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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 8 avril 2014


OTTAWA, le mardi 8 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni aujourd'hui, à 13 h 33, pour examiner la teneur du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à nos collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent aujourd'hui la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons notre étude préalable du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence. Ce projet de loi propose de modifier de nombreux aspects de la loi électorale du Canada et d'apporter des modifications corrélatives à la Loi sur les télécommunications, à la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et à la Loi sur le directeur des poursuites pénales, notamment.

Le projet de loi est en train d'être étudié par le Comité permanent de la Chambre des communes de la procédure et des affaires de la Chambre, qui a entendu un certain nombre de témoins sur divers éléments du projet de loi. La tâche confiée à notre comité consiste à tenir des audiences publiques sur la teneur du projet de loi, pour pouvoir ensuite faire rapport sur nos constatations avant la présentation du projet de loi au Sénat.

J'ai le plaisir d'accueillir au comité, pour le premier groupe de témoins de cet après-midi, MM. Marc Mayrand, directeur général des élections et Stéphane Perrault, sous-directeur général des élections, Services juridiques, Conformité et Enquêtes d'Élections Canada.

Messieurs, bienvenue. Monsieur Mayrand, voulez-vous faire une déclaration préliminaire?

[Français]

Marc Mayrand, directeur général des élections, Élections Canada : Monsieur le président, je suis heureux de comparaître aujourd'hui dans le cadre de l'étude préliminaire du projet loi C-23. Comme il s'agit d'une étude préliminaire, je crois qu'il serait utile de prendre un peu de recul et de vous donner mon point de vue sur les objectifs fondamentaux de notre processus électoral ainsi que sur les défis auxquels nous sommes actuellement confrontés. J'espère que cela aidera le comité à évaluer dans quelle mesure le projet loi C-23 contribue à résoudre ces défis.

Bien que je compte attirer votre attention sur certains éléments du projet de loi, je n'ai pas l'intention de décrire en détail les diverses modifications que je recommande. J'ai toutefois apporté un tableau présentant ces modifications et il me fera plaisir d'en discuter après mon allocution si le comité le souhaite.

Le cadre législatif qui gouverne les élections canadiennes est le reflet de certaines valeurs et d'objectifs démocratiques fondamentaux, soit l'accessibilité, l'équité et la confiance. Dans la modernisation du processus électoral, il est utile de considérer ces objectifs.

Par accessibilité, j'entends le droit de voter et de se porter candidat aux élections fédérales et les moyens d'exercer ce droit. Notre constitution garantit le droit de vote à tous les citoyens canadiens. Toutefois, ce droit n'a de valeur que si un cadre juridique et opérationnel permet son exercice.

Au fil des ans, le droit de vote a non seulement été élargi, mais les obstacles à son exercice ont été réduits en offrant aux électeurs différentes options afin que tous les Canadiens puissent effectivement exercer leur droit de vote, quelle que soit leur situation personnelle. Bien que des obstacles subsistent, particulièrement pour les électeurs handicapés, nous avons l'obligation constitutionnelle de tenter de réduire ces obstacles. Nous nous sommes également engagés à le faire en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.

Le deuxième objectif fondamental de notre système électoral est l'équité. J'entends par là que le système doit permettre à tous ceux qui briguent les suffrages de s'affronter à armes relativement égales. Les tribunaux et les experts utilisent souvent l'expression « égalité des chances » pour décrire notre régime de plafond de dépenses électorales, grâce auquel les élections ne sont pas dominées par ceux qui ont accès aux plus grandes ressources. Les plafonds de contribution de même que le financement public contribuent également à l'égalité des chances.

L'équité signifie également l'absence de partisannerie réelle ou apparente dans l'administration des élections. À cet égard, l'équité est liée au troisième objectif qui est la confiance.

L'importance de préserver la confiance dans l'intégrité du processus électoral se reflète dans les diverses garanties procédurales contre la fraude qui assurent la transparence et la fiabilité des résultats.

La confiance dépend également de l'existence de mécanismes d'exécution de la loi rapides et efficaces qui favorisent le respect des règles et permet d'intervenir en cas de non-conformité. Dans notre système, c'est le commissaire aux élections fédérales qui est chargé de l'exécution de la loi.

Compte tenu de ces objectifs d'accessibilité, d'équité et de confiance, quels sont les principaux défis auxquels notre démocratie électorale est confrontée?

À mon avis, le problème le plus important pour notre démocratie à l'heure actuelle est le déclin de la participation électorale. Ce phénomène n'est pas récent et est loin d'être propre au Canada. Toutefois, notre taux de participation est l'un des plus bas parmi les démocraties avancées.

Le déclin de la participation électorale est principalement animé par la baisse de la participation des jeunes à partir des années 1970. Or, nos recherches nous ont appris que les jeunes adultes qui ne votent pas à leur première élection ont également tendance à ne pas voter en vieillissant. C'est pourquoi les programmes d'éducation civique sont si importants. Il existe cependant des indices encourageants. De 2004 à 2011, le taux de participation des électeurs qui votent pour la première fois s'est stabilisé et semble vouloir augmenter.

Il reste néanmoins des électeurs pour lesquels il est difficile de participer. Avec le vieillissement rapide de la population, un nombre croissant de ces électeurs sont des personnes âgées qui sont généralement moins mobiles et ont plus de difficulté à satisfaire aux exigences d'identification. C'est surtout le cas pour la preuve d'adresse. C'est pourquoi, à la dernière élection générale, j'ai autorisé l'utilisation de la carte d'information de l'électeur combinée à une autre pièce d'identité dans certains lieux de vote, soit les résidences pour personnes âgées, les résidences pour étudiants et les réserves autochtones.

Forts de l'expérience acquise lors de la dernière élection générale et de l'expérience acquise également d'autres juridictions canadiennes dans ce domaine et en consultation avec les partis politiques, nous avions prévu d'autoriser tous les électeurs à présenter leur carte d'information comme preuve d'adresse avec une autre pièce d'identité pour l'élection de 2015. Cela permettrait d'éliminer certains obstacles et de réduire les recours à un répondant, un processus qui s'est avéré complexe à appliquer pour les travailleurs électoraux.

Un deuxième problème important pour notre système électoral tient justement à la complexité des règles. Lorsque les règles sont trop complexes, cela crée des obstacles à la participation ou produit des situations de non-conformité qui minent la confiance dans l'intégrité de l'élection.

La complexité est un problème pour les procédures de vote. Ces procédures sont administrées par quelque 200 000 concitoyens ordinaires qui ont reçu un peu de formation et qui n'ont souvent aucune expérience. Le système était simple au départ, mais les modifications successives de la loi, en particulier les règles d'identification des électeurs, promulguées en 2007, ont énormément compliqué la tâche des préposés au scrutin.

La complexité des règles pose également un problème pour le financement politique. Là encore, les réformes successives au cours des dernières années sont venues accroître la complexité des règles. Encore une fois, le régime repose en grande partie sur les bénévoles qui exercent les fonctions d'agents officiels auprès des candidats. Ces agents doivent veiller à ce que la campagne respecte toutes les exigences de la loi.

Il est devenu de plus en plus difficile pour ces bénévoles de comprendre et de respecter les exigences réglementaires. Dans mes recommandations au Parlement, j'ai tenté de proposer des moyens de réduire le fardeau réglementaire ainsi que de simplifier et de clarifier les règles au bénéfice de tous les participants.

Enfin, le troisième problème auquel nous sommes confrontés est le manque de mécanismes adéquats d'observation et d'exécution de la loi permettant d'intervenir rapidement et efficacement en cas d'infraction.

À l'heure actuelle, seules les infractions et les sanctions pénales sont prévues dans la loi en cas de contravention. Cette approche est très lourde et très longue. Elle est inadaptée à la majorité des cas de non-conformité pour lesquels les sanctions administratives seraient plus efficaces.

Par ailleurs, lorsqu'une enquête est justifiée, l'expérience a démontré que le commissaire est mal outillé pour la mener rapidement et efficacement. De plus, les amendes prévues par la loi ne sont pas assez sévères.

[Traduction]

Je vais maintenant traiter du projet de loi C-23. Je vous invite, lorsque vous examinerez le projet de loi, à prendre en considération les répercussions qu'il aura sur les problèmes que j'ai cernés, ainsi que sur les objectifs fondamentaux de notre système électoral.

Quelques éléments du projet de loi C-23 aideront à résoudre certains problèmes et appuient les objectifs fondamentaux de notre régime. L'ajout d'une journée de vote par anticipation offrira aux Canadiens une plus grande souplesse pour exercer leur droit de vote. J'accueille aussi favorablement l'augmentation proposée des amendes. Plus important encore, je pense que l'ajout de sanctions administratives — par exemple, pour le dépassement du plafond des dépenses par les partis politiques ou les candidats — est un changement d'approche positif. Cette mesure s'écarte du modèle traditionnel de la sanction pénale, et j'espère vivement qu'elle servira de base aux futures réformes.

Le projet de loi C-23 comprend également des mesures de réforme qui, bien que positives, nécessiteront des modifications afin de produire les bénéfices souhaités. Cela est particulièrement vrai des dispositions proposées pour les lignes directrices et les avis écrits. Ces outils pourraient être extrêmement utiles, mais ils ne seront pas fonctionnels sous la forme que leur donne le projet de loi C-23.

Des modifications seront nécessaires afin de permettre la prise de décisions dans un délai raisonnable. D'autres changements seront également requis pour prévenir les abus partisans qui pourraient survenir si les partis politiques sont autorisés à requérir des avis formels sur des questions sous enquête ou en instance devant un tribunal. De plus, si les décisions doivent lier le directeur général des élections et le commissaire, elles devraient également lier les vérificateurs externes des partis.

Les dispositions relatives aux services d'appels aux électeurs doivent également être améliorées. Pour être utiles, les dispositions doivent non seulement requérir des informations sur les fournisseurs de services, les clients et les scripts, mais aussi exiger la conservation et la communication des numéros de téléphone composés. De plus, les appels effectués par les partis politiques et les candidats à l'aide de leur propre personnel ou de leurs bénévoles devraient être visés par les exigences de communication. Sous sa forme actuelle, le projet de loi semble accroître le fardeau régulatoire des partis politiques et des fournisseurs de service sans améliorer de façon notable l'intégrité du processus et la rapidité des enquêtes.

Enfin, plusieurs aspects du projet de loi sont très préoccupants. J'estime qu'il est de mon devoir, en tant que directeur général des élections, de transmettre clairement ces préoccupations au Parlement.

Je m'attarderai à cinq aspects en particulier. Le premier aspect touche les restrictions proposées en matière d'identification des électeurs, à savoir l'élimination du recours à un répondant pour les électeurs qui ne peuvent pas fournir de preuve d'identité et d'adresse, et l'interdiction de l'utilisation de la carte d'information de l'électeur accompagnée d'une autre pièce d'identité.

On a fait valoir que tous les électeurs doivent avoir des pièces d'identité pour voter. Mais là n'est pas la question. Pour beaucoup de Canadiens, le véritable problème, c'est d'établir leur adresse. L'idée selon laquelle tous les Canadiens disposent de documents prouvant à la fois leur identité et leur adresse actuelle est tout simplement fausse et ne reflète pas notre expérience. Par exemple, les personnes âgées vivant dans des établissements de soins de longue durée n'ont, bien souvent, pas de permis de conduire, et ne disposent pas de carte d'assurance-maladie ou de facture d'électricité, ces documents étant souvent conservés par leurs enfants ou l'administrateur de l'établissement. Les jeunes Canadiens vivent couramment chez leurs parents ou, étudiants, déménagent fréquemment. Bien souvent, il leur est impossible de présenter une preuve de leur adresse actuelle.

On estime à 120 000 le nombre d'électeurs actifs ayant recours à un répondant. Avec les règles proposées, il est probable qu'un grand nombre d'entre eux ne pourront pas voter.

Tout aussi important, en l'absence de preuves crédibles indiquant que le recours à un répondant ou l'utilisation de la CIE servent à des fraudes, leur élimination non seulement compromettra l'accessibilité du processus électoral, mais ne fera rien pour en accroître l'intégrité. Nous n'avons trouvé aucune juridiction au Canada où une exigence de preuve documentaire d'adresse n'est pas accompagnée d'une mesure alternative telle que le recours à un répondant ou une déclaration.

Monsieur le président, j'ai distribué un tableau qui décrit la situation des opérations de vote dans les 14 administrations provinciales, territoriales et fédérales de notre pays. Vous constaterez que seuls quatre provinces et territoires exigent la preuve d'une adresse et dans tous les cas, le recours à un répondant peut remplacer les documents demandés.

Un deuxième aspect préoccupant du projet de loi C-23 est son incidence négative sur l'équité des règles du jeu, en raison de l'augmentation des plafonds de dépenses et, surtout, de l'exception pour certaines dépenses liées aux activités de financement, qui crée une échappatoire à ce régime. Il est difficile de concevoir que l'on puisse recueillir des fonds sans faire la promotion d'un parti ou d'un candidat. Il n'y a également aucun moyen de surveiller si les personnes invitées à verser des fonds font partie de la catégorie acceptable des anciens donateurs, puisque la loi n'exige pas de déclarer les noms des donateurs qui versent 200 $ ou moins, ce qui représente la grande majorité des donateurs.

Il n'est pas non plus nécessaire d'indiquer les donateurs qui ont été sollicités conformément à cette exception. Celle- ci n'est donc tout simplement pas vérifiable et constitue une invitation aux abus.

Un troisième aspect du projet de loi C-23 que je trouve inquiétant est l'interdiction pour le directeur général des élections d'informer le public sur tout sujet, à l'exception, essentiellement, de où, quand et comment s'inscrire et voter. Bien sûr, il est essentiel qu'Élections Canada informe le public sur ces questions. Comme je l'ai indiqué, 98 p. 100 de nos dépenses d'information et de rayonnement à la dernière élection étaient affectées à cette tâche.

La mesure proposée ne se contenterait pas d'assurer que cela continue d'être une priorité; elle interdirait toute autre communication avec le public, ce qui nous empêcherait de publier des recherches fondamentales, de participer à des projets d'éducation civique et d'informer les Canadiens sur les activités frauduleuses ou les moyens de les prévenir.

Le directeur général des élections doit être en mesure de s'exprimer librement et ouvertement sur tout aspect du processus électoral. La restriction imposée limiterait ma capacité à conduire et à superviser adéquatement des élections libres et équitables et minerait la confiance du public dans le processus électoral.

Un quatrième aspect préoccupant du projet de loi C-23 concerne l'affaiblissement de la capacité du commissaire à intervenir efficacement et à faire respecter la Loi électorale du Canada. Le commissaire actuel et son prédécesseur ont tous deux indiqué qu'ils ne pouvaient travailler efficacement s'ils n'avaient pas un accès direct et sans entrave aux renseignements et à l'expertise d'Élections Canada. Ils craignent également que faire relever le commissaire du directeur des poursuites pénales limite la capacité du commissaire à intervenir pendant une élection, en collaboration avec Élections Canada et avec les agents du scrutin, afin de résoudre les cas de non-conformité.

Ils ont également souligné l'importance d'amender le projet de loi C-23 afin d'y inclure le pouvoir d'obtenir une ordonnance d'un tribunal afin de contraindre une personne à témoigner. Ils ont indiqué que l'absence d'un tel pouvoir a considérablement entravé la recherche des faits dans des enquêtes importantes sur des infractions électorales.

Enfin, en cinquième et dernier lieu, je ne crois pas que la confiance des Canadiens dans le système électoral augmentera si l'on ajoute les superviseurs de centre de scrutin à la liste des fonctionnaires électoraux nommés par les partis politiques. Tous les fonctionnaires électoraux devraient être nommés exclusivement au mérite, et en particulier, les superviseurs de centre de scrutin. À mon avis, cette disposition devrait être retirée du projet de loi.

Considérant toutes ces questions et les défis importants auxquels notre démocratie électorale est confrontée, je ne peux que conclure que des modifications au projet de loi sont nécessaires — des modifications qui incluent, mais qui vont au-delà, des enjeux liés à l'identification des électeurs.

J'espère que les membres de ce comité et que le Sénat dans son ensemble apporteront, dans leur sagesse, les modifications requises au projet de loi, afin de permettre un plus large consensus. Cela m'apparaît essentiel afin de susciter la confiance dans notre système électoral, et je suis disposé à fournir toute l'aide nécessaire en ce sens.

Comme je l'ai indiqué précédemment, j'ai apporté un tableau des modifications proposées, et je suis tout à fait ouvert à considérer des alternatives avec le comité.

Monsieur le président, c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le président : Merci monsieur. Nous allons commencer les questions en donnant la parole au vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Nous remercions le témoin, qui sera probablement le témoin le plus important que nous allons entendre au sujet de ce projet de loi, le directeur général des élections.

Monsieur Mayrand, vous avez déclaré, il y a quelques instants, que les modifications apportées aux règles en 2007 avaient compliqué le travail des agents de scrutin et qu'un certain nombre d'irrégularités avaient été commises. D'après le témoignage qu'a entendu le comité ce matin, il y a eu 50 000 irrégularités dans un cas et plus de 100 000 irrégularités dans un autre au cours des dernières élections fédérales. Vous êtes certainement au courant de ces irrégularités puisque vous êtes la seule personne qui ait le pouvoir de rouvrir les contenants où se trouvent les preuves. Je remarque que vous avez parlé de « nombre estimatif » et j'imagine donc que vous ne les avez pas tous comptés; vous avez fait une estimation.

M. Mayrand : Oui.

Le sénateur Baker : Ces 120 000 irrégularités concernaient des répondants.

M. Mayrand : Oui, des répondants.

Le sénateur Baker : Dans toutes les erreurs qui ont été commises, avez-vous trouvé des éléments que vous pourriez donner au comité sur le nombre de ces erreurs qui ont permis à quelqu'un de voter alors qu'il n'aurait pas dû le faire ou qui montrent que des fraudes ont été commises au cours de cette campagne électorale?

M. Mayrand : Toute cette question des erreurs est survenue dans une affaire, l'élection d'Etobicoke, qui a été contestée et s'est rendue devant la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la question de l'inscription des électeurs et celle du système des répondants ont été soulevées. Les parties ont signalé aux tribunaux qu'un certain nombre d'erreurs avaient été commises dans ces affaires. En fin de compte, la Cour suprême du Canada a déclaré que les erreurs d'écriture n'étaient pas de véritables irrégularités et que l'immense majorité des questions soulevées portaient sur des erreurs d'écriture commises par des préposés au scrutin. Il n'y avait aucune indication de deux choses : aucune indication que les préposés aient commis des actes illicites et deuxièmement, le tribunal a estimé qu'il n'y avait aucune raison de croire que des électeurs auraient pu voter sans avoir le droit de le faire.

Le sénateur Baker : C'est l'aspect important, n'est-ce pas?

M. Mayrand : C'est ce que je pense.

Le sénateur Baker : C'est ce que vous pensez. Toutes ces irrégularités concernaient probablement un établissement de soins de longue durée dans lequel l'infirmière s'est sans doute portée garante d'un patient. Ai-je pris un bon exemple?

M. Mayrand : Oui. Dans une affaire, l'infirmière a agi comme répondante pour 29 électeurs.

Le sénateur Baker : Imaginez ça. C'est une irrégularité. Elle n'aurait pas dû le faire, mais il est certain que cette personne avait le droit de voter.

Permettez-moi d'en arriver à une déclaration très importante que vous avez faite il y a un instant. Je vais vous la citer parce que c'est la déclaration troublante que vous avez faite dans votre exposé :

On estime à 120 000 le nombre d'électeurs actifs ayant eu recours à un répondant. Avec les règles proposées, il est probable qu'un grand nombre d'entre eux ne pourront pas voter.

Vous êtes en train de dire au comité qu'il y a des dizaines de milliers de personnes qui avaient le droit de voter à la dernière élection et qui ne pourront le faire avec l'adoption de ce projet de loi.

M. Mayrand : Effectivement. La seule disposition qui offre une sécurité absolue pour les personnes à qui l'on demande d'établir leur identité et leur adresse est le recours à un répondant. Le projet de loi supprime cette possibilité.

Le sénateur Baker : Vous avez utilisé l'expression « sécurité absolue ». D'après mon souvenir, il y a un tribunal de la Colombie-Britannique qui a entendu une affaire dans laquelle il a été établi que le recours à un répondant était un mécanisme offrant une sécurité absolue pour la personne qui ne possède pas les documents exigés. Est-ce bien exact?

M. Mayrand : Vous faites référence à l'affaire Henry, je crois.

Le sénateur Baker : Oui. Est-ce exact?

M. Mayrand : Oui.

Le sénateur Baker : Aux termes de l'article 3 de la Charte, on ne peut empêcher une personne d'exercer son droit de vote. Si nous acceptons votre affirmation selon laquelle vous avez des motifs raisonnables de croire que, selon la prépondérance des probabilités, des dizaines de milliers de personnes qui ont voté au cours de la dernière élection ne pourront plus voter, alors ce projet de loi viole l'article 3 de la Charte.

M. Mayrand : Je pense que c'est là un aspect que vous devriez examiner, ainsi que les questions qui ont été soumises aux tribunaux, qui seront appelés à décider si ce projet de loi va à l'encontre de l'article 3.

Le sénateur Baker : Dans une affaire judiciaire, vous seriez l'intimé.

M. Mayrand : Je serais une partie, mais le procureur général serait l'intimé s'il est la partie défenderesse.

Le sénateur Baker : Mais vous souscrivez à ce qu'affirme le requérant, puisque vous dites oui.

M. Mayrand : Non. Le rôle que j'occupe devant les tribunaux consiste à les conseiller au sujet des dispositions actuelles de la loi, sur la façon de les interpréter et de les appliquer et à fournir des renseignements qui peuvent aider les parties et le tribunal à trancher la question soumise.

Le sénateur Baker : Voici une bonne réponse.

La sénatrice Frum : Pour poursuivre dans cette veine, vous avez adopté comme position que les 120 000 répondants ou à peu près — nous ne savons pas puisque cela a été tiré du rapport Neufeld. Il y en a peut-être un peu plus ou un peu moins; nous ne le savons pas.

M. Mayrand : On a utilisé une méthodologie qui est fondée sur l'examen de 1 000 registres du scrutin choisis de façon à constituer un échantillon représentatif des circonscriptions et des bureaux de scrutin de l'ensemble du pays.

La sénatrice Frum : En affirmant que ces quelque 120 000 personnes n'auront plus droit de vote, cela veut dire que vous savez qu'elles ne possèdent aucune autre pièce d'identité. Pouvez-vous dire avec certitude que vous savez qu'elles n'ont pas de pièce d'identité, que vous connaissez la raison pour laquelle elles ont eu recours à un répondant.

M. Mayrand : Je pourrais vous citer quelques exemples. Mais le plus simple est probablement celui des personnes âgées qui vivent dans des établissements de soins de longue durée. Bien souvent, elles n'ont pas de pièces d'identité.

La sénatrice Frum : Mais sur ce point et au sujet des 29 garanties données par une infirmière, cela n'est pas approprié, mais l'administrateur de l'établissement de soins de longue durée peut rédiger une lettre attestant que ces personnes y vivent et cela résout leur problème?

M. Mayrand : Oui. Il faut alors s'en remettre à la bonne volonté des administrateurs. Malheureusement, il est arrivé dans certains cas qu'ils aient refusé, pour d'excellentes raisons, de fournir ces lettres d'attestation. Ils ne sont pas tenus de le faire. Nous nous en remettons donc à leur bonne volonté et essayons de les inciter à agir ainsi, mais dans certains cas, pour toutes sortes de bonnes raisons, ce n'est pas possible.

La sénatrice Frum : Je vais passer à un autre sujet; vos préoccupations au sujet du projet d'article 18 qui supprimera votre capacité de participer à l'avenir à des initiatives visant à « faire voter les gens », et au fait que vous ne considérez pas qu'il y a un conflit d'intérêts entre vous, en tant que directeur général des élections chargé du déroulement d'élections libres et équitables, et en même temps vous participez à des initiatives visant à « faire voter les gens », de sorte que vous avez un intérêt à ce que le nombre des votants augmente et que l'équilibre entre votre souci de garantir des élections libres et équitables et votre rôle de motivateur pour augmenter le nombre de votants risque d'être compromis. Vous ne pensez pas qu'il y a un conflit là?

M. Mayrand : Je ne dirais pas que nous travaillons pour faire voter les gens. Ce n'est pas ce que nous faisons. Nous ne faisons rien de tout cela au cours d'une élection.

Entre les élections, nous travaillons avec les éducateurs et divers groupes d'un bout à l'autre du pays. Nous fournissons aux écoles des outils pour qu'elles offrent une éducation civique aux jeunes Canadiens. D'une façon générale, ces initiatives sont très bien accueillies par les enseignants, par les écoles, par les parents et par les enfants. Certaines données indiquent même que les jeunes qui ont suivi des cours d'éducation civique votent davantage que les autres; il y en a 14 p. 100 de plus qui votent.

La sénatrice Frum : J'admets avec vous que l'éducation civique est importante. Je me demande toutefois si c'est bien à Élections Canada de s'en charger.

M. Mayrand : Je dis qu'il faut s'en occuper. Il me paraît essentiel d'informer nos futurs électeurs du rôle qu'ils jouent dans la société et dans la collectivité ainsi que de l'importance du vote. Si d'autres le font, je n'ai pas de problème. Je crois que c'est l'ensemble de la société civile qui doit faire un effort concerté pour que cela se fasse.

La sénatrice Frum : Vous avez déclaré que les mesures contenues dans le projet d'article 18 vont limiter votre capacité à administrer correctement des élections libres et équitables.

M. Mayrand : Oui.

La sénatrice Frum : Pouvez-vous vraiment aller jusqu'à dire que les élections ne seront pas libres et équitables si vous ne pouvez faire ce genre de...

M. Mayrand : La façon dont le nouvel article 18 est rédigé m'inquiète. La formulation est restrictive. Le mot essentiel de cet article est « que » : ne peut communiquer au public « que » des renseignements sur la façon de voter, l'endroit pour le faire ou pour s'inscrire ou pour être candidat.

Au cours d'une élection, il arrive toutes sortes de choses à la suite desquelles il est important de faire savoir aux Canadiens que quelque chose s'est mal passé ou que quelque chose est équitable. Si personne ne peut parler de ces choses au cours d'une élection, je crois que les Canadiens risquent fort de s'inquiéter de la situation.

Je vais vous donner un exemple. Je tiens pour acquis que vous avez suivi les dernières élections au Québec. Il y a eu toute une histoire avec des personnes qui n'étaient pas résidentes de la province et qui souhaitaient s'inscrire pour voter dans cette élection. C'est ce que nous faisons. Dans les 24 heures, nous examinons toutes les données et nous pouvons alors rassurer le public et lui dire que tout va bien. C'est le genre de chose qu'un organisme électoral doit pouvoir faire. Autrement, la confiance...

La sénatrice Frum : Pourquoi pensez-vous que vous ne pourrez plus faire ce à quoi fait référence cet exemple particulier?

M. Mayrand : Je ne peux que communiquer sur la façon de voter et l'endroit pour le faire.

La sénatrice Frum : Et sur qui peut voter. Vous pouvez expliquer qui peut voter.

M. Mayrand : Je ne suis pas sûr que ce soit ce que dit la loi.

La sénatrice Frum : Elle le dit, mais c'est bien.

[Français]

Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir dans un premier temps à la question du vouching. Dans votre déclaration à la Chambre des communes, lorsque vous avez comparu au mois de mars dernier, à la page 4, je vais vous citer, je ne sais pas si vous l'avez.

