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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 9 avril 2014


OTTAWA, le mercredi 9 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 1, pour examiner la teneur du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, mesdames et messieurs mes collègues, les témoins et les membres du public qui suivent les délibérations d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude préparatoire sur la teneur du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence. Ce projet de loi propose des modifications à divers aspects de la Loi électorale du Canada, de même que des modifications connexes à la Loi sur les télécommunications, à la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et à la Loi sur le directeur des poursuites pénales, entre autres lois.

Le projet de loi est actuellement à l'étude au Comité permanent de la Chambre des communes de la procédure et des affaires de la Chambre, qui a déjà entendu divers témoins sur certains aspects du projet de loi. La tâche de notre comité consiste à tenir des audiences publiques sur la teneur du projet de loi, ce qui nous permettra de présenter un rapport exposant nos conclusions avant son dépôt au Sénat.

Notre témoin de ce matin comparaît par vidéoconférence d'Oxford, au Royaume-Uni : il s'agit de Michael Pinto- Duschinsky, conseiller principal en affaires constitutionnelles au Policy Exchange. Monsieur Duschinsky, je vous souhaite la bienvenue. Nous vous remercions infiniment de comparaître devant le comité aujourd'hui. Je crois que vous avez préparé une allocution.

[Français]

Michael Pinto-Duschinsky, conseiller principal en affaires constitutionnelles, Policy Exchange, à titre personnel : Je remercie d'abord le comité de m'avoir invité.

[Traduction]

Pour économiser du temps, je vais résumer cinq points de mon mémoire écrit, que vous avez tous lu, j'espère, en plus de mon profil biographique. Je vais ensuite vous glisser quelques mots sur le message que vous venez de recevoir du professeur Thomas sur l'étendue de la fraude électorale au Royaume-Uni.

Pour résumer, je suis un universitaire britannique, et j'agis à titre de conseiller en affaires constitutionnelles et électorales dans mon propre pays ainsi que dans 25 autres. J'ai été le principal témoin cité devant le Comité du Royaume-Uni sur les normes de la vie publique lorsqu'il a enquêté sur la Commission électorale du Royaume-Uni.

Je mentionnerai d'abord que l'expérience du Royaume-Uni est tout à fait pertinente pour éclairer le débat actuel sur l'administration des élections au Canada. Au Royaume-Uni, on a la forte impression que la robustesse essentielle de la procédure électorale peut être sacrifiée trop facilement dans la quête d'un taux de participation élevé. C'était le principal argument mis de l'avant par le comité interpartis et très érudit sur les normes de la vie publique, dans un rapport important publié en 2007 sur la Commission électorale du Royaume-Uni. Ce comité a recommandé — pour la Grande-Bretagne seulement, bien sûr — de simplifier le mandat de la Commission électorale du Royaume-Uni et de le concentrer sur deux rôles principaux : la réglementation du financement des partis politiques et la réglementation régissant l'administration des élections.

Le comité sur les normes a également recommandé que la commission électorale soit délestée de ses responsabilités en matière de politique électorale et de promotion de la participation au processus démocratique. Ce n'est pas que ces fonctions ne sont pas jugées importantes, mais plutôt qu'elles distraient la commission électorale de ses tâches essentielles purement administratives.

Par ailleurs, la perception britannique selon laquelle il faut resserrer l'administration des élections a été influencée par une série de grands cas de fraude électorale prouvés. Dans 13 cas, des individus ont été emprisonnés, ce qui ne comprend pas tous les autres grands verdicts de culpabilité qui ne se sont pas accompagnés d'une peine d'emprisonnement. Par conséquent, la Commission électorale du Royaume-Uni a recommandé, en janvier 2014 — et certains diront qu'elle a tardé à le faire —, que les électeurs soient désormais tenus de présenter une preuve d'identité aux bureaux de scrutin, comme l'exigeait déjà l'Irlande du Nord.

Troisièmement, l'expérience britannique me porte à comprendre la raison d'être de certains principes qui semblent inscrits dans le projet de loi C-23 et de la proposition de mettre un terme au système typiquement canadien de l'attestation de l'identité par un répondant, bien que je ne puisse pas prétendre en avoir étudié tous les détails.

Certaines discussions qui ont cours au Canada ces temps-ci me semblent trompeuses, puisqu'on se demande s'il faut accorder la priorité à l'intégrité du système électoral ou favoriser diverses formes de participation électorale. Les deux sont nécessaires et ne devraient pas être considérés comme en opposition. Il ne doit pas être trop difficile de voter, mais des règlements trop laxistes destinés à faciliter le vote risquent de miner les élections elles-mêmes. Aux frontières canadiennes, les douaniers ne permettent à personne d'entrer au pays sans pièces d'identité seulement parce que quelqu'un d'autre est prêt à se porter garant de son identité. Ainsi, dans d'autres contextes vraisemblablement pas plus importants que les élections, l'attestation de l'identité par un répondant serait jugée insuffisante.

Quatrièmement, si cela explique mon appui au rejet de l'attestation de l'identité par un répondant, c'est sous réserve absolue que le gouvernement prouve qu'il prendra des mesures adéquates pour que les membres des groupes ethniques et sociaux marginalisés puissent pleinement se prévaloir de leur droit de remplir un bulletin de vote. Il y a diverses solutions possibles, et elles relèvent surtout de discussions techniques. Le modèle australien du bulletin de vote en suspens que Jean-Pierre Kingsley a présenté pendant une entrevue à la CBC serait sûrement une possibilité.

Cinquièmement, il est raisonnable que le gouvernement canadien se demande si Élections Canada jouit actuellement d'un mandat trop vaste. Il serait logique, en principe, de séparer les responsabilités liées aux enquêtes et aux poursuites sur les fraudes électorales présumées de l'administration elle-même des élections, et il y a divers précédents internationaux. Comme je l'ai mentionné, l'argumentaire en faveur de compétences limitées pour l'organisme national d'administration des élections a été très documenté en Grande-Bretagne, pour notre commission électorale.

Je souligne toutefois que le débat sur le juste rôle que devrait jouer Élections Canada devrait porter sur des faits et sur la structure institutionnelle plutôt que sur des personnalités. De par mon travail de chercheur spécialiste des études comparatives sur les élections, je peux attester de l'excellente réputation internationale d'Élections Canada et de ses hauts dirigeants. Lorsque les autorités gouvernementales de pays comme la Lituanie et la Macédoine, où j'ai travaillé comme conseiller, me demandent de nommer un organisme d'administration des élections pouvant leur servir de modèle, je nomme toujours Élections Canada. Ainsi, ma sympathie envers le gouvernement canadien quant à son objectif apparent de réduire les risques d'inexactitude dans le processus électoral ne sous-entend absolument aucune critique à l'endroit d'Élections Canada. En effet, j'espère que mon témoignage ici, aujourd'hui, contribuera à établir des ponts et à favoriser un dialogue positif.

Enfin, j'aimerais ajouter une observation sur la note que vient d'écrire le professeur Thomas sur la fraude et la commission électorale du Royaume-Uni. Dans son texte, le professeur Thomas souligne à grands traits l'étendue de la fraude électorale prouvée au Royaume-Uni et démontre du même coup le danger de la complaisance. Il omet de mentionner la critique impitoyable formulée par le Comité sur les normes de la vie publique à l'encontre de la Commission électorale du Royaume-Uni et les préoccupations exprimées par certains juges chevronnés du Royaume- Uni. Je pourrai vous en parler davantage en réponse à vos questions si vous le souhaitez. Merci beaucoup.

Le président : Certains sénateurs sont impatients de vous interroger, et nous allons commencer par le vice-président du comité.

