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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 16 - Témoignages du 29 octobre 2014


OTTAWA, le mercredi 29 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous. Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

Aujourd'hui, le comité tient sa réunion biannuelle avec la Banque du Canada, au cours de laquelle le gouverneur nous explique la politique monétaire de la banque et nous fait part de ses projections pour l'économie canadienne. C'est toujours un plaisir d'accueillir le gouverneur Poloz au sein du comité. Il est aujourd'hui accompagné de Carolyn Wilkins, première sous-gouverneure.

Mme Wilkins a été nommée à ce poste en mai 2014. Il s'agit de sa première comparution devant le comité. Avant sa nomination, Mme Wilkins était conseillère du gouverneur et a occupé le poste de secrétaire au conseil de direction de la banque. De plus, elle a été chef du département de la Stabilité financière de la banque. Madame Wilkins, soyez la bienvenue.

Monsieur le gouverneur, la parole est à vous.

Stephen S. Poloz, gouverneur, Banque du Canada : Merci beaucoup. Monsieur le président, distingués membres du comité, bonjour. C'est un plaisir d'être ici aujourd'hui et de vous présenter Carolyn Wilkins, qui est entrée en fonction le 2 mai dernier et qui a fait exploser la baraque. Avant de répondre à vos questions, j'aimerais brièvement vous exposer les points saillants des perspectives économiques.

Je m'appuierai principalement sur le Rapport sur la politique monétaire d'octobre, que la banque a publié la semaine dernière, mais je reviendrai aussi un peu plus loin en arrière, étant donné qu'il s'est écoulé un certain temps depuis notre dernière rencontre. Je vous ferai part de l'évolution de nos réflexions, et j'expliquerai comment le contexte est en train de changer la façon dont les dirigeants de banques centrales mènent la politique monétaire.

[Français]

La banque s'attend encore à ce que l'économie mondiale s'améliore en 2015-2016. Toutefois, le profil de la prévision a été revu à la baisse depuis juillet. La bonne nouvelle pour le Canada, c'est que l'économie américaine prend de la vigueur, surtout les secteurs avantageux pour les exportations canadiennes. Nos exportations semblent effectivement réagir grâce à l'aide supplémentaire apportée par un dollar canadien plus faible. D'après ce qu'ils observent sur le terrain, les exportateurs nous disent qu'ils s'attendent à de meilleures perspectives pour les exportations.

[Traduction]

Cependant, il est clair que notre secteur des exportations est moins robuste que dans les cycles précédents. Le printemps dernier, vous vous le rappelez sans doute, nous avions recensé les sous-secteurs hors énergie qui étaient susceptibles d'alimenter la reprise des exportations et ceux qui ne l'étaient pas. Depuis, nous avons examiné plus en détail les sous-secteurs qui ont affiché une tenue décevante. Après avoir passé au crible plus de 2 000 catégories de produits, nous avons pu établir que, pour environ le quart d'entre elles, la valeur des exportations avait chuté de plus de 75 p. 100 depuis l'année 2000. Si les exportations de ces produits avaient progressé au même rythme que la demande étrangère, les chiffres des exportations auraient été de quelque 30 milliards de dollars supérieurs l'an dernier.

En corrélant ces conclusions avec les reportages des médias, nous avons pu constater que beaucoup de ces sous-secteurs avaient été touchés par des fermetures d'usines ou d'autres restructurations. Autrement dit, ces sous-secteurs ont carrément perdu des capacités. Cette analyse nous aide à comprendre une bonne partie de l'écart observé au chapitre de la tenue des exportations.

[Français]

Il y a encore des capacités excédentaires dans la plupart des secteurs qui devraient alimenter la reprise des exportations hors énergie. D'autre part, d'après notre enquête sur les perspectives des entreprises, les firmes envisagent d'investir en machines et en matériel. Toutefois, peu d'entre elles prévoient accroître leur capacité de production, du moins jusqu'à présent. Cela permet d'expliquer pourquoi les dépenses d'investissement pourraient être retardées davantage par rapport à ce qu'on attendrait dans un cycle normal.

[Traduction]

Ces recherches ont d'importantes implications pour la situation de l'emploi au Canada. Nous savons que lorsque des firmes procèdent à des restructurations ou ferment leurs portes, les pertes d'emplois qui en découlent sont habituellement permanentes. Si les firmes peuvent répondre à la demande accrue d'exportations à l'aide de leurs capacités existantes, l'amélioration connexe de la situation de l'emploi peut être assez modeste. L'accroissement de la production s'expliquerait en grande partie par une hausse de la productivité. Les gains les plus notables sur le plan de l'emploi seront réalisés lorsque nous entrerons dans la phase de reconstruction du cycle, à savoir lorsque les entreprises seront suffisamment confiantes quant à la demande future d'exportations pour commencer à investir dans de nouvelles capacités et à créer de nouveaux emplois.

Ces considérations entrent en ligne de compte dans notre estimation de l'écart de production, c'est-à-dire la différence entre le PIB et le PIB potentiel, qui est un déterminant macroéconomique essentiel des perspectives d'évolution de l'inflation sous-jacente. Lorsqu'une offre excédentaire apparaît au sein de l'économie, l'inflation baisse, et lorsqu'une demande excédentaire apparaît, l'inflation augmente.

[Français]

Il n'y a pas de mesure privilégiée unique des capacités de l'économie. Traditionnellement, nous accordons plus d'importance aux mesures fondées sur la production, à savoir le PIB. En octobre de chaque année, nous effectuons une analyse complète des déterminants de la production potentielle et de sa tendance future. C'est ce que nous avons fait dans ce RPM, mais, à l'avenir, nous mettrons à jour cette analyse dans chaque RPM.

Cette fois-ci nous avons aussi ajouté une note technique spéciale sur la dynamique de l'offre excédentaire lors des cycles économiques plus longs comme celui-ci. Tout cela est important, parce que, lors de tels cycles, la restructuration et la fermeture d'entreprises réduisent la production potentielle et, en même temps, elles causent des pertes d'emplois permanentes.

Autrement dit, l'écart de production peut sembler plus petit que l'écart du marché du travail; ce qui est le cas actuellement. Cette différence persiste jusqu'après la phase de reconstruction dont j'ai parlé plus tôt, et c'est alors que les mesures de la marge de capacité excédentaire finissent par converger.

[Traduction]

Selon nous, l'économie présente une offre excédentaire considérable, et la détente monétaire doit être maintenue pour que l'écart se résorbe et que l'inflation se situe à la cible de façon durable. Mais nous tenons compte de l'incertitude entourant la marge de capacités excédentaires en examinant toute une gamme d'estimations possibles de celle-ci dans le cadre de nos délibérations.

Une autre composante fondamentale de notre cadre de politique monétaire est le taux d'intérêt neutre. Le taux neutre est le taux d'intérêt qui devrait émerger une fois toute la poussière retombée, c'est-à-dire lorsque l'inflation est à la cible, que l'économie tourne à plein régime et que tous les chocs se sont résorbés. Carolyn en a traité dans un important discours qu'elle a prononcé le mois dernier. Nous avons aussi publié un document d'analyse sur le sujet dans notre site web et inclus un encadré dans cette livraison du RPM. Le taux d'intérêt neutre est lui aussi entaché d'incertitude. Nous estimons qu'il s'établit actuellement entre 3 et 4 p. 100, ce qui est bien en deçà de son niveau d'avant la crise. Mais comme la différence entre le taux en vigueur et le taux neutre constitue notre meilleure estimation de la détente monétaire, il est également essentiel de comprendre les risques en présence.

Après avoir soupesé ces facteurs, nous jugeons qu'à l'heure actuelle les risques entourant l'atteinte de notre objectif en matière d'inflation dans une période raisonnable sont relativement équilibrés. En conséquence, nous croyons que le degré actuel de détente monétaire reste approprié. De la même façon que notre analyse des forces économiques a évolué au fil des événements, la manière dont nous menons la politique monétaire s'adapte aujourd'hui en temps réel à l'environnement en pleine mutation.

