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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 8 avril 2014


OTTAWA, le mardi 8 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 10 h 3, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, invités et membres du public qui suivez les délibérations d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous entamons l'examen préalable du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois en conséquence. Ce projet de loi propose des amendements touchant à de nombreux aspects de la Loi électorale du Canada, de même que des amendements connexes à la Loi sur les télécommunications, à la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et à la Loi sur le directeur des poursuites pénales, entre autres mesures visées. Le projet de loi est actuellement examiné par le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre qui a déjà entendu un certain nombre de témoins sur certains de ces éléments. Notre comité a maintenant pour tâche d'entamer des audiences publiques sur les questions visées par le projet de loi afin de pouvoir faire rapport de ses conclusions avant que ce texte ne soit déposé au Sénat.

Pour lancer ces délibérations, je suis heureux d'accueillir au comité l'honorable Pierre Poilievre, ministre d'État à la Réforme démocratique, qui est accompagné de fonctionnaires du Conseil privé : Isabelle Mondou, secrétaire adjointe du Cabinet, Opérations juridiques, et Marc Chénier, agent principal du Bureau du Conseil privé, conseiller, Réforme démocratique.

Bienvenue, monsieur le ministre. Nous allons commencer par votre déclaration liminaire.

[Français]

L'honorable Pierre Poilievre, C.P., député, ministre d'État (Réforme démocratique) : Je remercie le comité de m'avoir invité. Vous êtes un groupe très distingué et vous possédez d'énormes connaissances dont j'aimerais beaucoup m'inspirer. J'ai hâte d'entendre vos questions. Je suis accompagné de Mme Mondou et de M. Chénier, du Bureau du Conseil privé. Ils sont experts dans les questions techniques. De temps à autre, j'aurai la chance de leur donner la parole pour compléter mes connaissances personnelles.

[Traduction]

Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais donc entamer mes observations.

La Loi sur l'intégrité des élections est à la fois raisonnable et logique. Grâce à cette loi, la démocratie sera entre les mains des citoyens, puisque ceux qui ont des intérêts spéciaux ou qui enfreignent les règles seront écartés. Avec ce projet de loi, il sera plus difficile d'enfreindre la loi et plus facile d'exercer son droit de vote. Il éliminera les lacunes de la loi qui permettent actuellement à l'argent d'avoir une influence indue et imposera de nouvelles sanctions aux imposteurs qui font des appels frauduleux. Les forces de l'ordre disposeront de pouvoirs accrus, d'un plus grand rayon d'action et d'une plus grande marge de manœuvre. Cette mesure protègera les électeurs contre les appels frauduleux et l'usurpation d'identité grâce à un registre public où seront obligatoirement consignés tous les appels groupés, une peine d'emprisonnement est prévue pour toute personne se faisant passer pour un fonctionnaire électoral et les sanctions prévues en cas de tromperie des électeurs sont augmentées.

Comme je le disais, ce texte confère davantage de pouvoirs au commissaire, puisque celui-ci pourra imposer des sanctions plus lourdes pour les infractions prévues dans la loi. Il disposera d'un plus grand rayon d'action grâce auquel il pourra appliquer plus d'une dizaine de nouvelles infractions afin de contrer l'influence indue de l'argent ainsi que les appels et les votes frauduleux. Enfin, le commissaire sera entièrement indépendant, il administrera lui-même son personnel et ses enquêtes et sera nommé pour un mandat fixe de sept ans, ce qui veut dire qu'il ne pourra être révoqué sans motivation.

Ce projet de loi exige la production de pièces d'identité pour pouvoir voter. Cela ne veut pas forcément dire que ces pièces d'identité doivent comporter une photographie ni même être émises par le gouvernement; cela n'est absolument pas exigé des personnes désireuses de voter à l'occasion d'élections fédérales. En vertu du pouvoir discrétionnaire juridique dont dispose Élections Canada, 39 pièces d'identité sont autorisées, allant des factures de services publics au certificat du statut d'Indien, en passant par les cartes d'étudiant et les lettres d'attestation des soupes populaires, des résidences pour étudiants, des foyers d'accueil pour sans-abri et des bandes autochtones. Grâce à cette liste complète, les gens seront en mesure de produire toutes les pièces d'identité exigées pour voter.

La mesure énonce des règles claires, prévisibles et faciles à suivre. Les partis auront le droit de demander qu'Élections Canada leur communique ses décisions et interprétations d'avance, dans les 45 jours suivant toute requête en ce sens, un peu comme le fait l'Agence de revenu du Canada. Élections Canada devra aussi tenir un registre des interprétations et devra consulter et aviser les partis avant de modifier ces interprétations.

L'argent des groupes d'intérêt spéciaux peut avoir une forte influence et étouffer la voix de monsieur et madame Tout-le-monde. C'est précisément ce que nous cherchons à éviter par cette loi. La Loi sur l'intégrité des élections interdira de recourir aux prêts pour s'affranchir des limites imposées sur les dons. Cependant, ce projet de loi permettra aux partis de mieux financer les initiatives démocratiques grâce à une légère augmentation du plafond des dons tout en imposant des vérifications et des sanctions plus sérieuses pour faire respecter les limites en place.

La Loi sur l'intégrité des élections apportera de légères modifications au plafond des dépenses; la limite concernant les dons passera à 1 500 $ et celle des dépenses augmentera de 5 p. 100. L'interdit total de faire des dons qui frappe actuellement les syndicats et les sociétés sera maintenu.

Le service à la clientèle sera amélioré parce qu'Élections Canada devra axer ses publicités sur les éléments fondamentaux des élections, soit le lieu et la date des élections de même que les pièces d'identité dont il faudra se munir pour voter.

Par ailleurs, la Loi sur l'intégrité des élections imposera à Élections Canada de renseigner les électeurs qui souffrent d'un handicap à propos des services supplémentaires qui leur sont offerts afin de les aider à voter. Il n'est pas rare que les rampes d'accès pour chaises roulantes et des services en braille soient offerts dans les bureaux de scrutin, mais que les personnes qui en ont besoin l'ignorent. La loi exigera d'Élections Canada de renseigner ces personnes au sujet de ce genre de service.

La loi prévoit une journée de plus pour les élections anticipées afin de rendre le vote plus accessible. Deux éléments découragent les gens d'aller voter : la motivation et l'information. La motivation découle de l'action des partis politiques et des candidats. Quant à l'information, elle dépend de ce que fait l'organisme responsable. L'information en question porte sur le lieu, la date et les modalités du vote. Les Canadiens ne sont pas forcément au courant, bien qu'ils devraient l'être, de certaines modalités spéciales, comme le vote par courrier, le vote au bureau d'Élections Canada ou encore le vote par anticipation. C'est d'ailleurs à cette dernière priorité, celle de produire des renseignements, que devra surtout servir le budget publicitaire d'Élections Canada après l'adoption de la Loi sur l'intégrité des élections.

Ce projet de loi a provoqué tout un débat. Le DGE s'est opposé à cette mesure, mais je vous affirme avoir la conscience tranquille. En réalité, malgré toutes les améliorations et les modifications qu'on pourra apporter à ce projet de loi, le DGE continuera de s'y opposer. Ses recommandations se ramènent à trois choses fondamentales qu'il réclame : il veut plus de pouvoirs, un budget plus important et moins de comptes à rendre. Les amendements qui seront étudiés à l'étape de la dernière mouture du projet de loi n'iront pas dans ce sens.

Je n'ignore pas ses recommandations; je les comprends très bien, si ce n'est que je ne suis pas d'accord avec elles. Nous vivons dans une démocratie où les lois sont décidées par les parlementaires, sur l'avis des hauts fonctionnaires du Parlement. Le DGE est au service du Parlement, et ce n'est pas l'inverse. Nous sommes en démocratie. Quand un responsable d'un organisme gouvernemental réclame plus de pouvoirs, c'est à lui qu'il revient de prouver le bien-fondé de ce qu'il réclame. Prenons quelques-uns des nouveaux pouvoirs que réclame le DGE.

Premièrement, et je vous cite une de ses recommandations pour comprendre sa position : « Exiger des partis politiques, à la demande du directeur général des élections, qu'ils produisent tous les documents nécessaires pour assurer leur conformité. » Arrêtons-nous un instant à cela : il est difficile d'imaginer quels pouvoirs réclame le DGE qu'il n'a pas déjà. Afin de s'acquitter de ses fonctions, doit-il être investi du pouvoir d'effectuer des remboursements aux partis politiques après les élections? En vérité, chers collègues, il dispose déjà de ce pouvoir. Aux termes des articles 430 à 435 de l'actuelle Loi électorale du Canada, les partis doivent lui soumettre une comptabilité détaillée des dépenses électorales. Le paragraphe 430(1) se présente ainsi :

Dès que possible après une élection générale, le vérificateur du parti enregistré fait rapport à l'agent principal de sa vérification du compte des dépenses électorales dressé pour cette élection. Il fait les vérifications qui lui permettent d'établir si, selon les normes de vérification généralement reconnues, le compte présente fidèlement les renseignements contenus dans les écritures comptables sur lesquelles il est fondé.

Autrement dit, le vérificateur doit, aux termes de ces dispositions, signaler chaque fois qu'un rapport de parti est incomplet, qu'il ne présente pas fidèlement les états financiers ou qu'il manque des documents financiers appropriés.

En vertu de l'alinéa 435(1)a) de l'actuelle Loi électorale du Canada, le DGE n'est tenu de rembourser les partis que « s'il » est convaincu que les partis se sont entièrement pliés aux exigences concernant le rapport. Autrement dit, s'il veut plus de renseignements, il lui suffit d'en faire la demande. S'il n'obtient pas les données réclamées, il peut refuser d'autoriser le remboursement des partis. Le DGE peut simplement refuser de verser l'argent, plutôt que de s'en remettre à un nouveau pouvoir devant lui permettre d'exiger la production de documents.