M. Mayrand : Je ne l'ai pas devant moi.

Le sénateur Joyal : Je lis l'avant-dernier paragraphe de la page 4 et je cite :

[Traduction]

On a fait remarquer que le recours à un répondant est une procédure complexe et que de nombreuses irrégularités administratives ont été commises à cet égard lors de la dernière élection générale. Il est primordial de comprendre que, comme l'a reconnu la Cour suprême du Canada, la très grande majorité de ces irrégularités étaient uniquement des erreurs de documentation commises par les préposés au scrutin chargés de documenter le processus, et non des cas de fraude ou même des irrégularités pouvant compromettre une élection. Il n'existe aucune preuve indiquant que ces erreurs auraient permis à des non-électeurs de voter.

[Français]

Ce qui me préoccupe dans le projet de loi, c'est le fait qu'il y ait des exigences d'identification au bureau de vote avec lesquelles je suis entièrement d'accord. Mais si on ne peut pas répondre à ces exigences, il y a une roue de secours, un système de secours qui est celui du vouching, d'avoir un répondant. Dans le cas de certaines provinces, c'est une assermentation.

Le fait d'avoir cette roue de secours dans le système ne pourrait-il pas être amélioré plutôt que tout simplement supprimé pour des raisons qui sont proprement administratives et qui ne remettent pas en cause les résultats de l'élection, comme la Cour suprême l'a stipulé dans la cause Opitz c. Wrzesnewskyj de 2012? Ne devrait-on pas chercher à améliorer le système du répondant parce que l'on constate des erreurs administratives plutôt que dire simplement qu'on s'en débarrasse et empêcher ainsi en pratique des milliers de personnes de pouvoir voter, pour toutes sortes de raison?

M. Mayrand : Il y a effectivement plusieurs solutions. Il faut toujours se rappeler que le problème essentiel concerne la preuve d'adresse; la preuve d'identification est rarement un problème. Le problème est la preuve de l'adresse courante.

L'une des pistes proposées par Neufeld pour réduire l'utilisation de la roue de secours c'était de permettre d'utiliser la carte d'électeur comme preuve d'adresse. Dans d'autres juridictions — par exemple au Canada, en Colombie- Britannique et en Saskatchewan —, c'est ce qu'on fait quand les électeurs n'ont pas de pièce d'identité ou de preuve d'adresse. On va accepter l'équivalent de la carte d'électeur dans ces juridictions. Il existe d'autres solutions.

Je pense qu'une solution proposée par mon prédécesseur, c'est en plus ...

Le sénateur Joyal : C'était Neufeld qui proposait cela?

M. Mayrand : Oui. C'était dans le rapport Neufeld. C'est la pratique utilisée en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Une autre solution qui a été proposée par mon prédécesseur lors de son témoignage à la Chambre des communes était d'exiger une déclaration signée de la part du répondant et de l'électeur. Dans d'autres juridictions à l'étranger, on utilise également à l'occasion ce qu'on appelle des bulletins provisoires. On met les bulletins en suspens en attendant qu'on puisse vérifier après l'élection l'identité et l'adresse de ces électeurs et le fait qu'ils n'ont pas voté ailleurs. C'est une autre solution.

Je veux simplement insister sur le fait que l'exigence de la preuve d'adresse est inusitée dans les systèmes électoraux. C'est vrai pour le Canada. Seulement quatre juridictions l'exigent, et c'est vrai quand on compare avec les pays étrangers. Les États-Unis — souvent on fait la comparaison avec les États-Unis —, ont des exigences en matière d'identité. À ma connaissance, il n'y a qu'un seul État aux États-Unis qui requiert la preuve d'adresse, c'est l'Arizona.

L'exigence de la preuve documentaire de l'adresse est une exigence qui demeure très rare dans les systèmes électoraux parce qu'il est difficile pour beaucoup d'électeurs de prouver leur adresse courante au moment de voter.

Le sénateur Joyal : Je retiens de votre présentation l'argument que le vouching system n'est pas une cause de fraude électorale endémique dans le système, mais qu'il n'y a aucune preuve dans ce sens?

M. Mayrand : Non, il n'y a aucune preuve en ce sens.

Le sénateur Joyal : Il peut y avoir eu un cas, mais ce n'est pas systémique à travers le système dans toutes les régions du Canada et ne peut pas être perçu par les fraudeurs comme étant la porte d'entrée pour modifier le résultat d'une élection, par exemple?

M. Mayrand : C'est une méthode assez compliquée de frauder. Il y a d'autres exigences pour le vouching. On ne peut répondre que d'un seul électeur. Les deux électeurs doivent être inscrits dans la même station de vote. Cela commence à être assez compliqué pour faire de la fraude à haute échelle en matière de vouching.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je viens de la Saskatchewan. J'ai noté dans le témoignage que vous avez livré devant le comité PROC de la Chambre des communes, que vous avez déclaré : « Les électeurs des Premières Nations dans les réserves se heurtent aussi à certains obstacles, car le certificat de statut d'Indien ne comporte pas d'adresse. » Mais je dois dire qu'il y a une solution pour ce genre de situation puisque nous autorisons, parmi les 39 pièces d'identité permises, l'attestation de résidence qui est délivrée par l'autorité responsable d'une bande ou d'une réserve des Premières Nations.

Je vous dirais également qu'il existe un certain nombre de solutions de rechange basées sur ces formulaires d'attestation que peuvent délivrer les responsables d'un abri, d'une soupe populaire, d'une résidence pour étudiants ou personnes âgées ou d'un établissement de soins de longue durée. Il serait donc possible d'utiliser ce genre de pièce d'identité pour les cas où des membres de ces groupes particuliers éprouvent de la difficulté à se procurer les papiers d'identité habituels. Il y a donc un certain nombre de solutions de rechange. Acceptez-vous que ce terme soit utilisé dans cette situation?

M. Mayrand : En fait, c'est moi qui ai ajouté l'attestation, l'autorisation dans cette liste en 2007, parce que j'ai constaté que de nombreux électeurs avaient un problème sur ce point.

La difficulté que pose ce mécanisme est que toutes les autorités ne sont pas disposées à collaborer et à fournir les attestations. Il a pour effet de placer, si l'on peut dire, l'électeur à la merci de l'administrateur responsable ou du moins, de le faire dépendre de sa bonne volonté.

La sénatrice Batters : Exact.

M. Mayrand : Dans certains cas, ils sont très occupés. Dans d'autres, ils doivent remplir des attestations pour des milliers de personnes; il est donc trop difficile d'obtenir la collaboration de ces responsables pour pouvoir s'en remettre exclusivement à cette disposition.

La sénatrice Batters : D'après l'expérience que j'ai des élections, je dirais qu'il est très courant que ces types d'attestations soient utilisées. Le reconnaissez-vous?

M. Mayrand : Elles sont souvent utilisées, oui, mais pas universellement, non.

La sénatrice Batters : Cela est courant et c'est une pratique très répandue.

M. Mayrand : Oui, mais encore une fois, il s'agit en fin de compte d'un droit individuel.

La sénatrice Batters : Vous avez également pris la parole devant le comité PROC de la Chambre des communes — et vous l'avez dit aujourd'hui — et vous avez déclaré qu'à votre avis, le principal défi auquel fait face la démocratie au Canada est la participation électorale. Vous avez dit aujourd'hui que le principal défi était l'augmentation de l'abstentionnisme. Vous avez déclaré aujourd'hui au sujet du vote des jeunes que c'était un phénomène alarmant.

Élections Canada a publié un rapport qui examinait les taux de participation des jeunes à l'élection générale de 2011. Dans ce rapport, les jeunes qui n'ont pas voté ont déclaré que le fait de ne pas savoir où, quand, ni comment voter avait joué un rôle dans leur décision de s'abstenir. « Le lieu du vote » a joué un rôle dans 25 p. 100 des cas; « le moment », dans 26 p. 100 des cas et « la façon » dans 19 p. 100 des cas.

Que me répondez-vous si je vous dis que votre principale priorité doit être d'aider les gens?

M. Mayrand : Il y a deux aspects. Je ferai remarquer que 46 p. 100 des jeunes ont également déclaré que c'était le manque de contact avec les partis politiques du Canada qui était le principal facteur qui les avaient amenés à ne pas voter. Mais cela figure également dans cette liste.

La sénatrice Batters : Oui.

M. Mayrand : La deuxième chose est que, lorsqu'on examine les sondages, il faut aller au-delà des réponses évidentes. Si on effectue une analyse régressive des résultats de leurs sondages, et cela figure dans le rapport, on constate qu'il y a deux principaux facteurs qui influencent la participation. Le premier est ce que j'appelle les « problèmes » : les problèmes d'accès parce que le jeune ne sait pas où et quand voter et les problèmes de motivation. L'étude mentionne également que le principal problème est de loin la motivation.

Pour susciter un intérêt suffisant pour que le jeune souhaite apprendre comment et où voter, il faut d'abord qu'il soit motivé à participer au processus. S'il ne l'est pas, il ne fera pas attention à ce qu'on lui dit.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, la plus grande partie — en fait 98 p. 100 — de nos efforts pour ce qui est de rejoindre l'électorat consiste à informer les électeurs au sujet des conditions à remplir pour voter, de l'endroit et de la façon de déposer son bulletin de vote et les options qui existent pour cette opération.

La sénatrice Batters : Vous avez abordé un autre aspect devant le comité PROC de la Chambre des communes qui était votre préférence pour l'utilisation de la carte d'information de l'électeur. Mais vous avez également mentionné à ce comité que ces cartes contenaient environ 10 p. 100 d'erreurs. J'en ai personnellement fait l'expérience. Il y a quelques années, après que mon mari et moi ayons déménagé dans notre maison actuelle, nous avons reçu cinq cartes d'information de l'électeur différentes par la poste. Je crois qu'il y en avait une pour lui, une pour moi, une pour moi sous mon nom de jeune fille, et une pour chacun des propriétaires précédents de la maison qui n'y vivaient plus depuis des années. Voilà un exemple.

Je vous demande une simple confirmation. Vous avez témoigné devant le comité PROC qu'il y avait 23 millions d'électeurs au Canada. Un taux d'erreur pouvant aller jusqu'à 10 p. 100 représenterait 2,3 millions d'erreurs dans les cartes d'information de l'électeur.

M. Mayrand : Je crois avoir déclaré qu'après avoir procédé à des révisions et à une révision ciblée, le taux d'exactitude était passé à 93 p. 100; vous avez raison, cela représente encore 7 p. 100.

La sénatrice Batters : Sur des millions de personnes, oui.

M. Mayrand : Un des éléments qui explique peut-être pourquoi vous avez reçu autant de cartes, est que vous avez peut-être utilisé des noms différents avec différentes sources. Cela pourrait être les permis de conduire, l'impôt sur le revenu ou autre source.

L'autre aspect est que vous remarquerez que la carte est envoyée à une personne nommée ou à l'occupant du logement. Si nous voulons que la CIE puisse servir de preuve d'adresse, il faudrait changer cette partie de la carte pour être sûr qu'elle est uniquement adressée aux personnes qui occupent véritablement le logement en question.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bonjour, monsieur Mayrand. J'aurais deux questions sur votre mémoire. La première concerne ce que vous dites à la page 12, que le commissaire actuel et son prédécesseur ont tous deux indiqué que leur efficacité dépend de leur accès direct et sans entraves aux renseignements et à l'expertise d'Élections Canada. Ils craignent également que le transfert au Bureau du commissaire des poursuites pénales limite leur capacité.

Dire « craindre que » dans un mémoire n'apporte pas une évidence certaine. Avez-vous des arguments qui peuvent vraiment nous convaincre, parce que craindre quelque chose — dans la position où vous êtes, pour avoir été longtemps dans l'administration publique, je sais que l'on craint beaucoup les changements. Que craignez-vous de façon formelle?

M. Mayrand : La loi, comme vous le savez, va séparer l'administration des enquêtes. Ce faisant, la loi n'a prévu aucune méthode de communication entre les deux entités pour l'avenir, ce qui fait en sorte qu'Élections Canada sera dans la même position que n'importe quel plaignant. Cela veut dire qu'Élections Canada, étant une entité publique, un organisme gouvernemental, va être assujettie aux différentes lois qui gouvernent les organismes gouvernementaux, notamment les lois sur l'accès à la vie privée et autres qui limitent l'échange d'information entre des organismes gouvernementaux.

À mon avis, c'est une lacune dans le projet de loi. Je devrai être obligé de fournir l'information quand le commissaire me le demandera et je devrais être libre de fournir au commissaire toute l'information dont il a besoin pour mener des enquêtes.

Le sénateur Boisvenu : Si vous croyez que c'est le mécanisme qui risque de faire défaut, parce qu'on est toujours dans des hypothèses, à ce moment-là, pourquoi votre mémoire n'a-t-il pas inclus une proposition par rapport à l'établissement de ce mécanisme?

M. Mayrand : C'est dans le tableau que j'ai fait circuler. C'est l'un des amendements.

Le sénateur Boisvenu : Vous avez des craintes, mais vous faites une proposition en fonction des mécanismes?

M. Mayrand : Oui. Vous avez reçu un tableau des différentes propositions d'amendements. C'est prévu dans ce tableau.

Le sénateur Boisvenu : Ma dernière question concerne le pourcentage des votes. Dans votre présentation, je ne sais pas si vous l'avez fait de façon délibérée ou non, vous avez oublié de lire un paragraphe à la page 4, c'est celui concernant votre mandat d'information. Le paragraphe commence ainsi :

Cela dit, la priorité d'Élections Canada est de veiller à ce que ceux qui souhaitent voter aient toute l'information nécessaire.

J'ai trouvé un peu bizarre que vous ne lisiez pas ce paragraphe dans votre présentation.

M. Mayrand : Je ne l'ai pas fait parce que je le mentionne brièvement plus tard dans mon allocution, et aussi pour des raisons de temps.

Le sénateur Boisvenu : Ma question concerne les jeunes car, effectivement, le défi est d'augmenter la participation des jeunes aux élections. Votre volet étudiant, qui s'adresse à des jeunes, représente à peine 2 p. 100 de vos dépenses. Est-ce qu'il n'y a pas une forme de contradiction à dépenser si peu pour une clientèle qui participe si peu? J'essaie de comprendre la contradiction.

M. Mayrand : Effectivement. Il s'agit de la dépense encourue pendant une campagne électorale. Le « vote étudiant », c'est une élection qui se tient dans quelque 3 500 écoles à travers le pays, et qui se fait en parallèle à l'élection fédérale, par exemple, et lors de laquelle les candidats sont même invités à venir présenter leurs positions dans les écoles.

Le sénateur Boisvenu : Quel pourcentage, sur les 33 millions de dollars, dépensez-vous en termes de communication de l'information auprès des jeunes de 18 à 25 ans, par exemple?

Vous dites que le problème est d'augmenter le pourcentage des jeunes de 18 à 25 ans qui vont voter. Quel pourcentage de votre budget dépensez-vous strictement pour cette clientèle? Au Québec, lors des dernières élections, le commissaire aux élections a été vraiment pointu par rapport à cette clientèle et on pense que cela a donné des résultats.

Ma question est donc la suivante : quel est le pourcentage de votre budget qui vise cette clientèle?

M. Mayrand : Je n'ai pas ce chiffre en mémoire mais je pourrai le fournir. Nous faisons effectivement des efforts ciblés auprès des jeunes. Par exemple, nous avons des agents communautaires dans tous les grands campus à travers le pays, qui font le lien avec les étudiants et l'administration du campus pour les informer des façons dont ils peuvent voter ou s'inscrire, et des différentes solutions; où, quand et comment voter.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Merci aux témoins d'être venus. Je vais poursuivre dans cette même veine, monsieur Mayrand.

Vote étudiant coûte moins de 800 000 $. Vous faites ce travail pour informer les étudiants, de jeunes adultes, du fait qu'ils ont le droit de voter, que c'est un acte important et vous les encouragez à le faire. Faites-vous ce travail entre les élections ou seulement au moment des élections?

M. Mayrand : Non, nous effectuons ce travail avec les écoles et les professeurs dans l'ensemble du pays entre les élections.

Le sénateur Moore : Très bien.

M. Mayrand : Par exemple, en collaboration avec Élections Ontario, nous avons élaboré un programme d'éducation civique qui a été transmis à toutes les écoles de l'Ontario. Il a été bien accueilli, aussi bien par les enseignants que par les étudiants.

Le sénateur Moore : Vous avez parlé des quelque 120 000 électeurs qui ne pourraient pas voter à cause de la suppression du système des répondants. Avez-vous une idée de ce que recouvre ce chiffre global, à savoir s'il y a des membres des Premières Nations, des sans-abri, des anciens combattants parmi les sans-abri?

M. Mayrand : Franchement, nous ne le faisons pas, parce que nous ne conservons pas les renseignements concernant les électeurs, à part le fait qu'ils ont voté — cela se trouve dans les registres du scrutin — et qu'ils ont utilisé un répondant.

Quant à leur situation personnelle, nous ne la connaissons pas nécessairement. Nous pouvons toutefois vous dire, d'après ce que nous avons constaté, que ce sont souvent des membres de la même famille. Ce sont donc des gens qui vivent dans le même logement, une mère et des enfants adultes qui répondent les uns des autres. Il y a aussi le cas où des personnes âgées vivent avec leurs enfants et où leurs enfants sont les répondants de leur mère, de leur père ou d'un autre membre de la famille. Cela représente la majorité des cas.

Nous n'avons pas un profil exact. Nous savons que c'est un problème dans les réserves autochtones, dans les foyers pour personnes âgées et que c'est également un problème pour les étudiants.

Le sénateur Moore : Vous avez présenté d'excellentes recommandations et décrit les difficultés auxquelles fait face le processus électoral au Canada. Est-ce que les représentants du gouvernement vous ont invités à participer à la préparation de ce projet de loi, d'une façon ou d'une autre?

M. Mayrand : Ma participation a pris la forme de l'élaboration de plusieurs rapports depuis 2010. Il y en a eu au moins trois qui ont été préparés et déposés au Parlement. À part cela, nous n'avons aucunement participé à l'élaboration du projet de loi actuel.

Le sénateur Moore : Lorsque ce projet de loi a été préparé, vous aviez déjà remis des rapports.

M. Mayrand : Oui.

Le sénateur Moore : Personne n'est venu vous dire : « Écoutez, vous avez beaucoup travaillé sur cette question, qu'en pensez-vous? Allons-nous dans la bonne direction? Allons-nous faciliter la participation des Canadiens ou allons-nous la restreindre? » Quelqu'un vous a-t-il posé ce genre de question?

M. Mayrand : Personne ne m'a posé de question au sujet des répondants, du phénomène des répondants, personne ne m'a demandé si c'était un problème, ni quelles seraient les autres solutions possibles ou des choses de ce genre.

Le sénateur Moore : Il y a un aspect qui me dérange dans toute cette situation, c'est la question des appels automatisés. Lorsque je pense qu'on a dit à des gens de se rendre dans un bureau où ils ne pouvaient pas voter — des Canadiens — il y a des hommes et des femmes qui ont lutté et qui sont morts, qui sont enterrés à l'étranger pour protéger la démocratie, pour protéger ce droit de vote et maintenant, nous le supprimons. Pourquoi nous trouvons- nous dans cette situation? Pourquoi le permettons-nous? Pourquoi ne supprimons-nous pas ce genre de chose? Cela va à l'encontre de tout notre système.

M. Mayrand : Le projet de loi contient certaines dispositions qui tentent de circonscrire le problème des appels automatisés. Je crois que le projet de loi apporte certaines améliorations.

J'ai fait remarquer qu'il y avait encore de la place pour d'autres améliorations. Le régime proposé soulève quelques questions, mais encore une fois, comme je l'ai mentionné, je dirais que ce sont de bonnes dispositions, mais elles pourraient être renforcées si l'on tenait des discussions à ce sujet.

Le sénateur Moore : Vous en avez mentionné un certain nombre.

J'ai une dernière question, monsieur le président.

Le président : Je suis désolé, mais vous ne disposez pas de suffisamment de temps pour poser une autre question.

Le sénateur Moore : Non?

Le président : Non.

Le sénateur McInnis : Merci d'être venu. Il y a dans votre mémoire plusieurs points que j'aimerais aborder. Je vais essayer de le faire rapidement.

L'abstentionnisme est un problème réel. C'est un grand défi. La motivation, un aspect à laquelle vous avez fait allusion ou que vous avez mentionné directement, je ne sais pas comment on pourrait la modifier. Il y a beaucoup de frustration, des commentaires répétitifs. Je pense que c'est probablement parce qu'il y a eu trop de gouvernements libéraux dans ce pays, ce qui a découragé la population. C'est un problème.

Mais sincèrement, vous n'avez pas réussi ce que vous avez entrepris de faire, parce qu'il est très difficile de faire voter la population. C'est la raison pour laquelle je souscris aux mesures que propose le projet de loi dans ce domaine.

J'aimerais simplement aborder cet aspect : vous avez mentionné que le commissaire n'avait pas les outils dont il avait besoin pour faire son travail. Vous avez également mentionné — et je ne pense pas que vous l'aviez dit directement ici — qu'il n'était pas du tout souhaitable de retirer le commissaire de votre bureau. Vous allez me corriger si je me trompe sur ce sujet, mais c'est ce que j'ai compris. Et d'autres commentaires que vous avez faits au sujet des témoins que l'on ne peut pas obliger à témoigner, cela m'indique — et je vous en prie, je ne suis pas en train d'être arrogant ou content de moi et je n'essaie pas de vous critiquer — que vous n'avez pas compris la façon dont fonctionne le système de justice pour ce qui est des directeurs indépendants des poursuites pénales.

Je suis consterné de voir qu'en 2014, nous effectuons à partir du même bureau l'administration des élections, la réglementation et l'application de la loi. Voilà qui est terrible.

En fait, c'est une excellente décision et je suis étonné qu'elle n'ait pas été prise avant. D'autres commentaires ont paru dans les médias d'après lesquels cette décision était tout à fait choquante et très surprenante.

L'assignation des témoins après une enquête incombera au directeur des poursuites pénales ou à ceux qui travaillent sous ses ordres. Pour ce qui est des enquêtes, le commissaire sera maintenant chargé d'embaucher le personnel et il embauchera davantage de personnel pour effectuer les enquêtes.

J'ai un autre commentaire. Pour ce qui est des communications, je pense que, s'il se produit quelque chose d'irrégulier au cours d'une élection, le commissaire pourra faire des commentaires, si cela est nécessaire, et si cela ne nuit pas à des poursuites en cours.

Voilà ce qui me trouble. Il me semble qu'il y ait un grave malentendu sur la répartition des responsabilités au sein de notre système de justice, aspect qui n'a pas été, non seulement populaire dans l'ensemble du pays, mais qui était presque obligatoire, et comme je l'ai dit plus tôt aujourd'hui, alors que nous avons mis sur pied des commissions royales qui nous ont coûté des millions de dollars pour régler ces problèmes, il y a pas mal d'années, au cours des années 1980.

M. Mayrand : Vous avez soulevé plusieurs points. Je vais en aborder brièvement quelques-uns.

Ce qui est inhabituel, c'est de fusionner les enquêtes et les poursuites. La tradition canadienne consiste à séparer les enquêtes des poursuites. En fait, je ne pense pas que le DPP fasse d'autres enquêtes que celles que vient de lui attribuer ce projet de loi. Voilà une chose.

L'autre aspect est qu'il est courant, tant au palier fédéral que provincial, de combiner au sein d'un organisme de réglementation les responsabilités en matière d'enquête et d'administration. Vous pouvez penser à l'ARC, au ministère de l'Environnement et à toutes les agences qui combinent ces deux fonctions.

Je ne sais pas trop. Pour ce qui est des ressources, il n'y a rien dans la loi qui en ajoute ou en supprime.

Pour ce qui est de l'historique, encore une fois, en 2006, nous avons séparé ces fonctions parce qu'il était inhabituel de voir regrouper l'administration, les enquêtes et les poursuites. Cela était inhabituel et cela a été modifié en 2006 en retirant au commissaire aux élections fédérales la direction des poursuites. Il me semble que nous revenons à notre point de départ. Nous sommes en train de dire, six ans plus tard, qu'il faut de nouveau réunir les enquêtes et les poursuites. Je laisserai au comité le soin de se prononcer sur ce point.

Le président : Désolé, notre temps est écoulé. Nous avons d'autres témoins à entendre. Je crois savoir que M. Côté va comparaître, et nous aurons donc la possibilité de poursuivre sur cette question. Messieurs, merci.

Notre deuxième groupe de témoins cet après-midi est composé de Jean-Pierre Kingsley, ancien directeur général des élections du Canada, qui comparaît à titre personnel et qui connaît, bien sûr, beaucoup de choses sur le sujet que couvre le projet de loi C-23.

Monsieur, bienvenue. Je suis heureux de vous avoir ici. Je vous donne la parole pour votre déclaration préliminaire.

[Français]

Jean-Pierre Kingsley, ancien directeur général des élections du Canada, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous sais gré de cette invitation de comparaître devant vous eut égard au projet loi C-23, projet de loi très long et complexe.

D'ailleurs, le sénateur Joyal en avait exprimé le souhait, c'est-à-dire que je comparaisse à nouveau, lors de ma dernière comparution, quelques semaines avant mon départ du poste de directeur général des élections (DGE) en février 2007.

Mon commentaire ne durera que trois minutes.

Avec votre permission, je vous fais grâce de relire ma déposition présentée aux membres du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement de l'autre endroit.

La greffière et moi nous sommes entendus qu'il suffirait que ma présentation vous soit remise, quitte à ce que j'en relève les points saillants.

[Traduction]

Dans mon exposé, qui vous a été distribué, j'ai souligné ce qui me paraît être les éléments positifs du projet de loi à savoir ceux qui concernent les appels automatisés, l'enregistrement des fournisseurs de service et la conservation des dossiers, l'augmentation significative des amendes qui passent de 50 000 à 100 000 $, en fonction de l'infraction commise, la diminution importante et progressive du remboursement des dépenses de campagne en cas de dépassement du plafond, le quatrième jour de vote par anticipation, et l'élection québécoise vient d'en démontrer la popularité, la modification du régime des prêts et des créances impayées, la légalisation des comités consultatifs des partis politiques et l'obligation pour le directeur général des élections de rendre des décisions anticipées et relatives à l'interprétation des lois. C'était là les éléments positifs.

[Français]

J'ai considéré deux changements relativement neutres dans leurs effets : le transfert du commissaire au directeur des poursuites pénales, en encore faudrait-il lui accorder le droit de parole public lors d'une enquête et de renverser le fardeau quant à son obligation d'avertir une personne qui fait l'objet d'une enquête. Les augmentations de 5 p. 100 dans les plafonds des dépenses, et de 25 p. 100 dans les contributions, je considère cela neutre également.

J'ai aussi noté certaines améliorations à considérer. D'abord, retirer l'exemption proposée aux dépenses des partis, les frais de prélèvement de fonds auprès des donateurs des partis.

Enchâsser dans la loi le droit du DGE d'avoir accès à toute documentation relative aux rapports des partis et concernant les dépenses électorales et annuelles. J'ai aussi mentionné le besoin d'autoriser le commissaire aux élections de contraindre les témoins à la suite d'une ordonnance de la cour.

[Traduction]

Deux changements qui me paraissent essentiels ont été abordés : la conservation du régime des répondants en y ajoutant la prestation d'un serment par écrit, quelque chose que le projet de loi ne prévoit pas pour le moment, et l'abrogation de l'article 18 du projet de loi pour redonner au directeur général des élections le droit de parler aux Canadiens et de rejoindre les électeurs défavorisés, y compris les jeunes, les groupes minoritaires et les néo-Canadiens.

Il convient de préserver la confiance qu'ont les Canadiens dans leur système électoral lorsque ce projet de loi sera adopté, d'où sa grande légitimité. Je vous remercie.

