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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 12 - Témoignages du 11 février 2013


OTTAWA, le lundi 11 février 2013

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été déféré le projet de loi S-213, Loi instituant une journée nationale de commémoration pour honorer les anciens combattants de la guerre de Corée, se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour étudier le projet de loi et pour étudier et faire rapport au sujet des politiques, des pratiques, des circonstances et des capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Avant d'ouvrir officiellement la séance d'aujourd'hui, mesdames et messieurs, j'aimerais mentionner que vous avez sûrement remarqué la tempête. Or, deux des témoins qui devaient comparaître aujourd'hui sur le projet de loi S-213, Loi instituant une journée nationale de commémoration pour honorer les anciens combattants de la guerre de Corée, n'ont pas pu se présenter. En revanche, il y a heureusement dans la salle un ancien combattant de la guerre de Corée qui était venu assister à la séance. Avec votre accord, j'aimerais l'inviter à s'avancer à la table. Je vais demander au sénateur Dallaire, le vice-président, s'il est d'accord.

Le sénateur Dallaire : C'est d'accord.

La présidente : Merci beaucoup. Si vous n'y voyez pas d'objection, monsieur Seiersen, vous pouvez vous avancer pour vous joindre à nos délibérations. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté. Merci. Nous allons lui laisser un moment pour s'installer.

Pour récapituler, nous entamons aujourd'hui l'étude d'un projet de loi proposé par notre collègue, la sénatrice Yonah Martin, et qui nous a été renvoyé pour étude par le Sénat. Le projet de loi S-213 s'intitule « Loi instituant une journée nationale de commémoration pour honorer les anciens combattants de la guerre de Corée ». Le texte désigne le 27 juillet comme « Journée des anciens combattants de la guerre de Corée ». Pendant très longtemps, on n'a guère prêté attention aux sacrifices des Canadiens qui ont combattu pendant la guerre de Corée. On oubliait parfois cette guerre. Pourtant, plus de 26 000 Canadiens y ont combattu pendant plus de 3 ans en tant que force de l'ONU, dont 516 y ont perdu la vie. C'est maintenant le 60e anniversaire de l'armistice qui a mis fin à cette guerre, et nous voulons être certains qu'elle ne tombera pas dans l'oubli. D'ailleurs, le gouvernement a déclaré que l'année 2013 serait celle des anciens combattants de la guerre de Corée.

Nous sommes ravis d'accueillir aujourd'hui la sénatrice Yonah Martin, marraine du projet de loi S-213. Nous recevons également Donald Dalke, un ancien combattant de la guerre de Corée qui, malgré une blessure, est demeuré dans le feu de l'action pour diriger les tirs d'artillerie. On lui a décerné la Croix militaire. Nous sommes très heureux que vous soyez ici, monsieur Dalke. Merci infiniment. Nous venons également de demander à Peter Seiersen, un autre ancien combattant de la guerre de Corée, de se joindre à nous. Nous vous remercions d'avoir accepté sans préavis. Nous aurons peut-être des questions pour vous.

Avez-vous une déclaration liminaire, madame la sénatrice Martin? Vous pouvez y aller; et je vous souhaite la bienvenue.

L'honorable sénatrice Yonah Martin, marraine du projet de loi : Merci madame la présidente, monsieur le vice- président, mesdames et messieurs les sénateurs.

Je vous remercie de me donner la chance de vous parler du projet de loi S-213, qui représente beaucoup pour moi personnellement, mais aussi, je le sais, pour tous ceux qui ont manifesté leur appui. C'est un grand honneur pour moi d'avoir deux anciens combattants à mes côtés. Voilà deux des Canadiens qui, à mes yeux, sont de véritables héros. Sans eux, je sais que je ne serais pas ici; mes parents n'auraient fort probablement pas survécu à la guerre s'ils n'étaient pas venus en aide à la Corée avec d'autres pays. Que serait-il advenu de la Corée? Le pays existerait-il encore? Je n'aurais certainement pas la chance de faire ce que je fais aujourd'hui.

Tout d'abord, je tiens à remercier les anciens combattants qui représentent les Canadiens ayant combattu et fait le sacrifice ultime en Corée, et qui sont aujourd'hui au Canada, portant l'héritage de leur service de guerre et de ces sacrifices.

La présidente : Permettez-moi de vous interrompre pour leur dire merci. Nous sommes tous d'accord.

J'ai négligé de mentionner que le projet de loi est aussi coparrainé par le sénateur Joseph Day, qui est membre du comité.

La sénatrice Martin : En effet.

La présidente : Je tenais à le dire officiellement.

La sénatrice Martin : C'était justement ma prochaine remarque; j'allais remercier le sénateur Joseph Day, qui est membre du comité, d'avoir coparrainé le projet de loi.

[Français]

Je tiens également à souligner l'important leadership des anciens ministres d'Anciens Combattants Canada, les ministres Greg Thompson et Jean-Pierre Blackburn, qui ont toujours offert aux anciens combattants un appui inébranlable.

[Traduction]

Je n'oublie certainement pas le ministre Steven Blaney pour le leadership et l'enthousiasme à l'égard des anciens combattants dont il a fait preuve en appuyant sans équivoque la déclaration de 2013 comme étant l'année des anciens combattants de la guerre de Corée. La raison pour laquelle Peter Seiersen est ici, c'est qu'il est venu assister à la classique Imjin sur le canal Rideau, une partie organisée pour le 60e anniversaire de ce jeu.

M. Dalke m'a conseillée d'être très concise, d'aller droit au but et de garder les détails pour les questions. J'avais préparé un exposé, mais je pense que les sénateurs pourront le lire à leur convenance. À ce stade-ci, je vais me contenter de dire que l'apport des anciens combattants est inestimable, et que nous savons qu'ils méritent cette reconnaissance depuis longtemps, c'est-à-dire une journée désignée en leur honneur pour l'avenir et la postérité. C'est un chapitre tellement important de l'histoire du Canada. J'aimerais souligner un point essentiel. Pour ma part, je tiens tout à fait personnellement à rendre aux anciens combattants ce qu'ils m'ont donné, c'est-à-dire la vie. Par contre, ce faisant, j'éprouve de la gratitude et presque un sentiment d'appartenance en tant que Canadienne, sachant que ce chapitre fait partie de mon histoire. Je crois donc qu'une part importante de l'identité des Canadiens passe par la reconnaissance de cette guerre importante et de cette journée. J'encourage donc tous les sénateurs — je sais que certains ont déjà manifesté leur appui — à participer aux délibérations d'aujourd'hui et à appuyer le projet de loi.

Permettez-moi de souligner que ce projet de loi n'a été possible que grâce à l'aide de bien des gens, comme le personnel et les anciens combattants, que j'ai naturellement consultés pendant la rédaction. Je remercie tous ceux qui ont contribué au projet de loi à ce moment-ci de notre histoire.

Mesdames et messieurs les sénateurs, j'attends avec impatience les questions que vous me poserez, de même qu'aux anciens combattants qui sont avec nous aujourd'hui.

La présidente : Merci, je vous en suis reconnaissante.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Dalke. Avez-vous un exposé?

Donald Dalke, ancien combattant de la guerre de Corée, à titre personnel : Oui.

La présidente : Allez-y.

M. Dalke : C'est assurément le plus honorable moment de ma vie que d'avoir la chance de m'adresser aujourd'hui aux dirigeants de notre remarquable pays. Nous sommes toutefois ici pour parler de la guerre de Corée et de ceux qui ont combattu là-bas.

En juillet 1950, le Canada a confié une brigade à l'ONU pour assurer la protection du peuple de la Corée du Sud. En huit mois seulement, nous avons recruté, formé et mené au combat une brigade de 5 000 volontaires, la 25e Brigade d'infanterie canadienne qui, pendant les deux années et demie de guerre, s'est montrée à la hauteur de la réputation des anciens combattants canadiens des guerres passées. Ces hommes étaient rapides et impitoyables lors de l'attaque, et leur défense était inébranlable.

Pendant ces deux années et demie, les Canadiens n'ont jamais cédé le moindre terrain. Cette guerre a fait entre 6,5 et 7 millions de victimes en trois ans, parmi lesquelles plus de 3 millions ont perdu la vie. Si vous aviez discuté avec les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale qui faisaient partie du peloton ou du groupe-bataillon, vous sauriez que ces combats étaient tout aussi durs que ceux de la guerre précédente. C'était particulièrement difficile lorsque les troupes ennemies auxquelles nous nous mesurions étaient 8 ou 10 fois plus nombreuses que nous. On ne comprenait donc pas à l'époque pourquoi ces affrontements n'étaient pas considérés comme une guerre, mais bien comme une simple intervention policière.

Le reste du monde devrait prendre exemple sur la Corée du Sud quant à ce qu'un peuple dévoué peut accomplir dans un système gouvernemental démocratique, capitaliste et favorisant l'entreprise. Lorsque nous avons quitté la Corée, le pays était complètement dévasté. C'était le désordre total dans les villes, les villages et les infrastructures du pays. Alors que la grande majorité de la population vivait à l'époque dans une société digne du XVIIIe siècle, les habitants se sont retrouvés en 50 ans à peine dans un pays avancé du XXIe siècle, avec des villes ultra-modernes, de grandes autoroutes et des trains à très grande vitesse. Qui plus est, le pays est désormais l'une des économies dominantes du monde. Rien de tout cela n'aurait été possible sans la force de combat de l'ONU, qui a freiné la progression des communistes et les a repoussés de l'autre côté du 38e parallèle, jusqu'à une lisière de terrain surélevé, offrant ainsi aux Sud-Coréens une frontière plus facile à défendre.

Nous, les anciens combattants, faisons partie des 2 p. 100 de la population canadienne ayant servi dans l'armée, et sommes extrêmement fiers d'avoir permis à 98 p. 100 des Canadiens de passer leur vie dans le pays le plus sécuritaire au monde, à savoir le Canada. Nous estimons qu'il faut reconnaître uniformément à l'échelle fédérale ceux qui ont combattu en Corée, et surtout ceux qui ont fait le sacrifice suprême. Nous souhaitons également exprimer notre appui inconditionnel à l'endroit du projet de loi de la sénatrice Martin. Enfin, nous vous demandons de faire en sorte que le 27 juillet devienne la Journée des anciens combattants de la guerre de Corée.

Je vous remercie, mesdames et messieurs, et je suis prêt à répondre à toutes vos questions sur la guerre de Corée.

La présidente : Je vous remercie. Monsieur Seiersen, nous n'allons pas vous mettre sur la sellette et vous demander un exposé, mais nous vous sommes reconnaissants de bien vouloir répondre aux questions.

Le sénateur Dallaire : J'appuie assurément votre initiative, d'autant plus que vous mettez l'accent sur les anciens combattants de cette campagne militaire plutôt qu'exclusivement sur la victoire. Je préférerais toutefois que vous reteniez le 25 juin qui marque le début de la guerre, puisque c'est mon anniversaire, mais ce n'est pas grave.

Le projet de loi vise à créer une fête nationale en reconnaissance des anciens combattants d'une guerre. Or, les anciens combattants sont déjà reconnus à d'autres occasions, comme le 11 novembre et le 9 août, dans le cas des Casques bleus. Vous avez consulté des organisations et des groupes d'anciens combattants. Considère-t-on que cette journée renforcerait la commémoration et la reconnaissance des sacrifices faits par les anciens combattants? À l'inverse, certains semblent-ils trouver que cette célébration diluerait les honneurs? Quelle est votre impression générale, et comment êtes-vous parvenus à cette conclusion?

La sénatrice Martin : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Comme vous l'avez souligné, d'autres jours de l'année civile marquent des événements importants. Or, la date que nous proposons est déjà célébrée par les anciens combattants et par bien des membres de la communauté d'un bout à l'autre du Canada. De nombreuses villes soulignent le 27 juillet, y compris Brampton, où le mur du Souvenir est érigé. Des célébrations annuelles sont organisées cette journée-là, de même que le 25 juin, le jour où la guerre de Corée a éclaté. Comme la guerre n'est pas terminée, les communautés coréennes commémorent à la fois le 25 juin et le 27 juillet. Après que nous ayons adopté en 2010 la motion visant à reconnaître le 27 juillet, il est arrivé à diverses occasions que des anciens combattants m'avouent les larmes aux yeux ce que représente pour eux cette reconnaissance du Sénat canadien.

Cela compterait énormément aux yeux de ces anciens combattants si le gouvernement du Canada adoptait une journée nationale de reconnaissance en leur honneur. Peut-être que les anciens combattants qui sont ici aujourd'hui pourront nous parler de l'importance d'une telle journée.

