Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 15 - Témoignages du 6 février 2013


OTTAWA, le mercredi 6 février 2013

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour étudier les nouveaux enjeux qui sont ceux du secteur canadien du transport aérien.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Ce soir, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications termine son étude sur le secteur du transport aérien et devrait déposer un rapport final au début du mois de mars.

[Français]

Ce soir, nous avons le plaisir de recevoir M. Éric Lippé, président-directeur général de l'Association québécoise du transport aérien.

Soyez le bienvenu, monsieur Lippé. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir discuter avec nous. Nous allons écouter votre présentation et la période de questions suivra.

Éric Lippé, président-directeur général, Association québécoise du transport aérien : L'Association québécoise du transport aérien regroupe tous les principaux intervenants de l'industrie du transport aérien au Québec, soit les transporteurs aériens — avion et hélicoptère —, les écoles de pilotage, les aéroports, les entreprises de maintenance et de certification et les fournisseurs de produits et services liés à l'aviation. Nous avons 150 membres et nous nous dévouons depuis plus de 35 ans à protéger leurs intérêts et à favoriser le développement de l'aviation québécoise.

[Traduction]

Le 1er novembre 2012, l'aéroport de Québec, l'ADQ, a avisé ses locataires de l'imposition d'une nouvelle structure de frais aéroportuaires visant, entre autres, nos membres transporteurs, qui sont des exploitants d'avions et d'hélicoptères, et les écoles de pilotage. La nouvelle tarification est entrée en vigueur le 1er janvier 2013.

La grande majorité de nos membres ne sont pas des transporteurs transfrontaliers ou internationaux. Ils exploitent des aéronefs d'une capacité n'excédant pas 115 sièges. Parfois, il s'agit même d'appareils comptant aussi peu que neuf sièges. Leurs activités se concentrent dans le domaine du transport régional. Ils offrent des vols au Québec, en Ontario, dans les Maritimes et parfois dans l'Ouest, et ils exploitent aussi des aéronefs dans le cadre d'une utilisation autre que le transport de passagers. Ils mènent leurs activités depuis l'aéroport de Québec depuis 50 ans, y paient des loyers, des redevances à NAV CANADA et déboursent déjà des frais d'atterrissage parmi les plus élevés au Canada.

Parmi les nouveaux frais exigés par l'ADQ, les frais d'aviation générale, les FAG, sont ceux qui ont sans contredit créé le plus d'objections parmi nos membres. Les FAG s'appliquent à tous les passagers prenant un aéronef à l'ADQ, pourvu que l'appareil compte au minimum quatre passagers. Ces frais sont de 27 $ par passager, que le transporteur utilise ou non l'aérogare principale, là où ont lieu la plupart des activités aéroportuaires.

Nos membres sont principalement des exploitants de services aéronautiques d'aéroport. Ce sont eux qui exploitent presque tous les vols régionaux. Avant le 1er janvier 2013, les passagers qui faisaient affaire avec ces exploitants plutôt qu'avec les transporteurs qui utilisent l'aérogare principale n'étaient pas assujettis à de tels frais. Nous sommes donc passés directement de zéro à 27 $.

Les FAG sont maintenant identiques aux frais d'amélioration aéroportuaires facturés aux passagers utilisant l'aérogare et toutes ses installations.

[Français]

L'imposition des frais d'aviation générale s'est effectuée à deux mois d'avis sans consulter les opérateurs de l'aéroport et sans mesurer les conséquences sur ceux-ci. L'impact annuel de ces frais pour notre industrie a été chiffré à trois millions de dollars. Cette somme ne pourra pas être assumée par les transporteurs et devra encore être refilée aux consommateurs.

Les prix du transport aérien québécois sont déjà très élevés et l'ajout de tels frais fragilise notre industrie.

Depuis l'annonce de la tarification, l'aéroport de Québec a toujours refusé de négocier avec les parties prenantes et de revoir cette tarification excessive.

[Traduction]

L'administration aéroportuaire appuie sa décision de facturer les FAG sur un principe d'équité devant exister entre les différents utilisateurs de l'aéroport. Les grands transporteurs seraient, semble-t-il, lésés par cet avantage concurrentiel accordé aux exploitants de services aéronautiques d'aéroport. En réalité, la recherche de l'équité ne réussit qu'à établir un système d'égalité.

Les passagers qui utilisent l'aérogare paient également 27 $, ce qui est injuste parce que les transporteurs régionaux n'utilisent pas l'aérogare ni ses installations. J'en conclus que les FAG sont une copie boiteuse des frais d'amélioration aéroportuaires. Il existe toutefois des différences entre les deux.

