Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 7 - Témoignages du 9 avril 2014
OTTAWA, le mercredi 9 avril 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 14 h 4, pour étudier la teneur du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, aux invités et aux membres du grand public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Cet après-midi nous poursuivons l'étude préliminaire du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence. Le comité a pour tâche de mener des audiences publiques sur la teneur du projet de loi, afin de faire rapport de certaines de ses conclusions avant que ce dernier ne soit présenté au Sénat.
J'aimerais vous présenter notre premier témoin cet après-midi, M. Taylor Gunn, le président de CIVIX.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Gunn. Vous avez la parole.
Taylor Gunn, président, CIVIX : Merci beaucoup. Comme vous le savez probablement, en raison de vos fonctions et parce que cela fait partie de votre travail, j'ai témoigné devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, le PROC. Je suis porteur aujourd'hui du même message. Je crois que les répercussions sur notre programme phare Vote étudiant — l'une des activités pour lesquelles Élections Canada nous offrait du soutien — sont involontaires. Je ne crois pas que celles-ci soient intentionnelles. À mon avis, il s'agit d'une conséquence imprévue du projet de loi dans sa forme actuelle.
Lorsque nous avons appris que le Sénat mènerait une étude conjointe du projet de loi, nous avons pensé que le moment était venu de signaler aux enseignants certains des risques qui nous guettent. J'ai pensé lire la lettre que nous leur avons envoyée en guise de déclaration initiale. J'aimerais ensuite lire quelques passages représentatifs des réponses que nous avons reçues des enseignants.
À mon sens, pour notre organisation, le témoignage d'aujourd'hui n'est qu'une autre étape de ce processus. Nous ne sommes pas ici pour nous opposer au projet de loi; ce n'est pas notre rôle. Nous menons des programmes d'apprentissage expérientiel en matière d'éducation civique au Canada. Nous croyons que nous le faisons bien. Nous voulons continuer de le faire tout en continuant d'améliorer notre prestation. J'espère que nous pourrons collaborer aujourd'hui pour trouver des solutions et poursuivre le processus.
Voici ce que j'ai écrit le 2 avril, un jour ou deux après que nous ayons appris que vous entamiez l'étude sur la Loi sur l'intégrité des élections :
Bonjour,
Nous voulons vous remercier de nouveau de votre participation au programme Vote étudiant lors des élections fédérales et provinciales. Ce fut un privilège de collaborer avec vous, et nous espérons pouvoir le faire de nouveau lors d'autres élections.
Récemment, il a été question du programme Vote étudiant dans les médias en raison de la Loi sur l'intégrité des élections, un nouveau projet de loi (C-23) proposé par le gouvernement fédéral.
Je vous écris afin de vous expliquer les implications de la « Loi sur l'intégrité des élections » sur le programme Vote étudiant.
La Loi sur l'intégrité des élections — sous sa forme actuelle — priverait Élections Canada du pouvoir d'offrir un soutien au programme Vote étudiant pendant les élections fédérales.
Plus précisément, Élections Canada ne pourrait plus nous fournir du matériel officiel, tel que les urnes, les isoloirs et les cartes de circonscriptions que nous pouvions, jusqu'ici, vous offrir gratuitement dans le cadre du programme Vote étudiant. De plus, Élections Canada ne pourra plus soutenir financièrement le programme Vote étudiant, notamment pour le développement d'activités et la distribution de matériel dans les écoles partout au Canada.
Vos efforts et le soutien d'Élections Canada ont permis d'insuffler à plus de 563 000 élèves de l'élémentaire et du secondaire le désir de voter lors du Vote étudiant des élections fédérales de 2011. Les élèves ont élu un gouvernement conservateur minoritaire et le NPD comme opposition officielle.
Si vous consultez la page suivante du document, vous verrez les résultats du vote des quatre dernières élections fédérales.
La perte du soutien d'Élections Canada ne mettra pas nécessairement fin aux activités de notre organisme; cependant, cela constituera un extraordinaire et sérieux défi pour la continuation de notre travail. Il se pourrait fort bien que nous ne soyons pas en mesure d'offrir le programme de Vote étudiant lors des élections fédérales de 2015.
Le partenariat avec Élections Canada offre une crédibilité irremplaçable qui a permis au programme Vote étudiant de s'implanter dans un nombre sans cesse grandissant d'écoles au Canada. Nous craignons que la perte de l'emblème non partisan qu'incarne Élections Canada et celle de l'accès à son matériel officiel nuisent au caractère authentique, cher aux éducateurs.
Nous espérons trouver d'autres sources de financement pour le programme Vote étudiant lors des prochaines élections fédérales, mais nous savons qu'aucune source de financement n'est plus légitime que l'agence électorale officielle et indépendante du Canada.
Il nous apparaissait important de vous mettre au fait de la situation.
Le projet de loi a été présenté à la Chambre des communes le 4 février. Il a franchi l'étape de la deuxième lecture, et il a été renvoyé au comité le 10 février. L'étape de la troisième lecture est prévue pour le 1er mai, soit dans 29 jours. Le Sénat vient d'entreprendre une étude préliminaire afin que le projet de loi, s'il est renvoyé au Sénat en mai, puisse être adopté immédiatement.
Jeudi dernier, j'ai témoigné au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre en tant que représentant de CIVIX, notre organisme de bienfaisance, en quête de solution aux défis que nous pose le projet de loi.
Nous croyons que les répercussions de la Loi sur l'intégrité des élections sur le programme Vote étudiant sont involontaires.
Il est difficile de croire que le gouvernement du Canada ou un député...
— ou un sénateur, si je puis dire —
... voudrait délibérément empêcher les jeunes Canadiens de connaître le fonctionnement de leur démocratie.
Nous continuons de discuter avec les représentants du gouvernement de manière raisonnable et respectueuse afin de trouver une solution à ce problème.
Je les remerciais ensuite de leur attention, et je les invitais à communiquer avec moi si la question les intéressait.
Voici quelques-unes des réponses que j'ai reçues.
Le président : Je m'excuse, monsieur Gunn. Les interprètes ont du mal à vous suivre, car vous parlez très rapidement.
M. Gunn : Mes excuses, je tentais d'aller rondement, étant donné que vous pouviez simplement suivre dans le document. Je vais ralentir le pas.
Voici un courriel que j'ai reçu 15 minutes après que j'ai envoyé le mien aux enseignants. Il est de Deborah, une enseignante de cinquième année, ici, à Ottawa, qui dit ceci :
Je n'arrive pas non plus à croire qu'on ne permettrait pas la participation des élèves. Dans le secteur où j'enseigne, bien des parents ne savent pas comment voter. Grâce à ce que j'ai appris aux enfants, en organisant des élections, de nombreux parents ont exercé leur droit de vote pour la première fois. Ce sont leurs enfants qui les ont amenés à voter. Les enfants ont pu expliquer à leurs parents quoi faire et comment faire une croix sur le bulletin de vote. J'espère que le programme pourra continuer.
Le courriel suivant est de Jim, à Calgary :
Taylor, je suis un enseignant qui a participé à Vote étudiant en permettant à mes élèves de participer activement à des élections fédérales parallèles; l'idée que ce ne soit plus possible à l'avenir m'apparaît fort préoccupante.
Le programme de sciences sociales de sixième année en Alberta porte uniquement sur la démocratie, mais le fait de participer activement à des élections parallèles a permis à mes élèves de vivre la réalité des élections. Grâce à leurs recherches, à leurs conversations et à leur participation, les élèves ont pu atteindre un degré de conscience surprenant, qui leur a permis de croître et de s'épanouir.
Les enfants étaient extrêmement intéressés par les questions et par les plateformes des partis. Ils se sont renseignés sur les candidats de leur circonscription. Ils ont voté en toute connaissance de cause; les résultats du vote affichés sur le site Vote étudiant les ont captivés. Ils ont comparé leurs points de vue et le résultat de leur vote à ceux des autres élèves canadiens.
Mes élèves ont fièrement déclaré...
— c'est un commentaire qui revient souvent —
... qu'ils en savaient plus sur les élections que leurs parents. Certains ont indiqué que des membres de leur famille leur avaient demandé conseil et en avaient tenu compte. Un outil utile, permettant de renverser l'alarmante tendance actuelle, mérite sûrement le soutien du gouvernement.
Enfin, voici un courriel de Debbie Noesgaard, qui enseigne également à Calgary :
Bonjour. Quel triste dénouement. Je suis une enseignante qui travaille avec des élèves à risque. Au fil des ans, ce programme m'a permis d'améliorer considérablement leur participation et de renforcer leur autonomie. Certains jeunes, leurs études terminées, sont revenus me voir après des élections pour me dire avec fierté qu'ils s'étaient renseignés sur les candidats et les enjeux, et qu'ils avaient voté aux élections fédérales, provinciales ou municipales. C'était un résultat dont je me réjouissais vivement, car à titre d'enseignante en sciences sociales l'un de mes principaux objectifs est de faire en sorte que les jeunes de ma classe participent activement et de manière avertie à la démocratie.
Je vous prie de relayer ce message à toute oreille sympathique susceptible d'avoir de l'influence à cet égard.
Je vous en fais donc part aujourd'hui.
J'espère que vous avez remarqué que la lettre envoyée aux enseignants ne les invitait pas à passer à l'action. Nous ne les incitions pas à harceler leur député. Nous nous sommes même efforcés de leur rappeler que s'ils communiquaient avec quelqu'un, ils devaient le faire de manière raisonnable et avec respect.
J'aimerais travailler avec vous pour trouver une solution. Je sais que l'étape de la dernière lecture approche. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions aujourd'hui. Merci de votre invitation. Je suis heureux d'être ici.
Le président : Merci de votre présence.
J'aimerais apaiser l'une de vos inquiétudes. Dans la lettre aux enseignants, vous laissez entendre que le Sénat adoptera le projet de loi immédiatement après en avoir été saisi. D'après ma modeste expérience, le Sénat ne fait jamais rien séance tenante. Je vous assure de nouveau que le comité et le Sénat étudieront le projet de loi avec toute l'attention voulue lorsqu'ils en seront saisis.
M. Gunn : Merci.
Le sénateur Baker : Je vous remercie de votre témoignage et de votre présence ici aujourd'hui, monsieur Gunn. Pourriez-vous préciser tout d'abord pourquoi l'adoption du projet de loi ferait en sorte que vous ne pourriez plus recourir aux services et obtenir l'aide d'Élections Canada? Qui vous a dit que ces services ne seraient plus disponibles?
M. Gunn : C'est Élections Canada. Il me semble que c'est indiqué dans leur mémoire, où ils examinent chaque article. J'ai contesté la chose à maintes reprises. Si vous lisez l'article 18, l'article actuel et celui du projet de loi, il y a dans les deux cas matière à interprétation. L'article 18 n'indique pas qu'il faut offrir un soutien aux personnes qui tiennent des élections parallèles dans les écoles au pays, et l'article 18 du projet de loi ne le fait pas non plus.
Je leur ai posé la question à maintes reprises, et ils m'ont répété, à maintes reprises, qu'Élections Canada serait « privé du pouvoir » — c'est l'expression que j'ai employée — de nous appuyer.
Le sénateur Baker : Oui, ils ont dit la même chose devant le comité. Je voulais simplement m'assurer que votre point de vue figure au compte rendu et vous donner l'assurance que le ministre a laissé entendre, lors de son témoignage devant le comité, que des amendements pourraient être apportés au projet de loi. À mon sens, on peut raisonnablement conclure de cette affirmation que des amendements seront apportés à la Chambre des communes à l'étape de l'étude en comité.
En outre, je réfuterai une autre partie de votre déclaration, car vous avez indiqué — comme l'a mentionné le président — que le projet de loi pourrait être adopté immédiatement après avoir été renvoyé au Sénat. Or, s'il y a des amendements, le projet de loi ne peut pas être adopté immédiatement; ce serait contraire à la loi. Le comité doit d'abord les étudier.
Avez-vous songé à un amendement à apporter au projet de loi qui permettrait d'atteindre l'objectif poursuivi par votre organisation?
M. Gunn : Je crois que je vais m'en tenir à ce que j'ai dit au PROC, car je crois que ce que j'y ai dit...
Le sénateur Baker : Le PROC est le...
M. Gunn : Le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre des communes.
Le sénateur Baker : C'est pour les gens qui nous écoutent.
M. Gunn : Oui. Je crois que vous dites « l'autre endroit » n'est-ce pas?
Le sénateur Baker : C'est exact, l'autre endroit.
M. Gunn : Je ne connaissais pas non plus le terme PROC avant de l'entendre à l'autre endroit. Peut-être que j'essaie trop d'avoir l'air averti et informé.
J'ai indiqué que je ne voyais pas pourquoi vous ne considéreriez pas comme moi — c'est d'ailleurs une opinion personnelle — qu'il y a des choses plus importantes à régler que la question de l'article 18. La première suggestion que j'ai faite à l'autre endroit, au PROC, a été de ne pas toucher à l'article 18 et de poursuivre le débat sur la question du recours à un répondant et sur les autres points soulevés.
Si je dis cela, c'est que je ne suis pas un avocat. Je ne prétendrai pas être un avocat. Vous pourriez me demander de faire comme si, mais je vous recommanderais de ne pas suivre mes conseils, car je ne suis pas avocat. Je ne rédige pas de projets de loi.
Je continue de croire que l'article 18 du projet de loi pourrait être interprété de la même manière que l'article actuel, et que nous pourrions poursuivre nos activités avec le soutien d'Élections Canada.
Toutefois, j'ai l'impression — corrigez-moi si j'ai tort — que les gens ne veulent pas qu'Élections Canada s'occupe de ce genre d'activités de communication. J'ai cru comprendre qu'au cours des derniers jours, il a été question d'autres groupes, de nouveaux organismes ou de quelque chose du genre. Je n'en sais rien. Je suis ouvert à la discussion, mais je ne suis pas certain que vous souhaitiez inscrire dans un projet de loi une phrase qui dit qu'Élections Canada devrait favoriser la participation des personnes qui ne sont pas en âge de voter. D'aucuns pourraient me dire l'inverse, je l'ignore, mais je ne suis pas convaincu que c'est une très bonne façon de rédiger un projet de loi.
Je ne sais pas comment vous rédigeriez ce genre de disposition. Je suppose que vous pourriez en rédiger une, mais ce n'est pas moi qui peux vous dire quel amendement apporter. Je suis convaincu que les Canadiens intelligents et accomplis qui siègent à cette table sont capables de déterminer cela eux-mêmes.
Le sénateur Baker : Autrement dit, vous nous demandez de vérifier si cela peut se faire selon le nouveau libellé, et de proposer, si ce n'est pas le cas, un amendement qui sera approuvé par le comité afin de vous permettre de poursuivre vos activités.
M. Gunn : Oui. Je ne sais pas si je l'ai entendu, mais j'ai l'impression que cet aspect préoccupe les gens qui s'occupent de la question du « pourquoi » voter. Est-ce un signe de tête que je vois là?
Nous nous intéressons aux questions du « où », du « quand » et du « comment » voter. Je ne peux pas contrôler le fait que l'expérience dans les écoles suscite la question du « pourquoi ». Bien franchement, je dois dire que si l'activité dans une école se déroule bien, les enfants trouvent leur propre « pourquoi ». Ils le trouvent parce que des candidats viennent dans les auditoriums. Une grosse école peut compter 1 000 enfants. Les candidats se font bombarder de questions. Les enfants sentent qu'ils ont voix au chapitre, mais comme ils n'ont pas encore pris leur décision, ils sont intéressés par les réponses. C'est l'un des « pourquoi » qui découle du programme.
J'aimerais dire ouvertement que le « pourquoi » procède de ce que nous leurs enseignons au sujet du « où », du « quand » et du « comment ». Selon moi, les gens ne devraient pas craindre le « pourquoi ». Je peux comprendre l'appréhension de certains à l'égard des tentatives antérieures portant sur le « pourquoi ». Il faudrait qu'on me rafraîchisse la mémoire et qu'on me précise de quoi il s'agissait, car je ne me souviens pas que cela ait été fréquent. Toutefois, notre programme enseigne le « pourquoi » simplement en raison de nos activités, sans que nous cherchions à le faire.
Le sénateur Baker : Et que dire de la sagesse de leur décision. Vous remarquerez qu'ils ont prédit avec exactitude le mouvement de la population. Ils ont prédit une victoire des conservateurs, bien qu'ils aient possiblement fait preuve de plus de sagesse en gardant ceux-ci en position minoritaire.
Je vous remercie beaucoup de votre présentation. C'était très éclairant monsieur Gunn.
M. Gunn : Sénateur Baker, puis-je vous demander si vous aviez un vieil ami de l'Est qui se nommait Francis LeBlanc?
Le sénateur Baker : Oui.
M. Gunn : Il siège au conseil d'administration; je me suis dit que je vous saluerais de sa part.
Le sénateur Baker : C'est un bon choix. Merci.
La sénatrice Frum : Je vous remercie de votre présence. J'aimerais féliciter votre organisation pour le travail important qu'elle accomplit. Je crois que vous n'aurez aucune difficulté à persuader les sénateurs dans cette salle que ce travail est d'une importance cruciale pour la démocratie.
M. Gunn : Merci.
La sénatrice Frum : J'aimerais mieux comprendre le lien qui existe entre CIVIX et Élections Canada. Ils financent vos programmes et vous vous occupez du reste?
M. Gunn : Oui. Il y a quelque chose de fort important que je tiens à signaler. Mais d'abord, j'ai une question à vous poser : « Connaissez-vous Michael McMillan? »
La sénatrice Frum : Oui. Vous êtes bien renseigné.
M. Gunn : Le plus drôle dans ce que j'ai à dire concerne le fait que vous avez étudié au collège Havergal.
La sénatrice Frum : Oui, j'ai étudié à Havergal.
M. Gunn : C'est sur le terrain du collège Havergal que j'ai échangé mon premier baiser, mais ce n'était pas avec une demoiselle Frum. J'ai étudié à l'école Crescent.
Il est fort important pour moi de signaler que nous avons créé ce programme nous-mêmes. Il ne s'agit pas d'un programme d'Élections Canada. Il a été créé par des jeunes qui croyaient que l'on pouvait inculquer aux élèves, aux enfants, aux adolescents et aux jeunes adultes l'habitude d'exercer leur citoyenneté. C'est quelque chose qui pourrait s'enseigner à l'école, de la même manière qu'on a décidé qu'il était important d'enseigner les mathématiques, les sciences et l'anglais. Si vous inculquez cette habitude à l'école chaque année, avec un peu de chance, les jeunes retiendront quelque chose de cet apprentissage. Voilà notre raisonnement.
J'avais, il y a longtemps, sollicité l'aide d'Élections Canada. Je voulais obtenir son soutien, mais je crois que cet organisme ne savait ni s'il pouvait nous aider ni comment le faire. Des parlementaires se sont réunis et ont rédigé une motion — pas un projet de loi —, mais une simple motion demandant à Élections Canada de nous aider. C'était formidable, et cela a fonctionné. Nous leur avons demandé des contributions en biens et services pour les deux premières élections — vous trouverez les détails à l'une des pages du document. C'était bien plus compliqué, et loin d'être parfait. Puis, en 2008 et en 2011, nous avons obtenu qu'il couvre l'ensemble des coûts du programme. J'ose dire que c'était un marché à fournisseur unique, mais cela ne me pose pas problème, car nous sommes les seuls à organiser ce genre d'activités.
La sénatrice Frum : Y a-t-il un représentant d'Élections Canada qui siège à votre conseil, par exemple?
M. Gunn : Non.
La sénatrice Frum : Quelles sont vos responsabilités en matière de reddition de comptes à Élections Canada?
M. Gunn : C'est assez complet. J'aurais dû apporter un exemple des rapports que nous leur présentons. Cela touche à tous les aspects allant de l'enquête auprès des élèves et des enseignants avant l'activité à l'enquête qui suit la tenue de l'activité. Élections Canada a mené une enquête indépendante sur nous — une sorte de vérification du rendement — avant 2011, et tout au long de l'année 2011. Vous trouverez certains des graphiques dans le document. Nous présentons un rapport complet ainsi que des états financiers vérifiés indiquant à quoi ont servi les fonds.
Comme vous le verrez dans le document, une grande partie des fonds est consacrée à des choses comme la diffusion, à hauteur de 200 000 $. Cela ne me gêne pas, car il s'agit de matériel qui aide les enseignants. Ceux-ci peuvent l'utiliser en classe. Nous jouons aussi sur la note de la culpabilité. Si vous recevez un gros paquet rempli de matériel, vous serez plus enclin à l'utiliser que s'il vous faut télécharger le tout d'Internet. Je conseille à toute personne qui veut réaliser un projet dans une école de prendre le temps de créer du matériel de qualité et de l'envoyer aux enseignants; ce sera plus efficace. Cela nous impose des coûts importants, mais notre organisme a reçu 400 000 $ qui nous ont permis de payer les gens, le personnel supplémentaire, les équipes dans les entrepôts et tout ce qui entoure le projet.
La sénatrice Frum : Mais vous êtes maintenant entièrement financés par Élections Canada, n'est-ce pas?
M. Gunn : Seulement pour la tenue de l'activité. Nous ne recevons pas un financement annuel d'Élections Canada. Si vous pouviez les convaincre de le faire, ce serait formidable, mais nous ne recevons aucun financement annuel. Je ne sais pas pourquoi ils n'apportent pas de changements; quoi qu'il en soit, ils n'ont pas de volet contributions et subventions. Patrimoine canadien en a un. C'est une relation contractuelle.
La sénatrice Frum : J'aimerais en savoir plus à ce sujet. Toutefois, je ne peux résister à la tentation de vous poser une question, étant donné que vous avez inséré un graphique sur le résultat du vote dans votre présentation, et que le sénateur Baker y a fait allusion.
