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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 42 - Témoignages du 6 juin 2013


OTTAWA, le jeudi 6 juin 2013

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 14 heures, pour étudier la teneur du projet de loi C-60, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures, déposé à la Chambre des communes le 29 avril 2013.

Partie 3, Section 17

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, cet après-midi, nous allons continuer notre étude de la teneur du projet de loi C-60, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures.

[Traduction]

Honorables sénateurs, nous amorçons la première partie de cette onzième séance sur l'étude du projet de loi C-60. Au cours de cette première heure, nous étudierons la partie 3, section 17, qui comprend les articles 228 à 232. C'est à la page 108. Cette section porte sur les amendements proposés à la Loi sur la gestion des finances publiques, notamment les mandats de négociation des sociétés d'État.

Nous avons invité plusieurs sociétés d'État, mais, en raison de contraintes de temps, elles ont refusé notre invitation. C'est le cas, notamment, de la Société canadienne des postes. VIA Rail, qui est déjà en séance de négociation, a aussi refusé, car leur témoignage pourrait avoir un impact sur les négociations en cours, dans une certaine mesure. La Société Radio-Canada nous a fait parvenir une lettre, laquelle a été remise aux membres. Elle sera ajoutée au dossier de l'étude. Fair Pensions For All ne pouvait être ici aujourd'hui. Friends of Canadian Broadcasting nous a fait parvenir deux lettres, l'une datée du 6 juin, l'autre du 22 mai. Celle du 6 juin provient de l'organisme, alors que l'autre provient de la société d'avocats Brian MacLeod Rogers. Les deux lettres nous informent que leur expéditeur ne peut se présenter devant le comité.

Nous sommes très heureux d'accueillir les représentantes de La Guilde canadienne des médias : Carmel Smyth, présidente nationale; et Jeanne d'Arc Umurungi, directrice des communications. Je crois comprendre que vous désirez toutes les deux participer à l'exposé. Laquelle d'entre vous aimerait prendre la parole en premier?

Carmel Smyth, présidente nationale, La Guilde canadienne des médias : Je vais prendre la parole en premier, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Merci de nous accueillir. Nous sommes très heureuses d'être ici pour vous faire part de nos inquiétudes entourant ce projet de loi. En raison du court délai que nous avons eu, nous n'avons pas préparé de mémoire officiel. Je vais m'adresser à vous à la fois en tant que journaliste pour la télévision à la Société Radio-Canada depuis 20 ans et en tant que dirigeante syndicale. Certains me qualifient de chef syndicale, mais pas souvent.

En tant que présidente de La Guilde canadienne des médias, je représente plus de 6 000 journalistes et travailleurs du secteur des médias, y compris ceux de la SRC, à la radio, à la télévision, en ligne et dans le domaine de la programmation.

Nous ne sommes pas un organisme politique. Il est rare que nous critiquons publiquement un projet de loi, mais dans ce cas-ci, nous nous sommes sentis obligés de nous exprimer haut et fort dès que nous avons compris l'impact qu'aurait cette mesure législative sur le plus important réseau de nouvelles au pays. Je suis consciente que le parrain du projet de loi n'a peut-être pas anticipé le précédent important et, selon nous, dangereux que crée cette mesure.

[Français]

Jeanne D'Arc Umurungi, directrice des communications, La Guilde canadienne des médias : En ce qui concerne le budget de Radio-Canada, comme la majorité d'entre vous le savez sûrement, le gouvernement nomme déjà le président de CBC/Radio-Canada ainsi que les 11 membres du bureau du conseil d'administration. Le gouvernement fixe également le budget de Radio-Canada. Autrement dit, le gouvernement en place a toujours eu et continue d'avoir un important contrôle sur le financement du radiodiffuseur public, financement qui, vous le savez sans doute, a diminué chaque année au cours des 30 dernières années.

Il faut aussi parler des coûts exceptionnels que ce projet de loi pourrait entraîner en raison de son existence parallèlement à la Loi sur la radiodiffusion du pays.

Nous croyons que les conséquences inattendues de ce projet de loi pourraient entrer en conflit avec la loi et, plus inquiétant encore, qu'elle pourrait réduire l'indépendance qui est essentielle au service de l'information et des nouvelles.

Voici à cet effet une citation du président de CBC/Radio-Canada, devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes :

L'indépendance de la Société — donc CBC/Radio-Canada — est considérée comme étant si fondamentale pour son bon fonctionnement que la Loi protège notre Société de l'obligation de remettre au ministre, au ministre des Finances ou au Conseil du Trésor des renseignements qui pourraient « porter atteinte à la liberté d'expression ou à l'indépendance en matière de journalisme, de création ou de programmation dont jouit la Société dans la réalisation de sa mission et l'exercice de ses pouvoirs ».

Ces termes de la Loi sur la radiodiffusion réitèrent essentiellement le fait que la production de nouvelles constitue une activité unique qui est particulièrement susceptible face à l'empiètement du gouvernement, si bien que la loi interdit des liens plus étroits avec le gouvernement et le radiodiffuseur public, que ces liens soient financés ou autre. Ce que cela veut également dire, c'est que même si le projet de loi devient loi, cela pourrait signifier des années de batailles juridiques coûteuses à même les deniers publics, pour déterminer comment cette partie du projet et la Loi sur la radiodiffusion peuvent coexister.

Le gouvernement actuel veut-il vraiment être reconnu comme le gouvernement ayant mis en place une loi permettant l'ingérence du gouvernement dans la gestion du diffuseur publique, qui crée des liens plus étroits entre un parti politique et le radiodiffuseur public et qui influence les nouvelles directement? Que se passerait-il si un autre parti politique est au pouvoir? Voudra-t-il lui aussi mettre sa marque sur les nouvelles?

[Traduction]

Mme Smyth : Comme le souligne ma collègue, puisque le gouvernement contrôle déjà les cordons de la bourse et le processus d'approbation, par l'entremise du président et du conseil d'administration composé de membres nommés par le gouvernement, nous sommes d'avis que ce projet de loi n'a rien à voir avec le contrôle financier.

Serait-ce une façon de découvrir le salaire des vedettes de la télévision, un sujet toujours croustillant chez nos voisins du Sud où le salaire des vedettes atteint souvent les millions de dollars? Malheureusement pour nous, au Canada, de tels salaires n'existent pas dans notre secteur. La réalité est beaucoup plus prosaïque. Un rapide sondage mené auprès de nos membres révèle une réalité que le comité pourrait trouver soit déprimante, soit informative. Des plus de 4 000 employés de la SRC que nous représentons au pays, seulement 43 touchent un salaire annuel de plus de 120 000 $. De plus, bon nombre d'entre eux sont engagés dans un contrat d'une durée limitée. Donc, leur emploi n'est pas garanti à long terme et ce contrat peut être renégocié ou annulé à tout moment.

Impossible pour nous de savoir si c'est l'objectif de ce projet de loi, mais si c'est le cas, pourquoi ne pas revenir avec une mesure claire et concise qui pose directement cette question? Selon nous, une telle mesure serait toujours inutile et ne serait pas dans l'intérêt du public, mais au moins elle limiterait la possibilité d'ingérence du gouvernement dans le milieu de nouvelles.

[Français]

Mme Umurungi : En ce qui a trait au régime de retraite, donc, on a pu entendre dire que, peut-être, l'objectif du projet de loi était en fait de connaître et d'avoir des renseignements sur les régimes de retraite de CBC/Radio-Canada. Là encore, il n'y a rien de particulièrement remarquable. CBC/Radio-Canada et ses employés contribuent au régime, qui est géré de manière indépendante et surtout ne coûte rien de plus au gouvernement.

La part de CBC/Radio-Canada provient de son budget annuel, c'est-à-dire que le gouvernement n'engage pas un sou de plus que le montant, de plus en plus réduit par ailleurs, qu'il affecte à Radio-Canada chaque année. Le régime de retraite et le salaire font partie d'une rémunération complète et, en réalité, les salaires à CBC/Radio-Canada ont en moyenne augmenté de 1,9 p. 100 au cours des dernières années. C'est à comparer avec une augmentation de 3 p. 100 en moyenne au cours de la même période dans le secteur privé, donc presque le double.

Vous comprenez donc certainement les régimes de retraite, la Loi sur la radiodiffusion et les problèmes potentiels encore mieux que nous, mais vous vous posez peut-être une question, à savoir comment le projet de loi C-60 pourrait influencer les nouvelles?

[Traduction]

Mme Smyth : Nous croyons que le gouvernement pourrait faire de l'ingérence dans le cadre des négociations collectives. Si un responsable, nommé par le gouvernement, siège à la table de négociations, nous croyons qu'il pourrait avoir une influence sur plusieurs dispositions de notre convention collective — comme vous pouvez le constater, elle est volumineuse et porte sur plus de sujets que vous l'imaginez.

Donc, il pourrait avoir une influence sur diverses dispositions, notamment : les règles strictes de la SRC en matière de conflit d'intérêts qui font en sorte que les journalistes travaillent dans le meilleur intérêt du public; la définition de « nouvelles » et de « émissions de nouvelles »; la protection offerte à un producteur qui refuse de travailler à un projet avec lequel il est en désaccord; la protection contre le congédiement ou la réaffectation non justifiés; la discrimination fondée sur la politique ou autre; et l'engagement de la société à faire appel à son propre personnel pour la majorité de ses émissions de nouvelles — une dérogation à cet engagement permettrait la sous-traitance des émissions de nouvelles de la société à des entités plus près au gouvernement.

Mme Umurungi : Toutes ces dispositions ont été élaborées au fil des ans pour s'assurer que la société sert l'intérêt du public. Conçues pour protéger les journalistes contre des intérêts politiques ou autres et des représailles — y compris la perte d'emploi — pour avoir fait leur travail, ces dispositions seraient menacées.

C'est la raison pour laquelle nous nous questionnons sur l'objectif de ce projet de loi.

Mme Smyth : Pour toutes ces questions sans réponses et toutes ces raisons, nous et des milliers d'autres Canadiens nous opposons à cette section du projet de loi dans sa forme actuelle. Vous aurez peut-être pris connaissance de la lettre d'opposition de Friends of Canadian Broadcasting signée par 18 éminents journalistes. La Guilde canadienne des médias a également une lettre d'opposition à soumettre, signée par plus de 50 éminents journalistes et universitaires. Nous la remettrons à la greffière, aux fins de consultations, si cela vous intéresse. Nous savons qu'il existe au moins deux autres pétitions en opposition à ce projet de loi au pays; elles ont récolté plus de 200 000 signatures en quelques semaines seulement.

Nous vous encourageons fortement à retirer la SRC de ce projet de loi et à revoir la Section 17 dans son ensemble. Si ce projet de loi est adopté, nous espérons compter sur votre soutien pour l'abroger une fois un nouveau gouvernement élu. Nous suivrons de près la situation au cours des deux prochaines années afin de noter tous les problèmes causés par cette mesure. Nous pourrons ainsi fournir des détails précis sur les dommages inutiles et à long terme qu'elle est susceptible de causer à la réputation de la société d'État et du pays. Le Canada est une démocratie respectée où les gens font confiance aux médias et sont fiers de l'impartialité de ceux-ci.

Nous vous remercions de nous avoir invitées aujourd'hui. Nous sommes très heureuses d'être ici.

Le président : Merci. Ce fut un très bon exposé. Vous nous avez aussi remis des documents, notamment une lettre que vous avez fait parvenir au premier ministre. Ce sont tous des documents distincts.

Mme Smyth : C'est exact. J'aimerais attirer votre attention sur un autre document, car je sais que c'est un peu confus. Il y a aussi une circulaire semblable à celle-ci. Elle porte sur le genre de problèmes liés à l'intégrité journalistique qui seraient abordés à la table de négociations.

Le président : Il poursuit sur les informations fournies dans votre exposé.

Mme Smyth : Oui.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Black : Merci à vous deux pour cet exposé.

J'espérais ne pas être le premier intervenant aujourd'hui, mais j'ai tiré la courte paille. Après avoir consulté ces documents, je dois que dire que, à mon avis, votre réaction est exagérée. J'aime énormément la Société Radio-Canada et ce que vous faites, mais je ne comprends tout simplement pas pourquoi vous êtes dans tous vos états au sujet de ce projet de loi.

J'aimerais que vous m'aidiez à comprendre. Peut-être ai-je tort. Je suis issu du milieu des affaires et je ne peux m'imaginer une situation où un propriétaire ne donnerait pas de directives à la direction de l'entreprise sur le mandat des négociations, les échelles salariales acceptables, les comportements acceptables, et ainsi de suite. Je comprends votre réaction, mais j'aimerais que vous m'aidiez à comprendre pourquoi vous dites que votre intégrité journalistique pourrait être menacée « d'ingérence ». Je ne comprends tout simplement pas.

Mme Smyth : Pour répondre à votre question, le président de la société ainsi que les membres du conseil d'administration sont tous nommés par le gouvernement. Ce sont eux, selon nous, qui prennent les décisions, et c'est bel et bien le cas. Ce système fonctionne bien depuis des décennies. Nous ne voyons aucune raison de le modifier.

Mme Umurungi : Ce projet de loi mettrait fin à l'indépendance qui a toujours existé, et avec raison, entre le gouvernement et les sociétés d'État, comme la SRC, en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. Habituellement, le gouvernement ne siège pas à la table de négociations. Il n'est pas propriétaire de la société d'État. La SRC est un diffuseur public avec des intérêts publics. Le gouvernement fournit le financement et tous les outils dont ma collègue a parlé, mais il ne dirige pas la société, justement pour éviter ce genre d'ingérence et de problèmes.