Les frais d'amélioration aéroportuaires sont régis par une entente conclue entre les aéroports et les transporteurs. Cette entente leur donne une certaine latitude et comporte des obligations contractuelles à respecter. Les nouveaux FAG imposés par l'aéroport de Québec ne sont assujettis à aucune entente qui impose des limites. Nous ne disposons d'aucun moyen de contester ces nouveaux frais ni la façon dont ils seront imposés aux passagers. Il n'y a aucune ligne directrice, tout est complètement arbitraire.

[Français]

La prédominance du transport régional et la présence de nombreuses écoles de formation, avions et hélicoptères, donnent à nos transporteurs la majorité des mouvements d'aéronefs répertoriés à Québec. Étant donné la structure de tarification des frais d'atterrissage préconisée par l'OACI, soit selon le poids, et la petite taille des aéronefs utilisés par nos transporteurs, ils contribuent beaucoup moins en termes de frais d'atterrissage. Encore une fois, l'aéroport de Québec clame une injustice qu'elle tente de remédier avec les frais d'aviation générale.

L'OACI prévoit pourtant très bien que les frais d'atterrissage doivent servir à payer le coût des pistes, des lumières, des voies d'accès et les services d'urgence. L'aéroport a prétendu à maintes reprises, en parlant des frais d'aviation générale, qu'ils devaient servir justement à payer ces installations. À quoi doivent donc servir les frais d'aviation générale? Malgré les prétentions de l'aéroport, nous sommes convaincus que seul le terminal principal bénéficiera de ces recettes et que mon industrie n'en recevra aucun avantage.

[Traduction]

L'administration aéroportuaire a surpris notre industrie lorsqu'elle a annoncé la mise en vigueur des FAG. Aucune consultation au préalable n'a été entreprise et aucune étude de l'impact économique n'a été réalisée. Bien des entreprises de l'industrie ont interprété cette tarification comme un avis d'éviction en bonne et due forme.

Malgré nos revendications et notre volonté de discuter et de négocier, l'aéroport maintient sa position.

Nous ne remettons pas en doute le modèle de gouvernance des aéroports canadiens. Plusieurs études ont démontré les avantages d'une administration privée. Nous critiquons ouvertement toutefois l'inexistence de mécanismes de vérification et de contrôle de la gestion des entités portuaires.

Nous ne devons jamais oublier que ces organismes gèrent des infrastructures publiques pour le bien commun de tous les Canadiens. Les membres de l'AQTA qui exercent leurs activités à l'ADQ ne bénéficient d'aucun autre aéroport pouvant les accueillir. Pourquoi devraient-ils partir quand ils y sont installés depuis près d'un demi-siècle?

L'ADQ exerce une position dominante étant donné l'absence de concurrence et d'options de rechange valables. Malgré de nombreuses revendications auprès des autorités fédérale, provinciale et municipale, aucune d'entre elles ne peut mettre fin à cette grave injustice étant donné l'absence de mécanismes de contrôle des décisions de l'autorité aéroportuaire. Devant cette incapacité de réagir, certains membres ont jugé bon de soumettre le litige aux tribunaux.

[Français]

L'aviation procure un lien essentiel et vital pour tous les Canadiens et Canadiennes. Ce lien, qui a pourtant bâti notre grande nation, se voit graduellement expulsé de nos aéroports pour des activités plus séduisantes. Les transporteurs régionaux, les écoles de pilotage et l'aviation générale sont la pierre angulaire sur laquelle notre réseau d'aviation national et international se bâtit.

[Traduction]

Nous sommes d'avis qu'un mécanisme semblable à celui proposé dans le projet de loi C-20 en 2007 doit être mis en vigueur afin de protéger l'industrie du transport régional canadien. Les honorables membres du comité doivent comprendre que nous ne parlons pas ici de voyages tout inclus vers les destinations soleil, de séjours culturels en Europe ou de périples aventuriers au Népal ou en Afrique. Notre industrie est au service des citoyens canadiens qui retournent voir leurs parents dans leur ville natale, des patients devant subir des examens ou chirurgies dans les grands centres urbains, des gens d'affaires voulant lancer des projets d'envergure, des techniciens se rendant à une tour de communications afin de la réparer et des ouvriers de villages se rendant vers leur lieu de travail. Certaines localités du Canada sont accessibles uniquement par avion. Voilà ce qu'est l'aviation canadienne, et c'est pour vous en parler que je suis ici ce soir.