L'accent est maintenant mis en particulier sur l'intégration de l'incertitude dans le processus décisionnel. Nous avons publié un document d'analyse sur le sujet plus tôt ce mois-ci.

[Français]

Nous avons commencé à présenter nos prévisions de croissance et d'inflation sous forme de fourchettes plutôt que de points. Nous avons donné encore plus d'importance à l'incertitude et aux risques dans le RPM. Nous avons affiné notre analyse des risques planants sur la stabilité financière et nous avons aussi accru la visibilité de la revue du système financier.

De plus, nous offrons maintenant une description plus détaillée de l'importance de ces risques dans nos discussions sur la politique à mener. C'est ce que nous faisons, notamment, dans la déclaration préliminaire qui précède nos conférences de presse.

[Traduction]

Ces changements ont rendu notre prise de décision plus transparente, et le message de la banque ne repose plus sur une mécanique de précision, comme c'était perçu dans le passé, mais plutôt sur ce qu'on appelle maintenant la gestion des risques. L'un des puissants outils de gestion des risques à la disposition des décideurs publics est la communication d'indications prospectives, qui offre aux marchés une plus grande certitude à propos de la trajectoire future des taux d'intérêt. L'incertitude est ainsi retirée du marché et placée fermement sur les épaules de la Banque centrale. L'utilisation de cet outil comporte des coûts en plus de ses avantages, et c'est pourquoi nous avons décidé de le réserver pour les moments où nous pensons qu'il sera clairement avantageux d'en faire usage, c'est-à-dire en période de tension sur les marchés, lorsque le recours aux instruments de politique monétaire traditionnels est limité, et ainsi de suite.

Autrement, nous laisserons les marchés faire leur travail, lequel consiste à traiter le flux quotidien de nouvelles données et à en déduire les nouveaux prix, sans indication précise de la banque quant aux taux d'intérêt, mais en bénéficiant de la transparence accrue au sujet de nos prévisions d'inflation et des risques que nous gérons.

Sur ce, monsieur le président, Carolyn et moi serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur le gouverneur, pour votre déclaration. Je vais donc céder la parole au sénateur Black, suivi du sénateur Massicotte.

Le sénateur Black : J'ai deux questions pour le gouverneur. Tout d'abord, madame Wilkins, je vous souhaite la bienvenue et je suis ravi de vous voir ici. Je vous remercie de la contribution que vous apporterez sans aucun doute à la banque et au Canada.

Ces dernières années, l'économie canadienne a été soutenue par un dollar fort et le prix élevé du baril de pétrole. Le baril de pétrole se situe actuellement autour de 85 $, ou un peu moins, ce qui représente une réduction de plus de 25 p. 100 cette année. Pourriez-vous nous dire à partir de quel moment le prix du baril pourrait être préoccupant, compte tenu de son incidence sur l'économie canadienne?

M. Poloz : Commençons par les prémisses suivantes. Il est vrai que depuis plus de 10 ans, les prix du pétrole se sont maintenus à la hausse. Comme je l'ai déjà mentionné, il existe un lien lâche mais prévisible entre les prix du pétrole et notre monnaie : un peu comme un chien et son maître quand ils sont reliés par une laisse rétractable. Le chien a beau multiplier les zigzags, les deux finissent par quitter le parc ensemble. Le cours du pétrole n'est pas le seul facteur en cause, mais ces deux éléments ont tendance à se suivre raisonnablement bien.

Nous sommes arrivés à un point où, l'année dernière, le revenu moyen du Canada était d'environ 7 p. 100 plus élevé que ce qu'il aurait été si le prix du pétrole n'était pas passé de 30 $ au seuil des 100 $ le baril. Évidemment, le dollar canadien a emboîté le pas.

Nous assistons maintenant au déclin du prix du pétrole. Cette chute est attribuable à l'offre — particulièrement l'augmentation marginale de l'offre de pétrole de schiste en provenance des États-Unis, mais aussi à d'autres développements géopolitiques qui ont une incidence sur l'offre et la demande. La Chine a connu un certain ralentissement. En Europe, et à l'échelle mondiale, les perspectives de croissance sont moins reluisantes. Cette combinaison de demande réduite et d'offre plus élevée nous a donné ce résultat.

Nous estimons que si les bas prix du pétrole persistent, un quart de point sera retranché de la croissance du produit intérieur brut du Canada en 2015. Cela me suffit pour que je me penche sur la question.

Lorsque nous prévoyons une croissance modérée entre 2 et 2,5 p. 100 et que le Canada a besoin d'une croissance de plus de 2 p. 100 pour aider à resserrer l'écart de production et créer des emplois, un ralentissement possible d'un quart de point est donc significatif dans ce contexte.

À ce stade-ci, nous ignorons si ce prix sera maintenu. Dans nos prévisions, nous présumons simplement que ce sera le cas, mais nous n'en sommes pas convaincus. C'est difficile à faire, alors il est préférable pour les décideurs politiques de partir de ce principe et de voir ensuite les différents scénarios concernant le pétrole et les risques qui pourraient avoir une incidence sur l'économie canadienne. J'espère que cela vous donne une bonne idée de la situation.

Le sénateur Black : C'est très pertinent; merci.

J'ai une autre question qui porte sur un tout autre sujet. J'ai lu une statistique très intéressante cette semaine, selon laquelle les Canadiens dépensent plus que les Américains par habitant pour l'Halloween. Monsieur le gouverneur, qu'est-ce que cela évoque pour vous?

M. Poloz : Cette question est si effrayante que je vais demander à Carolyn d'y répondre.

Carolyn Wilkins, première sous-gouverneure, Banque du Canada : Je pense que cela pourrait vouloir dire que nous nous apprécions beaucoup, parce que nous aimons sortir le 31 octobre pour visiter nos voisins. Par conséquent, nous avons besoin d'acheter des costumes et des bonbons, ou cela pourrait vouloir dire autre chose de complètement différent.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre participation à notre comité. Madame Wilkins, je vous félicite de votre nomination bien méritée.

J'aimerais parler des indications prospectives. Vous en faites référence dans votre présentation aujourd'hui, et j'ai lu quelques commentaires qui expliquaient pourquoi la Banque du Canada mettra fin à cet avis indicatif. La raison principale pour laquelle vous y faites référence, c'est que vous ne faites pas le travail de ceux qui veulent spéculer sur le dollar canadien. De plus, vous dites qu'il est très difficile de prédire les modèles économiques, et qu'on s'est trompé au cours des dernières années. C'est une indication trop risquée pour déterminer sa valeur indicative.

J'aimerais poser deux questions. Si, en d'autres mots, vous témoignez que les modèles économiques sont très difficiles à prédire et que les résultats économiques n'agissent pas en fonction de la même trajectoire simple, en même temps, quand on écoute les arguments des deux anciens gouverneurs de la Banque du Canada qui argumentaient la valeur de cette indication, cela laissait le marché prédire où il voulait aller, et le marché faisait votre travail pour arriver aux résultats prévus sans les instruments qui appartiennent à la Banque du Canada. Pourquoi cet argument n'est-il plus valable? Ma deuxième question se rapporte au même sujet. Quand vous dites que les modèles économiques sont moins fiables, c'est à se demander, en tant que Canadiens, qui est en mesure de prédire l'avenir économique du pays si la Banque du Canada ne peut le faire. Nous avons l'impression d'être plongés dans la noirceur, et cela nous inquiète.

M. Poloz : Je peux commencer à répondre, et peut-être que Mme Wilkins pourrait apporter des précisions.

J'aimerais d'abord mentionner que les modèles économiques sont essentiels à notre survie. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas fiables. Ils sont fiables jusqu'à un certain point. Il y a toujours des marges d'erreur importantes. En période de crise, pendant et après, il y a des changements structurels dans l'économie qui les rendent moins fiables que d'habitude. Mais ils nous sont toujours essentiels pour accomplir notre travail.

