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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 30 - Témoignages du 28 février 2013


OTTAWA, le jeudi 28 février 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 207, Loi modifiant la Loi d'interprétation (maintien des droits autochtones ancestraux ou issus de traités), se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour en faire l'examen.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue chers collègues, invités et membres du public qui écoutent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Le comité se réunit aujourd'hui pour procéder à l'examen du projet de loi S-207, Loi modifiant la Loi d'interprétation, qui traite du maintien des droits autochtones ancestraux issus de traités. Le projet de loi a été déposé au Sénat par l'honorable Charlie Watt, sénateur d'Inkerman, au Québec, le 13 décembre 2011.

D'après son résumé, l'objectif du projet de loi S-207 est de modifier la Loi d'interprétation afin d'empêcher toute autre loi d'abroger des droits autochtones ancestraux ou issus de traités reconnus et affirmés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou d'y déroger.

Il s'agit de notre deuxième séance consacrée au projet de loi S-207 et les audiences du comité sont ouvertes au public et peuvent être suivies sur Internet. Vous pourrez obtenir davantage de renseignements sur le programme des réunions, les webémissions et les archives sur le site Web parlementaire dans la catégorie « Comités du Sénat ».

Pour débuter aujourd'hui, notre premier groupe de témoins représente la Nunavut Tunngavik Inc. J'ai le plaisir d'accueillir Cathy Towtongie, présidente, ainsi que Laurie Pelly, conseillère juridique.

Madame la présidente, j'ai cru comprendre que vous aviez une déclaration préliminaire à livrer, je vous cède donc la parole.

Cathy Towtongie, présidente, Nunavut Tunngavik Inc. : Merci, monsieur le président. C'est un privilège et un honneur d'être parmi vous. C'est extraordinaire de pouvoir rencontrer Vernon White, qui a été au Nunavut, ainsi que le sénateur Watt, et de rencontrer votre vice-présidente, la sénatrice Fraser.

Je suis ravie de constater que le Sénat a fait un travail considérable et d'excellente qualité sur le rapport en 2007. Il s'agit d'une approche logique et rationnelle des enjeux constitutionnels. C'était un excellent travail.

Merci de m'avoir invitée à comparaître devant le comité aujourd'hui. La NTI représente plus de 25 000 Inuits du Nunavut afin d'affirmer et de défendre leurs droits, en vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut de 1993.

Tout d'abord, en tant que présidente, d'un point de vue professionnel et personnel, je tiens à applaudir le Sénat, le comité et les membres de leur insistance pour que la question importante du maintien des droits autochtones ancestraux ou issus de traités obtienne l'attention qu'elle mérite.

La disposition de la dérogation, comme vous le savez, est un énoncé interprétatif. Dans le cadre d'une loi dans laquelle le Parlement n'a pas porté son attention directement sur la question de la violation de droits, une disposition de non-dérogation indique simplement que le Parlement n'a pas l'intention de déroger à des droits ancestraux autochtones ou issus de traités protégés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle. En d'autres termes, la disposition indique aux tribunaux et au grand public le fait que la loi ne fait pas involontairement quelque chose que le Parlement n'avait pas l'intention de faire.

Depuis 1998, les dispositions de non-dérogation ayant un objectif complètement différent ont commencé à apparaître dans les lois fédérales. L'introduction de diverses dispositions de plus en plus contestables a créé de la confusion autour de la question de la disposition d'interprétation des lois fédérales.

Les juristes de la NTI ont d'abord remarqué en 2001 qu'une disposition de non-dérogation modifiée était apparue dans l'une des dernières versions de la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut. La disposition modifiée comprenait une nouvelle phrase, soit que rien dans la loi ne portera atteinte aux « protections prévues » par l'article 35 pour les droits ancestraux autochtones ou issus de traités. La NTI s'est rapidement rendue compte que la nouvelle disposition apparaissait dans un certain nombre d'autres lois et était donc susceptible d'entraîner de fortes répercussions sur les droits ancestraux et issus de traités, comme la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie et la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

Aucun autre représentant autochtone avec lesquels la NTI a communiqué à cette époque n'avait été informé de ce nouveau libellé. Comme nous l'avons appris par la suite, ce nouveau libellé était le fruit d'une tentative du ministère de la Justice de modifier le sens et les répercussions des dispositions de non-dérogation.

Comme vous le savez, en vertu de l'arrêt Sparrow, des droits ancestraux autochtones ne sont pas absolus. La protection prévue en vertu de l'arrêt Sparrow permet de contrevenir à un droit ancestral dans des circonstances limitées : lorsqu'il y a un objectif législatif valable et que cette contravention est propre à sauvegarder l'honneur de la Couronne, même si cette contravention est minime, et que des consultations et des dédommagements adéquats aient été prévus, si nécessaire.

Plutôt que de refléter l'intention du Parlement de ne pas enfreindre ces droits, le nouveau libellé reflétait une intention possible d'enfreindre les droits ancestraux autochtones et issus de traités dans la mesure permise par l'arrêt Sparrow. Cependant, les droits susceptibles d'être enfreints ne sont pas identifiés dans les lois dans lesquelles on trouve ce libellé. Il se peut que cela n'ait pas été débattu au Parlement. Il se peut que cela n'ait pas été examiné par le Parlement en ce qui a trait aux objectifs des lois en question. En fait, le Parlement est tenu à l'écart de l'équation.

En 2007, des témoins du ministère de la Justice ont reconnu devant le comité que l'objectif de ce nouveau libellé était de permettre au gouvernement de conserver la capacité de défendre plus tard qu'une contravention particulière, qui n'a pas été repérée au moment de l'examen d'un projet de loi par le Parlement, est justifiée.

Comme la NTI l'a dit devant le comité en 2007, cette approche crée de la confusion entre les intentions et les préférences du ministère de la Justice et celles du Parlement. Il n'en demeure pas moins que le ministère de la Justice n'est pas en faveur de dispositions de non-dérogation. Il souhaite plutôt avoir la liberté de pouvoir interpréter plus tard de nouvelles lois comme ayant enfreint constamment les droits ancestraux autochtones. Cela est le cas même si le ministère n'a pas préalablement informé le Parlement de cette possibilité lorsque la loi était à l'examen.

Depuis 2007, et malgré le rapport final du comité, intitulé Prendre au sérieux les droits confirmés à l'article 35, les choses se sont aggravées. Cinq ans plus tard, le gouvernement n'a toujours pas rempli son engagement à examiner et à consulter attentivement les peuples autochtones concernant le rapport final.

Ce qui est audacieux, c'est que la dernière version de ce que le gouvernement décrit comme une disposition de non- dérogation est en réalité une disposition de dérogation. Le projet de loi S-8, Loi sur la salubrité de l'eau potable, a pour objectif d'autoriser expressément la loi et les règlements à déroger aux droits ancestraux autochtones et issus de traités dans la mesure nécessaire à assurer la salubrité de l'eau potable. La description de cet article par le gouvernement est non seulement trompeuse, mais elle va encore plus loin que la loi ne le permet pour ce qui est d'enfreindre ces droits.

En outre, l'adoption de règlements relève principalement de la responsabilité des fonctionnaires du ministère de la Justice, et non du Parlement. Contrairement aux projets de règlement qui doivent faire l'objet de trois lectures et examens en comité, le Parlement n'a pratiquement rien à dire sur les nouveaux règlements.

Monsieur le président, quand cela va-t-il prendre fin et qui va y mettre fin, si ce n'est pas le Parlement?

L'article 35 prévoit un mécanisme constitutionnel. Le projet de loi S-207 propose une solution réfléchie et viable à ce problème qui s'aggrave. L'incorporation du libellé initial concernant la non-dérogation dans la loi d'interprétation permettra de repartir à neuf. Ce libellé prévoira que, par défaut, lorsque le Parlement n'a pas tenu compte de la possibilité d'enfreindre les droits ancestraux autochtones et issus de traités, il n'a pas l'intention d'interpréter une loi comme enfreignant ces droits.

Cela permettra aussi au Parlement dans son rôle de représentant de tous les Canadiens d'envisager la possibilité de contrevenir à des droits ancestraux autochtones dans des cas particuliers et de prendre une décision afin d'établir l'équilibre souhaité entre les objectifs législatifs et les droits ancestraux autochtones. Le projet de loi exigera aussi que le ministère de la Justice attire l'attention du Parlement sur la possibilité d'une violation de ces droits lorsque cela est possible.

Monsieur le président, à ce moment délicat de la réconciliation entre les peuples autochtones et la Couronne, et étant donné le passé colonial du Canada envers les peuples autochtones, la responsabilité du Parlement de présenter les droits et les intérêts des peuples autochtones est particulièrement importante. La NTI exhorte le comité à recommander l'adoption du projet de loi S-207 au Sénat.

Merci beaucoup.

Le président : Merci. Nous allons commencer nos questions avec la vice-présidente du comité, la sénatrice Fraser.

La sénatrice Fraser : J'ai quelques questions. L'une d'entre elles concerne la réaction du gouvernement au rapport de 2007 présenté par le comité, lorsque le gouvernement a dit qu'il examinerait attentivement ce que nous avons proposé et qu'il consulterait les peuples autochtones. D'après ce que j'ai pu comprendre dans votre déclaration, aucune consultation n'a eu lieu

Mme Towtongie : J'ai le regret de vous informer qu'il n'y a eu aucune consultation. Je pense que le gouvernement du Canada doit tenir compte du mode de vie inuit, plus particulièrement en ce qui a trait à la conservation et à l'environnement. Il y a un mécanisme en place. En tant que membres du comité, vous devez être conscients du fait que le Nunavut est dans la région arctique et que celui-ci ne fait l'objet de lois que depuis récemment. Il nous faut davantage d'action dans ce domaine.