Tout cela étant dit, l'AQTA formule les recommandations suivantes :

[Français]

Il faudrait revoir la Loi sur les aéroports afin d'y inclure un mécanisme de consultation et d'appel de toute condition par une administration aéroportuaire menant à l'imposition ou à la hausse des frais aéroportuaires. Il faudrait prévoir la création d'un poste d'ombudsman de l'aviation dont le mandat serait d'appliquer la loi et intervenir lorsque la situation le requerra. Il faudrait reconnaître l'importance de l'aviation régionale canadienne pour tous les citoyens et citoyennes. Il faudrait établir une politique nationale de l'aviation visant à favoriser le développement de toute l'industrie canadienne.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Je vous remercie beaucoup pour votre exposé. Vous nous présentez des problèmes dont nous n'avions pas encore discuté. La mesure dont vous nous parlez est entrée en vigueur le 1er janvier dernier.

J'ai pris en note ce commentaire que vous avez formulé, c'est-à-dire : « Bien des entreprises de l'industrie ont interprété ces tarifications comme un avis d'éviction en bonne et due forme. » Je me demande où elles pourraient aller. J'imagine que l'aéroport de Trois-Rivières/Shawinigan est trop éloigné. Aucun aéroport n'est plus près en allant vers l'est. C'est donc dire qu'entre Québec et Montréal, l'aéroport de Trois-Rivières est le plus important, mais il demeure trop éloigné.

Cela m'étonne beaucoup que l'aéroport ait imposé ces frais sans consultation préalable. Est-ce devenu un enjeu public? Tout est public ici; la séance est télédiffusée. Est-ce devenu un enjeu public dans la région de Québec?

M. Lippé : Tout à fait. Des représentants de l'AQTA ont rencontré de nombreux dirigeants provinciaux et municipaux et ils ont essayé de leur faire comprendre qu'il s'agit d'un problème sérieux pour l'aéroport. Dans n'importe quelle ville, l'aéroport appartient à la collectivité.

Nous comprenons que l'administration aéroportuaire doit prendre des décisions. Par contre, de son côté, elle doit comprendre que ses décisions auront une incidence sur la région. Un aéroport n'appartient pas véritablement à l'administration aéroportuaire; il appartient à la population. Depuis le 1er novembre, lorsque nous avons appris que ces frais allaient être imposés, nous essayons de faire comprendre à tout le monde qu'il s'agit d'un problème très sérieux.

Vous parliez d'utiliser un autre aéroport. La plupart des vols à destination de localités situées au nord de Québec partent de l'aéroport de Québec. C'est une importante plaque tournante pour les vols à destination du Nord canadien. Cela ne touchera pas Montréal, car il n'y a pas de problèmes là-bas. Cependant, quiconque doit se rendre plus au nord, comme à Rouyn-Noranda, à Wabush, à Amos ou à Sept-Îles, doit généralement utiliser l'aéroport de Québec.

Le sénateur Mercer : Je suis heureux que vous vous soyez arrêté là. Parlons de ces municipalités et de ces villes auxquelles vous offrez un service essentiel, car la plupart d'entre elles sont isolées et il est difficile de s'y rendre. Avez- vous été en mesure de les amener à s'adresser au gouvernement provincial et à la ville de Québec, à faire en sorte qu'elles fassent pression sur eux pour qu'à leur tour ils fassent pression sur l'administration aéroportuaire?

M. Lippé : Nous avons très clairement expliqué au gouvernement provincial que ces frais auront surtout une incidence sur les municipalités du nord du Québec qui utilisent l'aéroport de Québec comme plaque tournante. Le gouvernement est au courant. Nous n'avons pas eu suffisamment de temps pour rencontrer tous les maires de ces municipalités, mais je peux vous dire qu'ils savent que ces frais seront facturés aux gens qui retournent chez eux et à ceux qui doivent se rendre à Québec pour des examens médicaux.

Certains transporteurs m'ont expliqué que des hôpitaux de l'est de la province dont les patients utilisent l'aéroport de Québec craignent beaucoup de ne pas être en mesure de payer les 27 $ lorsque le patient devra retourner chez lui. Que pouvons-nous faire? Nous essayons de faire comprendre à l'aéroport de Québec que cette mesure aura une incidence non seulement sur la ville de Québec, mais aussi sur toute la province.

