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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 10 - Témoignages du 2 décembre 2014


OTTAWA, le mardi 2 décembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, pour étudier les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières Nations.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour mesdames et messieurs. Je souhaite la bienvenue à tous mes collègues ainsi qu'aux membres du public qui assistent à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, soit en personne, soit par le truchement de CPAC ou du Web.

Je m'appelle Denis Patterson, je suis du Nunavut et j'ai l'honneur de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Nous avons pour mandat d'étudier les textes législatifs et les questions qui concernent généralement les peuples autochtones du Canada. Nous entendrons aujourd'hui des témoignages portant sur un ordre de renvoi particulier nous autorisant à nous pencher et à faire rapport sur les problèmes et les solutions éventuelles liés à l'infrastructure dans les réserves, y compris le logement, l'infrastructure communautaire, les possibilités novatrices de financement et les stratégies de collaboration plus efficaces.

Nous avons terminé nos audiences sur la question du logement et nous allons maintenant nous pencher sur les infrastructures, notamment sur les solutions novatrices pour les financer. Les intervenants qui composent la table ronde d'aujourd'hui sont très bien placés pour donner au comité des témoignages sur les formules novatrices de financement des infrastructures dans les réserves.

Avant d'entendre les témoignages et peut-être aussi avant de faire un tour de table et demander aux membres du comité de se présenter, je tiens à accueillir de façon particulière notre ancien collègue très estimé, le sénateur Gerry St. Germain, qui est toujours le bienvenu dans cette salle. J'ai la lourde tâche de lui succéder dans ce fauteuil. C'est toujours un plaisir de vous revoir, monsieur.

L'honorable Gerry St. Germain, C.P., conseiller, Conseil de gestion financière des Premières Nations : Merci.

Le président : Ainsi que vos distingués collègues.

Je prie maintenant les sénateurs de se présenter à tour de rôle.

Le sénateur Sibbeston : Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Dyck : Lillian Dyck, de la Saskatchewan, vice-présidente du comité.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick. Bonjour à tous.

La sénatrice Beyak : Bonjour. Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Greene Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

Le président : Merci, chers collègues. Je sais que vous vous joindrez à moi pour souhaiter la bienvenue à M. Steve Berna, directeur de l'exploitation, et à M. Ernie Daniels, président et directeur général, Administration financière des Premières Nations, ainsi qu'à M. Harold Calla, président du conseil d'administration, Conseil de gestion financière des Premières Nations — heureux de vous revoir, monsieur Calla —, qui est accompagné de l'honorable Gerry St. Germain, P.C., conseiller.

Nous souhaitons également la bienvenue à M. David Crate, membre du Conseil national de développement économique des Autochtones et chef de la Nation crie de Fisher River, au Manitoba.

Bienvenue à tous. Nous avons bien hâte d'entendre vos exposés, qui seront suivis d'une période de questions des membres du comité.

Monsieur Daniels, j'ai cru comprendre que vous alliez parler en premier. Allez-y, je vous prie.

Ernie Daniels, président et directeur général, Administration financière des Premières Nations : Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez de prendre la parole ici aujourd'hui. Permettez-moi, avant d'entrer dans le vif de mon sujet, de dire quelques mots sur moi-même. Je suis natif des Territoires du Nord-Ouest et j'y ai grandi et fait mes études. Je suis comptable général accrédité et j'ai vécu à Ottawa durant bon nombre d'années, où j'ai travaillé à l'Association des agents financiers. J'ai depuis déménagé en Colombie-Britannique, question, j'imagine, de me rapprocher de chez moi.

Je me sens réellement privilégié d'être ici aujourd'hui. Je tâcherai de vous exposer brièvement le travail de l'AFPN, après quoi je soumettrai quelques recommandations à l'examen du comité.

L'AFPN est l'une des trois institutions financières des Premières Nations créées aux termes de la Loi sur la gestion financière des Premières Nations, qui a reçu l'aval de tous les partis en 2006. L'AFPN est un organisme sans but lucratif qui appartient entièrement aux gouvernements des Premières Nations, qui sont ses membres emprunteurs.

L'AFPN a pour mandat d'être 1'organe central d'emprunt des Premières Nations de tout le Canada. Elle offre à ses membres du financement à long terme et à taux fixe, assorti de modalités de remboursement pouvant s'échelonner sur une période allant jusqu'à 30 ans, en émettant des obligations dans les marchés financiers pour ensuite prêter à nouveau les profits nets aux Premières Nations. L'AFPN offre également à ses membres du financement provisoire à court terme à des taux inférieurs aux taux d'intérêt préférentiels pratiqués par les banques. En plus de ses services de financement, elle offre à ses membres et à d'autres organismes des Premières Nations des services d'investissement collectif.

En se regroupant au sein de l'AFPN, les Premières Nations ont reçu deux d'évaluation en matière d'investissement, de Moody's et de Standard & Poors, et ont acquis la confiance des marchés financiers, si bien qu'elles peuvent désormais obtenir des fonds auxquels ont accès les autres ordres de gouvernement au Canada.

Le 19 juin 2014, pour la première fois dans l'histoire du Canada, les Premières Nations, en tant que groupe d'emprunteurs, ont pu se financer directement à même les marchés financiers mondiaux. L'Administration financière des Premières Nations a émis, pour le compte de 14 Premières Nations, ses premières obligations de 10 ans, d'une valeur totale de 90 millions de dollars.

Ces obligations de 90 millions de dollars ont été achetées par des sociétés d'assurance-vie, des régimes de retraite et des grandes entreprises. La structure de l'AFPN et les garanties offertes aux investisseurs ont rendu nos obligations très attrayantes pour ces derniers, et la porte est grande ouverte pour que nous émettions d'autres obligations ultérieurement. Les principaux investisseurs étaient de 1'État de New York, suivis par les régimes de retraite de provinces canadiennes.

À part des taux d'intérêt plus bas, un autre avantage important est que chaque Première Nation participante reçoit une lettre de 1'AFPN indiquant son pouvoir d'emprunt, à savoir le montant de financement que les marchés financiers sont disposés à lui prêter.

Par exemple, la Première Nation de Membertou économise 140 000 $ par mois depuis qu'elle a recours au financement de l'AFPN. Ces économies équivalent à la construction d'une nouvelle maison chaque mois. La lettre de pouvoir d'emprunt que nous avons donnée initialement au chef et au conseil était de plus de 75 millions de dollars.

Même si elle donne de bons résultats, la Loi gagnerait à être modernisée ou modifiée de façon à la rendre encore plus efficace. Pour parvenir à combler les fossés qui se creusent dans les réserves sur le plan des infrastructures, il importe de parler de ces aspects.

Jusqu'à présent, quelque 150 Premières Nations ont volontairement demandé au ministre de pouvoir recourir à la Loi et aux services qu'elle prévoit. Toutefois, le processus d'inscription à l'annexe est long, jusqu'à six mois, mais il pourrait cependant être raccourci si l'on autorisait le ministre à approuver les demandes d'inscription à l'annexe.

Les marchés financiers ont travaillé avec l'AFPN afin d'établir des facteurs de maximisation pour chaque type de revenus autonomes intervenant dans le calcul du pouvoir d'emprunt de chaque Première Nation. Le pouvoir d'emprunt de chaque collectivité est revu annuellement et modifié si cela est justifié. De plus, pour prévenir l'emprunt à outrance, l'AFPN a mis en place certaines mesures de protection du ratio d'emprunt.

L'émission inaugurale d'obligations d'une durée de 10 ans et d'une valeur de 90 millions de dollars, en juin 2014, était assortie d'un taux débiteur fixe de 3,79 p. 100. Aujourd'hui, ce taux s'élèverait à 3,35 p. 100. Les 14 Premières Nations qui ont participé à l'émission obligataire ont utilisé les profits pour mener à bien des projets d'infrastructure, de logement et de développement économique et social. Depuis, l'AFPN a continué d'offrir à ses membres du financement provisoire au taux de 2,60 p. 100. Ces prêts à court terme seront intégrés à la seconde émission obligataire de l'AFPN, en 2015.

Les Premières Nations qui n'ont pas de « revenus autonomes » exploitables pour garantir un emprunt auront du mal à réunir les conditions nécessaires pour devenir membres. Leur seul recours pour développer leurs infrastructures est de se tourner vers le financement annuel d'AADNC. Si des sources de revenus autonomes exploitables pouvaient être mises à leur disposition, ces revenus nouvellement exploitables pourraient servir à garantir des prêts contractés auprès de l'AFPN, à transformer leurs collectivités et à ouvrir des débouchés économiques.

Deux idées pour générer des revenus exploitables viennent à l'esprit : premièrement, des ententes pluriannuelles de financement des immobilisations entre AADNC et les Premières Nations et, deuxièmement, la participation à des grands projets d'exploitation des ressources à titre de partenaires investisseurs.

À l'heure actuelle, AADNC finance les infrastructures selon le principe du paiement à l'utilisation, en vertu duquel les fonds sont payés en espèces selon les besoins et d'autres facteurs. Cette formule prévient toute dette envers le gouvernement du Canada, mais limite le nombre de projets réalisés au cours d'une année. Les coûts des projets augmentent d'une année à l'autre en raison de l'inflation liée à la main-d'œuvre et aux matériaux. Résultat : le déficit lié aux infrastructures ne cesse d'augmenter. Pour remédier au problème, il serait possible de monnayer, par l'entremise de l'AFPN, le financement fédéral annuel destiné aux infrastructures dans les réserves. Grâce à une telle formule, il serait possible de réaliser maintenant un plus grand nombre de projets aux coûts actuels et non aux coûts indexés de demain. Le fait de monnayer le financement réduirait grandement le fossé qui se creuse actuellement sur le plan des infrastructures.

La seconde idée est la participation à de grands projets d'exploitation des ressources. L'un des moyens suggérés afin d'améliorer l'accès à des capitaux pour que les Premières Nations puissent soutenir des projets de grande envergure et y participer est le recours au soutien du gouvernement fédéral. Toutefois, les grands projets d'exploitation des ressources nécessitent des prêts d'une valeur qui excède la capacité de revenus actuelle des Premières Nations. Le soutien du gouvernement fédéral à l'endroit de l'AFPN donnerait aux marchés financiers les garanties nécessaires pour acheter les obligations de 1'AFPN. Pour les collectivités des Premières Nations, la participation économique se traduira par des transferts en espèces annuels importants. Ainsi, les Premières Nations seraient en mesure de monnayer leurs propres sources de revenus à l'aide du programme d'emprunt de l'AFPN afin de répondre aux besoins de leur collectivité en matière d'infrastructures sans devoir se fier uniquement à la mise de fonds d'Ottawa. Je suis certain que Harold et Gary parleront de cette question.

Je veux dire quelques mots au sujet de modifications à la Loi. À la suite du succès de la première émission obligataire et de 1'expérience de première main acquise quant aux moyens à prendre pour se conformer aux exigences légales, il est évident que des modifications de la Loi sont nécessaires afin de la rendre plus avantageuse pour les Premières Nations sur le plan de 1'accès au financement et de leurs besoins en infrastructures. Bien que des travaux soient en cours avec AADNC pour modifier et moderniser la Loi, afin d'accélérer, par exemple, le processus d'inscription à 1'annexe, un effort concerté de la part de ce comité et d'autres parties concernées est nécessaire pour mener à bien cette entreprise.

J'exposerai brièvement trois recommandations que nous proposons. La première est que l'AFPN soit invitée à participer à d'autres discussions concernant les méthodes de rechange visant à offrir des infrastructures adéquates aux Premières Nations du Canada. La deuxième, que notre conseiller juridique présente une première ébauche des modifications de la Loi que les deux options de financement de rechange dont je viens de parler nécessiteraient. La troisième, que soient mises en œuvre les recommandations formulées par le Conseil national de développement économique des Autochtones dans son rapport de février 2012, intitulé Financer l'infrastructure des Premières Nations, et que le chef David Crate voudra certainement discuter ultérieurement.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Daniels.

Chef Crate, la parole est à vous.

David Crate, membre du Conseil national de développement économique des Autochtones et chef de la Nation crie de Fisher River, Manitoba : Bonjour à tous. Je tiens à vous remercier, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui au nom du Conseil national de développement économique des Autochtones. Je vais d'abord vous faire connaître certaines de nos préoccupations en ce qui concerne les besoins d'infrastructure des communautés et ensuite formuler quelques recommandations à votre intention.

Je veux d'abord vous donner un aperçu de mes antécédents. J'ai été chef de la Nation crie de Fisher River, de façon intermittente, au cours des 26 dernières années. J'ai travaillé donc dans la communauté et j'ai vu beaucoup de différentes choses quant aux besoins dans notre communauté, le besoin en infrastructure étant l'un des plus criants de notre Première Nation. Je suis aussi membre du Conseil national de développement économique des Autochtones.