Le sénateur Black : Je suis d'accord avec vous qu'il ne dirige pas la société d'État, mais ce sont les Canadiens, par l'entremise du gouvernement fédéral, qui en sont les propriétaires. Les membres du conseil d'administration sont nommés, ce qui est acceptable, et leur mandat consiste à faire progresser la société. Mais, en fin de compte, ce sont les actionnaires qui disent au conseil quoi faire. C'est ainsi que ça fonctionne.

J'ignore pourquoi vous est d'avis que les choses devraient fonctionner différemment à la SRC.

Mme Smyth : Le gouvernement peut déjà influencer l'orientation de la société. Cette section du projet de loi n'est donc pas nécessaire. Il peut déjà apporter les changements — des changements considérables — qu'il veut.

Mme Umurungi : Comme vous l'avez souligné, le gouvernement nomme les membres du conseil d'administration. Il nomme aussi le président et fixe le budget du radiodiffuseur. C'est justement parce qu'il n'est pas normal qu'un gouvernement dicte la conduite du réseau public de nouvelles que la SRC est indépendante du gouvernement, peu importe qui est au pouvoir.

Le sénateur Black : Personne ne parle de dicter quoi que ce soit. Il est question du mandat de négociation. C'est pour cela que je dis que vous exagérez. Personne ne parle de dicter la conduite de la société. Nous parlons du gouvernement en poste qui fixe, et avec raison, le mandat de négociation.

Mme Umurungi : Fixer le mandat de négociation, avoir quelqu'un à la table de négociations et avoir un droit de véto applicable en tout temps, c'est beaucoup trop.

Le sénateur Black : Je ne comprends pas pourquoi vous dites qu'il y aurait un représentant du gouvernement à la table de négociations. Je comprends que le gouvernement peut avoir un observateur sur place, mais peut-être ai-je tort.

Mme Umurungi : C'est ici, dans le projet de loi. Il peut avoir un représentant à la table de négociations, en plus de fixer le mandat des négociations et d'avoir un droit de véto. C'est tout à fait incroyable.

Le sénateur Black : Parce que le propriétaire veut dicter l'orientation de son entreprise?

Mme Umurungi : La SRC est une société indépendante. Comme nous l'avons souligné, habituellement, à la table de négociations, il est question de plusieurs aspects du journalisme, y compris l'indépendance journalistique, la définition de « nouvelles » et les affectations. Il n'est pas uniquement question des salaires et avantages sociaux, qui sont aussi des dossiers importants.

Mme Smyth : Ce que Mme Umurungi veut dire, je crois — et le président de la SRC, Hubert Lacroix, a parlé plusieurs fois de la reddition de comptes —, c'est que la SRC doit rendre des comptes au CRTC, au Parlement, au conseil d'administration, au président — c'est la structure actuelle.

Le sénateur Black : Nous devrons convenir que nous ne sommes pas d'accord.

[Français]

La sénatrice Chaput : Bon après-midi, mesdames. La disposition de la Loi sur la radiodiffusion place la Société Radio-Canada sur un pied d'égalité avec les autres radiodiffuseurs publics des pays libres et démocratiques. Ce qui caractérise les radiodiffuseurs publics à travers le monde c'est cette protection de l'ingérence gouvernementale. Qu'est- ce qui se passe ailleurs? Je pense surtout à la BBC, qui est probablement le radiodiffuseur public le plus connu au monde. Qu'est-ce qui se passe dans son cas?

Mme Umurungi : Beaucoup d'études ont été faites récemment dans plusieurs pays. Il semble que dans tous les pays il y ait des tensions entre le gouvernement en place et les radiodiffuseurs publics. Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Les gouvernements canadiens antérieurs aussi ont eu des problèmes à gérer ces tensions et ces difficultés. Ces problèmes ont donc toujours existé, mais cela n'a jamais été jusqu'à inviter le gouvernement à s'installer avec le télédiffuseur public dans les discussions relatives au journalisme et à l'indépendance. C'est toujours très difficile pour beaucoup de gens, tant en France qu'en Hollande. Beaucoup d'études ont été faites. Je crois que nos collègues d'un autre syndicat ont fait une étude dernièrement à ce sujet. C'est sûr qu'il y a une tension, mais c'est toujours très important de tracer une ligne quelque part et dire que l'on ne peut pas avoir un parti politique ou le pouvoir en place à la table des négociations dans la plus grande salle de nouvelles du pays.

La sénatrice Chaput : Très bien. Il y a un avis juridique, qui a été partagé avec nous, qui dit qu'il y a un conflit entre le projet de loi C-60 et les articles 35(2) et 50(2) de la Loi sur la radiodiffusion.

Si le projet de loi C-60 est adopté tel quel, il y a deux options : soit que la question se rendra devant la cour, ce que M. Lacroix se dit prêt à faire, soit — et cela me fait peur — les articles 35(2) et 50(2) de la Loi sur la radiodiffusion seront amendés. Que pensez-vous de cette étape suivante?

[Traduction]

Mme Smyth : Je ne peux pas parler au nom de la SRC, mais je crois que vous avez devant vous la lettre du président dans laquelle il laisse entendre qu'il serait difficile pour ce projet de loi et la Loi sur la radiodiffusion de coexister, et nous sommes d'accord avec lui. Il y aura des problèmes, et ça risque d'être dispendieux.

[Français]

La sénatrice Chaput : Si le projet de loi C-60 est adopté sans amendements, d'après vous, est-ce que n'importe quel gouvernement pourrait alors modifier les dispositions dans son propre intérêt, avec des conséquences graves pour la démocratie canadienne?

Mme Umurungi : Absolument.

La sénatrice Chaput : Pouvez-vous nous donner des exemples?

Mme Umurungi : Comme nous le disions, nous parlions des discussions qui ont lieu à la table de négociations, notamment sur la définition des nouvelles. Je pourrais lire cela dans notre convention collective, si vous aviez le temps, mais vous trouvez à la page 41, de notre convention collective, les discussions sur ce que sont les nouvelles. Lorsque nous sommes à la table de négociations, nous discutons de tous ces enjeux. Nous discutons aussi de l'autorité des réalisateurs. Nous discutons de ce qu'ils peuvent faire ou pas, ce qu'ils ont le droit d'avoir, de cette indépendance. C'est toujours autour de l'indépendance journalistique.

Nous pensons que toutes ces choses sont sujettes à négociation. Rien ne dit dans le projet de loi, tel qu'il est conçu actuellement, qu'on ne parlera pas de journalisme. Lorsqu'ils seront à la table de négociations, on parlera de tout ça. Et comme le disait ma collègue, s'il s'agit simplement de parler de salaires et d'avantages sociaux, par exemple, à ce moment-là, on peut très bien le faire à d'autres niveaux, notamment avec les budgets, avec le conseil d'administration et le président. Nous estimons donc que c'est très particulier de dire que pour parler de salaires et d'avantages sociaux ou pour avoir un mot à dire d'une façon ou d'une autre, on s'insère dans toutes vos activités quotidiennes.

Nous rappelons qu'il s'agit d'une salle de nouvelles, qui traite de sujets pas toujours confortables pour un gouvernement en place ou pour les pouvoirs en place généralement. En fait, nous ne savons pas très bien ce qui se passera, mais nous estimons que tout cela est sujet à discussion à partir du moment où ces dispositions deviennent loi.

La sénatrice Chaput : J'ai devant moi un document qui vient de la Guilde canadienne des médias. Je crois que vous nous l'avez distribué aujourd'hui. Il y est dit que la convention collective entre la guilde et Radio-Canada traite du journalisme de la manière suivante — et il y a quatre tableaux.

On voit écrit en rouge, dans le quatrième tableau : « Affaiblir ces dispositions pourrait mener à un contrôle politique direct de la programmation de Radio-Canada ou même à sous-traiter les nouvelles de Radio-Canada à un service de nouvelles, ami du gouvernement. »

Croyez-vous que cela pourrait être une possibilité?

Mme Umurungi : Absolument, oui. C'est un des éléments qui pourrait être sujet à discussion pendant les négociations de notre convention collective. Les journalistes ne peuvent être licenciés ou réaffectés sans raison légitime. La direction a pris l'engagement de recourir au service du personnel de Radio-Canada pour réaliser une grande majorité des nouvelles, des émissions d'information, et notre convention collective affirme que le recours aux employés de Radio-Canada contribue à assurer des normes élevées de qualité et de créativité. Ce serait quelque chose qui pourrait être discuté et nous ne savons pas dans quel sens cela pourrait aller après les négociations justement.

La sénatrice Chaput : Merci beaucoup.

La sénatrice Bellemare : Je vais poursuivre un peu dans la même veine des questions précédentes.

Pourriez-vous nous indiquer dans la description du projet de loi C-60, article par article — je pense que c'est l'article 229, le paragraphe 89.8 —, où est-ce que vous sentez vraiment que vous subissez une attaque à votre liberté dans le cadre du projet de loi et voir article par article où cela se trouve?

Si vous venez ici, c'est pour proposer des amendements. Alors que prévoyez-vous comme amendements?

J'ai d'autres questions aussi par rapport à d'autres sociétés d'État en comparaison avec vous.

[Traduction]

Mme Smyth : Nous n'avons pas d'amendements à proposer. Nous ne voyons tout simplement pas la nécessité de ce projet de loi ou quel problème il permet de résoudre.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Dans le projet de loi, on parle des conditions d'emploi. Les conditions d'emploi, généralement, ont surtout trait aux conditions matérielles d'emploi, aux conditions financières, aux bénéfices marginaux, salaires, vacances, et cetera. Les conditions d'emploi sont habituellement différentes de l'organisation du travail.

Si j'ai bien compris, vous dites que dans votre convention collective, vous négociez également des éléments de l'organisation du travail et que vous avez peur qu'ayant un observateur et que le gouvernement ayant la possibilité, le droit ou le véto d'accepter la convention collective, que cela vous brime dans vos droits.

Ce qui est clair aussi, dans l'ensemble des articles, c'est qu'on parle toujours de conditions d'emploi. Je joins ma voix à celle du sénateur Black pour dire que vous réagissez peut-être un peu fortement. C'est pour cela que j'aimerais avoir des spécificités.

Comme vous n'en avez pas, j'irai à ma deuxième question. En quoi Radio-Canada, dans sa spécificité au niveau de la possibilité d'avoir un mandat du Conseil du Trésor — ce qui est très différent, par exemple, de la Banque du Canada ou encore des sociétés de l'Office d'investissement où on a aussi du personnel sensible —, serait-elle une société différente d'autres sociétés d'État?

[Traduction]

Mme Smyth : Je vais vous lire un extrait de la lettre du président de la SRC au Comité permanent des finances.

Il précise que le diffuseur public est une société d'État distincte et unique, et que ses employés ne sont pas des fonctionnaires. Il écrit ceci :

La Loi sur la radiodiffusion établit le mandat de notre Société ainsi que sa structure et son lien hiérarchique avec le gouvernement. Cette Loi assure que la Société dispose à la fois d'une structure complète de rapport hiérarchique avec le Parlement, ainsi que des protections spécifiques garantissant le caractère sans lien de dépendance de ses activités. Par exemple, c'est la Loi sur la radiodiffusion qui donne au Conseil d'administration l'autorité explicite d'établir les salaires des employés de CBC/Radio-Canada. La Loi précise aussi que les employés de CBC/Radio-Canada ne sont pas des fonctionnaires.

[Français]

La sénatrice Bellemare : À la Banque du Canada, beaucoup de gens y travaillent, tous ne sont pas le gouverneur de la banque. Comment vous comparez-vous? Vous dites que vous êtes unique en raison de l'information. Si je comprends bien c'est votre réponse.

Mme Smyth : Oui.

La sénatrice Bellemare : J'ai une autre question. Comme société d'État financée par les deniers publics, quelle est la possibilité pour le contribuable d'avoir une contrepartie ou de pouvoir avoir un droit de regard sur la rémunération et les conditions d'emploi de la SRC par rapport à l'ensemble des autres personnes qui sont payées par les deniers publics, s'il ne peut pas y avoir de droit de regard?

[Traduction]

Mme Smyth : Il a un droit de regard considérable, et ce, depuis les 50 dernières années. Puisque le gouvernement nomme le président et les membres du conseil d'administration, la SRC doit faire rapport au CRTC. La société participe à toutes sortes d'audiences publiques à divers moments de l'année pour présenter des informations. Les obligations de reddition de comptes actuelles auxquelles la SRC doit se soumettre sont probablement suffisantes aux yeux de la plupart des contribuables.

[Français]

La sénatrice Bellemare : C'est une problématique importante. Dans bien des pays, d'habitude — car ici on parle de conditions de travail —, les conditions d'emploi dans le secteur public suivent ce qui se passe dans le secteur privé, parce que dans bien des pays, le secteur privé, qui est syndiqué, va donner le ton à des négociations. Ici, au Canada, ce n'est pas comme cela que ça se passe.

Il est important que la personne qui négocie ait quand même un certain pouvoir. Quand c'est un tiers qui négocie, un conseil d'administration qui est nommé, qui n'est pas le contribuable directement, ça vient un peu biaiser la négociation au niveau des conditions d'emploi, toujours.

