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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 31 - Témoignages du 7 mars 2013


OTTAWA, le jeudi 7 mars 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 37, Loi modifiant le Code criminel, se réunit aujourd'hui, à 11 h 2, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui assistent aujourd'hui aux délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre l'examen du projet de loi C-37, Loi modifiant le Code criminel, qui vise à modifier le Code criminel pour changer les règles relatives à la suramende compensatoire. Les principales modifications proposées consistent à doubler le montant de la suramende compensatoire, à retirer l'exemption pour cause de « préjudice injustifié » et à ajouter le recours possible au « mode facultatif de paiement d'une amende » pour le paiement de la suramende compensatoire.

Je rappellerai aux personnes qui suivent nos délibérations que les séances du comité sont ouvertes au public et sont également offertes en webdiffusion sur le site web parl.gc.ca. Vous y trouverez également de plus amples renseignements sur la comparution des témoins sous la rubrique « Comités sénatoriaux ».

Pour la séance d'aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous présenter Heidi Illingworth, directrice générale du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes; Catherine Latimer, directrice générale à la Société John Howard du Canada; et Jo-Anne Wemmers, professeure titulaire à l'École de criminologie de l'Université de Montréal.

Mme Illingworth commencera, puis nous entendrons dans l'ordre les autres témoins.

Heidi Illingworth, directrice générale, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes : Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes est heureux de comparaître devant vous ce matin pour appuyer le projet de loi C-37, Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l'égard des victimes.

Depuis 1993, notre centre se fait la voix des victimes de crimes et de ceux qui ont survécu à de graves crimes violents au Canada. Chaque année, nous offrons du soutien à long terme et des ressources d'information à des centaines de victimes et à leurs familles, et nous nous portons à leur défense.

Le CCRVC n'a pas vu le jour après un seul incident. Nous travaillons en première ligne auprès des personnes touchées par de nombreuses formes de crimes et de violence.

Le projet de loi vise à doubler le montant de la suramende compensatoire et à rendre cette dernière obligatoire pour tous les contrevenants déclarés coupables d'une infraction criminelle. Je n'entrerai pas dans les détails des modifications, puisque vous en avez déjà parlé, mais nous appuyons fermement le projet de loi C-37 dans sa version actuelle. Instaurée en 1989, la suramende compensatoire a été créée pour financer les services offerts aux victimes dans les provinces et territoires. Si on ne la rend pas obligatoire, les juges du pays continueront d'exempter les contrevenants de la suramende qu'ils devraient leur imposer, et ce sont les services aux victimes qui écoperont.

Les recherches menées par le ministère de la Justice nous ont appris que les juges omettent régulièrement d'imposer la suramende. Au Nouveau-Brunswick, en 2006, on a constaté qu'elle n'avait pas été imposée dans les deux tiers des 62 000 affaires traitées sur une période de cinq ans, ce qui a fait perdre à la province des millions de dollars en revenus destinés aux victimes. Ce rapport indique ce qui suit :

[...] Il semble actuellement qu'il suffit que le contrevenant affirme qu'il n'a pas les moyens de payer ou que le juge pense que c'est le cas [...] pour que le préjudice injustifié soit établi [...]

Nous savons que cette pratique a eu un effet néfaste sur les services aux victimes au Nouveau-Brunswick, en Ontario et dans les Territoires du Nord-Ouest. Même si les juges sont censés justifier leur décision de ne pas imposer la suramende, ils ont omis de le faire dans 99 p. 100 des 861 dossiers examinés dans le cadre de l'étude du ministère de la Justice.

En rendant la suramende obligatoire, les programmes provinciaux qui aident et soutiennent les victimes de crimes seront financés plus adéquatement. Nous espérons que cette mesure aura pour effet d'améliorer les services actuellement offerts aux victimes des quatre coins du pays, puisque dans bien des cas, on manque de personnel et on est débordé. Il ne faudrait pas que des programmes ou des services essentiels pour les victimes ferment leurs portes.

Nous considérons que les contrevenants devraient être responsabilisés à l'égard de leurs victimes et être tenus responsables du tort qu'ils ont causé. Ce n'est pas déraisonnable de demander aux contrevenants, particulièrement ceux détenus dans le système carcéral fédéral, où ils gageront un modeste revenu, de payer 30 p. 100 d'une amende, soit 100 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou 200 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation.

Nous vous demandons de veiller à ce que les juges n'exemptent plus les contrevenants de payer la suramende, car nous considérons qu'ils font passer les intérêts des contrevenants avant ceux des victimes et des survivants. Les services de soutien revêtent une importance capitale pour la résilience des victimes de crimes au Canada, et il est tout simplement inacceptable que ces programmes fassent l'objet de nouvelles réductions ou de fermeture.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : C'est avec grand plaisir que je témoigne devant le comité sénatorial au sujet de cet important projet de loi.

Ceux d'entre vous qui connaissent la Société John Howard savent que nous offrons des services dans 60 bureaux de première ligne dans toutes les régions du pays, dont bon nombre s'emploient à aider les victimes en fournissant des services directs de justice réparatrice et de médiation entre la victime et le contrevenant. Tous les employés de la Société John Howards contribuent à empêcher qu'il y ait de nouvelles victimes en travaillant avec ceux qui risquent de commettre un crime ou de récidiver. Nous croyons que nos efforts contribuent à rendre nos communautés plus sécuritaires.

Je crois qu'il est de l'intérêt de tous de veiller au financement adéquat des services aux victimes. Nous avons toutefois quelques réserves au sujet du projet de loi C-37 et de sa capacité d'assurer ce financement. J'aimerais souligner quatre composantes qui nous préoccupent.

Il y a d'abord la disposition relative au préjudice injustifié, qui vise à retirer aux juges le pouvoir discrétionnaire d'exempter le contrevenant du paiement d'une suramende compensatoire s'il considère qu'il en découlerait un préjudice financier. Cette mesure pourrait vraiment avoir des conséquences dramatiques pour les démunis, les personnes atteintes de maladie mentale et les marginalisés. Même si ces personnes pourraient participer à des programmes de substitution d'amende, ces programmes ne sont pas offerts universellement et bien des gens, parce qu'ils sont atteints de sénilité, de troubles causés par l'alcoolisation fœtale ou de maladie mentale, ne peuvent s'en prévaloir.

Je ferais également remarquer que si un juge cherche à imposer une amende, il doit, en vertu des principes fondamentaux de justice, évaluer la capacité du contrevenant de payer et envisager le recours aux programmes de substitution d'amende avant de lui infliger une sanction pécuniaire; le programme de suramende change toutefois la donne en permettant au juge d'imposer des amendes à des gens dont il sait peut-être, dès le départ, qu'ils sont incapables de payer.

Selon le processus prévu, l'amende serait imposée au contrevenant, qui s'expose à une peine de prison s'il ne la paie pas. Il devrait alors comparaître de nouveau devant la cour et invoquer la décision de la Cour suprême dans l'affaire R. c. Wu pour faire valoir que l'incarcération n'est pas appropriée. Le pauvre devait comparaître deux fois devant des tribunaux bondés alors qu'une seule aurait suffi, en plus de risquer un renvoi et une incarcération.

Or, bien des gens pourraient refuser de pays la suramende et se retrouver en prison en raison de leur refus, comme cet homme de l'Alberta qui a refusé de payer la suramende compensatoire pour une infraction commise dans le transport en commun, qui a fait l'objet d'un article paru dans la presse en mai 2011. Incarcéré au centre de détention d'Edmonton, il s'est fait tuer. Un grand nombre des établissements provinciaux sont des endroits bondés et dangereux où on ne veut pas nécessairement envoyer des gens qui n'ont pas payé une petite amende.

Le deuxième point qui nous préoccupe beaucoup est la nature disproportionnée de certaines sanctions. La peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Les suramendes compensatoires sont considérées comme des sanctions supplémentaires infligées aux contrevenants jugés coupables, et ces sanctions supplémentaires pourraient bien rendre la sanction initiale disproportionnée par rapport à la gravité de l'infraction. Les suramendes étant fixes, elles ne peuvent être adaptées à la gravité de l'infraction ou à la capacité du contrevenant de payer, et elles auront un effet particulièrement dévastateur sur les démunis et les marginalisés.