Les prévisions jouent un grand rôle en ce qui concerne l'avenir économique et la politique monétaire. Cela n'a pas changé. Ce qui a changé, ce sont les risques que l'on prend, ces incertitudes que l'on met sur la table, cet ingrédient essentiel à notre analyse. Ce n'est pas simplement quelque chose que l'on met de côté. On ne dit pas : « C'est incertain ... mais voici nos prévisions exactes. » On ne dit pas cela. On dit : « Voici nos prévisions, mais il peut arriver ceci ou cela. » Il faut que la politique monétaire puisse faire face à toute éventualité. C'est une tout autre chose. C'est la gestion du risque dans ce cas-là. En ce qui concerne les modèles spécifiques, voulez-vous ajouter un commentaire, madame Wilkins?

Mme Wilkins : Comme le gouverneur l'a dit, il est évident que, depuis la dernière crise, l'économie a changé du point de vue structurel. C'est ce qui explique sans doute pourquoi l'incertitude autour des résultats est plus grande.

Je crois que ce genre d'avis sur les taux d'intérêt à venir, qui est un dispositif très précis, comporte peut-être moins d'avantages que nous étions portés à le croire auparavant. Ce sont les éléments de transparence sur les modèles dont on se sert qui aident vraiment les marchés, à savoir comment on évalue les données, quels sont les types d'indicateurs qu'on examine. Par exemple, on évalue l'écart du PIB ou celui du marché du travail. Alors, si on accorde plus de transparence à ce chapitre, les marchés seront en mesure de tirer leurs propres conclusions d'après les informations dont ils disposeront. Ainsi, les marchés présenteront leurs propres conclusions au lieu qu'il s'agisse de « se regarder dans le miroir ». De cette façon, on sera en mesure de retirer l'information qui aide beaucoup les marchés.

Dans certains cas, les indications prospectives pourraient s'avérer utiles, par exemple, lorsque la Banque du Canada a annoncé, juste après la crise, que les taux d'intérêt demeureraient inchangés pendant un bon bout de temps. Il s'agissait d'une situation unique, parce que le marché était confronté à de nombreuses incertitudes, et la banque souhaitait ainsi apporter un peu plus de stabilité. On considère que ce n'est plus le cas. On souhaiterait une meilleure transparence en ce qui concerne les modèles et mieux comprendre notre perception quant à l'évolution de l'économie.

Le sénateur Massicotte : Je comprends tout ce que vous dites. En d'autres mots, vous dites que les modèles économiques sont importants. Mais il y a un taux d'erreur important, c'est le terme que vous avez utilisé. J'estime que c'est bel et bien le cas. Peut-être que les risques sont plus élevés selon les tendances économiques.

Est-ce que cela donne l'impression que les deux anciens gouverneurs se sont trompés avec leurs indications prospectives ou est-ce qu'il s'agit d'une question de jugement? Pourquoi changez-vous d'argument? Ce sont les mêmes arguments. Vous précisez que ce n'est pas à nous de prendre le risque, mais plutôt aux marchés.

M. Poloz : C'est toujours le cas lorsque nous formulons nos prévisions finales. C'est un chiffre que l'on donne. Comme d'habitude, il y a une marge d'erreur qui est indiquée entre guillemets ou parfois même entre les lignes. Il y a toujours une marge d'erreur. Je crois qu'il est préférable de fournir des précisions aux marchés en ce qui concerne les incertitudes et de faire preuve de plus d'ouverture par rapport aux analyses, qui vont, en fait, résoudre les questions.

Je vous donne un exemple. Il y a un an, il était très difficile de comprendre le comportement de nos exportations. N'est-ce pas? Il est évident que notre modèle a prévu plus d'exportations qu'il y en a eu en réalité. Pourquoi? Il y a probablement plusieurs raisons à cela, mais ce sont seulement des hypothèses. Après plusieurs mois de travail acharné, nous nous sommes rendu compte qu'environ 30 milliards de dollars avaient disparu. Il est important de bien comprendre cette situation. On peut adapter notre modèle en se disant que ce montant d'argent est disparu de façon permanente.

Pour ce qui est des conseils donnés aux marchés, je crois que les indications prospectives sont devenues en quelque sorte une dépendance. C'est un outil qu'il faut mettre à jour et adapter très fréquemment. Les marchés passent du temps à analyser et à modifier la terminologie.

Vous voyez aujourd'hui la même chose avec la Réserve américaine. C'est un exemple où il serait préférable d'utiliser cet outil dans le sens où le marché est one-sided, zero lower bound. Je crois qu'il serait préférable de garder cet outil pour l'avenir, quand l'impact sera beaucoup plus important dans un contexte où il y aura une demande.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Bonjour, monsieur le gouverneur, et félicitations, madame Wilkins. Si je ne me trompe pas, vous êtes la première femme à occuper le poste de sous-gouverneur. Je vous félicite d'avoir fait tomber cette barrière.

M. Poloz : Il y a deux autres femmes sous-gouverneures au sein de notre conseil de direction.

Le sénateur Tkachuk : Merci.

J'aimerais vous poser une question au sujet des Rapports sur la politique monétaire, qui sont habituellement soigneusement rédigés. Vous avez indiqué qu'il y avait un assombrissement des perspectives économiques mondiales par rapport à il y a quelques mois et que cela variait d'une région à l'autre. Selon ce que j'ai lu dans les journaux financiers, je crois comprendre que l'économie européenne fait du surplace et que l'économie américaine éprouve encore des difficultés.

Pourriez-vous nous dire à quel endroit on peut observer une croissance dans l'économie mondiale afin que nous puissions en tirer profit ou si les perspectives sont sombres partout?

M. Poloz : Il est important de maintenir une certaine perspective ici. Nous sommes en bien meilleure posture aujourd'hui qu'il y a deux ou trois ans, mais nous sommes encore sur la voie de la guérison. Comme vous le savez, la guérison peut être un processus très lent, inégal et parsemé de revers.

La nature de la récession mondiale dans laquelle nous sommes depuis la crise financière de 2008 est très inhabituelle. Tout a débuté par une période de demande et d'emprunt excessifs, une explosion de leviers financiers, autant du côté des ménages que des marchés financiers, et une bulle spéculative qui a touché de nombreux marchés. La bulle a éclaté lorsque le marché américain du logement s'est effondré, entre autres.

Cette situation fait en sorte que non seulement le cycle d'activité habituel doit être ajusté, mais aussi tout le bilan financier. Nous sommes en processus de réduction du levier d'endettement, étant donné que le secteur financier, les ménages et finalement les gouvernements ont dépensé beaucoup d'argent pour amortir le coup. Les gouvernements de nombreux pays dans le monde réagissent à la récession en appliquant des mesures de relance budgétaire. C'est ce que nous appelons des vents contraires. L'économie dans le secteur privé remonte la pente, mais elle est freinée par ces facteurs.

Le troisième vent contraire est très important, et c'est l'incertitude persistante quant à l'avenir. Pour une entreprise qui a vécu cette crise, il peut être difficile de se laisser convaincre que tout va bien maintenant, que le ciel est bleu à nouveau. On a tendance à attendre que l'incertitude se dissipe et que la confiance revienne avant d'investir — autrement dit, l'esprit animal est anéanti.

Tout cela retarde la croissance, et la situation touche certains pays plus que d'autres. Nous pouvons le voir aux États-Unis. Les États-Unis ont pris les mesures qui s'imposaient et sont maintenant sur la bonne voie, mais tout le processus a pris beaucoup plus de temps qu'on ne l'avait prévu. On n'y peut rien. En Europe, le processus est beaucoup moins avancé; on est au début de la reprise, et il y a des écarts de croissance.

Par ailleurs, tous ces éléments sont interreliés, alors on peut quand même assister à une modération de la croissance en Chine pour des raisons de demande et de structures internes. L'économie du globe croît de façon inégale. Après avoir progressé à un rythme solide, elle affiche maintenant un ralentissement marqué. C'est ce que nous avons appelé les déceptions successives dans notre rapport de juillet. On ne cesse de réviser les prévisions à la baisse et, pourtant, tout indique qu'on avait raison la première fois, mais cela ne se fait pas aussi rapidement qu'on ne l'avait prévu.

Nous devons nous assurer d'être suffisamment réalistes et de prendre en considération ces déceptions successives. Nous estimons que la croissance de l'économie mondiale devrait se chiffrer à 3,5 p. 100. Si vous m'aviez posé cette question il y a deux ou trois ans, je vous aurais plutôt répondu 4 p. 100. À l'échelle mondiale, la différence est énorme.