Cela soulève une question justifiée. Qu'adviendrait-il si Élections Canada avait déjà versé le remboursement à un parti pour se rendre compte, après coup, qu'il y a eu un problème dans les déclarations faites par ce parti? À ce moment-là, il s'agirait d'une déclaration fausse ou trompeuse dans le rapport envoyé à Élections Canada, ce qui constitue une infraction aux termes des articles 427 et 431 de la loi actuelle et le DGE pourrait communiquer ce genre d'allégation au commissaire, chargé de l'enquête. Il y aurait donc enquête et le commissaire, par le truchement d'un juge, pourrait réclamer l'accès à tout document et à toute information nécessaires. Ce pouvoir relève du commissaire qui en dispose déjà, et non du DGE.

Monsieur le président, le pouvoir que réclame le DGE d'exiger la production de certains documents, risquerait, selon moi, de porter gravement atteinte à la vie privée des Canadiens. Il arrive souvent, par exemple, que des électeurs confient aux partis politiques qu'ils vont voter pour eux. Ils confient donc leur secret de l'urne à un parti en particulier. Cela ne revient pas pour eux à autoriser le parti en question à dévoiler leur intention à un organisme gouvernemental. Si l'organisme gouvernemental pouvait accéder sans limite à la base de données d'un parti, base de données renfermant les informations que l'électeur aurait décidé de confier au parti et non à un organisme gouvernemental, cette situation reviendrait à enfreindre la protection des renseignements personnels des électeurs.

Si, par exemple, Mme Jean disait au parti X qu'elle va voter pour lui, c'est qu'elle voudrait bien que cette information soit communiquée au parti. Elle n'aurait pas forcément donné l'autorisation que ce renseignement se retrouve en possession d'un organisme gouvernemental. Il y a donc lieu d'éviter que les intentions secrètes d'électrice de Mme Jean soient communiquées à un organisme.

En outre, Élections Canada a laissé entendre qu'il devrait avoir le pouvoir de contraindre à témoigner, avant même que des accusations ne soient portées. Eh bien, même les corps policiers ne disposent pas de ce genre de pouvoir quand ils font enquête sur des meurtres ou des vols à main armée. Ils parviennent à obtenir des inculpations même quand la preuve est complexe ou qu'ils ont affaire à des témoins réticents, sans pour autant disposer du pouvoir de contraindre à témoigner. Si Élections Canada ne peut pas faire la même chose, c'est qu'il y a sans doute lieu de se poser des questions sur les cas faisant l'objet d'enquêtes plutôt que sur les pouvoirs de l'enquêteur.

Passons maintenant à la question de l'indépendance du commissaire. En vertu de la Loi sur l'intégrité des élections, le commissaire aux élections fédérales devient indépendant du DG. La fonction d'enquête relèvera du Bureau du directeur des poursuites pénales, mais le commissaire disposera d'une autonomie juridique et pratique, qui sera précisée dans la loi, dans toutes ses enquêtes. Le commissaire actuel, Yves Côté, est invité à conserver son poste, tout comme son personnel, en fonction d'un mandat fixe de sept ans au bout duquel il pourra se rendre s'il le désire. Il conservera son personnel et n'aura pas à reprendre ses enquêtes. Toutes les enquêtes en cours se poursuivront sans interruption.

Il ne faut pas s'étonner que le DGE souhaite continuer de chapeauter le commissaire. Il lutte pour conserver ses pouvoirs jusqu'à formuler des affirmations incroyables et à inventer des principes juridiques pour y parvenir. Examinons donc les arguments avancés par Élections Canada à ce sujet.

Premièrement, l'organisme affirme que les enquêtes du commissaire sont déjà indépendantes. Cela n'est vrai ni dans la pratique, ni en droit. Il vous suffit de visiter le site web d'Élections Canada pour constater que l'organisme lui-même gère les relations avec les médias pour toutes les enquêtes effectuées par le commissaire. Je peux vous garantir qu'il vous suffit d'aller sur elections.ca pour voir que la personne-ressource pour toutes les enquêtes, dans tous les communiqués d'Élections Canada, est le responsable des relations avec les médias d'Élections Canada et qu'il y a un numéro 1-877 correspondant. Le DGE s'exprime régulièrement au sujet des enquêtes du commissaire. En outre, c'est lui qui engage le commissaire en vertu de l'article 509 et qui peut le congédier n'importe quand, puisque le commissaire sert à titre amovible. Le DGE détient un pouvoir légal en ce qui concerne le budget et le personnel du commissaire. Le commissaire n'est donc indépendant ni de fait, ni de droit.

J'attire votre attention sur l'article 510 de l'actuelle Loi électorale du Canada sous le titre « Enquête à la demande du directeur général des élections ». On peut y lire ce qui suit :

... le directeur général des élections ordonne au commissaire de faire enquête lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire [...] a commis une infraction à la présente loi [...] le cas échéant, le commissaire procède à l'enquête.

C'est bien cela, à la façon dont se lit actuellement le projet de loi, le directeur général des élections peut ordonner une enquête.

Afin de conserver sa mainmise sur les enquêtes, Élections Canada a remis en question l'indépendance du directeur des poursuites pénales, ce qui est pour le moins surprenant d'autant que cette charge vient d'un organisme qui collabore avec le DPP depuis sept ans. Depuis 2006, le Bureau du directeur des poursuites a pour responsabilité de porter des accusations en vertu des dispositions actuelles de la Loi électorale du Canada. Je vous cite le paragraphe 511(1) :

S'il a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la présente loi a été commise, le commissaire renvoie l'affaire au directeur des poursuites pénales qui décide s'il y a lieu d'engager des poursuites visant à la sanctionner.

Jamais, tout au long des sept dernières années, malgré l'existence de cette disposition, je n'ai entendu le DGE remettre en question l'indépendance avec laquelle le DPP engageait des poursuites pour des infractions à la Loi électorale du Canada. D'ailleurs, il n'y a pas si longtemps, Élections Canada encensait le DPP pour son « indépendance ». Je vous cite un extrait du rapport annuel 2012-2013 d'Élections Canada :

Depuis la création du Service des poursuites pénales du Canada en 2006, avec l'entrée en vigueur de la Loi sur le directeur des poursuites pénales, le DPP agit à titre d'autorité de poursuite indépendante chargée de mener les poursuites de compétence fédérale et de fournir des conseils juridiques aux organismes d'enquête.

Je répète ce qui a été écrit : « Le DPP agit à titre d'autorité de poursuite indépendante. » L'organisme a donc fait volte-face à cet égard et le DGE se trouve maintenant à lutter pour garder la mainmise sur cette fonction d'enquête. Il le fait en demandant à ses porte-parole de jeter le doute sur l'indépendance de ce bureau.

Une autre protection de l'indépendance du DPP et du commissaire découle de l'actuel article 2 de la Loi sur le directeur des poursuites pénales qui empêche explicitement le ministre de la Justice d'entreprendre des poursuites aux termes de la Loi électorale du Canada.

Je m'explique. L'article 2 de l'actuelle Loi sur le directeur des poursuites pénales précise bien que le ministre de la Justice et procureur général ne doit pas intervenir dans les poursuites entamées en vertu de la Loi électorale du Canada. C'est comme cela depuis sept ans et la Loi sur l'intégrité des élections n'y changera rien.

Ensuite, Élections Canada a fait valoir que l'enquêteur et le poursuivant ne devraient pas être logés sous le même toit en vertu d'un vieux principe. Eh bien, cela aussi constitue une affirmation pour le moins étonnante. Il y a à peine sept ans, l'enquêteur et le poursuivant faisaient non seulement partie de la même organisation, mais en plus, c'était la même personne. Avant 2006, avant la Loi fédérale sur la responsabilité, le commissaire aux élections du Canada était à la fois chargé des enquêtes et des poursuites. Ce qu'il y a de plus contradictoire dans tout ça, c'est que cette fonction était logée au sein d'Élections Canada. Il est étonnant, aujourd'hui, qu'Élections Canada vienne dire que cette cohabitation est inacceptable, tandis qu'elle existait au sein de ce bureau, il y a sept ans.

Il n'existe pas non plus de précédent indiquant que les pouvoirs d'enquête doivent être exclusivement confiés à des hauts fonctionnaires du Parlement. Les corps policiers, nationaux et provinciaux, relèvent de ministères. Ils peuvent, n'importe quand, effectuer des enquêtes délicates sur le plan politique. Ils font enquête sur des politiciens et les inculpent, pourtant ils appartiennent à la branche exécutive du gouvernement. La GRC fait enquête sur les membres du gouvernement et sur le Parlement, quand cela s'impose, mais ce corps policier ne relève pas pour autant du commissaire à l'éthique, du procureur général ni du commissaire à l'intégrité dans la fonction publique. Il fait partie de la branche exécutive du gouvernement.

Je n'ai jamais entendu un seul spécialiste crédible suggérer qu'il faille installer une antenne de la GRC dans un bureau du Parlement. En fait, je vous mets au défi de trouver, au Canada, un seul corps policier ayant une antenne chez un des agents d'une assemblée législative.

Laisser entendre qu'il existe un principe sacro-saint exigeant que le Bureau du DGE ou Élections Canada doive contrôler cette fonction est un concept entièrement nouveau qui ne repose sur aucun précédent. Comme je le disais, il n'y a pas d'autre bureau parlementaire qui soit investi du pouvoir de faire enquête ou de porter des accusations.

Par exemple, si le procureur général ou le commissaire à l'éthique étaient saisis d'une preuve de délit criminel, ce n'est pas eux qui engageraient les poursuites, puisqu'ils renverraient le dossier au corps policier responsable. Comme je le disais, le corps policier fait inévitablement partie de la branche exécutive du gouvernement. Les actuels pouvoirs d'enquête d'Élections Canada sont une exception et ne sont pas la règle.

Enfin, et plus étonnant encore, Élections Canada a argué du fait qu'il ne serait plus en mesure de communiquer avec le commissaire dès lors qu'ils ne seraient plus dans le même bureau. Eh bien, il y a encore les courriels, les téléphones et les télécopieurs et, s'il est nécessaire de se rencontrer en personne, ces gens-là pourront toujours se déplacer un peu à pied.

Cela étant posé, il y a tout lieu de penser que le DGE est en quête de justification pour garder la responsabilité des enquêtes. Or, cela doit cesser, parce que c'est inapproprié. La loi actuelle prévoit 34 infractions en lien avec la conduite des fonctionnaires d'Élections Canada. Comment le commissaire pourrait-il faire enquête de façon indépendante sur les employés de l'organisme, tandis qu'il en fait lui-même partie? Comment peut-on s'attendre à ce que le commissaire mène une enquête crédible sur un organisme pour lequel il travaille?