Le sénateur Baker : Je remercie le témoin. C'est un honneur d'entendre votre témoignage devant notre comité sénatorial aujourd'hui. J'aimerais d'abord vous demander, puisque vous êtes à même de comparer le système canadien à d'autres systèmes électoraux du monde, s'il existe un autre système comparable au système canadien? Je suis la plus vieille personne à siéger à ce comité. Je travaille sur la Colline parlementaire depuis 40 ans. Avant 2007, l'année où le rapport auquel vous faites référence a été publié en Grande-Bretagne, la Chambre des communes avait publié un rapport proposant des modifications à la Loi électorale du Canada. Après leur adoption par le gouvernement en 2007, les Canadiens ont dû pour la première fois montrer des preuves d'identité. Avant, ce n'était pas obligatoire. Dès qu'une personne était inscrite à la liste électorale, elle n'avait qu'à dire qui elle était, à mentionner son adresse d'inscription, puis à voter. Si son nom n'y figurait pas, elle n'avait qu'à prêter serment comme quoi ce bureau de scrutin était bien le sien, c'est tout.

En 2007, la loi a été modifiée pour rendre la documentation et les pièces d'identité obligatoires, et les tribunaux ont été saisis de plusieurs affaires fondées sur ces dispositions. Je présume qu'il va y en avoir encore plus à la suite de cette dernière modification.

Monsieur, le fondement même du système canadien — et je ne sais pas s'il se compare à un autre système dans le monde —, est l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui dicte que tout citoyen canadien a le droit de vote aux élections législatives, fédérales ou provinciales. Il suffit donc d'être citoyen canadien et de se présenter à un certain bureau de scrutin à l'élection provinciale ou fédérale. Tout ajout à cette règle porte atteinte à la Charte, et c'est ce que les juges ont statué dans toutes leurs décisions. Il faut donc déterminer si c'est justifié, preuves à l'appui, dans une société juste et démocratique comme celle du Canada selon la Charte. Les effets salutaires de la loi pèsent-ils plus lourd que ses effets délétères? C'est le jugement que doivent porter les juges sur les dispositions prescrivant l'identification.

Y a-t-il un autre système auquel le système canadien se compare raisonnablement et en toute logique? Au Canada, il y a le droit constitutionnel, selon lequel il suffit d'être citoyen et de vivre à un certain endroit. Le jugement final repose sur le poids des effets salutaires et délétères. Y a-t-il un autre pays qui vous vienne à l'esprit qui suit ces principes?

M. Pinto-Duschinsky : Vous soulevez la question de la Charte des droits et libertés et des décisions judiciaires en la matière, une question éminemment complexe en elle-même. J'ai fait partie de la Commission du Royaume-Uni sur la Charte des droits, donc je connais très bien les controverses qui entourent les décisions judiciaires en la matière.

Soyons clairs. D'après la charte et la convention des Nations Unies, le suffrage universel lors d'une élection juste et secrète est une règle fondamentale. On part donc clairement du point de vue selon lequel tout le monde doit pouvoir remplir un bulletin de vote. Il y a quelques exceptions. Il y a le vote des détenus, il y a aussi celui de la famille royale britannique ou des membres de notre Chambre des lords. Si vous étiez votre équivalent britannique, vous n'auriez pas le droit de vote, mais vous seriez une exception. En général, tout le monde a le droit de voter.

À mon avis, cela ne sous-entend pas nécessairement qu'il faut prouver que quiconque se présente à un bureau de vote ne peut pas voter, faute de quoi son bulletin de vote doit être accepté. Après tout, nous ne savons pas si les gens sont citoyens. Nous avons une population très mobile.

Je serais porté à juger déraisonnable d'inverser la présomption de départ et de supposer a priori que quiconque se présente ne peut voter, à moins d'avis contraire, et je serais surpris que les juges aillent en ce sens dans leurs futures décisions. Il faut faire preuve de bon jugement. Pour préserver l'intégrité et la réputation des élections, adoptons des mesures raisonnables pour nous assurer que ceux et celles qui soumettent un bulletin de vote sont bien les personnes qu'ils prétendent être et qu'ils ont le droit de voter, puis que ceux et celles qui n'en ont pas le droit ne votent pas. C'est le but de toute bonne démocratie, et nous devrions tous chercher à nous doter d'un système exact et rigoureux à ce chapitre, mais inclusif également.

Je crois que les arguments de principe, qui sont un peu malsains au Canada ces temps-ci, laissent entendre qu'il faut choisir entre l'un et l'autre. Les deux sont pourtant essentiels.

La sénatrice Frum : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Duschinsky. C'est bon de vous voir, je vous remercie de vous joindre à nous aujourd'hui. Dans votre témoignage, vous qualifiez de malsain le débat qui a cours au Canada. Je conviens qu'il est malsain, parce que l'un des arguments présentés par les opposants à ce projet de loi, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de preuves de fraude et que par conséquent, on ne devrait pas essayer de rendre les règles plus robustes, faute de preuves de fraude. Vous affirmez qu'il ne suffit pas de dire que les gens ne contreviennent pas aux règles dans les faits; il faut veiller à nous doter de règles suffisamment robustes pour ne pas ouvrir la porte aux abus.

J'aimerais ajouter à ma question un paragraphe tiré du rapport de conformité Neufeld sur la dernière élection, où il dit que 12 millions de Canadiens ont voté le 2 mai 2011 et que la vérification montre que l'application des contrôles prévus par la loi pour confirmer l'admissibilité des votants a fait gravement défaut, en raison d'erreurs systémiques commises par les fonctionnaires électoraux, dans plus de 165 000 cas. Je suppose qu'il y a deux volets à ma question. Comment réagissiez-vous au fait qu'il y a eu 165 000 erreurs, mais même si l'on en fait abstraction, qu'en est-il de l'argument selon lequel il n'y aurait pas de fraude au Canada? Comment réagissez-vous à cela?

M. Pinto-Duschinsky : J'ai beaucoup d'estime pour le travail de Harry Neufeld en la matière. Il fait la distinction entre la fraude prouvée et l'erreur administrative. En Grande-Bretagne, il y a eu des cas de fraudes prouvées, mais il faut souligner qu'elles n'ont été prouvées qu'après des années de déni. Pendant longtemps, le gouvernement et les autorités électorales étaient en déni, puis quelques affaires spectaculaires ont éclaté au grand jour, particulièrement celle de Birmingham, en Angleterre. Ensuite, il s'est avéré qu'il y avait eu toutes sortes de preuves locales sur lesquelles on avait systématiquement fermé les yeux. S'il s'avère que la difficulté est principalement théorique au Canada, alors je crois que c'est un argument important, et je ne négligerais certainement pas ce qu'un éminent directeur des élections comme M. Neufeld a dit.

Par contre, nous avons constaté en Grande-Bretagne que s'il y a place à la fraude dans un système, tôt ou tard (et généralement plus tôt que tard) il va y en avoir. Si vous analysez un peu ce qui est arrivé en Grande-Bretagne, vous verrez sûrement que dès qu'on commence à se rendre compte d'incidents, la police et les juges se mettent à dire qu'il y avait place à la fraude dans le système pendant tout ce temps. Par exemple, le commissaire adjoint de la police métropolitaine, la fameuse Scotland Yard, a affirmé que son unité de poursuite spéciale était d'avis que l'usage répandu du vote postal avait ouvert la voie à une toute nouvelle faille à exploiter par les fraudeurs, et qu'ils avaient saisi l'occasion. Un juge haut placé a même affirmé que le système invitait à la fraude. Un autre a déclaré que le système ouvrait toutes grandes les portes à la fraude. Le président du Comité sur les normes de la vie publique a affirmé que la fraude électorale constituait une grave menace bien réelle à notre démocratie.

Je suis donc prêt à accepter le point de vue de M. Neufeld, mais je crois qu'il faut faire preuve de prudence en ce qui concerne la robustesse du processus électoral, à condition de prévoir aussi des mesures spéciales pour que les membres des groupes désavantagés puissent s'inscrire à la liste et n'en souffrent pas.