Nous ferions également valoir que cette mesure ne responsabilisera pas les contrevenants à l'égard de leurs victimes. De nombreux programmes, comme celui de justice réparatrice, réussissent à sensibiliser les contrevenants aux répercussions de leurs crimes sur les victimes, à aider ces dernières et à réduire les cas de récidive. Il est peu probable qu'une suramende réussisse en soi à responsabilité les contrevenants à l'égard de leurs victimes. Elle n'a aucun lien avec l'importance du tort subi par la victime. En fait, ces suramendes sont appliquées dans le cas de crimes qui ne font pas de victime, quand un contrevenant se cause du tort à lui-même en consommant de la drogue, par exemple. S'il n'y a pas de lien entre la suramende et la situation de la victime, le contrevenant ne sera pas davantage responsabilisé à l'égard de sa victime. Il pourrait n'en être que plus cynique, ce qui est contraire à l'intention établie de la politique.

Nous nous préoccupons également de la validité des fondements économiques de la mesure. Nous souhaitons tous, je crois, que les services aux victimes disposent d'une source de financement fiable; il est toutefois difficile de croire que l'imposition d'une suramende ou d'une taxe à un groupe largement pauvre et marginalisé permettra de réunir les fonds nécessaires. Il faut examiner sérieusement l'aspect financier de ce régime.

Le rapport publié récemment sur les statistiques relatives au système correctionnel et la mise en liberté sous condition dénombre environ 250 000 condamnations par année. Si l'on impose en moyenne une suramende de 150 $, on pourrait générer des revenus d'environ 40 millions de dollars pour les services aux victimes. Mais comme de nombreux contrevenants ne pourront pas payer, ils se tourneront vers les programmes de substitution d'amende ou iront en prison à la place.

La Société John Howard offre des programmes de substitution d'amende à quelques endroits. Ces programmes occasionnent des frais et ne génèrent aucun revenu pour les services aux victimes. Ce sont des solutions de rechange dont l'utilisation réduira considérablement les revenus potentiels destinés aux services aux victimes.

Le même rapport statistique indique que le coût d'un prisonnier pour les services correctionnels s'élevait à 313 $ par jour en 2010-2011. Si seulement 10 p. 100 des contrevenants ne paient par la suramende et passent cinq jours en prison, la facture s'élèvera à 40 millions de dollars, et c'est sans compter les frais de la comparution supplémentaire en cours, qui seront également assumés par l'État. Le régime pourrait bien coûter aux contribuables une somme supérieure à celle que la suramende permettait de générer pour les services aux victimes.

En conclusion, la Société John Howard du Canada appuie sans réserve les programmes efficaces de prévention et d'aide aux victimes, et réclame qu'on leur accorde une source de financement fiable. Le comité pourrait envisager d'apporter une modification législative autorisant les provinces à affecter un certain pourcentage de fonds aux services aux victimes. Cette mesure pourrait être plus efficace que les suramendes compensatoires proposées et permettrait d'éviter des problèmes relatifs aux sanctions disproportionnées et aux préjudices financiers. Je vous proposerais à cette fin de consulter le paragraphe 53(1) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui comprend une telle disposition.

Ce n'est pas en augmentant les suramendes et en les rendant obligatoires qu'on atteindra l'objectif stratégique de responsabilisation des contrevenants à l'égard des victimes. Par contre, les modifications proposées dans le projet de loi C-37 auront de graves répercussions sur les personnes les plus pauvres et les plus marginalisées visées par des accusations criminelles. Si on n'apporte pas un amendement accordant aux juges le pouvoir discrétionnaire d'exempter le contrevenant du paiement d'une suramende compensatoire si cette mesure lui causait un préjudice, on peut s'attendre à ce que le projet de loi engendre injustice et inhumanité. Un plus grand nombre de personnes souffrant d'un dommage au cerveau, d'un retard de développement, de sénilité ou de maladie mentale ne pourront payer les suramendes et se retrouveront dans des prisons provinciales de plus en plus bondées et dangereuses.

Nous demandons instamment au comité de ne pas adopter le projet de loi C-37. S'il décide toutefois de le faire, nous lui demandons de le modifier pour accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire d'exempter les contrevenants du paiement de la suramende compensatoire si cette mesure causait à ces derniers un préjudice injustifié.

Jo-Anne Wemmers, professeure, École de criminologie, Université de Montréal, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui. C'est avec plaisir que je m'adresse au Sénat. Comme vous le savez, je suis professeure titulaire à l'École de criminologie de l'Université de Montréal, où j'enseigne la victimologie aux étudiants de premier et de deuxième cycles.

Sachez en outre qu'avant de revenir au Canada, j'ai travaillé pendant environ 10 ans pour le ministère de la Justice des Pays-Bas à titre de spécialiste en questions relatives aux victimes. Au cours de mon passage là-bas, nous nous sommes notamment penchés sur ce que nous appelions la taxe d'aide aux victimes, qui est en fait une suramende compensatoire. Le gouvernement des Pays-Bas a finalement décidé de ne pas adopter ou imposer une telle taxe pour une panoplie de raisons, que je vous présenterai aujourd'hui.

Depuis leur instauration au Canada vers la fin des années 80, les suramendes compensatoires ont causé plusieurs problèmes. Elles n'ont notamment pas permis de récolter des sommes importantes pour payer les services aux victimes. Je me souviens qu'à mon retour au Canada, au Québec plus précisément, les services aux victimes, qui étaient presque entièrement financés au moyen des suramendes compensatoires, n'avaient pas assez d'argent pour acheter des fournitures de bureau, comme des crayons, parce que le programme manquait de fonds.

Cette situation a changé quand la province a modifié la loi pour imposer des suramendes pour des infractions aux règlements de la circulation, par exemple, car c'est de là que les amendes deviennent vraiment utiles. C'est là qu'on peut vraiment récolter des fonds, car les gens visés sont en mesure de payer les frais.

Depuis lors, les services aux victimes ont connu une croissance exponentielle en 10 ans au Québec, une situation largement attribuable à la modification apportée par le gouvernement provincial plutôt qu'à la suramende fédérale. Je crois qu'il faudrait se pencher sur le rôle que les provinces jouent dans ce dossier. J'ai constaté, en consultant le compte rendu de la séance d'hier, que la question de la position des provinces à ce sujet a également été abordée. C'est, je crois, un point auquel il faudrait porter davantage attention.

Même si la suramende a permis à la province du Québec de recueillir plus d'argent, je peux aussi vous dire, puisque je travaille pour les services aux victimes dans la région de Laval, au Québec, que cette mesure a aussi l'inconvénient de rendre ces services très difficiles à gérer. D'une année à l'autre, nous ne savons pas combien d'argent nous recevrons, ce qui nous empêche de planifier la politique à long terme. Nous ne pouvons pas dire que nous voulons pouvoir mieux aider un certain groupe dans cinq ans, car nous ignorons combien d'argent nous aurons.

Ainsi, on se retrouve parfois étrangement à espérer, d'une certaine manière, que le taux de criminalité demeure élevé pour nous permettre de conserver un certain niveau de financement, et c'est une situation dysfonctionnelle. Il est de la responsabilité de l'État de veiller à ce qu'on s'occupe des victimes, qu'on offre à ces dernières des services, et qu'on puisse planifier et gérer convenablement ces services afin de satisfaire aux besoins. Il ne fait aucun doute que les victimes ont des besoins importants, comme le soutien et le dédommagement, qui tient lieu de réparation. Les victimes accordent donc indéniablement de l'importance à la responsabilisation, qui figure, à ce que je comprends, dans le titre subsidiaire du projet de loi : Loi sur la responsabilisation des contrevenants à l'égard des victimes.

En vertu de cette mesure législative, les contrevenants ne dédommageraient pas leurs victimes, mais verseraient de l'argent à l'État. C'est, en fait, une taxe, de l'argent versé à une victime symbolique, dénuée de visage, qui ne responsabilise en rien le contrevenant à l'égard de sa victime et ne permet pas à cette dernière d'obtenir de la part du contrevenant l'admission de ses torts envers elle, comme elle voudrait qu'il le fasse. En ce sens, le projet de loi reste encore très éloigné de son objectif de responsabilisation du contrevenant.

La responsabilisation consiste à tenir les contrevenants responsables de leurs actes envers leurs victimes, et la réparation renforce cette démarche. Pourquoi alors ne pas accroître les possibilités qu'ont les victimes de recevoir réparation dans le cadre du processus de justice pénale? Pourquoi ne pas favoriser les moyens par lesquels elles obtiendraient un dédommagement de leurs agresseurs au lieu d'obliger ces derniers à payer un montant fixe à l'État en espérant que quelques victimes reçoivent des miettes quelque part aux pays?