Grâce à la Loi sur l'intégrité des élections, le commissaire acquerra une nouvelle indépendance. En sa qualité d'administrateur adjoint, il aura la maîtrise de la dotation en personnel et personne ne pourra venir lui dire comment effectuer ses enquêtes. Le directeur général des élections conservera la liberté, tout comme d'autres Canadiens, de faire part des allégations et des preuves qu'il détiendra au commissaire qui pourra décider de faire enquête.

On trouve en outre dans la Loi sur l'intégrité des élections une disposition interdisant explicitement au directeur des poursuites pénales d'intervenir directement dans les enquêtes réalisées par le commissaire.

Permettez-moi de passer à la question de l'identification des électeurs. Élections Canada a fait valoir que les électeurs potentiels ne devraient pas avoir à présenter de pièces d'identité au moment de voter. Cette façon de voir est contraire à ce que les Canadiens font quotidiennement. Il faut des pièces d'identité pour obtenir un permis de mariage, pour prendre livraison de paquets ou de lettres retirés au bureau de poste et pour ouvrir un compte en banque. D'aucuns disent qu'il ne s'agit pas de droits constitutionnels et que nous ne sommes donc pas dans le même cas de figure. Mais depuis quand un droit constitutionnel exonère-t-il les gens de produire des pièces d'identité?

L'article 6 de la Charte confère un droit de mobilité aux citoyens : « Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir. » Il faut cependant un passeport pour sortir du pays et, pour obtenir un passeport, il faut une pièce d'identité.

Pour ce qui est d'entrer au Canada, voici ce qu'on peut lire sur le site web de l'Agence canadienne des services frontaliers : « Assurez-vous d'avoir en main les pièces d'identité requises pour vous-même et pour tous les enfants qui voyagent avec vous afin de prouver que vous avez le droit légal d'entrer au Canada. »

Il faut parfois produire une pièce d'identité pour se prévaloir de ses droits constitutionnels, comme l'a confirmé la Cour suprême du Canada dans son arrêt Opitz c. Wrzesnewskyj [2012] :

Toutefois, contrairement au rejet d'un bulletin de vote valide, le fait de refuser l'accès aux urnes à un électeur le jour du scrutin ne prive pas définitivement cet électeur de son droit de vote. Si l'électeur n'a pas pu se conformer initialement à une procédure obligatoire, en fournissant un effort additionnel, il peut revenir au bureau de scrutin et obtenir un bulletin de vote.

Un peu plus loin, on peut lire dans la même décision :

Favoriser la participation au scrutin constitue l'une des pierres angulaires de la Loi, mais il ne s'agit pas d'un objet isolé. La Loi a aussi pour objet principal de préserver l'intégrité du processus démocratique. Les procédures qui permettent aux électeurs ayant le droit de voter de participer au scrutin servent également à empêcher les personnes qui n'ont pas ce droit d'y participer. Ces mesures de contrôle visent à contrer le risque de fraude, de manœuvre frauduleuse et de perpétration d'un acte illégal et à préserver la perception qu'a le public de l'intégrité du processus électoral. [...] L'application équitable et uniforme des mesures de contrôle prévues par la Loi contribue à accroître la confiance du public dans l'équité du processus électoral et sa confiance dans le gouvernement lui-même, toutes deux essentielles au bon fonctionnement d'une démocratie [...]

La cour a affirmé que l'attribution du droit de vote n'est pas un droit indépendant affranchissant les personnes de la nécessité de se munir d'une pièce d'identité; la cour affirme plutôt que la nécessité de prouver son identité pour établir son droit de vote est légitime en vertu de la Constitution.

Il existe des protections contre les fraudes électorales. Lors des dernières élections, les protections associées au vote par voie de répondant ont été enfreintes 50 735 fois. Il s'agissait d'irrégularités. Certains ont soutenu que ce n'étaient que des erreurs administratives, sans conséquence. Tel n'est pas le cas.

En réalité, dans le rapport même d'Élections Canada, il est dit que ces irrégularités ont été suffisamment graves pour qu'un tribunal décide d'annuler les résultats d'une élection ou d'invalider un scrutin.

Voici ce que la Cour suprême a déclaré au sujet du lien entre des irrégularités et d'autres infractions graves, et cela se trouve au paragraphe 42 de la décision Opitz c. Wrzesnewskyj :

Le mot « irrégularité » fait partie du groupe de termes suivant : « irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ». Ces termes évoquent une grave inconduite. Considérer que le terme « irrégularité » s'entend de toute erreur administrative reviendrait à l'interpréter en faisant abstraction des mots connexes.

Puis, au paragraphe 43, on peut lire :

Les termes « irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal » ont pour dénominateur commun la gravité de la conduite et ses répercussions sur l'intégrité du processus électoral. Une fraude, une manœuvre frauduleuse ou un acte illégal sont des inconduites graves. Ce sont des inconduites qui ébranlent le processus électoral. Quand il a associé le terme « irrégularité » à ces mots, le législateur avait forcément à l'esprit les erreurs administratives graves qui peuvent miner l'intégrité du processus électoral.

C'est ainsi que la Cour suprême définit le terme « irrégularités ». À l'heure où nous nous lançons dans un débat sur le sens des mots, il nous faudrait tenir compte de ce que le plus haut tribunal du pays a dit à ce sujet, d'autant que sa décision portait sur une élection contestée et qu'elle était essentiellement fondée sur une question de vote par voie de répondant.

Enfin, permettez-moi de vous parler de transparence. En ma qualité de ministre, je suis tenu de divulguer mes intérêts financiers afin que la population puisse juger de mes actions sur pièces. Cela ne revient pas à dire que le fait pour moi de posséder quelques avoirs me rend automatiquement suspect d'entretenir des visées scélérates. Au contraire, je divulgue ces intérêts parce que je ne doute absolument pas de pouvoir m'acquitter de mes fonctions, quels que soient les intérêts en question, et que je suis prêt à être jugé en conséquence par la population.

Nous avons appris que certains témoins qui ont comparu devant le comité de la Chambre sont payés par Élections Canada. Il n'y a rien de mal à cela. Le site Internet de l'agence nous apprend qu'Élections Canada verse des indemnités journalières de 1 500 $ à certains des témoins, pour se faire conseiller par eux, témoins qui ont comparu devant le comité. Cette situation ne devrait pas empêcher ces témoins de témoigner ou d'émettre des opinions. Cependant, il conviendrait qu'Élections Canada vous communique ce renseignement afin que vous soyez au courant et que vous puissiez en tenir compte dans le jugement que vous porterez sur ce projet de loi.

Les comités parlementaires ne devraient pas avoir à fouiller dans le site d'Élections Canada pour y dénicher ce genre de renseignements. Le DGE devrait spontanément divulguer aux comités de la Chambre et du Sénat les renseignements concernant tous les témoins payés par Élections Canada. C'est raisonnable, ce serait une preuve d'intégrité, la même intégrité que celle recherchée par la loi éponyme.

Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur le ministre. Je crois savoir que vous avez jusqu'à 11 h 30 pour répondre à nos questions.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur le ministre, d'être venu à notre rencontre.

Le ministre a cité un arrêt de la Cour suprême du Canada, mais il aurait pu également citer un passage de la décision Sauvé c. Procureur général de cette même Cour suprême. Plus récemment encore, il y a deux ou trois mois, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a rendu la décision Henry v. The Chief Electoral Officer concernant les modifications apportées à la Loi électorale du Canada en 2007 et en 1997, en ce qui concerne l'identification des électeurs dans les bureaux de scrutin.

À l'époque, le gouvernement du Canada avait plaidé ainsi, et je vais vous citer un passage du paragraphe 352 de la décision Henry c. Canada :

La troisième possibilité qui répond aux exigences en matière d'identification est le vote par voie de répondant. Le Canada fait valoir que cette procédure favorise l'accessibilité et constitue une solution de remplacement permettant à la personne qui ne détient pas de pièces d'identité d'exercer son droit de vote si un autre électeur répond d'elle...

Autrement dit, le gouvernement du Canada a soutenu que le fait de recourir à un répondant constitue une solution de remplacement à la production de pièces d'identité. Cela étant, les dispositions concernées de la Loi électorale ont été entérinées par la cour. On nie ici le caractère négatif des changements.

Voici maintenant que le directeur général des élections vient dire à un comité de la Chambre des communes que des dizaines de milliers de personnes seront privées de leur droit de vote.

Voici ce que dit l'article 3 de la Charte :

Tout citoyen canadien a le droit de vote et il est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

Je ne pense pas que cet article puisse être renversé par la disposition de dérogation.

C'est ainsi qu'est créée une violation aux dispositions de la Charte face à une telle prépondérance des preuves, non pas hors du doute raisonnable. Le directeur général des élections, celui-là même que vous avez désigné pour appliquer ce projet de loi, vient dire que des dizaines de milliers de personnes perdront leur droit de vote.

Normalement, le ministère de la Justice approuve les projets de loi avant qu'ils ne soient déposés à la Chambre des communes, pour en garantir la constitutionnalité. Pourquoi donc le ministère de la Justice a-t-il confirmé la constitutionnalité de cette mesure et qu'avez-vous à dire aux dizaines de milliers de Canadiens qui ne seront pas en mesure de voter la prochaine fois?

M. Poilievre : Je réfute cet argument. J'ai ici la liste des 39 pièces d'identité que les gens pourraient présenter pour s'identifier. Il convient de se rappeler que, contrairement à de nombreux États américains, au Canada, nous n'avons pas à présenter de pièces d'identité avec photo ou émises par le gouvernement pour s'identifier. Il existe 39 pièces d'identité variées dont 13 comportent une adresse. Il suffit d'en présenter 2 sur 39 dont une comportant l'adresse ou alors une pièce d'identité émise par le gouvernement pour pouvoir s'identifier.

Je crois important de s'arrêter à ce que contient cette liste, parce qu'on voit bien qu'on a songé aux personnes pouvant avoir de la difficulté à posséder une pièce d'identité courante avec photographie.