M. Gunn : La ligne rouge? Est-ce cela que vous pointiez?
La sénatrice Frum : À vrai dire, non. J'étais pour parler de la ligne bleue. Je ne sais pas de qui il s'agit. Qui est considéré comme un étudiant dans ce graphique?
M. Gunn : Il s'agit d'enfants âgés de 10 à 18 ans. Ce sont des élèves d'écoles primaires et secondaires. Lors des dernières élections fédérales, nous avons obtenu notre plus grand nombre de participants, soit 563 000.
Depuis, nous avons également organisé des élections parallèles pour chaque élection provinciale. Dans des provinces comme la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan et l'Ontario, nous sommes très près d'avoir une participation de 50 p. 100 de l'ensemble des écoles ou nous l'avons déjà. Si nous appliquons le même taux de croissance aux prochaines élections fédérales, nous pourrions offrir le programme dans 6 000 ou 7 000 écoles au pays, ce dont tout le monde autour de cette table se réjouirait, je crois.
Les résultats sont éloquents. Les élèves prennent l'exercice au sérieux. Ils réfléchissent comme des adultes le font et votent en conséquence ou bien ils se rabattent sur les valeurs de leurs parents lors du vote étudiant, lorsqu'ils se présentent aux urnes. Nous y voyons une victoire dans les deux cas.
Le sénateur Joyal : Je vous remercie de votre explication monsieur Gunn. Je ne peux m'empêcher de vous poser une question. Je ne vois aucune mention du Québec sous « provinces et territoires ». Pourriez-vous nous expliquer pourquoi le Québec n'est pas inclus?
M. Gunn : Bien sûr. Il y a des élèves d'écoles du Québec qui participent à notre programme lors des élections fédérales. Nous travaillons en partenariat avec une organisation qui tient des élections parallèles et qui est entièrement financée par la province, par le Directeur général des élections du Québec et le ministère de l'Éducation, il me semble.
Nous souhaitons accroître notre présence au Québec. Nous apprenons à travailler ensemble. L'organisation se raccroche un peu à nous pour les élections fédérales. Si un programme existe déjà, et que nous avons des pratiques exemplaires que nous croyons pouvoir lui communiquer, il nous semble qu'il est préférable de coopérer.
Le sénateur Joyal : Est-ce une question de langue ou d'argent, ou bien est-ce parce qu'il y a de la réticence à l'idée de participer à une activité financée par le gouvernement fédéral, au sujet d'affaires fédérales? Vous comprenez là où je veux en venir avec cette question.
M. Gunn : Oui. C'est quelque chose de présent. Je crois que nous finirons par les gagner. À mon avis, l'organisation doit d'abord réussir à s'implanter dans les écoles. Il n'y a qu'un pas entre la persévérance et — je ne sais pas trop comment le dire poliment — disons mettre en rogne les écoles qui pourraient éventuellement s'inscrire. Normalement, personne ne se montre désagréable.
Il y a eu un changement à la tête de l'organisation. Selon moi, il nous sera maintenant possible d'augmenter grandement la participation du Québec, car la nouvelle direction s'est montrée fort intéressée à l'idée de travailler avec nous.
Le sénateur Joyal : Pouvez-vous mesurer l'incidence que vous avez sur la motivation d'un nouvel électeur? Je vois que ce sont des jeunes qui ont entre 10 et 18 ans; ils n'ont donc pas encore voté. Une fois l'âge du vote atteint, pouvez- vous comparer la participation des élèves qui ont suivi le programme à celle de ceux qui ne l'ont pas suivi pour voir si cela a une incidence sur le niveau de participation à leurs premières élections?
M. Gunn : Nous ne l'avons pas encore fait. Nous aimerions trouver des fonds pour mener une telle étude longitudinale, afin de mesurer cela. Je pensais qu'Élections Canada pourrait le faire. Je crois que, pour l'heure, cet organisme s'en tient aux caractéristiques que nous établissons auprès des élèves pendant les élections. L'intérêt, le savoir et le sens du devoir civique instaurent un dialogue entre les élèves participants et leurs pairs. Habituellement, pour nous, la question est de savoir si nous recueillons des fonds pour mener nos propres études ou pour payer quelqu'un qui nous étudiera. Pour l'instant, nous avons décidé d'amasser des fonds pour mener nos propres études.
Par ailleurs, prenons les dernières élections en Colombie-Britannique. L'activité a été entièrement financée par Elections British Columbia. Ce fut un programme fantastique, le meilleur de la province jusqu'ici. Nous avons rejoint 44 p. 100 des écoles, et 101 000 enfants ont participé dans la province, soit environ un cinquième ou un sixième des enfants de l'ensemble du système scolaire. C'est extraordinaire. Toutefois, pour observer le genre de changement à long terme que nous espérons, il faudra rejoindre cinq enfants sur six. Mais pour arriver à rejoindre cinq enfants sur six, il faut d'abord en rejoindre un sur six. La majorité des gens ne s'approchent même pas de ce résultat. Ils en rejoignent un sur mille.
Nos activités remportent un franc succès. Cela dit, lorsque nous avons commencé, je pensais que je pourrais me concentrer sur une seule campagne électorale et ainsi inciter les enfants à devenir des citoyens qui s'intéressent au monde politique. Je me rends maintenant compte qu'il faudra encore plusieurs décennies à notre organisation pour atteindre cet objectif. Je crois que c'est un très bon début. Nous avons célébré notre 10e anniversaire l'automne dernier.
Le sénateur Joyal : Quelles mesures prenez-vous pour garantir que les renseignements qui résument la position de chaque parti sur certains sujets donnés sont comparables?
M. Gunn : Nous ne fournissons pas de renseignements de ce type, car nous ne pouvons pas garantir qu'ils sont impartiaux. Notre rôle ne consiste pas à fournir de tels renseignements.
Nous essayons entre autres d'enseigner aux enfants qu'il leur incombe d'obtenir ces renseignements et d'en tirer profit. Ils peuvent le faire de différentes façons. La meilleure façon de se renseigner est de profiter de la visite des candidats dans les écoles, lorsqu'ils s'expriment devant les élèves. Vous le savez, car vous avez sans doute lu des recherches sur le sujet. Même si les enseignants le demandent, nous ne résumons pas le programme électoral des divers partis. Nous disons généralement aux enseignants de se tourner vers les médias et les journaux locaux et de lire les éditoriaux.
Le sénateur Joyal : Ou d'utiliser l'ordinateur.
M. Gunn : Ou n'importe quel autre moyen. Il existe des tonnes de façons de se renseigner, mais mon organisation, elle, se concentre sur le processus. Nous voulons vraiment que nos activités permettent aux enfants d'acquérir à la fois des connaissances et de l'expérience. Lorsque nous parlons de connaissances, nous parlons de savoir à quel moment et à quel endroit voter et comment le faire, entre autres. Le simple fait de connaître le nom de sa circonscription est une réalisation liée aux connaissances. En ce qui concerne l'expérience, pour nous, il s'agit entre autres de rencontrer un candidat local, d'être au fait de l'actualité, de lire le journal pour prendre une décision au lieu de seulement écouter, par exemple, le débat des chefs, ou encore faire les deux. Ce sont des expériences. C'est ce que nous faisons dans le cadre de ce programme.
Le sénateur Joyal : Enfin, pour ce qui est du financement annuel, si j'ai bien compris, vous recevez des fonds provenant de sources privées, de sources non gouvernementales, pour pouvoir soutenir vos activités.
M. Gunn : En fait, nous ne recevons pas beaucoup de financement de ce type, car nous commençons tout juste à nous engager dans cette voie. Nous n'avons pas toujours été un organisme sans but lucratif. Nous sommes devenus un organisme sans but lucratif parce que nous voulions élargir notre mandat et parce que nous avons fusionné avec un organisme sans but lucratif existant. Vous connaissez peut-être Warren Goldring, AGF Management et la famille Goldring. Nous avons fusionné avec eux pour créer CIVIX, car je voulais aller au-delà de notre programme Vote étudiant, comme nous l'avons fait en tenant récemment des consultations budgétaires, auxquelles le ministre des Finances, M. Flaherty, a participé, et comme nous le faisons dans le cadre de la Journée du représentant, en envoyant des représentants dans les écoles partout au pays.
Le sénateur Joyal : Quel est le budget que vous visez?
M. Gunn : Notre budget varie d'un projet à l'autre. Nous fonctionnons presque comme une entreprise sociale. Nous faisons preuve d'un grand esprit d'entreprise. Nous devons recueillir nous-mêmes notre financement — ou du moins, c'est ce que nous avons fait jusqu'à maintenant — pour rester à flot. Nous enchaînons les projets, comme les consultations budgétaires auprès des élèves et les projets menés dans le cadre des dernières élections en Colombie- Britannique et en Nouvelle-Écosse. Si on ne tient pas compte des dépenses associées aux projets et qu'on considère que nous devons uniquement payer les frais associés aux membres de l'équipe actuelle, nos dépenses sont d'environ un demi-million de dollars par année. Cette somme comprend le loyer, quelques voyages ainsi que des dépenses supplémentaires pour les programmes.
Le sénateur Moore : M. Gunn, je vous remercie d'être ici aujourd'hui. J'ai consulté les résultats du programme Vote étudiant pour 2011, et je ne vois aucune circonscription de la Nouvelle-Écosse. Êtes-vous actifs en Nouvelle-Écosse?
M. Gunn : Oui. Quelle page consultez-vous, monsieur?
Le sénateur Moore : Il n'y a pas de numéro.
M. Gunn : Cette page ne comprend pas tous nos résultats. Lors des dernières élections fédérales, 301 des 308 circonscriptions du Canada étaient représentées. Cette page n'est que la première d'une série de 20 pages — ou de 15 pages, ou quelque chose du genre. Les circonscriptions sont classées en commençant par le niveau de participation le plus élevé au pays. Donc, si vous le souhaitez, vous pouvez féliciter le député Patrick Brown, qui représente la circonscription de Barrie à l'autre endroit, car 6 553 élèves de sa circonscription ont participé au programme. C'est absolument fantastique. Ensuite, le nombre de participants diminue. Cette page ne montre donc que les 20 premières circonscriptions, en ordre décroissant.
Oui, toutes les circonscriptions de la Nouvelle-Écosse sont représentées, et nous venons tout juste d'organiser des activités dans le cadre du programme Vote étudiant en Nouvelle-Écosse pour les élections provinciales. Nous avons obtenu le meilleur taux de participation à ce jour. Au total, 230 écoles se sont inscrites, soit environ la moitié des écoles de la province, et 22 000 élèves ont voté.
Le sénateur Moore : En Nouvelle-Écosse.
M. Gunn : Oui. Je crois que le vote a eu lieu le 8 octobre.
Le sénateur Moore : Pour ce qui est du graphique qui montre une augmentation de la participation et où il est question des écoles et des élèves, vous avez dit qu'il y a combien d'écoles au pays?
M. Gunn : Selon la méthode qu'on utilise pour les dénombrer, il y a environ 14 000 ou 15 000 écoles au pays. Nous ne ciblons pas certains établissements, car il s'agit d'écoles primaires, qui accueillent des élèves de la première à la troisième année. On compte environ 15 000 écoles au pays.
Le sénateur Moore : Est-ce que ce nombre comprend toutes les écoles, qu'il s'agisse des écoles publiques ou privées?
M. Gunn : Oui.
Le sénateur Moore : Est-ce que vos programmes visent aussi les cégeps au Québec, ou est-ce que ces étudiants sont trop âgés?
M. Gunn : Nos programmes pourraient aussi s'adresser à ces étudiants. Nous avons constaté qu'il est un peu plus difficile pour nous d'offrir nos programmes dans ces établissements, mais oui, c'est possible.
Le sénateur Moore : Avez-vous dit que cela fait 10 ans que votre organisation existe?
M. Gunn : Oui.
Le sénateur Moore : Nous avons appris que les programmes de votre organisation, CIVIX, qui permettent de renseigner les jeunes, de même que les programmes d'éducation civique, accroissent la participation aux élections. Par conséquent, votre organisation a-t-elle effectué un suivi afin d'établir une comparaison entre le nombre de jeunes qui ont voté dans le cadre des programmes Vote étudiant et le nombre de jeunes qui ont voté par la suite aux élections provinciales ou fédérales dans leur province respective?
M. Gunn : Comme je l'ai dit lorsque j'ai répondu à la question du sénateur Joyal, nous souhaitons fortement qu'une organisation effectue une étude longitudinale à ce sujet. À l'heure actuelle, nous pouvons compter uniquement sur les données non scientifiques, comme les courriels que nous recevons d'enseignants qui nous disent que leurs élèves de 18 ans reviennent les voir pour leur dire qu'ils participent maintenant à des activités politiques. Ce ne sont pas des preuves très solides pour un comité. Nous n'avons pas les données dont nous aimerions disposer et que nous pourrions obtenir grâce à une étude longitudinale.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Gunn, c'est peut-être une fausse perception que j'ai, mais je vous sens un peu nerveux par rapport à la réforme de la loi électorale. Nous avons beaucoup parlé de votre organisation qui fait un excellent travail, mais en quoi la réforme de la loi électorale vous inquiète-t-elle?
[Traduction]
M. Gunn : En ce moment, Élections Canada nous dit que nous ne pourrions plus compter sur son soutien pour poursuivre notre programme Vote étudiant. Ce n'est pas seulement une question d'argent; le problème, c'est la provenance de l'argent. Lorsque nous nous adressons aux écoles pour leur offrir de participer au programme, bien souvent, les administrateurs nous demandent d'abord et avant tout qui est derrière ce programme. Si nous ne pouvons pas tout simplement dire que c'est Élections Canada, on ne nous posera pas d'autres questions. C'est la plus grande menace qui nous guette. En effet, il sera très difficile pour nous de développer nos activités à l'avenir si nous ne pouvons pas être associés à Élections Canada. C'est pour cette raison que je suis ici. Je crois que nous pourrons offrir nos programmes dans la moitié des écoles du pays en 2015 si nous pouvons être associés à Élections Canada. Si je dois dire aux administrateurs que notre organisation bénéficie de l'appui d'une grande fondation ou de donateurs individuels, par exemple, cela ne semble pas aussi irréprochable que de dire que nous bénéficions de l'appui d'Élections Canada. C'est ce qui me préoccupe.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vous remercie de votre réponse. Elle m'a permis de vérifier ma perception.
[Traduction]
Le président : Je pense que le moment est venu de faire certaines précisions. Vous avez mentionné qu'Élections Canada vous a dit que si ces changements sont mis en œuvre, elle ne pourra désormais plus financer vos programmes. Notre avocat, M. Spano, a soulevé cette question, car cela peut être interprété de diverses façons.
Je me demande si vous avez parlé à d'autres personnes au sujet de cette interprétation d'Élections Canada, car si vous examinez les articles qui s'appliquent à votre organisation, vous constaterez que l'un d'entre eux porte sur les communications. La portée de l'autre article a en fait été élargie, et il est question de la possibilité de mener des projets pilotes. Si vous examinez le paragraphe 18(1), vous constaterez que le directeur général des élections peut effectuer des études sur le vote. Je me demande simplement si tout cela n'est pas une question d'interprétation. En fait, vous aurez peut-être encore droit au financement. Je ne le sais pas. Je soulève tout simplement la question.
M. Gunn : Je dirais que les gens du gouvernement ont eu deux mois pour fournir des précisions à propos de cette interprétation. S'ils l'avaient fait, quelqu'un d'autre aurait pu être ici pendant 45 minutes à ma place. J'ai communiqué avec le chef de cabinet du ministre. Nous attendons des précisions. Le gouvernement aurait pu apporter des précisions. Nous avons été plutôt généreux puisque nous lui avons donné l'occasion de tirer son épingle du jeu sans froisser qui que ce soit. Nous souhaiterions donc qu'on nous dise ce qu'il en est.
Le président : Nous obtiendrons des précisions à ce sujet.
M. Gunn : Merci. C'est une excellente idée.
En passant, nous devrions tous féliciter le sénateur Runciman. Lorsqu'il évoluait sur la scène politique provinciale, il a remporté le vote étudiant dans la circonscription de Leeds-Grenville. Est-ce exact, monsieur? Oui. Il a obtenu 30 p. 100 du vote étudiant, et je crois qu'environ 2 500 enfants avaient participé. Félicitations, monsieur.
Le président : Il est la réincarnation de George Baker.
Le sénateur Joyal : La prochaine génération.
La sénatrice Batters : Je connais quelqu'un d'autre. Mon mari, Dave Batters, a été le député de la circonscription de Palliser, en Saskatchewan, de 2004 à 2008, et je suis à peu près certaine qu'il a lui aussi remporté le vote étudiant.
M. Gunn : Oui, il a remporté le vote étudiant.
La sénatrice Batters : Il aimait beaucoup le programme Vote étudiant, qui lui permettait de se rendre dans les écoles. Lorsqu'il était jeune, il a décidé qu'il serait député fédéral ou provincial et il a atteint cet objectif la première fois qu'il s'est présenté aux élections. Il a été député pendant quatre ans et demi.
Il ne fait aucun doute que des organisations comme la vôtre favorisent la participation des élèves à un très jeune âge et les aident à mieux connaître ces processus.
M. Gunn : Puis-je vous poser une question?
La sénatrice Batters : Bien entendu.
M. Gunn : Connaissez-vous le Président Dan D'Autremont?
La sénatrice Batters : Oui, bien sûr.
M. Gunn : J'ai été l'un des invités de l'Assemblée législative de la Saskatchewan pendant les quatre derniers jours, en fait, à compter du samedi. Il est possible que je sois invité chaque année à donner une conférence au Forum des enseignantes et des enseignants de la Saskatchewan. Si cet homme est le reflet des habitants de la Saskatchewan ou des autres Canadiens, nous avons beaucoup de chance, car c'est une personne extraordinaire. Si vous le pouvez, faites-lui part de ces éloges.
La sénatrice Batters : Je n'y manquerai pas. Je lui dirai de lire le hansard et de vous regarder sur la chaîne CPAC.
Je dois dire que c'est sans doute la première fois dans l'histoire des comités sénatoriaux que quelqu'un parle de l'endroit où il a échangé son premier baiser.
M. Gunn : Nous sommes des pionniers.
La sénatrice Batters : J'aimerais que vous me fournissiez quelques précisions. D'abord, je tiens à vous remercier de nous avoir fourni ce tableau sur Élections Canada et la contribution de cette organisation au cours des 10 dernières années.
Ai-je raison de dire qu'au départ, Élections Canada n'était pas votre principal bailleur de fonds et versait à peu près la moitié des fonds destinés aux projets? C'était le cas pendant les campagnes électorales de 2004 et de 2006, et par la suite, pendant les campagnes de 2008 et de 2011, Élections Canada a financé la totalité des projets. Cela dit, Élections Canada a versé des fonds uniquement pour la période des élections fédérales. Est-ce exact?
M. Gunn : Pour le projet lié aux élections fédérales. Nous sommes probablement l'un des rares groupes qui apprécient les gouvernements minoritaires, car ils nous permettent d'accomplir l'équivalent de 16 ans de travail en deux fois moins de temps environ.
Non, Élections Canada ne nous donne pas de l'argent chaque année. Nous recevons de l'argent de cette organisation à l'occasion. Je crois qu'il est important de le souligner. Pour la Semaine de la démocratie — je ne sais pas si cela est indiqué dans le budget d'Élections Canada —, on m'a accordé des fonds pour que je fasse un discours dans le cadre du Forum des enseignantes et des enseignants sur la démocratie canadienne. Ce fut pour moi un grand honneur. Élections Canada nous a alloué 23 000 $ pour nous aider à donner le coup d'envoi à la Journée du représentant sur la scène fédérale, à laquelle ont participé des représentants de toutes les régions du pays. Cet argent est uniquement destiné aux projets liés aux élections fédérales, qui durent environ un an.
J'aimerais entreprendre dès maintenant le travail requis pour les élections fédérales de 2015, car nous avons beaucoup de pain sur la planche. C'est pour cette raison que je veux tirer les choses au clair.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Gunn, d'avoir comparu devant le comité. Je vous remercie de vos observations. Vous avez un bon sens de l'humour. Je suis convaincu que les élèves doivent réellement apprécier vos exposés.
Je crois savoir que vous avez récemment comparu devant le Comité des affaires de la Chambre au nom de votre organisation. Vous avez présenté un exposé et des documents. Comment les choses se sont-elles passées? Les membres du comité étaient-ils à l'écoute des préoccupations exprimées par votre organisation?
M. Gunn : Je me suis permis de rencontrer le président du comité avant ma comparution. Je me suis entretenu avec deux députés, M. Reid et M. Lukiwski, par téléphone. J'ai aussi échangé de brefs courriels avec M. O'Toole.
Je crois avoir été traité avec respect. Je faisais partie, avec trois collègues, d'un groupe qui s'est réuni pendant une heure, et on nous a tous accordé cinq minutes. Harry Neufeld a comparu devant le comité pendant une heure tout juste avant mon groupe, et donc, on peut se demander si nous avons réellement été à l'avant-scène ce jour-là. Quoi qu'il en soit, j'ai l'impression d'avoir été bien accueilli. Nous avons tout simplement besoin d'une réponse, sinon, nous devrons trouver une solution.
[Français]
Le sénateur Rivest : Avant tout, je tiens à vous féliciter pour le travail que vous faites auprès des étudiants pour les amener à voter. Au Québec, lors de l'élection de lundi dernier, le directeur général des élections du Québec a installé des bureaux de vote sur les campus dans le but d'inciter les étudiants à voter. Malgré cela, à peine 15 p. 100 des étudiants se sont prévalus de leur droit de vote. On ne peut qu'en déduire que cette mesure n'est pas suffisante pour inciter les étudiants à voter et que nous avons besoin d'organismes comme le vôtre.