Toutes les recherches indiquent que la réparation compte beaucoup pour les victimes. C'est quelque chose qu'il faut comprendre. Les victimes ne reçoivent souvent aucune réparation; il faudrait donc voir comment on peut améliorer cette situation. Les recherches nous montrent que les victimes préféreraient recevoir un dédommagement partiel du contrevenant qu'un dédommagement complet de la part d'un tiers, comme l'État ou une compagnie d'assurances, parce qu'il s'agit d'une forme d'admission du tort causé. Il s'agit d'une validation pour la victime et également, à mon avis, d'une validation de la part du contrevenant.

On pourrait améliorer les possibilités de réparation en offrant aux victimes et aux contrevenants plus d'occasions de participer aux programmes de justice réparatrice. On le fait déjà dans diverses régions du pays.

On pourrait également améliorer les possibilités de dédommagement des victimes en imposant des peines prévoyant des mesures réparatrices. On pourrait, par exemple, utiliser les renseignements figurant dans le résumé d'impact de la victime pour savoir quels sont les besoins de cette dernière sur le plan de la réparation et en tenir compte lors du prononcé de la peine afin de lui faire verser un dédommagement. À ce que je sache, on ne le fait pas systématiquement à l'heure actuelle.

Sans avoir à modifier la mesure législative, on pourrait améliorer les possibilités de réparation des victimes en exigeant que les contrevenants leur versent un dédommagement.

Il y a également un problème qui se posera dans l'avenir, qui a fait surface dans plusieurs discussions dont j'ai pris connaissance à ce sujet : combien coûtera cette mesure? Quel sera le prix que paieront les plus vulnérables de notre société? Se retrouveront-ils derrière les barreaux parce qu'ils sont incapables de payer les amendes?

Quand j'ai lu le compte rendu de la séance d'hier, j'ai trouvé que ce n'était vraiment pas très clair. Certains affirment que non, d'autres prétendent que oui, alors que d'autres restent indécis. S'il existe un risque, alors c'est un vrai problème, particulièrement parce que le projet de loi ne permet pas de régler la question de la responsabilisation et des besoins des victimes au sens le plus direct du mot. C'est quelque chose qu'il vaudrait probablement mieux éviter.

Si le problème vient du fait que les juges n'imposent pas les suramendes compensatoires, c'est peut-être parce qu'ils ont de bonnes raisons d'agir ainsi et qu'il faudrait s'attaquer à la question. Peut-être conviendrait-il d'effectuer des recherches plus poussées pour voir si la tendance décelée au Nouveau-Brunswick témoigne de ce qui se passe dans les autres provinces et déterminer comment on pourrait régler la question de l'application laxiste des lois, en pensant que d'autres lois corrigeront soudainement les réticences d'un groupe de professionnels fort instruits qui, je présume, savent ce qu'ils font.

Voilà qui me mène au dernier point de mon exposé, où je reprendrai les propos de Jan van Dijk, une sommité internationale du domaine de la victimologie, qui a affirmé, dans un document rédigé en 1983, que les mesures qu'il qualifie de « victimogogie » — et non de « victimologie » — ont des effets que l'on croit bénéfiques pour les victimes, sans qu'on réfléchisse aux conséquences qu'elles peuvent avoir sur les victimes ou d'autres parties. À mon avis, il y a lieu de réfléchir davantage si on veut combler les besoins des victimes d'une manière plus concrète que celle que prévoit le présent projet de loi.

Le président : Nous allons passer aux questions. La parole est à la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : J'aimerais remercier tous les témoins d'être ici aujourd'hui. D'après ce que je comprends, vous venez tous en aide aux victimes par différents moyens.

Madame Wemmers, vous avez peut-être lu les craintes que j'éprouve à l'égard du projet de loi. Je veux être juste envers ce qu'on a dit. Si je ne le suis pas, je suis sûre que mes collègues vont me corriger.

Le projet de loi retire aux juges le pouvoir discrétionnaire lié au préjudice injustifié. Toutefois, lorsqu'il existe un mode facultatif de paiement d'une amende, ce qui n'est pas le cas dans toutes les provinces, la personne a recours à ce processus, et si elle n'est pas en mesure de payer l'amende, on l'exonère. Je ne comprends pas la différence entre le préjudice injustifié et l'exonération. À mon avis, une exonération s'applique lorsqu'une personne ne peut pas payer. Ce qui me préoccupe, surtout lorsque les données démontrent qu'il y a de plus en plus d'Autochtones en prison, c'est qu'on emprisonnera davantage de gens. J'ai travaillé dans le système et je sais qui va en prison — ce sont les gens qui ne peuvent pas payer l'amende.

Madame, j'aimerais que vous nous parliez d'abord de l'affaire Wu, car je pense qu'elle concerne la suramende compensatoire. Quel est votre avis à ce sujet?

Mme Wemmers : Tout d'abord, je suis professeure de criminologie, et non professeure de droit. Je ne suis probablement pas la meilleure personne pour citer ces affaires judiciaires.

Je peux dire que nous devons nous demander ce que nous cherchons à accomplir. S'il s'agit de mieux répondre aux besoins des victimes, est-ce la bonne façon d'y arriver? Si nous craignons de brimer la population la plus vulnérable, donc d'entraîner des effets secondaires, nous devrions peut-être explorer d'autres façons de procéder.

Si vous voulez savoir quelque chose au sujet de l'affaire Wu en particulier, vous devriez peut-être vous adresser à certains de mes collègues du domaine juridique.

La sénatrice Jaffer : Madame Latimer, j'aimerais vous poser une question sur la marginalisation. Vous possédez une expérience directe dans ce domaine, car vous travaillez avec ces gens. Ce qui nous préoccupe, ce sont ceux qui se retrouveront en prison à cause de la suramende compensatoire : les personnes ayant une déficience intellectuelle, les gens marginalisés et les pauvres. Vous l'avez mentionné dans votre exposé. J'aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet.

Mme Latimer : Les recherches indiquent clairement que les gens pauvres sont représentés de manière disproportionnée dans le système de justice criminelle. C'est un groupe dont la plupart des membres manquent déjà de certaines ressources.

Pour revenir à votre question de processus au sujet de l'affaire Wu, il me semble qu'une ordonnance du tribunal qui oblige une personne à payer une amende n'est pas nécessaire, ou même nuisible, lorsque le juge sait que la personne ne sera pas en mesure de payer. Ces gens peuvent manquer de jugement, et s'ils sentent que le tribunal les oblige à payer, cela peut engendrer des conséquences négatives sur le plan social. Par exemple, ces personnes pourraient emprunter l'argent de sources douteuses et faire toutes sortes de choses qui seraient antisociales dans le but de se conformer à l'ordonnance du tribunal. Toutefois, il est probable qu'elles ne seront pas en mesure de réunir la somme nécessaire. Honnêtement, il n'existe pas assez de modes facultatifs de paiement d'une amende pour répondre aux besoins des 250 000 personnes qui sont condamnées chaque année et qui ne sont peut-être pas en mesure de payer.

Ces personnes vont se retrouver à nouveau devant le juge qui devra décider si elles peuvent payer ou non. Il y a donc un élément de discrétion. Un grand nombre de ces personnes se retrouveront en prison. En effet, un grand nombre d'entre elles se diront qu'elles ne veulent pas payer quelque chose pour la victime. Ce sera très clair, car de nombreux délinquants, à cette étape du processus, verront la victime comme étant l'autre personne. Ils pourraient profiter de la justice réparatrice et d'un grand nombre d'autres choses qui les rapprocheraient de leur victime, mais pour le moment, ils voient la victime comme étant la raison pour laquelle leur punition est plus sévère, et cela ne les encouragera pas nécessairement à vouloir payer. Il s'ensuit que certains délinquants pourraient tout simplement refuser de payer et ils se retrouveront en prison.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois témoins. Je suis content de vous revoir, madame Illingworth. On a eu le plaisir de travailler au sein du même conseil d'administration.

Ma question s'adresse à Mme Latimer. Je vous dirais qu'il y a certains délinquants, peut-être même une majorité, qui ont quand même les moyens de payer l'amende. À mon avis, quand ils sortiront de prison, ils vont probablement posséder une auto, un cellulaire ou le câble.

À partir de ces constatations, est-ce qu'on ne pourrait pas moduler les amendes dépendant de la capacité de payer des délinquants, si on peut les appeler ainsi?

[Traduction]

Mme Latimer : Je n'ai pas de problème avec le fait que ceux qui sont en mesure de payer versent une indemnisation aux victimes. Je préfère la suggestion de Mme Wemmers, c'est-à-dire qu'il vaudrait mieux que ce soit sous la forme d'un dédommagement direct lié à la victime du délinquant.

