Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 7 - Témoignages du 3 juin 2014
OTTAWA, le mardi 3 juin 2014
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-25, Loi concernant le Décret constituant la bande appelée Première Nation Qalipu Mi'kmaq, se réunit aujourd'hui, à 9 h 33, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Dennis Patterson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et à tous les membres du public qui assistent à la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui la regardent sur CPAC ou sur le site web. Je m'appelle Dennis Patterson, du Nunavut. Le mandat de notre comité consiste à examiner les projets de loi et les questions qui concernent les peuples autochtones du Canada en général. Aujourd'hui, nous recueillerons des témoignages dans le cadre d'un ordre de renvoi précis qui nous autorise à examiner, en vue d'en faire rapport, le projet de loi C-25, Loi concernant le Décret constituant la bande appelée Première Nation Qalipu Mi'kmaq.
Nous accueillons aujourd'hui des représentants d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, du ministère de la Justice Canada et de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve. La Première Nation Qalipu Mi'kmaq, la bande sur laquelle porte le projet de loi, est membre de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve, et elle a choisi cette organisation pour la représenter.
Avant de passer aux exposés, je demanderais aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur Moore : Bonjour. Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Dyck : Bonjour. Sénatrice Lillian Dyck, de la Saskatchewan.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Meredith : Sénateur Don Meredith, Ontario.
Le sénateur Wallace : John Wallace, Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.
Le président : Chers collègues, souhaitons la bienvenue à notre premier témoin, M. Andrew Saranchuk, sous-ministre adjoint du Secteur de la résolution et des affaires individuelles à AADNC. Nous accueillons également son collègue du ministère de la Justice Canada, M. Martin Reiher, qui est avocat général et directeur par intérim des Opérations et des programmes aux Services juridiques.
Nous avons hâte d'entendre vos exposés. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions. Allez-y, s'il vous plaît.
Andrew Saranchuk, sous-ministre adjoint, Secteur de la résolution et des affaires individuelles, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : J'aimerais remercier le comité de me donner l'occasion d'expliquer en quoi le projet de loi C-25, la loi concernant la Première Nation Qalipu Mi'kmaq, est nécessaire pour protéger l'intégrité et la crédibilité des membres de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq.
Je suis le sous-ministre adjoint responsable du Secteur de la résolution et des affaires individuelles au ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada. Le secteur s'occupe de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, du Certificat sécurisé de statut indien, du Bureau du registraire des Indiens et des Fonds des Indiens, successions et annuités découlant des traités. Il est aussi responsable de la mise en œuvre du processus d'inscription de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq.
Comme vous le savez déjà, je suis accompagné de mon collègue de Justice Canada, M. Martin Reiher. Il est avocat général par intérim et il conseille le ministère dans ce dossier.
La première partie de mon exposé servira à vous donner de l'information de base sur l'Accord pour la reconnaissance de la bande de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq de 2008, qui prévoyait la création de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq comme une bande sans assise territoriale. Je vais aussi parler de l'Accord supplémentaire entre le Canada et la Fédération des Indiens de Terre-Neuve de 2013. Dans la deuxième partie de mon exposé, je ferai une très courte mise au point sur le processus d'inscription à ce jour dans le cadre de l'accord supplémentaire. Enfin, je présenterai un survol du projet de loi C-25 et j'en décrirai les principales caractéristiques.
[Français]
En 1949, lorsque Terre-Neuve s'est jointe à la Confédération, ces Premières Nations n'étaient pas reconnues en vertu de la Loi sur les Indiens. Au début des années 1970, la Fédération des Indiens de Terre-Neuve a été créée par les Mi'kmaq de Terre-Neuve et a été investie de la mission de solliciter leur reconnaissance par le gouvernement fédéral. En 1989, la Fédération des Indiens de Terre-Neuve a déposé une poursuite contre le Canada afin d'être reconnue par la Loi sur les Indiens.
En 2007, le gouvernement et la Fédération des Indiens de Terre-Neuve ont conclu une entente de principe pour régler cette action en justice qui a mené à l'accord de 2008, en établissant un processus de reconnaissance des Mi'kmaq de Terre-Neuve comme une bande en vertu de la Loi sur les Indiens.
Au cours des négociations de l'accord de 2008 initial, les deux parties voulaient que le statut de membre fondateur de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq soit consenti principalement aux personnes vivant dans les collectivités Mi'kmaq de Terre-Neuve désignées dans l'accord ou à proximité de celles-ci.
Toutefois, les personnes vivant à l'extérieur de ces collectivités pourraient aussi devenir membres, même si l'intention des parties était que les non-résidents doivent maintenir un solide lien culturel avec les collectivités Mi'kmaq de Terre-Neuve.
Dans le cadre de l'accord de 2008, un comité d'inscription indépendant a été mis sur pied pour évaluer les demandes d'adhésion à la nouvelle bande. Il réunissait deux représentants du Canada, deux de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve et un président indépendant. Le comité d'inscription est responsable de déterminer si les demandeurs satisfont aux critères d'admissibilité pour être inscrits en tant que membres de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq.
[Traduction]
Les quatre critères d'admissibilité des membres fondateurs étaient les suivants : être d'ascendance indienne du Canada; être un membre ou un descendant d'un membre d'une communauté mi'kmaq datant d'avant la Confédération; s'identifier comme membre du groupe des Indiens mi'kmaq de Terre-Neuve; être accepté par le groupe des Indiens mi'kmaq de Terre-Neuve sur le fondement de solides liens culturels clairement établis.
Au départ, on prévoyait que la population de la bande atteindrait environ entre 8 700 et 12 000 personnes, selon les données fournies par la Fédération des Indiens de Terre-Neuve, une évaluation des données historiques de recensement et d'autres estimations. La bande de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq a été créée par décret en conseil le 22 septembre 2011. À ce jour, 23 877 membres ont été inscrits.
L'accord de 2008 fixait l'échéance de demande d'adhésion à la bande au 30 novembre 2012. À cette date, environ 101 000 demandes avaient été reçues, dont environ 46 000 au cours des trois mois précédant l'échéance. Le nombre de demandes a dépassé de loin les attentes des parties.
Outre l'excès de demandes, d'autres problèmes ont fait surface dans le cadre de la mise en œuvre du processus d'inscription. Notamment, il n'était pas possible, pour le comité d'inscription, d'examiner l'ensemble des demandes à l'intérieur du délai prescrit dans l'accord de 2008. En outre, il est devenu manifeste que les lignes directrices initiales pour l'évaluation des demandes ne donnaient pas suffisamment de clarté et de précision pour refléter les intentions d'origine des parties.
Pour régler ces problèmes, le Canada et la Fédération des Indiens de Terre-Neuve ont amorcé des discussions à l'automne 2012. Elles ont mené les parties à annoncer la conclusion d'un accord supplémentaire en juillet 2013. L'accord original est encore pleinement en vigueur. Toutefois, l'accord supplémentaire de 2013 règle plusieurs problèmes qui ont empêché la conclusion du processus d'inscription de la Première Nation. En même temps, il permet de s'assurer que tous les demandeurs seront traités de manière juste et équitable et de veiller à l'intégrité du processus d'inscription.
L'accord supplémentaire ne modifie pas les critères d'inscription établis dans l'accord de 2008, mais précise les exigences documentaires liées à l'auto-identification et à l'acceptation par la collectivité. Plus particulièrement, il prolonge le délai d'examen des demandes en s'assurant que toutes les demandes antérieures non traitées seront examinées; il s'assure que toutes les demandes reçues à toutes les phases du processus d'inscription, sauf celles rejetées antérieurement, seront évaluées ou réévaluées; il prévoit que toutes les personnes dont les demandes seront évaluées ou réévaluées recevront un avis écrit et pourront fournir des documents supplémentaires; il donne des précisions sur l'évaluation de la conformité au critère d'auto-identification du demandeur en tant que membre du groupe d'Indiens mi'kmaq de Terre-Neuve; et il fournit une orientation relative à l'acceptation de la personne par les collectivités mi'kmaq de Terre-Neuve, particulièrement lorsque ces personnes vivent à l'extérieur des collectivités énumérées dans l'accord.
[Français]
Tout cela m'amène à vous présenter un aperçu du processus accompli à ce jour dans le cadre de l'accord supplémentaire de 2013.
En novembre 2013, le comité d'inscription a expédié l'une des deux lettres à quelque 100 000 demandeurs de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq, sauf aux personnes dont la demande avait été rejetée, en indiquant que leur demande était valide ou invalide par rapport aux exigences minimales établies dans l'accord de 2008.
Environ 6 000 demandeurs ont reçu une lettre les avisant que leur demande était invalide et avait été refusée. Ils étaient également avisés qu'ils ne pouvaient interjeter appel de cette décision conformément à l'accord supplémentaire de 2013.
Environ 94 000 demandeurs ont reçu une lettre les avisant que leur demande était valide et ferait l'objet d'une évaluation ou d'une réévaluation. Ceux-ci pouvaient fournir des documents supplémentaires à l'appui de leur demande jusqu'au 30 janvier 2014. Ce délai a été prolongé jusqu'au 10 février 2014. Ce report avait été accordé en raison de la possibilité que les conditions météorologiques extrêmes aient empêché certaines personnes de se procurer les documents voulus.
Actuellement, le comité d'inscription, avec l'aide du ministère, procède à l'évaluation des 94 000 demandes valides. On estime que l'examen et l'évaluation des demandes valides seront achevés d'ici l'automne 2015, après quoi les demandeurs seront informés des résultats de l'évaluation ou de la réévaluation de leur demande. Une période d'appel sera consentie par la suite.
[Traduction]
Tous ces renseignements m'amènent à la troisième partie de mon exposé : le bien-fondé du projet de loi C-25, la loi concernant la Première Nation Qalipu Mi'kmaq.
Le projet de loi est de nature technique et permettra au gouverneur en conseil de modifier l'annexe actuelle du Décret de reconnaissance pour mettre en œuvre l'accord supplémentaire. Plus particulièrement, il permettra au gouverneur en conseil d'éliminer les noms des personnes pour qui il a été déterminé qu'ils ne pouvaient devenir membres de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq.
Bien que le gouverneur en conseil ait l'autorité en vertu de la Loi sur les Indiens de déclarer qu'un groupe d'Indiens devient une bande pour les besoins de la loi, ladite loi ne prévoit aucune autorité expresse lui permettant de modifier un décret de reconnaissance établissant une bande. Cela signifie que même s'il existe une autorité probable permettant d'ajouter des noms à l'annexe du décret de reconnaissance, on ne sait pas exactement si la loi autorise le gouverneur en conseil à retirer des noms de l'annexe.
