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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 27 - Témoignages du 23 avril 2015


OTTAWA, le jeudi 23 avril 2015

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier le projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel).

La sénatrice Céline Hervieux-Payette (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Je vous souhaite tous la bienvenue. Aujourd'hui, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce tient une réunion préliminaire pour discuter du projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel), présenté par notre collègue et membre du comité, la sénatrice Pierrette Ringuette.

Je suis heureuse de vous accueillir ce matin, chère collègue, à titre de témoin, devant notre comité. Cela dit, la parole est à vous, sénatrice Ringuette.

L'honorable Pierrette Ringuette, marraine du projet de loi : Je vous remercie, madame la vice-présidente. Bonjour, honorables sénateurs.

[Traduction]

Je suis ici aujourd'hui pour répondre à vos questions au sujet de mon projet de loi, le projet de loi S-210, Loi modifiant le Code criminel (taux d'intérêt criminel).

L'objectif du projet de loi est de modifier ce qu'on appelle le taux d'intérêt criminel, ce taux d'intérêt plafond présentement établi à 60 p. 100 sur une base annuelle.

Mon projet de loi vise à réduire ce taux qui est en vigueur depuis 1981 — soit depuis 34 ans — à 20 p. 100 au-dessus du taux du financement à un jour de la Banque du Canada pour les prêts accordés aux personnes, aux ménages et aux organismes sans but lucratif. Comme le taux de financement à un jour actuel est de 0,75 p. 100, la nouvelle limite serait fixée à 20,75 p. 100.

Le projet de loi ne modifie pas la limite actuelle de 60 p. 100 fixée pour les prêts de moins d'un million de dollars pour les entreprises et les commerces, et supprime la limite pour les prêts de plus d'un million de dollars pour les entreprises et les commerces.

[Français]

D'abord, permettez-moi d'aborder rapidement ces deux dernières modifications. Au cours de mes recherches, il m'est clairement apparu qu'il était nécessaire pour les entreprises d'avoir accès à des prêts à court terme, tels que les prêts relais. Comme l'intérêt sur ces prêts est basé sur une courte période, le taux d'intérêt annualisé est donc beaucoup plus élevé.

Ainsi, le projet de loi accorde un taux de 60 p. 100 aux petites et moyennes entreprises et offre encore plus de flexibilité lorsqu'il s'agit d'accorder des prêts plus importants aux grandes entreprises qui ont un plus grand pouvoir de négociation.

Le projet de loi vise à faire en sorte qu'on ne gêne pas les entreprises dans leur capacité de négocier des prêts selon leurs besoins, tout en s'attaquant au problème des taux d'intérêt excessifs imposés aux consommateurs.

Il est important de relever l'historique du taux d'intérêt criminel, dont l'origine remonte à plus de 100 ans.

[Traduction]

L'établissement du premier « taux d'intérêt criminel » aux termes d'une loi canadienne remonte à 1906. La loi s'appelait Loi des prêteurs d'argent, et elle limitait l'intérêt à 12 p. 100 pour les prêts de 500 $ et moins. Cette limite s'est appliquée pendant 33 ans.

En 1939, le Parlement remplace la Loi des prêteurs d'argent par la Loi sur les petits prêts, qui exigeait de tout prêteur de 500 $ ou moins qu'il limite l'intérêt demandé à 1 p. 100 par mois. Les prêteurs souhaitant aller au-delà de cette limite devaient demander un permis ou une exemption au gouvernement fédéral. Cette limite a été en vigueur pendant 42 ans.

En 1981, le Parlement abolit la Loi sur les petits prêts pour plutôt adopter la notion de taux d'intérêt criminel, laquelle se trouve à l'article 347 du Code criminel. Ce taux est fixé à 60 p. 100 par année.

Il est important de souligner qu'au moment de l'adoption de ce taux criminel de 60 p. 100, le taux de la Banque du Canada était d'environ 21 p. 100. Le taux d'intérêt criminel était donc presque trois fois plus élevé que le taux de la Banque du Canada.

À l'époque, certains sénateurs considéraient que ce taux de 60 p. 100 était trop élevé. Au départ, le ministère de la Justice avait proposé une limite de 45 p. 100, ce qui aurait eu sensiblement le même résultat que mon projet de loi.

[Français]

Il y a 34 ans que ce pourcentage a été fixé. Si nous utilisions le même calcul aujourd'hui, le taux d'intérêt criminel prévu à l'article 347 du Code criminel serait d'environ 2,25 p. 100. Mon projet de loi fixe la limite au niveau relativement plus modeste de 20 p. 100 au-dessus du taux de la Banque du Canada, ce qui reviendrait actuellement à 20,75 p. 100 et procurerait la latitude nécessaire pour que ce taux augmente lorsque le taux de la Banque du Canada en fait autant.

Les taux actuels sont très bas, mais si on remonte à 2006, les taux se situaient à environ 4,5 p. 100. Comme je l'ai souligné plus tôt, au cours des années 1980, les taux étaient d'un peu plus de 20 p. 100.

Ce que je tente de faire valoir ici, c'est qu'à la lumière de mes recherches, un taux d'intérêt variable de 20 p. 100 supérieur à celui de la Banque du Canada paraît raisonnable. Toutefois, je serais disposée à le revoir à la hausse ou à la baisse si, à l'issue de nos discussions, nous en arrivons à la conclusion que cela serait préférable. J'estime que cette approche est la plus responsable, pour ma part, et la plus juste pour les particuliers, les ménages et les familles.

[Traduction]

Considérant que le taux de la Banque du Canada a chuté depuis les années 1980, comment se fait-il que les taux d'intérêt sur les cartes de crédit, les frais de retard pour les services publics et l'intérêt sur les petits prêts aient fait du surplace ou aient augmenté? Si l'un des taux les plus importants pour le secteur financier, le taux de la Banque du Canada, a diminué de plus de 90 p. 100, pourquoi les taux d'intérêt sur les prêts de consommation n'ont-ils pas suivi la même tendance?

Les taux d'intérêt exigés pour les cartes de crédit oscillent entre 10 p. 100 et 30 p. 100. Les entreprises de télécommunication exigent un taux d'intérêt annuel de 42 p. 100 sur les montants en souffrance. Les prêts à court terme et les programmes de règlement par versements ont des taux d'intérêt annualisés dans les centaines de pour cent.

Je ne peux pas me prononcer pour ces industries et ces sociétés, mais il est très important de souligner l'écart grandissant qui existe entre le taux très bas accordé par la Banque du Canada aux institutions financières et les taux d'intérêt très élevés demandés aux consommateurs.