J'aimerais savoir s'il existe des initiatives dans d'autres provinces du Canada pour inciter les étudiants à voter sur les campus.
[Traduction]
M. Gunn : Nous avons constaté que les organismes électoraux du Canada veulent d'abord et avant tout trouver des moyens de permettre à l'ensemble des gens d'exercer leur droit de vote. Je sais que le slogan d'Élections Ontario est « Nous facilitons le vote ». C'est ce que cette organisation tente de faire par tous les moyens.
Pour ce qui est des bureaux de vote sur les campus, même si ces étudiants ne font pas partie des groupes démographiques que nous ciblons, nous avons entendu dire que les jeunes souhaitent ardemment que cette option leur soit offerte. Ils veulent réellement qu'on leur offre des façons de participer.
Tout cela m'amène en quelque sorte au recours à un répondant. Je pense que vous voulez mettre l'accent sur cet aspect. Par exemple, je suis venu ici aujourd'hui seulement avec ma carte d'assurance-maladie. C'est la seule pièce d'identité que j'ai. Je sais qu'il est honteux de dire cela quand on a 36 ans, mais cette pièce d'identité ne comporte aucun renseignement sur mon lieu de résidence. Si je devais voter demain — j'ai de la chance, car ma femme s'occupe de l'ensemble de nos finances, et donc, je n'ai pas vraiment de factures à mon nom —, il faudrait que quelqu'un soit mon répondant. Je crois que je suis un assez bon citoyen et que je devrais pouvoir participer aux élections.
Il y a des gens qui n'ont vraiment pas de preuve de résidence, contrairement à d'autres personnes, et à mon avis, personne ne voudra être responsable de ce problème administratif.
Le sénateur Plett : Je vais tenter d'être bref. J'aimerais moi aussi parler un peu de ce tableau, et aussi m'excuser d'être un peu en retard cet après-midi.
On trouve une liste de 29 résultats dans ce tableau. Sous la rubrique « Élu dans le cadre du vote étudiant », je crois qu'il y a cinq personnes qui n'ont pas été élues, mais vous consignez tout de même ces chiffres. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi? Ces personnes n'ont pas été élues dans le cadre du vote étudiant. Dans ce cas, est-ce que des gens ont obtenu un pourcentage de votes plus élevé? Pourquoi leur nom ne figure-t-il pas dans cette liste?
M. Gunn : Le nombre de votes indiqué à côté de leur nom ne correspond pas au nombre de votes en leur faveur; il s'agit du nombre total de votes pour cette circonscription dans le cadre du programme Vote étudiant.
Le sénateur Plett : Je comprends.
Nombreux sont ceux qui ont dit que ce projet de loi des conservateurs a pour objectif d'empêcher les électeurs de voter. Pourtant, 21 des 29 circonscriptions dont il est question sont représentées par des députés conservateurs. Je dirais que c'est un très bon bilan et qu'il serait ridicule d'essayer d'empêcher les électeurs de voter si on peut obtenir de tels résultats auprès des élèves.
M. Gunn : Je suis d'accord. Cela dit, si je me questionne sur les raisons pour lesquelles l'article 18 prévoit certaines mesures bien particulières, c'est uniquement parce que j'ai lu un article dans le journal Orillia Packet and Times. Le député Bruce Stanton a déclaré qu'à son avis, Élections Canada pourrait être perçue comme une organisation non partisane si elle favorisait la participation au sein des groupes qui traditionnellement, selon lui, ne votent pas pour un parti donné. Je tiens simplement à corriger le tir : rien ne prouve que les jeunes ne votent pas pour les conservateurs. Je conseillerais aussi à tout parti politique — bon, je crois que j'en ai assez dit.
Le sénateur Plett : Vous pouvez poursuivre.
M. Gunn : Je pense tout simplement qu'aucun parti ne doit croire que le vote des jeunes lui est acquis.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Gunn, de cet exposé très intéressant. Nous vous remercions d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui.
M. Gunn : Merci beaucoup. Je vous souhaite bonne chance dans vos délibérations.
Le président : Les prochains intervenants témoignent à titre personnel, par vidéoconférence : M. Paul Howe, professeur et président du Département de science politique de l'Université du Nouveau-Brunswick, de même que Pauline Beange, enseignante à l'Université de Toronto.
Madame Beange, monsieur Howe, bienvenue. Nous vous sommes reconnaissants de prendre le temps de participer à l'étude du projet de loi C-23 menée par le comité. Je suppose que vous ferez tous deux une déclaration préliminaire. Madame Beange, vous pouvez commencer.
Pauline Beange, enseignante, Université de Toronto, à titre personnel : Je suis heureuse de participer aujourd'hui aux discussions sur ce projet de loi. Ma thèse de doctorat, que j'ai terminée en 2012, comparait la réglementation du financement des partis, les pouvoirs des organismes d'application de la loi et le rôle de la magistrature, entre autres, au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, des démocraties semblables et bien établies. Je me suis concentrée sur la période qui a commencé en 2000, mais j'ai aussi fait une analyse rétrospective en remontant au début de la Confédération. Je suis donc bien au fait des mesures officielles et non officielles qui permettent de réglementer les partis.
Mes recherches montrent qu'il est important de comparer le Canada uniquement à d'autres démocraties bien établies qui disposent d'un solide réseau d'institutions protégeant la démocratie. Ces conclusions appuient celles de Michael Boda, qui est maintenant le directeur général des élections de la Saskatchewan. Lorsque je parle d'un solide réseau d'institutions, je parle entre autres des partis politiques, des citoyens, de la liberté de presse, de la transparence relative du financement des partis, du Parlement et des médias sociaux qui travaillent tous ensemble pour protéger la démocratie canadienne et faire en sorte qu'elle mérite sa réputation sur la scène internationale.
Deux facteurs font en sorte que les pratiques canadiennes en ce qui concerne l'administration du financement des partis et l'application des règles entourant celui-ci diffèrent de celles des autres pays. Premièrement, parmi les trois pays, seul le Canada compte sur un seul organisme pour superviser les élections et le financement des partis. Deuxièmement, les organismes responsables de l'application des règles de financement des partis aux États-Unis et au Royaume-Uni sont dirigés par un groupe de commissaires nommés, dont le mandat est d'une durée limitée, et non pas par un chef nommé qui peut demeurer en poste jusqu'à l'âge de 65 ans, comme c'est le cas pour le directeur général des élections, le seul mandataire du Parlement à avoir un aussi long mandat.
Le fait d'établir une distinction entre la réglementation du financement des partis et l'administration des élections n'est pas une idée nouvelle. Elle a été appuyée par le Comité des dépenses électorales de la Chambre des communes, aussi appelé le Comité Baribeau, pendant les années 1960, de même que par la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, aussi appelée la Commission Lortie, pendant les années 1990. À mon avis, la mesure proposée est la dernière étape de la mise en œuvre des recommandations de ces deux organismes prestigieux. J'appuie cette restructuration pour plusieurs raisons, mais je limiterai mes observations à ce qui suit.
Premièrement, même si le commissaire aux élections fédérales est techniquement responsable de l'administration du financement des partis, il est choisi par le directeur général des élections du Canada et il doit rendre des comptes au Parlement par l'entremise du directeur général des élections du Canada. Les rapports hiérarchiques ne sont donc pas clairs.
Deuxièmement, même si les changements proposés sont adoptés, le directeur général des élections du Canada conservera son long mandat ainsi que divers autres pouvoirs, dont les suivants : informer et conseiller le Parlement sur des questions d'intérêt, comme le nouveau comité qu'il a créé pour étudier la réforme électorale, assumer la présidence du Comité consultatif des partis politiques et les pouvoirs connexes, choisir les prochains administrateurs et arbitres en matière de radiodiffusion, de même que nommer les membres externes du Comité de vérifications d'Élections Canada.
Le Bureau du directeur général des élections du Canada est sans doute le poste le plus influent de toute la fonction publique canadienne; et ses déclarations ont énormément de poids. Le Canada a toujours eu des directeurs généraux des élections compétents et dévoués, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'ils ont toujours raison. Lors d'une audience de 2010, le juge Martineau de la Cour fédérale a jugé qu'il était nécessaire de réprimander le directeur général des élections lorsqu'il va trop loin. Je le cite :
[...] le législateur n'a pas clairement exprimé dans la Loi une intention de donner au DGE un pouvoir de réglementation ou de surveillance général prenant la forme de création ou d'application de règles concernant le financement des campagnes électorales ou les actions des participants.
Le projet de loi C-23 présente peut-être des lacunes, mais la proposition de séparer les responsabilités de réglementation des finances des partis et des élections est une proposition logique qui concentre le mandat du directeur général des élections sur des élections solides.
En conclusion, la démocratie canadienne est protégée par un solide réseau d'institutions, et non un seul bureau, et sera renforcée et non affaiblie par la restructuration proposée.
J'accepterai volontiers vos observations et questions sur d'autres parties du projet de loi.
Le président : Professeur Howe, si vous voulez bien prendre la parole.
Paul Howe, professeur et directeur, Département de science politique, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Merci, monsieur le président. J'ai eu la chance de m'adresser la semaine dernière au comité de la Chambre des communes chargé d'étudier le projet de loi C-23. J'ai des préoccupations à l'égard de nombreuses dispositions du projet de loi, mais le principal problème que j'ai signalé est la proposition visant à limiter le rôle d'Élections Canada en ce qui a trait à favoriser la participation des électeurs, exigeant de l'organisme qu'il informe le public uniquement de la date du scrutin, du lieu où voter et des façons de voter. J'ai fait remarquer que les principales raisons pour lesquelles tant de jeunes ne vont pas voter de nos jours n'ont pratiquement rien à voir avec des difficultés par rapport à la mécanique du vote et que, par conséquent, Élections Canada doit conserver son rôle élargi qui consiste à favoriser la participation aux élections. J'aimerais expliquer plus longuement ce point aujourd'hui.
L'un des documents d'information sur le projet de loi C-23 publiés sur le site web du gouvernement sur la réforme démocratique fournit une justification pour limiter le rôle d'Élections Canada en ce qui a trait à favoriser la participation des électeurs.
Sous la rubrique « Retour à l'essentiel », on y indique que selon une étude effectuée pour le compte d'Élections Canada sur la participation des jeunes aux élections générales de 2011, environ 25 p. 100 des jeunes non-votants disent que le fait de ne pas savoir où, quand ou comment voter a joué un rôle dans leur décision de s'abstenir de voter. À première vue, ce résultat semble indiquer que la participation des jeunes augmenterait considérablement si des efforts concertés étaient déployés pour mieux les informer de la manière de voter.
J'ai examiné attentivement cette étude réalisée pour le compte d'Élections Canada. D'ailleurs, Élections Canada m'a également fourni les données d'origine de l'enquête, comme c'est souvent le cas pour des chercheurs intéressés. J'ai fait ma propre analyse pour en apprendre davantage sur ces jeunes non-votants qui disent ne pas avoir su où, quand et comment aller voter lors des élections fédérales de 2011.
Par exemple, l'étude a demandé à tous les répondants s'ils savaient quel parti avait gagné les élections. Moins de la moitié de ces jeunes non-votants qui ne savaient pas quand, où ni comment voter a pu nommer correctement le parti qui a remporté les élections. Voici un autre constat intéressant. Seulement trois jeunes non-votants sur dix — je répète, trois sur dix — qui ne savaient pas où, quand et comment voter ont pu nommer correctement le premier ministre de leur propre province, et à peine plus de deux sur dix ont été en mesure de répondre correctement à ces deux questions de connaissances politiques rudimentaires, soit le nom de leur premier ministre et le nom du parti qui venait de gagner les élections. De toute évidence, ces jeunes qui ne savaient pas quand, où ni comment voter ignoraient également bien d'autres choses sur les élections fédérales et la politique canadienne en général.
Il y a quelques éléments à tirer de cela. Premièrement, de nombreux jeunes non-votants sont profondément déconnectés de la politique et des affaires publiques. Tenter de les renseigner sur le processus électoral est donc un défi de taille. Si une jeune personne ignore quel parti a gagné une élection fédérale historique qui vient tout juste de se tenir ou le nom du premier ministre de sa propre province, l'organisme qui tente de l'éduquer sur où, quand et comment voter a une tâche bien pénible. Élections Canada fait déjà beaucoup pour faire connaître les moyens de voter, comme l'expliquent en détail ses divers rapports postélectoraux. Quiconque veut savoir où, quand et comment voter peut facilement trouver l'information.
Deuxièmement, même si, d'une quelconque façon, on parvenait à faire savoir aux jeunes non-votants où, quand et comment voter, cela ne changerait aucunement le comportement de la plupart lorsqu'il s'agit de voter. La raison fondamentale pour laquelle de nombreux jeunes s'abstiennent de voter est qu'ils sont profondément déconnectés de la politique, ont peu de connaissances générales en la matière et s'y intéressent très peu. L'ignorance de la manière de voter est le symptôme de leur désengagement par rapport à la politique électorale; ce n'est pas la raison pour laquelle ils s'abstiennent de voter.
Je ne suis certainement pas en train de dire qu'Élections Canada doit diminuer ses efforts en vue d'informer le public de la manière de voter et de faciliter l'accès au vote pour les jeunes. Il s'agit d'une priorité constante pour l'organisme. Je fais simplement valoir que l'approche proposée aura probablement relativement peu d'incidence sur le taux de participation des jeunes Canadiens. Le problème du faible taux de participation des jeunes Canadiens est plus fondamental et requiert des efforts pour s'attaquer aux dimensions d'éducation et de motivation qui le sous-tendent.
Élections Canada a un rôle important à jouer dans ces efforts élargis. J'aimerais citer un rapport d'Élections Canada publié après les élections de 2011, où il est question du faible taux de participation des jeunes Canadiens :
Le directeur général des élections a appelé à un effort concerté de la part des parents, des enseignants, des jeunes, des politiciens et des médias pour donner aux jeunes Canadiens les outils dont ils ont besoin pour participer activement à la vie démocratique. Cela comprend l'appui à l'éducation civique pour mieux renseigner les jeunes sur la politique et la démocratie au Canada.
L'approche énoncée dans cette citation me semble exactement la bonne. Élections Canada ne doit pas et ne peut pas entreprendre des initiatives d'éducation et de motivation seul, mais il a un rôle vital à jouer pour sensibiliser au problème du faible taux de participation des jeunes, ainsi que pour encourager et faciliter des initiatives à grande portée menées par d'autres.
Si le projet de loi C-23 est adopté tel quel, Élections Canada se verra retiré ce rôle et personne ne dirigera les efforts en vue d'accroître la participation des jeunes au Canada. Ce serait une énorme perte et je crois que ce faisant, le gouvernement se désisterait de sa responsabilité de s'attaquer sérieusement au problème urgent du désengagement des jeunes Canadiens à l'égard de la politique.
Merci. Je répondrai volontiers à vos questions.
Le président : Merci, monsieur. Commençons par les questions du vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je souhaite la bienvenue aux deux témoins d'aujourd'hui. Vos exposés étaient très intéressants. Mme Beange approuve en général les changements proposés dans le projet de loi et estime qu'il s'agit d'un projet de loi judicieux, ce qu'elle a ensuite justifié. Pour sa part, M. Howe dit : « Attendez un peu. Vous retirez au directeur général des élections certains pouvoirs et cela découragera les efforts en vue d'améliorer le taux de participation des jeunes aux élections. »
Permettez-moi de poser une première question à Mme Beange : avez-vous quelque préoccupation que ce soit à l'égard des aspects du projet de loi dont vous avez parlé en général? Par exemple, vous avez parlé de la réglementation des finances. Certains diraient que les changements proposés dans le projet de loi avantageraient les riches, les influents et les gros intérêts politiques du jour et décourageraient la participation politique d'autres partis. Que pensez-vous de cette critique?
Mme Beange : Je ne crois pas que les preuves corroborent cela. Historiquement, si l'on examine les données à savoir qui contribue aux partis politiques, aux organismes de bienfaisances, et cetera, il s'agit d'un pourcentage relativement faible de la population. Il en a toujours été ainsi. Je crois qu'il est impossible de prétendre que les riches dominent le discours politique au Canada alors que la limite pour les contributions est aussi faible qu'elle l'est actuellement.
Par contre — et je ne dis absolument pas que nous devons aller dans cette direction —, si l'on examine les dons politiques personnels, le maximum est beaucoup plus élevé au Royaume-Uni, où il se situe dans les milliers de livres sterling. Il est loin d'être aussi faible que 1 200 $. Je ne crois donc pas que cela soit un facteur important.
Bien entendu, je suis d'accord avec le professeur Howe qu'il y a un désengagement de la part des jeunes, mais je ne suis pas convaincue que c'est dû à l'échec ou à la réussite d'Élections Canada. On observe la même tendance pour le taux de participation électorale des jeunes aux États-Unis et au Royaume-Uni. Dans les deux cas, l'éducation et la mobilisation des électeurs est la tâche des partis politiques, des fondations caritatives, des organismes à but non lucratif, et cetera. Le gouvernement n'a pas de rôle officiel au niveau fédéral. Il est difficile de dire que nous devons élargir le rôle d'Élections Canada en matière d'éducation des électeurs sans avoir de preuves comme quoi cela fonctionnait dans le passé. Je crois que nous nous opposons tous à des forces extérieures. Je résumerais en disant qu'il n'en tient pas qu'au gouvernement. Il doit y avoir de la place pour d'autres intervenants aussi afin d'encourager les jeunes et les autres intervenants.
Le sénateur Baker : J'aimerais demander au professeur Howe de réagir à ces observations, mais pour sauver du temps, je vais poser une autre question à laquelle vous pourriez peut-être répondre tous les deux.
Madame Beange, y a-t-il un autre sujet que vous aimeriez soulever relativement au projet de loi? J'imagine que vous avez une opinion sur la question du pouvoir d'obliger les gens à témoigner — vous hochez de la tête; je savais que vous auriez une opinion à cet égard — à savoir si le projet de loi atteint l'objectif. Les Canadiens sont tous préoccupés par la question des appels automatisés et le fait qu'Élections Canada a comparu devant le présent comité et déclaré ne rien pouvoir faire à moins que la Loi électorale ne soit modifiée pour habiliter le directeur général des élections à obliger les gens à témoigner, comme y sont habilités de nombreuses autres titulaires de postes d'autorité similaire. J'aimerais que vous vous exprimiez là-dessus, professeure Beange, puis que le professeur Howe fasse de même en plus de réagir à vos observations précédentes.
Mme Beange : Premièrement, je ne suis pas juriste...
Le sénateur Baker : Vous détenez un doctorat.
Mme Beange : Oui, mais je ne suis pas avocate. J'ai longuement réfléchi à la question.
Honnêtement, je suis partagée sur ce point. Je comprends clairement que les Canadiens ne veulent pas d'appels automatisés ou quelque autre tromperie du genre. Cela ne fait aucun doute. Toutefois, je ne suis pas certaine que le directeur général des élections doive lui-même avoir le pouvoir d'obliger les gens à témoigner ni que le processus de recours normal prévu à l'heure actuelle soit insuffisant. Je ne suis pas entièrement convaincue.
Le sénateur Baker : Professeur Howe, vos observations sur les deux sujets, je vous prie.
M. Howe : En ce qui a trait à la première question, qui portait sur la réglementation des finances politiques, j'ai déjà abordé le sujet dans ma présentation au comité de la Chambre des communes. Je venais tout juste d'effectuer une étude avec certains de mes étudiants à l'UNB, qui sera publiée prochainement, au sujet des finances politiques. Plus précisément, nous avons examiné la mesure dans laquelle les Canadiens les plus nantis dominent le système des finances politiques. Nous avons consulté les données publiques qui existent sur les particuliers qui donnent plus de 200 $ à un parti politique. Nous avons constaté que, alors que ces personnes forment le quart de l'ensemble des donateurs au Canada, leurs contributions représentent environ les deux tiers des sommes données, ce qui n'est pas surprenant.
Nous avons été plus loin et trouvé des renseignements sur les quartiers où ces gens habitent, ce qu'il est possible de faire parce que le code postal des donateurs est fourni. Nous avons constaté qu'environ quatre fois plus de gens vivant dans des quartiers relativement riches, situés dans les 20 p. 100 supérieurs au chapitre du revenu des ménages, font un don supérieur à 200 $ que de gens situés au bas de l'échelle, c'est-à-dire dans les 20 p. 100 inférieurs; un ratio d'environ quatre pour un.
Notre conclusion est que les Canadiens relativement riches dominent considérablement notre système actuel de contributions politiques. Il n'est donc pas judicieux d'augmenter à 1 500 $ la limite des contributions, car cela ne fera qu'exacerber ce problème. Nous concluons qu'il faudrait plutôt réduire ce montant.
Le Québec a déjà débattu de la question et a réduit la contribution maximale à 100 $ par année. Un tel système créerait une formule de contribution politique plus égalitaire que celle que nous avons en ce moment, laquelle, comme je l'ai dit, est dominée par les plus nantis.
En ce qui a trait à ce que font les autres pays pour favoriser la participation des jeunes au processus électoral, ainsi que les raisons plus générales du déclin de la participation, je suis certainement d'accord pour dire que les causes de ce phénomène sont, de façon générale, de nature culturelle. Elles ne résultent pas d'une quelconque action du gouvernement. Et contrairement à certains, je ne blâme même pas tant que ça les partis politiques de désintéresser les électeurs.