La présidente : Allez-y. Nous aimerions vous entendre tous les deux sur le sujet.

M. Dalke : Cela ne fait aucun doute que ce serait important. Je me rappelle lorsque nous sommes revenus de Corée. Nous avons atterri aux États-Unis et avons pris un train vers Vancouver. Le long de la voie, dans les champs, des Américains tenaient de grands écriteaux sur lesquels était écrit « Bienvenue à la maison, Canada ». Une fois traversés la frontière, plus rien. Le reste du trajet, jusqu'à destination, plus un écriteau. Nous n'avons eu aucune reconnaissance. Je suis retourné en Corée l'an dernier. Les gens là-bas m'ont exprimé plus de reconnaissance et de soutien en quatre jours que les Canadiens en 60 ans. C'était très frustrant. Pendant près de 40 ans, nous nous sommes battus avec le gouvernement pour qu'il crée une simple médaille afin d'honorer ceux qui se sont portés volontaires pour cette guerre. On nous a dit : « Ce n'était pas une guerre, alors ils ne méritent pas de médaille. » Ça ne faisait qu'alimenter le conflit. C'est la raison pour laquelle on a commencé à parler de la guerre oubliée.

Peter Seiersen, ancien combattant de la guerre de Corée, à titre personnel : J'ai vécu une expérience différente. Mon régiment était posté à Calgary. Le jour de notre départ, nous avons reçu les clés de la ville. À notre retour, toute la ville est venue nous accueillir. Mais, c'est un des rares endroits au pays à avoir agi de la sorte. C'était notre demeure, la ville où était établi notre régiment. Nous avons été chaleureusement accueillis, et nous en étions heureux.

Je suis retourné en Corée pour la première fois en 2000. Ce qui me surprend, c'est le respect et la vénération des Coréens à notre endroit. Ils veulent immigrer au Canada et dès qu'ils apprennent que vous avez participé à la guerre de Corée, ils inclinent la tête et vous remercient. Ils ne diront jamais assez de bonnes choses à votre sujet et n'en feront jamais assez pour vous. Plus je rencontre de Coréens, plus j'ai du respect pour eux.

Le sénateur Dallaire : La réaction est très positive, ça ne fait aucun doute. Nous proposons de renforcer la commémoration des anciens combattants de cette guerre et de leurs sacrifices au lieu d'en atténuer l'importance. Je suis tout à fait d'accord avec cela.

Monsieur Dalke, ma deuxième question s'adresse à vous. Vous faisiez partie du 2 RCHA. Quel travail y faisiez- vous?

M. Dalke : Lorsque je suis parti pour la Corée, j'étais officier-arpenteur régimentaire. J'ignore comment j'ai obtenu ce poste, car je ne comprenais rien à ce travail. On m'a rapidement montré comment utiliser la règle à calcul pour que je puisse au moins vérifier ce que les troupes faisaient. Lorsqu'on m'a confié ce poste, j'avais la ferme intention d'identifier immédiatement sur la grille du théâtre d'opérations l'emplacement de chaque canon de façon à ce que nous ayons les tirs d'artillerie les plus rapides et les plus précis possible.

Une fois en position défensive, si je peux m'exprimer ainsi — au sud du 38e parallèle —, le colonel a décidé qu'il n'avait plus besoin de moi comme arpenteur. Il m'a alors transféré au poste d'officier de tir. Soudainement, l'armée a commencé à envoyer ses militaires au Japon pour cinq jours de congé. C'est ainsi que je me suis retrouvé sur la première ligne en tant qu'officier observateur.

Le sénateur Dallaire : Étiez-vous à bord du train qui est entré en collision avec un autre à Canoe River?

M. Dalke : Heureusement non. J'étais à bord d'un autre train.

Le sénateur Dallaire : Je souligne cet accident, car des militaires sont morts avant même d'avoir quitté le Canada, en route vers la Corée. Ils étaient encore en formation. J'espère seulement que votre commémoration les honorera, eux aussi, car il est difficile de trouver un endroit où leur nom est mentionné. Je tiens à vous dire que j'appuie cette initiative parce qu'il est question de la Journée des anciens combattants de la guerre de Corée et que cela inclut ceux qui se sont engagés, à Shilo ou ailleurs, ceux qui ont été déployés et ceux qui ont perdu la vie pendant cette guerre. J'espère que votre commémoration permettra aux Canadiens d'en apprendre davantage sur les événements de cette journée.

La présidente : J'imagine que ça fait partie de l'objectif.

La sénatrice Martin : Absolument. J'ai visité un monument commémoratif à Winnipeg où figure le nom des victimes de cet accident. Personne n'est oublié, y compris ceux qui sont décédés après que le cessez-le-feu eu été décrété, car, comme vous le savez, sénateur Dallaire, les affrontements étaient très violents et il y a eu des pertes de vies. Les hostilités se poursuivent encore aujourd'hui. La guerre n'est pas terminée; la Corée demeure divisée. Je sais que les anciens combattants de cette guerre espèrent qu'il y aura un règlement pacifique.

Bref, en cette journée, tous ceux qui ont servi, y compris ceux qui avaient l'intention de servir, seront honorés.

Le sénateur Manning : Merci. Je sais que c'est un projet sur lequel vous travaillez depuis longtemps. Je tiens à vous féliciter d'avoir atteint cette étape importante, et je tiens aussi à remercier nos anciens combattants.

Il y a une dizaine d'années, j'ai pris la parole dans le cadre d'une cérémonie en l'honneur des vétérans. J'ai parlé de la Première et de la Seconde Guerre mondiale et, je m'en excuse, du conflit coréen. Un homme ayant servi en Corée s'est levé et m'a corrigé devant les 200 personnes présentes de façon à ce que je ne commette plus jamais cette erreur. J'ai appris une leçon importante ce jour-là.

Comme le font certainement tous les sénateurs dans leur région et leur province, je travaille beaucoup avec les filiales locales de la Légion royale canadienne. Selon vous, quel rôle jouera la Légion royale canadienne dans le cadre de cette journée commémorative? Je sais qu'elle joue un rôle important le jour du Souvenir. Avez-vous parlé aux dirigeants de la Légion et de l'Association canadienne des vétérans de la Corée sur la façon de jumeler les représentants de ces deux groupes lors de la Journée des anciens combattants de la guerre de Corée? Comment entrevoyez-vous cette collaboration?

La sénatrice Martin : Nos anciens combattants ici présents pourront certainement vous en dire davantage sur la relation entre l'Association canadienne des vétérans de la Corée et la Légion royale canadienne. Cette initiative n'a pas été amorcée avec ce projet de loi, mais bien avec l'adoption d'une motion en 2010. Avant que cette motion ne soit adoptée à l'unanimité au Sénat, le 8 juin 2010, nous avions discuté avec l'ACVC, la Légion et d'autres organisations qui fournissent des services aux vétérans afin de définir la date qui convenait le mieux pour cette commémoration. Ils nous ont proposé le 27 juillet.

Nous avions d'abord convenu de parler de la Journée nationale des anciens combattants de la guerre de Corée, mais j'ai laissé tomber le terme « nationale » dans le titre abrégé de ce projet de loi, car d'autres pays étaient représentés au sein de la force des Nations Unies à l'époque. Nous avions envisagé une commémoration de portée internationale, mais au Canada, nous allons l'appeler la Journée des anciens combattants de la guerre de Corée, sans parler de journée « nationale ».

Au sujet de la relation avec la Légion royale canadienne, je sais que l'organisme a d'abord refusé d'accueillir dans ses rangs les anciens combattants de la guerre de Corée, car, comme vous le savez, il ne les considérait pas comme des anciens combattants. Cependant, l'an dernier, la Légion a posé un geste symbolique et pertinent; elle a publié un numéro spécial de sa revue consacré uniquement à cette guerre et intitulé Korea : The Forgotten War. Tout est interrelié, et la Légion joue un rôle intégral dans les préparatifs de cette journée.

Nos anciens combattants pourraient vous en dire davantage au sujet de la Légion et de son rôle.

M. Dalke : Habituellement, dans les régions où il existe une organisation pour les anciens combattants de la guerre de Corée, les anciens combattants de cette guerre travaillent en étroite collaboration avec les filiales de la Légion. Par exemple, chaque année, à Lethbridge, une cérémonie est organisée le 27 juillet à laquelle participent aussi les membres de la légion. Il s'agit d'un effort coordonné.

Les organisations pour les anciens combattants de la guerre de Corée vont bientôt disparaître. D'ailleurs, elles devraient déjà avoir disparu. Presque tous les membres de ces organisations font maintenant partie de la Légion. La plupart de ces organisations seront démantelées très bientôt. Nous avons maintenant quelque chose de nouveau, le patrimoine, et les anciens combattants de la guerre de Corée en feront partie. En fait, ils seront membres à part entière de la Légion, puisque les organisations pour les anciens combattants de la guerre de Corée n'existeront plus.

Il y aura une étroite collaboration entre tous les anciens combattants.

Le sénateur Manning : J'aurais une autre question à vous poser, celle-ci au sujet du ministère des Anciens Combattants. Je sais que vous en avez déjà discuté avec le ministère, mais quel sera son rôle? Nous savons qu'il vous appuie dans cette initiative, comme à peu près tout le monde. Le ministère participe déjà beaucoup aux célébrations du jour du Souvenir. Alors, quel sera son rôle dans le cadre de votre commémoration?

La sénatrice Martin : Le ministère gère un programme intitulé Le Canada se souvient, sous la direction de Peter Mills. J'espère que celui-ci viendra témoigner. On travaille étroitement avec les groupes qui fournissent des services aux anciens combattants, y compris l'ACVC et ses filiales régionales qui sont encore très actives. Ces groupes appuient les activités commémoratives. Ils fournissent du personnel et un soutien financier pour certains vins d'honneur, et fabriquent les couronnes, notamment.

Ils participent beaucoup et savent très bien ce qui se passe. Dans le cadre de ce projet de loi, nous avons maintenu une communication ouverte avec le ministère et le personnel du ministre. Tous conviennent qu'il s'agit d'une journée très importante pour nos anciens combattants.

Le sénateur Day : Sénatrice Martin, je crois qu'il est important de souligner tout le travail que vous avez fait dans ce dossier et le leadership dont vous avez fait preuve, car tout le monde devrait le savoir. Vous avez parlé de la résolution proposée au Sénat au sujet de laquelle bon nombre d'entre nous se sont exprimés. C'était il y a deux ou trois ans. Cette résolution exprimait l'opinion du Sénat. Il y a environ un an, une étude a été menée sur le sujet permettant ainsi à tous les intéressés de s'exprimer. Cela nous a permis d'obtenir l'opinion du public.

Aujourd'hui, nous en sommes à la dernière étape, soit l'étude du projet de loi à la Chambre des communes et au Sénat. Cette étude s'amorce au Sénat, une autre bonne chose, et le projet de loi sera ensuite renvoyé à la Chambre. On obtiendra le même résultat que celui obtenu avec la résolution, mais avec plus d'autorité, puisqu'il s'agira d'une loi.

C'est palpitant de voir tout ce processus se dérouler. Comme je l'ai déjà dit, j'appuie cette initiative. Mais, j'aimerais connaître votre opinion au sujet de certains commentaires formulés selon lesquels la création d'une journée spéciale pour les anciens combattants de la guerre de Corée nuirait à la reconnaissance nationale de tous les anciens combattants, le 11 novembre. Qu'en pensez-vous?

M. Dalke : Je ne suis pas d'accord du tout, puisque les anciens combattants de la guerre de Corée participent aussi pleinement aux activités du jour du Souvenir.

Bon nombre d'anciens combattants de la guerre de Corée ont également participé à la Seconde Guerre mondiale. On a souvent prétendu que je fais partie de ce groupe, mais il me manque quelques années pour ça. Je ne crois pas que ce soit un problème, car, à mon avis, tous conviennent que les deux groupes d'anciens combattants méritent d'être reconnus.

La présidente : Monsieur Seiersen, voulez-vous intervenir?

M. Seiersen : Le 11 novembre a toujours été un jour spécial pour moi et il le sera toujours. Le jour du Souvenir, tous les vétérans sont reconnus.

Le sénateur Day : Merci. Comme on l'a déjà mentionné, le ministre des Anciens combattants a déclaré que 2013 était l'année des anciens combattants de la guerre de Corée. Ce projet de loi propose l'adoption d'une journée spéciale de commémoration en cette année des anciens combattants de la guerre de Corée, ce qui est une belle coïncidence, mais cette journée serait honorée au-delà de cette année, et ce, pendant longtemps.