Un certificat du statut d'Indien est admissible; tout comme la carte d'assurance-maladie, un bracelet d'hôpital, une carte de bibliothèque, une carte de santé d'Anciens Combattants Canada, une carte de l'Institut national canadien pour les aveugles — laquelle, soit dit en passant, comporte bien souvent une adresse et je crois qu'Élections Canada devrait l'envisager comme preuve d'adresse. Et puis, il y a aussi des pièces de correspondance, comme une lettre d'attestation d'une bande indienne, d'une résidence pour étudiants, d'une soupe populaire ou d'un refuge pour les sans- abri. On se retrouve donc avec une abondance de possibilités pour les Canadiens désireux de prouver leur identité et leur lieu de résidence au moment de voter.

Le sénateur Baker : Il demeure que le directeur général des élections a donné différents exemples à l'appui de ses remarques : deux personnes âgées vivant sous le même toit et une seule d'elles recevant le courrier. Il a mentionné d'autres cas de personnes dans les établissements de soins de longue durée où l'administrateur peut refuser d'émettre une attestation. Aucune loi ne l'y oblige. La loi électorale ne le contraint pas à le faire et il peut simplement refuser. Des étudiants peuvent ne pas avoir d'adresse permanente ou ne pas être en mesure d'en faire la preuve. Tous ces exemples qu'il a fournis à votre comité de la Chambre des communes montrent que, selon la prépondérance des probabilités, il a raison d'affirmer que des dizaines de milliers de personnes ne pourront pas voter.

M. Poilievre : Il vaut peut-être mieux parler de cas précis, plutôt que de s'en tenir à des généralités. Alors, traitons des cas dont vous avez parlé.

Tout d'abord, les personnes âgées. Celles de plus de 65 ans, seraient admissibles à la Sécurité de la vieillesse et elles pourraient disposer d'un relevé à cet effet, lequel est régulièrement posté et contient les renseignements recherchés. Un chèque ferait tout aussi bien l'affaire, puisqu'il apparaît sur la liste des 39 pièces d'identité.

Quant aux étudiants, ils pourraient présenter leur carte d'étudiant, de même qu'une lettre de leur résidence, s'ils résident sur le campus.

Vous venez de donner deux exemples et je viens de vous répondre pour vous expliquer en quoi ces pièces pourraient servir.

Le sénateur Baker : Ça ne couvrirait pas tous les cas de figure.

La sénatrice Frum : Merci beaucoup, monsieur le ministre. Comme vous l'avez justement fait remarquer, ce projet de loi a suscité bien des débats et bien des oppositions. Permettez-moi de vous lire l'extrait d'un éditorial du Globe and Mail :

L'obsession du gouvernement Harper à crier à la fraude électorale lors d'élections fédérales frise l'absurdité. Tous les spécialistes de la question sont parvenus à la même conclusion au terme d'une analyse détaillée. Ce risque n'existe pas.

Comment répondez-vous à cette affirmation qu'il n'y a pas de fraude électorale au Canada et qu'il est absurde de chercher à régler ce problème par le biais de la Loi sur l'intégrité des élections?

M. Poilievre : Je dirais deux ou trois choses. Premièrement, tant qu'on ne vérifie pas, on ne sait pas. Lors des dernières élections, 50 735 irrégularités ont été commises en rapport avec le vote par voie de répondant. Personne n'affirme qu'il y a eu fraude dans chacun de ces cas. Cependant, les règles sont des protections; selon Élections Canada, il s'agit de protections contre la fraude. Or, quand ces protections sont enfreintes 50 735 fois, le risque de fraude est bel et bien présent.

Lors du dernier scrutin, Élections Canada n'a pas tenu de registre sur l'identité des électeurs et de leurs répondants dans 45 000 cas. Comment peut-on confirmer qu'un tel ou untel n'a pas voté plus d'une fois ou n'a recouru à un répondant plus d'une fois s'il n'y a pas de registre?

Quarante-cinq mille irrégularités, ce n'est pas rien, sur un total de 120 000. On parle grosso modo du tiers de tous les cas d'attestation d'identité lors des dernières élections.

Après avoir entendu le témoignage du DGE à ce sujet, je suis encore plus déterminé à exiger de vraies pièces d'identité parce que le DGE a simplement considéré que cette masse incroyable d'irrégularités était hors propos ou sans importance, ce qui donne à penser qu'il n'envisage pas de les régler. Je suis donc plus convaincu que je l'étais avant.

Je dois dire que la réaction de monsieur et de madame Tout-le-monde à ce sujet a été très forte. Les Canadiens estiment qu'il faut exiger des pièces d'identité.

J'ajouterai autre chose. L'autre jour, le Globe and Mail a publié un éditorial très intéressant sous la plume de Konrad Yakabuski, je crois. Il expliquait ce qui était exigé aux États-Unis pour voter et a fait une comparaison entre ce qui se fait là-bas et ce que nous exigeons ici. Outre le fait que cette comparaison est absurde, parce que les États américains exigent la production de pièces d'identité avec photo, contrairement à nous, le journaliste dénonce la suppression du vote parce que, dans un État, on vient de supprimer un jour de vote par anticipation.

La Loi sur l'intégrité des élections se trouve à ajouter une journée de vote par anticipation, ce qui veut dire que non seulement nous n'appliquons pas les politiques américaines qu'il critique, mais nous faisons précisément l'inverse. Nous facilitons le vote pour les Canadiens en leur accordant une journée supplémentaire de vote par anticipation et en exigeant d'Élections Canada que cette journée soit annoncée dans ses publicités.

La sénatrice Frum : Parmi ceux qui sont prêts à reconnaître la gravité de cette situation, soit qu'un tiers des votes par voie de répondant peuvent être frauduleux, d'aucuns pourraient dire : « Eh bien si c'est cela, pourquoi ne pas régler ce système de garant? »

M. Poilievre : Il est raisonnable, quant à nous, de s'attendre à ce que les électeurs désireux d'exprimer leur choix présentent une forme quelconque de pièce d'identité. On exige bien d'eux qu'ils présentent une pièce d'identité quand ils veulent franchir la frontière, qui est un autre droit constitutionnel. On exige aussi d'eux qu'ils présentent une pièce d'identité produite par le gouvernement pour exercer toutes sortes de droits fondamentaux et nous estimons qu'il incombe raisonnablement aux gens de choisir parmi les 39 possibilités qui leur sont offertes en vertu de l'actuel système électoral.

La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur le ministre, de vous être rendu à notre invitation et de nous avoir fourni des explications détaillées. Le sénateur Baker vous a posé une question et je n'ai peut-être pas compris la réponse. Avez- vous dit que votre ministère a étudié la constitutionnalité de cette loi et confirmé qu'elle est conforme à la Charte?

M. Poilievre : J'ai envisagé la légalité de ce projet de loi et je suis convaincu qu'il est conforme à la Constitution.

La sénatrice Jaffer : La question de l'identité me préoccupe. J'ai été heureuse de vous entendre dire qu'il n'est pas nécessaire de présenter une pièce d'identité avec photo. Avez-vous dit qu'une des pièces d'identité devrait comporter l'adresse?

M. Poilievre : Oui. Vous avez deux possibilités en vertu de la Loi sur l'intégrité des élections. Vous pouvez d'abord produire une pièce d'identité émise par le gouvernement, avec photo, ou choisir deux pièces, n'importe lesquelles, sur les 39 proposées, pour confirmer votre adresse.

La sénatrice Jaffer : Pour ce qui est des Autochtones, je crois savoir que le certificat de statut d'Indien ne comporte pas d'adresse. Peter Dinsdale, PDG par intérim de l'Assemblée des Premières Nations, a déclaré dans son témoignage que les changements envisagés sont tels qu'il sera plus difficile à un Indien d'aller voter et que cette mesure est rétrograde.

Je comprends ce que vous dites, monsieur le ministre, et ce débat va porter sur la question de l'identification. Après l'adoption du projet de loi, que ferez-vous pour permettre aux Autochtones qui n'ont pas d'adresse dans leur réserve d'aller voter?

M. Poilievre : En fonction de la liste actuelle, il leur serait aussi possible de produire une attestation de résidence signée par un responsable de la bande ou de la réserve de la Première Nation. Cela à supposer que l'électeur ne dispose pas d'une facture des services publics, d'une carte bancaire, d'une assurance de véhicule, ni d'une pièce de correspondance en provenance d'une université ou encore d'un relevé de prestations fédérales, d'un chèque d'un gouvernement, quel qu'il soit, d'un relevé des contributions à un régime de pensions, d'un bail ou d'une déclaration d'impôt personnel ou foncier — ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, bien sûr — ni de police d'assurance. Même quand on ne dispose d'aucune de ces pièces, il est encore possible de demander une lettre d'attestation de résidence à la bande ou à la réserve de la Première Nation.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, en réalité, il y a des Autochtones qui n'ont pas d'adresse. Ils n'en ont tout simplement pas. Je vous laisse réfléchir là-dessus et demandez-vous comment vous ferez en sorte qu'il leur soit possible de voter. Ils n'ont pas d'adresse de résidence.

D'après le directeur général des élections, Marc Mayrand, ce projet de loi va toucher 100 000 à 120 000 personnes, y compris des étudiants qui peuvent ne pas posséder de pièces d'identité portant leur adresse actuelle et je viens de vous dire qu'en général, les membres de Premières Nations vivant dans des réserves n'ont pas d'adresse de résidence.

Qu'envisagez-vous de faire pour vous assurer que chaque Canadien et chaque Canadienne, n'ayant pas en sa possession de pièce d'identité reconnue et n'ayant pas d'adresse fixe — songez aux sans-abri qui n'ont pas d'adresse — puissent aller voter?

Quand j'étais jeune avocate, les jours d'élection j'allais aider les sans-abri à voter. Ils n'avaient pas d'adresse. Comme vous le savez, tous les soirs, les sans-abri se retrouvent quelque part, mais pas toujours au même endroit d'un jour à l'autre. Ils n'ont pas d'adresse de résidence. Le lendemain, ils vont ailleurs. Comment ces personnes-là vont-elles pouvoir voter?