Le Conseil est composé de dirigeants du milieu des affaires et des communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis de partout au Canada. Il a pour mandat de fournir au gouvernement fédéral des conseils stratégiques sur les politiques et les programmes de développement économique à l'intention des Autochtones. Il exerce un important rôle en aidant le gouvernement fédéral à répondre aux besoins et aux situations propres aux Autochtones du Canada. Le Conseil est dirigé par le chef Clarence Louie, président, et Dawn Madahbee, vice-présidente. Tous deux ont comparu à de nombreuses occasions devant ce comité.

En tant que chef de ma communauté et membre du Conseil, je crois que l'infrastructure est cruciale pour le redressement de l'économie des Premières Nations. Partout au Canada, là où les Premières Nations ont réussi à créer une économie solide et durable, c'est l'infrastructure qui en a été le fondement. Qu'il s'agisse d'écoles pour éduquer nos enfants, d'installations de traitement de l'eau pour fournir de l'eau potable ou de routes pour livrer les biens, l'infrastructure est la pierre d'assise. Elle est nécessaire pour faire croître l'économie des Premières Nations, l'investissement et les revenus gouvernementaux, lesquels peuvent, en retour, servir à mettre en place l'infrastructure et à en assurer l'entretien par la suite.

Dans ma communauté, qui se trouve dans la partie sud du Manitoba, l'infrastructure est la première des priorités. Au fil des ans, notre communauté a bénéficié de programmes de lutte contre les inondations, les investissements visant l'entretien des chemins, le drainage et le logement. Ces investissements se sont traduits par une atténuation des dégâts causés par les inondations dans ma communauté et par des économies au chapitre des coûts.

Cependant, d'autres Premières Nations ne sont pas dans la même situation, et beaucoup de leurs projets ne progressent pas aussi rapidement qu'elles le souhaitent. Dans bien des cas, il y a des retards dus au décalage entre la présentation de la proposition de financement au gouvernement fédéral et l'octroi des fonds demandés. Je parlerai plus longuement de l'actuelle formule de financement dans un moment.

Comme le comité ne le sait que trop bien, le déficit de l'infrastructure dans les communautés des Premières Nations est considérable. En 2011, une évaluation nationale des installations de traitement de l'eau et des eaux usées concluait qu'un investissement de 1,2 milliard de dollars était nécessaire pour rendre les systèmes existants conformes aux normes. Selon le ministère des Affaires autochtones, il faudrait 1 milliard de dollars pour répondre aux besoins prévus dans le domaine scolaire. D'après une évaluation faite en 2011, le ministère des Affaires autochtones estime qu'entre 20 000 et 35 000 nouvelles maisons sont à construire et 5 200 maisons sont à remplacer, ce qui représente un coût total se situant entre 4 et 6 milliards de dollars.

Et ce déficit ne cesse de croître. Beaucoup de Premières Nations sont aux prises avec des difficultés qu'entraînent les coûts liés à l'avancement des grands projets d'immobilisation. Même quand de tels projets sont achevés, il n'y a pas assez d'argent pour couvrir les coûts de fonctionnement et d'entretien. Tout comme les autres gouvernements locaux ailleurs au Canada, les Premières Nations considèrent que cette situation n'est pas viable. Le déficit de l'infrastructure diminue le potentiel économique de toute communauté dans un enchaînement direct et évident : une infrastructure insuffisante fait augmenter les coûts des entreprises, les coûts plus élevés entraînent une baisse des profits, les profits plus faibles ont un effet de dissuasion sur l'investissement, le tarissement de l'investissement se traduit par un fléchissement de l'emploi et une main-d'œuvre moins productive et la réduction de la productivité signifie une diminution des revenus.

Le Conseil national de développement économique des Autochtones approuve l'approche du comité qui vise à recourir à des modes novateurs de financement comme moyen de résoudre les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières Nations. Un financement fondé sur la trésorerie pour l'année courante, comme celui actuellement pratiqué par le gouvernement fédéral, n'est pas une solution. Il est nécessaire d'innover.

De l'avis du Conseil, le moyen le plus efficace pour promouvoir l'innovation en matière de financement consisterait à faire croître les revenus gouvernementaux des Premières Nations. Cela permettra de réduire la pression qui pèse sur les programmes fédéraux sursouscrits et de donner aux Premières Nations la souplesse nécessaire pour qu'elles puissent prendre leurs propres décisions à leur propre rythme.

Les flux de revenus ont une importance cruciale dans le financement de l'infrastructure de la plupart des gouvernements locaux. Sans l'impôt foncier, les frais de service ou les transferts des gouvernements provincial ou fédéral, le financement à long terme de l'infrastructure serait impossible pour la plupart des municipalités canadiennes.

Les Premières Nations, pour leur part, fonctionnent dans un contexte très différent. Dans les réserves, l'assiette foncière représente une proportion plus faible du total des revenus gouvernementaux que dans le cas des autres ordres de gouvernement. Les gouvernements des Premières Nations comptent aussi davantage sur un financement accordé par les autres ordres de gouvernement et sur leurs propres sources de revenus. En Colombie-Britannique, 38 p. 100 du revenu des Premières Nations provenait de leurs propres sources de revenus, comparativement à 31 p. 100 pour les municipalités. Le financement accordé par d'autres ordres de gouvernement représente 61 p. 100 des revenus des Premières Nations, alors qu'il compte pour 41 p. 100 dans le cas des municipalités.

Il y a trois mesures que le gouvernement fédéral peut prendre pour aider à accroître les revenus des gouvernements des Premières Nations. La première serait de revoir le droit exorbitant de perception de l'argent des Indiens par le Canada. Rien n'illustre mieux le paternalisme qui imprègne la Loi sur les Indiens que ses dispositions désuètes en vertu desquelles le Canada perçoit et administre le revenu propre des Premières Nations. Étant donné que nous, les gouvernements des Premières Nations, dépendons plus que d'autres de revenus de nos propres sources, il est crucial que nous les contrôlions.

L'argent des Indiens provient de la vente d'un intérêt dans les terres de réserve, par exemple les revenus d'exploitation pétrolière, gazière et forestière ou produits par d'autres activités, telles que la location ou les droits de passage. Aux termes de la Loi sur les Indiens, cet argent est perçu par la Couronne et est considéré comme étant des « deniers publics ».

À l'heure actuelle, l'argent des Indiens dormant dans le Trésor public s'élève à 800 millions de dollars et porte intérêt à environ 2,5 p. 100 par an. Si nous estimons, de façon bien prudente, que les gouvernements des Premières Nations paient un 8 p. 100 d'intérêt sur leurs emprunts, cela signifie que les Premières Nations versent chaque année 44 millions de dollars en frais d'intérêt tout à fait évitables.

Une autre façon d'examiner la situation serait sous l'angle des flux de trésorerie. Chaque année, un montant d'environ 250 millions de dollars est perçu en vertu des dispositions sur l'argent des Indiens qui sont contenues dans la Loi sur les Indiens. Le Conseil estime que ces revenus pourraient représenter un pouvoir d'emprunt de 1,7 milliard de dollars grâce à l'effet de levier de la formule d'emprunt groupé de l'Administration financière des Premières Nations. Cette situation est une belle occasion manquée, mais elle serait pourtant, pour peu qu'elle soit corrigée, avantageuse tant pour le Canada que pour les Premières Nations.

La deuxième mesure à prendre serait d'améliorer la formule de financement appliquée par le Canada aux projets d'infrastructure des Premières Nations. À l'heure actuelle, la plupart des Premières Nations reçoivent des contributions fédérales pour se doter d'éléments d'infrastructure par le truchement de l'application de programmes existants. Cette approche pose trois problèmes. D'abord, les contributions sont souvent assorties de conditions restrictives qui limitent le pouvoir discrétionnaire quand il s'agit de décider de l'allocation optimale des fonds. Ensuite, les accords de financement ont une durée maximale de 10 ans, bien inférieure au cycle de vie de 30 ans et plus qui s'applique à un projet PPP, par exemple. Enfin, ces fonds sont sujets à l'approbation annuelle du Parlement, ce qui en diminue la prévisibilité aux yeux des prêteurs.

Une solution pour résoudre ces problèmes consisterait à établir un cadre réglementaire pour l'infrastructure des Premières Nations. Elle apporterait le degré de certitude voulu pour obtenir, grâce à l'effet de levier, des montants de capitaux plus importants par l'entremise d'une institution telle que l'Administration financière des Premières Nations.

La troisième mesure que le gouvernement fédéral pourrait prendre serait d'offrir une garantie de prêt en vue de faciliter la participation à de grands projets producteurs de revenus. Harold Calla et Gerry St. Germain pourront discuter mieux que moi de cette proposition, mais je tiens à signaler que le Conseil y est favorable du fait qu'elle s'annonce comme un moyen utile pour aider les Premières Nations à obtenir des revenus considérables à très faible risque pour le Canada.

Même si l'étude du comité porte surtout sur la situation dans les réserves, je veux aussi faire état des difficultés en matière d'infrastructure dans d'autres parties du Canada, en particulier dans les communautés inuites et chez les Premières Nations signataires de traités modernes. Vu le caractère démographique du Nord, où la majorité de la population est d'origine autochtone, et le fait que la presque totalité du territoire est visée par des traités modernes, le développement économique dans le Nord canadien est indissociable du développement économique des Autochtones.

Étant donné les grandes possibilités d'exploitation des ressources dans le Nord canadien et le rôle que les communautés autochtones sont prêtes à jouer dans ce domaine, il importe de s'assurer de façon particulière de mettre à profit l'exploitation des ressources pour se doter d'une infrastructure durable, propre à favoriser la pérennité et la diversité du développement économique.

Les Premières Nations autonomes sont aux prises avec beaucoup de mêmes problèmes liés à l'infrastructure que celles qui sont régies par la Loi sur les Indiens. De plus, elles sont confrontées à la difficulté de composer avec la politique du Canada en matière de revenus autonomes. Aux termes de cette politique, le financement fédéral diminue à mesure que les Premières Nations autonomes renforcent leur économie et perçoivent plus de taxes et de revenus d'entreprise, si bien que cette politique freine considérablement le développement économique. Une politique plus rationnelle n'aurait pas pour effet de décourager la croissance économique des Premières Nations autonomes. Le Conseil est d'avis que la politique du Canada en matière de revenus autonomes devrait être abolie.

En terminant, je tiens à remercier de nouveau les membres du comité de m'avoir donné l'occasion de discuter de cet enjeu très spécial et très important.

Le président : Je vous remercie beaucoup. Vous avez été très clair.

Monsieur Calla, c'est à vous.

Harold Calla, président du conseil d'administration, Conseil de gestion financière des Premières Nations : Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité. Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée d'être encore une fois devant vous sur ce sujet d'étude important.

À mes côtés se trouve votre distingué ancien collègue, le sénateur Gerry St. Germain. Comme certains d'entre vous le savent, depuis sa retraite du Sénat, il travaille bénévolement auprès du Conseil de gestion financière des Premières Nations afin d'explorer les options des Premières Nations pour mieux accéder aux marchés des capitaux, surtout en ce qui concerne leur participation à des projets majeurs d'exploitation de ressources.

Les possibilités offertes par le programme proposé en développement des ressources touchent directement aux questions de la capacité des Premières Nations de financer l'infrastructure future dans les réserves. L'ancien sénateur aura quelques commentaires qu'il souhaite faire à cet égard dans quelques minutes.

J'ai comparu devant le comité en janvier de cette année. On m'a été demandé de fournir des observations générales sur certains des obstacles à surmonter pour répondre aux besoins de logement et d'infrastructure dans les réserves. Depuis ce temps, l'obstacle principal — l'accès aux capitaux, la capacité des Premières Nations d'accéder aux fonds nécessaires pour investir dans des projets d'infrastructure — reste « l'éléphant dans la pièce ».

Au cours de mon dernier exposé, j'ai parlé du besoin de revoir le mandat actuel du programme d'infrastructure dans les réserves du ministère. Il est limité dans son efficacité, car il ne supporte pas l'infrastructure aux fins de développement économique. Pour que les communautés des Premières Nations soient en mesure de planifier à long terme et d'investir dans le genre de projets d'infrastructure qui sont nécessaires, il faut qu'une volonté existe de revoir et réviser la relation financière actuelle entre les Premières Nations et le Canada. Il n'est pas réaliste de s'attendre à ce que les Premières Nations soient en mesure d'engager les ressources nécessaires, y compris le financement adéquat de projets, lorsque nous avons affaire à des cycles de financement du ministère de 12 mois.