J'imagine que je réponds moi-même à ma question à cet égard. L'année des anciens combattants de la guerre de Corée ne durera qu'une année, alors qu'avec ce projet de loi, ces anciens combattants seront honorés tous les ans, le 27 juillet. Lorsque j'étais plus jeune, j'ai passé trois ans au Collège militaire royal du Canada et vous savez le genre de relation que l'on développe avec son sergent instructeur au cours d'une telle période. Le mien était le sergent Alexandre Doucette. J'ignorais qu'il avait participé à la guerre de Corée, car il n'en parlait pas. Selon lui, ça n'intéressait personne. Cela revient à ce que vous disiez plus tôt : la guerre oubliée et les anciens combattants oubliés. Nous tentons de remédier à cela avec ce projet de loi.

Je terminerai avec ce bref commentaire. L'été dernier, je me suis rendu à Londres en compagnie d'anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale membres du Bomber Command — malheureusement, bon nombre d'entre eux ne sont plus parmi nous. Vous n'avez aucune idée de l'importance qu'ils attachaient à la reconnaissance qui leur était enfin exprimée après avoir passé toutes ces années dans l'oubli.

Je vous félicite, sénatrice Martin. C'est grâce à vos efforts et à votre patience que nous en sommes rendus à cette étape, et je vous en remercie.

La sénatrice Martin : Merci à vous, sénateur Day, d'avoir accepté de coparrainer ce projet de loi, de votre participation à tous les travaux réalisés jusqu'à maintenant dans le cadre de ce processus, que ce soit l'étude ou la motion, et du rôle que vous avez joué dans cette initiative. Je sais que ce dossier vous passionne autant que moi et tous les gens autour de cette table.

Je ne crois pas que l'ajout d'une journée dédiée aux anciens combattants de la guerre de Corée nuise d'une quelconque façon aux commémorations du 11 septembre; je crois que cela aura plutôt l'effet contraire. Nous comprenons beaucoup mieux l'histoire canadienne — et, dans ce cas-ci, celle du pays de ma naissance. Nous savons que c'est en partie grâce aux Canadiens que la Corée est devenue l'économie dynamique qu'elle est aujourd'hui, 60 ans après la guerre. À l'époque, la Corée était le deuxième pays le plus pauvre. Les anciens combattants sont encore très émus lorsqu'il raconte qu'ils étaient incapables de manger leurs rations et qu'ils les donnaient aux enfants tant ceux-ci étaient affamés. Mes parents étaient là, à l'époque. Le Canada a joué un rôle important dans la réussite de la Corée et cela fait partie du patrimoine canadien.

Les jours consacrés à l'aide fournie par des Canadiens ailleurs dans le monde renforcent l'importance de notre histoire et rendent les Canadiens si fiers. J'espère qu'une telle journée sera instaurée. Cette journée est déjà commémorée, mais d'autres Canadiens peuvent participer aux activités et comprendre cette partie très importante de notre histoire. Merci beaucoup du rôle que vous jouez.

Le sénateur Plett : Je suis tout à fait d'accord, madame la sénatrice. Mais comme l'a indiqué le sénateur Day, nous savons tous comment nous célébrons le 11 novembre. Nous allons continuer de le célébrer. Que ferions-nous cette journée-là pour commémorer seulement la guerre de Corée? Allons-nous tenir le même genre d'activités que le 11 novembre, mais de moindre envergure? Pouvez-vous donner des précisions là-dessus, s'il vous plaît?

La sénatrice Martin : Merci, monsieur le sénateur Plett. En fait, nous ne ferons rien de différent, parce que des activités ont déjà lieu. En principe, le projet de loi vise à ajouter une journée dans la loi canadienne. Mais il y a déjà des cérémonies commémoratives partout au Canada le 27 juillet, notamment la cérémonie nationale qui se déroule au Mur du Souvenir de Brampton. Des commémorations se tiennent depuis des années.

Le Mur du Souvenir a été financé par une collecte de fonds et érigé par les anciens combattants eux-mêmes. C'est un mur formidable qui présente le nom de tous les militaires tombés au combat durant la guerre de Corée. J'y suis allée à un certain nombre de fois. Le premier ministre et les ministres étaient présents. Ce serait fantastique que, pour le 60e anniversaire cette année, le gouvernement du Canada consacre une journée aux anciens combattants et l'inscrive dans la loi. Cette journée est soulignée depuis nombre d'années. Je pense que le ministère des Anciens Combattants et le programme Le Canada se souvient vont continuer d'aider les anciens combattants et de commémorer cette journée de la même façon. Cette journée ressemble à d'autres jours particuliers. Elle n'est pas soulignée avec autant de vigueur que le jour du Souvenir, qui rassemble toutes les communautés, mais le 27 juillet va continuer d'être commémoré et sortira encore plus de l'ordinaire si le projet de loi est adopté.

Le sénateur Mitchell : Merci de votre présence, du travail accompli et de continuer à représenter les anciens combattants de la guerre de Corée. Merci aussi de votre soutien, madame la sénatrice Martin et monsieur le sénateur Day. C'est une question très importante. Je dois dire qu'elle me touche de façon très personnelle. Mon père a servi en Corée. Un de mes premiers souvenirs, si ce n'est le premier, c'est le retour à la maison de mon père. La question m'est donc très chère.

Vous avez dit que la participation du Canada comportait deux phases, avant et après l'armistice. Vous avez sûrement raison, et j'insiste pour dire que les discussions sur les anciens combattants de la guerre de Corée concernent la période avant et après l'armistice, qui a trait à la participation canadienne avec les forces de l'ONU si je ne me trompe pas. Cela dit, il est question de la période avant et après l'armistice.

La sénatrice Martin : Oui.

Le sénateur Mitchell : Je tenais à le souligner. J'ai eu le grand privilège de visiter la Corée avec une délégation d'anciens combattants, dont des Autochtones, il y a cinq ans lors du 55e anniversaire. Pourriez-vous parler de la participation des anciens combattants autochtones? Je sais qu'ils n'ont même pas obtenu le droit de vote après leur service en Corée et qu'ils ont peut-être perdu leur statut. Néanmoins, ces Autochtones se sont grandement distingués là-bas.

La sénatrice Martin : Nous pouvons faire des vérifications, mais j'ai entendu dire que les Autochtones du Canada qui ont quitté leurs réserves pour combattre ont perdu leur statut. Ils ont néanmoins répondu à l'appel et sont allés au combat.

Le sénateur Mitchell : Oui, et à ce moment-là, ils ne...

M. Dalke : Les Autochtones n'étaient pas différents pour nous. Ils faisaient simplement partie du régiment.

M. Seiersen : Bien des Autochtones ne déclaraient pas leurs origines à cette époque-là. Mais bon nombre se disent Autochtones ou Métis depuis 10 ans.

Le sénateur Mitchell : Excellent.

La sénatrice Martin : Fait intéressant, j'ai rencontré des Canadiens d'origine japonaise qui ont servi le pays. Vous connaissez l'histoire de la Corée et du Japon. Des Canadiens d'origine chinoise, des Noirs et des Autochtones étaient dans l'armée canadienne et ont combattu en Corée. C'est une partie de l'histoire canadienne dont nous pouvons tous être fiers. Je répète que le contraste est frappant.

Je suis allée en Corée avec M. Dalke en novembre et avec M. Seiersen en avril 2011. C'est une expérience fascinante pour les anciens combattants de retourner là-bas et de constater ce contraste frappant. Leur cauchemar s'est transformé en rêve. Les anciens combattants et moi sommes très, très fiers de cette histoire.

Le sénateur Mitchell : Merci.

La présidente : Merci. Concernant ce qu'a dit le sénateur Mitchell, le même problème est survenu lors de la Seconde Guerre mondiale. Les Autochtones qui ont quitté les réserves ont perdu leur statut. Certains d'entre eux habitent en ville.

Le sénateur Lang : Merci, madame la présidente. Bienvenue aux témoins, et félicitations à la sénatrice Martin, qui a travaillé très fort pour présenter ce projet de loi au Sénat et à la population.

Monsieur Dalke, vous avez dit dans l'exposé que vous avez laissé la Corée du Sud dans un état lamentable, lorsque l'accord de paix est intervenu avec la Corée du Nord. Mais nous n'avons pas discuté de ce pays. J'ai lu un certain nombre de livres sur la Corée du Nord, la détresse de la population et les difficultés que connaît cette région du monde. Nous n'entendons pas beaucoup parler de ce pays, sauf pour ses capacités nucléaires, mais le système politique d'un État a une grande influence. Le contraste est frappant, comme l'a si bien dit la sénatrice Martin. Le cauchemar des militaires en Corée du Sud est devenu un rêve, surtout par rapport à la Corée du Nord. En ce qui a trait à ce dernier pays, je ne pense pas que nous pouvons oublier les grandes difficultés que rencontre la population au quotidien.

Je suis d'accord avec les sénateurs Plett et Manning concernant la reconnaissance du 27 juillet, l'histoire de cette journée et son symbole.

Il y a 13 systèmes d'éducation au pays. Si les provinces ne participent pas à l'examen de leurs programmes pour que la question soit non seulement évoquée, mais mise de l'avant de façon adéquate dans les programmes, une grande partie de cette histoire restera dans l'oubli. Il me semble que le ministère des Anciens Combattants doit prendre des mesures et collaborer avec les provinces pour raviver notre mémoire. Nous devons être fiers des hommes et des femmes qui ont participé à cette guerre. Si je ne m'abuse, madame la présidente, nous n'avons pas encore mentionné que 26 000 Canadiens ont pris part aux opérations durant trois ans et que plus de 500 d'entre eux sont tombés au combat.

La présidente : Oui.

Le sénateur Lang : Pour que les gens comprennent bien ce qui est arrivé, envisagez-vous de discuter de la question avec les provinces?

La sénatrice Martin : Merci, monsieur le sénateur Lang. Vous avez tout à fait raison. Je dirais qu'il reste beaucoup de travail à faire. Je sais à titre d'ancienne enseignante que, selon la personne qui donne le cours, la guerre de Corée peut faire l'objet d'un paragraphe, d'une page ou d'une discussion approfondie. Le programme n'accorde pas assez d'importance à cette guerre. Devant les anciens combattants, je promets de poursuivre le travail et j'invite mes collègues à en faire autant. Comme vous l'avez dit, les provinces comptent 13 systèmes d'éducation avec lesquels nous devrons communiquer, mais le ministère des Anciens Combattants peut jouer un rôle clé.

Pour l'Année des vétérans de la guerre de Corée, un excellent site Internet interactif a été mis sur pied. Lorsque le premier ministre a annoncé cette année, il nous a montré ce que le site peut faire. Ce site Internet existe; il ne reste qu'à le faire connaître dans les écoles et à s'assurer que les enseignants et les élèves s'en servent. J'espère que nous allons continuer notre suivi. Vous avez raison, et nous pouvons consacrer une journée à la commémoration. Lorsque le projet de loi sera adopté, nous pourrons tenir des cérémonies commémoratives, mais elles peuvent se dérouler un jour seulement ou durant quelques semaines avant ce jour-là. Si nous manquons de vigilance et que nous ne cherchons pas à sensibiliser les Canadiens davantage, cette guerre restera dans l'oubli. J'espère sincèrement que les gens ne la verront plus comme la guerre oubliée, mais je pense que nous devons y travailler ensemble et que le ministère des Anciens Combattants va jouer un rôle clé.

La présidente : Pour avoir présenté un projet de loi sur une journée de reconnaissance au Sénat, je suis d'accord avec vous. Lorsque nous avons fait du 11 septembre le jour national où nous tenons des commémorations, il n'était pas question des fonds fournis par gouvernement ou d'un mandat à confier pour réaliser un projet précis. Les gens veulent saisir l'occasion. Des Canadiens et des anciens combattants partout au pays soulignent cet anniversaire depuis 60 ans, même s'il ne s'agit pas d'une journée nationale. C'est pour nous une reconnaissance quant aux services que vous avez rendus et à l'importance de se rappeler cet héritage pour notre pays. Je présume que vous avez le même genre d'approche. Nous devons tous désormais prendre des mesures et discuter de la question.

La sénatrice Martin : En effet.

La présidente : L'obligation n'incombe pas seulement au gouvernement, mais à nous tous.

La sénatrice Martin : Madame la sénatrice, vous l'avez dit mieux que moi et vous avez tout à fait raison. Bien des sénateurs du comité ont sans doute participé à l'élaboration d'une mesure ou d'un projet de loi. Lorsque je suis arrivée à Ottawa, bon nombre de collègues m'ont dit qu'il faut être patient et qu'on le sait si une cause exige notre soutien et nous demande de passer à l'action. C'est un des rôles que peut jouer le Sénat. Nous devons aider ceux qui peinent à se faire entendre. Cette journée est très importante pour les anciens combattants qui ont donné leur vie et qui ont servi le pays, ainsi que pour les Canadiens. Nous devons tous en faire davantage.

