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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 10 avril 2014


OTTAWA, le jeudi 10 avril 2014

Le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 1, pour examiner la teneur du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues et invités. Je souhaite également la bienvenue aux membres du public qui suivent les délibérations du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons l'étude préalable du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence. Le projet de loi vise à modifier de nombreux aspects de la Loi électorale du Canada et à modifier en conséquence la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et la Loi sur le directeur des poursuites pénales, entre autres lois.

Le projet de loi est examiné par le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a entendu plusieurs témoins au sujet de certains éléments du projet de loi. Notre tâche en tant que comité consiste à tenir des audiences publiques sur la teneur du projet de loi dans le but de faire rapport de nos constatations avant qu'il ne soit présenté au Sénat.

Notre premier témoin aujourd'hui est M. Yves Côté, commissaire aux élections fédérales à Élections Canada. Il est accompagné d'Audrey Nowack, conseillère juridique principale à la conformité et à l'exécution de la loi, également à Élections Canada.

Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Côté. Nous sommes heureux de vous recevoir. Vous pouvez procéder à votre déclaration préliminaire.

Yves Côté, commissaire aux élections fédérales, Élections Canada : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à témoigner sur le projet loi C-23 et sur son incidence sur mon rôle à titre de commissaire aux élections fédérales. Je suis accompagné de Me Audrey Nowack, conseillère juridique principale, Conformité et Exécution de la loi, Élections Canada.

Compte tenu du temps dont je dispose, je me concentrerai sur trois aspects du projet de loi qui préoccupent particulièrement mon bureau. Premièrement, les changements de structure prévus par le projet loi C-23. Deuxièmement, l'absence de pouvoirs adéquats permettant d'enquêter avec diligence, et troisièmement, les contraintes imposés à ma capacité de communiquer avec le public.

[Traduction]

Selon moi, les changements de structure proposés par le projet de loi C-23 sont à la fois inutiles et problématiques. Tout d'abord, je tiens à souligner qu'en tant que commissaire, j'ai toujours joui d'une indépendance absolue concernant la conduite des enquêtes et le choix des mesures d'exécution de la loi, y compris la décision de renvoyer une affaire au directeur des poursuites pénales, que j'appellerai le DPP. Par ailleurs, mon prédécesseur a récemment indiqué publiquement qu'il en était de même pour lui.

Cela n'a rien d'étonnant. La loi actuelle a été rédigée précisément pour que le commissaire, et non le directeur général des élections, prenne les décisions concernant son exécution et les enquêtes à mener. Selon mon expérience, je peux affirmer que la culture organisationnelle d'Élections Canada appuie fermement cette séparation.

[Français]

Cela fait maintenant près de deux ans que je suis en poste et mon indépendance n'a jamais été remise en question.

En effet, jamais le directeur général des élections ou quiconque à Élections Canada ou ailleurs n'a tenté d'influencer, d'une façon ou d'une autre, la manière dont mes enquêteurs et moi faisons notre travail. Intégrer le commissaire au Bureau du directeur des poursuites pénales (DPP) est une tentative de résoudre un problème qui, selon moi, n'existe tout simplement pas.

Bien que je prenne mes décisions en toute indépendance, j'ai besoin d'accéder librement et facilement aux renseignements d'Élections Canada pour mener mes enquêtes, ce qui n'est pas prévu et encore moins garanti par le projet de loi C-23 devant vous dans sa forme actuelle. Je compte également, et cela est important pour nous, sur l'expertise et sur les connaissances du personnel d'Élections Canada afin d'intervenir en connaissance de cause sans aller à l'encontre des manuels, des pratiques ou des politiques d'Élections Canada.

C'est dans l'intérêt de tous, y compris dans l'intérêt des partis et des candidats, qu'il en soit ainsi.

La mise en application de la loi ne peut et ne devrait pas se faire en vase clos.

[Traduction]

Dans les régimes de réglementation, ce besoin d'expertise et de cohérence entre l'administration et l'application de la loi explique pourquoi on a tendance à regrouper ces fonctions au sein d'un même organisme, plutôt que de les séparer. Prenons l'exemple du plus grand ministère du gouvernement du Canada, l'Agence du revenu du Canada. En plus de recevoir et de vérifier les déclarations de revenus, elle comprend une équipe d'enquête et peut recommander d'intenter des poursuites. C'est également le cas pour de nombreux autres organismes fédéraux, comme le ministère des Pêches et des Océans et le ministère de l'Environnement.

Aucun principe juridique ni aucune décision judiciaire n'empêchent de maintenir cette structure. En fait, les tribunaux qui se sont penchés sur la question de la communication entre, par exemple, les enquêteurs et les vérificateurs, y compris le plus haut tribunal du pays, n'ont pas jugé problématique le fait que ces deux fonctions se trouvent au sein d'un même organisme.

[Français]

En revanche, en intégrant le commissaire au bureau du DPP, le projet de loi C-23 réunirait deux fonctions qui sont normalement séparées. Ce n'est pas un jumelage habituel, bien au contraire. Au moment de décider s'il faut déposer des accusations et porter une affaire devant les tribunaux, il est absolument crucial que le DPP agisse en gardant une saine distance par rapport aux enquêteurs et à l'enquête et, de manière plus importante encore, qu'il soit perçu ainsi.

Si l'indépendance du commissaire par rapport au directeur général des élections est perçue comme un problème, je suggère que soient ajoutées à la Loi électorale du Canada elle-même les dispositions pertinentes portant, par exemple, sur la durée fixe de mon mandat et sur son inamovibilité, sans transférer le bureau du commissaire à une autre organisation.

En conclusion, le transfert proposé ne constitue clairement pas, selon moi, un pas dans la bonne direction.

[Traduction]

La deuxième question qui me préoccupe concerne les pouvoirs d'enquête du commissaire. Je crois qu'il est essentiel de donner au commissaire la capacité d'obtenir une ordonnance du tribunal afin de contraindre une personne à témoigner. Il n'est pas rare — et en fait, il semble qu'il soit de plus en plus fréquent — que les individus indirectement concernés par une enquête, mais qui pourraient détenir des renseignements importants, refusent de coopérer avec mon bureau. Cette situation entraîne des retards considérables et pourrait même compromettre une enquête.

Certains ont fait valoir — et je suis certain que vous l'avez entendu — que même la police ne disposait pas d'un tel pouvoir, ce qui est effectivement le cas. Mais le commissaire n'est pas un policier, et la Loi électorale du Canada n'est pas le Code criminel.

La Loi électorale du Canada est un régime réglementaire strict qui évolue dans un contexte politique où les allégeances partisanes sont généralement très fortes. Le directeur général des élections et moi-même avons tous deux recommandé que ce pouvoir soit accordé au commissaire et assorti des protections appropriées, telles que celles prévues dans la Loi sur la concurrence, par exemple. Le défaut d'accorder ce pouvoir constituerait une occasion manquée, monsieur le président.

[Français]

J'en arrive à mon dernier point. Je suis préoccupé enfin par les contraintes qu'impose le projet loi C-23 sur ma capacité à informer le public du résultat de mes enquêtes et des activités de mon bureau.

Il existe, évidemment, d'excellentes raisons pour préserver et maintenir la confidentialité des enquêtes. Toutefois, il existe, à mon avis, au moins deux types de communications importantes que je dois être en mesure de faire de façon directe et sans entrave.

Premièrement, et cela se produit de temps à autre, comme vous le savez, lorsque des allégations faites publiquement mettent en doute l'intégrité d'une élection et que l'enquête démontre que ces allégations n'étaient pas fondées, je veux être en mesure de rassurer les Canadiens en rendant publiques mes conclusions, notamment en fournissant certains détails factuels. C'est quelque chose que, incidemment, mon prédécesseur a fait à deux reprises durant son mandat.

Deuxièmement, il est important que je puisse rédiger mon propre rapport annuel afin de présenter mes activités, ainsi que mes observations, par exemple, sur les tendances et les préoccupations.

Contrairement à ce que propose le projet loi C-23, il me semble que ce rapport ne devrait pas faire partie d'un rapport soumis par quelqu'un d'autre et préparé par quelqu'un d'autre et d'un rapport soumis à un ministre du gouvernement.

[Traduction]

En conclusion, je tiens à préciser que mes préoccupations n'enlèvent rien au fait que certains éléments du projet de loi C-23 sont positifs, notamment l'augmentation des amendes, la création d'infractions et la réduction automatique du remboursement des dépenses électorales en cas de dépassement du plafond.

Enfin, et comme vous le savez sûrement, je note que le ministre d'État à la Réforme démocratique a indiqué qu'il pourrait être ouvert à certaines modifications concernant le délai de prescription et le critère régissant le déclenchement d'une enquête. Il est important de résoudre ces questions.

[Français]

Monsieur le président, je serai maintenant heureux de répondre à toutes les questions des membres du comité, sauf si elles devaient porter sur le détail de nos enquêtes.

[Traduction]

Le président : Merci, monsieur.

Je vous signale qu'il nous reste un peu plus de 50 minutes pour les questions et réponses; je vous encourage à garder cela en tête. Tous les sénateurs qui souhaitent poser une question pourront le faire. Nous commençons par les questions du vice-président du comité, le sénateur Baker. Allez-y, sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je vous remercie, monsieur le commissaire et madame Nowack, de votre présence ici aujourd'hui.

J'aimerais d'abord faire une mise au point : il y a deux jours, nous avons reçu Sheila Fraser, qui a lu un extrait du site web du directeur des poursuites pénales aux fins du compte rendu, qui portait sur la séparation entre le directeur des poursuites pénales et les enquêtes relatives aux accusations possibles. Elle voulait établir que la fonction du DPP était en fait très distincte de la vôtre et que le DPP intentait des poursuites uniquement après que des accusations soient portées.

Après avoir entendu votre témoignage, je crois qu'il faut d'abord éclaircir ce point : bien que cela soit vrai pour les poursuites en vertu du Code criminel, ce n'est pas le cas pour les poursuites en vertu de la Loi électorale du Canada. En fait, le directeur des poursuites pénales décide de porter ou non des accusations.

Oui, vous pouvez vous adresser au directeur des poursuites pénales, mais c'est lui qui décidera si des accusations seront portées et qui donnera suite aux accusations ou, dans le cas des appels ou de la section d'appel, qui mènera à bien ces poursuites.

La Loi référendaire contient la même disposition voulant que le directeur des poursuites pénales décide de déposer une dénonciation ou de porter des accusations. Le sénateur McIntyre, un grand avocat du Nouveau-Brunswick, hoche la tête présentement, parce qu'il a tenté l'autre jour de faire valoir que l'énoncé lu devant le comité était trompeur, puisqu'il ne s'appliquait pas à la Loi électorale du Canada.

J'aimerais seulement préciser d'abord que ce n'est pas vous qui êtes responsable de porter des accusations, mais bien le directeur des poursuites pénales, qui intente les poursuites par la suite.

M. Côté : Vous avez raison sur les deux points. Le DPP est le seul responsable de décider si des accusations seront portées; si tel est le cas, c'est lui qui intente les poursuites.

Le sénateur Baker : C'était seulement pour le compte rendu. Je crois qu'il est important de le souligner. Certains de mes collègues ont tenté de faire valoir ce point.

Ma question principale est la suivante, monsieur le commissaire : les anciens commissaires d'Élections Canada et le directeur général des élections d'Élections Canada ont témoigné à de nombreuses reprises devant nous au fil des années. Parmi les demandes importantes qu'ils ont faites en 2007, lorsque les conservateurs ont adopté l'imposante loi... comment s'appelle-t-elle déjà?

Le président : La Loi fédérale sur la responsabilité.

Le sénateur Baker : La Loi fédérale sur la responsabilité; merci, monsieur le président.

Quel était le grand enjeu à cette époque? On voulait qu'Élections Canada dispose de 10 ans pour intenter des poursuites; de 5 ans entre le moment où l'on découvrait le problème et le moment de porter des accusations, ou de 10 ans entre la date de perpétration de l'infraction présumée et la date du dépôt des accusations.

M. Côté : Oui.

Le sénateur Baker : Je vois dans le projet de loi une disposition qui permet un dégagement, une défense intégrée dans le projet de loi, et je me demande pourquoi il en est ainsi. Il s'agit de la destruction après un an des documents qui portent sur les appels automatisés, comme l'a fait valoir le sénateur Moore.