Le président : Merci monsieur. Nous apprécions le fait que vous ayez présenté une déclaration préliminaire assez brève, parce que les membres du comité ont hâte de vous poser des questions; nous allons commencer ces questions avec le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Bienvenue au témoin qui est bien évidemment un spécialiste de la Loi électorale du Canada. J'aimerais tout d'abord attirer son attention sur une déclaration qu'il a faite devant le comité et lui demander une précision. Voici cette déclaration :

Il y a tout d'abord le projet d'abolition par le projet de loi C-23 de la disposition légale qui permet à un électeur d'établir son identité en ayant recours à un répondant. Cela va directement toucher le droit de vote, un droit constitutionnel, d'un grand nombre de Canadiens sans justification.

Monsieur Kingsley, le « sans justification » est un élément important, parce que, comme l'énonce l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, nous pouvons en arriver à un point où le tribunal va dire : « Très bien, cela est contraire à la Charte, mais est-ce que cette disposition est justifiée par l'article 1? Est-ce justifié dans une société libre et démocratique?

Vous dites que ce n'est pas le cas ici et que cela est tout à fait inconstitutionnel parce que cette abolition va empêcher un grand nombre de Canadiens d'exercer leur droit de vote. Pourriez-vous préciser le nombre de Canadiens concernés et confirmer le fait que vous avez conclu que cette mesure ne sera pas sauvée par l'article 1 de la Charte?

M. Kingsley : Bien évidemment, j'ai fait ce commentaire au moment où j'avais à l'esprit le rapport qui mentionnait qu'environ 120 000 personnes avaient eu recours à un répondant au cours de la dernière élection générale. Le rapport produit signalait un grand nombre d'irrégularités administratives, les nombreux documents exigés n'ayant pas été préparés. J'ai recommandé deux choses dans mes remarques pour régler cette question. La première était de veiller à ce que les gens fassent leur travail : les scrutateurs, les greffiers et les gens qui reçoivent les personnes qui souhaitent avoir recours à un répondant.

Il faut savoir que le mécanisme existe. Je ne parle pas de la façon d'utiliser un répondant. Il y a 20 personnes dans la file d'attente. Elles attendent toutes de voter. Une d'entre elles se présente avec une autre personne et dit : « Je n'ai pas mes papiers d'identité, mais mon frère est là; il va répondre de moi. » « Où habitez-vous? Quel est votre nom? » Vérifier que le nom, les noms sont bien là et les adresses sont là. D'accord, vous pouvez voter. « Je n'ai pas le temps de remplir ces formulaires. »

Et en 2006, vous me pardonnerez ce que je fais, mais j'ai déclaré aux deux comités : il faudra du personnel supplémentaire pour faire ces choses. J'ai recommandé une personne supplémentaire. Les cartes de bingo ont été introduites au même moment. Ce fardeau a été placé sur les scrutateurs et les greffiers du scrutin, sans personnel supplémentaire. Il y avait le même nombre d'électeurs dans la file d'attente. Nous avons donc créé une situation dans laquelle il fallait faire avancer ces gens. Il fallait que cette file d'attente s'écoule.

Les Canadiens n'aiment pas beaucoup faire la file longtemps. J'ai reçu des coups de téléphone lorsque l'attente était de plus d'une demi-heure. Les gens m'appelaient et étaient très en colère. « Quel genre de système avez-vous mis sur pied? » Je ne voulais pas les envoyer voter aux États-Unis parce qu'ils attendraient là cinq heures. Je me suis dit : « Nous devrions peut-être résoudre le problème ici. » La première solution est de demander aux gens de faire leur travail. Avec ce projet de loi, le directeur général des élections aura le pouvoir d'embaucher du personnel supplémentaire.

La deuxième chose est que le projet de loi propose d'autres façons d'assermenter un électeur dans deux cas. Cela se faisait auparavant oralement, mais les autorités électorales avaient préparé un document. Le projet de loi propose que désormais les serments soient également pris par écrit, et pas seulement les documents les concernant, mais qu'ils soient signés par la personne qui prête serment. Deux serments sont prêtés lorsqu'il y a recours à un répondant : celui du répondant et celui de la personne dont il répond. Ces deux personnes doivent prêter serment par écrit et cela résoudra le problème d'un seul coup. Avec l'adoption de ces deux mesures, le problème des répondants serait réglé.

J'aimerais ajouter une autre chose. Je sais que je prends votre temps.

Les gens oublient que nous avions un système fondé sur la confiance des électeurs jusqu'en 2006. Nous avons ensuite changé toute l'approche et estimé que cela n'était plus suffisant avec la Loi sur la responsabilité. Nous avons dit : « À partir de maintenant, vous devez apporter une preuve de votre adresse, et en plus, vous allez devoir présenter une preuve d'identité; nous voulons les deux éléments. »

Aucune autorité fédérale ne produit un document facile à obtenir sur lequel figurent ces deux données. C'est une forme d'iniquité. J'en parle également dans mes remarques.

Le sénateur Baker : Vous dites que le seul document serait un permis de conduire, mais qu'il n'y a pas de pièce d'identité délivrée par le fédéral qui contienne la photo du titulaire avec son adresse actuelle et sur laquelle on puisse se baser.

Autrement dit, vous dites que le recours aux répondants, comme vous le savez probablement, dans certaines instances judiciaires auxquelles il a été fait référence dans l'audience précédente, Henry c Le directeur général des élections du Canada — êtes-vous au courant de cette décision?

M. Kingsley : Le tribunal de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Baker : Oui. Le gouvernement du Canada a fondé son raisonnement sur la Loi électorale du Canada en disant que c'était un document légal qui exigeait que les personnes produisent des papiers d'identité parce que le gouvernement du Canada a déclaré : « Nous avons la sécurité parfaite qu'apportent les répondants ». C'était sa position.

Vous dites aujourd'hui que la suppression du système des répondants va empêcher un nombre important de Canadiens d'exercer leur droit de vote. Pensez-vous qu'avec la prochaine poursuite judiciaire, si ce projet est adopté tel quel, il est très probable qu'une cour supérieure du Canada annule cette disposition de la Loi électorale du Canada qui serait entrée en vigueur si cela était approuvé?

M. Kingsley : Il m'est difficile de dire ce qu'un tribunal fera; je dois vous le dire franchement. En réalité, je suis très prudent avant de répondre à une question précédée par le mot « si ». Je tiens à ce que tous les membres du comité le sachent.

Je ne sais pas comment un tribunal se prononcerait sur une question de ce genre. Je sais par contre que le tribunal devrait tenir compte du fait qu'il y a des Canadiens qui se promènent sans avoir de pièces d'identité ni d'adresse, en particulier de pièces établissant leur adresse. Il y a des Canadiens dans les régions rurales, dans les régions isolées du pays, qui vivent leur vie au Canada sans avoir tous ces papiers qui déforment mon portefeuille.

La sénatrice Frum : Merci d'être venu.

Le sénateur Baker vient de mentionner qu'il n'existe pas de pièce d'identité fédérale sur laquelle figurent votre photo et également, votre adresse. Est-il possible d'affirmer qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une pièce d'identité avec photo pour voter? Est-ce bien exact?

M. Kingsley : Je n'en suis pas sûr.

La sénatrice Frum : Vous n'êtes pas sûr.

M. Kingsley : Je vais accepter cela. Je n'ai jamais fait fonctionner le système avec des pièces d'identité. J'en étais fort aise, je le dis en passant.

La sénatrice Frum : Très bien. Je ne voulais pas vous embarrasser, même si cela fait allusion à l'impression qu'a le sénateur Baker selon lequel il faut présenter une pièce d'identité avec photo et que vous n'en êtes pas sûr.

Le sénateur Baker : C'est ce qu'il a dit.

M. Kingsley : Non, je n'ai pas dit cela.

La sénatrice Frum : Non, je vous ai entendu parler avec des journalistes à l'extérieur de la salle et dire qu'il fallait...

Le sénateur Baker : Vous avez dit qu'il n'existait pas de pièce d'identité délivrée par le gouvernement fédéral sur laquelle figurent votre photo et votre adresse actuelle.

Le président : La sénatrice Frum a la parole.

Le sénateur Baker : Allez-y.

M. Kingsley : Si je l'ai dit, je le reprends.

La sénatrice Frum : Je pense que nous venons de démontrer qu'Élections Canada doit mieux informer ses électeurs, y compris le sénateur Baker, au sujet des pièces d'identité véritablement exigées.

Je vais poser une question sur les répondants. On a dit que les répondants constituaient une protection. Quelle est la protection qu'accordent les répondants? Autrement dit, le rapport Neufeld était un rapport sur la conformité et nous connaissons donc cet aspect; c'est ce qui nous a permis de constater que près d'un tiers des bulletins déposés après l'intervention d'un répondant contenait des irrégularités graves. Nous avons constaté cela avec un rapport de conformité. Y a-t-il un mécanisme qui permet de vérifier le recours aux répondants après une élection? Comment savons-nous que les gens disent la vérité?

M. Kingsley : Si l'on adoptait la recommandation portant que le serment soit prêté par écrit, alors il y aurait le répondant, qui est déjà sur la liste du bureau de scrutin concerné, avec l'adresse...

La sénatrice Frum : Pas nécessairement.

M. Kingsley : Oh, oui. Il faut qu'il vote dans le même bureau de scrutin que la personne dont il répond. Nous parlons tout au plus de 350 électeurs. Il n'y a que 350 électeurs par bureau de scrutin et il faut qu'ils soient tous les deux du même bureau de scrutin. Vous auriez ce document. Le répondant dit : je connais cette personne et je sais où elle réside.

La sénatrice Frum : Oui, excusez-moi. Il n'est pas nécessaire que le nom de la personne qui a recours à un répondant figure sur la liste.

M. Kingsley : Tout ceci se ferait par écrit sur ces deux formulaires et les deux personnes signeraient ce serment en disant « Je suis cette personne et elle est cette femme ».

La sénatrice Frum : Je comprends. Que se passe-t-il ensuite? Que se passe-t-il si elle n'est pas cette femme? Comment le savons-nous?

M. Kingsley : Il y a des agents électoraux.

La sénatrice Frum : Comment vont-ils le savoir eux?

M. Kingsley : Nous pouvons vérifier après-coup s'il y a des gens qui vivent à cette adresse.

La sénatrice Frum : Le faisons-nous?

M. Kingsley : Je ne sais pas si nous le faisons. Je n'ai jamais administré un système qui comportait cet élément, mais c'est un mécanisme qu'il serait facile de mettre en œuvre.

La sénatrice Frum : Il semble que nous ne le fassions pas. Nous n'en avons eu connaissance que grâce au rapport Neufeld. Le processus ne prévoit pas qu'il y ait lieu de faire un suivi et une étude de la conformité pour le recours aux répondants.

M. Kingsley : Si vous voulez que cela soit inclus dans la loi, c'est une mesure que vous pouvez envisager. Si vous pensez que le directeur général des élections devrait s'en occuper, convoquez cette personne et dites-lui que vous voulez que cela soit fait. C'est à cela que sert le Parlement.

La sénatrice Frum : Bien sûr, et nous pouvons admettre qu'à l'heure actuelle, le recours aux répondants est donc très vulnérable à la fraude parce qu'il semble qu'avec le système actuel, nous ne fassions aucune vérification de suivi.

Sur votre liste, vous dites que vous êtes neutre pour ce qui est de l'augmentation du plafond des dépenses. J'imagine que cela veut dire que c'est une bonne chose pour vous. Pouvez-vous nous décrire le contexte des contributions personnelles aux élections par les Canadiens par rapport aux normes internationales? Ce chiffre va passer à 1 500 $ par personne. Comment cela nous place-t-il dans le contexte mondial?

M. Kingsley : Nous sommes les meilleurs.

La sénatrice Frum : Ce qui veut dire?

M. Kingsley : Nous sommes le seul pays qui contrôle véritablement l'utilisation de l'argent dans le processus politique, dans le processus électoral. Bien sûr, nous pourrions faire mieux pour ce qui est de vérifier la comptabilité des partis, mais c'est une autre question.

Pour ce qui est du contrôle des fonds, le fait est que seule une personne physique de nationalité canadienne peut donner de l'argent, le fait qu'il s'agit d'un montant dont on ne peut pas dire qu'il permet d'acheter un politicien ou un parti politique, qu'aucune personne morale ne peut donner de l'argent, qu'aucun syndicat ne peut en donner, qu'aucune association ne peut en donner, pas même les Scouts du Canada, tout cela montre que c'est un excellent système. Il y a le fait que nous avons autorisé les tiers. Ce pourrait être les Scouts du Canada ou Imperial Oil du Canada. Il y a aussi des restrictions sur les fonds qu'ils peuvent donner. Nous avons un des meilleurs systèmes au monde. J'hésite à dire le meilleur parce que je suis modeste de nature, mais je crois que nous avons le meilleur système.

La sénatrice Frum : Merci pour cette réponse.

J'ai une dernière question. La disposition du projet de loi qui autorise la déduction des frais reliés au financement du plafond des dépenses de la campagne soulève-t-elle d'après vous des problèmes? Avez-vous des idées à ce sujet?

M. Kingsley : Dans mon témoignage — vous n'avez peut-être pas eu la possibilité de l'examiner — je dis que cela n'est pas pratique, parce qu'il n'est pas possible d'aller chercher des fonds sans se vanter ou démolir une autre personne. Que pouvez-vous dire à quelqu'un? Vous nous avez déjà donné de l'argent? Le nom du parti ne figure même pas sur la feuille parce que si cela se faisait, cela deviendrait de la publicité dans notre système. Vous mettez votre photo sur une affiche — et il y a des photos sur les affiches — avec le nom du parti, et cela s'appelle de la publicité. C'est ainsi. Si vous envoyez une lettre avec l'en-tête du parti et la mention « Donnez encore une fois », c'est de la publicité. Il n'est donc pas possible de séparer les deux à moins d'envoyer une feuille toute blanche disant uniquement « Donnez encore une fois » sans qu'il n'y ait de nom sur cette feuille. À qui les gens vont-ils donner de l'argent? Cela n'est pas pratique. Cela n'est pas faisable.

Le ministre dit que cela touche des petites sommes. Si ce sont vraiment des petites sommes, pourquoi alors avoir créé cette échappatoire? Je me suis toujours beaucoup inquiété de l'utilisation qui est faite des échappatoires. On peut y faire passer les camions de la Brinks ou ceux de Garda par ces échappatoires. Il n'y a pas de rapport là-dessus; c'est un autre aspect. Nous ne pourrions pas savoir ce qui se passe. Nous ne pourrions pas savoir ce qui se passe par la suite. Est-ce que c'est une petite fissure qui va s'élargir et qui va laisser entrer la mer? Voilà qui me paraît faire problème.

La sénatrice Frum : Un peu comme le recours au répondant. Très bien, j'ai compris; merci.

Le sénateur Moore : Monsieur Kingsley, merci d'être venu.

Je voulais vous poser une question au sujet des appels automatisés. Je crois que ce projet de loi oblige le CRTC à conserver des données pendant un certain temps? Je crois que c'est pendant un an. Est-ce bien exact? Quelles sont les données qui doivent être conservées?

M. Kingsley : Je pense que le CRTC a déclaré dans une explication donnée devant le PROC, le comité de l'autre endroit...

Le sénateur Moore : Vous feriez mieux d'expliquer ce qu'est le PROC, parce que les gens qui nous regardent ou nous écoutent ne savent pas ce que c'est.

M. Kingsley : Le PROC est le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, l'endroit où je suis la seule personne au monde à avoir comparu autant de fois.

Le CRTC a déclaré qu'il conserverait les données pendant sept ans. Il s'agit d'uniformiser la durée de conservation des dossiers et le délai dans lequel le commissaire peut déclencher une enquête susceptible de déboucher sur une poursuite. Je ne sais pas quel est ce délai. Il est peut-être de 10 ans. Il pourrait être sans limites si je me fie à un changement qui a été apporté à la loi.

Mais le véritable problème vient du fait que le texte du message ne serait conservé que pendant un an parce que le ministre a expliqué qu'il ne voulait pas que des personnes qui ne participent pas vraiment au jeu s'en chargent. Je dis qu'un an est un délai fantastique. Il devrait ensuite demander à Élections Canada de conserver ces données parce qu'elles pourraient être très utiles dans le cas où une enquête est déclenchée. Il est impossible que toutes les enquêtes découlant d'une élection puissent s'effectuer en un an. Il faudrait avoir accès à ces documents et il serait très simple de dire aux gens qui possèdent ces données : « Transmettez-les au directeur général des élections ou au CRTC, pourquoi pas; cela ne fait pas de différence. »

Le sénateur Moore : Les dossiers contiennent-ils le numéro de téléphone des personnes contactées?

M. Kingsley : Non, pas pour le moment et c'est une des choses qui devraient, d'après moi, être faites, tout comme le dit M. Mayrand, parce que cela aiderait beaucoup les enquêteurs à savoir ce qui s'est passé. !!!

Le sénateur Moore : Le paragraphe 158(4) du projet de loi : « [...] en vigueur le jour de la prochaine dissolution du Parlement [...] ». J'ai lu ce texte plusieurs fois et je ne le comprends pas. Vous pouvez peut-être m'aider à le faire.

L'article 4 du projet de loi traite des pouvoirs et fonctions du directeur général des élections; l'article 76 traite des services d'appels aux électeurs et les articles 137 et 144 de la Loi sur les télécommunications. Toutes ces dispositions « entrent en vigueur le jour de la prochaine dissolution du Parlement ou, si celle-ci a lieu moins de six mois après la date de sanction de la présente loi, six mois après la date de cette dissolution. » Que cela veut-il dire?

M. Kingsley : Monsieur, j'avais recours à des avocats pour comprendre les choses de ce genre. Je n'en suis pas un. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Je ne peux pas vous aider.

Le sénateur Moore : Vous ne pouvez vraiment pas nous aider?

M. Kingsley : Vraiment pas.

Le sénateur Moore : Avez-vous examiné cet article?

M. Kingsley : Il était trop long pour que je l'examine. Non, je ne l'ai pas examiné en détail. Je l'ai survolé parce que je sais qu'il est trop alambiqué pour moi.

Le sénateur Moore : Trop alambiqué.

M. Kingsley : Oui, pour moi.

Le sénateur Moore : Cela a l'air très important, le jour d'entrée en vigueur.

M. Kingsley : Oui.

Le sénateur Moore : Si c'est un peu alambiqué pour vous, compte tenu des postes que vous avez occupés, comment cela va-t-il se traduire pour le citoyen moyen?

M. Kingsley : Je suis sûr que l'on peut obtenir des gens du Conseil privé qui ont préparé ce texte une interprétation en langage courant. Je suis sûr que vous allez entendre des témoins à ce sujet, à un moment donné. Je suis prêt à leur lever mon chapeau.

Le sénateur Plett : Monsieur Kingsley, merci d'être venu. Nous avons passé énormément de temps sur la question des répondants, mais ce projet de loi comprend de nombreuses autres parties. La sénatrice Frum a fait allusion à un certain nombre d'entre elles et elle a posé d'excellentes questions à leur sujet, mais j'aimerais consacrer un peu plus de temps aux répondants parce que cela semble être la question sur laquelle tout le monde se penche. Il me semble que, lorsque l'opposition n'a pas vraiment de bons arguments, elle dit tout simplement que c'est inconstitutionnel. C'est la façon la plus facile de critiquer un projet de loi qui nous a été soumis. Nous allons entendre plus tard aujourd'hui un avocat qui va déclarer, je crois, que ce projet de loi est constitutionnel. J'ai donc hâte de l'entendre le dire.

Monsieur, avez-vous une idée du nombre des personnes qui ont eu besoin d'un répondant au cours de la dernière élection parce qu'ils ont oublié leurs papiers d'identité par opposition au fait qu'ils n'en avaient pas?

M. Kingsley : Je l'ignore, monsieur. Je n'ai pas du tout étudié ce phénomène.

Le sénateur Plett : Je le comprends. Il n'y a peut-être pas de données à ce sujet.

M. Kingsley : Le problème, c'est qu'il n'y a pas de données; c'est ce qui manque.

Le sénateur Plett : Il y a des données au sujet des irrégularités puisqu'il y en a eu une cinquantaine de milles qui touchait les répondants.

M. Kingsley : Exact.

Le sénateur Plett : Je ne sais pas s'ils sont au courant, mais je poserais peut-être la question à d'autres.

Dans le témoignage que vous avez livré il y a quelques instants, vous avez parlé des gens qui se promenaient sans être en possession d'une pièce d'identité sur laquelle figure leur adresse.

M. Kingsley : Oui.

Le sénateur Plett : Il m'est souvent arrivé de me promener sans avoir sur moi une pièce d'identité avec mon adresse. Avant de poser la question, j'ai regardé dans mon étui-pince si j'avais quelque chose avec une adresse et j'ai remarqué que j'avais mon permis de conduire.

Cependant, on ne fait pas simplement se promener lorsqu'on se rend dans un bureau de scrutin. Nous y allons dans un certain but. Nous partons de chez nous pour aller voter, pas simplement pour nous promener. De sorte que, si je savais qu'il fallait que je présente une pièce d'identité particulière, je l'apporterais avec moi au lieu de la laisser à la maison. Je crois que c'est la raison pour laquelle j'ai posé la question au sujet du nombre des personnes à qui cela arrive par hasard. Je pense que la plupart des gens vont prendre la pièce d'identité dont ils ont besoin et, comme le ministre l'a expliqué aujourd'hui avec l'attestation, qui est d'après moi une forme de répondant, si je suis le responsable d'un foyer et que les personnes âgées n'ont pas les pièces d'identité demandées, je peux attester qu'ils habitent dans cet endroit. Cela serait encore une sorte de répondant, n'est-ce pas?

M. Kingsley : Eh bien, j'étais en arrière de la salle lorsque M. Mayrand expliquait — je crois que c'était la sénatrice Frum — que c'était une bonne idée, mais il est par contre difficile d'amener les gens à faire ce genre de choses volontairement. Si vous aviez inscrit dans le projet de loi l'obligation de fournir ces lettres d'attestation et que le refus de le faire constituait une infraction, alors cela pourrait être une solution de rechange. Il y a des gens qui ne sont pas disposés à fournir ces attestations et dans certains cas, cela leur coûterait très cher de le faire.

Le sénateur Plett : Je le comprends. Je ne veux pas minimiser l'importance de veiller à ce que chaque citoyen du Canada puisse exercer son droit de vote garanti par la Constitution. Mais je pense que ce chiffre, lorsque nous parlons de près de 120 000 personnes qui ont eu besoin de recourir à un répondant au cours de la dernière élection, serait considérablement inférieur.

Ma dernière question est la suivante. Je n'aime pas du tout obtenir mes renseignements auprès des médias, mais j'ai lu dans un article que vous aviez donné à ce projet de loi la note A-moins lorsqu'il a été présenté. Je me demande si cette note a chanté depuis votre première lecture du projet et si c'est le cas, si vous n'avez pas été un peu hâtif en lui accordant la note A-moins? Pourquoi un A-moins à ce moment-là et peut-être une autre note à l'heure actuelle, si effectivement elle a changé?

M. Kingsley : Elle n'a pas changé.

Le sénateur Plett : C'est donc toujours un A-moins?

M. Kingsley : Cette note n'a pas changé. J'attends pour voir les changements qui seront apportés au projet de loi par les divers comités. J'ai convenu avec les médias, dont certains sont ici, qu'une fois le projet de loi présenté sous sa forme finale et prêt à être mis au vote, je le relirai.

Entre-temps, il ne servirait à rien de le relire. Chaque fois que quelqu'un me repose la question : « Pensez-vous toujours qu'il mérite un A-moins ou pensez-vous que c'est un B-moins-moins », cela n'aide pas beaucoup la discussion. Il y a des commentaires importants à faire et je ne veux pas prendre le temps de ces diverses personnes en décidant, comme professeur, que je donnerai maintenant à un B-plus-moins. Cela ne fonctionne pas de cette façon.

Le sénateur Plett : Pendant toute ma vie, j'étais habituellement satisfait quand j'obtenais un B-plus.

La sénatrice Batters : J'ai toujours été satisfaite avec un A-moins comme note de mi-session.

Le sénateur Plett : De mon côté, je préférais un A-plus.

La sénatrice Batters : C'est vrai, mais un A-moins est une assez bonne note. J'apprécie que vous ayez abrégé votre déclaration préliminaire pour respecter notre horaire. Vous avez remis certaines parties de votre déclaration par écrit, et vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour en parler. Je comprends très bien votre choix en me basant sur le nombre de points qui figurent dans votre liste des éléments positifs du projet de loi, et il avait ensuite certains éléments neutres et quelques domaines qu'il y aurait lieu d'améliorer, comment vous en êtes arrivé à donner cette note?

L'aspect dont je voulais parler était la question du directeur des poursuites pénales. J'ai déjà occupé le poste de chef du cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan, et en cette capacité, même si en Saskatchewan le directeur des poursuites pénales relève techniquement du ministre de la Justice, il est essentiel que ce poste soit indépendant et c'est là un principe bien reconnu associé à ce poste au bureau du ministre. J'estime que cela peut se transposer très facilement dans la situation dont nous parlons ici, et je me demandais si vous pouviez faire un commentaire à ce sujet.

M. Kingsley : Eh bien, j'ai lu cet article du projet de loi avec beaucoup d'attention et je l'ai placé dans la catégorie neutre.

La sénatrice Batters : Oui.

M. Kingsley : J'ai mentionné plusieurs préoccupations relativement peu importantes et je vais les soulever à nouveau. Dans notre système, le directeur des poursuites pénales est indépendant, même si en théorie et en réalité, il doit rencontrer le procureur général parce que c'est ce qui est exigé.

Ce que nous ne savons pas, et je ne l'ai pas entendu dire par quelqu'un d'autre, est que chaque fois qu'une infraction à la loi électorale du Canada est commise, le directeur des poursuites pénales ne peut en parler avec le procureur général. C'est une exception qui a été apportée lorsque j'ai témoigné devant divers comités au moment où nous examinions la Loi sur la responsabilité.

Même cette exception n'existait pas, nous estimons néanmoins que, dans le cas d'une infraction pénale commise par un parti politique ou un politicien — mais pas aux termes de la Loi électorale du Canada — le DPP, le directeur des poursuites pénales irait de l'avant et intenterait des poursuites de façon équitable. Cela n'a jamais soulevé de problème. Le choix du DPP est un processus très complet et c'est la raison pour laquelle je suis satisfait de ce projet.

Nous avons entendu le directeur général des élections parler de la nécessité de mettre sur pied des mécanismes favorisant la discussion. Nous devrions certainement envisager d'accorder au commissaire le droit de mentionner au cours d'une élection le lancement de certaines enquêtes lorsqu'il est dans l'intérêt public de le faire. À l'heure actuelle, il ne peut le faire à cause du projet de loi. Je sais que les gens et les politiciens sont très réticents à voir la personne chargée d'effectuer une enquête de mentionner publiquement qu'une enquête est en cours dans un cas particulier, pas seulement au cours d'une élection, mais c'est encore pire, lorsque c'est au cours d'une élection. C'est la raison pour laquelle, lorsque j'occupais le poste, nous avions adopté comme politique — et je pense qu'elle est toujours en vigueur; je suis sûr qu'elle l'est — de ne pas commenter les enquêtes.

Parfois, il n'est pas possible de dire à un commissaire : « Vous ne devez jamais vous adresser à la population » parce qu'il peut arriver qu'il découvre quelque chose — et je crois que vous avez fait allusion à cette possibilité il y a quelques instants. Il peut arriver qu'il découvre quelque chose qu'il serait dans l'intérêt public de mentionner à la population. Il se passe des choses au cours d'une élection dans notre pays. C'est ce que je voulais dire lorsque j'ai déclaré qu'il fallait préserver la confiance des Canadiens. Ils doivent savoir que les gens chargés d'administrer le système peuvent les informer si quelque chose d'anormal se produit. Nous ne savons pas ce que cela pourrait être.

Le sénateur McInnis : Le problème que ce genre de situation pose est que vous êtes innocent tant que vous n'avez pas été déclaré coupable. Un candidat fait campagne, il pense qu'il n'a rien fait de mal et tout d'un coup, le pays entier apprend que cette personne a fait quelque chose qui nous paraît incorrect.