Au Canada, la croissance a ralenti également, mais pour des raisons plus démographiques. Elle se chiffre à un peu plus de 2 p. 100 et, il y a 5 ou 10 ans, elle aurait automatiquement oscillé autour de 3 p. 100. Ce sont des réalités dont il faut tenir compte. J'espère que cela vous donne suffisamment de contexte.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais vous poser une question un peu différente.

Pendant le récent referendum en Écosse, on se demandait si l'Écosse allait se séparer de la Grande-Bretagne. Compte tenu de tous les bouleversements que cette séparation aurait pu engendrer en Grande-Bretagne et peut-être ailleurs en Europe, est-ce que la situation préoccupait le Canada? La Banque du Canada avait-elle discuté de cette possibilité, étant donné l'incidence que cette séparation aurait pu avoir non seulement sur l'Europe, mais aussi sur le Canada?

M. Poloz : Nous avons suivi la situation de très près.

Le sénateur Tkachuk : On pourrait dire que vous aviez un initié là-bas.

M. Poloz : On pourrait dire ça. Aux réunions des banques centrales, évidemment, on fait le point sur ce type de situation. Toutefois, nous n'avons pas formulé d'opinion officielle. Si la situation s'était produite, nous aurions été en mesure d'évaluer les différents scénarios pour l'Europe ou le Royaume-Uni, étant donné qu'il s'agit d'une économie suffisamment importante à l'échelle mondiale. Nous n'avions pas encore fait cette analyse; nous attendions de voir si c'était nécessaire.

La sénatrice Ringuette : Ma question comporte deux éléments. Tout d'abord, je m'interroge sur la diminution de la valeur du dollar canadien. Cette dépréciation devrait stimuler les exportations, puisque nos produits devraient être plus concurrentiels. En revanche, cela donnerait lieu à des prix plus élevés pour les consommateurs canadiens. Je réfléchis à ce que vous avez dit au sujet des différentes industries avec qui vous êtes en communication et aux 2 000 catégories de produits.

Depuis 2008, compte tenu de la crise financière, on nous dit année après année que les entreprises canadiennes accroissent leurs réserves, qu'elles gardent pour des temps meilleurs. Elles n'ont vu aucune possibilité d'investir. Vous dites qu'elles pourraient améliorer leur productivité grâce à un équipement plus moderne. Nous avons également signé une entente d'investissement avec la Chine.

Dans vos discussions avec ces entreprises canadiennes, y avait-il une possibilité qu'elles utilisent leurs réserves pour exporter leur production vers la Chine dans le cadre de cette nouvelle entente d'investissement Canada-Chine? Si c'est le cas, nous pouvons nous attendre à des pertes d'emplois. Votre deuxième prémisse selon laquelle l'accroissement des exportations canadiennes permettrait de renforcer les capacités ne tient plus.

Je suis préoccupée par tout le scénario que vous nous avez présenté, compte tenu de la valeur du dollar canadien et de toutes ces réserves détenues par les grandes entreprises canadiennes depuis 2008, à la suite de la crise financière. Avec tous ces éléments réunis, j'ai beaucoup de difficulté à entrevoir la deuxième phase que vous proposez relativement à notre secteur manufacturier.

M. Poloz : C'est parce que c'est très complexe. Nous ne présumons pas que la réponse est simple non plus. Si vous me permettez, je vais essayer de clarifier les choses.

En effet, le dollar canadien s'est affaibli. Selon notre analyse, il avait grimpé un peu plus que ce qu'on avait prévu — l'histoire du chien en laisse dont j'ai parlé plus tôt — en fonction des termes de l'échange et du prix du pétrole, étant donné que l'économie américaine a été durement touchée par cette crise et la période qui a suivi la crise. Le dollar américain avait diminué par rapport à toutes les devises. Maintenant que les États-Unis reprennent du poil de la bête, le dollar américain reprend de la vigueur et toutes les devises — le dollar canadien, le dollar australien et l'euro — perdent de la valeur par rapport à la devise américaine en cette période de régularisation.

Pour ce qui est des exportations, c'est peut-être la cerise sur le gâteau. L'ingrédient le plus important pour les exportations, c'est la reprise de l'économie américaine. Y a-t-il une demande en provenance des États-Unis pour nos biens et services? Nous croyons que oui. Si le dollar canadien est légèrement inférieur à ce qu'il était l'an dernier, cela va ajouter à la marge de profit basée sur le dollar américain. Toutefois, cela n'a rien d'ambigu, puisque nous traitons avec beaucoup d'autres pays où le taux de change a diminué. De plus, nous avons des chaînes d'approvisionnement, car nous ne produisons pas tout ici, comme dans le cas du blé, par exemple. Beaucoup de choses que nous produisons ici contiennent des produits importés, alors il est évident que cela entraîne des répercussions. Oui, il y a un effet temporaire sur l'inflation, et nous devons en tenir compte.

Vous voulez savoir ce que nous disent les entreprises. Habituellement, elles ne nous parlent pas de leurs plans d'investissement. Jusqu'à présent, elles nous ont dit que les investissements qu'elles prévoyaient faire viseraient à améliorer leurs structures de coûts et leur productivité plutôt que d'accroître leur capacité. Elles nous disent avoir suffisamment de capacité pour continuer encore un certain temps, à mesure que les exportations reprennent de la vigueur.

Vous avez tout à faire raison : les entreprises ont le choix. Elles peuvent investir dans une nouvelle capacité ou ailleurs. On a pu observer la nature destructrice de ce cycle, par exemple, dans l'industrie de l'automobile, où on a davantage investi au Mexique qu'au Canada. Les règles du jeu sont équitables puisque les entreprises ont le choix.

Vous avez parlé de l'entente avec la Chine. Ce qui est le plus important dans cette entente, c'est que cela fonctionne dans les deux sens. On peut espérer qu'une entreprise chinoise veuille investir au Canada pour servir le marché canadien, ce qui créerait des emplois ici. Toutefois, pour que ce soit possible, ces deux marchés doivent jouir d'un accès égal. Je peux vous dire qu'il y a beaucoup d'entreprises chinoises qui investissent dans l'économie canadienne et qui, par conséquent, créent des emplois.

Il y a déjà des investissements canadiens en Chine, qui créent non seulement des emplois en Chine, mais aussi ici au Canada. Cela nous procure en quelque sorte un avantage concurrentiel dans une économie mondiale. Cela réduit les coûts, et il est préférable d'avoir la moitié des emplois ici que de ne pas en avoir du tout si notre compétiteur nous oblige à fermer nos portes.

À mon avis, la mondialisation de la production est une réalité dont il faut tenir compte. On n'améliorerait certainement pas les perspectives si on essayait de l'arrêter. En fait, cette situation nuirait à notre compétitivité.

La sénatrice Ringuette : Dans quelle mesure cela fait-il augmenter notre déficit commercial?

M. Poloz : Cela a un effet ambigu sur notre déficit commercial, et c'est pourquoi nous devrions moins nous en soucier. Supposons qu'une entreprise établie au Canada a une usine en Chine pour certaines de ses pièces. Je vais vous donner un exemple concret. Pensons à Bombardier qui, pour finir de construire son nouvel avion, a besoin de certaines pièces fabriquées en Chine. Ces pièces doivent être importées au Canada. Une fois l'avion terminé, on l'exporte. On réalise des gains sur l'exportation d'un avion, mais cela n'empêche pas qu'on a un déficit commercial avec la Chine. Ces relations bilatérales ne valent pas grand-chose lorsque la production est répartie d'un bout à l'autre du globe. Au bout du compte, ce qui nous importe, c'est l'expansion de nos entreprises et la création d'emplois au Canada. Si on obligeait l'entreprise à tout produire ici, on se retrouverait avec un avion beaucoup trop coûteux que personne ne voudrait acheter.