Ce qui me préoccupe, ce sont les personnes pauvres qui n'auront pas les ressources nécessaires, c'est-à-dire la grande majorité. C'est pourquoi je pense qu'il faut permettre une certaine discrétion judiciaire pour qu'on puisse déterminer qui a la capacité de payer. Je ne serais même pas contre l'idée d'avoir des lignes directrices concernant le montant de ces amendes, qu'on l'augmente et qu'une certaine partie de l'amende imposée — ce qui tiendrait compte de la capacité de la personne de payer — soit remise aux services aux victimes de la province. C'est ce que nous avons fait dans le système de justice pour les jeunes. Cela permet de rendre la source de fonds plus sécuritaire sans être injuste à l'égard des délinquants potentiels et sans engendrer les coûts additionnels qui reviennent à l'État lorsque le délinquant n'est pas en mesure de payer.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Il ne faut pas oublier que la mesure se veut quand même dissuasive envers le délinquant. Je vous remercie de votre réponse.

[Traduction]

Le sénateur Baker : J'aimerais féliciter les témoins de leurs excellents exposés.

Madame Latimer, le projet de loi propose de modifier l'article 737 du Code criminel. Si je me souviens bien, cet article vise seulement les personnes condamnées ou celles qui ont reçu une absolution aux termes de l'article 730, à l'égard d'une infraction prévue à cette loi ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. L'article 730 ne concerne-t-il pas les absolutions?

Mme Latimer : Malheureusement, je n'ai pas apporté mon Code criminel. Toutefois, lorsque je l'ai lu, il me semble que cet article s'appliquait à toutes les infractions, et essentiellement à toutes les condamnations.

Le sénateur Baker : C'est probablement le cas, mais le titre de l'article 730 est « Absolutions inconditionnelles et sous-conditions » et il précise ce qui suit :

730(1) Le tribunal devant lequel comparaît l'accusé, autre qu'une organisation, qui plaide coupable ou est reconnu coupable d'une infraction pour laquelle la loi ne prescrit pas de peine minimale ou qui n'est pas punissable d'un emprisonnement de quatorze ans ou d'un emprisonnement à perpétuité peut, s'il considère...

Cela comprend les personnes condamnées aux termes de cet article et, d'une certaine façon, les personnes qui ont reçu l'absolution inconditionnelle et sous conditions; et aussi une personne condamnée aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. En ce qui concerne les infractions visées par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, il serait assez difficile de déterminer la victime dans certains cas, n'est-ce pas?

Mme Latimer : Je suis absolument d'accord avec vous. S'il s'agit de trafic, je pense qu'on pourrait trouver certaines victimes. Toutefois, s'il s'agit de possession destinée à l'usage personnel, la personne ne cause du tort qu'à elle-même.

Le sénateur Baker : S'il s'agit de possession aux termes de l'article 4, c'est tout de même une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire s'il s'agit de moins de 30 grammes de marijuana, par exemple. Il s'agit d'une infraction aux termes du Code criminel.

Mme Latimer : Oui.

Le sénateur Baker : Si ce n'est pas destiné à l'usage personnel, si une personne était accusée de possession de marijuana, il serait difficile de déterminer la victime dans un cas où une personne est en possession de 35 grammes de marijuana, n'est-ce pas?

Mme Latimer : Oui.

Le sénateur Baker : Étant donné la très grande portée de cet article concernant les amendes, ce serait difficile, n'est- ce pas, madame Wemmers? Dans un grand nombre de ces cas, on ne pourrait pas déterminer la victime. C'est donc une autre façon d'infliger une amende qui n'exige pas de victime, sauf la personne qui est accusée.

Mme Wemmers : En ce qui concerne les crimes sans victime, on pourrait tenir un débat pour savoir si ce type de crime existe vraiment. Si on ne peut pas déterminer la victime, on pourrait facilement dire que dans ce cas il faudrait faire un don, par exemple aux services aux victimes, ce qui est souvent déjà imposé, du moins au Québec.

Le sénateur Baker : Oui, si on a enfreint une loi provinciale.

Mme Wemmers : Non, cela s'applique aussi aux crimes.

Le sénateur Baker : Aux termes d'une loi provinciale au Québec?

Mme Wemmers : Pour les crimes.

Le sénateur Baker : Si quelqu'un ne peut pas payer ou comme Mme Latimer l'a souligné, refuse de payer — car c'est la phrase utilisée dans la loi, c'est-à-dire « a [...] refusé de payer » —, un mandat d'arrestation du délinquant est délivré. Le mandat d'arrestation précise aussi la période d'emprisonnement. C'est prévu dans la loi. Je n'arrive pas à comprendre comment cet article du Code criminel visant le défaut du paiement de l'amende ne s'appliquera pas dans ce cas précis. Je sais qu'après avoir écouté et examiné les témoignages d'hier, on pourrait conclure que ce n'est pas clair, mais à mon avis, la loi est très claire, n'est-ce pas, madame Latimer? Si une personne refuse, que signifie le mot « refuse »? « Refuse » signifie refuse. Si vous voulez savoir ce que le verbe refuser signifie en droit, il signifie « refuser. » C'est sa définition dans le dictionnaire. « Ne peut pas payer » constitue un refus de payer. Si une personne ne paie pas, on délivre un mandat d'arrestation. La durée de la période d'emprisonnement est précisée sur le mandat d'arrestation; c'est ce que la loi prévoit. Pourquoi cela ne s'appliquerait-il pas aux questions dont nous sommes saisis aujourd'hui?

Mme Latimer : Mon interprétation de la disposition, c'est que si la personne refuse de payer, on délivre un mandat d'incarcération ou d'arrestation. Toutefois, si la personne a une excuse raisonnable, ce qui, je pense, s'applique à l'affaire Wu, c'est-à-dire qu'elle est dans l'incapacité de payer, car elle est pauvre ou souffre d'une maladie mentale ou n'est pas en mesure de terminer le mode facultatif de paiement parce qu'elle a un trouble d'apprentissage, le juge pourrait avoir le pouvoir discrétionnaire de décider que dans ce cas, il ou elle va annuler le placement sous garde et l'exigence de payer l'amende.

Le sénateur Baker : Évidemment, dans un grand nombre de cas, le mandat d'arrestation est délivré avant l'audience.

Mme Latimer : Oui.

La sénatrice Batters : Bonjour, et merci d'être ici aujourd'hui. J'aimerais poser quelques questions à Mme Illingworth.

Tout d'abord, dans son exposé, Mme Wemmers a fait référence aux victimes que ce programme particulier pourrait aider, c'est-à-dire les victimes symboliques et sans visage. Toutefois, je pense que vous avez dit que vous aviez constaté que les programmes de services aux victimes dont nous avons parlé aujourd'hui avaient aidé de vraies victimes. Pourriez-vous nous en parler et nous donner des exemples de bons programmes de services aux victimes au Canada?

Mme Illingworth : D'après ce que je comprends du projet de loi, c'est qu'il s'agit de recueillir des fonds pour les services aux victimes. C'est le problème, c'est-à-dire que selon l'étude examinée par le ministère de la Justice, les juges ne demandent pas aux délinquants s'ils ont de la difficulté à payer; ils se contentent d'annuler l'amende dans presque tous les cas. C'est ce qui cause un problème, car comme nous l'avons vu, au Nouveau-Brunswick — et des gens ont comparu hier pour en parler —, on a perdu environ 5 millions de dollars qui auraient pu être versés aux services aux victimes de la province.

À Ottawa, on pourrait prendre l'exemple de Services aux victimes d'Ottawa. L'organisme offre plusieurs programmes et la province lui donne les fonds nécessaires pour les exécuter. L'organisme offrait auparavant un programme d'accompagnement au tribunal, mais on a dû l'éliminer récemment en raison d'un manque de financement. L'organisme a perdu un employé à temps plein. Il compte cinq employés et 80 bénévoles qui interviennent en cas d'infraction criminelle dans la collectivité. Parfois, il y a des renvois d'autres organismes communautaires, par exemple l'hôpital, la police et différents services comme le mien. On offre certains des programmes de dédommagement initiaux auxquels on peut avoir accès en Ontario, par exemple, le Programme d'intervention rapide auprès des victimes; s'il y a un homicide, les victimes peuvent avoir immédiatement accès à du financement pour couvrir le coût des funérailles. Le programme offre aussi des fonds immédiats pour les services de consultation. Ces excellents programmes existent un peu partout au pays. Leur exécution diffère dans chaque province. En effet, dans certaines provinces, ces services relèvent plutôt de la police.