Le sénateur Mercer : Si la ville n'écoute pas, il faudra alors que ces municipalités exercent des pressions. Il faut aussi amener les médecins et les dirigeants d'hôpitaux et de cliniques de partout dans la province à se faire entendre. Ce n'est pas seulement une décision d'affaires. Il est question de services très importants pour la population et qui, dans bien des cas, sont essentiels pour des raisons médicales.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Votre mémoire est très intéressant. J'aimerais que vous nous parliez de l'impact de l'absence de mécanismes de contrôle, point qui semble important dans votre mémoire en premier avant de parler un peu plus de la commercialisation des aéroports à l'étranger. J'en profite pour vous remercier de vos recommandations qui nous aident beaucoup à avancer dans le débat.

M. Lippé : J'ai étudié en profondeur les modèles de gouvernance disponibles pour les aéroports. Effectivement, j'arrive à la même conclusion que votre comité, soit que le modèle privé tel qu'on le retrouve actuellement au Canada est bon et qu'il peut bien réagir. Toutefois, étant donné le pouvoir économique important que les aéroports ont sur leurs locataires, qui, dans certaines circonstances ont dû payer entre deux et trois fois plus cher les loyers des dernières années — les augmentations étant énormes —, il y a lieu de se poser des questions. L'industrie a besoin de trouver une façon d'en appeler des décisions ou au moins d'être consultée.

Il est clair que si l'administration de l'aéroport de Québec avait pris le temps de nous parler, ils auraient su, et nous le leur avons toujours dit, que notre but n'était pas de toujours, systématiquement, dire non. Nous voulons travailler avec eux. Nous savons pertinemment qu'un aéroport est très dispendieux à gérer, qu'il y a plusieurs choses à payer. Nous voulons être des partenaires d'affaires. Malheureusement, cette vision ne semble pas être partagée par l'administration de l'aéroport de Québec qui a maintenu sa position comme étant juste. Devant ce fait, nous ne voyons aucune autre possibilité.

J'ai parlé aux autorités fédérales, municipales et provinciales, du moins pour les sensibiliser à cette question de l'importance de l'aéroport pour leur région, mais il semble qu'il n'y ait aucun mécanisme officiel pour changer cette position. Compte tenu de cela, certains de nos membres ont entamé des recours devant les tribunaux — ce que je reproche, car notre industrie n'est pas très riche. Notre industrie s'occupe de transport régional, alors les fonds dépensés pour cette requête représentent des coûts importants pour l'industrie.

Le sénateur Boisvenu : Vous parlez de la vision unilatérale de l'administration de l'aéroport de Québec dans le sens où elle prend des décisions sans consulter; est-ce la même chose pour les autres aéroports dans les territoires que vous desservez? Vous parliez d'autres provinces tels le Nouveau-Brunswick et l'Ontario également.

M. Lippé : L'aéroport de Québec est l'exemple le plus flagrant, mais je dois admettre que la plupart des aéroports québécois — je ne veux pas tous les mettre dans la même catégorie — sont très respectueux des usagers, des transporteurs ou des locataires. Ils reconnaissent très bien que s'ils continuent d'augmenter les frais de cette façon, ils sont en train d'étrangler la poule aux œufs d'or. Les transporteurs ne voudront plus se rendre dans leurs aéroports ou les passagers ne voudront plus payer ce prix.

Il faut comprendre que ce sont toujours les passagers qui finiront par assumer ces frais. Même si le transporteur peut facilement refiler ces frais sur une autre facture, on sait très bien quel impact cela aura.

Non, je ne veux pas généraliser sur l'ensemble des aéroports.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous êtes affecté par la migration des voyageurs vers les États-Unis?

M. Lippé : L'aéroport de Québec, étant donné sa distance, se trouve plus isolé que les autres aéroports canadiens. Toutefois, les gens, pour épargner de bonnes sommes d'argent, 300 ou 400 $, sont peut-être prêts à faire trois ou quatre heures de route en voiture. Les Québécois sont de grands routiers. Ils aiment beaucoup faire de la route. L'emplacement de l'aéroport de Québec fait qu'il est moins affecté que d'autres aéroports comme ceux de Windsor ou de Montréal.

Le sénateur Boisvenu : Vos membres gèrent des flottes relativement petites. Il en coûte combien en moyenne à vos membres pour un décollage et un atterrissage?

M. Lippé : Les frais d'atterrissage sont basés sur le poids. J'ai une liste complète illustrant ces coûts.

Le sénateur Boisvenu : Prenons l'exemple de Propair, en Abitibi, un de vos membres, combien leur en coûte-t-il en frais d'atterrissage pour le transport de 12 passagers?