Bref, je serais favorable à des règles strictes, d'une part, mais également à des mesures spéciales pour que ces règles ne s'exercent pas à l'encontre de groupes désavantagés, d'autre part.

La sénatrice Frum : Monsieur le président, est-ce que je peux ajouter quelque chose? L'idée que les commissions électorales étaient en déni et n'enquêtaient pas pique ma curiosité. Jusqu'à maintenant, nous avons appris pendant nos audiences, par exemple, qu'il n'y a pas de suivi dans notre système d'attestation de l'identité par un répondant. Une fois qu'une personne a attesté de l'identité d'une autre, légitimement ou non (et dans le tiers des cas c'était illégitime), Élections Canada ne fait rien de spécial pour vérifier les bulletins de vote ou la conformité du processus.

C'est à mes yeux un acte de déni; l'institution n'affiche aucun intérêt à mener enquête ou à vérifier ce processus important. Je m'interroge sur ces commissions électorales. Encore une fois, je conviens avec vous qu'il ne faut pointer personne du doigt, c'est dans la nature même des commissions électorales d'être en déni, comme vous dites l'avoir observé dans votre propre pays.

M. Pinto-Duschinsky : J'estime important de ne pas porter d'accusations non fondées contre des administrateurs supérieurs des élections. Nous risquons de nous priver d'avoir une discussion vraiment sensible si nous nous engageons dans cette voie. Comme je l'ai dit, j'ai le plus grand respect depuis très longtemps pour vos directeurs des élections.

Je crois cependant qu'il y a des questions systématiques qui se posent. D'une part, l'administration d'une élection sous-entend beaucoup de travail très pointu et plutôt ennuyeux, pour être franc, qui doit être fait avec exactitude. C'est un peu comme un examen à l'hôpital, il y a beaucoup de choses à faire. La structure administrative efficace pour cela n'est souvent pas la même que la structure efficace pour mener enquête. Autrement dit, pour mener enquête, il faut des compétences judiciaires et une bonne part de doute. Le genre d'organisation qui est là pour flairer ce qui cloche n'est souvent pas celle qui serait la mieux placée pour administrer des dizaines de millions de bulletins de vote, parce que ce sont des fonctions assez différentes. Le problème, c'est qu'en période électorale, les directeurs des élections sont tellement occupés par leur travail qu'ils n'ont plus de temps et qu'ils n'emploient pas le genre de personnes dont ils auraient besoin pour enquêter. Il faut des équipes différentes pour ces tâches différentes. C'est dans la nature du travail lui-même, ce n'est pas parce que les gens et les organisations responsables n'ont pas de mérite.

La sénatrice Frum : Comme vous le savez, c'est prévu dans notre projet de loi. Je vais laisser mes collègues poursuivre cette discussion avec vous, parce que vous décrivez l'une des mesures importantes du projet de loi C-23. Je vais passer le relais à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Moore : Je vous remercie d'être ici, monsieur. Dans votre exposé, vous avez dit que la commission électorale avait recommandé, en janvier 2014, qu'à l'avenir, les électeurs soient tenus de présenter une preuve d'identité, comme c'est déjà le cas en Irlande du Nord.

En quoi consiste la preuve d'identité? Est-ce une forme de carte? Est-ce un document produit par la commission électorale avant l'élection, et quels renseignements figurent sur cette pièce d'identité, quelle qu'elle soit?

M. Pinto-Duschinsky : Je vais reprendre les propos du professeur Thomas dans le message qu'il vous a envoyé. La Commission électorale du Royaume-Uni a déclaré, en janvier dernier, qu'elle souhaitait inclure cette mesure, mais elle n'a pas encore confirmé quelle forme exactement elle pourrait prendre. Nous ne le savons donc pas encore. C'est la réponse simple. La réponse un peu plus complexe — et j'espère pouvoir vous aider —, c'est que le système en vigueur en Irlande du Nord est plus sévère. En Irlande du Nord, les électeurs n'ont pas besoin de preuve d'adresse, mais ils doivent présenter une pièce d'identité avec photo.

Si une personne n'en a pas, elle peut tout de même s'inscrire, à l'aide d'un document spécial produit par les autorités électorales avant l'élection. Ce document est un peu plus robuste que votre carte d'information de l'électeur, qui est envoyée automatiquement.

Je crois donc que ce que cela signifie pour le Canada, c'est que s'il y a des gens qui ne peuvent trouver de pièce d'identité avec photo ou de documents prouvant leur adresse et si la carte d'information de l'électeur est inexacte dans environ 8 p. 100 des cas, il devrait y avoir un endroit où l'on pourrait s'inscrire pour obtenir une attestation d'identité spéciale avant l'élection qu'on pourrait présenter le jour de l'élection pour voter. Autrement dit, il faudrait une version améliorée de la carte d'information de l'électeur, qui serait émise avant le jour du scrutin. La logique serait de s'organiser pour offrir ces services particulièrement dans les résidences pour personnes âgées, sur les campus universitaires ou ailleurs, afin de ne pas priver de leur droit de vote les personnes ne pouvant pas présenter de pièce d'identité prouvant leur adresse. J'espère que cela vous aide un peu.

Le sénateur Moore : Oui, un peu.

En Irlande du Nord, quelles sont les pièces d'identité avec photo acceptées? Le permis de conduire? Je ne sais pas s'il y a des cartes santé là-bas. Quelles sont les cartes acceptables là-bas et lesquelles pourraient être acceptées au Royaume-Uni aussi?

M. Pinto-Duschinsky : J'ai regardé sur le site web du bureau des élections de l'Irlande du Nord. L'information s'y trouve en détail, si je peux vous y renvoyer. Si vous voulez que je vous l'envoie ultérieurement, je vais le faire avec plaisir.

Le sénateur Moore : Oui, ce serait bien que vous l'envoyiez à la greffière du comité.

Au Royaume-Uni, les appels automatisés sont-ils permis? Le savez-vous? Est-ce une réalité dans votre système?

M. Pinto-Duschinsky : En fait, j'ai lu sur les appels automatisés dans ma préparation en vue de la rencontre d'aujourd'hui, seulement. Je ne connais pas le phénomène. Il est clair que s'il y a des appels organisés pour leurrer les électeurs, ils constituent véritablement une infraction — s'ils visent à dissuader des gens de voter. Bref, je vous réponds que je ne suis pas au courant, mais s'il y a eu ce genre d'appels chez vous, je suis certain que nous pouvons les voir d'un mauvais œil.

Le sénateur Moore : Ce phénomène n'existerait donc pas au Royaume-Uni.

M. Pinto-Duschinsky : Je ne l'ai pas observé, mais il existe des listes d'appel. Je n'ai toutefois pas observé leur utilisation dans un contexte électoral.

Le sénateur Moore : C'est une tactique utilisée ici, et les tribunaux l'ont jugée frauduleuse.

Dans le projet de loi à l'étude, le commissaire n'a pas le pouvoir de citer des témoins à comparaître; les archives ne sont conservées qu'un an et elles ne contiennent pas le numéro de téléphone signalé. Je ne vois pas comment le commissaire peut faire son travail. J'ai presque l'impression que le système est conçu pour qu'il ne puisse pas le faire. Avez-vous une opinion à ce sujet? Vous avez examiné le projet de loi.

M. Pinto-Duschinsky : Je suis un peu perturbé par ce qui se cache derrière votre question. Les membres de l'opposition laissent entendre que le gouvernement, dans ses diverses propositions, chercherait délibérément à permettre certaines pratiques et en interdire d'autres. Du coup, le bien-fondé de tout cela est suspect.

Le sénateur Moore : Oui.

M. Pinto-Duschinsky : D'après ma connaissance de l'être humain et des politiciens, il convient souvent de se méfier des politiciens, c'est donc possible. Les gens se battent pour gagner des votes de façon honnête et malhonnête. Je n'accuserai personne de le faire. Je crois cependant qu'il faut faire attention à la nature humaine, et cela s'applique à toutes les allégeances politiques. Cela s'applique aux administrateurs, à tout le monde. Nous sommes tous humains, nous sommes tous faillibles.