Dans ce cas-là, le commissaire chargé de l'enquête va la confier au directeur des poursuites pénales et c'est eux qui prendront cette décision. Si vous le faites de l'autre façon — et faites-moi confiance — lorsque les médias se mettent à en parler, vous êtes coupable et vous devez quand même poursuivre votre campagne. C'est le problème. C'est la raison pour laquelle je suis en faveur du projet de loi tel qu'il est actuellement.

Je voudrais passer à d'autres aspects. Je n'ai pas de choses trop graves à mentionner ici. J'ai apprécié vos commentaires et je vous remercie d'être venu.

Le régime des répondants, qui me paraît constitutionnel, fait problème; cela est certain. Il faut bien reconnaître que les changements prennent du temps à être adoptés et mis en œuvre. Comme pour voter, vous êtes obligé de fournir des renseignements lorsque vous quittez le pays; vous devez fournir des renseignements pour obtenir une carte d'assurance- maladie; vous devez fournir des renseignements pour obtenir quoi que ce soit.

L'éducation et l'expérience permettront de résoudre ce problème. Je vais en rester là parce que je suis convaincu que c'est une question de pratique. Nous savons bien qu'il y a suffisamment de publicité au cours des campagnes électorales et que, si une personne ne sait pas que l'élection a lieu tel jour, je peux vous dire qu'on peut se demander où cette personne a été.

Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris ce que vous avez dit au sujet des dépenses reliées aux levées de fonds, mais les élections coûtent très cher. J'ai personnellement constaté que les personnes chargées des campagnes électorales et des campagnes de levée de fonds, avaient tendance à conserver ces dossiers. Peu importe qu'elles sollicitent une seconde fois une personne, elles sont extrêmement prudentes avec les dépenses. Il se trouve que j'estime que cela ne devrait pas constituer une dépense.

Voilà ce que je peux vous dire. Vous pouvez commenter, si vous le souhaitez.

M. Kingsley : J'ai apprécié le fait que vous ayez exprimé vos opinions, monsieur.

Le président : J'ai terminé la liste et il nous reste un peu de temps. Nous avons un visiteur ici, la sénatrice Ringuette. Nous allons lui donner la parole.

La sénatrice Ringuette : Merci d'être venu. Je reviens tout juste d'une mission au Pérou et à cause de ce projet de loi, qui revêt une grande importance pour la plupart des Canadiens, je me suis informée au sujet de leur système électoral. Dans ce pays, le gouvernement remet gratuitement à chaque citoyen une pièce d'identité avec photo et elle contient une puce. Cela nous amène au fait que si une partie — et je ne parle pas d'un parti politique — ou une entité souhaite ou exige une certaine pièce d'identité, alors pourquoi, cette partie ne serait-elle pas responsable de la fournir?

M. Kingsley : C'est l'aspect auquel je faisais allusion lorsque j'ai déclaré qu'il n'existe aucune autorité fédérale qui fournisse facilement une preuve d'identité et une preuve d'adresse.

Vous parlez du Pérou, et au Mexique, le gouvernement vous remet une carte d'électeur qui comporte votre nom, votre photo avec des données holographiques, votre signature, un code alphanumérique de 12 caractères et vos empreintes digitales. Si vous n'apportez pas cette carte au bureau de scrutin, vous ne votez pas. Mais c'est l'autorité électorale qui est chargée de délivrer ces cartes. Cela s'appelle le Padrón. Cela a commencé en 1992, a été mis en place pour l'élection de 1994 et les Mexicains ont tenu d'excellentes élections depuis lors.

La sénatrice Ringuette : Cela m'amène à ce que j'essayais de faire comprendre à mes collègues, à savoir que, lorsque l'on a imposé l'obligation, il faut également prévoir le mécanisme qui permettra à nos citoyens de la respecter. Cette loi ne semble pas prévoir un tel mécanisme.

L'intention à l'origine du projet de loi est peut-être bonne pour ce qui est des électeurs, mais après cela, il faudra mettre en place un mécanisme national pour les pièces d'identité pour tous les citoyens. Il y a des pays qui ont compris cela.

M. Kingsley : Exact.

La sénatrice Frum : Il est important de savoir que nous avons un système parlementaire dans lequel la représentation de la population se fait par circonscription et par région. À la différence d'autres systèmes, il faut voter en fonction du lieu de résidence. Vous devez voter dans la circonscription où vous vivez. C'est la raison pour laquelle une carte d'identité nationale ne résoudrait pas notre problème ici au Canada.

La sénatrice Ringuette : Elle comporte une adresse.

La sénatrice Frum : Vous ne l'aviez pas dit.

La sénatrice Ringuette : Elle comporte une adresse.

La sénatrice Frum : Vous rencontrerez toutefois les mêmes difficultés parce que les gens déménagent. Je ne dis pas que je m'oppose à une carte nationale d'identité, mais je dis que l'élément important n'est pas votre photo, c'est votre adresse, à cause de notre forme de démocratie parlementaire.

La sénatrice Ringuette : Alors vous dites que nous sommes en train de reculer.

Le président : Le sénateur McCoy assiste à notre séance. Voulez-vous poser une question?

Le sénateur McCoy : Merci de m'avoir présenté, monsieur le président, mais non, je n'ai pas de questions pour le moment.

Le sénateur Baker : Une précision, monsieur Kingsley, vous avez déclaré dans votre mémoire — non pas dans votre exposé — que « le projet de loi C-23 verrait certainement son efficacité grandement renforcée si l'on accordait au commissaire d'Élections Canada le pouvoir d'obliger les personnes à témoigner. »

C'est le pouvoir que posséderait le vérificateur général aux termes de la Loi sur les enquêtes publiques, qui aurait ainsi le pouvoir d'un commissaire. Ce serait le même pouvoir, si je comprends bien, que possèdent plusieurs provinces au Canada, et c'est probablement, direz-vous, la raison pour laquelle le commissaire n'a pas été en mesure d'effectuer utilement les enquêtes qui sont en cours actuellement concernant les appels automatisés et d'autres questions. Est-ce bien là votre remarque?

M. Kingsley : C'est bien là ma remarque. Le directeur général des élections a déclaré, non pas ici, mais ailleurs, et j'y ai fait allusion dans mes remarques — que les gens savent désormais qu'ils ne sont pas obligés de parler aux enquêteurs d'Élections Canada même s'ils possèdent des renseignements pertinents. Je ne les condamne pas, mais étant donné qu'ils seraient obligés de parler de leurs amis ou de personnes qu'ils connaissent, ils refusent de le faire. Ce pouvoir peut être obtenu par le biais d'une ordonnance judiciaire — et je crois que c'est un aspect qui n'a pas été mentionné dans la conversation précédente — ce qui constitue une exception par rapport aux autres régimes fédéraux de ce genre; ils n'exigent pas une ordonnance judiciaire.

Le sénateur Baker : C'est exact.

M. Kingsley : Ici, la proposition prévoit le recours à une ordonnance judiciaire. Pour cette raison, il est fort possible que nous ne connaîtrons jamais ce qui s'est vraiment passé avec ces appels automatisés.

Le sénateur Baker : À cause de cela?

M. Kingsley : À cause de cela.

Le sénateur Baker : Parce que cette obligation ne figure pas dans la loi.

M. Kingsley : Si nous l'avions, je suis sûr à 95 p. 100 que nous aurions le fin mot de l'histoire.

Le sénateur Baker : Vous n'êtes plus le directeur général des élections. Pourquoi le gouvernement ne le fait-il pas?

M. Kingsley : L'explication qui m'a été donnée est que le rapport est celui d'un policier comme autorité. Voilà ce qui m'a été communiqué, monsieur.

[Français]

Le sénateur Rivest : J'ai une remarque générale. Selon mon souvenir de l'Assemblée nationale à Québec, en matière de loi électorale, on essaie — c'est la pratique à Québec —, avant de déposer un projet de loi d'obtenir un consensus de l'ensemble des partis politiques en collaboration et avec la participation des gens d'Élections Québec. Parce que là on voit qu'on est pris dans une joute parlementaire avec ce projet de loi, et cetera.

D'après votre expérience, est-ce qu'il n'aurait pas été plus utile pour le gouvernement de réunir des officiers d'Élections Canada et des représentants de chacun des partis et de convenir des améliorations qui peuvent être à apportées à une loi au lieu d'en faire un projet gouvernemental?

M. Kingsley : On a entendu les deux côtés de cette histoire, et du directeur général des élections, et du ministre. Est- ce que le projet de loi aurait été amélioré d'après ceux qui veulent qu'il soit amélioré? Je ne sais pas. Cela aurait dépendu de l'état d'esprit des gens qui voulaient obtenir certaines mesures dans le projet de loi. Est-ce que ç'aurait été profitable? Je ne le sais pas. Je sais que ce fut souvent la pratique. Mais il est arrivé aussi, lorsque j'étais directeur, que des projets de loi aient été déposés sans nécessairement que mon bureau soit impliqué de façon très significative. Ce n'était pas novateur.

[Traduction]

Le président : Voilà qui termine votre témoignage, monsieur Kingsley. Je vous remercie. Avez-vous un dernier commentaire?

M. Kingsley : Pour ce qui est de la suggestion qui a été faite au sujet des répondants, j'ai recommandé que cela se fasse par écrit. On parle de diffuser davantage l'information. Pourquoi ne pas essayer de faire les deux? Pourquoi ne pas demander au directeur général des élections du Canada de lancer, au cours de la prochaine élection, une campagne intensive au sujet de la nécessité d'avoir des pièces d'identité et nous verrons ensuite si cela réduit le recours aux répondants? Ne le supprimons pas pour le moment. Essayons ce mécanisme pendant encore une élection et voyons ce que cela donne. Nous verrons alors si nous pouvons réduire de façon significative le recours aux répondants en faisant le genre de choses proposées plutôt que de le supprimer d'un seul coup. C'est une simple suggestion que je vous fais.

Le président : Merci pour cette suggestion. Nous apprécions votre contribution à nos débats.

M. Kingsley : C'est un plaisir pour moi.

Le président : Notre témoin suivant comparaît à titre personnel. C'est Sheila Fraser, ancienne vérificatrice générale du Canada. Bienvenue au comité.

Allez-y.

[Français]

Sheila Fraser, ancienne vérificatrice générale du Canada, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je suis très heureuse d'être parmi vous et je vous remercie de m'inviter à exprimer au comité mes commentaires sur le projet de loi C-23.

J'aimerais d'abord souligner qu'il s'agit de commentaires personnels. Ils ne représentent pas la pensée du directeur général des élections, d'Élections Canada ou du comité consultatif dont je suis la coprésidente.

À des fins de transparence, je tiens à mentionner au comité que j'ai reçu 2 450 $ pour ma participation jusqu'à maintenant à ce comité consultatif. J'ai également travaillé à titre de membre de jurys de sélection pour divers postes à Élections Canada et reçu pour ces services 976 $ cette année et 3 240 $ en 2012.

[Traduction]

Comme vous le savez, j'ai eu le privilège d'être vérificatrice générale du Canada pendant 10 ans, un mandat qui a pris fin il y a près de 3 ans. Le vérificateur général est l'un des sept agents du Parlement. Ces agents jouent un rôle très important dans notre système démocratique.

Le Bureau du Conseil privé dit ceci à leur sujet :

Les agents du Parlement forment un groupe unique de titulaires de charges indépendantes créé par une loi, dont le rôle est de surveiller de près les activités du gouvernement et d'en rendre compte directement au Parlement, plutôt qu'au gouvernement ou à un ministère particulier. À ce titre, leur fonction est de servir le Parlement dans le contexte du rôle de surveillance qui leur incombe. Normalement, les agents remettent au Parlement un rapport dans lequel ils rendent compte de leurs propres activités et typiquement, les administrateurs généraux de ces institutions sont nommés par l'adoption de résolutions spéciales à la Chambre des communes et au Sénat. L'influence exercée par le pouvoir exécutif du gouvernement est réduite au minimum, ce qui permet de maintenir leur autonomie.

[Français]

L'indépendance des agents du Parlement, tant concrète qu'apparente, est essentielle à leur crédibilité et à leur capacité de mener à bien le mandat qui leur est confié. J'ai été très heureuse que le gouvernement reconnaisse l'importance de cette indépendance en 2007-2008, lorsqu'il a modifié un certain nombre de politiques administratives. Ces modifications ont fait en sorte de confier la responsabilité de la mise en œuvre et du respect de ces politiques aux agents du Parlement, responsabilité qui était auparavant assumée par un ministre.

À titre d'exemple, certaines exigences de la politique de communication du gouvernement ne s'appliquent pas aux agents du Parlement.

À l'époque, le Secrétariat du Conseil du Trésor avait travaillé en étroite collaboration avec les agents pour répondre à nos préoccupations.

[Traduction]

À la lumière de ces renseignements, je suis très inquiète au sujet de deux dispositions du projet de loi, car elles compromettraient l'indépendance du directeur général des élections et de son organisation.

Premièrement, l'article 18 restreint les communications du directeur général des élections avec le public et ne permet que la communication de certains renseignements déterminés. Seraient désormais interdites les activités de sensibilisation, les communications visant à encourager les gens à voter ainsi que les initiatives pédagogiques. Un agent du Parlement indépendant devrait pourtant être en mesure d'attirer l'attention du public et du Parlement sur les questions qu'il considère importantes.

Deuxièmement, l'article 20 exige que le directeur général des élections obtienne l'approbation du Conseil du Trésor pour « fixer et payer la rémunération et les frais » lorsqu'il retient temporairement « les services d'experts ou de spécialistes ». Cette disposition porte clairement atteinte à l'indépendance du directeur général des élections.

Par comparaison, la Loi sur le vérificateur général établit pourtant de façon explicite que le vérificateur général n'a pas besoin de l'approbation du Conseil du Trésor.

En outre, la politique contractuelle du gouvernement exempte expressément les agents du Parlement d'obtenir l'approbation du Conseil du Trésor.

Je crains aussi que l'adoption de cet article puisse créer des difficultés opérationnelles pour Élections Canada et la gestion des élections. En effet, la tenue d'élections nécessite l'aide spécialisée de centaines de personnes.

[Français]

En 2005, le Bureau du vérificateur général a réalisé une vérification de gestion des opérations d'Élections Canada. À l'époque, nous avions conclu qu'Élections Canada planifiait, gérait et administrait bien le processus électoral fédéral tout en respectant les autorisations pertinentes et jouait un rôle essentiel en veillant à ce que les élections soient équitables et transparentes. J'encourage le comité à veiller à ce que le projet de loi ne vienne pas saboter ces acquis.

[Traduction]

Monsieur le président, voilà qui conclut mes remarques préliminaires; j'aimerais remercier le greffier du comité et le personnel du Sénat pour l'aide qu'ils m'ont fournie pour la préparation de cette déclaration; je serais heureuse de répondre aux questions que les membres du comité souhaiteraient poser.

Le président : Je vous remercie. Nous allons commencer les questions par celles du vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci, madame Sheila Fraser, d'être venue aujourd'hui et pour vos commentaires.

Vous avez été la vérificatrice générale du Canada. Vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire que vous aviez procédé à une vérification du bureau d'Élections Canada en 2005.

Le comité a entendu des témoins qui ont vivement critiqué le bureau du directeur général des élections, le fonctionnement de ce bureau, l'administration de ce bureau, ainsi que le poste de commissaire. Nous avons entendu ces témoins aujourd'hui.

Lorsque vous avez effectué cette vérification, avez-vous constaté quoi que ce soit qui ressemble à de la mauvaise administration, de la désorganisation ou au non-respect des principes énoncés dans la loi qui doivent être appliqués par ce bureau?

Mme Fraser : Non, monsieur le président. En fait, il est vrai que toute vérification débouche sur des recommandations, mais je dirais que le rapport préparé en 2005 était un rapport très favorable.

Je mentionnerais également qu'Élections Canada jouit d'une excellente réputation à l'échelle internationale.

Enfin, pour ce qui est de la gestion financière, chaque année, tous les agents du Parlement font l'objet d'une vérification financière, qui est remise au Parlement et à ma connaissance, l'administration financière de cet organisme n'a jamais soulevé de problème pendant toute la période pendant laquelle j'étais la vérificatrice générale.

Le sénateur Baker : Dans votre exposé que vous nous avez présenté aujourd'hui, vous avez fait notamment remarquer qu'un agent du Parlement n'est pas normalement obligé d'obtenir l'approbation du Conseil du Trésor et vous dites que désormais avec ce projet de loi, cette situation changera. Pouvez-vous nous en dire davantage?

Mme Fraser : En 2007-2008, les agents du Parlement ont travaillé en étroite collaboration avec le Secrétariat du Conseil du Trésor pour examiner un certain nombre de politiques administratives qui prévoyaient l'intervention des ministres dans l'administration de ces bureaux.

Je vais vous donner un exemple précis qui ressort de la politique en matière de communications, à savoir que toutes nos communications devaient être approuvées par le gouvernement. Comme vous pouvez vous l'imaginer, ce n'est pas une politique que les agents du Parlement ont trouvé très satisfaisante. Nous n'avions jamais eu à présenter au Bureau du Conseil privé, je vous le dis franchement, nos déclarations publiques ou les rapports destinés à être publiés, mais il existait une disposition indiquant que cela pouvait être exigé.

Nous avons travaillé avec le Secrétariat du Conseil du Trésor et la révision de toutes ces politiques a demandé beaucoup de temps. Les membres du Secrétariat ont admis que les agents du Parlement devaient être indépendants du gouvernement, que celui-ci ne devait pas intervenir, si je peux m'exprimer ainsi, dans le fonctionnement de ces bureaux.

Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas assujettis aux politiques du Conseil du Trésor. Nous le sommes. Je ne peux pas dire « nous » désormais. Les agents le sont, mais c'est maintenant le directeur de l'agence qui est responsable de l'application de ces politiques. Il existe des dispositions qui autorisent le Secrétariat du Conseil du Trésor à vérifier cette conformité.

Un grand nombre de politiques administratives ont été modifiées, notamment la politique en matière de communications et la politique en matière contractuelle. Si le comité le souhaite, je pourrais avec plaisir indiquer à la greffière où il est possible de trouver cette information; mais il existe une directive très claire qui indique que la politique en matière contractuelle, pour ce qui est de l'approbation du Conseil du Trésor, ne s'applique pas aux agents du Parlement.

La sénatrice Frum : Bienvenue. Pour commencer, et à des fins de transparence et d'ouverture, comme vous l'avez dit, vous avez déclaré que vous aviez reçu jusqu'ici 2 450 $ pour votre participation au comité consultatif. Pouvez-vous nous dire quelle est la durée totale de votre contrat et quelle doit être la rémunération totale que vous allez recevoir pour occuper ce poste?

Mme Fraser : Le contrat est d'une durée d'un an et il peut être prolongé deux années supplémentaires, ce qui donne une possibilité de trois ans. La rémunération est fonction des heures de travail ou de la participation aux travaux du comité.

Je pense qu'il y aura peut-être une, voire deux, autres réunions cette année et que la rémunération sera à peu près la même pour chaque séance du comité.

La sénatrice Frum : Merci.

J'aimerais vous poser une question au sujet de votre déclaration et d'une de vos principales objections à ce projet de loi. Vous avez exprimé vos objections à ce projet de loi de façon très vigoureuse. Vous avez été jusqu'à dire que vous pensez qu'il sera très difficile d'avoir des élections vraiment équitables en 2015 si le projet de loi C-23 est adopté. Vous avez également déclaré qu'une des raisons pour lesquelles vous êtes convaincue que l'élection ne sera pas équitable, vient du fait qu'un agent du Parlement indépendant devrait être autorisé à porter à l'attention du Parlement ou du public toute question qu'il estime importante. Voilà une déclaration et une critique très vaste lorsque vous dites que ces agents devraient être en mesure de commenter toutes les questions qu'ils estiment importantes. Pensez-vous qu'il serait acceptable que ces agents fassent des commentaires au sujet des politiques?

Mme Fraser : Non. Les agents du Parlement savent fort bien qu'ils ne peuvent faire des commentaires au sujet des politiques. Cependant, si le directeur général des élections constatait, par exemple, des irrégularités au cours d'une élection — par exemple, des appels inappropriés grâce auxquels des adresses de bureau de vote erronées étaient transmises aux électeurs — il devrait pouvoir informer les électeurs de se méfier, leur dire que le bureau ne communique pas en utilisant des appels automatisés et ensuite, leur conseiller des façons de réagir à ces appels. Voilà le genre d'information à laquelle je pense. Il est très clair pour tous les agents du Parlement qu'ils ne peuvent faire de commentaires sur les politiques.

La sénatrice Frum : Vous ne pensez donc pas que ces agents devraient pouvoir porter à l'attention de la population les questions qu'ils estiment importantes?

Mme Fraser : Eh bien, je ne pensais pas que j'allais devoir élaborer une liste détaillée et complète. Le fait que les pouvoirs du directeur général des élections sont maintenant très limités et que celui-ci peut uniquement transmettre à la population l'information prévue à l'article 18 me préoccupe.

La sénatrice Frum : Vous estimez que l'article 18 a une portée trop limitée, mais nous pourrions nous entendre sur le fait que, s'ils pouvaient dire tout ce qu'ils veulent, la portée de cette disposition serait trop large?

Mme Fraser : Tout ce qu'un agent estime important.

La sénatrice Frum : D'accord. Excusez-moi. Permettez-moi de vous citer correctement. Seriez-vous prêt à admettre qu'autoriser ces agents à porter à l'attention de la population toute question qu'ils estiment importante serait un pouvoir très large?

Mme Fraser : Eh bien, c'est votre opinion.

La sénatrice Frum : C'est mon opinion, mais je vous pose la question. J'aimerais en fait que vous me disiez comment on pourrait élargir la portée de l'article 18, disposition que vous estimez trop restrictive.

Mme Fraser : Je vous inviterais à examiner l'article 8 de la Loi sur le vérificateur général, qui énonce que le vérificateur général peut faire des commentaires et adresser des rapports au Parlement sur toute affaire qu'il estime importante. Cela se trouve déjà dans d'autres lois.

Il faut à mon avis partir du principe que les agents du Parlement vont respecter le mandat qui leur est attribué, qu'ils en connaissent la nature et qu'ils vont agir en conséquence.

[Français]

Le sénateur Joyal : Bienvenue, madame Fraser. J'ai été étonné d'apprendre que vous repreniez le service public dans le contexte électoral, puisque, par définition, les élections sont toujours teintées de partisanerie.

Quand j'ai vu votre nom associé à une entrevue que vous aviez donnée la semaine dernière et qui était rapportée dans La Presse, les journaux et les médias, vendredi dernier, je me suis empressé de la lire parce que je ne faisais pas une association spontanée entre votre expérience de vérificatrice générale, et j'oserais dire, l'expérience, la sagesse que vous pouvez exprimer en évaluant le projet de loi qui est à l'étude à ce comité.

Lorsque vous avez mentionné, dans cette entrevue, et je cite l'article de La Presse canadienne, que vous estimiez que « des milliers d'électeurs risquent ainsi de ne pouvoir voter », à quoi faisiez-vous référence en particulier? S'agissait-il de l'abolition du système de répondant, qui a existé dans la loi depuis longtemps et qui existe dans la majorité des provinces canadiennes? Est-ce que c'est en particulier à ces articles du projet de loi auxquels vous référiez dans la « défranchisation » d'un nombre important de Canadiens de leur droit de participer à une élection?

Mme Fraser : Effectivement. Il y a eu énormément de témoignages, devant le comité de la Chambre des communes, de divers groupes qui indiquaient que l'élimination de ce processus et aussi la carte d'électeurs feraient en sorte qu'il serait difficile pour des milliers de personne d'exercer leur droit de vote. Le droit de vote est absolument essentiel à notre système démocratique. Même s'il y a une seule personne qui ne peut pas voter, je pense qu'on doit tous s'inquiéter.

Ce n'est pas une question d'identité. On parle souvent des 39 pièces d'identification, mais c'est plutôt de prouver son adresse résidentielle. Et quand on examine la liste, le nombre de documents où apparaît une adresse est beaucoup moins que 39. Je pense que plusieurs exemples ont été cités de gens qui ne pourraient pas voter parce qu'ils ne pourraient pas démontrer leur adresse courante.

Le sénateur Joyal : Votre préoccupation au sujet de l'accessibilité au scrutin porte sur le fait que les dispositions du projet de loi, en somme, restreignent le droit de vote dans des conditions qui, d'après vous, ne satisferaient pas au droit de vote tel que la constitution le confirme?

Mme Fraser : Si on élimine cette possibilité que quelqu'un puisse confirmer l'identité d'une autre personne, il faudrait trouver une autre façon, je crois, de permettre aux gens d'accéder à leur droit de vote. Il faut qu'il y ait un mécanisme qui tienne compte des difficultés que certaines personnes auront à voter.

Le sénateur Joyal : Vous trouvez que le projet de loi a pris finalement l'approche la plus expéditive, c'est-à-dire éliminer le système sans se demander s'il n'y aurait pas une autre façon de pouvoir faciliter le droit de vote.

Parce qu'il me semble, personnellement, depuis le temps où je suis impliqué dans des élections, et cela remonte à plusieurs dizaines d'années, que ce que la loi a toujours tenté de faciliter, c'est l'exercice du droit de vote. Évidemment, la loi veut aussi veiller à ce qu'il n'y ait pas de fraude ni de substitution de personne. C'est tout à fait essentiel de se préoccuper de cela.

Mais l'objectif de la loi devrait être de favoriser l'exercice du droit de vote. Si la personne ne peut pas fournir les informations de base qui sont prévues à la loi, prévoir un mécanisme alternatif semblait être l'approche raisonnable dans les circonstances.

Ce qu'il n'y a pas dans le projet de loi, comme vous le constatez, c'est un système alternatif si la personne ne peut pas prouver sa résidence à l'aide d'un document écrit. Il n'y a plus d'autres preuves que la preuve écrite. Or, on connaît notre système de droit pénal. C'est sûr qu'en matière de droit pénal, je m'en remets au sénateur Baker.

[Traduction]

Une preuve écrite est toujours préférable, mais le système prévoit également des éléments de preuve supplémentaires si vous ne possédez pas un document qui confirme vos déclarations.

[Français]

Analogiquement c'est un peu la même chose dans le système électoral. On doit rester souple au niveau du mécanisme alternatif qu'on doit pouvoir mettre à la disposition des citoyens qui ne répondent pas aux exigences de base.

Mme Fraser : Si je peux ajouter quelques commentaires. De plus en plus, nous recevons notre courrier de façon électronique. Nos états bancaires, notre correspondance, les bulletins d'école des enfants. Tout est électronique et les documents électroniques ne sont pas admis, ils ne peuvent pas servir à prouver la résidence.

Quand on parle des irrégularités ou des erreurs, il faut reconnaître qu'il y a eu des problèmes aux dernières élections. Quand on lit le rapport Neufeld, c'est sûr qu'il y a eu beaucoup de problèmes de type administratif.

Et si je peux faire une analogie, quand on fait une vérification, il est rare qu'on n'y trouve aucune erreur. Mais on ne doit pas sauter à la conclusion qu'il y a fraude. On doit plutôt chercher à comprendre pourquoi les erreurs se sont produites en aussi grand nombre. Est-ce que c'est parce que les formulaires ne sont pas clairs? Est-ce que les règles ne sont pas claires? Est-ce que les personnes n'ont pas été bien formées? Est-ce qu'elles ont été surchargées de travail, et n'ont pas pris le temps de bien remplir les formulaires?

