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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 11 - Témoignages du 17 février 2015


OTTAWA, le mardi 17 février 2015

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 33, pour étudier les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières Nations.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite à nouveau la bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui sont présents dans la salle ou qui regardent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur CPAC ou sur Internet. Je m'appelle Dennis Patterson, du Nunavut, et j'ai le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Notre mandat consiste à examiner les dispositions législatives et les questions concernant les peuples autochtones du Canada. Ce matin, nous allons entendre des témoignages liés précisément à l'ordre de renvoi qui nous autorise à examiner, en vue d'en faire rapport, les problèmes, et les solutions possibles, liés à l'infrastructure dans les réserves. Cela inclut le logement, l'infrastructure communautaire et les possibilités novatrices de financement et de stratégies de collaboration plus efficaces.

Nous avons terminé nos audiences sur le logement et portons maintenant notre attention sur l'infrastructure.

Aujourd'hui, nous aurons le plaisir d'entendre deux témoins. Le premier est M. Scott Serson, ancien sous-ministre, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada. En fait, je crois qu'à votre époque, le ministère s'appelait Affaires indiennes et du Nord Canada. Notre deuxième témoin est Mme Julie Cafley, vice-présidente du Forum des politiques publiques. Avant de passer aux témoignages proprement dits, je vais demander aux membres du comité de se présenter à tour de rôle.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, Kuujjuaq.

La sénatrice Beyak : La sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

Le président : Chers collègues, souhaitons la bienvenue au témoin de cette première heure, M. Scott Serson, qui est ici à titre personnel. M. Serson nous apporte toute la richesse de l'expérience acquise dans l'exercice de différentes fonctions, dont celle de sous-ministre au ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada, comme on l'appelait à l'époque. Monsieur Serson, nous sommes impatients d'entendre votre témoignage, lequel sera suivi des questions des sénateurs. Veuillez commencer.

Robert Scott Serson, ancien sous-ministre, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Bonjour. Je tiens d'abord à remercier le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de m'avoir invité à parler des problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières Nations. Je veux aussi souligner que nous nous trouvons présentement sur le territoire traditionnel du peuple algonquin.

Je vous parlerai aujourd'hui d'un problème particulier lié à l'infrastructure dans les réserves, soit celui du financement fédéral. Plus précisément, j'aimerais discuter du plafond de 2 p. 100 qui s'applique depuis 18 ans aux fonds transférés aux Premières Nations pour les services essentiels et de l'effet de cette limite sur le financement des infrastructures.

Sur le site web d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada se trouve un document d'information intitulé Portrait financier d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (2014-2015) dans lequel on trouve la déclaration suivante :

Le coût des services de base est en corrélation avec une population jeune et croissante. En 2011, près de la moitié (46 p. 100) des Autochtones étaient âgés de moins de 25 ans, comparativement à près du tiers (29 p. 100) des non-Autochtones. Il s'ensuit une demande croissante de ces services, avec une augmentation générale de la population et des prix de 3 à 4 p. 100 par année pour le ministère.

Depuis 1997-1998, le financement alloué par AADNC pour les programmes et les services essentiels est assujetti à une indexation de 2 p. 100.

Voilà qui résume bien le problème au départ. Or, le document ne mentionne pas les sommes importantes investies par certaines provinces dans différents secteurs de services au cours des 18 dernières années. Il s'agit là d'un fait important, puisqu'on précise qu'une large part des fonds accordés par le ministère :

[...] vise à donner aux Autochtones un accès garanti à des services de base comparables à ceux qui sont offerts aux autres Canadiens par les gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que les administrations municipales. Ces services comprennent l'éducation, le logement, l'infrastructure communautaire (approvisionnement en eau et traitement des eaux usées), les services de soutien social et autres.

Dans un rapport provisoire sur les facteurs de coût publié en novembre 2006, le ministère des Affaires autochtones fait remarquer que, durant la période d'application de la majoration de 2 p. 100 (de 1997-1998 à 2004-2005), quelque 415 millions de dollars servant autrefois à couvrir les dépenses liées aux immobilisations, à l'exploitation et à l'entretien des installations et au logement ont été réaffectés aux services à l'enfance et à la famille, à l'éducation primaire et secondaire par la province et à d'autres secteurs. Cet exemple illustre bien l'envergure des réaffectations faites à l'interne jusqu'à 2004-2005.

Vous avez sans doute remarqué que plusieurs nouveaux rapports ont été publiés l'an dernier à partir d'un document produit en juin 2013 par le ministère des Affaires autochtones sur les éléments générateurs de coûts et les arguments favorables à de nouveaux facteurs d'indexation. Cindy Blackstock de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations a obtenu ce document en présentant une demande d'accès à l'information. On y indique que les pressions exercées sur les prix et le volume d'activités — y compris la croissance démographique et les taux des provinces — continuent de croître à un rythme qui dépasse les 2 p. 100.

On y explique également que des sommes importantes réservées aux infrastructures ont été affectées à d'autres programmes au cours des six dernières années et que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord a réaffecté près de 505 millions de dollars dans des programmes d'éducation, d'aide sociale et autres pour tenter de combler les manques dans ces secteurs.

Ces deux rapports nous disent donc que près de 1 milliard de dollars qui auraient dû servir à financer les infrastructures ont été dépensés ailleurs au cours des 18 dernières années. Selon le document, ces constantes réaffectations limitent encore plus l'enveloppe budgétaire réservée aux infrastructures, laquelle est déjà serrée, et ne suffisent toujours pas à répondre de manière adéquate aux besoins en matière de programmes sociaux et d'éducation.

Sur cette question, j'ajouterais deux points importants. D'abord, le ministère reconnaît dans ce document qu'il reçoit des fonds à des fins précises, mais que ces fonds ne sont pas suffisants pour répondre à la demande de programmes essentiels, notamment en ce qui a trait aux pressions liées aux prix et au volume.

Ensuite, le document reconnaît que les projets d'infrastructure ont un cycle de quatre à cinq ans et qu'il faut une bonne planification et des fonds pour les mener à bien. Le volet planification existe peut-être, mais de toute évidence, aucun financement n'est réservé à la réalisation de ces projets depuis 18 ans.

Le vérificateur général du Canada a d'ailleurs signalé le problème lié à la réaffectation du financement. En effet, au chapitre 6 — « La Gestion des urgences dans les réserves » — du rapport Automne 2013, le vérificateur précise :

Affaires autochtones et Développement du Nord Canada a établi le Programme d'aide à la gestion des urgences pour aider les Premières Nations vivant dans les réserves à gérer les urgences. Sachant que le budget annuel du programme est insuffisant — environ 19 millions de dollars —, le ministère a dû financer le programme en réaffectant des fonds provenant d'autres sources. Selon le ministère, de l'exercice 2004-2005 à l'exercice 2012- 2013, quelque 64 millions de dollars ont été obtenus grâce à des réaffectations internes, surtout en provenance du Programme d'immobilisations et d'entretien [...]. Selon les fonctionnaires du Ministère, le programme d'immobilisations est lui-même sous-financé et la réaffectation de fonds à d'autres programmes entraîne des retards dans les projets d'infrastructures communautaires ou l'annulation de certains d'entre eux.

Puisque tant de dollars, qui devraient servir à financer les projets d'infrastructure, servent en fait à combler le manque de financement des services de base, il reste très peu d'argent pour les Premières Nations qui n'ont pas de revenus autonomes leur permettant de faire avancer des projets ouvrant des débouchés économiques et de bâtir les infrastructures nécessaires pour appuyer une économie locale moderne et viable pour leurs citoyens. Par ailleurs, la plupart des Premières Nations ne peuvent pas accéder à des fonds mis à la disposition de gouvernements non autochtones et d'entreprises, ce qui ne fait qu'aggraver le problème.

La « transparence » pose un autre problème. Le gouvernement tient à ce que les Premières Nations en fassent preuve. Le ministère écrit noir sur blanc sur son site web que les fonds transférés aux Premières Nations ne tiennent pas compte de la croissance de la population et de l'inflation, et encore moins des hausses des dépenses liées aux services de base offerts par les provinces. Or, il semble y avoir très peu de transparence, pour les parlementaires, les Premières Nations et le public canadien, en ce qui concerne l'incidence de cette pratique sur les niveaux de financement et de service dans les Premières Nations comparativement à ce qui se passe dans les provinces. Et il ne semble y avoir aucune transparence en ce qui concerne les réaffectations faites par le ministère et leur incidence sur les infrastructures communautaires dans les Premières Nations, notamment les risques pour la santé et la sécurité de la population autochtone, ce qui est pourtant la base.