Madame la sénatrice Wallin, les questions et les commentaires de mes collègues m'inspirent. Je sais que nous avons beaucoup de pain sur la planche, mais je suis particulièrement inspirée par les anciens combattants ici présents, de braves Canadiens qui ont eu une grande influence dans le monde.

M. Dalke : Par ailleurs, ça m'a toujours dérangé que les 7 000 militaires supplémentaires qui étaient Casques bleus de 1953 à 1955 soient bien souvent complètement oubliés. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai soulevé la question. Ces troupes ne sont pas admissibles à recevoir des médailles, parce que la guerre était terminée. En fait, je ne sais pas comment vous l'appelez, parce que vous avez dit que ce n'était pas une guerre.

La présidente : Ces troupes font maintenant partie de la reconnaissance.

M. Dalke : Je profite de toutes les occasions possibles pour faire comprendre aux gens que 26 000 militaires ont participé à la guerre, mais que 7 000 autres étaient Casques bleus de 1953 à 1955.

Au fil des ans, certains historiens et d'autres ont remis en question l'influence même des militaires canadiens. Certains affirment bien sûr que les Canadiens n'ont pas pris part aux combats, en raison du faible nombre de morts. C'est très intéressant, parce que dans les grandes batailles, nous perdions de 21 à 60 militaires, tandis que les autres forces en perdaient de 250 à 500, voire un millier. Il y a donc une différence dans la participation et la conduite des opérations militaires.

Je suis très fier d'indiquer que nos commandants étaient des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. C'est clair que leurs connaissances nous ont permis de rester en sécurité. L'accent était mis sur le travail d'équipe. Nous devions veiller l'un sur l'autre et nous savions qu'un autre nous couvrait. Le brigadier Rockingham a dit que l'infanterie était son fer de lance et que le reste de la brigade devait veiller sur elle. En tant qu'artilleur, mon seul objectif était sans contredit de protéger l'infanterie, qui est une composante essentielle.

La présidente : Cet ancien combattant vous remercie.

Merci des précisions. Je pense que tous les commentaires sont utiles.

Monsieur le sénateur Dallaire, avez-vous une question complémentaire?

Le sénateur Dallaire : Oui. Je suis d'accord pour dire que l'infanterie a besoin de toute la protection possible. La guerre de Corée s'est déroulée il y a 60 ans. Je me souviens qu'à la Légion, les anciens combattants de la Première Guerre mondiale ont fait la vie dure aux anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers en ont fait autant même avec les militaires du débarquement de Dieppe, parce qu'ils ont combattu un jour seulement avant d'être bien sûr emprisonnés pendant trois ans. Deux anciens combattants ont fait des misères aux anciens combattants de la guerre de Corée, surtout ceux qui ont pris part aux opérations après 1953. La dynamique dans le système se prêtait mal à la mise en œuvre d'un tel projet. C'est presque normal d'oublier la guerre à cause des autres anciens combattants.

Votre famille vient de cette région du monde, madame la sénatrice Martin. Vous avez pris l'initiative de déposer ce projet de loi. Je vais vous poser ma question en toute franchise. Je suis certain que votre famille est fière de vous, mais est-elle un peu déçue que personne ne se soit occupé de la question avant vous?

La sénatrice Martin : Votre question est très intéressante, sénateur Dallaire. Mon père est décédé. Il est décédé il y a environ cinq ans.

Le sénateur Dallaire : Prenez votre temps.

La présidente : Il est là quelque part; ne vous inquiétez pas.

La sénatrice Martin : Il est décédé juste avant ma nomination. Malheureusement, ma mère est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Toutefois, en leur absence, si je puis dire, en tant que mère, je suis en quête de mes racines.

Je reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure. Un jour, j'étais dans mon bureau, et vous savez à quel point les moments de tranquillité sont rares sur la Colline du Parlement. C'était un après-midi tranquille. Il était environ 14 heures. C'était après que différents sénateurs m'ont dit, lorsque je suis arrivée à Ottawa, qu'une cause m'attirerait; vous savez, lorsqu'une idée vous vient à l'esprit et que vous savez que c'est ce que vous devez faire. Pendant ce rare moment de tranquillité, une idée mijotait dans ma tête et une question m'est venue à l'esprit. A-t-on désigné une journée pour honorer les anciens combattants de la guerre de Corée? Je ne sais pas comment, mais la question m'est venue à l'esprit, et j'ai commencé à faire des recherches pour voir ce que nous faisons au Canada. À ce moment-là, mon adjoint administratif, Paul Seear, qui a déjà servi dans les forces armées, m'a dit « je vais vérifier ». Il est revenu avec plein de dates, mais il n'y avait rien pour la guerre de Corée.

Pour nous protéger de la souffrance provoquée par les souvenirs, mes parents n'ont jamais beaucoup parlé de la guerre. Par contre, j'ai compris, en voyant mon père, qui enlevait le riz en grattant le moule parce qu'il ne voulait rien jeter, et ma mère, qui devenait très émotive chaque fois qu'elle voyait des anciens combattants à la télévision ou lors d'une activité. Tous les gens d'origine coréenne, et les habitants de la Corée, respectent nos anciens combattants. Ils expriment leur reconnaissance par leurs larmes, car nous savons que nous ne serions pas ici si ce n'était d'eux. C'est très important.

Lorsque je parle à ma mère de ce que je fais, c'est sûr qu'elle est fière. Toutefois, elle a des pertes de mémoire à court terme, et chaque fois que je lui dis, elle est très fière et enthousiaste. Je sais que cela a une grande signification pour eux. Mon père vient du Nord. Sénateur Lang, il n'a jamais revu les membres de sa famille. La Corée est toujours divisée. La moitié des familles que je connais n'ont jamais revu les membres de leur famille ou n'en ont jamais eu de nouvelles.

Cela me tient beaucoup à cœur, mais je ne peux imaginer ce qui s'est passé à l'époque — les héros, qui sont des survivants, et les témoins des événements également. C'est tout un honneur pour moi de témoigner devant vous avec deux représentants des anciens combattants.

La présidente : Le rare cadeau que votre mère vous a fait, c'est que vous pouvez lui raconter l'histoire encore et encore. Je pense que c'est bien.

Durant le temps qu'il nous reste, le sénateur Nolin peut poser une dernière question.

[Français]

Le sénateur Nolin : Sénatrice Martin, je vais vous faire pratiquer votre français parce que je sais que vous aimez la langue française. De toute évidence, vous avez autour de la table des gens qui appuient votre projet de loi qu'on a adopté, je crois, à l'unanimité.

Je ne crois pas qu'il y ait d'objection gouvernementale à votre projet de loi. Par contre, à votre connaissance, y a-t-il des groupes ou des gens dont on devrait connaître l'identité qui n'appuient pas votre projet de loi?

[Traduction]

Y a-t-il un groupe quelque part dont nous devrions connaître l'identité?

La sénatrice Martin : Merci, monsieur le sénateur. La seule protestation — en fait, je ne l'ai pas entendue moi-même, mais c'était lors d'une discussion que j'ai eue avec notre ambassadeur canadien à l'ONU, à New York, M. Rishchynski, et l'ambassadeur coréen à l'ONU. Nous parlions de l'idée d'une journée de commémoration pour honorer les anciens combattants de la guerre de Corée, et ils m'ont dit que les Nord-Coréens ne seraient pas contents.

Le sénateur Nolin : D'accord. J'aurais dû commencer ma question par « excepté ».

La sénatrice Martin : C'est ce que je dis. Je n'ai entendu parler d'aucune objection. C'est la seule réserve qui avait été émise à ce moment-là.

Le sénateur Nolin : J'imagine qu'ils ne nous demanderont pas de venir comparaître devant notre comité.

La sénatrice Martin : Exactement. Ma réponse à votre question est non.

Le sénateur Nolin : Bien.

La sénatrice Martin : Quand les Canadiens découvriront les actes héroïques incroyables de nos anciens combattants en Corée, ils seront aussi inspirés que nous.

Le sénateur Nolin : Merci beaucoup.

La présidente : Merci. Soyez assurés que nous ne demanderons à aucun Nord-Coréen de venir comparaître devant le comité à ce moment-ci, même si c'est une idée intéressante.

Je vous remercie tous énormément de votre présence. Nous entendons la sénatrice Martin parler de ce sujet à la Chambre. Nous sommes vraiment ravis de votre présence aujourd'hui. C'est merveilleux également d'entendre ce que M. Dalke a à raconter.

M. Dalke : Je me demande si je peux ajouter quelque chose. Nous parlions des différences, et tout à coup, quelque chose m'est venu à l'esprit. Pendant 18 mois, les négociations sur le cessez-le-feu étaient au point mort. Dans le cadre des discussions, le plus grand problème concernait l'échange de prisonniers. Entre autres, nous avions beaucoup plus de prisonniers qu'eux, mais le problème majeur, c'est que plus de 45 p. 100 de nos prisonniers refusaient de retourner chez eux. C'était la première fois dans l'histoire que nous faisions face à ce problème. Qu'il s'agisse des Nord-Coréens ou des Chinois, ils ne voulaient pas retourner chez eux. C'est ce qui explique la longueur des débats. Bien entendu, cela a coûté cher. Pendant ce temps, les Nations Unies ont subi 140 000 autres pertes.

La présidente : Oui. Toutes les discussions et l'information que vous nous avez donnée aujourd'hui sont aussi le début du processus dont parlait le sénateur Lang. Continuons d'informer les gens.

Nous remercions également Peter Seiersen.

M. Seiersen : Ces larmes sont causées par une opération de la cataracte que j'ai subie récemment.

La présidente : Je ne vous crois pas du tout. Je vous remercie d'être venu témoigner et de nous avoir parlé un peu de votre expérience.

M. Seiersen : Merci.

La présidente : Je pense que nous avons quelques autres témoins.

Le sénateur Nolin : Ils sont tous d'accord avec nous.

La présidente : Oui. Je pense que vous avez une petite idée de l'avis des gens ici. Nous allons donc continuer. Merci de votre participation.

Au début de la séance, j'ai omis de dire qu'il s'agit d'une réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je le dis au cas où des gens viennent d'ouvrir leur téléviseur et se demandent ce qu'ils sont en train d'écouter.

Notre ordre du jour est bien rempli aujourd'hui. J'aimerais souhaiter la bienvenue à un nouveau collègue. Le sénateur Larry Campbell arrive de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Campbell : Veuillez excuser mon retard.

La présidente : Vous n'avez d'autres choix que d'arriver en même temps que l'avion. Je viens moi aussi de l'Ouest, et je comprends cela. Bienvenue. C'est un nouveau membre du comité.

Nous sommes également très heureux d'accueillir M. Richard Fadden, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité. Nous avions espéré qu'il comparaisse l'automne dernier, mais nous étions débordés chacun de notre côté. Vous êtes enfin ici. Bienvenue en 2013, et nous sommes ravis de votre présence.

Comme vous le savez tous, dernièrement, il a été beaucoup question d'événements inquiétants : un militaire canadien a fait de l'espionnage pour les Russes et des Canadiens auraient participé à un attentat à la bombe dans un autobus en Bulgarie et à une prise d'otage en Algérie, et j'en passe. Le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, est le gardien de la sécurité nationale au Canada. Il s'occupe de ce genre de dossiers. Il fait des enquêtes sur les menaces, analyse des renseignements qui proviennent de toutes sortes de sources et produit des renseignements afin que des décisions judicieuses soient prises. Le SCRC informe le gouvernement du Canada et lui offre des conseils. De toute évidence, depuis quelques années, la menace que pose le terrorisme national ou soutenu par des sources externes est sa grande priorité. Chaque année, le SCRC produit un rapport annuel et l'organisme de surveillance du SCRS, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ou CSARS, en fait de même.

Pour discuter de l'organisme et des enjeux auxquels font face notre pays et bien d'autres, dans la mesure où la protection du secret le permet, nous avons invité le directeur Richard Fadden à venir témoigner. Il est accompagné du directeur général de la politique stratégique et des relations étrangères du SCRS, Adam Fisher. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre présence.

Monsieur Fadden, je crois comprendre que vous allez faire un exposé. Bienvenue. Allez-y, s'il vous plaît.

Richard Fadden, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité : Merci beaucoup de me donner la possibilité de vous parler un peu de notre rapport public 2010-2011. Nous préparons ces rapports depuis 1991, et ils servent, du moins je l'espère, à sensibiliser le Parlement et le grand public aux questions de sécurité nationale et aux enjeux dont doit s'occuper le SCRS.

