Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 8 - Témoignages du 30 avril 2014
OTTAWA, le mercredi 30 avril 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour examiner la teneur du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous poursuivons notre étude préalable du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois. Le projet de loi propose de modifier de nombreux aspects du droit électoral canadien. Le comité a consacré jusqu'ici six séances à cette étude et entendu 21 témoins, notamment le ministre d'État (Réforme démocratique), le directeur général des élections, le commissaire aux élections fédérales, ainsi que de nombreux experts, universitaires, membres de partis politiques et autres intéressés. Le comité a également reçu un certain nombre de mémoires.
Le 15 avril, le comité a déposé un rapport provisoire qui recommandait d'apporter un certain nombre de modifications au projet de loi. Vous pourrez trouver ce rapport, ainsi que l'horaire des séances du comité, sur le site web sen.parl.gc.ca.
Nous allons accueillir notre premier groupe de témoins cet après-midi qui est composé de Mme Gail Lynch, directrice de scrutin, Ottawa-Centre, et de Mme Brigitte Giesbrecht, directrice de scrutin, Provencher.
Nous allons commencer par entendre la déclaration préliminaire de Mme Lynch qui sera suivie par celle de Mme Giesbrecht.
Gail Lynch, directrice de scrutin, Ottawa-Centre, Élections Canada, à titre personnel : Je remercie monsieur le président et les membres du comité de m'avoir donné la possibilité de comparaître devant vous aujourd'hui. Je vais principalement aborder les aspects opérationnels du projet de loi — des éléments qui touchent les bureaux des directeurs de scrutin, les représentants des candidats, le personnel de scrutin et les électeurs.
Le premier élément est le vote par anticipation. Il est bon pour les électeurs que le nombre des jours pendant lesquels il est possible de voter par anticipation passe de trois à quatre. Cela peut avoir des répercussions sur les bureaux de vote et sur le personnel de scrutin. Ce projet de loi a pour effet de compliquer, pour le personnel de scrutin, la procédure à suivre pour le vote par anticipation. Le projet de loi est déjà difficile à lire et il faudra prévoir une formation au sujet des procédures plutôt que de tout simplement aider les gens à voter une fois rendus dans les bureaux de vote. Nous souhaitons que les procédures que doit suivre le personnel de scrutin soient simplifiées plutôt que rendues plus complexes.
Pour ce qui est des superviseurs de centre de scrutin, je crois savoir qu'il ne sera plus obligatoire que ces superviseurs soient nommés par le parti le plus important et je suis en faveur de ce changement.
Pour ce qui est des noms fournis pour les scrutateurs, les greffiers de scrutin et les agents d'inscription, je crois comprendre que, si les candidats ne fournissent pas un nombre de noms suffisant, nous serons obligés de communiquer avec l'association locale et le parti. Habituellement, nous avons un contact principal pour chaque élection. Personnellement, je ne me sentirais pas à l'aise de communiquer avec une personne qui ne serait pas celle qui m'a été désignée comme personne-contact.
Identification : je suis également heureuse de constater que le recours au répondant est maintenu. Je souhaiterais que les cartes d'information de l'électeur figurent parmi les pièces d'identité acceptables. Je ne suis pas très à l'aise lorsque je suis obligée de demander aux responsables d'établissements de soins de longue durée de préparer des attestations. Leur rôle n'est pas de participer au processus électoral, mais plutôt de s'occuper de leurs résidents. Ils le font volontiers, mais les cartes CIE seraient utiles. J'aimerais également que le projet de loi ait pour effet d'harmoniser toutes les exigences en matière de pièce d'identité.
Pour ce qui est de l'effet des règles électorales spéciales au sein du bureau du directeur de scrutin, le fait d'avoir des représentants du candidat sur les lieux pendant toute la durée du vote a des répercussions sur les locaux du directeur du scrutin, et risque de déranger le personnel et de gêner les électeurs.
Il me semble tout à fait acceptable que les représentants des candidats se déplacent d'un bureau de vote à l'autre au sein d'une circonscription électorale, mais, à mon avis, le superviseur de centre de scrutin ou la personne qu'il désigne devrait demander à chaque représentant de s'enregistrer chaque fois qu'il change de centre de scrutin. Les superviseurs de centre de scrutin doivent savoir quelles sont les personnes qui se trouvent dans les bureaux de vote et si quelque chose arrive, ce sont eux qui en sont responsables.
Le registre de l'identification des électeurs qui ont voté constitue un nouveau document officiel pour les élections. Ce qui était au départ un document destiné à aider les candidats et à simplifier le rôle du personnel de scrutin est aujourd'hui devenu une tâche très lourde pour les agents électoraux le jour de l'élection et pour le bureau du DS le lendemain de l'élection.