Selon la TransUnion, au quatrième trimestre de 2014, l'endettement moyen des Canadiens était de 21 428 $ — sans compter les prêts hypothécaires —, ce qui représentait une augmentation de 2,3 p. 100 par rapport à la même période de l'année précédente. Les dettes relatives aux marges de crédit ont augmenté de 4,4 p. 100. L'an dernier, la moyenne des soldes sur cartes de crédit s'établissait à 3 659 $, ce qui marquait un recul modeste que le recours grandissant aux marges de crédit a contrebalancé. En 2012, la dette totale sur cartes de crédit était de 73,7 milliards de dollars. Ce sont les statistiques les plus récentes que nous avons.

De 2002 à 2012 — sur 10 ans —, le nombre de cartes de crédit en circulation au Canada est passé de 49,4 millions à 73,9 millions. La valeur totale nette des achats que les Canadiens ont faits avec leurs cartes de crédit est passée de 154 milliards de dollars, en 2002, à 355,64 milliards de dollars, en 2012, soit une augmentation de 130 p. 100 en 10 ans.

[Français]

Statistique Canada a annoncé, en décembre dernier, que le ratio dette-revenu des Canadiens avait atteint un nouveau record de 162,6 p. 100 du revenu disponible, contre 161,7 p. 100 à la même date l'an dernier. Au Canada, le niveau de dette par rapport au revenu est donc plus élevé qu'au Royaume-Uni, qu'au Japon, qu'aux États-Unis, qu'en Allemagne, qu'en Italie et que dans d'autres pays de l'OCDE.

Avec le projet de loi S-210, nous ne serions pas les seuls à établir des limites plus raisonnables sur les taux d'intérêt. Sur les 18 États américains qui appliquent un taux d'intérêt maximal, 15 ont établi des niveaux inférieurs à 20 p. 100, et certains ont même fixé une limite aussi basse que 5 p. 100 en fonction de différents facteurs. Plusieurs ont adopté une approche à taux variable, comme celle que prévoit mon projet de loi, en liant habituellement les taux d'intérêt à ceux de la réserve fédérale ou au taux des bons du Trésor à six mois.

Je vous ferai aussi savoir que le gouvernement américain a confié la responsabilité à une entité nommée le Consumer Financial Protection Bureau de mettre en place des réglementations à l'échelle nationale en ce qui concerne les taux d'intérêt. Amanda Lang, de la CBC, en a fait rapport en date du 9 février 2015.

[Traduction]

Le grand titre était le suivant : « Les États-Unis mettent le cap sur la réglementation du secteur du prêt sur salaire, pourquoi pas le Canada? » Le rapport est d'envergure nationale. La journaliste a enquêté sur quelques propositions canadiennes concernant les prêts sur salaire. Permettez-moi de la citer :

Selon l'Association canadienne des prêteurs sur salaire, plus de 760 exploitants de services de prêts en liquide prêtent de l'argent à environ deux millions de personnes chaque année. Le prêt moyen est de 280 $ sur une période de 10 jours, et la plupart des emprunteurs résident en Ontario, où les prêteurs sur salaire peuvent demander un maximum de 21 $ pour un prêt de 100 $ remboursable en deux semaines. C'est l'équivalent d'un taux annuel de plus de 500 p. 100.

J'ai ici une liste des différents règlements en vigueur dans divers États des États-Unis. Le Kentucky applique un taux maximum de 4 p. 100 au-dessus de celui de la Réserve fédérale; l'Alaska est à 5 p. 100; l'Arkansas est à 5 p. 100 au- dessus de la Réserve fédérale; la Californie est à 7 p. 100; le Delaware est à 5 p. 100 au-dessus de la Réserve fédérale; l'Iowa impose une limite de 12 p. 100 aux taux d'intérêt pour les prêts de moins de 25 000 $; le Kansas est à 15 p. 100; le Minnesota, à 8 p. 100; le Mississippi est à 5 p. 100 au-dessus du taux de la Réserve fédérale; le Montana est à 6 p. 100 au-dessus du taux préférentiel de Wall Street; la Caroline du Nord, 6 p. 100 au-dessus des bons du Trésor de six mois des États-Unis; le Dakota du Nord est à 5,5 p. 100; l'Ohio, à 8 p. 100; l'Oregon, à 5 p. 100; le Rhode Island, à 9 p. 100; le Tennessee, à 4 p. 100; et l'État de Washington est à 4 p. 100 au-dessus des bons du Trésor des États-Unis.

[Français]

En 2006, il s'est passé une chose intéressante en ce qui concerne le taux d'intérêt criminel : les dispositions législatives adoptées ont fait en sorte qu'une exception s'applique à la somme d'argent prêtée dont le montant est d'au plus 1 500 $ et d'une durée maximale de 62 jours, pourvu que cela soit autorisé par le gouverneur en conseil.

Dans les faits, cela a donné aux provinces le pouvoir de réglementer les prêts sur salaire et d'assujettir ceux-ci à leurs propres règles de même qu'à leur autorisation.

À l'époque, le sénateur Grafstein, qui était président de ce comité, avait soulevé des préoccupations relativement à la capacité des provinces de se doter de règlements uniformes et au fait que les Canadiens se retrouveraient avec des règles disparates et différents taux d'intérêt maximaux à payer selon l'endroit où ils habitaient.

Le sénateur Grafstein a été clairvoyant sur ce point, puisque diverses règles sont maintenant en place dans les provinces. La limite des taux d'intérêt qui peuvent être imposés varie de 17 $ pour 100 $, au Manitoba, et de 25 $ pour 100 $ de prêt à l'Île-du-Prince-Édouard. À l'heure actuelle, la Nouvelle-Écosse examine les limites. Les provinces de Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador ne réglementent pas elles-mêmes les prêts sur salaire, mais observent plutôt la limite fédérale relative au taux d'intérêt criminel. Quant au Nouveau-Brunswick, il a légiféré en la matière sans toutefois instaurer de limite. Il respecte donc, lui aussi, la limite établie à l'échelle fédérale.

Les limites provinciales sont basées sur la période du prêt à très court terme, ce qui suppose donc un taux annualisé extrêmement élevé.