Je vais céder la parole à Mme Pelly.

Mme Laurie Pelly, conseillère juridique, Nunavut Tunngavik Inc. : C'est exact; je ne suis au fait d'aucune consultation de la Nunavut Tunngavik concernant ce rapport sur les dispositions de non-dérogation.

La sénatrice Fraser : S'ils ne vous ont pas consultés, il y en a probablement d'autres qui n'ont pas été non plus consultés. Cela fait plus de cinq ans maintenant.

Deuxièmement, je partage votre préoccupation concernant cette tendance récente de permettre des dérogations non seulement dans les lois mais aussi dans les règlements. Là, nous parlons de droits constitutionnels, et le simple fait de donner aux autorités réglementaires le pouvoir de déroger à des droits constitutionnels me choque et me préoccupe. Connaissez-vous des règlements qui ont été adoptés et qui selon vous dérogent à l'article 35?

Mme Towtongie : Oui, c'est le cas. Comme vous le savez, les droits prévus à l'article 35 ne sont pas absolus.

La sénatrice Fraser : Non.

Mme Towtongie : Une disposition de non-dérogation bien construite est un outil d'interprétation utile. Cela indique au Parlement que celui-ci n'a pas l'intention d'enfreindre les droits ancestraux autochtones. Cependant, il a le droit de le faire dans certaines circonstances, lorsqu'il adopte des lois.

Pour ce qui est des lois, je vais céder la parole à Mme Pelly.

Mme Pelly : Il est certain qu'il existe des règlements qui ne sont pas cohérents avec les droits des Inuits en vertu de l'Accord des revendications territoriales du Nunavut. Cet accord, comme vous le savez, est en vigueur depuis 1993, et le gouvernement a largement eu l'occasion de modifier ces règlements pour les harmoniser avec l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Dans bien des cas, probablement la plupart, cela n'a pas été fait. Dans certains cas, le gouvernement collabore avec la NTI pour modifier des règlements existants afin que ceux-ci soient conformes à l'accord, mais je dirais qu'il est certain que des règlements dérogent aux droits des Inuits.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Tout d'abord, je tiens à remercier le sénateur Watt. Il a été le seul à insister sur cette question auprès du Sénat pendant de nombreuses années et il a travaillé fort à cette fin. C'est avec beaucoup d'admiration que je l'ai vu s'efforcer d'attirer notre attention sur cette question. Il mérite donc que l'on reconnaisse son travail.

Je suis très préoccupée par ce que vous avez dit en page 5 concernant les intentions et les préférences du ministère de la Justice. Cela me préoccupe beaucoup, lorsque j'entends de vous, qui connaissez très bien cette question, que vous avez l'impression que le ministère de la Justice n'est pas en faveur des dispositions de non-dérogation. J'apprécierais si vous pouviez expliquer davantage vos propos en page 5, au deuxième paragraphe. Y a-t-il des éléments précis qui vous portent à avoir cette impression? Sur quoi vous fondez-vous pour dire cela? Je suis certaine que vous avez une raison, j'aimerais que vous en parliez davantage.

Mme Pelly : Je pense qu'il est évident, à la lumière du témoignage que le ministère de la Justice a livré au comité hier, que le ministère n'est pas en faveur des dispositions de non-dérogation et il a, dans les faits, tenu des propos quelque peu incendiaires pour décrire les dispositions de non-dérogation, en les qualifiant de dangereuses et risquées. Cela nous laisse croire que ce qui est en réalité une disposition très simple qui sert d'outil d'interprétation pour les tribunaux est, en quelque sorte, un outil puissant qui risque de menacer les droits des non-Autochtones. À mon avis, il s'agit d'une exagération grossière.

La disposition de non-dérogation initiale ainsi que celle que prévoit le projet de loi du sénateur Watt sont très rationnelles. Comme cela a été mentionné hier par certains sénateurs, cela favorisera une analyse raisonnée de la part du Parlement et donnera l'occasion d'examiner si les droits ancestraux autochtones dont l'existence est prouvée par les peuples autochtones, sont menacés ou si le Parlement souhaite enfreindre ces droits, ce qui, comme nous le savons, lui est permis en vertu de l'arrêt Sparrow. Il est exagéré de dire qu'il s'agit de dispositions dangereuses et risquées et cela témoigne de l'opinion du ministère de la Justice à leur sujet.

La sénatrice Jaffer : Mon autre question a trait au fait que la disposition de non-dérogation proposée par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles dans son rapport intitulé Prendre au sérieux les droits confirmés à l'article 35 : disposition de non-dérogation visant les droits ancestraux et issus de traités diffère quelque peu de la version anglaise de la disposition proposée dans le projet de loi S-207. À votre avis, madame Pelly, y a-t-il des différences significatives entre ces deux versions?

Mme Pelly : La version contenue dans le projet de loi du sénateur Watt reprend le libellé de la disposition de non- dérogation initiale et est bien formulée. Elle est tout à fait acceptable. Comme nous l'avons indiqué, la NTI appuie le projet de loi S-207 ainsi que son libellé. En fait, il pourrait être sage d'inclure ce genre de libellé dans l'amendement car c'est un libellé que le Parlement connaît bien et que l'on retrouve dans un certain nombre de lois qui ont été adoptées précédemment.

Le libellé proposé dans le rapport du comité permanent est un énoncé positif qui assure la protection des droits autochtones. Je pense que pour ce qui est de leur comparaison, la NTI dirait que cet énoncé est préférable et adéquat, et je ne pense pas qu'il aille trop loin de quelque manière que ce soit. Les devoirs du Parlement justifient tout à fait le fait de protéger les peuples autochtones ainsi que leurs droits existants, qui sont déjà protégés par la Constitution.

Il y a une différence pour ce qui est de l'aspect positif de l'énoncé. Pour ce qui est de leur effet d'un point de vue juridique, je ne pense pas qu'il s'agit d'une énorme différence car c'est une interprétation de l'intention de respecter les droits autochtones.

La sénatrice Jaffer : Vous préférez le libellé dans le projet de loi S-207?

Mme Pelly : S'il n'en tenait qu'à nous, nous emprunterions le libellé du rapport final du comité, mais je pense que le projet de loi S-207 contient une bonne disposition de non-dérogation. Nous l'appuyons. Elle est tout à fait adéquate et nous appuyons le projet de loi.

Le sénateur White : Ma question a trait à la consultation de différents groupes précisément dans le cadre du projet de loi et vise à savoir si les Inuvialuits, les Inuits du Labrador et d'autres organisations inuites à l'extérieur du Nunavut ont aussi été consultés à ce sujet et s'ils seraient susceptibles d'appuyer le projet de loi comme vous le faites. Je ne m'attends pas à ce que vous parliez en leur nom, mais je suis certain que vous avez discuté de cela à un moment donné.

Mme Towtongie : Tout d'abord, il y a la nouvelle loi sur la salubrité de l'eau potable des Premières nations. La campagne a permis d'examiner de façon complète le statut constitutionnel et juridique des droits ancestraux autochtones ou issus de traités, et cela touche chacun de nous. Pour la première fois, cette loi est venue contredire des promesses faites aux peuples autochtones ainsi que leurs traités et l'interprétation initiale de ces traités.

De nombreux Autochtones cherchent désespérément à améliorer la qualité de leur approvisionnement en eau en raison du sous-financement du gouvernement fédéral.

En vertu d'une caractéristique cruelle de la nouvelle loi, l'admissibilité à du financement futur de la part du gouvernement fédéral pour améliorer l'approvisionnement en eau serait liée à la volonté de vivre en vertu du nouveau régime de dérogation créé par la loi proposée. Cette nouvelle loi, la Loi sur la salubrité de l'eau potable des Premières nations, a été élaborée sans consultation des parties concernées. C'est là le problème.

Mme Pelly : En ce qui a trait au projet de loi S-207, à ma connaissance, la NTI n'a pas communiqué avec les Inuvialuits et Makiviks à ce sujet. Je laisserais au sénateur Watt et à d'autres le soin de décrire leur position; je ne peux vraiment pas m'exprimer là-dessus.

Le sénateur McIntyre : Merci de votre exposé. J'ai remarqué que les dispositions de non-dérogation s'appliquent aux lois d'interprétation du Manitoba, du Nunavut et de la Saskatchewan. J'ai aussi remarqué que les dispositions de non- dérogation du Nunavut et de la Saskatchewan se distinguent de la disposition de non-dérogation du Manitoba, qui est quelque peu différente.

J'ai aussi remarqué que le libellé du projet de loi S-207 diffère quelque peu de celui des dispositions de non- dérogation du Manitoba, du Nunavut et de la Saskatchewan.

Quelles répercussions, s'il y en a, le projet de loi S-207 aura-t-il sur le Manitoba, la Saskatchewan et le Nunavut?

Mme Pelly : D'après ce que je comprends — et je ne suis pas experte en matière de dispositions de non-dérogation du Manitoba et de la Saskatchewan —, cela s'appliquerait à leur loi provinciale, alors que le projet de loi S-207 vise précisément la loi fédérale. Je ne m'attends pas à ce que le projet de loi S-207 ait des répercussions sur ces projets de loi.

Le sénateur McIntyre : S'il était adopté, le projet de loi S-207 créerait-il de la confusion dans ces provinces ou territoires?

Mme Pelly : Je ne crois pas. D'après ce que je comprends, les dispositions de non-dérogation du Manitoba et de la Saskatchewan sont similaires.

Le sénateur McIntyre : Celles de la Saskatchewan et du Nunavut sont similaires.