Pouvez-vous nous dire pourquoi on intégrerait une telle défense dans le projet de loi? Ainsi, vous pourriez constater après 10 ans d'enquête pour mener à bien des accusations que les documents ont été détruits neuf ans auparavant, parce que nous l'avions prévu dans le projet de loi. Pourquoi est-ce ainsi selon vous?

M. Côté : Je dirais d'abord que le projet de loi dans sa forme actuelle présente d'autres problèmes en ce qui a trait aux délais de prescription, comme je l'ai fait valoir dans mon exposé. Le projet de loi C-23 ne prévoirait aucun délai de prescription pour certaines déclarations de culpabilité par procédure sommaire. Par conséquent, le délai de prescription par défaut serait celui désigné dans le Code criminel pour les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité, c'est-à-dire six mois.

C'est l'un des points que nous avons soulignés, et je crois que le ministre de la Réforme démocratique s'est dit être ouvert à un changement à cet égard. C'est le premier enjeu.

Le deuxième enjeu maintenant : il est certain que la conservation des dossiers ou des éléments de preuve pour une période d'un an seulement pourrait bien entraîner de graves problèmes d'enquête. Si l'on pense par exemple au temps qu'il faut parfois pour déposer une plainte auprès du commissaire et pour entreprendre une enquête, il se peut très bien qu'au moment où nous demandions l'information, elle ne soit plus disponible.

C'est donc un problème. Je crois que la question a déjà été soulevée, et que le DGE en a déjà parlé. J'encourage certainement le comité à étudier cette question, parce qu'il semble y avoir un fossé entre le délai de prescription habituel et le fait que la conservation obligatoire — si l'on veut — des éléments de preuve se limite à une si courte période.

La sénatrice Frum : Bonjour. Je vous remercie de votre présence, monsieur Côté. J'ai beaucoup aimé votre exposé. Vos suggestions visant la modification et l'amélioration du projet de loi nous intéressent certainement. Je vais laisser mes collègues poser des questions en ce sens.

J'aimerais revenir à votre exposé. Vous avez dit qu'aucun principe juridique n'empêchait de maintenir la structure existante, selon laquelle vous relevez du directeur général des élections. J'aimerais savoir pourquoi, à votre avis, le principe juridique en cause n'est pas le principe de l'indépendance, réelle et perçue.

Selon la structure actuelle, le directeur général des élections a le pouvoir de vous embaucher et de vous renvoyer. L'article 510 de la Loi électorale du Canada prévoit que « Le directeur général des élections ordonne au commissaire de faire enquête lorsqu'il a des motifs raisonnables [...]; le cas échéant, le commissaire procède à l'enquête. » Cela ne ressemble pas à de l'indépendance, à mon avis; toutefois, lorsque votre bureau sera intégré à celui du DPP, la protection de votre indépendance sera accrue.

M. Côté : Merci, madame. Votre question contient de nombreux éléments. Je vais tenter d'y répondre de la meilleure façon possible.

Tout d'abord, vous avez dit que je relevais du DGE, mais ce n'est pas le cas. Il m'a nommé en vertu de l'article 510 de la loi. Je suis le seul responsable de l'application de la Loi électorale du Canada. Comme je l'ai dit dans mon exposé, il ne s'est jamais immiscé dans mes enquêtes. C'est un premier point.

Ensuite, on a beaucoup parlé de l'article 510 sous sa forme actuelle. J'ai quelques commentaires à faire à ce sujet. Tout d'abord, je remarque que selon sa formulation actuelle, le projet de loi C-23 abrogerait l'article 510. Il disparaîtrait du recueil de lois.

Plus important encore, et comme vous l'avez fait valoir, le DGE a le pouvoir de m'ordonner de procéder à une enquête en vertu de l'article 510. Après cela, il est très clair dans mon esprit et selon la disposition, à mon avis, que c'est à moi de décider quel type d'enquête je vais réaliser, comment je vais la réaliser, jusqu'où je vais aller et surtout quelle sera la décision.

Même sans l'article 510, le DGE aura la lourde responsabilité de veiller à la tenue d'élections appropriées et à la justesse du processus. Si le DGE, avec ou sans l'article 510, venait me voir pour me demander d'enquêter sur une question qui le préoccupait, je prendrais cela très au sérieux.

Je pense donc qu'on a dit beaucoup de choses au sujet de l'article 510, mais à mon humble avis, je ne crois pas que cela touche mon indépendance.

J'aimerais faire valoir un autre point : dans mon discours préliminaire, j'ai dit qu'il ne fallait pas que l'application de la loi se fasse en vase clos. Comme vous le savez — et la sénatrice McCoy en a un exemplaire devant elle —, la Loi électorale du Canada est très dense. Elle contient de nombreuses dispositions, et son administration quotidienne comporte de nombreux éléments. Il est très important, pour moi en tant que commissaire et pour mes enquêteurs, de suivre cela de près.

Comme nous travaillons de près avec Élections Canada, nous sommes très bien informés de ce qui se passe. C'est très important.

Mes enquêteurs travaillent actuellement au sein d'Élections Canada, où ils ont établi et maintenu des contacts. Si nous étions séparés, ces contacts personnels importants seraient peut-être maintenus au cours des premiers mois ou des premières années, mais je vous demande de vous projeter cinq ou 10 ans dans l'avenir. Ils disparaîtront. Nous risquons de travailler de façon trop distante.

La sénatrice Frum : Donc, vous croyez que le projet de loi C-23 vous empêcherait de maintenir ces contacts dans l'avenir? Voudriez-vous que le libellé de la loi soit plus clair quant à votre capacité de communiquer avec le DGE alors que vous serez au bureau du DPP et à votre indépendance?

M. Côté : J'aimerais dire deux choses à ce sujet : d'abord, il est très clair dans mon esprit — et je l'ai déjà dit — que si le projet de loi C-23 est adopté selon sa forme actuelle et sépare les deux bureaux, il sera très important d'ajouter des dispositions à la loi pour établir clairement que le DGE pourra nous communiquer, à moi et à mon personnel, tous les renseignements pertinents relatifs à une plainte ou à un dossier qui nous sera transféré. À mon avis, c'est un élément essentiel. À l'heure actuelle, cette question est très incertaine, monsieur le président. Je crois qu'il incombe au Parlement de la régler.

Mon deuxième point — et j'y ai fait allusion dans mon discours préliminaire —, c'est que si l'on perçoit que mon bureau et moi ne sommes pas suffisamment indépendants du directeur général des élections ou d'Élections Canada, je crois qu'il faudrait intégrer des dispositions à cet égard dans la Loi électorale du Canada même, pour confirmer par exemple que toutes les enquêtes menées par le commissaire sont réalisées en toute indépendance du DGE, que le DGE ne s'y ingère pas, et cetera. Cette mesure permettrait de corriger la perception de problème à cet égard.

[Français]

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Côté et madame Nowack. En écoutant votre présentation, et ayant écouté également les témoins antérieurs que nous avons reçus, j'ai l'impression suivante du projet de loi C-23, qui est qu'on met l'accent sur l'aspect structurel de votre statut, où vous allez vous situer, sous l'autorité du directeur général des élections ou du directeur des enquêtes publiques, mais que, en fait, on est peu préoccupé par la question de vous donner les moyens d'assumer vos responsabilités, c'est-à-dire vous donner l'autorisation d'aller au tribunal et d'obtenir un ordre pour amener une personne à témoigner, ou d'obtenir la production des documents que vous voulez consulter, ou encore d'allonger la période des offenses pour des mises en accusation, pour vous donner le temps de faire des enquêtes. Car, comme vous le dites, c'est très facile, on ne corrige pas, dans ce projet de loi, le fait qu'une personne peut refuser de collaborer, et vous n'avez aucun moyen de la contraindre. À mon avis, c'est un peu comme si on disait à la police : vous assurez l'ordre, mais vous n'aurez aucun moyen d'arrêter quelqu'un. Voyons, qu'est-ce que c'est que ça?

Il me semble qu'il y a des choses très élémentaires dont vous devriez disposer et que ce projet de loi ne vous fournit pas. Si on veut des élections justes et honnêtes, encore faut-il s'assurer qu'on a les moyens d'appliquer la loi. Et j'ai l'impression que vous ne les avez pas. Quant aux enquêtes que vous avez menées, certaines sont plus ou moins tombées, j'allais dire, dans la filière 13, mais je ne me prononcerai pas sur ces enquêtes, et plutôt sur l'approche générale qu'on a à l'égard de votre rôle, qui m'apparaît déficiente dans ce projet de loi.

On met l'accent sur la question de savoir si vous êtes indépendant ou non. En pratique, c'est une question secondaire, car on n'a aucun précédent sur lequel se fonder pour dire que vous n'avez pas suffisamment d'indépendance et que c'est là le problème endémique de votre statut. Le problème endémique de votre statut n'est pas lié à l'entité à laquelle vous vous rapportez, mais plutôt au fait que vous n'avez pas les moyens de faire votre travail. C'est un peu comme ça que je le perçois. Est-ce que vous croyez que je suis dans le champ?

M. Côté : Pour reprendre votre expression, sénateur Joyal, je pense que vous n'êtes pas dans le champ, mais pas du tout. J'ai mentionné dans mes remarques qu'une des choses qui se produisent de plus en plus fréquemment dans nos enquêtes, c'est que des gens, dont on sait pertinemment qu'ils ont de l'information à l'égard d'un dossier sur lequel nous faisons enquête, refusent de nous parler. Parfois, ils le font directement au téléphone, quand on communique avec eux pour la première fois. Parfois, ils nous disent : « laissez-moi parler à des gens et je vous reviens », et ultimement ils nous arrivent avec une réponse qui est négative.

J'ai fait état du fait, et vous le savez mieux que moi, que dans le monde politique, la loyauté et l'allégeance sont des valeurs extrêmement prisées et importantes. Alors si vous imaginez, par exemple, un jeune travailleur au sein d'un parti politique qu'on peut approcher pour tenter d'obtenir de lui des informations, et que cette personne a l'ambition, éventuellement, de se porter candidat, son sens de loyauté, quand elle va penser à l'avenir, fait qu'il est facile de comprendre qu'elle va nous dire : « Je préfère ne pas vous parler. » C'est tout à fait normal.

Le Parlement, dans la Loi sur la concurrence, a jugé opportun, il y a des années, d'ajouter une disposition qui permet au directeur de la concurrent de faire ce que nous pensons que nous devrions avoir comme pouvoirs — ce que vous avez soulevé —, c'est-à-dire d'obtenir ce type d'ordonnance-là. Pourquoi? Parce que le Parlement a jugé qu'il était important dans le domaine de la concurrence qu'il y ait un saine concurrence, que les gens respectent les règles, que le fonctionnement économique et financier du pays se fasse d'une façon ordonnée et correcte à toutes fins. Je me dis que le Parlement serait tout à fait constant avec lui-même s'il décidait que, en matière électorale, les enjeux sont au moins aussi importants qu'ils le sont en matière de concurrence, et donc on conclurait qu'on devrait donner ces pouvoirs au commissaire.

La proposition que nous avons mise de l'avant n'est pas que le commissaire, de son propre chef, puisse émettre des ordonnances, pour forcer des gens à venir témoigner. Il y aura toujours un juge entre le commissaire, ses enquêteurs et le citoyen pour veiller à ce que la loi soit respectée et à ce que les motifs existent et aient été démontrés pour obtenir cela.

Deuxièmement, et c'est très important, il y aura une protection comme il y en a dans la Loi sur la concurrence, selon laquelle ce qu'une personne nous aura dit, ayant reçu une ordonnance de comparaître et de témoigner, ne pourra jamais être utilisé contre elle. Donc, si on n'a pas cette disposition, il y a des enquêtes qui vont continuer d'être longues, parfois très longues, et il y a des enquêtes qui, malheureusement, vont avorter parce qu'on sera incapable d'aller au fond des choses. Il serait important que l'on nous donne le même pouvoir que celui qui existe dans cinq provinces au Canada. Mes homologues en Ontario, au Québec en particulier, en Australie et aux États-Unis ont ce pouvoir et cela justifie le fait que l'on devrait nous le donner également.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Côté. Évidemment, je vais faire un commentaire : il est certain que le projet de loi C-23 veut moderniser la loi. Il y a plusieurs années, il y avait des chevaux qui tiraient les voitures dans les villes; aujourd'hui, il y a des chevaux dans les villes mais les lois ont été modifiées.