La sénatrice Ringuette : Nous avons non seulement un déficit commercial avec la Chine, mais aussi un déficit commercial général. Quand je regarde l'ensemble du tableau, je suis très inquiète.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J'ai une question qui se divise en deux parties, soit la partie A et la partie B par rapport à la notion du taux de change neutre, s'il y en a un, et des taux d'intérêt neutres.

Dans votre exposé, vous avez dit que, dans votre modèle, vous fixiez le taux d'intérêt neutre entre 3 et 4 p. 100. J'imagine que c'est le taux d'escompte, le taux qui est actuellement à 1,5 p. 100?

M. Poloz : Il est à 1 p. 100.

La sénatrice Bellemare : Quand on entend que le taux d'intérêt neutre est entre 3 et 4 p. 100, cela veut-il dire qu'on va l'atteindre demain matin ou que les taux d'intérêt hypothécaires vont augmenter demain matin? Qu'est-ce qu'on doit dire aux gens qui nous écoutent?

M. Poloz : C'est la partie A de votre question?

La sénatrice Bellemare : Oui. Voici la partie B. Le taux de change a également un impact dans la vie quotidienne des gens qui voyagent et qui achètent des biens importés. Le consommateur peut remarquer que le taux de change a beaucoup baissé depuis 2013. Y a-t-il un taux de change neutre dans votre modèle? Doit-on s'attendre à une hausse de la valeur du dollar canadien? Y a-t-il une partie de ce taux de change qui est une décision de la politique monétaire ou est-ce le résultat des forces du marché?

M. Poloz : Je vais demander à Mme Wilkins de répondre à la partie A de votre question.

Mme Wilkins : C'est une très bonne question, parce que, ce qui est très important à comprendre avec le taux neutre, c'est que c'est le taux à long terme, quand l'écart du PIB est fermé, que l'inflation est à 2 p. 100, pour cible, et qu'il n'y a plus de vents contraires, plus de chocs qui touchent à l'économie. Cela veut dire que même si l'écart du PIB est à zéro et que l'inflation est de façon soutenue à 2 p. 100, tant qu'il y a encore des vents contraires, pour les taux d'intérêt, nous aurons besoin de politiques monétaires plus souples. Je crois que cela répond à votre question.

Je pense qu'il y a une façon de regarder l'importance de savoir quel est le taux neutre, et ça va vous donner une idée de l'importance.

Dans le Rapport sur la politique monétaire, nous avons fait une expérience. Nous avons formulé l'hypothèse que nous n'aurions pas baissé les taux d'intérêt au Canada après la crise — ou au début —, que les États-Unis ne l'auraient pas fait non plus, et que nous aurions gardé les taux d'intérêt au taux neutre. Ce que nous avons trouvé avec nos modèles, même si c'est une approximation, c'est que l'écart du PIB aurait été de 4,5 points de pourcentage plus bas. Cela veut dire que le taux de chômage aurait été pas mal plus élevé. On aurait vu davantage de chutes dans les ventes d'automobiles et autres dans l'économie réelle. Il est donc très important de pouvoir se situer.

Donc, tant qu'il y a des vents contraires et des chocs qui affectent l'économie à la baisse, nous allons avoir besoin d'une politique monétaire plus souple.

La sénatrice Bellemare : Donc, pour le consommateur, au niveau de la partie A, il n'y a pas trop d'inquiétude avant Noël?

Mme Wilkins : Cette partie-là, on ne la révèle pas!

M. Poloz : C'est un type d'indications prospectives. En ce qui concerne le taux de change, de façon parallèle, en théorie, il y a un taux de change d'équilibre, c'est-à-dire que ce n'est pas la même notion de neutre dans ce sens; mais le problème est lié au fait que cela dépend de beaucoup de choses ici, au Canada, et à l'étranger. Alors, il est très difficile de prédire le taux de change d'équilibre. En fait, chaque fois qu'on devine quelque chose, ça va changer. C'est très difficile. C'est pourquoi on ne donne pas de prévisions dans ce domaine. Je voudrais dire que, même si c'est une monnaie oiseau, une oie flottante est belle à voir.

La sénatrice Hervieux-Payette : On m'a donné ceci avant la réunion, sachant que je m'y rendais. J'ai avec moi le prix du pétrole ces jours-ci. Il se situe autour de 80 $, sous les 90 $. En même temps, les hypothèques qui sont assurées par la SCHL atteignent 547 milliards de dollars. Je me demandais si vous y voyiez un effet qui pourrait être négatif, finalement, parce que, de toute façon, une bonne partie de l'économie canadienne est reliée au pétrole. Est-ce que ça pourrait avoir un effet d'entraînement sur la valeur des maisons, si le prix du pétrole demeurait en bas de 90 $?

M. Poloz : C'est une question intéressante. Il est possible, en théorie, qu'il y ait un changement du prix du pétrole assez grand qui puisse modifier la perspective économique du Canada de façon assez importante, de façon à modifier l'équilibre du prix des maisons. Il est possible qu'il y ait cette chaîne d'effets.

Cependant, quant à notre analyse du prix du pétrole, celui-ci se situe autour de 85 $. C'est la supposition que nous avons utilisée dans notre prévision, dans le rapport. Cela va réduire notre taux de croissance l'an prochain d'environ 0,25 p. 100. C'est assez important, dans la mesure où notre taux de croissance se situera entre 2 et 2,5. Alors 0,25, c'est un chiffre élevé dans ce contexte. En même temps, ce n'est pas tellement grave, d'un point de vue macro; ça ne va pas changer notre perspective selon laquelle l'économie va graduellement fermer l'écart de production, et cetera.

Ainsi, je dirais que, de ce point de vue, ça ne va pas toucher le marché des maisons. Mais, à la marge, il est certain que ça va réduire probablement la croissance de l'emploi dans le secteur de l'énergie, et que cela va peut-être toucher la demande pour les maisons et les prix. C'est très difficile à analyser d'ici.

La sénatrice Hervieux-Payette : Deux questions, en fin de compte, qui nous préoccupent certainement, la sénatrice Ringuette et moi, c'est le taux d'endettement des ménages qui continue d'augmenter sans cesse. Je ne vois pas le moment où ce taux va diminuer. J'étais préoccupée quand il était à 240, et il me semble qu'il est rendu à 260. Est-ce que vous voyez une augmentation qui persiste? De toute façon, le jour où les gens auront des problèmes financiers, ce sera comme un château de cartes. Le Canada a revu quelquefois sa politique concernant les emprunts hypothécaires, mais il y a toujours des conditions de durée de 25 ans et de 5 p. 100 de dépôt sur l'achat d'une maison. Quant à moi, ce n'est pas sécuritaire et c'est un risque.

Est-ce que vous conseillez le ministre des Finances ou la SCHL pour consolider ce secteur et arrêter l'hémorragie? Je lisais dans le journal que 127 grues construisaient des condos à Toronto. Il n'y en a peut-être pas autant à Montréal, mais il y en a beaucoup; d'ailleurs, je pense que nous allons manquer de Canadiens pour occuper ces condos. C'est la même chose sur la côte ouest. Il y a une frénésie de construction de condos et, comme je vous le dis, je ne sais pas qui va les habiter. Selon moi, la demande n'est pas assez importante par rapport à tout ce qui se construit.

J'ai des inquiétudes sérieuses sur la qualité de ces investissements-là, et j'aimerais savoir qui, somme toute, sonne l'alarme auprès du ministère des Finances.

M. Poloz : Oui, nous sommes d'accord. En fait, c'est le risque le plus important que nous avons identifié dans notre rapport. Carolyn, veux-tu en parler?

Mme Wilkins : Oui. Comme le gouverneur l'a dit, nous avons signalé quelquefois nos inquiétudes quant à la situation de l'endettement des ménages, mais aussi quant à la situation du marché de l'immobilier. Ce qui ressort de la dette des ménages, c'est que le ratio d'endettement par rapport au revenu disponible a atteint un plateau à environ 160 et quelques p. 100. On constate que la croissance des crédits auprès des ménages a ralenti; en fait, il y a un taux de croissance plutôt faible par rapport à la norme historique. Tout de même, le niveau est très élevé, et cela crée une vulnérabilité si jamais un choc négatif se produisait, ce qui nous préoccupe.