On doit chercher à comprendre pourquoi ces erreurs se sont produites. Et, d'ailleurs, le rapport Neufeld offre plusieurs recommandations concernant la formation du personnel, l'organisation à l'intérieur d'un bureau de vote, qui, espérons, aideront à réduire le nombre d'erreurs et à rendre le système plus équitable pour tous. Mais quand on trouve les erreurs dans des comptes de dépenses, on ne saute pas à la conclusion qu'on ne doit plus permettre de compte de dépenses. C'est un peu la même chose. On doit chercher à comprendre pourquoi les erreurs se sont produites et introduire des mesures correctives à la place.

Le sénateur Dagenais : Merci, madame Fraser, d'être ici aujourd'hui. J'aurais deux questions. La première, qui nous interpelle tous ici, c'est l'identification de l'électeur au moyen de pièces d'identité. Vous savez, aujourd'hui, beaucoup de gens fréquentent l'aéroport et doivent s'identifier, ne serait-ce que pour obtenir leur carte d'embarquement. Même ici, quand on veut pénétrer au Parlement, on doit s'identifier. Je trouve curieux que parce que les gens veulent voter — évidemment le gouvernement est ici, donc on pourrait tolérer une mesure plus souple.

Je pense qu'une élection n'arrive pas par surprise. Habituellement, l'annonce d'une élection arrive plus ou moins un mois à l'avance. Je pense que les objectifs du projet de loi sont, entre autres, d'éviter les votes frauduleux et de protéger la valeur du vote du citoyen.

Il y a des limites à prendre collectivement des responsabilités pour les citoyens; le citoyen a un devoir de responsabilité s'il veut exercer son droit de vote. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Fraser : Je crois que la plus grande difficulté reste la confirmation de l'adresse résidentielle et non l'identité. C'est sûr que certaines personnes ont de la difficulté à prouver leur identité. Je pense à des groupes plutôt marginalisés de notre société qui ne prennent pas l'avion, par exemple, ou bien à des sans-abri. Il est fort probable qu'ils n'ont aucune carte d'identité. Doit-on exclure ces gens d'un processus démocratique? Ce sera à vous de décider.

Je pense que le gros problème, c'est l'adresse résidentielle. Ma propre fille aurait énormément de difficulté parce qu'elle reçoit tous ses bulletins de l'école, ses cartes de crédit, ses informations, de façon électronique. Elle demeure chez nous et n'a pas de compte à payer. Elle pourrait probablement demander à son université une confirmation, mais peut-on demander à toutes les universités de faire cela pour tous les étudiants? Cela serait peut-être une conséquence d'exiger un tel document. Pourquoi ne pourrais-je pas confirmer, avec mes pièces d'identité comme preuve de mon adresse résidentielle, qu'elle est ma fille et qu'elle a le droit de vote?

Le sénateur Dagenais : Sur un autre sujet, et vous me corrigerez si je me trompe, le nouveau projet de loi prévoit départager l'administration des enquêtes. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

D'une certaine façon, on sait que l'administration, sans vouloir critiquer le directeur général des élections, a fait défaut parfois en ce qui a trait aux rapports de dépenses. Il y a eu des longueurs interminables. Je crois même qu'après l'élection de 2011, il reste toujours des agents officiels qui n'ont pas reçu la confirmation que les enquêtes étaient terminées, alors que normalement, cela prend neuf mois.

Je n'ai pas eu l'occasion de poser la question au directeur général des élections tantôt, mais c'est sûr que je pense qu'il a suffisamment de travail avec l'administration; on pourrait au moins le soulager des enquêtes?

Mme Fraser : Je crois que le directeur général des élections a indiqué les difficultés que cela pourrait créer concernant le partage d'information. Il faut évidemment prévoir des dispositions pour que le directeur général puisse partager l'information si le commissaire est déplacé. Il y a eu beaucoup de discussions à savoir comment les organisations devraient être structurées.

Si vous me le permettez, j'aimerais vous lire un extrait du rapport annuel de 2012-2013 du directeur des poursuites pénales. Malheureusement, j'ai un exemplaire en anglais seulement.

[Traduction]

Le SPPC intente les poursuites relatives aux infractions portées à la suite d'une enquête par un organisme d'application de la loi relativement à une contravention à une loi fédérale. Le SPPC n'est pas un organisme d'enquête et il ne mène pas d'enquête. La distinction entre l'application de la loi et la fonction de poursuite est un principe bien établi dans le système canadien de justice pénale.

[Français]

Il est plutôt habituel que l'administration et les enquêtes se retrouvent sous le même chapeau. On a regardé l'Agence du revenu. Il y en a eu d'autres; la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario va même plus loin que cela. C'est plutôt habituel que ces deux fonctions soient rassemblées.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Merci d'être venue, madame Fraser. J'aimerais poser deux questions qui font suite à la question du sénateur Baker au sujet de votre bureau quand vous étiez vérificatrice générale. Vous avez effectué une vérification des opérations d'Élections Canada. Vous avez conclu que la planification, la gestion et l'administration du processus électoral fédéral étaient de bonne qualité et vous avez invité le comité à faire en sorte que le projet de loi ne modifie pas cette situation.

Si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, pensez-vous qu'Élections Canada sera en mesure de remplir sa mission? Si ce n'est pas le cas, quels seraient les aspects de celle-ci qui seraient le plus gravement compromis?

Mme Fraser : Il est évident que tout ceci est hypothétique. Je crois que la principale difficulté, réelle ou potentielle, vient du fait que le directeur général des élections n'est pas suffisamment indépendant pour pouvoir embaucher à contrat du personnel spécialisé. Si nous pensons, par exemple, aux spécialistes des TI dont on a besoin pour tenir une élection, est-ce que ces personnes seraient considérées comme des experts? J'aurais tendance à le penser. Il devrait donc obtenir l'approbation du Conseil du Trésor. Le processus à suivre pour obtenir ces approbations peut être très long. En période d'élections, il faut être en mesure de réagir rapidement. Je considère que c'est là un problème.

Bien évidemment, la mission serait modifiée par l'article 18 et limiterait sa capacité d'inciter les citoyens à aller voter ou de lancer des initiatives dans le domaine de l'éducation des étudiants, mais je pense que son incapacité à informer la population dans le cas où il y aurait des irrégularités commises au cours des élections pourrait soulever des difficultés.

Il y a également un autre aspect qu'il a mentionné, à savoir le déplacement du commissaire, à moins qu'il n'y ait des dispositions prévoyant la communication de renseignements. Là encore, je pense que cela pourrait toucher l'ensemble du processus électoral.

Voici donc trois exemples.

Le sénateur Moore : Vous avez été cité dans un article de la presse canadienne du 4 avril de cette année. Je pense que le sénateur Joyal a peut-être fait allusion à cet article. J'aimerais citer votre déclaration et vous demandez de la commenter. Vous avez dit — et je tiens pour acquis que la citation est exacte :

Notre démocratie repose sur les élections et si nous n'avons pas un processus électoral vraiment équitable, un processus qui peut être géré efficacement par un organisme vraiment indépendant, cela met en péril notre démocratie et cela devrait tous nous inquiéter...

Si vous pensez aux gens qui ne pourront peut-être pas voter, aux restrictions que l'on impose au directeur général aux élections, aux difficultés, ne serait-ce qu'aux difficultés opérationnelles que tout cela va créer, je pense qu'il sera très difficile d'avoir des élections équitables, vraiment équitables.

J'aimerais que vous commentiez cette déclaration.

Mme Fraser : Je suis très préoccupée par le fait qu'il est possible qu'un grand nombre de personnes ne soient pas en mesure de voter. Cela pourrait créer énormément de problèmes dans les bureaux de scrutin si les gens qui s'y rendaient pour y voter apprenaient qu'ils ne peuvent le faire parce qu'ils ne sont pas en mesure de prouver l'endroit où ils résident. Le directeur général des élections et tout le personnel de ces bureaux seront obligés de s'occuper de ces personnes.

S'il se produit des irrégularités et que le public se demande quoi faire, par exemple, si les gens reçoivent des appels téléphoniques leur demandant de se rendre dans un autre bureau de scrutin, en leur disant que le bureau a changé, et qu'ils s'aperçoivent ensuite que cela n'est pas exact et que personne ne peut leur dire ce qui se passe vraiment et ce qu'ils devraient faire, alors je dirais que la population va commencer à perdre confiance dans le processus électoral. Nous devrions pouvoir être sûrs que notre processus électoral est équitable et que les résultats sont véridiques et exacts et reflètent vraiment la volonté de la population. Je pense que jusqu'ici, c'est ce que nous avons eu, mais je crains que tout cela ne soit compromis par ce projet de loi.

La sénatrice Batters : Merci d'être venue devant le comité aujourd'hui. J'ai écouté quelques entrevues que vous avez accordées cette fin de semaine et j'ai obtenu leurs transcriptions pour que je puisse savoir exactement ce que vous avez déclaré à ce moment-là. J'ai aimé la petite phrase que vous avez utilisée à l'émission The House quand vous avez déclaré : « Cela me rappelle cette très jolie expression qui dit qu'il n'est pas obligatoire de s'entendre, mais il ne faudrait pas pour autant être désagréable. » J'espère que, si nous ne nous entendons pas aujourd'hui, nous réussirons à agir de cette façon.

Bien évidemment, vous avez beaucoup de crédibilité auprès du public canadien, étant donné le service public extraordinaire que vous avez fourni au Canada. Je vous félicite parce qu'à chacune de ces entrevues, sur l'émission The House et aussi au cours de l'émission Question Period de CTV, vous avez fait un commentaire semblable. Vous avez déclaré à The House : « Je ne suis certainement pas une spécialiste des lois électorales ni même des opérations électorales, mais j'estime qu'en tant que citoyenne, j'ai le droit d'exprimer mes préoccupations. » Il est évident que M. Mayrand, le commissaire et l'ancien commissaire sont des experts.

Ensuite, au cours de l'émission Question Period de CTV, vous avez déclaré : « Je ne prétends pas être une spécialiste des lois électorales ni de l'administration des élections, mais je pense que nous avons entendu suffisamment de personnes parler des difficultés que cela créerait pour que de nombreux Canadiens puissent voter », et vous avez ensuite poursuivi.

J'apprécie le fait que vous ayez opéré cette distinction. Est-il possible de dire que les commentaires que vous avez faits récemment dans les médias au sujet de la loi électorale et du fonctionnement des élections reflètent en grande partie les commentaires qu'ont fournis des personnes que vous avez qualifiées d'experts, comme M. Mayrand, le commissaire des élections et ce genre de personnes?

Mme Fraser : J'ai effectivement étudié l'information qui se trouvait sur le site web d'Élections Canada ainsi que l'analyse que cet organisme a effectuée au sujet du projet de loi; j'ai également effectué ma propre recherche, comme vous pouvez le constater lorsque je cite les commentaires du directeur des poursuites pénales qui se trouvent dans son rapport sur les plans et les priorités et dans son rapport annuel.

J'ai suivi de très près les témoignages fournis devant le comité de la Chambre des communes et je me suis en fait assise avec ma fille et me suis demandé : « Très bien, s'il y avait une élection demain, est-ce que tu pourrais voter? » J'ai constaté à ma grande surprise qu'elle ne pourrait pas le faire.

De sorte que oui, les commentaires sont fondés sur l'analyse qu'a effectuée Élections Canada, mais j'ai également fait ma propre recherche.

La sénatrice Batters : Au cours de ces entrevues, vous avez fait quelques commentaires sur lesquels j'aimerais attirer l'attention du public qui nous regarde. Vous avez beaucoup de crédibilité, mais vous avez peut-être déclaré un certain nombre de choses qui étaient, sans que vous le sachiez, des erreurs. À l'émission The House, vous avez parlé de ce qui se passerait si Postes Canada modifiait sa façon de livrer le courrier : « Je pense que nous aurons tous des numéros de boîte postale ou des numéros de boîte; nous n'aurons plus d'adresse. » Ce n'est pas en fait ce qui va se passer. J'ai une boîte postale communautaire depuis environ 17 ans et j'ai toujours eu une adresse; mon courrier arrive dans une petite boîte au bout de ma rue et c'est là que je le ramasse.

Mme Fraser : Je n'avais fait que poser une question. Je dois dire que j'ai eu d'autres conversations avec des gens qui m'ont déclaré qu'ils avaient des boîtes postales et uniquement un numéro de boîte postale. J'ai essayé de trouver, sur le site web de Postes Canada, une explication du fonctionnement de ce système et je n'ai pas trouvé d'information à ce sujet. La question portait sur le fonctionnement et j'aurais pensé que quelqu'un aurait pu apporter une réponse.

La sénatrice Batters : Je peux vous assurer que la petite boîte qui est la mienne au bout de ma rue mentionne toujours mon adresse.

Vous avez également déclaré à l'émission The House : « Mon père résidait dans un foyer pour personnes âgées. Je ne sais pas s'il possédait une pièce d'identité sur laquelle figurait son adresse. Et je pensais également que les responsables des abris pour les personnes sans domicile fixe et des foyers pour personnes âgées vont commencer à distribuer des lettres, est-ce que cela est vraiment mieux que de demander à quelqu'un de répondre pour vous?

Savez-vous qu'avec le système actuel des répondants, une personne ne peut répondre que pour une seule autre personne? Les documents d'attestation qui ont été produits depuis votre vérification d'Élections Canada en 2005 sont des documents tout nouveaux, et M. Mayrand a témoigné à ce sujet aujourd'hui. Certaines de ces mesures aident beaucoup les personnes qui vivent dans des foyers pour personnes âgées ou pour personnes sans domicile fixe, dans des maisons de retraite et des bandes des Premières Nations. Les autorités responsables d'une bande ou d'une réserve des Premières Nations peuvent désormais délivrer des attestations de résidence; il en va de même pour les abris, les soupes populaires, les résidences pour personnes âgées et pour étudiants et les établissements de soins à long terme. Tout cela a complètement changé depuis votre vérification de 2005. À mon avis, ce sont là des méthodes que les gens peuvent utiliser pour fournir leur adresse, ce qui facilite les choses pour ces groupes-là.

Mme Fraser : J'en conviens. Je ne peux que répéter ce que M. Mayrand a déclaré à savoir que les responsables de ces foyers, bandes ou autres ne sont pas tenus de délivrer ces documents.

La sénatrice Batters : Il a également déclaré que la fourniture de ces documents était une pratique courante et répandue.

Mme Fraser : Quoi qu'il en soit, je crois que c'est un aspect qu'il serait bon de revoir avec le directeur général des élections.

La sénatrice Batters : J'aurais une autre question. Le vérificateur général n'a pas le pouvoir d'obliger des personnes à témoigner. N'est-ce pas exact?

Mme Fraser : Le vérificateur général possède les pouvoirs d'un commissaire et peut le faire. Je ne sais pas si ce bureau n'a jamais vraiment utilisé ce pouvoir, mais oui, le vérificateur général le possède.

La sénatrice Batters : Ne s'agit-il pas simplement du pouvoir d'ordonner la production de documents et non pas de témoigner?

Mme Fraser : Non. Il peut également obliger quelqu'un à témoigner.

Le président : Voulez-vous poser une question supplémentaire à ce sujet, sénateur Plett?

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président.

Votre fille possède-t-elle une carte de maladie?

Mme Fraser : Elle a une carte d'assurance-maladie, mais celle-ci ne mentionne pas son adresse.

Le président : Je ne considère pas qu'il s'agit là d'une question supplémentaire. Nous allons passer au sénateur McInnis.

Mme Fraser : Ma carte d'assurance-maladie ne mentionne pas mon adresse.

Le sénateur Joyal : Il n'y a pas d'adresse sur les carte d'assurance-maladie.

Mme Fraser : Si je puis ajouter quelque chose, je ne pense pas que l'on puisse obliger quelqu'un à produire une carte d'assurance-maladie comme preuve d'identité. Il est possible que cette loi l'autorise, mais je crois que, d'une façon générale, on ne peut utiliser les cartes-maladie.

Le sénateur Joyal : Il n'y a pas d'adresse sur une carte d'assurance-maladie.

Le sénateur Baker : Vous ne pouvez pas les obliger.

Le sénateur McInnis : Merci. Il est agréable de vous rencontrer en personne. Nous vous avons tous vu à la télévision et nous avons entendu parler de vous.

Vous êtes la coprésidente du comité consultatif qui a été mis sur pied par le directeur général des élections. Qui est l'autre coprésident?

Mme Fraser : Le juge Ian Binnie.

Le sénateur McInnis : Oui, j'ai vu son nom sur la liste des membres.

Le conseil est composé de gens connus. Il y a toutes sortes de célébrité comme Lise Bissonnette, Ian Binnie, Roberta Jamieson, Preston Manning, John Manley, Bob Rae, Roy Romanow, Hugh Segal, Michèle Thibodeau-DeGuire, Paul Thomas, Michael Wilson et Cathy Wong.

Comme le sénateur Moore l'a mentionné, vos commentaires sont largement diffusés. Ce projet de loi est une mesure que je qualifierais de monumentale pour Élections Canada. Avez-vous tenu une réunion du comité à ce sujet?

Mme Fraser : Nous avons eu deux réunions. Nous avons eu une réunion en personne en décembre, et une autre par téléphone — je suis désolée, mais je ne me souviens pas de la date exacte — peu après la présentation du projet de loi. La conversation a duré entre 45 minutes et une heure.

Le sénateur McInnis : Vous êtes venue aujourd'hui, vous apportez une précision et vous déclarez parler en votre seul nom.

Mme Fraser : Absolument.

Le sénateur McInnis : Mais à cause de votre célébrité dans l'ensemble du pays...

La sénatrice Ringuette : Elle n'a pas le droit de parler à titre personnel?

Le sénateur McInnis : Non, un instant. Bien sûr. Mais l'article que j'ai lu ne mentionnait pas que vous parliez en votre nom propre. Je dois dire que cet article vous cite. Que les gens soient ou non d'accord avec vous, je crois que vous avez le droit d'avoir une opinion. J'en conclus que vous parlez au nom du comité; vous en êtes la coprésidente. Vous n'avez pas fait cette distinction dans cet article.

Mme Fraser : Si c'est là l'impression que j'ai donnée alors je le regrette.

Le sénateur McInnis : C'était plus qu'une impression.

Mme Fraser : Je n'ai certainement pas indiqué à quoi que ce soit que je parlais au nom du comité et je dois vous dire franchement qu'au sein de ce comité, les membres ont des opinions fort différentes, ce qui est évidemment souhaitable. Je ne parle donc pas au nom de qui que ce soit, sinon de moi-même.

Le sénateur McInnis : Eh bien, vous nous le dites maintenant, mais voici une manchette dont j'ai conclu que vous parliez au nom de ce comité. J'en conclus donc que tous les membres ne sont pas forcément d'accord avec vous. Est-ce bien exact?

Mme Fraser : Je suis sûre qu'il y a des membres du comité consultatif qui ne sont pas d'accord avec moi.

Le sénateur McInnis : Très bien. Eh bien, parfait. Voilà qui est agréable à entendre.

Mme Fraser : Si vous le permettez, monsieur le président, c'est là le rôle d'un comité consultatif. Cela fait des dizaines d'années que le Bureau du vérificateur général a mis sur pied ce genre de comité consultatif; il est important qu'il soit composé de personnes qui aient des points de vue opposés lorsque vous discutez de certaines questions, de façon à mieux comprendre et apprécier ce que pensent les autres.

Le sénateur McInnis : Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais voici ce que savent les Canadiens aujourd'hui. L'ancienne vérificatrice générale, qui jouit d'une crédibilité considérable, a fait des commentaires et déclaré qu'il serait désormais pratiquement impossible d'avoir des élections justes.

Mme Fraser : Je pense que les gens m'associent davantage à mon rôle d'ancienne vérificatrice générale plutôt qu'à celui de coprésidente d'un comité consultatif.

Le sénateur McInnis : Passons à certaines des citations. Cela « compromettrait l'indépendance du directeur général des élections ». Pourriez-vous m'expliquer pourquoi le projet de loi aurait-il cet effet alors qu'il lui accorde une plus grande indépendance? Qu'est-ce qui compromet l'indépendance du directeur général des élections?

Mme Fraser : Pourriez-vous citer exactement ce qui... je veux dire, pour ce qui est du directeur général des élections, ce que j'ai essayé d'expliquer dans ma déclaration préliminaire, il y a au moins deux dispositions qui touchent son indépendance en matière de communications et de contrat.

Le sénateur McInnis : Pour ce qui est des communications, le ministre a déclaré : « Nous avons entendu une déclaration du ministre ce matin. En fait, sur le plan des contrats, je présume qu'Élections Canada dispose d'un budget ».

Mme Fraser : Oui, mais il faut l'approbation du Conseil du Trésor.

Le sénateur McInnis : Absolument.

Mme Fraser : Non, non. Mais la politique actuelle en matière de contrat — et je peux la remettre au comité — énonce expressément que les agents du Parlement n'ont pas besoin de l'approbation du Conseil du Trésor.

Le sénateur Joyal : Nous avons approuvé ceci en 2008.

Mme Fraser : Et maintenant, cela est modifié.

Le sénateur McInnis : Je reviendrai là-dessus plus tard. Vous avez déclaré qu'ils " [...] nuiraient aux enquêtes sur les [...]".

Mme Fraser : Non, je ne sais pas à quoi vous faites référence.

Le sénateur McInnis : Je fais référence à l'article.

Mme Fraser : Pouvez-vous me montrer exactement ce qui est dit?

Le président : Nous allons devoir aller de l'avant. Je peux vous inscrire pour le deuxième tour, sénateur McInnis, et vous pourrez poursuivre sur cette question pendant le second tour. Nous allons maintenant revenir au sénateur Baker.

Le sénateur Baker : J'aimerais revenir sur un commentaire que vous avez fait plus tôt sur la question de savoir si le vérificateur général du Canada avait le pouvoir d'obliger un témoin à répondre aux questions. Le vérificateur général a pour rôle de vérifier le Sénat, de sorte que je connais très bien les pouvoirs du vérificateur général. Bien évidemment, le vérificateur général possède les pouvoirs d'un commissaire aux termes de la Loi sur les enquêtes publiques, qui lui donnent le pouvoir de faire exactement ce que demande à l'heure actuelle le directeur général des élections.

J'ai vérifié. Vous avez raison de dire que ce pouvoir n'a pas été utilisé, à ma connaissance, mais si le vérificateur général poursuit sa vérification, j'imagine dans l'autre endroit, il aura peut-être besoin d'un tel pouvoir.

Le commentaire que vous avez fait au sujet du directeur des poursuites pénales est intéressant. Vous estimez que, dans le système juridique canadien, il y a une séparation entre les pouvoirs d'enquête et le service des poursuites. Bien entendu, le sénateur Dagenais a été un excellent policier pendant une période qui remonte, je dirais, à une trentaine d'années, et son père avant lui, et il reconnaîtra sur ce point qu'il déposait toutes les accusations, mais que c'est le Service des poursuites pénales du Canada, le procureur général, qui décidait ou non de porter des accusations devant les tribunaux. Votre commentaire est tout à fait exact.

Aimeriez-vous dire quelque chose d'autre au comité en plus de ce que vous avez déjà déclaré?

Mme Fraser : Non, je ne le pense pas. Je répéterais simplement que c'est un projet de loi extrêmement important, monumental comme on l'a qualifié, et je crois qu'il mérite d'être examiné et débattu de façon approfondie.

Le sénateur Baker : Merci.

La sénatrice Frum : J'aimerais revenir sur une question, parce que vous avez fait, à deux reprises cet après-midi, un commentaire selon lequel une de vos préoccupations au sujet des restrictions apportées aux pouvoirs du directeur général des élections concernait le pouvoir de faire des commentaires dans le cas où il constaterait des irrégularités électorales. Je ne comprends pas très bien pourquoi comme tout le monde, il ne pourrait pas mentionner les irrégularités qu'il a constatées au commissaire qui est l'enquêteur. Qu'est-ce qui l'empêche de le faire?

Mme Fraser : Eh bien, il n'y a sans doute rien qui l'empêche de le faire, mais le commissaire lui-même a déclaré que ses pouvoirs en matière de communication étaient très limités. Les rapports qu'ils préparent doivent être transmis au service des poursuites pénales. C'est peut-être un aspect à revoir avec le commissaire, mais je pense qu'en cas d'élections, il faut pouvoir agir très rapidement et s'il faut commencer par transmettre un rapport à une autre personne — cela peut prendre beaucoup de temps.

La sénatrice Frum : Le commissaire est l'enquêteur. Le directeur général des élections n'est pas chargé de faire des enquêtes, exact?

Mme Fraser : Non. Il y a une séparation entre les deux. Je n'aurais peut-être pas dû utiliser — le mot, irrégularité, mais s'il veut préciser quelque chose, est-ce que le directeur général des élections ne devrait pas pouvoir le faire publiquement?

La sénatrice Frum : Non, si ce n'est pas son rôle. Et ce n'est pas son rôle. Même à l'heure actuelle, ce n'est pas son rôle.

Mme Fraser : Lorsque vous soupçonnez qu'il y a eu des erreurs — s'il essaie, disons, d'informer le public au sujet de la nécessité de — je ne sais pas. Nous l'avons vu au cours des élections québécoises; le directeur général des élections a pris la parole et a précisé certaines choses.

La sénatrice Frum : Il a précisé qui avait le droit de voter et qui n'avait pas le droit de le faire.

Mme Fraser : Il y avait beaucoup plus que ça au Québec, beaucoup plus. Je ne suis pas avocate et d'autres seraient mieux placés que moi pour en parler, mais avec la restriction qu'apporte l'article 18, je ne pense pas que le genre d'information que le directeur général des élections du Québec a donnée serait permis.

La sénatrice Frum : Je veux en fait dire que le directeur général des élections a un rôle administratif, le commissaire a un rôle d'enquête et le poursuivant est chargé des poursuites. Ce sont là trois rôles différents.

La structure actuelle est la suivante. Le directeur général des élections surveille également le commissaire et le commissaire fait rapport au DGE.

Mme Fraser : Comme j'ai essayé de l'expliquer plus tôt, ce n'est pas une situation inhabituelle. Il est en fait très courant que l'enquêteur doive comprendre et appliquer le règlement et s'entendre sur l'interprétation qu'il convient de lui donner. C'est ce qui se passe à l'Agence du revenu du Canada; c'est ce qui se passe pour l'environnement; c'est ce qui se passe à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, qui va même plus loin, puisqu'elle prend des décisions.

Comme je l'ai déclaré, le Service des poursuites pénales du Canada a précisé qu'il existe un principe bien établi selon lequel il convient de séparer l'application de la loi et les poursuites.

Le président : Je vais devoir intervenir. Nous arrivons à la fin de la séance et il y a trois sénateurs qui aimeraient poser quelques questions. Je vais leur demander d'être très bref, et que les réponses le soient aussi, sinon, je devrai vous interrompre.

Le sénateur Joyal : Lorsque le Bureau du directeur général des élections a été créé, il est devenu un des premiers agents du Parlement. Il a pour l'essentiel été mis sur pied parce que les partis politiques de la Chambre des communes ne pouvaient s'entendre sur la façon de mettre en œuvre la loi. Pour résoudre ce problème, ils ont décidé de créer ce bureau. C'est ainsi qu'a commencé le statut d'agent du Parlement.

Ils ne peuvent s'entendre sur la notion de conflit d'intérêts, parce que chaque parti politique doit défendre ses intérêts. Ils ont remis tout cela entre les mains d'un agent, extérieur aux partis, qui bénéficiera d'un très long mandat pour qu'un autre Parlement ne puisse le sanctionner.

Le problème que pose, d'après moi, ce projet de loi, est qu'il modifie l'indépendance de cet agent qui sous-tend le système, parce qu'il semble que nous ne pouvons plus lui faire confiance à propos de certaines questions qui lui étaient jusque-là réservées.

Le président : Votre question, s'il vous plaît.

Le sénateur Joyal : Ai-je raison ou tort?