J'espère que vous pourrez axer la discussion sur la réalité, parce que c'est ainsi qu'on trouve des solutions techniques. Si chacun s'attaque à la bonne foi des autres, on ne pourra jamais trouver de réponse censée et robuste aux questions. J'éviterais de m'attaquer aux motifs de qui que ce soit, je chercherais plutôt des moyens efficaces d'encadrer ce qu'il faut encadrer. Il faut maintenant des lignes de communication entre les fonctionnaires et les partis, pour essayer de trouver des solutions techniques à la satisfaction de tous.

Le président : Merci. Nous allons donner la parole au sénateur Dagenais.

M. Pinto-Duschinsky : Vous semblez un peu insatisfait de cette réponse. Tant qu'il n'y aura pas de procédure pour aller plus loin, chacun restera campé sur ses positions et personne ne convaincra personne.

Le sénateur Baker : C'est un avocat typique, notre témoin.

Le sénateur Moore : Je vais m'inscrire au second tour. Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Premièrement, je vous rejoins dans ce que vous dites. Évidemment, les élections sont un phénomène récurrent. C'est quelque chose qui arrive parfois à intervalles de trois ou quatre ans. Ce n'est pas une chose qu'on apprend à la dernière minute. On doit donc, dès maintenant, prendre les dispositions pour que les citoyens puissent s'identifier — et vous avez mentionné l'idée d'une carte.

Il faut dire que les temps ont changé. Il faut ajuster nos façons de faire avec ce qui se produit. Il y a quelques années, on arrivait dans un édifice du Parlement, on était accueilli à l'entrée et on nous souhaitait la bienvenue. Aujourd'hui, vous arrivez dans un édifice du Parlement et vous devez vous identifier avec une carte, une adresse, votre nom et presque votre date de naissance.

À mon avis, la façon de procéder aux élections rejoint aussi les temps modernes et on doit ajuster la façon de voter. J'aimerais vous entendre sur ce point, bien que vous l'ayez mentionné

[Traduction]

M. Pinto-Duschinsky : Je ne suis pas certain de bien comprendre votre question. Sous-entendez-vous que dans le contexte moderne, il est raisonnable de s'attendre à ce que les personnes s'identifient de façon plus complète?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Oui, effectivement. Il n'y a pas si longtemps, lorsqu'on prenait l'avion, on entrait avec notre valise. Aujourd'hui, il y a des points de vérification, vous recevez votre carte d'embarquement et vous devez vous identifier. Maintenant, on doit s'identifier partout. Quelles en sont les causes? On pourrait en parler longtemps.

Le droit de vote est important. Quand vous entrez au Parlement, vous devez vous identifier. Il est tout à fait normal que ceux et celles qui travailleront à l'intérieur du Parlement et qui seront élus par les citoyens, lorsque ceux-ci exercent leur droit de vote, qui est un droit fondamental, devront s'identifier. Cela fait partie des mœurs. On doit s'identifier partout où on passe. C'est le but de ma question et j'aimerais entendre vos commentaires. Ne doit-on pas moderniser nos façons de faire?

[Traduction]

M. Pinto-Duschinsky : Il y a un dilemme assez fondamental ici. Dans les pays où il y a une carte d'identité nationale, l'administration des élections est plus facile. Au Danemark, par exemple, il faut signaler son adresse à la police locale dans le mois qui suit un déménagement; il y a donc là-bas une plus grande tradition de s'enregistrer auprès des autorités.

Dans des pays comme le Royaume-Uni, par exemple, on considère depuis longtemps que les cartes d'identité individuelles obligatoires limitent la liberté de la personne et sont propres aux États policiers plutôt qu'aux États libres. Il y a une résistance à l'introduction d'une carte d'identité nationale.

Quand il était dans l'opposition, le Parti conservateur a invoqué la liberté individuelle pour s'opposer à la proposition travailliste de créer une carte d'identité britannique. Ces motifs compliquent assurément les élections. Voici la question qui se pose : l'obligation d'envoyer une carte électorale à tous les lecteurs doit-elle être considérée comme un moyen détourné de favoriser la création d'une carte d'identité individuelle d'usage général? Je crois que c'est une question sous-jacente importante.

En Grande-Bretagne, ce n'est toujours pas réglé en raison du principe de la liberté individuelle, mais si l'on ne veut pas imposer de carte d'identité nationale, la tâche est beaucoup plus difficile pour les administrateurs des élections. J'ai bien peur que ce soit une réalité inéluctable.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Depuis plusieurs années, les Canadiens doivent posséder une carte d'assurance sociale avec un numéro d'assurance sociale pour bénéficier de services gouvernementaux. Cela ne restreint pas leurs libertés; au contraire, cela leur permet de bénéficier de certains avantages sociaux offerts par le gouvernement.

Pour ce qui est de la restriction des libertés, on peut en parler, mais je n'en suis pas certain.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de comparaître ici ce matin. Vous affirmez ne pas avoir examiné ce projet de loi, mais ce n'est pas tout à fait ce qui ressort de vos propos. Vous semblez le comprendre très bien.

Concernant la fraude électorale, vous avez mentionné qu'il y a eu quelque 13 cas au Royaume-Uni. Vous n'avez pas prononcé le mot « prison », mais les sanctions ont apparemment été très sévères; il y en a également eu d'autres, un peu moins graves, qui ont tout de même mené à des accusations, et vous devez désormais présenter une preuve d'identité. J'aimerais d'abord que vous nous expliquiez tout cela davantage, après quoi je vais vous poser mes autres questions.

Je crois vous citer correctement en affirmant que vous avez dit que la simple attestation de l'identité par un répondant mine la force du processus électoral.

Nous avons entendu hier soir le témoignage d'un avocat fort d'une longue expérience des poursuites en matière d'élections. Il a soutenu que les ingrédients suivants étaient nécessaires pour l'efficacité d'une élection : l'équité, l'intégrité et la transparence. Ce matin, vous en avez ajouté un autre, et j'aimerais que vous nous en parliez davantage : l'exactitude, l'exactitude du vote.

Le changement n'est jamais chose facile; ce ne serait donc pas simple de nous départir de notre système d'attestation de l'identité par un répondant, par exemple. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez des propositions avancées pour éduquer proactivement les membres des groupes minoritaires ou les personnes les moins susceptibles de voter? Pouvez-vous nous expliquer comment nous pourrions les sensibiliser?

Pour terminer, je tiens à vous dire ceci. Grâce à la BBC, nous voyons parfois votre Parlement en action, et les députés s'y livrent une lutte assez féroce. C'est la même chose ici, et c'est notre façon de parvenir à adopter des lois efficaces, adaptées et correctes. En bout de ligne, nous finissons par nous serrer la main et par en accepter le résultat.

Pouvez-vous vous exprimer sur ces éléments?

M. Pinto-Duschinsky : Si vous me le permettez, je vais commencer par la fin. J'ai moi-même fait l'objet d'une attaque à la Chambre des communes par l'ancien ministre de la Justice, qui a dit que ma soi-disant recherche aurait bien besoin de faire l'objet d'un examen par les pairs. J'ai ensuite parlé à l'un de ses conseillers politiques, qui m'a dit : « Oh! Ne vous en formalisez pas. C'est une simple frappe parlementaire. En fait, il accorde beaucoup de valeur à votre position. » Il m'a ensuite demandé d'offrir un séminaire interpartis sur le projet de loi qu'il déposait. Je suis donc content, d'une certaine façon, d'entendre que je ne dois pas trop me formaliser des propos un peu durs qui ont été tenus sur le parquet dernièrement.