L'article 510 de la loi actuelle stipule que le directeur général des élections « ordonne au commissaire de faire des enquêtes », alors que le projet de loi propose, évidemment avec le directeur des poursuites pénales, que « le commissaire peut de sa propre initiative ». Vous comprendrez qu'il y a une différence. Parfois, on dit que le diable est dans les détails, mais il faut les lire. Dans quelle proportion ouvrez-vous des enquêtes qui vous conduisent à rien, comme vous l'avez mentionné? Et pouvez-vous nous donner une idée de ces enquêtes qui, parfois, ne sont pas déclenchées, peut-être à la suite de plaintes d'adversaires politiques qui vous envoient dans des parties de pêche, qui prennent tellement de temps et qui accouchent d'une souris? Vous avez mentionné que cela vous est déjà arrivé.

M. Côté : Je vais répondre à la première partie de votre question. La deuxième, je vous demanderais de la reformuler, parce que je ne suis pas sûr de l'avoir bien comprise. Le point que je ferai valoir par rapport à l'article 510, c'est le fait que l'on a fait des recherches au cours des derniers jours pour voir combien de fois l'article 510 avait été utilisé. Au cours des sept dernières années, il a été utilisé une fois. Il y a un dossier dans lequel le directeur général des élections a émis un ordre au commissaire de faire enquête, et c'était dans un cas où une boîte de scrutin avait disparu au Québec lors des élections de 2007-2008.

Le sénateur Dagenais : Vous mentionnez que votre travail, c'est de faire des enquêtes et que souvent, elles peuvent être longues. Vous avez de la difficulté parce que souvent ces enquêtes concernent des gens qui travaillent pour un parti politique, donc la partisanerie existe. Dans quelle proportion avez-vous fait des enquêtes qui ont peut-être été déclenchées par des adversaires politiques et qui n'ont pas abouti.

M. Côté : Malheureusement, je ne suis pas en mesure de répondre en termes de statistiques ou de chiffres, mais je peux vous que dire, en laissant de côté ou en ignorant la source des plaintes, qu'il est arrivé, et qu'il arrive encore régulièrement dans des dossiers qui ne revêtent pas toujours une importance considérable, et parfois dans des dossiers d'importance considérable, qu'on frappe un mur, qu'on arrive à un point où on est allé au fond de ce qu'on pouvait utiliser comme outil d'enquête, puis qu'on frappe un mur. Les gens disent : « vous avez le pouvoir en vertu du Code criminel d'obtenir des ordonnances de production ». Or, ces ordonnances de production ne concernent que des choses qui existent, des documents, des courriels, des choses que l'on peut retrouver sur un disque dur. Mais quand on parle de ce que les gens ont dans leur mémoire, et souvent les gens sont impliqués dans des actes ou des cas plus compliqués, ils n'auront pas tendance à laisser de traces sur papier. Donc, l'information se trouve essentiellement dans la mémoire des gens. Vous êtes un ancien policier, sénateur, vous le savez mieux que moi. Alors, l'ordonnance de production est très utile, mais dans un contexte où les gens doivent parler, elle n'est pas vraiment utile. C'est une autre raison, sénateur, pour laquelle le fait d'envisager de forcer les gens à se prêter à une entrevue et à témoigner est si important.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Il me semble que nous tentons d'établir la meilleure loi possible, qui s'applique à l'activité fondamentale de notre démocratie : l'intégrité et l'équité de notre système de vote secret. Tous les Canadiens le savent.

Je vais vous lire l'extrait d'un courrier électronique que nous avons tous reçu, d'une femme qui s'appelle Paula Tripp, de Maple Leaf, en Ontario — j'adore ce nom. Elle soulève divers points du projet de loi qui la préoccupent : « De plus, en vertu de cette loi telle qu'elle est rédigée, Élections Canada ne pourra même pas dire aux Canadiens s'il y a eu fraude ni même s'il y a eu des plaintes. De plus, le projet de loi n'aborde pas du tout la nécessité d'accorder à Élections Canada le pouvoir de contraindre à témoigner, ce qui montre son incapacité à aller au fond de la question de la fraude électorale des dernières élections, qui a été démontrée par un juge de la Cour fédérale. »

Elle fait référence à l'affaire des appels automatisés et à la décision rendue le 23 mai 2013 par le juge Mosley de la Cour fédérale du Canada. Dans sa décision, le juge a dit : « Je conclus que les demandeurs ont satisfait aux critères permettant d'établir la fraude. » Les « demandeurs » étaient des citoyens qui ont été dirigés vers les mauvais bureaux de vote par un système d'appels automatisés du Parti conservateur.

Je ne peux imaginer un geste plus haineux ou scandaleux que celui de tenter de retirer ou de compromettre le droit de vote d'une personne. Comme j'ai dit, des gens se sont battus et ont donné leur vie — et ils sont enterrés dans d'autres pays — pour le droit à la démocratie et le droit de vote. Je ne comprends pas pourquoi on accepte un tel système. Or, s'il doit en être ainsi, il faut établir le pouvoir de contraindre les témoins à comparaître. Les sénateurs Baker et Joyal et tous les experts ont soulevé ce point; ils ont également souligné que les données probantes étaient conservées pendant un an seulement, et qu'on n'avait même pas le numéro de téléphone des personnes qui ont reçu ces appels et dont la vie a été interrompue par ce système.

Quelle a été votre contribution relative à l'élaboration de ce projet de loi et à la désignation des pouvoirs? Avez-vous fait des suggestions pour améliorer le système?

M. Côté : Je n'y ai pas contribué. Mon bureau et moi n'avons pas été consultés au sujet du contenu du projet de loi C-23.

Au début de votre question, vous avez parlé de la capacité du commissaire à communiquer avec le public. Le projet de loi que vous étudiez contient une disposition voulant que le commissaire et l'enquêteur « [soient] tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans le cadre d'une enquête [...] » La loi contient cinq ou six exceptions.

Il y a six ou sept ans à Edmonton-Centre, la possibilité de fraude aux élections a causé tout un émoi. Je n'étais pas commissaire à l'époque, mais je sais que les médias en ont beaucoup parlé. La question était à ce point préoccupante que mon prédécesseur, M. Corbett, y a dépêché une équipe d'enquêteurs. On a conclu que la plupart, sinon la totalité des allégations étaient sans fondement. Le commissaire avait publié un communiqué pour rassurer les Canadiens, dans lequel il expliquait les allégations, que son personnel avait procédé à une enquête et avait interviewé des gens, et qu'il avait conclu que rien d'inquiétant ne s'était passé. Il a notamment fait valoir que personne n'avait voté deux fois, par exemple.

Si un événement similaire se reproduisait, le projet de loi à l'étude m'empêcherait d'aller sur le terrain et de rassurer la population, de lui dire « Vous avez entendu parler d'une telle chose; nous avons fait enquête, et voici nos conclusions. Nous voulons donc rassurer les Canadiens; il n'y a rien de grave. » Ce pouvoir serait retiré au commissaire, et je crois qu'il faut étudier la question très attentivement, parce qu'il est important à mon avis que le responsable de l'application de la loi puisse de temps à autre — pas chaque semaine ni chaque mois — aller sur le terrain et parler au public de ces questions.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Côté, pour votre présentation. Naturellement, vous apportez certains éclaircissements au projet de loi C-23 en tant que commissaire aux élections fédérales.

[Traduction]

Madame Nowack, je comprends que vous êtes conseillère juridique principale, Conformité et Exécution de la loi à Élections Canada; est-ce bien cela?

Audrey Nowack, conseillère juridique principale, Conformité et Exécution de la loi, Élections Canada : Je vais vous expliquer la structure des services juridiques.

Le sénateur McIntyre : Non. J'aimerais seulement vous poser une question, c'est tout. Je n'ai pas besoin de connaître la structure. Est-ce que je peux vous poser une question?

Mme Nowack : Bien sûr.

Le sénateur McIntyre : Selon ce que je comprends, la Loi sur l'intégrité des élections établirait des infractions plus graves relatives à la violation des lois électorales : usurpation de qualité, communication de faux renseignements à un enquêteur et entrave à une enquête. Le projet de loi prévoit également plus d'une dizaine d'infractions associées aux appels automatisés, aux votes frauduleux, et cetera. Il prévoit aussi des sanctions relatives aux infractions de responsabilité stricte et aux infractions exigeant une intention. Par intention, je veux dire les infractions mixtes, ce qui veut dire que la Couronne peut procéder par voie sommaire ou par mise en accusation.

Ma question a trait au délai de prescription. Selon ce que je comprends, en vertu du projet de loi C-23, le délai de prescription associé aux infractions de responsabilité stricte serait limité à six ans; or, il n'y aurait aucun délai de prescription associé aux infractions exigeant une intention. En tant qu'avocat, je crois comprendre que la plupart des lois prévoient un délai de prescription pour les infractions exigeant une intention. Est-ce que le projet de loi C-23 respecterait la Charte à cet égard?

Mme Nowack : La question étudiée n'avait rien à voir avec la Charte; M. Côté a expliqué les difficultés associées aux délais de prescription. Nous ne voulions pas créer de confusion quant à l'intention et à la déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou par voie de mise en accusation. Ce sont deux catégories différentes. Ce qui pose problème — et vous avez raison —, c'est que l'article ne prévoit aucun délai de prescription pour cette catégorie. Dans les cas de déclaration de culpabilité par procédure sommaire, le délai des prescriptions ne serait que de six mois, en vertu du Code criminel. La première partie de l'article aborde une autre catégorie et fait état de délais de prescription de six ans. Le manque de clarté quant aux délais de prescription pose problème.

Le sénateur McIntyre : Selon ce que je comprends, le délai de prescription serait de six ans pour les infractions de responsabilité stricte. Le délai ne me semble pas clair pour les infractions n'exigeant pas d'intention.

Mme Nowack : Les infractions punissables par mise en accusation...

Le sénateur McIntyre : Est-ce que cela s'applique à toutes les infractions? Il n'y a aucun délai associé aux infractions? Ou y a-t-il une autre catégorie?

Mme Nowack : Selon la formulation actuelle, il y a une catégorie d'infractions pour laquelle il n'y a aucun délai de prescription, mais certaines infractions de cette catégorie sont punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité. La difficulté, c'est que lorsqu'il n'y a aucun délai prévu, le délai par défaut est de six mois. Nous n'avons pas soulevé de problème en ce qui a trait à l'absence d'un délai de prescription pour les infractions punissables par mise en accusation.

La sénatrice Batters : J'aimerais clarifier une chose avec vous, monsieur Côté. Le directeur général des élections vous embauche. Il pourrait vous renvoyer. Qui évalue votre rendement annuel?

M. Côté : Personne.

La sénatrice Batters : Comment décide-t-on si vous avez droit à une augmentation de salaire, par exemple?

M. Côté : Selon les termes de notre entente, le DGE établit le taux de rémunération, que j'ai accepté lorsque j'ai obtenu le poste pour une période de quatre ans; c'est ainsi que l'on procède.

La sénatrice Batters : Le DGE et vous avez convenu de votre salaire et de votre échelle salariale.

M. Côté : Il n'y a pas d'échelle salariale. C'est un salaire fixe.

La sénatrice Batters : Avez-vous droit à des augmentations?

M. Côté : Non.

La sénatrice Batters : Le DGE et vous avez convenu de votre salaire au moment de votre nomination.

M. Côté : Bien sûr.

La sénatrice Batters : Étant donné que le DGE a le pouvoir de vous embaucher, de vous renvoyer et de décider de votre salaire, avec votre accord, reconnaissez-vous qu'il peut y avoir un problème de perception? Peut-être pas dans votre cas en particulier, mais nous prenons une décision pour tous les directeurs généraux des élections et commissaires aux élections, quels qu'ils soient. Reconnaissez-vous la possibilité de perception d'un manque d'indépendance selon la structure actuelle?

M. Côté : Je dirais deux choses : d'abord, comme je l'ai dit dans mon discours préliminaire, le DGE ne s'est jamais ingéré dans mon travail ni dans celui de mes enquêteurs depuis que j'occupe cette fonction. Il est très important pour moi de le souligner sur le plan opérationnel.

Je sais aussi que mon prédécesseur a fait valoir la même chose lorsqu'il a témoigné devant le comité à l'autre endroit. C'est mon premier point.

Ensuite, madame la sénatrice, j'aimerais revenir sur mes derniers propos. Si une telle perception existe, il faudrait pour remédier à la situation établir clairement le mandat, le salaire, l'absence d'ingérence, et cetera dans la Loi électorale du Canada. Il faudrait intégrer ces dispositions directement dans la loi. Il me semble que le Parlement règlerait ainsi la question de manière indéniable.