Mme Pelly : En fait, je n'ai pas examiné ces dispositions moi-même. Je me fie au témoignage précédent ainsi qu'au rapport intitulé Prendre les droits prévus à l'article 35 au sérieux. J'ai cru comprendre que ces dispositions de non- dérogation sont similaires à ce que renferme le rapport final du comité permanent. Ils font bien comprendre les dispositions de non-dérogation et il n'y a eu aucune difficulté en ce qui a trait à leur représentation. Je ne vois pas en quoi le libellé simple et clair du projet de loi S-207 pourrait créer de la confusion.

Mme Towtongie : Vous avez raison. L'approche de la loi d'interprétation a été utilisée par le Manitoba et la Saskatchewan. À ce jour, ces provinces n'ont pas connu de problèmes d'ordre pratique. C'est une solution qui s'est avérée pratique.

Le sénateur McIntyre : Je comprends cela, mais si le projet de loi S-207 devait être adopté, est-ce que cela entraînerait de la confusion?

Mme Towtongie : Je ne crois pas. Le projet de loi S-207 est une disposition par défaut. Il permettra d'interpréter à la loi lorsque l'intention du Parlement n'est pas exprimée. Dans toute loi, si le ministère de la Justice est d'avis qu'il est possible que le projet de loi touche les droits ancestraux autochtones ou issus de traités, c'est quelque chose qu'il portera à l'attention du Parlement. Le Parlement peut décider de la façon dont il souhaite s'occuper de cette question précise dans le projet de loi. C'est une disposition par défaut.

Le président : À titre de question supplémentaire, les tribunaux partent du principe que chaque disposition dans une loi a été mise là pour une raison particulière. Je pense que les tribunaux cherchent à les appliquer. Ainsi, pour faire suite à la question du sénateur McIntyre, n'y a-t-il pas la possibilité que le projet de loi S-207 soit interprété d'une façon qui dépasse l'article 35? N'entrevoyez-vous pas cette possibilité?

Mme Pelly : Je ne vois rien dans le projet de loi S-207 qui pourrait être interprété comme allant au-delà de l'article 35. Il ne fait qu'indiquer l'intention du Parlement de ne pas abroger quelque droit autochtone ancestral ou issu de traité que ce soit ou d'y déroger. Je ne vois pas vraiment en quoi cela pourrait avoir une influence négative.

Le président : Comme je l'ai dit, les tribunaux tendent à penser que c'est là pour une raison et cherchent donc à l'appliquer. C'est là la préoccupation.

Mme Pelly : Peut-être que j'ai mal compris votre question. Quel libellé précis vous préoccupe?

Le président : Ce qui me préoccupe, c'est l'interprétation des tribunaux. C'est là la question. Vous êtes conseillère juridique et je vous demande si vous entrevoyez cette possibilité.

Mme Pelly : Je ne vois pas d'élément du projet de loi S-207 susceptible de ne pas faire l'objet d'une instruction d'un tribunal ou de susciter des préoccupations à celui-ci.

Le sénateur Joyal : Si vous lisez le procès-verbal du comité d'hier, vous remarquerez que j'y ai cité une lettre du ministre de la Justice datée du 24 juillet 2008. Cela avait trait au rapport du comité concernant la disposition de non- dérogation, et plus particulièrement à l'observation faite par le ministre par rapport à la recommandation 1, qui est essentiellement le contenu du projet de loi S-207.

J'aimerais citer une fois encore la lettre du ministre en ce qui a trait aux consultations qui devaient avoir lieu à la suite du rapport, plus particulièrement les recommandations 1 et 2 qui sont en jeu dans le projet de loi S-207 :

Il nous faudra aussi obtenir un aperçu de l'opinion des groupes autochtones en ce qui a trait à ces propositions, et au rapport dans son ensemble, avant d'envisager d'appuyer ou de mettre en œuvre les recommandations 1 et 2.

À votre connaissance, cette consultation a-t-elle eu lieu auprès de votre organisation ou d'autres organisations autochtones au cours des cinq dernières années? Comme je l'ai indiqué, cette lettre est datée de juillet 2008. Le ministère de la Justice ou du moins le ministre de la Justice de l'époque avait l'intention de recueillir l'opinion des groupes autochtones en ce qui a trait à l'appui de la recommandation no 1, qui avait essentiellement trait à l'enchâssement d'une disposition de non-dérogation autochtone dans la loi.

Mme Towtongie : Nous n'avons pas été consultés. On ne nous a jamais demandé de participer à une consultation. Ils veulent juste donner l'impression qu'ils nous ont consultés. Malheureusement, en tant que présidente de la NTI, je vous affirme que nous n'avons pas été consultés.

Le sénateur Joyal : Savez-vous si d'autres groupes autochtones ont été consultés?

Mme Towtongie : Non, pas à ce que je sache. Je suis la coprésidente de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales du Canada, qui s'occupe des accords issus de traités modernes, et qui regroupe 29 membres qui ont conclu des accords avec le gouvernement du Canada. Nous n'avons pas été consultés.

Le sénateur Joyal : L'autre élément qui me trouble a trait à la consultation. Vous nous avez donné l'exemple du projet de loi S-8, la Loi sur la salubrité de l'eau potable. Bien évidemment, vous avez souligné le fait que cette disposition de dérogation n'est pas en fait une disposition de non-dérogation. Comme vous l'avez dit, il s'agit d'une disposition de dérogation. Selon ce que j'ai compris, elle donne la liberté de déroger à des droits. Avez-vous été consultés par le gouvernement avant que la loi soit rédigée en incluant cette disposition de dérogation?

Mme Towtongie : Malheureusement, non, même si la déclaration de 2007 des Nations Unies parle du principe décisif de « consentement préalable accordé librement en pleine connaissance de cause ». Nous n'avons pas été consultés sur le projet de loi sur la salubrité de l'eau potable. Nous n'avons jamais été informés du projet de loi avant qu'il soit rédigé, ou pendant le processus. Nous n'en avons été informés qu'au dernier moment, lorsque nous en avons pris connaissance.

Mme Pelly : Je suis d'accord : Nous n'avons pas été consultés sur le projet de loi S-8.

Le sénateur Joyal : Avez-vous été consultés par le passé pour d'autres projets de loi où il y a des dispositions de dérogation de ce type?

Mme Pelly : Non, ce n'est pas le cas. Dans le cadre de la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut, qui est le premier projet de loi que nous ayons examiné et dans lequel nous avons découvert un nouveau libellé qui prévoyait des protections, nous avons collaboré avec le gouvernement du Canada et le ministère de la Justice à l'élaboration de ce projet de loi. Il s'agit d'une mesure législative visant la mise en œuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Et cette disposition n'a pas été portée à notre attention. Nous avons remarqué ce libellé par hasard au cours des dernières phases de l'examen du projet de loi.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, à votre avis et d'après votre expérience, vous n'avez jamais été consultés en fonction de l'arrêt Sparrow. Cela signifie que vous n'avez jamais été consultés en fonction des principes de cet arrêt, par exemple le principe de l'atteinte minimale, des autres approches qui pourraient être adoptées, de l'indemnisation et de la justification, avant que soit incluse dans une loi une disposition de dérogation qui influait sur vos droits ou votre statut.

Mme Pelly : C'est exact, sénateur. Nous ne connaissons aucun mécanisme par lequel le ministère de la Justice ou d'autres fonctionnaires du gouvernement tiennent de telles consultations et signalent aux peuples autochtones de façon générale ou particulière les dispositions des lois qui pourraient enfreindre leurs droits. Nous ne sommes pas au courant que cela se fasse de quelque façon que ce soit.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, le ministère de la Justice ou tout autre ministère qui participe à la rédaction d'une mesure législative peut inclure une disposition de dérogation dans une mesure législative à votre insu, et si cette disposition devient caduque, vous demeurez assujettis à une loi qui contient une disposition de dérogation générale, comme celle du projet de loi S-8.

Mme Pelly : C'est exact. En fait, nous sommes encore assujettis à l'application de bon nombre de dispositions de non-dérogation faibles et obscures qui ont déjà été signalées à l'attention du comité par le passé. Nous savons que le ministère de la Justice a déclaré dans son témoignage que certains groupes autochtones approuvaient la Loi sur la salubrité de l'eau potable. Je ne peux pas vraiment vous parler des consultations que le ministère pourrait avoir effectuées auprès de certains groupes précis pour obtenir leur adhésion au libellé du projet de loi.

Le sénateur Joyal : Permettez-moi d'exprimer le problème en termes plus généraux. Il n'existe pas d'organe entre le ministère de la Justice et vous par lequel le ministère de la Justice pourrait informer les peuples autochtones qui envisagent d'adopter un projet de loi qui pourrait influer sur les droits autochtones.

Mme Pelly : C'est exact. Comme on l'a déjà signalé au comité, un tel organe pourrait être très utile pour régler des problèmes lorsque le gouvernement estime être en conflit ou pour régler les problèmes d'intérêts concurrents, car il disposerait ainsi d'un groupe ou d'un organisme qui pourrait vérifier expressément si le projet de loi enfreint les droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Ce serait extrêmement utile.

Le sénateur Joyal : Il n'existe pas de telle « solution » à l'heure actuelle au ministère de la Justice ou dans les autres ministères susceptibles d'influer sur vos droits.

Mme Pelly : C'est exact, d'après ce que je sais.

Mme Towtongie : En tant que Canadienne, je trouve troublante la technique adoptée dans l'élaboration des lois, car elle permet l'érosion future des droits autochtones ancestraux ou issus de traités par les règlements que peut prendre l'exécutif du gouvernement.

Le sénateur Joyal : Bien sûr, parce qu'il faut ajouter à cela les règlements. Il n'y a pas d'autres mécanismes de consultation lorsqu'on rédige les règlements pour appliquer l'objectif de la loi. Vous vous retrouvez dans la même situation, qu'il s'agisse de règlements ou de lois adoptées par le Parlement.