Enfin, il y a un autre déficit important : le manque de confiance. Lorsqu'il a été question pour la première fois du plafond de 2 p. 100, le gouvernement avait expliqué aux dirigeants des Premières Nations que cette mesure avait pour but d'éliminer le déficit des années 1990. Vous devez comprendre que je suis le sous-ministre qui a participé à la mise en place de ce plafond, et c'est quelque chose dont j'ai honte. Dix-huit ans se sont depuis écoulés, et les Premières Nations ont de bonnes raisons de penser qu'elles ont été dupées. Comment pouvons-nous nous attendre à ce qu'elles fassent confiance au gouvernement tant que ce plafond de 2 p. 100 est en place, d'autant plus qu'elles savent que les gouvernements provinciaux ont été traités complètement différemment depuis 2004?

Pour me préparer à comparaître devant vous aujourd'hui, j'ai consulté votre rapport de décembre 2011 intitulé La réforme de l'éducation chez les Premières Nations : De la crise à l'espoir. Dans ce rapport, le comité écrit que, bien que le financement soit vu comme une condition essentielle à l'amélioration des résultats scolaires, il ne suffit pas à lui seul; le financement doit s'accompagner de réformes structurelles. Monsieur le président, j'en conviens, mais le besoin de réforme structurelle sert de prétexte depuis 2004 pour ne pas accorder une indexation juste et raisonnable des transferts de base pour les services essentiels accordés aux Premières Nations.

Dans votre rapport sur l'infrastructure, j'invite le comité à recommander au gouvernement d'éliminer le plafond de 2 p. 100 et de mettre en place une série de mesures d'indexation justes et raisonnables du financement fédéral accordé aux Premières Nations. Je vous encourage aussi à recommander au gouvernement d'en discuter avec l'Assemblée des Premières Nations, puis de parler de ce qu'il faut faire pour combler les lacunes en matière de services qui se sont créées au cours des 18 dernières années et de mettre en place les réformes structurelles qui s'imposent.

L'infrastructure et tous les autres programmes et services visés par le plafond ont une incidence réelle sur le bien-être des enfants des Premières Nations. Pour paraphraser la conclusion de votre rapport de 2011 : « Nous ne pouvons et nous ne devons pas faillir à un autre enfant des Premières Nations. »

Le président : Je vous remercie beaucoup de votre déclaration, monsieur Serson, et je vous remercie d'admettre candidement que vous faisiez partie du gouvernement qui a mis en place le plafond de 2 p. 100. Je crois que c'était à l'époque où M. Martin était ministre des Finances, si je ne m'abuse. J'aimerais que vous nous en disiez plus long au sujet de votre carrière. Avez-vous travaillé sous des gouvernements libéraux et conservateurs?

M. Serson : Oui. J'ai commencé ma carrière en 1973. Je suis arrivé au ministère des Affaires autochtones au début des années 1980. J'ai donc travaillé avec le premier ministre Mulroney et l'ancien premier ministre Clark sur la fin de l'accord du lac Meech et l'accord de Charlottetown. J'ai coprésidé le Groupe de travail sur les droits des peuples autochtones durant l'accord de Charlottetown. J'ai participé à la gestion des discussions constitutionnelles avec les Autochtones de 1984 à 1987. J'ai été sous-ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien de 1995 à 1999.

Le président : Lorsque le plafond de 2 p. 100 a été adopté, comme vous l'avez expliqué, l'objectif était d'éliminer le déficit national ou de contribuer à son élimination. À l'époque, avions-nous prévu une période pour y arriver?

M. Serson : Non. Je ne crois pas, monsieur le président. Cependant, c'était très clair dans les échanges au sujet de ces mesures budgétaires et les conversations que nous avions à l'époque que ces mesures étaient prises pour nous attaquer au déficit. C'est ce que je crois que les ministres et moi-même avons dit aux dirigeants des Premières Nations, et j'ajouterai que cela n'avait pas suscité de grogne à l'époque. Les dirigeants des Premières Nations comprenaient la menace que représentait le déficit pour l'économie et le pays et ont accepté le plafond de 2 p. 100 pour participer à l'effort.

Je n'ai jamais pensé — et je suis certain qu'il en va de même pour eux — que 18 ans plus tard ce plafond serait encore là, d'autant plus qu'il ne correspond même pas à la croissance de l'inflation et de la population. J'ai cité plus tôt un extrait du site web du ministère des Affaires autochtones qui mentionnait que la croissance de l'inflation et de la population était de 3 à 4 p. 100 par année. Je crois qu'on pourrait présumer que pour bon nombre de ces 18 ans, la croissance a été beaucoup plus élevée que cela. L'inflation a certes été de 2 p. 100 durant de nombreuses années, et certains disent que l'inflation a été de 2,3 p. 100 durant une certaine période compte tenu de la croissance de la population dans les réserves. Cela signifie donc une réduction considérable du pouvoir d'achat des transferts aux Premières Nations.

Le président : Dans la foulée de ma première question, aurions-nous raison de dire que ce n'est vraiment pas une mesure partisane et qu'elle a été maintenue par les deux parties qui ont formé le gouvernement durant votre carrière où vous avez fait ces observations?

M. Serson : Oui, tout à fait. Lorsque j'en parle aux Canadiens, je dis que ce n'est pas une position partisane. La mesure a été adoptée par un gouvernement et a été maintenue par un autre.

Le président : Vous avez cité un document qui a été obtenu grâce à la Loi sur l'accès à l'information, si je vous ai bien compris.

M. Serson : Oui.

Le président : C'était une sorte d'appel à l'aide.

M. Serson : Oui.

Le président : Cela concerne les inducteurs de coûts et la nécessité d'une indexation, et je crois que ce document provient de votre ancien ministère. Vous avez brièvement parlé de vos regrets en tant que sous-ministre. Serait-il juste de dire que le ministère n'était pas le seul à blâmer ici, que ce document démontre peut-être que le ministère a essayé d'attirer l'attention sur ce problème et d'obtenir plus de fonds, mais que cet appel à l'aide, pour le dire ainsi, est tombé dans l'oreille d'un sourd?

M. Serson : En fait, monsieur le président, je suis au courant de deux tentatives semblables. La première date de la fin 2006. Le ministère a collaboré avec l'Assemblée des Premières Nations pour rédiger une présentation semblable pour les organismes centraux et possiblement le Cabinet. On a expliqué de long en large à l'Assemblée des Premières Nations le projet des inducteurs de coûts pour les services essentiels aux Premières Nations. C'est très semblable au document de juin 2013 qui a été obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Bref, le ministère a essayé à deux reprises de corriger la situation.

Le président : Vous parlez de fonds pour les immobilisations et l'infrastructure qui étaient redirigés vers l'éducation et les services à l'enfance et peut-être les services d'urgence.

M. Serson : Oui.

Le président : L'an dernier, le gouvernement a énoncé un plan en vue d'éliminer l'indexation de 2 p. 100 pour le financement en matière d'éducation, et je suis certain que vous en êtes au courant. Je crois que c'est peut-être la première fois qu'un gouvernement énonce son intention de délaisser l'indexation de 2 p. 100, même si c'est seulement quant à l'éducation. Avez-vous quelque chose à dire au sujet de cette mesure? Elle semble s'être soldée par un échec. Certains semblent jeter une partie du blâme sur l'APN. Qu'en pensez-vous?

M. Serson : J'ai deux commentaires. C'est mon point de vue, et je me base sur mes années au ministère et les collectivités des Premières Nations que j'ai visitées. Cela se fait en partie l'écho d'un point que vous avez fait valoir dans votre rapport sur l'éducation. C'est parfait de mettre l'accent sur le financement de l'éducation; cependant, comme certains chefs vous l'ont souligné lors des témoignages que vous avez entendus, si les jeunes vont à l'école, qu'ils sont affamés et qu'ils retournent chez eux dans des maisons surpeuplées où ils n'ont pas d'endroit pour faire leurs devoirs et étudier, vos investissements n'auront pas l'effet escompté.

Ce que j'essaie de faire valoir, c'est que tôt ou tard le gouvernement devra avoir une vue d'ensemble du financement, parce que tous les éléments sont liés entre eux. Comme la vérificatrice générale l'a souligné en 2011 dans son rapport pour faire le point sur les services aux Premières Nations, il n'y a pas de lois encadrant les services aux Premières Nations. La vérificatrice générale a dit que la norme en ce qui concerne les services aux Premières Nations et les critères de comparabilité sont très mal définis.

Deuxièmement, l'initiative sur l'éducation revient à ce qui m'inquiète quant à ce que le plafond de 2 p. 100 a fait à la relation de confiance entre le gouvernement et les Premières Nations. Nous avions dit aux Premières Nations que c'était une mesure pour nous attaquer au déficit dans les années 1990. Nous voilà 18 ans plus tard, et nous savons à quel point c'est un plafond qui les pénalise; or, ce plafond est toujours en place et touche les personnes qui sont sans doute les plus pauvres au pays.

Bref, le projet de loi sur l'éducation comprenait un article qui disait qu'en dépit des engagements publics pris par le ministre des Finances et le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien concernant certains niveaux de financement ces ministres pouvaient limiter ces fonds en tout temps. Les Premières Nations auraient raison d'avoir des doutes et de se demander si elles auraient vraiment reçu le financement qui leur avait été promis ou si cet article aurait été utilisé régulièrement.