Il est possible que certaines personnes perdent leur statut d'Indien à la suite de la réévaluation de leur demande. Si cela se produisait, ces personnes n'auraient plus accès aux programmes et aux services fournis aux Indiens inscrits. Quoi qu'il en soit, au cours du processus d'examen, il n'y aura aucun changement au statut d'Indien des membres existants de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq. En d'autres mots, même si le processus est en cours, les personnes qui sont actuellement inscrites en vertu de la Loi sur les Indiens conserveront leur statut d'Indien et, par conséquent, maintiendront leur accès aux programmes disponibles pour les individus inscrits.
L'article 4 du projet de loi a suscité une certaine attention. Elle précise qu'aucune indemnité ou compensation ne sera versée, que ce soit par le Canada, la Première Nation ou toute autre entité, aux personnes qui se sont vu refuser le statut de membre de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq. Toutefois, l'article ne les empêche pas d'interjeter appel de la décision du comité d'inscription en vertu des accords. Il ne les empêche pas non plus de contester l'accord devant les tribunaux ou les exclusions de l'annexe au Décret constituant la bande appelée Première Nation Qalipu Mi'kmaq.
On trouve des articles semblables dans la loi de 1985 éliminant la discrimination des dispositions relatives à l'inscription des Indiens, qu'on appelle généralement le projet de loi C-31, et la récente Loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens, qu'on appelle généralement le projet de loi C-3.
Enfin, le projet de loi est une composante essentielle du processus d'inscription afin de mettre en œuvre entièrement les accords et de donner suite à l'intention originale des parties. Il permet de s'assurer que le gouverneur en conseil est investi des pouvoirs appropriés pour mener à bien la dernière étape du processus, à savoir, la délivrance d'une nouvelle liste des membres fondateurs pour modifier la liste existante. J'espère que nous avons réussi à clarifier l'intention du projet de loi C-25. J'aurai le plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Je vais peut-être commencer. Je suis sûr que mes collègues auront des questions à vous poser.
Certains ont dit que le projet de loi C-25 modifie les critères d'inscription qui ont été établis dans le cadre de l'accord de 2008 créant la Première Nation Qalipu Mi'kmaq, mais je ne sais pas si c'est le cas. Pouvez-vous expliquer au comité l'intention du projet de loi en ce qui concerne les critères d'inscription initiaux, s'il vous plaît?
M. Saranchuk : Merci, monsieur le président. Le projet de loi ne modifie pas les critères d'inscription initiaux. Je peux même vous dire que l'accord supplémentaire de 2013 n'a pas changé les critères d'inscription qui avaient été établis dans le cadre de l'accord de 2008. Toutefois, l'accord de 2013 a précisé les exigences du processus de demande, surtout en ce qui a trait aux exigences documentaires. Pour revenir à votre question principale, le projet de loi ne modifie pas les critères d'inscription.
Le président : Merci. J'ai une autre question à vous poser et elle porte sur les droits des membres de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq. Pourriez-vous nous donner un aperçu des droits et des avantages qui leur reviennent?
M. Saranchuk : Je vais commencer et je vais probablement demander à mon collègue, M. Reiher, d'intervenir. Un certain nombre de droits et d'avantages sont rattachés au fait d'être membre d'une Première Nation. Il y a l'accès à des services de santé non assurés, qui sont gérés par Santé Canada; l'éducation postsecondaire, qui est généralement administrée par les bandes; et le droit de voter lors d'élections au sein des bandes. Puisque la Première Nation Qalipu Mi'kmaq est une bande sans assise territoriale, elle n'a pas certains droits ou avantages qui s'appliquent à une réserve, mais je pense que ce sont les principaux, sous réserve de ce qu'ajoutera M. Reiher à ma réponse.
Martin Reiher, avocat général et directeur par intérim, Opérations et programmes, Services juridiques, ministère de la Justice Canada : Merci. Monsieur Saranchuk a parlé des avantages principaux des membres. Nous pourrions ajouter qu'en tant que collectivité, la bande profite de financement destiné au développement économique, par exemple. Ce sont donc les avantages essentiels.
M. Saranchuk : Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais faire une précision pour que les choses soient claires — quoique le contenu de mon exposé était assez clair. Au cours du processus d'inscription, qui devrait durer jusqu'à la fin de l'été 2015, toute personne qui fait actuellement partie de la bande, peu importe les résultats, bénéficiera toujours de ces avantages. Par la suite, si une personne devait ne pas se trouver sur la liste, le gouvernement ne chercherait pas à réclamer des prestations qu'elle aura reçues entre-temps.
Le président : Je cède maintenant la parole à la vice-présidente, la sénatrice Dyck.
La sénatrice Dyck : Ma première question porte sur les personnes qui pourraient perdre leur statut. Je crois comprendre que le processus se termine en août 2015, et que par la suite aucune autre demande ne sera acceptée, mais combien de personnes parmi ce groupe sont inscrites sur la liste à titre d'Indiens?
M. Saranchuk : Je voudrais faire une mise au point. L'échéance pour les demandes est la même que celle de l'accord initial, et la date limite pour faire une demande était le 30 novembre 2012. Aucune autre demande n'a été acceptée après cette date. L'un des problèmes principaux qui ont été réglés dans le cadre de l'accord supplémentaire concernait le fait qu'on avait reçu 101 000 demandes avant cette date. Dans le cadre de l'accord initial de 2008, le comité d'inscription devait interrompre un peu ses travaux après cette date, ce qui a mené à une situation où environ 70 000 demandes, selon l'accord initial, n'allaient pas être traitées à moins que les parties n'interviennent pour faire des modifications ou faire quelque chose.
Pour revenir à votre question, honorable sénatrice, 23 877 membres de la Première Nation ont été inscrits jusqu'à maintenant.
La sénatrice Dyck : Savez-vous s'il est possible que certaines personnes perdent leur statut? Avez-vous des résultats de recherches préliminaires, par exemple, ou d'autres évaluations qui vous indiquent ce qui peut se produire? Je présume que ces près de 24 000 personnes sont peut-être un peu inquiètes de ce que l'avenir leur réserve.
M. Saranchuk : Oui. Il n'y a aucune évaluation préliminaire sur ce qui va se produire. Je soulignerais que le comité d'inscription, qui compte deux représentants du Canada, deux membres de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve et un président indépendant, prend ses décisions sans consulter le gouvernement, et qu'il évalue ou réévalue les demandes, selon le cas. Il prend ses propres décisions ou fait ses propres recommandations pour la liste. Je présume que c'est vraiment tout ce que je peux dire.
La sénatrice Dyck : Il me reste qu'une dernière question pour ce tour-ci, et elle porte sur les critères d'admissibilité des membres fondateurs dont il est question à la page 5 de votre exposé. À quel point sont-ils similaires ou conformes au contenu des projets de loi C-31 et C-3?
M. Saranchuk : Je vais répondre à votre question en premier et je céderai la parole à mon collègue du ministère de la Justice Canada par la suite. Il est important de comprendre que lorsqu'on les compare avec les projets de loi C-31 ou C-3, il s'agissait de changer ou de modifier les exigences d'inscription de la Loi sur les Indiens. Ainsi, ce qui se passe, c'est qu'un groupe est créé. Il s'agit d'un groupe fondateur. On crée un groupe fondateur, qui ne se soustrait pas à la Loi sur les Indiens, mais on définit le groupe fondateur. On évalue alors les demandes, ce qui est en cours, et après, les dispositions sur l'inscription de la Loi sur les Indiens s'appliquent. En résumé, on crée un groupe, en dehors du cadre de la Loi sur les Indiens, je présume, dans la mesure où il faut déterminer qui sont les membres fondateurs, ce qui est différent des projets de loi C-31 et C-3. Il serait préférable que je laisse mon collègue vous l'expliquer.
M. Reiher : Merci, monsieur le président. En effet, il est important de comprendre que la Loi sur les Indiens s'applique au droit des individus à l'inscription une fois qu'un groupe a été reconnu comme une entité liée à la Couronne fédérale. Par exemple, on peut comparer cela à la conclusion de traités dans l'Ouest du pays au cours des années 1800. Pour ce qui est de la situation de la Première Nation Mi'kmaq de Terre-Neuve, elle n'a jamais eu de lien avec la Couronne fédérale. Il n'y avait donc pas de groupe fondateur auquel s'appliquaient les critères d'inscription de l'article 6 de la Loi sur les Indiens. Des négociations ont donc eu lieu pour établir des critères, pour reconnaître les personnes membres du groupe d'Indiens que le gouverneur en conseil a ensuite reconnu à titre de bande pour la première fois dans le cadre de la Loi sur les Indiens. Une fois que la bande est reconnue en vertu de la Loi sur les Indiens, les critères techniques d'inscription contenus dans la loi s'appliquent aux personnes.
M. Saranchuk a expliqué l'objectif du projet de loi C-31, qui consistait à adapter les règles d'inscription de la Loi sur les Indiens à l'article 15 de la Charte, qui protège les gens contre la discrimination, et il est entré en vigueur le 17 avril 1985. Le projet de loi C-3, en 2010, visait à régler un problème concernant l'article 6 qu'avait soulevé la Cour d'appel de la Colombie-Britannique.
Ainsi, le projet de loi C-25 est différent, et l'accord en tant que tel est aussi différent. J'espère avoir répondu à la question.
La sénatrice Dyck : Si je récapitule, vous dites que vous créez un nouveau groupe. Une fois que le groupe sera formé et inscrit au registre, les dispositions actuelles de la Loi sur les Indiens, par les projets de loi C-31 et C-3, s'appliqueront au groupe. Elles ne s'appliquent pas pour l'instant.
M. Reiher : C'est exact. Une fois que le groupe aura été créé et qu'on aura déterminé quels sont ses membres et que leurs noms auront été ajoutés à l'annexe du décret, la phase officielle donne aux individus le droit d'être inscrits en vertu de l'alinéa 6(1)b) de la Loi sur les Indiens et, pour leurs descendants, l'article 6 s'applique.
M. Saranchuk : Monsieur le président, si vous me le permettez, la sénatrice soulève un point important. Effectivement, le groupe fondateur ou les membres fondateurs sont inscrits maintenant, mais leurs descendants ou les membres de leur famille, conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, peuvent être inscrits à titre d'Indiens et, par conséquent, à titre de membres d'une bande aux termes de la Loi sur les Indiens.