M. Poilievre : Vous posez une excellente question que le sénateur Pierre Claude Nolin a déjà posée au ministre Van Loan quand il s'est présenté devant ce même comité en 2007. Pour les élections, on considère en fait qu'un sans-abri réside là où il passe ses nuits ou prend ses repas. Par exemple, s'il revient quotidiennement à une soupe populaire pour ses repas ou dans un refuge pour passer ses nuits, et même s'il le fait de façon occasionnelle, on considérera que ces lieux sont sa résidence aux fins du vote.

Voilà pourquoi, parmi les 39 possibilités actuelles, on envisage qu'une soupe populaire ou un refuge pour sans-abri puisse émettre une lettre attestant que la résidence de la personne est la soupe populaire ou le refuge en question.

Permettez-moi de vous rappeler une chose : ce recours à un répondant ne permet pas de régler le problème des personnes qui n'ont pas de résidence fixe, parce qu'à un moment donné, il faut déterminer ce que la personne considère comme étant son lieu de résidence. Il n'est pas plus difficile de confirmer ce fait sous une forme écrite émanant d'une autorité qui dispense des services à cette personne que de le faire de façon orale.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, à quelques reprises dans l'année, je vais sillonner les rues de Vancouver en plein milieu de la nuit et, mois après mois, je remarque que ce sont les mêmes personnes qui couchent aux mêmes endroits. C'est leur domicile à eux. Ils n'ont pas d'adresse, mais ceux qui travaillent à leur contact ou qui couchent à côté d'eux vous diront que c'est bel et bien leur adresse, que c'est là qu'ils vivent. En vertu de cette nouvelle loi, ces personnes n'auront pas d'adresse et ne pourront pas voter. Est-ce le genre de réforme démocratique que nous voulons?

M. Poilievre : Ce n'est pas exact. L'existence ou la non-existence de l'adresse de ces personnes n'a rien à voir avec la disposition concernant le recours à un répondant. Au final, la loi exige déjà qu'on prouve sa résidence, quelle qu'elle soit, pour pouvoir voter. La Loi sur l'intégrité des élections ne change rien à cet égard.

Ce qui change, en revanche, c'est la façon d'établir l'adresse. La Loi sur l'intégrité des élections exige qu'on présente une des 39 pièces d'identité prévues à cette fin, dont certaines sont novatrices justement pour aider les gens qui n'ont pas d'adresse fixe.

La sénatrice Batters : Merci, monsieur le ministre, de vous être déplacé aujourd'hui et de rencontrer pour la première fois le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Je viens de la Saskatchewan, où vivent beaucoup d'Autochtones. Pouvez-vous nous expliquer l'attestation de résidence émise par une autorité responsable d'une bande ou d'une réserve de Première Nation pour qu'un Autochtone puisse prouver son adresse?

M. Poilievre : Tout à fait. Les Autochtones qui ne possèdent pas de pièce d'identité avec photo ou de pièce d'identité émise par le gouvernement, qui ne reçoivent pas de correspondance du gouvernement à la faveur, par exemple, de programmes d'assistance, peuvent se prévaloir d'une autre solution qui est l'attestation signée par une autorité responsable d'une bande ou d'une réserve de Première Nation.

Ce qui est intéressant à cet égard, c'est que l'autorité responsable en question peut fournir plusieurs lettres, tandis que, si l'on s'en remettait à une seule personne, celle-ci ne pourrait attester de l'identité que d'un seul autre électeur potentiel. Cette disposition serait beaucoup plus utile pour attester du lieu de résidence de plusieurs personnes dans une réserve, si celles-ci n'ont pas de pièce d'identité du gouvernement, que le vote par voie de répondant. Je crois que cela constitue une méthode très raisonnable grâce à laquelle les gens peuvent établir leur lieu de résidence et qui permet à l'autorité responsable d'une réserve de confirmer cet état de fait.

Cela étant, il n'est pas nécessaire que ces missives soient compliquées. Il n'est pas nécessaire d'écrire un roman. Une simple déclaration faisant état de l'identité de la personne et de son lieu de résidence suffira.

La sénatrice Batters : Merci.

Personnellement, j'estime qu'on devrait disposer d'autant de pièces d'identité pour aller voter que ce qu'on doit en produire pour aller louer un livre à la bibliothèque ou un film dans un magasin de vidéos, pour autant qu'il en existe encore. Par ailleurs, rares sont les provinces au Canada à permettre le vote par voie de répondant dans le cadre d'élections provinciales et je me demande si vous ne pourriez pas réagir à ce sujet.

M. Poilievre : Chaque province dispose de ses propres exigences en matière d'établissement du lieu de résidence et de l'identité des électeurs. Vous avez tout à fait raison; de nombreuses provinces n'autorisent pas le recours à des répondants. À ce que je sache, ces provinces n'ont pas été reconnues coupables d'avoir enfreint la Constitution tout simplement parce qu'elles n'ont pas accepté le vote par voie de répondant.

La sénatrice Batters : Quand vous avez parlé du directeur des poursuites pénales dans vos remarques liminaires, vous avez dit qu'il y a lieu de s'étonner que certains aient remis en question l'indépendance de ce haut fonctionnaire et je suis bien sûr d'accord avec vous. Quand j'étais chef de cabinet du ministre de la Justice en Saskatchewan, ce poste de haut fonctionnaire était considéré comme très important au sein du ministère de la Justice. Même si, techniquement, il relève du ministre de la Justice de la Saskatchewan, son indépendance obéit à un principe vital et très respecté par le cabinet du ministre. L'une des séances d'information les plus importantes à laquelle il nous était donné d'assister au cabinet du ministre consistait à nous rappeler l'indépendance du directeur des poursuites pénales. Pouvez-vous nous en dire davantage sur l'indépendance de ce poste?

M. Poilievre : Tout d'abord, toute personne affirmant que le poste de directeur des poursuites pénales n'est pas indépendant est en porte-à-faux par rapport à l'actuelle Loi électorale du Canada, parce qu'en vertu de cette loi, il faut forcément passer par le DPP pour qu'une infraction fasse l'objet de poursuites. Il est déjà responsable de ce genre de décision. Depuis sept ans qu'il occupe cette fonction, je n'ai jamais entendu dire qu'il ait manqué d'indépendance dans la façon dont il s'acquitte de ses fonctions. Je ne pense pas qu'Élections Canada ait jamais laissé entendre qu'il manquait d'indépendance ou que son travail ait fait l'objet d'ingérence politique. Je n'ai absolument jamais entendu d'allégation ni vu de preuve dans ce sens.

Ce n'est que depuis que nous avons recommandé de placer le commissaire dans le bureau du DPP que, soudainement, Élections Canada et ses porte-parole remettent en doute l'indépendance de ce haut fonctionnaire. C'est tout à fait extraordinaire venant d'un organisme qui, dans son rapport annuel de 2012-2013, le décrit comme un procureur indépendant. C'est bien ce qualificatif, « indépendant », qu'Élections Canada a décidé de retenir dans son propre rapport annuel pour décrire cette personne. L'organisme a donc fait volte-face, ce qui soulève bien des questions sur Élections Canada et sur la façon dont l'organisme s'est montré prêt à changer de position pour maintenir sa mainmise sur ce poste.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur le ministre. Vous êtes sûrement conscient que le droit de voter est un droit très important. D'ailleurs, c'est le droit qui est à la base de la citoyenneté d'un pays. Quand on est citoyen d'un pays, on a le droit de voter. C'est une condition essentielle et les lois de nombreuses provinces et de nombreux pays démocratiques établissent les critères de l'exercice du droit de vote. Non seulement il faut être citoyen, mais en plus il faut être âgé de 18 ans révolus et être résidant d'une province depuis un certain temps, et c'est d'ailleurs la même chose pour les élections à l'échelon fédéral.

Les tribunaux ont généralement reconnu l'existence de limites raisonnables à l'exercice du droit de vote, c'est-à-dire au droit de prendre part au processus démocratique de désignation d'un gouvernement et d'expression de ses orientations politiques.

Vous avez peut-être lu la décision rendue par le juge Mongeon, du Québec, jeudi dernier, dans le contexte de l'élection au Québec. Un étudiant de McGill aurait voulu voter et il a fait beaucoup de bruit durant la campagne pour cela, mais le juge Mongeon a rétabli un principe. Cette décision est très récente, puisqu'elle vient d'être rendue il y a 48 heures.

Nul ne conteste l'objectif qui est de prouver l'identité. Comme vous l'avez dit, la possibilité de prouver l'identité grâce à divers documents, et vous en avez énuméré 39, est parfaitement acceptée dans tous les pays démocratiques. Le problème, c'est que vous vous trouvez à retirer une façon de prouver l'identité, c'est-à-dire le recours à un répondant. Il est là le problème. Nous ne divergeons pas sur la nécessité d'établir l'identité des électeurs. Le problème, c'est que, avec cette loi, vous retirez l'article 143 qui est la possibilité donnée aux électeurs de recourir à un répondant.

Je suis, comme bien d'autres membres de ce comité, préoccupé par la constitutionnalité de ce projet de loi à cause de cet aspect. C'est le premier critère auquel doit répondre un projet de loi. Dans les huit dernières années, nous avons été saisis de nombreux projets de loi et chaque fois qu'un ministre a comparu devant nous, que ce soit le ministre de la Justice ou d'autres, nous lui avons demandé si son texte était « conforme à la Charte ». « Bien sûr, nous répondait le ministre de la Justice, le texte est conforme à la Charte. » Eh bien, nous savons ce qui s'est produit à la suite du récent arrêt de la Cour suprême dans la cause Nadon.

Le ministre était venu ici nous affirmer qu'il l'avait vérifié, et même mieux, nous avions accueilli deux anciens juges de la Cour suprême, de même que Peter Hogg, la grande autorité en la matière. Nous avions maintenu nos doutes au sujet de la constitutionnalité de la position du gouvernement et le plus haut tribunal du pays a confirmé que le projet de loi était inconstitutionnel.

En l'espèce, monsieur le ministre, je dirai que cette mesure, qui fait disparaître l'attestation de l'identité par le recours à un répondant, est inconstitutionnelle en vertu du critère Oakes établi par la Cour suprême. Ce critère énonce trois principes dont l'un est l'objet de la loi et un autre la proportionnalité des moyens employés pour parvenir à cet objet. Dans ce cas, il est question pour vous de répondre à l'objet déclaré qui est de combattre des irrégularités — et peut-être même des fraudes; mais il y a fraude même quand il y a production de pièces d'identité. Soit dit en passant, la fraude existe depuis toujours. Nous essayons de la limiter, mais elle existe.