Le sénateur Tannas : Merci beaucoup de votre témoignage. Je me demande si vous vous souvenez du nombre d'employés au ministère des Affaires autochtones quand vous étiez sous-ministre.

M. Serson : Je ne suis plus très jeune, et ma mémoire n'est plus ce qu'elle était, mais je dirais qu'il y avait environ 4 800 employés.

Le sénateur Tannas : C'est sensiblement la même chose actuellement; je n'en suis pas surpris.

L'un des aspects dont nous entendons beaucoup parler, ce sont les recettes autonomes. Pourriez-vous nous en parler? Avez-vous observé cette situation ou êtes-vous au courant des témoignages que nous avons entendus, à savoir que les recettes autonomes générées par les Premières Nations qui peuvent le faire — il y en a également qui ne peuvent pas le faire —, mais les recettes autonomes ont en grande partie été la planche de salut des budgets de fonctionnement de ces Premières Nations et que là où nous avons constaté de grandes lacunes il n'y a pas de recettes autonomes? Aimeriez-vous faire un commentaire?

M. Serson : Je ne veux pas laisser entendre que j'ai des connaissances dans ce domaine. Je n'ai pas examiné le dossier depuis des lustres, monsieur le sénateur. À première vue, c'est ce que je crois, à savoir qu'il y a des Premières Nations qui génèrent beaucoup de recettes autonomes. Je ne crois pas qu'il y en ait beaucoup, mais il y en a. Les Premières Nations qui ont des recettes autonomes peuvent bien entendu compenser le manque à gagner dans le transfert provenant du fonds d'infrastructure du ministère pour financer les services essentiels. Elles peuvent compenser ce manque à gagner.

Le sénateur Tannas : Si vous aviez été responsable et que vous aviez dû réaffecter des fonds comme ç'a été fait, soit des fonds qui étaient réservés pour une chose et qui ont clairement été déplacés en catimini vers un autre compte, l'auriez-vous fait?

M. Serson : Vous me posez là une question difficile. Monsieur le sénateur, la seule chose que je peux vous répondre, c'est que, si j'avais su à l'époque ce que je sais maintenant en ce qui concerne le plafond de 2 p. 100, je serais monté aux barricades; en tant que sous-ministre, je m'y serais opposé. Si j'avais su les torts que cette mesure allait causer, je ne l'aurais pas appuyée.

Le sénateur Tannas : De sages paroles. Merci, monsieur.

La sénatrice Beyak : Merci de votre excellente déclaration, monsieur.

Je ne sais pas si vous pouvez m'aider. Nous avons entendu plusieurs témoins, comme vous et des représentants de réserves des Premières Nations, nous dire qu'il faut réaliser immédiatement une vérification exhaustive d'un océan à l'autre de toutes les réserves des Premières Nations quant à toutes les sources de recettes du gouvernement et des Premières Nations. La raison pour laquelle certains avancent qu'il y a de tels écarts — certaines Premières Nations sont prospères, alors que d'autres vivent encore dans des conditions exécrables, même si les deux gouvernements ont dépensé des milliards de dollars depuis des décennies —, c'est qu'il ne semble pas y avoir en place de mécanismes pour tenir compte de ces écarts. Vous avez de vastes connaissances et une longue expérience. Que pensez-vous de réaliser une vérification exhaustive de la situation, en plus des divers rapports faits par le vérificateur général au cours des dernières années?

M. Serson : Si vous me demandez si je crois qu'une vérification révélera un gaspillage massif de fonds ou quelque chose du genre, je ne le crois pas. Je ne pense pas que ce serait le cas.

Par contre, une évaluation pourrait-elle être utile en vue d'avoir des données plus précises sur les fonds affectés aux collectivités, le coût des services dans ces collectivités et la manière dont le tout s'équilibre? Oui, je crois que cela pourrait être utile. Cependant, comme vous n'êtes pas sans le savoir, la précédente vérificatrice générale a fait des programmes visant les Premières Nations une priorité durant son mandat de 10 ans, et elle a produit en 2011 un rapport pour faire le point. Ses principales recommandations concernaient les lois entourant les services aux Premières Nations et l'établissement d'une meilleure définition de ce que sont ces services ou de ce qu'ils devraient être pour que nous soyons en mesure de les comparer aux services provinciaux.

Voilà les solutions que je considère comme plus importantes.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. C'est une joie de vous accueillir devant notre comité aujourd'hui; nous pouvons ainsi profiter de votre expérience pour comprendre comment le tout fonctionne.

Si je ne m'abuse, au cours des 15 dernières années, je crois que certains services qui relevaient à l'époque du ministère des Affaires autochtones relèvent maintenant de divers organismes, comme Emploi et Développement social Canada et Santé Canada, et d'autres ministères. Je présume qu'il est difficile de comparer des pommes avec des pommes et des oranges avec des oranges si nous comparons ce qui est dépensé aujourd'hui et ce qui était dépensé il y a des années, étant donné que la manière dont l'argent est affecté et dépensé est très différente. Par exemple, lors de notre étude sur l'éducation, nous pouvions voir que le plafond de 2 p. 100 était présent, mais qu'il y avait en fait des augmentations dans le financement par l'entremise d'autres organismes et des provinces.

Toutefois, je crois que tous les Canadiens s'inquiètent des répercussions, et ce n'est tout simplement pas acceptable pour des gens de vivre dans une situation aussi épouvantable. J'ai un profond respect pour la force dont font preuve ces personnes.

Ce que nous essayons de déterminer dans notre étude sur le logement et l'infrastructure, c'est la manière d'aller de l'avant, d'améliorer la situation et de travailler plus efficacement. Je m'attarde notamment à un élément dans notre étude, soit la personne qui décide de ce qu'est une maison, de ce qui est fourni et de la manière dont c'est construit et livré. Je ne sais pas si vous avez de l'expérience dans ce domaine précis, mais j'aimerais savoir comment c'est possible qu'on puisse construire dans une réserve des Premières Nations dans le nord de l'Ontario une maison sans porche dans laquelle on passe directement du salon à l'extérieur où il fait 40 degrés sous zéro. Comment est-ce possible?

M. Serson : Je n'ai pas d'expertise en la matière, madame la sénatrice. Je m'excuse, mais je n'en ai pas.

Par contre, j'aimerais faire un commentaire sur ce que vous avez dit, et c'est au sujet de la progression que nous avons constatée concernant la prestation des services, parce que je ne voudrais pas vous donner l'impression que les gouvernements successifs n'ont pas investi dans les Premières Nations. C'est tout le contraire. Cependant, ce que le ministère tente continuellement de faire valoir, c'est que, lorsque des investissements à court terme sont faits pour combler une lacune ou traiter d'un problème précis, cela n'entraîne pas d'augmentations dans le budget de fonctionnement et d'entretien en fonction des prix et du volume. Bref, je crois que le ministère essaie de dire que la population canadienne voit que nous investissons dans le domaine, mais qu'elle ne réalise pas qu'il y a un trou au fond et que chaque année le ministère prend du retard par rapport aux prix de base et au volume.

La sénatrice Raine : Si l'on va toujours puiser de l'argent dans le budget pour l'infrastructure afin de financer des programmes qui sont sous-financés alors qu'ils sont absolument nécessaires, c'est comme si on se rend compte que la maison est sur le point de s'effondre et on prend de l'argent d'un budget pour réagir en catastrophe. J'y vois un problème systémique ici et il faut savoir comment le régler. D'après votre expérience au sein du ministère, que nous recommanderiez-vous?

M. Serson : C'est un problème on ne peut plus fondamental. Permettez-moi de vous faire une comparaison. Nous, les citoyens canadiens, bénéficions de services sociaux et de soins de santé, et les résidants des provinces moins nanties bénéficient des paiements de péréquation fiscale. On peut donc se demander ce qui s'est passé dans ces domaines. Je reconnais que dans le sillon de la lutte contre le déficit des années 1990, les provinces et territoires ont subi des coupes absolues et non seulement une réduction du taux de croissance. En 2004, cependant, le gouvernement a rencontré les provinces et s'est entendu sur des taux de croissance considérables.

Si ma mémoire est bonne, le Transfert canadien en matière de programmes sociaux se chiffre à 3 p. 100, le Transfert canadien en matière de santé est de l'ordre de 6 p. 100, et je crois que le gouvernement a prévu un taux de 6 p. 100 à l'avenir. Même dans le cas des paiements de péréquation fiscale, il y a eu des hausses immédiates frisant les 9 p. 100 pendant deux ans, et ensuite un taux de 3,5 p. 100 pendant les 10 prochaines années. C'est donc le traitement accordé à ces programmes qui aident à financer les programmes et services dont nous jouissons.

Dans le cas des Premières Nations, cependant, le taux a été fixé à 2 p. 100. Madame la sénatrice, il me semble que le point de départ serait un taux d'indexation juste qui couvre tout au moins l'inflation et la croissance démographique. Sinon, tout ce que l'on investit est rongé ailleurs.