Mme Umurungi : Ce n'est pas tout à fait cela. Si on négocie, si on parle de salaires, si on veut parler de niveaux de rémunération, je crois que cela se fait tout le temps par le budget qui est établi; également par ce dont ma collègue vient de parler, c'est-à-dire toutes les déclarations que nous faisons aux différents niveaux, Parlement, ainsi de suite. Cela se fait aussi par le conseil d'administration, que le gouvernement a nommé et dont nous estimons qu'il lui fait confiance, et le président. Nous ne pensons pas que cela nécessite une présence à la table des négociations, pendant que nous discutons de toutes sortes d'autres enjeux qui exigent une distance entre le gouvernement en place et un service de nouvelles. C'est tout ce que nous voulons dire.

C'est-à-dire que tout ce dont nous discutons ici c'est l'aspect journalistique, l'indépendance journalistique de Radio- Canada qui, semble-t-il, est établie dans la Loi sur la radiodiffusion et que nous souhaitons maintenir. Ce que nous demandons, c'est qu'on retire du projet de loi cette section-là, qui affecte cet équilibre très délicat entre le gouvernement et le radiodiffuseur. Si on peut discuter de tous ces sujets, nous sommes d'accord pour discuter des salaires, c'est ce que nous faisons de toute façon; mais ce n'est pas seulement ce que nous faisons, nous parlons aussi de choses qui sont délicates.

La sénatrice Bellemare : Ça aurait été intéressant d'avoir un libellé par rapport au projet de loi pour lequel nous sommes ici, pour pouvoir comprendre un peu mieux vos craintes.

Mme Umurungi : Le projet de loi parle vraiment de cette présence à la table des négociations, vous le savez.

La sénatrice Bellemare : Comme observateur.

Mme Umurungi : Notre argument, c'est que si vous êtes à la table des négociations, vous pouvez discuter de tout, en tant qu'observateur, mais vous avez le mandat et un droit de veto après la négociation d'une entente.

Donc, pour nous c'est excessif et nous espérons que c'est quelque chose que vous pourriez nous aider à régler à ce stade-ci de l'analyse du projet de loi.

[Traduction]

La sénatrice Ringuette : Je suis au Parlement depuis 20 ans, et je suis témoin de choses de plus en plus étranges. Pourriez-vous nous parler plus particulièrement du CRTC, des dispositions proposées et de votre responsabilité par rapport à CBC/Radio-Canada? À mon avis, il faudrait préciser davantage les répercussions du projet de loi sur cette relation.

Mme Smyth : Nous ne pouvons pas parler au nom de CBC/Radio-Canada, même si j'aimerais souvent le faire — je pense que vous comprendrez.

La sénatrice Ringuette : Pourriez-vous mettre en lumière le problème concernant le CRTC et le projet de loi à l'étude?

Mme Smyth : Je ne peux pas répondre à la question.

La sénatrice Ringuette : Je dois pouvoir confirmer vos propos. La CBC/Radio-Canada est une société d'État différente des autres au Canada. C'est la seule dont le gouvernement nomme directement les membres de la direction. Chez VIA Rail et Postes Canada, un appel d'offres public est lancé afin de pourvoir aux postes supérieurs.

Le fait qu'un président de CBC/Radio-Canada nommé par le gouvernement actuel s'oppose au projet de loi pour préserver la liberté de presse au sein de la société devrait envoyer un signal aux membres du comité.

[Français]

En français on dit « chapeau! ». Je lève mon chapeau à votre président parce qu'il a le courage de faire face à la réalité à laquelle, malheureusement, nous aussi devons faire face en tant que minorité. Nous devons voir ce qui se passe dans notre démocratie, ce qui arrive à notre liberté d'association et à notre liberté d'expression. C'est une attaque.

[Traduction]

Je comprends ce que vous dites, et je vous appuie. Mais compte tenu de notre statut minoritaire, vous devez aussi comprendre la limite de notre pouvoir d'intervention et de notre soutien.

Le sénateur Gerstein : Avant de poser ma question, je tiens à préciser que j'ai été directeur pendant plus de 30 ans au réseau CTV et chez son prédécesseur, Baton Broadcasting.

Madame Smyth, en quoi l'intégrité journalistique de CBC/Radio-Canada diffère-t-elle de celle de CTV et de Global?

Mme Smyth : Bonne question. Tout journaliste est fier de son impartialité et du fait de rapporter l'information avec justesse, sans la déformer. Vous l'ignorez peut-être, mais bien des journalistes ne votent pas. Je n'ai moi-même pas voté pendant des années lorsque j'étais journaliste. Nous n'adhérons à aucun parti politique. J'ai même travaillé avec des journalistes qui refusent de manger lors de banquets. Un journaliste évite soigneusement tout ce qui pourrait laisser à penser qu'il doit une faveur à qui que ce soit. Même un geste bien intentionné pourrait un jour...

Le sénateur Gerstein : Ce n'est pas ma question. Quelle est la différence entre CBC/Radio-Canada, Global et CTV?

Mme Smyth : Je l'ignore. Je pense que les journalistes de tous les réseaux sont aussi minutieux les uns que les autres dans leurs reportages.

Le sénateur Gerstein : Je comprends, et c'est une excellente réponse. Dans ce cas, pourquoi croyez-vous que CBC/ Radio-Canada ne devrait pas être surveillée dans la même mesure que Global ou CTV?

Mme Smyth : Ce n'est pas ce que je dis. Le radiodiffuseur public est enchâssé dans la loi canadienne depuis des dizaines d'années. C'est notre radiodiffuseur public.

Le sénateur Gerstein : Vous dites que l'intégrité journalistique des deux autres réseaux n'est pas compromise par la surveillance exercée en raison de leur structure organisationnelle.

Mme Umurungi : Le gouvernement ne surveille ni CTV ni les autres réseaux.

Le sénateur Gerstein : Voilà où je veux en venir. Nous ne remettons pas en question l'intégrité journalistique des autres.

Mme Umurungi : Non, bien entendu. Ils ne participent pas aux négociations. C'est un puissant...

Le sénateur Gerstein : Vous ne croyez pas que CTV ou Global...

Le président : Sénateur Gerstein, vous devez permettre aux témoins de terminer leur réponse.

Mme Smyth : Nous ne pensons pas que la comparaison soit valable.

Le sénateur Gerstein : Non?

Mme Umurungi : Non. Les autres réseaux ont des gestionnaires pour gérer et surveiller les activités, et nous aussi. Or, le gouvernement ne s'ingère pas dans leurs affaires; nous ne voulons donc pas qu'il le fasse chez nous non plus.

Mme Smyth : Tout comme vous, les autres réseaux rendent des comptes à leur conseil d'administration, et nous aussi sommes redevables à un conseil des gouverneurs.

Le sénateur Gerstein : Et vous ne pensez pas...

Le président : Veuillez laisser les témoins terminer leurs phrases, s'il vous plaît.

Le sénateur Gerstein : Elle a fini.

Le président : Non, elle n'avait pas terminé.

Le sénateur Gerstein : Aimeriez-vous ajouter quelque chose?

Mme Smyth : Je pense que c'est tout.

Le sénateur Gerstein : J'avais raison, elle a fini.

Le président : J'aurais préféré que vous ajoutiez quelque chose.

Mme Smyth : Je sais, mais j'ai jugé préférable de m'abstenir.

Le sénateur Gerstein : Je ne comprends pas le lien.

Mme Smyth : Nous ne remettons nullement en question la capacité d'un journaliste ou de toute autre chaîne d'information, et ne commentons la situation de personne d'autre. Nous ne faisons qu'évaluer notre réalité et les répercussions possibles. Vous nous trouvez peut-être extrêmes, mais nous ignorons comment les choses vont se passer.

Le sénateur Gerstein : Vous ignorez comment les choses vont se passer. Cela confirme tout simplement l'opinion du sénateur Black, à savoir que votre réaction est exagérée puisque deux autres institutions nationales, soit CTV et Global, s'en sortent bien même si elles sont surveillées. Elles reçoivent assurément des commentaires du PDG ou du conseil d'administration sur la façon de négocier certains dossiers. Pourquoi CBC/Radio-Canada craint-elle d'en faire autant?

Mme Umurungi : Veuillez m'excuser, mais ce n'est pas la même...

Mme Smyth : Nous ne comprenons pas...

Le président : Je vais devoir vous demander de répondre à tour de rôle.

Mme Umurungi : Nous n'avons rien contre la surveillance dans le cadre de la structure actuelle. Les autres réseaux ont un président et un conseil d'administration, et nous aussi. Ils font l'objet d'une surveillance et doivent se soumettre à toutes sortes de structures. Nous en convenons.

Ce qui nous pose problème, c'est la présence du gouvernement. Que je sache, celui-ci ne s'ingère pas dans les affaires des autres réseaux; nous ne voulons pas non plus qu'il se mêle de nos négociations. Lorsque nous discutons d'intégrité journalistique, de journalisme, de la définition d'une nouvelle et du reste, il faut une relation sans lien de dépendance comme c'est le cas depuis des années, justement pour éviter que les puissants intérêts du gouvernement en place ne s'ingèrent inutilement dans nos affaires. Je pense que la situation n'a rien à voir.

Le sénateur Gerstein : J'adhère aux propos du sénateur Black. Nous ne sommes pas d'accord.

La sénatrice Callbeck : Je vous remercie toutes les deux de témoigner aujourd'hui. J'admire moi aussi CBC/Radio- Canada de même que votre travail. Si j'ai bien compris, l'argent alloué à CBC/Radio-Canada est prévu au budget. La direction et le syndicat négocient la convention collective, qui est ensuite approuvée par le conseil d'administration, dont les membres et le président sont nommés par le gouvernement. Est-ce exact?

Mme Smyth : Oui.

Mme Umurungi : Oui.

La sénatrice Callbeck : Vous soumettez également un rapport annuel en fin d'exercice, n'est-ce pas?

Mme Smyth : C'est juste.

La sénatrice Callbeck : Ce qui se passera véritablement ici... Vous dites que le Conseil du Trésor doit vous confier un mandat avant les négociations. Ce mandat peut-il porter sur tout ce qui fait l'objet d'une convention collective?

Mme Smyth : Oui, c'est exact.

La sénatrice Callbeck : C'est bien vaste. Le Conseil du Trésor peut donc vous donner des directives. Le Cabinet peut ensuite nommer un représentant du conseil pour assister aux négociations de toutes conventions collectives. En fait, le conseil doit donner son approbation et peut opposer son veto. Le Conseil du Trésor s'approprie donc le pouvoir du conseil d'administration.

Mme Smyth : Certains sont effectivement de cet avis.

Mme Umurungi : Voilà ce qui est nouveau; c'est le projet de loi qui introduit cette ingérence. Elle n'était pas là auparavant et semble menacer l'organisation et les structures en place. Nous ignorons ce qui se passera. Nous trouvons simplement que c'est très étrange et tout à fait inacceptable dans un régime démocratique. Nous faisons donc tout en notre pouvoir pour vous demander instamment d'y mettre un frein et d'étudier plus attentivement les répercussions des modifications sur la presse, le journalisme et le pays.

La sénatrice Callbeck : Je tenais à vous demander cette précision pour être certaine de bien comprendre, et c'est le cas.

J'ai entre les mains une lettre de Friends of Canadian Broadcasting signée par Ian Morrison. On y parle du projet de loi C-60 qui donne au Cabinet le droit de donner des directives au Conseil du Trésor. On dit aussi que le conseil doit approuver le mandat des négociations de CBC/Radio-Canada concernant les conventions collectives et imposer les exigences nécessaires à la réalisation du mandat.

Quelle est selon vous la pire exigence qui pourrait être imposée?

Mme Smyth : Je ne crois pas que nous soyons en position de répondre à la question.

Mme Umurungi : Nous nous soucions de tout ce qui touche le journalisme, qui nuit à l'intégrité journalistique et qui entrave le travail des journalistes.

La sénatrice Callbeck : Est-ce que le mandat pourrait porter là-dessus?

Mme Umurungi : Nous l'ignorons.

Mme Smyth : Ce n'est pas clair, mais c'est possible.

Mme Umurungi : Si vous parlez de ce dont nous discutons à la table des négociations, c'est bel et bien inclus.

Le président : Il reste 15 minutes à la séance. Trois sénateurs doivent intervenir au premier tour, et deux au deuxième tour.

Le sénateur Wells : Je vous remercie infiniment de votre exposé et de vos réponses jusqu'à maintenant. J'aimerais que vous m'aidiez. Quelle semble être la principale menace? Quand j'étais jeune, ma mère me disait souvent que plus on donne de raisons, moins chacune n'a de poids. Je m'en souviens encore, et c'est vrai. Je m'en rendais moins compte à l'époque.

Est-ce l'intégrité journalistique? Vous qui avez déjà été journaliste, madame Smyth, votre intégrité professionnelle serait-elle influencée par une surveillance additionnelle à la table des négociations? C'est dur à croire. Est-ce plutôt la redondance qui pose problème, c'est-à-dire la surveillance additionnelle? Tous ceux qui sont liés au Sénat comprennent qu'une surveillance accrue aurait été formidable il y a 10 ans. Quel est le principal problème?

Mme Smyth : Comme nous l'avons mentionné, une personne ayant beaucoup de pouvoir nommée pour assister aux négociations pourrait changer la donne et influencer toutes sortes de conditions de travail — et peut-être même le climat de travail chez CBC/Radio-Canada. Des journalistes sérieux pourraient refuser de travailler dans un environnement qui manque peut-être de partialité en raison des liens plus étroits avec le gouvernement. Les nouvelles ne seraient peut-être pas aussi critiques.