La sénatrice Batters : Ne croyez-vous pas que les actions, et non de simples mots, permettraient de régler plus efficacement un tel problème de perception? Même si cela n'a pas été votre expérience ni celle de votre prédécesseur, cela pourrait arriver à l'avenir.

M. Côté : C'est pourquoi je dis que si telle est la perception du public — et je comprends que cela soit possible —, je proposerais de ne pas déplacer notre bureau au sein du service des procureurs, mais d'établir des garanties dans la loi qui établiraient l'indépendance du commissaire, la durée de ses fonctions, et cetera. À mon avis, il s'agit d'une façon beaucoup plus efficace de régler la question, et nous ne serions pas séparés des administrateurs, de la même façon que le service d'enquêtes de l'Agence du revenu du Canada travaille en étroite collaboration avec les vérificateurs. Il en va de même pour les agents des pêches du ministère des Pêches et des Océans.

La sénatrice Batters : Je ne suis pas du même avis. Je préfère les actions aux paroles.

Le travail avec le DPP sur une base courante pourra s'avérer être une nouvelle situation pour vous. J'aimerais vous rassurer à cet égard.

Avant d'être sénatrice, j'étais chef du cabinet du ministre de la Justice en Saskatchewan. Nous travaillions en étroite collaboration avec de nombreux fonctionnaires du ministère, dont le directeur des poursuites pénales. Il s'agit toutefois d'un poste tout à fait indépendant au sein du ministère de la Justice, et bien que ce poste relève techniquement du ministre de la Justice, son indépendance est essentielle et respectée dans l'ensemble du Canada. Donc, malgré la présence d'une structure hiérarchique technique, je tiens à préciser qu'en pratique, l'indépendance de ce poste est très importante.

M. Côté : Monsieur le président, j'aimerais dire aux fins du compte rendu que je n'ai aucune raison de croire que le procureur général ou le directeur des poursuites pénales s'ingéreraient dans mes enquêtes en cas de séparation. Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. J'étais haut fonctionnaire du ministère de la Justice; je connais très bien le travail du DPP, et je sais qu'il ne fait aucune intervention ni ingérence politique. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Je veux être très clair sur ce point.

Je fais valoir que, d'une part, il ne serait pas naturel que les enquêteurs travaillent avec les procureurs et que, d'autre part, nous nous priverions en grande partie de l'avantage qu'il y a à collaborer et communiquer avec Élections Canada, une organisation dont les employés connaissent à fond la loi et l'appliquent quotidiennement.

Le sénateur Plett : Les sénatrices Frum et Batters ont posé ma question beaucoup mieux que j'aurais pu le faire moi- même, et je leur en suis reconnaissant. Je vous poserai donc une question différente qui sera brève.

Comme il l'a fait dans le passé, le sénateur Moore a laissé entendre encore une fois que le projet de loi est déplorable parce qu'il ne permet pas d'assigner des témoins à comparaître. Dans sa forme actuelle, la loi vous a-t-elle déjà autorisé à assigner des témoins à comparaître?

M. Côté : Non.

La sénatrice McCoy : Revenons à la loi elle-même, et non au projet de loi. Monsieur Côté, dans l'article 510, il est indiqué que le directeur général des élections a l'obligation de vous ordonner de faire enquête. Toutefois, l'article ne précise pas ce qui se produit après l'enquête. Est-ce exact?

M. Côté : C'est tout à fait exact.

La sénatrice McCoy : Le directeur général des élections ne peut vous ordonner de faire enquête que dans cinq circonstances, n'est-ce pas?

M. Côté : Oui.

La sénatrice McCoy : Si j'ai lu correctement la loi, ces circonstances sont toutes liées aux rouages des élections, comme le comportement adéquat du directeur du scrutin, l'impression des bulletins de vote et des aspects mécaniques de ce genre, n'est-ce pas?

M. Côté : Cette affirmation aurait peut-être besoin d'être nuancée, mais, essentiellement, je pense que le ton de la version actuelle de l'article 510 est tel que vous l'avez décrit.

La sénatrice McCoy : Donc, dans un cas comme celui des appels automatisés, le directeur général des élections n'a nullement voix au chapitre?

M. Côté : Selon notre fonctionnement actuel, nos motifs pour lancer une enquête ont essentiellement deux sources. L'une d'elles est ce que, dans notre jargon, nous qualifions de renvois, qui émanent d'Élections Canada même. Ces renvois découlent, par exemple, de vérificateurs qui examinent les rapports financiers présentés par un candidat et qui constatent que quelque chose manque ou cloche. Ils nous renvoient les documents et nous indiquent que nous devrions peut-être leur jeter un coup d'œil. Ou le DGE, le directeur général des élections, peut aussi le faire par lui-même. Voilà donc une des sources.

L'autre source découle des plaintes que nous recevons du public — des candidats, des députés et des sénateurs. Ils nous écrivent pour nous demander de bien vouloir examiner un certain aspect?

Voilà les deux sources de plaintes.

La sénatrice McCoy : En ce qui concerne les renvois émanant de l'appareil électoral d'Élections Canada, ils ne vous dictent pas les mesures à prendre?

M. Côté : Non.

La sénatrice McCoy : Ils vous fournissent simplement des renseignements que vous pouvez utiliser à votre discrétion?

M. Côté : Sauf en ce qui a trait à l'article 510, auquel vous avez fait allusion et en vertu duquel le DGE peut m'ordonner de faire enquête.

La sénatrice McCoy : Par exemple, si l'impression d'un bulletin de vote est incorrecte?

M. Côté : Ou si une boîte de scrutin a été volée ou a subi un sort semblable. Cependant, après m'avoir donné cet ordre, la question ne relève plus de lui. C'est à moi ou au commissaire du moment qu'il incombe de décider des mesures à prendre.

La sénatrice McCoy : Donc, le problème qu'on est ostensiblement en train de régler n'existe pas?

M. Côté : Je dirais qu'à mon avis, il n'existe pas. Comme je l'ai indiqué, cet ordre a été donné une seule fois au cours des sept ou huit dernières années, et la situation était très grave.

D'un autre côté, comme je l'ai indiqué plus tôt, même si l'article 510 n'existait pas, si le DGE venait me voir et me demandait de bien vouloir examiner quelque chose qui le perturbe, je m'intéresserais vivement à sa demande, et j'examinerais la question.

La sénatrice McCoy : Mais vous avez tout à fait le droit d'être d'accord ou non avec lui.

M. Côté : En effet, madame.

Le sénateur Baker : Revenons à une question que j'ai soulevée auparavant, mais que je ne comprends pas. Pourquoi voudrions-nous adopter une loi qui autorise la destruction de dossiers, comme celui des appels automatisés, après une période d'un an? La nouvelle loi nous permet d'entreprendre des poursuites six années après les événements qui donnent lieu aux poursuites? Dans certains cas, on dispose d'une période indéfinie pour intenter des poursuites, par exemple, si quelqu'un quitte le pays et qu'un an après son retour...

Toutefois, le projet de loi autorise la destruction des dossiers après un an. Dans des situations identiques à celles dont nous parlons en ce moment, Revenu Canada exige que cette même entreprise conserve ses dossiers pendant six ans. Il s'agit de dossiers. Selon la Loi de l'impôt sur le revenu, une entreprise est tenue de conserver ses dossiers pendant six ans. Imaginons que vous rendiez visite à la personne responsable des appels automatisés et que vous l'accusiez d'avoir détruit ses documents écrits. Elle vous répondra qu'elle était autorisée à le faire. Vous répliquerez que, bien que ce soit peut-être vrai, Revenu Canada exige qu'elle conserve ses dossiers pendant six ans. Elle rétorquera que, si vous souhaitez engager des poursuites, il vous faudra la poursuivre en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, et non de la Loi électorale, parce que, selon cette dernière loi, la destruction des dossiers n'est pas un acte criminel.

Il m'est impossible de comprendre la raison pour laquelle ce projet de loi prévoit un tel moyen de défense. Qui l'a inséré dans le texte de loi afin de permettre aux gens qui ont commis de graves infractions — comme celles que le sénateur Moore a signalées — de détruire leurs dossiers après une période d'une année comme moyen de défense? Pouvez-vous m'expliquer d'une manière ou d'une autre pourquoi nous fournissons ce moyen de défense à ces gens? Parce que, habituellement, si ces documents ne sont pas produits, un juge estime que cela indique au moins que quelqu'un les a intentionnellement détruits. Mais, maintenant, ces gens peuvent le faire légalement après un an. Pourquoi cette disposition est-elle là?

M. Côté : Je ne crois pas être la personne à laquelle vous devriez poser la question. Comme je l'ai mentionné plus tôt, je pense que cette disposition est incohérente et qu'elle ne devrait pas être là. Il faudrait que vous demandiez aux personnes qui ont rédigé le projet de loi la raison pour laquelle ils ont agi ainsi. Il ne fait aucun doute que, sur le plan de l'application de la loi, ce stratagème n'est pas souhaitable.

La sénatrice Frum : Pour donner suite à cette question, est-ce qu'une période de trois ou cinq ans serait adéquate, selon vous?

M. Côté : Ce serait certainement une amélioration.

La sénatrice Frum : J'aimerais donner suite à la question que la sénatrice McCoy a posée à propos de l'article 510, lequel dit ce qui suit :

Le directeur général des élections ordonne au commissaire de faire enquête lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'un fonctionnaire électoral [...] [ou] une personne a commis une infraction [...]; le cas échéant, le commissaire procède à l'enquête.

Je me répète en ce moment, mais je tiens simplement à souligner le fait que, si le directeur général des élections vous ordonne de le faire, vous devez obtempérer.

La sénatrice McCoy : Mais l'article indique qu'il doit le faire seulement dans les cinq cas suivants.

La sénatrice Frum : Par conséquent, le DGE a...

Le président : Cessons de discuter entre nous. Le témoin n'est pas en mesure d'intervenir.

La sénatrice Frum : Donc, le DGE a le pouvoir de vous ordonner de faire enquête?

M. Côté : Il est clair que votre interprétation de la version actuelle de l'article 510 cadre absolument avec le mien. Donc, oui, l'article 510 accorde ce pouvoir au DGE Mais je ferais valoir de nouveau, qu'une fois qu'il a donné l'ordre — à moi ou à tout commissaire, en fait —, de faire enquête, comme l'indique littéralement la disposition, le commissaire décide comment il mènera l'enquête, jusqu'où il ira et quelles décisions il prendra. Le DGE n'a plus aucun rôle à jouer dans ce processus.

La sénatrice Frum : Bien sûr. Je tenais simplement à glisser cet argument dans nos délibérations. J'ai compris ce que vous avez dit.

L'article 510.1 a trait à votre capacité de communiquer avec le public. L'alinéa (2)b) dit ce qui suit :

Le commissaire peut communiquer — ou autoriser toute personne agissant sous son autorité à communiquer...

b) les renseignements qui, à son avis, sont nécessaires pour mener une enquête...

En outre, les documents présentés à la cour, les transactions conclues avec Élections Canada, les accusations portées et les rapports annuels que vous publiez seront tous rendus publics.

Pouvez-vous me dire ce qui, dans cet article, limite votre capacité de communiquer avec le public? Qu'est-ce qui manque?

Le président : Dans le paragraphe (1), madame...

La sénatrice Frum : Le paragraphe (1) et l'alinéa (2)b).

M. Côté : Je parle du paragraphe 510.1(1), qui indique que, sous réserve des six dispositions qui figurent au paragraphe 510.2(2), « le commissaire et les personnes agissant sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans le cadre d'une enquête »

J'affirme que, si vous examinez les exceptions énumérées aux alinéas a) à f), vous ne trouverez pas le pouvoir d'agir comme mon prédécesseur l'a fait, lorsqu'il a enquêté sur l'affaire concernant la circonscription d'Edmonton-Centre et qu'il a déclaré publiquement ce qu'il avait fait. Il a fait cette déclaration à la fin de son enquête. Il n'a pas communiqué les résultats de l'enquête à des fins d'enquête.

Et ce pouvoir ne figure pas dans les alinéas a) à f). En tant que commissaire, je suis tenu de respecter la loi. Si la loi indique que je ne peux pas communiquer ceci ou cela, je ne communiquerai pas ces renseignements — même au Parlement, en fait.