Mme Fraser : J'ai certainement eu l'impression que certains commentaires et certaines allégations qui ont été faits laissent entendre que le directeur général des élections n'exerce pas ses fonctions de façon objective et indépendante; je trouve cela tout à fait regrettable et même troublant qu'un agent du Parlement soit traité de cette façon.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'aurais plutôt un commentaire à faire, madame Fraser. Je suis toujours très impressionné par les gens qui n'ont pas d'adresse. Dans Notre-Dame de Paris, on les appelait les sans-papiers.

Quelqu'un qui reçoit un chèque d'assurance-emploi ou d'assistance sociale doit avoir une adresse. Les assistés sociaux, dans la région de Montréal du moins, fournissent l'adresse de la Maison du père, et on dit même que maintenant ils doivent fournir des rapports d'impôt. Quelqu'un qui reçoit des prestations de la Sécurité de la vieillesse ou un Supplément du revenu garanti doit avoir une adresse. J'espère que ces gens ne se privent pas de certains revenus. J'espère que tous les Canadiens ont une adresse et que cela leur permette d'aller voter.

Mme Fraser : Ils ont une adresse mais, de plus en plus, la documentation qu'ils reçoivent est faite de façon électronique. Les documents électroniques ne sont pas admissibles.

Le sénateur Dagenais : Un chèque d'assistance sociale se fait électroniquement?

Mme Fraser : Je ne suis pas au courant.

[Traduction]

Le sénateur McInnis : Cela est cité au troisième paragraphe, où l'on peut lire « nuit aux enquêtes ».

Mme Fraser : Je le vois. Je crois que c'est quelque chose que le journaliste a écrit. Cela concerne en réalité le pouvoir du commissaire de recevoir des renseignements de la part du directeur général des élections.

À l'heure actuelle, il n'y a pas de disposition relative à la communication de renseignements et l'on peut espérer que le commissaire ait accès à toute cette documentation sans avoir à suivre ce processus long et compliqué, ni à recommencer toute cette enquête.

Cela fait simplement ressortir la nécessité d'élaborer des protocoles. En outre, le commissaire actuel et le commissaire précédent ont certainement parlé de leur pouvoir d'assigner des témoins, ce qui est, d'après moi, un élément essentiel de ce régime.

Le président : Merci, madame Fraser. Nous vous remercions d'avoir comparu aujourd'hui.

Notre prochain groupe de témoins est composé de Mme Diane Bergeron, directrice nationale, Relations gouvernementales et Défense des intérêts de l'Institut national canadien pour les aveugles. Et aussi de M. Kory Earle, président des People First of Ontario.

Voulez-vous tous les deux faire des déclarations préliminaires? Madame Bergeron, voulez-vous commencer?

Diane Bergeron, directrice nationale, Relations gouvernementales et Défense des intérêts, Institut national canadien pour les aveugles : Je vous remercie.

Laissez-moi vous expliquer comment j'utilise cette machine pour que vous compreniez les raisons pour lesquelles il peut m'arriver de m'interrompre. J'ai enregistré mon exposé dans l'ordinateur. Le texte m'est transmis par l'écouteur et je me contente de le répéter. Lorsque l'ordinateur s'interrompt, je dois m'interrompre aussi et je vous prie à l'avance de m'en excuser.

Merci, monsieur le président. Je remercie aussi tous les membres du comité de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui au nom de l'INCA.

L'INCA, soit l'Institut national canadien pour les aveugles, est un organisme de bienfaisance enregistré qui dispense depuis près de 100 ans des services essentiels à des personnes privées de la vue. Nous sommes fiers d'apporter une aide au sein de la collectivité, de diffuser des connaissances et d'offrir une tribune nationale aux Canadiens aveugles ou malvoyants pour qu'ils puissent acquérir la confiance, les qualifications et les possibilités devant leur permettre de participer pleinement à la vie de la société.

Qu'elles soient ou non privées de la vue, les personnes doivent pouvoir voter, ce qui est un droit fondamental dans une démocratie. Il n'en reste pas moins que le droit de vote des Canadiens aveugles ou malvoyants dépend très largement de la façon dont les élections sont conçues et organisées.

L'INCA se félicite de voir que la question de l'accessibilité est posée dans le projet de loi C-23. C'est avec plaisir que nous vous donnons notre opinion au sujet des conséquences de ce projet de loi sur le vote des personnes privées de la vue.

Les Canadiens ont non seulement le droit de vote, mais aussi celui de voter en secret. Le droit de déposer un bulletin secret implique la possibilité de cocher un nom sur le bulletin en privé, sans qu'aucune autre personne ne sache comment l'on vote. Les électeurs canadiens ont aussi le droit de contrôler leur bulletin en s'assurant que les indications qui y sont portées sont conformes à leur choix et ne risquent pas d'entraîner une annulation. Malheureusement, il arrive couramment au Canada que l'on refuse aux personnes privées de la vue le droit de voter à bulletin secret.

À l'heure actuelle, il y a avant tout deux façons d'aider à voter les personnes privées de la vue. En premier lieu, les lois électorales à tous les niveaux de juridiction prévoient la nomination ou l'élection d'un responsable chargé d'aider l'électeur à remplir son bulletin en se conformant à ses instructions. Cette solution ne respecte pas cependant le droit de voter à bulletin secret. Les électeurs aveugles ou malvoyants doivent indiquer à une autre personne, qui peut leur être totalement étrangère, quel va être leur vote. L'électeur doit faire confiance à cette personne, sans savoir si elle va se conformer à son choix, si elle ne va pas délibérément ou sans le faire exprès annuler le bulletin et si elle va bien garder le secret.

Par ailleurs, de nombreuses lois électorales, y compris la Loi électorale du Canada, exigent qu'un modèle soit fourni aux électeurs aveugles ou malvoyants pour les aider à remplir leur bulletin. Malheureusement, ce modèle ne permet pas lui non plus de voter complètement et efficacement à bulletin secret. À moins de montrer leur bulletin à une autre personne, les électeurs privés de la vue ne sont pas en mesure de s'assurer qu'ils l'ont correctement rempli ou qu'ils ne l'ont pas annulé par inadvertance.

L'impossibilité pour les électeurs privés de la vue d'exercer leur droit de vote à bulletin secret est une source de grande préoccupation pour l'INCA. Certes, nous sommes très heureux de constater que la question est prise en compte dans le projet de loi C-23, mais nous estimons que l'on pourrait encore renforcer cette loi, notamment en ce qui a trait à la possibilité de rendre le vote plus accessible.

Depuis que la loi électorale du Canada a été modifiée en l'an 2000, le Directeur général des élections a la possibilité de mettre à l'essai de nouvelles modalités de vote. À notre connaissance, ces mises à l'essai sont restées très limitées et l'on n'a pas encore donné de nouvelles possibilités d'exercer leur droit de vote aux électeurs privés de la vue.

Le projet de loi C-23 va modifier la Loi électorale du Canada afin d'exiger que le directeur général des élections obtienne au préalable l'accord du Sénat et de la Chambre des communes pour mettre à l'essai une modalité de vote électronique de substitution dans le cadre d'une élection officielle. Compte tenu du fait que le directeur général des élections n'a pas exercé ce pouvoir de mettre à l'essai des modalités de vote de substitution depuis 14 ans qu'elles existent, nous avons bien peur que ce mécanisme d'autorisation n'entrave encore plus l'action du directeur général des élections et il nous apparaît que la situation a peu de chances d'évoluer.

Contrairement à ce qui est proposé dans le projet de loi C-23, l'INCA recommande que le directeur général des élections ne soit pas simplement autorisé, mais tenu de mettre à l'essai des modalités de vote électronique de substitution dans le cadre d'une prochaine élection générale ou partielle.

Nous avons rencontré le ministre et nous lui avons fait connaître notre opinion au sujet du renforcement de la législation si l'on voulait pouvoir mettre à l'essai des modalités de vote de substitution, par téléphone, par Internet ou au moyen d'autres supports électroniques, si cela s'avérait nécessaire. Si l'on n'oblige pas le directeur général des élections à mettre à l'essai des modalités de vote électronique de substitution, il est à craindre que plusieurs décennies se passent encore avant que les électeurs aveugles ou malvoyants puissent se voir accorder le droit de voter à bulletin secret lors des élections fédérales.

Je vous remercie de m'avoir écoutée et je suis prête à répondre à vos questions.

Kory Earle, président, People First of Ontario : Laissez-moi tout d'abord remercier le président et les membres du comité de me donner ce matin la possibilité de prendre la parole. J'ai le grand plaisir d'être à nouveau en compagnie de Diane. Je pense que cela va faire jaser et que l'on va nous soupçonner d'avoir une aventure puisque cela fait la deuxième fois que nous intervenons ensemble devant un comité. Même s'il me semble que nous sommes maintenant télévisés, je tenais à dire qu'il n'en est rien.

J'ai pu voir quelle était l'ambiance en ces lieux un peu plus tôt et il me fallait détendre un peu l'atmosphère.

C'est pour moi véritablement un honneur de donner notre point de vue et d'insister sur la question de l'alphabétisation et sur les handicaps invisibles auxquels les gens font face tous les jours sans qu'il en soit tenu compte dans cette loi.

Je tiens à profiter de l'occasion pour remercier le ministre, Pierre Poilievre, ainsi que le député Scott Reid, de nous avoir rencontrés l'année dernière pour évoquer simplement ce projet de loi et son importance pour nos membres, pas seulement au niveau local, mais à l'échelle de la province et du Canada tout entier.

Nous sommes effectivement en faveur de ce projet de loi. Il n'y en a pas beaucoup dont nous puissions dire que nous les appuyons. Nous sommes résolument en faveur de certaines dispositions de ce projet de loi. Toutefois — je n'ai pas voulu utiliser le mot « mais » — il y a certaines parties de ce projet de loi qui doivent encore être peaufinées — la vie de l'ensemble de la population canadienne en sera améliorée.

Il faudra que cette loi, une fois adoptée, aide davantage les personnes souffrant de problèmes d'alphabétisation. Dans notre pays, c'est le cas de 42 p. 100 de la population. Ce chiffre est énorme. On a honte lorsqu'on en prend connaissance — 42 p. 100. Voilà qui ne va pas aider les personnes handicapées à voter lorsqu'elles éprouvent des difficultés à remplir leur bulletin.

Il y a une ou deux choses que je propose à votre comité et je vous demande de les examiner avec soin parce que je ne suis pas le seul à m'insurger devant vous; il y a derrière moi des milliers de personnes qui réclament des changements.

Le Québec a pris l'année dernière une résolution devant notre Conseil national. L'une des meilleures propositions que nous ayons adoptées — et j'y suis tout à fait favorable — c'est que par anticipation le jour du scrutin il y ait une photo, un logo et le nom des partis sur les bulletins de vote ou même dans le bureau de vote. Croyez-moi ou non, cela aidera bien des gens malvoyants. Ce sera véritablement utile.

Lorsqu'il a présenté cette résolution, le Québec a indiqué que c'est ce qui se faisait dans cette province et que cela aidait véritablement la population à venir voter comme elle le souhaitait. Là encore, je ne tiens pas nécessairement à ce que cela soit sur le bulletin, mais il faut au moins que ce soit là — que l'on ait cette possibilité.

La semaine dernière, cette semaine encore et depuis tout ce temps, Diane a posé de nombreuses questions sur la constitutionnalité du vote à bulletins secrets. Dans une société démocratique, les gens ont le droit de vote, mais aussi le droit de pouvoir compter sur une personne neutre qui va voter conformément à leur choix et en laquelle ils peuvent avoir confiance. Comment savoir si la personne en question a bien respecté mon vote? Je souhaite peut-être voter pour le parti favorable à la libéralisation de la marijuana — ce n'est pas ce que je propose ici, mais il y a toutes sortes de partis dans notre pays. Cela reste quand même une possibilité et la personne en question n'a pas à le savoir. Nous demandons que cette disposition soit modifiée.

Nous devons faire en sorte que l'on puisse continuer à faire appel à un répondant dans notre pays. Bien des gens n'ont pas de carte d'identité. Effectivement, il se peut que la population de l'Ontario dispose d'une carte d'identité avec photo. Au Nouveau-Brunswick, il n'est pas sûr que l'on ait la même carte d'identité avec photo qu'en Ontario. Certaines personnes seront ainsi écartées. D'ailleurs, vous allez voir le taux d'abstention augmenter et non pas le contraire. Nos membres nous l'ont fait clairement savoir.

Le problème des répondants est grave. Dans une société démocratique, la population a le droit de vote, et pourtant il nous apparaît que le gouvernement crée des difficultés à bien des gens dans notre pays. C'est très regrettable, et il faut immédiatement y remédier pour que personne dans ce pays n'ait l'impression qu'on lui crée des difficultés.

Il faut aussi lutter contre l'angoisse de certains électeurs, qui est énorme. Certaines personnes qui se rendent dans les bureaux de vote en repartent parfois parce qu'il y a foule et qu'elles se sentent perdues. Je sais qu'il en est ainsi pour mon frère jumeau. Pour aider les gens qui viennent voter, il est important d'aménager des locaux de petite dimension pour que des personnes comme mon frère jumeau puissent faire leur devoir d'électeur sans se sentir perdues dans la foule.

Il faut que les bulletins soient clairs et comportent des caractères plus visibles pour que de nombreuses personnes handicapées puissent bien voir et comprendre le texte.

Élections Canada nous a fait savoir que de nombreuses campagnes étaient menées afin de régler nombre de problèmes et d'inciter les gens à voter. Je n'ai pas vraiment l'impression que l'on ait fait grand-chose si j'en juge par les réunions que nous avons eues avec Élections Canada et Pierre. Je continue à penser qu'il faut prendre des mesures pour s'assurer que la population ait accès aux bureaux de vote et à tout ce qu'ils contiennent. Il faut prendre des mesures — et non pas demander à d'autres de le faire; cela donnera davantage de résultats.

Nombre de gens que je représente ne savent pas ce qui se passe à Élections Canada, surtout lorsque c'est le moment de voter. Le Canada a beaucoup progressé; il ne faudrait pas cependant revenir en arrière.

Je vous demande donc d'envisager ces modifications, qui amélioreront la vie de bien des personnes. Nous nous félicitons de voir que l'on a prévu dans cette loi un plus grand nombre de jours de vote par anticipation. Nous souhaitons que nous puissions œuvrer ensemble au mieux des intérêts de l'ensemble de la population.

Je suis tout à fait disposé à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser. J'y répondrai avec plaisir. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins, Diane Bergeron, directrice nationale, Relations gouvernementales et Défense des intérêts, Institut national canadien pour les aveugles, ainsi que Kory Earle, président, People First of Ontario, pour les exposés qu'ils viennent de présenter à notre comité.

Ma première question s'adresse à Diane. Si vous voulez faire un commentaire, Kory, vous êtes le bienvenu.

En examinant le projet de loi qui nous est présenté, vous nous avez indiqué dans votre témoignage, Diane, qu'à l'heure actuelle, en ce moment même, le directeur général des élections était autorisé en vertu de la loi — vous avez précisé que cela faisait 14 ans — à mettre à l'essai des modalités de vote de substitution, pour les raisons que vous avez indiquées, mais qu'il ne s'était pas prévalu de ce droit. Vous nous dites aujourd'hui qu'aux termes de ce projet de loi, les difficultés seront encore plus grandes étant donné que cette prérogative sera retirée au directeur général des élections et que celui-ci devra demander l'autorisation de la Chambre des communes et du Sénat.

Est-ce là l'une de vos principales objections, à savoir que ce projet de loi va gêner la mise en place des principales modifications devant être apportées à la loi électorale pour faciliter le vote?

Mme Bergeron : L'essentiel pour nous dans le projet de loi tel qu'il est formulé à l'heure actuelle, c'est que le directeur général des élections avait jusqu'alors la faculté de procéder et que désormais des conditions supplémentaires lui seront imposées pour qu'il puisse exercer cette prérogative.

Toutefois, on ne fait aujourd'hui qu'accorder cette possibilité au directeur général des élections et il faudrait selon nous adopter une formulation plus stricte qui ne soit plus simplement facultative en imposant au directeur général des élections l'obligation de mettre à l'essai des modalités de vote de substitution.

Le sénateur Baker : Autrement dit, il conviendra d'employer le terme « devra » — le directeur général des élections « devra » mettre à l'essai des modalités de vote de substitution — c'est ce que vous préconisez.

Mme Bergeron : Oui.

Le sénateur Baker : Kory, vous nous indiquez qu'il ne convient pas de supprimer les répondants dans la loi. Pouvez- vous nous en dire un peu plus quant au point de vue de votre organisation et des gens que vous représentez?

M. Earle : En effet. Je vous remercie de cette question. Pour ce qui est des répondants, nombre de personnes qui vivent en collectivité, parce qu'elles n'ont pas de famille ou pour toute autre raison, n'ont pas de carte d'identité en bonne et due forme. Lorsqu'on se penche sur la question des cartes d'identité, il m'apparaît évident que bien des gens ont besoin d'une photo et d'une adresse. Certes, mais je peux vous dire dès à présent qu'ils sont nombreux à ne pouvoir présenter une telle carte.

Manon, qui se trouve à mes côtés, peut avoir besoin d'un répondant si elle a oublié sa carte d'identité alors qu'elle habite à 10 minutes de là, et pourquoi lui causer des difficultés en lui disant « excusez-moi, mais il vous faut retourner chez vous chercher votre carte d'identité », étant donné que même si elle n'a peut-être pas de carte d'identité, je suis son ami depuis plus de 10 ans et je la connais mieux que personne. Cette loi supprime de toute évidence cette possibilité. On nous dit : « Je suis désolé, mais si vous n'avez pas de carte d'identité, vous ne pouvez pas voter ».

J'ai entendu dire que c'était entre autres pour éviter les fraudes, et vous savez quoi? Il y a bien des solutions possibles à l'heure actuelle sur ce plan. On n'a pas besoin pour cela d'avoir recours à la loi.

Je peux vous dire dès maintenant que le tollé au sujet des répondants dépasse les bornes car on retire en fait le droit de vote aux gens. Combien de décennies a-t-il fallu pour que l'on puisse voter en qualité de Canadiens? Imaginez un peu! J'ai 28 ans, voilà 10 ans que je vote et je me heurte maintenant à la question des répondants. Que va-t-il se passer en cas de difficulté et si je perds mes papiers? Il y a des gens qui perdent leurs papiers. Ça arrive à tout le monde, mais l'on n'obtient pas une nouvelle carte d'identité du jour au lendemain; cela je peux vous le garantir.

Nous demandons que l'on supprime les dispositions s'appliquant aux répondants. N'ajoutez pas aux difficultés. Cette loi ne devrait pas causer des difficultés pour la population. Les électeurs votent pour qui ils veulent, que l'on crée ou non des difficultés. Les gens vont aller voter. Vous en entendrez parler lors des assemblées réunissant tous les candidats parce que les électeurs vont soulever la question.

J'ai rencontré le ministre, envers lequel nous avons le plus grand respect parce qu'il a pris conscience des problèmes et inséré un certain nombre de dispositions dans la loi. C'est tout à son honneur. Il n'en reste pas moins que tout n'est pas terminé et qu'il convient que votre comité se prononce. On nous l'a demandé très clairement.

Il y a des protestations. Vous voyez dans les médias qu'il y a des gens qui ne veulent pas que l'on touche aux répondants dans la loi. Je ne lis pas les rapports parce que j'ai tendance à me faire ma propre opinion. Nous n'en démordrons pas et nous n'allons pas reculer.

La sénatrice Frum : Je tiens à remercier nos témoins d'être venus aujourd'hui. J'ai apprécié votre témoignage.

Je vais commencer par vous, madame Bergeron. Je vous félicite pour votre excellent travail.

Je comprends bien votre inquiétude. C'est très grave. Je me demande, toutefois, si vous connaissez d'autres pays dans le monde qui ont obtenu de bons résultats en recourant au vote par Internet ou par téléphone? De toute évidence, les polémiques au sujet de ce projet de loi ont trait à la fraude, et il y a là un gros problème lorsqu'il faut concilier les impératifs de protection avec ceux de la lutte contre la fraude. Bien évidemment, le vote par Internet est lui aussi source de grandes difficultés. Pourriez-vous nous citer des exemples de ce qui marche?

Mme Bergeron : Au sujet du vote par téléphone et par Internet, nous faisons actuellement des recherches pour essayer de voir ce qui se passe aux États-Unis, par exemple.

Ce que je peux vous dire, c'est que j'ai pu voter en toute indépendance lors d'une élection municipale. Il y avait une machine avec un écran imprimé en gros caractères. Il était possible de modifier le contraste des couleurs et de communiquer par le son dans les deux sens. Lors des trois dernières élections, au niveau municipal je pense — je réside à Edmonton et j'ai pu dans cette ville voter en toute indépendance sans aucune assistance. Il m'était possible d'examiner mon bulletin pour en vérifier l'exactitude. Une fois que l'on a consigné toute l'information, la machine vous remet un bulletin conforme à celui de tout le monde. Il ne s'agit pas d'un vote informatique.

La sénatrice Frum : Je comprends. Selon vous, on pourrait recourir à un kiosque spécial?

Mme Bergeron : Ce serait une possibilité. L'INCA se fait un plaisir de coopérer avec le gouvernement afin de rechercher des solutions et de les mettre à l'essai. En ce qui concerne les handicapés, et plus particulièrement les personnes privées de la vue qui nous intéressent ici, ce qui marche pour les personnes ayant une vue normale ne marche pas nécessairement pour nous. On croit que le système fonctionne parce qu'il y a le son, mais nous avons vraiment besoin de faire tester la procédure par ceux qui y auront recours à l'avenir.

La sénatrice Frum : Je vous remercie.

Monsieur Earle, je vous ai entendu proposer que le nom des candidats s'accompagne d'une photo, et je sais que dans d'autres pays, notamment lorsqu'il y a des problèmes d'analphabétisme...

Le sénateur Joyal : Ça se fait au Québec, et il ne s'agit pas d'un autre pays.

La sénatrice Frum : Bravo! C'est une excellente chose! C'est une solution admise et probablement une bonne solution.

Avez-vous rencontré les responsables d'Élections Canada? Si je comprends bien, cela relève exclusivement de leur compétence; il n'appartient pas au gouvernement de se prononcer sur la composition des bulletins. C'est une chose dont il vous faudra discuter avec eux. Les avez-vous rencontrés?

M. Earle : J'ai l'honneur et le privilège de siéger actuellement au sein du comité d'Élections Canada qui vient d'être constitué, et la question a été évoquée. Il s'agit de savoir si l'on peut apporter un amendement à ce projet de loi. La question a effectivement été soulevée et l'on s'est demandé s'il était possible de le faire. Il s'agissait aussi de savoir si un amendement apporté à ce projet de loi serait effectivement suivi d'effet. C'est la proposition qu'on nous a faite.

Nous nous sommes alors dit : le Québec le fait et éventuellement il y en a d'autres. Toutefois, la chose n'est pas tout à fait claire, mais il est quand même possible d'amender le projet de loi.

La sénatrice Frum : Mais il est aussi possible d'agir par la voie administrative par l'intermédiaire d'Élections Canada.

M. Earle : Je n'en savais rien jusqu'à présent. Je m'en tiens aux réunions auxquelles j'ai assisté. C'est bon de savoir ce qu'ils nous disent.

Le problème, à mon avis, c'est que les gens nous disent qu'il faut en imposer la mise en application. Je pense que ça fait toute la différence. Nous voulons que ce soit suivi d'effet et cela peut nous aider. Je vous répète que ce chiffre de 42 p. 100 de la population canadienne est une honte. Cela va aider tellement de gens et faciliter bien des vies. Nous le demandons parce qu'on nous dit qu'un amendement va être apporté à ce projet de loi et que de cette façon nous savons que cela sera suivi d'effet partout et non pas dans une région en particulier.

Le sénateur Joyal : Soyez la bienvenue, madame Bergeron. J'aimerais revenir sur vos commentaires concernant la mise à l'essai de modalités de vote électronique de substitution. Je me souviens que nous l'avions autorisée il y a quelques années au sein de ce comité. Nous nous sommes intéressés aux modalités de vote électronique en notre qualité de parlementaires parce que cela représentait un énorme changement au sein du système. Il s'agissait de passer des bulletins manuscrits et du comptage manuel à un système électronique dans lequel tout serait informatisé, disons-le ainsi pour tout le monde puisse bien comprendre. Nous avions pensé à l'époque que cela entraînait un tel bouleversement au sein du système qu'on ne pouvait pas se passer du contrôle et de l'agrément des parlementaires. Voilà ce qui était essentiellement à l'origine de la mise à l'essai des modalités de vote électronique de substitution. J'insiste ici sur le terme « électronique ».

Dans votre esprit, lorsque vous pensez à des modalités permettant de faciliter le vote des personnes ayant des difficultés à lire un bulletin, est-ce qu'il nous faut un mécanisme de substitution qui ne soit pas nécessairement électronique, ou est-ce que l'électronique est la solution? Vous comprenez ce que je veux vous dire?

Mme Bergeron : Oui, je pense. À l'heure actuelle, les systèmes de synthèse électronique de la parole ou d'écriture en braille sont une source d'indépendance et de liberté pour les gens qui comme nous sont privés de la vue. Lorsque pour la première fois on m'a mis entre les mains un iPhone, je me suis exclamée : « Ce n'est d'aucune utilité. Il n'y a aucun mécanisme tactile. Je ne pourrai jamais m'en servir. » Aujourd'hui, je ne me déplace pas sans mon iPhone, grâce auquel j'ai acquis énormément d'indépendance et de liberté. J'ai même le GPS. Je sors mon téléphone, je le secoue si je suis perdue et il m'indique où je me trouve. C'est stupéfiant. Je n'ai presque plus besoin maintenant des personnes voyantes.

Le sénateur Joyal : Vous êtes mieux au courant que tout le monde.

Mme Bergeron : Mais ce qui m'intéresse surtout, c'est qu'il y a d'autres options. Je ne peux pas vous dire quelles sont ces options pour le moment parce que tout dépend de la personne. Je lis en braille, mais il n'y a qu'un faible pourcentage de personnes privées de la vue ou malvoyantes qui lisent le braille. Les textes en gros caractères ne sont d'aucune utilité pour moi étant donné que je suis complètement aveugle.

Sachez que je suis allée voter lors des dernières élections fédérales. Je me suis rendue sur place toute seule en compagnie de mon chien et j'ai demandé de l'aide pour voter. Une très gentille personne est venue m'aider et l'on m'a fait rentrer dans l'isoloir. J'ai précisé pour qui je voulais voter. On a coché mon bulletin, on l'a mis dans l'urne et je suis partie. Je me suis dit : je me demande si j'ai bien voté pour le bon candidat, parce que je ne connais pas du tout la personne qui m'a aidée. Je ne l'avais jamais rencontrée avant. J'ai dû tout simplement lui faire confiance. J'imagine qu'elle a bien fait le nécessaire, mais je n'en ai pas la preuve.

Dans une société démocratique, on a le droit de voter en secret, en privé et en toute indépendance.

Le sénateur Joyal : Je vous précise en passant que vous avez eu tous deux bien de la chance de pouvoir rencontrer le ministre, parce qu'il n'a pas rencontré le directeur général des élections. Vous exercez donc beaucoup d'influence sur l'élaboration de ce projet de loi.

Mme Bergeron : C'est l'influence de mon chien.

Le sénateur Joyal : C'est ce que nous a dit ce matin le directeur général des élections lorsqu'il est venu témoigner. Félicitations. Vous avez beaucoup d'influence.