Mme Towtongie : C'est vrai.

Le sénateur Joyal : Comme vous l'avez dit, les règlements sont parfois plus détaillés que les objectifs généraux des mesures législatives. En fait, c'est vraiment dans les règlements qu'il peut y avoir des atteintes à vos droits, car c'est grâce aux règlements que les lois sont mises en œuvre. Du point de vue pratique, vos droits peuvent être enfreints.

Mme Towtongie : Comme vous le savez, ce sont les fonctionnaires du ministère de la Justice qui rédigent les règlements.

Le sénateur White : Merci d'être venus témoigner devant nous aujourd'hui. Nous l'apprécions.

J'ai relu les discussions au sujet du projet de loi S-8, la Loi sur la salubrité de l'eau potable. En fait, si j'ai bien compris, cette mesure législative vise expressément les réserves. La NTI risque de ne pas être consultée parce qu'il n'y a pas de réserves au Nunavut.

Mme Pelly : La Loi sur la salubrité de l'eau potable ne s'applique pas seulement aux réserves. Toutefois, il est important de se demander si la Nunavut Tunngavik Inc. est touchée par cette loi, car elle vise expressément les organisations autochtones qui ont compétence en matière d'eau.

Le sénateur White : Pas seulement ceux dans les réserves?

Mme Pelly : C'est exact. De par son libellé, les organisations autochtones signataires des accords modernes de règlement des revendications territoriales sont autorisées à y adhérer.

Le sénateur White : Le Nunavut pourrait donc y adhérer s'il le choisit?

Mme Pelly : Il faudrait étudier attentivement ce qu'on entend par organisation autochtone ayant compétence en matière d'eau, car la Nunavut Tunngavik n'a pas compétence dans ce domaine.

Le sénateur White : Non. Le gouvernement du Nunavut aurait cette compétence, mais pas la NTI.

Mme Pelly : L'Office des eaux du Nunavut a également cette compétence.

Le sénateur Joyal : Je crains que nous ayons là un autre problème. Il n'y a pas de système qui puisse résoudre le problème des Autochtones dans le cas d'une éventualité future de dispositions de dérogation ou de non-dérogation ajoutées à des lois. Si vous n'en êtes pas informés, la loi risque d'être adoptée néanmoins. Il peut s'agir parfois de lois complexes, et l'enjeu principal de la mesure législative peut ne pas être associé d'une façon générale aux préoccupations des Autochtones. Mais ils pourraient se retrouver néanmoins assujettis à une disposition de non-dérogation à leur insu, et à l'insu également des parlementaires.

J'essaie de comprendre l'objectif du projet de loi S-207. En fait, ce projet de loi n'est-il pas le remède à ce problème?

Le ministère de la Justice ne semble pas vraiment intéressé à consulter les Autochtones en ce qui a trait à la dérogation à leurs droits, ou bien pour une question de principe, comme vous l'avez dit, parce qu'il ne s'intéresse pas à ces dispositions, ou bien dans des projets de loi particuliers dans lesquels cette question n'est pas une priorité et ne le mène pas à vous consulter.

Mme Towtongie : C'est vrai. C'est l'administration du gouvernement qui fait ces règlements, pas les élus du Parlement. C'est un problème. Mme Pelly peut vous en dire davantage à ce sujet. L'administration fait les règlements et le Parlement n'a pas son mot à dire.

Mme Pelly : Sénateur, vous avez raison de dire que le projet de loi S-207 est une solution au moins partielle à ce problème parce qu'il exige que le ministère de la Justice et d'autres représentants du gouvernement signalent au Parlement les cas dans lesquels les droits autochtones ancestraux ou issus de traités pourraient être touchés par une mesure législative. Sinon, bien sûr, c'est la Loi d'interprétation qui s'appliquera. Ils devront réfléchir expressément aux effets des mesures législatives sur les droits autochtones ancestraux ou issus de traités, et c'est ce que nous voulons en réalité.

Le président : Puisqu'il n'y a pas d'autres questions pour nos témoins, je les remercie toutes les deux d'être venues nous rencontrer aujourd'hui. Nous avons beaucoup apprécié votre contribution aux délibérations du comité.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre notre deuxième groupe de témoins. Il s'agit des représentants du Congrès des peuples autochtones, Betty Lavallée, chef nationale, et Ron Swain, vice-chef national. Également, à titre personnel, nous accueillons Sébastien Grammond, doyen de la Faculté de droit civil à l'Université d'Ottawa.

Madame Lavallée, vous voulez bien commencer?

Mme Betty Lavallée, chef nationale, Congrès des peuples autochtones : Kwe, bonjour, hello. Bonjour, sénateur Runciman, mesdames et messieurs. C'est un plaisir pour moi de venir sur le territoire traditionnel des Algonquins pour vous parler de la disposition de non-dérogation aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités.

Je suis la chef nationale du Congrès des peuples autochtones. Autrement connu sous le nom de Conseil national des Autochtones du Canada, le Congrès des peuples autochtones représente depuis 1971 les intérêts des Indiens inscrits et non inscrits hors réserve, des Inuits du Sud et des Métis de tout le Canada. À l'heure actuelle, plus de 60 p. 100 des Autochtones vivent à l'extérieur des réserves. Le Congrès est également le porte-parole national de ses organisations affiliées qui défendent les droits des Autochtones qui vivent hors réserve.

Le projet de loi S-207 est une mesure législative qui touche le cœur même de notre organisation. Comme vous le savez sans doute, feu Harry Daniels était président du Conseil national des Autochtones du Canada, qui est devenu le Congrès des peuples autochtones. Durant les débats constitutionnels, il a veillé à ce que les droits autochtones ancestraux ou issus de traités soient reconnus dans la Loi constitutionnelle de 1982, à l'article 35. Évidemment, nous estimons qu'il est important de protéger les droits autochtones ancestraux ou issus de traités et de s'assurer à ce qu'ils ne puissent être modifiés.

En décembre 2007, le Sénat a publié son rapport final intitulé Prendre au sérieux les droits confirmés à l'article 35 : Disposition de non-dérogation visant les droits ancestraux et issus de traités. Ce rapport tenait compte des opinions exprimées par le congrès, et nous continuons d'appuyer ce point de vue, qui est conforme aux recommandations du Sénat.

Après l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, on a décidé en 1986 d'ajouter aux lois fédérales des dispositions de non-dérogation pour que les lois en question « ne portent pas atteintes aux droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones du Canada visés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ». Cette disposition ne se trouvait pas dans toutes les lois. On a omis de l'ajouter à certaines lois qui touchent directement ou indirectement les intérêts des Autochtones.

Plus tard, entre 1998 et 2002, le libellé de cette disposition a été modifié sans qu'on le remarque. Il est passé de « la présente loi ne porte pas atteinte aux droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones » à « ne porte pas atteinte à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones ». Un expert du droit, Jim Aldridge, a signalé dans le rapport du Sénat que cette modification au libellé a rendu sans effet cette disposition.

Nous savons que ce libellé a été modifié en raison de l'arrêt Sparrow de la Cour suprême, en 1990. Dans cet arrêt, la Cour suprême a jugé que la protection constitutionnelle des droits autochtones ancestraux ou issus de traités n'est pas absolue et que, dans certaines circonstances, de nouvelles lois pouvaient enfreindre les droits autochtones ancestraux ou issus de traités.

Pour les Autochtones des quatre coins du Canada, la disposition de non-dérogation constituait une protection grandement nécessaire. La Commission royale sur les peuples autochtones l'a d'ailleurs reconnu comme suit :

Les Métis et les Indiens non inscrits, qui n'ont même pas la protection du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, sont beaucoup plus exposés à la discrimination et aux autres troubles sociaux. Il est exact d'affirmer que l'absence d'une initiative fédérale dans ce domaine fait en sorte qu'ils sont les plus désavantagés de tous les citoyens canadiens.

En ma qualité de chef d'une organisation autochtone nationale, je peux confirmer que cette affirmation de 1996 s'applique encore aujourd'hui. C'est frustrant de constater qu'on ne tient pas compte des droits autochtones ancestraux ou issus de traités. L'inclusion d'une disposition de non-dérogation dans la Loi d'interprétation constituerait un progrès et permettrait au gouvernement du Canada de ne pas perdre de vue le mandat que lui confère la Constitution.

Ceux qui s'opposent à cette mesure diront peut-être que cette disposition est inutile puisqu'il existe déjà dans la Charte canadienne des droits et libertés d'autres mesures de protection. Plus précisément, l'article 25 peut être invoqué pour protéger les droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Cependant, cette protection n'est pas définie, puisque la Cour suprême du Canada n'a pas fourni d'interprétation définitive quant à la relation qui existe entre l'article 25 de la Charte et l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il ne faut pas oublier non plus que l'article 35 de la Constitution n'a pas encore été défini.

Le rapport final du Sénat mentionnait une autre question importante au sujet des consultations. Le comité y a reconnu la nécessité de tenir davantage de consultations et a recommandé ce qui suit :

Le comité recommande que le ministère de la Justice élabore un processus, comprenant des consultations avec des groupes autochtones largement représentatifs, afin d'examiner les lois et règlements fédéraux déjà en place à la lumière de ces critères et qu'il rende compte des résultats de cet examen au Parlement.

Le congrès reconnaît qu'il serait avantageux de permettre des consultations accrues relativement aux mesures législatives qui peuvent influer sur les droits autochtones ancestraux ou issus de traités.

Compte tenu des écarts commis antérieurement à l'égard des dispositions de non-dérogation aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités et vu l'importance de protéger ces droits, il est essentiel d'inclure dans la Loi d'interprétation une disposition de non-dérogation.