[Traduction]

Rappelons ce que prévoient les lois provinciales concernant les prêts sur salaire : en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, l'intérêt maximum exigible pour chaque tranche de 100 $ est de 23 $; au Manitoba, 17 $; au Nouveau-Brunswick, je viens de le mentionner; à Terre-Neuve-et-Labrador, c'est 2,30 $ par tranche de 100 $; en Nouvelle-Écosse, 25 $ par tranche de 100 $; en Ontario, 21 $; à l'Île-du-Prince-Édouard, 25 $. Je n'ai pas de chiffre pour le Québec.

Mon projet de loi ne change rien à l'article 347.1 du Code criminel, ce qui fait qu'il n'a pas d'incidence sur les provinces qui ont des règlements concernant les prêts sur salaire. Il se peut toutefois qu'il exerce une certaine pression pour faire en sorte que les taux soient abaissés à des niveaux plus raisonnables. Ce projet de loi permettra en outre de limiter les nouvelles formules de prêts qui pullulent.

La question des prêts à tempérament inquiète de plus en plus. Il s'agit de prêts qui s'adressent aux plus vulnérables sur le plan financier. Les taux peuvent atteindre les 60 p. 100 et ils s'accompagnent de divers frais qui sont parfois encore plus coûteux que les taux eux-mêmes.

L'émission Marketplace de la CBC s'est récemment penchée sur cette question. On a en outre trouvé un prêt qui s'accompagne d'un taux d'intérêt de 57 p. 100, et un autre dont les arrangements revenaient à un taux de 71 p. 100. Les prêts de ce type sont en forte progression et ils sont responsables de dettes de l'ordre de 132 milliards de dollars, soit 8,7 p. 100 de la dette totale au Canada.

Les prêts à tempérament sont de plus en plus populaires sur Internet, avec des noms comme Eastern Loans, urLoan, Mogo, Customer First Financing, One Hour Loan — et, si cela n'était pas assez rapide, il y a les One Minute Loans —, NCR Financial Services, Bucks for Canucks et easyfinancial. La publicité sur ces sites a souvent recours à des formulations telles que : « aucune vérification de crédit », « prêts pour ceux qui ont une mauvaise cote de crédit », « prêts pour les faillis », « libérez-vous de vos dettes » et « meilleur qu'un prêt sur salaire ».

Vous pouvez aller voir le site appelé urLoan. Voici ce que dit la publicité :

Procurez-vous maintenant un meilleur prêt à court terme.

Cette année seulement, plus de deux millions de Canadiens verseront plus d'un demi-milliard de dollars en prêts sur salaire.

Voici ce que vous pourriez payer pour un prêt de 1 000 $ :

600 p. 100 pour un prêt sur salaire en Colombie-Britannique

548 p. 100 pour un prêt sur salaire en Ontario

Et 47 p. 100 pour un prêt de urLoan

Ceci vous donne un aperçu de ce qui se passe vraiment sur le marché.

Ils ciblent les gens qui ont une mauvaise cote de crédit et ceux qui ont fait faillite. Ils recherchent les Canadiens qui ont des difficultés financières.

Les taux varient en fonction de différents facteurs, mais urLoan et easyfinancial annoncent des prêts à un taux d'environ 47 p. 100. Je ne dis pas que ces choix ne devraient pas être offerts, mais je suis d'avis que les taux demandés devraient être raisonnables. Les taux d'intérêt élevés perpétuent de cycle de l'endettement, surtout chez ceux qui sont déjà dans le rouge. En fait, nombre de ces entreprises encouragent les gens à emprunter pour payer ou consolider leurs dettes. Les prêts de ce type ne sont pas comme les prêts sur salaire et ils ne sont pas visés par l'exemption que les provinces accordent aux prêts sur salaire. Ils devraient par conséquent être contrôlés à titre de taux d'intérêt criminel.

Au cours des dernières années, les médias ont rapporté certains de ces cas, mais il semble que le gouvernement fédéral n'ait pas exercé l'autorité que lui confère le Code criminel en la matière.

Dans le discours du Trône prononcé en octobre 2013, le gouvernement a dit qu'il interviendrait en collaboration avec les provinces pour restreindre les abus. Malheureusement, ces intentions ne se sont jamais concrétisées. Le projet de loi S-210 permettra de mettre à jour la notion de taux d'intérêt criminel et de rétablir une certaine équité à cet égard.

[Français]

Je vous remercie de votre attention. J'espère que je pourrai répondre à toutes vos questions.

La vice-présidente : Je vous remercie, sénatrice Ringuette, pour tout le travail que vous avez fait.

J'aimerais vous poser une question. Est-ce que les prêts sur salaire existent au Québec? Je croyais que ce genre d'entreprise n'était pas permis au Québec.

La sénatrice Ringuette : À ma connaissance, oui, ils existent. Cependant, au Québec, la Loi sur la protection du consommateur impose certaines conditions.

[Traduction]

Le sénateur Black : Je tiens à vous dire que j'abonde dans le même sens que la vice-présidente. La ténacité dont vous faites preuve en soumettant des sujets de ce type doit être saluée, et je le dis bien sincèrement. Je trouve cela impressionnant.

J'aimerais comprendre exactement ce que nous cherchons à faire avec ce projet de loi. À tout prendre, vous dites que le fait d'exiger un taux d'intérêt dépassant un certain seuil en ferait une infraction criminelle, et vous voulez réduire le taux de 60 p. 100 à 20 p. 100, essentiellement.

La sénatrice Ringuette : Pour les prêts à certains groupes, c'est-à-dire les ménages, les familles et ainsi de suite.

Le sénateur Black : C'est bien. Je comprends. Alors, le concept est de créer une infraction criminelle du fait que j'accorderais un prêt à un taux de 30 p. 100 à des clients qui appartiennent à ces catégories. Merci beaucoup.

Quelles seront les répercussions de l'adoption de votre projet de loi?

La sénatrice Ringuette : Tout d'abord, il faut comprendre que selon les dispositions législatives entourant l'article 347.1, le gouvernement a donné le pouvoir aux provinces de réglementer les prêts sur salaire. Cela concernait un produit financier particulier.

Or, entretemps, les entreprises se sont montrées très créatives et elles ont mis au point les produits dont je vous parlais tout à l'heure, comme les prêts à tempérament, les prêts faciles. Il y aurait également beaucoup à dire sur les prêts-autos. Or, ces prêts ne sont pas assujettis aux pouvoirs que nous avons donnés aux provinces.