Le sénateur Watt : Merci pour votre exposé. Je crois qu'il est important d'entendre une personne qui connaît le contexte et qui a des recommandations à faire.

Permettez-moi d'essayer de comprendre ce que nous devons faire, en tant que membres de ce comité, une fois que nous aurons enfin terminé notre travail et que les recommandations devront être formulées. Nous avançons peu à peu.

Tout d'abord, j'aimerais vous dire que je vous ai bien entendu, et que je comprends et je constate le problème. Qui sont les gens dans votre ministère qui prennent les décisions finales quant aux allocations, en sachant très bien qu'il n'y a pas d'autres fonds sur lesquels vous pouvez compter lorsque le budget sera épuisé? Qui sont ces gens? Est-ce le ministère des Affaires indiennes sous la direction du sous-ministre? Est-ce un problème politique ou administratif? À qui avons-nous affaire ici?

M. Serson : Je ne peux vous parler que de ce que j'ai fait moi-même, sénateur. La réaffectation de telles sommes serait tout d'abord la responsabilité des sous-ministres adjoints, qui le proposeraient au comité de la haute direction du ministère chargé de prendre la décision. Je crois certainement que le ministre serait mis au courant de la réaffectation de telles sommes ainsi que de son incidence. À mon époque, moi, j'aurais voulu en informer le ministre.

Une fois que le budget des dépenses est adopté et que le budget a été fixé, c'est le budget du ministère, à moins qu'il n'y ait une crise aiguë qui fait qu'il faut se retourner vers les agences centrales.

Le sénateur Watt : Ma prochaine question vise à savoir si l'Assemblée des Premières Nations participe aux discussions concernant la prise de décisions. Est-ce le cas?

M. Serson : Je ne saurais vous dire si l'assemblée y participe de nos jours. Nous avons réagi au rapport de la CRPA; c'était en 1996, il me semble. Vous vous souviendrez que la ministre à l'époque avait décrit la relation qu'elle voulait entretenir avec les peuples autochtones comme étant un partenariat. Nous avons donc commencé à collaborer de plus près sur des questions, afin d'essayer d'expliquer notre situation financière et les conséquences. Je ne veux pas laisser entendre qu'on a pris des décisions conjointement, mais il y avait tout au moins un dialogue ouvert sur les décisions et leurs conséquences.

Je sais que cette politique a été maintenue, car j'étais conseiller auprès du chef national de l'Assemblée des Premières Nations lorsque ce rapport sur les inducteurs de coût a été rédigé en 2006. Il s'agit d'une présentation, préparée par le ministère à l'intention de l'Assemblée des Premières Nations et indiquant le type d'inducteurs de coût qui se faisaient ressentir. Le ministère avait l'intention de l'utiliser afin de convaincre le gouvernement de mettre un terme au plafond de 2 p. 100 et d'obtenir des fonds supplémentaires pour combler certaines lacunes au chapitre des services offerts aux Premières Nations comparativement aux services fournis aux résidents des provinces et des territoires.

Le sénateur Watt : Comment les communautés individuelles se situent-elles par rapport à l'Assemblée des Premières Nations et au ministère des Affaires autochtones? Y a-t-il une coordination suffisante entre les communautés qui permette de déterminer leurs besoins et l'incidence sur d'autres dossiers? Est-ce une relation de travail ou encore un partenariat? J'aimerais mieux comprendre comment tout cela fonctionne.

M. Serson : J'ai beaucoup d'années à mon actif, dont des années passées au sein de l'Assemblée des Premières Nations. Je ne sais pas quelle est la situation actuelle, mais lorsque je travaillais avec le chef national Phil Fontaine, l'assemblée avait des ressources assez limitées même à l'époque. Je ne crois pas qu'elle avait la capacité de vraiment coordonner un dossier comme les besoins en matière d'infrastructure. Lors des assemblées, les chefs parlaient certainement des besoins, et on tentait de les inscrire dans les grandes priorités, que le chef national revendiquait ensuite auprès du gouvernement. Je sais qu'il a travaillé sur le dossier des logements de piètre qualité pendant son mandat.

D'après ce que je lis dans les évaluations faites par le ministère actuellement, il me semble qu'il utilise les données régionales pour dresser la liste des besoins en matière d'infrastructure et décider des priorités et des réaffectations.

Le sénateur Watt : Cette information se rend-elle normalement jusqu'au sous-ministre?

M. Serson : Je crois que cela dépendrait du sous-ministre. S'il regardait la liste complète ou était d'accord avec les montants à réaffecter, on indiquerait alors ce qu'il reste et les grands postes qui seraient financés. Je ne sais pas dans quelle mesure un sous-ministre s'en occuperait.

Le sénateur Watt : Pouvez-vous me dire clairement qui prend les décisions? Qui a l'autorité nécessaire sur le plan administratif? Je ne parle pas de politique, seulement de questions administratives.

M. Serson : Au niveau administratif, c'est le sous-ministre qui est responsable du budget. Pour ce qui est du plafond de 2 p. 100, ce sont les agents du ministère des Finances et du Conseil du Trésor qui décident, sur le plan administratif, si le plafond devrait continuer à exister.

Le sénateur Watt : J'imagine qu'il y a une certaine souplesse accordée au sous-ministre adjoint mais non pas au sous- ministre, c'est bien cela? Ce serait donc son rôle, de travailler avec ses gens, ses subordonnés qui se chargent de l'administration au jour le jour et des décisions à prendre.

M. Serson : Absolument.

Le sénateur Watt : Dans de tels cas, êtes-vous d'avis que son mandat est un peu trop généreux en ce qui concerne sa capacité de prendre une décision sans vous consulter ou sans consulter les Premières Nations? Quel est votre avis? Que faut-il rectifier?

M. Serson : Je ne peux me prononcer sur la question qui porte sur le ministère, car j'ignore ce qui se passe actuellement, sénateur. Je n'en ai pas la moindre idée.

Là où je veux en venir, c'est que l'on devrait éliminer le plafond de 2 p. 100 et prévoir de nouveaux taux d'indexation justes, et tout ceci devrait se faire dans le cadre de discussions avec l'Assemblée des Premières Nations.

Il ne s'agirait pas de négociations mais de discussions, afin que l'Assemblée des Premières Nations soit entièrement au courant des facteurs qui ont contribué à la prise de décisions concernant les nouveaux taux d'indexation qui auront un si grand impact sur elle.

Le sénateur Watt : Permettez-moi d'utiliser un exemple dont je suis au courant. Il y a quelques années, il y a eu des inondations au Manitoba et, d'après ce que j'entends, les sinistrés logent toujours à l'hôtel. Lorsqu'une telle crise se pointe, vous n'avez pas de réserves. Faut-il que le ministère participe à la prise de décisions concernant les fonds attribués à l'éducation, à la santé, au logement ou à l'infrastructure pour répondre à un besoin particulier dans un exercice donné? Que faites-vous, ou faites-vous même quelque chose? D'après ce que je comprends, les sinistrés sont toujours victimes de ces inondations. Plusieurs années se sont écoulées déjà. Je crois que vous connaissez très bien ce cas.

M. Serson : Je connais la situation générale, mais je ne peux répondre à vos questions, sénateur. Il y a trop d'années déjà que je ne suis plus au ministère et que je n'ai pas travaillé sur ce dossier.

Le sénateur Watt : Aurais-je raison de dire que le ministère devrait effectuer davantage de travail, devrait prendre davantage de dispositions pour ce qui est de la prise de décisions, notamment en ce qui concerne la réattribution de fonds, sans savoir s'il y aura en fait des crédits ou des solutions possibles à d'autres problèmes?

M. Serson : Vous semblez laisser entendre que...

Le sénateur Watt : Je cherche une réponse.

M. Serson : Non, mais vous laissez entendre que les fonctionnaires font des manœuvres quelconques.

Le sénateur Watt : Pas forcément.

M. Serson : Je ne saurais me prononcer.

Le sénateur Watt : Ce n'est pas de cela que je parlais.

M. Serson : Si vous me demandez si les politiques en la matière sont suffisantes, je vous dirais que oui, tout à fait. La vérificatrice générale a indiqué en 2011 que nous avions besoin d'éducation, d'un cadre législatif et de normes en matière de services, des normes claires, afin d'éviter ce type de conversation. Lorsqu'on surveille le ministère, il devient alors possible de savoir si les services offerts se comparent aux services offerts dans une province donnée. Voilà les arguments qu'elle a avancés.

Le sénateur Watt : C'est ce que je voulais vous entendre dire. Merci.

M. Serson : Tout cela figure dans le rapport d'étape de 2011.

Le président : Permettez-moi d'intervenir à ce sujet. Monsieur Serson, vous proposez un cadre législatif qui indiquerait les fonds approuvés conformément aux recommandations du vérificateur général. Je vous pose la question suivante : le Parlement n'a-t-il pas toujours la discrétion de décider des crédits accordés sur une base annuelle? N'y aurait-il pas donc contradiction de ce principe bien connu?