Nous ignorons totalement ce qui pourrait se passer. Nous ne faisons qu'exprimer nos craintes quant à la possibilité qu'une chose semblable se produise.

Le sénateur Wells : Ceux qui sont à la table des négociations ont déjà beaucoup de pouvoir. Vous l'avez dit. Même s'ils ne participent pas aux négociations, le président et les membres du conseil d'administration sont nommés par le gouvernement, qui est en quelque sorte choisi par l'électorat au sein de notre système. Ceux qui élisent le gouvernement paient donc les factures de CBC/Radio-Canada. J'ai du mal à comprendre ce qu'il y a de mal à tenir davantage à l'oeil ceux que les contribuables ont choisis pour surveiller.

Mme Smyth : Vous semblez proposer d'alourdir la bureaucratie.

Le sénateur Wells : Non, la bureaucratie n'a rien à voir là-dedans puisqu'on parle de surveillance.

Mme Smyth : Nous n'avons rien contre la surveillance. Puisque nous ne pouvons pas parler au nom de CBC/Radio- Canada, permettez-moi de vous citer un passage de la lettre du président de la société d'État. Je pense que vous en avez un exemplaire :

Le projet de loi C-60 retirerait au Conseil d'administration de CBC/Radio-Canada deux de ses plus importantes responsabilités, soit assurer la supervision responsable des activités de la Société ainsi que son indépendance face au Gouvernement en place.

Nous croyons donc que la société est déjà surveillée.

Le sénateur Wells : Dans ce cas, quel est le problème? Vous semblez dire que c'est la redondance.

Mme Smyth : Nous ne croyons pas qu'il faille nommer une personne de plus étant donné qu'il y a déjà plusieurs niveaux de responsabilité.

Mme Umurungi : Le problème, c'est l'ingérence du gouvernement en place.

Le sénateur Wells : Vous avez dit que le gouvernement est déjà assez présent puisqu'il nomme le président et les membres du conseil d'administration.

Mme Umurungi : En effet, le gouvernement est assez présent. La relation demeure tout de même indépendante, ce qui nous paraît sain dans un régime démocratique et dans tout ce qui entoure les nouvelles et la diffusion d'information aux Canadiens. Nous croyons que c'est attribuable à la Loi sur la radiodiffusion, qui est d'ailleurs compromise par le projet de loi.

Ce n'est pas une question de surveillance, et je pense qu'il est injuste d'employer un tel qualificatif. Il y a déjà de la surveillance. Nous pouvons discuter de la structure actuelle, mais nous trouvons déplacé de laisser le gouvernement en place définir le mandat, assister aux négociations où il est question de journalisme et du traitement des nouvelles dans la plus grande salle de presse au Canada, et possiblement d'opposer son veto. Nous souhaitons que vous mettiez un frein au projet de loi dès maintenant pour que nous puissions en discuter ailleurs. Pour l'instant, c'est tout à fait impossible puisque les dispositions sont intégrées au projet de loi omnibus. Elles posent toutes sortes de problèmes majeurs pour un régime démocratique, pour la presse, pour le journalisme et pour tout ce que nous avons dit aujourd'hui.

Ce n'est pas une question de surveillance, et il est vraiment injuste de croire que c'est le cas. Le problème, c'est que le gouvernement en place puisse assister aux discussions entourant le journalisme, l'indépendance et la présentation de l'actualité. Je pense que tout le monde peut comprendre.

Quelqu'un nous a demandé ce qui se passe à l'étranger. Nous savons faire la différence entre les pays où le gouvernement entretient une relation sans lien de dépendance avec le journalisme et ceux où ce n'est pas le cas. Nous savons qu'il y a une différence et voulons la préserver au Canada.

Le sénateur Wells : Je vais essayer de résumer en une dizaine de mots ce que vous venez de nous dire. L'intégrité des journalistes travaillant pour CBC/Radio-Canada serait compromise?

Mme Umurungi : On met en péril l'indépendance dont ils doivent jouir dans le cadre de leur travail. Nous en discutons lors de chaque négociation. Nous ne croyons pas que le gouvernement devrait être représenté à la table et connaître ainsi le contenu de ces discussions. Le problème ne vient pas des journalistes. Ils vont toujours faire de leur mieux. C'est ce qu'ils font depuis les 30 dernières années dans des circonstances très difficiles, avec des budgets qui sont réduits chaque année. Nous comprenons bien leur situation, mais c'est un autre débat.

Nous estimons inapproprié que ce projet de loi accorde ce mandat additionnel assorti du droit d'être présent à la table des négociations et d'imposer son veto. Ce n'est pas un problème de redondance, bien que l'on pourrait certes en discuter. Nous croyons que le conseil d'administration et le président jouissent d'un pouvoir considérable. L'organisation est structurée de manière à pouvoir évoluer en toute indépendance. Les structures en place sont certes suffisantes. Je ne sais même pas s'il est possible de les changer. Nous trouvons surtout problématique de voir le gouvernement au pouvoir être représenté à la table lorsque nous discutons de la façon dont nous allons présenter les nouvelles.

Le sénateur Wells : En fin de compte, le produit présenté aux Canadiens est celui qui a été conçu par les journalistes?

Mme Umurungi : Oui, mais il faut se demander dans quelles conditions. Nous définissons la notion de « nouvelles » dans notre convention collective. Pourrait-on en débattre avec un représentant du gouvernement sur place? Les prérogatives du réalisateur, la façon dont les gens peuvent être embauchés et congédiés, les processus d'affectation, les nouvelles rapportées par nos journalistes à l'étranger lorsque notre pays est en cause d'une manière ou d'une autre; voilà autant d'éléments dont nous pouvons discuter à la table de négociation.

Je ne suis pas moi-même journaliste, mais comme ma collègue vous l'a indiqué, les journalistes vont toujours s'assurer de faire leur travail en toute intégrité. Ils vont s'efforcer d'y parvenir peu importe les conditions. Ce n'est pas ce qui est en cause ici. Nous nous demandons plutôt pour quelle raison on introduit cet élément de stress supplémentaire; pourquoi le gouvernement a-t-il besoin de s'arroger encore davantage de pouvoirs?

Le sénateur Wells : Si on éliminait toute forme de supervision, le stress disparaîtrait complètement.

Mme Umurungi : C'est une question de pouvoir. Le gouvernement veut pouvoir discuter de journalisme.

Le sénateur De Bané : Madame Smyth, votre réponse à mon collègue, le sénateur Wells, m'incite à vous lire un extrait d'un rapport unanime soumis par le CRTC au gouvernement du Canada. Voici ce qu'on pouvait y lire :

Il m'a semblé percevoir, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Société, une certaine volonté de lui voir conserver à tout prix sa forme actuelle. Cet objectif ne nous apparaît pas souhaitable. Il semble reposer sur la peur de voir l'autonomie de la société disparaître au profit du gouvernement, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'un outil de propagande pour le parti au pouvoir à Ottawa.

On ajoute ensuite dans ce rapport unanime du CRTC :

À notre avis, c'est là un danger purement hypothétique. Comme nous avons tenté de le démontrer, le statut actuel de la société (organisme autonome qui n'a de compte à rendre à personne) constitue un danger bien plus imminent, puisqu'il suscite la remise en question de l'existence même de la Société.

C'est ce qu'écrivaient les gens du CRTC. Cette crainte, selon eux, n'est pas justifiée. Le problème vient plutôt du fait que la société d'État n'a pas de compte à rendre aux contribuables de ce pays dont nous sommes les fiduciaires.

Pour qu'un Parlement puisse agir démocratiquement, on doit garantir l'immunité aux parlementaires. Cependant, cela n'empêche pas que leur rémunération soit connue du public. Vous connaissez le salaire de chaque député, de chaque ministre et même du premier ministre. En quoi cela peut-il affecter leur liberté de parole, leur autonomie et l'immunité dont ils bénéficient pour toutes leurs déclarations au Parlement?

Lorsque j'ai demandé à CBC/Radio-Canada pour quelles raisons les journalistes les plus chevronnés n'étaient pas déployés un peu partout au pays, plutôt que d'être tous regroupés à Montréal, on m'a répondu qu'en vertu de la convention collective, il leur était impossible de déplacer les journalistes d'expérience à l'extérieur de Montréal. Peut-on vraiment parler de bonne gestion? Ne me dites surtout pas que c'est dans un souci de liberté de presse qu'ils peuvent ainsi demeurer à Montréal et éviter les affectations à Regina, Edmonton, Calgary, Vancouver, St. John's, et cetera.

Faisons abstraction de l'écran de fumée. Vous voulez garder les choses dans leur état actuel. Les Canadiens ont le droit de savoir combien gagne leur premier ministre, mais ne peuvent pas connaître le salaire de Céline Galipeau? Surtout pas; c'est un secret d'État. Ce serait préjudiciable à la liberté de presse. J'ai bien de la difficulté à accepter cela.

Le président : Sénateur De Bané, avant que je permette à nos témoins de commenter, pouvez-vous nous indiquer d'où vous tirez cette citation du CRTC?

Le sénateur De Bané : C'est le rapport du Comité d'enquête sur le service national de radiodiffusion établi le 14 mars 1977 par le CRTC.

La sénatrice Ringuette : 1977?

Le sénateur De Bané : Oui. C'est pareil aujourd'hui; rien n'a changé. C'est à la page 70 de ce rapport unanime soumis au gouvernement par le président du CRTC, M. Harry Boyle. Absolument rien n'a changé depuis.

Le président : Madame Smyth, aviez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Mme Smyth : Très brièvement. Vous me demandez de dire à CBC/Radio-Canada comment elle devrait gérer son personnel. Je peux vous assurer que c'est ce que j'essaie de faire en vain depuis des années.

Nous ne pouvons pas parler au nom de la société d'État. Nous sommes à l'emploi du syndicat qui représente ses travailleurs.

Je vous dirais simplement, comme nous l'avons déjà mentionné, que si le but visé est de connaître la rémunération des employés de CBC/Radio-Canada, pourquoi ne propose-t-on pas un projet de loi en ce sens? Si ce sont ces renseignements-là que l'on veut connaître, qu'on le dise clairement et on pourra toujours en discuter. Je n'y vois personnellement aucun avantage. Si c'est ce que l'on souhaite, c'est chose possible. C'est le cas notamment avec la province de l'Ontario.

La sénatrice Buth : Premièrement, je veux simplement confirmer que CBC/Radio-Canada est une société d'État relevant du gouvernement du Canada.

Le président : Avez-vous répondu?

Mme Smyth : Oui, j'ai hoché la tête.

Mme Umurungi : Une société d'État indépendante, oui.

La sénatrice Buth : Savez-vous de quel ordre est la contribution financière du gouvernement fédéral pour CBC/ Radio-Canada?

Mme Umurungi : Je pense que l'une des lettres parle d'un budget de 1,1 milliard de dollars.

La sénatrice Buth : C'est bien cela, 1,1 milliard de dollars. Que se passerait-il — et Dieu nous en préserve, car je suis une fervente adepte de CBC — si la société d'État venait à faire faillite?

Mme Smyth : Je ne pense pas que nous soyons en mesure de faire des commentaires à ce sujet.

La sénatrice Buth : Mais ne seriez-vous pas préoccupée à titre de contribuable de la faillite de CBC/Radio-Canada?

Mme Smyth : J'espère ne jamais voir le jour où la société d'État déclarera faillite.

La sénatrice Buth : Moi non plus. Je m'adresse maintenant à vous dans votre rôle de porte-parole de la Guilde canadienne des médias. Avez-vous une idée de la manière dont le Conseil du Trésor compte procéder pour assurer cette supervision?

Mme Smyth : Nous n'en avons aucune idée. Nous n'avons aucun détail. Vous en savez sans doute plus que nous.

La sénatrice Buth : Je vous dirais simplement que nous avons reçu des représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor dont les observations à ce sujet sont bien sûr désormais du domaine public. Je vais vous en faire lecture pour que vous puissiez me dire ce que vous en pensez.

Je vais vous citer M. Belovich. Je ne me souviens pas du jour de sa comparution, mais cela figure dans les comptes rendus de nos délibérations. On lui demandait comment on allait composer avec les différentes sociétés d'État qui avaient manifestement chacune leurs particularités. Le Conseil du Trésor a certes une bonne expertise en la matière.

M. Belovich a fait le commentaire suivant :

Toutefois, nous prenons le temps de nous entretenir avec les gens des organismes distincts et, d'après ce que je comprends, c'est ainsi que nous procèderons avec les sociétés d'État visées. Nous devons comprendre leurs exigences et leurs priorités opérationnelles. En ce moment, chaque année, les sociétés d'État présentent un plan d'entreprise qui est approuvé par le Conseil du Trésor, ce qui fait que, dans une certaine mesure, nous comprenons déjà leurs exigences opérationnelles et leur caractère unique. Cela nous aidera à savoir comment aller de l'avant.

Plus tard lors de la même séance, le sénateur Black lui pose une question :

Les employés contractuels indépendants seraient-ils visés?

Je pense qu'il est important de noter la réponse de M. Belovich :

Il est question ici de la rémunération qui serait établie par l'employeur, et non des relations contractuelles.

Le sénateur Black demande ensuite :

Que se passe-t-il si je suis une des personnalités de Radio-Canada, mais je ne suis pas employé? Je suis un commentateur bien rémunéré spécialisé en lacrosse. Le gouvernement ou le Conseil du Trésor pourrait-il exercer un contrôle sur les sommes qui me sont versées?