J'espère sincèrement que mon témoignage vous aidera à préciser les enjeux relatifs à ce sujet complexe que sont les dispositions de non-dérogation.

Le président : Merci beaucoup.

Monsieur Grammond?

Sébastien Grammond, doyen, Faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je vais présenter mon témoignage dans les deux langues officielles, en commençant en français.

[Français]

Je veux d'abord attirer l'attention du comité sur le texte français qui, à mon avis, ne respecte pas les règles de la grammaire française et est différent du texte anglais. On dit que « nul texte ne porte pas atteinte ». Ça devrait être : « nul texte ne porte atteinte ». Et je pense aussi que « nul texte ne porte atteinte », ça ne rend pas très bien les nuances de la version anglaise qui dit : « No enactment shall be construed ».

Il y a l'idée d'interprétation, « so as to derogate or to abrogate ».

Permettez-moi de vous citer la version française de la loi manitobaine qui dit :

Aucune loi et aucun règlement n'ont pour effet de porter atteinte aux droits.

Donc, je crois qu'il y aurait lieu de jeter un œil plus critique sur la version française.

De façon plus générale, quelle est mon appréciation de ce projet de loi? Il faudrait d'abord savoir le but recherché par ce projet de loi. Et à mon avis, ce n'est pas clair. Il peut, on peut imaginer deux objectifs différents : on peut penser que le projet de loi aurait pour but de réitérer une protection qui existe déjà. Et à cet égard le fait que l'article réfère déjà à l'article 35 de la Constitution, ça nous laisse croire qu'on réfère en effet à une protection existante. Mais si c'est le cas, la disposition risque d'être superflue. Et d'ailleurs, les dispositions semblables contenues dans les lois fédérales adoptées depuis une vingtaine d'années ainsi que les dispositions semblables de la Loi d'interprétation au Manitoba et en Saskatchewan n'ont jamais été appliquées par les tribunaux. Donc, ça me laisse croire que ce n'est pas un instrument majeur de protection des droits des peuples autochtones.

Par contre, on peut penser que l'article vise à assurer une protection additionnelle aux droits ancestraux et issus de traité des Autochtones. Si c'est le cas, il faudrait savoir un peu plus précisément ce qu'on cherche à faire au-delà de la protection qui est accordée par la Constitution. Là encore, ce n'est pas clair dans le texte de l'article ce qu'on cherche à mettre en œuvre qui irait au-delà de l'article 35. Et on peut se demander si ce serait sage d'accorder par un tel texte une protection qui irait au-delà.

Je note que la Cour suprême a dit que le gouvernement devait, par exemple, conserver la possibilité de prendre des décisions sur la gestion des pêches, des quotas de pêche, des permis de pêche et si les droits ancestraux avaient une protection qui irait plus loin que ça, on pourrait se demander si ce pouvoir du gouvernement ne pourrait pas être remis en question. C'est un pouvoir qui doit être exercé dans le respect de l'obligation de consulter et accommoder. J'ai l'impression que le projet de loi vise simplement à énoncer une présomption interprétative. Il répète des choses qui existent déjà et qui découlent aussi d'un principe de droit constitutionnel qui est la présomption de constitutionnalité des lois, c'est-à-dire qu'on doit donner aux lois une interprétation qui a pour effet de les rendre compatibles avec la Constitution. C'est un principe bien connu de droit constitutionnel.

Je note aussi que la formulation utilisée dans cet article 8.3 semble être inspirée de l'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982. D'abord, on sait très peu de choses sur la portée précise de l'article 25. Et l'article 25 vise à harmoniser deux ensembles de droit constitutionnel : les droits et libertés garantis par la Charte et les droits des peuples autochtones. Or ici on n'a pas affaire à deux ensembles de droit constitutionnel mais plutôt à la législation par rapport à des droits constitutionnels, c'est un problème différent.

[Traduction]

Dans le rapport publié en 2007 par le comité, on dit qu'une telle disposition pourrait avoir un effet pédagogique. Elle rappellerait aux fonctionnaires qui appliquent les lois fédérales qu'ils doivent respecter les droits autochtones ancestraux ou issus de traités et s'y conformer. C'est probablement là l'objectif réel du projet de loi. Il vise à instruire ceux qui rédigent les lois et ceux qui les appliquent qu'ils ne doivent pas perdre de vue les droits des peuples autochtones.

À mon avis, le rapport du comité contenait d'autres suggestions qui seraient plus efficaces et qui mériteraient que vous les examiniez. Par exemple, le comité a dit que le gouvernement devrait demander au ministre de la Justice de faire rapport de la comptabilité des avant-projets de loi ou des projets de loi par rapport aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Le rapport recommandait aussi que le ministère de la Justice entame, en son sein, un processus visant à déterminer si les avant-projets de loi ou des règlements, ou plus généralement les mesures prises par le gouvernement sont conformes aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Un tel processus me semble plus prometteur que l'ajout d'une présomption dans une loi d'interprétation dont on sait, après quasi 20 années d'expérience, que les tribunaux ne la prennent pas en compte.

Vous devriez peut-être examiner les recommandations qui avaient été faites par le comité en 2007. En fait, cela aiderait grandement à représenter le devoir de consulter qu'a le gouvernement en ce qui a trait à des atteintes possibles aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités qui sont protégés par la Constitution.

Il serait plus prometteur de mettre au point une méthode bien définie afin d'évaluer les violations possibles plutôt que de simplement mettre en place une disposition dans la Loi d'interprétation.

Le président : Merci, monsieur.

Nous allons commencer les questions par notre vice-présidente, la sénatrice Fraser.

La sénatrice Fraser : Comme on l'a fait remarquer, madame Lavallée, voilà plus de cinq ans que le comité a déposé son rapport sur les dispositions de non-dérogation. La réaction du gouvernement à ce rapport a été qu'il contenait des propositions très intéressantes, mais surtout qu'en ce qui concerne les recommandations prises en compte dans le projet de loi dont nous sommes maintenant saisis, nous devions consulter les Autochtones. Avez-vous été consultés? Le gouvernement vous a-t-il consultés?

Mme Lavallée : Non. Pour le gouvernement, le Congrès des peuples autochtones représente des Autochtones hors réserve, inscrits et non inscrits, qui ne possèdent pas de droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Pour notre part, nous savons que nous avons ces droits.

Nous connaissons tous le jugement que vient de rendre la Cour fédérale d'appel du Canada dans l'affaire Daniels. Cela faisait 12 ans qu'on attendait qu'une cour fasse une référence constitutionnelle. Nous avons joué un rôle déterminant dans la Loi constitutionnelle de 1982. Feu Harry Daniels s'est battu avec acharnement pour faire reconnaître les droits des peuples autochtones, quel que soit le titre ou l'étiquette qu'on nous accolait à l'époque, parce que nous savions qu'un jour, ces erreurs seraient corrigées. Nos gens allaient devenir plus instruits, s'intéresser de plus près à ce qui se passe sur la scène politique à Ottawa, et ainsi, ils allaient se mettre à contester pour leurs droits. Nous voyons maintenant ce que cela rapporte.

La sénatrice Fraser : Néanmoins, pas de consultation?

Mme Lavallée : Aucune consultation.

[Français]

La sénatrice Fraser : Monsieur Grammond, bienvenue au comité. En fait, rebienvenue, puisque ce n'est pas la première fois que vous venez nous rencontrer.

[Traduction]

En réponse à ce que vous disiez, au sujet de la façon dont nous en sommes venus là, je siégeais au comité au moment de la rédaction du rapport. L'un des facteurs qui nous a poussés à faire la recommandation no 1, sur la disposition de non-dérogation de la Loi d'interprétation, était qu'on avait eu l'impression d'un glissement dans la formulation des dispositions relatives à l'interprétation qui, a priori, avait été plutôt claire, en disant « au cas où on l'oublie, l'article 35 s'applique ». Peu à peu, ces dispositions ont été affaiblies, jusqu'au point où la dérogation devienne permise par un règlement, ce qui est une façon très bizarre d'aborder les questions des droits constitutionnels. À l'époque, je crois que plusieurs membres du comité ont pensé « il faut y mettre le holà; revenir au point où on aurait dû commencer, c'est-à- dire avec une disposition standard de non-dérogation pour qu'il ne soit pas si simple de permettre la dérogation ».

Ma question porte sur le principe voulant que le gouvernement soit tenu de déterminer si les droits des Autochtones ont été respectés, et d'en attester. J'ai moi-même approuvé cette recommandation, et je pense encore qu'il serait bon que ce soit fait correctement. Cependant, avec le temps qui passe, je vois plus de projets de loi qui nous sont présentés et qui sont attestés conformes à la Charte des droits et libertés, mais qui en vérité ne le sont pas.

Je sais que vous êtes au courant des cas dont les tribunaux ont été saisis. Je n'en parlerai pas, sauf pour dire que certaines allégations qui ont été faites n'ont peut-être pas surpris ceux d'entre nous qui ont observé la démarche dont j'ai parlé. Je ne jette le blâme sur aucun gouvernement ni parti politique. Il existe une dynamique institutionnelle qui touche tous les gouvernements, et toute la bureaucratie qui les encadre.

Dans quelle mesure, à votre avis, est-il réaliste de donner foi à ce type de processus d'évaluation, compte tenu de ce que nous savons d'autres évaluations semblables qui ont été menées?

M. Grammond : C'est une question qui est tout à fait d'actualité, compte tenu de ce qu'on voit dans les médias ces derniers temps.

Il y aurait diverses possibilités. Dans la recommandation 3(a), le comité propose quelque chose qui correspondrait à l'article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice, qui souhaite en gros la création du mécanisme dont vous parliez.