M. Serson : Je crois que vous avez probablement raison. Mais lorsqu'on se retrouve du côté des Premières Nations à la table, et on voit le gouvernement adopter des lois tous les cinq ans pour renouveler les Transferts canadiens en matière de programmes sociaux et de santé et y rattacher des crédits, on constate qu'il deviendra beaucoup plus difficile politiquement de modifier ces engagements plutôt que de changer la teneur des programmes de subventions et de contributions prévus dans le budget des dépenses.

Le président : Merci. À vous, sénateur Tannas.

Le sénateur Tannas : Merci. Encore une fois, je vais faire appel à vos connaissances et à vos souvenirs de l'époque où vous faisiez partie de la haute direction. Lorsque vous étiez à la barre, quelle était la nature des interactions entre le ministère et les dirigeants des Premières Nations? Il y a 20 ans, combien des fonds de votre ministère étaient transférés directement aux Premières Nations afin qu'elles puissent les utiliser et les dépenser? Quels étaient les fonds qui leur étaient confiés? Quel était le pourcentage de fonds qui ne faisaient essentiellement que de transiter par votre ministère?

M. Serson : Eh bien, je crois que c'était le cas pour la vaste majorité, sénateur. Au milieu et à la fin des années 1980, le gouvernement a confié en grande partie l'administration des programmes et services aux gouvernements des Premières Nations. En ce qui concerne le transit de ces crédits par le ministère, comme vous le savez, il s'agit de crédits destinés aux programmes de subventions et de contributions. Le vérificateur général a fait diverses observations au sujet de ces programmes au fil des ans. La dernière vérificatrice générale était très préoccupée notamment par le fardeau de déclaration imposé aux gouvernements des Premières Nations en raison du nombre de programmes de subventions et de contributions. Effectivement, ce sont des fonds qui transitent par le ministère. Il existe cependant des politiques et c'est le ministère qui décide ces politiques. Le ministère exige des rapports. Je voulais vous donner ce contexte.

Le sénateur Tannas : Lorsque nous nous sommes déplacés, nous avons appris qu'une bonne partie des gouvernements des Premières Nations en difficulté souffraient du fardeau lié à leur pouvoir discrétionnaire sur leurs budgets d'immobilisations. Les décisions se faisaient prendre, comme vous nous le dites et comme d'autres au ministère nous l'ont indiqué, en ce qui concerne les réaffectations, des décisions qui devenaient plus lourdes notamment pour les gouvernements des Premières Nations dans une situation précaire ou financièrement difficile.

M. Serson : Tout à fait. Le ministère, dans son mémoire le plus récent auquel j'ai fait référence, reconnaît le fait qu'il ne fait qu'exacerber le problème en ce qui concerne l'infrastructure.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice Raine : J'aimerais revenir à votre expérience au moment où ce soi-disant plafond a été instauré. On parlait du taux d'indexation.

M. Serson : Le plafond du taux d'indexation, oui.

La sénatrice Raine : Normalement, les programmes coûtent plus cher selon le taux d'inflation et de croissance démographique, n'est-ce pas?

M. Serson : Cela dépend de la nature du programme. Le gouvernement peut créer des programmes de durée limitée en indiquant les crédits disponibles pendant les cinq ou trois prochaines années. Il n'y a aucune indication quant aux hausses de prix ou de volume après la période prévue, car le gouvernement pense qu'il a établi les budgets nécessaires pour le programme et a tenu compte de ces facteurs.

Dans le cas des programmes à long terme, tels que ceux assurés par le ministère des Affaires autochtones, il faut surveiller régulièrement l'inflation, la croissance démographique et, dans le cas des Premières Nations, lorsqu'on s'est engagé à offrir des services comparables, les investissements que font les provinces. Je le répète, on s'est engagé pour que les services offerts aux Premières Nations se comparent aux services offerts dans une région donnée.

La sénatrice Raine : Je veux être sûre de comprendre. Dans quel exercice le plafond a-t-il été introduit?

M. Serson : Qu'ai-je dit, 1997-1998?

La sénatrice Raine : À l'époque, même si tout le monde savait que les coûts allaient augmenter et qu'il fallait prévoir davantage de fonds, les Premières Nations ont accepté un plafond de 2 p. 100 pour aider à réduire le déficit à court terme, en sachant que cela créerait des difficultés?

M. Serson : Oui.

La sénatrice Raine : Et on ne s'attendait pas à ce que ce plafond perdure, ce qui en fait crée des difficultés?

M. Serson : Tout à fait.

La sénatrice Raine : Normalement, certains programmes comprendraient un taux d'indexation pour diverses raisons, alors que d'autres prévoient des montants fixes, n'est-ce pas?

M. Serson : Oui.

La sénatrice Raine : Actuellement, nous tentons de nous rattraper, et il faudrait peut-être indiquer clairement qu'il n'y aura plus de plafond de 2 p. 100 et qu'il faut obtenir des fonds supplémentaires pour éliminer les déficits en matière d'infrastructure.

M. Serson : Tout à fait.

La sénatrice Raine : Il ne faudrait pas chercher à établir un pourcentage quelconque. Il faudrait désormais prévoir des budgets corrects ainsi que les fonds nécessaires pour pouvoir se rattraper dans ce dossier. Serait-ce la façon de procéder? Il ne faut pas tout simplement éliminer le plafond.

M. Serson : Non, je crois que vous et moi sommes sur la même longueur d'onde maintenant. J'ajouterais seulement que le plafond doit être remplacé immédiatement par des taux d'indexation raisonnables.

La sénatrice Raine : Tout à fait.

M. Serson : À ce moment-là, on peut se réunir et se demander quelles sont les lacunes créées en matière d'infrastructure et dans tous ces autres domaines. Je reconnais que le gouvernement a investi des sommes considérables au cours des cinq ou six dernières années, mais nous devons vraiment examiner l'impact de cet investissement qui s'ajoute au budget des programmes pour lesquels on n'a pas tenu compte de la hausse des prix ni de la croissance démographique depuis de nombreuses années déjà.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup.

Le président : J'aimerais terminer la série de questions. En ce qui concerne la réaffectation des immobilisations, les ministères peuvent le faire actuellement dans le cadre de leur budget. Ce n'est peut-être pas bien, ce n'est peut-être pas à bon escient, mais ce n'est certainement pas une pratique abusive. Je me demande donc si vous avez des recommandations pour empêcher ce phénomène?

Vous avez recommandé des services qui feraient l'objet d'un cadre législatif. Qu'en est-il des immobilisations? Nous avons consulté une évaluation ministérielle interne portant sur les immobilisations et certains programmes d'entretien des installations en 2010, qui indiquait que les agents régionaux soulignaient l'importance des fonds ciblés pour le programme d'immobilisations et d'entretien, car ainsi, les fonds ne peuvent pas être réaffectés.

Pouvez-vous nous décrire ce que c'est un programme ciblé, et serait-ce une façon d'éliminer cette pratique?

M. Serson : Vous êtes exigeant, sénateur, car c'est un sujet d'actualité, mais je crois que par programmes ciblés, on entend les investissements dans des postes comme le traitement des eaux usées, l'alimentation en eau et les égouts. J'ai réfléchi à cette question récemment et j'ai trouvé, que, par exemple, le gouvernement actuel, lorsqu'il luttait contre le déficit, n'a pas fait fi des Premières Nations. Il a effectué un certain nombre d'investissements ciblés pour tenter d'aider pendant deux ou trois ans, et ensuite il n'y a eu aucune suite donnée.

Pour ce qui est d'éviter la réaffectation des fonds, je ne crois pas que les fonctionnaires le fassent sans y réfléchir longuement. Ma mémoire et mes connaissances me font peut-être défaut, mais d'après ce que je comprends, monsieur le président, lorsque nous accordions des subventions à l'éducation primaire et secondaire, ou encore à des programmes d'assistance sociale aux Premières Nations, nous appelions cela des services de nature « quasilégislative ». Aucune loi fédérale ne les prévoyait, mais dans les provinces, il s'agit de services prévus par la loi, et on constate donc que des fonds sont réaffectés à l'infrastructure car on voudrait s'assurer que ces programmes de nature « quasilégislative » demeurent comparables aux programmes offerts par la province. L'infrastructure n'étant pas dans cette catégorie, on se sent donc à l'aise de déplacer les fonds d'un poste à l'autre afin d'avoir des services de nature « quasi-législative » comparables.

Si l'on prévoit des fonds suffisants pour offrir des services de base grâce à un taux d'indexation juste et raisonnable, le besoin de réaffecter des fonds pour l'infrastructure disparaîtra. C'est ainsi que je résoudrais le problème.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Serson.

Chers collègues, je vous propose que nous passions au prochain témoin, qui représente le Forum des politiques publiques. On m'a informé que M. Serson est prêt à rester dans la salle ce matin, ce qui nous permettra de le remercier à la fin de la séance. Pendant que nous changeons de place, j'aimerais accueillir le sénateur Enverga, de Toronto, en Ontario, ainsi que le sénateur Ngo, d'Ottawa, de la même province. Bienvenus au comité.