Le sénateur Moore : Je veux revenir sur la question posée par le sénateur Plett et sur votre réponse. Vous n'avez peut-être pas le pouvoir d'assigner des témoins à comparaître, mais, dans le mémoire que vous avez présenté aujourd'hui, vous dites que le refus d'accorder ce pouvoir représente une occasion manquée. Je ne comprends pas comment vous pouvez exercer pleinement vos fonctions quand on dresse des obstacles de ce genre devant vous. Par conséquent, j'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur l'importance que revêt pour vous le pouvoir d'assigner des témoins à comparaître.

M. Côté : Je vais devoir traiter de certaines questions que j'ai déjà abordées auparavant, et je m'en excuse.

Le président : Faites-le rapidement, monsieur.

M. Côté : Au cours d'un certain nombre d'enquêtes, dont quelques-unes étaient très graves si l'on se fonde sur les allégations, nous nous sommes heurtés à un mur parce que les gens qui, comme nous le savions, étaient au courant de certaines choses refusaient de nous parler pour toutes sortes de raisons, dont l'une pouvait être la loyauté.

J'affirme que, sans ce pouvoir dont disposent l'Ontario, le Québec, trois autres provinces et l'Australie, nous allons continuer de nous heurter à un mur, et les enquêtes continueront d'exiger beaucoup de temps. Malheureusement, certaines enquêtes seront simplement abandonnées, faute de pouvoir prendre connaissance des faits.

Le président : Merci, monsieur Côté et madame Nowack, nous vous sommes reconnaissants de votre présence aujourd'hui et de l'aide que vous avez apportée à nos délibérations.

Notre prochain témoin est un autre éminent Canadien qui comparaît à titre personnel, à savoir Harry Neufeld, l'ancien directeur général des élections en Colombie-Britannique.

Monsieur Neufeld, bienvenue à la séance du comité. C'est très gentil de votre part de comparaître aujourd'hui et de contribuer à nos délibérations. Je crois, monsieur, que vous avez une déclaration préliminaire à faire, alors veuillez prendre la parole.

Harry Neufeld, ancien directeur général des élections, Elections BC, à titre personnel : Monsieur le président, chers membres du comité, je vous remercie de votre invitation.

Je suis ici pour exprimer mes préoccupations à propos de trois facettes particulièrement inquiétantes du projet de loi C-23, Loi sur l'intégrité des élections, qui, selon moi, méritent un examen attentif de votre part : premièrement, le recours à des superviseurs de centre de scrutin partisans, conformément à l'article 44 du projet de loi; deuxièmement, l'élimination complète de la carte d'information de l'électeur en tant que moyen d'établir son adresse, conformément au paragraphe 48(3); et troisièmement, la suppression du recours à un répondant, conformément à l'article 52.

En ce qui concerne le premier point, depuis des dizaines d'années, les candidats aux élections fédérales, dont les partis se sont classés en première et deuxième positions au cours des dernières élections, sont en mesure de nommer, respectivement, des scrutateurs et des greffiers de scrutin. Mais, jusqu'à maintenant, le directeur du scrutin chargé d'administrer les élections au sein de la circonscription électorale a toujours recruté et nommé les superviseurs de centre de scrutin. Depuis 2006, les directeurs de scrutin sont choisis en fonction de leur mérite, nommés pour des périodes déterminées, et tenus d'être scrupuleusement non partisans. Personnellement, je crois que cette politique est appropriée. La neutralité administrative est l'un des principes fondamentaux des élections démocratiques et une pratique exemplaire acceptée à l'échelle internationale.

En créant de nouveaux rôles pour les associations de circonscription et les partis politiques nationaux qui consistent à aider les candidats à nommer des scrutateurs, des greffiers du scrutin, des agents d'inscription et, en particulier, des superviseurs de centre de scrutin, le projet de loi C-23 engendre dans les bureaux de scrutin un déséquilibre entre les partis, que je n'ai jamais observé dans les pays démocratiques occidentaux et qu'aucun argument logique entendu ne peut justifier. Je pense que cette politique amènera seulement la population à croire que le processus électoral fédéral est contrôlé par des intérêts partisans et à remettre en question son intégrité.

Dans le rapport Neufeld, j'ai recommandé de modifier la Loi électorale du Canada afin que les directeurs du scrutin soient tenus de nommer tous les fonctionnaires électoraux en fonction de leur mérite, et non de leur parti. Je recommande également que ces fonctionnaires soient recrutés et nommés beaucoup plus tôt pendant la période électorale. Enfin, je conseille de prendre d'autres mesures pour professionnaliser les rôles des fonctionnaires électoraux afin d'améliorer leur compréhension et leur respect des procédures et de conserver la confiance du public dans le processus électoral.

J'avais plusieurs raisons de formuler ces recommandations. Premièrement, je crois en l'application du principe de neutralité administrative à l'organisation d'élections démocratiques, un principe qui est accepté à l'échelle internationale. Par l'entremise des scrutateurs nommés, les partisans devraient être et sont en mesure d'observer attentivement le processus électoral et de s'élever officiellement contre les erreurs de procédure décelées dans les bureaux de scrutin, mais ils ne devraient pas diriger le processus électoral.

Deuxièmement, la nomination de partisans retarde grandement l'ensemble des activités de recrutement et de formation, et ce retard nuit aux directeurs du scrutin qui doivent doter tous les postes de fonctionnaire électoral requis et former leur titulaire à temps pour les scrutins par anticipation et réguliers.

De plus, l'habitude de nommer des partisans s'estompe déjà, en ce sens que seulement 29 p. 100 des fonctionnaires électoraux nommés en 2011 étaient issus des partis. Malgré les centaines de postes à pourvoir dans les provinces de l'Ouest, il arrive souvent que seulement un petit nombre de partisans soient nommés.

Je pense qu'en accroissant le nombre de partisans nommés à des postes de fonctionnaires électoraux, le Canada fait un pas en arrière sur le plan de l'évolution globale de l'intégrité des pratiques électorales.

En ce qui concerne l'élimination — proposée dans le projet de loi C-23 — de l'utilisation de la carte d'information de l'électeur — ou la CIE, comme on l'appelle fréquemment — pour vérifier son adresse et la possibilité pour les électeurs admissibles de recourir à un répondant s'ils ne possèdent pas de documents acceptés sur lesquels figurent leur nom et leur adresse résidentielle, ces restrictions étroitement liées sont présentées comme des moyens de garantir que seuls les électeurs admissibles reçoivent un bulletin de vote et que chacun d'eux ne vote qu'une seule fois.

Comme le ministre responsable de la réforme démocratique l'a indiqué en citant à plusieurs reprises mon rapport, au cours des élections de 2011, de graves erreurs ont été commises dans 42,2 p. 100 des recours à un répondant. Cette statistique est exacte. Dans le projet de loi C-23, la solution au problème consiste à éliminer la possibilité de recourir à un répondant. Le ministre présume que les recours à des répondants sont tellement bourrés d'erreurs que le processus présente un grand risque de fraude électorale. À l'heure actuelle, rien n'indique qu'une telle fraude a été commise, mais on justifie l'élimination du recours à un répondant en évoquant cette possibilité. On ne remplace pas le recours à un répondant par un processus plus efficace; on se contente de l'éliminer.

De même, le projet de loi propose que la CIE, qu'Élections Canada envoie à chaque électeur inscrit afin de l'informer du jour et de l'endroit où il peut voter, ne puisse jamais être utilisée comme document établissant l'adresse résidentielle de l'électeur. Le ministre affirme que la CIE n'est pas fiable et évoque la possibilité que d'autres actes frauduleux soient commis par des personnes qui récupèrent des CIE, trouvées dans des bacs de recyclage ou des poubelles, et qui les utilisent pour voter frauduleusement ou pour permettre à d'autres personnes de voter en usurpant l'identité d'un électeur. Comme le ministre ne dispose, encore une fois, d'aucune preuve tangible de fraude électorale, il justifie l'interdiction de se servir de la CIE pour satisfaire à l'exigence liée à la présentation de deux pièces d'identité acceptables pour recevoir l'autorisation de voter en se contentant d'évoquer la possibilité d'une telle fraude.

Je sais qu'au cours de leur témoignage, d'autres personnes ont indiqué qu'il était très discutable de priver des gens de leur droit de vote, alors que rien ne prouve qu'une telle fraude existe au Canada ou dans tout autre pays occidental ayant des valeurs semblables aux nôtres.

Les faits sont les suivants : premièrement, une étude menée récemment dans l'État de la Nouvelle Galles du Sud, en Australie, révèle que le nombre d'électeurs qui votent à plusieurs reprises ne justifie pas l'obligation que chaque électeur a de présenter une pièce d'identité pour obtenir un bulletin de vote; deuxièmement, à la suite d'une importante enquête menée par le département de la Justice des États-Unis, une enquête qui portait sur la fraude électorale et qui a donné lieu à l'analyse de 300 millions de voix exprimées de 2002 à 2007, pas une seule personne n'a été poursuivie pour avoir réussi à voter en usurpant l'identité d'un autre électeur; et troisièmement, en 2007, une étude effectuée ici, au Canada, qui portait sur des cas présumés d'inscription frauduleuse d'électeurs dans la circonscription de Trinity—Spadina et qui a exigé la vérification détaillée de plus de 10 000 inscriptions enregistrées le jour du scrutin, a confirmé que la fraude était pratiquement inexistante.

Je crains énormément qu'en éliminant le recours à un répondant et en refusant que les électeurs utilisent leur CIE pour établir leur adresse, on prive de nombreux électeurs de leur droit de vote. Cette possibilité ne devrait pas être traitée à la légère. Ces mesures empêcheront des électeurs parfaitement admissibles d'exercer leur droit de vote, garanti par la loi.

En 2011, plus de 120 000 électeurs ont eu recours à un répondant pour voter. La plupart d'entre eux figuraient déjà sur la liste électorale du bureau de scrutin approprié. Au cours des dernières élections, 400 000 des 900 000 électeurs inscrits visés par un projet pilote qui les autorisait à utiliser leur CIE comme pièce d'identité se sont effectivement prévalus du privilège. Compte tenu des taux de mobilité élevés enregistrés au Canada, on prévoit que 250 000 électeurs admissibles déménageront pendant la prochaine campagne électorale fédérale. La plupart d'entre eux n'auront pas encore en leur possession les pièces d'identité requises pour confirmer leur nouvelle adresse résidentielle à des fins électorales.

Le Canada devrait réfléchir sérieusement avant de restreindre les garanties du « suffrage universel égal » qu'il appuie depuis longtemps dans les traités internationaux et qu'il a accepté de faire respecter. Ces droits démocratiques sont garantis par la Constitution. L'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés indique ce qui suit :

Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

La portée inclusive et inconditionnelle de cet article a incité les juges de la Cour suprême à déclarer ce qui suit :

Les mesures de contrôle procédurales établies par la loi sont importantes, mais ne doivent pas être considérées comme des fins en soi.

Ils ont également fait observer que la Loi électorale du Canada devait concilier de nombreuses valeurs connexes et parfois contradictoires, mais que la principale valeur qu'elle devait faire respecter était le droit de vote conféré par la Charte.

Je crois que votre étude préliminaire démontrera clairement que ces trois aspects ainsi que de nombreuses autres parties du projet de loi C-23 doivent être réexaminés et modifiés soigneusement. Je vous souhaite bonne chance dans les efforts que vous déployez pour vous assurer que des modifications bien calibrées sont apportées au projet de loi, avant son adoption. Merci.

Le président : Merci, monsieur. Nous allons amorcer les séries de questions en commençant par le vice-président du comité, c'est-à-dire le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur Neufeld, du témoignage que vous avez apporté aujourd'hui. Il a dissipé de nombreux malentendus et de nombreux renseignements obtenus par personnes interposées au sujet des résultats de vos enquêtes.

Vous avez indiqué clairement qu'en ce qui a trait au recours à un répondant, « aucune preuve tangible de fraude électorale » n'avait été découverte. Et il en va de même de l'utilisation de la carte d'information de l'électeur. De plus, vous avez énoncé une autre affirmation très clairement. Vous avez dit ce qui suit : « Ces mesures empêcheront des électeurs parfaitement admissibles d'exercer leur droit de vote, garanti par la loi. »

En outre, vous avez cité l'article 3 de la Charte. En faisant cela, vous indiquez que la mesure législative proposée enfreint l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés. Puis-je tirer cette conclusion de votre affirmation?