La présence de représentants du candidat et l'identification des électeurs risquent de troubler les électeurs, sur le plan du respect de la vie privée, et de placer les agents de scrutin dans une situation inconfortable.
Pour ce qui est des activités de sensibilisation d'Élections Canada, en tant qu'ancienne enseignante, je suis heureuse qu'Élections Canada poursuive le travail qu'effectue cet organisme dans les écoles. Je pense que cette action ne devrait pas se limiter aux jeunes qui n'ont pas encore l'âge de voter, mais viser également la tranche d'âges de 18 à 35 ans. Nous essayons de renforcer la participation électorale et si les étudiants ne suivent pas de cours d'éducation civique à l'école secondaire, ils n'auront guère d'autres possibilités de se familiariser avec ce que veut dire voter. S'ils ne votent pas quand ils sont jeunes, c'est-à-dire à la première élection à laquelle ils ont droit de voter, il est peu probable qu'ils changent leur comportement par la suite.
Pour conclure, j'aimerais parler de l'avenir. Les électeurs ont des attentes pour ce qui est des élections. Un bon nombre d'entre eux connaissent certaines formes de vote électronique, que ce soit au palier municipal ou provincial. Étant donné que je m'occupe d'une circonscription où des milliers d'électeurs s'inscrivent dans les bureaux de vote le jour de l'élection, je serais en faveur d'introduire cette technologie dans les bureaux de vote. Ce projet de loi n'en parle aucunement.
Je vous remercie et j'ai hâte de démarrer la discussion.
Le président : Merci.
Madame Giesbrecht.
Brigitte Giesbrecht, directrice de scrutin, Provencher, Élections Canada, à titre personnel : Merci de me donner la possibilité de commenter le projet de loi C-23 en qualité de directrice de scrutin de la circonscription électorale de Provencher. J'aimerais exprimer les préoccupations que suscitent pour moi certaines recommandations présentées dans le projet de loi C-23.
Ces dernières années, nous avons souvent apporté des modifications à la Loi électorale qui se sont avérées avantageuses pour les électeurs qui auraient autrement de la difficulté à exercer leur droit de vote. Certaines des recommandations que contient le projet de loi C-23 obligeraient les électeurs à quitter les bureaux de vote sans avoir pu déposer leur bulletin.
Le projet de loi C-23 propose de supprimer le recours aux répondants. À mon avis, cette suppression aurait un effet dévastateur sur les nombreux électeurs qui utilisent cette solution de dernier recours parce qu'ils ne possèdent pas les pièces d'identité appropriées. Il est arrivé qu'un mari réponde de sa femme, parce que toutes les factures étaient à son nom et que celle-ci ne possédait pas de permis de conduire. J'ai été moi-même témoin d'une telle situation.
Il y a eu également des cas où un électeur est venu voter avec ce qui lui semblait être une pièce d'identité appropriée et à qui l'on a demandé de revenir en possession d'une preuve indiquant son adresse. Cet électeur avait pris la peine de se rendre à pied ou en automobile au bureau de vote, qui est parfois très éloigné dans certaines circonscriptions électorales. Le recours à un répondant est la seule autre façon qu'une telle personne puisse voter à moins qu'elle décide de revenir au bureau de vote, ce qui est peu probable.
Il n'est pas rare que le directeur de scrutin reçoive des appels d'électeurs en colère. Dans la plupart des cas, l'électeur a voté en ayant recours à un répondant, mais il lui reproche d'avoir été obligé de prêter serment. Le système n'est pas parfait, mais l'électeur peut finalement voter.
J'estime que la suppression du système des répondants, sans proposer une solution pour les personnes qui n'ont pas de pièce d'identité, ne serait pas bien acceptée par les électeurs ni par le personnel d'Élections Canada qui devra certainement fournir des réponses aux plaintes suscitées par ces modifications.
L'utilisation des cartes d'information de l'électeur dans les bureaux de vote désignés peut être considérée comme un pas dans la bonne direction. En tant que directrice de scrutin, j'ai été invitée à identifier les endroits pour lesquels l'utilisation de la carte d'information de l'électeur serait avantageuse. Élections Canada a autorisé les électeurs qui résident dans des foyers de soins personnels, des établissements de soins de longue durée et des réserves autochtones à utiliser ce service. Au cours d'une campagne électorale, on demande aux agents réviseurs d'obtenir des renseignements directement auprès des électeurs appelés à voter dans ces bureaux de vote. Nous sommes alors sûrs que les renseignements qui figurent sur la nouvelle carte d'information de l'électeur sont exacts. L'utilisation de la CIE, comme pièce d'identité, est vraiment très utile dans ce genre de situation. La plupart de ces électeurs ne possèdent pas d'autres pièces d'identité.