Nous nous retrouvons donc avec toutes ces autres formes de prêts, et nous constatons qu'il y a de plus en plus d'abus en ce qui concerne les taux d'intérêt. Certains sont assurément plus élevés que le taux plafond actuel de 60 p. 100 dont fait état le Code criminel. Néanmoins, même si le Code criminel est de compétence fédérale, rien n'est fait pour restreindre ces abus qui, pourtant, sont exposés de plus en plus souvent dans les médias. Certaines personnes sortent de l'ombre pour dénoncer la situation, et elles ont tout à fait raison de le faire.

Ce projet de loi instaurera des règles de jeu raisonnables pour les personnes, les ménages et les organismes sans but lucratif qui ont besoin d'un prêt-relais. Je suis convaincu qu'il donnera un coup de main à ceux qui sont sous le joug de dettes personnelles. Par exemple, si l'on considère que les taux des prêts à tempérament peuvent grimper jusqu'à 500 p. 100, certaines personnes se font prendre dans un cycle dont ils ne pourront jamais se sortir faute de pouvoir rembourser le capital emprunté, une situation à laquelle le projet de loi permettra de remédier.

En ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, le taux d'intérêt criminel restera à 60 p. 100. Notre recherche a démontré que cela n'était pas particulièrement problématique, puisque ces entreprises disposent de capacités et de capitaux propres qui leur permettent d'obtenir de meilleurs taux d'intérêt pour leurs emprunts.

À cet égard, je tiens à apporter une précision. Lorsque nous avons fait notre recherche, nous avons épluché un grand nombre d'affaires judiciaires concernant des problèmes de capital de risque ou de prêts-relais à court terme — le taux criminel de 60 p. 100 était très bas pour cautionner un prêt de 10 à 20 millions de dollars remboursable en cinq jours. Beaucoup de ces affaires se sont retrouvées devant les tribunaux à cause du taux de 60 p. 100 fixé par le Code criminel. Si le comité invitait le Conseil canadien des chefs d'entreprise à comparaître, les chefs d'entreprises lui indiqueraient que les grandes entreprises ont vraiment besoin de plus de flexibilité en ce qui concerne le financement d'appoint et que les règles actuelles peuvent s'avérer problématiques à cet égard.

C'est la raison pour laquelle le projet de loi fera en sorte que les grandes entreprises puissent profiter de ces prêts dont les taux dépassent largement les 60 p. 100 fixés comme limite.

Le sénateur Black : Aux fins de suivi, je crois comprendre que vous avez répondu à la question qui vous était posée concernant les répercussions potentielles du projet de loi sur les consommateurs.

La sénatrice Ringuette : Oui.

Le sénateur Black : Selon vous, quel effet l'adoption du projet de loi aura-t-elle sur les entreprises qui sont actuellement dans ce domaine?

La sénatrice Ringuette : Tout d'abord, le projet de loi offre la possibilité d'ajouter le taux d'intérêt criminel de 20 p. 100 au taux de financement à un jour de la Banque du Canada. Franchement, si un prêteur n'arrive pas à survivre avec un taux d'intérêt de 20 p. 100, c'est qu'il n'est pas dans le bon domaine.

Le sénateur Black : Merci beaucoup.

Le sénateur Tkachuk : J'ai deux questions. Ce projet de loi cible-t-il les prêts sur salaire, les cartes de crédit ou les deux?

La sénatrice Ringuette : Ce projet de loi cible toute entreprise qui exige des frais usuraires.

Par exemple, dans le Canada atlantique, la compagnie Bell Aliant charge un taux d'intérêt de 42,87 p. 100 pour les soldes payés en retard. En ce qui concerne les prêts sur salaire, cette catégorie de produit ne sera pas touchée lorsque les prêteurs n'offriront que le produit financier pour lequel les provinces ont reçu le pouvoir de réglementer.

Cependant, nous avons des entreprises similaires qui offrent des prêts sur salaire — et je vous en ai donné des exemples tout à l'heure — qui ont créé d'autres sortes de produits financiers. Certains s'apparentent à une marge de crédit. Ces produits donnent lieu à des frais qui dépassent largement le taux criminel actuel de 60 p. 100. Il y a...

Le sénateur Tkachuk : Dans ce cas, ces produits seraient visés s'ils dépassaient les 60 p. 100. Ils le seraient déjà.

La sénatrice Ringuette : Tout à fait. Ces nouveaux produits financiers seraient visés par ce projet de loi. Ils sont déjà à 60 p. 100, mais ils seraient assujettis à la limite de 20 p. 100 au-dessus du taux de financement à un jour de la Banque du Canada.

Le sénateur Tkachuk : Lorsque les taux sont calculés pour un prêt sur salaire — je n'en ai jamais contracté —, il me semble que le prêteur impose des frais. Si quelqu'un veut une avance sur son remboursement d'impôt ou sur sa paie qui n'arrivera que dans cinq jours, il peut aller voir un prêteur et lui donner 25 $ en échange de l'avance qu'il souhaite obtenir. À la fin de la semaine, c'est le prêteur qui encaisse la paye de cette personne. Ces 25 $ peuvent passer pour un taux d'intérêt exorbitant, mais si l'on considère qu'ils servent à acheter un produit, il s'agit d'un taux acceptable.

La sénatrice Ringuette : Dans de nombreuses provinces canadiennes, l'exemple particulier que vous évoquez est couvert par des règlements. J'ai donné des chiffres là-dessus tout à l'heure. Ce projet de loi ne changera pas la situation en ce qui a trait aux règlements provinciaux portant sur des produits particuliers que le gouvernement fédéral leur a donné le pouvoir de réglementer.

Le sénateur Tkachuk : Mon autre question porte sur les cartes de crédit. Vous avez dressé le portrait des gens qui ont des dettes liées aux cartes de crédit. Les gens ont-ils de telles dettes en raison des taux d'intérêt ou des dépenses trop grandes qu'ils règlent avec leurs cartes de crédit?

La sénatrice Ringuette : Selon nos recherches, la majorité de l'endettement lié aux cartes de crédit ou de tout autre type d'endettement concerne le paiement des services essentiels. Encore une fois, les gens se retrouvent dans certaines situations.

Par exemple, depuis que je me penche sur ces deux problèmes, soit les frais imposés aux commerçants et les taux d'intérêt, des gens m'ont raconté leurs histoires. Il arrive que la banque offre une carte de crédit qui a une limite de 2 000 $. Après quelques mois, au début, vous payez au complet le solde de votre carte de crédit. Après quelques mois, en particulier durant les mois d'hiver où le coût de la vie est plus élevé, les gens se retrouvent dans une situation où ils ne peuvent plus payer au complet le solde de leur carte de crédit. La première mesure que prendra la banque, c'est de les appeler pour leur offrir d'augmenter leur marge de crédit. Cela se poursuit durant cinq ou six mois. Cette augmentation fait en sorte que le consommateur rembourse de moins en moins le capital.