Le président : Merci. Je cède la parole à la sénatrice Lovelace Nicholas.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous souhaite la bienvenue. Voici ma première question : comment avez-vous pu recréer une nation alors qu'elle a toujours existé, et pourquoi la Première Nation avait-elle disparu au départ? Pourquoi la bande n'a-t-elle pas d'assise territoriale?
La sénatrice Dyck : Vous avez posé trois questions.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Oh, excusez-moi.
La sénatrice Dyck : C'est correct; je ne fais que vous taquiner.
Le président : Je suis certain que vous pouvez répondre aux trois questions.
M. Saranchuk : Je peux répondre à deux d'entre elles. Je ferai de mon mieux pour y répondre, madame la sénatrice. C'est pourquoi j'essayais de faire attention aux termes que j'utilisais concernant la création d'une Première Nation. Elle existait; il s'agissait de déterminer quelles personnes faisaient partie des membres fondateurs. C'est ce que le gouvernement et la Fédération des Indiens de Terre-Neuve voulaient faire dans le cadre du processus. Je demanderais à M. Reiher d'ajouter quelque chose.
M. Reiher : Merci. M. Saranchuk a expliqué que le décret a déclaré que le groupe d'Indiens est une bande aux termes de la Loi sur les Indiens, et le groupe existait donc déjà auparavant, en fait. Votre deuxième question était la suivante : pourquoi la bande a-t-elle disparu au départ? Je ne crois pas qu'elle ait disparu, car le groupe existait, et je n'ai pas vraiment d'information sur la vitalité de sa culture avant la création de la bande.
Enfin, vous vouliez savoir pourquoi il s'agit d'une bande sans assise territoriale, ou pour le dire autrement, une bande qui n'a pas de réserve. C'est une demande du groupe. Différents groupes ont été formés sur l'île et ils sont représentés par une fédération. Ils ne souhaitaient pas avoir de réserve au sens de la Loi sur les Indiens.
La sénatrice Lovelace Nicholas : C'est intéressant. Puis-je poser une dernière petite question?
Le président : Oui.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vais m'assurer de n'en poser qu'une seule. Pour quelles raisons refuserait-on ou réévaluerait-on un document?
M. Saranchuk : Excusez-moi, pourquoi refuserait-on un document? L'accord et l'accord supplémentaire contiennent des règles très claires sur les documents exigés pour être membre d'une bande ou pour faire une demande d'inscription. Dans certains cas, si les règles ne sont pas respectées, la demande est rejetée. Monsieur Reiher, voulez-vous ajouter quelque chose?
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je posais la question seulement par curiosité. Se peut-il que leur émancipation a été supprimée et qu'ils ne soient pas reconnus?
M. Reiher : Si les gens étaient émancipés dans le passé, c'est parce qu'en tant que groupe, ils avaient un lien avec la Couronne, et la disposition de la Loi sur les Indiens s'appliquait à eux pour leur émancipation. Bien entendu, pour ce qui est de déterminer s'il s'agit d'une bonne chose ou non, là n'est pas la question.
Or, s'ils avaient un lien avec la Couronne auparavant, et qu'ils ont perdu leur droit, ils sont normalement couverts par ce processus, car il consiste à établir pour la première fois un rapport avec les Micmacs de Terre-Neuve en vertu de la Loi sur les Indiens.
La sénatrice Dyck : Pour revenir aux raisons pour lesquelles il s'agit d'une bande sans assise territoriale, je poserais une autre question : qu'arriverait-il si les membres de ce groupe décidaient à un moment donné de créer une réserve — s'ils déterminaient qu'ils sont assez nombreux, par exemple, et qu'ils décidaient de créer une réserve? Pourraient-ils le faire? Est-ce que quelque chose les empêcherait de le faire?
M. Reiher : L'accord de 2008 précise que le groupe n'aura pas de réserve. Si à un moment donné, le groupe voulait demander au gouvernement fédéral de créer une réserve, il faudrait prendre une décision à ce moment-là.
La sénatrice Dyck : Donc, la porte est ouverte?
M. Reiher : Non, pas en vertu de l'accord.
La sénatrice Dyck : Oh.
Le président : Je présume qu'il est toujours possible de modifier un accord.
La sénatrice Dyck : De le contester.
M. Saranchuk : J'ajouterais qu'il faudrait que le gouvernement examine la demande au moment où elle est faite. C'est tout ce que nous pouvons dire pour le moment. Il existe un processus selon lequel on examine les demandes qui sont soumises.
Le président : D'accord. Merci.
La sénatrice Raine : Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi il est possible que la demande de certains membres fondateurs qui avait été acceptée dans le processus initial, puisse être rejetée. Qu'est-ce qui a changé? Est-ce que ce sont les documents établissant leurs liens ancestraux à la Première Nation Qalipu Mi'kmaq? Les normes de preuve sont-elles différentes de celles qui existaient il y a trois ou quatre ans, par exemple?
M. Reiher : Effectivement, initialement, l'intention des parties était de reconnaître les personnes qui avaient un solide lien culturel avec le groupe d'Indiens micmac de Terre-Neuve. Dans le cadre de l'accord initial, le comité d'inscription a reçu des indications sur la façon d'évaluer le critère.
En 2012, les parties se sont rendu compte que l'accord n'avait pas été tout à fait appliqué conformément à leurs intentions originales et il fallait apporter plus de précisions pour le comité d'inscription, d'autant plus qu'un nombre très élevé de demandes avaient été soumises. L'accord supplémentaire précise les exigences documentaires; il précise le type de documents qui peuvent être acceptés pour montrer, par exemple, l'auto-identification et l'acceptation par le groupe d'Indiens micmac.
Par conséquent, les critères sont les mêmes, mais on demande aux personnes de fournir d'autres documents pour s'assurer qu'elles répondent aux critères.
La sénatrice Raine : Je vais m'arrêter là pour l'instant. Merci.
Le sénateur Moore : Monsieur Saranchuk, dans le troisième paragraphe qui se trouve à la page 4 de votre exposé, vous dites ceci : « Au cours des négociations de l'Accord de 2008 initial, les deux parties voulaient que le statut de membre fondateur soit consenti principalement aux personnes vivant dans les collectivités mi'kmaq de Terre-Neuve [...] ou à proximité de celles-ci. »
On dirait que ces personnes vivent dans certaines régions géographiques bien précises, est-ce exact?
M. Saranchuk : Oui, en grande partie. Dans l'Accord de 2008, 67 collectivités ont été nommées.
Le sénateur Moore : Quelle était la taille de ces collectivités? Sont-elles concentrées dans une région de la province — comme c'est le cas à Terre-Neuve ou au Labrador? Sont-elles dans une seule région?
M. Saranchuk : Elles sont dans le nord-ouest de l'île.
Le sénateur Moore : Sur l'île, et non pas au Labrador?
M. Saranchuk : C'est exact.
Le sénateur Moore : Compte tenu de la question de la sénatrice Dyck concernant les réserves, il est intéressant de savoir où ces collectivités sont situées. Aux termes de ce projet de loi, il est impossible de constituer une réserve. Pendant les négociations, est-ce que les représentants de la bande avaient demandé d'avoir la possibilité d'en constituer une?
M. Saranchuk : Monsieur Reiher pourrait en dire plus à ce sujet, mais d'après ce que je comprends, au moment des négociations initiales, ils n'ont ni demandé ni exprimé le souhait de pouvoir en constituer une.
Le sénateur Moore : Voilà pourquoi vous l'appelez une bande sans terre.
M. Saranchuk : Oui. Dans mon exposé, quand je dis « sans terre », je veux dire « sans réserve ».
Le sénateur Moore : Je comprends. Au milieu de la page 9, vous dites ceci : « Environ 6 000 demandeurs ont reçu une lettre les avisant que leur demande était invalide et avait été refusée. Ils étaient également avisés qu'ils ne pouvaient interjeter appel de cette décision. » Pourtant, à la page 10, vous ajoutez ce qui suit : « Le Comité d'inscription procède à l'évaluation des 94 000 demandes valides. On estime que l'examen et l'évaluation des demandes valides seront achevés d'ici l'automne 2015. Une période d'appel sera consentie par la suite. »
Comment se fait-il que les 6 000 demandeurs n'ont pas le droit d'interjeter appel, tandis que ceux dont les demandes pourraient être jugées invalides d'ici 2015 pourraient interjeter appel?
M. Saranchuk : La réponse courte, c'est qu'il s'agit d'une décision qui a été prise d'abord par les parties à l'accord initial et ensuite par les parties à l'accord supplémentaire. Les 101 000 demandes faisant l'objet d'une évaluation ou d'une réévaluation, comme vous le dites, ont été divisées en deux catégories. Au départ, une évaluation a été effectuée pour voir si les demandes répondaient aux exigences minimales établies dans l'Accord de 2008 pour en déterminer la validité. Comme vous l'avez fait remarquer, 6 000 demandes ont été jugées invalides, tandis que 94 000 ont été jugées valides. Les demandes valides seront maintenant évaluées en fonction des critères.
Par conséquent, la validité de la demande n'est pas déterminée en fonction des quatre critères d'inscription dont nous avons parlé un peu plus tôt. Pour être valide, la demande doit satisfaire aux exigences de base, comme le fait de présenter les demandes en se servant des bons formulaires, d'inclure les documents requis, notamment des extraits de naissance. Les parties avaient déterminé qu'il s'agissait là des exigences minimales pour les membres.
Le sénateur Moore : Est-ce que la décision d'interdire aux 6 000 demandeurs le droit d'interjeter appel a été prise en vertu du libellé de l'Accord de 2008 initial ou de l'accord supplémentaire?
M. Reiher : L'accord supplémentaire a apporté des précisions à ce sujet. Aux termes de l'accord initial, les demandes qui ne comprenaient pas les documents requis ne pouvaient pas être entièrement évaluées. La raison pour laquelle l'accord supplémentaire précise que les demandeurs n'auront pas le droit d'interjeter appel, c'est que les documents essentiels n'ont jamais figuré au dossier et n'ont donc jamais pu faire l'objet d'une évaluation.
Le sénateur Moore : Pourriez-vous répéter cela? Les 6 000 demandes ne comprenaient pas les documents requis? Les documents n'étaient tout simplement pas au dossier et n'ont donc pas pu servir à déterminer si, oui ou non — les demandes pouvaient être « réévaluées » — je ne sais pas exactement quel est le mot que je cherche.