Quand on observe le marché de l'immobilier, on constate que, au début de l'année et même avant, il y avait des signes de ralentissement — et encore davantage en raison de la température au début de l'année. Cependant, on voit tout de même, et on l'a indiqué dans notre rapport, des signes que le marché reprend un peu en ce qui concerne les mises en chantier, les ventes et aussi le prix des maisons, surtout dans certaines villes.

Alors, nous pensons que la situation la plus probable sera celle d'un atterrissage en douceur, car, malgré tout, les mises en chantier sont relativement alignées sur la demande démographique. Nous voyons d'autres signes de ralentissement dans d'autres villes, sauf les trois plus actives, Toronto, Vancouver et Calgary. Mais cela demeure tout de même une inquiétude.

Je peux dire, toutefois, une chose sur la situation réglementaire. Le gouvernement, le BSIF et la SCHL ont déjà pris quelques mesures pour resserrer les normes. Nous croyons que les lignes directrices pour les souscriptions de prêts B-20 et B-21 ont contribué à ralentir les choses.

La sénatrice Hervieux-Payette : Qu'est-ce que le B-20 et B-21?

Mme Wilkins : Ce sont des lignes directrices sur la souscription de prêts que le BSIF a mis en place, il y a environ un an, justement pour donner aux régulateurs des banques des normes à suivre en matière de prêts. Ces lignes directrices visent à augmenter ou à assurer la qualité des prêts hypothécaires.

Il y a donc certains facteurs qui encouragent les ménages à garder un comportement sain au niveau financier. Les hypothèques ne sont pas déductibles d'impôt. Il faut les renouveler aux cinq ans. Nous sommes conscients des risques liés aux taux d'intérêt. D'autres choses nous disent que la qualité du portefeuille des banques et des prêts est tout de même assez bonne.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. J'ai entendu aujourd'hui que les États-Unis délaissaient un peu ou abandonnaient leur politique d'assouplissement quantitatif. Pourriez-vous nous dire ce que cela implique dans un contexte plus général? Est-ce que cela démontre que nous avons gagné? Quelle sera l'incidence sur les banques canadiennes qui exercent des activités aux États-Unis?

M. Poloz : C'est sans aucun doute une bonne chose. L'assouplissement quantitatif a toujours fait partie des mesures à la disposition des banques centrales, mais on n'y a recours que dans les situations d'urgence. Alors que l'économie américaine se redresse, comme nous le disons dans notre rapport, et c'est le cas depuis un certain temps, comme je l'ai mentionné plus tôt, ces choses n'évoluent pas de façon constante. Il est facile de faire un pas en arrière. La Réserve fédérale a eu énormément recours à l'assouplissement quantitatif et a graduellement ralenti la vitesse à laquelle on achète des actifs, et aujourd'hui, on est à zéro. On ne renverse pas l'assouplissement quantitatif, mais c'est un peu comme si nous étions en voiture et que nous enfoncions l'accélérateur. Nous atteignons une certaine vitesse. Ce n'est pas la vitesse voulue, mais nous gravissons une pente abrupte. Au moins, nous avançons, nous relâchons l'accélérateur et tout va bien. On n'ajoute plus de liquidité au système, mais toute la liquidité est toujours dans le système. Il est important de le comprendre.

Selon ce qui a été annoncé, il faudra beaucoup de temps avant que cela n'entraîne un mouvement des taux d'intérêt du marché. Il s'agit de s'assurer que tous les éléments se mettent en place comme prévu.

Les banques sur le marché ont accès à énormément de liquidités. Par conséquent, si vous entrez dans une banque pour emprunter de l'argent, vous n'aurez aucun problème à le faire; on fera une simple analyse de crédit. Il faut s'assurer que l'économie bouge d'elle-même et peut offrir ce crédit de façon naturelle.

Supposons que l'économie croît à 2,5 ou 3 p. 100, et ce, avec des taux d'intérêt correspondant à zéro; on sait que cela ne se fait pas naturellement. On veut que les éléments naturels prennent le contrôle. Au fil du temps, la banque centrale peut ensuite commencer à diminuer ses mesures de relance. Cela dépend des vents contraires à l'échelle mondiale, dont j'ai parlé plus tôt, qui soufflent non seulement sur notre économie, mais aussi sur l'économie américaine.

Le sénateur Greene : Vous avez indiqué que les taux d'intérêt étaient à zéro. Nous avons tous entendu parler des problèmes en Europe concernant l'Espagne, l'Italie, la Grèce et ainsi de suite, mais cette semaine, la banque centrale suédoise a fixé son taux d'intérêt à zéro. Je suis certain que c'est extrêmement rare. Pourriez-vous nous dire ce que cela signifie? Évidemment, la Suède se trouve en dehors de la zone euro, alors elle a une monnaie indépendante.

M. Poloz : En effet.

Le sénateur Greene : Pourriez-vous nous dire quelles sont les conséquences pour l'Europe de façon générale, ou peut-être seulement pour les pays d'Europe du Nord — j'ai toujours cru qu'ils étaient sur une voie stable comparativement aux pays d'Europe du Sud — en ce qui a trait aux succès qui se produisent de ce côté-ci de l'Atlantique et aux problèmes auxquels l'Europe est toujours confrontée?

M. Poloz : C'est une question compliquée. Je ne vais certainement pas me prononcer sur les politiques d'un collègue, mais selon ce qu'on dit, on craint que le taux d'inflation soit trop faible et qu'on ne réussisse pas à atteindre la cible d'inflation, à moins d'adopter des mesures pour stimuler l'économie, et c'est pourquoi les taux d'intérêt sont à zéro. C'est déjà en vigueur dans la zone euro, comme nous le savons.

Comme nous l'avons dit plus tôt, la situation progresse différemment en Europe par rapport aux États-Unis, mais les problèmes ne sont pas si différents. Il y a eu une explosion des leviers financiers. Nous sommes maintenant dans le processus de réduction du levier d'endettement, l'économie tourne au ralenti et les entreprises sont trop incertaines pour investir. On est en quelque sorte coincé dans un cercle vicieux.

Il y a des limites à ce que la banque centrale peut faire, par exemple, pour s'assurer que les liquidités sont disponibles. Cela va d'ailleurs de pair avec les politiques financières, et nous suivons la situation avec intérêt. La situation de la Suède n'a rien à voir avec le reste de l'Europe, comme vous l'avez indiqué, puisque ses conditions sont plus favorables.

Ce qui détermine le taux d'inflation, tout comme nous, c'est la performance par rapport à la capacité. Si nous performons en dessous de notre capacité, il y aura une pression continue à la baisse sur notre taux d'inflation. Nous pourrions dire que nous sommes près de notre cible d'inflation actuelle de 2 p. 100, mais il y a un demi-point qui est attribuable aux effets temporaires des prix élevés de la viande et du fait que le prix des télécommunications a grimpé en flèche au cours des derniers mois. Il y a aussi le taux de change qui découle de la dépréciation précédente. Si on ne tient pas compte de ces éléments, le taux d'inflation se situe à 1,5 p. 100. Si l'économie continue de performer en deçà de sa capacité, nous prévoyons que l'inflation retournera graduellement à 1,5 p. 100, ce qui sera beaucoup trop bas pour nous.

L'économie reprend du mieux, grâce aux exportations en provenance des États-Unis, et cela nous permettra de faire disparaître cette capacité excédentaire au cours des prochaines années et de maintenir le taux d'inflation autour de 2 p. 100. L'analyse est semblable en Suède, mais ils ont besoin de stimuler davantage l'économie.

Le sénateur Greene : Êtes-vous plus inquiet aujourd'hui à propos de l'Europe que l'an dernier?