Je sais que certaines allégations ont été faites au sujet de ce processus. Il ne faut pas oublier que cet article pousse en réalité le ministre de la Justice à critiquer les projets de loi que présente le parti au pouvoir, ce qui pourrait être perçu comme une rupture de solidarité du cabinet. L'intention était bonne, mais cela pourrait causer un problème d'ordre politique.

Il pourrait y avoir d'autres façons de faire, et je pense que ce que propose la recommandation 3(c) en est une, c'est-à- dire un processus interne au sein du ministère. On pourrait aussi envisager d'en charger un agent du Parlement ou de conférer au vérificateur général le pouvoir de traiter de ces questions. Malheureusement, je ne suis pas venu ici aujourd'hui avec un avant-projet de ce que pourrait être ce processus, mais je crois qu'il serait possible d'envisager un processus qui donnerait quelques garanties d'indépendance et permettrait un examen plus attentif afin de déterminer si des projets de loi portent atteinte aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Cette question mérite plus mûre réflexion.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bonjour, madame Lavallée, monsieur Swain et monsieur Grammond. C'est toujours intéressant que vous entendre. J'apprécie le travail du sénateur Watt dans ce dossier, mais il reste que je me pose des questions sur l'utilisation de ce projet de loi, à savoir s'il va améliorer le respect et la reconnaissance des droits fondamentaux des Autochtones.

Hier, j'ai émis la problématique de la Loi sur les pêches du Canada que les provinces doivent respecter lorsque vient le temps d'appliquer leur réglementation sur la pêche commerciale, la pêche sportive et la pêche de subsistance, entre autres. Dans les années 1980, le Québec a dû modifier sa propre réglementation pour prioriser les droits des Autochtones — un exemple — par rapport aux pêcheurs sportifs qui avaient, historiquement, priorité sur les droits autochtones. On l'a vu, l'article 35 a eu des effets assez significatifs au Québec.

La même problématique s'est posée au niveau de la chasse. Je suis originaire de l'Abitibi et j'ai beaucoup travaillé avec les Algonquins. J'étais le directeur régional du ministère des Loisirs Chasse et Pêche, donc j'avais à travailler de façon quotidienne avec les chefs autochtones pour la pratique de prélèvement d'orignaux, entre autres dans la réserve de la Vérendrye où on avait des problèmes majeurs parce qu'on imposait aux Blancs une réglementation souvent plus restrictive qu'aux Autochtones. Je vous donne l'exemple de l'interdiction de chasse de nuit; c'était interdit à tout le monde, Autochtones comme Blancs. La pêche sur les frayères à poisson, c'était interdit pour tout le monde.

Entre 1985 et 1990, il y a eu beaucoup de discussions avec les Autochtones pour assouplir le prélèvement de l'orignal, où maintenant on reconnaît aux Autochtones le droit de chasser la nuit, alors qu'on ne le reconnaît pas aux Blancs. On reconnaît aux Autochtones le droit de chasser avec une lumière; on ne le reconnaît pas aux Blancs. L'article 35 de la Charte est vraiment venu modifier en profondeur la réglementation sur le plan de la chasse pour accorder aux Autochtones une reconnaissance encore plus grande du droit à la subsistance par la chasse, droit qu'on ne reconnaît pas à la population blanche.

Monsieur Grammond, croyez-vous que l'article 35 de la Charte fait bien son travail sur le plan de la reconnaissance des droits ancestraux et fondamentaux des Autochtones? Est-ce que l'adoption du projet de loi du sénateur Watt ne risque pas de connaître le même sort qu'en Saskatchewan et au Manitoba, où les tribunaux font un peu fi de l'adoption du projet de loi? Est-ce qu'il risque de se produire la même chose avec ce projet de loi en ce qui traite de la reconnaissance des droits autochtones par nos tribunaux?

M. Grammond : En ce qui concerne la question de savoir si l'article 35 de la Charte fait bien son travail, je pense qu'il y a eu des progrès. Évidemment, il y a des gens qui vont trouver que ça va trop loin, il y a des gens qui vont trouver que ça ne va pas assez loin.

Je crois que la Cour suprême a accompli un travail important pour tenter de trouver un sens pratique à donner à cet article qui accorde une protection réelle aux droits des Autochtones, mais qui concilie cette protection avec les intérêts du reste de la population.

Je dirais aussi que c'est une interprétation qui accorde son juste rôle à chaque acteur du système, qui reconnaît que finalement, il appartient d'abord au gouvernement et aux Autochtones de régler les problèmes et que les tribunaux ne peuvent pas tout régler. C'est la raison pour laquelle la cour a mis en place une obligation de consultation qui ne dicte pas le résultat, mais qui suggère aux parties de négocier dans le but de trouver une solution. Dans ce contexte, la solution risque d'être beaucoup plus acceptable à tout le monde que ne le serait une décision imposée par les tribunaux. Il y a donc des choses très intéressantes dans la façon dont la Cour suprême a interprété l'article 35, notamment dans l'approche de la juge en chef Beverly McLaughlin.

En ce qui concerne le deuxième volet de votre question, je crois qu'une règle d'interprétation comme celle-là, qui ne fait que répliquer une protection déjà accordée par la Constitution, risque de passer inaperçu ou de ne pas être prise en considération. Pourquoi? Parce que généralement, les gens vont invoquer la disposition constitutionnelle puisqu'elle a une force constitutionnelle.

Il faut comprendre que Loi d'interprétation ne s'applique qu'en l'absence d'intention contraire et cela fait partie de la méthode d'interprétation juridique. On doit toujours rechercher l'intention du législateur et lorsque ce dernier s'exprime clairement, c'est ce qu'on applique, non pas une présomption issue de la Loi d'interprétation.

Je voudrais simplement qu'on n'adopte pas une mesure qui serait une promesse qui ne produirait que peu ou pas de résultat. Je ne m'oppose pas comme tel à ce genre de mesure, mais je crois qu'on devrait davantage se concentrer sur des mesures concrètes au sujet desquelles les Autochtones et le gouvernement vont discuter et tenter de trouver des solutions qui soient mutuellement acceptables.

D'abord, c'est l'esprit de l'obligation de consulter que la Cour suprême a mise en place depuis près de dix ans. Aussi, c'est l'esprit des recommandations de 2007 du comité qui cherchait à mettre en place le processus. Comme la sénatrice Fraser l'a mentionné, le processus n'est pas parfait et peut-être qu'on peut y réfléchir, mais c'est un peu le message que je voulais véhiculer et les impressions que j'avais à la lecture du projet de loi.

Le sénateur Boisvenu : Si j'interprète bien votre réponse, la problématique réside beaucoup plus dans le processus de consultation — qui fait souvent défaut — que dans une loi additionnelle qui n'ajoute pas beaucoup au processus de négociation qui confirme davantage le droit à la reconnaissance des droits ancestraux. Donc la problématique, selon vous, est beaucoup plus dans le processus?

M. Grammond : Je pense que oui. À mon avis, on devrait mettre en place un processus et peut-être devrait-on l'encadrer par une loi. Je crois qu'il serait plus utile de mettre en place un processus qui va amener le gouvernement à consulter les Autochtones, et à trouver des solutions appropriées lorsqu'un projet de loi risque de porter atteinte aux droits ancestraux. Je pense qu'à ce moment-là on identifierait le problème et on pourrait tenter de le résoudre plutôt que simplement inclure une directive qui dirait que nulle loi n'est censée porter atteinte. Mais si la loi porte atteinte, on n'a pas réglé le problème.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je tiens à vous remercier tous trois d'être ici. Je trouve vos propos très instructifs.

La question des consultations revient constamment sur le tapis. Madame Lavallée, monsieur Swain, si vous deviez concevoir un processus de consultation avec le Congrès des peuples autochtones et la communauté autochtone, quelle forme prendrait-il pour vous? Quel genre de processus est-ce que ce serait? Vous comprenez, nous avons attendu cinq ans parce que le gouvernement avait dit que nous allions consulter, mais à vous entendre, je ressens de l'humilité, parce que vous, vous avez attendu encore plus longtemps. J'aimerais que vous me disiez ce que dans votre esprit, ce processus de consultation devrait être.

Monsieur Grammond, vous êtes très au courant des questions dont on traite ici, j'aimerais aussi savoir ce que vous pensez. À votre avis, dans une démarche judiciaire, qu'est-ce que les tribunaux accepteraient comme processus de consultation?

Mme Lavallée : Je vous remercie pour cette question, sénatrice Jaffer. J'espère bien qu'on a tiré des leçons de ce qui s'est passé ces derniers mois.

J'ai été chef et présidente du Conseil des peuples autochtones du Nouveau-Brunswick pendant 16 ans avant d'accéder au niveau national. Avant cela, j'ai été dans l'armée pendant 17 ans. Je suis habituée aux processus de consultation qui descendent et remontent la chaîne hiérarchique. Quand je devais consulter les gens, j'allais dans les collectivités, voir les gens de la base, et nous tenions des assemblées publiques.

Si vous voulez que les gens acceptent le changement, se modernisent et évoluent, qu'ils deviennent des citoyens productifs et qu'ils collaborent avec le gouvernement, il faut les intégrer dans un processus. Il est plus facile de faire accepter quelque chose à des gens qui ont participé à résoudre le problème. C'est ainsi que j'ai toujours travaillé.

Au bureau national, je ne manque jamais d'occasions de rencontrer les gens et de discuter avec eux. Si nous devons parler d'un sujet particulier et nous avons les fonds, ces fonds, normalement, sont affectés au plus petit dénominateur commun, au niveau communautaire. Ils ne sont pas bloqués à l'échelon national de l'organisation, ni à celui de l'organisme provincial ou territorial. Ils sont investis dans la communauté, pour que les gens de la communauté puissent avoir leur mot à dire dans ce qui se passe.