Les victimes de crimes graves et même les victimes de fraude peuvent avoir accès à ces services, et c'est extrêmement important. Selon les sondages du ministère de la Justice sur les services aux victimes offerts au pays, un grand nombre de victimes profitent de l'aide offerte, qu'il s'agisse des maisons d'hébergement pour femmes, des services aux victimes réguliers dans la collectivité ou même des services aux victimes qui relèvent du tribunal. Il existe un très grand nombre de services importants.

La sénatrice Batters : Madame Wemmers, vous avez indiqué au début de votre exposé que les suramendes ne rapportaient pas beaucoup d'argent. Toutefois, je pense que vous avez mentionné que la situation s'était améliorée, car les provinces ajoutaient un grand nombre d'infractions aux types d'infractions visés par les suramendes compensatoires aux victimes. Reconnaîtriez-vous donc que ce n'est plus le cas, c'est-à-dire que les suramendes rapportent assez d'argent en ce moment?

Mme Wemmers : La grande différence, c'est qu'elles comprenaient les infractions à la circulation. Dans ces cas, les contrevenants sont en mesure de payer et on inflige habituellement des amendes. Au Canada, la peine la plus imposée est la probation et non une amende, comme c'est le cas en Europe, par exemple. Il s'agissait d'un facteur important.

Je pense toujours qu'il y a des limites au programme, et c'est qu'à un certain point, on atteint un plafond, à moins qu'on prévoie une augmentation du nombre de crimes et d'infractions. Toutefois, personne ne souhaite cela, n'est-ce pas? On atteint donc un plafond. Mais on doit se demander si on a répondu aux besoins des victimes. Y a-t-il des besoins qui sont toujours en suspens? Comment pouvons-nous mieux répondre à ces besoins?

La sénatrice Batters : Indiquiez-vous qu'il était difficile de prévoir la somme d'argent disponible chaque année pour les programmes des services aux victimes? Reconnaîtriez-vous que vous pouvez examiner les moyennes et les tendances? Il n'est pas nécessaire que la tendance soit fortement à la hausse. Les provinces sont en mesure d'établir des budgets pour cela en examinant les moyennes et les tendances.

Mme Wemmers : Oui, mais comme vous l'avez dit, on atteint un plafond. Moins de 10 p. 100 des victimes profitent des services d'appui aux victimes. Si vous comparez cela au nombre de crimes violents perpétrés au Québec ou au Canada, vous savez qu'un très grand nombre de gens n'ont pas accès aux ressources. Il existe des besoins importants. Au bout du compte, où trouve-t-on l'argent pour crever le plafond? Se contente-t-on de ne pas voir le problème?

Pendant un certain temps, c'est ce qu'on a fait au Québec. Personne ne voulait dire trop fort que les besoins des victimes n'étaient pas pris en compte, car cela aurait engendré des attentes qu'on ne pouvait pas satisfaire. Au bout du compte, la situation s'est améliorée grâce aux suramendes provinciales, mais nous sommes revenus au point de départ, car on a atteint les limites. On nous a déjà dit qu'il n'y avait pas de croissance possible dans un avenir prévisible, pourtant nous savons que les services ont des besoins importants et qu'on ne répond pas aux besoins de toutes les victimes.

Les victimes ont aussi des besoins financiers. Il y a des besoins en matière de réparation, et cetera. De plus, la question de la responsabilité est toujours présente, et je ne crois pas que le projet de loi y réponde.

Le sénateur McIntyre : Merci de vos exposés. Vous nous avez parlé des programmes de suramendes compensatoires aux victimes. J'aimerais que vous nous en disiez plus sur le mode de paiement facultatif pour les adultes et sur celui pour les jeunes. Préférez-vous ces modes de paiement facultatif à l'imposition d'une amende?

Mme Latimer : La solution de rechange à l'amende vise à éviter l'emprisonnement à une personne qui ne peut pas payer la suramende compensatoire. Pour se dégager de cette obligation, quelqu'un pourrait faire 10 heures de travaux communautaires, par exemple dans une banque alimentaire ou à l'entretien des parcs. Cela permet d'offrir des services à la communauté et peut souvent aider des secteurs des services sociaux qui en ont besoin, mais cela ne génère pas de revenus pour les services aux victimes. On ne peut donc pas dire que c'est une solution qui contribue à atteindre l'objectif que nous avons tous, je crois, soit d'offrir un financement sûr et adéquat pour les services aux victimes.

Le sénateur McIntyre : Si je comprends bien, nous devrions délaisser les amendes et le programme de solutions de rechange à l'amende.

Mme Latimer : Franchement, c'est un régime dont la mise en œuvre pourrait coûter 40 millions de dollars aux contribuables, et qui pourrait peut-être en rapporter autant — et il faudra beaucoup de glissements pour arriver à ce montant. Il serait peut-être plus avisé d'investir l'argent des contribuables dans les services aux victimes directement, plutôt que de prendre des détours en imposant une suramende, qui est assortie de toutes sortes de problèmes juridiques. Je pense en effet qu'il serait préférable d'en faire un poste budgétaire pour que l'argent des contribuables aille directement aux services aux victimes.

Le sénateur McIntyre : De toute évidence, madame Illingworth, vous n'êtes pas de cet avis.

Mme Illingworth : Pour nous, le programme de solutions de rechange à l'amende s'adresse aux personnes qui sont réellement dans l'impossibilité de payer l'amende. Nous pensons que c'est le cas pour une faible proportion des gens en ce moment. Les juges dégagent les accusés de la suramende sans vraiment savoir s'ils sont en mesure de la payer. Pour ceux qui n'en ont réellement pas les moyens, c'est une bonne chose d'offrir une solution de rechange, mais comme Mme Latimer l'a indiqué, cet argent n'irait pas aux services aux victimes. C'est rendu à la collectivité sous forme de services. Tant que ce n'est pas trop fréquent, je crois que les provinces qui l'offrent devraient continuer à le faire.

La sénatrice Frum : Madame Wemmers, j'ai été intriguée par la description que vous nous avez faite de votre expérience au sein du conseil d'administration des Services aux victimes du Québec. Nous comprenons que cette loi exigerait que les fonds recueillis aillent aux services aux victimes, mais rien n'indique que leur financement doive se limiter aux fonds perçus par l'entremise de la suramende. D'après ce que vous nous avez dit, la totalité du financement de votre organisation provient de la collecte de la suramende. Sachant à combien se chiffrent les sommes recueillies jusqu'à maintenant, ce n'est probablement pas le cas. Savez-vous à quelle proportion de votre financement correspondent respectivement la suramende et les recettes générales?

Mme Wemmers : Au Québec, toutes les suramendes recueillies vont au Fonds d'aide aux victimes d'actes criminels. Cet argent sert à financer les Centres d'aide aux victimes d'actes criminels. Une partie va à d'autres organisations d'aide aux victimes, comme Plaidoyer-Victimes et l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues. Les Centres d'aide aux victimes d'actes criminels, par exemple, sont financés entièrement par la suramende au Québec.

La sénatrice Frum : On sait qu'au Nouveau-Brunswick ce financement pourrait augmenter de quelque 65 p. 100 une fois la suramende obligatoire, ce qui serait une bonne chose.

Mme Wemmers : Cela dépend. Au bout du compte, voulons-nous tenir les contrevenants responsables de leurs actes à l'égard des victimes, ou imposons-nous simplement une autre taxe à un groupe de la société qui est souvent défavorisé au départ? Je ne suis pas convaincue que nous avons réellement écouté ce que les victimes avaient à dire à propos de la responsabilisation des contrevenants; les victimes ne veulent pas d'une taxe imposée par l'État à un groupe de personnes, mais de la contribution de leur propre agresseur. Malheureusement, je crois que le projet de loi nous éloigne beaucoup de cet objectif.

La sénatrice Frum : J'imagine que les organisations de victimes du Québec seraient ravies de pouvoir mousser leurs revenus. Je comprends que la justice directe soit plus satisfaisante, mais il serait probablement très satisfaisant également de pouvoir augmenter le financement de l'aide aux victimes.

Mme Wemmers : Il serait satisfaisant de voir une hausse des fonds versés aux victimes, mais le gouvernement a la responsabilité de veiller à ce que ce soit un financement systématique, et non un financement qui dépend du taux de criminalité, que nous espérons voir diminuer, pas le contraire.

La sénatrice Frum : Je suis d'accord avec vous sur ce point. Savez-vous comment se répartit votre financement total à l'heure actuelle pour votre province? Je présume que la suramende compensatoire assure une partie de votre financement actuellement, mais pas la totalité.