L'autre mesure prise, c'est qu'au lieu que le taux d'intérêt de votre carte de crédit soit de 19,9 p. 100, il est augmenté à 25, puis à 30 p. 100. L'étape suivante, c'est d'augmenter encore plus votre marge de crédit.

Le sénateur Tkachuk : Qui fait cela? Quelles sont les sociétés émettrices de cartes de crédit qui le font?

La sénatrice Ringuette : Ce ne sont pas les sociétés émettrices...

Le sénateur Tkachuk : Je n'ai jamais entendu cela.

La sénatrice Ringuette : Ce ne sont pas les sociétés émettrices de cartes de crédit qui le font. Ce sont les institutions financières qui émettent les cartes de crédit.

Le sénateur Tkachuk : Je le comprends bien. Quelles sont celles qui le font au Canada?

La sénatrice Ringuette : Sénateur, la majorité d'entre elles le font. D'après les commentaires que j'ai reçus du public, c'est le scénario qu'utilisent les institutions financières.

Nous entendons également de temps à autre dans les médias que les institutions financières se battent entre elles pour acquérir les cartes de crédit d'une certaine société. Nous en avons été témoins entre deux grandes banques canadiennes en ce qui concerne l'acquisition d'un pourcentage de la carte de crédit MasterCard de Canadian Tire.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que les cartes de crédit apportent une contribution financière considérable à l'industrie bancaire au Canada.

Le sénateur Tkachuk : C'est l'évidence même, mais vous pouvez avoir une carte de crédit qui offre un taux d'intérêt de 5, 6 ou 7 p. 100.

La sénatrice Ringuette : Je n'ai pas vu de telles cartes.

Le sénateur Tkachuk : Il y a des cartes de crédit, si vous optez pour une carte de crédit sans rien d'autre. Si vous voulez des...

La sénatrice Ringuette : Une carte de crédit sans le...

Le sénateur Tkachuk : Je vous le demande. Si vous optez pour ce genre de cartes, parce que vous voulez accumuler des points, par exemple, vous aurez une carte de crédit dispendieuse, et les sociétés émettrices de cartes de crédit vous factureront souvent des taux d'intérêt élevés, ce qui aura un effet dissuasif et vous incitera à payer votre solde.

Par exemple, si vous avez une carte de crédit American Express, son taux d'intérêt est de 28 p. 100. Cependant, lorsque vous faites un achat, vous ne payez pas d'intérêt. Vous ne payez aucun intérêt avant la date limite pour payer votre solde. Si vous réglez votre solde avant la date limite, la société émettrice vous aura donc fait crédit du montant qui correspond à votre limite de crédit, et ce, tout à fait gratuitement. Par contre, si vous accusez du retard dans vos paiements, vous devrez payer 28 p. 100 d'intérêt. La société émettrice vous impose un taux d'intérêt de 28 p. 100, parce qu'elle ne veut pas que vous prolongiez votre crédit; elle veut que vous lui remboursiez son dû. Le calcul est simple; c'est plus avantageux pour moi de rembourser mon solde que de ne pas le faire.

Les sociétés émettrices de cartes de crédit ne pourraient pas le faire. Elles devront peut-être retourner à l'ancienne manière de Visa et de Master Charge, qui facturaient des intérêts aux utilisateurs à partir du moment de l'achat.

La sénatrice Ringuette : Nos recherches indiquent que le plus faible taux d'intérêt pour une carte de crédit sur le marché actuellement est de 10 p. 100.

American Express est une entité différente de Visa et de MasterCard. C'est également une institution bancaire à part entière. C'est la banque, le fournisseur de crédit et la société émettrice. Ce n'est pas la même situation dans le cas de Visa et de MasterCard.

Dans le cas d'un prêt sur salaire ou de ce que j'appelle une marge de crédit sur une carte de crédit, je crois tout de même qu'un taux de 20 p. 100 majoré du taux de financement à un jour de la Banque du Canada est une proposition très raisonnable.

Le sénateur Tkachuk : Merci. J'ai pris trop de temps.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je tiens à vous féliciter pour toute la recherche que vous avez faite. Comme mes collègues, je suis impressionnée par l'ampleur de votre travail de recherche.

J'ai lu sur Internet que certaines provinces, notamment la Colombie-Britannique et la Saskatchewan, ont réglementé les prêts sur salaire. Êtes-vous au courant de cette réglementation?

La sénatrice Ringuette : Oui. À la fin de 2006, le présent comité avait autorisé les provinces — si elles adressaient une demande au gouverneur en conseil — à légiférer les produits spécifiques des organisations de prêts sur salaire, des prêts jusqu'à concurrence de 1 500 $ pour une période maximale de 62 jours. C'était la réalité en 2006.

Bon nombre de ces entreprises ont fait preuve de beaucoup de créativité grâce aux produits financiers qu'elles proposent. Certaines entreprises offrent des « marges de crédit ». Même si les provinces ont autorisé les prêts sur salaire pour ce produit spécifique, les marges de crédit offertes dans le cadre des prêts sur salaire relèvent du Code criminel. Elles ne relèvent pas des provinces. Elles relèvent automatiquement du Code criminel, qui relève de la responsabilité fédérale.

La sénatrice Bellemare : Je ne connais pas beaucoup ces institutions de prêt. Vous avez également parlé des prêts accordés par Internet. Or, avec la monnaie numérique, on sait que des prêts peuvent être offerts à des taux exorbitants.

Est-ce que votre projet de loi prévoit la réglementation de ce genre de prêt?

La sénatrice Ringuette : Oui, absolument. Selon nos recherches, toutes les organisations en ligne qui offrent des prêts, comme celles que j'ai données comme exemples, sont pancanadiennes. Elles ne sont pas restreintes à une province comme telle. Elles ne détiennent pas nécessairement de licence. Donc, elles relèvent du Code criminel fédéral.

La sénatrice Bellemare : À ce moment-là, la loi fait appel à la dénonciation? Une personne qui se verra imposer un taux d'intérêt pourra porter plainte? Cependant, si le siège social de l'entreprise est à l'étranger, cela couvrira...

La sénatrice Ringuette : Cela couvrira ses opérations au Canada.