Êtes-vous en train de dire que, dans toutes ces demandes, rien ne prouve indirectement que les demandeurs satisfont aux exigences?
M. Reiher : Oui. Aux termes de l'accord initial...
Le sénateur Moore : Oui?
M. Reiher :... sept conditions doivent être remplies pour qu'une demande soit valide.
Le sénateur Moore : Les demandes valides auraient-elles permis d'obtenir le statut de membre fondateur? Ces 6 000 demandes auraient été présentées plus tôt, n'est-ce pas?
M. Reiher : Oui, toutes les demandes ont été présentées avant le 30 novembre 2012. Comme M. Saranchuk l'a dit, 46 000 demandes ont été reçues au cours des trois derniers mois.
Le sénateur Moore : Oui, j'ai lu cela.
M. Reiher : Certaines des demandes avaient été envoyées sans aucun document ou sans les documents requis. Certaines d'entre elles n'avaient pas été signées. Les parties à l'accord avaient créé un formulaire, qui devait être signé pour que la demande soit traitée. Sept dispositions de l'accord initial ont été annexées à l'Accord de 2008, pour stipuler quoi présenter pour qu'une demande soit valide. L'accord supplémentaire a précisé que, lorsqu'une demande n'est pas valide — c'est-à-dire qu'elle ne comprend pas suffisamment de renseignements pour être évaluée de quelque manière que ce soit — le demandeur n'a tout simplement pas le droit d'interjeter appel et n'a aucune raison d'envoyer son dossier au responsable des appels puisqu'il ne comprend rien...
Le sénateur Moore : Parce que rien au dossier ne remplit les quatre premiers critères, ni les autres critères qui ont été présentés dans l'accord supplémentaire. Les demandes n'avaient tout simplement pas...
M. Reiher : Je suis désolé, je n'ai pas entendu la question.
Le sénateur Moore : Je veux simplement m'assurer d'avoir bien compris. Les 6 000 demandeurs n'ont pas rempli les critères d'admissibilité. Vous avez dit qu'il y avait quatre critères, et que, par la suite, d'autres critères ont été ajoutés dans l'accord supplémentaire. Les demandeurs n'ont pas rempli ces critères non plus; est-ce bien exact? Ou alors, est-ce qu'ils n'ont pas rempli les quatre critères initiaux seulement?
M. Reiher : Je veux m'assurer que le comité comprend que les demandes qui n'étaient pas valides n'étaient pas valides parce qu'elles ne remplissaient pas les exigences minimales requises pour être des demandes valides — ce qui n'a rien à voir avec les critères qu'il faut remplir pour être inscrit au registre.
Le sénateur Moore : D'accord.
M. Reiher : Il s'agit donc de critères comme le fait de se servir du formulaire de demande qui a été préparé par les parties au lieu d'envoyer une simple lettre, de signer le formulaire de demande et d'inclure un extrait de naissance. Voilà les exigences minimales sans lesquelles...
Le sénateur Moore : Ces exigences figurent dans l'accord initial?
M. Reiher : Oui.
Le sénateur Moore : Vous avez dit que si les 94 000 demandeurs ne sont pas satisfaits de la décision du Comité d'inscription, il y aura une période d'appel. Auprès de qui est-ce que ces personnes pourront interjeter appel?
M. Saranchuk : L'accord initial prévoit qu'il y aura un responsable des appels.
Le sénateur Moore : Qui est le responsable des appels?
M. Saranchuk : Il y a déjà eu un responsable des appels. Il faudra en nommer un nouveau d'ici le mois d'août 2015.
Le sénateur Moore : Qui nomme cette personne et quelles sont les compétences requises pour occuper ce poste?
M. Reiher : Les compétences requises sont stipulées dans l'accord initial, et les parties choisissent conjointement le responsable des appels. Celui-ci doit avoir une formation juridique et être un juriste bien respecté de Terre-Neuve. Je n'ai pas la description exacte devant moi, mais elle se trouve dans l'accord initial.
Le sénateur Moore : Est-ce que cette personne est choisie par la bande et le ministère des Affaires indiennes?
M. Reiher : En fait, il s'agit des parties à l'accord, c'est-à-dire la Fédération des Indiens de Terre-Neuve et le Canada.
Le sénateur Moore : Et le Canada — pas le ministère? S'agit-il du gouverneur en conseil ou du ministère?
M. Reiher : C'est le ministre des Affaires autochtones.
Le sénateur Moore : Le ministre?
M. Reiher : Oui.
Le président : Trois autres sénateurs aimeraient intervenir avant que nous passions à notre autre témoin.
La sénatrice Lovelace-Nicholas : Combien de temps faudra-t-il pour résoudre un contentieux au sujet de l'accord? Est-ce que c'est la personne qui entreprend la démarche qui devra en assumer les frais?
M. Saranchuk : Madame la sénatrice, il est difficile de dire combien de temps il faudra pour résoudre un contentieux au sujet de l'accord. Comme tous les contentieux, cela dépendra de bien des facteurs, mais l'affaire ne sera probablement pas réglée extrêmement rapidement. Oui, c'est la personne qui conteste qui devra assumer les frais associés au contentieux.
Le sénateur Wallace : Monsieur Saranchuk, je vais revenir à quelque chose que vous avez dit. Si je comprends bien, l'Accord de 2008 initial et l'accord supplémentaire de 2013 — qui ont précisé quels documents permettent de remplir les quatre principaux critères prouvant qu'une personne est membre de la bande —, ont été le fruit de vastes consultations et d'une étroite collaboration entre le gouvernement fédéral et la Fédération des Indiens de Terre-Neuve, surtout le chef Sheppard.
Pourriez-vous nous parler un peu plus de la nature de cette collaboration? D'après ce que je comprends, ni l'Accord de 2008 ni celui de 2013 n'ont été imposés aux Premières Nations par le gouvernement aux termes d'un projet de loi. Au contraire, de vastes négociations ont été menées avec les Premières Nations de Terre-Neuve, et une entente a été conclue, n'est-ce pas?
M. Saranchuk : C'est exact. De vastes consultations — mais réellement des négociations — ont mené à la conclusion des deux accords. Je vais laisser à M. Reiher le soin de parler un peu plus des longues négociations qui ont mené à l'Accord de 2008. Elles ont été engagées à cause du litige que la Fédération des Indiens Terre-Neuve avait soulevé, et elles ont donné lieu d'abord à un accord de principe, ensuite à l'Accord de 2008.
À l'automne 2012, les deux parties ont reconnu qu'il y avait un problème important du fait que, de toute évidence, l'Accord de 2008 n'aurait pas dû susciter toutes les demandes qui ont été présentées. Il était impossible de traiter l'arriéré de 70 000 demandes. Par conséquent, les parties se sont réunies pour discuter de ce problème et d'autres encore, qui avaient surgi. J'imagine que, à un moment donné, ces discussions sont devenues — faute d'un meilleur terme — des négociations, puisque nous avons fini par signer un document, c'est-à-dire l'accord supplémentaire.
Cet accord a été négocié avec le chef Sheppard, son conseiller juridique et son équipe, et il a fini par être ratifié par le conseil de bande.
Le sénateur Wallace : Je veux m'assurer de bien comprendre. Les précisions qui ont été apportées dans l'accord supplémentaire de 2012 — et qui, en fait, sont les dispositions prévues dans le projet de loi que nous étudions —, ont été approuvées par la Fédération des Indiens de Terre-Neuve. Un accord a été conclu. Ce n'est pas le gouvernement fédéral qui a imposé ces dispositions. Est-ce exact?
M. Saranchuk : C'est exact. Dans quelques instants, vous pourrez poser la question directement à M. May, son conseiller juridique. Oui, la fédération appuie les accords de 2008 et de 2013.
Le sénateur Wallace : D'accord.
M. Saranchuk : Monsieur le sénateur, si je puis me permettre de dire ceci, à notre avis, le projet de loi mettrait pleinement en œuvre les deux accords.
Le sénateur Wallace : D'accord.
M. Saranchuk : L'objectif de l'Accord de 2008 était de reconnaître un groupe, puis de reconnaître que les membres de ce groupe qui remplissaient ces critères avaient le statut d'Indien. Or, il ne sera pas possible d'atteindre cet objectif à moins de permettre au gouverneur en conseil de modifier l'annexe du décret.
Le sénateur Wallace : Ai-je raison de dire que, la raison pour laquelle il a fallu clarifier les critères d'inscription des membres de la bande dans l'accord supplémentaire de 2012-2013, c'est que la Première Nation Qalipu elle-même avait des problèmes de crédibilité et d'intégrité? Certains doutes avaient été formulés à ce sujet et, bien sûr, cela a donné lieu à toute cette démarche d'inscription. Toutefois, l'objectif premier était de préserver et de protéger l'intégrité des gens de la Première Nation Qalipu, n'est-ce pas?
M. Saranchuk : Oui. Je tiens à préciser qu'il est exact que les deux parties se sont inquiétées de la crédibilité et de l'intégrité des membres de la bande quand 101 000 demandes ont été présentées — ce qui n'avait pas été anticipé par l'une ou l'autre des parties.
Parfois, j'ai aussi ce problème. Cependant, il est important d'inscrire au compte rendu que l'accord de 2013 n'a pas modifié de quelque façon que ce soit les critères qui avaient été établis dans l'accord de 2008. Tout ce que l'accord de 2013 a fait, c'était de préciser quels documents étaient requis pour remplir ces critères.
Le sénateur Wallace : J'aimerais poser une question à M. Reiher, qui sera brève. Aux termes de l'article 4 du projet de loi — M. Saranchuk en a parlé —, une personne dont le nom a été omis ou supprimé de l'annexe du décret n'aura plus le droit de réclamer une compensation pour des dommages.
Monsieur Reiher, devrions-nous nous inquiéter des répercussions de cette disposition sur le plan juridique? Avez-vous fait des recherches à ce sujet, et s'agit-il d'une bonne disposition, qui ne devrait pas susciter de préoccupations sur le plan juridique?
M. Reiher : Merci de cette question. L'article n'interdit pas aux gens de se présenter devant les tribunaux pour contester leur exclusion en tant que membres fondateurs. L'article interdit seulement aux gens de réclamer une compensation pour avoir été avisés, au terme du nouveau processus, qu'ils ne remplissent pas les critères que les parties avaient établis au départ.