En développant des ententes financières à plus long terme, il faut porter attention aux besoins des marches de capitaux pour réaliser le potentiel qu'offre la titrisation des flux de revenus. Parallèlement, il n'est pas réaliste que les Premières Nations s'attendent à ce que le Canada, en quelque sorte, trouve les ressources pour correspondre à la croissance du déficit relié aux logements et infrastructures dans les réserves, en augmentant les paiements de transfert ou les fonds conventionnels de programme.

Afin de situer cette question en contexte, le déficit courant de logement et d'infrastructure dans les réserves se situe entre 3 et 5 milliards de dollars. Ce ne sont pas des chiffres négligeables et ils démontrent des besoins croissants. Les politiques et décideurs du gouvernement doivent être à la recherche de solutions hors du statu quo. Une stratégie d'approvisionnement de 200 ans n'est pas la réponse. À mon avis, cette question va au-delà du besoin de s'attaquer au déficit d'infrastructure et de logement. Il faut que les économies au sein des communautés des Premières Nations soient favorisées afin de soutenir une solution à long terme.

Sans économie, il est presque impossible de lever des capitaux pour financer des projets ou pour maintenir le bon fonctionnement des infrastructures existantes. Sans économie, des concepts tels que celui du régime de logements locatifs ne peuvent être mis en œuvre afin de fournir des logements durables pour les membres d'une communauté. Nous ne devrions pas chercher une solution dans l'allocation-logement en vertu d'un programme d'assistance sociale.

Il faut avoir un point de vue objectif vis-à-vis les opportunités actuelles pour les Premières Nations à participer et à bénéficier de la croissance future de l'économie du Canada. La participation des Premières Nations aux grands projets d'exploitation des ressources est un domaine de croissance économique future dont les communautés peuvent tirer parti et utiliser pour financer les besoins d'infrastructure et de logement.

Comme certains des membres de ce comité le savent déjà, le Conseil de gestion financière, grâce au soutien du ministre Bernard Valcourt et de son ministère, a été doté de ressources pour aider les Premières Nations à prendre des décisions éclairées concernant leur participation aux grands projets proposés. En tant qu'option pour éliminer l'obstacle à l'accès aux marchés des capitaux auquel font face les Premières Nations, la proposition suggère que le Canada appuie l'achat d'actions dans le secteur d'exploitation des ressources avec une garantie de prêt.

La notion d'utiliser la notation de crédit robuste du Canada pour accéder aux marchés des capitaux à des taux préférentiels n'est pas une idée originale. Nous pouvons citer des exemples, tels que le projet hydro-électrique du Bas- Churchill, qui a reçu une garantie de prêt, ainsi que les assureurs hypothécaires privés, tels que Genworth, qui bénéficient d'une garantie de 90 p. 100 du Canada sur chaque produit d'assurance vendu. Et au Royaume-Uni, le gouvernement a adopté une loi en 2012 qui prévoyait un système de garanties de prêt avec une limite supérieure de 50 milliards de livres sterling pour le financement de projets d'envergure nationale.

J'ai eu l'occasion de présenter les détails du travail du Conseil de gestion financière à cet égard au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles au printemps dernier. Parmi les questions qui m'ont été posées par les sénateurs lors de ma dernière comparution, il y avait celle des coûts. On voulait savoir de quel ordre de chiffres je parlais et combien cela allait coûter.

Je ne veux pas nier l'importance de ces questions, mais je crois que la question qui se pose à nous aujourd'hui est, combien cela risque de coûter de ne rien faire pour favoriser l'inclusion des Premières Nations dans l'économie. Aujourd'hui, nous savons le coût, mais quel sera le coût dans 10, 15 ou 20 ans? Faire croître une économie est la seule solution qu'impose le bon sens.

Je crois aussi que nous devrions voir au-delà du coût de faciliter une garantie de prêt ou un autre mécanisme qui permettrait une plus grande participation des Premières Nations à la vie économique. Il faudrait que nous examinions l'ordre de grandeur des avantages pour le Canada qui découleront de la participation des Premières Nations dans l'économie.

Le Conseil de gestion financière a commandé une analyse économique de tierce partie, à titre illustratif, d'un projet de gaz naturel liquéfié qui a démontré des avantages économiques de l'ordre de 200 milliards de dollars dans les 25 premières années du projet. Les revenus que pourraient gagner les Premières Nations de leur participation à ces projets sont d'un ordre de grandeur que personne n'a vu à ce jour. Il est fort probable que les Premières Nations réinvestiront ces ressources dans le logement, l'infrastructure et d'autres besoins de leurs communautés et qu'elles en feront ainsi profiter l'économie canadienne de même que celle des communautés régionales et locales.

Ce sont des exemples réalisables qui montrent comment les Premières Nations peuvent tirer parti de leur participation aux grands projets pour favoriser la croissance économique dans leur région, mais ce sont aussi des solutions à long terme. Cependant, il y a quelques mesures positives qui pourraient être prises à court terme pour résoudre certains problèmes.

J'ai le plaisir de pouvoir dire que, depuis ma dernière comparution devant le comité, l'Administration financière des Premières Nations a émis sa débenture inaugurale en juin. Comme Ernie l'a mentionné, cette débenture de 90 millions de dollars porte intérêt au taux de 3,79 p. 100 sur 10 ans, chose jusqu'alors inconnue dans ce pays. Je les félicite et je vous félicite tous d'avoir eu la clairvoyance d'adopter en 2005 cette loi avec l'appui de tous les partis.

Il ne s'agit pas ici de questions partisanes. J'espère, comme Ernie lorsqu'il discutait des modifications à apporter à la Loi, que le même esprit non partisan pourra régner lorsque nous aborderons le prochain texte législatif. Nous avons besoin de modifications de la Loi et nous en avons besoin tout de suite. Il faut que tous adoptent cette approche pour aller de l'avant.

Comme Ernie l'a signalé, une partie de l'argent gagné au moyen de cette débenture a été réinvestie dans des projets d'infrastructure dans les réserves, une première dans l'histoire de notre pays. À mesure que le Conseil de gestion financière poursuit ses efforts pour certifier les Premières Nations partout au pays, l'option de recourir à l'Administration financière pour accéder aux marchés des capitaux devient de plus en plus un outil disponible pour répondre à certains des problèmes d'infrastructure et de logement auxquels sont confrontées les communautés.

Les partenariats public-privé présentent une autre option pour relever les défis liés à l'infrastructure dans les réserves. Le ministère devrait chercher à jouer un rôle élargi dans les secteurs auxquels il peut être efficace d'aider dans l'étude de la possibilité des partenariats public-privé afin de faciliter l'approvisionnement d'infrastructure dans les réserves. Le mois dernier, j'ai assisté à la conférence nationale du Conseil canadien pour les partenariats public-privé, où il m'a été demandé d'animer une table ronde portant sur les possibilités offertes par les communautés des Premières Nations. Permettez-moi de dire qu'il y a de vastes possibilités pour les Premières Nations et le monde des PPP de s'associer, en particulier quand il s'agit d'aborder la question des installations de traitement d'eau et d'eaux usées. Ayant siégé six ans au conseil d'administration de Partnerships British Columbia, je sais que quand un projet PPP est établi et réalisé sur une base appropriée, les résultats pour le contribuable et l'utilisateur final peuvent être extrêmement positifs.

Pour conclure, je crois que nous devons chercher au-delà du statu quo les solutions nécessaires, non seulement pour s'attaquer aux problèmes d'infrastructure et de logement dans les réserves, mais aussi pour favoriser les économies qui sont d'importance cruciale pour améliorer le statut des communautés des Premières Nations à long terme.

Sur ce, je tiens à remercier encore une fois le comité de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant lui. J'inviterais le sénateur St. Germain à vous faire part de ses commentaires.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Calla.

Sénateur St. Germain, la parole est à vous.

L'honorable Gerry St. Germain, C.P., conseiller, Conseil de gestion financière des Premières Nations : Je vous remercie, monsieur le président.

Mesdames et messieurs, c'est un grand plaisir pour moi de me retrouver parmi vous. J'ai la nostalgie de ces lieux, mais pas des nombreux déplacements. Et vous me manquez aussi, en tant que collègues, des deux côtés. Comme Harold vient de le signaler, l'esprit non partisan qui a présidé aux travaux du comité à l'époque où j'y étais a fait sa réussite. J'espère que cet esprit se maintiendra parce qu'il est de la plus haute importance d'avoir nos Premières Nations, non nous-mêmes, dans notre point de mire.

Comme Harold a mentionné, depuis ma retraite du Sénat à la fin de 2012, je travaille bénévolement auprès du Conseil de gestion financière des Premières Nations, non pas comme consultant, ni comme lobbyiste. J'ai tout simplement décidé qu'il était important que nous, les Autochtones, prenions notre place dans l'économie générale. La seule façon de le faire est de susciter la confiance et le respect des Premières Nations. Lorsqu'on travaille, que ce soit au gouvernement, dans l'industrie ou au sein d'une Première nation, on perd sa neutralité. Je pense que la clé est là. J'ai vu comment ça fonctionne et beaucoup de ceux qui siègent ici l'ont vu également, et c'est pourquoi j'exprime le souhait que nous puissions aller de l'avant sans jamais perdre de vue les Premières Nations.

J'aimerais reculer dans le temps pour revenir au rapport de ce comité sur la salubrité de l'eau potable, question que nous avons étudiée en 2007. Ce rapport cite le Dr Harry Swain, qui était l'expert principal de la table ronde sur la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières Nations. Il a dit :

[...] si nous aimerions voir l'achèvement de ce qui a été un vaste effort d'envergure nationale pour obtenir de l'eau potable dans les réserves, il faudrait que nous tournions notre attention sur les ressources de base.

Les installations de traitement de l'eau potable et des eaux usées représentent une grande partie de l'actuel déficit d'infrastructure dans les réserves. Sept années après le rapport du comité, nous sommes ici à parler des moyens d'avoir accès aux capitaux nécessaires pour répondre au problème des ressources de base soulevé par le Dr Swain. Il est peu probable — les intervenants précédents l'ont fait valoir — que le financement fédéral suffira à lui-même à répondre rapidement et efficacement aux problèmes de cette ampleur.

Comme Harold l'a souligné dans ses remarques, il est irréaliste de s'attendre à ce que la situation du logement et de l'infrastructure dans les réserves s'améliore sensiblement sans mettre en place les fondements économiques locaux pour les communautés des Premières Nations. Je crois que l'action future des différents gouvernements au Canada doit chercher à faire participer les peuples autochtones aux occasions de développement économique qui se présentent dans ce pays, en particulier dans le secteur des ressources naturelles, si nous espérons susciter le changement à long terme qui est absolument nécessaire. Tirer profit de ces occasions pour créer des assises économiques locales dans les communautés des Premières Nations, c'est prendre une orientation qui leur apporte un coup de main plutôt que leur faire la charité.

En me préparant pour cet exposé, j'ai aussi réfléchi sur le rapport produit par ce comité il y a bon nombre d'années, à l'époque où vous le présidiez, sénateur Sibbeston, et qui portait sur les obstacles au développement économique. Il contenait un certain nombre de recommandations, parmi lesquelles la nécessité pour le ministère des Affaires autochtones d'adopter une approche à long terme afin d'obtenir des capitaux pour les projets de développement économique dans les réserves. Le rapport recommandait également la création d'un cadre national de consultation et d'accommodement des Autochtones qui ciblerait les répercussions des grands projets d'exploitation de ressources naturelles sur les terres traditionnelles des Premières Nations et proposerait des options quant à la manière dont les Premières Nations pourraient avoir réellement part à leurs retombées.

Chers collègues, la plupart des problèmes que nous avons identifiés lors de notre présentation d'aujourd'hui ne sont pas nouveaux, mais les solutions le sont. Donc, afin d'obtenir du succès dans les questions liées à l'infrastructure et au logement et afin de générer des économies durables au sein des communautés des Premières Nations, nous devons accepter le fait que la façon actuelle de faire les choses n'a pas fonctionné et ne fonctionne toujours pas. Les gouvernements doivent être prêts à façonner de nouvelles politiques, comme par exemple les prêts garantis, afin que les Premières Nations puissent avoir accès à du capital. Il faut favoriser un environnement susceptible de faire affluer les bénéfices liés à l'entreprise privée au sein des communautés des Premières Nations. Si on n'a pas accès à de l'argent en ce monde, chers amis, c'est impossible de faire des affaires. De même, sans affaires, il n'y a pas d'économie ni de possibilité de disposer d'un revenu sûr pour faire face à différents défis. On ne pas non plus prévoir à long terme quand on doit se fier à des paiements de transfert et à des gouvernements qui changent tous les ans.