Le sénateur Maltais : J'aimerais poser une question. L'un des graves problèmes liés aux cartes de crédit, c'est que les consommateurs ne s'acquittent pas complètement de leur premier avis de paiement. Par exemple, si un consommateur dépense 1 000 $ à l'aide de sa carte de crédit pendant un mois donné, et que de mois en mois, il verse seulement le montant minimum de 10 $, c'est à ce moment-là que le problème se pose.

Si on diminue les taux d'intérêt, le consommateur versera 5 $ au lieu de 10 $. N'avez-vous pas peur que cela fasse l'inverse, c'est-à-dire que les consommateurs s'endetteront davantage?

La sénatrice Ringuette : Non. Je ne crois pas, parce que...

Le sénateur Maltais : Le consommateur disposera alors d'une nouvelle marge de crédit malgré lui.

La sénatrice Ringuette : Les taux d'intérêt n'ont rien à voir avec la marge de crédit que l'institution financière accordera à un consommateur.

Le sénateur Maltais : Je me suis sans doute mal expliqué. Je faisais référence aux cartes de crédit, par exemple la Visa. Un consommateur dépense 1 000 $. Il reçoit son compte à la fin du mois et il fait le paiement minimum de 10 $. Le montant de 990 $ qu'il doit s'accumule le mois suivant avec les taux d'intérêt, puis il verse encore le minimum, soit 10 $. Finalement, après six mois, il a remis 60 $ et doit encore plus de 1 000 $. Ce n'est pas compliqué.

En payant moins d'intérêt, les consommateurs qui sont incapables de régler leurs paiements risquent de se retrouver avec plus de crédit sur leur carte. Est-ce que ce n'est pas une incitation à consommer davantage que ce qu'on peut payer?

La sénatrice Ringuette : Non. Comme je l'ai indiqué, selon nos recherches, l'augmentation du taux d'endettement des consommateurs canadiens est aussi liée aux services essentiels. On constate que le taux d'endettement s'accroît pendant la période hivernale.

Selon moi, il y a aussi une responsabilité quant à la marge de crédit qui sera accordée à un particulier. Les consommateurs, tout comme les institutions financières, ont leur part de responsabilités. Au cours des cinq dernières années, la plupart des personnes qui sont venues me rencontrer à mon bureau pour m'expliquer leur situation avaient obtenu une certaine marge de crédit de leur institution financière et n'arrivaient qu'à la rembourser en partie. Les institutions financières qui accordent ces marges de crédit devraient être en mesure de déterminer qu'un consommateur a des problèmes de paiement. Pourquoi ces institutions financières continuent-elles d'augmenter la marge de crédit de ces consommateurs?

À mes yeux, les institutions financières qui émettent ces cartes de crédit doivent assumer leurs responsabilités.

Le sénateur Maltais : Je suis tout à fait d'accord avec vous. La responsabilité en ce qui concerne l'augmentation de la marge de carte de crédit relève des institutions financières. Ce qui me dérange, c'est lorsque le consommateur gère mal sa carte de crédit. Ce n'est pas en augmentant sa marge de crédit qu'il va mieux gérer sa carte. C'est mon point de vue. Je peux me tromper, mais je pense que dans la majorité des cas où les gens ont des problèmes de carte de crédit, c'est parce qu'ils l'ont mal gérée. Ou bien, ils ont eu de la malchance. Mais à part cela, c'est de la mauvaise gestion.

La sénatrice Ringuette : Pour préciser mes commentaires, dans mon discours, j'ai souligné que la compagnie TransUnion, qui fait le même travail qu'Equifax, a déterminé qu'à la fin de décembre 2014, le Canadien moyen avait un taux d'endettement d'au-delà de 21 000 $, dont seulement 3 600 $ avaient été portés à des cartes de crédit. Alors, les cartes de crédit ne représentent pas l'élément le plus important dans l'ensemble du problème. Cela fait partie du problème, mais ce n'est pas le point majeur. Il y a des produits financiers sur le marché qui sont beaucoup plus nuisibles au taux d'endettement des Canadiens que ne le sont les cartes de crédit.

Le sénateur Massicotte : Merci, sénatrice Ringuette. Votre travail est très respecté, et l'objectif de vos efforts est méritoire. Évidemment, nous sommes tous d'accord qu'il y a un problème, et vos efforts à les régler sont très appréciés.

Cependant, je voudrais clarifier que la modification que vous proposez d'apporter à la loi ne s'applique pas au prêt sur salaire. Celui-ci est complètement exclu, parce qu'à l'exception d'une province, toutes les provinces doivent assumer leurs responsabilités, et selon la modification de 2006, l'article 347 ne s'applique pas.

La sénatrice Ringuette : Pour un produit financier spécifique.

Le sénateur Massicotte : Le prêt sur salaire. Vous n'y touchez pas. Il n'est pas possible d'y toucher sans modifier d'autres parties. Cependant, je remarque l'effort lié au million de dollars qui fait que cela exclut les prêts d'affaires, les prêts d'investissement.

J'ai deux commentaires pour lesquels je n'ai pas de solution. Je suggérerais qu'un million de dollars, c'est trop élevé. En ce qui concerne l'investissement de capital de risque, par exemple, en moyenne, pour chaque dix placements, huit font faillite, l'un d'eux retourne l'argent investi, et on espère que le dixième en fait dix fois plus pour compenser les huit pertes. Mais souvent, ces investisseurs sont des gens qui mettent 50 000 $ ou 100 000 $. C'est beaucoup d'argent quand on prend ce risque. Dans ce cas, on serait en contravention de l'article 347, et il faudrait examiner la question du million de dollars. Cette somme devrait être plus basse.

La sénatrice Ringuette : Comme quoi?

Le sénateur Massicotte : Si on prend l'exemple de l'administration provinciale, tout prêt de 97 000 $ est exclu. Il faudrait donc que la somme s'approche des 100 000 $ ou des 50 000 $.

Une personne qui prête 50 000 $ fait tout de même preuve d'un peu de sophistication. Il est certain qu'elle s'y connaît un peu en matière d'investissements et de risques.

Mon deuxième commentaire — et nous avons déjà reçu des témoins en 2005 et en 2006 à ce sujet — est lié au fait que, lorsqu'une personne fait un prêt, il y a un coût fixe, un coût bureaucratique. Disons qu'on prête 100 $ ou 200 $; or, la documentation à elle seule coûtera 10 $, ou 15 $ à préparer. Je ne me souviens plus du témoignage, mais il y a un coût fixe.