Ce que vous proposez, d'ailleurs, ne sera pas pris en compte par ce projet de loi étant donné qu'aux termes des dispositions de l'article 20 — c'est ce que nous a déclaré l'ancienne vérificatrice générale, Mme Fraser, lorsqu'elle a témoigné précédemment — le directeur général des élections devra obtenir l'autorisation du Conseil du Trésor pour toute initiative visant à proposer des modalités de substitution conformes à ce que vous préconisez. Aux termes des dispositions actuelles de l'article 20, il ne sera pas libre d'intervenir au sujet de cette proposition. Il lui faudra demander une autorisation qui n'était pas nécessaire jusqu'alors. Bien entendu, il lui faudra aussi solliciter les crédits qui seront probablement exigés par les mises à l'essai. Il lui faudra procéder à une étude de visibilité et à d'autres choses encore. Tel qu'il est rédigé, ce projet de loi ne répond donc certainement pas à vos préoccupations, à moins que je ne me sois trompé dans mon interprétation.

Êtes-vous d'accord avec cette conclusion? Exigez-vous que nous amendions précisément ce projet de loi pour tenir compte de votre demande?

Mme Bergeron : Je ne suis pas avocate et je ne peux donc pas faire de recommandation concernant la formulation de cet article. L'INCA cherche à faire en sorte que les aveugles ou les malvoyants puissent voter indépendamment et en secret. Nous ne pensons pas que cela puisse se faire si l'on ne se montre pas plus directif dans la formulation de ce projet de loi et si l'on n'oblige pas le directeur général des élections à procéder ainsi. S'il est tenu de procéder à des mises à l'essai, je suppose qu'on va mettre logiquement à sa disposition les fonds correspondants.

Le sénateur Joyal : Je m'intéresse beaucoup à votre proposition, monsieur Earle, parce que j'ai été surpris, comme je l'ai déclaré à notre collègue la sénatrice Frum, lorsque je suis allé voter il y a deux semaines. J'ai voté par anticipation, comme c'est prévu, parce que je n'étais pas disponible lundi. J'ai été surpris de voir des photographies sur le bulletin, celles des candidats. J'ai considéré que c'était un grand progrès. Lorsque j'ai quitté le bureau de scrutin, je me suis seulement demandé : « Qu'est-ce qui se passerait s'il y avait une vingtaine de candidats? » Il n'y avait que quatre candidats dans mon bureau de vote, mais je pense que ça n'a pas une grande importance.

L'important, c'est que les gens bénéficient d'un support visuel. Je dois vous dire qu'il y a des pays dans le monde — je ne citerai pas de noms — dans lesquels le taux d'alphabétisation est peu élevé et où l'on vote. On a trouvé le moyen de remédier aux difficultés et de corriger cette situation.

Je pense qu'il suffit de vouloir pour pouvoir. Vous l'avez dit — et je suis tout à fait de votre avis — il convient de faciliter le vote plutôt que d'y faire obstacle, et d'adapter les modalités de vote à la condition physique de l'électeur ou à sa capacité à lire le nom des candidats. Vous savez que l'analphabétisme est un véritable fléau au Canada. C'est le secret le mieux gardé au pays.

Au Québec, 800 000 personnes souffrent de ce handicap, mais personne ne veut en parler parce qu'on en a honte. Il m'arrive parfois de rencontrer dans la rue des gens qui me demandent leur chemin. Ils n'arrivent même pas à lire le nom de la rue sur le panneau qui se trouve devant leurs yeux. Je suis sûr que vous êtes au courant.

La question qu'il faut se poser est la suivante : comment modifier la loi pour s'assurer que l'on va pouvoir voter plus facilement. En ce qui me concerne, dans bien des cas, le recours à un répondant est la solution.

M. Earle : Vous avez tout à fait raison. J'imagine que vous avez appuyé le parti québécois dans cette élection, mais je plaisante.

Le sénateur Joyal : Je ne pensais pas au vote à la proportionnelle. Je suis simplement là pour parler des conditions d'accès au vote.

M. Earle : La question des répondants revêt une très grande importance. Bien sûr, nous reconnaissons qu'il n'y aura peut-être plus de bulletins et tout cet attirail lors des élections. Il est possible qu'on puisse beaucoup simplifier, mais ce n'est pas sûr. Ceux qui connaissent le mieux la question sont ceux qui font face à ces problèmes tous les jours et qui connaissent les difficultés, surtout en matière d'analphabétisme.

Non seulement il y a des gens qui ne sont pas en mesure de voir les bulletins ou de comprendre à quel parti ils correspondent, mais l'on nous dit maintenant qu'ils ne pourront pas bénéficier d'une aide en faisant appel à un répondant. C'est bien ça?

Je me suis impliqué dans des élections municipales, provinciales et fédérales, et on a beaucoup progressé. Le Canada peut être très fier des conditions facilitant la participation au vote, mais si l'on supprime les répondants dans cette loi, on ne fera qu'empêcher de voter davantage de gens. Je vous affirme que le taux de participation va baisser. Il y a des gens qui vont vous dire que les abstentions devraient diminuer, mais nous vous assurons pour notre part qu'elles vont augmenter. Notre conseil d'administration a toujours eu pour principe de dire les choses clairement pour que les gens nous comprennent bien. Tout le monde ne peut pas s'adresser à une organisation, qu'il s'agisse de l'INCA, de People First ou autre, pour se faire aider. Il s'agit alors de savoir si c'est à nous de le faire.

Bien sûr, nous avons le devoir de faire de la sensibilisation, mais nous disposons aussi pour ce faire de responsables élus, chargés de veiller à la bonne administration de la loi.

Chaque fois que vous changez la loi, cela se répercute sur la vie des gens. Je ne peux pas vous dire à l'heure actuelle ce qui va réellement se passer une fois que la loi aura été adoptée, il est possible que la situation se dégrade terriblement dans certains secteurs, cela nous ne le saurons que lorsque les changements auront été apportés. Je sais que les gens n'aiment pas le changement, mais la suppression des répondants va causer des difficultés à bien des personnes. J'ai évoqué aussi l'angoisse des électeurs.

Le président : Nous venons d'entendre les réponses aux questions posées par cinq sénateurs en une quinzaine de minutes et j'invite les membres du comité ainsi que les témoins à en tenir compte pour que tous ceux qui ont des questions à poser puissent obtenir une réponse.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D'abord, merci beaucoup pour votre présentation, elle est très instructive. Ma première question est de nature générale : combien y a-t-il de personnes malvoyantes au Canada qui se prévalent de leur droit de vote? Est-ce que vous avez des données statistiques là-dessus?

[Traduction]

Mme Bergeron : Je n'ai pas les chiffres sur moi, mais je ne manquerai pas de vous les fournir.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J'aimerais bien en avoir une idée; c'est pour avoir un aperçu de la difficulté pour un non- voyant d'aller voter. Si on est dans une perspective de 50 p. 100, c'est qu'il y a vraiment un problème. Si seulement 20 p. 100 des gens ne vont pas voter, cela veut dire que le système fonctionne bien pour eux.

Voici ma dernière question. Dans le projet de loi actuel, on veut axer le mandat du directeur général des élections sur la question de savoir où et comment aller voter. Cela va sûrement toucher le segment de la population non voyante. Est-ce que, selon vous, le fait d'axer le mandat du directeur général des élections sur les questions de savoir où et comment aller voter peut être bénéfique pour les non-voyants par rapport à l'ancienne loi?

[Traduction]

Mme Bergeron : Si j'ai bien compris votre question, il est très important de disposer d'une information accessible pour bien savoir ce que l'on fait lorsqu'on va voter.

L'essentiel en ce qui nous concerne, c'est de s'assurer que toute l'information dont a besoin une personne handicapée lui soit fournie sous une forme quelconque, en recourant à des moyens électroniques pour les aveugles, ou au braille pour ce qui est des personnes malvoyantes qui ont besoin, entre autres, de textes en gros caractères.

Le sénateur Moore : Je vous remercie tous deux d'être venus. Le sénateur Boisvenu vient de vous poser la question qui était la mienne.

Il pourrait être utile, madame Bergeron, de savoir combien de personnes sont aveugles ou malvoyantes. J'hésite en quelque sorte à vous poser cette question. On touche peut-être ici à la vie privée, mais il serait bon que notre comité le sache. Si vous pouviez demander ce renseignement à vos collègues de l'INCA et le faire parvenir à notre greffière, ce serait une bonne chose.

Monsieur Earle, je ne connais pas très bien People First of Ontario. En quoi consiste votre organisation et depuis combien de temps exerce-t-elle ses activités? Combien de gens en font partie?

M. Earle : Je me ferai un plaisir de vous répondre. People First est une organisation autonome au service des personnes handicapées. Elle représente les gens qui ont des déficiences intellectuelles, en l'occurrence les analphabètes.

Voilà 32 ans que nous exerçons nos activités en Ontario. Nous sommes aussi implantés à l'échelle nationale. Notre siège central, au niveau national, est à Winnipeg. J'ai l'honneur d'exercer les fonctions de premier vice-président du bureau national.

Nous avons dans cette province plus d'une centaine de membres qui font des tournées. Nous félicitons le gouvernement fédéral d'avoir annoncé que des crédits provinciaux allaient permettre à notre organisation d'organiser des tournées pour parler des problèmes d'accessibilité qui touchent notre population. C'est une toute nouvelle subvention que nous venons d'obtenir.

Notre conseil d'administration est composé de bénévoles. L'intégralité de notre conseil et tous nos membres sont bénévoles. Nous conseillons les responsables des réformes politiques qui nous paraissent devoir exercer des répercussions sur nos membres.

Dans le cadre de notre mandat, nous avons aussi poussé à la fermeture des principaux établissements de la province de l'Ontario, tels que le Centre régional Rideau, par exemple. Nous sommes fiers d'avoir contribué à cette évolution. Voilà un peu tout ce que nous faisons, et bien entendu, nous faisons aujourd'hui des recommandations.

Le sénateur Batters : Je vous remercie tous deux d'être venus témoigner aujourd'hui.

Tout d'abord, madame Bergeron, j'ai constaté avec plaisir, lorsque j'ai pris connaissance des 39 types de cartes d'identité autorisant une personne à voter, que celle de l'INCA en faisait partie. On nous a dit précédemment que bien souvent cette carte comportait l'adresse du titulaire. J'aimerais que vous nous le confirmiez.

Mme Bergeron : Effectivement, on a la possibilité, lorsqu'on enregistre une carte d'identité auprès de l'INCA, d'y faire figurer l'adresse.

Le sénateur Batters : Votre organisation pourrait peut-être inciter ses membres à faire figurer leur adresse sur cette carte identité en prévision de son utilisation lors de la prochaine élection.

Je m'adresse maintenant à M. Earle, qui nous dit que son frère jumeau se sent mal au milieu d'une foule. C'est de toute évidence un problème trop ignoré qu'il faut faire davantage connaître. Dans le cadre de ce projet de loi, nous cherchons entre autres à faire en sorte qu'Élections Canada informe les électeurs du lieu, de la date et des modalités de vote. Il y a des moyens de voter, par bulletin spécial, pour les gens qui, comme votre frère, se sentent mal au milieu d'une foule. Ils peuvent voter tous les jours à compter de celui où l'élection est déclenchée et ils peuvent aller voter au bureau du directeur du scrutin. Il leur est possible de voter par correspondance sans sortir de chez eux. Ils ont la possibilité de voter par anticipation pendant un certain nombre de jours et vous n'avez pas manqué de nous indiquer que l'on avait fait des progrès en rajoutant un jour. Je me demande si vous convenez avec moi qu'on pourrait aider des gens comme votre frère en incitant Élections Canada à mettre l'accent sur des mesures de ce genre.

M. Earle : Je suis tout à fait d'accord. Je vous le répète, je ne suis pas totalement contre ce projet de loi. Je félicite le ministre ainsi que notre député, Scott Reid, avant tout pour avoir fait participer les gens, car je crois que c'est absolument essentiel en la matière.

Les bulletins spéciaux ne sont pas très connus au sein de la population. Je peux vous le dire tout de suite, parce que je ne savais pas qu'ils existaient avant de rencontrer le ministre. Je me suis mis alors à interroger les gens en pensant en moi-même : « je n'ai que 28 ans, mais il doit quand même y avoir un problème, car je n'ai jamais entendu parler de la chose. » Il faut que nos députés informent mieux les électeurs pour leur faire savoir qu'il existe des bulletins spéciaux.

Est-ce que cela va supprimer certaines angoisses? Oui. Je ne voudrais pas cependant que les gens reviennent en arrière et que du fait de l'existence de tous ces bulletins spéciaux, ils n'aillent plus dans les bureaux de vote. J'espère qu'ils iront quand même voter dans les bureaux quand ils le pourront, mais ces bulletins spéciaux sont une bien bonne chose. Mon frère jumeau bénéficiera effectivement de cette mesure.

Le sénateur Batters : Excellent.

M. Earle : Toutefois, je ne m'en suis rendu compte que l'année dernière, en m'entretenant avec le ministre, et il faudrait donc que l'on fasse mieux connaître la chose. C'est peut-être ce que l'on fait. C'est pourquoi nous avons évoqué cette campagne. Lorsqu'on fait une campagne de sensibilisation, il nous faut parler un peu plus de ces bulletins spéciaux.

Le sénateur Batters : Effectivement.

M. Earle : Je suis totalement en faveur de cette mesure depuis l'année dernière.

Le sénateur Batters : J'ai une petite observation à faire. Je m'en voudrais, devant le représentant d'un groupe tel que le vôtre, de ne pas mentionner le nom de notre collègue et ami, le sénateur Jacques Demers, qui a tant fait pour la cause de l'alphabétisation. Je ne sais pas si vous avez eu la chance de le rencontrer, mais c'est un homme remarquable qui a beaucoup œuvré pour cette cause en particulier. Je sais qu'il va poursuivre son action à l'avenir.

M. Earle : Vous avez tout à fait raison. L'analphabétisme présente d'énormes difficultés, mais lorsqu'on se penche effectivement sur le problème, ce n'est pas si difficile — c'est quelque chose dont on se rend compte en faisant notre travail lorsqu'on a l'impression que l'on a manqué quelque chose.

Ce n'est pas là une critique. J'estime qu'il faut chercher à remédier à la situation en cherchant à faire mieux et à ne pas commettre les mêmes erreurs à l'avenir.

Le sénateur Batters : Je vous remercie.

Le sénateur McInnis : Je vous remercie d'être venus.

En matière d'analphabétisme, vous nous dites que cela touche 42 p. 100 de la population.

M. Earle : De la population canadienne.

Le sénateur McInnis : Le sénateur Joyal a déjà posé ma question, mais je tenais à préciser ceci : il est important d'ajouter « fonctionnel » à la notion d'analphabétisme car il y a quelque temps j'ai engagé une assistante qui a déclaré, dès le premier jour de sa prise de fonction, que 65 p. 100 d'une certaine couche de la population de la Nouvelle-Écosse était analphabète. Le public a poussé les hauts cris, surtout dans ce milieu, où les gens ne veulent pas que ça se sache. Il y a eu un tel tollé que j'ai dû me défaire de mon assistante.

Je pense qu'il faut préciser « fonctionnel », parce que c'est de ça qu'il s'agit. Ces gens ne sont pas complètement analphabètes. Ce n'est pas une critique, je vous fais simplement remarquer la chose, mais si j'en crois mon expérience, cette terminologie n'est pas facile à faire accepter.

M. Earle : L'expérience est une chose, mais en tant que militant d'une cause, je dois vous avertir que cette terminologie est employée à l'échelle du pays et qu'elle est même avalisée par le réseau scolaire, par exemple.

Je n'ai pas l'intention de modifier toute la terminologie. Je continuerai à employer ce terme, parce que c'est celui auquel on se réfère. Lorsque vous examinez les statistiques, on nous parle d'« analphabétisme », et non pas d'« analphabétisme fonctionnel ».

Il est indéniable que je pourrais argumenter au sujet d'une centaine de mots susceptibles d'être modifiés par les sénateurs, mais ce n'est pas ici mon propos. C'est parce que je pense qu'il faut faire attention. Voilà pourquoi nombre de nos membres nous disent, lorsqu'ils nous parlent de la chose : « Écoutez, je suis analphabète. »

Le sénateur Ringuette : Vous n'avez peut-être pas la réponse, madame Bergeron, mais à votre avis, combien de personnes, parmi les gens que vous représentez, vont voter par correspondance en raison de l'impossibilité de garder le secret et de faire confiance à un tiers, comme vous nous l'avez indiqué tout à l'heure? Est-ce que c'est plus facile lorsqu'on vote par correspondance?

Mme Bergeron : Je n'ai pas ce chiffre. Je viens cependant de consulter les documents pendant que nous parlions. Selon notre rapport sur le coût de la privation de la vue que nous avons publié en 2007, on estime qu'un peu moins de 817 000 personnes souffraient de privation de la vue au Canada. Ce chiffre doit être aujourd'hui bien supérieur étant donné l'augmentation de la population des personnes âgées.

Le sénateur Ringuette : Effectivement.

Mme Bergeron : Comme environ 70 p. 100 de nos clients sont des personnes âgées, ce chiffre doit être nettement plus élevé à l'heure actuelle.

Je ne sais pas combien de ces personnes votent par correspondance. Les bulletins de vote par correspondance sont imprimés et peuvent être d'une grande aide pour les électeurs qui doivent se servir d'une loupe, ou encore s'ils sont éventuellement imprimés en gros caractères, mais ils ne sont d'aucune utilité pour des gens comme moi. Là encore, il faudrait que quelqu'un me lise ce qui figure sur le bulletin, et ce ne serait donc plus un vote à bulletin secret.

Le président : Y a-t-il une juridiction au Canada qui a fait beaucoup de progrès pour répondre aux préoccupations de l'INCA?

Mme Bergeron : Pardon?

Le Président : Y a-t-il une province canadienne qui a fait beaucoup de progrès pour répondre aux préoccupations de l'INCA en matière d'accessibilité?

Mme Bergeron : L'accessibilité au vote?

Le président : Oui.

Le sénateur Joyal : Le vote à bulletin secret.

Mme Bergeron : Je n'ai pas le renseignement sur moi, mais je pourrai me le procurer et vous en faire part.

Le sénateur Joyal : J'ai un commentaire à faire au sujet de votre question, monsieur le président. J'ai été candidat à maintes reprises et j'ai toujours résolu la question en faisant appel à un membre de la famille de l'électeur. Mon père est devenu aveugle et, bien entendu, je suis allé voter avec lui la dernière fois qu'il l'a fait, mais il est possible qu'un électeur ne puisse compter sur aucun membre de sa famille pour l'accompagner.

Mon père voulait voter. Il a toujours voté tout au long de sa vie. Il avait 95 ans la dernière fois qu'il a voté. C'était pour lui une obligation, un devoir. C'était sa vision de la citoyenneté.

Ce que vous nous dites, et je vous ai bien compris, c'est que vous êtes allée voter seule. C'est ce qui se passe en somme lorsqu'on n'a pas donné procuration à un membre de la famille ou lorsqu'il n'y a pas d'ami proche pour accompagner l'électeur. Est-ce que c'est cela qui constitue l'essentiel de votre exposé?

Mme Bergeron : Je crois qu'il y a deux choses. Il se peut que la personne qui va voter n'ait personne pour l'accompagner, mais il y a aussi le fait que c'est un droit en soi. C'est une question d'indépendance.

Le sénateur Joyal : C'est une question d'autonomie.

Mme Bergeron : Il s'agit de pouvoir faire soi-même tout ce que font les autres et d'être traité équitablement au sein d'un système qui nous permet d'être indépendant dans toute la mesure du possible sans avoir à faire appel à autrui.

J'ai eu la possibilité de me faire accompagner lorsque je suis allée voter. J'ai une fille et un mari qui ont une vue normale. Ma fille comme mon mari n'ont pas voté comme moi.

Le sénateur Joyal : Ma mère ne votait pas pour le même parti que mon père.

Mme Bergeron : Lors de la dernière élection municipale, nous avions deux panneaux différents sur notre pelouse, parce que deux d'entre nous n'étaient pas disposés à voter pour le même maire. L'essentiel pour nous, c'est de pouvoir voter soi-même, en toute indépendance, car c'est un droit dans une démocratie.

Le sénateur Joyal : Je vous comprends. Merci.

Mme Bergeron : Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie tous deux d'être venus témoigner aujourd'hui pour aider notre comité dans son examen du projet de loi. Nous vous en sommes reconnaissants.

M. Earle : Merci.

Mme Bergeron : Merci.

Le président : On informe les membres du comité que les cloches vont sonner et que nous devrons aller voter très bientôt. Le témoin est déjà arrivé. Il est prévu de voter à 17 h 30. M. Chipeur nous vient de Calgary et il a beaucoup voyagé pour être entendu aujourd'hui et apporter son témoignage, de sorte que je propose que nous suspendions dès maintenant la séance pour aller en Chambre, que nous déposions nos bulletins et que nous revenions ensuite reprendre nos délibérations le plus vite possible. Sommes-nous d'accord?

Je ne sais pas dans quelle mesure cela aura des répercussions sur le vol de retour de M. Chipeur, mais je pense que nous avons l'obligation d'aller voter et nous allons donc suspendre la séance.

(La séance est suspendue.)

——————

(La séance reprend.)

Le président : Notre prochain témoin, qui comparaît à titre personnel, nous vient de Calgary. Il s'agit de Gerald Chipeur, qui est avocat chez Miller Thomson.

Soyez le bienvenu. Est-ce que vous souhaitez faire un exposé pour commencer?

Gerald Chipeur, avocat, Miller Thomson, à titre personnel : Oui, en effet. Je vous remercie.

Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part aujourd'hui de mes opinions juridiques. Mon point de vue s'appuie sur plus de 35 années de participation directe au processus électoral. Cela remonte à 1979, date à laquelle j'ai pris part à une élection en tant que scrutateur. J'ai participé à presque toutes les opérations électorales à l'exception du fait que je n'ai jamais été candidat. J'ai aussi plaidé dans des affaires électorales devant nos tribunaux à tous les niveaux, y compris en prenant part pendant de longues journées à des recomptages lors d'appels déposés devant la Cour suprême du Canada.

J'ai parfois perdu et parfois gagné, mais cela est conforme à la nature de notre système électoral, dans lequel il y a toujours des gagnants et des perdants. Les gagnants et les perdants sont rarement d'accord sur quoi que ce soit lors d'une campagne, et même après. Il y a cependant trois choses sur lesquelles ils s'accordent toujours, si j'en crois mon expérience : d'abord sur l'équité de la procédure, ensuite sur son intégrité, et enfin sur sa transparence.

J'ai représenté des partis politiques venus de tous les horizons, notamment le Parti réformiste, un parti populiste ayant une tendance libertaire; le Parti national, un parti nationaliste ayant des idées de gauche; le Parti conservateur, un parti du centre droit; et le Parti de la loi naturelle, un parti ayant une idéologie religieuse et une philosophie venue d'Orient.

Dans chaque cas, mes clients recherchaient trois grands objectifs dans le cadre des lois électorales du Canada : d'abord, transmettre leur message à tous les électeurs potentiels; ensuite, pouvoir équitablement et en toute égalité prendre part au vote et faire voter leurs électeurs; enfin, empêcher efficacement de participer au vote ceux qui n'ont pas qualité pour le faire.

En l'absence de l'un de ces trois éléments, mes clients auraient perdu confiance dans notre système électoral et cela se serait répercuté sur leur foi dans la démocratie. Le consentement des personnes qui sont gouvernées est fondamental dans un gouvernement démocratique. Il est donc essentiel que le Parlement maintienne la confiance du public en l'assurant de l'équité et de la crédibilité des élections.

Certains mémoires que j'ai pu lire ont fait état de préoccupations concernant les changements que se propose d'apporter le projet de loi C-23 à la Loi électorale du Canada. Je précise ici que j'appuie les changements préconisés par le projet de loi C-23, pour les raisons que je vais vous indiquer. Mon seul reproche en fait, c'est que le texte de cette loi s'est beaucoup allongé. On va bientôt concurrencer la Loi de l'impôt sur le revenu si l'on n'y prend garde.

Je vais maintenant renvoyer les membres du comité devant trois décisions importantes de la Cour suprême du Canada au sujet du projet de loi C-23. Il s'agit tout d'abord de l'arrêt Figueroa c. Canada prononcé en 2003 par la Cour suprême. Dans cette affaire, l'obligation faite à un parti, pour maintenir son enregistrement, de présenter au minimum 50 candidats lors d'une élection, a été déclarée contraire aux dispositions de l'article 3 de la Charte.

Les principaux arguments du juge Iacobucci au sujet du projet de loi C-23 se trouvent aux paragraphes 51 et 72. Au paragraphe 51, le juge Iacobucci a déclaré :

... L'article 3 impose au Parlement l'obligation de s'assurer que le législateur n'a pas porté atteinte au droit de tout citoyen de participer à un scrutin équitable. Comme l'a souligné notre Cour dans Libman, précité, par. 47, l'équité des élections est une valeur fondamentale :

Le principe d'équité en matière électorale découle directement d'un principe consacré par la Constitution, soit le principe d'égalité politique des citoyens et citoyennes...

Au paragraphe 72, il est précisé :

Notre Cour a, dans une affaire antérieure, jugé que la protection de l'intégrité du processus électoral est une préoccupation urgente et réelle dans un État libre et démocratique.

L'arrêt Figueroa appuie toutes les initiatives prises dans le projet de loi C-23 pour protéger l'intégrité du système électoral. Je relève qu'une décision prise récemment par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Henry suit la jurisprudence de l'arrêt Figueroa et appuie elle aussi le projet de loi C-23.

Le deuxième arrêt qui nous intéresse a été prononcé par la Cour suprême du Canada en 2004 dans l'affaire Harper c. Canada. Il a confirmé la limitation des frais de publicité faits par des tiers. Dans cet arrêt, le juge Bastarache a poursuivi l'analyse du juge Iacobucci et a défini comme suit les objectifs de la Loi électorale du Canada aux paragraphes 63, 72 et 79. Au paragraphe 63, il s'est exprimé ainsi :

L'avancement de l'égalité et de l'équité en matière électorale stimule la confiance du public dans le système électoral.

Le juge Bastarache s'est aussi posé la question de savoir jusqu'à quel point le Parlement devait être convaincu que l'on avait la preuve d'un manque d'équité lors des élections pour qu'il soit fondé à intervenir au moyen de la législation. Sa réponse commence au paragraphe 77. Voici ce qu'il a déclaré :

Le législateur n'est pas systématiquement tenu de fournir, à l'égard du problème auquel il cherche à remédier, une preuve scientifique reposant sur des éléments concrets. Les tribunaux peuvent se fonder sur une crainte raisonnable du préjudice lorsqu'ils sont en présence de preuves relevant des sciences sociales qui sont contradictoires ou non concluantes quant au lien entre le préjudice et les mesures prises.

Puis, citant la juge McLachlin, qui n'était pas encore juge en chef, il a précisé :

Pour satisfaire à la norme de preuve en matière civile, on n'a pas à faire une démonstration scientifique; la prépondérance des probabilités s'établit par application du bon sens à ce qui est connu, même si ce qui est connu peut comporter des lacunes du point de vue scientifique.

Pour votre gouverne, je vous renvoie à d'autres paragraphes que je ne veux pas reprendre ici parce qu'ils disent la même chose : ce sont les paragraphes 87, 98, 101 à 104, 111, puis le paragraphe 121.

Laissez-moi vous citer le paragraphe 121, dans lequel la Cour explique la décision prise par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Libman et conclut en ces termes :

Elle [la liberté d'expression] ne serait guère mieux servie par un régime qui minerait la confiance des citoyens dans le processus référendaire.

Ce que je veux dire ici, c'est que le maintien de cette confiance dans le système électoral préoccupe tout particulièrement la Cour suprême du Canada lorsqu'elle statue sur la loi électorale du Canada.

J'en viens maintenant au problème de l'identification. L'une des grandes questions que vous devez vous poser en tant que sénateurs, c'est de savoir si le recours à des répondants aux termes de la loi électorale du Canada fait la promotion de l'équité et de la confiance dans le système électoral, s'il renforce la transparence et la responsabilité ou encore s'il rend plus crédibles les résultats des élections. À mon avis, il faut répondre par la négative à ces trois questions.