M. Lippé : Je crois que ce n'est pas plus de 100 $. Comme il est écrit dans mon rapport, on ne se compare pas avec un 747 ou un Airbus 380. Nos appareils transportent 12 ou 14 passagers qui doivent partager ces frais entre eux plutôt. Ce qui est plus onéreux que s'il était réparti entre 300 ou 350 passagers.

C'est la réalité du transport régional. Nos avions sont plus petits et donc la répartition des coûts a plus d'impact.

Le sénateur Boisvenu : La marge de profit se situe à quelle hauteur dans votre industrie?

M. Lippé : Pas plus de 1 p. 100, pas plus que les grands transporteurs internationaux.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Je dois vous dire honnêtement que tout ce que vous nous dites est très déprimant.

M. Lippé : Je ne voulais pas vous déprimer.

La sénatrice Unger : Nous avons déjà entendu parler des administrations aéroportuaires. Je sais qu'entre autres votre association soutient ses membres lors de négociations avec des organismes gouvernementaux comme Transports Canada, l'Office des transports du Canada et Transports Québec. Je présume que vous vous êtes adressé à maintes reprises à tous ces organismes, mais qu'ils ne vous ont pas écouté?

M. Lippé : Je ne dirais pas qu'ils ne nous ont pas écoutés. Il est vrai que nous nous sommes adressés à eux, mais ils nous ont tous répondu que cela ne relève pas de leur compétence.

Je peux accepter une telle réponse de la part d'un gouvernement provincial ou d'une administration municipale, mais j'ai de la difficulté à l'accepter de la part du gouvernement fédéral étant donné que l'aéroport de Québec compte parmi les 26 principaux aéroports canadiens. Le gouvernement fédéral est toujours propriétaire du terrain et il reçoit un loyer versé par l'aéroport de Québec, et pourtant, il ne semble pas être en mesure d'agir. C'est essentiellement la réponse qu'on nous a donnée.

La sénatrice Unger : Vous avez plaidé en faveur du système de gestion de la sécurité mis en place par le gouvernement du Canada. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Lippé : J'approuve ce système. Je travaille encore avec Transports Canada. Les transporteurs membres de l'AQTA ne sont toujours pas assujettis à une loi concernant le SGS. Il faut savoir que le SGS a été mis en place pour les aéroports. Il vise les transporteurs 705, c'est-à-dire les gros transporteurs internationaux.

Le SGS n'a toujours pas été rendu obligatoire pour nos transporteurs, mais en tant que président de l'association, je souhaite vivement que le système s'applique aussi à nos membres, et pour ce faire, j'ai besoin de l'aide du gouvernement fédéral. Nos entreprises sont petites. Souvent, le pilote est aussi le propriétaire, l'exploitant et le comptable. Certaines sont par contre plus grandes, mais j'estime que de demander à une personne ou à un effectif de moins de 15 personnes de faire tout cela est très coûteux en temps et en argent.

Les membres de l'association et moi-même estimons que le SGS est une bonne chose. La sécurité commence par nos membres, et nous savons que Transports Canada doit exercer son rôle de réglementation. Il doit effectuer des vérifications pour s'assurer que nos transporteurs sont sécuritaires, mais, au quotidien, les transporteurs sont les seuls à veiller à la sécurité; ils doivent s'en occuper eux-mêmes et disposer des systèmes nécessaires.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Lippé, je suis natif de la Côte-Nord. J'y ai passé presque 55 ans de ma vie et, sur ce, au moins cinq ans dans des petits avions.

Une chose m'intrigue. Il y a 20 ans, les transporteurs en provenance de Québec, Montréal, Baie-Comeau, Sept-Îles, Schefferville, Fermont et Gagnonville qui venaient sur la Côte-Nord étaient des transporteurs d'environ 90, 100 passagers. Rappelez-vous de Quebecair et des Fokker. Il y avait un marché pour les petits avions de huit, 10 passagers également. Pensons à Air Satellite, Northern Wings, Gulf Air et toutes ces petites compagnies.

Aujourd'hui, il y a énormément plus de trafic; Baie Comeau, Sept-Îles, Havre-Saint-Pierre, Mingan, Schefferville et Fermont et les avions sont de plus en plus petits. Je pense à Air Canada Jazz, qui, à mon avis, est plus du style d'une oie que d'un transporteur. On ne sait jamais si on va se rendre et si on vient à bout de se rendre, on ne sait pas quand on va revenir. J'en fais l'expérience assez souvent.