Cela ne modifie ni le droit d'interjeter appel qui est prévu dans l'accord, ni le droit de se présenter devant les tribunaux. Tout ce que cet article fait, c'est de limiter en quelque sorte la réparation que les gens peuvent obtenir des tribunaux dans certaines circonstances.
J'ajouterais qu'il existe un grand nombre de dispositions semblables dans d'autres lois fédérales pour répondre à des situations de ce genre.
Le sénateur Tannas : On pourrait déterminer que certaines personnes qui touchent des prestations depuis deux ou trois ans n'y sont pas admissibles. Comment réglerait-on un cas comme celui-là? Demanderait-on à ces personnes de rembourser l'argent? Qu'est-ce qui arriverait?
M. Saranchuk : Comme vous le dites, il se pourrait que certaines personnes finissent par perdre le statut d'Indien en raison de ces dispositions. Toutefois, il a été décidé que de telles personnes ne seraient pas demandées de rembourser les prestations qu'elles auraient touchées entre-temps.
Le sénateur Meredith : Vous avez dit que ce projet de loi était nécessaire. Est-ce qu'une autre solution a été envisagée pour reconnaître la Première Nation Qalipu Mi'kmaq avant de présenter ce projet de loi? Ma deuxième question porte sur les avantages. Étant donné que cette Première Nation ne possède pas de terre et que ses membres ne vivent donc pas dans une réserve, parlez-nous des avantages auxquels ils auront droit comparativement à ceux auxquels les gens vivant dans une réserve ont droit.
Vous avez signalé que, pour l'instant, la Première Nation ne demande pas d'avoir une terre. Tout comme moi, d'autres ont soulevé le fait que les gens de cette Première Nation pourraient changer d'idée plus tard et souhaiter en avoir une. Qu'est-ce qui arriverait si jamais cela se produisait?
M. Saranchuk : Monsieur le sénateur, si vous me le permettez, je vais commencer par tenter de répondre à votre deuxième question. Je dirais que les différences qui existent entre ces deux catégories d'avantages sont principalement liées à la réserve elle-même ou à un territoire propre à des Indiens. Si vous êtes membre d'une bande qui vit dans une réserve, aux termes de la Loi sur les Indiens et de son règlement d'application, vous avez le droit de recevoir un certificat de possession de la part du conseil de bande. Cela vous donnerait donc certains droits, si vous voulez.
L'autre différence qui est liée à un territoire propre aux Indiens, c'est l'exonération fiscale qui est prévue par l'article 87 de la Loi sur les Indiens, qui vise les propriétés qui sont situées dans une réserve. Voilà quelles seraient les principales différences entre les avantages de vivre dans une réserve comparativement à ceux de vivre hors réserve.
Le projet de loi est nécessaire pour la dernière étape du processus. Lorsque tous les droits sont établis, que la période d'appel est terminée et que la liste finale est dressée, le projet de loi permet de régler des questions de forme. Comme M. Reiher va l'expliquer, il permet la mise en œuvre complète de l'accord et l'entrée en vigueur de la nouvelle liste pour la bande. Je vais laisser M. Reiher apporter des précisions.
M. Reiher : Merci. J'ajouterais que l'objectif du projet de loi C-25, c'est la certitude et la clarté. Les Micmacs de Terre-Neuve luttent pour leur reconnaissance depuis plus de 40 ans. Le gouvernement ne veut pas courir de risques et craint que des modifications au décret soient contestées avec succès.
Quant à savoir s'il est possible de modifier le décret ou non, le gouverneur en conseil peut déclarer qu'un groupe d'Autochtones forme une bande en vertu de la Loi sur les Indiens.
Le pouvoir de modifier un tel décret n'est pas cité explicitement. Il est possible d'ajouter des noms à l'annexe, ce qui a déjà été fait. Il est moins certain qu'on puisse retirer des noms de l'annexe du décret, car ces personnes perdraient le statut d'Indien. C'est l'équivalent de l'ancien concept d'émancipation éliminé de la Loi sur les Indiens en 1985. Le Parlement a indiqué que le registraire ou le gouverneur en conseil ne pouvait pas retirer le statut d'Indien en invoquant l'émancipation. Il pourrait être considéré comme interdit de retirer le statut d'Indien de cette façon. Mais étant donné que les personnes ajoutées au registre par cette initiative le sont en raison de critères qui ne correspondent pas à l'intention originale des parties, il serait prudent de signaler que le décret pourrait être modifié dans les circonstances.
Le sénateur Meredith : Dans le processus d'inscription actuel, vous a-t-on souligné que des personnes n'ont peut-être pas les documents appropriés pour valider leur statut, parce qu'elles cachaient leur identité par crainte de subir une forme de discrimination?
M. Saranchuk : Je vais essayer de répondre en premier. Je ne suis pas certain que cela ait été porté à notre attention. Il est possible que des personnes viennent de familles qui n'étaient pas très ouvertes par le passé, qui étaient réticentes à afficher leur patrimoine autochtone et qui craignaient d'être victimes de discrimination.
Je précise simplement que toutes les personnes qui ont présenté une demande avaient quatre ans pour recueillir la documentation appropriée. Si je me souviens bien, la période allait de 2008 au 30 novembre 2012. Il fallait évidemment fournir bien des documents sur l'ascendance, mais les gens avaient tout de même quatre ans pour identifier le groupe fondateur.
En terminant, je signale qu'une des conséquences liées à l'établissement ou à la reconnaissance d'un groupe fondateur, c'est que les démarches ne peuvent pas s'éterniser. Les parties doivent identifier le groupe fondateur à partir d'une date précise. Les dispositions sur l'inscription dans la Loi sur les Indiens s'appliquent ensuite. Mais la période d'identification du groupe fondateur doit prendre fin à un moment donné.
Le président : Nous allons entendre la Fédération des Indiens de Terre-Neuve plus tard.
La sénatrice Lovelace Nicholas : À la page 5, les critères d'admissibilité comprennent l'identification par la personne elle-même. Pourtant, vous refusez d'autres personnes qui n'ont pas tous les documents. Comment l'expliquez-vous?
M. Saranchuk : Comme vous le savez, madame la sénatrice, l'identification par la personne elle-même constitue un des quatre critères d'admissibilité, en plus de l'ascendance, de la descendance et de l'acceptation. Ce critère découle de l'accord, qui exigeait que la personne possède des documents selon lesquels elle s'est identifiée comme membre avant la création de la bande, le 22 septembre 2011. Auparavant, les gens pouvaient s'identifier autrement, si vous voulez. Mais les partis ont décidé qu'après cette date, la personne devait fournir des documents objectifs prouvant qu'elle s'était identifiée au préalable.
Le président : Au nom du comité, je vous demanderais de remettre à la greffière les exigences relatives aux documents. Je pense qu'elles sont énoncées dans l'accord, mais ce serait utile que vous nous donniez cette information.
M. Saranchuk : Oui, monsieur le président.
La sénatrice Dyck : Je veux revenir à la possibilité que certains Indiens de Terre-Neuve perdent leur statut. Si je comprends bien, la Fédération des Indiens de Terre-Neuve est partie à l'accord. Comprend-elle différentes nations? Il y a les Micmacs, mais je ne sais pas quelles autres Premières Nations résident à Terre-Neuve. Pourquoi les membres reconnus de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve qui ont accès à des services de santé non assurés et à l'éducation postsecondaire voudraient-ils présenter une demande pour faire partie de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq? Les avantages sont-ils différents, ou l'objectif consiste-t-il simplement à exprimer son patrimoine culturel et à s'identifier de nouveau à cette bande micmaque? Pourquoi voudrait-on devenir membre reconnu de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq? Que va-t-il advenir de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve si elle est surtout constituée de Micmacs; va-t-elle disparaître?
M. Saranchuk : Je vais commencer, madame la sénatrice. J'aurais du mal à dire pourquoi les gens présentent des demandes à ce propos. Le représentant de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve, qui va témoigner sous peu, est sans doute mieux placé pour vous répondre. M. Reiher va répondre à votre dernière question.
M. Reiher : Je vais essayer, mais je ne suis peut-être pas en mesure de répondre à tous les aspects de vos questions. Vous avez demandé si la fédération était composée d'une ou de plusieurs nations. La Fédération des Indiens de Terre-Neuve a été créée au début des années 1970, et elle représente les Micmacs qui résident sur l'île. Pour ce qui est de la reconnaissance d'un groupe d'Indiens, c'est possible que des personnes d'autres nations aient déménagé à Terre-Neuve par le passé et se soient intégrées à la communauté micmaque. Dans cette mesure, ces gens seraient inclus. Ils seraient membres de la communauté et reconnus tout autant dans cette initiative.
Je vais répondre à un autre aspect de votre question. Si les personnes sont inscrites comme faisant partie d'une autre bande au Canada aujourd'hui, elles ne peuvent pas être reconnues de nouveau comme membre fondateur de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq. Les gens qui sont déjà inscrits sont exclus. L'objectif de l'initiative, c'est de reconnaître un groupe d'Indiens pour la première fois aux termes de la Loi sur les Indiens.
Concernant les avantages, vous avez parlé de l'importance de la culture micmaque pour les demandeurs. C'est bien sûr une raison très importante qui amène les gens à présenter une demande. Les personnes auraient aussi droit à l'inscription et à certains avantages accordés aux Indiens, comme les services de santé non assurés et l'éducation postsecondaire. Elles seraient membres de la bande, qui reçoit un soutien financier et des fonds pour le développement économique. En tant que groupe, ces personnes recevraient des avantages.
Le président : Merci beaucoup aux témoins. Nous allons entendre le conseiller juridique de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve, par vidéoconférence. Les notes d'exposé de M. Stephen May sont en anglais seulement. Les membres du comité consentent-ils à ce que je les remette?
Des voix : D'accord.
Le président : Notre prochain témoin va comparaître par vidéoconférence à partir de St. John's, à Terre-Neuve. M. Stephen May, conseiller juridique, représente la Fédération des Indiens de Terre-Neuve.
Monsieur May, bienvenue au Comité sénatorial des peuples autochtones. Veuillez présenter votre exposé. Les membres du comité vous poseront ensuite des questions.
Je demanderais aux membres du comité de se présenter eux-mêmes avant de poser leurs questions.