En Grande-Bretagne, après les attitudes intransigeantes en public, les porte-parole et experts des différents partis ainsi que les administrateurs électoraux se sont rencontrés à huis clos, pour discuter, entre eux, de certains des détails techniques. Je ne peux m'empêcher de penser que, devant un projet de loi aussi complexe que celui que vous étudiez, une discussion technique permettra de combler assez facilement beaucoup de fossés en apparence infranchissables sur le plan des principes. C'est un élément de réponse à votre question.

Si, par exemple, les groupes mentionnés par MM. Neufeld et Mayrand étaient défavorisés, en particulier les personnes âgées, les étudiants et les Autochtones, à ce que je sache, je pense qu'Élections Canada fait déjà un effort, avant les élections, pour s'assurer l'actualisation, par exemple, des listes électorales dans les foyers pour personnes âgées. Mais, après ces visites, on ne donne pas de carte spéciale d'électeur aux personnes qui n'ont pas de preuve d'adresse, qu'elles peuvent produire au bureau de scrutin. Elles ne reçoivent que la carte d'information de l'électeur, qui présente certains inconvénients.

Vous pourriez très facilement inventer une carte spéciale d'électeur comme l'ont fait les fonctionnaires électoraux dans les foyers pour personnes âgées, chez les Premières Nations et sur les campus universitaires. La collaboration des fonctionnaires et des différents partis permettra de trouver rapidement une solution de rechange pratique au système du répondant. J'en suis convaincu.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup de comparaître de si loin devant le comité. Nous vous sommes reconnaissants de trouver du temps dans votre horaire chargé pour le faire et de nous aider à comprendre mieux votre point de vue.

J'étais désireuse d'entendre votre déclaration préliminaire. J'ai pensé que la quintessence de votre exposé se trouvait dans le passage suivant :

Je ne suis pas assez au courant des conditions dans lesquelles vivent beaucoup de membres des Premières Nations pour proposer une façon de mieux les doter d'une preuve d'identité et d'adresse, qu'ils pourront ensuite présenter au bureau de scrutin. La fin du système du répondant doit être conditionnelle à la mise en place d'un système adéquat qui le remplacera et qui leur permettra, à eux et aux membres d'autres groupes défavorisés, de posséder une preuve actualisée de leur identité.

Je ne sais pas trop si vous étiez au courant de l'existence de 39 pièces d'identité, dont un certain nombre sont propres à certains groupes traditionnellement défavorisés. Certaines sont une attestation de résidence délivrée par les autorités responsables d'une bande ou d'une réserve. Plutôt que d'utiliser le système du répondant, lequel ne peut répondre que d'une seule personne, dans cette situation, le fonctionnaire compétent d'une réserve pourrait inscrire sur une liste tous les habitants de la réserve, et cette liste constituerait la preuve de leur résidence.

Des types semblables de listes peuvent constituer une attestation de résidence, par exemple une attestation de séjour, un formulaire d'admission ou un relevé de prestations, qui peuvent être délivrés par le responsable d'un abri, d'une soupe populaire, d'une résidence d'étudiants, d'un foyer-logement pour personnes âgées ou d'un établissement de soins prolongés.

D'après moi, c'est ce à quoi vous faites allusion quand vous parlez d'un mécanisme convenable pour donner à ces personnes et aux membres de ces groupes défavorisés une preuve actualisée de leur identité. Qu'en pensez-vous?

Il m'a paru également important, en entendant votre réponse à mon collègue le sénateur Baker, de concilier de manière satisfaisante le principe d'inclusion et les mécanismes acceptables de sauvegarde du système électoral par la vérification de l'identité des électeurs — c'est ça la vraie démocratie. Qu'en pensez-vous?

M. Pinto-Duschinsky : Merci beaucoup. En ce qui concerne les Premières Nations, je n'ai pu m'informer que sur ce qui avait été dit et j'ai mené une ou deux enquêtes auprès de ceux qui sont aussi au courant.

Si j'ai bien compris, l'objection de M. Neufeld, quand un de vos collègues a produit certaines des 39 pièces d'identité, était vraiment qu'elles n'étaient pas valides, parce qu'elles ne portaient pas d'adresse. L'un des problèmes soulevés par les opposants est que certaines pièces d'identité sont inutiles, faute de mentionner une adresse. Alors, je ne sais pas.

D'après vous, l'objection ne tient pas. Je ne saurais dire. Si des méthodes valides existent déjà, très bien, mais je pense que tous doivent être satisfaits. On a exprimé suffisamment d'inquiétudes sur la validité de ces 39 pièces d'identité pour que je voie la nécessité d'approfondir la question. C'est ma première réaction.

Ensuite, d'après ce que j'ai compris, par exemple, de la carte de statut d'Indien — et j'ai parlé, à ce sujet, à un fonctionnaire —, le titulaire d'une telle carte pourrait vivre dans le centre-ville de Montréal, et son adresse réelle différerait de celle de la carte. D'autre part, la liste des habitants d'une réserve qu'établissent les fonctionnaires de la réserve serait un document collectif, dont aucun individu ne posséderait copie. Si cet individu devait se présenter à un bureau de scrutin et affirmer qu'il possède le statut de membre d'une Première Nation et qu'il vit sur telle réserve et non à Montréal, il aurait besoin d'une carte personnelle de l'administrateur, laquelle, d'après ce qu'on me dit, n'est pas délivrée actuellement. Donc, d'après moi, il faut vérifier que le système fonctionne vraiment.

Je pense que vous y parviendrez, mais vous devez obligatoirement le faire pour que tout le monde soit satisfait.

La sénatrice Batters : D'accord. En ce qui concerne l'attestation à laquelle vous venez de faire allusion, je pense que, d'ordinaire, les fonctionnaires électoraux présents dans les bureaux de scrutin prévus pour les réserves des Premières Nations les ont à leur disposition, plutôt que de demander à chaque électeur de l'apporter avec lui, parce que ces listes peuvent comporter une centaine de noms. C'est ainsi que le système fonctionne. Je sais. Je vis en Saskatchewan. Nous avons un système semblable, qui a servi pour les élections de 2011 dans la province. Je pense qu'on a utilisé des modes d'identification presque identiques à ceux du système fédéral, et on s'y est pris de façon semblable. Ç'a sûrement été très utilisé par les gens des Premières Nations pour prouver leur lieu de résidence, parce que, effectivement, certaines de ces 39 pièces d'identité ne servent qu'à cela, mais un certain nombre d'entre elles sont aussi des attestations de résidence.

Plus tôt, le sénateur Baker parlait du droit de vote, qui est sûrement fondamental dans notre système canadien. Mais je dirais qu'il est assorti de l'obligation très raisonnable de prouver son identité, comme vous l'avez dit aujourd'hui. Au Canada, cette obligation s'étend au lieu de résidence et elle est très importante dans notre système.

Il reste 18 mois avant les prochaines élections. Elles se tiennent à dates fixes, et les prochaines auront lieu en octobre 2015. Je pense que nous avons amplement le temps. Si on ne possède aucune des 39 pièces d'identité, il reste 18 mois pour s'en procurer une, ce qui est amplement suffisant pour s'organiser, même pour obtenir, dans le cas d'un étudiant, les papiers délivrés par son établissement.

Reconnaîtriez-vous que cette obligation raisonnable offre, comme vous l'avez dit, une réponse sensée, robuste à ce problème?

M. Pinto-Duschinsky : Eh bien, je pense avoir répondu au sénateur Baker qu'il fallait un système qui donnait confiance dans les élections, ce que je considérais comme un plus pour leur validité. Finalement, comme les élections sont tellement au cœur de notre mode de vie et qu'elles ont justifié des guerres mondiales, nous sommes tenus de bien les organiser. On ne leur enlève alors rien; on leur fait honneur.