Cela m'intrigue. Je regarde les travailleurs de Fermont qui partent de Québec le dimanche soir ou le lundi matin. On sait que les minières un moment donné leur donnent une petite pause. Je les vois toujours partir dans de petits transporteurs. Je n'ai rien contre, mais je ne comprends pas que même Air Canada Jazz, qui a le marché du transport ouvert a diminué ses avions alors que les autres petits transporteurs ont gardé à peu près le même calibre. Le marché est plus grand en passagers et les avions sont de plus en plus petits. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.

M. Lippé : C'est effectivement une question extrêmement complexe. Le choix d'un appareil spécifique pour des besoins spécifiques, il y a des gens beaucoup plus intelligents que moi qui passent leur journée à déterminer quel est le meilleur appareil pour le travail à faire. Je ne peux pas parler pour Air Canada. Ils ont des décisions d'affaires à prendre et c'est une entreprise comme n'importe quelle autre entreprise qui fait partie de mon association aussi.

Il est certain que lorsqu'un appareil décolle et que la moitié des sièges sont vides, le transporteur ne fera pas cette desserte très longtemps. Lorsqu'un avion décolle et que la moitié des sièges sont vides, comparez cela à un entreprise qui fabrique des vélos et qu'à la fin d'une journée de production, tous les vélos non vendus sont jetés aux poubelles. En aviation, comme en hôtellerie d'ailleurs, c'est le même principe. Les transporteurs vont toujours essayer de regarder la demande du marché et de jumeler cela avec le type d'appareil. Un de nos transporteurs a acheté de plus gros appareils, des ATA 42. Ce ne sont pas des Boeings encore, mais il y a une tendance pour des appareils plus gros, donc la demande est là. Évidemment, un transporteur sera mieux d'avoir plus de passagers dans un avion que de répartir deux ou trois avions séparément pour le même trajet.

Le sénateur Maltais : Je veux en revenir à des petits transporteurs. Il y a quelques années, cela se faisait plus régulièrement, dans le temps où je vivais à Baie-Comeau. Il était possible de faire Baie-Comeau, Rimouski, Matane, Gaspé et revenir à Baie-Comeau par de petits transporteurs de huit ou 10 passagers. Aujourd'hui ce n'est plus possible. Pourtant, il y a une clientèle, il y a des travailleurs des deux côtés. Lorsque je retourne sur la Côte-Nord, on nous dit souvent que c'est dommage, Air Canada Jazz ne fait plus cela. Alors que la majorité des petites entreprises d'aviation sont basées à Québec. Je me rappelle qu'Air satellite faisait deux allers-retours par jour et ils ne sont pas morts de faim. Je ne sais pas pourquoi cela ne peut plus se faire.

M. Lippé : Un transporteur ne va jamais abandonner une desserte profitable. C'est comme cela qu'ils font des sous. Plusieurs des compagnies que vous avez mentionnées n'existent plus aujourd'hui. Malheureusement, ils ont peut-être tenté des dessertes non profitables ou tenté trop longtemps de garder une desserte active lorsque les avions n'étaient pas à pleine capacité. Lorsqu'on s'étire de cette façon trop longtemps, il devient difficile de garder ses marges de profit.

Beaucoup d'entreprises dans l'industrie tentent des expériences. Elles essaient de faire des dessertes régulières. Ce n'est pas très facile parce que le transport nordique au Québec est extrêmement dispendieux. Lorsqu'on peut aller dans le Nord québécois pour le même prix qu'un tout inclus dans le Sud incluant l'avion, on comprend pourquoi, même si les gens sont déçus de ne plus avoir le service, et certains sont capables de le payer, ce n'est pas facile à vendre.

L'aviation repose sur un équilibre entre la capacité des transporteurs à prendre les passagers, la demande des passagers et leur capacité à payer. C'est pour cette raison qu'on s'interroge sur l'aéroport de Québec parce que tout ce qu'on a fait c'est d'augmenter les coûts. Les passagers devront prendre une décision s'ils vont continuer à utiliser nos services. Évidemment, on veut pouvoir contrôler et expliquer à l'aéroport de Québec que toute augmentation dans les frais va nous affecter négativement.

Le sénateur Maltais : L'aéroport de Québec a une qualité, elle n'a qu'un seul petit restaurant et c'est un Tim Hortons!

Le président : Ce n'est pas vraiment pertinent.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Je viens de Regina, alors je ne connais pas très bien votre aéroport. À Regina, de petits transporteurs peuvent nous amener à Saskatoon, mais il y a très peu de vols. Je pense qu'il y a un vol le matin — et l'appareil peut peut-être transporter une douzaine de personnes, tout au plus — et un vol en soirée. Ce sont surtout des gens d'affaires qui utilisent ces vols.