Le prêteur a besoin de récupérer cette somme avant même qu'il fasse de l'intérêt. Peut-être qu'il fera de l'intérêt de 5 à 10 p. 100, mais c'est 10 p. 100 plus le 15 $. Par exemple, s'il prête 10 $ et qu'il charge 15 $ plus un taux d'intérêt de 10 p. 100, selon le calcul, après un mois, c'est 150 ou 200 p. 100. Donc, le profit qu'il a fait n'est pas déraisonnable. Cela revient peut-être à 15 p. 100 d'intérêt. Cependant, en se faisant rembourser les 15 $, il vient en contravention de la loi très rapidement.

Je ne connais pas de solution. J'ai regardé aux États-Unis et dans d'autres juridictions, mais je n'ai pas trouvé de solution au problème de la nécessiter de chiffrer ce coût. La législation pourrait aisément prévoir la récupération du coût fixe plus un taux d'intérêt qui ne dépasse pas les vôtres. Mais il est difficile de se rendre là.

Même aux États-Unis, j'ai examiné ce que M. Obama a fait depuis deux semaines; il n'a pas fixé de taux d'intérêt. Il a tout simplement dit que tout prêteur devrait s'assurer que le paiement est raisonnable et à prévoir.

La sénatrice Ringuette : Il a aussi donné la responsabilité à l'institution que j'ai mentionnée plus tôt, le Consumer Financial Protection Bureau, en consultation avec tous les intervenants dans le secteur des prêts, des petits prêts personnels, d'élaborer une réglementation nationale qui soit acceptable. Évidemment, ils devront tenir compte de la législation en vigueur au palier de l'État, comme je vous l'ai mentionné. Il y en a 18 à l'heure actuelle.

Cependant, sénateur Massicotte, quand on a examiné, en 2006, la possibilité de fournir l'autorisation aux provinces de réglementer les prêts sur salaire, je me souviens très bien que l'association était venue devant notre comité...

Le sénateur Massicotte : Quelle association?

La sénatrice Ringuette : L'Association canadienne des prêteurs sur salaire. Elle avait indiqué que les tarifs... il me semble qu'elle avait dit que 20 $ pour un prêt de 100 $ sur un maximum de 62 jours était très raisonnable. Par la suite, l'Association canadienne des prêteurs sur salaire avait visité chaque législature provinciale pour lui demander la réglementation mise en place par les différentes provinces.

Il faut donc conclure que les acteurs semblent faire de bonnes affaires avec la législation qui est en vigueur présentement. Si on prend l'Alberta, des 23 $ pour 100 $ de prêt, ils recouvrent davantage que leurs coûts d'affaires.

Dernièrement, en Nouvelle-Écosse, il y a eu des audiences, et l'Association canadienne des prêteurs sur salaire demandait une augmentation des tarifs qu'elle pouvait charger. Il n'y a toujours pas de conclusion, mais il y a énormément de citoyens en Nouvelle-Écosse et de groupes intéressés par le dossier de l'endettement des individus qui se sont prononcés; or, au lieu de demander une augmentation, ils ont affirmé qu'il fallait réduire.

Le sénateur Massicotte : J'essaie de comprendre. Vous faites référence à l'Alberta. Prenons un exemple concret. Quelqu'un vous approche en vous disant qu'il a vraiment besoin de 100 $.

La sénatrice Ringuette : Pour combien de temps?

Le sénateur Massicotte : Pour un mois. Assumant qu'il coûte 20 $ de paperasse, mais disons qu'il coûte 15 $ de paperasse simplement pour faire la transaction, vous vous dites que vous prenez un risque à 100 $, puisque vous ne connaissez pas la personne, et que vous allez chercher un profit de 10 $. Cela m'apparaît raisonnable. Cependant, vous recouvrez, un peu comme l'Alberta, 10 $ plus les 15 $ de frais fixe. Or, vous n'avez pas fait d'argent. Cela vous coûte 15 $ et vous faites 10 $ de profit. Pour 100 $, vous faites 125 $ dans un mois. Cela équivaut à 250 p. 100, ou 280 p. 100. Or, c'est contraire à votre réglementation. Cela veut dire que si votre amendement est adopté, cela exclut tout ce secteur. Il y a un besoin, cela existe. Alors, que fait-on de cette question?

La sénatrice Ringuette : Sénateur Massicotte, c'est ce comité même qui a recommandé au Sénat de conférer cette responsabilité aux provinces dans le cas d'un produit financier spécifique.

Le sénateur Massicotte : C'est pour les prêts sur salaire.

La sénatrice Ringuette : Oui.

Le sénateur Massicotte : Mon exemple s'applique aussi aux cartes de crédit. L'amendement que vous proposez fait en sorte que ce n'est plus acceptable. Même si le profit est raisonnable, quantum, le taux d'intérêt atteint 280 p. 100 si on fait le calcul sur une base annuelle. Est-ce qu'on ignore ce problème? On dit plutôt à ces consommateurs qu'ils sont « out of business »?

La sénatrice Ringuette : J'ai beaucoup de difficulté à comprendre votre exemple. D'un côté, cela semble être la situation pour les prêts sur salaire.

Le sénateur Massicotte : On ne parle pas des prêts sur salaire, parce que votre amendement ne concerne pas ce type de prêts.

La sénatrice Ringuette : Non.

Le sénateur Massicotte : Les prêts à court terme représentent tout de même 80 p. 100, 95 p. 100 du secteur. Néanmoins, vous affirmez qu'on doit modifier la loi pour s'attaquer à d'autres produits financiers et qu'on doit se concentrer sur ce secteur. Je fais un prêt de 100 $, à un taux fixe de 15 $, en espérant faire 10 $ de profit, ce qui est raisonnable. Mais cela signifie que si je prête 100 $, la personne doit rembourser 125 $ le mois suivant. Cela représente un pourcentage de 280 p. 100.

La sénatrice Ringuette : Oui.

Le sénateur Massicotte : Le fait d'accorder un tel prêt irait à l'encontre de la loi, même si c'est raisonnable, et malgré le fait qu'il y a une demande pour ce type de transactions.

La sénatrice Ringuette : D'après mes recherches, on ne peut pas accorder des prêts aux particuliers et aux familles qui seraient, selon la situation d'aujourd'hui, au-delà de 20,75 p. 100.

Cela deviendrait un abus. Je pourrais vous fournir plusieurs exemples d'abus. Mais je ne suis pas d'accord avec vous en ce qui concerne l'exemple que vous avez cité.