Néanmoins, cette tendance est réelle, et nous avons effectivement un très faible taux de participation. Je doute que le problème se règle par lui-même. Je ne crois pas que nous puissions nous attendre à ce que la société civile, en quelque sorte, s'occupe spontanément du problème. J'estime sincèrement que le gouvernement doit diriger les efforts en vue de le résoudre. En particulier, je crois que l'organisme indépendant qui encadre notre processus électoral est l'entité toute désignée pour faire cela, pour diriger les démarches en vue de sensibiliser au problème, ainsi que pour encourager et catalyser les efforts de la société civile en vue d'améliorer les choses.
Je ferai également remarquer que, au Royaume-Uni, la commission électorale a beaucoup travaillé sur cet aspect, notamment en effectuant des études et en parrainant les démarches entreprises par des groupes de la société civile. Un projet très similaire au projet Vote étudiant que nous avons ici a été réalisé au Royaume-Uni. Des efforts incroyables ont été déployés là-bas. On y prend la question très au sérieux.
Le président : Professeur, je suis navré; je dois vous interrompre. Beaucoup de membres aimeraient poser des questions, et j'invite les témoins à faire de leur mieux pour que chacun ait la chance de participer. J'espère que vous garderez cela à l'esprit dans vos réponses. Nous passons maintenant à la sénatrice Frum.
La sénatrice Frum : Je remercie les deux témoins de leur excellent exposé.
J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit dans votre présentation, comme quoi vous appuyez les mesures proposées dans le projet de loi C-23, en particulier la séparation du rôle du directeur général des élections de celui du commissaire aux élections. Ce que je retiens de vos propos est que cela donnera une véritable indépendance au commissaire, qui est l'enquêteur, contrairement à ce que nous avons à l'heure actuelle, que vous appelez un système de reddition de comptes embrouillé. Pourriez-vous développer? L'ancienne vérificatrice générale, qui a comparu devant le comité, estime que le système de reddition de comptes central fonctionne de manière tout à fait satisfaisante. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous croyez qu'il s'agit d'une amélioration du système de reddition de comptes?
Mme Beange : Je crois qu'il s'agit d'une amélioration pour les raisons suivantes. La première n'est pas une critique à l'égard de M. Mayrand, mais simplement une observation sur le poste de directeur général des élections.
Le poste de directeur général des élections est en place depuis 1920. Par conséquent, une énorme conviction morale et pression morale veut que l'on adhère à tout ce que dit le directeur général des élections. Je crois que, dans une certaine mesure, cela désavantage les partis politiques lorsqu'il y a litige ou contestation à l'égard des limites d'Élections Canada pour ce qui est d'enquêter sur des infractions ou des allégations d'infractions.
Par exemple, et je renvoie une fois de plus à la même audience, le juge Martineau a dû réprimander à la fois Élections Canada et le Parti conservateur pour avoir adopté une position qu'il qualifie d'extrême dans cette affaire. J'estime que déménager le commissaire aux élections fédérales et l'application de la réglementation sur les finances des partis dans une sphère distincte éliminera toute implication partisane possible ou toute influence abusive potentielle.
La sénatrice Frum : Puis-je vous demander quelle est votre opinion à l'égard des dispositions visant à augmenter à 1 500 $ la limite des contributions permises? Trouvez-vous cela raisonnable?
Mme Beange : Premièrement, il faut examiner les deux nations comparables. Par exemple, une comparaison avec la Zambie, l'Indonésie ou la Corée du Sud n'est pas valable, car ces démocraties ne sont pas comparables à la nôtre du point de vue de la longévité et de la stabilité. C'est le premier point que je voulais souligner.
Deuxièmement, 1 500 $ est une somme relativement faible par rapport au revenu des Canadiens.
Troisièmement, les contributions augmentent avec le revenu. Si l'on a un revenu fixe, le premier don que l'on est porté à faire n'est habituellement pas un don à un parti politique. Aussi, les contributions politiques suivent généralement la courbe des dons de bienfaisance. Ainsi, les dons de bienfaisance des Canadiens sont inférieurs à ceux des Américains tant en terme de pourcentage de la population que de dollars absolus. Il en est de même pour les contributions politiques. Je crois qu'il est très important de garder cela à l'esprit.
Et finalement, le Québec a peut-être une limite de 100 $, mais il vit une grave crise de financement des partis, comme en témoigne la commission Charbonneau dont les travaux sont toujours en cours. Je ne suis donc pas convaincue que ce soit un bon exemple à suivre.
La sénatrice Frum : J'aimerais également connaître votre opinion sur la question des dons par l'entremise d'un tiers. Le projet de loi tente de faire en sorte que seuls les tiers ayant un lien avec le Canada puissent faire une contribution. Croyez-vous que ce soit une mesure applicable? D'abord, est-ce important, selon vous, d'empêcher les fonds étrangers d'influer sur les élections? Est-ce possible d'appliquer une telle mesure?
Mme Beange : Permettez-moi de répondre d'abord à la deuxième question. Je crois qu'il est possible d'appliquer une telle mesure. Premièrement, nous faisons respecter l'interdiction aux ressortissants étrangers de faire un don à un parti politique, par exemple. Si l'on peut appliquer une telle mesure, il ne devrait pas être difficile d'appliquer une réglementation en matière de don par l'entremise d'un tiers pour les donateurs étrangers ou les activités à l'étranger. Deuxièmement, nous contrôlons de très près les dons effectués par l'entremise d'un tiers depuis de nombreuses années.
Personnellement, je crois qu'il y a place à davantage de dons par l'entremise d'un tiers et un rôle ou une intervention accru de la part des tiers car ils apportent souvent de nouvelles perspectives et de nouvelles initiatives que les partis ne prennent peut-être pas d'eux-mêmes. Ce ne devrait pas être illimité, loin de là, mais la somme actuelle, qui est de plus ou moins 150 000 $, selon l'inflation, n'est pas très élevée pour rejoindre les nombreux électeurs canadiens. La limite imposée par association de circonscription est très basse quand on pense que de nombreuses circonscriptions comptent près de 100 000 électeurs.
Le sénateur Joyal : J'aimerais poser une question à M. Howe concernant le financement des partis. Le projet de loi renferme une disposition autorisant un parti à solliciter les anciens donateurs sans que les dépenses de cette initiative ne comptent pour la campagne électorale. Que pensez-vous de cette proposition?
M. Howe : Je suis d'accord avec certaines critiques que nous entendons au sujet de cette disposition comme quoi il serait difficile de séparer l'aspect financement de l'aspect campagne possiblement en cause.
Certes, on peut voir l'importante occasion de financement que cela pourrait représenter pour les partis qui disposent de fonds supplémentaires considérables à consacrer à cette cause, car ils pourraient certainement recueillir de très grosses sommes d'argent pendant les campagnes. On peut voir ce qui motive la proposition d'une telle mesure. Toutefois, je ne crois pas que la disposition soit raisonnable.
Le sénateur Joyal : Croyez-vous que la limite de contribution à un parti prévue dans la loi est suffisamment élevée, est trop faible ou pourrait être augmentée sans compromettre l'objectif d'équilibre que le système tente de réaliser?
M. Howe : Vous voulez parler de la contribution maximale proposée de 1 500 $?
Le sénateur Joyal : Oui. J'ai entendu vos observations sur la nouvelle loi au Québec qui limite les contributions à 100 $. Il semble qu'entre 1 500 $ et 100 $, la marge est grande pour permettre aux citoyens individuels de contribuer à une cause qui, selon eux, a une grande valeur sociale.
M. Howe : C'est vrai. Toutefois, une personne peut avoir un point de vue bien senti qu'elle souhaite manifester en donnant de l'argent, mais une grande partie de sa capacité à le faire est déterminée par son niveau de revenu. Pour une personne qui gagne 30 000 $ par année, il est impensable de donner 1 500 $ à un parti politique; elle donnera peut-être 20 $, voire 30 $. Une limite de 100 $ est beaucoup plus raisonnable. Beaucoup de gens peuvent exprimer leur point de vue en donnant de l'argent, mais les règles du jeu sont plus équitables si chacun est limité à un maximum de 100 $.
Nous avions un système, que l'on élimine progressivement, qui prévoyait une subvention pour chaque vote récolté aux élections fédérales. Ce système était beaucoup plus équitable en ce sens que chaque électeur contribuait au parti politique de son choix par l'entremise de son vote. Quel que soit son revenu, chacun faisait une contribution identique. Maintenant que cette partie du système est progressivement éliminée, nous devons examiner l'aspect contribution et s'interroger à savoir s'il ne comporte pas, peut-être, des inégalités en raison du fait que les Canadiens les plus nantis dominent considérablement le système.
Le sénateur McIntyre : Merci, madame Beange, de votre exposé. Dans votre rapport, vous mentionnez que le directeur général des élections du Canada conservera non seulement son mandat de longue durée mais aussi d'autres pouvoirs, tels que la présidence du comité consultatif des partis politiques. Ce comité est actif depuis plusieurs années; depuis 1977, si je ne m'abuse. Il se réunit une fois par année et est composé du directeur général des élections du Canada et de deux représentants de chacun des partis politiques. Le comité a pour mandat de s'assurer que la gestion de la loi électorale tient compte des points de vue des partis représentés.
Le projet de loi C-23 pourrait instaurer ce comité de façon permanente. Toutefois, je signale qu'en vertu du projet de loi C-23, les conseils et les recommandations du comité n'auraient pas force exécutoire sur le directeur général des élections; Élections Canada aurait le dernier mot.
À la lumière du fait que les conseils du comité n'ont pas force exécutoire, estimez-vous nécessaire de créer un tel comité de façon permanente ou devrions-nous garder les choses comme elles le sont? Quelle est votre opinion à cet égard?
Mme Beange : Voilà un point auquel je ne me suis pas vraiment attardée. D'abord, qui préside le comité gouverne le bateau, n'est-ce pas?
Le sénateur McIntyre : Bien dit.
Mme Beange : Ce que je veux dire, c'est que le directeur général des élections, le titulaire du poste et non la personne, conserve le pouvoir. Dans un cas comme dans l'autre, soit la situation actuelle ou la situation proposée, je ne crois pas que je conseillerais que de tels changements soient obligatoires. J'hésite un peu à rendre ce genre de comportement obligatoire, alors je recommande que ce soit facultatif.
Le sénateur McIntyre : Il ne fait aucun doute que le comité est une mesure de protection pour l'administration indépendante des élections.
Mme Beange : Absolument.
Le sénateur McIntyre : Vous en convenez.
Mme Beange : Oui.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Howe, voudriez-vous ajouter quelque chose?
M. Howe : Non, pas sur ce point. Je ne m'y connais pas très bien dans ce domaine.
Le sénateur Moore : Madame Beange, dans votre déclaration, vous avez dit :
La fonction de directeur général des élections du Canada est probablement la plus influente de toute la fonction publique canadienne; toute déclaration de la part de son titulaire a énormément de poids.
Un jeune homme qui a comparu devant le comité aujourd'hui, M. Taylor Gunn, a dit que la loi en vigueur habilite le directeur général des élections à instaurer des programmes d'éducation et d'information du public pour mieux faire connaître le processus électoral au public. Peut-être pourriez-vous répondre tous les deux. Monsieur Howe, vous avez parlé de la nécessité d'éduquer et de mieux faire connaître le processus auprès des jeunes. Est-ce que l'un ou l'autre d'entre vous aimerait s'exprimer sur la question à savoir si le directeur général des élections doit maintenir son pouvoir et son mandat d'éduquer les jeunes et l'ensemble de la population à propos du processus et de l'importance de participer et d'exercer son droit de vote?
Mme Beange : J'aimerais dire un mot là-dessus. Évidemment, le directeur général des élections utilise le mot « éducation » pour parler de l'endroit où voter et d'autres choses de ce genre. C'est très important. Or, je ne parlerais pas d'« éducation des électeurs » dans ces cas-là. Je ne veux pas couper les cheveux en quatre, mais je pense qu'on devrait plutôt parler d'« éducation sur les élections ». L'éducation des électeurs peut être l'affaire des partis politiques et des organismes à but non lucratif. Je ne crois pas que le directeur général des élections devrait être un « champion » à ce sujet. Malheureusement, et je regrette de devoir le dire, tous les programmes lancés jusqu'à maintenant n'ont pas donné grand-chose. Je me demande si les résultats donnent à penser qu'il y a lieu de continuer. Le temps est peut-être venu de réévaluer la situation, d'essayer un nouveau système pour cinq ans et de réévaluer après ces cinq ans pour voir ce que cela aura donné. Malheureusement, les résultats ne sont tout simplement pas là.
Dans mes cours à l'université, quand je demande aux étudiants pourquoi ils ne votent pas, ils répondent d'abord que cela ne les intéresse pas. À bien y penser, cette réponse est une version plus acceptable socialement que « je me sentais paresseux », ce qu'ils finissent par avouer.
Puis, je leur pose une deuxième question. Quand je regarde les statistiques, je constate qu'il y a au moins 30 p. 100 de jeunes de plus qui vont voter d'ici à ce qu'ils aient 29 ans. Qu'est-ce qui va les amener à voter d'ici là? Ils répondent tous « un vrai emploi ».
Je ne suis pas sûre que les efforts du gouvernement et de l'État pour augmenter le taux de participation aux élections vont donner les résultats que nous espérons. Il est peut-être temps d'essayer autre chose étant donné que c'est Élections Canada qui s'en charge depuis un certain temps.
Le sénateur Moore : Vous ne croyez donc pas que les efforts de M. Gunn et de l'organisme CIVIX ont donné de bons résultats et qu'ils valent la peine d'être poursuivis.
Mme Beange : C'est précisément le genre d'initiatives qui valent la peine d'être essayées. Il y en a de semblables au Canada. Aux États-Unis, il y a beaucoup d'organisations de la société civile dédiées, entre autres, à l'éducation des électeurs. Un des problèmes au Canada est qu'il y a très peu d'enseignement sur la participation citoyenne au niveau secondaire. J'ai constaté dans mes recherches sur le vote des étudiants de niveau universitaire que l'enseignement reçu à l'école secondaire sur la participation citoyenne avait un effet de quelques points de pourcentage sur le taux de participation électorale des jeunes. Règle générale, et je crois que vous avez entendu la même chose hier, le vote des jeunes dépend souvent de l'influence parentale et des discussions pendant les soupers de famille. C'est le facteur prépondérant et cela a été démontré à maintes reprises.
Le sénateur Moore : Je croyais que l'apport d'Élections Canada dont il a parlé en ce qui a trait au financement et à la publication de documents authentiques afin que les jeunes aient l'impression de participer à des élections en bonne et due forme était important, mais vous ne croyez pas que cela doit continuer.
Mme Beange : C'est important, mais je ne suis pas certaine que les montants qui y sont consacrés, que je ne connais pas avec précision, devraient nécessairement servir à cela.
M. Howe : Je suis de l'avis complètement inverse. Je crois que ces initiatives jouent un très grand rôle dans le volet éducation. Je ne dis pas qu'Élections Canada devrait absolument s'en charger directement. Le projet Student Vote est un exemple de participation indirecte. Élections Canada fournit le financement, et le programme est géré par un groupe indépendant.
Il est très difficile d'évaluer l'impact du projet Student Vote; je crois que Taylor Gunn y a fait allusion. Ce que nous constatons depuis une dizaine d'années, c'est une stagnation du vote des jeunes, qui avait fortement décliné pendant un bon nombre d'années auparavant.
Je dirais également que certaines forces ont eu un effet négatif sur le taux de participation aux élections depuis une dizaine d'années. Le climat politique a été pour le moins acrimonieux et nous avons vu beaucoup de publicités négatives, ce qui a tendance à faire baisser le taux de participation. Il y a donc des facteurs qui affectent le taux de participation, mais nous avons réussi à au moins stabiliser la situation.
Je ne crois pas qu'il y aura autant d'initiatives de ce genre s'il n'y a pas une organisation qui trace la voie, qui attire l'attention du public sur le faible taux de participation électorale des jeunes Canadiens et qui incite divers groupes et organismes, y compris les parents, à s'employer à changer les choses. Élections Canada peut promouvoir auprès des parents l'idée qu'il est important de faire participer leurs enfants. Je peux imaginer une campagne du genre : « Votre enfant vient d'avoir 18 ans — pourquoi ne pas l'emmener voter? »
Bien des parents le font d'eux-mêmes, mais je ne pense pas qu'il serait nuisible que l'organisme chargé des élections mette cette idée de l'avant. Cela pourrait être très bénéfique.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à monsieur Howe. Je comprends que, pour vous, le directeur général des élections joue un rôle primordial concernant l'aide apportée aux électeurs et la transmission de l'information.
Si je vous disais que le nouveau projet de loi va être davantage axé sur le travail du directeur général des élections en ce qui a trait à ses pouvoirs administratifs, c'est-à-dire davantage axé sur les services aux clients, et séparé de son pouvoir d'enquête? Seriez-vous d'accord pour dire que cela pourrait être bénéfique pour ceux qui vont s'occuper des élections et pour les électeurs? Vous seriez d'accord avec cela?
[Traduction]
M. Howe : À l'heure actuelle, Élections Canada axe énormément ses efforts sur la gestion des élections et sur tout le côté administratif. Je n'approuve donc pas le fait que ce projet de loi propose de fortement limiter son rôle en ce qui concerne la communication avec le public. Élections Canada va continuer à se concentrer là-dessus d'abord et avant tout, mais son mandat comporte aussi un volet qui consiste à renseigner au sens large la population, ce qui est très important.
Je ne crois donc pas qu'il faudrait limiter le rôle d'Élections Canada au volet administratif des élections.
[Français]
Le sénateur Dagenais : On ne limite pas son mandat, mais on peut lui enlever la tâche d'un pouvoir d'enquête; on donnerait cette tâche au commissaire. Le directeur général des élections pourrait axer son travail davantage sur un pouvoir de services administratifs offerts aux électeurs, et le pouvoir d'enquête serait confié au commissaire aux élections. On ne lui enlève donc pas de pouvoir, mais on concentre son travail sur un travail administratif centré sur le service à la clientèle. Vous ne croyez pas que ce serait mieux?
[Traduction]
M. Howe : Je n'avais pas compris que vous vouliez parler des pouvoirs d'enquête qui seront retirés à Élections Canada. Sur cet aspect, je ne suis pas aussi catégorique. J'ai écouté les différentes opinions qui ont été formulées. Je n'ai pas autant d'expérience dans ce domaine, et je ne pense donc pas pouvoir offrir autant d'information ou donner un point de vue aussi éclairé sur ces changements en particulier.
Je m'intéresse surtout au volet du mandat d'Élections Canada qui concerne l'éducation et les communications et à l'ampleur que ce volet devrait avoir.
La sénatrice Batters : Madame Beange, il y a quelques heures à peine — peut-être pendant que vous étiez en route ou en pleine préparation de votre témoignage —, le chef du Parti libéral, Justin Trudeau, a annoncé qu'il annulerait la Loi sur l'intégrité des élections s'il devait former le prochain gouvernement. Il n'éliminerait pas seulement les éléments controversés du projet de loi, mais également la solution au problème des appels automatisés tel qu'indiqué par Jean- Pierre Kingsley, les 38 recommandations du directeur général des élections et toutes les autres mesures qui, comme vous nous l'avez dit aujourd'hui, sont très bien accueillies.
Je vous remercie pour le point de vue que vous nous avez donné aujourd'hui. J'aimerais répéter le dernier paragraphe du texte que vous nous avez lu aujourd'hui :
[...] la démocratie canadienne est protégée par un solide réseau d'institutions, et non un seul bureau, et sera renforcée et non affaiblie par la restructuration proposée.
Le passage à propos du fait que « la démocratie canadienne est protégée par un solide réseau d'institutions » m'a rappelé que le Sénat fait partie de ces institutions solides. Je voulais seulement le souligner.
J'ai aussi aimé vous entendre dire ce qui suit à propos du poste de directeur général des élections :
Le Canada a toujours eu des directeurs généraux des élections compétents et dévoués, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'ils ont toujours raison.
Je trouve que c'était très bien dit. Vous avez bien exprimé le fait qu'il n'est pas nécessairement question du titulaire du poste, mais qu'il s'agit d'un rôle extrêmement influent et que nous devons être sûrs des pouvoirs que nous lui confions.
Monsieur Howe, en réponse aux questions sur le financement des partis politiques posées par le sénateur Baker, vous avez cité une étude que j'ai trouvée intéressante. J'aurais aimé savoir quels auraient été les résultats de l'étude si celle-ci avait examiné la situation avant que notre gouvernement ne ramène les limites de dons de 5 000 $ à 1 000 $ dans un premier temps, je crois, avant de les hausser légèrement. Et avant que le gouvernement libéral n'impose cette limite de 5 000 $, le plafond était évidemment bien plus élevé.
Que pensez-vous des limites actuelles par rapport à ce qu'elles étaient avant? Nous avons entendu un témoignage l'autre jour, de Jean-Pierre Kingsley si je me souviens bien, selon lequel nos limites de dons aux partis politiques sont les meilleures du monde. L'étude que vous avez citée aurait certainement montré des concentrations beaucoup plus fortes si les limites étaient aussi élevées de nos jours qu'elles ne l'étaient auparavant au Canada.
M. Howe : Oui, je l'admets volontiers. Passer des dons illimités à une limite de 5 000 $ puis continuer de réduire cette limite est certainement la voie à suivre.
Cela dit, à ce que je sache, aucune étude ne s'est vraiment penchée sur l'identité des donateurs des partis politiques, en s'intéressant particulièrement au montant des dons qu'ils peuvent faire. Je crois donc que cette étude est la première qui montre que les dons plus importants viennent dans une très large mesure des Canadiens les plus nantis. Évidemment, ce n'est pas un résultat étonnant; on s'y serait attendu. Néanmoins, nous avons pu le vérifier de manière empirique.
Je suis entièrement de votre avis, sauf que je pense que nous allions dans la bonne direction et que nous devrions continuer ainsi afin de donner une chance égale à tous.