En tant que personne autochtone qui a réussi en affaires, je peux affirmer que ce succès a eu des répercussions sur mes priorités personnelles. Lorsqu'on n'a plus à s'en faire à propos des paiements de factures, on peut se concentrer sur les aspects socialement importants de la vie, tels que planifier son avenir et celui de sa famille. Le fait d'être stable financièrement m'a permis de m'interroger sur ma culture métisse, de mieux connaître mon peuple, d'en apprendre davantage sur nos traditions culturelles et de célébrer notre mode de vie historique. Nous avions l'habitude de cacher le fait que nous sommes des Métis. C'était honteux. On nous appelait les maudits sauvages. C'est vrai. La réalité, c'est que jusqu'à ce que j'atteigne un certain niveau de succès dans la vie — et je ne dis pas que le succès dépend uniquement de l'argent, mais cela aide certainement. Je ne porterais pas ces vêtements et je ne serais pas fier de mes origines si je n'avais pas eu une carrière économiquement satisfaisante pour moi-même et ma famille.

J'ai entendu le chef Clarence Louis dire aux Premières Nations — et le chef Crate l'a cité — que si vous voulez protéger votre culture, votre langue et votre identité, devenez riches. Si vous voulez les perdre, restez pauvres. C'est l'attitude la plus franche et la plus honnête qu'on puisse adopter. Peu importe que vous soyez d'origine écossaise, sénateur Wallace, que vous portiez un tartan, peu importe d'où vous venez. Sénateur Watt, c'est la même chose dans le Nord et sénatrice Dyck, c'est la même chose en Saskatchewan.

En terminant, permettez-moi de réitérer que si nous voulons régler les problèmes systémiques du logement et des infrastructures dans les réserves, les gouvernements doivent montrer une volonté d'apporter des solutions innovatrices, afin d'éliminer les obstacles à l'accès aux capitaux des Premières Nations. Les gouvernements devraient puiser dans la vaste expertise d'institutions existantes comme le Conseil de gestion financière des Premières Nations, le CGFPN, pour fournir des conseils stratégiques appropriés sur la façon de régler ces questions hors de l'appareil étatique des organismes centraux du gouvernement. À mon avis, élargir les options permettant aux Premières Nations de participer à la vie économique du Canada est la seule chose — et je le répète, la seule chose — qui donnera aux Premières Nations les moyens nécessaires pour préserver leur culture d'une grande richesse, leur histoire, leurs traditions et la place qui leur revient pour les générations futures, afin de corriger, bien que modestement, les nombreuses injustices qu'ont subies les peuples autochtones dans ce pays.

Je vous remercie, cher collègues, de m'avoir permis de témoigner devant vous aujourd'hui. Harold et moi, de même que les autres membres du comité ici présents, serons heureux de répondre à vos questions.

Je voudrais également souligner le travail du personnel de soutien de ce comité. Chacun d'eux — greffiers, sténographes, interprètes — font une grande différence. Ils ont toujours déployé des efforts particuliers dans leur travail avec ce comité; je m'en voudrais de ne pas les remercier pour leur formidable collaboration.

Je vous remercie et que Dieu vous bénisse.

Le président : Merci beaucoup. Nous sommes très heureux de vous avoir à nouveau avec nous, monsieur.

Avant d'aller à la période de questions, j'aimerais vous remercier tous pour vos exposés clairs et vos conseils cohérents. Les recommandations que vous avez proposées sont très claires : éliminer les cycles de financement de 12 mois, rendre possible les contributions à long terme du gouvernement fédéral, utiliser comme levier les revenus qui sont actuellement prélevés des terres des Premières Nations par l'État pour trouver d'autres sources de financement et utiliser les institutions représentées ici pour monnayer ce financement.

Nous avons ici des représentants du Conseil de gestion financière des Premières Nations, du Conseil national de développement économique des Autochtones et de l'Autorité financière des Premières Nations. Vos conseils d'administration sont chargés de conseiller le gouvernement et vous nous soumettez des recommandations claires portant sur les changements nécessaires à apporter, y compris des modifications législatives. Avez-vous créé les conditions nécessaires à l'intégration de ces recommandations? Croyez-vous que le gouvernement a la volonté de s'attaquer à ces changements maintenant? On nous a incités à étudier cette question et, particulièrement, à examiner de nouvelles options de financement. Je crois que le gouvernement lui-même est conscient que, tel que nous l'avons entendu ce matin, nous ne pouvons résoudre ce problème avec un plan de financement étalé sur 200 ans. La tâche est énorme. Le comité est dépassé par l'ampleur de la tâche. Y a-t-il un peu de sensibilité ou de volonté de la part du gouvernement à l'égard de ces changements? Devrions-nous les recommander en termes clairs et avec véhémence? Pouvez-vous commenter brièvement sur ce point? Avez-vous discuté de ces options avec les décideurs?

M. Calla : Oui et les discussions se poursuivent. Nous avons obtenu le soutien du ministère, du ministre et du gouvernement. Oui, il y a une volonté d'agir.

Les gens sont-ils prudents? Oui. Ces nouvelles idées sortent-elles du cadre établi? Oui. Tous les intervenants sont préoccupés par les répercussions possibles et c'est une bonne chose. Nous devons être prudents avec ces questions et bien les étudier. Mais ils sont prêts à s'engager. Je peux l'affirmer catégoriquement, à ce stade-ci. Cela exigera du courage et un esprit bipartisan? Absolument.

La politique est ce qu'elle est. Nous savons que nous sommes à la veille d'une élection, mais je crois que nous devons nous concentrer sur les réalités financières auxquelles nous devons faire face; il est temps de prendre les décisions qui s'imposent et de réfléchir à ces initiatives majeures, sinon l'économie canadienne souffrira. Je crois que le gouvernement reconnaît que les Premières Nations doivent participer à ce débat et à la prospérité économique. Nous devons effectivement nous asseoir à la même table et élaborer un plan pour concrétiser la mise en œuvre de cette réussite que nous désirons. Je crois qu'il y a une volonté de le faire, mais ce succès exige également que les Premières Nations fassent front commun. Elles commencent à s'unir de façon à permettre une meilleure vue d'ensemble des problèmes.

Pour répondre directement à votre question, à mon avis, les décideurs du gouvernement souhaitent s'attarder à ces problèmes, mais ils demeurent prudents, et ils doivent l'être, car nous admettons tous que le statu quo est inacceptable. La situation ne fera qu'empirer. Notamment en raison des récentes décisions de la Cour suprême du Canada, il est impératif que les Premières Nations participent à certaines de ces discussions.

Je suis très optimiste et j'espère que dans un an, nous pourrons constater des progrès énormes en termes de changements de politiques et d'approche.

M. Crate : Je ne peux qu'appuyer les commentaires d'Harold. Permettez-moi de vous donner un bon exemple.

Lorsque l'on parle du manque d'écoles partout au pays, nous sommes tous conscients que les Premières Nations n'auront jamais le financement nécessaire pour engager les dépenses en capital prévue. Par conséquent, des séances de mobilisation avec le gouvernement ont lieu partout au pays. Au Manitoba, par exemple, nous entretenons des discussions sur des options novatrices de financement avec le bureau régional. On étudie la possibilité que l'Autorité financière des Premières Nations soit utilisée pour financer le développement d'infrastructures et la construction de nouvelles écoles.

En ce qui concerne notre communauté, nous allons proposer un projet pilote au gouvernement et demander l'aide de l'Autorité financière des Premières Nations pour la construction d'une nouvelle école. Comme nous sommes au soixante-quinzième rang sur la liste d'attente au pays, cela signifie que nous devrons attendre une trentaine d'années avant de pouvoir construire une nouvelle école.

Je crois que la volonté d'agir est présente, de la part des Premières Nations et du gouvernement, et que tous les intervenants cherchent de nouvelles façons de régler ce grave problème.

M. Daniels : M. Calla et moi assistons souvent aux mêmes réunions et nous travaillons de concert à différents niveaux, du sous-ministre jusqu'à AADNC, particulièrement, afin d'obtenir le soutien nécessaire pour faire adopter un grand nombre d'amendements. Nous répétons toujours le même message à propos de la monétisation du financement parce que nous comprenons la situation. C'est notre rôle de passer le message.

Nous savons que le soutien à l'égard de ce nouveau type de financement est en progression aux différents niveaux de gouvernance. Les acteurs de l'ordre politique devraient vraiment emboîter le pas et je crois que c'est là où interviennent le sénateur et Harold.

Il est très important de souligner que les bases ont été jetées, tout particulièrement du côté du secteur privé. Nous avons la confiance des investisseurs en nos méthodes de financement, ce qui est vraiment important. Nulle part ailleurs dans le monde, les Premières Nations en tant que groupe bénéficient de cotes de solvabilité de Moody's et de Standard & Poors. Si vous pouvez en nommer une, je serais vraiment surpris. Ceci ouvre de nouveaux horizons aux Premières Nations. Nous avons cette capacité maintenant et nous avons des Premières Nations qui sont prêtes à demander du financement par le biais du CGF. Je crois qu'il est important de le souligner. Le soutien est disponible, l'argent est disponible. Nous avons seulement besoin de mécanismes mis en place par le gouvernement pour faciliter le processus.

Le président : À propos de ces mécanismes, monsieur Daniels, pouvons-nous effectuer un suivi avec vos conseillers juridiques sur les amendements spécifiques que vous recommanderiez à l'AFPN?

M. Daniels : Oui, bien sûr.

Le président : Nous aimerions charger notre personnel du suivi.

Merci beaucoup, messieurs.

La sénatrice Dyck : Merci pour votre exposé, ce matin. Comme mes antécédents sont ceux d'une neuroscientifique, je dois admettre que les questions d'ordre financier et économique m'apparaissent un peu comme un casse-tête, mais vous m'avez certainement aidée à y voir plus clair ce matin.

À propos des modifications que vous pourriez proposer au comité, monsieur Daniels, porteront-elles spécifiquement sur les deux idées que vous présentez à la page 3 de votre rapport, soit des ententes pluriannuelles de financement avec AADNC et la participation à des grands projets d'exploitation des ressources à titre de partenaires investisseurs? Les modifications seront liées à ces propositions?

M. Daniels : Les modifications sont surtout d'ordre administratif et certains changements de politiques doivent réellement être approfondis. Ces deux changements de fond doivent être retravaillés avant de les mettre en application et de les présenter à Harold.

M. Calla : Nous avons une rencontre dans deux semaines avec le ministère, afin de finaliser le rapport sur la modification législative que nous préparons. Les trois institutions créées par la loi ainsi que le ministère travaillent à l'élaboration des modifications législatives. Je vous demanderais respectueusement d'attendre la tenue de cette réunion dans deux semaines, afin que nous soyons mieux préparés à présenter l'information au comité et que vous soyez mieux en mesure de comprendre les enjeux du débat. Nous serons alors prêts à répondre à vos questions sur le sujet.

De toute évidence, créer la capacité d'utiliser des revenus provenant du gouvernement du Canada comme levier pour obtenir de nouvelles sources de financement constitue une modification législative importante. Nous avons besoin de plans de financement à long terme établis en fonction des besoins spécifiques de chaque communauté. Nous croyons en effet à la participation à des grands projets et à l'effet bénéfique des flux de revenus.

Soyons clairs. Nous parlons de participation, mais qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que vous obtenez des capitaux propres et sans doute les profits qui en découlent. Ces profits rejaillissent sur votre communauté, ils deviennent des revenus autonomes pour la communauté et peuvent être utilisés comme levier par l'Autorité financière des Premières Nations pour financer la construction d'infrastructures d'habitations et d'aqueducs, ainsi que les projets de développement économiques dans les réserves. Voilà les avantages à long terme que nous prévoyons. Il faut comprendre que les modifications proposées seront conformes à la Loi sur la gestion financière des Premières Nations, qui prescrit notamment d'obtenir la certification du Conseil de gestion financière. De cette façon, nous pouvons élaborer des lois de gestion financière, un système de gestion financière qui est certifié par le Conseil de gestion financière et nous émettons un certificat de rendement financier à la Première Nation, sur lequel est mesurée sa performance financière, afin qu'elle puisse accéder au fonds commun d'emprunt.

Nous entretenons des relations très étroites avec les autres institutions, mais il est clair que la législation a été conçue de manière à créer la capacité d'obtenir une cote de crédit et la certification du Conseil de gestion financière est requise pour entrer dans le fonds commun d'emprunt de l'Autorité financière.