Quant aux passagers, vous avez expliqué que ce sont des gens qui prennent ces vols pour des raisons médicales, mais est-ce que la plupart des passagers sont des travailleurs qui se rendent dans ces municipalités que je ne connais pas?

M. Lippé : Il y en a beaucoup. Au Québec, il y a bien entendu le Plan Nord, qui vise à développer l'industrie minière. Beaucoup de travailleurs de cette industrie et des gens d'affaires se rendent dans cette région. Ils font partie de ces passagers, en effet.

La sénatrice Merchant : Est-ce qu'ils reviennent le même jour ou est-ce qu'ils restent là-bas pendant une semaine?

M. Lippé : Non, habituellement ils y restent pendant quelques semaines, et ensuite, l'entreprise les autorise à rentrer chez eux.

La sénatrice Merchant : Est-ce que cela a entraîné une hausse des activités?

M. Lippé : L'industrie se porte bien. Comme je l'ai dit, un de mes transporteurs a acheté un plus gros appareil, qui compte 42 sièges. C'est une amélioration, car nous avons surtout de petits aéronefs. Il y a une croissance. Nous voulons seulement empêcher que cette croissance soit freinée par ces hausses. Même les sociétés minières ont leurs limites. Nous voulons éviter de nous rendre trop près de ces limites.

La sénatrice Merchant : On vous a imposé ces frais sans préavis.

M. Lippé : C'est exact.

La sénatrice Merchant : Croyez-vous que l'administration aéroportuaire a l'impression d'avoir le gros bout du bâton et que vous n'avez pas d'autre choix que de payer ces frais?

M. Lippé : Oui, en effet. Nous n'avons pas d'autre solution. Mes transporteurs ont investi des centaines de milliers de dollars dans leurs installations, non pas dans l'aérogare, mais dans leurs salles d'attente, leurs installations, leurs hangars pour qu'ils puissent effectuer l'entretien de leurs appareils. C'est leur investissement. L'aéroport ne leur a pas donné un sou pour cela. Même si une solution de rechange existait, on ne peut pas déménager ces installations. Elles sont là pour rester. Comme nous ne pouvons pas nous établir ailleurs, nous sommes forcés de payer.

La sénatrice Merchant : J'ai une dernière question. Vous n'utilisez pas les services de l'aéroport, pas même leurs services de sécurité. Je sais qu'à Regina, on se rend simplement au hangar puis on monte à bord de l'avion. Vous n'utilisez pas l'aérogare.

M. Lippé : C'est exact. Bien sûr, les gens sont habitués d'utiliser l'aérogare — il y a toujours le Tim Hortons et d'autres commerces — les contrôles de sécurité, le carrousel pour les bagages. Nous n'avons rien de cela. Nous ne les utilisons pas. Nous utilisons nos propres installations.

Nous devons répondre aux besoins de notre clientèle. Nos clients semblent ravis de nos services et nous trouvons que c'est très bien. Je le répète, nous ne comprenons tout simplement pas pourquoi on leur impose les mêmes frais que les passagers qui utilisent l'aérogare.

La sénatrice Merchant : Quand je vais retourner chez moi, je vais m'informer au sujet des frais en vigueur à l'aéroport de Regina.

Le sénateur Mercer : J'ai passé en revue les recommandations que vous formulez. La seule qui me pose un problème est la première, c'est-à-dire revoir la Loi sur les aéroports afin d'y inclure un mécanisme de consultation et d'appel de toute décision par une administration aéroportuaire.

Vous semblez vouloir reconfier la responsabilité des aéroports au gouvernement fédéral. Quand le gouvernement s'est départi des aéroports, l'objectif était d'en confier le contrôle aux administrations aéroportuaires locales. Je conviens qu'un mécanisme est nécessaire. Cette situation est peut-être un peu plus difficile que d'autres, car le gouvernement fédéral ne veut sans doute pas agir comme arbitre. Pourriez-vous me dire ce que vous pensez de la création d'un poste d'ombudsman pour l'aviation, dont le mandat serait d'appliquer la loi et d'intervenir lorsque nécessaire? Comment pensez-vous que cela devrait fonctionner, comment croyez-vous que cette personne devrait être nommée et comment devrions-nous réunir les fonds nécessaires?

M. Lippé : Je suis prêt à accepter ce poste si le comité le souhaite.

Le sénateur Mercer : Vous manquez sans doute un peu d'objectivité.