M. Belovich a répondu :

Ce scénario n'est pas prévu dans les modifications proposées.

Mme Smyth : Désolée, mais quelle était la question?

La sénatrice Buth : J'allais justement vous la poser. En votre qualité de représentante de la Guilde canadienne des médias, est-ce que cela vous permet de mieux voir comment le Conseil du Trésor pourrait assurer cette forme de surveillance en tant qu'observateur?

Mme Smyth : Désolée, j'ai peut-être mal compris la question, mais cela ne change rien au fait que CBC/Radio- Canada doit déjà rendre des comptes à cinq ordres de gouvernement. La plupart des gens jugeraient cela suffisant. Nous ne comprenons toujours pas pourquoi une supervision supplémentaire serait requise.

La sénatrice Buth : Alors c'est pour vous un problème de supervision?

Mme Smyth : Tout à fait.

Le président : Nous n'avons plus de temps, mais deux sénatrices ont exprimé le désir d'avoir la parole lors d'un second tour. Je vais donc demander à chacune de poser sa question.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je ne comprends pas bien les clauses de votre convention collective que vous liées à la négociation des nouvelles. Pour moi, les conditions d'emploi n'ont rien à voir avec la livraison des nouvelles, vous comprenez? Peut-être pourriez-vous déposer cela auprès de la greffière?

La sénatrice Chaput : Je vous ai écoutées attentivement et je comprends que le gouvernement contrôle déjà la Société Radio-Canada au niveau du budget, de l'emprunt des sommes, des obligations, du président, du conseil d'administration. Le point qui vous irrite le plus dans ce projet de loi est-il la présence d'un employé du Secrétariat du Conseil du Trésor qui assiste en tant qu'observateur à vos négociations collectives? Est-ce la source d'irritation première?

Le président : Pouvez-vous donner une courte réponse? Sinon, vous pourriez peut-être la faire parvenir par courrier.

[Traduction]

Mme Smyth : Nous allons transmettre les documents demandés par courriel à votre greffière.

Le président : Nous verrons alors à les distribuer aux membres du comité. Désolé que nous ayons manqué de temps, mais cela montre bien à quel point votre témoignage était intéressant pour nous.

Mme Umurungi : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de nous écouter.

Le président : C'est nous qui remercions les représentantes de la Guilde canadienne des médias d'avoir témoigné devant nous.

Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant un nouveau groupe de témoins pour la seconde partie de notre séance d'aujourd'hui.

[Français]

Honorables sénateurs, nous poursuivons cet après-midi notre étude de la teneur du projet de loi C-60, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures.

[Traduction]

Lors de cette seconde portion de notre séance, nous allons nous intéresser à deux parties distinctes du projet de loi. En premier lieu, nous examinerons la partie 3, section 2, articles 104 à 109, débutant à la page 53 du projet de loi, qui traite des institutions financières et des critères de résidence applicables aux administrateurs.

Pour l'étude de cette portion du projet de loi, nous recevons deux représentants de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes, Frank Swedlove, président, et Ron Sanderson, directeur général, Rentes et Imposition des titulaires de polices.

Nous allons aussi nous pencher sur l'article 15 de la partie 1, à la page 7, concernant la déduction additionnelle accordée aux caisses de crédit.

Pour discuter de cette portion du projet de loi, nous souhaitons la bienvenue à Jack Mintz, qui témoigne aujourd'hui par vidéoconférence. M. Mintz est économiste et titulaire de la chaire Palmer en politique publique de l'Université de Calgary. Nous allons également traiter du même article avec Gary Rogers, vice-président, Politique financière, pour la Centrale des caisses de crédit du Canada.

Je demanderais à ceux qui vont nous faire une déclaration préliminaire de s'en tenir à environ cinq minutes pour nous donner un aperçu de leurs réactions à l'égard de ces initiatives gouvernementales contenues dans le projet de loi C-60. Nous allons aller d'abord du côté de Calgary, car c'est M. Mintz qui attend depuis le plus longtemps.

Jack Mintz, directeur et titulaire de la chaire Palmer en politique publique, École de politique publique de l'Université de Calgary : Merci beaucoup. C'est un plaisir pour moi de prendre la parole devant votre comité. On m'a demandé tout particulièrement de vous parler des dispositions de ce projet de loi qui auront pour effet de mettre fin au traitement fiscal préférentiel accordé aux caisses de crédit. Il faut savoir que celles-ci ont actuellement droit à un niveau d'imposition comparable à celui des petites entreprises, ce qui leur permet de mieux soutenir la concurrence des grandes institutions financières.

Permettez-moi d'abord de vous parler de la manière dont je perçois la fiscalité, surtout dans le contexte de l'impôt des sociétés. J'estime qu'il y a deux principes très importants qui sont en jeu. Il faut d'abord s'assurer de garder les taux d'imposition relativement bas, à un niveau concurrentiel par rapport à ce qui se fait ailleurs, notamment pour attirer et stimuler les investissements et les autres activités des entreprises. C'est aussi une bonne chose pour les gouvernements, car cela leur permet de maintenir un certain niveau de recettes fiscales faisant en sorte qu'il soit moins intéressant pour les entreprises de déplacer leurs opérations pour bénéficier de régimes fiscaux moins gourmands, une considération importante dans le contexte des réformes fiscales des dernières années.

L'autre principe à respecter est celui de la neutralité, c'est-à-dire que toutes les entreprises devraient assumer un fardeau fiscal similaire au titre de leurs activités. Ainsi, les entreprises du pays peuvent décider elles-mêmes des meilleurs endroits où investir et réaliser des bénéfices. Lorsqu'il y a des variations dans les régimes d'imposition des sociétés, on se retrouve avec des recettes fiscales inférieures parce qu'on encourage en fait les investissements accrus qui produisent des rendements économiques plus faibles sur une base avant impôt, par rapport à ce qu'on pourrait imposer par ailleurs. Si l'on égalise les fardeaux fiscaux, on permet au milieu des affaires de répartir ses ressources de manière à maximiser ses profits, ce qui se traduit généralement par une optimisation des rendements ainsi que de la productivité de l'économie du fait que le gouvernement s'ingère moins dans les décisions d'investissement.

Ces deux principes ont guidé le rapport du Comité technique de la fiscalité des entreprises dont j'ai assumé la présidence pour l'honorable Paul Martin, alors que j'étais économiste invité Clifford-Clark au ministère des Finances en 1996-1997. Ce rapport a d'ailleurs mené à bon nombre des réformes fiscales importantes effectuées au Canada relativement à l'impôt des sociétés depuis 2000 jusqu'à l'an dernier. Je pense qu'il convient de féliciter l'ensemble des gouvernements qui sont parvenus à réduire nos taux d'imposition. Comme je l'ai indiqué, c'est aussi une bonne chose pour eux, car ils peuvent ainsi maintenir intacte leur assiette fiscale. J'estime toutefois que les gouvernements auraient pu aller encore plus loin en prenant des mesures pour assurer la neutralité de notre système d'imposition des sociétés.

Dès 1997, notre comité technique recommandait que l'on mette fin au traitement fiscal préférentiel accordé aux caisses de crédit, car rien ne justifiait qu'elles aient droit à un taux d'imposition différent de celui des autres entreprises. J'ai donc été ravi de constater dans le dernier budget que l'on proposait finalement une mesure en ce sens. J'estime cela tout à fait approprié, car nous devrions nous efforcer d'offrir un traitement fiscal équitable à toutes les institutions financières. Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Mintz. Monsieur Rogers, aviez-vous vous aussi des observations à nous faire concernant cette disposition touchant les caisses de crédit?

Gary Rogers, vice-président, Politique financière, Centrale des caisses de crédit du Canada : Oui, j'ai un texte à vous lire. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir l'occasion d'aborder avec vous aujourd'hui la question du taux d'imposition des caisses de crédit, et plus particulièrement de l'article 15 du projet de loi C-60.

J'œuvre au sein de la Centrale des caisses de crédit du Canada, l'association commerciale nationale des caisses de crédit situées à l'extérieur du Québec, depuis 28 ans. Au cours de cette période, le système des caisses de crédit a toujours entretenu des relations positives avec les représentants du ministère des Finances, les ministres du gouvernement et, bien entendu, les membres de ce comité, qui ont toujours encouragé l'essor du secteur financier coopératif. Ensemble, nous avons su collaborer de façon très productive pour faire avancer plusieurs dossiers importants, comme les revenus de retraite, les comptes d'épargne libres d'impôt, la mise en place de la TPS, à laquelle j'ai participé directement, la charte fédérale des caisses de crédit et, bien entendu, l'imposition des revenus des caisses de crédit.

Jusqu'à tout récemment, je ne pouvais me souvenir d'une occasion où nous avions eu quelque différend que ce soit en ce qui a trait à la politique fiscale appliquée aux caisses de crédit et à leurs produits. Ma présence ici aujourd'hui est donc due à des circonstances extraordinaires. En effet, nous sommes fermement en désaccord avec l'annulation du crédit supplémentaire additionnel accordé aux caisses de crédit et regrettons l'absence totale de processus de consultation dans la prise de cette décisions.

L'article 15 éliminera la déduction fiscale accordée aux petites entreprises pour la majorité des caisses de crédit et fera passer leur taux fédéral d'imposition de 11 à 15 p. 100. Nous serons imposés comme des banques, bien que nous n'en soyons pas.

Les caisses de crédit et le gouvernement fédéral ont toujours entretenu une collaboration étroite, car nous partageons les mêmes objectifs en matière de politiques publiques. Les Canadiens ont besoin d'une solution de rechange concurrentielle par rapport aux cinq grandes banques. Nos 348 caisses de crédit, chacune étant unique et innovatrice, leur offrent cette possibilité. Les petites collectivités et celles qui sont isolées, qui ont été désertées par les grandes banques ou simplement jamais desservies par celles-ci, ont besoin de services financiers. Bien que le coût d'exploitation de succursales dans ces collectivités soit élevé, les caisses de crédit continuent de desservir 382 collectivités qui n'auraient, autrement, aucun accès à des services financiers.

Les villages, les petites agglomérations et les villes ont besoin de bons emplois durables. Les caisses de crédit emploient plus de 27 000 personnes aux quatre coins du pays. En période de ralentissement économique, les Canadiens ont besoin d'institutions financières sur lesquelles ils peuvent compter. Notre gouvernance démocratique, ancrée dans la collectivité, signifie que nous ne cesserons pas de prêter de l'argent lorsque les gens en ont le plus besoin. Les petites et micro-entreprises ont besoin de financement. Les caisses de crédit sont les fournisseurs de services financiers privilégiés par celles-ci. Vous avez probablement lu, la semaine dernière, que la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) place les caisses de crédit au premier rang des fournisseurs de services financiers préférés de ses membres. Les banques, quant à elles, considèrent que de servir ce secteur demande trop de temps et coûte trop cher.

Les caisses de crédit ont été assujetties pour la première fois à l'impôt il y a plus de 40 ans, soit en 1972. Ce changement a été précédé de vastes consultations entre le gouvernement fédéral et le mouvement des caisses de crédit. Ces consultations ont permis d'établir un régime fiscal qui était différent de celui des grandes banques et qui reconnaissait la nécessité d'encourager la croissance des bénéfices non répartis, qui sont la principale source de capital d'une coopérative financière. En vertu de ce régime, les caisses de crédit ont payé, au cours de la dernière année, plus de 100 millions de dollars en impôt sur le revenu aux niveaux fédéral et provincial. Selon les règles fédérales, nous ne sommes pas imposées au même taux que les grandes banques, mais bien comme des petites entreprises; nous sommes les petites entreprises du secteur des services financiers qui offre des services au public et qui accepte les dépôts. L'importance de cette entente fiscale a été confirmée en 1998 dans le rapport MacKay.

Pourtant, sans que le gouvernement n'en ait discuté avec nous ou nous ait consultés, le dernier budget fédéral a éliminé la déduction fiscale accordée aux petites entreprises dans l'essentiel de notre secteur. C'est pourquoi nous pouvons affirmer à juste titre que de mémoire, aucune décision du gouvernement fédéral n'a suscité autant de surprise, de consternation et de colère de la part des caisses de crédit. Cette décision a eu lieu au moment où nous faisons face à d'importantes pressions commerciales comme la réduction de nos marges financières; l'accentuation des réglementations en matière de capital, qui sont particulièrement contraignantes pour les caisses de crédit; les obligations de respecter des règles incroyablement complexes, qui sont, toutes proportions gardées, plus importantes pour les petites institutions financières indépendantes (je cite en exemple les lois pour la lutte au blanchiment d'argent et la FATCA américaine); une structure de coûts élevés étant donné que nous fonctionnons comme des petites entités indépendantes et finalement, la nécessité d'investir dans de nouveaux moyens technologiques, ce qui est crucial pour ne pas perdre du terrain par rapport à nos concurrents qui ont beaucoup plus de moyens.

On peut lire dans les documents budgétaires que cette hausse substantielle d'impôt permettra d'accroître la neutralité et l'équité du régime fiscal. Selon ce raisonnement, la hausse du taux d'imposition des caisses de crédit à hauteur de celui des banques sera plus équitable — pour les banques, peut-être! Nous contestons cette logique. L'évaluation de l'équité et de la neutralité du régime fiscal ne devrait pas se limiter au seul taux d'imposition.