La sénatrice Batters : Là où je ne suis pas d'accord avec vous, c'est au sujet du plafond de 100 $ accompagné d'un financement en fonction du nombre de votes reçus. J'imagine que nous avons deux visions opposées à ce sujet, car je préfère que les électeurs canadiens choisissent quel parti politique reçoit de l'argent au lieu que tous les contribuables subventionnent tous les partis. Ce sont deux idéologies différentes.
Monsieur Howe, vous avez parlé du rôle d'Élections Canada qui consiste à inciter les jeunes à voter, mais vous avez concédé plus tard que ses efforts à cet égard pourraient être plus efficaces si Élections Canada utilisait des méthodes indirectes plutôt que des initiatives directes de motivation. Même si Élections Canada a déployé des efforts considérables pour motiver les jeunes et les électeurs en général, le pourcentage de participation aux élections a beaucoup décliné. Que pensez-vous de l'idée de laisser aux partis politiques la tâche d'inciter les jeunes et tous les autres électeurs à aller voter?
M. Howe : Je suis d'accord avec vous sur le fait que les partis politiques ont un rôle à jouer à cet égard. Je dirais que les électeurs qui ont certaines connaissances de base en politique, qui comprennent le système et qui s'y intéressent un tant soit peu peuvent être mobilisés par le message d'un parti. Ces électeurs-là pourraient décider qu'ils vont aller voter parce qu'ils aiment tel ou tel parti.
Le problème, c'est que bon nombre de jeunes électeurs n'ont pas ces connaissances de base ou cet intérêt, ce qui fait que les messages des partis politiques ne les rejoignent pas du tout. Ils n'en entendent même pas parler, ou s'ils en entendent parler, ils ne comprennent pas ce que signifie la promesse du parti A de faire ceci ou l'idéologie du parti B dans un certain domaine. Ils n'y comprennent rien, pour être franc. Ils ne peuvent donc pas vraiment être mobilisés par un parti politique tant et aussi longtemps qu'ils n'acquièrent pas des connaissances ou un intérêt de base. C'est là qu'entre en jeu l'éducation citoyenne, qui est principalement la responsabilité des écoles.
Comme je l'ai déjà expliqué, Élections Canada peut contribuer à ce processus par l'entremise de programmes expérimentaux d'éducation citoyenne tels que Student Vote. C'est un processus à deux volets. Je conviens toutefois que les partis peuvent motiver les électeurs qui s'intéressent à la politique et se tiennent au courant.
Mme Beange : Avec tout le respect que je lui dois, M. Howe présume que l'intérêt pour la politique mène généralement à l'engagement au sein d'un parti politique. Je dirais que bon nombre d'études montrent que c'est tout le contraire; une fois qu'une personne devient membre d'un parti politique, habituellement à la suite d'une invitation personnelle, cette personne se met à voter assidûment. Il y a donc deux écoles de pensées à ce sujet.
Le président : D'accord, merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie beaucoup pour votre présentation, monsieur Howe.
Je vais essayer d'interpréter votre mémoire. Je pense que vous campez très bien la distinction entre le « où voter », le « quand voter » et le « comment voter » par rapport à la votation et pour qui voter. Il y a une notion d'information objective, l'endroit et la journée où se déroule le vote, alors que l'information « pour qui voter » est une information subjective. On fait un choix entre un, deux ou trois partis.
Dois-je comprendre de votre mémoire que la notion de « pour qui voter » pourrait faire partie du mandat d'Élections Canada?
Parce que comme vous le dites, le problème n'est pas pour les jeunes de savoir où aller voter, mais c'est simplement d'aller voter. On sait que la notion de « aller voter » est toujours liée au niveau de politisation. Plus on est politisé, plus on est motivé à aller voter.
Si on donne le mandat à Élections Canada de motiver les jeunes à aller voter, n'y aurait-il pas un danger de politiser Élections Canada?
[Traduction]
M. Howe : Dit comme vous venez de le dire, on peut penser qu'il pourrait s'agir d'un problème potentiel. Ce que je voulais dire, c'est qu'il faudrait mettre davantage l'accent sur le volet éducation. J'ajouterais qu'on peut bien parler d'apport de connaissances sur la politique, mais tout cela va de pair. Il est impossible de ne pas générer un certain intérêt pour la politique. Quand les gens commencent à connaître un sujet, ils s'y intéressent. Je parle d'un intérêt pour la politique dans son sens le plus large, c'est-à-dire simplement être au courant de ce qui se passe au pays, de ce que représentent les différents partis et de tout ce que ce processus signifie. C'est de ce genre d'intérêt que je parle, pas de l'attachement politique à un parti ou à un autre.
Je verrais donc Élections Canada jouer un rôle dans un processus plus large qui mènerait d'une part à l'apport de connaissances sur la politique, mais aussi d'autre part à la création d'un intérêt général pour la politique chez les jeunes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : C'est exactement la question que je vous pose. Si on amène Élections Canada à présenter aux jeunes les programmes des partis politiques, par exemple, n'y a-t-il pas alors un danger de politiser Élections Canada?
Quand on présente un programme politique à un jeune, on fait « de la politique ». Donc, on est dans l'interprétation. Et le danger, c'est qu'Élections Canada devienne un organisme politique.
[Traduction]
M. Howe : Je crois qu'on m'a mal compris. Je ne dis pas qu'Élections Canada devrait expliquer directement aux étudiants le contenu des programmes électoraux des partis. Je parle plutôt des mesures qu'il prend déjà, qui sont assez neutres et objectives, à mon avis. Par exemple, Élections Canada fournit aux écoles de l'information sur le fonctionnement des élections et d'autres choses du genre. Il appuie l'initiative Student Vote en organisant des élections simulées, mais il ne participe pas directement aux activités qui se déroulent dans les écoles.
C'est de ce genre de choses que je voulais parler. Je ne dis pas qu'Élections Canada devrait expliquer aux jeunes les programmes des différents partis.
Le sénateur Baker : J'aimerais donner à M. Howe l'occasion de répondre à une question que j'avais déjà posée et à laquelle un témoin ici présent a répondu. Je me souviens d'un livre intitulé Judicial Power and Canadian Democracy. Cela vous dit quelque chose? Parmi les auteurs se trouve un certain Paul Howe. Je suis surpris de vous voir hésiter à parler de l'idée d'intenter des poursuites en vertu de la Loi électorale du Canada.
Je vous félicite pour cet ouvrage, en passant. Vous devez l'avoir écrit quand vous aviez 10 ans, puisqu'il a été publié en 1999 ou en 2000.
Laissez-moi vous poser une question sur la capacité du commissaire à obliger des témoins à comparaître. Notre comité a entendu des témoignages catégoriques selon lesquels cette mesure est essentielle pour régler en toute justice le scandale des appels automatisés ainsi que d'autres scandales qui pourraient survenir ultérieurement. Que pensez-vous à ce sujet?
M. Howe : Je m'étonne que vous vous souveniez de ce livre. Permettez-moi de prendre un instant pour vous en dire un peu plus à mon sujet, et pas nécessairement sur le plan de la politique judiciaire. J'ai dirigé la publication de ce livre en collaboration avec Peter Russell, un chercheur canadien émérite en science politique parmi les plus respectés.
Or, ce n'est pas vraiment ma spécialité, qui va plutôt dans le sens de la participation politique et la participation électorale des jeunes. Cela dit, j'ai écouté les témoins qui estiment qu'il est capital de conférer ce pouvoir au commissaire. Leur raisonnement et leur argumentaire m'ont convaincu. Je crois que, au bout du compte, lorsque des problèmes de ce genre ont le potentiel de miner la confiance de la population envers le processus électoral, il faut pouvoir enquêter sur chaque affaire en profondeur, avec efficacité et rapidement, de manière à ce que le processus demeure digne de confiance.
Je conviens donc qu'il faut pouvoir obliger des témoins à comparaître.
Le sénateur Moore : Je veux faire suite à la question du sénateur Baker.
Professeure Beange, vous dites être favorable au partage des pouvoirs et à ce que le commissaire aux élections fédérales agisse comme organisme d'enquête. Je prends acte au passage de votre commentaire sur le fait que le dévouement de nos commissaires aux élections fédérales ne s'est jamais démenti, mais que cela ne signifie pas nécessairement qu'ils ont systématiquement raison. C'est peut-être le cas pour le commissaire actuel, surtout ces derniers temps, à en croire ses observations récentes sur l'importante question de l'obligation de comparaître et sur les appels automatisés, passés et futurs, si cette méthode est de nouveau employée.
Aux termes du projet de loi, le commissaire aux élections fédérales n'a pas le pouvoir d'obliger quiconque à témoigner. Les dossiers ne sont conservés que pendant un an et ne comprennent pas chaque numéro de téléphone composé, ce qui m'apparaît pourtant fondamental. Étant donné ces entraves ou ces lacunes dans ses pouvoirs, je ne vois pas comment le commissaire pourrait s'acquitter de ses fonctions.
Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Je vous pose la question à tous les deux, car c'est un point très important. Nous avons entendu le juge Mosley par le passé. Selon lui, une fraude a bel et bien été commise, mais elle n'est pas assez grave pour qu'on invalide le résultat du scrutin. Il n'en reste pas moins qu'une fraude a été commise, justement pour cette raison. J'aimerais avoir vos commentaires à tous les deux à ce sujet.
Mme Beange : Bien sûr. J'aimerais toutefois séparer les deux éléments. On peut scinder le Bureau du commissaire aux élections fédérales, mais on peut aussi lui conférer davantage de pouvoirs, notamment en ce qui concerne la tenue de dossiers, les numéros de téléphone et ainsi de suite, ce qui, comme vous le dites, est tout à fait logique. Je ne crois pas que les deux éléments soient nécessairement indissociables. On peut les séparer et déplacer le commissaire aux élections fédérales ailleurs en lui conférant certains pouvoirs qu'il lui faut pour qu'il remplisse ses fonctions. Il n'est pas nécessaire de le laisser sous l'autorité du directeur général des élections. J'estime donc qu'il s'agit de deux éléments relativement distincts.
Le sénateur Moore : Peut-être.
Mme Beange : Serait-ce possible?
Le sénateur Moore : Peut-être que oui, mais je crois que le commissaire devrait jouir des pouvoirs. C'est absolument fondamental. On ne peut pas attendre que l'histoire se répète. La situation s'est déjà produite. Nous savons ce qui s'est passé. Nous savons que nous pouvons mettre le holà à tout cela. Pourquoi ne pas inscrire ces balises dans le projet de loi?
Mme Beange : Peut-être que je comprends mal, mais j'ai l'impression qu'un tribunal peut m'assigner à comparaître, me sommer de soumettre mes dossiers et ainsi de suite. Je ne vois pas vraiment quelle est l'importance de le faire avant l'ouverture des procédures. Je simplifie peut-être à outrance, mais je ne vois pas trop en quoi c'est essentiel.
Le sénateur Moore : Vous ne croyez pas que le commissaire aux...
Mme Beange : Je l'ignore.
Le sénateur Moore : Vous l'ignorez.
Mme Beange : Parce que je sais qu'un tribunal peut bel et bien me sommer de lui soumettre mes dossiers et bien d'autres choses.
Le sénateur Moore : Je le sais. Oui, dans le cadre normal des procédures, c'est exact.
Mme Beange : Je ne vois pas trop en quoi il s'agirait de procédures inhabituelles. Si quelqu'un connaît la réponse, j'aimerais qu'il me le dise. Personnellement, je n'ai rien lu qui va dans ce sens.
Le sénateur Moore : Vous devriez vraiment y réfléchir, car c'est plutôt important.
Professeur Howe?
M. Howe : Pour moi, l'épreuve décisive consisterait à étudier ce qui s'est passé en 2011 de manière à définir un système qui permettrait simplement au commissaire aux élections fédérales de tirer ce genre de situation au clair. C'est ce qui devrait guider l'analyse du projet de loi. Je ne suis pas expert de ces choses-là en particulier, mais ce serait pour moi l'épreuve décisive. Nous avons entendu ce que pensent les experts, les gens qui gèrent et qui mènent les enquêtes de cet ordre. Ils estiment que ces pouvoirs sont nécessaires, voire essentiels, pour mener les choses à bon terme, alors j'adhère à leur point de vue.
Le sénateur Joyal : Professeure Beange, je veux revenir à l'idée qui sous-tend votre mémoire de deux pages et demie. Selon ce que je comprends, vous comparez les modèles canadien, britannique et étatsunien en disant : « Oh, le statut du directeur général des élections n'est pas le même au Canada que dans ces deux pays, alors il faudrait l'harmoniser. » Il existe une expression qui me semble très bien décrire la situation. Étant donné les règles actuelles en matière de protection des animaux, il n'est plus de bon ton de l'employer en public, mais je vais malgré tout m'y risquer : il y a plus d'une façon de plumer un canard.
Mme Beange : Tout à fait.
Le sénateur Joyal : Il y a aussi plus d'une façon d'oeuvrer pour la démocratie. Comme vous l'avez dit, pour protéger sa démocratie, le Royaume-Uni s'est doté de règles qui n'existent pas au Canada, et il existe aux États-Unis des règles que je ne voudrais absolument pas importer au Canada. Déjà là, il y a des milliers d'exemples. Je ne crois pas qu'on puisse dire : « Ce modèle est parfait. Adoptons-le, car deux pays sur trois s'en servent. Nous devrions leur emboîter le pas », sauf s'il a été démontré que notre modèle est déficient.
Par exemple, si le fait de confier au directeur général des élections le mandat de surveiller les dépenses de campagne entraînait des conséquences fâcheuses, des problèmes de surveillance ou un suivi insuffisant des dons, ou encore s'il était impossible d'encadrer le système, alors je dirais que le système est déficient. Cependant, je refuse par principe d'harmoniser notre système avec ceux des deux pays mentionnés aux uniques motifs que ceux-ci sont plus vastes, plus vieux ou je ne sais quoi.
Votre mémoire ne donne aucune raison précise pour justifier qu'on démantèle la fonction de directeur général des élections. Je crois que c'est parce que vous avez un problème avec les pouvoirs dont jouit actuellement le directeur. On dirait que vous voulez lui retirer des pouvoirs — confions celui-ci à telle personne et celui-là à telle autre — en étant convaincue qu'il restera malgré tout aussi efficace qu'actuellement.
Je pense que tout système repose sur une philosophie et des principes et qu'il évolue en fonction de son histoire. On peut l'examiner au fil du temps, comme l'ont fait le comité Barbeau ou la commission Lortie. Comme vous l'avez dit, c'est une bonne chose, après cinq ans, de faire le bilan des résultats, surtout lorsqu'on part dans de nouvelles directions, comme le financement des partis. Le professeur Howe et d'autres témoins l'ont d'ailleurs dit : notre système de financement des partis, la révision fondamentale, c'est encore tout nouveau. L'imposition de la limite de 5 000 $, c'est quelque chose de récent. Nous avons ramené cette limite de 5 000 $ à 1 000 $; maintenant, on veut la porter à 1 500 $ et permettre qu'on utilise les fonds pour solliciter des contributions auprès de nouveaux membres. Il y a toujours moyen de modifier la règle, mais pour que vous adoptiez une position telle que celle que vous semblez défendre dans votre mémoire — à moins que j'aie mal lu entre les lignes —, je crois qu'il faut que vous ayez un problème avec le statut actuel du directeur général des élections. Vous estimez qu'il a trop de pouvoirs, mais vous n'expliquez pas en quoi c'est un problème.
Mme Beange : C'était impossible de le faire en cinq minutes.
Le sénateur Joyal : Comprenez-vous ce que j'essaie de dire?
Mme Beange : Je comprends parfaitement.
Le sénateur Joyal : Votre mémoire ne parvient pas à me convaincre que vous avez raison.
Mme Beange : Il aurait pu être plus long, mais on m'a donné des directives strictes. Il ne devait pas prendre plus de cinq minutes.
Premièrement, lorsque je mentionne les États-Unis et le Royaume-Uni, ce n'est pas parce que je pense qu'il faut chercher à devenir comme eux. Tout ce que je dis, c'est que notre système d'encadrement des finances des partis est différent des leurs. Il relève d'une seule personne, elle-même nommée, plutôt que d'un ensemble de commissaires. Je tenais simplement à signaler que nous faisons bande à part, mais pas qu'il faut changer pour changer. Ça, c'est pour la première question.
En ce qui concerne la deuxième question, une lecture attentive des rapports sur les enquêtes que le commissaire aux élections fédérales a menées au cours des six dernières années environ me fait redouter un certain glissement vers la partisanerie. Par exemple, l'une des affaires concernait la question, pour le directeur général des élections, d'approuver ou non certaines dépenses du Parti conservateur. Or, il est ressorti des témoignages que le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique avaient fait exactement la même chose. Pourtant, le directeur général des élections a approfondi l'enquête seulement en ce qui concerne le Parti conservateur, soutenant que c'était afin que tous les partis soient à armes égales. Pour ma part, j'estime plutôt que, dans un esprit de justice et d'impartialité, tous les partis auraient dû être poursuivis s'ils avaient tous violé l'article pertinent de la Loi électorale du Canada. Pour moi, il s'agit là d'un exemple de pouvoir discrétionnaire excessif.
Le président : Je me dois d'intervenir et de vous remercier, madame Beange et professeur Howe, de nous avoir aidés dans nos délibérations sur le projet de loi C-23. Nous vous en savons gré. Merci d'avoir été parmi nous.
Le dernier groupe de cet après-midi se compose de Paul Thomas, professeur émérite à l'Université du Manitoba, et de Nelson Wiseman, professeur associé au Département d'études politiques de l'Université de Toronto, qui témoignent à titre personnel.
Messieurs, bienvenue et merci d'être parmi nous. Professeur Thomas, je crois comprendre que vous ouvrirez la marche avec votre déclaration préliminaire, alors vous avez la parole.
Paul Thomas, professeur émérite, Université du Manitoba, à titre personnel : Vous avez en fait devant vous deux Winnipégois, car Nelson et moi sommes de vieux amis du Nord de Winnipeg. Nous apportons donc un cachet bien particulier à vos délibérations.
Je vous remercie de m'accorder le privilège de témoigner au comité. J'ai déjà soumis un mémoire de 36 pages à propos du projet de loi C-23 au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre de la Chambre des communes. Je crois qu'il a été remis aux membres de ce comité. Je crois comprendre que vous auriez également reçu mes observations sur le débat actuel concernant la question délicate de l'identification des électeurs au Royaume-Uni.
Le débat entourant le projet de loi C-23 se concentre principalement sur quelques mesures controversées, comme le mandat d'Élections Canada et l'avenir du recours à un répondant. Il serait cependant malheureux que celles-ci fassent l'objet d'amendements alors que d'autres éléments préoccupants seraient adoptés tels quels, sans avoir été examinés.
Ce soir, je me contenterai de dresser brièvement une liste d'une dizaine d'aspects préoccupants du projet de loi dans sa forme actuelle, sans ordre d'importance particulier, même si j'ai placé les points les plus médiatisés en dernier. Il y a une dizaine de recommandations.
Un : exiger que tous les partis politiques reconnus participent à l'élaboration d'un code de conduite qui les engagerait à respecter des valeurs et des principes fondamentaux en matière d'élections libres et équitables, un code que le chef et les candidats de chaque parti ainsi que tout le personnel électoral et tous les bénévoles collaborant aux élections conviendraient de faire respecter.
Deux : ajouter une disposition qui étend l'application des lois sur la protection des renseignements personnels aux partis politiques enregistrés.
Trois : laisser tomber la disposition qui permet au parti victorieux aux élections précédentes de faire une recommandation pour le choix du superviseur de centre de scrutin et celle qui permet aux associations de circonscription de faire des recommandations pour la nomination des scrutateurs, des greffiers du scrutin et des agents d'inscription. Ces dispositions pourraient susciter des influences partisanes dans l'administration des élections ou donner l'impression qu'il peut y en avoir.
Quatre : conserver la disposition fort utile qui autorise Élections Canada à publier « des lignes directrices et des notes d'interprétation », mais y ajouter l'obligation pour l'organisme de définir et de faire connaître les critères et les procédures régissant leur utilisation.
Cinq : supprimer la disposition qui exempte du plafond des dépenses électorales le coût des communications électroniques avec d'anciens donateurs ayant fait une contribution d'au moins 20 $ en vue d'obtenir des fonds. Il est difficile d'imaginer que les communications destinées à recueillir des fonds ne serviront pas à des fins électorales, et il sera absolument impossible pour Élections Canada d'appliquer la disposition.
Six : en ce qui concerne les communications trompeuses avec les électeurs, c'est-à-dire les appels automatisés, faire passer de un à cinq ans la durée de conservation des documents, y compris les enregistrements et les textes, par les fournisseurs de services téléphoniques, afin de permettre la tenue d'enquêtes.
Sept : amender le projet de loi de manière à permettre au commissaire aux élections d'obliger une personne à témoigner quand il a convaincu un juge que celle-ci possède des renseignements utiles pour une enquête en cours.
Huit : Laisser tomber la disposition qui prévoit que le poste de commissaire aux élections fédérales ne fait plus partie du cadre administratif d'Élections Canada, mais plutôt du Bureau du directeur des poursuites pénales, lequel relève du ministère de la Justice.
Neuf : laisser tomber la disposition qui interdit à tout administrateur professionnel ayant travaillé pour Élections Canada de devenir commissaire et faire passer de sept à dix ans le mandat du commissaire, afin que celui-ci puisse superviser deux élections.
Dix : renforcer la fonction principale d'Élections Canada en adoptant l'article 18 prévu dans le projet de loi, mais en y ajoutant une disposition parallèle reconnaissant à l'organisme le droit d'étudier et de commenter les conditions qui prévalent dans le domaine de la démocratie électorale ainsi que d'en faire rapport.