Ça va même encore plus loin. Si vous avez consulté notre site Web depuis mon accession à la direction, vous avez dû constater que même les renseignements financiers de notre bureau national sont désormais publiés en ligne. Toutes nos vérifications sont publiées en ligne, de sorte que n'importe qui sur le terrain peut voir ce qui se passe au niveau national, y compris mon salaire, mes dépenses, mes politiques et procédures, et la manière dont nous fonctionnons au quotidien. Nos règlements sont maintenant publiés. Si je veux inspirer confiance aux gens, je dois les intégrer au dialogue, sinon je ne serais pas un chef efficace.

Ron Swain, vice-chef national, Congrès des peuples autochtones : Je suis vice-chef national du Congrès des peuples autochtones. Je tiens à informer tous les sénateurs que notre collègue ici a présenté des témoignages en ce qui concerne l'affaire Daniels, une affaire plaidée avec succès, qui identifie les Métis et les Indiens non inscrits, comme des Indiens en vertu de l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle. Je soulève ceci parce qu'il s'agit d'une personne avec beaucoup de connaissances et ayant une expertise qui dépasse la mienne et celle de ma collègue, le chef national. En tant qu'Autochtones, certains parmi nous mènent une vie très simple, et nous devons consulter les experts en la matière pour qu'on comprenne de quoi il s'agit dans un langage qu'on connaît. Dans la culture autochtone, un élément de la consultation comporte la communication, une communication qui tient compte du dénominateur commun, c'est-à-dire les gens de la communauté. Mais en faisant une telle consultation, il nous faut des ressources pour embaucher les experts en la matière, pour interpréter le tout, pour convertir ce langage en quelque chose qui soit accessible à tous pour ensuite le transmettre à notre peuple.

Malheureusement, ce qui arrive surtout, c'est que le processus de consultation ne prévoit pas assez d'argent pour pouvoir tenir compte de cet élément. Ensuite, cela prend beaucoup de temps. Si on trouve de l'argent, les consultations vont avoir lieu.

Je ne sais pas si vous vous rappelez tous du processus constitutionnel lorsqu'Ovide Mercredi a dû quitter la salle pour consulter les chefs qui attendaient à l'extérieur. Je me trouvais dans cette salle, assis derrière notre délégation, et j'ai pu constater la frustration de tous les premiers ministres provinciaux et du premier ministre de l'époque parce que cette consultation a ralenti le tout. Simplement parce que le chef national de l'APN a consulté un petit groupe de personnes qui se trouvaient dans l'autre salle. J'étais jeune homme à l'époque, en train de regarder tout le processus, et il est devenu très évident que notre façon de faire affaire était tout à fait différente du reste du Canada. Je voulais simplement souligner cet exemple.

Madame la sénatrice, je suis heureux que vous ayez posé la question. Notre processus de consultation est lent et délibéré jusqu'à une certaine mesure. Comme le sénateur Watt l'a affirmé, en faisant de la consultation, il faut créer un consensus, ce qui est un processus lent.

Le président : Monsieur Grammond, voulez-vous répondre?

M. Grammond : Oui. Il est vrai que le processus est long, mais selon mon expérience, une fois la décision prise, elle est respectée. Vous pouvez compter sur ce respect parce qu'ils ont réussi à obtenir un consensus. Ceci est important.

Je crois que vous avez posé une question sur le type de processus qu'on aimerait voir? Quel serait son aspect essentiel?

La sénatrice Jaffer : Qu'est-ce que les tribunaux aimeraient voir? Vous avez de l'expérience en la matière.

M. Grammond : Comme première étape, je crois qu'il faut prévoir un processus au sein du gouvernement pour identifier là où les lois, la réglementation ou une mesure gouvernementale — la délivrance d'un permis ou ce genre de choses — pourraient porter atteinte aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités.

Ce n'est pas une tâche facile parce que la portée des droits autochtones ancestraux ou issus de traités n'est pas toujours bien définie. Je crois que nous savons tous cela.

Une fois qu'on a identifié une conséquence possible, je crois qu'un tel processus devrait nous permettre de demander l'avis des peuples autochtones concernés dont les droits seront touchés pour ensuite entamer un processus de discussion visant un compromis acceptable pour tout le monde quant à la façon de procéder pour minimiser l'impact sur les droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Est-ce qu'il faut prévoir une rémunération ou existe-t-il une autre solution?

Je crois que le chef Lavallée a dit qu'il est bien plus préférable que nous fassions partie de la solution. À mon avis, le but ultime de tous ces processus, c'est de s'assurer que les peuples autochtones fassent partie de la solution, qu'ils participent au processus décisionnel. C'est dans cet esprit-là qu'il faut mettre en œuvre une telle mesure.

De plus, le financement est un enjeu important. J'ai des amis dans les communautés autochtones qui disent avoir des piles de demandes de consultation qui s'accumulent sur leur bureau mais qu'ils n'ont pas les ressources pour y donner suite et il serait important d'obtenir un financement pour pouvoir le faire.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous pour vos exposés. Ma première question porte sur les mots, en anglais, « abrogate » et « derogate ». Qu'est-ce que ces mots veulent vraiment dire et est-ce qu'il y a une différence entre les deux?

M. Grammond : Bonne question. Ce sont les mots qui se trouvent à l'article 25 de la Charte. Cette Charte date maintenant de 30 ans et nous n'avons pas encore une interprétation définitive de ces mots. Le mot « abrogate » pourrait vouloir dire abroger. « Derogate » pourrait laisser entendre une violation quelconque. Nous n'avons pas, notamment dans le contexte de l'article 25, que je présume être plus ou moins le même contexte qu'ici, une interprétation définitive de ces mots.

Le sénateur McIntyre : Nous trouvons également ces mêmes mots dans les dispositions de non-dérogation, et pourtant ces articles n'ont pas fait l'objet d'une interprétation judiciaire.

M. Grammond : À ma connaissance, c'est exact.

Le sénateur McIntyre : C'est exact.

Vous avez tous parlé de la consultation. Étant donné que le projet de loi S-207 est un projet de loi d'intérêt public du Sénat plutôt qu'un projet de loi émanant du gouvernement, qui serait responsable de ces consultations, ou est-ce vraiment important? Je devrais peut-être poser cette question au ministère de la Justice?

M. Grammond : Oui, j'aimerais bien connaître la réponse, mais je peux vous donner les éléments de base.

Si vous me posez une question au sujet du devoir de consultation, tel qu'il est conçu et appliqué par la Cour suprême, vous devez demander qui a le devoir de consulter. S'agit-il de la Couronne? Qui représente la Couronne? À mon avis, le fait que ce projet de loi émane du Sénat et non pas du gouvernement pose un problème. Le Sénat pourrait entamer ces consultations lui-même. Cependant — et je parle sans vraiment avoir réfléchi à la question —, la Cour suprême a dit qu'il serait possible de se servir des processus actuels comme moyen d'acquitter l'obligation de consulter de la Couronne.

Dans le contexte du Sénat, on pourrait acquitter l'obligation en tenant des séances d'un comité comme celui-ci, si de telles séances donnent aux peuples autochtones la possibilité d'exprimer leurs points de vue et leurs préoccupations de façon appropriée. Je sais que certains comités sénatoriaux ont fait des tournées au Canada. Cela pourrait faire partie du processus également. Il faut comprendre, cependant, que la Cour suprême a dit que les consultations doivent être adaptées à chaque situation. Évidemment il est difficile de répondre à cette question hypothétique, mais j'espère que ma réponse peut vous orienter quelque peu.

Le sénateur McIntyre : Sans doute c'est la Couronne qui en est responsable. Qu'il s'agisse d'un projet de loi d'intérêt public du Sénat ou d'un projet de loi émanant du gouvernement, c'est la Couronne qui demeure responsable, en tenant compte du rapport fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones. En tout cas, c'est mon interprétation.

M. Grammond : C'est une possibilité.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, madame Lavallée, monsieur Swain et monsieur Grammond. Merci de nous avoir rappelé M. Daniels. Je me souviens très bien de lui lorsqu'il a comparu comme témoin principal devant moi il y a bien longtemps, en 1981, et sa contribution pour faire reconnaître les Métis dans la Constitution. Comme vous le savez, la résolution originale ne reconnaissait pas les Métis. À la lumière de cette affaire devant la Cour fédérale il est revenu à la charge pour faire reconnaître la responsabilité du gouvernement fédéral à l'égard des Métis, je comprends les mesures correctives qu'il faut préconiser.

J'aimerais rappeler à M. Grammond qu'il s'agit de mesures correctives pour pallier la non-reconnaissance des droits autochtones depuis des siècles. Ces gens se battent pour être consultés. Ils ne sont pas consultés. Nous avons recommandé que le gouvernement les consulte. Dans sa lettre datée 2008, le gouvernement a promis de les consulter. « Nous souhaitons aussi obtenir le point de vue des groupes autochtones », puis il a fait référence aux recommandations dont nous discutons maintenant dans le cadre du débat sur le projet de loi S-207, et le gouvernement n'a rien fait pendant cinq ans — rien du tout.

Le Sénat se penche actuellement sur le projet de loi S-8, la Loi sur la salubrité de l'eau potable. Le gouvernement doit consulter les Autochtones car il y a une clause de dérogation dans la loi. Pourtant, les Autochtones n'ont jamais été consultés.

Nous pouvons rêver d'un monde idéal, mais dans le monde d'aujourd'hui, dans le système tel qu'il fonctionne actuellement, on va à l'encontre de la reconnaissance et du respect des droits des Autochtones. J'en ai été témoin pendant mes 40 ans au Parlement du Canada, depuis 1972.