[Français]

Le mandat du SCRS consiste à recueillir et à analyser les informations sur les menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada et à faire part de ces dernières au gouvernement. Guidé par les principaux besoins en matière de renseignement du gouvernement du Canada, les efforts de collecte du service portent essentiellement, de manière générale, sur le terrorisme, incluant la radicalisation domestique, l'espionnage, l'ingérence étrangère, la cybersécurité et la prolifération des armes de destruction massive.

[Traduction]

Le mandat du SCRS en matière de filtrage de sécurité est une autre de ses priorités. À cet égard, nous conseillons nos partenaires gouvernementaux principalement en ce qui concerne les demandes d'immigration, de statut de réfugié et de cote de sécurité du gouvernement.

Comme vous pourrez le constater à la lecture du rapport, le SCRS est une organisation diversifiée et dynamique, où les deux sexes sont représentés de façon équilibrée et dont les employés parlent plus de 105 langues. En outre, plus de 70 p. 100 d'entre eux s'expriment dans les deux langues officielles du Canada. J'ai le plaisir de souligner que, cette année encore, le SCRS figure parmi les 100 meilleurs employeurs du Canada.

Madame la présidente, au cours de la période visée, les plus grandes menaces pour la sécurité nationale du Canada restent le terrorisme et, en particulier, l'extrémisme inspiré par Al-Qaïda, tant à l'échelle nationale qu'internationale. Comme il est indiqué dans le rapport, la radicalisation de certains Canadiens continue à préoccuper le service. À cet égard, le rapport fait état de la réalisation d'une enquête interne par le service sur la radicalisation au Canada. Il s'agit de la première du genre.

L'étude a permis de tirer des conclusions importantes, à savoir que le processus de radicalisation transcende les ethnies, les classes sociales et les profils psychologiques. Le service continue également à se préoccuper des Canadiens radicalisés qui partent à l'étranger pour prendre part à des activités liées au terrorisme. Le SCRS sait que des dizaines de Canadiens, dont bon nombre sont au début de la vingtaine, ont voyagé à l'étranger ou ont tenté de le faire pour se livrer à des activités liées au terrorisme au cours des dernières années.

Madame la présidente, nous cherchons toujours à évaluer la menace qui pèse sur le Canada en raison de l'influence déstabilisatrice d'Al-Qaïda et des groupes qui y sont affiliés. Il est indiqué dans le rapport que les groupes inspirés par Al-Qaïda continuent à représenter une menace considérable dans des régions comme le Yémen, la Corne de l'Afrique, l'Irak et, comme le montrent les événements récents, le Mali.

[Français]

L'intrusion des groupes inspirés par Al-Qaïda dans le conflit en Syrie pose également des difficultés importantes à nos alliés et certainement à la Syrie elle-même. Dans le monde actuel ultra connecté, le Canada doit se tenir informé et au fait de l'évolution de la sécurité dans le monde, car les répercussions sur le pays sont habituellement plus directes qu'elles n'y paraissent à première vue.

Madame la présidente, les terroristes n'ont pas besoin de parvenir à perpétrer des attentats au Canada pour nuire aux intérêts du pays. Le SCRS conserve une présence importante sur la scène internationale et collabore quotidiennement avec des services étrangers alliés partout dans le monde afin de fournir au gouvernement du Canada les informations dont il a besoin pour détecter la menace terroriste et prendre des mesures qui s'imposent.

[Traduction]

Même si le terrorisme reste la principale menace qui pèse sur le Canada, l'espionnage et l'ingérence étrangère continuent également à susciter des préoccupations importantes. Il est indiqué dans le rapport que les activités d'espionnage hostiles menées à l'heure actuelle rivalisent en intensité avec celles observées à l'époque de la guerre froide.

Il est également mentionné dans le rapport que l'espionnage industriel et le vol de renseignements exclusifs sont des problèmes de plus en plus majeurs et que cette tendance devrait se maintenir. Pour parler franchement, il est souvent plus facile et moins onéreux pour les États hostiles de voler de la propriété intellectuelle plutôt que de la créer eux- mêmes. Ils évitent de cette façon des coûts d'achat élevés et des processus de R-D longs et coûteux et peuvent, dans certains cas, contourner les mesures de contrôle des exportations.

[Français]

À ces menaces vient s'ajouter celle, grandissante, du cyberespionnage. Le cyberespionnage est bon marché et omniprésent. Ceux qui s'y livrent peuvent être des acteurs étatiques ou non, notamment des espions classiques, des terroristes, des cyberactivistes et des personnes agissant seules poussées par des motivations personnelles.

Le SCRS collabore avec ses partenaires gouvernementaux, ses alliés étrangers et de nouveaux partenaires dans le secteur privé pour contrecarrer ces menaces qui nous rappellent que la sécurité est effectivement l'affaire de tous.

[Traduction]

Les dangers de la prolifération, en particulier dans le cas de l'Iran, sont également mentionnés dans le rapport du SCRS. Le service et ses alliés pensent généralement que l'Iran développe sa capacité de production d'armes nucléaires. Le service a un certain nombre d'autres préoccupations liées à l'Iran, notamment le rôle joué par ce pays dans le conflit en Syrie et le soutien continu qu'il accorde aux groupes terroristes que sont le Hezbollah et le Hamas. Si l'on prend également en considération le discours incendiaire de ses dirigeants, l'Iran semble déterminé à jouer un rôle déstabilisateur dans des pays comme l'Irak et l'Afghanistan. Les aspirations régionales agressives de l'Iran continueront à menacer la sécurité au Moyen-Orient et dans le monde.

Le SCRS restera vigilant face à ces menaces et à d'autres. Il continuera à surveiller l'évolution du contexte stratégique et se tiendra prêt à ajuster, au besoin, ses efforts de collecte afin de fournir des conseils opportuns et pertinents au gouvernement.

Je serai ravi de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, et nous vous remercions de ces renseignements. C'est un sujet très vaste. Je vais commencer et les sénateurs vous poseront leurs questions. Les gens ont pu voir à la télévision récemment que l'espion de la côte Est a été condamné. Il semble y avoir un débat pour déterminer si ce genre d'activité nous fait bien mal quant à nos relations avec nos alliés. Avez-vous cette impression?

M. Fadden : Je pense que oui, madame la présidente. Toutes sortes d'expressions ont été utilisées pour décrire l'ampleur des dommages que cela a causés pour notre sécurité nationale et nos relations avec nos proches alliés. Dans ces cas, ce qui nous sauve, si je peux le dire ainsi, pour ce qui est de nos alliés, c'est que chacun d'eux s'est déjà retrouvé dans la même situation. Nos proches alliés et nous sommes d'avis que c'est en partie la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Cela a amené un certain nombre de nos alliés et nous à réviser les mesures de sécurité de nos pays et celles que nous avons en commun. Est-ce que je pense que la situation est catastrophique? Non. Faut-il dire, « oh, c'est arrivé, et le problème disparaîtra »? Non. Nous nous situons à peu près à mi-chemin. Ces cas nous ont fait mal également parce que nous ne savions pas exactement quelle information avait été transmise.

La technique utilisée par Jeffrey Delisle lui a permis d'éliminer les renseignements transmis après leur réception. La GRC et le SCRS ont attrapé quelques dossiers parmi ceux qu'il envoyait. À partir de cela, nous avons déduit par extrapolation ce qu'il a pu envoyer, et c'est grave. Nous avons tous pris des mesures pour rétablir la situation. Celui-là s'est fait prendre, mais je soupçonne qu'il y en aura d'autres, chez nous et chez nos alliés. Si nous pouvons tirer un avantage de toute cette affaire, c'est qu'elle a sensibilisé les gens au Canada au fait que c'est un enjeu. Nous avons parfois tendance à penser que c'est l'autre, et que ce n'est jamais nous. Toutefois, l'intérêt que les services russes ont porté aux activités de Delisle montre qu'il vaut la peine de protéger les secrets.

Le sénateur Dallaire : Messieurs, ce qui me préoccupe, c'est qu'il existe une organisation civile de surveillance, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, que le gouvernement a choisie pour superviser vos activités, ce qui nous donne probablement une excellente garantie que vous êtes capables d'accomplir vos tâches. Nous avons aussi un ministre qui est responsable. Nous avons l'exécutif et le grand public. Du côté législatif, les parlementaires n'ont pas de pouvoir de surveillance, puisque nous n'avons pas accès aux documents classifiés. C'est bien différent dans d'autres pays. Pourriez-vous, je vous prie, me donner une idée de ce que vos homologues vivent dans les pays où une surveillance est exercée par les parlementaires?

M. Fadden : Comme certains le disent, cela dépasse mes compétences, et ce, dans une large mesure. C'est au gouvernement et au Parlement de décider si je peux vous donner accès à des documents classifiés. Je vais vous donner deux exemples : l'Australie et le Royaume-Uni. Leurs pratiques ont changé considérablement au fil des années; au Royaume-Uni, l'accès était très, très limité jusqu'à récemment, où les parlementaires nommés par le premier ministre sont liés par le serment du secret et font rapport seulement au premier ministre, alors que c'est un peu plus étendu en Australie. Au fil des années, ces deux pays ont connu des périodes où ce n'était pas possible. Loin de moi l'idée d'éviter de répondre aux sénateurs, mais cette question dépasse vraiment mes compétences. C'est au gouvernement de décider si c'est une bonne chose ou non.

Le sénateur Dallaire : Ce n'était pas là ma question. J'ai demandé comment vos homologues s'accommodaient de leur situation. Je ne vous ai pas demandé quelle est la position du gouvernement canadien ou quelle est votre position à ce sujet.

Ma deuxième question porte sur l'échange de dossiers et les éléments subversifs qui pourraient exister entre vous et la GRC. Cette histoire est chose du passé — la séparation et tout; la culture et les principes de chaque institution sont maintenant établis. Nous avons le projet de loi S-7 et d'autres qui visent la lutte contre le terrorisme. Selon vous, quel est le compromis entre votre notion de sécurité et celle de la GRC? Ce compromis évolue-t-il avec la menace ou est-il toujours un peu nouveau?

M. Fadden : De notre point de vue — et je suis passablement certain que la GRC serait d'accord —, si une activité particulière est préoccupante, que ce soit une activité terroriste ou une activité d'espionnage, il y a différentes marges de manœuvre dans le temps. Les lois et notre organisation ont été structurées de telle sorte que nous sommes maintenant concernés, et nous pouvons obtenir des pouvoirs considérables d'intrusion bien avant la GRC, qui doit respecter un certain seuil établi en droit criminel. Bien souvent, les choses avancent et, pour une raison quelconque, rien ne se produit. Nous avons conclu une entente assez claire avec la GRC, que nous mettons en oeuvre lorsque ce seuil d'activité criminelle est atteint — selon les lois contre l'espionnage et la prolifération des armes nucléaires. La pratique que nous avons adoptée, c'est que nous essayons de mettre la GRC au courant de nos activités aussitôt que possible, puis nous menons des enquêtes parallèles. Il reste encore le problème lié à l'utilisation du renseignement de sécurité comme élément de preuve; en gros, nos renseignements ne peuvent pas être utilisés. Ce que nous avons convenu de faire avec la GRC, c'est de lui transmettre l'information que nous pouvons; la GRC peut entreprendre sa propre enquête, et nous travaillons en parallèle.

Parfois, par exemple dans l'affaire Delisle, les enquêtes aboutissent à une arrestation, à des poursuites et à une déclaration de culpabilité. Parfois, la GRC nous revient et nous dit que le cas est très intéressant, mais que le seuil n'est pas atteint. Elle nous dit de continuer le travail, et c'est ce que nous faisons. Pour nous, il s'agit essentiellement de voir, dans le spectre des activités, à quel moment le seuil fixé en droit criminel est atteint. De concert avec la GRC, nous avons élaboré une politique et une pratique qui nous donnent une vision commune. Nous en avons fait un document, que nous avons étayé par la jurisprudence. Selon moi, les choses fonctionnent assez bien. Si vous posez la question au commissaire Paulson, je crois qu'il serait du même avis.

Le sénateur Lang : J'apprécie le travail que font nos témoins. Je crois que tous les Canadiens l'apprécient. J'aimerais dire que, lorsque vous ne faites pas les manchettes, c'est que vous faites un bon travail. Au cours des 10 dernières années, il y a eu quelques accrocs, mais nous avons été très chanceux. Vous avez mentionné le terrorisme et ce avec quoi vous devez composer tous les jours.