Je dirais que vous n'avez pas respecté ce critère parce que, plutôt que de renforcer la formule du vote par voie de répondant, vous avez décidé d'éliminer complètement cette disposition. Vous auriez pu décider de renforcer le recours au répondant en demandant que deux personnes se portent garantes ou vous auriez pu demander que le garant fournisse davantage d'informations sur l'électeur ou qu'il prête serment ou encore vous auriez pu exiger des garants qu'ils fournissent deux pièces d'identité.

Il aurait été possible de modifier les conditions de recours à un répondant pour limiter le risque d'irrégularités ou de fraude, mais vous vous êtes dit : « Ça va, nous allons tout annuler. » Voilà pourquoi, je crois, il y a un problème dans la façon dont vous avez abordé le vote par voie de répondant.

Vous avez cité une cause, eh bien moi aussi, je vais en citer une. L'arrêt qui fait jurisprudence en matière de droit de vote est l'arrêt Figueroa de la Cour suprême, remontant à 2003, dans lequel le plus haut tribunal du pays a clairement indiqué qu'il faut adopter une interprétation large axée sur la représentation effective.

L'objet de l'art. 3 est la représentation effective. Cet article doit être interprété en fonction du droit de tout citoyen de jouer un rôle important dans le processus électoral, et non en fonction de l'élection d'une forme de gouvernement en particulier.

Le droit de participer est donc clairement établi.

Le président : Sénateur, je vous invite à poser votre question.

Le sénateur Joyal : Voilà le problème que me pose votre raisonnement. Vous le savez et j'admire votre détermination, mais nous savons tous que cet article sera contesté en justice. J'ai lu beaucoup trop d'avocats et de constitutionnalistes, et je retiens même ce qu'un ancien procureur général du Canada a dit à ce sujet pour savoir que cette disposition du projet de loi sera contestée devant les tribunaux. Et je ne suis pas du tout certain qu'elle survivra à un recours parce que le retrait de cette possibilité n'est pas proportionnel à l'objet de la loi. C'est ainsi que je vois les choses.

Êtes-vous d'accord ou pas? C'est ça ma question.

M. Poilievre : Je ne suis pas d'accord.

Le président : Alors, peut-on poursuivre?

Le sénateur Joyal : Alors, rendez-vous en cour.

M. Poilievre : Très bien.

Vous avez parlé de protections, sénateur. Le problème c'est que, lors des dernières élections, non seulement ces protections ont été enfreintes à 50 735 reprises, mais depuis lors, Élections Canada est venu nous dire que ces dérapages n'étaient pas très importants. Vous pourrez donc ajouter autant de protections que vous voulez, à terme, si elles ne sont pas respectées ou correctement administrées, elles seront sans valeur.

Quant à la question du droit constitutionnel de voter, songez donc à une forme de violation du droit de vote qui passe inaperçue à cause de votes qui n'auraient normalement pas dû être autorisés. Si vous votez légitimement et honnêtement pour le candidat A et que quelqu'un d'autre vote illégalement pour le candidat B, votre voix sera arithmétiquement annulée; vous aurez été dépourvu de votre voix constitutionnelle au chapitre parce que votre bulletin n'aura eu aucun poids. Il aura, à toutes fins utiles, été annulé à cause d'un vote normalement non admissible.

Ainsi, l'objectif qui est de veiller à la légitimité des électeurs est tout aussi important que celui qui consiste à s'assurer que tout le monde a le droit de voter. Nous pensons y arriver grâce aux 39 pièces d'identité prévues.

Le sénateur Plett : Je trouve étrange — mais je ne siège à ce comité que depuis quelques mois — qu'à chaque fois que notre gouvernement dépose un projet de loi, l'opposition et les médias commencent par crier à l'inconstitutionnalité. Alors, débattons d'abord et avant tout sur ce terrain. Je dirais que, dans la plupart des cas si ce n'est dans tous les cas, le gouvernement a fini par avoir gain de cause.

Avant de poser ma question, il y a une autre remarque que j'aimerais faire, soit que le fait de rendre plus compliqué l'exercice d'un droit ne vient pas à retirer le droit en question, mais à resserrer les règles. Je participe à des campagnes électorales depuis 40 à 45 ans et je constate qu'il y a de plus en plus de fraudes électorales, du moins ce fut le cas lors des dernières élections au Manitoba, puisqu'il a été prouvé qu'il y a eu fraude électorale dans un certain nombre de situations.

Je vous applaudis, monsieur le ministre, d'abord pour avoir déposé ce que j'estime être un très bon projet de loi qui ne va certainement pas priver les Canadiens du droit de voter, mais qui va plutôt aider les électeurs légitimes et honnêtes à voter pour le candidat de leur choix.

Ma question, monsieur le ministre, sera très simple : faut-il prouver qu'on est citoyen canadien pour voter?

M. Poilievre : Pour voter, il faut être citoyen canadien. Il n'existe pas de carte de citoyenneté qui permette d'en attester et il y a deux façons de prouver la citoyenneté : on peut être inscrit sur une liste d'électeurs ou on peut prêter un serment dans lequel il est fait mention de la citoyenneté. La Loi sur l'intégrité des élections prévoit l'imposition d'une amende de 50 000 $, je crois, à toute personne qui ment sous serment à propos de sa citoyenneté. Ce n'est pas une protection parfaite, mais c'est la meilleure à laquelle on ait pu penser étant donné l'actuel système d'identification de la citoyenneté ou, plus exactement, l'absence d'un tel système.

Le sénateur Plett : Merci.

M. Poilievre : Permettez-moi de réagir sur une chose qu'a dite le sénateur.

Nous sommes ici dans la branche législative du gouvernement. Ce n'est pas la branche judiciaire. Nous rédigeons les lois que nous pensons constituer de bonnes politiques publiques. Il n'appartient pas au législatif de diriger le judiciaire. J'apprécie que le législatif se prononce sur la constitutionnalité des mesures, mais je suis intimement convaincu que ce projet de loi est constitutionnel et je suis prêt à le défendre n'importe où.

Quand le sénateur d'en face, le sénateur Joyal, dit qu'il aimerait contester cette mesure, c'est son droit, mais la décision revient au judiciaire, pas au législatif.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre, pour votre intervention. Je veux m'assurer d'avoir bien compris le raisonnement qui sous-tend cette mesure législative.

Le projet de loi C-23 propose de modifier la Loi électorale du Canada et d'autres lois. À ce que j'ai cru comprendre, les amendements se veulent une réponse aux préoccupations soulevées par le directeur général des élections, et ils ont l'appui du comité de la Chambre des communes.

Ces amendements sont aussi une réponse aux rapports d'Élections Canada. De plus, certains des amendements qu'on retrouve dans ce projet de loi apparaissent aussi dans les projets de loi C-21 et C-40, deux mesures qui, comme vous le savez, sont mortes au Feuilleton. Enfin, un certain nombre d'amendements émanent du gouvernement.

Mon analyse est-elle exacte? Est-ce bien le raisonnement qui se cache derrière le projet de loi C-23, c'est-à-dire de répondre aux préoccupations soulevées par le directeur général des élections et par Élections Canada?

M. Poilievre : Non, le projet de loi ne vise pas simplement à répondre aux préoccupations d'Élections Canada.

Le sénateur McIntyre : Mais il a tout de même des liens avec d'autres projets de loi qui sont morts au Feuilleton, les projets de loi C-21 et C-40, si j'ai bien compris.

M. Poilievre : Par exemple, la Loi sur la responsabilité en matière de prêts liés à la politique était destinée à combler une lacune législative après l'établissement de plafonds par les gouvernements libéraux et conservateurs. On s'était rendu compte que des candidats à la direction des partis avaient effectué des emprunts non remboursés pour contourner le plafonnement des dons, mais Élections Canada n'avait pas mené d'enquête pour déterminer s'il s'était agi de tentatives délibérées pour contourner la disposition, ce qui aurait alors été une infraction aux termes de la loi. Nous nous trouvons donc à combler une lacune de taille. Voilà une des nombreuses raisons qui ont présidé à l'élaboration de la Loi sur l'intégrité des élections.

Même si nous avons retenu quelque 38 recommandations du directeur général des élections, le projet de loi n'est pas nécessairement destiné à répondre exclusivement à ses préoccupations. Nous en avons tenu compte, parce que nous sommes en démocratie et que chaque Canadien a voix au chapitre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'aimerais d'abord vous remercier, monsieur le ministre, d'être ici ce matin. On parle d'identification. Quand on arrive à l'aéroport, il faut s'identifier. Quand on arrive ici, au Parlement, il faut s'identifier. Je suis un peu surpris que, lorsqu'on choisit un gouvernement, on ne doive pas s'identifier. Il faut s'identifier.

J'ai été candidat aux élections de 2011. Je suis convaincu que le projet de loi C-23 est un bon projet de loi et que c'est une nette amélioration au processus électoral.

À votre avis, pensez-vous que les Canadiens seront plus enclins à aller voter sachant que leur vote sera protégé contre la fraude électorale et qu'Élections Canada va devoir administrer la loi de manière plus cohérente?

M. Poilievre : Absolument. Je crois que les Canadiens auront plus confiance en leur démocratie et en l'intégrité du vote grâce aux changements que nous proposons à la Loi sur l'intégrité des élections.

Je crois aussi que le fait de concentrer les publicités d'Élections Canada sur comment, quand et où voter aidera les gens à arriver avec toute l'information nécessaire.

Il y a, par exemple, 39 formes d'identification acceptées. De nombreuses personnes ignorent qu'il y en a autant; même la chef du Parti vert m'a dit qu'il fallait une pièce d'identité avec photo. C'est la chef d'un parti qui s'est présenté en tête d'une grande organisation politique dans deux élections, et elle pensait être obligée de présenter une pièce d'identité avec photo.

Cela dit, Élections Canada doit faire un meilleur travail pour informer les Canadiens des autres options à leur disposition pour s'identifier, parce que si les Canadiens savent qu'il y a 39 options, ils peuvent mieux s'identifier en votant.