Onze : prévoir l'obligation de consulter le directeur général des élections avant de présenter au Parlement de futures modifications à la Loi électorale du Canada.
Douze : laisser tomber la proposition d'éliminer le recours aux répondants et d'interdire l'utilisation des cartes d'information de l'électeur. Trouver une façon plus appropriée d'établir un juste équilibre entre, d'une part, le droit de voter dont disposent les Canadiens admissibles en vertu de la Constitution et, d'autre part, le risque de fraude électorale, qui est très faible. J'ai des solutions de rechange à proposer en cette matière.
En résumé, les modifications à la Loi électorale du Canada devraient s'appuyer sur de vastes consultations et le consensus le plus général possible. Elles ne devraient pas être adoptées à la hâte et de façon unilatérale, procurant, de ce fait, des avantages politiques au parti au pouvoir ou donnant l'impression qu'il en est ainsi. Elles ne devraient pas non plus placer les intérêts ou les besoins des partis politiques au-dessus du droit de voter de tous les Canadiens.
En terminant, je tiens à signaler que je fais partie du Comité consultatif d'Élections Canada et qu'à ce titre, j'ai été payé pour deux jours de travail à la réunion inaugurale de l'organisme.
Enfin, pour que l'information soit complète, je signale au comité qu'en 2013-2014, j'ai été chargé, avec Lorne Gibson, ex-directeur général d'Élections Alberta, d'une étude commandée par Élections Canada. Il s'agissait, en bref, de comparer l'indépendance et l'obligation de rendre des comptes des organismes électoraux nationaux de cinq pays avec ce qui se passe au Canada à ce chapitre, notamment en ce qui concerne le rôle, le mandat et l'étendue des pouvoirs de ces organismes ainsi que leur mode de reddition de comptes aux gouvernements et au Parlement. L'étude est en cours de traduction et sera publiée plus tard. J'ai reçu pour ce travail 18 000 $, dont une partie couvrait les dépenses engagées. Je tenais à le signaler afin de ne pas me faire accuser de cacher quelque chose sur mes liens avec Élections Canada.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président : Le conseiller vient de me signaler que la troisième recommandation se trouve déjà dans le projet de loi — « les candidats qui fournissent des noms » —, comme l'avait demandé le directeur général des élections.
M. Thomas : C'est juste. La deuxième partie de la proposition, les superviseurs locaux de circonscription, effectivement. En principe, je serais en faveur des nominations au mérite de façon générale, mais je m'aperçois qu'il y a une histoire qui remonte à un certain temps.
Le président : Monsieur Wiseman?
Nelson Wiseman, professeur associé, Département d'études politiques, Université de Toronto, à titre personnel : Merci de m'avoir invité. Je m'excuse auprès des membres francophones du comité de mon ignorance du français. Je n'ai pas entendu tous les témoignages de ceux qui se sont exprimés avant moi parce que je me suis rendu compte seulement lundi soir que je venais ici aujourd'hui. Je vous remercie de votre patience, car je sais qu'il est difficile de siéger à des séances qui ont lieu à la fin de la journée et que la journée a été longue pour vous.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler que le projet de loi C-23 a été critiqué par la très grande majorité des universitaires, des éditorialistes, des partis de l'opposition, des agents électoraux et des représentants de divers groupes, qui considèrent qu'il porte atteinte à la démocratie canadienne et au droit de vote garanti par la Constitution.
Selon moi, les lois électorales sont fondamentalement différentes des autres formes de loi, comme les traités commerciaux, les budgets ou les projets de loi qui portent sur les anciens combattants, les drogues ou l'agriculture, dont le Parlement est actuellement saisi. Les lois électorales sont de nature quasi constitutionnelle; par conséquent, il est préférable, comme l'a signalé M. Thomas, que ceux qui sont touchés par la présentation de telles lois parviennent à un consensus — ce que le gouvernement n'a pas tâché de favoriser.
Cela dit, je ne suis pas certain que les gouvernements précédents l'aient fait, eux non plus. Quand la loi a été modifiée au sujet du financement électoral, en 2003, je pense qu'on ne s'entendait même pas au sein du parti au pouvoir qui était à l'origine du changement. Le président du parti en question avait déclaré que ce changement « ne valait pas un clou », si je me rappelle bien.
Parmi les dispositions les plus controversées du projet de loi se trouvent l'élimination du recours à un répondant, la limitation des pouvoirs d'Élections Canada, le financement des partis, dont on a passablement entendu parler, et le transfert de la fonction de commissaire, qui relève actuellement d'Élections Canada, au Bureau du directeur des poursuites pénales.
Je commencerai par parler du recours à un répondant. Aux dernières élections, selon les données utilisées — je crois que M. Thomas a indiqué dans son mémoire que 100 000 personnes avaient eu recours à un répondant, mais, plus récemment, on a entendu parler de 120 000 —, entre 99,2 p. 100 et 99,4 p. 100 des électeurs ont fourni des pièces d'identité. Le pourcentage des personnes ayant eu recours à un répondant n'est donc pas très élevé. C'est l'une des raisons pour lesquelles, d'un point de vue politique, le recours à un répondant n'intéresse pas la plupart des gens.
Selon un tableau publié par Élections Canada — qui se trouve dans l'examen de la conformité, bien que j'aie entendu M. Mayrand citer d'autres chiffres — dans cinq provinces, y compris les trois plus grandes, les électeurs doivent faire la preuve de leur identité pour voter aux élections provinciales. J'estime que l'exigence du gouvernement fédéral n'a rien d'exceptionnel.
Certains prétendent que la comparaison suivante n'est pas bonne, mais je vais quand même vous la présenter : on est tenu d'établir son identité quand on conduit une voiture, quand on monte à bord d'un avion ou quand on va chez le médecin. Il ne suffit pas de demander à un passager de répondre de nous. Je sais que le droit de vote est garanti par la Constitution, mais il est réservé aux citoyens. L'exigence est bien moins rigoureuse en ce qui concerne les preuves d'identité à fournir.
Je signalerai également que les droits ne sont pas absolus. Ils comportent des limites et des obligations. Par exemple, nous avons droit à la liberté d'expression, mais nous ne pouvons pas tenir de propos haineux. Nous avons droit à la liberté d'expression, mais nous ne pouvons pas crier au loup dans un cinéma bondé. Il existe des limites raisonnables. Je ferai remarquer que, tout comme ils ont le droit de voter, les citoyens ont le droit de se présenter à des élections, conformément aux dispositions prévues par la loi. Qu'on pense à toute la paperasserie nécessaire pour se présenter à des élections et qu'on pense, en comparaison, à ce qu'il faut fournir pour pouvoir voter.
Peter Loewen, un spécialiste des élections de mon département, qui a travaillé pour Élections Canada — ce que je n'ai jamais fait — estime que l'élimination du recours à un répondant peut peut-être, théoriquement, rapporter à un parti un dixième de point de pourcentage, tout au plus. Une si faible marge entraîne rarement la contestation des résultats dans une circonscription — si tant est que cela se produise — et permet de douter que l'élimination du recours à un répondant avantage considérablement un parti, comme certains le prétendent.
Je crois, cependant que, même si 10 p. 100 des cartes d'information de l'électeur contiennent des erreurs, il n'est pas nécessaire d'en interdire l'utilisation comme forme d'identification et que ce changement provoquera la confusion, le mécontentement et la colère chez de nombreux électeurs. En 2011, quand je suis allé voter aux élections fédérales, j'ai présenté mon permis de conduire, mais la greffière du scrutin l'a refusé parce que je n'avais pas ma carte d'information de l'électeur. J'ai protesté, et le superviseur du centre de scrutin a donné tort à la greffière. Ce que je veux faire ressortir, c'est que, d'une certaine façon, la gestion des élections est une entreprise d'amateurs qui mobilise 226 000 personnes. La difficulté consiste à trouver des personnes qui peuvent agir en tant que greffiers.
Je n'ai pas entendu grand-chose au sujet de la nomination des superviseurs de centre de scrutin par les députés sortants, mais j'ai vu des universitaires écrire là-dessus, et il se peut que je me trompe au sujet des détails du projet de loi. D'après ce que je comprends, les députés sortants nomment les superviseurs de centre de scrutin. Je crois que les candidats du parti perdant aux dernières élections nomment les greffiers de scrutin. Est-ce exact?
Le président : Oui.
M. Wiseman : Je pense qu'il n'y a là rien de nouveau, car il me semble qu'on a procédé ainsi pendant la majeure partie du XXe siècle. Le véritable défi que doit relever Élections Canada consiste à trouver suffisamment de préposés au scrutin qui ne sont pas des amateurs.
Élections Canada se heurtait aux mêmes difficultés quand il lui fallait, avant 1990, trouver des recenseurs disposés à faire du porte-à-porte pour établir les listes électorales. C'est d'ailleurs l'une des raisons que l'organisme a invoquées pour adopter la liste électorale permanente. En outre, rien ne prouve que les superviseurs de centre de scrutin nommés par des députés sortants agiront de façon malhonnête. Un député a fait remarquer que les superviseurs de centre de scrutin et les greffiers de scrutin ne sont pas nos ennemis; ce sont nos voisins; ce sont de bonnes personnes.
De toute façon, le parti en place ne détient que 52 p. 100 des sièges à la Chambre des communes.
À mon avis, Élections Canada devrait se concentrer sur la gestion des élections au lieu de vanter les vertus de l'acte de voter. Si le taux de participation aux élections est d'une grande importance pour vous, parlementaires, vous pourriez offrir aux électeurs un crédit d'impôt. Vous offrez bien 500 $ aux parents dont les enfants jouent aux quilles ou pratiquent l'équitation. Ou encore, vous pourriez suivre le conseil de l'un de vos ex-collègues, le sénateur Harb, et rendre le vote obligatoire; vous pourriez aussi imposer une amende.
Les citoyens ont le droit de voter, mais ils ont également le droit de ne pas le faire. Ils ne doivent pas être harcelés pour aller voter à leurs frais.
De toute manière, il n'y a rien à gagner pour la démocratie à inciter des gens qui ne connaissent rien à aller voter en leur disant que peu importe pour qui ils votent, pourvu qu'ils votent. Si quelqu'un a l'intention de voter pour un raciste, je préfère qu'il reste chez lui. Mieux encore, il devrait peut-être quitter le pays. Faire voter des gens qui ne connaissent rien aux élections uniquement pour augmenter le taux de participation au processus électoral ne veut absolument rien dire et ne contribue en rien à la démocratie, à mon avis.
J'aimerais parler encore d'Élections Canada, parce que j'ai reçu un bon nombre des rapports qu'il produit. Je ne peux pas les lire tous, mais j'en ai trouvé certains très utiles. J'ai cependant constaté qu'au fil des décennies, l'organisme est devenu une grosse bureaucratie. D'après moi, il produit de nombreux rapports qui ne sont pas nécessaires, qui coûtent cher et dont l'utilité pour les entreprises privées qui en sont les principales bénéficiaires est douteuse. Permettez-moi de donner un ou deux exemples.
Après les dernières élections, un sondage a été effectué auprès des agents de relations communautaires — Élections Canada en avait embauché environ 1 000 — chargés d'assurer la liaison avec les groupes désavantagés. On a eu recours aux services de l'une des plus grandes maisons de sondage du pays, une entreprise privée. Un questionnaire a été envoyé à 863 agents, mais seulement 308 se sont donné la peine d'y répondre. Qu'avons-nous appris? Comme il fallait s'y attendre, ils ont trouvé utile le programme pour lequel ils avaient été embauchés. Eh bien, ce n'est guère surprenant. Fallait-il dépenser de l'argent pour cela?
Voici un autre sondage qui a été réalisé. Après les élections de 2008, une autre entreprise privée a demandé à environ 200 journalistes de répondre à un questionnaire. Sur les 63 répondants, presque aucun n'avait utilisé les messages sonores, les vidéos et les articles déjà rédigés fournis par Élections Canada. L'organisme a dépensé pas mal d'argent pour concevoir ces produits, dont pratiquement aucun journaliste ne s'est servi, puis il a fait appel à une entreprise privée pour obtenir des renseignements sur leur utilisation. Qu'y gagne le grand public?
Élections Canada a aussi diffusé des renseignements trompeurs. Pendant la campagne électorale de 2004, l'organisme a fait paraître des publicités dans tous les journaux du Canada selon lesquelles toute personne dont le nom ne figurait pas sur la liste électorale ne pourrait pas voter et que, pour s'inscrire, il fallait se rendre au bureau du directeur de scrutin. Eh bien, je savais que ce n'était pas vrai. Je savais que je pourrais voter si je me présentais le jour des élections avec une pièce d'identité valide. Or, les publicités donnaient à penser que non. J'étais indigné. Je suis allé au bureau de scrutin et me suis fait inscrire sur la liste, mais j'en ai profité pour soulever la question. « Bien entendu, m'a-t-on répondu, vous pouvez voter si vous êtes muni d'une pièce d'identité en règle. » Pourquoi nulle mention de cela dans les publicités?
Porter de 1 200 $ à 1 500 $ le plafond des contributions par des particuliers est négligeable, à mon sens. Mais il existe d'importants problèmes d'ordre financier. Je veux parler de l'argent qui finance les campagnes menées avant la période électorale. J'ai l'impression que nous sommes constamment en campagne de nos jours. Je pense que nous devrions exiger, comme le suggère le directeur général des élections, que les partis produisent des documents justificatifs. Les provinces l'exigent, notamment en raison du fait que les dépenses sont subventionnées par les contribuables.
Les partis et leurs candidats jouissent d'un avantage indu. Ils jouissent d'un avantage injuste par rapport aux candidats indépendants, qui ne peuvent délivrer de reçus officiels que durant la période électorale.
Le plus grand défaut du projet de loi, selon moi, c'est l'absence d'une disposition pour obliger des personnes à témoigner lorsqu'il y a allégations de fraude ou d'entrave au vote. Et limiter la capacité d'Élections Canada de parler publiquement des actes présumés de fraude ne fait qu'aggraver le problème. Certes, le commissaire aux élections continuera de faire des enquêtes, et je crois qu'il est habilité à recommander le dépôt d'accusations s'il y a lieu, mais, si l'information relative aux enquêtes sur les actes répréhensibles est passée sous silence, on ne fera qu'encourager d'autres inconduites.
Ce n'est qu'après qu'Élections Canada a signalé être en train d'enquêter sur des manœuvres d'entrave au vote dans Guelph que bon nombre d'électeurs, résidant dans plus de 200 autres circonscriptions, ont décidé de contacter les autorités. En définitive, j'estime que la nouvelle loi ne changera pas grand-chose au fonctionnement et aux résultats des élections.
Je ressens un certain malaise à l'idée que le budget du commissaire aux élections soit assujetti à l'approbation du Conseil du Trésor, car c'est une façon d'affamer le commissaire pour l'empêcher de mener des enquêtes essentielles.
À mon avis, les pires défauts du projet de loi consistent non en ce qu'il propose, mais en ce qu'il ne comprend pas. Voilà pourquoi je trouve cette mesure législative injuste.
Le président : Merci, monsieur Wiseman.
Le sénateur Baker : Je remercie les deux témoins, MM. Thomas et Wiseman, de leur comparution et de leurs sages paroles. Je vais poser une question à chacun des témoins.
Monsieur Thomas, vous suggérez un amendement portant que la durée de conservation des documents relatifs à des appels automatisés ou d'autres activités semblables soit de cinq ans plutôt que d'un an, comme le prévoit le projet de loi dont nous sommes saisis.
Tout bien considéré, ne pensez-vous pas qu'une durée de 10 ans serait plus logique, vu qu'aux termes de la Loi électorale du Canada, des poursuites en cas d'infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, et je ne parle pas d'infraction punissable par mise en accusation, peuvent être intentées dans les 10 ans suivant la perpétration de l'acte? Ne serait-il pas plus logique de suggérer 10 ans plutôt que 5 afin de respecter les dispositions de la loi électorale actuelle?
M. Thomas : Je ne suis pas avocat; c'est pourquoi je dois faire attention à ce que je prétends savoir à cet égard. Ce que je sais, c'est que les États-Unis sont aux prises avec le problème des appels automatisés, et j'essaie actuellement de rédiger quelque chose là-dessus. Ils ont adopté différentes exigences procédurales et exigences en matière de conservation des documents, et la durée moyenne est de cinq ans. Je présume que les représentants de l'industrie feraient valoir que garder des documents au-delà d'une certaine période de temps n'est pas rentable, bien qu'il y ait lieu de se demander si, en cette ère numérique, les dépenses associées à la conservation des documents sont si élevées que cela.
Je suppose qu'il faudrait se pencher sur ce qui arrive, dans le contexte canadien, quand une enquête débouche sur des poursuites et une affaire devant les tribunaux et que les choses traînent. Chaque fois que nous essayons de modifier les lois électorales, nous tâchons toujours de trouver un équilibre entre, d'un côté, des mesures efficaces d'application et d'observation de la loi et, de l'autre, le respect des garanties procédurales et des droits des particuliers et des organisations accusés.
Il faut éviter que le processus traîne en longueur, car durant cette période, un candidat ou une organisation de parti légitime se retrouve sous un nuage de honte, pour ainsi dire. Il faut trouver le bon équilibre. C'est comme le gruau pour bébé : pas trop chaud ni trop froid, juste comme il faut. Mais vous avez peut-être raison; ma solution est peut-être trop froide.
Le sénateur Baker : Notre comité a examiné cette question quand le présent gouvernement est arrivé au pouvoir et a présenté son grand projet de loi. Nous nous sommes demandé s'il fallait porter à 10 ans la prescription relative aux poursuites en cas d'infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité et d'infraction punissable par mise en accusation. Ce délai a été porté à 10 ans. Comme vous le savez, en vertu du Code criminel, la prescription est de six mois pour une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, car on veut éviter que le délai soit trop important.
Monsieur Wiseman, vous avez fait une affirmation. Vous avez dit que la question du recours à un répondant ne trouve pas écho dans la population. Puis, vous avez développé votre pensée. Cela ne trouve peut-être pas écho dans la population, mais les tribunaux s'y intéressent. Nous pourrions passer en revue chaque cause portée devant les tribunaux au sujet de la Loi électorale du Canada où quelqu'un allègue que les changements que nous avons apportés en 2007 et en 1997 l'ont privé de son droit de vote.
L'article 3 de la Charte prévoit que tout citoyen canadien a le droit de vote lors d'élections fédérales et provinciales. Toute restriction, toute exigence de présenter une pièce d'identité, a été jugée par les tribunaux comme une violation de l'article 3 de la Charte.
Les tribunaux se fondent ensuite sur l'article 1 et procèdent à une évaluation. Les effets bénéfiques de la mesure législative l'emportent-ils sur ses effets préjudiciables? C'est l'analyse effectuée en vertu de l'article 1 — le critère énoncé dans l'arrêt Oakes dont on a parlé tout à l'heure.
Le directeur général des élections a décrit les effets préjudiciables. Il affirme que des dizaines de milliers de Canadiens se verront privés de leur droit de vote. Je me demande qui pourrait bien trouver des effets bénéfiques plus importants que ces effets fort préjudiciables dont a fait part le directeur général des élections à notre comité — son témoignage peut d'ailleurs servir d'élément de preuve devant un tribunal, à moins que les dirigeants du Sénat ne déterminent qu'il est visé par le privilège parlementaire et ne peut être utilisé.
M. Wiseman : Je respecte les tribunaux, mais je suis en désaccord avec un grand nombre des positions qu'ils adoptent, notamment en ce qui concerne le nombre de personnes pouvant constituer un parti. Selon eux, il n'y a aucune limite.
Le sénateur Joyal : Vous faites allusion à l'arrêt Figueroa?
M. Wiseman : Oui, avant, il fallait 12 candidats, mais les tribunaux ont décidé d'éliminer tout nombre minimal. Je n'étais pas d'accord, mais j'accepte ce jugement. La cour en a décidé ainsi.
Sauf votre respect, sénateur Baker, vous supposez que toutes les personnes qui ont recours à un répondant ne peuvent présenter de pièce d'identité. Je crois que, dans bien des situations, il s'agit d'un mari et de sa femme. L'un dit à l'autre : « Ouais, tu possèdes des pièces d'identité, mais tu ne les as pas avec toi, alors je vais me porter garant de toi. Pas de problème. »
J'ignore le nombre précis de personnes qui n'ont pas... J'ai entendu les chiffres 100 000 et 120 000. Je crois que c'est dans ces eaux-là. Je ne remets pas ce chiffre en question, mais je doute fort qu'il se soit agi, dans chaque cas, d'une personne ne possédant aucune pièce d'identité valide.
J'adhère à l'idée qu'il faille présenter une pièce d'identité; je trouve que c'est raisonnable. La Constitution précise qu'il faut avoir qualité de citoyen. Pour voter, nul besoin de prouver sa citoyenneté, seulement de fournir une pièce d'identité. Je remarque qu'Élections Canada obtient auprès des bureaux des permis et immatriculations des données sur les gens qui ont un permis de conduire. Oui, ces personnes ont un permis de conduire, mais elles n'ont pas nécessairement la citoyenneté, auquel cas elles ne devraient pas avoir le droit de voter. Je ne suis pas en train de dire qu'il faudrait fournir une preuve de citoyenneté. J'ai dit que, à mon avis, il faudrait garder la carte d'information de l'électeur, en dépit des lacunes constatées, comme moyen d'identification. Il ne faut pas l'éliminer.