Stephen May, conseiller juridique, Fédération des Indiens de Terre-Neuve : Merci, monsieur le président. Merci au personnel du comité de me permettre de témoigner par vidéoconférence aujourd'hui. Compte tenu du court préavis avant la séance du comité, je n'ai pas pu différer un autre rendez-vous que j'avais ce matin. Mais je voulais témoigner pour donner le contexte du projet de loi C-25. Il importe que le comité connaisse cette longue histoire qui a mené au projet de loi.
La Fédération des Indiens de Terre-Neuve a été fondée en tant que société à but non lucratif en vertu de la Loi sur les corporations de Terre-Neuve-et-Labrador. Au départ, elle s'est formée en 1972 en tant qu'Association des Autochtones de Terre-Neuve-et-Labrador, qui représentait les Inuits et les Innus du Labrador ainsi que les Mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve.
Peu après la formation de l'Association des Autochtones, les Inuits et les Innus ont décidé de mettre fin à leur adhésion. L'association a pris le nom de Fédération des Indiens de Terre-Neuve et a continué de représenter les Mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve par l'intermédiaire de diverses bandes mi'kmaq affiliées établies dans le centre et sur la côte Ouest de Terre-Neuve.
Avant 1982, les Mi'kmaq qui vivaient sur l'île de Terre-Neuve n'étaient pas reconnus comme étant admissibles à l'inscription en vertu de la Loi sur les Indiens. La fédération considérait que le gouvernement du Canada abdiquait à ses responsabilités constitutionnelles envers les Indiens de l'île de Terre-Neuve. Elle cherchait à obtenir la reconnaissance du gouvernement concernant l'admissibilité des Mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve à l'inscription aux termes de la Loi sur les Indiens.
Les négociations avec le Canada ont commencé à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Au départ, elles ont permis aux Mi'kmaq de Conne River, qui était une bande affiliée à la fédération, d'être admissibles en vertu de la Loi sur les Indiens de 1982. À l'époque, la fédération était composée de six autres bandes affiliées dont les membres étaient par conséquent membres de la fédération. Même si la fédération a poursuivi ses efforts pour obtenir la reconnaissance de ses membres en vertu de la Loi sur les Indiens, aucune mesure n'a été prise pour les inscrire. La fédération et les chefs des six bandes affiliées ont donc intenté une poursuite en 1989 devant la Cour fédérale du Canada pour que les membres de la fédération soient déclarés admissibles à l'inscription en vertu de la Loi sur les Indiens.
Vers 2002, l'ancien ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'honorable Robert Nault, a discuté avec la fédération et a donné son aval pour que le gouvernement du Canada tienne des discussions exploratoires avec la fédération, pour essayer de régler le litige porté devant la Cour fédérale.
Ces discussions exploratoires ont mené à l'élaboration d'une option qui permettait aux Mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve, sauf les membres de la bande de Conne River, d'être inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens en tant que membres d'une bande sans assise territoriale. Autrement dit, aucune terre ne serait prévue pour la réserve, si une telle bande était reconnue par le Cabinet fédéral.
À la fin de 2003, les parties ont entamé les négociations préliminaires pour évaluer si la notion de bande sans assise territoriale constituait une option viable pour la fédération et le gouvernement du Canada. Le processus comprenait des consultations avec les membres de la fédération dans les communautés où les bandes étaient situées. Ces consultations reflétaient le consensus des membres de la fédération qui soutenaient la notion de bande sans assise territoriale, mais qui souhaitaient tout de même être inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens en tant que membres de leurs propres communautés.
Lorsque la fédération et le Canada ont convenu durant les négociations préliminaires de négocier la création d'une bande sans assise territoriale, la prochaine étape consistait à négocier un accord de principe.
Le 30 novembre 2007, le Canada et la fédération ont annoncé qu'ils avaient conclu un accord de principe, qui établissait un processus menant à la reconnaissance des Mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve.
Après la ratification par la fédération et le gouvernement du Canada, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'honorable Chuck Strahl, et Brendan Sheppard, président de la Fédération des Indiens de Terre-Neuve, ont signé l'accord de principe le 23 juin 2008. Cet accord est alors devenu l'accord de reconnaissance de la bande Qalipu.
Comme indiqué dans l'introduction de l'accord, l'objectif était d'établir un processus menant à la reconnaissance du groupe des Mi'kmaq de Terre-Neuve comme bande sans assise territoriale. L'accord réglait ainsi la poursuite intentée devant les tribunaux concernant la reconnaissance du statut d'Indiens, en vertu de la Loi sur les Indiens, pour les membres de la fédération et pour les non-membres qui respectaient les critères d'admissibilité.
Ces critères étaient établis selon un examen de la décision que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l'affaire R. c. Powley sur l'affirmation des droits des Métis dans le Nord de l'Ontario.
La cour avait mis de l'avant une série de critères pour établir comment identifier un groupe en ce qui a trait à l'exercice de ces droits. Les parties à l'entente estimaient que les critères répondaient à leurs objectifs visant à établir qui peut devenir membre de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq. Les personnes devaient prouver leur ascendance autochtone sans égard au degré de sang, s'être identifiées en tant que membres du groupe des Indiens mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve avant la formation de la bande de Qalipu et prouver qu'elles avaient été acceptées en tant que membres du groupe des Indiens mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve avant la formation de la bande.
Selon l'article 1.14 de l'accord, le terme groupe des Indiens mi'kmaq de Terre-Neuve renvoyait collectivement au groupe d'Indiens mi'kmaq de Terre-Neuve, sans se limiter aux groupes situés dans les diverses régions listées à l'annexe B de l'accord. Le renvoi à ces communautés dans la définition du groupe reflétait la volonté des membres de la fédération d'être inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens en tant que membres de leurs propres communautés. Les membres du conseil de bande Qalipu sont élus par ces communautés. En ne limitant pas les communautés listées à l'annexe B, il était possible d'ajouter d'autres communautés si elles prouvaient qu'elles formaient des groupes mi'kmaq, sans faire partie de la fédération.
Les personnes pouvaient faire partie du groupe des Indiens mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve si elles établissaient qu'elles avaient des liens courants et concrets avec le groupe et si elles vivaient à l'intérieur ou près des communautés citées à l'annexe B de l'accord. Les personnes pouvaient aussi faire valoir leurs visites fréquentes auprès des membres du groupe ou leur communication avec eux et montrer qu'elles pratiquaient la culture et vivaient selon le mode des Mi'kmaq. Elles pouvaient indiquer qu'elles étaient membres d'organisations faisant la promotion des intérêts des Mi'kmaq, qu'elles connaissaient les coutumes, les traditions et les croyances des Mi'kmaq, qu'elles participaient aux cérémonies culturelles ou religieuses ou qu'elles réalisaient des activités traditionnelles. Ces critères d'admissibilité visaient à ce que les non-résidents montrent qu'ils participent aux groupes mi'kmaq locaux de sorte qu'ils soient considérés comme des membres, même s'ils vivaient en dehors des communautés citées. La bande devait être constituée de Mi'kmaq entretenant des liens courants et concrets avec les communautés listées sur l'île de Terre-Neuve qui, selon leur lieu de résidence ou leur niveau de participation, étaient en position de fournir un apport actif à ces communautés. En plus de leur ascendance mi'kmaq, les demandeurs non résidents devaient prouver qu'ils entretenaient des liens avec les membres du groupe autres que les membres de leur famille immédiate et qu'ils avaient plus qu'un intérêt passager pour leur ascendance mi'kmaq.
À la lumière des études réalisées pendant les négociations de l'accord, les parties ne s'attendaient pas à recevoir au-delà de 20 000 demandes. Toutefois, plus de 20 000 personnes ont déjà été informées qu'elles satisfont aux critères d'admissibilité, et on compte actuellement plus de 100 000 demandeurs, dont la grande majorité semble habiter à l'extérieur des collectivités micmaques. Ces chiffres ont soulevé des questions quant à savoir si l'accord a été appliqué conformément aux modalités négociées et s'il continuera de l'être.
La fédération, en tant que partie à l'accord, a tout intérêt à s'assurer que les critères pour les membres fondateurs de la bande, tels que prévus dans l'accord, sont appliqués comme il se doit. Pour veiller à ce que l'admissibilité des membres soit établie en fonction des critères prévus et que toutes les demandes soient examinées de façon juste et équitable, la Fédération des Indiens de Terre-Neuve a accepté de conclure un accord supplémentaire afin qu'on puisse évaluer et réévaluer toutes les demandes pour déterminer si elles répondent aux critères des membres fondateurs. Cela signifie que certaines personnes à qui on a dit qu'elles étaient admissibles recevront une lettre du comité d'inscription, établi en vertu de l'accord et chargé d'examiner ces demandes, indiquant que celui-ci est revenu sur sa décision. En l'occurrence, on fera une recommandation au gouverneur en conseil afin que le nom de ces personnes soit supprimé de la liste des membres fondateurs de la Première Nation micmaque Qalipu.
J'ai eu l'occasion d'entendre les exposés de MM. Reiher et Saranchuk sur le projet de loi C-25 et la raison pour laquelle il a été déposé, c'est-à-dire pour autoriser le gouverneur en conseil à modifier la liste des membres fondateurs, de sorte que l'on puisse mettre en œuvre l'accord et l'accord supplémentaire. La fédération continue d'appuyer l'accord supplémentaire dans le cadre de l'accord global, car elle veut s'assurer que les critères d'adhésion sont appliqués de façon juste et équitable à tous les demandeurs comme le voulaient les parties lorsqu'elles ont conclu l'accord du 23 juin 2008 visant à établir la bande.
Monsieur le président, cela conclut ma déclaration.
Le président : Merci beaucoup, monsieur May.
Le sénateur Wallace : Merci, monsieur May, pour votre exposé. Lorsque M. Saranchuk a comparu devant nous un peu plus tôt aujourd'hui, il nous a dit qu'il faut absolument mettre en œuvre l'accord supplémentaire et préciser les conditions applicables aux critères visés par l'accord de 2008 si l'on veut non seulement préserver l'intégrité du processus d'inscription des membres de la Première Nation micmaque Qalipu, mais aussi celle de la communauté elle-même. Qu'en pensez-vous? S'agit-il d'une question d'intégrité?