Ces mécanismes et ce cadre de contrôle ont été examinés par des agences de notation et des maisons de courtage de valeurs et c'est pour cette raison que l'Autorité financière a pu obtenir la notation « simple A » qui lui permet d'accéder plus facilement aux marchés des capitaux.

Lorsque nous parlons de ces projets d'importance, cela va de soi pour nous. Mais je me rends compte que ce ne l'est pas nécessairement pour vous. Alors qu'est-ce que tout cela signifie? Cela signifie que les gens vont faire de l'argent dans leurs communautés et ils vont utiliser cet argent comme levier pour obtenir du financement destiné à la construction d'infrastructures et d'habitations, en titrisant ces flux de revenus auprès de l'Autorité financière.

La sénatrice Dyck : Nous avons plus de 600 Premières Nations et je peux les diviser en deux groupes extrêmes, les nantis et les démunis. Les nantis sont ceux qui jouissent déjà d'une économie bien développée, la Première Nation de Membertou et la bande des Osoyoos, par exemple, qui ont déjà, je crois, profité des mécanismes de l'Autorité financière des Premières Nations pour obtenir des prêts à des taux avantageux et qui ont par conséquent, réalisé des économies considérables.

Il y a également les démunis qui n'ont pas encore développé leurs économies locales. Comme nous le disait notre honorable ami, si vous n'avez pas d'argent, vous ne pouvez vous lancer en affaires. De quelle façon les démunis pourront-ils avoir accès aux capitaux pour développer leurs économies locales?

Ma deuxième question est quelle est la proportion des Premières Nations qui sont prêtes à s'engager auprès de l'Autorité financière des Premières Nations et lesquelles ont accès au fonds commun d'emprunt à la fin, au moment où elles ont besoin d'une aide importante pour commencer à développer leur économie locale?

M. Calla : Merci pour cette question. Nous constatons que la région du Nord profitera le plus de cette grande opportunité pour exploiter ses ressources; il y a toujours eu dans cette région un problème de la poule et de l'œuf. Comment développe-t-on une économie?

Un grand nombre de ces communautés qui n'ont pas une économie aussi développée que celles du Sud auront maintenant la chance, grâce à ces projets majeurs, de commencer à créer de la richesse et d'être dans une position pour le faire. Je crois que c'est en ce sens que les nouvelles mesures créent la plus grande opportunité.

À l'heure actuelle, entre 135 et 140 Premières Nations sur les quelque 630 Premières Nations de ce pays désirent entreprendre le processus et sont inscrites à l'annexe de la loi. Au Conseil de gestion financière, nous avons approuvé 51 lois de gestion financière et 45 certificats de rendement financier. Il y a donc maintenant 45 membres admissibles au fonds commun d'emprunt.

Nous approuverons, selon mes estimations, de 20 à 25 membres par année à partir de maintenant, car il y a présentement un momentum et les gens commencent à mieux comprendre le processus. C'est l'opportunité qui est offerte. Nous sommes beaucoup mieux répartis dans le pays maintenant, nous ne sommes plus seulement au sud, mais bien au nord et au sud, à mesure que ces communautés entrevoient l'opportunité.

Je suis très heureux de la prise de livraison des communautés des Premières Nations, si je peux m'exprimer ainsi. Les choses se sont accélérées lorsque l'Autorité financière a émis ses premières obligations. Ceci représente une opportunité formidable pour les démunis, leur permettant de participer à un effort collectif d'exploitation des ressources et de générer les revenus nécessaires au développement de leurs économies locales.

Steve Berna, directeur de l'exploitation, Administration financière des Premières Nations : Il y a quatre ans, avant l'achèvement de la deuxième partie de la réglementation permettant de tirer parti des recettes autonomes, nous avons posé la même question : Que faites-vous des 633 collectivités éparpillées de l'est à l'ouest et du nord au sud, et combien pourront participer?

Nous avons engagé quelqu'un pour vérifier les statistiques, et il a procédé à ce qu'on appelle une analyse de régression. Il a examiné les recettes des collectivités par zone géographique à l'échelle provinciale et par zone rurale/ urbaine pour voir si nous sommes en train d'exclure la plupart d'entre elles ou de les inclure.

Ses constatations se sont révélées très surprenantes. En tout cas, nous avons été surpris. C'était en 2010. Cette année-là, les recettes autonomes s'élevaient, selon les estimations, à environ 6 milliards de dollars pour les Premières Nations. Cela nous a surpris parce que nous ne nous attendions pas à un chiffre si élevé.

La deuxième question était de connaître le nombre de collectivités auquel correspondait ce chiffre. Des 633, notre spécialiste a estimé que les deux tiers environ disposaient de recettes susceptibles d'être investies dans des projets qui fourniraient de l'infrastructure ou répondraient aux besoins des collectivités. C'était une très bonne nouvelle, parce que cela voulait dire que la majorité d'entre elles pourraient bénéficier de la réglementation. Elles ne remplissent peut-être pas encore le critère interne, parce que nous appliquons des critères préalables puisque nous empruntons collectivement, mais elles sont en attente. C'était une question extrêmement importante.

Nous avons dû y répondre parce que, quand on est évalué par Moody ou Standard & Poor's, si vous avez déjà travaillé pour un organisme ayant fait l'objet d'une vérification financière, eh bien, ils nous vérifient. Et ils nous vérifient en fonction du risque que nous représentons pour les investisseurs qui nous prêteront de l'argent pour voir si nous serons capables de rembourser avec intérêts.

C'est ce que font les agences de cotation. Elles évaluent le risque que nous représentons si nous empruntons 90 millions de dollars que nous rembourserons sur 10 ans. Elles ont posé la même question parce que notre notation de crédit est établie à un certain niveau à l'heure actuelle. Les deux agences ont dit que plus il y aura de Premières Nations dans le regroupement, plus il sera important, et plus il sera important, plus il sera possible de monter dans l'échelle des notations de crédit.

C'était une question absolument essentielle, et je vous remercie de l'avoir posée, parce que c'est ce qui nous a permis de réaliser ce que nous voulions, c'est-à-dire élaborer la loi, obtenir deux notations de crédit et mettre les investisseurs à l'aise. Tout va bien maintenant qu'environ les deux tiers de nos collectivités peuvent espérer participer. L'autre tiers pourrait avoir besoin de ce que nous proposons aujourd'hui, à savoir des formes de partage de recettes permettant d'en tirer parti pour développer leurs économies.

Le président : Monsieur Berna, aimeriez-vous communiquer ce document au comité?

M. Berna : Oui, absolument. Nous vous l'enverrons. Il s'agit d'une étude effectuée par un monsieur du nom de Don Allen. Il nous fera plaisir de vous l'envoyer.

Le président : Ce sera très utile, merci beaucoup.

Le sénateur Enverga : Merci de votre exposé. Nous avons entendu tant de choses intéressantes sur tant de possibilités! Il a été question de créer un système de garantie de prêt pour ça. Je pense que tout prêt doit être assorti d'une garantie.

Est-ce que ce sera possible? Pourriez-vous décrire le système que vous envisagiez?

M. Calla : Les deux organismes représentés ici vont tenter de répondre à cette question, sénateur.

Tout d'abord, nous sommes conscients que ça relève du gouvernement du Canada. C'est lui qui fixera les critères. Il est probable que des projets d'intérêt national entreront en ligne de compte, tout comme à Churchill Falls.

Dans ce cas, nous croyons savoir que ça viserait des projets de première importance, qu'il s'agisse d'exploitation minière, pétrolière et gazière, d'éoliennes, de centrales électriques, et cetera.

L'idée, ici, est que, si les Premières Nations s'engageaient dans des discussions sur l'obligation de consulter et d'adapter, une partie de l'entente sur les avantages porterait sur une couverture en capitaux propres et une demande de garantie de prêt à ce moment-là. C'est ce qui, d'après nous, déclencherait ces discussions.

Nous pensons que le gouvernement du Canada aurait la possibilité de répondre. S'il décide d'accueillir favorablement la demande, nous entamerions un processus de collaboration avec chaque Première Nation en vertu du modèle que nous proposons, pour commencer à les aider à développer leur propre capacité de gestion et à comprendre dans quoi elles s'engagent.

À ce stade, nous nous adresserions à l'Administration financière pour que, nantie de cette garantie fédérale, elle puisse se tourner vers les marchés de capitaux avec une notation de crédit distincte et trouver un programme susceptible de lui fournir des ressources qui seraient acheminées aux Premières Nations ou à des organisations autochtones.

Comprenez que, dans bien des cas, notamment dans ce que j'appelle des projets linéaires, comme les oléoducs et les projets ayant des éléments d'infrastructure différents le long d'un couloir, les Premières Nations touchées par ces projets seront nombreuses, et elles seront nombreuses à participer aux négociations sur les répercussions et les avantages. Certaines de ces collectivités seront immédiatement admissibles à un financement d'obligations auprès de l'Administration, tandis que d'autres, non. Pour autant que nous sachions, leur gestion pourrait être confiée à un tiers. Il est évident que cela va poser certains problèmes dans le cadre actuel et qu'il va falloir envisager des modifications tenant compte de cette réalité.

Le fait est qu'on ne peut pas réaliser un projet dont les répercussions touchent 20 collectivités alors que 5 ne pourront être certifiées dans le cadre actuel et qu'il ne sera donc pas possible de donner suite à ce projet. Il faut éviter cette situation. Il s'agit donc de voir comment acheminer ces fonds par l'intermédiaire d'une entité pour obtenir l'autorisation financière qui évitera que le gouvernement du Canada et le contribuable soient sollicités. Si vous permettez, monsieur le président, il y a une deuxième réponse à cette question.

M. Berna : Je pense que la plupart des gens savent que, quand une banque prête de l'argent, elle vous accorde un emprunt, mais elle se protège en grevant d'une cession de garantie le bien au titre duquel vous demandez l'emprunt. Si vous avez une maison, celle-ci sera grevée d'un privilège; même chose pour une voiture. Donc, si les choses tournent mal, la banque saisira votre maison ou votre voiture. C'est comme ça que les banques se protègent. Ce n'est pas notre cas.

Sachez que, avant de venir nous entretenir avec vous, nous avons demandé aux agences de cotation et aux investisseurs si notre modèle est fonctionnel, car nous ne voulons pas proposer quelque chose pour ensuite aller sur le marché des capitaux et nous faire dire « c'est bien beau tout ça, mais ça ne marche pas ». Ce dont nous parlons aujourd'hui a été entériné par les agences de cotation et par les investisseurs qui prêteraient l'argent nécessaire.

La structure que nous avons adoptée est telle que, si l'on finance quelque chose comme un projet linéaire du genre dont Harold a parlé, comme un oléoduc, cet oléoduc est surveillé par une entreprise. S'il y a un incident, l'entreprise s'en occupe. Ça pourrait être un partenariat limité. La plupart du temps, si une Première Nation détient une part dans un partenariat limité, l'argent serait acheminé au chef et au conseil de la Première Nation, pour qu'ils en fassent ce qu'ils veulent.

Nous avons élaboré une structure un peu différente. Selon l'entente de partenariat limité, la part de la Première Nation est acheminée non pas à la Première Nation, mais à un compte bancaire commun. C'est ce qu'on appelle le mécanisme d'interception. Ce mécanisme permet d'ouvrir un compte bancaire réservé à deux usages simples : d'abord rembourser la dette à l'AFPN. Les investisseurs sont donc contents et rassurés et accordent des taux d'intérêt très faibles. Deuxièmement, une minute plus tard, le compte transfère le solde au chef et au conseil de la Première Nation, pour qu'ils en fassent ce qu'ils veulent. Les oléoducs, ça marche toujours au Canada.

Un mécanisme d'interception protège tous les contribuables parce que le premier prélèvement sur les recettes va à la dette : « Merci, gouvernement du Canada, mais nous n'avons pas besoin de votre garantie cette année ».

Deuxièmement, ça protège intégralement les recettes et garantit que la Première Nation rembourse le prêt. C'est un mécanisme très simple. Et il ne coûte rien. Je pense que chaque compte bancaire nous coûte 67 $ par an, mais la procédure permet aux investisseurs d'accorder des taux très inférieurs à ceux des banques. Quant à nous, ça nous donne deux notations de crédit de premier ordre et ça permet à la Première Nation d'avoir accès à des taux d'intérêt ici, ce qui veut dire que les bénéfices peuvent servir à leur collectivité.

Un mécanisme d'interception est une procédure simple, mais c'est ce qui permet de répondre aux exigences du marché des capitaux et de protéger les contribuables.

M. Daniels : Encore un mot : c'est là que les modifications à la réglementation entrent en ligne de compte. Il est évident qu'on a besoin de modifications pour ça, parce qu'il faudrait créer un système spécial, comme une AFPN 2 ou quelque chose comme ça. C'est une pratique acceptée sur le marché de nos jours.