Le sénateur Boisvenu : Monsieur le ministre, merci de votre présence et surtout pour vos réponses claires. Vous êtes un très bon pédagogue. Si certaines personnes doutent de cette clarté, ils ont peut-être d'autres intérêts à défendre qu'une loi très claire sur le plan électoral. On sort d'une élection provinciale au Québec. Les résultats ont été satisfaisants pour beaucoup de monde. J'examinais le rôle du directeur général des élections (DGE) du Québec durant cette campagne électorale, qui était très axée sur l'information aux électeurs, à savoir les endroits où aller voter, l'importance de voter, les moyens pour voter, les critères, et cetera. J'ai participé à beaucoup d'élections fédérales et, rarement ai-je vu le DGE des élections fédérales jouer ce rôle sauf pour expliquer quels étaient ses pouvoirs.

Premièrement, le projet de loi va modifier les responsabilités du DGE en termes de relations avec les électeurs. Ma question est très importante pour les électeurs canadiens. Ce projet de loi s'adresse d'abord à eux. En quoi ce projet de loi facilitera-t-il vraiment le droit des Canadiens à aller voter?

M. Poilievre : Premièrement, il y aura une autre journée de scrutin qui permettra aux gens qui sont occupés le jour des élections de voter par anticipation. Ce sera un excellent outil pour les Canadiens.

Deuxièmement, cela obligera Élections Canada à informer les Canadiens sur toutes les questions pratiques, à savoir où, quand et comment voter. Cela semble simple. Si on vote le jour du scrutin principal à un endroit désigné, c'est assez simple, mais pour les journées de vote par anticipation, c'est différent. Beaucoup de Canadiens, la moitié des jeunes Canadiens ne savaient pas qu'ils pouvaient voter par anticipation aux dernières élections. Les jeunes Autochtones, dans une proportion de 73 p. 100, ne savaient pas qu'ils pouvaient voter par anticipation lors des dernières élections.

Si ces jeunes travaillent ou sont occupés avec leurs études le jour du scrutin, ils devraient savoir qu'il y a d'autres options. Maintenant, nous allons obliger Élections Canada à les informer de ce fait. Je suis convaincu que le fait de rendre les élections plus conviviales augmentera leur taux de participation.

Le sénateur Boisvenu : Si quelqu'un se présente à un bureau de scrutin, qu'il n'est pas inscrit sur la liste, mais qu'il a ses pièces d'identification, aura-t-il la possibilité de voter?

M. Poilievre : Il peut s'inscrire au moment où il arrivera le jour même du scrutin. À ce moment-là, il devra prêter serment pour démontrer sa crédibilité.

Marc Chénier, agent principal du Bureau du Conseil privé, conseiller, Réforme démpcratique : Il doit remplir un formulaire d'inscription qui inclut une attestation de sa qualité d'électeur.

[Traduction]

Le sénateur McInnis : Merci de vous être déplacé ce matin. J'aurais une brève remarque à faire et une question à poser.

Comme je ne suis pas aussi âgé que le sénateur Plett, je n'ai pas participé à autant d'élections que lui, mais je trempe là-dedans depuis l'âge de 16 ans. Je peux vous dire que le vote par voie de répondant fait problème. Et pas seulement le vote par voie de répondant, d'ailleurs. J'ai personnellement constaté, dans les rues de Halifax et de Dartmouth, que c'est un problème.

D'abord, de nombreuses personnes qui se prévalent de cette formule ne connaissent même pas les candidats et ne s'intéressent pas aux campagnes. Cela évidemment ne doit pas les priver du droit de voter, je m'en rends bien compte. J'ai vu des gens qui les accompagnaient et qui votaient presque pour eux. C'est grave à ce point-là et ça se reproduit des milliers de fois.

Il y a une chose qui m'a beaucoup surpris. Sheila Fraser jouit d'une grande crédibilité dans ce pays pour ce qu'elle a fait. Je vais vous lire l'extrait d'un article et les commentaires qu'on lui a attribués avant de passer à une autre question :

... quand on imagine les difficultés, ne serait-ce qu'opérationnelles, que cette mesure va créer, je crois qu'il sera très difficile de tenir des élections équitables, véritablement intègres.

Voilà toute une remarque, n'est-ce pas? Un peu plus loin dans cet article, elle critique le positionnement du commissaire au sein du Bureau du directeur des poursuites pénales qui est indépendant.

Dans les années 1980, une commission royale de la Nouvelle-Écosse s'était penchée sur la condamnation injustifiée de Donald Marshall Jr. Avant ça, le ministère du Procureur général, le procureur et l'administration étaient tous regroupés dans un seul et même ministère. L'une des principales recommandations de la commission avait été de créer des services à part pour les procureurs publics et le directeur des poursuites pénales, ce qui a présidé à ce qu'on a appelé la séparation. Et, depuis des années, les universitaires en parlent comme étant la séparation.

J'ai été étonné que cette personne — et nous allons savoir ce qu'il en est parce que je crois savoir qu'elle comparaîtra devant le comité — ait pu faire ce genre de commentaire. Elle est coprésidente d'un conseil consultatif. S'exprimait-elle au nom de ce conseil? J'ai ici la liste des éminents membres du conseil en question. A-t-elle parlé en son nom propre? Vous le savez? Vous êtes-vous renseigné, même si ce n'est pas votre travail? Parlait-elle au nom de Michael Wilson, de Preston Manning et de tous les autres ou juste en son nom propre?

Je m'autorise à dire que cette déclaration tient du dérapage verbal, compte tenu du fait qu'il est maintenant établi au Canada que l'administration et la poursuite sont séparées.

M. Poilievre : J'ai lu les transcriptions récentes à ce sujet, sénateur, et je crois qu'un de vos sénateurs siège d'ailleurs à ce conseil, Hugh Segal. Il a dit que les commentaires en question ne reflétaient pas son point de vue.

Je ne connais pas vraiment cet organisme, je ne suis pas certain de ce qu'il fait ni de son rôle et je ne peux pas vous en dire plus à ce sujet. Mais je trouve très troublant et tout à fait contradictoire ce qu'a dit Élections Canada au sujet de l'indépendance du directeur des poursuites pénales.

J'ai cité un extrait du rapport d'Élections Canada de 2012-2013 où l'on mentionne que le directeur des poursuites pénales est indépendant. Je trouve fort de café le fait que cet organisme affirme soudainement que le DPP n'est plus indépendant.

Pour ce qui est de la question logistique et du problème que cela comporte, vous avez, je crois, cité quelqu'un qui pense que cela ferait problème. Je ne vois pas de quel problème il peut s'agir. Pour autant que je sache, Élections Canada dispose de courriels, de téléphones et les gens peuvent toujours marcher un coin de rue pour se rendre dans un autre bureau. Nous travaillons tous ensemble, même si nous ne sommes pas logés sous le même toit. Je ne vois pas de quel genre de problèmes logistiques il peut s'agir.

Je vous précise par ailleurs que le paragraphe 510(3) du projet de loi sur l'intégrité des élections indique ceci :

Le commissaire mène ses enquêtes de façon indépendante du directeur des poursuites pénales.

Non seulement le DPP est indépendant de la branche politique du gouvernement, mais en plus, le commissaire est indépendant du DPP, ce qui veut dire qu'il existe deux strates indépendantes du politique.

Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur le ministre. À l'évidence, vous êtes un polémiste aguerri.

Je perçois un délicat problème de logique dans la façon dont vous évaluez le risque de fraude à cause du recours aux répondants. À la façon dont les choses fonctionnent, il faudrait que le garant et l'électeur qui a recours à ce dernier mentent tous deux. Pour que la fraude soit d'une certaine envergure, il faudrait que beaucoup de Canadiens se mettent à mentir.

En proclamant que la fraude due au vote par voie de répondant est importante à ce point, au risque de priver des milliers de Canadiens de leur droit de vote, ne trouvez-vous pas que votre conclusion à propos du manque d'intégrité de centaines, voire de milliers de Canadiens est un peu cynique? Il faut que les gens mentent pour en arriver là. Je ne crois personnellement pas qu'un si grand nombre de Canadiens soient enclins à mentir de la sorte au point de risquer d'en priver beaucoup du droit de vote.

M. Poilievre : Estimez-vous que les gens devraient encore présenter une pièce d'identité pour franchir la frontière?

Le sénateur Mitchell : C'est une situation tout à fait différente.

M. Poilievre : Le pensez-vous?

Le sénateur Mitchell : Je crois que le vote par voie de répondant est une manière tout à fait légitime de prouver que quelqu'un...

M. Poilievre : Pour franchir la frontière?

Le sénateur Mitchell : Je crois que le vote par voie de répondant est une manière d'établir que quelqu'un est un électeur légitime?

Pensez-vous que le fait de ne pas avoir à prouver sa citoyenneté canadienne est acceptable pour voter? C'est ce que vous dites. Dites-vous qu'il faudrait produire un passeport pour avoir le droit de voter, pour prouver qu'on est Canadien?

M. Poilievre : Allez-vous jusqu'à appliquer au franchissement des frontières la disposition relative au vote par voie de répondant?

Le sénateur Mitchell : Non. Et vous, est-ce que vous étendez l'application du passeport à l'exercice du droit de vote? Ça marche dans les deux sens.

M. Poilievre : Il vient de répondre. Il a dit qu'il ne croit pas que les dispositions relatives au vote par voie de répondant devraient s'appliquer au...

Le sénateur Mitchell : Ce que je dis, c'est...

M. Poilievre : Permettez-moi de finir, monsieur le président.

Le sénateur Mitchell : Beaucoup de voyageurs franchissant les frontières ne sont pas Canadiens. Ce que je dis, c'est qu'à vous entendre, beaucoup d'électeurs sont des menteurs au point que le vote par voie de répondant doit être remis en question.

J'ai une autre question à poser.

Le président : Permettez au ministre de vous répondre plutôt que de jouer au ping-pong.

Le sénateur Mitchell : C'est lui qui m'a posé une question.

Le président : Vous pouvez maintenant répondre, monsieur le ministre.