Je n'ai pris connaissance que de bouts de témoignage ici et là. Sheila Fraser a mentionné que sa fille, étudiante universitaire, ne serait pas en mesure de voter parce que l'université ne communique avec elle que par Internet. Je me suis fait la remarque suivante : « Sa fille ne paie-t-elle pas son fournisseur Internet? N'a-t-elle pas de facture indiquant son adresse, même une facture électronique? » Quiconque s'inscrit à l'université a un dossier; il faut une adresse qui établit le lieu de résidence de l'étudiant.
M'est avis que beaucoup de ces problèmes n'existent qu'en théorie. J'admets que quelques personnes seront touchées. Je pense aussi aux réserves indiennes. D'après ce que je comprends, avec la carte de statut d'Indien et une lettre type signée par un administrateur attestant du fait qu'elle vit dans telle réserve, la personne répondrait à l'une des conditions.
La situation est semblable dans les foyers pour personnes âgées. M. Mayrand a déclaré que certains administrateurs n'avaient pas les ressources nécessaires pour rédiger des lettres d'attestation de résidence, ou refusaient de le faire. Eh bien, obligez-les. Nous obligeons maintenant les propriétaires à laisser les solliciteurs des partis cogner à la porte de mon condo.
Le sénateur Baker : C'est une autre question; or, obliger ces personnes à produire la documentation ne fait pas partie du projet de loi.
Ainsi donc, comme vous le soulignez, cette obligation n'existe pas. En réalité, une foule d'aînés font envoyer leur courrier à une personne, à une adresse. Le directeur général des élections a parlé de dizaines de milliers de personnes — il a estimé leur nombre à 120 000. Quelqu'un pourrait présenter une requête et dire au directeur général des élections, le défendeur : « Vous m'avez privé de mon droit de vote. Voici mon nom. Voici ce que vous avez avancé. » Eh bien, le défendeur, le directeur général des élections, a déjà déclaré qu'il y avait des dizaines de milliers de personnes touchées.
Jamais auparavant n'a-t-on vu de cause où le directeur général des élections est d'accord avec le requérant. L'affaire serait sûrement jugée inconstitutionnelle, n'est-ce pas?
M. Wiseman : Oui, c'est possible. Je ne suis pas avocat. Je soupçonne que vous avez raison. Il incombe donc aux parlementaires de modifier la loi pour faire en sorte que les gens puissent s'identifier. Vous dîtes que le courrier est envoyé à une personne. Je ne vois pas pourquoi on n'obligerait pas quiconque reçoit du courrier pour le compte d'autres personnes à se porter garant de celles-ci.
Le sénateur Baker : Vous avez tous les deux fait valoir cet argument; vous avez tous les deux formulé d'excellentes remarques sur cette obligation.
La sénatrice Frum : Monsieur Wiseman, j'ai été renversée quand vous avez abordé la question des superviseurs de centre de scrutin. Autrement dit, les mêmes qui prétendent ne craindre aucune forme de fraude liée au recours à un répondant et souhaitent maintenir cette option telle quelle sont terrifiés à l'idée que le parti vainqueur nomme un superviseur de centre de scrutin. Ils allèguent qu'il y a risque de fraude, même si le directeur du scrutin est nommé par le directeur général des élections. Il y a aussi les représentants de candidat, qui proviennent de tous les partis. Nombreux sont ceux qui pensent qu'on ouvre la porte à la fraude, mais ne voient pas le risque associé au recours à un répondant. Je vous remercie de m'avoir sensibilisée à cette question.
M. Wiseman : Sauf que ma position est contradictoire, car je suis prêt à faire confiance à un superviseur de centre de scrutin nommé par un parti qui ne m'intéresse pas, mais je n'ai pas confiance dans le recours à un répondant. J'accepte le projet de loi du gouvernement; je ne crois pas que ce soit si compliqué.
La sénatrice Frum : À mon sens, les mécanismes de protection sont plus nombreux en ce qui concerne la nomination de superviseurs par le parti vainqueur — lequel, comme vous l'avez souligné, détient 52 p. 100 des sièges. Les balises permettant à ces gens de bien faire leur travail sont plus nombreuses que dans le cas du recours à un répondant.
Monsieur Thomas, je n'ai pas entendu, mais je vous laisserai répondre si vous le désirez.
M. Thomas : Je peux répondre à toute question que vous voudrez me poser, mais c'est le président qui décide.
La sénatrice Frum : Je me suis permis de faire un commentaire, ce qui n'était pas tout à fait approprié, mais je n'ai pas pu m'en empêcher.
Monsieur Wiseman, je voulais vous remercier pour un article que vous avez signé dans le magazine Options politiques en 2006, intitulé « Faire sortir le vote? Malgré des efforts accrus, le taux de participation décline ». Lorsque M. Mayrand est venu témoigner, je lui ai demandé s'il voyait un conflit d'intérêts dans le fait que la même personne soit chargée d'administrer des élections justes et encouragée à promouvoir un haut taux de participation électorale, s'il estimait que ces deux rôles sont conflictuels.
Je vous remercie d'avoir rédigé cet article, dans lequel vous exprimez si bien les choses. Je vais en lire un extrait, et vous pourrez réagir :
Le mandat d'Élections Canada devrait se limiter, comme c'était le cas à l'époque où le taux de participation électorale était nettement plus élevé, au simple fait de faciliter et de surveiller le déroulement d'élections justes et transparentes. Il ne devrait pas inclure la promotion de l'acte de voter. Il ne lui revient pas de proclamer qu'il est important de voter ou impératif de participer, car cet organisme ne peut pas — pas plus qu'il ne le devrait — étayer ces affirmations. Il ne devrait pas se comporter comme un vendeur beau parleur qui se tourne vers les manipulateurs et les faiseurs d'images du monde publicitaire. Le scandale des commandites — à l'instar des milliers de dollars gaspillés pour promouvoir l'accord de Charlottetown, combattre l'obésité et le tabagisme et favoriser la conservation de l'énergie — a mis en lumière l'inefficacité des campagnes publicitaires gouvernementales. Une des caractéristiques d'un régime totalitaire, dans son souci d'avoir un taux de participation élevé aux élections, consiste à montrer son emprise triomphale sur ses sujets. L'apathie politique peut être un signe de résistance au système politique en place et à ses acteurs.
Voilà qui illustre le conflit. Merci. Pouvez-vous revenir là-dessus ou nous dire si vous maintenez que ce conflit existe, conformément à votre texte de 2006?
M. Wiseman : J'avais oublié que j'avais écrit cela. Merci.
C'est mon point de vue, essentiellement. Lorsque j'étais petit, Élections Canada s'occupait de ses oignons et le taux de participation était plus haut. La baisse récente de la participation a peu à voir avec... Je ne crois pas que les efforts aient été si grands. Il y a toutes sortes de raisons culturelles; M. Howe en a parlé.
Partout en Occident, le taux de participation aux élections a diminué. J'ai ma propre opinion empirique sur les raisons de ce déclin chez les jeunes. Pauline Beange en a glissé un mot; les préjugés sociaux ne sont pas les mêmes. Le taux de participation n'est pas le même en région rurale ou dans une petite ville. On est plus susceptible d'aller voter si on habite dans un condo et qu'on ne connaît aucun de ses voisins. La pression sociale n'est pas la même. Toutes sortes de raisons expliquent cette baisse.
À mes yeux, la démocratie ne se résume pas au nombre de personnes qui votent, sinon cela signifierait que nous sommes en meilleure posture que les États-Unis. Aux dernières élections au Congrès, le taux de participation s'est élevé à 38 p. 100. Je ne sais pas quel fut le taux en Afghanistan, mais je n'ai pas d'inquiétude. Ce pays n'est pas plus démocratique que le nôtre parce que le taux s'est établi à 70 p. 100 et le nôtre, à 61 p. 100.
La démocratie est synonyme de délibérations, de compromis, d'indépendance des tribunaux, de société civile active, de liberté de la presse, de liberté d'expression. Si la participation électorale a décliné, en particulier chez les jeunes, ce n'est pas parce que les gens sont si stupides. Ils sont plus scolarisés que jamais. Or, beaucoup se rendent compte que le résultat des élections — qui est porté au pouvoir — ne change peut-être pas grand-chose.
La sénatrice Frum : Là, je ne suis pas d'accord avec vous.
Le sénateur Joyal : Je suis peut-être en situation de conflit d'intérêts, car je connais M. Thomas et il a contribué à un livre publié sous ma direction en 2003. Cette contribution n'était pas assortie de conditions ni rémunérée.
M. Thomas : La source des redevances s'est tarie.
Le sénateur Joyal : L'ouvrage portait sur le Sénat, comme l'a mentionné la sénatrice Batters, en tant que composante de nos institutions démocratiques.
Ceci dit, je veux revenir sur votre suggestion, monsieur Thomas. M. Wiseman pourra intervenir après. Vous souhaitez tous deux qu'on rejette la proposition d'éliminer la carte d'information de l'électeur. Vous convenez que ce document pourrait permettre d'établir la bonne adresse des électeurs. Vous maintiendriez le recours à un répondant. Voilà où je veux vous emmener : vous recommandez de trouver une façon plus appropriée d'établir un juste équilibre entre, d'une part, le droit de voter dont disposent les Canadiens admissibles en vertu de la Constitution et, d'autre part, le risque de fraude électorale, qui est très faible.
Je souligne que le directeur général des élections, dans son exposé devant la Chambre des communes, a affirmé que 120 000 personnes, d'après ses registres, ont eu recours à un répondant lors des dernières élections et qu'il n'y a eu apparence de fraude dans aucun cas. Selon moi, le recours à un répondant représente une solution de dernier ressort pour s'identifier, et les chiffres le montrent bien. Plus de 8 millions de Canadiens ont exercé leur droit de vote, mais seulement 120 000 ont eu recours à un répondant. Le problème, ce n'est pas le nombre de personnes, mais les gens eux- mêmes.
Vous et moi avons un permis de conduire et beaucoup de documents attestant notre adresse, mais, malheureusement, ce ne sont pas tous les Canadiens qui conduisent une voiture. Malheureusement, ce ne sont pas tous les Canadiens qui peuvent prouver facilement — car ils ne sont pas aussi scolarisés que vous l'êtes — qu'ils résident à telle ou telle adresse. Nous devons nous préoccuper de ces personnes. C'est la raison d'être du Sénat. Si notre institution a une quelconque utilité, c'est essentiellement celle-ci : se demander quelle sera l'incidence du projet de loi sur les Canadiens qui, à première vue, ne peuvent se conformer au cadre général comme la majorité des Canadiens. Nous avons une démocratie pleine d'humanité, en quelque sorte, qui se soucie de ceux qui ne satisfont pas aux règles générales.
Il m'apparaît que le système de recours à un répondant permet de remédier à cet état de choses. Si quelqu'un peut me prouver que ce système ouvre la porte à la fraude ou peut influer sur le résultat des élections, au point de parler de vol d'élections, je préconiserai que nous nous penchions là-dessus. Mais aucun témoin n'a été en mesure de nous en faire la démonstration. Si ce système permet à un Canadien incapable de fournir les pièces d'identité que vous et moi avons dans notre poche de voter, eh bien, je veux savoir, avant de décider de l'éliminer, s'il existe une meilleure solution pour protéger le droit de vote des Canadiens. Il s'agit ici de personnes plus vulnérables, moins scolarisées et ainsi de suite. Nous devons nous préoccuper d'elles.
Comme vous l'avez dit, l'article 3 ne restreint pas le statut d'électeur à certaines catégories de personnes. Un électeur peut voter pour les mauvaises raisons, à vos yeux et aux miens, mais il a le droit de se tromper et de voter pour les mauvaises raisons. Nous le savons tous. Telle n'est pas la philosophie de notre système. L'objectif est plutôt de permettre aux gens de participer au processus électoral, car voter fait partie intégrante de la société canadienne. Voilà ce qu'il en est.
Je ne voulais pas vous faire la leçon.
M. Thomas : Est-ce qu'il y aura un examen? Permettez-moi de formuler quelques observations.
Il conviendrait de mettre davantage l'accent sur ce qui vient en amont du processus et de veiller à ce que les inscriptions soient à jour et à ce qu'il n'y ait pas trop d'erreurs. Le Royaume-Uni se tourne vers l'inscription en ligne et l'authentification en ligne de l'identité des électeurs, ce qui réduira les risques le jour des élections, car c'est toujours une période intense où interviennent beaucoup de bénévoles.
Deuxièmement, ce qui pose problème, comme chacun le sait, ce n'est pas de prouver son identité; c'est l'exigence liée à l'adresse. Je crois que le modèle manitobain mérite d'être étudié : si une personne arrive au bureau de scrutin et présente deux pièces d'identité, mais aucune indiquant son adresse, on ne l'oblige pas à retourner chez elle ou à trouver un répondant. On la fait voter par déclaration. Elle déclare être la personne indiquée sur sa carte d'identité et habiter dans la section de vote de sa circonscription où on lui demande de voter. Si le gouvernement et le Parlement disposaient de plus de temps, vous examineriez la situation au Royaume-Uni. Celui-ci est en train de se doter d'une approche beaucoup plus équilibrée, raisonnée et mesurée des risques de fausse représentation de la part d'électeurs. Ces risques n'ont pas été prouvés.
En Australie, au niveau national, les six États utilisaient le vote par déclaration jusqu'à cette année, moment où le Queensland est devenu le seul État à exiger une pièce d'identité avec photo, mais sur laquelle l'adresse n'est pas tenue de figurer. Les autorités de l'État ont agi pour rassurer la population. Elles ont affirmé clairement n'avoir absolument aucune preuve qu'il y ait déjà eu fraude électorale, mais compte tenu des critiques et pour donner à la population l'assurance de l'intégrité du processus électoral, elles ont adopté cette mesure.
Je ne suis pas avocat, mais les tribunaux pourraient devoir se pencher sur le principe de proportionnalité. S'agit-il d'une restriction justifiée en regard des risques de fraude électorale? Je m'arrête ici.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux témoins.
J'ai écouté votre témoignage et les différentes discussions qui ont suivi. Comme vous l'avez mentionné, le droit de vote est constitutionnel, c'est une loi qui est établie depuis plusieurs années.
Ne pensez-vous pas qu'avec le temps, les lois doivent être modernisées et s'harmoniser avec ce qui se passe actuellement?
À titre d'exemple, il y a une dizaine d'années, on n'attachait pas sa ceinture en voiture alors que maintenant, il y a une obligation de le faire. On pouvait prendre l'avion sans être identifié, et aujourd'hui, on ne le peut plus. Et curieusement, on pouvait venir au parlement où on entrait librement, on nous souhaitait la bienvenue. Vous savez comme moi, et vous l'avez peut-être même vécu aujourd'hui, qu'on ne plus entrer dans l'édifice de l'Est sans être identifié.
Est-ce que le projet de loi ne vise pas à moderniser nos façons de faire pour ainsi tenter d'éviter les tentatives de fraude?
[Traduction]
M. Thomas : Absolument, il convient de moderniser nos lois électorales de temps à autre. Dans l'idéal, on chargerait un comité parlementaire de réaliser une étude, avec le soutien et l'avis du directeur général des élections. Proposer de vastes changements radicaux n'est probablement pas la meilleure façon de dégager un consensus et d'assurer la légitimité du résultat.
Le Royaume-Uni prend plusieurs années, et consulte activement le comité du Président chargé de la loi électorale. Donc, tous les partis ont leur mot à dire. En vertu de toutes les lois électorales, et le Royaume-Uni en compte environ 38, il est obligatoire que le chef de la commission électorale soit consulté avant tout changement.
C'est la méthode la plus préconisée. J'ai examiné la situation aux États-Unis. Il existe là une commission bipartisane qui se trouve actuellement dans une impasse. Ses travaux n'avancent pas. Tant les républicains que les démocrates ne cessent d'accuser l'autre côté d'essayer de tirer des gains politiques de la situation. À la longue, tous les intéressés perdent la foi dans la loi électorale, et les électeurs ne sont plus aussi sûrs qu'ils le devraient que le processus est juste et que les deux partis jouent à cartes égales.
Je suis d'accord avec vous. Je crois que M. Wiseman a dit plus tôt qu'Élections Canada était une grosse bureaucratie. C'est un fait, et cet organisme devrait avoir des comptes à rendre. Il faudrait insister pour qu'il donne des preuves de son fonctionnement. Je me souviens d'une lettre adressée aux deux Chambres par tous les agents du Parlement, dans laquelle ceux-ci insistaient pour que vous nous obligiez davantage à rendre des comptes sur l'utilisation que nous faisons de notre argent et de notre personnel, les mesures que nous prenons et ainsi de suite. Personnellement, je crois qu'on n'a pas donné suite à cette demande. Je surveille le milieu de près. Les comités des deux Chambres n'accordent pas une attention assez suivie des quelque huit agents du Parlement, y compris Élections Canada. Les mandataires ne devraient pas avoir carte blanche, ils devraient avoir à rendre des comptes. Il faut assurer le bon équilibre entre indépendance et reddition de comptes. Je voulais juste mentionner cela.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Avez-vous un commentaire, monsieur Wiseman?
[Traduction]
M. Wiseman : Merci. Je remercie aussi le sénateur Joyal. Vous m'en avez appris tous les deux.
Je suis d'accord concernant la modernisation, et ce que vous dites me semble raisonnable. La nécessité de s'identifier est évidente maintenant, notamment quand on arrive au Parlement. C'est une excellente question à étudier. Le Sénat a notamment pour fonction de défendre les droits des minorités et des moins privilégiés, même si John A. Macdonald croyait que les riches constituaient une minorité et que le Sénat devait être là pour les protéger.
Nous sommes aux prises avec des points de vue divergents sur ce point. Je veux encore les remettre en perspective. Je sais que nous avons engagé 226 000 personnes, l'an dernier, pour travailler aux bureaux de scrutin. Cela signifie qu'il y avait deux fois plus de travailleurs d'élections que de personnes ayant eu recours à un répondant. Environ une personne par bureau de scrutin a eu besoin d'un répondant. Ce n'est pas beaucoup, mais il y a un principe en jeu. Nous ne pouvons empêcher qui que ce soit de voter.
Je ne crois pas non plus qu'il y ait eu de la fraude à grande échelle, mais j'ai aussi entendu ce que le ministre a dit. Il prétend que c'est le cas, mais personne n'a fait enquête là-dessus. Je crois qu'il y a un élément de paranoïa en ce qui concerne la fraude.
Rappelons-nous que nous avons déjà eu des problèmes avec le système de répondants. Je ne sais plus si c'était en 2004 ou 2006, mais il me semble qu'une personne avait servi de répondant pour de nombreux électeurs dans Vancouver-Est et que cela avait suscité irritation et préoccupations.
Je m'intéresse davantage à l'issue des élections. Je ne suis pas un avocat constitutionnaliste. Je ne suis pas aussi ferré en ce qui concerne les droits. À mon avis, dans l'ensemble, les résultats ne seront pas très différents, et la situation ne sera pas aussi désastreuse qu'elle le serait en raison des critiques que suscite ce projet de loi. En outre, cette mesure ne permettra pas d'assurer les avantages promis par ceux qui la parrainent. C'est peut-être juste un autre vecteur de débat partisan.
Je n'ai pas signé la lettre envoyée par 158 de mes collègues. Je pense que M. Thomas l'a fait.
M. Thomas : Je ne l'ai pas signée.
M. Wiseman : Je me demandais combien de ces personnes avaient voté pour le parti ministériel, et si ces gens auraient changé d'attitude si le gouvernement avait modifié sa position. On a souvent une pensée réflexe qui fait que si cela vient de tel parti, c'est nécessairement mauvais, et si cela vient de l'autre, c'est nécessairement bon. Cette affaire est devenue une lutte partisane.
M. Thomas est un sage à cet égard. Il a étudié la question beaucoup plus en profondeur que je ne l'ai fait. Je pense qu'il vaut mieux que nous adoptions un régime électoral qui fait consensus. Je ne sais pas si, advenant un tel consensus, Élections Canada devrait dépenser autant d'argent à tenter de convaincre les gens qu'ils doivent aller voter.
Le sénateur Moore : Je veux revenir sur la question du sénateur Baker à propos de la possibilité de donner au commissaire aux élections le pouvoir d'obliger des gens à venir témoigner quand il sait que quelque chose cloche et qu'il semble que la loi a été violée. Cela s'est produit dans l'affaire des appels automatisés. Le juge Mosley a constaté qu'il s'agissait d'une activité frauduleuse, mais le commissaire n'a pas le pouvoir de contrainte en vertu du projet de loi dont nous sommes saisis. Cette mesure ne permet que de conserver l'information pendant un an, et il n'est pas nécessaire que le numéro de téléphone de la personne contactée figure dans cette information, ce qui est pourtant un élément clé.
Nous savons que ces dispositions ne sont pas suffisantes. Nous savons à quoi cela peut mener. Nous en avons vu les conséquences avec la décision du juge Mosley. Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet? Il s'agit de procédure juridique, mais c'est aussi une question pratique si l'on veut que les élections soient le plus justes possible. Auriez-vous tous deux, ou l'un de vous deux, des observations à formuler à cet égard?
M. Thomas : L'une des choses que j'ai découvertes en étudiant ces questions au fil des ans, c'est que ce sont souvent les détails qui sont les plus importants. Nous avons besoin, dans le domaine électoral, de lois, de structures, de procédures et de politiques qui respectent les valeurs et les principes fondamentaux. Réaliser cela, c'est un art, pas une science. J'ose affirmer que les spécialistes des sciences politiques et les avocats ne peuvent pas déterminer précisément qu'est-ce qui fera que vous obtiendrez juste le bon équilibre dans tout cela.