M. Neufeld : C'est la conclusion que j'en tirerais.

Le sénateur Baker : Voilà qui est intéressant. À la suite d'une déclaration selon laquelle le projet de loi entraîne, dans une très grande mesure, une violation des droits consentis par la Charte à une personne, la cour sera amenée à réexaminer le texte de loi afin de déterminer si l'application de cette nouvelle loi aura une force et un effet dans les mois ou les années à venir. Nos tribunaux sont appelés à établir un juste équilibre.

Les effets salutaires de la mesure législative surpassent-ils ses effets délétères? En d'autres termes, est-elle plus avantageuse que néfaste? Si l'on découvre que ses effets néfastes l'emportent sur ses effets salutaires, elle sera déclarée nulle et sans effet en droit canadien. Après avoir examiné ses dispositions, croyez-vous qu'un tribunal est susceptible de tirer cette conclusion?

M. Neufeld : Je ne prétends pas comprendre comment la cour interprétera le projet de loi C-23, s'il est adopté dans sa forme actuelle. Il me semble que, si les tribunaux déclaraient qu'en l'absence d'une solution de rechange pratique d'un genre ou d'un autre, l'élimination du recours au répondant viole l'article 3 de la Charte, cela cadrerait entièrement avec les jugements qu'ils ont rendus précédemment.

Je pense qu'il est possible de concevoir un amendement ou un autre mécanisme de protection — idéalement, une solution plus simple à administrer que le processus de répondant — qui pourrait être utilisé pour remplacer le recours à un répondant et pour fournir cette protection ultime à un très petit pourcentage de Canadiens qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ont du mal à établir leur adresse actuelle. Le droit de vote garanti par la Charte exige qu'on apporte un amendement de ce genre au projet de loi.

La sénatrice Frum : Merci, monsieur Neufeld, d'être venu aujourd'hui participer à la séance de notre comité. Je souhaite citer un passage de ce qui est considéré maintenant comme le très célèbre rapport Neufeld de 2013. Ce passage se trouve à la page 25 :

Il est donc incontestable que tout le processus d'inscription le jour du scrutin doit être remanié. Actuellement, il est la première cause d'« irrégularités » aux élections fédérales : quelque 11,8 % de toutes les opérations d'inscription le jour de l'élection de mai 2011 comportaient des erreurs graves, selon la vérification nationale menée dans le cadre du présent examen. Cette proportion représente 0,9 % de tous les votes exprimés le jour de la dernière élection fédérale. En termes moins abstraits, ce sont 114 693 électeurs qui ont voté alors qu'ils n'étaient peut-être pas admissibles à le faire. Sur le seul plan de l'inscription, cela revient à une moyenne de 372 « irrégularités » par circonscription.

Compte tenu du fait que vous recommandez que nous continuions d'utiliser la carte d'identification de l'électeur comme moyen d'identification, j'aimerais formuler des observations à propos de l'énoncé précédent.

M. Neufeld : Ce n'est pas une carte d'identification.

La sénatrice Frum : Je voulais dire la carte d'information de l'électeur. Je reconnais m'être trompée, et je vous remercie de m'avoir signalé mon erreur.

M. Neufeld : La plupart du temps, les gens qui sont forcés de s'inscrire le jour du scrutin sont déjà inscrits, mais n'ont pas reçu leur carte d'information de l'électeur parce que de nombreux Canadiens changent d'adresse tous les ans.

Lorsque j'étais directeur général des élections de la Colombie-Britannique, le taux annuel de mobilité oscillait entre 18 et 24 p. 100, d'après Statistique Canada. À l'échelle nationale, le taux s'élève à environ 13 p. 100. Par conséquent, il est très difficile de tenir constamment à jour la liste électorale.

Les problèmes liés à l'inscription des électeurs le jour du scrutin et l'ensemble des irrégularités qui en découlent n'ont pas fait l'objet de débats. L'inscription des électeurs entraîne deux fois plus d'irrégularités que le recours à un répondant. Et pourtant, le ministre ne semble pas vouloir éliminer ce type d'inscription; en revanche, il tient vraiment à éliminer le recours à un répondant.

Si vous avez lu mon rapport du début à la fin, vous savez que le Canada a vraiment besoin d'adopter un nouveau modèle de prestation des services électoraux. Nous devons cesser de confier à un très petit nombre de fonctionnaires électoraux la totalité des activités liées aux services électoraux. Il faut que nous répartissions ces fonctions. Nous devons employer des gens spécialisés et bien formés qui possèdent les compétences nécessaires pour gérer les exceptions complexes. Le recours à un répondant fait certainement partie de ces exceptions, tout comme l'inscription, et il y a 15 autres exceptions. Il faut que cette adoption ait lieu dans un avenir rapproché. À mon avis, il est regrettable que ce modèle ne fasse nullement partie du projet de loi C-23 et du débat actuel.

Il ne fait aucun doute que l'inscription des électeurs est problématique et qu'elle devrait être améliorée. Si cela se produisait, les cartes d'information de l'électeur seraient plus fiables, et le problème, occasionné par la présence de nombreuses cartes abandonnées dans l'entrée des immeubles de certaines de nos principales villes, disparaîtrait, c'est-à- dire la situation qui préoccupe énormément les gens parce qu'elle pourrait favoriser une utilisation abusive de ces cartes.

La sénatrice Frum : Compte tenu du pourcentage élevé d'irrégularités liées aux cartes d'information de l'électeur...

M. Neufeld : Je suis désolé, mais ces irrégularités sont liées non pas aux cartes d'information de l'électeur, mais à l'inscription des électeurs le jour du scrutin. Ces personnes n'ont pas reçu de carte, et c'est la raison pour laquelle elles font la file pour s'inscrire.

La sénatrice Frum : Une carte d'information de l'électeur sur six ou 10 est incorrecte?

M. Neufeld : Pour connaître le taux d'exactitude absolue atteint au moment où ces cartes sont envoyées pendant les élections, il faudrait que vous communiquiez avec Élections Canada. Toutefois, je dirais que vous avez raison. Le pourcentage de cartes envoyées à des adresses où les gens ne vivent plus pourrait être aussi élevé que 10 p. 100.

La sénatrice Frum : Ce pourcentage vous semble-t-il élevé?

Le président : Le sénateur Joyal n'est pas ici. Par conséquent, nous allons passer au sénateur Plett.

Le sénateur Plett : J'aimerais mentionner deux choses. Premièrement, vous vous opposez très fermement à l'élimination du recours à un répondant, même si nous autorisons la présentation de quelque 39 pièces d'identité qui permettent aux gens d'établir qui ils sont et où ils demeurent.

M. Neufeld : Si vous me permettez d'intervenir, je dirais que le problème ne tient pas vraiment à l'identification. En général, les Canadiens s'entendent pour dire qu'il est raisonnable d'exiger une preuve d'identité avant d'autoriser quelqu'un à voter. Toutefois, un très petit pourcentage de Canadiens ont du mal à présenter une pièce d'identité acceptable où figure leur adresse actuelle. Pour certains d'entre eux, ce problème est imputable au fait qu'ils ont déménagé. Il ne s'agit pas d'un problème d'identité.

Le sénateur Plett : Ils sont des problèmes, monsieur, mais leur situation n'est pas impossible à résoudre — on peut avoir un problème et s'assurer de disposer d'une pièce d'identité acceptable. Nous discutons de ce projet de loi un an et demi avant les prochaines élections.

Les gens ont l'occasion de se doter dès maintenant de cette pièce d'identité. Ma question est la suivante : je n'appuie pas l'utilisation de la carte d'information de l'électeur comme preuve acceptable d'identité, mais, si la carte continuait d'être utilisée, appuieriez-vous alors l'élimination du recours à un répondant? Je vous pose la question parce que vous semblez établir une corrélation entre ces deux éléments.

M. Neufeld : La corrélation qui existe entre eux est liée au fait que ces deux caractéristiques de notre système sont en train d'être éliminées. Je crois fondamentalement que nous devons trouver un moyen, d'un genre ou d'un autre, d'autoriser à voter les Canadiens qui remplissent les conditions d'admissibilité au vote, même s'ils ne disposent pas de documents établissant leur adresse actuelle. Ils n'en ont pas pour une raison ou une autre et, dans le cas d'un grand nombre de personnes âgées, cela peut être lié au fait qu'elles habitent dans un établissement de soins de longue durée. Peut-être que ces Canadiens viennent de déménager et, par conséquent, ils n'ont en leur possession aucun document officiel qui établit leur adresse actuelle. Certaines circonstances peuvent les avoir entraînés à vivre en bordure de la société et à mener une vie quotidienne qui n'exige pas de pièces identité, même pour effectuer des transactions officielles. Même si vous faisiez passer le nombre de pièces d'identité acceptables de 39 à 390, ces personnes ne seraient simplement pas en mesure de présenter un document qui établit leur adresse actuelle; non pas une case postale, mais une adresse résidentielle actuelle qui indique clairement où ils vivent.

Le sénateur Plett : Bien entendu, l'attestation de l'identité est une forme de recours à un répondant. Ce mécanisme est bien sûr à la disposition de bon nombre des personnes que vous avez mentionnées, par exemple, les aînés.

Vous avez dit qu'aucune preuve de fraude électorale n'avait été détectée. Il y a quelques élections de cela, dans un bureau de scrutin de la circonscription de Rivière Churchill, dans le Nord de la Saskatchewan, 108 ou 105 p. 100 des électeurs admissibles se sont manifestés. Il m'est difficile de comprendre comment cela a pu se produire. Lorsque les boîtes de scrutin ont été examinées, on a constaté que tous les bulletins de vote indiquaient le même candidat.

M. Neufeld : Vous devez faire la distinction entre les électeurs admissibles et les électeurs inscrits.

Le sénateur Plett : Bon nombre de répondants s'étaient portés garants de ces personnes. Lorsque vous indiquez qu'il n'y a aucune fraude électorale, ne nous accorderiez-vous pas le bénéfice du doute quant à l'existence d'une apparence de fraude électorale lorsque 108 p. 100 des électeurs votent pour la même personne et que bon nombre d'entre eux ont eu recours à un répondant? Admettriez-vous au moins que, dans le cas en question, il y a apparence de fraude électorale?

M. Neufeld : En tant qu'administrateur d'élections, je n'accepterais pas de dire qu'il y a apparence de fraude électorale. Je dirais qu'il y a apparence de problèmes administratifs.

Si une nouvelle subdivision est créée et que ses cinq premiers habitants sont inscrits, alors que les 300 autres ne le sont pas, même s'ils désirent exprimer leurs voix, ces derniers feront la file pour s'inscrire et, selon vos calculs, 300 p. 100 des électeurs admissibles de cette subdivision finiront par voter. Cela se produit.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Neufeld. Évidemment, je comprends bien votre argumentation, et je comprends que c'est surtout la question du fameux répondant qui vous interpelle. Mais il est certain que l'on doit s'assurer que les personnes qui votent soient clairement identifiées. Je pense que le but du projet de loi C-23 est de moderniser la loi. Ce n'est pas défendu de moderniser les lois et de les harmoniser au goût du moment.

Je vais vous répéter ce que j'ai dit aux autres témoins qui ont comparu devant nous. Il y a quelques années, quand on prenait l'avion, on n'avait pas besoin de s'identifier. Aujourd'hui, comme vous le savez, on doit s'identifier, ne serait-ce que pour obtenir une carte d'embarquement. Et sûrement, vous l'avez vécu ici en venant aujourd'hui à l'édifice de l'Est, vous avez dû vous identifier en entrant. Alors imaginez, quand on arrive à l'hôtel du Parlement et que l'on doit choisir les membres du Parlement, ceux qui sont à l'intérieur de la bâtisse. La moindre des choses est de s'identifier lorsqu'on veut les choisir.

À titre d'exemple également, on parle souvent de l'adresse des gens qui votent. Curieusement, quand c'est le temps de voter, les adresses semblent être un problème. Par contre, les gens qui reçoivent des pensions de vieillesse, de l'assistance sociale, de l'assurance chômage, des crédits d'impôts, ont une certaine facilité à trouver des adresses. Pour ce qui est des itinérants, on en a beaucoup parlé, et je peux vous dire que, la fin de semaine dernière, on disait qu'un itinérant doit fournir un rapport d'impôt, et que s'il n'a pas d'adresse, il donne l'adresse de l'endroit où il prend la soupe.

J'aimerais vous entendre là-dessus, car le projet de loi se veut moderne. On veut moderniser la loi, on ne veut pas imposer des choses ou empêcher la démocratie de s'exercer. Il s'agit d'être certain que les élections se déroulent avec transparence.