M. May : Merci, monsieur le sénateur. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, l'objectif était d'établir, en fonction de la participation au sein des groupes micmacs, une bande dont ferait partie des résidants des collectivités énoncées dans l'accord intéressés à devenir membres et à le démontrer, afin de pouvoir bâtir une culture inspirée de leurs traditions. Mes clients considèrent qu'une grande partie de cette culture s'est perdue lorsque la province est entrée dans la Confédération puisqu'ils ne bénéficiaient pas de l'appui nécessaire pour l'enrichir. Ils ont donc voulu créer un noyau dans les collectivités autour duquel se développera cette culture. En même temps, ils ont reconnu qu'il y avait des gens qui habitaient à l'extérieur de ces collectivités qui adhéraient eux aussi à la culture et au mode de vie des Micmacs.
Lorsque nous avons vu les chiffres monter en flèche, au printemps 2012, nous avons remis en question le respect de l'objectif de l'accord et nous nous sommes penchés sur la question de l'intégrité et de la crédibilité. Comme je l'ai dit, le but était d'établir un noyau solide au sein des collectivités. Sur les 100 000 demandeurs, il pourrait y en avoir 70 000 qui habitent à l'extérieur de ces collectivités. Nous estimons qu'il est nécessaire d'évaluer et de réévaluer les demandes pour sélectionner les membres comme prévu et, comme je l'ai indiqué, pour respecter l'intention de l'accord qui, selon nos clients, renferme des questions de crédibilité et d'intégrité, afin qu'il soit établi comme les parties l'ont négocié avant 2008.
Le sénateur Wallace : L'accord de reconnaissance de 2013, comme d'autres l'ont souligné, aurait pour effet de supprimer le nom des personnes qui figurent actuellement sur la liste, en fonction des nouvelles normes sur la documentation. Selon vous, est-il raisonnable de penser que, conformément aux normes de l'accord de 2013, certaines personnes verront leur appartenance à la bande révoquée?
M. May : J'aimerais parler de votre affirmation voulant que ce soient de nouvelles normes. Si vous examinez l'annexe A de l'accord de 2008, vous y verrez des renvois aux documents exigés dans le cadre du processus afin d'établir la fréquence des visites et des communications et aussi de démontrer que les demandeurs qui habitent en dehors des collectivités adhèrent également à la culture et aux traditions des Micmacs au sein de ces collectivités.
L'accord supplémentaire, ou l'accord de 2013, précise davantage le type de documents qui doivent être fournis pour établir que le demandeur satisfait aux critères énoncés à l'article 4.1 de l'accord de 2008.
Depuis le début du processus, on voulait que la documentation démontre qu'il existe un lien réel et substantiel avec la communauté. Ce n'est pas moi qui l'invente. Cette exigence fait partie de l'accord de 2008. Oui, nous considérons qu'il est raisonnable que ces documents soient fournis et réexaminés dans le cadre du processus afin que nous puissions nous assurer que l'adhésion à la bande s'effectue selon les critères négociés.
À cet égard, la fédération a une obligation envers tous les demandeurs et il lui incombe de s'assurer que chacun d'entre eux a été inscrit sur la liste des membres fondateurs aux termes de l'accord. L'accord de 2013 reprend cette intention prévue dans l'accord de 2008, mais donne plus de précisions sur la façon dont ces documents seront évalués.
On parle ici d'un accord entre mon client et le gouvernement du Canada. Dans le cadre du processus, les parties se sont entendues sur la nécessité de mettre en œuvre l'accord selon les intentions des parties signataires. Autrement, ce serait injuste envers les personnes qui répondent aux critères inscrits.
J'ignore combien de personnes perdront leur statut de membre, selon les règles d'appartenance établies, mais selon mon client, il est raisonnable de penser qu'il y en aura.
Le sénateur Wallace : Au bout du compte, c'est l'intégrité de la Première Nation micmaque Qalipu qui est en jeu. Ce serait certainement logique.
Le président : Dans cette même veine, monsieur May, des représentants du gouvernement et vous-mêmes avez dit qu'on retrouvait plus de précisions dans l'accord supplémentaire de 2013, mais que l'objet fondamental était le même qu'en 2008.
Seriez-vous d'accord pour dire que le premier comité d'inscription aurait pu faire un travail plus rigoureux et respecter l'intention de l'accord de 2008, de sorte qu'on ne se retrouve pas dans cette situation? Est-ce que je me trompe?
M. May : Je ne peux pas répondre à cette question puisque je n'ai pas pris part à l'examen des dossiers. Pour certaines raisons, l'appartenance de certains membres actuels sera révoquée. Je ne peux pas dire que la faute revient au comité d'inscription, car rien ne le prouve.
Peut-être que, au début, on aurait pu donner de meilleurs conseils. Les critères figurant dans l'annexe A de l'accord de 2008 visaient à procurer une certaine souplesse pour l'obtention des ensembles de documents, n'importe lesquels, qui pouvaient servir à l'établissement de ce lien avec la communauté.
Visiblement, l'accord supplémentaire va plus loin parce que, comme j'ai dit dans ma déclaration préliminaire, c'était censé être une bande sans assise territoriale pour les Indiens micmacs de l'île de Terre-Neuve. En fin de compte, si le nombre de demandeurs à l'extérieur des communautés et de Terre-Neuve totalise 70 000, les parties et mon client estiment qu'il importe de donner de meilleurs conseils sur la documentation à fournir et les modalités de son évaluation. Le comité d'inscription a-t-il fait preuve de laxisme ou, en fin de compte, a-t-il examiné la documentation qu'il a pu consulter pour déterminer que les gens étaient là et que, peut-être, l'immense majorité d'entre eux satisfaisait aux conditions établies? Je ne suis pas en mesure de trancher.
J'hésite à rejeter la responsabilité sur les membres du comité. Nous avons visiblement déterminé après coup qu'il aurait fallu donner des conseils plus précis; c'était après coup. Nous aurions pu agir en amont, en conseillant le comité avant le début de ses travaux, mais je suis en mesure de dire, parce que j'étais présent aux négociations, quand cela a été décidé, qu'on n'avait absolument pas prévu de recevoir tant de demandes.
À l'époque, nous n'avons donc pas ressenti le besoin d'être proactifs.
La sénatrice Dyck : Je suis le même filon. D'après ce que vous avez dit, la Fédération des Indiens de Terre-Neuve représente maintenant des Mi'kmaq surtout. Ma question concerne aussi la possibilité que certains individus acceptés comme membres de la Première Nation Qalipu soient ultérieurement exclus.
Si je comprends bien, et je pourrais me tromper, les Indiens de Terre-Neuve n'ont droit à aucun avantage, puisqu'ils ne sont pas inscrits au sens de la Loi sur les Indiens. Ce serait la première raison, n'est-ce pas?
M. May : Avant la formation de la bande, aucun avantage ne découlait de la Loi sur les Indiens. La fédération profitait de divers programmes particuliers, de temps à autre, mais elle ne s'est fait promettre aucun avantage ferme comme on aurait fait à des membres d'une bande inscrite au sens de la Loi sur les Indiens.
La sénatrice Dyck : La formation de la Première Nation Qalipu procurerait donc des avantages aux membres. Je ne comprends pas comment on peut perdre des avantages. Au début, je pensais que des gens en perdraient, mais, actuellement, cela ne semble pas le cas, puisqu'ils ne sont pas encore inscrits. Ils ne le seront pas tant que le projet de loi ne sera pas adopté.
M. May : Actuellement, environ 20 000 membres inscrits de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq profitent d'avantages en application de la Loi sur les Indiens; 75 000 à 80 000 autres ont demandé d'être inscrits mais ne sont pas encore membres. Ce ne sont pas tous des membres de la fédération. En fait, l'immense majorité n'en fait pas partie.
Au moment de l'annonce de l'accord de principe, en novembre 2008, le nombre de membres de la fédération dépassait à peine 10 000.
La sénatrice Dyck : Pour que je comprenne tout à fait, 20 000 se sont inscrits à la suite de l'accord de 2008?
M. May : J'ignore si c'est le nombre exact, mais le nombre d'inscrits dépasse maintenant à peine 20 000, effectivement.
La sénatrice Dyck : C'est là où je me sens toute mêlée, encore une fois. Je pensais que le projet de loi était nécessaire pour l'inscription de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq au sens de la Loi sur les Indiens. Si 20 000 membres sont déjà inscrits, pourquoi avoir besoin de la disposition sur l'inscription, s'il existe déjà un mécanisme d'inscription?
J'espère que je me suis bien exprimée, parce que je ne comprends pas trop bien.
M. May : Si vous faites allusion à l'article 3 du projet de loi, il ne vise pas seulement à inscrire le nom d'une personne, mais aussi à permettre sa suppression. Le processus prévu par l'accord supplémentaire comprend la réévaluation des demandes déjà approuvées. Si cette réévaluation arrive à la conclusion que le demandeur n'a pas satisfait aux critères, l'article 3 du projet de loi procure le mécanisme par lequel le gouverneur en conseil peut supprimer le nom de cette personne.
La sénatrice Dyck : Actuellement, sans projet de loi C-25, le gouverneur en conseil ne peut pas supprimer de noms inscrits sous le régime de la Loi sur les Indiens?
M. May : J'ignore si je suis la bonne personne pour répondre à cette question. Pour des motifs techniques, le ministère de la Justice a vu la nécessité de ce mécanisme. Pendant les négociations, alors que nous discutions de notions, mes antécédents dans le domaine m'ont amené à me demander, entre autres choses, si une loi était nécessaire pour faire prendre effet aux résultats de l'accord, dans le cas où un membre inscrit de la bande ne satisfaisait pas aux critères, ou si la Loi sur les Indiens donnait au registraire le pouvoir de supprimer le nom d'une personne qui s'était révélée admissible en sa qualité de membre fondateur.
Vers la fin des négociations, le Canada a fait savoir qu'il voyait la nécessité de faire adopter une loi. Comme avocat ayant travaillé dans ce domaine, cela ne m'a pas étonné.
Le président : Pour aider le comité, M. Saranchuk a effectivement dit la même chose; que le pouvoir d'ajouter des noms à l'annexe du décret de reconnaissance sous le régime de la Loi sur les Indiens existe probablement, mais que le gouvernement a estimé qu'il n'était pas clair que la loi, actuellement, permettait leur suppression.
La sénatrice Dyck : Encore une petite question. Dans vos remarques, vous avez dit, au sujet des Mi'kmaq de Conne River, qu'ils étaient admissibles à l'inscription en 1982. Pourtant, à la page 2, vous avez dit qu'ils n'y étaient pas admissibles, puisque, au sens de la Loi sur les Indiens, leur bande n'avait pas d'assise territoriale. Que vient y faire cette absence d'assise territoriale? En possèdent-ils une? Est-ce le problème?