Je pense que votre réponse montre vraiment la nécessité d'une discussion sur non pas des principes, mais de certains détails pratiques. Nous devons savoir si, effectivement, 120 000 personnes sont vraiment privées du droit de vote et, si c'est le cas, savoir comment résoudre le problème. Je pense que plus on utilisera un langage simple et du bon sens, mieux nous pourrons éviter le problème et satisfaire tout le monde. Voilà la réponse, plutôt que de recourir à une rhétorique ampoulée et aux attaques partisanes. Il faut le faire, et c'est possible.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

Le sénateur McIntyre : Merci pour votre exposé.

D'après votre notice biographique, je vois que vous êtes président du comité de recherche sur le financement politique et la corruption de l'Association internationale de science politique. Je pense que vous pourrez facilement répondre à mes questions, sur les donations, plus particulièrement les donations testamentaires.

Dans un souci d'équité, le Canada limite rigoureusement le financement politique. Par exemple, en 2006, le gouvernement a abaissé la limite des contributions personnelles et a interdit les contributions des sociétés et des syndicats. Une chose est sûre, la limite imposée aux contributions testamentaires supprimera une exception qui permettait aux nantis de faire des dons importants aux partis politiques.

Le projet de loi C-14 prévoit que toute contribution testamentaire sera assujettie à la limite des contributions et ne sera autorisée qu'une seule fois. Qu'en pensez-vous? Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce genre de dons dans votre pays?

M. Pinto-Duschinsky : Pour d'abord faire de la publicité pour l'Association internationale de science politique, puisque vous en avez parlé, elle tient son prochain congrès mondial à Montréal, où se trouve son siège. Le Canada est donc, pour nous, le centre du monde.

La question du contrôle des dons politiques est très difficile et très controversée, pour un certain nombre de raisons. Il y a sûrement, d'abord, le principe d'égalité, que vous invoquez, puis celui de la liberté d'expression, qu'on brime souvent en interdisant certaines publications ou certaines dépenses. Par exemple, en Grande-Bretagne, une loi qui limitait les dépenses des groupes de pression avant des élections a causé un tollé au nom de la liberté d'expression.

Le problème de limites imposées au nom de l'équité est souvent qu'elles sont difficiles à appliquer. Par exemple, en Grande-Bretagne, on s'aperçoit que pour exercer une influence politique, on n'a pas besoin de donner de l'argent à un parti. Il suffit d'acquérir et de diriger un journal.

Irez-vous dire que personne ne doit consacrer plus de 1 500 $ à un journal, parce que, dans ce cas-là, les riches peuvent avoir plus d'argent pour influer sur le processus politique que les pauvres? Autrement dit, si la limite ne s'applique qu'aux partis politiques, mais non aux journaux ni aux groupes de pression et à d'autres organismes, vous ne contrôlez pas complètement le rôle politique de l'argent.

Je pense que les spécialistes ont constaté que les limites imposées aux dépenses ou aux dons conduisent en fait à l'évasion. Elles ne sont donc pas une forme idéale de réglementation, malgré leur existence dans de nombreux pays, dans le mien aussi, la Grande-Bretagne, mais pas dans la même mesure qu'au Canada. Je suis donc d'accord avec le point de vue selon lequel ces limites devraient exister, mais elles ne sont pas une panacée.

Voulez-vous connaître mon opinion sur les donations testamentaires?

Le sénateur McIntyre : Oui, faites, je vous en prie.

M. Pinto-Duschinsky : En Grande-Bretagne, c'est aussi une échappatoire, et nos lois fiscales, nos impôts de succession sont très rigoureux, mais beaucoup moins pour les contribuables qui donnent de l'argent à un parti politique. C'est en quelque sorte une exception dans le droit britannique et, aussi, un problème.

Mes sentiments au sujet des limites des dépenses sont très mitigés, surtout en raison de leurs échappatoires. J'estime que si on veut régir les partis politiques, mais pas, en même temps, les groupes de pression et les journaux, on se met dans le pétrin. En régissant les groupes de pression — je pense que vous le faites au Canada, et cela a entraîné des procès —, on pose la question de la liberté d'expression. Il existe donc un conflit sous-jacent réel entre la volonté de rendre la situation équitable pour tous et la liberté d'expression.

Chose intéressante, c'était l'un des compromis dont il était question à la discussion à laquelle M. Mayrand et moi avons participé, à Londres, l'année dernière, sur le réseau électoral du Commonwealth. Si ma réponse est vague, c'est parce que la question est différente.

Le président : J'ajouterais volontiers un commentaire.

Je représente l'Ontario au Sénat. Dans cette province, on a sûrement été préoccupé par la publicité faite par des groupes tiers, quand, aux dernières élections, l'un d'eux, Working Families, a dépensé plus que tous les partis politiques ontariens réunis, qui doivent respecter les limites de dépenses fixées par la loi.

Je pense que cela soulève des craintes légitimes. Je ne vois pas comment on pourrait se placer en position d'essayer de limiter ce que disent ou font les journaux ou d'autres médias pendant les campagnes électorales. C'était mon commentaire.

Le sénateur Baker : Je tiens à vous interroger, sur votre déclaration, dans laquelle vous avez fait allusion au « système typiquement canadien de l'attestation de l'identité par un répondant », et je vous cite fidèlement.

« Typiquement canadien ». Je suppose que c'est là où le bât blesse dans l'analyse des lois. Je ne connais aucun autre endroit que le Canada, où le droit de vote... Quand une loi adoptée par le Parlement fait l'objet d'un jugement... Dans l'affaire Sauvé c. Canada, la Cour suprême a jugé qu'elle n'avait pas à faire preuve de retenue à l'endroit du législateur. Elle a dit que l'affaire dont elle était saisie méritait un examen approfondi, mais qu'elle n'exigeait pas de retenue.

Je ne connais aucun autre pays que vous avez étudié où les tribunaux ne font pas preuve d'une certaine retenue à l'endroit du législateur.

Ma principale question, cependant, est comme suit : vous avez qualifié de « typiquement canadien » le système d'attestation de l'identité par un répondant. C'est typiquement canadien, je suppose, parce que nous possédons une loi, la Loi électorale du Canada, qui définit... Ma collègue faisait simplement allusion à mes remarques sur le lieu de résidence. Eh bien, d'après l'article 8 de la loi, votre adresse actuelle ou votre lieu actuel de résidence est défini de telle et telle manière, puis il y est précisé si c'est un abri, et ainsi de suite. L'un des paragraphes concerne l'endroit où on dort.

Une personne âgée qui visite un de ses enfants, pendant des élections et dont le droit de vote est garanti par l'article 3 de notre Charte ne possède pas les papiers nécessaires prouvant qu'elle vit chez son fils ou sa fille. Elle obtient donc son attestation. Voilà pourquoi, en 2007, nous avons inséré la disposition sur l'attestation de l'identité par un répondant, au cas où.

Notre loi a été rédigée de cette manière en incluant ces définitions-là et je suis étonné de vous entendre dire que c'est « typiquement canadien ». Je suis persuadé que nous ne sommes pas le seul pays où l'on peut avoir recours à un répondant qui déclare sous serment nous connaître et savoir où nous résidons à l'intérieur de la même section de vote. Il n'y a aucun doute dans mon esprit que des mesures de précaution semblables existent dans d'autres pays du monde démocratique.

M. Pinto Duschinsky : Sénateur, je craignais qu'on me pose la question et j'ai donc essayé de trouver la réponse avant de me présenter ici. J'ai cherché dans l'encyclopédie sur l'administration et le coût des élections, et notamment dans une section sur la logistique du scrutin rédigée par Alan Wall, un Australien qui est un expert mondial en la matière.

Je n'ai pas trouvé de réponse, mais je dois préciser qu'il indique que le mode d'identification utilisé doit être de grande qualité. Nous pouvons envoyer un message à Alan Wall en Australie pour voir s'il sait ce qui peut se faire ailleurs en la matière, ou poser la question au réseau d'experts sur l'administration et le coût des élections, et vous transmettre leur réponse.