J'aimerais revenir sur l'affaire Delisle, qui touche au principe de la sécurité nationale et du renseignement. J'aimerais savoir si vous vous êtes entretenus avec le sous-ministre de la Défense nationale et le dirigeant principal de l'information pour comprendre pleinement le processus de contrôle mis en place pour tout le personnel qui a accès à des données confidentielles.

J'aimerais terminer en vous posant la question suivante : Êtes-vous convaincu que tout le personnel et tous les agents ont dûment reçu leur attestation de sécurité et que la situation dont les médias font état depuis un an ne se reproduira pas?

M. Fadden : Premièrement, je peux affirmer que je me suis entretenu avec le sous-ministre de la Défense nationale et, dans le cadre d'une série de groupes de travail, j'ai parlé avec la plupart, voire avec l'ensemble des autres sous-ministres qui ont des responsabilités en matière de sécurité nationale. Nous avons examiné dans le détail ce qui s'est produit dans l'affaire Delisle. Les éléments qui ont fait défaut vont de l'aspect purement électronique à la sécurité physique en passant par les autorisations de sécurité. Dans tous les cas, les procédures ont été resserrées ou sont en voie de l'être.

Les autorisations de sécurité demeurent la responsabilité du ministère qui les donne, et les pratiques à cet égard varient un peu. Toutefois, notre pratique a toujours été — et je crois comprendre que c'est ce que font la plupart des pays — de maintenir en poste une personne dont l'attestation de sécurité arrive à échéance, mais qu'on ne peut renouveler à temps en raison de la charge de travail ou de certaines difficultés; elle est autorisée à poursuivre son travail à moins que nous ayons une raison de croire qu'elle doit être relevée de ses fonctions pendant que nous continuons l'enquête de sécurité.

Toutefois, il est juste de dire que, de façon générale, tous les ministères chargés de la sécurité, du renseignement et de la sécurité nationale ont resserré leurs procédures et que la situation sera bien meilleure qu'avant.

Vous me demandez en dernier lieu si nous pourrons éviter une situation semblable dans l'avenir, et je dois vous répondre par la négative. Si vous prenez le cas Delisle, les gens se sont demandé : « Si nous avions eu toute la série de vérifications et si nous nous étions concentrés sur lui, aurions-nous su? » Il était divorcé, il avait des problèmes d'argent et sa famille était déchirée. C'est malheureusement le sort d'une grande partie de la population canadienne. Je ne crois pas que ces facteurs, à eux seuls, auraient été suffisants pour qu'on agite le drapeau rouge.

En rétrospective, je dirais qu'un drapeau orange aurait pu être utile. Il n'a rien fait d'évident qui nous aurait amenés, nous ou le ministère de la Défense nationale, à croire qu'il était un traitre. Il faisait son petit bonhomme de chemin; c'était un homme relativement tranquille, qui ne faisait pas de vagues. Pour ce que cela vaut, c'est presque toujours le cas. Il y a des cas semblables en Australie, aux États-Unis et au Royaume-Uni. C'est souvent le gars sans histoire, celui qui ne fait pas de vagues, qui réussit à faire cela.

Bref, je crois que nos procédures ont été resserrées et qu'elles sont meilleures. Puis-je vous garantir que cette situation ne se reproduira plus jamais? J'aimerais bien, monsieur le sénateur, mais je ne le peux pas.

Le sénateur Lang : J'aimerais aborder un autre sujet, à savoir l'immigration. Vous en faites mention dans votre rapport. Il y a un certain nombre d'années, votre collègue Jim Judd a informé le Parlement que seulement 10 p. 100 de tous les immigrants originaires de pays comme le Pakistan faisaient l'objet d'un examen initial mené par le SCRS. Pouvez-vous nous dire combien d'examens initiaux vous êtes en mesure d'effectuer aujourd'hui, en moyenne, et quel serait le niveau optimal d'examen que vous aimeriez atteindre si vous en aviez les ressources? C'est certes une question préoccupante.

M. Fadden : En ce qui a trait aux immigrants — les personnes qui souhaitent s'établir au Canada —, nous examinons maintenant tous les dossiers. En pratique, cela signifie que nous entrons les noms dans nos bases de données et, s'il n'y a pas de problème, cela équivaut essentiellement à un feu vert électronique. Si nous avons une raison de soupçonner qu'il y a un problème, un de nos agents se concentre sur le dossier, mais non sur un pays en particulier. Il y a un certain nombre de pays — j'essaie de le dire de façon diplomatique — qui sont aux prises avec des problèmes d'ordre public et de terrorisme et dont les frontières ne sont pas aussi bien contrôlées qu'elles pourraient l'être.

Pour ce qui est des immigrants, nous regardons tous les dossiers. En fait, nous regardons tous les dossiers de réfugiés. Quant aux visiteurs temporaires ou aux étudiants, la pratique varie. Je sais que c'est l'une des choses que le ministre Kenney examine dans le cadre de la réforme du système d'immigration.

Je regarde M. Fisher pour voir s'il peut me donner un chiffre, mais pour ces pays qui soulèvent quelques préoccupations, nous regardons tous les dossiers. Nous n'avons pas les ressources pour examiner chaque cas, et je ne crois pas, compte tenu des risques, que ce soit nécessaire d'examiner les dossiers de tous ceux qui viennent au Canada. Nous sommes donc relativement convaincus d'examiner les cas qui doivent l'être.

Je dois toutefois ajouter que l'une des difficultés auxquelles nous faisons face, c'est que nos opposants ne sont pas stupides. Ils n'enverront pas au Canada ou aux États-Unis des personnes qui sont fichées dans nos bases de données en tant que terroristes. Ils ont commencé à trouver des gens qui ont des dossiers vierges et ils ont réussi à les radicaliser. Leurs dossiers montrent qu'il s'agit de monsieur ou madame X, originaire de tel ou tel pays, qui a mené une vie tout à fait ordinaire. La seule façon de savoir par la suite qu'il y a un problème, c'est en les attrapant au Canada, une fois qu'ils sont rendus ici. C'est de plus en plus le cas. Je parle bien sûr des opposants; il y a évidemment beaucoup d'immigrants tout à fait légitimes. Peu importe, c'est très difficile d'attraper nos opposants.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Fadden, je voudrais revenir sur la portion de votre remarque introductive concernant le cyberespionnage.

Comme vous l'avez bien décrit, il s'agit là d'une menace qui, de plus en plus, vient hanter nos vies.

Ma première question touche les ressources que vous déployez. Vous dites dans votre rapport que le SCRS analyse les menaces nationales et internationales mettant en péril la sécurité nationale et mène des enquêtes à ce sujet.

Je serais intéressé de connaître les ressources que vous déployez pour vous assurer d'activer, d'instrumentaliser cette phrase que vous mettez dans votre rapport. Au niveau des ressources humaines, comment repérez-vous le personnel qui va vous aider à faire ce travail?

M. Fadden : C'est un peu difficile, sénateur, de répondre à votre question parce qu'on a un petit groupe « cyber » dont je vais vous parler dans une seconde. Mais plusieurs éléments du service passent une portion de leur temps sur le « cyber ».

On est divisé géographiquement. Si, par exemple, une direction générale s'occupant de cette portion du monde découvre qu'il y a un élément « cyber », elle va s'en occuper jusqu'à ce que le problème « cyber » devienne sérieux, et le dossier sera alors transféré au groupe « cyber » du service.

Il est un peu difficile de vous dire exactement le nombre d'années/personnes qui s'occupent du « cyber », parce qu'ils sont dispersés ici et là.

Le sénateur Nolin : Ce n'est pas tellement le nombre d'années/personnes que je voudrais savoir mais beaucoup plus la performance de ce groupe.

M. Fadden : Vous voulez savoir si on réussit ou non?

Le sénateur Nolin : Croyez-vous avoir les ressources suffisantes pour repêcher le personnel qui vous permette de remplir cette phase qui, selon moi, est très importante dans votre rapport?

M. Fadden : Excusez-moi, j'avais mal interprété votre question.

Je pense qu'en général, pour le moment, oui. Mais, honnêtement, pour les années à venir, je n'en suis pas persuadé.

Madame la présidente a mentionné plus tôt que, depuis quelques années, c'est surtout le contre-terrorisme qui nous a préoccupés. Au cours des 10 dernières années, beaucoup de nos ressources ont été réallouées au contre-terrorisme. On découvre maintenant qu'on a des problèmes avec le contre-espionnage — Delisle en est un exemple. Et on découvre de plus en plus qu'on a un problème avec le cyberespionnage.

Est-ce qu'aujourd'hui, j'ai suffisamment de ressources avec lesquelles je peux travailler? Je le pense. Mais si le cyberespionnage continue à se développer, je vais avoir de la difficulté à gérer l'allocation de nos ressources.

Est-ce qu'on a découvert toutes les sources de cyberespionnage? Je ne pourrais absolument pas le confirmer. Mais je pense que si mes homologues américain, britannique ou français étaient ici, ils vous diraient la même chose.

Je pense qu'il faut mentionner qu'au cours des deux ou trois dernières années, le gouvernement du Canada a fait d'immenses progrès pour protéger les ressources informatiques du gouvernement. C'est le mandat principal du Centre de la sécurité des télécommunications Canada. Je pense que les ressources allouées à cette tâche rendent notre travail plus facile.

Pour le moment, si j'avais une note à nous donner, ce serait peut-être un B, mais pas plus. Parce que les pays à travers le monde développent de plus en plus cette capacité, et on en découvre presque tous les jours.

Je dirais donc que pour le moment, la situation est sous contrôle, mais si elle continue à empirer, il deviendra difficile de réallouer les ressources.

Le sénateur Nolin : Ma deuxième question concerne les infrastructures stratégiques, pas celles du gouvernement, mais plutôt les entreprises privées ou les entreprises provinciales; je pense à Hydro-Québec, entre autres.

Croyez-vous que notre système de protection des infrastructures stratégiques est adéquat pour faire face aux cyberattaques?

M. Fadden : Je pense que cela varie par secteur. Cela fait plusieurs années que le secteur banquier est préoccupé par ce genre de question. Il est donc relativement bien placé. En ce qui concerne les secteurs gazier et pétrolier, ce n'est pas si mal.

Par contre, la situation n'est pas aussi bonne pour d'autres secteurs. Cela dépend beaucoup des secteurs. Le ministère de la Sécurité publique a le mandat principal de coordonner ce genre de situation. Je pense qu'on fait beaucoup de progrès grâce à la publicité. Il était parfois difficile de convaincre les gens que l'on avait un sérieux problème. Aujourd'hui, ça ne l'est plus autant.

Je dirais que l'on devra continuer à travailler en collaboration avec le secteur privé et les provinces. Mais en ce qui concerne les secteurs vraiment critiques, que ce soit au Canada seulement ou conjointement avec les États-Unis — parce qu'on partage beaucoup de ces institutions critiques avec les États-Unis —, cela s'en vient.

Est-ce que c'est la situation idéale? Encore une fois, j'aurais tort de dire que c'est le cas.

[Traduction]

Le sénateur Campbell : Une version censurée de l'étude du SCRS intitulée A Study of Radicalisation : The Making of Islamist Extremists in Canada Today a été publiée aujourd'hui en vertu d'une demande d'accès à l'information. J'ai trouvé le document très fascinant, même s'il s'agissait d'une version censurée.

Je partage les préoccupations de votre organisme, et celle des autres, au sujet de la radicalisation des Canadiens. Pouvez-vous nous parler des défis que doit relever votre organisation pour se rapprocher des communautés afin de faire obstacle à la radicalisation, si c'est là votre rôle, ou ce que nous essayons de faire pour contrer la radicalisation?

M. Fadden : Si vous me permettez d'emprunter un ton plus léger, je dirais que c'est un petit jeu qui se joue à deux. Le groupe avec lequel nous voulons entamer un dialogue doit être prêt à nous parler, et je crois qu'il est juste de dire que, dans notre vaste pays, la réceptivité à ce type de dialogue varie. Les groupes particuliers avec lesquels nous voulons nous entretenir font aussi une différence. Par exemple, à Toronto, notre bureau régional a mis sur pied un programme pour parler à beaucoup de monde, mais dans les plus petits centres, les gens sont, en général, plus réticents parce qu'ils ne connaissent pas aussi bien le programme.

Je dirais que ce programme de sensibilisation générale est coordonné par Sécurité publique Canada. Ce ministère fait certaines choses, la GRC fait certaines choses et nous en faisons un petit peu. Nous essayons de coordonner ce que nous faisons. Selon le groupe ethnique concerné et son histoire, si ces gens vivent au Canada depuis longtemps ou non... Beaucoup de ces personnes viennent de pays où les institutions comme la mienne s'emparaient des gens durant la nuit pour les jeter en prison ou les tuer. Nous devons gagner leur confiance. Et je tiens à le dire clairement : nous n'agissons pas ainsi.