Par contre, votre suggestion de réduire la limite pour les petites et moyennes entreprises, disons à 100 000 $, serait sans doute une bonne chose. Cependant, avant de vous le confirmer, il faudrait analyser quel serait l'impact sur les PME si on réduisait le taux maximum.

Le sénateur Massicotte : Il faudrait trouver une solution. Il faudrait se préoccuper des frais fixes lors d'une transaction. En faisant rapidement le calcul, on arrive à un chiffre très élevé sans tenir compte de la réalité, ce qu'il en coûte pour effectuer la transaction. Il devrait y avoir un taux d'intérêt de X et faire en sorte qu'il y ait recouvrement des frais fixes.

La sénatrice Ringuette : Les frais fixes varient d'une institution à l'autre.

Le sénateur Massicotte : Choisissez une somme comme exemple.

La sénatrice Ringuette : On ne peut pas comparer les coûts fixes d'une entité qui consent des prêts sur salaire, qui a une présence physique avec des ressources humaines, et les entités sur Internet où les gens remplissent un formulaire en ligne. Les coûts fixes sont différents d'une entité à l'autre.

Alors, comment fixer un coût? Non.

Le sénateur Massicotte : C'est un dilemme. L'Alberta a trouvé une solution.

La vice-présidente : On fait souvent référence au consommateur ou à la personne qui emprunte, mais on parle peu des règles qui s'appliquent aux entreprises. Comment se fait-il qu'il n'y ait aucune limite et aucun règlement en ce qui concerne les étudiants qui reçoivent une carte de crédit, alors qu'ils n'ont aucun revenu? Lorsque les étudiants entrent à l'université, on leur donne pratiquement immédiatement une carte de crédit, alors qu'ils n'ont pas de revenu fixe.

Je ne sais pas si le fait d'entrer dans la vie adulte comporte le risque d'avoir des difficultés financières sérieuses. Cet aspect ne concerne pas seulement les étudiants, mais aussi les gens qui n'ont pas d'emploi et à qui on accorde des cartes de crédit et des marges de carte de crédit. Il me semble que, dans le cours d'économie 101, généralement, il faut avoir un revenu pour emprunter, parce qu'il faut être en mesure de rembourser. Donc, lorsqu'on n'a aucun revenu, quelle règle s'applique à ce moment-là? Nos banques sont tout de même régies par le gouvernement fédéral. Notre loi se trouve dans un document de six pouces d'épaisseur.

Est-ce que cela signifie que, dans toutes les institutions financières, aucune règle ne s'applique aux conditions que les gens doivent respecter pour emprunter? Il est bien beau d'accorder des prêts, mais si les personnes sont incapables de rembourser, qui va payer la note?

La sénatrice Ringuette : Je comprends votre question et vos préoccupations. Le but de mon projet de loi n'est pas de fixer des règles liées aux risques supportés par les banques ou les institutions financières. Il s'agit plutôt d'essayer de responsabiliser un taux d'intérêt criminel pour les consommateurs canadiens.

La vice-présidente : Je tenais pour acquis que c'était pour la protection du consommateur. Si on reprend l'exemple typique du sénateur Maltais, selon lequel un consommateur a 1 000 $ sur sa carte de crédit et ne verse que 10 $ à la fin du mois. Vous avez dû faire le calcul. Ce consommateur doit probablement au-delà de 1 500 $, sinon plus. Le résultat est que le consommateur aura payé 120 $ en versant les 10 $ minimums mensuels, s'il a ces 10 $.

La sénatrice Ringuette : Vous voulez savoir ce que l'on devrait faire dans de tels cas?

La vice-présidente : Oui.

La sénatrice Ringuette : Si j'avais la réponse, j'aurais aussi un projet de loi pour régler ce problème. J'aimerais profiter de l'occasion pour vous dire que chaque fois qu'on débat la question des cartes de crédit ou des taux d'intérêt, et cetera, l'entité qui vient témoigner pour les institutions financières, c'est l'Association des banquiers canadiens, qui n'a jamais de réponse aux questions comme celles que vous venez de me poser.

Les règles varient d'une institution à une autre, que ce soit la Banque Royale, la Banque de la Nouvelle-Écosse, la CIBC, et cetera. Pour que l'on puisse obtenir des réponses à nos questions, il faudrait que la direction de chacune des banques comparaisse devant notre comité. En réalité, ce sont les institutions financières qui connaissent leurs chiffres.

Il faudrait arrêter de se contenter des présentations et des commentaires de l'Association des banquiers canadiens, qui, selon mon expérience de longue date à ce comité, ne peut jamais nous donner de réponse fixe. Je crois que notre comité devrait prendre une autre direction pour obtenir des réponses plus claires.

La vice-présidente : Je prends note de votre commentaire et, lorsqu'on établira la liste des témoins qui seront entendus au sujet de votre projet de loi, j'en discuterai avec le président, mais en ce qui me concerne, je pense que la question est plus large que cela.

Vous avez parlé plus tôt des sociétés qui œuvrent dans le domaine des médias. Vous avez parlé d'une compagnie qui chargeait jusqu'à 41 p. 100.

La sénatrice Ringuette : 42,87.

La vice-présidente : Je pense que tous les services publics qui, eux, ne sont certainement pas... et maintenant, je ne sais pas si c'est la même chose dans le reste du Canada, maintenant, on peut payer dans les supermarchés avec notre carte de crédit, ce qui était impossible dans le passé. Cela veut dire que, maintenant, pour pouvoir manger, les gens doivent très souvent utiliser leur carte de crédit, parce qu'ils n'ont pas d'argent pour acheter de la nourriture. Je vous dis cela, parce qu'on parle d'un taux d'endettement de 160 p. 100 et plus, soit 21 000 $ par personne. Entre vous et moi, je pense qu'il n'y a pas seulement nous, mais aussi le gouverneur de la Banque du Canada et d'autres acteurs qui s'inquiètent du dossier et se demandent comment nous allons faire pour réduire ce taux d'endettement. C'est pourquoi je vous parle de la possibilité qu'ont les gens de s'endetter, souvent pour des raisons extraordinaires. Par exemple, lorsqu'on a un accident, ou qu'on est malade, je peux comprendre qu'on ne reçoive pas nécessairement de revenu, mais lorsqu'on vous offre une carte de crédit et que vous n'avez aucun revenu, je me pose de sérieuses questions.

Nous examinerons cette question attentivement. Merci beaucoup, chers collègues.

(La séance est levée.)


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