Mesdames et messieurs, j'ai l'honneur d'accueillir notre prochain témoin, Mme Julie Cafley, vice-présidente du Forum des politiques publiques, une organisation indépendante à but non lucratif, voué à améliorer la qualité du gouvernement au Canada grâce à un dialogue amélioré entre les secteurs publics, privés et bénévoles.

Nous sommes impatients de vous entendre. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs. Vous avez la parole.

Julie Cafley, vice-présidente, Forum des politiques publiques : Bonjour. Je tiens à souligner que nous sommes sur le territoire ancestral du peuple algonquin. Merci de m'accueillir aujourd'hui. Au cours des dernières années, le Forum des politiques publiques, une organisation sans but lucratif et non partisane, s'intéresse à la participation autochtone dans le secteur des ressources eu égard aux occasions de développement économique.

On m'a demandé aujourd'hui de parler de notre projet — nous sommes à mi-parcours — portant sur l'accès des Premières Nations à des capitaux pour des projets d'infrastructures majeurs et des possibilités d'exploitation des ressources.

Mon exposé se divise en quatre sections et portera sur le contexte et les possibilités. Si je ne m'abuse, bon nombre d'entre vous ont une copie de notre rapport contextuel intitulé Getting Together — First Nations and Capital Markets que j'ai fait parvenir au comité en prévision de mon témoignage.

Je donnerai un aperçu de certains des obstacles et de quelques solutions — des pratiques exemplaires internationales ou utilisées au Canada. Je parlerai également des recommandations préliminaires formulées dans le cadre de nos dialogues. Nous menons beaucoup de tables rondes auxquelles participent des chefs inuits et des Premières Nations, des dirigeants d'entreprises du secteur privé, des représentants des divers ordres de gouvernements et des représentants d'organisations sans but lucratif dans le but de faire tomber les barrières qui existent entre les dirigeants de différents secteurs.

Le projet d'accès au capital se penche sur de nombreux aspects différents, comme l'accès au financement commercial et public, mais également sur la question plus large, mais très importante, de la connaissance financière et de la gestion financière. Nous travaillons avec de nombreux partenaires, y compris en ce qui a trait aux recommandations formulées par le Conseil national de développement économique des Autochtones, et tous contribuent à nos efforts.

Nos derniers travaux ont porté sur la participation autochtone dans le secteur des ressources et de nombreux problèmes ont été soulevés, notamment la nécessité d'assurer un transfert des connaissances et la mise en commun de l'information. Il n'y a aucune approche universelle. Beaucoup de bonnes choses ont été réalisées et il existe de bonnes pratiques exemplaires, mais il semble y avoir un problème au niveau de la mise en commun de l'information. De plus, il est important d'accroître le nombre d'entrepreneurs autochtones afin qu'ils participent activement aux projets dans le secteur des ressources, d'accroître le capital humain, la participation autochtone à ces projets et la capacité communautaire, et de se pencher sur les problèmes liés à l'accès au capital et à la connaissance financière.

En ce qui concerne l'accès au financement, nous nous intéressons à de nombreux projets d'envergure dans le secteur privé, des projets valant des dizaines de millions de dollars, notamment dans les secteurs pétrolier, gazier, minier et des transports, et des projets de pipelines.

Selon les derniers chiffres que nous avons et qui datent de 2003, il semble y avoir un écart de 43,3 milliards de dollars. Cet écart est probablement plus important aujourd'hui. Les entrepreneurs inuits et des Premières Nations touchent 1 p. 100 d'un dixième du 1,84 billion de dollars investi dans l'économie canadienne. Comme je l'ai souligné, ces données datent de 2003. Les entrepreneurs des Premières Nations doivent pouvoir travailler sur un même pied d'égalité que les autres entrepreneurs du pays.

Dans le contexte actuel, les possibilités pour les investisseurs sont nombreuses. Des projets de ressource importants d'une valeur totale de 315 milliards de dollars sont en cours près de collectivités autochtones. On compte 1 200 collectivités sur un territoire de 200 km, et il y a 220 mines et 3 000 projets d'exploration au Canada.

Il y a des exemples positifs, notamment la collaboration entre les Premières Nations et la société Encanto Potash, en Saskatchewan. Les Premières Nations détiennent 5 p. 100 des parts dans ce projet, en plus des redevances. De plus, la Banque des Premières Nations du Canada, une collaboration entre la Banque TD et la Saskatchewan Indian Equity Foundation, dispose maintenant d'un portefeuille de prêts de 245 millions de dollars.

Lac Seul, dans la région nord-ouest de l'Ontario, détient 9,9 p. 100 de parts dans la société AurCrest Gold. Il y a d'autres exemples où les collectivités des Premières Nations participent entièrement à des projets, notamment la Bande indienne d'Osoyoos, en Colombie-Britannique, La Ronge, en Saskatchewan, et Membertou, en Nouvelle-Écosse. Il y a également la Société de placement Inuvialuit qui possède un portefeuille d'investissement de 343 millions de dollars.

Tout comme les jeunes entrepreneurs non autochtones, les jeunes entrepreneurs autochtones sont de plus en plus nombreux. Ils sont plus jeunes que leurs homologues et leur nombre croît deux fois plus vite.

Concernant le soutien du gouvernement, celui-ci est beaucoup plus élevé que dans le reste du pays. Le secteur privé compte pour seulement 40 p. 100 du capital investi comparativement à 95 p. 100 dans l'économie canadienne, soit huit fois moins.

Le fait que le système soit encore très paternaliste constitue un obstacle aux investissements à grande échelle. Le système est incertain et, dans l'ensemble, plutôt inefficace.

Sur le plan juridique, bien entendu, la Loi sur les Indiens est le principal obstacle à la prospérité économique, notamment en ce qui a trait à l'accès à du capital. Sur le plan économique, le crédit et les marchés des actions sont méconnus. En ce qui a trait aux renseignements inadéquats en matière de solvabilité, les grandes banques traitent parfois les bandes comme des clients à risque plutôt que des entités du secteur public solvables.

Le pouvoir de taxation des Premières Nations est limité. Comment effacer une dette sans revenus? Il y a une grande dépendance sur le secteur des ressources, un secteur volatile; il y a un manque général de connaissances financières et de gestion financière et un besoin criant d'expertise financière au sein des collectivités; il y a un manque de compréhension de la part des investisseurs extérieurs, notamment sur le plan des économies et des coutumes. Finalement, les investisseurs privés ont de la difficulté à trouver des acheteurs.

Nous avons déjà parlé des obstacles sociaux, des mauvais résultats scolaires et des infrastructures limitées dans les réserves. Il y a un manque à gagner de 8 milliards de dollars et les Premières Nations hésitent à travailler avec des partenaires de l'extérieur, car elles ne leur font pas confiance.

Nous avons tenté de souligner quelques solutions qui fonctionnent et quelques bonnes pratiques exemplaires, notamment le First Nations Regeneration Fund, en Colombie-Britannique, qui se concentre sur des projets dans le secteur de l'énergie; l'Indigenous Business Australia, une Société d'État créée pour favoriser l'entrepreneuriat chez les Autochtones; la Garantie d'emprunt pour les Autochtones de l'Ontario pour des projets dans le secteur de l'énergie; et l'Indian Business Corporation, en collaboration avec AltaGas, en Alberta, qui a accordé un prêt de 500 000 $ afin de financer le commerce dans les réserves.

Il y a eu trois types de partenariat : les institutions financières autochtones entièrement subventionnées ainsi que des subventions et contributions du gouvernement — une idée consisterait à créer un fonds de capital de risque financé par le gouvernement —; une aide financière où le gouvernement offre certains incitatifs aux prêteurs et aux investisseurs du secteur privé, comme des garanties, des réserves pour pertes sur prêts et des incitatifs fiscaux; et un financement commercial complet lorsqu'il n'y a aucun soutien gouvernemental. Une des bonnes pratiques exemplaires à ce chapitre serait l'Administration financière des Premières Nations qui dispose d'une notation en obligation de 90 millions de dollars à laquelle participent 14 bandes.

Il faut poser des gestes audacieux. Les entrepreneurs et les sociétés des Premières Nations qui cherchent à avoir accès à du capital doivent surmonter de nombreux obstacles, notamment des restrictions législatives, des programmes et politiques inflexibles pour l'allocation de fonds, des coûts élevés, de longs délais pour le traitement des demandes, et des inquiétudes liées à la réputation.

Les histoires à succès et la faculté d'adaptation des participants à nos tables rondes montrent que l'investissement dans les collectivités et les sociétés des Premières Nations produit des retombées sociales et améliore la capacité financière. Cela favorise l'établissement de collectivités autonomes et durables, et peut être avantageux pour les banques, les entreprises d'investissement et les régimes de pension, puisqu'ils contribuent à créer une bonne réputation sur laquelle peuvent s'appuyer les collectivités.