J'ai été le premier commissaire aux allocations des partis, au Manitoba, il y a un an ou deux. J'ai été nommé après consultation de tous les partis, et mon rôle était de déterminer l'avenir des allocations annuelles qui étaient attribuées aux partis politiques en fonction du nombre de votes de chacun. Une fois passé le débat sur certains des principes, il faut en écrire les conclusions en noir sur blanc. C'est alors que commence le véritable défi. C'est facile d'avoir des discussions abstraites entre initiés, mais la partie la plus difficile est d'établir un système qui fonctionne et respecte tous les objectifs. Mais je digresse.
Je pense que, actuellement, la commission électorale ou le directeur des élections de cinq provinces — ou est-ce six, sénateur Baker? — a le pouvoir de contraindre des personnes à témoigner. La commission électorale du Royaume-Uni a aussi ce pouvoir. J'ai rencontré M. Wardle, son directeur, et il dit que c'est utile pour l'organisme. Encore une fois, vous pouvez penser que c'est arbitraire et injuste, mais cela peut être une mesure d'équité envers la personne qui fait l'objet d'une plainte.
Le sénateur Moore : Cela permet d'élucider la situation le plus vite possible.
M. Thomas : Le Royaume-Uni a diffusé un document de travail sur la politique d'application. Ses auteurs ont étudié chaque étape des garanties procédurales visant à assurer la justice naturelle, ou l'application régulière de la loi à l'endroit des accusés. Il ne s'agit pas seulement de dénoncer, blâmer et mortifier. Il s'agit d'assurer le respect de la loi, plus particulièrement de ses exigences légales, mais aussi de l'esprit de la loi. Vous devriez donner à l'organisme d'application une trousse d'outils comprenant un continuum d'instruments qui lui permettra d'assurer que les partis et les candidats respectent la loi.
Vous ne devriez pas commencer par les traîner en cour. Au Canada, la loi est conçue de manière à favoriser les poursuites en cour. C'est le Code criminel qui s'applique, et Élections Canada ne peut pas avoir recours à des pouvoirs législatifs délégués ou invoquer une autre loi. D'autres pays que j'ai examinés dans le cours de l'étude que j'ai mentionnée ont ce pouvoir, et ils s'engagent dans cette direction.
Je m'arrête ici, monsieur le président.
M. Wiseman : Je pense que le coup le plus choquant des dernières élections a été les appels visant à entraver le vote des électeurs à Guelph, absolument. Des accusations ont été portées, et ailleurs aussi. Je pense que la plus grosse lacune de la loi est l'impossibilité de contraindre les intéressés à témoigner. Nous savons qu'il existe actuellement des gens qui pourraient faire la lumière sur cette affaire. Je crois que les gens de bonne foi, ayant de bonnes valeurs, veulent que la lumière soit faite. Je n'aime pas l'idée qu'Élections Canada ne puisse pas nous communiquer l'information quand cet organisme reçoit des plaintes pour fraude ou mauvaise conduite. Je suis d'accord avec M. Thomas sur le fait que, si vous pouviez contraindre des gens à témoigner, on pourrait très souvent élucider ces questions plus rapidement.
Cela m'attriste. Je pense aux affaires qui touchent les députés de Peterborough et de Labrador. Le député fait maintenant l'objet de poursuites, mais pas pour ce qui s'est passé lors des dernières élections — pour ce qui s'est passé en 2008. Pourquoi faut-il autant de temps? Cela nuit à la crédibilité du système.
Le sénateur Moore : En effet.
M. Wiseman : Je me suis demandé pourquoi nous avions une partielle immédiatement au Labrador. Si nous avons une élection partielle immédiatement et que le député est réélu, il est en quelque sorte absous. Je ne crois pas que cela convienne non plus.
Ce qui m'attriste également, si je puis me permettre, c'est que les Canadiens considèrent, dans l'ensemble, à mon avis, que nous avons un système démocratique et que même des erreurs de ce genre ne changeront rien au résultat final. Pensons-y, pourquoi avons-nous eu des élections en 2011? Je crois bien que c'était la première fois dans l'histoire du Canada qu'un gouvernement tombait pour s'être rendu coupable d'outrage au Parlement.
Le sénateur Moore : C'est exact.
M. Wiseman : L'un des partis a affirmé que c'était l'enjeu de la campagne. Nous savons ce qui est arrivé à ce parti. Pour ceux d'entre nous qui sont des mordus de la politique ou des politicologues sachant bien comment fonctionne le Parlement, c'était significatif.
Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie tous les deux pour votre exposé. Je vous félicite, monsieur Thomas, pour votre mémoire de 30 pages sur le projet de loi C-23. Je n'ai pas encore eu la chance de passer au travers.
M. Thomas : C'est une cure contre l'insomnie, alors n'hésitez pas à vous y attaquer.
Le sénateur McIntyre : Je l'ai feuilleté, cependant.
« Intégrité des élections Canada » vise à établir de nouvelles règles d'enregistrement des appels aux électeurs et un registre des communications avec les électeurs. Le projet de loi C-14 prévoit que le mandat d'administrer ces registres relèvera du CRTC, et non d'Élections Canada.
Je crois comprendre que le CRTC a de l'expérience des registres relatifs aux télécommunications non sollicitées. Les partis et les candidats respectent déjà les règles du CRTC quand ils font des appels non sollicités. À votre avis, est-ce une bonne idée de confier au CRTC ce nouveau registre des communications avec les électeurs?
M. Thomas : Je crois que c'est le bon endroit. Aux États-Unis et dans les huit ou neuf États qui ont un tel registre, cette responsabilité relève étrangement de divers organismes comme la Commission de la fonction publique. C'est insensé. Je pense qu'Élections Canada a déjà assez de choses à faire, avec un crédit législatif variable en prévision d'événements comme des élections et des référendums. Je ne crois pas qu'on doive ajouter ce domaine d'expertise à sa charge. Je pense que le CRTC devrait accepter cette fonction dans le cadre de son mandat. Je ne sais pas si on l'a consulté, ni s'il a accepté, mais c'est bien à cet organisme qu'il faut confier ce mandat.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Wiseman, êtes-vous du même avis?
M. Wiseman : Je m'en remets là-dessus à l'avis de M. Thomas. En tant que simple citoyen, je préférerais ne recevoir aucun appel automatisé à mon domicile.
Le sénateur Moore : Bravo!
M. Wiseman : Je trouve ces appels insultants. C'est déplaisant de ne pas pouvoir communiquer avec la personne et de me faire dire d'appuyer sur tel ou tel bouton. J'aimerais qu'il y ait des restrictions applicables à ces appels. Nous ne sommes pas en campagne électorale. Pourquoi devons-nous subir cela? J'aimerais que, même en campagne électorale, nous n'en recevions pas. Je peux obtenir l'information dont j'ai besoin en ligne et dans les journaux. Les partis sont libres de venir à ma porte et de me laisser leurs dépliants. C'est une violation de ma vie privée. Ils peuvent communiquer avec nous par des moyens qui ne sont pas accessibles aux entreprises privées. Pourquoi?
M. Thomas : Voici mon conseil à Nelson : déménagez en Ohio. C'est l'un des trois États où l'abonné du téléphone doit consentir à recevoir ce message avant d'entendre l'enregistrement.
La sénatrice Batters : Merci à tous les deux d'être avec nous aujourd'hui.
Monsieur Thomas, je veux clarifier une chose. Vous avez dit franchement que vous siégez au Comité consultatif d'Élections Canada. Vous avez dit que vous aviez été payé pour deux jours de travail. S'agit-il d'une indemnité quotidienne? Si oui, de combien est cette indemnité?
M. Thomas : De mémoire, je ne suis pas sûr. Le président et le coprésident reçoivent un montant plus élevé que les membres ordinaires. J'ai tout un lot de nouveaux amis au sein de ce groupe de distingués Canadiens.
Je pense que ma paye est d'environ 2 000 $ par jour, quelque chose comme ça.
La sénatrice Batters : Jusqu'à maintenant, vous avez touché cette indemnité pour deux jours.
Vous avez aussi parlé de l'étude que vous réalisez actuellement, ou que vous venez de terminer.
M. Thomas : Cette étude est terminée. J'en ai eu le mandat l'an dernier. J'en suis le coauteur avec Lorne Gibson, ancien directeur général des élections de l'Alberta.
La sénatrice Batters : Il s'agit de l'étude dont vous avez parlé plus tôt, pour laquelle vous avez été rémunéré 18 000 $ et dont une partie de l'argent a servi à couvrir vos dépenses. Cela faisait partie de l'étude?
M. Thomas : Tout à fait.
La sénatrice Batters : Monsieur Wiseman, j'ai été sensible à vos observations sur le système de répondant, car, selon moi, le droit de vote est un droit certes important, mais il s'accompagne de l'obligation, très raisonnable, de prouver son identité et, au Canada, son lieu de résidence.
Je profite de l'occasion pour rappeler aux Canadiens que les prochaines élections auront lieu dans 18 mois, ce qui leur laisse amplement le temps de se procurer l'une des 39 pièces d'identité requises. Parmi ces pièces d'identité, plusieurs documents d'attestation auxquels nous avons fait référence fournissent l'adresse de résidence et peuvent servir à certains groupes désavantagés qui, autrement, pourraient être dans l'impossibilité de fournir ce type d'information.
Vous avez également parlé de la carte d'information de l'électeur. Marc Mayrand est venu témoigner plus tôt devant notre comité et il a parlé du taux d'erreur de 10 p. 100 qui y est associé. Il a confirmé que 23 millions de Canadiens ont voté lors de la dernière élection, ce qui équivaudrait à 2,3 millions d'erreurs. Il a concédé que, après révision des cartes d'information de l'électeur, le taux d'erreur avait été abaissé à 7 p. 100. On parle encore de plusieurs centaines de milliers d'erreurs. Selon moi, le taux d'erreur est trop élevé pour assurer l'intégrité du régime électoral. Auriez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
Par ailleurs, j'ai pris note de votre expérience lors des élections de 2011, où le greffier du scrutin semble avoir commis une erreur. Vivez-vous en Ontario?
M. Wiseman : Je vis en Ontario.
La sénatrice Batters : D'accord. Puisque vos nom, adresse et photo figurent sur votre permis de conduire, vous n'auriez même pas eu besoin de votre carte d'information de l'électeur. Votre permis de conduire aurait suffi.
M. Wiseman : Évidemment. Eh bien, je suis d'accord avec vous. Je le sais.
La sénatrice Batters : Mais plusieurs l'ignorent.
M. Wiseman : Et plusieurs greffiers du scrutin l'ignorent aussi. Trouver des gens pour remplir cette fonction est un problème.
En 1990, je voyageais à l'étranger. Puisque des élections se tenaient en Ontario le 6 septembre, je suis revenu au pays le 1er septembre, et, à cette époque, en vertu de la législation ontarienne, il fallait être inscrit sur la liste électorale pour avoir le droit de voter. Je ne crois pas que j'étais autorisé à voter au bureau de scrutin si je n'étais pas inscrit sur la liste. J'ai donc dû me rendre en voiture jusqu'à St. Clair — je vis au sud de Yonge — pour m'inscrire. On m'a inscrit sur place. Les gens là-bas m'ont alors supplié d'être greffier du scrutin, car ils ne parvenaient jamais à trouver personne. Je me suis rendu compte que l'endroit se trouvait ironiquement de l'autre côté de la rue, dans la résidence pour étudiants mariés. Ils n'avaient pu trouver aucun étudiant pour jouer ce rôle. Les étudiants se plaignaient de leur revenu, mais c'était un professeur qui agissait à titre de greffier du scrutin.
J'ai compris quel était le problème. Il est excellent que des gens ordinaires assument cette responsabilité, mais nous leur sommes reconnaissants d'être prêts à rester assis durant 12 heures. La rémunération n'est pas vraiment intéressante, et les conditions sont difficiles pour bon nombre de citoyens âgés.
Pour revenir à la carte d'information de l'électeur — puisque je me suis beaucoup éloigné du sujet —, je signale que j'ai reçu de nombreuses cartes erronées. Je sais qu'un journaliste a tenté pendant dix ans, en vain, de faire retirer le nom de sa mère.
Cela dit, je suis conservateur sur cette question, conservateur avec un petit « c ».
La sénatrice Batters : Je m'en réjouis.
M. Wiseman : Mais vous n'aimerez peut-être pas ma réponse, c'est-à-dire que nous avons une tradition, celle d'utiliser la carte d'information de l'électeur. Les électeurs y sont habitués. À mon avis, bien des gens seront mécontents. La carte sera-t-elle encore envoyée? La refusera-t-on comme preuve d'identité? Est-ce ce qui se passera en vertu de la nouvelle loi? Enverra-t-on même la carte?
La sénatrice Batters : Je l'ignore. La décision reviendra probablement à Élections Canada.
M. Wiseman : Si la carte d'information de l'électeur n'est pas envoyée, le taux de participation aux élections diminuera, à mon avis, car, pour bien des gens — surtout pour un grand nombre de nouveaux citoyens —, la carte les avise de la tenue d'une élection. Ils se disent qu'ils doivent peut-être se rendre à l'endroit indiqué.
C'est notamment pour cette raison que j'ai déploré le déclin du recensement à domicile. À mon avis, il y a un lien direct entre l'élimination du recensement à domicile et la baisse du taux de participation électorale, car un agent de l'État se présentait chez nous et nous demandait qui vivait dans la résidence et si nous étions citoyens. Bien des gens qui vivaient au pays depuis quelques années seulement ou qui étaient originaires de pays non démocratiques se disaient que l'État canadien veillait à ce qu'ils aillent voter. Maintenant que le recensement à domicile n'existe plus, que nous propose-t-on maintenant?
Le sénateur Plett : J'ai une observation à faire à l'intention de monsieur Thomas. Vous avez parlé du système en place au Manitoba. J'ai participé de très près aux dernières élections provinciales au Manitoba. Je ne suis pas du tout d'accord pour dire qu'il n'y a eu aucune fraude électorale massive au Manitoba lors des dernières élections.
M. Thomas : Vous dites qu'il y a eu une fraude massive...
Le sénateur Plett : Je suis convaincu qu'il y a eu une fraude électorale massive lors des dernières élections au Manitoba. C'est une observation que je fais. Vous avez déclaré quelque chose qui sera consigné au compte rendu, et je voulais dire officiellement au moins ceci, c'est-à-dire que je ne suis pas d'accord avec vous.
M. Thomas : Selon l'ancien directeur général des élections, qui a pris la parole au Manitoba il y a une semaine, le système de vote par déclaration a fonctionné sans problème grave lors de deux élections générales. Je ne me souviens d'aucun rapport émis par Élections Manitoba selon lequel il y aurait eu usurpation généralisée de l'identité des électeurs.
Le sénateur Plett : Je n'approuverais certainement pas le rapport de l'ancien directeur général des élections.
Monsieur Thomas, vous dites ne pas être favorable à ce que le commissaire aux élections relève du directeur des poursuites pénales, et non plus d'Élections Canada et de son cadre administratif. Or, des témoins ne sont pas d'accord avec vous à cet égard, notamment la personne qui a comparu juste avant vous. Selon elle, le système de déclaration actuel est confus. J'aimerais savoir pourquoi, selon vous, c'est une mauvaise chose. J'aimerais que M. Wiseman nous fasse part de ses commentaires, car je ne crois pas qu'il ait abordé cette question dans son exposé. J'aimerais entendre vos observations à cet égard également.
Je vais poser brièvement l'autre question avant que le président ne m'interrompe. Vous avez parlé très brièvement du système de contributions et de l'augmentation du plafond des contributions, et vous avez dit être favorable à ce qu'on porte le plafond à 1 500 $. Encore une fois, M. Howe y était catégoriquement opposé et voulait même qu'on porte le plafond à 100 $, soit le seuil en vigueur au Québec. À mon avis, notre parti recueille certainement la vaste majorité de ses fonds grâce à des dons de 100 $, et non de 1 500 $, et je crois que c'est le cas des autres partis aussi. J'aimerais entendre vos observations à ce sujet. Les dons faits au Parti conservateur sont inférieurs à 100 $ par don et à 200 $ par année. Pourriez-vous nous dire si, à votre avis, ce montant est approprié?
M. Thomas : J'ai trois points à soulever en ce qui concerne le fait que le commissaire aux élections ne serait plus un agent du Parlement, ce qui le met davantage à l'abri des pressions politiques, et qu'il relèverait désormais d'un ministère. Il risque d'être soumis aux restrictions du ministère concernant les communications. En Nouvelle-Zélande, par exemple, trois fonctions distinctes liées aux élections qui relevaient de divers secteurs de différents ministères ont été regroupées sous une commission électorale formée de trois personnes et présidée par un juge. Selon moi, dans tous les pays que j'ai observés, la tendance semble être à l'intégration. Les activités d'Élections Canada et du commissaire sont intimement liées, et je crois que ce lien sera perdu.
Je m'inquiète des limites budgétaires imposées par le Conseil du Trésor. De 2005 à 2012, il existait un comité présidé par le Président sur le financement et la reddition de comptes des agents du Parlement, mais ce comité a cessé ses activités. Il servait pourtant de protection contre les actions du gouvernement visant à limiter ces organismes.
Pour ce qui est des contributions, sénateur Plett, j'approuve la hausse du plafond. Dans le cadre des études que j'ai menées à titre de commissaire aux allocations aux partis au Manitoba, j'ai été à même de reconnaître que les partis ont besoin de ressources, financières ou autres, pour exercer des fonctions essentielles. Si on élimine une source de financement telle que les subventions annuelles, il faut alors donner aux partis un peu plus de latitude. Si on interdit les contributions des grandes sociétés et des syndicats, les partis doivent recueillir des fonds autrement, mais ils doivent le faire de la façon la plus transparente et la plus responsable qui soit. À mon avis, le projet de loi comporte des lacunes pour assurer la reddition de comptes en ce qui concerne le financement et les dépenses des partis.
Le sénateur Plett : Je crois que M. Wiseman voulait faire une observation.
Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais lire quelque chose aux fins du compte rendu pour répondre à une question qui a été posée. Je serai très bref.
Le président : Voulez-vous lire cet extrait en premier?
Le sénateur Plett : Non. Je vais attendre que M. Wiseman ait répondu.
M. Wiseman : Le fait que le commissaire aux élections relève du directeur des poursuites pénales ne me pose aucun problème puisque, à mon avis, le directeur et le commissaire feront leur travail. Selon moi, cela pose un problème si le gouvernement restreint le budget du commissaire par l'intermédiaire du Conseil du Trésor.
Au sujet du plafond de 1 500 $, ce seuil m'apparaît acceptable. Pour qu'il ne constitue plus un problème, pourquoi ne l'établissons-nous pas à 1 500 $ et ne l'indexons-nous pas à l'inflation? À mon avis, le réel problème avec le financement, c'est tout l'argent qui est consacré à la publicité avant le déclenchement des élections.
Le sénateur Moore : Exactement.
M. Wiseman : Pour terminer, comme nous sommes tous Manitobains et que vous avez soulevé la question de la fraude lors des dernières élections, je signale que j'ai écrit le chapitre d'un livre sur la dernière élection. Les journalistes sont toujours à l'affût de ce genre de nouvelles. Or, je n'en ai pas entendu parler. La principale fraude au Manitoba a été commise dans les années 1990, lorsque le Parti conservateur a présenté un faux candidat autochtone indépendant, comme vous le savez. Cette fraude a mené à l'élection du gouvernement néo-démocrate, qui est toujours au pouvoir.
Le président : Merci, monsieur.
Le sénateur Plett : Nous en débattrons plus tard.
Monsieur le président, quelqu'un a demandé si la carte d'information de l'électeur sera toujours envoyée. Nous disposons de certains renseignements. Élections Canada continuera de l'envoyer, mais on ne pourra l'utiliser comme pièce d'identité. L'information importante sur le lieu et la date du vote sera encore envoyée.
Le président : La dernière question revient au sénateur Cowan.
Le sénateur Cowan : Je crois que nous avons un vote. J'allais vous poser une question, mais peut-être que les deux professeurs accepteraient de nous faire part de leurs commentaires.
Je crois que nous convenons tous qu'il est important de permettre aux gens de voter et de les encourager à exercer leur droit de vote. Nous convenons également qu'il est important que le plus de gens possible croient en l'intégrité du système électoral et de sa gestion. Comment devrions-nous nous y prendre? Nous convenons également que la tentative actuelle pour réformer le système électoral suscite beaucoup de controverse. Pourriez-vous y réfléchir et peut-être nous envoyer une note, si cela ne vous dérange pas, décrivant la façon dont, selon vous, nous devrions nous y prendre pour résoudre cette importante question? Quel processus devrions-nous suivre pour atteindre ce qui est, à mon avis et à votre avis aussi je pense, un important consensus parmi les Canadiens, à savoir que l'intégrité du système doit prévaloir?
M. Thomas : Je ne vais pas vous empêcher de voter, mais pour répondre brièvement à la question, je dirais que les réformes effectuées à la Party and Elections Act au Royaume-Uni ont encadré le rôle de la commission électorale et les efforts de sensibilisation des électeurs. Tout était centré sur le fonctionnement du vote et limité à la question de savoir si certains groupes avaient reçu l'information adéquate. Il n'y avait aucune motivation sous-jacente. Le but était d'identifier les groupes cibles ayant besoin d'information supplémentaire pour voter. C'est le principe de la loi. On pourrait l'adapter très facilement. Vous devriez parler à Peter Wardle de la commission électorale au Royaume-Uni. Il pourrait vous en parler dans les moindres détails, mieux que je ne pourrais le faire.
Le sénateur Joyal : J'aimerais apporter une précision. M. Thomas voulait savoir où sont allés les droits d'auteur du livre. Ils ont tous été donnés au gouvernement, et ce, dès le début. Je suis désolé, mais comme je n'ai pas touché de droit d'auteur, je ne peux vous les redonner.
Le président : Messieurs, merci à vous deux pour votre contribution fort instructive et utile à nos délibérations.
(La séance est levée.)