Le projet de loi S-207 est un petit pas en avant mais il n'y a aucun autre recours qui peut forcer le gouvernement à consulter les Autochtones. Le gouvernement les consulte lorsque cela convient aux fins du gouvernement. Rien ne l'y astreint. Lorsque les droits des Autochtones sont violés, ils essaient d'aller devant les tribunaux. Qui paie la note lorsqu'ils vont devant les tribunaux et combien de temps met-on à obtenir une décision par laquelle le tribunal demande au gouvernement pourquoi il n'y a eu aucune consultation?

Il faut comprendre le fardeau systémique qui pèse contre la reconnaissance et le respect des droits des Autochtones. Il faut aussi comprendre le rôle législatif du gouvernement fédéral, qui agit dans l'intérêt de tout le Canada et pour tous les Canadiens, qu'ils soient blancs, non blancs, ou de toute race ou origine.

Voilà donc ce en quoi consiste la loi. Nous ne vivons pas dans un monde idéal. Nous vivons dans le vrai monde, et dans ce vrai monde la consultation ne fonctionne pas sur une base quotidienne ou régulière. Voilà pourquoi d'après moi, la première recommandation de notre rapport doit rappeler aux rédacteurs législatifs qu'ils doivent tenir compte des droits des Autochtones.

Madame Lavallée, à quand remonte votre dernière consultation par le gouvernement fédéral concernant un projet de loi ou un projet majeur?

Mme Lavallée : Ma dernière consultation portait sur les droits en matière de biens immobiliers matrimoniaux. Je crois que cela fait environ deux ans.

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous vous souvenez d'autres lois pour lesquelles vous avez été consultée?

Mme Lavallée : Nous avons été consultés sur la gouvernance dans l'ancien projet de loi C-7.

M. Swain : C'était en 2002 je crois.

Mme Lavallée : En fait, je croyais que c'était en 2007.

Le sénateur Joyal : La première version du projet de loi. Oui, je m'en souviens.

Mme Lavallée : Je crois que la question des droits en matière de biens immobiliers matrimoniaux est essentiellement la dernière pour laquelle nous avons été consultés.

Souvent, les changements ou les projets de loi n'ont qu'un faible lien avec les enjeux de la Loi sur les Indiens. Sans jouir de la même reconnaissance que dans Daniels, nous sommes plus ou moins exclus du processus consultatif.

Pour faire écho aux propos de M. Grammond, même les gouvernements provinciaux ne consultent généralement pas les Autochtones vivant hors réserve. Sans carte d'Indien inscrit et sans vivre dans une réserve, en ce qui les concerne, vous n'êtes pas Indien; vous êtes simplement un citoyen ordinaire de la province. J'en sais quelque chose, j'ai vécu la guerre du homard, Burnt Church; la décision Bernard, la décision Marshall. Au moment de l'arrêt Marshall, nous croyions au Nouveau-Brunswick et sur la côte Est qu'il serait enfin possible de faire des progrès concernant nos traités datant d'avant la confédération. Nous faisions partie du processus des traités. C'était grâce à notre organisation au Nouveau-Brunswick, grâce à nos anciens chefs Gary Gould et Alan Semple qui ont rédigé le début du processus de traités sur la côte Est, notre terre c'est les Maritimes. C'est alors que nous constatons avec surprise que le gouvernement se prononce uniquement concernant la manifestation actuelle du traité, c'est-à-dire la Loi sur les Indiens. Nous étions carrément des personae non gratae.

C'est problématique et c'est pourquoi nous appuyons le projet de loi. La question a toujours été considérée une farce à l'interne, surtout lorsque nous devons composer avec des poursuites judiciaires. Avec l'article 35, le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein? Nous n'en savons rien. Certains problèmes commencent à être résolus, mais pas assez rapidement.

Tout progrès vers la reconnaissance ou la protection des droits en vertu de l'article 35, si petit soit-il, est un pas vers l'avant pour nous.

Le président : Monsieur Grammond, vous aurez l'occasion de répondre au sénateur Joyal, puis il faudra passer à autre chose pour donner le droit de parole aux autres sénateurs. Veuillez être le plus bref possible.

M. Grammond : Je reconnais qu'il y a des réalités politiques dont je ne suis pas forcément au courant, mais il ne faut pas abandonner la consultation. C'est un principe important qui a considérablement changé les lois touchant les peuples autochtones au pays depuis les 10 dernières années. Je concède que le processus ne fonctionne pas toujours; on ignore souvent les Indiens non-inscrits ou les personnes qui vivent à l'extérieur des réserves et il faut trouver une solution. Cependant je dirais que la consultation et l'intégration au processus décisionnel constituent la méthode à préconiser.

La sénatrice Fraser : Monsieur Grammond, au sujet de la consultation, il me semble que nous nous retrouvons sans issue si nous affirmons que seules les consultations de la Couronne comptent pour quelque chose. Il semble assez clair que lorsque le gouvernement souhaite accomplir quelque chose, il ne consulte pas forcément toutes les personnes qui en subiront les effets.

Lorsque le gouvernement veut éviter d'agir, il ne fait aucune consultation. De toute évidence, le gouvernement ne veut pas se lier les mains d'aucune façon que ce soit concernant la non-dérogation et la dérogation. C'est pourquoi les projets de loi d'initiative parlementaire peuvent être très utiles.

Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de consulter le témoignage d'hier soir du sénateur Watt.

M. Grammond : Malheureusement non.

La sénatrice Fraser : Lui-même Autochtone, il a consulté une vaste gamme avant de présenter le projet de loi. D'après moi, l'étude du comité sénatorial constitue une forme assez prolongée de consultation où chaque témoin autochtone a dit : « Nous voulons que cette situation soit réglée. ». Dans la plupart des cas, ils préféraient exactement ce que ce projet de loi propose. Est-ce que cela ne constitue pas une consultation?

M. Grammond : Il s'agit certainement d'une forme de consultation. Je n'ai pas eu l'occasion d'évaluer la chose pour vous dire si c'est conforme à un devoir de consultation, il serait d'ailleurs sans doute difficile de faire une telle évaluation, mais il s'agit certainement d'une forme de consultation. Si les représentants d'organisations autochtones nationales disent « Nous voulons cela », il s'agit certainement d'une consultation. Je ne parlais pas forcément d'une consultation concernant cette loi en particulier mais plutôt d'une consultation générale afin de prévenir les entraves éventuelles aux droits autochtones issus des traités. Voilà pour moi le nerf de la question.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Grammond, vous connaissez très bien cet enjeu. Au fil des ans, avez-vous observé une dilution des droits de non-dérogation lors de la présentation de nouveaux projets de loi? Au début, vous avez dit qu'il y a la Charte et qu'il y a la loi. Trouvez-vous qu'au fur et à mesure qu'on présente des projets de loi, on constate une dilution de la non-dérogation?

M. Grammond : Oui et non; cela dépend de l'intention et je ne pourrais pas vous donner de réponse ferme. On peut voir qu'au début, ils étaient formulés plus ou moins de la même façon que dans le projet de loi. Par la suite, le libellé était plutôt du style : « Ceci n'a pas préséance sur la protection accordée par l'article 35 aux droits autochtones ancestraux ou issus de traités. » Voilà une formulation plus étroite que la première puisque cette dernière donne l'impression qu'on pourrait aller au-delà des protections accordées par l'article 35. Cependant, c'est une question nébuleuse car nous disposons de très peu d'autorités quant au sens de cette formulation et au sens de l'article 25 d'où cela a été tiré.

Le président : Merci à tous de votre comparution aujourd'hui. Vous avez beaucoup aidé le comité dans ses délibérations.

Nous allons maintenant passer à l'étude article par article du projet de loi.

La sénatrice Jaffer : Je croyais que nous procédions à l'étude article par article un autre jour pour avoir le temps de réfléchir à ce que nous avons entendu. Je vois que cela n'a pas été le cas une ou deux fois.

Le président : Le comité directeur a discuté longuement à ce sujet, et le comité directeur a unanimement décidé de procéder à l'étude article par article aujourd'hui.

La sénatrice Jaffer : Est-ce un départ...

Le président : Il ne s'agit pas d'une habitude mais d'une exception dans ce cas-ci, oui.

La sénatrice Fraser : De notre côté, je puis assurer la sénatrice Jaffer qu'au comité directeur je donne régulièrement le laïus pour éviter de continuer le jour même, mais il y avait des raisons de procéder ainsi aujourd'hui.

Le président : Plaît-il au comité de procéder à l'étude article par article du projet de loi S-207, Loi modifiant la Loi d'interprétation (maintien des droits autochtones ancestraux ou issus de traités)?

Des voix : D'accord.

Le président : Le titre est-il réservé?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1 est-il adopté?

Le sénateur Joyal : Lorsque nous avons entamé l'étude du projet de loi, j'ai indiqué que la version française comportait un défaut. J'ai l'intention de présenter une motion selon laquelle le projet de loi S-207 soit modifié à l'article 1 de la page 1 pour remplacer la ligne 7 de la version française par ce qui suit :

[Français]

« 8.3. Nul texte ne porte atteinte aux droits »

[Traduction]

Il s'agit en gros d'éliminer le mot « pas » de la ligne 7.

Le président : Des copies de l'amendement sont distribuées.

Y a-t-il une question pour le sénateur Joyal?

Le sénateur White : Il s'agit d'un amendement quelque peu différent par rapport à ceux que nous avons déjà envisagés. Aurons-nous toujours l'occasion d'en débattre au Sénat?

Le président : Tout à fait.

Le président : Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : D'accord.

Le président : La motion d'amendement est adoptée.

L'article 1 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le projet de loi modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Plaît-il au comité que je fasse rapport du projet de loi modifié au Sénat?

Des voix : D'accord.

Cela met fin à la séance. Merci à tous.

(La séance est levée.)


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