La présidente : Je vous remercie de le préciser.

M. Fadden : Le sénateur souriait, et je voulais éviter tout malentendu. Toutefois, dans certains cas, c'est tout un défi de convaincre des groupes de personnes que ce qui s'est produit dans leur pays d'origine ne se fait pas ici. Cela étant dit, nous constatons que les échanges informels avec les gens donnent presque toujours de bons résultats.

Le sénateur Campbell : En janvier de cette année, le Canada a annoncé qu'il allait accepter 5 000 réfugiés iraniens et irakiens de plus qui se trouvent en Turquie. Avec les 12 000 qui sont déjà établis ici, il y en aura 20 000. Comprenez-moi bien : je suis tout à fait en faveur de l'immigration. C'est la façon dont nous prenons de l'expansion et ce que nous devons faire en tant que pays, et nous sommes tous, en fait, des immigrants. Dans le cadre de ces vérifications et des interactions que vous avez, j'en suis certain, avec d'autres organismes, peut-on intégrer un élément d'éducation à propos de cette radicalisation? Y a-t-il une façon de les informer que nous sommes au Canada ici et que les choses dont vous avez parlé, ces atrocités, ne se produisent pas ici, pour qu'ils comprennent mieux qui nous sommes au lieu de simplement savoir que le Canada est une terre d'asile sécuritaire sans comprendre vraiment ce qui se passe?

M. Fadden : Je ne suis pas certain que ce soit à nous de le faire. Je crois comprendre que Citoyenneté et Immigration Canada est responsable de cet aspect. Il a à la fois un programme d'établissement des immigrants et un programme de multiculturalisme, et l'un de ses principaux objectifs est de faire en sorte que les nouveaux arrivants comprennent ce qu'est le Canada, mais aussi ce que sont leurs obligations envers le Canada. Nous ne faisons pas ce genre d'activité, à moins de rencontrer un cas particulier dans le cadre d'un dialogue que nous aurions engagé. Cette responsabilité relèverait davantage de Citoyenneté et Immigration Canada.

Le sénateur Campbell : Toutefois, je me demande si ce n'est pas une occasion pour vous, à ce niveau même, d'agir non seulement en tant qu'organisme de sécurité, avec tout ce que cela comporte, mais aussi en tant qu'organisme gouvernemental que ces personnes craignent.

M. Fadden : Ce que vous dites est intéressant. Pour dire vrai, je n'y ai pas pensé de ce point de vue.

Le sénateur Campbell : Je ne dis pas que vous devriez avoir un rôle éducatif énorme. Je dis simplement qu'en cours de route, il s'agit de parler aux gens, de cibler certaines personnes et certains groupes en particulier.

Par exemple, nous avons le MEK, le Moudjahidin-e-Khalq, qui a maintenant été rayé de la liste, ce qui doit causer une certaine confusion parmi ces organismes. Une journée vous êtes un terroriste, et le jour suivant vous ne l'êtes plus. C'est à ce genre de groupes que je songeais.

M. Fadden : Non, je crois que si nous en avions l'occasion, nous le ferions, et je vais retenir votre suggestion.

La présidente : À ce sujet, il y avait un article intéressant l'autre jour sur la question du terrorisme qui prend racine ici — et certaines personnes en ont témoigné non seulement ici, mais aussi devant le comité sur l'antiterrorisme — et l'idée que ce qui incite un citoyen canadien, peu importe son origine ethnique, c'est peut-être une insatisfaction par rapport au système ou le fait de se rebeller contre l'Occident.

À l'heure actuelle, on semble croire que le terrorisme est inspiré par la colère, l'insatisfaction ou le manque d'accès à un système alors qu'en fait, ces personnes ne savent peut-être même pas qu'elles s'allient à un groupe terroriste. Il y a aussi un sentiment de supériorité. Le fait d'appartenir à un groupe particulier peut nous faire paraître très important. Devons-nous revoir notre façon de penser et notre définition de djihadiste ou de terroriste?

M. Fadden : C'est une très bonne question et si j'avais une très bonne réponse, je serais très riche. Il y a tout un éventail de gens, à partir de ceux qui veulent se donner de l'importance au sein de leur propre groupe jusqu'aux personnes motivées par un sentiment profond de devoir corriger des méfaits d'ordre religieux. Au milieu, où se situent la plupart des gens, il y a ceux qui ont le sentiment que le monde musulman est attaqué et que le Canada y contribue d'une façon quelconque.

Dans l'étude dont le sénateur a parlé, il y a un certain nombre de Canadiens qui vivent ici depuis deux ou trois générations et qui, à un moment donné, sont insatisfaits de quelque chose. Ils sont attirés par le pays d'origine où, d'une certaine façon, la vie était, je crois, un peu plus simple, en ce sens qu'il y avait plus de règles et de directives. Les musulmans qu'ils étaient se radicalisent, avant de devenir des musulmans extrémistes, puis ceux qui nous inquiètent, c'est-à-dire des musulmans extrémistes qui veulent commettre des actes de violence.

On en fait beaucoup la promotion sur Internet. Il y a une quantité de sites web qui font la promotion d'une action extrémiste violente contre l'Occident.

Il y a un autre aspect qui nous préoccupe. J'ai mentionné dans ma déclaration qu'un certain nombre de Canadiens allaient à l'étranger et revenaient ici. Ce sont les meilleures sources de recrutement pour quiconque se trouve au Canada. Les personnes qui ont passé deux ou trois ans à se battre en Somalie ou au Yémen et qui reviennent ici deviennent de véritables sources d'attraction pour leur communauté, si celle-ci a une telle inclination. Au contact de tels individus, une personne un peu désenchantée et portée à croire que l'Occident n'est pas très bon cherchera tôt ou tard à commettre des actes de violence.

Ce n'est particulièrement pas une bonne réponse, mais c'est la meilleure que je puisse vous donner.

La présidente : Nous avons tout simplement besoin de comprendre un peu plus exhaustivement cet enjeu, et de toute évidence, vous nous êtes très utile.

Le sénateur Day : Tout d'abord, je vous remercie, monsieur Fadden, de votre rapport et je vous en félicite. Nous avons tous eu l'occasion d'y jeter un coup d'œil, et nous pourrons, espérons-le, l'étudier un peu plus attentivement. C'est là un aspect important de l'ouverture et de la reddition des comptes dont le public a besoin de constater pour avoir confiance en nos diverses institutions.

Vous indiquez dans le rapport que le mandat du SCRS consiste à recueillir des données et du renseignement sur les menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada à l'échelle globale. La collecte de données à l'étranger passe principalement par le réseau international d'agents de liaison du SCRS.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces agents de liaison? Je suppose que ce sont des Canadiens, qui relèvent de vous mais qui travaillent dans un pays avec lequel vous avez conclu une entente. Sont-ils les seuls à collecter de l'information dans les autres pays pour votre compte? Comment cela fonctionne-t-il? Comment ces renseignements sont-ils transmis aux divers organismes canadiens qui en ont besoin?

M. Fadden : Je vais essayer de répondre à la question. Nous avons quelque 30 bureaux à l'étranger. C'est ainsi que nous les appelons. Elles sont intégrées aux missions canadiennes. La principale fonction des agents de liaison consiste à collaborer avec les différents organismes du renseignement et de sécurité dans les pays où ils sont affectés, mais également avec ceux des autres pays de la région. Pour diverses raisons, nous ne reconnaissons publiquement la présence d'agents de liaison qu'à Londres, Paris et Washington. Cependant, le modus operandi est presque toujours le même.

Les agents noueront des liens avec ces organismes. Nous leur transmettons des renseignements susceptibles de les intéresser, et ils nous rendent le même service. Ce qu'on nous transmet est acheminé au Canada. La Direction de l'évaluation du renseignement ou le Centre intégré d'évaluation du terrorisme, le CIET, analysent le tout et transmettent un rapport au gouvernement canadien. Parfois, on informe également les provinces ou le secteur privé après avoir pris les mesures pour la cote de sécurité.

Nous pouvons également recueillir de l'information grâce aux agents de liaison de plusieurs pays. Ceux-ci sont affectés à leurs ambassades ici à Ottawa et sont accrédités auprès du SCRS. Ils nous fournissent passablement d'informations. Je le répète, la direction et le centre doivent essentiellement analyser tous les renseignements recueillis et déterminer tout d'abord si une menace pèse sur la sécurité de notre pays et s'il faut prendre les mesures qui s'imposent. C'est la SCRS qui intervient ou encore la GRC et l'ASFC, notamment. La plupart des renseignements sont évalués et sont transmis aux différents organismes gouvernementaux.

Le sénateur Day : Qui procède à ces évaluations?

M. Fadden : La Direction de l'évaluation du renseignement.

Le sénateur Day : La direction relève-t-elle de vous?

M. Fadden : Oui.

Le sénateur Day : Mes deux questions portaient sur la façon dont fonctionnent les choses. Je voudrais maintenant aborder le Centre de sécurité des télécommunications du Canada et, en particulier, revenir sur les questions abordées par le sénateur Nolin au sujet du cyberespionnage. Je voudrais savoir comment vous collaborez avec ce centre, qui faisait autrefois partie de la Défense nationale ou qui était un organisme distinct relevant de ce ministère. Comment collaborez-vous avec le CSTC? Est-ce logique que ce centre ne soit pas rattaché au SCRS?

M. Fadden : Je pense que c'est logique dans un sens, sénateur. Le centre est axé sur les aspects très techniques. La technologie est omniprésente. Elle relève de la responsabilité du centre dont la principale responsabilité consiste à recueillir du renseignement à l'étranger, ce dont il s'acquitte à merveille. Il est également responsable de la sécurité des communications au Canada, la SECOM.

Le centre protège les renseignements du gouvernement canadien. Ce faisant, il décèle souvent les cyberattaques. En fonction de la nature et de l'origine de la cyberattaque, le CSTC nous transmet le dossier. En obtenant un mandat de la Cour fédérale, nous sommes en mesure de prendre la relève et d'essayer de déterminer le pays et la personne à l'origine de l'attaque. Le CSTC recourt davantage à la technologie pour identifier les auteurs et ensuite prendre les mesures afin d'assurer la protection de nos secrets.

Nous échangeons des agents. Le SCRS a des consoles d'ordinateur dans les locaux du CSTC, et l'inverse est vrai également. Nous échangeons beaucoup de renseignements pour nous assurer que les activités de l'un ne nuisent pas à celles de l'autre.

Le sénateur Day : Si vous craignez une cyberattaque, demanderiez-vous au centre de mener une enquête et de vous faire part des résultats?

M. Fadden : D'abord, nous dirions à nos collègues du centre : « Nous croyons qu'une cyberattaque est en cours. Essayez de la contrer. » Ensuite, en fonction de la nature de l'attaque, de son origine et de sa complexité technologique, nous nous consulterions pour déterminer qui interviendrait et dans quel but il le ferait.

La présidente : Nous avons entendu le témoignage des représentants du centre.

M. Fadden : J'espère que mes propos vont dans le même sens que les leurs.

La présidente : Je le crois.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Fadden, malgré la réponse que vous avez donnée à la question du sénateur Nolin, vous devez sûrement souffrir d'insomnie, ou je devrais peut-être dire que cette question y contribuera. Vos responsabilités sont lourdes. Estimez-vous que votre budget est suffisant pour vous permettre de mener à bien votre travail?

M. Fadden : Ce qui m'inquiète le plus, c'est ce que j'ignore. Je peux prendre des mesures ou demander à quelqu'un d'autre d'intervenir lorsque je sais ce qui se passe. Je pense que la plupart d'entre nous s'inquiètent de ce qu'ils ignorent.

Quelles que soient les ressources dont nous disposons, nous avons une capacité limitée de recueillir de l'information. Que se passerait-il si le gouvernement nous proposait une augmentation de notre budget de 10 p. 100? Je ne crois pas qu'il y ait un seul dirigeant qui refuserait une telle proposition. Je serais très heureux de l'accepter. Cependant, j'estime que les deux ou trois derniers budgets nous ont été passablement favorables. Nous avons obtenu des fonds supplémentaires il y a quelques années, ce qui nous a permis d'améliorer nos moyens technologiques.

Dans ma réponse à la question du sénateur Lang, j'ai indiqué que je ne m'inquiétais pas pour l'année en cours, parce que j'estime que nous avons les ressources nécessaires. Cependant, si les activités continuent de s'accroître dans le domaine du contre-espionnage et des cyberattaques, je vous dirai que j'ignore si, dans deux ans, je pourrais vous regarder droit dans les yeux et vous dire que nos ressources seront suffisantes.