Le sénateur Enverga : Pour faire suite, y a-t-il des risques connexes pour le gouvernement dans ce cas? Pourriez-vous nous parler d'un risque éventuel?

M. Berna : Certainement. Si quelqu'un a des antécédents financiers ou légaux, vous allez voir que, si les choses tournent mal dans un projet, il y aura deux représentants qui demanderont des dédommagements au tribunal. Ce sont les investisseurs, ceux qui assument la dette et qui nous ont donné de l'argent. Ils sont au premier rang. Viennent ensuite les actionnaires : si vous êtes propriétaire d'une entreprise, vous êtes remboursé après ceux qui ont assumé la dette. C'est la même chose si vous achetez des actions d'Apple. Si les choses tournent mal, ceux qui ont prêté de l'argent sont les premiers créanciers. Les actionnaires viennent en second.

La raison pour laquelle nous avons élaboré ce mécanisme d'interception est que nous nous demandions comment réduire les risques au minimum pour les actionnaires au cas où les choses iraient mal. C'est pour ça que nous interceptons les recettes. En interceptant les recettes tirées de l'exploitation des oléoducs — ça marche toujours au Canada, c'est comme les services publics, la marge de profit est formidable —, on garantit une protection absolue en veillant à ce que la dette soit remboursée, et, comme ça, il n'y aura personne devant le juge. Je dirais donc que les oléoducs sont probablement le genre de projet le plus sûr qui soit.

Le président : Nous avons deux ex-banquiers parmi les membres du comité.

Le sénateur Tannas : Pour que les choses soient claires, le mécanisme d'interception dont vous parlez est-il en usage à l'heure actuelle pour le prêt de 90 millions de dollars?

M. Berna : Oui.

Le sénateur Tannas : À propos, monsieur Calla, vous parliez de la possibilité d'utiliser ce genre de mécanisme pour les investisseurs, qui pourraient partager les recettes de, disons, l'exploitation d'un oléoduc. Comment quelqu'un qui n'a pas de recettes autonomes, par exemple dans le cadre d'une gestion par un tiers, et cetera, pourrait-il participer? Est-ce que ça fait partie de ce que vous suggérez ici?

M. Calla : En effet.

Le sénateur Tannas : Dans ce cas, s'agit-il d'une sorte d'option de participation, un peu comme Petro-Canada il y a des années, lorsqu'il était possible d'y participer à titre de propriétaire, avec droit de propriété? C'est ça?

M. Calla : Sénateur, selon l'entente conclue avec les Premières Nations à la suite de l'encouragement du ministre et du ministère concernant les grands projets d'exploitation des ressources, elles veulent avoir la possibilité d'acquérir des actions en contrepartie. Il y a quelques raisons à cela. Premièrement, pour veiller à ce que les ententes incluent des éléments comme, disons, l'environnement, il vaut beaucoup mieux être dans la salle de conférence que dans la rue avec une affiche. Les Premières Nations commencent à comprendre que la propriété leur permet d'orienter les activités et de veiller à ce que les choses qu'on pense conclues au début des projets se fassent effectivement. Je pense qu'elles comprennent ça.

Je pense aussi qu'elles ont toujours vu des tiers intervenir et s'approprier les ressources de leurs territoires traditionnels, avec une très faible contrepartie pour elles, sans propriété ni avantages durables, et que c'est ce qui s'est passé dans les domaines de l'exploitation minière, de l'exploitation forestière, et cetera. Je pense qu'elles voient aujourd'hui la propriété comme un moyen de se garantir des avantages à long terme.

Pour relever ce défi et réduire les risques connexes, nous espérons que le gouvernement du Canada fera sa propre analyse des risques dans le cadre de chaque projet pour déterminer si celui-ci est viable ou non.

Très souvent de nos jours, les Premières Nations ne s'intéressent plus seulement au promoteur du projet, contrairement à ce qui se passait jusqu'ici. Un promoteur se présente et dit « Il y a obligation de consulter; peut-on conclure une entente auxiliaire pour que vous soyez de notre côté? ». Les Premières Nations sont en train de comprendre la force de leurs revendications, notamment à l'égard des territoires cédés dans leurs territoires traditionnels, et elles commencent à mesurer les répercussions des projets sur les territoires traditionnels, par exemple sous la forme de couloirs ou de ce genre de mesures.

Leur participation n'est pas nécessairement liée à un promoteur en particulier, bien qu'elles soient en lien avec eux, mais, comme le dit toujours le sénateur St. Germain, « Tu passes par mon ranch, tu payes ». C'est à ça que nous en venons aujourd'hui. Si vous passez par notre territoire traditionnel, quels seront les termes de l'entente commerciale? Quelles seront les dispositions négociées? Quelles mesures prendra-t-on concernant les effets environnementaux cumulatifs et ce genre de choses? J'ai bon espoir que tout cela donnera lieu à des discussions vraiment fructueuses qui permettront d'envisager certains de ces projets de façon plus complète. Il incombera au gouvernement du Canada de désigner les projets viables qu'il voudra soutenir. Ça permettra de réduire une partie des risques.

Les partenariats limités permettront également de s'occuper de l'économie de certaines collectivités qui n'ont pas encore évolué. Ce sera l'occasion de profiter d'une expérience commune d'un collectif de Premières Nations qui permettra aux économies en développement d'acquérir le savoir des autres, notamment dans le secteur privé. Nous espérons que la capacité commerciale du secteur privé, grâce à la participation des Premières Nations aux conseils d'administration, produira un développement de la capacité qui s'étendra sur des années.

J'ai moi-même bénéficié de mes années chez CMHC, Partnerships B.C. et maintenant Fortis B.C. Si je n'avais pas eu ces expériences en tant qu'Autochtone, je ne serais pas ici à vous parler des questions dont nous discutons aujourd'hui. Il faut que d'autres gens profitent de ces possibilités, et ces projets en sont l'occasion.

Le sénateur Sibbeston : Ma question fait suite à ce que monsieur Calla a dit. Je comprends bien que tout dépend désormais de la possibilité pour les Premières Nations de participer aux grands projets. Je comprends aussi que nous avons fait des progrès à cet égard. Il fut un temps où, lorsque les Autochtones disaient « C'est notre terre et ce sont nos ressources », on ne le prenait pas trop au sérieux. On y accorde plus d'importance de nos jours, en partie à cause des jugements de la Cour suprême.

Comment officialiser cette situation? Comment peut-on garantir plus sérieusement les droits des Premières Nations pour que les entreprises et les gouvernements sachent tout à fait que, au moment où ils envisagent un projet, ils doivent s'entendre avec les Premières Nations et tenir compte du fait que la terre et les ressources leur appartiennent? Comment officialiser et consolider ce principe pour qu'il devienne automatique au Canada?

M. St. Germain : L'officialisation, sénateur Sibbeston, se traduit par le fait que les Premières Nations commencent à s'organiser. Elles se rendent compte qu'elles ont des droits ancestraux et des droits découlant de décisions judiciaires. C'est une question économique. Nous voulons participer à l'économie.

De concert avec Harold et d'autres, ici à cette table, nous les avons convaincus, jusqu'à un certain point, qu'il ne faut pas laisser le mieux devenir l'ennemi du bien. Il faut avancer lentement. Comme je l'ai déjà dit, la confiance et le respect sont des choses qui se gagnent. On officialise en créant un comité directeur qui représente un groupe de bandes ou un secrétariat ou peu importe le nom que vous lui donnerez. C'est un signe très clair, surtout de la part du gouvernement fédéral, mais aussi du gouvernement provincial. Je ne serais pas ici si je ne croyais pas possible de progresser.

Ce n'est pas une question de partisanerie. J'ai discuté avec d'ex-premiers ministres des deux camps. Je crois que tout cela dépasse la partisanerie et qu'il s'agit simplement de collaborer avec les Premières Nations pour qu'elles envisagent les choses du point de vue économique.

Sénateur Sibbeston, il faut que tout le monde pousse dans la même direction. C'est pour ça que nous avons fait le voyage ici aujourd'hui : 16 heures aller-retour de Vancouver, mais je ne me plains pas. J'apprécie énormément la possibilité de s'adresser à un groupe de gens distingués comme vous. Je sais ce qu'on peut faire si on travaille ensemble. Et c'est ce qui va se passer. Les choses vont avancer, cher sénateur, parce que les Premières Nations sont en train de s'organiser.

La sénatrice Raine : Je suis heureuse de vous revoir, monsieur St. Germain. Vous avez une expérience tout à fait unique puisque vous avez travaillé au gouvernement fédéral, dans le secteur privé et au comité sénatorial.

Quelle est votre impression générale de l'avenir? Nous savons tous qu'AADNC fonctionne un peu en vase clos. Les questions qui nous occupent dépassent largement la capacité d'un seul ministère ou organisme. C'est un enjeu gouvernemental. Ces questions sont d'une importance vitale pour l'ensemble du Canada, pas seulement pour les Autochtones. La mise en valeur du potentiel des Autochtones est un enjeu énorme pour notre pays.

Comment voyez-vous les choses? Comment allez-vous tous collaborer pour que ces décisions soient prises en temps et lieu?

M. St. Germain : Madame la sénatrice, il n'y a pas de raccourcis, mais il y a urgence tout de même. Le train est en route. Si on ne le prend pas au passage... c'est de cela que nous parlons aux Premières Nations.

Nous avons couvert le nord de la Colombie-Britannique. Nous sommes allés en Alberta rencontrer le premier ministre. Le seul moyen d'y arriver est que les Premières Nations se regroupent. Je leur ai dit que, si elles s'organisent de façon professionnelle, ce qu'elles sont capables de faire, et d'écarter leurs différences, le secteur privé et les promoteurs diront : « Ça alors, on y est! ». Il faut aussi compter avec la politique, comme toujours. Mais, si on met la politique de côté et qu'on s'organise, le secteur privé et les promoteurs seront là.

Je pense sincèrement que c'est un effort concerté et je félicite le Conseil de gestion financière des Premières Nations, que j'ai toujours admiré. J'étais ici avec vous lorsque nous avons adopté cette loi. Elle a été proposée par Harold, mais aussi par d'autres en Colombie-Britannique et ailleurs au pays. On a besoin d'un moyen, et voilà ce moyen, mais il faut travailler et créer la volonté.

Nous avons eu de l'aide pour pouvoir aider les Premières Nations à s'organiser. C'est précisément ce qui permettra de perpétuer toute cette initiative et d'ailler de l'avant, madame la sénatrice.

M. Calla : Merci, madame la sénatrice. C'est la première fois, je dois dire, que j'entends parler de l'ampleur réelle de l'enjeu : ce n'est pas une question qui relève d'AADNC, mais du gouvernement. Quand on commence à comprendre ça, on peut espérer trouver des solutions, parce que c'est dans l'intérêt de tous les Canadiens.

Une partie de la réponse à votre question est aussi une partie de la réponse à la question du sénateur Sibbeston : Comment les collectivités autochtones peuvent-elles être convaincues que ce processus donnera des résultats? Considérez les antécédents : l'obligation de consulter et d'adapter a toujours été laissée au gré du secteur privé. On a trop souvent eu tendance à évaluer la valeur nette actuelle du coût de nuisance des objections des Premières Nations, et je crois que, désormais, tout le monde se rend compte que ce n'est plus acceptable.

J'estime donc, sauf votre respect, que le gouvernement fédéral et les provinces devraient s'engager dès le début et non à la fin. Ils doivent s'asseoir à la table. Si nous créons ces tribunes et ces comités directeurs, le secteur privé, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les Premières Nations doivent s'asseoir ensemble. Il faut que le dialogue soit entamé très tôt.

Il faut que le gouvernement fédéral, qui assume l'obligation de consulter et d'adapter, se rende compte que beaucoup de collectivités sont petites. Beaucoup de collectivités n'ont pas eu la chance d'avoir la possibilité de conclure ce genre de transactions commerciales. On ne peut pas multiplier cette capacité par 200. Il faut faciliter la création de ce que nous appelons un secrétariat technique, qui appuierait ce genre d'initiative, pour que nous n'ayons pas 60 évaluations environnementales en cours quand tout le monde s'assoira à la table. Il faut faire en sorte que les Premières Nations soient en mesure d'en arriver au point où elles pourront prendre une décision éclairée parce qu'elles disposeront de l'information nécessaire. Je pense que le gouvernement fédéral peut faciliter et qu'il est disposé à faciliter cette initiative lorsque des Premières Nations se réunissent pour examiner une question — je ne dis pas approuver —, mais pour faire en sorte que les faits soient sur la table et qu'une décision puisse être prise. Je pense qu'il faut en arriver là pour que les Premières Nations ne soient pas privées de ressources pour prendre une décision éclairée sur un projet d'importance.