Il est possible que j'aie créé une fausse impression en utilisant l'expression « typiquement canadien ». Certains ont pu y voir une connotation péjorative ou restrictive. Je ne voudrais surtout pas laisser entendre de quelque manière que ce soit qu'une pratique n'est pas fondée parce qu'elle est propre au Canada. Je vous prie de m'excuser si mon choix de mots peu judicieux a pu vous donner cette impression.

Pour ce qui est du lieu de résidence, il peut y avoir un problème véritable. Dans un système où les gens sont élus pour représenter une circonscription, il faut non seulement vérifier si une personne a le droit de vote, mais également si elle peut voter dans un endroit bien précis afin d'élire un député pour la circonscription en question. Dans ce contexte, la notion d'adresse résidentielle revêt une grande importance et doit donc être bien définie.

En Grande-Bretagne, c'est le lieu de résidence habituel au soir du 10 octobre qui est devenu la norme juridique. D'une manière ou d'une autre, il faut qu'une définition soit établie aux fins de l'application de la loi. Si vous êtes en visite chez un parent, un ami ou qui que ce soit au moment du scrutin, vous ne devenez pas automatiquement résident de l'endroit visité. C'est votre lieu de résidence habituel qui est considéré.

Je suis certain que vos fonctionnaires électoraux pourraient nous dire quelles dispositions des lois canadiennes définissent la notion de « lieu de résidence ». Je suis convaincu que nous avons des exemples de cas semblables en Grande-Bretagne également.

Le sénateur Baker : Je vous remercie. C'est défini dans les paragraphes de l'article 8 de notre loi.

Ce fut vraiment un plaisir et un honneur pour notre comité de vous recevoir comme témoin. Je tiens à vous en remercier.

M. Pinto Duschinsky : Merci beaucoup.

La sénatrice Frum : J'ai deux questions assez longues que je vais vous poser d'entrée de jeu. Je pourrai vous rappeler la seconde au besoin, mais je veux m'assurer que nous aurons le temps d'aborder ces deux aspects.

Parlons d'abord encore une fois de la publicité faite par des tiers. Le projet de loi C-23 comporte une nouvelle disposition qui exige des tiers qu'ils s'enregistrent auprès d'Élections Canada pour attester qu'ils ont un lien avec le Canada. J'aimerais discuter des risques qu'un tiers étranger essaie d'influer sur les élections canadiennes. Est-ce que cette formule d'enregistrement est le moyen le plus efficace pour éviter que des tierces parties essaient de s'ingérer indûment dans le processus électoral canadien? C'était donc ma première question.

Par ailleurs, vous avez indiqué que la Commission électorale du Royaume-Uni avait demandé qu'on la dégage de sa responsabilité d'encourager la participation au scrutin. Le projet de loi C-23 comporte également des mesures en ce sens. La promotion de la démocratie est une fonction très importante — personne ne prétend le contraire — mais elle sera retirée à Élections Canada.

Pourriez-vous nous dire à quelle instance cette fonction devrait être confiée à votre avis?

M. Pinto Duschinsky : Puis-je répondre à votre seconde question d'abord?

La sénatrice Frum : C'est comme vous voulez.

M. Pinto Duschinsky : L'éducation civique qui est dispensée notamment dans les écoles est bien évidemment souhaitable. Nous voulons que les citoyens soient informés que des élections ont lieu et qu'ils devraient aller voter. Le problème vient du fait qu'il y a généralement un clivage qui se fait entre cette fonction d'éducation civique et les menus détails liés à l'organisation d'une élection. Comme nous avons pu le constater en Grande-Bretagne, une commission électorale peut être davantage encline à s'occuper de cet aspect plus général du processus démocratique, plutôt que de s'attaquer à la tâche plus difficile et plus ingrate de vérifier si M. Untel et Mme Unetelle résidant à telle adresse sur telle rue sont bel et bien inscrits. On a tendance à se concentrer sur les activités moins techniques visant la promotion de la démocratie, de préférence aux tâches fondamentales liées à l'administration des élections. L'objectif est donc de supprimer cette tentation de faire autre chose.

Maintenant, à qui cette fonction devrait-elle être confiée? Tout dépend de l'activité. S'il est question d'éducation à proprement parler, il faut bien sûr s'assurer que ce sont les autorités scolaires qui en prennent la responsabilité. Pour les activités visant le grand public, il pourrait y avoir un organe central qui serait responsable des campagnes d'information comme c'est le cas en Grande-Bretagne.

Je pense qu'il y a différentes réponses possibles. Il faut bien sûr s'assurer que les efforts de promotion de la démocratie et d'encouragement à voter sont neutres du point de vue politique. Autrement dit, il faut éviter qu'un parti puisse se dire qu'il serait bon de tenir une campagne spéciale auprès d'un groupe particulier qui vote généralement pour lui. Il faut que les gens puissent voir que tous les groupes sont visés.

Dans ce contexte, une instance chargée des campagnes d'information publique apparaît comme une solution logique. Il faut cependant qu'il soit bien clair que le but visé n'est pas de punir Élections Canada. On veut mieux définir les fonctions de chacun de telle sorte que ces fonctions soient exécutées de façon plus rigoureuse.

La sénatrice Frum : J'aurais une brève question à ce sujet. Vous avez parlé du ciblage de groupes particuliers. D'une manière générale et sans penser à une instance en particulier, si une organisation s'efforce de façon équitable, neutre et non partisane de promouvoir la démocratie et d'inciter les gens à voter, êtes-vous en train de nous dire que ses efforts deviennent moins légitimes à partir du moment où elle vise des groupes en particulier ou, autrement dit, lorsque la campagne ne s'adresse plus à tous?

M. Pinto Duschinsky : C'est une question très difficile et je dois avouer que je ne suis pas encore vraiment fixé à ce sujet. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.

Il y a un certain nombre d'années, et on remonte presque à l'époque du sénateur Baker, j'ai effectué une étude pendant le mandat de Mme Thatcher comme première ministre. Nous avons alors découvert, et c'est toujours le cas aujourd'hui, que les membres de certains groupes ont tendance à ne pas s'inscrire pour voter. C'est le cas notamment des jeunes et des personnes sans domicile fixe. Il apparaît donc logique de cibler les efforts vers ces gens-là afin qu'ils s'inscrivent en plus forte proportion, un objectif tout à fait légitime.

Comme on constate en Grande-Bretagne que certains de ces groupes votent dans une très forte proportion en faveur du Parti travailliste au détriment du Parti conservateur, les travaillistes ont tout intérêt à vouloir les inciter à s'inscrire, ce que ne souhaitent pas au contraire les conservateurs.

Je ne sais plus trop quoi penser, car j'estime d'une part que les efforts publics doivent être ciblés vers les groupes où les besoins sont les plus criants. Autrement dit, on ne devrait pas tenir compte du fait que les immigrants sont davantage enclins à voter pour les travaillistes. Si leur taux d'inscription est inférieur à celui du reste de la population, nous devrions voir à ce qu'ils s'inscrivent davantage.

D'autre part, il peut être tentant pour le parti au pouvoir de cibler uniquement ces groupes susceptibles de voter pour lui. En ce sens, on pourrait donc prétendre à l'inverse qu'il convient d'adopter une démarche plus générale en évitant de cibler quelque groupe que ce soit, de crainte que le processus ne soit soumis aux motivations politiques des différents partis.

Je suis donc hésitant. J'aimerais bien pouvoir discuter de ces principes de façon plus approfondie.

La sénatrice Frum : Merci. Et mon autre question?

M. Pinto-Duschinsky : Désolé de ne pas pouvoir vous répondre plus simplement, mais c'est une question très complexe.

La sénatrice Frum : En effet.

M. Pinto-Duschinsky : Encore là, c'est un enjeu qui exige selon moi une discussion sincère entre les différentes parties en cause.