C'est avec plaisir que je vous expliquerai pourquoi nous sommes en désaccord avec cette altération de l'équilibre concurrentiel actuel, parce que nous croyons qu'il y a d'autres aspects du régime fiscal qui mériteraient d'être revus en même temps.

C'est également avec plaisir que j'aborderai avec vous l'ampleur de cette hausse d'impôt, quelles caisses de crédit seront affectées et quelles en seront les conséquences.

Nous avons eu vent de commentaires à l'effet que les caisses de crédit étaient les rivales des banques et devraient être soumises au même taux d'imposition. Toutefois, la taille des caisses de crédit qui seront touchées par cette mesure ne représente qu'une fraction de la taille de leurs concurrentes. De plus, leur part de marché des dépôts et des prêts stagne depuis de nombreuses années. Aucune preuve ne vient appuyer la logique selon laquelle un taux d'imposition préférentiel pour les caisses de crédit a entretenu une concurrence déloyale avec les banques. Le succès des caisses de crédit n'est pas la preuve que le crédit supplémentaire qui leur est accordé n'est plus nécessaire, mais bien qu'il porte ses fruits!

Je poursuivrai avec plaisir la discussion avec vous, monsieur le président.

Frank Swedlove, président, Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc. : Monsieur le président, le sujet que je m'apprête à aborder est peut-être un peu moins intéressant que la discussion qui va avoir lieu au sujet des caisses de crédit, mais il n'en est pas moins important à mes yeux.

[Français]

Si vous me le permettez, j'aimerais formuler quelques remarques préliminaires. L'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes représente des sociétés détenant 99 p. 100 des assurances-vie et maladies en vigueur au Canada. L'industrie canadienne des assurances de personnes fournit des produits comme l'assurance-vie individuelle et collective, l'assurance invalidité, l'assurance maladie complémentaire, les rentes individuelles et collectives, et le régime de retraite.

L'industrie protège près de 27 millions de Canadien et plus de 45 millions de personne à l'étranger.

[Traduction]

Notre industrie verse en prestations 64 milliards de dollars par année aux Canadiens, elle a investi plus de 570 milliards de dollars dans l'économie du Canada et emploie environ 139 000 Canadiens.

Les assureurs de personnes sont réglementés au fédéral en vertu de la Loi sur les sociétés d'assurances, la LSA, et sont en outre assujettis aux règles et règlements afférents aux lois provinciales sur les assurances.

[Français]

Monsieur le président, nous sommes heureux de vous présenter nos vues en préparation du rapport que le comité soumettra au Parlement. Notre industrie appuie les dispositions de la section 2, partie 3, du projet de loi, dispositions au sujet desquelles j'aimerais formuler de brèves observations.

[Traduction]

La section 2 de la partie 3 modifierait la législation fédérale applicable aux services financiers, y compris la Loi sur les sociétés d'assurances. La LSA prévoit à l'heure actuelle que la majorité des administrateurs d'une société d'assurances canadienne doivent être des résidents canadiens. Dans le cas d'une filiale d'une institution étrangère, au moins la moitié des membres du conseil d'administration doivent résider au Canada. La loi prévoit également que ces exigences quant à la proportion de résidents canadiens s'appliquent lorsque les administrateurs d'une société mènent des délibérations au cours d'une réunion du conseil d'administration ou d'une réunion d'un comité du conseil d'administration.

Selon le projet de loi C-60, les exigences en matière de résidence ne s'appliqueraient plus à l'égard des réunions des comités du conseil d'administration. Aucun changement n'est prévu à l'égard du conseil d'administration lui-même.

Ces modifications comportent plusieurs avantages, dont voici les plus importants. Un, elles permettraient que les personnes les plus compétentes siègent aux comités du conseil d'administration d'une société. Deux, les sociétés exportatrices canadiennes pourraient plus facilement développer des marchés à l'étranger avec le concours d'administrateurs non canadiens.

Honorables sénateurs, c'est là une question très importante pour nous. Les assureurs-vie canadiens connaissent un grand succès à l'échelle mondiale. Ils détiennent plus de la moitié de leurs actifs à l'étranger. Nos sociétés sont présentes dans une vingtaine de pays et territoires de par le monde, et trois assureurs canadiens se classent parmi les 20 plus grandes sociétés d'assurances de personnes à l'international. Notre industrie est l'une des plus importantes exportatrices de services au pays. Par conséquent, la souplesse accrue qu'offrent ces modifications serait tout à fait justifiée.

Je serai heureux de répondre à toute question que vous pourriez avoir. Merci.

Le président : Merci. Avez-vous mentionné que les membres de votre industrie ont été consultés relativement à ces modifications?

M. Swedlove : Je ne l'ai pas mentionné, mais nous avions soumis au gouvernement l'idée d'inclure cette mesure au budget, et nous sommes contents qu'elle y ait été incluse.

Le président : Merci. Monsieur Sanderson, avez-vous quelque chose à ajouter?

Ron Sanderson, directeur général, Rentes et imposition des titulaires de polices, Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc. : Pas pour l'instant, je vous remercie.

La sénatrice Ringuette : Pour mettre tout cela en perspective, ma première question porte sur le secteur des prêts sur salaire. Quel est le taux d'imposition qui s'y applique? Est-ce le même que pour les banques ou est-ce plutôt le même taux que pour les petites et moyennes entreprises?

M. Rogers : Je ne peux que faire des suppositions, parce que nous ne faisons pas partie de cette industrie. Le taux d'imposition des petites entreprises s'applique à toutes les petites entreprises, en fonction de leurs capitaux. Si une petite entreprise dispose d'un capital qui se situe entre 10 et 15 millions de dollars, elle peut tout de même bénéficier du taux d'imposition des petites entreprises. Tout dépend de la taille de l'entreprise.

M. Mintz : Je serais porté à croire que c'est juste. Ce serait simplement le régime fiscal pour les petites entreprises qui s'appliquerait.

La sénatrice Ringuette : Il s'agit toujours de franchises, donc le taux dépendrait du capital de leurs bureaux seulement.

M. Mintz : Exactement. À moins qu'il ne s'agisse de sociétés affiliées, auquel cas le calcul tiendrait compte du capital de toutes les sociétés affiliées.

La sénatrice Ringuette : Oui. Nous connaissons tous la situation des sociétés de prêts sur salaire et ce qu'elles font. Pourquoi profiteraient-elles du même taux que les petites et moyennes entreprises, alors que les coopératives, qu'on trouve surtout en région rurale et qui offrent des services à des collectivités rurales, agricoles, forestières, nordiques ou de pêcheurs, qui ne constituent pas des banques (nous nous sommes d'ailleurs penchés sur cette loi il y a quelques années)... Pourquoi les coopératives seraient-elles assujetties au même taux que nos cinq grandes banques? Au cours des derniers jours, nous avons pu lire des articles selon lesquels les PDG des cinq grandes banques canadiennes figurent parmi les banquiers les mieux payés au monde. Pourquoi pénaliser nos petites coopératives plutôt que d'examiner ce qui se passe dans les cinq grandes banques et dans l'industrie des prêts sur salaire?

M. Mintz : Permettez-moi de faire deux observations importantes. Si vous lisez quelques-uns des articles que j'ai publiés récemment, dont un sur la déduction fiscale aux petites entreprises que j'ai publiés à l'École de politique publique, vous allez constater que je ne suis pas en faveur de cette déduction non plus. Je pense que c'est l'antithèse de la croissance. Elle condamne les petites entreprises à rester petites. En fait, je pense que nous devrions faire comme bien d'autres pays et adopter un régime dans lequel les taux d'imposition des sociétés seraient les mêmes pour les petites comme pour les grandes entreprises. C'est ce qui se fait dans beaucoup de pays, pas partout, mais à bien des endroits. Je crois que notre régime crée de la distorsion. Je suis d'avis que la réduction accordée aux petites entreprises, et nous avons fait des calculs, constitue un avantage important pour beaucoup de ménages dont le revenu est supérieur à 100 000 $, parce que ce régime permet aux gens d'éviter de payer de l'impôt sur le revenu des particuliers en affectant une part de leur revenu à leur entreprise pour arranger leurs affaires.

On dira ce qu'on voudra, mais s'il n'en tenait qu'à moi de décider à la place du ministre des Finances, je m'attaquerais même à la déduction accordée aux petites entreprises. Vous ne voudriez probablement jamais que je sois ministre des Finances.

Pour ce qui est des institutions financières en général, si je prône un taux d'imposition égal pour toutes les activités commerciales, ce n'est pas seulement pour ce secteur, mais pour tous les secteurs d'activité. Il y a beaucoup d'institutions financières. Il n'y a pas que les banques. Il ne faut pas oublier non plus qu'il y a beaucoup d'autres taxes et de frais.

Encore une fois, les petites entreprises ont tendance à bénéficier d'un plus grand nombre d'allègements fiscaux que les grandes entreprises. En toute équité, je pense qu'il faudrait se pencher sur ce genre de question. Je me rappelle qu'on en a discuté en 1997. Il y avait toutes sortes de taxes sur le capital imposées aux institutions financières, des taxes qui reviennent maintenant dans diverses provinces. Il y avait des primes d'assurance-dépôts, entre autres, qui semblaient frapper plus lourdement les grandes institutions financières que les petites, et je ne parle pas seulement des banques, mais aussi des sociétés d'assurances, entre autres. Le fait que les caisses de crédit soient traitées comme des petites entreprises était toute une anomalie dans le système. À ce chapitre, je crois que nous devrions vraiment essayer d'adopter un taux d'imposition des sociétés semblable pour toutes les activités commerciales, en partie pour réduire la complexité du système, en partie pour éviter l'érosion de la base et le rééquilibrage des revenus, de même que pour permettre au gouvernement de mieux répartir les ressources dans l'économie canadienne.

M. Rogers : J'aimerais réagir aux observations de M. Mintz. Je suis tout à fait d'accord avec lui que l'un des objectifs fondamentaux du régime fiscal, c'est d'établir un certain équilibre et une certaine neutralité. Cependant, nous ne pouvons pas évaluer la situation des petites entreprises seulement en fonction du taux d'imposition régulier, parce que nous négligerions de tenir compte de tout le reste du régime fiscal et de bien des conséquences potentielles. Certaines des conséquences que seules les plus grandes institutions financières sont susceptibles de subir ont été mentionnées. Il y a un impôt sur le capital qui s'applique aux très grandes institutions. C'est le genre de chose qui permet de ramener l'équilibre, compte tenu du traitement qu'on nous accorde, je dois le mentionner.

Prenons un peu la TPS. Un réseau de petites institutions financières indépendantes est beaucoup moins en mesure de pouvoir obtenir tous les services requis à l'interne que les grandes banques intégrées. N'oubliez pas que les institutions financières n'ont pas accès aux crédits de taxe sur les intrants. Elles ne se font pas rembourser la TPS qu'elles paient. Les petites caisses de crédit doivent acheter toutes sortes de services de gestion des ressources humaines, de comptabilité, de conseils juridiques et d'autres services professionnels pour lesquels elles paient de la TPS, alors que les banques peuvent absorber tous ces services à l'interne par les salaires. Les petites institutions financières paient des montants disproportionnés en TPS. Il faut le reconnaître. Il y a un énorme avantage fiscal, une dépense fiscale, qui existe dans le régime fiscal qui touche les gains en capitaux. Quand une personne investit dans une banque et que ses actions prennent de la valeur, la moitié des gains sont libres d'impôt. Soit dit en passant, l'objectif est tout à fait légitime. Il consiste à favoriser l'accumulation de capital. C'est l'incitatif à la formation d'une base de capitaux. Il n'y a rien de comparable pour aider les caisses de crédit. La seule chose qui aide les caisses de crédit à accumuler du capital, c'est leur taux d'imposition inférieur. Ce taux leur permet de conserver une plus grande part de leurs revenus en bénéfices non répartis. N'oubliez pas que les caisses de crédit n'émettent pas d'actions dont la valeur peut augmenter. Il n'y a pas d'augmentation de valeur. Il n'y a pas de gains en capitaux. Je pense que ce sont deux différences très importantes qui n'ont pas été soulignées ici, et il y en a d'autres. Je ne vais pas assommer les membres du comité avec toutes ces différences, mais je pourrais en dresser toute une liste.

Le président : Si vous voulez nous envoyer de l'information par écrit, n'hésitez pas à le faire, n'importe quand. Nous pourrons la transmettre à tous.

Je vous remercie de cette intervention pour l'instant.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je m'intéresse à l'impact sur les régions canadiennes. Y aura-t-il un impact également pour les particuliers ou y aura-t-il tout simplement un impact pour les caisses de crédit?

J'aimerais aussi que vous compariez les petites institutions financières avec le Mouvement des Caisses populaires Desjardins, par exemple. J'aimerais que vous nous disiez s'il y a des différences ou des ressemblances, parce que je crois qu'ils sont affectés par ce projet de loi.

[Traduction]

M. Rogers : Je pense que vous avez posé deux grandes questions. Je vais commencer par celle sur l'impact pour les caisses de crédit, puis vous parler un peu des particuliers aussi.

Différentes personnes se sont prononcées sur ces modifications et ont dit que la déduction accordée aux petites entreprises continuerait de s'appliquer. Le taux d'imposition des petites entreprises va continuer de s'appliquer à beaucoup de caisses de crédit. C'est vrai. La majorité des caisses de crédit ne seront pas touchées par ces mesures. Cependant, et c'est important, ce n'est pas la bonne façon d'en mesurer l'impact. Je mentionne que 18 p. 100 de nos points de service, 85 p. 100 de nos membres, 91 p. 100 de nos immobilisations et 90 p. 100 de nos revenus vont subir une augmentation d'impôt. Il reste environ 10 p. 100 du système intouché, et environ 90 p. 100 du système perdra les bénéfices du faible taux d'imposition.