M. Lippé : Un peu.

Dans l'industrie de l'aviation, comme dans tout autre secteur, tout est une question de chiffres. Ce n'est pas une science exacte, par contre. Quand un aéroport avise un transporteur qu'il devra payer certains frais, il doit justifier sa décision. Ce ne peut pas être arbitraire. Je m'attends bien sûr à ce qu'il y ait des consultations préalables pour que nous puissions comprendre l'objectif. Tout est une question de chiffres. Il y a probablement des gens beaucoup plus intelligents que moi qui peuvent faire les calculs. Ce n'est pas parce que les infrastructures sont là que les clients seront au rendez-vous. Ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent dans le secteur de l'aviation. Nous sommes dépendants de la clientèle. Si les passagers ne veulent pas payer le prix exigé, même si vous avez le plus extraordinaire aéroport au monde, ils ne viendront pas. C'est ce qui est un peu plus difficile à comprendre. Si les transporteurs eux- mêmes affirment qu'il leur faut davantage d'espace à cause de la demande, s'ils estiment qu'ils se bousculent aux portes d'embarquement, ils réclameront eux-mêmes davantage de portes et ils seront prêts à payer. Il y a une façon d'amortir les coûts. J'en suis certain.

Je le répète, nous ne voulons pas que ce soit arbitraire, qu'on nous mette devant le fait accompli et que nous n'ayons pas notre mot à dire. Je pense que nous devrions laisser les chiffres parler. Les transporteurs devraient être ceux qui disent : « Oui, c'est logique. Nous faisons de l'argent à cet aéroport, et nous voulons continuer d'en faire. Plus nous pourrons accueillir de passagers, plus nous pourrons offrir de services et faire baisser les prix. » Ce n'est pas un ratio d'un pour un, mais c'est ce que je pense.

Bien sûr, je ne voudrais pas que le gouvernement fédéral reprenne le contrôle des aéroports. Ce n'est pas ce que nous proposons. Nous souhaitons que quelqu'un examine les chiffres d'un aéroport, qu'il prenne en considération les besoins des transporteurs et ceux des passagers et qu'il trouve le juste milieu. Il doit bien y avoir moyen de trouver le chiffre magique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous êtes dans l'industrie de l'aviation depuis combien de temps?

M. Lippé : J'y travaille depuis un peu plus d'un an.

Le sénateur Boisvenu : Vous n'étiez pas là en 2006?

M. Lippé : Non, je n'y étais pas.

Le sénateur Boisvenu : Dans le rapport de 2006, on pouvait lire ce qui suit :

Bien que le modèle canadien de commercialisation aéroportuaire évite beaucoup de problèmes associés à la réglementation des prix, les aéroports sont en mesure d'abuser de leur pouvoir de marché, et leurs clients allèguent que certains le font effectivement. Le projet de loi C-20 : Loi sur les aéroports du Canada, déposé à la Chambre des communes en juin 2006, est censé corriger certaines lacunes de la gouvernance [...]

On dit, entre autres, ce qui suit :

[...] pour les usagers de faire appel, dans certaines circonstances, de la majoration des frais [...]

Les choses ont-elles changé depuis 2006?

M. Lippé : Je vous dirais qu'on est toujours au même endroit depuis 2006. Le débat est toujours le même. Encore une fois, le modèle de gouvernance des aéroports de gestion privée, nous l'acceptons. Nous croyons que c'est un mode dynamique. Nous devons toutefois être protégés contre les abus décisionnels. Et même si les intentions ne sont pas mauvaises, nous comprenons très bien que quelqu'un qui est en position de monopole peut beaucoup plus facilement imposer sa volonté dans un régime comme celui-ci où, apparemment, il n'existe aucun recours pour l'industrie.

Loin de moi de dire que les aéroports sont de mauvaise foi. Évidemment, lorsqu'on se trouve dans une telle situation, il est naturel de tenter d'aller un peu plus loin, sachant également qu'aucun recours n'est disponible.

Ce qui a été dit à l'époque pourrait encore être dit aujourd'hui. Nous sommes dans le même contexte.

Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, on vous remercie, monsieur Lippé. Comme vous le savez, vous êtes notre dernier témoin.

[Traduction]

Je rappelle aux membres du comité que, mercredi soir prochain, à 18 h 45, nous nous réunirons à huis clos pour amorcer la discussion au sujet de la première ébauche de notre rapport final. D'ici là, nous ferons en sorte de vous faire parvenir à tout le moins la structure prévue du rapport et le plus d'information possible.

[Français]

On se revoit mercredi soir, à 18 h 45. Monsieur Lippé, encore une fois merci, et bonne soirée.

(La séance est levée.)


Haut de page