J'estime qu'en respectant les lignes directrices applicables à la CIE, ce document devrait continuer à être accepté à titre de pièce d'identité pour ces électeurs, mais pas pour les autres, parce que nous ne sommes pas sûrs à 100 p. 100 de l'exactitude de la liste électorale. Les candidats peuvent se procurer la liste des bureaux de vote qui utilisent ce genre d'identification en s'adressant au bureau du directeur de scrutin.
Il y a un autre aspect qui m'intéresse, c'est la nomination des superviseurs de centre de scrutin par les partis politiques. À mon avis, cette modification ne devrait pas être introduite dans la loi électorale. L'intérêt d'Élections Canada est qu'il s'agit là d'un organisme indépendant qui a pour mission de fournir un service non partisan aux électeurs. Si les partis politiques nomment les membres du personnel des bureaux de scrutin, Élections Canada sera considéré comme étant un organisme partisan, quelle que puisse être la teneur de la loi électorale.
Les électeurs forment leurs opinions sur ce qu'ils constatent dans les bureaux de vote. Je demande à mes superviseurs de centre de scrutin de me transmettre des rapports et de m'informer de toute question susceptible de compromettre le déroulement du vote. Je leur demande également d'évaluer le personnel électoral. Je dois être convaincue que mes superviseurs de centre de scrutin me fournissent des évaluations impartiales.
J'estime que les directeurs de scrutin doivent avoir le pouvoir de choisir, avec l'aide des recruteurs, les personnes qui représenteront Élections Canada et de s'assurer qu'elles exécuteront cette tâche de façon non partisane.
Je pense que la nomination de tous les membres du personnel électoral devrait être fondée sur le mérite, chaque fois que cela est possible.
En me fondant sur les opinions que je vous ai communiquées dans cet exposé, j'espère vous avoir donné des motifs de réexaminer les modifications proposées avec le projet de loi C-23.
Je serais heureuse de répondre aux questions que vous aimeriez me poser en qualité de directrice de scrutin.
Le sénateur Baker : Je remercie les témoins d'être venus aujourd'hui.
Permettez-moi de vous poser une question de nature générale. Avant 2007, je crois qu'aucune pièce d'identité n'était exigée. Si je me souviens bien et si ma mémoire ne m'abuse, on établissait une liste électorale préliminaire et il y avait ensuite une liste électorale révisée. Il y avait des gens qui faisaient du porte-à-porte là où les gens vivaient et on élaborait une liste définitive; il y avait donc trois listes distinctes. Cela se fait-il encore de nos jours? Avec l'ancien système, celui d'avant 2007 — appelons-le l'ancien système — si nous n'étiez pas là, vous déclariez sous serment votre adresse devant quelqu'un, avec la main posée sur la Bible. Cette analyse est-elle exacte et ai-je raison de dire que la procédure utilisée avant 2007 ne soulevait aucun problème majeur? Avez-vous commencé à travailler dans ce domaine à cette époque?
Mme Lynch : Ma première élection est celle de 2006, nous sommes donc à la limite. Pendant que vous parliez, j'essayais de me souvenir comment s'était passée cette première élection, parce que je connais bien le problème que posent les pièces d'identité. Les autorités provinciales avaient introduit les pièces d'identité et je me souviens d'avoir pensé à l'époque que certains petits problèmes allaient être résolus et que d'ici à la prochaine élection fédérale, les gens seraient habitués à se servir de leurs cartes d'identité, des conditions à remplir et le reste.
Je crois que progressivement, les gens ont estimé qu'il fallait imposer certaines conditions. Vous faites référence au fait que dans certains cas, nous faisons du porte-à-porte, et cela fait partie de ce que nous appelons maintenant la révision ciblée. Nous ne faisons pas toute la circonscription de cette façon, mais nous le faisons dans les endroits où les gens déménagent souvent.
Le sénateur Baker : Vous ne faites plus de liste électorale préliminaire.
Mme Lynch : Il y a une liste électorale préliminaire.
Le sénateur Baker : Vous ne préparez plus la liste électorale révisée.
Mme Lynch : Oui, nous le faisons encore.
Le sénateur Baker : Vous faites encore aujourd'hui ce qui se faisait auparavant.