Pour revenir sur les remarques de la sénatrice Raine, c'est l'ensemble du gouvernement qui est concerné, et ça remet en cause la méthode actuelle qui influence la capacité des bureaucrates à tenir compte de ces possibilités. Il faut repenser, je crois, la place des Premières Nations dans ce pays compte tenu du fait que, depuis l'établissement de ces mandats au début des années 1990, beaucoup de décisions judiciaires ont été rendues et qu'il s'ensuit la nécessité de repenser toutes ces questions.

M. Daniels : Je tiens à souligner qu'il faut faire beaucoup d'éducation ici à tous les niveaux. Je parle d'expérience, car il est question de l'accès des Premières Nations au financement dans le cadre de certaines structures et de procédures très formalisées, et il faut donc faire beaucoup d'éducation à ce sujet. Je pense que l'enjeu est l'éducation des protagonistes et le maintien du dialogue. C'est ce que nous faisons. Nous sommes en contact avec les marchés de capitaux. Ils comprennent la nature de ce que nous envisageons. C'est très bénéfique, et notre expérience va aider à en faire une réussite.

Le sénateur Tannas : J'ai trouvé cette discussion passionnante, et je suis honoré d'en faire partie. Cela dit, j'aimerais poser quelques courtes questions d'ordre technique.

Chef Crate, vous avez parlé d'une politique sur les recettes autonomes qu'il faudrait changer. Si c'est vous qui avez dit ça, ou peu importe qui c'était, pourriez-vous nous expliquer? Nous avons entendu dire, et nous le voyons un peu avec la contestation judiciaire d'Onion Lake, qu'il existe une crainte réelle que la transparence appliquée aux recettes autonomes soit la cible qui permettra à AADNC de réduire sa contribution et de laisser tout le monde à un bilan nul. Enfin, j'ai l'impression. Pourriez-vous nous parler de la politique sur les recettes autonomes dont on devrait, selon vous, se débarrasser?

M. Crate : Je parlais de l'argent des Indiens recueilli à diverses sources. Les terres indiennes données à bail sont un bon exemple. À l'heure actuelle et depuis très longtemps, cet argent dort et produit très peu d'intérêts. J'utilise l'exemple de l'Administration financière des Premières Nations comme modèle susceptible de produire plus de recettes et d'ouvrir beaucoup de possibilités.

Le sénateur Tannas : J'avais donc mal compris, mais je pense que je comprends maintenant. Au lieu que ça aille dans un fonds, on utiliserait le même mécanisme d'interception pour tirer parti de cet argent et le transformer en capital important pour la Première Nation concernée. C'est bien ça?

M. Crate : Oui.

Le sénateur Tannas : J'ai une autre petite question, monsieur.

Le président : Permettez-moi de vous interrompre ici. Nous avons entendu le témoignage d'Allan Clarke, directeur général des politiques et de la coordination à AADNC, qui nous a dit, le 5 novembre dernier, que les fonds recueillis en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens sur l'argent des Indiens pourraient financer les projets des Premières Nations. Il a expliqué que, à l'heure actuelle, les Premières Nations doivent « demander l'autorisation d'utiliser leur propre argent. Elles doivent présenter une demande pour que le ministre des Affaires autochtones leur permette d'avoir accès à ces fonds perçus en leur nom par le Canada et conservés en fiducie dans le Trésor ». Il a rappelé qu'il y avait 800 millions de dollars à raison de 2,5 p. 100 d'intérêt.

Il semble y avoir une possibilité ici, et il faudrait simplement faire la demande au ministre. Pourquoi n'est-ce pas le cas? Pourriez-vous expliquer la procédure et nous dire comment on pourrait l'améliorer? On dirait qu'il ne se passe rien, comme vous nous l'avez dit aujourd'hui. Que faudrait-il changer?

M. Calla : Nous abordons des questions difficiles aujourd'hui.

Quand on réfléchit à la politique sur les recettes autonomes et à la possibilité d'avoir accès à des fonds placés en fiducie, il est important de considérer les sources de recettes du point de vue de la titrisation. Les capitaux détenus à Ottawa découlent de certaines sources de recettes, mais il ne s'agit pas nécessairement de sources uniformes. Il est évident que le capital pourrait être employé par l'Administration financière pour couvrir le service de la dette, mais cela dépendrait largement de la stabilité de ces contributions, comme vous pouvez l'imaginer.

Quant à la question des recettes autonomes, je pense que les Premières Nations craignent que les budgets discrétionnaires réservés aux programmes du ministère des Affaires indiennes dépendront du montant de recettes autonomes produites par les Premières Nations. C'est peut-être réel ou c'est peut-être une impression, mais cela en dit long sur l'importance d'un cadre financier global, et la difficulté, à notre avis, est que nous n'envisageons pas la relation financière dans son ensemble. Nous commençons à nous intéresser à certains de ses aspects, mais il faut considérer le tout. Si la question ici est de savoir comment les services fournis aux Premières Nations seront financés, elle est légitime. Parlons-en, mais n'examinons pas seulement les coûts. Parlons aussi des recettes. Les Premières Nations de ce pays seront-elles en mesure d'exercer un pouvoir fiscal de la même façon que d'autres paliers de gouvernement? Comment cela se jouera-t-il dans le cadre de la relation financière?

La préoccupation des collectivités des Premières Nations, c'est que nous ne traitons pas la question dans son ensemble; nous la traitons de manière fragmentaire afin de trouver une solution qui, bien que politiquement opportune, ne contribue pas à résoudre le problème dans son ensemble. Si c'est pour arriver à un résultat nul, à quoi cela sert-il?

M. Daniels : Concernant l'argent du ministère, en particulier, je pense que le véritable défi consiste à établir le mécanisme qui permettra d'y avoir accès. Cela semble difficile. Il existe certains règlements, pris en vertu de la loi, qui permettent de se soustraire à l'obligation d'obtenir l'approbation du ministre. C'est une façon de procéder. Une façon d'accélérer le processus est de prendre un règlement dans le but d'optimiser l'utilisation des fonds du ministère.

Le président : Merci.

Le sénateur Tannas : Vous avez mis en place le mécanisme qui garantit le flux de revenus, de quoi rassurer grandement les investisseurs, et vous avez établi un ratio et un seuil de gouvernance. Quel est le mécanisme de surveillance du financement à long terme et dans quelle mesure ce processus est-il transparent?

M. Calla : Le rôle du Conseil de gestion financière dans ce mécanisme consiste à fournir aux Premières Nations la certification qui leur donne accès à l'Administration financière des Premières Nations. À cette fin, nous avons besoin d'une loi sur l'administration financière. Pour chaque emprunt, nous délivrons aux Premières Nations un certificat de rendement financier, ce qui signifie que nous prenons leurs états financiers audités des cinq dernières années et les comparons à un ensemble de critères. Si elles réussissent cette épreuve, elles peuvent poursuivre la démarche.

Ensuite, nous leur demandons d'établir, dans les 36 mois, un système de gestion financière que nous pourrons certifier et revérifier périodiquement afin d'attester qu'elles l'utilisent efficacement. Notre système de surveillance est le suivant : pour chaque emprunt, vous devez présenter un certificat de rendement financier et avoir mis en place un système de gestion financière. De plus, nous effectuons des examens de conformité quant à l'utilisation de ce système au sein de la Première Nation. Voilà le mécanisme que nous avons.

Le sénateur Tannas : Existe-t-il un danger lié à la garantie ou à la notation d'un emprunt? Au sein des Premières Nations, les gouvernements changent à peu près tous les deux ans. N'y a-t-il pas un danger que nous nous retrouvions à un moment ou l'autre — dans cinq, six ou sept ans — avec un problème? Les mécanismes ou les ententes que vous avez établis avec les investisseurs obligent-ils ces derniers à déclarer un problème?

M. Calla : Chaque mois, le Conseil de gestion financière fait rapport à l'Administration financière pour lui signaler s'il a révoqué un certificat ou confié la gestion d'un client à un tiers. Cela se fait tous les mois, donc le mécanisme est bien en place aujourd'hui.

L'autre chose qu'il faut comprendre, c'est que la loi nous confère un pouvoir, ce que les Premières Nations acceptent dans les accords qu'elles concluent avec l'Administration financière et avec nous-mêmes. Ainsi, dans certains des mécanismes dont parlent M. Daniels et M. Berna, nous avons des fonds, mais en cas de défaut de paiement, l'Administration financière ordonne au Conseil de gestion financière d'intervenir et de trouver des liquidités.

M. Berna : En tant que prêteur, personne ne veut prendre le téléphone pour dire à un client » Nous avons un problème ». Avant d'approcher les agences de cotation, nous avons dû mettre en place des mesures de sauvegarde qui nous ont permis de prêter de l'argent et de gagner la confiance des investisseurs. Je vais vous donner un exemple. Si vous voulez utiliser votre chèque de paie pour obtenir une hypothèque sur votre maison, on ne vous permettra jamais d'utiliser la totalité de votre chèque pour acheter une maison parce qu'il ne vous resterait plus rien pour l'épicerie, les vêtements et les autres dépenses.

Nous travaillons à peu près de la même manière. Cela s'appelle un taux de couverture de la dette. Cela veut dire que pour chaque source de revenus qui entre dans vos poches, par exemple, si vous avez un revenu de100 $, nous ne vous laisserons pas souscrire un emprunt qui nécessitera un remboursement de 100 $, parce qu'il ne vous resterait plus rien pour les imprévus. Le taux de couverture de la dette vous assure que votre emprunt est suffisant, tout en vous permettant d'utiliser 67 des 100 $ pour honorer votre dette. Les 33 $ restants constituent un facteur flexible. Si jamais vos revenus baissaient d'année en année, vous seriez toujours capable de rembourser votre dette. Nous avons établi des taux de couverture de la dette qui font en sorte qu'il vous reste toujours de l'argent, à part le montant du remboursement de la dette, et cette somme ne varie pas. Ces taux ont été vérifiés et autorisés par les marchés financiers.

Nous percevons également 5 p. 100 du montant de chaque emprunt demandé. Si vous voulez emprunter 100 $, demandez-en 105 $. Les 5 $ de plus, nous les investissons au profit de la collectivité, par exemple, dans des obligations du Canada, de l'Ontario ou de la Colombie-Britannique. Si jamais le flux de revenus se tarissait au point où même le taux de couverture de la dette ne suffisait plus, nous aurions alors les 5 $ à notre disposition et ce montant couvre aujourd'hui une année et quart ou une année et demie d'intérêts. Cela veut dire que la collectivité peut achever son cycle budgétaire avant que nous demandions à Harold d'essayer de régler le problème. Vous pouvez constater qu'il y a différents degrés d'assurance ici.

Nous avons également 10 millions de dollars à notre disposition, ce qui fait que même si la réserve de 5 p. 100 n'est pas suffisante, nous pouvons puiser dans ce montant pour payer les intérêts aux créanciers obligataires.

Le système est établi de telle manière qu'il y a plusieurs couches de sauvegarde en place et notre conseil doit se prononcer à l'unanimité, non seulement lorsqu'il accepte une Première Nation comme nouveau membre emprunteur, mais lorsqu'il approuve le montant de l'emprunt. Monsieur ici présent n'est pas membre de notre comité, mais il en est le président-directeur général (PDG) et, à ce titre, il a droit de vote. Si jamais notre conseil se politisait et disait « Nous allons faire adopter cela » malgré la forte opposition du personnel, il ne réussirait pas.

Enfin, nous avons le payeur des flux de revenus. Soixante-quinze pour cent de nos emprunts sont adossés à des contrats provinciaux. Il s'agit, par exemple, de contrats dans le secteur des forêts, d'ententes de partage en Colombie- Britannique, de projets hydroélectriques « au fil de l'eau » de BC Hydro, de contrats de jeu en Ontario et de la taxe sur le tabac dans les Prairies. Les provinces émettent ce que nous appelons un ordre de paiement. L'ordre de paiement indique que nous nous engageons, en tant que province, à transférer l'argent au compte bancaire d'interception, pour la durée de l'emprunt. Et cela ne changera jamais. Même si le chef et le conseil ne sont pas réélus et sont remplacés par un nouveau chef et un nouveau conseil, ces derniers ne peuvent donner un nouvel ordre. La province ou le payeur du flux de revenus le redirigera irrévocablement vers le mécanisme d'interception jusqu'à ce que nous les informions que la dette est remboursée. Si nous avons bien fait notre travail, le flux de revenu est suffisant et stable et nos taux de couverture de la dette sont corrects. Notre taux de 5 p. 100 est suffisant pour couvrir un an et demi d'intérêts sur la dette, et il nous reste encore 10 millions de dollars. Le risque devrait donc être minime.