[Traduction]

M. Neufeld : Je conviens avec vous qu'Élections Canada a besoin d'être examiné régulièrement. La société change, tout comme ses attentes. L'élimination du recours à un répondant ne pose pas de problème en soi, à condition que vous le remplaciez par un autre processus qui fait fonction de filet de sécurité final pour le petit pourcentage de Canadiens qui ont le droit de voter, mais qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas en mesure de présenter des documents établissant leur identité et leur adresse résidentielle. Ce pourcentage n'est pas élevé, mais si vous éliminez cette participation, je pense que vous affaiblirez les fondations de notre démocratie.

Je crois que vous pourriez prévoir un autre genre de mécanisme. Au Manitoba, ils ont conçu une façon très élégante de régler ce problème. Leurs exigences sont essentiellement identiques à celles prévues par la Loi électorale du Canada. Les gens doivent présenter une pièce d'identité qui mentionne leur nom et leur adresse, et qui comporte une photo. Elle peut être délivrée par le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial, le gouvernement territorial ou l'administration locale. Si vous n'en possédez pas, vous devez présenter deux documents qui, conjointement, indiquent qui vous êtes et où vous habitez.

Troisièmement, si vous ne pouvez pas produire deux pièces d'identité qui indiquent où vous demeurez, vous devez déclarer par écrit que l'adresse en question est celle où vous vivez, au lieu d'avoir recours à un répondant. Bien entendu, si votre déclaration est fausse, vous pourriez encourir une pénalité. De plus, à la suite des élections, ces déclarations pourraient être examinées afin de déterminer si des gens passaient d'une circonscription à l'autre ou d'un bureau de scrutin à l'autre, afin de voter à plusieurs reprises. Je pense que, si nous procédions à ces vérifications, nous constaterions que très peu de gens tentent de faire cela.

Dans le passé, j'ai passé des centaines d'heures à enquêter sur des cas présumés de fraude. Cela s'est passé dans les années 1980, à l'époque où la notion d'inscription le jour du scrutin était nouvelle en Colombie-Britannique et où on alléguait qu'une foule de gens voyageaient d'une circonscription à l'autre en vue de voter à plusieurs reprises et de changer l'issue du scrutin. C'est une histoire que j'ai entendue en Afrique, en Australie et en Europe.

Ce n'est tout simplement pas le cas; il n'y a jamais de preuve. Malgré les milliers d'heures et les centaines de milliers de dollars que nous avons consacrés aux enquêtes pour essayer de déterminer si des électeurs avaient voté plus d'une fois, nous n'avons trouvé aucune preuve à cet égard.

Je pense que vous avez raison. Il faut mettre à jour la Loi électorale. Toutefois, j'estime qu'il y a lieu de prendre certaines mesures simples en guise de solutions de rechange à l'idée d'éliminer carrément le recours au répondant.

Pour ce qui est de la carte d'information de l'électeur, on n'a peut-être plus besoin de l'envoyer sous forme d'une carte postale. Elle devrait peut-être se présenter sous la forme d'une lettre ou même d'une carte dans une enveloppe.

J'ai vérifié l'information ce matin. Au Canada, ouvrir le courrier de quelqu'un d'autre est un crime passible d'une amende de 5 000 $ et d'une peine d'emprisonnement. Je pense qu'il y a là de quoi décourager les gens qui pourraient se dire : « Tiens, c'est une invitation à aller voter. »

Même si c'est une invitation, comment faire pour obtenir une autre pièce d'identité afin de prouver qu'on est cette autre personne? Ira-t-on vraiment jusqu'à forger quelque chose d'autre à partir d'une liste officielle rien que pour voter plus d'une fois? Pourquoi se donner tant de peine pour frauder le processus électoral quand il y a des façons plus simples d'être efficace.

Je ne crois pas que ce genre de fraude électorale s'inscrive dans la lignée des valeurs traditionnelles du Canada. Je n'ai pas vu de preuve, mais j'entends des rumeurs politiques à ce sujet depuis les 33 ans que je travaille dans le domaine.

Le sénateur Joyal : Merci, monsieur Neufeld, de votre rapport. Je pense que ce sera un document important pour quiconque veut comprendre les défis contemporains qui touchent le système électoral au Canada et les moyens de s'y prendre pour relever ces défis.

Je suis d'avis que le système de recours au répondant est, en quelque sorte, une roue de sécurité. L'identification au moyen de la documentation appropriée constitue vraiment les quatre roues. Je n'y vois aucun inconvénient. Non seulement je n'ai aucune objection à cela, mais je crois qu'il s'agit d'une approche équitable pour reconnaître le droit de vote.

Mais il arrive que cette approche ne corresponde pas à la situation d'une personne — et c'est ce que je veux vous demander. Il s'agit normalement de gens qui ont de la difficulté avec ce que j'appelle les tracasseries administratives de toutes sortes, à cause de leur niveau d'éducation, de leurs conditions de vie particulières, de leur âge, et cetera. Je crois que vous pourriez nous en dire plus à ce sujet, d'après votre expérience?

Il me semble que si nous craignons ou si nous alimentons la crainte que le système de recours au répondant risque d'être utilisé pour compromettre les résultats électoraux, il y a lieu d'améliorer ce système; nous pouvons le resserrer. Par exemple, nous pouvons demander que la personne qui agit comme répondant soit assermentée et qu'elle inscrive son adresse, parce qu'elle se trouve dans le même district électoral. Normalement, il faut présenter deux pièces d'identité ou prouver une capacité d'identification.

Alors, personne ne vient frapper à la porte pour dire : « Je connais ce gars. » À mon avis, il y a lieu de renforcer une obligation administrative, tout en conservant le système de recours au répondant, pour tenir compte des gens qui, à cause de leurs conditions sociales, ne parviennent pas à remplir les exigences régulières, soit celles de prouver leur identité ou leur adresse de résidence.

À mon avis, avec un petit exercice de discernement et de connaissance du système, il serait facile de consolider le système et de prévenir la crainte de la fraude qui semble envahir les gens lorsque le système de recours au répondant est remis en question.

M. Neufeld : J'aimerais vous corriger sur un point : non seulement il faut se trouver dans le même district électoral si on va se porter garant pour quelqu'un, il faut aussi se trouver dans la même section de vote. Si vous vivez de l'autre côté de la rue, vous n'êtes pas nécessairement dans la même section de vote. C'est actuellement très restrictif.

Il y a un deuxième point qui m'inquiète : si vous allez modifier les procédures de vote par voie de répondant, de grâce, essayez de faire de votre mieux pour en simplifier l'administration, en lieu de la rendre plus complexe. S'il y a une autre solution au recours au répondant, je pense qu'il sera préférable de l'adopter, pour autant que cette solution soit tout aussi efficace et plus simple à administrer, dans le seul but d'accroître les niveaux de conformité de ces travailleurs d'élection d'un jour qui font de leur mieux. Ils travaillent de longues heures. C'est leur premier jour de travail. Les choses doivent être simples et logiques, dans la mesure du possible, de sorte qu'il soit presque impossible de commettre des erreurs.

Quand nous examinons cette question, il est facile de dire : « Ajoutons donc une disposition pour exiger un serment signé, et cetera. » Mais il n'en est pas ainsi pour le travailleur d'élection, lorsqu'il y a une file d'attente de 25 électeurs qui attendent de voter et qui ne cessent de s'éclaircir la voix et de taper du pied, parce qu'il y a quelqu'un devant eux dont l'identité doit être attestée; cela ajoute une autre étape dans la procédure, ce qui n'aidera pas à accroître les niveaux de conformité. Nous devons rationaliser le tout; il faut que ce soit simplifié. Nous devons accroître l'efficacité, dans la mesure du possible, tout en nous assurant que l'intégrité de notre système électoral soit maintenue.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à votre première recommandation, à savoir la nomination de partisans aux postes de superviseurs de centre de scrutin. Vous dites dans votre mémoire que cela n'existe dans aucun autre système démocratique.

M. Neufeld : L'idée que le superviseur de centre de scrutin soit un partisan du parti et du candidat en place n'existe dans aucun autre pays où j'ai été ou, du moins, pas à ma connaissance.

Le sénateur Joyal : Quels sont, selon vous, les avantages d'une telle réforme? Qu'est-ce qui permettra de faciliter le droit de vote? Cela assurera-t-il le bon fonctionnement du système? Ou est-ce seulement dans l'intérêt du parti qui a remporté la majorité des voix aux élections précédentes?

M. Neufeld : En ce qui concerne les avantages pour l'administration des élections, je n'en vois aucun. Je n'y vois qu'un avantage pour les partis.

Le sénateur Joyal : Alors, à votre avis, il n'y a aucun avantage à prendre une telle mesure, mis à part le fait qu'on donne à quelqu'un d'un parti l'occasion de diriger le centre de scrutin le jour des élections, en échange d'une rémunération?

M. Neufeld : J'ai entendu dire que les partis politiques semblent croire qu'il est en quelque sorte avantageux que leurs candidats puissent nommer des partisans à ces postes, mais il ne s'agit pas de postes bien payés. Ce n'est pas un emploi qui va vous aider à élargir votre cercle d'amis. Ce n'est pas comme si on se faisait nommer ambassadeur d'un pays où il fait bon vivre.

La journée est très longue : il faut travailler au moins 14 heures, sans aucune pause. Personne ne peut voter si on doit se rendre aux toilettes. Être un superviseur de centre de scrutin n'est pas tâche facile non plus. Ce n'est pas quelque chose qu'on devrait faire miroiter aux partisans politiques.

Je préférerais de beaucoup un système qui offre des incitatifs aux agents électoraux. Je ne vois aucun inconvénient à ce que des partisans soient présents dans les bureaux de vote. Je pense que c'est sain. Je pense qu'il faudrait une transparence totale, sauf en ce qui concerne la façon dont les gens remplissent leur bulletin de vote. Selon moi, la procédure devrait être suivie scrupuleusement par les agents électoraux ainsi que les responsables du scrutin. Je crois qu'ils peuvent aider à améliorer la qualité de notre système. J'aimerais mieux avoir des agents électoraux qui sont tenus de suivre une formation et qui se font rémunérer, au lieu d'avoir des superviseurs de centre de scrutin qui sont des partisans nommés par le candidat en fonction.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Neufeld, de votre exposé.

En somme, vous avez exprimé trois préoccupations. Je ne vais pas m'y attarder, car d'autres sénateurs ont déjà fait le tour de la question. Il y a toutefois une autre question que j'aimerais aborder avec vous.

Aux termes de la Loi électorale, si un député enfreint les règles pour se faire élire, il ne pourra évidemment pas siéger à la Chambre des communes. Ensuite, si je comprends bien, le directeur général des élections en informe le Président, et le député ne peut siéger jusqu'à ce que l'affaire soit réglée à la satisfaction du directeur général des élections.

Aux termes du nouveau projet de loi, le député peut s'adresser à un tribunal pour demander au juge de trancher avant que le directeur général des élections tente d'obtenir une suspension. Le député n'a que deux semaines pour présenter une demande, si je comprends bien le projet de loi, et le juge doit ensuite agir sans délai. Mais, évidemment, on ne peut pas dire aux juges quoi faire.

En tant qu'ancien directeur général des élections, approuvez-vous cette modification qui permet à un député de se présenter devant un tribunal, avant que le directeur général le suspende en s'adressant au Président?

M. Neufeld : Ayant eu à régler ce genre de questions dans le cadre de mes fonctions, je sais que les directeurs généraux des élections partout au pays, et certainement le directeur général des élections du Canada, ne prendraient pas une telle mesure à la légère, et je pense qu'il faudrait s'assurer qu'on a respecté la marche à suivre.

S'il existe des motifs suffisants pour justifier une suspension, je crois qu'on devrait alors l'imposer dans le cadre du processus. S'il y a un processus judiciaire en vue de déterminer si la décision était appropriée ou non, on devrait avoir la possibilité de la contester devant les tribunaux.

Le sénateur McIntyre : Manifestement, il n'y aurait aucun problème à ce que le député s'adresse d'abord à un tribunal.

M. Neufeld : Pour être honnête avec vous, je n'ai pas étudié cet aspect du projet de loi, mais je pense qu'il faut une procédure établie. De toute évidence, on devrait être en mesure d'interjeter appel de la décision administrative du directeur général des élections devant les tribunaux pour s'assurer qu'il s'agit d'une décision tout à fait judicieuse et fondée.

Le sénateur Moore : Merci, monsieur Neufeld, de votre présence.