Mme Lynch : Oui, mais cette opération est limitée, elle est ciblée. Nous faisons les foyers pour personnes âgées. Bien souvent, c'est la raison pour laquelle nous avons la CIE — dans une résidence pour personnes âgées, il y a des gens qui s'y rendent et qui révisent la liste, de sorte que nous avons des renseignements actuels. Lorsque vous disposez de renseignements actuels, vous envoyez les CIE parce que ces cartes leur indiquent où voter, mais vous avez également vérifié que la personne en question vit bien là parce que, au cours de la période électorale, vous vous êtes rendu chez elle et vous l'avez rencontrée.
Le sénateur Baker : Pour les Canadiens ordinaires qui votent habituellement dans une petite collectivité d'une région rurale du Canada, pas dans une région urbaine, j'imagine que cela n'a pas changé. Vous faites encore du porte-à-porte. Vous ne le faites plus. À quel moment cela a-t-il disparu?
Mme Giesbrecht : Je ne sais pas si...
Le sénateur Baker : La liste électorale préliminaire...
Mme Giesbrecht : Je ne sais pas si l'on allait de porte en porte. Depuis que je m'occupe d'élections, cela ne s'est pas fait. C'est Élections Canada qui nous remet une liste préliminaire. Les directeurs de scrutin ne sont pas chargés de préparer cette liste. Nous obtenons cette liste préliminaire.
Le sénateur Baker : Est-ce que c'est Élections Canada qui prépare la liste?
Mme Giesbrecht : Oui.
Le sénateur Baker : De tous les Canadiens ayant le droit de vote dont ils connaissent l'existence.
Mme Giesbrecht : Exact.
Le sénateur Baker : Cet organisme effectue cette évaluation, cette liste préliminaire.
Mme Giesbrecht : Élections Canada fournit aux directeurs de scrutin la liste préliminaire.
Le sénateur Baker : Toutes les choses dont nous parlons en ce moment, toutes ces pièces d'identité, tout cela est relativement récent. Avez-vous eu connaissance de cas de fraude massive depuis que vous travaillez dans les bureaux de vote, savez-vous s'il y a des Canadiens qui mentent et racontent des histoires?
Mme Giesbrecht : Pas à ma connaissance.
Le sénateur Baker : Vous n'avez pas eu connaissance de ce genre de choses?
Mme Lynch : Moi non plus.
Le sénateur Baker : Je vois. Merci.
La sénatrice Frum : Merci d'être venues aujourd'hui.
Comme nous le savons grâce au rapport Neufeld, au cours de la dernière élection, il y a eu un taux d'erreurs de 11 p. 100 le jour de l'inscription — excusez-moi, pour les inscriptions effectuées le jour même. Nous savons qu'il y a eu un taux d'erreurs de 42 p. 100 dans le cas des répondants. M. Neufeld a été très clair. Il ne pense pas que cela prouve qu'il y ait eu fraude, mais il a déclaré que cela montrait que les greffiers n'avaient pas suivi une bonne formation. On peut comprendre cette situation parce que, d'une façon générale, les greffiers du scrutin sont de bons citoyens qui ne sont peut-être pas tout à fait des bénévoles, mais en sont très proches. Ils accomplissent un devoir civique et ce sont de bons citoyens. Mais le taux d'erreurs est quand même très, très élevé.
La question que je vous pose concerne la formation des bénévoles — ce ne sont pas des bénévoles parce qu'ils sont rémunérés, mais celle des greffiers de scrutin le jour de l'élection. Quelles sont les mesures qui pourraient être prises pour améliorer cette formation?
Mme Giesbrecht : Je ne pense pas que la formation soit le problème. Le problème est qu'il y a beaucoup de formulaires à remplir et que bien souvent, les gens ne remplissent pas toutes les cases. Dès qu'il manque un renseignement, il est difficile d'introduire le document dans le système. Si vous regardez les formules, il peut surgir certains problèmes, parce que les gens ne travaillent que pendant une journée, comme vous l'avez mentionné. J'ai également constaté que le taux d'erreurs était élevé. C'est un fait. Ces gens sont bien formés, mais ils se dépêchent parce qu'ils ne veulent pas faire attendre les électeurs. Si ces derniers sont impatients, vous essayez d'accélérer les choses et vous commettez alors des erreurs dans votre travail. Il est vrai que le taux d'erreurs est élevé, mais je ne pense pas que cela vienne de la formation. Cela vient, d'après moi, du fait qu'il faut inscrire beaucoup de renseignements dans ces formulaires.
La sénatrice Frum : Que doit-on changer?
