joyal : D'une façon générale, j'estime, d'après votre mémoire, que vous êtes favorable à l'incorporation par renvoi.

M. White : L'incorporation par renvoi est utile pour certaines choses, par exemple, pour l'apport quotidien recommandé de vitamines. Ces données sont habituellement préparées par un groupe qui s'appelle l'Institute of Medicine et ces données changent parfois. Il n'est probablement pas nécessaire d'avoir à adopter un règlement pour le faire. Il y a aussi quelque chose que l'on appelle la pharmacopée. Il y a plusieurs pharmacopées dans le monde et elles contiennent les ingrédients et les normes qu'il faut suivre pour fabriquer des produits de qualité. Ces choses évoluent, il faut respecter la pharmacopée lorsque vous demandez à Santé Canada d'approuver votre médicament. La pharmacopée évolue.

S'il fallait attendre que le règlement soit changé, vous risqueriez d'utiliser une norme très ancienne, qui n'est pas à jour, et qui pourrait compromettre la qualité de votre produit. Les pharmacopées sont une des raisons pour lesquelles nous sommes favorables à l'incorporation par renvoi de ces types de documents. Nous pensons que cela permet de faire des économies dans ce domaine et que les produits que nous obtenons comme Canadiens et comme consommateurs sont conformes aux normes actuelles et de la meilleure qualité possible.

Le sénateur Joyal : Ce que vous venez de dire illustre ce que disait il y a un instant mon collègue le sénateur Baker, à savoir qu'il faut être un avocat ou un spécialiste pour pouvoir comprendre toutes les répercussions de la modification d'un règlement par incorporation. La plupart du temps, je pense qu'il s'agit de documents scientifiques ou très complexes qui toucheraient une industrie ou un secteur particulier. Bien entendu, seuls les spécialistes du domaine peuvent le comprendre et s'y retrouver. Les citoyens ordinaires ne souhaitent sans doute pas avoir accès à ce genre d'information.

M. White : Je suis d'accord avec vous. La plupart des choses dont nous parlons — les normes, par exemple — peuvent être très techniques. J'ai entendu les interventions précédentes. L'indice des prix à la consommation n'est peut- être pas aussi technique. Nous pourrions probablement comprendre cela, si nous examinions la population à partir des chiffres de Statistique Canada. Ce genre de chose serait facilité. Les documents dont nous parlons et qui viennent de Santé Canada sont habituellement très techniques et très spécialisés.

Le président : Nous avons épuisé notre liste.

Sénateur Fraser, voulez-vous poser une autre question?

Le sénateur Fraser : Je n'hésite jamais à le faire.

Vous avez bien démontré l'utilité d'incorporer certaines choses par renvoi. Je crois que tout le monde peut comprendre l'exemple de la pharmacopée que vous avez donné. Ce projet de loi consiste à donner un pouvoir illimité en matière d'incorporation par renvoi. Cela ferait-il une différence pour vous si le pouvoir d'effectuer les mises à jour automatiques dont vous avez parlé, pour des choses comme la pharmacopée, était attribué à Santé Canada par une loi, pourvu que la mise à jour automatique soit possible ou si cet aspect relevait plus généralement de la Loi sur les textes réglementaires?

M. White : Je dirais que si cela était exigé, et je ne sais pas si cela figure dans la loi, parce que celle-ci n'est pas aussi claire que nous le pensons. Si la loi précisait les documents qui peuvent être incorporés dans un règlement en utilisant la procédure réglementaire, avec la Gazette du Canada, et si elle les identifiait, cela réglerait peut-être le problème. Par contre, dans le cas d'un document évolutif que quelqu'un veut incorporer dans un règlement sans consultation, cela fait problème.

Le sénateur Fraser : Oui. Savez-vous s'il est arrivé que l'interprétation du ministère, telle qu'exposée dans les documents d'orientation, ait été contestée devant les tribunaux et confirmée ou annulée?

M. White : Je ne connais pas de cas de ce genre. Santé Canada pourrait dire si d'autres documents ont été contestés. En tant qu'association industrielle, nous ne participons généralement pas aux litiges qui opposent une de nos entreprises à Santé Canada. Nous ne pourrons pas participer à ce genre de chose parce que nous n'avons pas la qualité pour agir.

Le sénateur Fraser : Je pose la question parce que, lorsque je vous ai écouté il y a un instant, j'ai immédiatement pensé aux documents que le ministère du Revenu fournit aux comptables — comment interpréter la prose impénétrable de la Loi de l'impôt sur le revenu — et il arrive que ces litiges soient portés devant les tribunaux. Il arrive que le tribunal déclare : « Nous ne souscrivons pas à l'interprétation du ministère, » alors que, si nous incorporions dans un règlement l'interprétation du ministère dans un texte qui a force de loi, vous seriez un peu bloqués, n'est-ce pas?

M. White : Je suis assez d'accord avec vous. J'ai vu dans la Gazette du Canada que les tribunaux s'étaient prononcés sur les dégrèvements en matière d'impôt sur le revenu et aux choses de ce genre. Oui, je souscris à votre commentaire.

Le sénateur Joyal : Le projet d'article 18.3 du projet de loi énonce que l'autorité réglementaire doit veiller à ce que les documents, les statistiques et le reste soient accessibles. Que veut dire accessible à votre avis? Quel genre d'accès doit-on permettre, à votre avis?

M. White : Je ne pense pas être en mesure de faire un commentaire à ce sujet. Encore une fois, je ne sais pas vraiment ce que veut dire accessible, ni quelle forme devrait prendre cet accès. Veut-on dire accessible pour tous les Canadiens? Veut-on dire accessible uniquement pour les experts? Je ne peux pas vraiment vous répondre. Je n'ai pas rédigé le règlement, de sorte que je ne sais pas...

Le sénateur Joyal : C'est le projet de loi, je vous le signale.

M. White : Excusez-moi.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas de copie avec vous? Je vais vous lire cette disposition. Elle n'a que trois lignes :

L'autorité réglementaire veille à ce que le document, l'indice, le taux ou le nombre incorporé par renvoi soit accessible.

Autrement dit, qui va décider si le document est accessible ou non, dans quelles circonstances devrait-on pouvoir y avoir accès et à quelles conditions? C'est essentiellement le problème que soulève cet article du projet de loi.

M. White : Votre question me paraît excellente. Je ne peux pas y répondre. C'est toutefois un excellent commentaire. Je ne sais pas non plus ce que l'on veut dire par « accessible ». La Gazette du Canada est accessible à tous les Canadiens, mais c'est un document que nous utilisons pour prendre connaissance des règlements et des lois et qui fournit pour l'essentiel de l'information.

Le sénateur Joyal : Le problème est que l'article 18.4 soustrait ce genre d'incorporation par renvoi à l'enregistrement et à la publication dans la Gazette du Canada. Autrement dit, ce à quoi vous avez accès facilement grâce à la Gazette du Canada — le règlement incorporé par renvoi, les documents, les statistiques ou le reste — n'aura plus à être publié dans la Gazette du Canada. Il sera plus difficile pour vous, et pour les autres citoyens, d'avoir accès à cette information. C'est un aspect essentiel parce qu'il s'agit d'un règlement.

M. White : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous avons besoin de savoir ce que disent les règlements, tout comme nos membres, parce qu'ils doivent respecter ces règlements.

Le sénateur Joyal : Bien sûr, merci.

Le président : Merci, monsieur White. Nous avons apprécié votre comparution aujourd'hui et votre contribution à nos délibérations.

(La séance est levée.)


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