Quant à votre autre question concernant les tiers, je crois qu'il faut qu'ils s'enregistrent le plus tôt possible auprès de la commission électorale, sans quoi une bonne partie de leurs dépenses ne sont pas comptabilisées. En Grande- Bretagne, les exigences concernant l'enregistrement des tiers pour le suivi de leurs dépenses ne sont pas assez rigoureuses et comportent bon nombre d'échappatoires quant aux plafonds à respecter.

Par ailleurs, il peut être bien difficile dans les faits de distinguer une entreprise étrangère d'une société du pays. Cette distinction est plutôt floue dans le secteur des médias comme dans bien d'autres. Qu'en est-il d'une multinationale qui a une succursale dans un pays? Il y a donc eu bien des précédents et des débats à ce sujet, mais cela demeure une question délicate. Je dirais toutefois qu'un enregistrement hâtif est préférable.

La sénatrice Frum : Selon notre libellé, le tiers doit avoir un « lien » avec le Canada. Êtes-vous en train de nous dire que cette définition est sans effet?

M. Pinto-Duschinsky : Il me semble que si j'étais avocat, j'aimerais bien ce libellé parce qu'il se prête à de multiples contestations judiciaires quant au sens que l'on peut donner à ce terme. Il faudrait que vous jetiez un coup d'œil sur les lois adoptées par d'autres pays pour voir comment on y définit ce concept de lien pour le financement par des tiers étrangers. Je crois qu'il vaudrait la peine que vous examiniez les lois britanniques et celles de quelques autres pays à ce sujet.

La sénatrice Frum : Merci beaucoup.

Le sénateur Moore : Je suis de retour. Dans son préambule, la sénatrice Frum a parlé du rapport Neufeld — et vous avez dit en avoir pris connaissance — où il est question de 165 000 cas pour ce qui est de l'attestation de l'identité au moyen d'un répondant. Je veux que notre compte rendu indique clairement que M. Neufeld précise dans son rapport que ces situations étaient attribuables à des « erreurs systémiques commises par des fonctionnaires électoraux ». Il n'a pas dit que c'était le recours à un répondant ou quoi que ce soit d'autre qui en était responsable. Je veux donc que les choses soient bien claires. Je ne veux pas que vous pensiez qu'il s'agit d'erreurs dues au recours à un répondant. Ce sont des erreurs commises par les fonctionnaires, et non par les électeurs eux-mêmes.

J'estime important que vous preniez ce point en considération, car on cherche avec ce projet de loi à se débarrasser du système des répondants, alors même que je ne sais pas si notre Constitution nous permet de le faire. Parallèlement à cela, nous n'intervenons pas de façon aussi rigoureuse à l'égard des appels automatisés et des fraudes qui en ont découlé, comme cela a été établi.

Vous avez dit ne pas bien connaître le système des appels automatisés. Peut-être pourriez-vous vous renseigner sur ce qui s'est passé au Canada en la matière et analyser dans ce contexte les dispositions de ce projet de loi qui n'accorde pas le pouvoir d'exiger des preuves. Les dossiers ne sont conservés que pendant une année et on ne garde aucune trace des gens qui ont été appelés, même pas leur numéro de téléphone.

Je ne sais pas si je peux vous demander de vous pencher sur ce projet de loi dans le contexte de cette problématique et de transmettre par écrit à notre greffière vos conclusions sur cette question qui est extrêmement importante. À mon sens, cette utilisation des appels automatisés pour empêcher les gens de voter ou les diriger au mauvais endroit est tout à fait répugnante dans un régime démocratique comme le nôtre. Comme vous l'avez mentionné précédemment, nous avons livré des guerres pour protéger ce régime. Un peu partout sur la planète, des Canadiens qui ont combattu pour cette cause reposent dans des cimetières. Voilà maintenant que nous adoptons des mesures qui contribuent à ancrer cette pratique, plutôt qu'à s'en débarrasser. C'est une situation qui me révolte et c'est tout notre système qui est entaché. J'aimerais beaucoup savoir ce que vous en pensez. Je vous remercie.

M. Pinto-Duschinsky : Que puis-je vous dire? Je vais essayer de voir ce que je peux faire. Je ne sais pas trop quel est mon statut pour la suite du processus législatif canadien. Quoi qu'il en soit, je peux vous assurer que je ferai de mon mieux à titre d'universitaire étranger.

Il y a toutefois une chose que je peux vous dire d'emblée concernant tous ces enjeux. Plus on sera convaincu des deux côtés du spectre politique que ces façons de faire sont valables et équitables, mieux le système se portera.

Le sénateur Moore : Je suis d'accord.

M. Pinto Duschinsky : Pour un régime politique, il est de toute évidence fort avantageux que tous les intervenants puissent discuter des aspects techniques en calmant les esprits de manière à pouvoir trouver une solution efficace et équitable qui satisfera tout le monde. Ainsi, le système deviendra plus efficace et inspirera davantage confiance.

Si le système se révèle biaisé dans un sens ou dans l'autre, il va de soi que cela fera des mécontents et que le parti au pouvoir verra son projet législatif annulé par le gouvernement qui lui succédera, une situation qui est néfaste pour tout le monde.

Je ne peux toutefois pas entrer davantage dans les détails sans avoir pris connaissance de tout cela. Je serai heureux de le faire.

Le sénateur Moore : Je suis d'accord avec vous. Je ne vois pas comment un pareil débat pourrait se tenir en l'absence d'une certaine collégialité et sans la volonté de modifier certaines dispositions en vue d'améliorer notre système. Selon moi, cela devrait être l'objectif ultime. Tout le monde est bien prêt à discuter, mais il faudrait qu'on nous assure que les propositions visant l'amélioration du système seront bien accueillies.

La sénatrice Batters : J'ai une question complémentaire traitant justement des appels automatisés. Comme vous allez vous pencher sur la question, je vous suggérerais également de prendre connaissance des délibérations du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes. J'ai ici le compte rendu de la séance du 25 mars 2014. Jean-Pierre Kingsley, directeur général des Élections du Canada pendant de nombreuses années, témoignait alors devant ce comité.

Tom Lukiwski, un député qui représente comme moi la Saskatchewan, lui a posé la question qui suit :

Pour terminer, je vais aborder un élément différent du projet de loi. Je parlerai très brièvement des changements qui sont proposés pour essayer de prévenir les problèmes dont nous avons été témoins avec les appels automatisés et l'affaire Pierre Poutine aux dernières élections.

Pourriez-vous expliquer brièvement pourquoi les changements proposés dans le projet de loi contribueraient à prévenir que ce genre de situations se reproduisent dans l'avenir?

M. Jean-Pierre Kingsley lui a répondu :

Le projet de loi obligera les gens qui offrent des services d'appels robotisés ou automatisés à s'enregistrer auprès du CRTC et à soumettre leur nom. Les gens qui retiennent leurs services doivent également être connus et les messages doivent être gardés, en vertu du projet de loi actuel, pour un an.

Il a ajouté quelques autres précisions, après quoi M. Lukiwski lui a demandé :

À votre avis, les changements que nous proposons contribueront-ils en bout de ligne à éviter qu'une situation comme l'affaire Pierre Poutine dont nous avons été témoins aux dernières élections ne se reproduise?

Et M. Kingsley lui a répondu :

Oui.

Étant donné la vaste expérience de M. Kingsley au sein du système électoral canadien, je pense qu'il serait bon que vous preniez connaissance de ces délibérations dans le cadre de votre examen. Je vous remercie.

Le président : Voilà qui termine les questions des membres du comité.

Monsieur Duschinsky, nous tenons à vous remercier pour tout ce temps que vous nous avez consacré et pour votre contribution très utile aux délibérations du comité. Je vous remercie au nom de tous les membres ici présents. Nous vous sommes très reconnaissants.

M. Pinto Duschinsky : Merci. Ce fut un privilège pour moi et je vous souhaite bonne chance dans vos délibérations.

Le président : Nous allons maintenant prendre une pause d'une heure et demie. Nous poursuivrons nos travaux à compter de 14 heures.

(La séance est levée.)


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