J'ai signalé ce point l'autre jour. Quand vous avez parlé des irrégularités, vous avez dit qu'elles étaient attribuables aux erreurs inhérentes au système que commettent les agents électoraux. Cela n'a rien à avoir avec le recours au répondant, et je tiens à le souligner.

Je trouve intéressant que ce projet de loi vise à se débarrasser de la pratique du recours au répondant, même s'il n'y a jamais eu de fraude concernant cette pratique. En passant, je pense que les Canadiens sont habitués à recevoir cette carte. Selon moi, ils se poseront des questions s'ils ne la reçoivent pas la prochaine fois. On n'a jamais prouvé l'existence de fraude en ce qui concerne le recours au répondant; pourtant, le projet de loi n'adopte pas la ligne dure envers le processus des appels robotisés, dans lequel on a déjà trouvé des cas de fraude. Qu'en pensez-vous? Qu'avez- vous à dire au sujet de cette contradiction?

M. Neufeld : Je trouve intéressant de voir qu'on se concentre sur les électeurs comme étant la source de beaucoup de cas de fraude dans notre système électoral, alors que je sais que les Canadiens sont très inquiets de la situation des appels robotisés. L'enquête semble, à bien des égards, être au point mort, et on est incapable d'aller au fond de la question.

Selon moi, il est intéressant et troublant de constater que nous ne semblons pas avoir de réponses à cette partie de la question. Je pense que le projet de loi C-23 prévoit certaines mesures afin d'empêcher une telle situation à l'avenir, mais il y a probablement lieu d'améliorer cet aspect aussi.

Le sénateur Moore : Avez-vous un mot à dire sur le fait que le commissaire n'a pas le pouvoir d'obliger les partis à témoigner? Qu'en pensez-vous?

M. Neufeld : Je sais que de nombreux directeurs généraux des élections partout au pays ont ce pouvoir, et je ne vois pas pourquoi ce n'est pas le cas à l'échelle fédérale.

La sénatrice Batters : En réponse à la question que le sénateur Moore vient de poser sur la situation des appels robotisés, j'aimerais vous informer, au cas où vous ne le sauriez pas, que l'ancien directeur général des élections, Jean- Pierre Kingsley, a témoigné devant le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre des communes; il nous a dit qu'une telle situation ne se produirait pas grâce aux nouvelles mesures que nous mettons en place. Étant donné sa vaste expérience dans le domaine des élections fédérales, je pense que c'est un témoignage très convaincant à cet égard.

Par ailleurs, mon collègue, le sénateur Plett, a parlé de la situation qui s'est déroulée en 2006 dans une circonscription fédérale, Desnethé—Missinippi—Rivière Churchill, en Saskatchewan. J'aimerais attirer votre attention sur deux ou trois autres faits à ce sujet. Lors de ces élections, le député conservateur Jeremy Harrison a perdu contre Gary Merasty, du Parti libéral. Le sénateur Plett a dit que, dans un bureau de scrutin, 108 p. 100 des électeurs avaient voté. Une boîte de scrutin a été rapportée avec un retard de trois heures et demie, après que tout le monde soit allé se coucher. Mon mari était un député à l'époque. Nous sommes tous allés au lit, lorsque nous avons vu que Jeremy était en avance de plusieurs centaines de voix. Cette boîte de scrutin a été rapportée, avec un retard de trois heures et demie, et 100 p. 100 des votes dans la boîte étaient pour le Parti libéral.

Lors de son témoignage devant le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre des communes, l'ancien commissaire Corbett a affirmé qu'une Première Nation avait organisé un tirage au sort — le prix était un poste de télévision — pour tous ceux qui étaient allés voter à ce bureau de scrutin particulier.

Ces faits supplémentaires ne soulèvent-ils pas de graves préoccupations concernant cette question?

M. Neufeld : Évidemment, toute récompense en échange d'un vote est inappropriée et illégale. Si cet aspect n'a pas été examiné dans le cadre de l'enquête, il aurait dû l'être.

Cette question — le fait que plus de 100 p. 100 des électeurs ont voté — revient aux statistiques dont il faut tenir compte, et on ne doit pas les confondre. D'abord, il y a les électeurs admissibles, et c'est le nombre total de gens qui peuvent voter dans une collectivité et dans un bureau de scrutin. Ensuite, il y a les électeurs inscrits, c'est-à-dire le nombre de personnes qui se sont inscrites pour aller voter. Enfin, il y a les électeurs qui se présentent au vote. Il arrive parfois que ce chiffre représente plus de 100 p. 100 des électeurs inscrits, et il n'y a rien d'illégal là-dedans.

Cela paraît anormal, et je comprends pourquoi il y a des inquiétudes. Mais les gens peuvent s'inscrire au moment du vote, et il arrive que plus de gens s'inscrivent au moment du vote qu'au début du processus. Cela ne signifie pas qu'ils ont voté illégalement.

La sénatrice Batters : Je comprends.

Vous avez dit que vous préférez qu'on garde les cartes d'information de l'électeur. Encore une fois, j'ignore si vous êtes au courant, mais nous avons entendu le témoignage de l'actuel directeur général des élections, Marc Mayrand, qui nous a affirmé que les erreurs liées aux cartes d'information de l'électeur constituent 10 p. 100 des cas; avec 23 millions d'électeurs, cela équivaut à 2,3 millions d'erreurs sur ces cartes. Malgré les efforts importants déployés par Élections Canada pour apporter des révisions ciblées, nous en sommes quand même à un taux d'erreur de 7 p. 100, ce qui est considérablement plus que 1 million d'électeurs.

M. Neufeld : Par rapport à quoi? Donnez-moi une autre carte ou une autre pièce d'identité qui est plus à jour.

La sénatrice Batters : Nous vous en donnerons 39.

M. Neufeld : Cette pièce d'identité est plus actuelle. Je ne pense pas que ces 39 pièces d'identité sont nécessairement plus actuelles lorsqu'une personne déménage ou change d'adresse. Voilà le problème.

La sénatrice Batters : Les cartes d'information de l'électeur peuvent aussi ne pas être actuelles. J'ai fait part d'un exemple personnel lors d'une autre séance. Mon mari et moi habitions dans notre maison depuis plusieurs années, et des élections fédérales ont été déclenchées. Nous avons reçu cinq cartes d'information de l'électeur par la poste : une pour lui; une pour moi; une autre sous mon nom de jeune fille, nom que je n'avais jamais utilisé à cette adresse; et deux autres cartes pour les deux anciens propriétaires de la maison, qui n'habitaient plus là depuis plusieurs années.

D'après moi, toutes les cartes d'information de l'électeur ne sont pas nécessairement actuelles, étant donné que bon nombre de ces documents se fondent sur les déclarations de revenus et que ces déclarations peuvent avoir été produites jusqu'à près d'un an au moment des élections.

M. Neufeld : Tout à fait. L'actualité des renseignements représente un grand défi. C'est un défi en ce qui a trait non seulement aux cartes d'information de l'électeur, mais aussi à l'inscription des électeurs. C'est le gros défi des administrateurs électoraux canadiens qui gèrent le registre permanent des électeurs.

Je recommandais d'améliorer l'actualité de la liste des électeurs avant le déclenchement des élections, en particulier lorsque la date est connue.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que les cartes d'information des électeurs ne sont pas parfaites. Le problème, c'est qu'il n'y a rien de parfait et que vous devez prouver votre lieu de résidence.

Cela posera un problème à un faible pourcentage — et non à un fort pourcentage — de personnes. À mon avis, il faut trouver des manières de les aider en vue de protéger leur droit de vote et l'intégrité du système, par la même occasion.

Voilà le défi de votre comité et du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre. Je ne crois pas que vous pouvez tout simplement éliminer le filet de sécurité, ce que nous appelons l'attestation de l'identité par un répondant, sans le remplacer par un autre mécanisme aussi efficace ou plus efficace.

La sénatrice Batters : Je vous dirais que...

Le président : Je m'excuse. Nous avons le temps pour de brèves questions de la part du sénateur Baker et de la sénatrice Frum.

Le sénateur Baker : J'aimerais laisser le sénateur Joyal poser une question.

Le sénateur Joyal : Monsieur Neufeld, à la page 4 de votre document, vous faites allusion à un aspect auquel je n'avais pas pensé lorsque j'essayais de comprendre l'attestation de l'identité par un répondant et ses effets. Je cite l'avant-dernier paragraphe :

Compte tenu des taux de mobilité élevés au Canada, on prévoit que 250 000 électeurs admissibles changeront d'adresse pendant la prochaine campagne électorale fédérale.

Cela veut dire que ces Canadiens n'auront peut-être pas un document avec la bonne adresse. Ils auront peut-être un document avec une adresse qui ne reflétera pas leur lieu de résidence quand ils voteront. Comme vous l'avez dit, la présence d'un filet de sécurité est très importante dans le cas des personnes qui changent d'adresse pendant une campagne électorale. Ce sont vos données. Pourriez-vous commenter les données qui se trouvent à l'avant-dernier paragraphe de la page 4?

M. Neufeld : Cela fait partie de la réalité du Canada et de sa population mobile. En majorité, les gens changent d'adresse entre la fin du printemps et la fin de l'automne. Durant les mois d'hiver, peu de gens déménagent. Statistique Canada fournit sur demande des statistiques aux organismes responsables de la gestion des élections qui permettent de prévoir le nombre d'électeurs qui changeront d'adresse en fonction d'un mois donné. Il s'agit d'une donnée étonnante. La réalité demeure que ces personnes ne perdent pas leur droit de vote, tout simplement parce qu'elles déménagent pendant une campagne électorale.

Compte tenu de l'élimination de l'attestation de l'identité par un répondant et du retrait des cartes d'information de l'électeur des pièces d'identité acceptées, des Canadiens se verront refuser le droit de vote si le projet de loi C-23 est adopté sous sa forme actuelle, même s'ils ont été très consciencieux, qu'ils se sont inscrits sur la liste électorale et qu'ils se présentent au bureau de scrutin avec leur passeport et leur carte d'information de l'électeur.

La sénatrice Frum : Pouvez-vous nous expliquer les procédures en vigueur à Élections Canada concernant le dénombrement, après des élections, des votes d'électeurs dont l'identité a été attestée par un répondant? Après les élections, y a-t-il une vérification au sujet des gens qui ont attesté de l'identité d'un électeur ou dont l'identité a été attestée par un répondant?

M. Neufeld : C'est une excellente question.

À ma connaissance, mon rapport sur la conformité était la première fois que la question de l'attestation de l'identité par un répondant était étudiée de manière très exhaustive. Actuellement, en vertu de la Loi électorale du Canada, tous les documents des centaines de milliers de bureaux de scrutin au pays sont scellés et ne peuvent pas être ouverts, à moins qu'une cour l'ordonne, comme c'était le cas dans la circonscription d'Etobicoke-Centre, ou que le directeur général des élections ait une raison valable de le faire.

L'ouverture de documents de 1 000 bureaux de scrutin en vue de réaliser un examen de la conformité et de fournir la base statistique requise était, selon moi, extraordinaire. Ce n'était jamais arrivé auparavant. Élections Canada ne connaissait pas le pourcentage de gens dont l'identité devait être attestée par un répondant en vue de pouvoir voter, parce qu'il n'y avait aucun moyen de le savoir avant cet examen.

S'il n'y a pas de plainte ou que rien ne le justifie, on n'examine jamais cet aspect, et il n'y a aucun suivi.

La sénatrice Frum : Cela se fonde entièrement sur la confiance, n'est-ce pas?

M. Neufeld : Notre système au Canada se fonde principalement sur la confiance depuis la Confédération. La donne a changé depuis 2007. Nous exigeons depuis de prouver son identité en vue de voter; c'est un changement important dans les exigences en matière d'intégrité, mais il faudrait peut-être conserver d'autres aspects.

Le directeur général des élections s'est publiquement engagé à donner suite à l'une de mes recommandations, à savoir de mesurer la conformité et d'en rendre compte après chaque élection. Si l'on conserve l'attestation de l'identité par un répondant, vous aurez donc un rapport qui vous permettra de déterminer si la donne et le processus d'inscription des électeurs se sont améliorés en ce qui a trait à la conformité et à l'élimination des irrégularités.

Le président : Merci beaucoup de votre présence devant notre comité aujourd'hui, monsieur. Nous vous sommes très reconnaissants de votre contribution à nos discussions.

M. Neufeld : Merci.

(La séance est levée.)


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