Quel en sera l'effet sur les membres? J'ai entendu beaucoup de PDG et de directeurs financiers de caisses de crédit en parler, et il n'y aura pas qu'une conséquence, bien sûr. N'importe quelle entreprise confrontée à une nouvelle dépense importante — et c'est ce que c'est — va chercher des moyens de l'atténuer. J'ai entendu des gens du milieu des caisses de crédit dire que la première chose à envisager, c'est de réduire les dépenses de fonctionnement, mais nous sabrons dans ces dépenses depuis des années. Il n'y a vraiment plus de compressions logiques que nous pouvons faire.

Il faut ensuite les autres aspects de nos activités. Nous avons bien des points de service dans des petites villes, où nos activités coûtent cher. Ces services vont en souffrir. Nous allons devoir envisager de diminuer le rendement pour les membres, un rendement imposable à 100 p. 100, je le précise : les ristournes aux membres et les dividendes versés sur les actions. Il va y avoir diverses formes de compressions qui vont toucher les membres des caisses de crédit.

J'ai déjà oublié votre deuxième question.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Pouvez-vous nous parler d'une comparaison avec le Mouvement Desjardins pour faire ressortir des différences ou des ressemblances? À la base, le Mouvement Desjardins est un mouvement coopératif, mais c'est gros maintenant et affecté également par ces dispositions fiscales. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

[Traduction]

M. Rogers : Bien sûr, les Caisses populaires Desjardins sont des caisses de crédit selon la définition de la Loi de l'impôt sur le revenu. Nous ne comparaissons pas ici en leur nom, mais elles vont être touchées elles aussi. Les caisses populaires, que ce soit au Nouveau-Brunswick, au Manitoba ou au Québec, vont payer plus d'impôt sur le revenu.

Je ne connais pas leurs chiffres, mais les mêmes principes vont s'appliquer à elles.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'ai entendu dire que l'impact se ferait sentir beaucoup plus pour le Mouvement Desjardins que pour les autres caisses de crédit ailleurs. Pouvez-vous confirmer cela? Ou bien ce n'est pas le cas, à cause du nombre?

[Traduction]

M. Rogers : Je ne sais pas si c'est le cas ou non. Le taux d'imposition va passer de 11 à 15 p. 100 pour elles aussi. Leurs activités sont concentrées dans une province, donc ce pourrait être plus visible. Nos activités sont plus réparties à travers le pays, mais l'impact est le même.

[Français]

La sénatrice Chaput : Bonjour. Je suis du Manitoba et il y a plusieurs caisses au Manitoba. Les francophones du Manitoba se sont donné une caisse et cette caisse compte 26 succursales à travers le Manitoba. Elles sont petites et se situent souvent dans des collectivités plus isolées, mais elles offrent chez eux des services financiers ainsi que des emplois durables qui sont très importants pour ces petites communautés isolées.

La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante vient de publier un rapport, il y a quelques jours, et il place les caisses au premier rang des fournisseurs de services financiers préférés de ses membres. On parle des caisses et non des banques.

Les caisses vont maintenant payer plus d'impôts, comme vous venez de le mentionner; il y aura sûrement une incidence et des changements qui réduiront le revenu des caisses et, éventuellement, leur capacité d'amasser des fonds pour leur réserve; n'est-ce pas? Comme ils ont et doivent conserver une réserve, il y aura sûrement une incidence sur la distribution des dividendes à leurs membres, c'est-à-dire qu'il y en aura moins. Seriez-vous en accord avec moi?

[Traduction]

M. Rogers : Je suis d'accord avec vous que cela va se répercuter sur les dividendes. Cela va se répercuter sur divers aspects des activités. Il serait simpliste de dire que l'effet va se résumer à la réduction des dividendes. Il va se faire sentir de toutes sortes de façons.

La sénatrice Chaput : Quelles pourraient être les conséquences? Comment le fonds de réserve serait-il touché?

M. Rogers : Parlez-vous des bénéfices non répartis quand vous dites « fonds de réserve »?

La sénatrice Chaput : Oui.

M. Rogers : Très bien. La situation est telle en ce moment que la réforme de Bâle III oblige les institutions financières à augmenter leur capital. Les caisses de crédit sont réglementées par les provinces; elles n'imposent pas encore à la lettre les dispositions de la réforme de Bâle III, mais cela s'en vient. La majorité des parts des caisses de crédit ne sont pas considérées comme des fonds propres de catégorie 1 parce qu'elles sont rachetables; elles peuvent être remboursées aux membres.

Le véritable capital se compose donc des bénéfices non répartis. Quand les revenus après impôt diminuent chaque année, il devient de plus en plus difficile d'accroître les bénéfices non répartis, c'est automatique. Nous vivons déjà des pressions conflictuelles, et bientôt l'impôt sur le revenu va nous occasionner d'autres difficultés.

La sénatrice Buth : Je vous remercie beaucoup d'être ici aujourd'hui. Monsieur Rogers, pouvez-vous nous parler un peu du mouvement de restructuration qui s'observe dans les caisses de crédit?

M. Rogers : Je vous ai déjà dit que je faisais partie de ce mouvement depuis 28 ans. Je pense que quand je m'y suis joint, il y avait environ 2 800 caisses de crédit. Il n'y en a plus que 438. C'est une bonne chose.

Pour accroître leur rendement — et croyez-moi, les PDG et les conseils d'administration des caisses de crédit ont le sens de l'entreprise, vraiment —, les caisses de crédit doivent vraiment optimiser chaque dollar au maximum. Le fardeau de la conformité aux règles, le fardeau des obligations liées aux capitaux, la course technologique : ce sont là autant d'éléments qui mettent les petites institutions financières sous pression. J'aime parler de la « crise rampante de la complexité ». Les caisses de crédit n'ont d'autre choix que de se regrouper; la situation force les plus petites et les moins rentables à se fusionner à d'autres caisses de crédit pour créer des économies d'échelle.

Il y a donc beaucoup de petites caisses de crédit rurales qui fusionnent avec des plus grandes. J'entends souvent dire que cela ne va toucher que les grandes caisses de crédit. C'est vrai, mais ce sont elles qui administrent les succursales qu'on trouve dans les petites communautés.

Selon les directeurs financiers des caisses de crédit, cette tendance devrait diminuer. Même s'il est dans l'intérêt public que certaines de ces fusions aient lieu, elles vont dorénavant coûter plus cher. Premièrement, les caisses de crédit vont avoir moins d'argent pour réaliser des fusions, qui consisteraient à joindre une caisse de crédit peu rentable à une caisse de crédit plus rentable, ce qui n'est pas très logique sur le plan économique non plus. Il va y avoir des distorsions.

Madame la sénatrice vient du Manitoba, tout comme la famille de ma mère. J'aime personnaliser le discours et le ramener aux collectivités. Je parle du sud-ouest du Manitoba, de la région de Brandon et de la rivière Souris. La caisse de crédit établie dans cette région va payer environ 251 000 $ de plus en impôt sur le revenu. Elle sert la population de Belmont, qui compte 220 personnes; celle de Cartwright, qui compte 308 personnes; celle de Rivers, qui en 1 200; et celle de Swan Lake, qui en compte 237. Il n'y a pas d'autre institution financière dans ces villages. La situation va être difficile pour une caisse de crédit comme celle-là et ses petites succursales.

La sénatrice Buth : Savez-vous s'il y a d'autres provinces qui ont des programmes comparables pour offrir un traitement fiscal spécial?

M. Rogers : Oui, il y en a dans la plupart des provinces; la plupart offrent à peu près la même chose que le régime fiscal fédéral, mais pas toutes.

La sénatrice Buth : J'avais l'impression que les provinces avaient éliminé le traitement fiscal spécial accordé aux caisses de crédit. Ce n'est pas le cas?

M. Rogers : Vous avez probablement entendu souvent dire que le Québec avait éliminé son taux inférieur en 2003. C'est vrai. Le Mouvement des Caisses populaires Desjardins et le gouvernement du Québec travaillent très bien ensemble, ils se consultent beaucoup. Lorsque le traitement fiscal change, les deux parties en discutent et trouvent un compromis qui fonctionne.

Oui, le taux d'imposition a changé, mais en fin de compte, le réseau des caisses populaires Desjardins a été relativement satisfait du résultat.

La sénatrice Callbeck : Merci à vous tous d'être venus aujourd'hui. Les coopératives de crédit sont sans nul doute extrêmement importantes dans ma province. Elles sont là pour les petits entrepreneurs, les agriculteurs et les pêcheurs. Les caisses de crédit vont là où les banques refusent d'aller. Sans elles, il y aurait un grand vide, surtout dans les régions rurales. Les temps sont durs, en ce moment, dans les régions rurales.

J'ai parlé de prêts d'argent, mais les caisses de crédit font tout simplement partie de la communauté. Si la communauté cherche à réunir des fonds pour une cause, quelle qu'elle soit, la caisse de crédit est là pour l'aider. Je les appuie entièrement.

Pensez-vous que des caisses de crédit seront poussées à la fermeture?

M. Rogers : Je ne peux pas dire que ce serait le cas. Ce changement s'échelonne sur cinq ans, alors ce n'est qu'un cinquième de l'effet qui se fera sentir en 2013. En réalité, c'est un peu moins qu'un cinquième. Il reste du temps pour en discuter. Si cette mesure est adoptée, il pourrait aussi y avoir des mesures d'atténuation qui aideraient les caisses de crédit.

Il serait alarmiste de dire que cela entraînerait la fermeture d'une caisse de crédit. Nous espérons pouvoir en discuter avec le gouvernement.

La fermeture serait une solution de dernier recours, car la caisse de crédit appartient aux membres. Ils feront tout ce qu'ils peuvent pour la maintenir, ou pour l'intégrer dans une autre caisse de crédit capable de l'absorber. Cependant, cela deviendra plus difficile.

Vous avez mentionné les caisses de crédit à l'Île-du-Prince-Édouard, et certaines d'entre elles ne seront pas touchées parce qu'elles sont très petites, mais d'autres le seront. J'ai ici des statistiques à ce sujet. Par comparaison avec deux des caisses de crédit qui seront touchées, la plus petite des cinq grandes banques est 2,017 fois plus grosse que l'une de ces caisses de crédit, et 1,450 fois plus grosse que l'autre. Faudrait-il les imposer au même taux? Devraient-elles faire l'objet du même traitement fiscal?

La sénatrice Callbeck : À n'en pas douter, je dirais que non.

Monsieur Mintz, vous avez parlé de la déduction fiscale accordée aux petites entreprises et vous avez dit que, si ça dépendait de vous, ça n'existerait pas. Je ne suis pas d'accord. Je sais que je m'éloigne du sujet dont nous sommes censés discuter aujourd'hui.

Avez-vous à ce sujet un document qui soutient votre point de vue et que vous pourriez transmettre au comité?

M. Mintz : Oui, un article portant précisément sur cela a été publié. Je serai ravi de vous le transmettre.

Au fait, malheureusement, une bonne partie de ce que j'entends en ce moment ne fait que me confirmer qu'il faudrait faire disparaître cette déduction accordée aux caisses de crédit.

Elle répondait à un besoin précis. J'écoutais un membre du mouvement des caisses de crédit critiquer l'exonération fiscale accordée à l'Agricultural Credit Corporation, qui est une société d'État. Je suis tout à fait d'accord avec cette personne, mais j'ai été très tenté de lui demander : « Dans ce cas, qu'en est-il du traitement préférentiel que vous assure l'impôt des sociétés? »

Je pense qu'il faut veiller à uniformiser les règles du jeu. Si quelque chose comme Desjardins peut grossir au point d'avoir une très grande incidence, c'est que les marchés financiers ne nous donnent pas toute l'efficacité possible.

Permettez-moi de revenir sur le sens d'« efficacité ». D'après moi, il est essentiel de garder à l'esprit le but de l'intermédiation financière, qu'elle soit assurée par des caisses de crédit ou par quelqu'un d'autre. Ce qu'on cherche à faire, c'est de maintenir au plus bas niveau possible les coûts de l'intermédiation financière. En réalité, je préconiserais peut-être l'abaissement de l'impôt des sociétés dans son ensemble, comme nous l'avons déjà fait dans le passé.

Et si vous voulez le savoir, il est aussi très important d'essayer d'avoir les fournisseurs de capitaux les plus efficaces possible. Tout le monde compare constamment les banques aux caisses de crédit, mais le secteur financier est bien plus vaste et ne s'arrête pas aux caisses de crédit et aux banques, alors je pense qu'il est important d'avoir les meilleurs fournisseurs.

Nous devons aussi nous pencher plus sérieusement sur la mesure dans laquelle les caisses de crédit offrent efficacement des capitaux. Nous n'avons pas, j'en conviens, toutes les réponses à cela, mais il serait bon de pouvoir miser sur des études indépendantes qui portent sur l'efficacité des caisses de crédit au pays.

La sénatrice Callbeck : Je suis impatiente de lire cet article.

Le sénateur Black : Monsieur Mintz, vous êtes à la tête de la plus importante école de politique publique du Canada, qui se trouve à Calgary. Et je suis un sénateur de l'Alberta. Je tenais à préciser cela.