M. Poloz : Non. C'est une question difficile. Je m'inquiète pour l'Europe depuis longtemps, et il est difficile de dire si je suis plus ou moins inquiet. La bonne nouvelle, c'est qu'on a apporté d'importants changements institutionnels à l'architecture. On a adopté une nouvelle réglementation relative au système bancaire. On a maintenant une seule autorité responsable du système bancaire. Le processus est sur le point d'être enclenché et on vient de mener un examen de la qualité des actifs, qui a permis d'exposer les problèmes qui persistent dans le système. Cet exercice assez colossal consistait à analyser 130 banques importantes de l'Europe en fonction du même modèle et des mêmes tests de tension et à faire rapport de tout cela. Dans l'ensemble, on a trouvé la situation rassurante. Cette transparence démontre que quelques problèmes perdurent, mais on aurait pensé que les problèmes étaient plus graves. Cela a permis de dissiper quelques nuages d'incertitude qui planent sur l'avenir. Quoi qu'il en soit, je considère que c'est un important pas en avant. Je vais m'arrêter ici.

Le sénateur Greene : Merci.

[Français]

Le sénateur Maltais : J'ai, moi aussi, deux questions. Vous avez beaucoup parlé de la baisse du prix du pétrole, qui a une influence marquée sur nos exportations et sur les entrées d'argent au Canada. Je remarque, depuis quelques mois, le grand intérêt de la part de certaines compagnies pour le gaz naturel. Il y a des gens de tous les pays qui s'intéressent au gaz naturel du Canada.

Dans vos perspectives économiques, le gaz naturel est-il un produit qui pourrait devenir rentable pour le Canada?

M. Poloz : Oui, certainement. Ce marché fonctionne différemment de celui du pétrole étant donné que le gaz naturel est moins mobile, sa mobilité est partielle. Éventuellement, avec beaucoup d'investissements dans le gaz naturel, sa liquéfaction et son mode de transport, la situation changera dans un marché global. Pour le moment, c'est moins le cas que pour le prix du pétrole.

La technologie existe pour passer de l'un à l'autre très facilement. Par exemple, dans certaines usines, il est possible d'avoir les deux. Éventuellement, on verra une compétition entre les deux si le produit devient plus raffiné. Les deux marchés fonctionneront alors plutôt comme un couple. Pour le moment, ce n'est pas exactement le cas. Je suis certain que, avec le temps, ce sera une activité très rentable pour nous.

Le sénateur Maltais : Je passe à ma deuxième question.

M. Poloz : Elle sera sans doute pour Mme Wilkins.

Le sénateur Maltais : Vous avez dit, dans votre mémoire — et je suis tout à fait d'accord avec vous —, que la baisse du dollar canadien favorise les exportations, particulièrement aux États-Unis, ou est en voie de les favoriser.

J'aimerais parler des métaux. Le Canada est un grand exportateur de métaux. Malgré une baisse au cours des deux dernières années, on sent un vent nouveau d'ouverture, particulièrement pour les mines dans le Nord. On sent que les métaux redeviennent populaires, surtout en Asie où les pays ne disposent pas de cette ressource. La baisse de notre dollar peut-elle nuire ou avantager le commerce des métaux avec l'Asie?

M. Poloz : Cette question est un peu complexe et comporte de multiples aspects. Pour commencer, avec le prix du métal en dollars américains, il est certain que la marge de profit sera meilleure avec un dollar canadien plus bas, toutes choses étant les mêmes. En même temps, il arrive très fréquemment que, quand la valeur du dollar canadien est plus basse, c'est lié aux prix des matières premières, qui sont inférieurs. C'est un peu comme l'exemple du chien et du maître que j'ai mentionné plus tôt. On peut faire le lien suivant : toutes les matières premières, pas seulement le pétrole, touchent le dollar canadien. Tout dépend de la situation.

La deuxième réserve est le fait qu'il faille acheter beaucoup d'équipement pour exploiter les mines. Or, il arrive souvent que l'on doive importer cet équipement d'autres pays. Il est possible que cela fasse augmenter le coût de production pour ces mines.

Dans le fond, la réponse est ambigüe. Si la seule chose qui bouge est le dollar canadien, cela fera augmenter les profits. Toutefois, d'autres choses peuvent bouger en même temps.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : J'ai été intrigué par les 2 000 catégories de produits et la disparition des 30 milliards de dollars. Pourriez-vous nous dire de quelles catégories il s'agit? Est-ce que certaines d'entre elles vous paraissaient évidentes? Est-ce que d'autres vous ont étonné ou paru illogiques? Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Poloz : Tout d'abord, nous nous attendions à un affaiblissement de la capacité dans l'industrie de l'automobile, étant donné que nous connaissions bien la situation. Nous avons vécu la crise. J'étais au sein d'EDC à l'époque lorsque nous avons consenti des prêts importants à Chrysler, GM, et cetera. On a vu notamment une réduction de 20 à 30 p. 100 de la capacité des fournisseurs de pièces d'automobile. Nous savions également que dans la catégorie du transport par véhicules lourds, il y aurait des fermetures. Cette catégorie y est donc pour beaucoup dans ce chiffre.

Près de 500 catégories de produits ont baissé d'au moins 75 p. 100, si ce n'est pas de 100 p. 100. Les entreprises exportaient en 2000 et, à partir de 2005 ou 2006, leur compétitivité était déjà en perte de vitesse, alors il ne s'agit pas uniquement de la crise et il ne faut pas l'oublier. De toute évidence, le dollar était en hausse au cours de cette période; il était donc plus difficile de soutenir la concurrence. Il y avait déjà eu des baisses par le passé et il y en a eu pendant cette période. Et puis la crise a frappé et la demande a chuté soudainement. Cela a eu un effet d'entraînement dans les autres secteurs.

Il y a eu des exemples dans le secteur des produits du bois, si on pense au nombre disproportionné d'exportations liées au marché américain de la construction domiciliaire, qui a connu une baisse considérable de la demande. Bien que la récession ait eu une incidence sur tous les secteurs, le marché du logement a été le plus durement touché. Il y a eu de nombreuses fermetures dans le secteur du bois naturel et des produits du bois finis ainsi que dans le secteur des pâtes et papiers. Vous me direz peut-être qu'on utilise moins de papier depuis longtemps et que, par conséquent, le processus était déjà en cours, mais entre l'année 2000 et aujourd'hui, les entreprises ont disparu.

Pour résumer, ce n'est pas à nous de dire de quelles entreprises il s'agit. On n'a qu'à réfléchir un peu ou à lire les articles de journaux des 10 dernières années pour en avoir une bonne idée. Il pourrait même y en avoir dans votre ville que vous connaissez.

Il n'y a pas qu'un seul facteur en cause, il y en a plusieurs. Parlez à un entrepreneur et vous entendrez une histoire compliquée. Chaque situation est différente. Je ne sais pas si on aurait pu faire autrement. Cela nous est tous arrivé.

Nous avons le meilleur système bancaire au monde, les meilleurs principes fondamentaux et une excellente situation fiscale. Nous avions toutes ces choses; mais sur l'échiquier mondial, nous n'occupons qu'une petite place. Nous nous sommes lancés dans cette aventure, et nous dépendons des exportations. Quand une entreprise perd la moitié de ses ventes, la moindre des choses à faire est de réduire l'effectif. Si ce n'était que pour une année, l'entreprise pourrait survivre. Il y a une grande différence entre le présent cycle économique et le cycle normal. C'est long et les choses tournent au ralenti. La banque pourrait vous permettre de vous débattre pendant un an ou deux, mais pendant cinq ans? Personne ne peut se le permettre. Si on réduit la capacité de production, c'est probablement parce que la capacité excédentaire était moins grande qu'on le pensait.

Quand cela se produit, on libère de la main-d'œuvre, alors c'est pour cela que les indicateurs du marché du travail sont vraiment les meilleures mesures dans ce contexte, car cela donne une plus grande marge de manœuvre. On espère qu'avec le temps il y aura des investissements et que cela favorisera la capacité, pour que ces jeunes sortent du sous-sol et qu'ils participent à la population active. C'est ce qui nous arrive.

Les choses ne vont pas débouler; il faudra au moins deux ans pour que cela se concrétise. Il faut être patient, parce que le monde n'accélérera pas les choses pour nous.

Le président : Monsieur le gouverneur, la province de l'Ontario a longtemps été un important moteur économique pour le Canada, sinon le plus important. Dans les dernières années, le secteur manufacturier de l'Ontario a subi de fortes pressions. Dans quelle mesure pensez-vous que le secteur manufacturier a souffert des prix élevés de l'hydroélectricité en Ontario, des prix qui ne cessent d'augmenter d'ailleurs?