Mme Wemmers : Les services d'aide aux victimes sont entièrement financés par la surcharge.

La sénatrice Frum : Exclusivement?

Mme Wemmers : Exclusivement. Tous les fonds proviennent du FAVAC, qui est géré par le Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels du ministère de la Justice.

La sénatrice Frum : Mais cela n'a pas à être le cas nécessairement?

Mme Wemmers : Vous avez raison. En théorie, l'État pourrait nous verser des fonds systématiquement, et ce serait merveilleux.

La sénatrice Frum : Il pourrait s'agir de fonds supplémentaires de la part de l'État?

Mme Wemmers : Bien sûr, et j'encourage le gouvernement à adopter une telle solution.

Le président : Madame Wemmers, on entend souvent parler du pouvoir judiciaire discrétionnaire. Que pensez-vous de l'idée que les juges aient le pouvoir discrétionnaire de faire fi du Code criminel, ce qui semble être le cas si on en croit l'étude du Nouveau-Brunswick? Le code exige que la cour évoque les raisons l'ayant poussée à lever la surcharge dans le compte rendu des délibérations. Il est évident que ce n'est pas ce qui se passe dans la grande majorité des cas. Avez- vous des commentaires à formuler concernant ce type de pouvoir judiciaire discrétionnaire?

Mme Wemmers : Je crois que c'est un problème systémique. On peut adopter des lois, mais les mettre en œuvre demeure difficile. C'est pourquoi il est nécessaire de prévoir pour les systèmes en place des mécanismes qui permettent une évaluation, une surveillance et une rétroaction régulières auprès des personnes chargées d'appliquer la loi, afin de savoir exactement ce qui se passe. Des mesures de contrôles sont nécessaires.

Je ne crois pas qu'il faille retirer le pouvoir discrétionnaire aux juges. Je ne pense pas qu'on puisse forcer cela. Ils ont peut-être de très bonnes raisons pour vouloir garder ce pouvoir. Après tout, ces personnes ont une formation en droit et savent à qui elles ont affaire.

Le président : Pourquoi ne prennent-elles pas le temps de respecter la lettre de la loi et d'énoncer ces très bonnes raisons?

Mme Wemmers : Ce n'est pas un problème unique à ce contexte. C'est pareil partout. C'est une chose d'adopter des lois, et c'en est une autre de les mettre en application. Malheureusement, on voit cela souvent avec les victimes. Les droits des victimes ne sont pas respectés, et le tout se fait sans conséquence.

Votre question est très pertinente, à savoir pourquoi on ne respecte pas la loi, et il faut examiner la chose de plus près. Qu'est-ce qui fait obstacle au respect de la loi? Quelles raisons pourraient expliquer la situation? Comment pouvons-nous favoriser le respect de la loi?

Le président : J'ai soulevé un point hier qui rejoint la discussion que nous avons eue aujourd'hui. Alors que j'étais député provincial, j'ai été outré d'apprendre qu'un marché avait été conclu entre un accusé, qui a plus tard été reconnu coupable d'avoir ouvert le feu sur une foule, et une de ses victimes, qui a subi des blessures atroces. Avant le procès, l'accusé a conclu de verser près de 3,5 millions de dollars à la victime. J'imagine que cela correspond à l'idée que vous vous faites d'un règlement acceptable entre une victime et son agresseur. Je ne crois pas que ce soit acceptable. Je pense que cela a teinté l'ensemble des procédures judiciaires; c'est de l'argent souillé de sang, selon moi.

Si on examine la situation en Ontario, d'après les tableaux donnés dans l'étude du Nouveau-Brunswick, on voit que pendant toutes les années visées l'Ontario a perdu entre 55 et 60 millions de dollars. La Commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels de l'Ontario a la réputation d'être un cauchemar bureaucratique et n'a pas les fonds nécessaires pour intervenir auprès des victimes grièvement blessées, comme dans ce cas-là, alors que l'État devrait avoir la responsabilité de faire quelque chose, comme vous le savez. Je pense qu'il faut prendre en charge les situations comme celle qu'a vécue cette victime. C'est un mécanisme de financement permettant de traiter avec ce genre de dossier.

J'aimerais entendre les commentaires de Mme Illingworth et de Mme Wemmers.

Mme Wemmers : Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est de l'argent sale; c'est un enjeu dont je discute d'ailleurs avec mes étudiants. Je suis d'avis qu'un crime est une violation des droits de la personne à l'endroit de la victime, de même qu'un acte contre l'État. Malheureusement, le Code criminel définit actuellement le crime uniquement comme un acte contre l'État. C'est à ce niveau que la situation des droits de la personne doit être grandement améliorée. C'est encourageant de voir qu'on se penche sur la question des droits exécutoires des victimes au Canada, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Je ne pense pas que la solution réside dans la conclusion de simples marchés entre la victime et son agresseur; je n'appuierais jamais un tel système. Les intérêts de la collectivité, de l'État et de la société sont également en jeu. Toutefois, la victime a droit de parole et elle n'est pas qu'un simple témoin d'un crime commis contre l'État. Il faut donc aussi tenir compte des intérêts de la victime dans la détermination des mesures de réparation. Ce n'est malheureusement pas ce qui se passe.

Le président : Madame Illingworth, avez-vous des commentaires à formuler?

Mme Illingworth : Je suis en grande partie d'accord avec Mme Wemmers. Le Canada a certainement du chemin à faire en ce qui a trait au dédommagement des victimes. Nous savons que les provinces et les territoires n'offrent pas tous un programme d'indemnisation. Quand une personne est blessée à la suite d'un acte de violence, d'importants coûts financiers s'ensuivent. Même les programmes en place ne suffisent pas pour aider les victimes à se rétablir et à retrouver une vie normale.

J'aimerais beaucoup qu'il y ait un système prévoyant l'indemnisation des victimes de la part des contrevenants eux- mêmes. En France, une partie civile est souvent constituée pour figurer comme partie à un procès pénal. Dans bien des cas, le contrevenant doit verser lui-même un dédommagement à sa victime.

Je suis convaincue que la suramende contribue grandement au financement des services aux victimes, tout autant que les amendes provinciales imposées aux conducteurs qui font des excès de vitesse ou qui brûlent un feu rouge, entre autres choses. Il faut générer des revenus pour financer les services. Espérons qu'on n'établira pas de plafond et qu'on pourra enregistrer une hausse un jour, mais je ne fonde pas beaucoup d'espoir là-dessus pour le moment.

La sénatrice Fraser : Mes excuses aux témoins et à mes collègues pour mon retard. Je devais absolument assister à une autre réunion. J'essaie normalement d'éviter cela. J'ai tenté de me rattraper en examinant vos mémoires écrits. Merci de nous les avoir soumis. C'est utile pour ceux qui ne peuvent pas assister aux témoignages.

Madame Latimer, pour ce qui est de vos hypothèses financières, je suis étonnée par l'observation selon laquelle environ 10 p. 100 des contrevenants seraient en défaut de paiement et passeraient plutôt cinq jours en prison, et ainsi de suite. Hier, j'ai demandé au ministre s'il avait commandé des études d'impact avant de présenter ce projet de loi, et il a répondu non. C'est très intéressant. Est-ce que ce chiffre de 10 p. 100 était un choix arbitraire de votre part, ou est-ce là le résultat possible selon votre analyse de la situation?

Mme Latimer : Il s'agissait d'une estimation modeste. Le but était d'estimer le plus modestement possible les revenus attendus ou potentiels en fonction du nombre de condamnations.

D'après l'étude du Nouveau-Brunswick, on en déduit que les tribunaux déterminaient bien souvent que les contrevenants ne pouvaient pas ou, pour une raison ou une autre, ne voulaient pas payer. On pourrait facilement prouver que les coûts associés à l'administration du système s'avéraient un véritable fardeau pour les contribuables. Il serait beaucoup plus efficace d'établir un régime de contribution directe aux victimes, sans passer par le tortueux processus de suramende compensatoire, qui pose problème sur le plan juridique en ce qui concerne les revenus des gangs.

La sénatrice Fraser : Madame Wemmers, je crois que vous avez de l'expérience avec les Pays-Bas, qui ont décidé d'opter pour une autre solution. Pourquoi ont-ils voulu éviter ce système?