La sénatrice Beyak : Messieurs, merci pour cet exposé très exhaustif. Vous avez répondu à bon nombre de mes questions en répondant à celles du sénateur Dyck et de notre président, le sénateur Patterson.

Monsieur St. Germain, j'ai été très heureuse de vous entendre parler du travail non partisan que nous accomplissons au Sénat et aussi d'apprendre que vous faites la même chose lorsque vous consultez.

J'ai une formation en économie, en affaires et en éducation. Le projet de loi C-33, la Loi sur l'éducation, qui garantissait une éducation de qualité à tous les enfants autochtones d'un bout à l'autre du pays, qui a été signé par notre premier ministre et notre ancien chef, Shawn Atleo, a été chaleureusement accueilli partout au pays, puis remisé sur une tablette en raison du mécontentement de certains qui, apparemment, n'ont pas été consultés.

Je veux être claire. Lorsque vous viendrez nous voir dans quelques semaines, vos groupes se seront consultés les uns les autres et auront consulté tous ceux qui seront touchés par le projet de loi et vous nous donnerez une liste consolidée de recommandations et de modifications relatives à certaines mesures législatives qui touchent les peuples autochtones, qu'il s'agisse de la Loi sur la gestion financière ou de la Loi sur les Indiens. Ai-je raison de penser cela?

M. St. Germain : Oui, monsieur le président et honorables sénateurs et sénatrices. Travailler dans ce domaine, ce n'est pas comme travailler ici. Sénatrice Beyak, comme vous avez une formation en économie, vous savez sans doute que, lorsque vous faites affaire avec le personnel de soutien des chefs — je le sais pertinemment parce que j'ai grandi au sein d'une collectivité métisse où, lorsque vous parliez de déficit et de dette, les gens pensaient que vous parliez une autre langue —, le défi consiste à présenter les choses d'une manière compréhensible.

La plupart du temps, je recommande aux Premières Nations et aux Autochtones en général qui ne possèdent pas l'expertise requise, d'aller la chercher à l'extérieur, même temporairement, jusqu'à ce qu'ils acquièrent les compétences.

Si le chat a traversé la route, il n'a pas surgi de l'abysse pour se retrouver sur le bitume.

Vous devez parler avec des mots simples, ordinaires et faciles à comprendre et cela est tout un défi parce qu'il n'est pas donné à tout le monde de comprendre la grande complexité des finances. Certaines personnes ont été exposées à ce domaine, d'autres pas.

C'est l'un des défis qu'Harold et moi, et d'autres aussi, avons eu à relever au cours de nos déplacements. Je rappelle aux sénateurs et sénatrices que lorsque vous allez vers les gens pour leur parler, vous ne pouvez pas y aller juste comme ça, vous devez vous assurer qu'ils comprennent vraiment parce que tout le monde doit pousser la charrette dans la même direction si nous voulons réussir. Je ne peux que souhaiter au comité de continuer son bon travail et je n'ai pas de doute à ce sujet. D'après ce que j'ai entendu, vous faites un excellent travail. Continuez comme ça et nous vous soutiendrons, espérons-le, jusqu'au bout.

La sénatrice Beyak : C'est donc oui? Vous allez nous fournir une liste?

M. Calla : Je donne ma parole aux sénateurs et aux sénatrices que nous consulterons; nous allons faire part de votre demande à tout le monde.

Je veux cependant m'assurer que nous n'agirons pas seulement au nom du plus petit dénominateur commun.

Je représentais ma collectivité au moment de l'élaboration de ce projet de loi et j'ai compris les défis que nous aurions à relever pour essayer de le faire adopter parce que beaucoup de gens d'un bout à l'autre du pays n'étaient pas d'accord avec les concepts que nous proposions à l'époque. Ils ne comprenaient pas que c'était une occasion économique à saisir ni que c'était, en somme, un engagement de la part du gouvernement à résoudre des problèmes en suspens. Par conséquent, nous avons dû convenir d'un programme d'inscription à l'annexe et négocier une entente politique à l'indienne : « Je ne subirai pas les conséquences de cela si mon nom ne figure pas à l'annexe ». Nous avons répondu : « Ok, ceux qui veulent aller de l'avant peuvent le faire ».

Or, le monde a changé depuis. Bon nombre de ces collectivités de tout le pays, notamment du Manitoba, qui n'avaient pas appuyé le projet de loi — l'Ontario n'a pas appuyé le projet de loi lorsqu'il a été adopté, sauf certaines parties — sont aujourd'hui nos clientes. Je m'engage donc à consulter. Cela ne veut pas dire que tout le monde va être d'accord, et nous devons faire en sorte que les collectivités qui ont des possibilités, par exemple celles qui ont appuyé ce projet de loi, ne soient pas empêchées d'aller de l'avant. Comme je n'ai encore jamais été dans un environnement politique où il est facile d'obtenir un consentement unanime, j'espère seulement que ce n'est pas le seuil que nous établissons.

M. Daniels : Comme je suis déjà passé par là, je peux vous dire que nous avons pris de l'expérience. Nous travaillons quotidiennement avec les Premières Nations, nous savons donc ce qu'elles aiment et ce qu'elles n'aiment pas. Dans le cadre de notre effort et de notre exercice visant à faire modifier la loi, nous abordons ces questions, que ce soit le régime d'impôt foncier ou tout autre sujet. Dans le cadre de cet exercice, nous analysons en détail ce que nous considérons comme des questions d'intendance, qui peuvent être réglées par voie de règlement, et d'autres qui nécessitent un débat plus politique.

La sénatrice Beyak : Merci, votre exposé nous est utile.

Le sénateur Wallace : Messieurs, vous avez tous longuement expliqué la nécessité que les communautés des Premières Nations bénéficient d'un soutien pour développer leurs propres économies, chaque fois que cela est possible, afin de promouvoir leur propre développement économique, ce qui est tout à fait raisonnable. Elles pourraient ainsi générer des revenus autonomes qui compléteraient ou bonifieraient le financement fourni par le gouvernement fédéral.

M. Calla, à cet égard, vous avez parlé dans votre exposé de la nécessité de revoir le mandat de l'actuel programme d'infrastructure du gouvernement. Vous avez dit que son efficacité était limitée parce qu'il ne favorise pas la mise en place d'une infrastructure propice au développement économique.

Vous avez parlé des projets d'oléoducs, le genre de projets d'infrastructure qui pourrait être utile, et vous avez ajouté que le gouvernement pourrait fournir aux Premières Nations un financement ou des garanties de sécurité pour soutenir leur participation financière à des projets de partenariat.

Pour revenir à ce que vous avez dit, à savoir que le programme d'infrastructure du gouvernement ne favorise pas la mise en place d'une infrastructure nécessaire au développement économique, qu'entendez-vous par « infrastructure »? Vous pensez à quel type d'infrastructure exactement? Voulez-vous simplement dire participer financièrement à un projet de partenariat conjoint, ou avez-vous en tête d'autres types d'infrastructure?

M. Calla : Je parle de l'eau, des égouts et des routes — l'infrastructure des services publics qui sont nécessaires aux projets de développement économique terrestres. Que ce soit pour construire un parc industriel, un centre commercial ou tout autre projet, il faut que ces services soient disponibles dans la réserve parce que nous sommes en concurrence avec des propriétés hors réserve. Normalement, le gouvernement local fournit ces services, vous les payez par le biais de vos impôts fonciers. Si je suis un homme d'affaires qui veut construire un centre commercial, par exemple, je n'ai pas à payer ces services deux fois. Il est important que l'infrastructure existe.

Le défi pour le ministère, ce n'est pas parce que les Premières Nations n'ont pas le droit, mais plutôt parce que leurs ressources sont tellement limitées qu'elles répondent d'abord aux besoins d'infrastructure domiciliaire et qu'elles ne peuvent se permettre, faute de ressources, le luxe de saisir les occasions de promouvoir leur développement économique.

Lorsque je parle des contraintes du ministère, je veux parler de ce que je vois comme une contrainte bien réelle due au fait que les réserves ne reçoivent pas les ressources nécessaires pour mettre en place l'infrastructure propice au développement économique sur leur territoire. Bien sûr, pour des projets majeurs avec des revenus en amont, les collectivités peuvent demander à l'Administration financière de leur fournir des ressources, mais lorsqu'il n'y a pas de projet majeur dans leur région avec d'éventuelles retombées, on ne peut ignorer ces Premières Nations et leur dire que nous réglerons probablement leurs problèmes dans 30 ans. Nous devons leur fournir les ressources dont elles ont besoin pour financer l'infrastructure propice à leur développement économique. En général, nous parlons d'une infrastructure terrestre.

Le sénateur Wallace : Merci.

Le président : Chers collègues, nous arrivons à la fin de notre réunion. J'aimerais remercier les témoins pour les recommandations très claires et cohérentes qu'ils nous ont faites. Leurs observations nous ont été très utiles.

J'aimerais poser une brève question avant de lever la séance. Si je vous ai bien compris aujourd'hui, vous n'avez pas soulevé la question du régime foncier. Au cours de nos déplacements dans les collectivités, on nous a beaucoup parlé du régime foncier, des problèmes posés à cet égard en vertu de la Loi sur les Indiens. Ce matin, personne n'a dit que c'était un obstacle à l'investissement dans l'infrastructure. Dois-je comprendre que ce n'est pas un problème? Pourriez-vous faire un bref commentaire à ce sujet? Vous savez que cette question très sensible fait l'objet d'un débat, mais comment peut-on contourner ces présumées barrières?

M. Calla : Oui, il y en a. La Loi sur la gestion financière des Premières Nations, par exemple, permet de résoudre certains de ces problèmes. Il est important de comprendre que dans une économie basée sur les ressources de la terre, où vous devez demander une désignation de votre assise territoriale de réserve pour entreprendre une activité économique, vous devez avoir une certitude quant à la durée de la dette que le promoteur contractera avant de vous lancer dans des projets d'améliorations dans la réserve. Vous devez donc avoir cette assurance, tout comme les institutions financières ont besoin de certitude quant aux dispositions du bail et aux règles qui le régissent.

Je ne suis pas un banquier, mais Ernie et moi sommes en train de le devenir. Ce sera peut-être le cas un jour. Je pense que vous devez vérifier deux fois plutôt qu'une la période d'amortissement en ce qui concerne le bail. Ce sont des mesures de ce genre.

Il y a diverses manières de faire cela. Selon moi, augmenter constamment la valeur de votre terre au point où celle-ci peut être prise en compte aux fins d'évaluation, c'est la propriété en fief simple. Je ne veux pas entrer dans les détails ici aujourd'hui faute de temps, mais c'est un aspect important.

Il y a diverses façons de procéder. Nous avons présenté un certain nombre de propositions, mais dans chaque cas, il n'est pas seulement question du régime foncier. Il est plutôt question de l'harmonisation de l'environnement réglementaire dans les réserves et hors réserve, selon le type d'investissement que vous envisagez. Si vous pensez à une activité industrielle, prenons l'exemple de la Première Nation de Fort McKay qui exploite ses sables bitumineux. Elle a besoin du cadre réglementaire mis en place par la province pour promouvoir son développement. Je ne pense pas que le gouvernement fédéral souhaite établir son propre cadre.

L'harmonisation réglementaire est également importante pour les Premières Nations qui souhaitent optimiser leur valeur. Je ne veux pas seulement parler du régime foncier, mais du fait que le gouvernement de la Première Nation peut rassurer l'investisseur grâce à la compétence et au pouvoir qu'il exerce. Par exemple, si vous voulez promouvoir le logement du marché dans une réserve en Colombie-Britannique, vous pouvez vous appuyer sur la Strata Property Act et la Tenancy Act, et vous devez aussi avoir une certaine habileté pour maintenir l'ordre, afin que la police locale sente qu'elle a le pouvoir de venir dans la réserve. Ce type d'harmonisation réglementaire est tout aussi important que le régime foncier.

Le président : Je vous remercie.

En conclusion, nous vous remercions sincèrement pour votre participation. Je propose que nous poursuivions notre étude, parce que les choses évoluent rapidement. Pour reprendre les mots de M. St. Germain, le train passe devant nous. J'espère qu'avec l'aide de notre compétent personnel et du vôtre, nous pourrons poursuivre notre travail au fur et à mesure que la situation évoluera. Je vous remercie beaucoup.

Ce fut un plaisir de revoir notre ancien collègue. Je suis heureux de constater que vous travaillez toujours pour la cause.

(La séance est levée).


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