Aujourd'hui, nous cherchons vraiment à obtenir des économies sur le plan administratif et sur la façon dont nous accomplissons notre travail. Je vous avouerai que, notamment, l'Australie, les États-Unis et l'Angleterre sont aux prises avec le même problème. Leurs gouvernements réduisent légèrement les fonds accordés en matière de sécurité nationale. Grosso modo, nous avons les ressources nécessaires aujourd'hui. Cependant, si les cyberattaques, entre autres, continuent de croître presque exponentiellement, j'ignore si je pourrais vous donner la même réponse dans deux, trois ou quatre ans.

Le sénateur Mitchell : Nous devrons en tenir compte. Merci.

Dans une certaine mesure, ma deuxième question s'inscrit dans la foulée de votre réponse. Les drones étant de plus en plus employés pour mener la guerre ainsi qu'assurer la défense et la sécurité, il est logique et probable que vous devrez exercer davantage de surveillance et obtenir davantage d'information, que vous devrez traiter par la suite. Qu'en pensez-vous? Vos ressources seront-elles davantage mises à contribution? Le cas échéant, à partir de quel moment vos ressources seront-elles mises à mal?

M. Fadden : Ça ne sera pas le cas. En règle générale, les drones sont utiles à l'extérieur des villes, en raison de leur nature. La plupart de nos activités — je ne dis nullement la totalité d'elles — ont lieu dans les villes, tant au Canada qu'à l'étranger. Les drones ne sont particulièrement pas utiles dans les villes. Je serai honnête avec vous : nous n'en possédons pas. Si nous en avions besoin, nous demanderions à un ou deux organismes canadiens qui en possèdent de nous donner un coup de main. À l'étranger, la situation est un peu plus compliquée. Parfois, on a passablement recours aux drones. Pour l'instant cependant, cela ne pose pas encore problème.

Le sénateur Mitchell : Très bien. Merci.

La présidente : Merci. Je vais poursuivre dans la foulée des questions du sénateur Mitchell. Lorsque vous parlez de la croissance exponentielle dans le domaine de la cybersécurité, avez-vous besoin de changer d'équipement et de recourir à de nouvelles technologies, ou vous faut-il simplement davantage de ressources humaines, compte tenu qu'un enfant de 12 ans peut mener une cyberattaque dans son sous-sol contre le ministère de la Défense?

M. Fadden : C'est davantage une question de chiffres, selon moi. Deux ou trois États affectent des milliers et des milliers d'employés à la cybersécurité. Leurs ressources semblent illimitées. De plus en plus, nos neveux et nos enfants se livrent aux mêmes activités. Le commissaire Paulson pourrait dire, je pense, qu'il a constaté une augmentation du cybercrime. Il faut plus d'employés. Cependant, si les représentants du CSTC étaient ici aujourd'hui, ils vous diraient que, dès qu'on règle un problème, quelqu'un trouve une échappatoire. C'est donc la combinaison des deux. Je ferais valoir que ce n'est pas un problème que les organismes de sécurité peuvent résoudre seuls. Ils ont besoin de la collaboration des ministères des Affaires étrangères pour que des normes internationales soient établies conformément au droit de la guerre d'auparavant. D'ici là, c'était simplement une question de chiffres. Plus vous subissez d'attaques, plus l'une d'entre elles risquera d'être fructueuse.

La présidente : Merci.

Le sénateur Manning : Je souhaite la bienvenue à nos invités. Je vais poursuivre dans la foulée des propos du sénateur Day. Dans votre rapport, vous indiquez que vous avez conclu 11 nouvelles ententes avec des pays étrangers, ce qui porte le total à environ 289. Et 41 sont inopérantes. Pour le Canada ou les autres pays, s'agit-il tout simplement d'une formalité? Ces organismes étrangers vous contactent-ils, ou vice versa? D'où émane la nécessité de conclure des ententes supplémentaires?

M. Fadden : C'est toujours fonction des circonstances. Cependant, il se produit parfois des événements dans certaines parties du monde sur lesquelles nous n'avons pas suffisamment de renseignements ou d'informations. Il arrive que nos alliés en aient suffisamment. Nous demandons alors à un collègue de les contacter pour leur demander s'ils sont prêts à faire un échange. En outre, les formalités que nous devons remplir sont assez compliquées, parce qu'il y a des règles régissant l'échange de renseignements avec les pays qui sont aux prises avec des problèmes en matière de droits de la personne. Certains d'entre eux n'ont tout simplement aucune crédibilité. Une liste de vérification a été établie en quelque sorte. Parfois, nous faisons les premiers pas. En d'autres occasions, un autre pays pourrait nous dire : « Nous avons établi depuis longtemps des liens avec trois ou quatre pays. Nous voulons diversifier nos relations. Le Canada serait-il intéressé? » C'est donc vraiment fonction des circonstances.

Le sénateur Manning : Je voudrais aborder un sujet complètement différent. Vous avez évoqué la possibilité d'une attaque terroriste. Je sais que, depuis les attentats du 11 septembre, nous sommes tous sur un pied d'alerte, et le Canada a été chanceux d'avoir pu contrer deux ou trois attaques grâce à votre intervention et aux renseignements que vous avez pu recueillir. Au cours des 5 à 10 dernières années, comment notre pays s'en est-il tiré face aux attaques terroristes? Quelle modification a-t-on apportée à ce chapitre?

M. Fadden : Je dirais que la menace a évolué, mais qu'elle n'a pas augmenté ni diminué. Il y a cinq ans, nous nous inquiétions moins du terrorisme intérieur. Comme vous l'avez signalé, quelques événements sont survenus. Cependant, nous surveillons aujourd'hui plusieurs personnes qui, selon nous, pourraient commettre des actes terroristes. Ce sont des terroristes étrangers — Al-Qaïda dans la région de l'Afghanistan et du Pakistan — qui ont dirigé les attentats du 11 septembre. Ce mouvement terroriste a été beaucoup affaibli. Par contre, les groupes affiliés — AQPA, AQMI et Al Chabab — sont beaucoup plus actifs qu'auparavant. Ces groupes commencent à communiquer entre eux beaucoup plus qu'auparavant. De plus, des Canadiens se sont joints à chacun d'entre eux. Certains de ces groupes ont indiqué que nous pourrions être une cible éventuelle — nous, c'est le Canada. C'est impossible à déterminer avec précision, mais je pense que la menace est à peu près la même qu'auparavant. Sa nature a évolué puisqu'elle est plus difficile à déceler. Les dirigeants d'Al-Qaïda disaient : « Nous voulons faire un coup d'éclat comme pour les attentats du 11 septembre. » Par la suite, ils ont changé leur fusil d'épaule à la suite des diverses opérations menées contre eux. Ils ont confié à des groupes affiliés la tâche de mener des attaques dans les pays où ils se trouvent. » Récemment, des représentants d'Al-Qaïda ont indiqué que ces groupes affiliés peuvent causer autant de dégâts. Je suis convaincu que vous êtes au courant du magazine Inspire d'Al-Qaïda. Ce magazine n'est plus publié, pas régulièrement du moins. Dans un ou deux numéros, on a fait valoir qu'un groupe djihadiste peut, dans n'importe quel pays, faire autant pour la cause en menant des attaques avec le matériel dont il dispose que s'il portait un coup d'éclat. Ces attaques sont plus difficiles à détecter. Ces groupes sont plus difficiles à détecter et ils ont réussi dans divers pays à mener des attaques terroristes fructueuses.

Je ne suis peut-être pas très éloquent, mais voici où je veux en venir : l'environnement a changé. La raison d'être fondamentale du terrorisme n'a pas changé, selon moi. Comme je l'ai indiqué à la présidente, il y a ce sentiment inné que le monde islamique est menacé. Comme ces pays sont en proie à plus de perturbations, notre tâche est un peu plus difficile. Par contre, nous avons la chance qu'il y a un manque de coordination entre ces mouvements. Selon moi — et nos alliés seraient d'accord avec moi —, il est légèrement plus difficile qu'auparavant de détecter ces groupes, mais ceux-ci n'envisagent pas autant qu'avant de mener des coups d'éclat.

La présidente : Merci. Il ne reste que quelques minutes à notre séance, et je sais que le sénateur Dallaire souhaite intervenir. Je voudrais auparavant vous poser une question auparavant, et vous déciderez comment y répondre. Ma question évoque la controverse sur le film Opération avant l'aube. Vous avez décapité ces organisations et vous avez axé tous les efforts que vous avez consacrés à la traque de ben Laden pour vous attaquer à des organisations dont la structure est passablement floue. En outre, vous avez dû composer avec des restrictions budgétaires, dont certaines pourraient être dramatiques si les États-Unis poursuivent les mesures de séquestration. M. Panetta, secrétaire à la Défense, plaide en faveur du contraire. Avons-nous mis l'accent sur les bonnes priorités? Utilisons-nous notre argent judicieusement à ce chapitre?

M. Fadden : Dans une très grande mesure, il s'agit d'utiliser les moyens à votre disposition si vous estimez qu'il y a vraiment une menace qui pèse contre vous. La plupart des organismes avec lesquels nous collaborons régulièrement préfèrent agir en douce, c'est-à-dire qu'ils vont trouver le coupable, se rendre dans son pays pour l'arrêter et l'extrader pour le mettre en accusation. Les États-Unis sont dans une position différente, étant donné qu'ils constituent la principale cible de toutes ces attaques. Leur situation est particulière.

La capture et l'élimination de ben Laden constituait, selon moi, un symbole qui a vraiment motivé beaucoup de gens. Je peux donc comprendre pourquoi les États-Unis ont choisi cette voie. Dans le domaine du terrorisme, la perception et la réalité se confondent avec le temps, ce qui peut devenir vraiment déconcertant, particulièrement sur l'Internet. Je suis conscient que je ne réponds pas directement à votre question. C'est presque impossible de le faire, selon moi. Comme les autres protagonistes dans ce domaine, nous examinons à intervalles réguliers les mesures que nous avons prises pour chercher des moyens de nous améliorer. Prenez l'exemple de la Syrie. Al-Nusra et Al-Qaïda affrontent le régime Assad. Quelle position adoptons-nous par rapport à ce pays? Le gouvernement a bel et bien précisé que ce n'est pas une façon acceptable de faire les choses. Comme on l'a signalé, M. Panetta voulait approvisionner l'opposition syrienne, mais le président s'y est opposé. Je voudrais simplement faire valoir que les choses sont très complexes, et je pense qu'on utilise légalement les moyens qu'on estime efficaces.

La présidente : Très bien. Merci. Sénateur Dallaire? Une dernière brève question?

Le sénateur Dallaire : Si je peux me permettre, nous avez-vous transmis ou pourriez nous transmettre vos règles d'engagement portant sur la torture et définies par les Nations Unies et les autres organismes internationaux?

M. Fadden : Volontiers. Premièrement, je voudrais signaler que nous n'encouragerons jamais la torture, peu importe sa forme. Nous utiliserons les renseignements susceptibles d'avoir été obtenus grâce à la torture, si nous estimons qu'ils sont essentiels pour sauver la vie de Canadiens. C'est le seul critère.

Nous avons une directive opérationnelle qui expose les différents critères à respecter. Je serais heureux de la transmettre à votre greffière.

Le sénateur Dallaire : Vous pourriez le faire? Merci. Nous vous en sommes reconnaissants.

M. Fadden : Madame la présidente, pourrais-je corriger ce que j'ai dit un peu plus tôt?

La présidente : Je vous en prie.

M. Fadden : Quelques questions ont porté sur la catégorie d'immigrants sur lesquels nous faisons des vérifications. Il y a plusieurs catégories à l'heure actuelle. De plus, des modifications ont été apportées récemment. Seriez-vous d'accord pour que je fasse parvenir à la greffière les renseignements exacts sur les pourcentages, notamment.

La présidente : Voulez-vous nous les donner de vive voix?

M. Fadden : Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je préférerais le faire par écrit.

La présidente : C'est parfait. Le procès-verbal en tiendra compte. Je vous remercie de votre présence parmi nous. C'est une question épineuse si je me fie aux entretiens que j'ai eus avec certains de vos collègues. D'après moi, vous essayez de lever le voile sur la situation, et nous vous sommes reconnaissants d'être venus nous éclairer sur ce point.

M. Fadden : Je vous en prie.

La présidente : Messieurs Richard Fadden, directeur du CSRS, et Adam Fisher, directeur général de Politique stratégique et Relations étrangères au CSRS, je vous remercie. Nous attendons avec impatience les précisions que vous nous transmettrez ultérieurement.

Nous allons maintenant tenir une séance à huis clos pour examiner nos travaux à venir.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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