M. Poilievre : Le sénateur a dit qu'il ne faut pas permettre la confirmation de l'identité d'un voyageur par un répondant pour le franchissement de la frontière. Cela revient à dire qu'il accuse tous les Canadiens d'être des menteurs, si l'on suit sa logique.

Le sénateur Mitchell : Je n'ai absolument pas dit ça. J'ai dit que, pour affirmer, comme le fait le ministre, que le recours à des répondants pour voter donne lieu à des fraudes, il faut que beaucoup de gens mentent. J'ai davantage confiance que lui dans l'attitude des Canadiens aux urnes.

Ma seconde question concerne l'ambivalence intéressante des conservateurs à propos de la fraude électorale. D'un côté, la chose les préoccupe, à en juger par ce que dit le ministre et par la mesure qu'il propose, mais d'un autre côté, chaque fois qu'il a été officiellement question de fraude électorale, que ce soit dans une enquête ou une procédure judiciaire — par exemple, dans le cas d'Etobicoke Centre ou de l'enquête sur les appels automatisés — le Parti conservateur a farouchement nié que tel était le cas.

À votre place, si la fraude électorale me préoccupait vraiment, je verrais un grand potentiel de fraude dans le fait qu'on a piraté des millions et des millions de noms dans votre base de données. Pourtant, le Parti conservateur et le gouvernement conservateur n'ont vraiment rien fait pour chercher à savoir qui a piraté leur base de données SGIC. Dans leur façon de s'attaquer à la fraude électorale, ont-ils cherché à savoir comment leur base de données a été piratée, et si cela ne risquerait pas de se reproduire lors d'une autre élection et d'ouvrir largement la porte à une possible fraude électorale?

M. Poilievre : Monsieur le président, je crois qu'il veut parler des appels automatisés. La Loi sur l'intégrité des élections exige justement que tous les appels automatisés soient enregistrés auprès du CRTC, l'organisme national de réglementation des télécommunications. La loi crée une nouvelle infraction pour usurpation d'identité et elle durcit les peines prévues pour ceux qui trompent les électeurs au sujet des lieux de vote. La Loi sur l'intégrité des élections traite bel et bien du problème mentionné par le sénateur. Et puis, s'il est si préoccupé par cette question, je l'encourage à appuyer le projet de loi.

Le président : Il ne nous reste que peu de temps et j'ai encore quatre sénateurs sur la liste pour un second tour. Je vous invite à donner la possibilité à chacun de vos collègues sur la liste de poser sa question et, monsieur le ministre, je vous encourage à être bref pour que vous puissiez donner le plus de réponses possible. Nous commençons par le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Une chose. Dans sa dernière réponse, le ministre a parlé de la disposition du projet de loi concernant les déclarations au CRTC. Malheureusement, ce projet de loi précise que ces archives, qui ne mentionneront pas qui a été appelé, ne seront conservées que pour une année. Vous vous souviendrez, monsieur le président, que les dernières modifications à la Loi électorale du Canada que nous avons adoptées prévoyaient qu'il serait possible d'entreprendre des poursuites 10 ans après la date d'une infraction punissable par déclaration sommaire de culpabilité.

Ma question concerne les appels automatisés et les autres infractions effectives, soupçonnées ou potentielles à propos desquelles le commissaire devra faire enquête. Le ministre a raison : le commissaire est indépendant du Bureau du directeur des poursuites pénales.

Le directeur général des élections a demandé au gouvernement d'ajouter une disposition pour favoriser les enquêtes sur les appels automatisés et sur les autres affaires susceptibles de constituer des infractions à la loi. La disposition vise à permettre à ce commissaire de disposer des mêmes pouvoirs que n'importe quel autre commissaire en vertu des lois sur les enquêtes publiques. Il aurait les mêmes pouvoirs que ceux dont sont investis la plupart des autres commissaires et des autres DGE provinciaux.

Le vérificateur général fait actuellement enquête au Sénat et j'imagine qu'il fera bientôt la même chose à la Chambre des communes. Le vérificateur général a les pouvoirs d'un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes publiques, c'est-à-dire qu'il peut demander à un juge d'émettre une ordonnance s'il n'obtient pas la coopération voulue. Cela se fait dans la plupart des situations où des autorités font enquête sous la forme d'un audit ou autre. Dans ce cas, le commissaire n'a pas ce pouvoir.

Je vous concède que les policiers n'ont pas non plus ce pouvoir, mais la situation est différente dans leur cas. Devant un tribunal, il faut fournir des réponses. Nous ne sommes pas aux États-Unis où l'on peut invoquer le cinquième amendement. Il faut donner des réponses. Dans le cas qui nous intéresse, cela faciliterait la tenue d'enquêtes pénales. Pourquoi ne pas donner au commissaire les mêmes pouvoirs d'enquêter que ceux accordés par les lois sur les enquêtes publiques à la plupart des commissaires provinciaux et au vérificateur général du Canada?

M. Poilievre : Les policiers ne disposent pas de ce pouvoir. Même lorsqu'ils effectuent des enquêtes où la preuve est complexe, où ils sont à la recherche de faits et où ils ont affaire à des témoins réticents, ils ne disposent pas des pouvoirs que réclame Élections Canada.

Je précise. Le commissaire a la possibilité de demander une ordonnance à un juge pour obtenir la production de documents et le dépôt de preuves concrètes. C'est déjà le cas, c'est le pouvoir dont disposent les policiers. C'est tout à fait différent du genre de pouvoir qui consiste à contraindre quelqu'un à témoigner, pouvoir que n'ont actuellement pas les policiers qui enquêtent sur les crimes les plus graves, ni Élections Canada.

Le sénateur Baker : Je comprends.

La sénatrice Frum : Pour commencer, je dois dire que je suis surprise que les banques canadiennes s'embêtent à verrouiller leurs portes la nuit, puisque, à en croire le sénateur Mitchell, il n'y a pas de Canadiens malhonnêtes. Que d'efforts inutiles de leur part.

Changeons de sujet. Le directeur général des élections a prétendu, avec l'appui de Sheila Fraser, que l'article 18 de ce projet de loi va le museler. Il est allé jusqu'à dire qu'après l'adoption de ce projet de loi, il ne sera plus en mesure de donner des entrevues à Radio-Canada. Pouvez-vous nous dire s'il est effectivement bâillonné par ce projet de loi?

M. Poilievre : Pas du tout. L'article en question est l'article 18. Le projet de loi précise la latitude dont disposera le directeur général en matière de publicité électorale : indiquer la date et les lieux de vote, les pièces d'identité exigées et les dispositions spéciales prises pour faciliter le vote des personnes handicapées.

Dans la forme où le projet de loi sera adopté, le droit de parole du DGE ne sera pas limité. La loi traite des pouvoirs dont il dispose pour faire de la publicité et des promotions.

Non seulement le DGE pourra s'exprimer, mais il sera tenu de le faire. En vertu des articles 533 et 535 de la Loi électorale du Canada, il doit produire des rapports au Parlement et témoigner devant les parlementaires. Ces obligations demeureront après l'adoption de la Loi sur l'intégrité des élections.

La sénatrice Jaffer : Je veux vous parler du vote par voie de répondant. À l'occasion de votre discours en seconde lecture devant la Chambre, vous avez dit :

Le recours à un répondant n'est pas une pratique sûre. Après l'adoption de la Loi sur l'intégrité des élections, elle ne sera plus permise.

Dites-moi, monsieur le ministre, sur quelle recherche ou étude vous êtes-vous appuyé pour parvenir à cette conclusion?

M. Poilievre : Il y a bien sûr la cause qui a été entendue par la Cour suprême, Opitz c. Wrzesnewskyj, dans laquelle la cour a commenté abondamment toutes ces questions. Et puis, il y a eu ce nombre incroyable d'irrégularités commises lors des dernières élections, 50 735, ce qui est tout à fait extraordinaire.

La sénatrice Jaffer : Étaient-elles toutes liées au vote par voie de répondant?

M. Poilievre : Disons-le, les 165 000 irrégularités constatées lors des dernières élections représentent un échec cuisant de l'administration d'Élections Canada et 50 735 de ces irrégularités concernaient le vote par voie de répondant. Sur ce nombre, dans 45 000 cas, on ignore les noms des garants et des électeurs.

Nous avons d'autant plus de raisons d'être préoccupés par cette situation que l'auteur du rapport, qui a constaté ces irrégularités, est lui-même un partisan du vote par voie de répondant, parce qu'il est évident que ce rapport n'avait pas pour objet de répondre à une orientation politique, mais d'énoncer des faits. Or, les faits nous apprennent que lors des dernières élections, il y a eu de graves problèmes associés au vote par voie de répondant.

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, je vous ai entendu dire qu'on a relevé 165 000 erreurs graves et 50 000 irrégularités lors des élections de 2011 administrées par Élections Canada. Comme c'est un chiffre stupéfiant, pouvez- vous nous dire de quelles erreurs il s'agit?

M. Poilievre : Je pourrais vous montrer le sommaire du rapport. Je l'ai peut-être ici. Énormément d'erreurs ont été commises à l'étape de l'inscription. Comme je le disais, 50 000 de ces erreurs étaient dues au vote par voie de répondant. Je pourrais remettre au comité le sommaire du rapport où l'on fait état de ces erreurs graves. Je ne l'ai pas ici, mais c'est de notoriété publique.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, on ne sait pas vraiment si la Chambre ou le Sénat vont pouvoir améliorer cette mesure. Estimez-vous que ce projet de loi est parole d'évangile et qu'il n'y a même pas lieu d'envisager d'y changer quoi que ce soit, même pas compte tenu des visées du gouvernement qui sont d'atteindre à l'intégrité, ou évoluons-nous tout de même dans un système parlementaire ouvert où nous pouvons poser des questions sur la manière de formuler des propositions susceptibles de contribuer au mieux à l'objectif d'équité?

M. Poilievre : Le comité de la Chambre déposera les amendements qu'il propose le 25 et je ne veux pas me prononcer à leur sujet avant de les avoir vus.

Le président : Merci, monsieur le ministre. Nous apprécions votre visite et celle de vos fonctionnaires pour nous aider dans notre examen de la loi.

Chers collègues, nous reviendrons ici à 13 h 30 pour accueillir notre premier témoin, le directeur général des élections.

(La séance est levée.)


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