Il s'agit ensuite de savoir si l'abandon du recours à des répondants a été remplacé par une solution qui se justifie sur le plan constitutionnel. La réponse est oui, à mon avis. C'est aussi l'avis de la Cour suprême du Canada.

Je vais vous expliquer la chose en me référant à l'arrêt Alberta c. Hutterian Brethren, qui a été prononcé en 2009 par la Cour suprême du Canada. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a confirmé la validité de la législation albertaine exigeant la possession d'une carte d'identité avec photo pour conduire une automobile en Alberta.

Lorsqu'on y pense, une carte d'identité avec photo est exigée pour suivre des cours dans nombre d'écoles, pour prendre des vols commerciaux, pour signer de nombreux documents juridiques, pour entrer dans un bar et, ce qui est significatif, pour pénétrer dans le bâtiment dans lequel nous nous trouvons afin de pouvoir témoigner devant votre comité. Il me paraît illogique de faire preuve de plus de laxisme lorsqu'il s'agit de faire un acte de citoyenneté — c'est cela que représente le vote — bien plus important et dont les conséquences sont bien plus grandes.

La juge en chef McLachlin a souligné que le gouvernement avait un intérêt légitime à garantir l'intégrité des mécanismes publics et à prévenir la fraude. Là encore, je ne vais pas reproduire ses observations, mais vous pourrez les trouver aux paragraphes 64, 80, 81, 85, 101, 102 et 104 de l'arrêt. Je vous fais remarquer une fois de plus que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans l'arrêt Henry, va dans le même sens et appuie les dispositions du projet de loi C-23 visant à supprimer le recours aux répondants dans la Loi électorale du Canada.

Je vous remercie d'avoir écouté mon exposé.

Le président : Merci, monsieur Chipeur. Nous aurons certainement des questions à vous poser.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous répéter, monsieur Chipeur, les numéros de paragraphe que vous venez de citer au sujet de la juge McLachlin? Vous avez parlé des paragraphes 64, 81, 84, 85, et j'ai oublié la suite.

M. Chipeur : Ce sont les paragraphes 101, 102 et 104. Je peux vous les lire si vous voulez. Je les ai devant moi.

Le sénateur Joyal : Non, ce n'est pas la peine.

M. Chipeur : Ce sera pour plus tard.

Le sénateur Joyal : Je vous remercie de cette précision.

Le ministre s'est référé ce matin à l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Wrzesnewskyj. Vous connaissez probablement cet arrêt, qui est récent, il date de 2012. Vous n'avez pas cité cet arrêt dans votre exposé. Y a-t-il une raison pour laquelle cet arrêt — qui aux yeux du ministre justifie sa position sur le plan juridique — n'a pas été cité dans votre exposé? C'est un arrêt important.

M. Chipeur : Je n'ai aucune raison de l'exclure. J'aurais pu probablement me référer à trois ou quatre arrêts, mais je ne disposais que de cinq minutes. Je ne veux absolument pas réduire ou sous-estimer l'importance de cet arrêt. J'aurais pu aussi vous citer l'arrêt Henry, qui résume parfaitement le droit dans ce domaine, mais j'ai pensé que les autres arrêts cités présentaient plus d'intérêt quant à l'intervention du Directeur général des élections et du Parlement à long terme. Mon intention était de vous donner un aperçu des décisions prises par les tribunaux.

Le sénateur Joyal : J'ai ici une autre décision. Je ne voudrais pas vous surcharger de lectures pour votre voyage de retour en Alberta, mais en 1996, dans l'arrêt Harvey c. Nouveau-Brunswick, la Cour a interprété l'article 3. Je peux vous dire qui siégeait. Il s'agissait des juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major, ayant interprété l'article 3 de la Charte des droits, qui bien entendu porte sur le droit de vote. C'est pourquoi je tenais absolument à noter les paragraphes que vous avez cités, parce que j'ai lu ces arrêts pour me rafraîchir la mémoire lorsque nous avons entrepris d'étudier ce projet de loi.

Le problème de droit que me pose de ce projet de loi — et je suis prêt à écouter vos commentaires à ce sujet — c'est que je considère que l'article 3 de la Charte a un objectif précis, qui est de promouvoir le droit de vote. Je ne conteste pas la nécessité de l'identification. On ne peut nier qu'il est indispensable que la personne qui se prépare à voter s'identifie. À mon avis, il y a une relation entre le besoin de s'identifier et les moyens d'identification que l'on fournit.

Je ne m'oppose pas aux objectifs qui sont fixés. Je les appuie totalement. Je ne pense pas que quelqu'un puisse s'y opposer au Canada. Vous l'avez dit vous-même, la jurisprudence ne manque pas.

Là où il peut y avoir matière à interprétation, c'est lorsqu'on dispose déjà d'un mécanisme dont on reconnaît l'utilité et les avantages lorsqu'il s'agit de faciliter l'exercice du vote en l'absence d'éléments d'identification généralement reconnus. Comment accepter que l'on puisse s'en débarrasser alors qu'aucun rapport ne permet d'affirmer qu'il remet en cause l'intégrité du système?

Il m'apparaît que la Cour suprême a délibérément choisi de supprimer ce mécanisme sans, je vous le répète, que l'on ait apporté de preuve — qui ne doit pas nécessairement être scientifique, comme vous l'avez bien rappelé dans votre exposé — en faisant en sorte d'abroger l'article 143 de la Loi électorale aux termes des dispositions du projet de loi C- 23. Voilà qui me fait raisonnablement douter du bien-fondé de cette initiative.

M. Chipeur : Je comprends bien ce que vous nous dites. Voyons cependant ce que nous dit la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Henry. Dans cet arrêt, on cite la juge de première instance, qui a déclaré que l'on avait la preuve d'une fraude électorale et qu'Élections Canada avait intenté des poursuites par le passé. La juge s'est exprimée en ces termes :

La Loi rend bien moins probable l'éventualité d'une erreur ou d'une fraude lors des élections; elle rassure par ailleurs « ceux qui sont préoccupés par les fraudes électorales et, par conséquent, tend à renforcer la confiance [dans le système] ».

Cette situation se trouve au paragraphe 45 de l'arrêt de la Cour d'appel de la C.-B.

Par conséquent, les juges qui se sont penchés sur cette question, tant en première instance qu'en appel, ont déclaré que la validité des mesures prises en la matière par le Parlement pour renforcer la confiance des électeurs seront confirmées, ce qui a été le cas en l'espèce.

Dans l'arrêt Alberta c. Hutterian Brethren, la juge en chef a déclaré au paragraphe 64 :

Selon moi, il est légitime pour la province de chercher à préserver l'intégrité de son système de délivrance des permis de conduire et à se prémunir contre le risque qu'il soit utilisé à des fins frauduleuses.

En l'espèce, l'Alberta, depuis 40 ans, n'imposait aux membres des Hutterian Brethren aucune obligation de présenter un permis de conduire avec photo. Une modification a été apportée à la loi. Le Parlement, l'assemblée législative, a décidé de modifier cette disposition et d'imposer une nouvelle obligation. Dans les circonstances, rien ne prouvait que des fraudes avaient eu lieu.

Il m'apparaît qu'en vertu de la décision prise dans l'affaire Alberta c. Hutterian Brethren, une obligation imposée par une assemblée législative pour garantir la sécurité du système des permis de conduire en l'absence de preuve de fraude réelle mais dans le souci d'éviter les fraudes potentielles, sera validée par la Cour suprême du Canada, qui jugera que dans la mesure où de nombreuses possibilités d'identification existent et où l'on a donné tout loisir aux personnes concernées de se procurer à l'avance cette carte d'identité, il convient d'entériner les mesures prises.

C'est ce que me dit la jurisprudence. Je ne vois aucun arrêt qui aille dans le sens contraire et qui statue que lorsque le Parlement apporte davantage de garantie, on peut remettre en question sa décision. Il m'apparaît que les tribunaux vont s'en tenir à ce que décide le Parlement sur ces questions.

La sénatrice Frum : Je ne suis pas juriste, mais je vais m'efforcer de simplifier votre argumentation en disant que même s'il existe des protections constitutionnelles en faveur du droit de vote des gens — et il s'agit là de l'un de nos droits les plus fondamentaux — la Constitution vise par ailleurs à maintenir la confiance de la population dans le résultat des élections, et qu'il convient de concilier ce droit avec l'autre. Est-ce qu'on peut exprimer la chose ainsi?

M. Chipeur : Cela me semble juste. Je vous répondrai simplement en vous renvoyant au rapport publié par Élections Canada lors de l'élection qui a eu lieu à Edmonton en 2006, alors que 21 personnes avaient voté sans être de véritables résidents de la circonscription d'Edmonton Centre. Cela revenait en fait à annuler le vote de 21 autres personnes ayant normalement voté lors de cette élection.

Ce n'est pas seulement une question théorique. Le fait est que ces 21 votes en ont annulé 21 autres. Je ne sais pas selon quel mécanisme, mais il n'en reste pas moins que 21 personnes pourront dire à bon droit : « J'ai voté, et pourtant il y a une autre personne qui a elle aussi voté sans en avoir le droit, et si elle s'est prononcée pour un autre candidat que le mien, elle a annulé mon vote. » Très concrètement, le système n'a pas réussi à protéger ces 21 personnes en empêchant les 21 faux électeurs de voter.

La sénatrice Frum : Si on raisonne en termes de hiérarchie des droits, ce qui est difficile — les avocats le font tous les jours — l'intégrité du résultat du vote est une grande priorité, de même que les facilités d'accès au vote, mais il est acceptable de limiter raisonnablement les facilités d'accès pour protéger l'autre droit constitutionnel qui est celui du maintien de la confiance dans le système.

M. Chipeur : Je pense que c'est ce que dirait la juge en chef McLachlin si j'en juge par l'arrêt Alberta c. Hutterian Brethren. En l'espèce, elle a déclaré que les Hutterian Brethren devraient éventuellement engager quelqu'un d'autre pour les accompagner en ville et prendre la peine de les conduire au centre-ville dans un autre bureau de vote s'ils ne sont pas en mesure de fournir la carte d'identité exigée, et qu'il leur faudrait peut-être même se procurer un permis de conduire.

Je sais qu'en Alberta, par exemple, tout le monde, même les personnes qui sont sans abri, a droit à une carte d'identité avec photo fournie par le gouvernement, même si l'on n'a pas d'adresse fixe. C'est un système qui a été institué par le gouvernement.

Je sais que l'on a critiqué le gouvernement fédéral d'avoir fait confiance à une carte d'identité provinciale, mais cela tient à la nature de notre régime constitutionnel, une province pouvant décider de s'en tenir à une formalité instituée par le gouvernement fédéral, et celui-ci pouvant faire confiance à une province en acceptant les exigences imposées par celle-ci. Nous ne sommes pas obligés d'imposer des chevauchements d'une juridiction à l'autre.

Le sénateur Batters : Merci d'être venu témoigner aujourd'hui devant notre comité. Nous nous félicitons d'accueillir à nouveau un Canadien de l'Ouest. Je connais le sénateur Plett et j'en suis très heureux.

Je me demande si vous pourriez nous donner quelques précisions. Vous avez indiqué dans votre exposé, je sais que vous ne disposiez que de cinq minutes, que le recours à des répondants n'était pas conforme aux exigences que vous avez précisées antérieurement. J'aimerais vous laisser un peu plus de temps pour que vous nous exposiez plus longuement cette question.

M. Chipeur : Le gros problème que pose le recours aux répondants est celui de la transparence. Dans une localité où tout le monde se connaît, personne ne va pouvoir se présenter pour répondre de quelqu'un d'autre parce que tous se connaissent et l'on saura que cette personne n'est pas un citoyen.

Désormais, 99 p. 100 de nos localités au Canada sont trop grandes pour que tout le monde se connaisse et l'on ne peut plus avoir recours comme avant à des répondants. C'était peut-être une bonne chose à une certaine époque, mais ce n'est plus possible aujourd'hui parce qu'il n'y a plus la même appartenance à une communauté au sein de laquelle chacun connaît tout le monde.

Lorsqu'on répond d'une autre personne, on signe une assermentation aux termes de laquelle on indique : « Je connais cette personne ». L'ensemble de la collectivité n'a plus les moyens de tenir responsables les deux personnes qui ont signé cette assermentation.

Oui, il est possible de procéder à une vérification. On peut vérifier la qualité de chacune des personnes concernées dans le cadre d'une procédure très onéreuse mais, à mon avis, rien n'empêche le Parlement du Canada de déterminer que c'est à l'électeur qu'il appartient d'exercer son droit. Les habitants du Nord doivent faire des heures de déplacement pour aller voter. Chacun d'entre nous à l'obligation de faire un effort pour bénéficier de cette prérogative, pour exercer son droit de vote.

Le recours à des répondants donnait de bons résultats lorsque nous nous connaissions tous, mais aujourd'hui que personne ne se connaît, et pour cette raison même, il peut très bien être justifié d'imposer un fardeau supplémentaire à une personne qui ne possède pas de carte d'identité. Il lui faudra lui préciser que la prochaine fois qu'elle viendra voter, elle aura besoin de ce document.

Je ne connais pas d'instance qui ne soit pas en mesure de lui fournir cette carte d'identité avec photo avant la prochaine élection.

Le sénateur Batters : Une carte d'identité avec photo n'est pas exigée. On peut utiliser toutes sortes de cartes d'identité et il y a bien d'autres solutions lorsqu'un électeur ne possède pas de carte d'identité avec photo. Trente-neuf autres types de cartes d'identité peuvent être utilisées, notamment les attestations de résidence au sein d'une bande ou d'une réserve des Premières Nations, dans un refuge, une soupe populaire, une résidence d'étudiants ou de personnes âgées ou encore un établissement de soins de longue durée. Nombre de personnes appartenant à ces catégories pourront avoir des difficultés à obtenir une carte d'identité classique, telle que nous la concevons, mais ce sont là des modalités plus sûres et plus transparentes que le recours à des répondants. Êtes-vous d'accord avec cette analyse?

M. Chipeur : Tout à fait. En réalité, il y a aujourd'hui très peu de gens qui n'ont pas de carte d'identité avec photo. S'ils souhaitent en obtenir une, quelle que soit leur condition et indépendamment des circonstances, cela leur sera accordé dans toutes les provinces. Même si ces personnes sont internées, un mécanisme est en place pour qu'elles puissent obtenir une carte d'identité et prendre part au vote de l'une des manières que vous avez évoquées tout à l'heure.

Le président : Jean-Pierre Kingsley a comparu un peu plus tôt aujourd'hui et il a évoqué le recours aux répondants. Il est évident qu'il est bien au courant de ce qui se passe à Élections Canada. Je ne sais pas s'il parlait en son nom propre ou s'il préconisait tout simplement le recours à des répondants qui seraient assermentés en même temps que la personne dont ils répondent. Que pensez-vous de cette solution si l'on maintenait le recours aux répondants?

M. Chipeur : J'ai bien pris connaissance de son témoignage. Je l'ai regardé en circuit fermé. Ce que je reproche à sa solution, c'est qu'elle ne tient pas compte du problème fondamental découlant du fait que l'on n'a aucun moyen de faire en sorte que le recours à un répondant soit transparent pour tous les autres électeurs.

La seule façon de faire rendre des comptes aux deux personnes concernées, même si elles ont signé un document assermenté, c'est de procéder à une vérification très onéreuse en retrouvant leur trace, à condition qu'il soit possible de le faire.

Les risques de fraudes et d'abus sont considérables dans le cadre de cette procédure, et cela doit nous inquiéter. Nous ne disons pas aujourd'hui que les Canadiens fraudent lorsqu'ils viennent voter. Ce n'est pas ce que nous disons.

Nous disons que nous ne voulons pas que des personnes qui ne sont pas canadiennes viennent voter et remettent en cause la crédibilité des élections. La méthode qu'il a définie ne fait rien, à mon avis, pour remédier au manque de crédibilité qui se produit à l'heure actuelle lorsqu'on autorise le recours à des répondants.

Le sénateur McInnis : Voilà qui est très intéressant. Combien d'affaires avez-vous plaidées? Je ne pensais pas qu'il y en aurait autant, mais vous avez précisé que vous aviez comparu à un certain nombre de reprises devant la Cour suprême du Canada. Est-ce que ces affaires ont été nombreuses?

M. Chipeur : Oui. Il semble que l'on organise de nombreuses élections au Canada. Il y a les élections municipales, au sujet desquelles j'ai eu l'occasion de plaider. J'ai pris part à une longue enquête sur la question de savoir si l'on s'était servi des votes par correspondance pour frauder les élections à Calgary.

À l'échelle provinciale, j'ai pris part à un certain nombre d'affaires dans lesquelles des personnes avaient déclaré : « Je veux remettre en cause la procédure de ma mise en candidature. Il y a des gens qui ont voté alors qu'ils étaient en dehors de la circonscription. » Nous sommes allés jusqu'à la Cour d'appel de l'Alberta sur cette question.

Au fédéral, je me suis intéressé aux droits de vote des détenus à plusieurs niveaux. Nous nous sommes aussi penchés au niveau fédéral — je pense qu'on peut parler de recomptage — sur des recomptages judiciaires réunissant plus ou moins dans la même salle, pendant deux jours, l'ensemble des avocats et une vingtaine de membres du personnel de la Cour pour recompter les bulletins. Le juge passait entre les rangs pour vérifier que tout le monde faisait son travail. Ça n'a pas été aussi spectaculaire que l'affaire Bush v. Gore, mais il n'en reste pas moins que nous sommes allés devant les tribunaux dans un certain nombre d'affaires.

On relève avec intérêt que depuis que les cours d'appel ont décidé d'enlever aux tribunaux le soin de se prononcer sur les procédures de mise en candidature pour confier cette tâche aux différents partis, le nombre d'affaires portées en justice ces cinq dernières années a effectivement diminué. La situation s'est améliorée ces cinq dernières années. Toutefois, comme nous pouvons le voir, il y a toujours des procès et ils sont nombreux.

Le sénateur McInnis : J'ai indiqué un peu plus tôt aujourd'hui, peut-être sous une forme différente, qu'il y a toujours une opposition au changement.

M. Chipeur : Bien entendu.

Le sénateur McInnis : Il sera difficile d'éliminer le recours aux répondants, mais si l'on sensibilise le public, et après une élection ou deux, les gens vont comprendre qu'il leur faut avoir une carte d'identité en bonne et due forme, et tout sera réglé.

Voilà qui est très intéressant. Il me faut aller voir toute cette jurisprudence.

M. Chipeur : Il y a de nombreux arrêts.

En ce qui concerne les répondants, il m'est arrivé de voir dans des bureaux de vote des personnes renvoyées chez elles qui reviennent avec la carte d'identité qui est exigée. Il est important qu'on procède ainsi. Même si les gens se rendent compte à la dernière minute qu'il leur faut retourner chez eux, ils auront probablement le temps de le faire parce que très souvent le bureau de vote n'est pas très éloigné de leur domicile.

Le sénateur McInnis : Vous avez tout à fait raison.

M. Chipeur : Il m'est arrivé, malheureusement, de voir des gens qui n'ont pas pu prendre leur avion parce qu'ils avaient oublié la carte d'identité exigée. Le commun des mortels, à l'heure actuelle, sait qu'il faut avoir sa carte d'identité lorsqu'on veut aller quelque part.

Le sénateur Moore : Merci, monsieur Chipeur, d'être venu. J'aimerais abandonner la question du recours aux répondants pour passer à celle du rôle d'Élections Canada.

Nous avons reçu un courriel de Mme Paula Tripp, de Maple Leaf, en Ontario. Elle fait état d'une dizaine de modifications que nous devrions apporter, à son avis, à ce projet de loi. Voici ce qu'elle nous dit : « De plus, telle que la loi est formulée, Élections Canada ne sera même pas en mesure d'annoncer à la population canadienne qu'une fraude a eu lieu ou même que des plaintes ont été déposées. En outre, le projet de loi ne traite même pas de la question de savoir s'il faut conférer à Élections Canada le pouvoir d'obliger à témoigner — ce qui l'a justement empêchée d'enquêter à fond sur la tentative de fraude électorale relevée par la Cour fédérale lors de la dernière élection fédérale. » Il s'agissait du scandale des appels sur serveur informatique.

Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

M. Chipeur : D'après ce que j'ai compris, il ne s'agit pas tant de pouvoir communiquer. Il s'agit de changer de responsable de la communication parce que les rôles ont évolué. Le rôle du Directeur général des élections est plus limité et la communication a été confiée à un autre responsable qui rend des comptes au ministre.

Si j'ai bien compris le raisonnement — et je n'en ai bien sûr jamais parlé avec le ministre, de sorte que je ne sais pas ce qu'il en est vraiment — c'est que l'on instaure une responsabilité sur le plan politique dans le but de sensibiliser et d'informer la population. Lorsqu'on ne prend pas de mesures, quelqu'un en est tenu responsable, contrairement à ce qui se passe avec le directeur général des élections, qui est un fonctionnaire ou un agent de l'État, ou encore avec le Parlement du Canada, qui ne rend véritablement de comptes à personne. En cas de difficultés, il n'y a aucun responsable auquel on peut s'adresser. Il m'apparaît qu'il sera plus facile de faire de la sensibilisation par la suite en raison des pressions politiques s'exerçant sur le ministre chargé de faire ce travail.

Le sénateur Moore : Le directeur général des élections a comparu aujourd'hui devant notre comité. Il n'a pas manqué de témoigner qu'il a toujours sensibilisé le public en portant la question à son attention lorsque c'était nécessaire. Est-ce que c'est une bonne ou une mauvaise chose qu'il continue à le faire?

M. Chipeur : Je considère qu'il faut que quelqu'un le fasse. C'est important. Tous ces changements qui s'annoncent doivent être signalés et communiqués aux électeurs. Il importe moins, à mon avis, de savoir qui s'en charge que de faire en sorte que cela soit fait.

Je ne pense pas qu'il y ait une seule et unique réponse. Tout dépend, à mon avis, du choix que feront les parlementaires. Les trois ou quatre directeurs généraux des élections que j'ai eu l'occasion de rencontrer ont fait de grandes choses par le passé. Ils ont bien travaillé dans ce domaine.

Ce n'est pas un problème, mais je considère qu'il appartient au Parlement de mettre en place un autre responsable chargé d'exercer ces activités. Dans la mesure où l'on procédera ainsi, je me tiendrai pour satisfait en tant que participant au système et en tant qu'observateur de ce qui s'est passé au cours des dernières décennies.

Le sénateur Moore : Est-ce que cela relève de la politique ou des principes de gouvernement?

M. Chipeur : En effet. Dans notre régime parlementaire, il est probablement judicieux de confier la responsabilité aux ministres. Lorsqu'il s'agit d'un agent du Parlement, il faut que ce dernier ait des responsabilités très précises. Quelles que soient ces responsabilités, l'agent doit être tenu de les exercer.

Je ne me prononce pas sur le bien-fondé d'une décision prise par le Parlement de retirer certaines responsabilités à cet agent. Ce n'est pas une question de constitutionnalité ou d'inconstitutionnalité; cela relève de la politique parlementaire et d'une décision prise par le Parlement d'exercer une activité de telle ou telle manière.

Le sénateur Plett : Excusez-moi d'être arrivé un peu en retard à cette séance. Vous me pardonnerez si je traite d'une question qui a déjà été posée.

Avant de poser ma question, je tiens à préciser que je trouve préoccupant le très faible taux de participation aux élections, qui continue d'ailleurs à baisser. J'aimerais avoir votre avis personnel et savoir si selon vous l'abandon du recours aux répondants risque d'entraîner une diminution du taux de participation des électeurs, ou si cette baisse du taux de participation s'explique par d'autres raisons?

M. Chipeur : J'ai évoqué précédemment la question du recours aux répondants, mais je n'ai pas abordé ce sujet précis. Il me paraît important. Je ne suis pas un spécialiste des sciences politiques, et je ne peux pas vous répondre en cette qualité.

Le sénateur Plett : Nous allons entendre plus tard ces spécialistes.

M. Chipeur : Sur le plan constitutionnel, et compte tenu de mon interprétation des arrêts Harper, Alberta c. Hutterian Brethren et Henry, il est indéniable que les modifications proposées par le projet de loi C-23 seront jugées conformes à la Constitution. Autrement dit, les tribunaux n'y verront pas un obstacle impossible à surmonter par les électeurs, qui reviendrait dans la pratique à enfreindre les dispositions de l'article 3 sans que cela soit justifié dans une société libre et démocratique.

Sans être un spécialiste des sciences politiques, je ne vois rien qui soit susceptible de modifier mon opinion et qui contredise ce que les tribunaux me semblent devoir statuer. Autrement dit, j'estime que les tribunaux vont statuer que le recours aux répondants n'est pas nécessaire pour assurer une pleine participation de l'électorat au vote et que ceux qui veulent voter trouveront les moyens de le faire.

L'exigence d'une carte d'identité sous une forme quelconque n'entraîne aucun fardeau financier ou autre. Je crois savoir qu'il y a plus de 30 cartes d'identité différentes dont on peut faire usage.

Le sénateur Plett : Il y en a 39, pour être plus précis.

Vous estimez que si une personne se présente dans un bureau de vote sans posséder une ou deux de ces 39 cartes d'identité, c'est parce qu'elle s'est désintéressée de la question ou qu'elle les a oubliées chez elle, et non pas parce qu'elle n'a pas pu se les procurer.

M. Chipeur : Il est constant qu'en droit et dans la pratique, tout résident de l'Alberta est fondé à se faire délivrer une carte d'identité par le gouvernement de l'Alberta, quelle que soit sa qualité ou quel que soit son domicile, même s'il n'a pas d'adresse fixe. Tout le monde peut se faire délivrer une carte d'identité par la province, et c'est tout ce dont on a besoin. Tout le monde y a droit et peut se la faire délivrer. Lorsque quelqu'un est mis dans l'incapacité de voter, c'est par pure négligence.

Le sénateur Plett : Comme vient de le rappeler le sénateur Moore, le Directeur général des élections est venu témoigner un peu plus tôt. L'une de ses grandes préoccupations, c'est que le commissaire ne lui rendra plus directement des comptes, mais qu'il relèvera plutôt du Directeur des poursuites pénales. Qu'est-ce que vous pensez du fait que le commissaire ne relèvera plus directement des attributions du Directeur général des élections?

M. Chipeur : Il m'apparaît que le système antérieur était une solution susceptible d'être entérinée par les tribunaux et que le nouveau modèle institué par le projet de loi C-23 est susceptible lui aussi d'être entériné par les tribunaux. Je considère que le Parlement va bénéficier d'un large pouvoir d'appréciation pour mettre en place un mécanisme lui permettant de garantir dans les meilleures conditions l'équité, la transparence et la crédibilité des élections afin qu'on puisse leur faire confiance et permettre également à tous les Canadiens d'y prendre part. C'est mon point de vue. Le choix qui a été fait est justifié et raisonnable, mais ce n'est pas le seul choix possible. Il appartient au Parlement de prendre la meilleure décision. J'estime pour ma part que cette solution sera aussi bonne que le modèle actuel.

Le président : Est-ce qu'il y a un sénateur qui veut poser une dernière question? Dans la négative, je vous remercie, monsieur Chipeur, d'avoir fait tout ce déplacement pour nous faire profiter de votre expérience et de votre compétence en ce qui a trait à la législation qui nous est présentée. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Sénateurs, nous serons de retour dans cette salle demain à 10 heures du matin pour entendre le Dr Michael Pinto- Duschinsky depuis Oxford par vidéoconférence. Il va témoigner de 10 heures à 11 heures. Notre deuxième témoin ne sera malheureusement pas disponible. On nous informe que le Dr Pinto-Duschinsky est un spécialiste dans tous les domaines qui nous intéressent. Avec un peu de chance, nous pourrons prolonger son témoignage demain puisque nous avons du temps disponible.

(La séance est levée.)


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