M. May : Une bande sans assise territoriale, à ce que je sache, est une bande sans réserve. À sa création, en 1982, la bande de Miawpukek, de Conne River, était officiellement dotée d'une réserve; elle n'est donc pas visée par l'accord.
Le sénateur Tannas : Pour faire suite à la question de la sénatrice Dyck, quel besoin avons-nous de ce projet de loi, vu que la bande Qalipu a déjà été créée? Simplement pour que nous nous comprenions bien, je crois, et peut-être pourriez-vous confirmer que c'est vrai, que nous devons encore nous occuper de 70 000 personnes qui ont demandé d'être inscrites, mais pour lesquelles le temps a manqué, vu la dissolution du comité en application du projet de loi antérieur. C'est le premier point à considérer.
Ensuite, on se serait aperçu que des inscrits n'auraient pas dû l'être, et nous devons pouvoir, grâce à ce projet de loi, supprimer leurs noms.
En troisième lieu, nous devons pouvoir supprimer la mention de ces personnes sans qu'elles n'intentent de poursuites pour une perte d'avantages découlant du fait que leur demande aurait été acceptée avant que la décision ne soit révoquée.
À votre avis, est-ce essentiellement ce que nous faisons ici?
M. May : La question s'adresse-t-elle à moi, monsieur le sénateur?
Le président : En effet, monsieur. La réponse est-elle oui ou non?
M. May : Oui, c'est un bon résumé.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Puisque le gouvernement fédéral a refusé de reconnaître l'admissibilité de la bande à une inscription en vertu de la Loi sur les Indiens, et qu'on la considère sans assise territoriale — je suis perplexe. Ne s'agit-il pas des Premières Nations qui vivaient sur le territoire lors du premier contact?
M. May : C'est une excellente question, madame la sénatrice, qui est d'ailleurs encore contestée dans ma province. La Fédération des Indiens de Terre-Neuve et la bande de Miawpukek de Conne River, qui sont tous deux mes clients, croient avoir des droits territoriaux sur l'île de Terre-Neuve. Il y a eu des poursuites ici à ce propos, mais les tribunaux ne leur ont pas donné raison à ce jour.
Il faut toutefois reconnaître qu'il existe une différence entre une assise territoriale dans le but de revendiquer des terres et une réserve créée en vertu de la Loi sur les Indiens. Mon client est d'avis que cet accord pour la reconnaissance de la bande de la Première Nation Qalipu Mi'kmaq permet aux Mi'kmaq de l'île de Terre-Neuve qui remplissent les critères de s'inscrire en tant que membres. Et lorsque nous parlons de « bande sans assise territoriale » ou de membres qui ne sont pas sur une réserve, il n'y a aucune création de réserve.
L'accord protège le droit de fonder des revendications sur l'utilisation des terres et l'assise territoriale. On est encore en train d'accumuler les preuves de cette assise territoriale historique ayant précédé l'arrivée des Européens.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Dans la disposition pour laquelle vous parlez « d'auto-reconnaissance »...
M. May : Parlez-vous « d'auto-identification »?
La sénatrice Lovelace Nicholas : Oui, veuillez m'excuser. La disposition pourrait-elle inclure des personnes non autochtones?
M. May : Ce serait théoriquement possible, mais c'est pourquoi il y a plus d'un critère. Si l'on revient à l'affaire Powley, l'objectif était de ne pas se limiter à l'auto-identification; il devait y avoir un lien ancestral à une personne reconnue dans les textes historiques ou les documents gouvernementaux, ou qui pouvait démontrer une ascendance indienne du Canada avant que Terre-Neuve ne se joigne au Canada en 1949. Enfin, le demandeur devait bien sûr être accepté au sein du groupe.
Même si aucun des critères de l'accord n'exclut expressément les personnes non autochtones, ces trois dispositions doivent être respectées, y compris le critère d'ascendance indienne du Canada. Même si l'accord ne prévoit aucun degré minimum de sang indien, la personne doit avoir une raison d'affirmer son ascendance indienne afin de faire une demande. Pour avoir le droit de s'inscrire, une personne qui s'identifie en tant que membre du groupe, mais qui n'est pas autochtone devrait tout de même prouver cette ascendance et être acceptée au sein du groupe.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Un conjoint non autochtone pourrait-il être reconnu?
M. May : Non. La seule exception, madame la sénatrice, c'est si un enfant non autochtone était adopté par une famille autochtone, mais l'accord reconnaît explicitement cette situation. C'est la seule possibilité.
Le sénateur Meredith : Monsieur May, vous avez dit qu'environ 70 000 demandeurs sont à l'extérieur de Terre-Neuve.
Le président : Je pense que le témoin a dit quelque part à l'extérieur de Terre-Neuve.
Le sénateur Meredith : Oui, on peut imaginer que certains aient quitté Terre-Neuve et soient répartis un peu partout au Canada. Par contre, ils demeurent inscrits; il a été question que certains cachent leur identité. Ces personnes devront interjeter appel pour s'auto-identifier ou être à nouveau acceptées au sein de leur milieu. Vous avez dit qu'ils étaient environ 70 000. Le représentant d'Affaires autochtones nous a appris qu'un nouveau responsable des appels devait être nommé.
Quelle procédure votre client devrait-il suivre pour mettre en place ce nouveau responsable des appels, ou avec quelle procédure énoncée est-il à l'aise? C'est ma première question.
En deuxième lieu, j'aimerais rapidement savoir ce que votre client pense des avantages auxquels les personnes reconnues auront droit. Est-il satisfait du niveau de service dont elles bénéficieront?
Ma troisième question est la suivante : qu'est-ce qui empêche les personnes actuellement rayées de la liste de soumettre une contestation judiciaire?
M. May : Le processus de nomination d'un responsable des appels est le même que celui qui était prévu à l'accord de 2008. En général, la personne doit avoir reçu une formation juridique et être fort respectée par les avocats de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Mon client est à l'aise avec cette procédure. Nous sommes en train de trouver des candidats qui pourraient être prêts à assumer ces fonctions; nous discutons avec le gouvernement canadien pour déterminer de qui il pourrait s'agir.
J'ignore si je peux répondre à votre deuxième question. Je ne connais pas bien les avantages dont profiteraient les membres de la bande; je n'en ai qu'une idée très générale. Je sais qu'ils ont accès aux services de santé non assurés du ministère de la Santé. Dans le cas d'autres programmes, comme ceux ayant trait à l'éducation, l'argent est versé à la bande selon une formule permettant aux membres de recevoir une aide pendant leurs études. Puisque je n'ai participé ni aux négociations ni à l'administration de ces avantages, je ne peux pas vous résumer les services auxquels une personne aurait droit.
Le sénateur Meredith : Ce que je voulais savoir, c'est si votre client était satisfait de ce qu'il allait recevoir. Dans le cadre de vos échanges avec lui, vous en avez certainement parlé en discutant des membres actuellement identifiés et des avantages, que ce soit en santé ou en éducation. En ce qui a trait aux avantages économiques, puis-je vous demander rapidement si ceux qui vivent là-bas ont le droit d'exploiter le sol? Je sais qu'il y a beaucoup de gaz naturel à Terre-Neuve. Sont-ils en mesure de lancer des entreprises dans ce secteur? Ont-ils d'autres avantages à cet égard?
M. May : Les membres ont accès aux programmes fédéraux offerts aux Indiens inscrits qui vivent hors réserve. L'accord de 2008 précise les types de programmes qui leur sont offerts.
Je dois être prudent ici aussi, car je ne connais pas bien les prestations, et j'ignore ce que les membres ne sont pas en mesure d'obtenir. Au cours des négociations initiales, il y avait un problème du côté des indemnités de logement puisqu'elles sont normalement versées aux Autochtones qui vivent dans les réserves. Il y avait donc des discussions à ce propos. Je n'ai pas assisté à la suite des pourparlers, et j'ignore si on a répondu à cette inquiétude de mon client.
Veuillez m'excuser, monsieur le sénateur; j'ai voulu écrire votre troisième question, mais je crains de ne pas bien m'en souvenir. Pourriez-vous la répéter?
Le sénateur Meredith : Puisque mon temps est limité, je vais la laisser tomber.
Le président : Il nous reste un instant pour la sénatrice Raine.
La sénatrice Raine : Vos membres appartiennent-ils à la Première Nation Qalipu Mi'kmaq seulement, ou à la bande de Miawpukek de Conne River aussi?
M. May : Lorsqu'il est devenu clair que l'accord allait entrer en vigueur, madame la sénatrice, la Fédération des Indiens de Terre-Neuve a réuni ses membres en 2009 à l'occasion d'une assemblée nationale. Selon ses règlements administratifs de l'époque, les bandes membres devaient envoyer des représentants à une rencontre annuelle, conformément à la procédure énoncée dans la Corporations Act de Terre-Neuve-et-Labrador. Lors de cette rencontre, on a approuvé une résolution qui allait changer la composition de la fédération une fois la bande créée.
Il y avait un certain nombre de raisons, certaines étant financières, et d'autres ayant trait à des programmes qui devaient être offerts aux membres seulement, alors que Qalipu ne se composait pas uniquement de membres. En 2009, les délégués de l'assemblée générale annuelle de la fédération ont approuvé une résolution qui allait modifier les règlements administratifs de la fédération lors de la création de la bande; ainsi, les représentants de Qalipu élus au conseil de bande allaient devenir les seuls membres de la fédération. Aujourd'hui, la fédération représente donc essentiellement le conseil de bande de Qalipu.
Le président : On m'a demandé d'apporter une précision. Vous avez parlé d'un litige concernant la reconnaissance des Mi'kmaq et d'un accord qui a été conclu. En quoi l'accord a-t-il influencé le litige? Y a-t-il un lien?
M. May : Oui, monsieur le sénateur. C'est grâce à la conclusion de l'accord que la fédération a abandonné ses poursuites. L'accord précisait la façon d'y mettre fin. Le litige a été réglé devant la Cour fédérale.
Le président : Y a-t-il eu entente entre les parties?
M. May : Oui, conformément à l'accord de 2008. Les modalités de l'abandon des poursuites étaient précisées au chapitre 8 de l'accord. La contrepartie de l'accord était le règlement du litige.
Le président : Je vous remercie infiniment de votre témoignage, qui nous a été utile, surtout en ce qui a trait à la question territoriale. Ce que vous nous avez appris nous aide à éclaircir la question.
(La séance est levée.)