Mme Wemmers : Le gouvernement là-bas était d'avis que le système judiciaire avait une responsabilité envers les victimes, et que cela allait plus loin qu'une taxe imposée aux contrevenants. L'État a la responsabilité de faire preuve de solidarité à l'endroit des victimes et reconnaît le rôle du système judiciaire en ce sens, et cela se traduit par l'affectation de fonds aux services aux victimes dans le budget. Vous pourriez élaborer une politique à long terme à cet égard, examiner les besoins et ajuster le tir en conséquence. Au bout du compte, le gouvernement a décidé d'incorporer un poste permanent au budget de la justice.

Je suis très fière de la situation aux Pays-Bas. Les choses se sont grandement améliorées. C'est aux Pays-Bas qu'on trouve le meilleur modèle de respect des droits des victimes du monde occidental.

La sénatrice Jaffer : Madame Illingworth, vous avez déjà témoigné devant le comité. J'ai toujours trouvé vos présentations très intéressantes. Pouvez-vous nous dire à quel point il est difficile d'obtenir du financement gouvernemental pour les programmes d'aide aux victimes? Je ne veux pas vous faire dire quoi que ce soit, mais si je me souviens bien, vous avez indiqué qu'il y a beaucoup de formulaires à remplir et qu'il n'y a pas de financement à long terme. Ce sont des problèmes que pose le programme.

Mme Illingworth : Oui. Nous sommes un organisme national sans but lucratif à vocation quelque peu différente. Bien que l'organisme soit établi à Ottawa, il ne reçoit pas de financement du gouvernement provincial, parce qu'il offre ses services à l'ensemble des provinces et des territoires. Notre organisme arrive à survivre grâce à des projets subventionnés par le Fonds d'aide aux victimes. Sécurité publique Canada contribue aussi modestement à notre financement. Le ministère de la Justice a récemment offert une nouvelle source de fonds de soutien, soit le Financement de soutien à durée limitée.

Notre demande a été approuvée pour 2012-2013, et pour le cycle suivant, à hauteur de 50 000 $ par année. C'est bien, car ce financement n'est pas rattaché à un projet en particulier et peut servir au fonctionnement de l'organisme. Il demeure difficile pour nous de trouver du financement. Je suis la seule employée rémunérée; nous comptons sur l'aide d'étudiants aux différents programmes locaux de criminologie et de victimologie.

La sénatrice Jaffer : Quelqu'un a posé une question plus tôt concernant l'indemnisation des victimes par les contrevenants eux-mêmes; on a laissé entendre que la suramende compensatoire devrait être versée directement à la victime. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Qu'en pensez-vous?

Mme Illingworth : Les deux solutions sont possibles. On peut responsabiliser davantage les contrevenants en les obligeant à verser une indemnité à la victime directement, ce qui n'arrive pas assez souvent au Canada. J'ajouterais également que lorsque des ordonnances de dédommagement sont émises, il est presque impossible pour les victimes de les faire respecter.

Il faut engager des dépenses supplémentaires pour faire respecter des ordonnances de dédommagement. De plus, la suramende compensatoire est tout aussi importante pour financer le fonctionnement des systèmes provinciaux et territoriaux. En fin de compte, j'aimerais que le gouvernement fédéral et les provinces, à l'instar des Pays-Bas, accordent une place de choix aux services aux victimes dans leurs budgets de justice, comme Mme Wemmers l'indiquait.

La sénatrice Batters : Madame Wemmers, de toute évidence, vous préférez les programmes d'indemnisation des victimes à ce genre de chose, mais verriez-vous un avantage à ce qu'il y ait des programmes de services aux victimes conjointement avec les programmes d'indemnisation des victimes, comme cela existe dans certaines provinces? Par exemple, dans ma province natale, la Saskatchewan, je sais que nous avons les deux.

Mme Wemmers : Je ne comprends pas bien votre question.

La sénatrice Batters : Verriez-vous un avantage à ce qu'il y ait des programmes de services aux victimes qui soient financés à partir de ces suramendes compensatoires? Croyez-vous que la combinaison de ces programmes et des programmes d'indemnisation des victimes serait avantageuse, si les deux existaient dans une province?

Mme Wemmers : L'important, pour moi, ce sont les besoins des victimes et c'est de savoir si on y répond. Il leur faut du soutien; elles ont des besoins financiers. Il se peut qu'elles aient besoin de participer au système de justice, d'y avoir un statut. La question est de savoir comment répondre à ces besoins.

Les programmes provinciaux d'indemnisation répondent à un besoin, mais ils comportent aussi d'importantes lacunes. Il faut parfois des mois avant que les victimes reçoivent enfin de l'argent. C'est un autre problème.

Au Québec, où nous avons l'un des programmes provinciaux d'indemnisation des victimes les plus généreux, il y a encore des problèmes majeurs, en particulier pour les parents d'enfants assassinés, par exemple — de gros problèmes.

S'agit-il de services différents? Répondent-ils à des besoins différents? En partie. Sont-ils importants? Oui. Répondent-ils à tous les besoins existants? Non.

La sénatrice Batters : Vous avez parlé du fait que le processus judiciaire peut être déroutant et parfois contrariant pour les victimes. Convenez-vous du fait que les programmes de services aux victimes peuvent aider les victimes à mieux comprendre ce processus déroutant et parfois contrariant, et à faire entendre leur voix durant ce processus?

Mme Wemmers : Il est certain que l'aide aux victimes est une réalisation majeure. Je me réjouis de voir qu'au Québec, par exemple, nous avons du personnel rémunéré, alors que ce sont des bénévoles qui font le travail ailleurs au Canada. On reconnaît ainsi que ce type de travail est important, que le besoin existe et qu'il faut le prendre au sérieux. C'est formidable. Les victimes ont besoin de ces initiatives. La question est de savoir comment les financer.

Le sénateur Baker : Pour faire suite à ma dernière question, j'ai été surpris de cette référence à l'article 730 du Code criminel. Je sais que ce n'est pas nouveau. La suramende ne s'applique qu'à l'égard des infractions prévues au Code criminel et à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Elle ne s'applique à aucune autre loi fédérale où il peut y avoir des victimes. Vous avez raison dans la mesure où si quelqu'un est reconnu coupable d'une infraction en vertu de ces deux lois, cette accusation va s'appliquer.

Le projet de loi dit ensuite : « ou absous aux termes de l'article 730 ». Si quelqu'un reçoit une absolution inconditionnelle — autrement dit, si la personne n'est pas reconnue coupable d'un crime et que son dossier ne fait pas état de la procédure judiciaire —, il n'y a pas de dossier. Habituellement, on la donne lorsque l'accusation n'aurait pas dû être portée au départ. Vérifiez la jurisprudence. Comment expliquer, alors, que cette personne doive payer une suramende compensatoire, si elle a reçu une absolution inconditionnelle? C'est ce que dit ce projet de loi.

Mme Latimer : Vous soulevez un point intéressant. J'ai trouvé intéressant, moi aussi, qu'on ait pris la peine de mentionner les absolutions, car une déclaration de culpabilité n'est pas enregistrée lorsqu'une personne reçoit une absolution inconditionnelle. On a rédigé le projet de loi de façon à ce qu'il vise les personnes ayant reçu une absolution.

Je suis d'accord avec vous. Il peut y avoir des cas précis où il y a de l'injustice. Nous avons actuellement de réels problèmes dans le système de justice en ce qui concerne la détention provisoire. Plus de la moitié des gens qui sont incarcérés n'ont pas été reconnus coupables.

Le sénateur Baker : Soixante-dix pour cent.

Mme Latimer : Oui. Ils ont déjà passé beaucoup de temps en prison; ils arrivent à leur procès, et les accusations sont tout à coup retirées, mais on leur impose ensuite la suramende. Ils ont déjà perdu une grande partie de leurs libertés, et on touche maintenant à leurs biens.

Le sénateur Baker : Madame Latimer, je peux comprendre que l'on donne une absolution conditionnelle; il s'agit peut-être d'une première infraction, mais une absolution inconditionnelle?

Ma deuxième question est la suivante : Nous avons parlé des juges qui ne rendent pas compte de leurs décisions et n'envisagent même pas d'imposer la suramende. Tout cela se passe dans le cadre d'une audience de détermination de la peine distincte du procès. Le procès a lieu, et l'audience de détermination de la peine est prévue habituellement une ou deux semaines après le procès. La Couronne et la défense se préparent en vue de la détermination de la peine. Le ministère de la Justice, soit le Service des poursuites pénales du Canada, un organisme du gouvernement fédéral, prépare son dossier. Lors de la présentation de la détermination de la peine, ce sont eux qui expliquent au tribunal la peine qu'ils proposent : voici l'amende, voici la suramende.