Monsieur Mintz, compte tenu de ce que vous venez de dire, pourriez-vous m'aider à comprendre pourquoi vous pensez que le gouvernement actuel a jugé, à ce moment-ci, que les caisses de crédit devraient graduellement perdre cet avantage fiscal?

M. Mintz : Je ne peux pas dire pourquoi le gouvernement s'est particulièrement penché sur cette disposition. Le dernier budget comportait diverses mesures dont le but était de créer une assiette d'impôt des sociétés plus neutre, par exemple, en réduisant la déduction pour amortissement des entreprises d'exploitation minière, pétrolière et gazière. Cela est lié à leurs dépenses de développement et d'exploration, et à la nouvelle déduction touchant les avoirs des mines.

Il s'agit d'une autre mesure qui vise les caisses de crédit. En 2000, le taux d'imposition du revenu des sociétés était vraiment élevé. Il était de 43 p. 100, le taux alors le plus élevé de tous les pays de l'OCDE, et nous avions une petite assiette fiscale comportant de nombreux traitements préférentiels particuliers.

Depuis, le taux d'imposition du revenu des sociétés a diminué au Canada, tant au fédéral qu'au provincial, et il se situe maintenant à près de 26 p. 100 en moyenne. C'est une réduction de 17 p. 100. Le gouvernement a peut-être décidé qu'il est temps d'élargir l'assiette fiscale. En réalité, le meilleur type de régime fiscal des entreprises est celui qui comporte de faibles taux et une large assiette. Il serait possible d'envisager d'autres changements d'ordre réglementaire et des choses qui seraient importantes pour les caisses de crédit, mais chercher à établir une assiette d'imposition des sociétés beaucoup plus neutre et comportant des taux inférieurs est un objectif louable. Je dirais que la transition vers une plus grande neutralité a fait énormément de bien au pays. Chaque industrie a ses propres demandes spéciales et présente des arguments pour le traitement préférentiel qu'elle devrait obtenir, mais franchement, le meilleur traitement préférentiel, c'est de maintenir le taux d'imposition du revenu des sociétés le plus bas possible.

Le sénateur Black : Monsieur Rogers, vous êtes une personne très impartiale, cela ne fait pas de doute, et c'est très clair d'après vos commentaires.

M. Rogers : Merci.

Le sénateur Black : Ceci étant dit, j'ai une question pour vous, étant donné que vous êtes si impartial. J'ai lu les contributions exceptionnelles du mouvement des caisses de crédit. Elles sont très bien énoncées dans les quatre points qui se trouvent à la première page de votre lettre. Vous ne chercheriez pas à nous faire croire, cependant, que les mesures proposées mettent tout cela en péril, n'est-ce pas?

M. Rogers : Je ne dirais pas que cela risque de disparaître. Ce que je dis, c'est que vous créez des pressions qui vont se manifester de diverses manières, et j'en ai mentionné plusieurs précédemment. Le prêt aux petites entreprises en serait une autre manifestation. Le directeur financier d'une des caisses de crédit m'a dit qu'ils pourraient atténuer un peu les effets de cela en consentant moins de prêts aux petites entreprises, parce qu'il faut plus de capitaux. Nous devrions peut-être nous concentrer davantage sur les prêts hypothécaires résidentiels. Je ne pense pas que ce sont les résultats stratégiques que vous recherchez.

Le sénateur Black : Vous avez dit que la discussion se poursuivrait, et je vous encourage à poursuivre la conversation.

M. Rogers : Elle n'a pas commencé.

Senator Black : Je vous encourage à l'amorcer.

Le sénateur L. Smith : M. Rogers se préoccupe des petites régions. Il y a 8 millions de Québécois, dont probablement 6,5 millions sont francophones. Les caisses populaires ont donc établi un très vaste marché. À une époque, il y avait plus de 1 400 succursales, mais ce nombre a été réduit à environ 500 à la suite d'une rationalisation qui a donné lieu à une augmentation des revenus.

Si les caisses de crédit qui sont dans les régions où la population est peu nombreuse disparaissent ou réalisent une consolidation, qu'est-ce qui les remplacera? C'est une question que je vous pose à tous les deux.

M. Mintz : C'est exactement la question que j'anticipais. À vrai dire, je ne suis pas sûr que nous n'ayons pas les résultats d'une étude qui éclaircit cela. S'il n'y a véritablement personne d'autre pour servir le marché, je ne pense pas que les caisses de crédit vont disparaître dans ces régions, car personne d'autre ne viendra les remplacer. Nous parlons de concurrence. Si quelqu'un d'autre pouvait venir, mais s'en abstenait parce que l'impôt à payer dépasse celui que les caisses de crédit paient, je ne vois pas pourquoi le résultat serait négatif.

Ce que je veux dire, c'est que si vous avez presque un monopole — parce que les caisses de crédit sont les seuls fournisseurs de capitaux dans ces régions et que personne d'autre ne viendrait, à cause du taux d'imposition qui serait invariablement le taux maximum de 15 p. 100 , et nous ne parlons en réalité que d'environ 11 à 15 p. 100, en passant, compte tenu de toutes les déductions au fil des années —, cela ne sonnera pas le glas du mouvement des caisses de crédit dans les régions. En réalité, je pense qu'elles ne seraient pas très touchées. Il y aura un effet, parce que l'impôt est plus élevé. Cela va vraisemblablement avoir un effet sur les déposants des caisses de crédit, ceux qui y laissent de l'argent, ou sur les taux d'intérêt qui seront légèrement plus élevés, mais je soupçonne que l'effet ne sera pas considérable. Il ne faut pas oublier que les ristournes peuvent toutes être déduites de l'assiette d'impôt des sociétés, et aussi que les dividendes qui ne le sont pas vont donner lieu à un meilleur crédit d'impôt accordé aux petites entreprises une fois que les entreprises seront soumises au taux d'imposition de 15 p. 100.

M. Rogers : Si les caisses de crédit et les succursales demeurent, ces mesures se traduiront par des coûts plus élevés pour les gens de ces régions. Si le seul facteur est la concurrence, et s'il y avait un monopole — et je ne suis pas d'accord sur ce point —, les coûts augmenteraient, je pense.

En général, dans bon nombre de ces petites communautés, ce sont des succursales de caisses de crédit qui offrent des services ailleurs. Il y a beaucoup d'interfinancement, pour que le service demeure. Certaines petites succursales rurales de service qui sont déficitaires risqueraient la fermeture.

Le sénateur L. Smith : S'ils suivent le même modèle que les caisses et passent de 400 caisses de crédit à 200, ou à 150, les 150 caisses restantes seront peut-être plus solides. Ça peut être plus difficile pour les gens qui doivent se déplacer ou traiter à distance, peut-être avec un fournisseur de services différent.

M. Rogers : Oui.

Le président : Est-ce que la disposition selon laquelle la moitié des administrateurs des compagnies canadiennes relevant de la Loi sur les sociétés d'assurances doivent être des résidents canadiens n'est plus qu'une relique du passé ou un programme de création pour comptables et avocats? Pourquoi en est-il ainsi?

M. Swedlove : Dans le passé, on cherchait sans doute à assurer au sein des institutions financières canadiennes une approche canadienne et un point de vue canadien sur tous les enjeux de ces institutions financières.

La Loi canadienne sur les sociétés par actions exige qu'au moins 25 p. 100 des administrateurs soient des résidents canadiens, alors que pour les institutions financières fédérales, c'est 50 p. 100. La norme est plus haute. Nous ne sommes pas en désaccord avec le principe de la majorité pour le conseil d'administration.

La difficulté est liée aux comités, parce que, par définition, les comités sont des sous-ensembles des conseils et qu'ils sont plus petits. Malgré cela, en matière de régie des sociétés, il y a d'énormes pressions pour que l'expertise se situe au conseil, et pour qu'elle soit utilisée dans les secteurs pour lesquels elles conviennent le mieux. Il est extrêmement important d'avoir cette expertise au sein des comités.

Quand il est question d'institutions internationales, qui devraient presque par définition compter des administrateurs étrangers au sein de leur conseil d'administration pour obtenir la bonne combinaison, il faut de la flexibilité à l'échelon des comités. Ce n'est peut-être pas si nécessaire au sein du conseil d'administration.

Le président : Monsieur Swedlove, si vous aviez le choix et que vous recommenciez du début, est-ce que vous y intégreriez l'exigence selon laquelle la moitié des administrateurs doivent être des résidents canadiens?

M. Swedlove : C'est déjà là.

Le président : Oui. Je comprends. Cela ne vous offusque pas.

M. Swedlove : En effet, non.

Le président : Encouragez-vous le gouvernement à maintenir cette exigence?

M. Swedlove : Je ne pense pas que nous dirions qu'il faut la garder. Cependant, nous comprenons la raison pour laquelle elle est là et pour laquelle on souhaite qu'elle y reste, et nous ne nous y opposons pas.

Le président : Monsieur Mintz, nous ne vous avons pas invité pour discuter de ce sujet en particulier, mais c'est peut- être un aspect qui vous intéresse. Je vous donne l'occasion d'en parler si vous le souhaitez.

M. Mintz : J'ai deux commentaires très brefs. Il serait bon de se pencher plus sérieusement là-dessus. Comme M. Swedlove, je pense qu'il faudrait examiner cela d'un peu plus près. C'est un bon exemple — les comités chargés de la vérification et de la rémunération —, parce qu'on accorde maintenant beaucoup plus d'attention à l'expertise et aux décisions qui se prennent au conseil d'administration. Donc, quand vous imposez des limites, vous risquez d'avoir une incidence sur les meilleures personnes qui pourraient faire partie des comités du conseil. Si le conseil d'administration compte les administrateurs canadiens qu'il faut, je ne vois pas pourquoi il faudrait imposer la même contrainte aux comités.

Il y a un autre aspect à cela. Je ne suis pas un expert, mais je sais que, dans le régime canadien de l'impôt sur le revenu, la résidence d'une société se fonde sur l'esprit et le contrôle de la société. L'un des tests est lié aux membres du conseil d'administration. Je soupçonne que bien des entreprises canadiennes ont un nombre important d'administrateurs canadiens pour s'assurer de ce statut de résidence. La règle des 50 p. 100 représente une protection supplémentaire. Les raisons de cela sont peut-être d'ordre réglementaire, mais je dois admettre que je ne vois pas exactement la valeur de cela sur le plan de la politique publique.

Le président : Je me demande s'il s'agit de la première étape de quelque chose de plus vaste : j'ai trouvé votre commentaire intéressant. J'hésite à poursuivre plus loin la discussion sur la résidence pour le moment. Je vais céder la parole à ma collègue, madame la sénatrice Chaput.

[Français]

La sénatrice Chaput : Je crois, concernant ce dont nous sommes en train de discuter au sujet des caisses, qu'il faut comprendre et accepter la réalité de ces communautés éloignées, souvent des communautés rurales; accepter la réalité que la ou les caisses, ou les succursales, offrent des services à ces communautés. Et ce n'est pas une question de monopole. La simple réalité est que les banques se sont essayées et se sont retirées, car les coûts étaient plus élevés, les revenus moindres et qu'il n'y avait pas suffisamment de gens. Heureusement que les caisses ont un mandat différent des banques. Il y a un aspect communautaire dans ces mandats, et c'est la raison pour laquelle elles sont encore là.

En tant que parlementaires, je crois que nous devons appuyer ce genre d'institution, car la réalité est que les communautés rurales et éloignées ont besoin de tout l'appui nécessaire.

Ma dernière question s'adresse à M. Rogers. Vous avez dit dans votre présentation que ce serait avec plaisir que vous nous parleriez des montants auxquels s'élèvent ces hausses d'impôt.

[Traduction]

Quel serait le montant de cette hausse d'impôt?

M. Rogers : Nous avons réalisé un sondage auprès de nos caisses de crédit, parce que ce n'est pas le genre de statistiques que nous obtenons généralement en tant qu'association professionnelle. Ce que nous avons appris, c'est qu'environ 141 de nos quelque 348 caisses de crédit seront touchées. Comme je l'ai dit précédemment, les plus petites sont intégrées dans les plus grosses, et donc l'effet sera accru et cela touchera 80 p. 100 des succursales, 87 p. 100 des membres, 91 p. 100 des avoirs et 90 des revenus.

Si on avait appliqué cela au dernier exercice financier, le montant aurait été d'environ 28 millions de dollars. Les documents gouvernementaux tendent à s'accumuler sur cinq ans. Parce qu'il y a une période d'introduction graduelle, bien sûr, ce n'est pas l'effet qui se ferait sentir en 2013. Si nous appliquons les pourcentages d'introduction graduelle au revenu de 2012, notre plus récente année d'imposition, et si nous ne tenons compte d'aucune augmentation de revenu, ce serait environ 82 millions de dollars.

La sénatrice Chaput : Merci.

Le sénateur De Bané : Le régime fiscal canadien comporte des dispositions spéciales sans fin qui cherchent à atteindre certains objectifs. Les caisses de crédit de ce pays répondent à un besoin auquel aucune banque ne répond. A- t-on jamais modifié le système des caisses de crédit sans consultation approfondie du mouvement coopératif? Est-ce qu'il y a déjà eu un changement aussi radical auparavant?

M. Rogers : Non, jamais. Un de mes héros, John Crosbie, dirait qu'il n'y a pas eu un brin de consultation.

Le sénateur De Bané : Merci.

Le président : C'est tout pour les témoignages relatifs au projet de loi C-60. Je remercie MM. Rogers, Mintz, Swedlove et Sanderson. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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