M. Poloz : Je n'ai pas de chiffre exact à vous donner, mais le scénario dont on vient de parler, avec les fermetures et tout cela, touche de manière disproportionnée le secteur manufacturier. La carte nous montre qu'il y a des entreprises du secteur manufacturier partout, mais il y en a plus en Ontario, et tout juste derrière, au Québec. Les autres sont éparpillées à la grandeur du pays. La situation fait des victimes partout, dans toutes les régions, mais il y en a plus en Ontario, et à moindre échelle, au Québec.

La compétitivité repose sur bien des facteurs. On se demande souvent combien coûtent la main-d'œuvre et les salaires, et quel est le taux de change. En tant qu'économistes, nous nous concentrons sur ces deux ingrédients et nous en faisons une notion de mesure.

Le réflexe est de se dire que la productivité est le facteur déterminant, mais il y a beaucoup de choses à considérer. Je vois donc cela comme l'équation de la compétitivité, qui comporte toutes sortes de facteurs. Il se peut que les contraintes administratives ajoutent au coût de faire des affaires. Deux pays peuvent être nez à nez, mais si les contraintes administratives sont plus importantes dans l'un que dans l'autre, ce dernier peut avoir une entente à moindre coût.

Il se peut que la différence se situe au niveau de leur capacité d'attirer les bons candidats. Il se peut aussi que les taxes foncières ou autres soient plus élevées. Les coûts énergétiques peuvent également être plus élevés. Toutes ces choses ont une incidence, et je veux m'assurer qu'on comprend qu'elles ont modelé le scénario qui touche ces 500 secteurs. Je sais qu'on pourrait être porté à dire que si l'énergie coûte plus cher en Ontario qu'en Caroline du Nord ou au Tennessee, cela va changer la donne pour une même entreprise. Des entrepreneurs me l'ont déjà dit. Cependant, la situation est beaucoup plus complexe que cela, et on peut croire que telle ou telle chose va les avantager. Ce n'est jamais très clair, monsieur le président.

Le président : Merci pour votre réponse. C'est ce qui conclut le premier tour. J'ai une question pour le deuxième tour de la part du sénateur Bellemare.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Compte tenu du Rapport sur la politique monétaire et des propos que vous avez exprimés lors de votre exposé, vous nous avez dit que l'indicateur du taux de chômage sous-estimait l'ampleur de la sous-utilisation de la main-d'œuvre.

À la page 20 de votre présentation, dans le tableau, c'est comme si votre indicateur sur le marché du travail indiquait que le taux de chômage est de 0,5 point de pourcentage inférieur à votre indicateur du marché du travail. C'est à peu près cela?

M. Poloz : Oui.

La sénatrice Bellemare : Avez-vous examiné les aspects régionaux de cet indicateur? Y a-t-il des régions qui sont plutôt en manque réel? Dans les régions de l'Est, on sait que le taux de chômage varie de 12,1 pour Terre-Neuve à 8,9 pour la Nouvelle-Écosse — le Québec est à 7,8. Avez-vous analysé un peu la question? Est-ce qu'on ajoute 0,5 ou est-ce que c'est davantage dans ces régions-là?

M. Poloz : C'est une question intéressante. Ma collègue va vous répondre.

Mme Wilkins : Je peux peut-être commencer par expliquer la raison pour laquelle il y a une différence avec la ligne bleue, qui est notre indicateur, qui comprend plus d'information que le taux de chômage. Il y a huit choses différentes dans cet indicateur, mais il y en a trois que je peux souligner.

La première est la question du travail à temps partiel. Ce que l'on voit, c'est qu'il y avait une augmentation de l'emploi à temps partiel, et une grande partie de cela, plus encore qu'auparavant, est lié à une situation involontaire. Une mesure montre que 28 p. 100 des gens qui travaillent à temps partiel préféreraient ne pas être à temps partiel.

L'autre chose, c'est que la durée moyenne du chômage est tout de même assez élevée. En moyenne, les gens sont au chômage pendant 22 semaines, ce qui est énorme. Le taux d'activité, la participation au marché du travail a baissé aussi.

La sénatrice Bellemare : Vous regardez le taux d'activité également?

Mme Wilkins : Oui. Ce qui est intéressant, c'est que le taux de chômage est de 7 p. 100 depuis un bon moment et, cette année, il aurait augmenté si le taux d'activité n'avait pas baissé. Évidemment, on s'attendrait à ce que le taux de participation baisse, parce qu'il y a un changement démographique en cours. Mais on estime que, probablement, cela a chuté de deux fois ce à quoi on se serait attendu avec la partie démographique. Donc, il y a plus que cela.

Or, quand on met tout cela ensemble, on voit que le taux de chômage actuel ou notre indicateur de marché de travail montre qu'il y a plus de capacité qu'on ne peut le voir avec le taux de chômage. On n'a pas calculé cet indice par région, mais on sait que, et c'est probablement très intuitif, quand on regarde la croissance de l'emploi, depuis un an, il y en a davantage en Alberta qu'ailleurs. Il est fort possible que, si on regardait les autres indicateurs, on voie que l'écart des deux mesures est plus grand — ou on s'attendrait à ce qu'il soit plus grand.

La sénatrice Bellemare : Vous avez tout de même fait l'exercice en mesurant les différents aspects, comme la baisse du taux d'activité; la différence entre la ligne bleue et la ligne rouge, c'est en tenant compte de tous ces aspects, et vous avez quantifié cela quelque part.

Mme Wilkins : Il y a un article que vous pouvez lire si vous êtes intéressée; il se trouve sur le site de la banque, c'est dans la revue de la Banque du Canada du printemps. C'est un article qui explique la méthodologie.

La sénatrice Bellemare : Parfait.

Le sénateur Massicotte : Comme on le sait, effectivement, les taux d'intérêt sont très bas pour inciter la croissance économique. Mais aussi, comme on le sait clairement, et on en parle assez souvent, le fait qu'on ait des taux d'intérêt très bas entraîne toutes sortes de conséquences perverses sur l'économie, y compris sur la valeur des maisons et sur l'endettement des consommateurs. Il y a beaucoup de raisons, j'en suis certain, et de motivations pour augmenter peut-être le taux d'intérêt aussitôt que possible.

Cependant, est-ce que cela veut dire que l'on augmentera le taux d'intérêt plus tôt que prévu, pour arriver à contrer ces conséquences perverses qui, tout de même, demeurent, et vont éventuellement nous causer des difficultés?

M. Poloz : C'est la question clé de notre rapport, en effet. Il est évident que la situation est très difficile. C'est une situation unique dans notre histoire. Quand on a des vents contraires qui nous poussent, il faut avoir un stimulus beaucoup plus grand que d'habitude pour combattre ces vents. En même temps, cela cause tous ces autres problèmes, ces risques financiers. Ce n'est pas low for long, mais c'est lower for longer.

C'est pourquoi nous avons une telle politique pour stimuler l'économie. Habituellement, on ne le fait pas pendant une très longue période. On le fait pendant un an ou deux, mais pas pour cinq ans. Éventuellement, en stimulant l'économie, on commence à créer des risques et ces risques ont tendance à augmenter. C'est pourquoi le gouvernement a mis en place quatre changements macro-prudentiels pour mitiger ces risques. Toutefois, les risques sont encore là, et c'est le prix de notre politique. Notre politique est une cible pour le taux d'inflation, et cet élément est primaire. Les autres choses sont des effets secondaires, qui ne sont pas tout à fait bienvenus. Il faut les étudier attentivement. Dans le fond, c'est notre tâche d'influencer l'écart de production et de garder le taux d'inflation stable à 2 p. 100. C'est pourquoi notre politique existe.

[Traduction]

Le président : Merci. Le comité est grandement reconnaissant au gouverneur et à la première sous-gouverneure d'avoir été des nôtres aujourd'hui. C'est toujours un plaisir de vous recevoir. Nous serons heureux de vous revoir au printemps. Merci.

La séance est levée.

(La séance est levée.)


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