Les investisseurs et les collectivités des Premières Nations doivent tous les deux composer avec le risque. En raison de la Loi sur les Indiens, les banques et les entreprises d'investissement manquent d'accès à des capitaux, ce qui se traduit par un manque de sécurité et augmente les risques. D'autres participants ont fait remarquer que les institutions financières autochtones ont le pouvoir de saisir des biens au nom des banques et qu'elles pourraient servir d'intermédiaire afin de réduire le risque.

La façon pour les banques et les investisseurs majeurs d'accéder en toute sécurité à ce nouveau marché consiste à investir dans le réseau des institutions financières autochtones. L'impact économique des institutions financières autochtones repose sur un financement de projets et de programmes estimé à 41 millions de dollars, en 2012.

Les collectivités et entreprises des Premières Nations doivent composer avec des taux d'intérêt qui fluctuent, des bilans complexes et exigences complexes en matière de financement, de longs délais de traitement pour les demandes et des conditions de prêts défavorables.

Il n'y a que quelques partenariats public-privé qui peuvent servir d'exemple au Canada, notamment le projet de centrale électrique sur la rivière Kokish et un projet de gestion des déchets et de l'eau potable en cours d'élaboration dans le Canada atlantique.

L'Infrastructure (Financial Assistance) Act, adoptée au Royaume-Uni, a été soulevée lors des tables rondes comme étant une pratique exemplaire internationale. Une façon d'améliorer l'accès des Premières Nations aux marchés financiers serait que le gouvernement fédéral offre des garanties pour certains types de prêts. Par exemple, les prêts pour des projets d'infrastructures visant à aider les Premières Nations à obtenir des parts dans des projets d'exploitation de ressource d'envergure.

Cette loi, adoptée en 2012 et entrée en vigueur en 2013, pourrait servir de modèle. Elle a été conçue pour éviter les délais dans les projets d'infrastructures essentiels au Royaume-Uni causés par des conditions de crédit défavorables. Elle autorise le gouvernement à fournir une garantie souveraine pouvant aller jusqu'à 40 milliards de livres en appui aux investissements en infrastructures. Cette garantie signifie que le gouvernement prête sa cote de crédit au commanditaire commercial d'un projet. Cette option est offerte pour tous les projets d'infrastructures importants dans les secteurs de l'énergie, des transports, des communications, des déchets et du logement, notamment, considérés comme des produits favorisant la croissance et pouvant aider les économies locale et nationale.

Parmi les premiers projets à l'étude pour cette garantie, plus de la moitié étaient dans le secteur de l'énergie. Une garantie est fournie en appui à un projet de 1 milliard de dollars pour le prolongement de la ligne Nord du métro de Londres. Les projets domiciliaires sont également admissibles à cette aide.

Je vais maintenant parler de quelques-unes de nos principales recommandations. Comme c'est le cas dans tous nos rapports, nous mettons l'accent sur les recommandations, non seulement pour le gouvernement, mais également pour toutes les parties concernées. Pour les Premières Nations, nos recommandations sont les suivantes : comprendre les exigences financières des entreprises d'investissement afin d'élaborer des processus efficaces pour la création de partenariats; étudier la possibilité de conclure des partenariats avec des régimes de pension, notamment ceux qui s'intéressent à l'investissement socialement responsable; identifier les modèles d'affaires et les exemples de projets et de partenariat réussis à mettre en valeur; reconnaître les réussites et les partager avec les autres collectivités afin de bâtir un sens aigu des affaires; et développer des possibilités en matière d'éducation, notamment dans le domaine financier.

Pour le secteur des finances, nos recommandations sont les suivantes : améliorer l'accès au capital pour les institutions financières autochtones; essayer de mieux comprendre le cadre législatif afin de pouvoir travailler avec les Premières Nations; mettre l'accent sur les solutions afin de surmonter les obstacles plutôt que de se laisser décourager par les complexités juridiques; créer des partenariats en capitaux afin de tirer avantage des flux de rentrée qui découlent des investissements à grande échelle; et fournir une source centrale d'information qui permet d'identifier les sources de capitaux, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle régionale, et qui souligne les exigences en matière de partenariats et d'investissement.

Pour les gouvernements, nos recommandations sont les suivantes : revoir les programmes de garantie de prêt afin de les rendre plus flexibles tout en réduisant les lourdeurs administratives; étudier la possibilité de mettre en place des programmes de partage des impôts afin d'accroître les sources de revenus pour les collectivités dans les réserves; fournir des renseignements sur la façon de structurer des ententes financières, de participer à des négociations et de planifier le développement économique durable à long terme; et étudier la possibilité d'offrir des garanties souveraines en appui aux prêts des Premières Nations.

Comme je l'ai déjà souligné, ce projet n'est pas encore terminé. Je ferai parvenir au comité une copie de notre rapport définitif qui devrait être publié en mai après notre dernière table ronde qui doit avoir lieu en avril. Plutôt que de mettre l'accent sur ce qui ne fonctionne pas, nous avons choisi de réunir des intervenants afin de trouver des façons d'accroître la collaboration et les partenariats. Mais, comme on l'a déjà dit, il y a un déficit de confiance. Bien entendu, il y a beaucoup de méfiance et un manque de communication entre les différents intervenants. On reconnaît de plus en plus que les collectivités des Premières Nations sont autonomes et qu'elles offrent un potentiel immense encore inexploité pour l'économie canadienne. En mettant l'accent sur les recommandations dont je viens de parler... Bien entendu, il n'y a pas d'approche unique. Toutefois, il existe de bonnes pratiques exemplaires qui méritent d'être partagées.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Cafley. J'aimerais d'abord revenir sur votre recommandation selon laquelle le gouvernement fédéral devrait étudier la possibilité d'offrir des garanties souveraines en appui aux prêts des Premières Nations. Le Conseil de gestion financière des Premières Nations a également fait cette recommandation soulignant que cela aiderait beaucoup à tirer avantage des fonds non gouvernementaux, notamment pour des projets d'infrastructures. Pourriez-vous donner plus de détails sur la façon dont ces garanties seraient mises en œuvre au Canada? Comment cela se ferait-il?

Mme Cafley : Je crois que le modèle britannique dont j'ai parlé constitue une bonne pratique exemplaire et un bon exemple de ce qui fonctionne. Bien entendu, il faudrait fixer des critères pour les types de projets admissibles et les sommes qui seraient garanties. Toutefois, le modèle d'infrastructure britannique constitue une bonne approche à cet égard. Je pourrais faire parvenir plus d'informations à ce sujet au comité.

Le président : Merci.

Le sénateur Enverga : Merci pour cet exposé. Dans certains des documents de discussions que j'ai consultés, le FPP prétend que le Conseil de gestion financière des Premières Nations devrait encourager plus de bandes à présenter elles- mêmes leur demande dans le cadre du processus d'homologation du conseil. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet? Si toutes les bandes présentent une demande, seront-elles admissibles?

Mme Cafley : Je crois qu'il est nécessaire de posséder des connaissances financières et d'avoir des compétences en gestion financière. Cela aide à soutenir l'idée selon laquelle il est parfois nécessaire de faire appel à des sources externes pour accompagner les bandes dans ce genre de processus. Toutefois, le conseil offre un niveau d'homologation différent eu égard à de saines pratiques commerciales. Nous avons déjà parlé de la vérification, mais il y a peut-être une façon plus positive d'encourager la transparence et la comptabilité ouverte.

Le sénateur Enverga : Savons-nous pourquoi ce ne sont pas toutes les Premières Nations qui présentent une telle demande?

Mme Cafley : Très sincèrement, c'est une question de capacité. Nous avons été choqués de constater lors de nos premières tables rondes à quel point la mise en commun de l'information et le transfert des connaissances entre les collectivités font défaut, notamment en ce qui a trait aux ententes sur les répercussions et les avantages. Les collectivités doivent communiquer entre elles. Cela joue beaucoup sur la confiance, car elles hésitent à chercher de l'information ailleurs. Elles doivent mieux communiquer entre elles, et ceci serait une bonne façon de favoriser cette communication.

Le sénateur Enverga : Quelles sont les collectivités qui en profiteraient le plus?

Mme Cafley : Nous avons parlé plus tôt des problèmes en matière d'éducation et de conditions sociales. Bien entendu, certaines collectivités se portent mieux que d'autres et offrent plus de possibilités. Mais, comme nous le savons, pour de nombreuses collectivités au pays, ce n'est pas une option. Ces collectivités travaillent à ce problème depuis un long moment. Seul un petit nombre de collectivités est en mesure de conclure des partenariats égaux avec des sociétés d'exploitation minière ou du secteur de l'énergie. Elles sont peu nombreuses.

Le sénateur Enverga : Lorsque vous parlez d'un groupe restreint, de combien de Premières Nations s'agirait-il?