Ne conviendriez-vous pas avec moi qu'on ne devrait peut-être pas jeter le blâme sur le juge? Il n'est pas tenu d'établir toutes les implications de la loi. La responsabilité de la Couronne ne se limite pas à convaincre les gens; c'est aussi d'informer le tribunal, en tant que principal serviteur du tribunal, que cela relève de la loi. On doit peut-être blâmer principalement les procureurs de la Couronne partout au Canada. Je peux dire cela.

Mme Latimer : Je suis d'accord pour dire, comme on l'a mentionné tout à l'heure, qu'il y a deux enjeux différents. On adopte une loi, puis on tente d'obtenir sa mise en application.

Il y a des choses qui peuvent aider les juges. Ils pourraient remplir un formulaire lorsqu'ils rendent une sentence. Il pourrait y avoir une case portant sur la suramende; on leur demanderait : « Avez-vous imposé la suramende? Sinon, pourquoi? » Ils n'auraient qu'à cocher une case.

Il faut simplifier les choses pour les juges, qui siègent dans des salles d'audience bruyantes et bondées, qui doivent composer avec des rôles chargés et beaucoup de contretemps. Ils voient beaucoup de gens. Si vous voulez qu'ils fassent quelque chose de précis, surtout si c'est par écrit, vous devez leur faciliter la tâche.

Qui leur facilite la tâche? Les greffiers et les fonctionnaires qui tentent de faire mettre en œuvre certaines mesures législatives peuvent rédiger des formulaires et tenter de convaincre les juges qu'il peut être utile de le faire. C'est là un défi.

Le sénateur Baker : Ce rôle incombe à la Couronne, à la poursuite, durant une audience de détermination de la peine.

Mme Latimer : Si c'est pour le bien public, les avocats de la défense sont aussi des officiers de justice.

Le sénateur Baker : On ne sait pas ce qui se passe dans une procédure judiciaire tant qu'on n'a pas lu ou écouté ce qui s'est dit. On ne conserve pas de document. Nous avons des procès-verbaux au Sénat. Il y a le procès-verbal et les délibérations. Il n'existe pas de procès-verbal détaillé pour tout ce qui se passe dans les tribunaux. Cela nécessiterait une somme incroyable de travail. Nous ne pouvons pas généraliser en disant que les juges désobéissent à la loi.

La sénatrice Fraser : Plus je siège à ce comité, plus je me rends compte que je ne sais rien. Je ne connais absolument rien aux services offerts aux victimes, notamment. Je ne saurais dire ce qui distingue les provinces sur le plan du partage de la responsabilité des divers services, c'est-à-dire quelles provinces s'occupent d'un large éventail de services et quelles provinces laissent tout cela au secteur bénévole.

Avant même que nous envisagions d'augmenter les sommes, pourriez-vous me donner une idée de la façon dont les sommes qui sont recueillies actuellement, même si elles sont — je ne le conteste pas — insuffisantes... Comment sont- elles réparties entre les services gouvernementaux provinciaux et les services bénévoles? Je sais que vous êtes un organisme fédéral, mais vous êtes ici et vous en connaissez beaucoup à ce sujet.

Mme Illingworth : Oui, et je suis sûre que Mme Wemmers pourrait vous dire comment l'argent est distribué dans sa province.

Dans la plupart des provinces, il y a une loi qui prévoit où vont les fonds. Ici, en Ontario, le ministère du Procureur général offre des services d'aide aux victimes rattachés aux tribunaux et des services communautaires aux victimes. Dans la collectivité, dans les grands centres, il y a des organismes, tels que Services aux victimes Ottawa et Victim Services Toronto, qui offrent un soutien affectif.

La sénatrice Fraser : Ce sont des organismes financés par l'État.

Mme Illingworth : Oui. Le procureur général fournit des fonds à ces organismes ici à Ottawa, par exemple, pour le soutien affectif, la défense des droits et la planification de la sécurité des victimes, ainsi que pour l'accompagnement au tribunal, si nécessaire. Il y a également des services rattachés aux tribunaux qui offrent du soutien aux gens lors de la tenue du procès.

Actuellement, les organismes communautaires ont un certain nombre d'employés qui travaillent pour eux, mais ils ont aussi beaucoup de bénévoles très qualifiés qui vont soutenir les victimes et les aider à faire face aux nombreux défis auxquels elles sont confrontées.

Chaque province utilise ses fonds différemment. Par exemple, la Colombie-Britannique offre des services d'aide aux victimes assurés par la police. Le personnel des divers services de police de la Colombie-Britannique offre des services aux victimes. Il n'y a plus de services rattachés aux tribunaux; je crois que c'est le personnel des services policiers qui accompagne les victimes au tribunal. On fait aussi appel à des volontaires. Je sais que la GRC offre des services d'aide aux victimes par l'entremise de bénévoles partout au Canada.

La sénatrice Fraser : On présume que tous, d'une façon ou d'une autre, recevront une partie de ces fonds. On l'espère.

Mme Illingworth : Cela dépend. La GRC n'en obtiendrait probablement pas. Je ne peux pas vous répondre précisément. Les provinces décident de la façon dont elles gèrent leurs services d'aide aux victimes et de la façon dont elles dépensent ces fonds.

La sénatrice Fraser : Cela varie. Le président dit que le système ontarien est une énorme bureaucratie.

Mme Illingworth : C'est pour l'indemnisation.

La sénatrice Fraser : Pourquoi?

Mme Illingworth : Je crois que le fonds d'indemnisation en Ontario est financé séparément, à partir des recettes générales de la province.

La sénatrice Fraser : Vous parlez de l'indemnisation des victimes.

Mme Illingworth : Oui. Certaines provinces utilisent peut-être la suramende compensatoire pour aider à financer les programmes d'indemnisation, mais pas l'Ontario.

L'Ontario tente d'améliorer sa réponse à l'égard des demandes. Il y a un délai de traitement d'environ un an entre la demande et l'audience. Auparavant, il était de trois ans; c'est donc une nette amélioration. Toutefois, nous avons encore des problèmes en ce qui concerne les niveaux de financement et la rapidité avec laquelle les gens peuvent avoir accès aux fonds.

Je sais que le Québec vient d'apporter des changements à son programme d'indemnisation et a augmenté le financement auquel peuvent avoir accès les victimes. L'amélioration des services est propre à chaque province.

Les groupes comme le nôtre tentent de faire part de ce que leur disent directement les victimes au sujet des défis auxquels elles sont confrontées. Par exemple, une victime en Alberta peut dire : « J'essaie d'obtenir de l'aide financière, mais on refuse pour telle et telle raison. » Nous allons écrire à divers groupes pour leur expliquer la façon de mieux répondre aux besoins des victimes.

La sénatrice Fraser : Il semble exister partout une énorme bureaucratie.

Merci beaucoup.

Le président : Je ne veux pas me lancer dans un débat avec le sénateur Baker à propos des responsabilités des juges, mais il y a une obligation dans le Code criminel. Le juge est censé écrire la décision sur l'acte d'accusation, et cela ne me semble pas être une lourde responsabilité.

Le sénateur Baker : Puisque vous avez l'autorité du juge, ici, monsieur le président, je n'en disconviendrai pas.

Le président : Mesdames, votre témoignage a été très intéressant et très utile, et nous vous sommes reconnaissants d'avoir comparu devant le comité. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant suspendre nos travaux, mais je ne peux pas vous dire ce dont nous traiterons la prochaine fois, car c'est encore un peu incertain. Toutefois, aussitôt que nous obtiendrons l'information au sujet de ce qui sera au programme à notre retour, la greffière vous la transmettra. Il va de soi que nous voulons terminer l'étude de ce projet de loi, mais nous aurons également le projet de loi C-53, qui nous sera probablement renvoyé plus tard aujourd'hui. C'est la priorité.

Le sénateur Baker : Il y a aussi le projet de loi C-55 car, comme vous le savez, en vertu de la décision de la Cour suprême du Canada, nous n'avons que jusqu'au 3 avril pour adopter l'article 184.4 substitué du Code criminel. Ce projet de loi est à la Chambre des communes en deuxième lecture, je crois. Le comité en est saisi. Vous pourriez peut- être communiquer avec le ministère de la Justice. Je sais ce que vous allez me dire : « Sénateur Baker, dites aux membres de l'opposition qu'ils cessent de s'opposer à son adoption. » Cependant, le comité doit l'examiner de façon approfondie avant le 3 avril.

Le président : La Chambre est saisie d'une motion d'étude préliminaire sur laquelle elle se penchera aujourd'hui, espérons-le.

Ce sont donc les trois possibilités que nous aurons à notre retour. Merci à tous.

(La séance est levée.)


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