Mme Cafley : Je ne pourrais pas vous donner de pourcentage, mais les Premières Nations qui réussissent bien sont connues. Ce sont celles que j'ai nommées dans mon exposé, entre autres. Les Premières Nations de Membertou et d'Osoyoos en Colombie-Britannique seraient un bon exemple. Les communautés à proximité de Fort McMurray le font depuis longtemps.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup. C'était très instructif. Vous nous avez dit dès le départ qu'il fallait mettre les entrepreneurs sur le même pied d'égalité que les autres au Canada, et je m'inquiète de l'éducation, tout comme vous. Il n'y a que quelques collectivités. Est-ce que vous en parlez un peu dans le cadre de vos tables rondes? Compte tenu du projet de loi C-33 et de la collaboration entre le premier ministre et l'ancien chef Atleo, je ne sais pas où s'en va l'éducation, et il y a de nombreuses réserves en ce moment qui n'arrivent même pas à enseigner l'essentiel à leurs enfants, sans parler de la gestion des finances ou de l'expertise des affaires. Y a-t-il une tribune dans laquelle vous pourriez soulever ce problème?

Mme Cafley : Nous ne nous sommes pas concentrés là-dessus précisément. Évidemment, nous réalisons qu'il y a un besoin énorme. Dans notre plus récent projet — je n'ai pas travaillé là-dessus, mais je pourrais obtenir plus d'information si vous le souhaitez —, nous nous sommes penchés sur la participation des Autochtones dans le développement de la petite enfance et les répercussions à long terme de nos investissements visant nos enfants de moins de cinq ans. Je crois que c'est là où il faut commencer, alors nous avons concentré notre attention sur le développement de la petite enfance. Cependant, il est extrêmement impératif de tenir d'autres discussions et de pouvoir compter sur un soutien complet.

À bien des égards, nous avons été chanceux parce que nous avons pu réunir des gens. Par exemple, dans le cadre du projet sur l'accès au capital, nous avons travaillé en partenariat avec le Conseil de gestion financière des Premières Nations, Vancity et RBC ainsi qu'avec le gouvernement du Canada. Nous avons de nombreux partenaires dans tous nos projets, et cela permet aux gens d'échanger et d'enrichir leur bagage de connaissances.

La sénatrice Beyak : Merci, monsieur le président.

Le président : Merci. Madame Cafley, dans l'un de vos documents de discussion, le FPP souligne que :

Les Premières Nations ne pourront réaliser le plein potentiel de leurs pouvoirs d'imposition — présents et futurs — si elles ne surmontent pas leur aversion pour les impôts.

Pouvez-vous décrire les arrangements en place au sein des Premières Nations du pays pour percevoir des impôts? Que pourrait-on faire pour inciter les Premières Nations à percevoir des impôts fonciers?

Mme Cafley : Je crois que les collectivités des Premières Nations sont très réfractaires à toute la question de l'imposition, et c'est probablement attribuable au manque de confiance qu'elles ont à l'égard du gouvernement de façon générale.

Il y a quelques exemples, que je ne peux pas vous citer aujourd'hui, mais qui se trouvent dans nos rapports, des exemples positifs où les bandes ont pris part à des régimes fiscaux au sein de leur collectivité. Cela s'est fait dans le cadre d'un processus de collaboration et a donné de très bons résultats. Je pourrais transmettre certaines de ces études de cas au comité, si cela vous intéresse.

Le président : Je serais très heureux si vous pouviez les transmettre à la greffière. Merci.

Le sénateur Enverga : Vous avez indiqué à quelques reprises que le plus grand obstacle était la Loi sur les Indiens et, en particulier, le fait qu'il n'y avait aucune sécurité.

Dans vos discussions, y a-t-il eu de la résistance de la part des Premières Nations, qui estiment que cela va diminuer leur patrimoine ou nuire à la sécurité de toute la bande? Tient-on ce genre de discussion?

Mme Cafley : Dans toutes nos discussions, il y a une aversion manifeste à l'endroit de la Loi sur les Indiens et des limites qu'elle impose aux entrepreneurs des Premières Nations pour ce qui est d'avoir accès aux capitaux. Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.

Le sénateur Enverga : Vous devez savoir que nous avons adopté un projet de loi afin de modifier ou peut-être de supprimer certaines dispositions de la Loi sur les Indiens. Vous devez être au courant.

Mme Cafley : Oui.

Le sénateur Enverga : Quelle mesure proposeriez-vous pour nous assurer que la Loi sur les Indiens est favorable aux Premières Nations?

Mme Cafley : Je n'ai rien préparé à ce sujet, mais j'aimerais avoir la possibilité d'examiner la loi en profondeur. Je ne suis pas en mesure de vous répondre pour l'instant.

Le sénateur Enverga : Merci.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. J'imagine que vous en voyez beaucoup dans le cadre de vos tables rondes. Nous avons un peu examiné les possibilités de partenariats public-privé, et il semble que cette option ne soit pas facile à utiliser. Je me demande si la garantie souveraine pourrait aider dans ce processus.

Mme Cafley : Absolument. En effet, la garantie souveraine procurerait un filet de sécurité aux collectivités des Premières Nations pour leur permettre de participer plus facilement à ces partenariats.

La sénatrice Raine : De votre point de vue, étant donné que le gouvernement fédéral a une obligation fiduciaire à l'égard des Premières Nations, et qu'il y aura forcément un flux de revenus, serait-ce logique, à ce moment-là, de se servir de cette garantie pour attirer des capitaux de l'extérieur? Nous avons beaucoup de rattrapage à faire sur le plan des infrastructures.

Mme Cafley : Je pense qu'une garantie souveraine laisse plus de latitude que les autres mesures paternalistes prises par le passé. C'est une façon d'exploiter ces possibilités, et cela permet aux Premières Nations de s'investir elles-mêmes dans ces projets d'envergure. C'est sans contredit une approche positive.

La sénatrice Raine : Le modèle britannique de garantie souveraine est relativement nouveau. A-t-on vu comment cette garantie pouvait favoriser le financement du secteur privé?

Mme Cafley : Oui, cela ne fait que commencer. Nous avons réalisé une étude là-dessus, que je transmettrai au comité. Cela fait à peine 18 mois, mais jusqu'à maintenant, cela semble se révéler fructueux.

La sénatrice Raine : Je sais qu'on a accordé des garanties gouvernementales auparavant au Canada — par exemple, dans le cas du projet des chutes Churchill, si je ne me trompe pas —, alors il n'y a là rien de nouveau. Cela s'est déjà fait au Canada, mais vous dites que le modèle britannique semble lui avoir donné un cadre que vous qualifieriez de pratique exemplaire?

Mme Cafley : Absolument. Il y a évidemment la garantie de prêt de l'Ontario, qui a fait l'objet de critiques. On l'a établie avec de bonnes intentions, mais elle n'a pas donné les résultats escomptés, d'après ce que je comprends. Le modèle britannique semble être plus conforme à ce que nous pourrions considérer comme une pratique exemplaire, mais il est encore trop tôt pour donner un avis définitif.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. C'est très utile.

Le sénateur Tannas : Ma question s'inscrit un peu dans la même veine. J'aimerais que M. Serson me donne son avis, étant donné qu'il a préparé des budgets et pris part à ce processus.

Une garantie de prêt, comme on vient tout juste de le décrire, serait comptabilisée de quelle façon? Avez-vous une idée? Si nous disons que nous allons éliminer le déficit en matière d'infrastructure et fournir une garantie de prêt de 5 milliards de dollars, à ce moment-là, les gouvernements futurs devront aider les Premières Nations à trouver les moyens de le rembourser, autrement, à quoi cela sert-il? Les 5 milliards de dollars seraient-ils comptabilisés dans un exercice financier? Avez-vous une idée? Avez-vous déjà vu ce scénario auparavant?

M. Serson : Sénateur, je devrais le savoir, ayant passé quelques années au ministère des Finances, mais honnêtement, je ne me souviens pas de la façon dont cette garantie est comptabilisée.

Le sénateur Tannas : C'est intriguant, n'est-ce pas?

M. Serson : Oui. Si cela vous intéresse, il ne serait pas difficile d'obtenir la réponse à cette question.

Le sénateur Tannas : Pourrions-nous obtenir la réponse auprès du ministère des Finances?

M. Serson : Absolument.

Le sénateur Tannas : Très bien. Merci.

Le président : Chers collègues, je tiens à remercier nos deux témoins pour cette séance très instructive.

Je tiens à signaler que notre rapport provisoire sur le logement sera déposé aujourd'hui, alors j'encouragerais tous les membres à en parler. Je crois que nous disposons de 15 jours. Monsieur Serson?

M. Serson : Je tiens de nouveau à remercier le comité de m'avoir donné cette occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. Comme vous le savez, je suis préoccupé par ce plafond de 2 p. 100 depuis 18 ans. C'est la première fois qu'un comité m'invite à discuter de cette question en profondeur, et je vous en suis très reconnaissant.

Le président : Merci. Nous sommes très ravis que vous ayez été des nôtres aujourd'hui.

(La séance est levée.)


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