Mme Giesbrecht : Je crois qu'il faut simplifier les formulaires. Je ne sais pas comment on pourrait le faire. C'est tout un processus. Je ne pense pas qu'il soit question de fraude. Vous avez parlé de 11 p. 100. Est-ce bien ce qui a été calculé?
La sénatrice Frum : Il a déclaré dans son rapport que le pourcentage d'erreurs était inacceptable. Il a affirmé que, si l'on ne réduisait pas le nombre des erreurs, cela jetterait un doute sur la valeur des résultats. Il ne dit pas que cela indique qu'il y a eu des fraudes, mais il n'a aucun moyen de vraiment le savoir. La seule chose qu'il puisse dire avec certitude est que le taux d'erreurs est très élevé.
Mme Giesbrecht : Le principal problème que l'on trouve dans ce genre de situation, c'est que la liste électorale devrait être plus complète et devrait être améliorée, parce que pourquoi les gens s'inscrivent-ils? Ils ne sont pas sur la liste. Pourquoi ne sont-ils pas sur la liste? Ils ont de la difficulté à se faire inscrire sur la liste. Dans les régions rurales du Canada, il peut y avoir jusqu'à trois adresses, de sorte que, si l'adresse d'une personne n'est pas inscrite sur la liste des électeurs, cela cause un problème. Cette liste peut contenir une adresse erronée.
Mme Lynch : Je crois qu'il y a le fait que les gens s'occupent d'un public qu'ils ne voient pas tous les jours. Ils sont là pendant 14 heures. Ils font ce qu'ils peuvent. Il y a le fait que, progressivement, on leur demande de faire davantage de choses. Vous savez, c'est comme pour n'importe quoi. On ajoute des choses, mais on n'en supprime jamais. À un moment donné, ces personnes ne peuvent faire davantage. On leur demande de faire des choses à la dernière minute. Par exemple, au cours de la dernière élection — et c'était la bonne chose à faire, mais c'est un aspect que les gens ont dû essayer de régler eux-mêmes —, il y a eu toute la question de l'accessibilité et des documents qui s'y rapportaient. Le superviseur du centre de scrutin s'est efforcé de veiller à ce que tout soit accessible, ce qui était une bonne chose, mais il s'occupait de ça au lieu d'aider les scrutateurs et les greffiers, à qui on posait des questions auxquelles ils ne pouvaient répondre.
On leur demande beaucoup. Tous ces gens s'efforcent de bien faire leur travail lorsqu'ils suivent leur formation et je leur dis souvent : « Quand vous aurez fini de suivre cette formation, vous aurez une très longue journée à faire. Un bon nombre d'entre vous l'ont déjà fait, mais arrêtez-vous un moment et pensez-y. Il n'y a pas de mal à nous dire que vous ne pensez pas que vous pouvez faire ce travail. Nous préférons de beaucoup que vous nous le disiez maintenant plutôt que vous ne veniez pas le jour de l'élection ». C'est le genre de conversation que j'ai avec ces personnes, parce qu'on leur demande de faire tant de choses. C'est la raison pour laquelle, de mon point de vue, si nous pouvions simplifier le processus et confier aux scrutateurs un certain type de tâches, et au greffier du scrutin — et c'est ce que disait Neufeld dans son rapport — il faut leur confier des tâches précises. Cette recommandation va, d'après moi, dans le bon sens. Je pense qu'elle serait vraiment très utile.
Le sénateur Moore : Merci aux témoins d'être ici.
J'aimerais revenir à un aspect qu'a soulevé la sénatrice Frum. Je regarde le rapport Neufeld et le pourcentage qu'elle cite. Il déclare :
Des erreurs graves, des erreurs que les tribunaux qualifieraient « d'irrégularités » risquant d'entraîner l'annulation du vote, ont été observées dans 12 % des cas d'inscription des électeurs le jour du scrutin, [...]
Pas tous les électeurs.
La sénatrice Frum : C'est ce que j'ai dit.
Le sénateur Moore : J'ai pensé que les témoins estimaient que vous parliez de toutes les personnes qui avaient voté.
Madame Giesbrecht, vous avez paru quelque peu surprise lorsqu'elle a déclaré ceci.
Mme Giesbrecht : Non. J'ai lu le rapport.
Le sénateur Moore : Vous avez compris cela.
Mme Giesbrecht : Ce pourcentage de 42 p. 100 concernait...
Le sénateur Moore : Les affaires dans lesquelles il y avait eu recours à un répondant, oui.
Dans l'ensemble, on a évalué que les irrégularités représentaient 1,3 p. 100 de tous les cas survenus le jour de l'élection. Douze millions de personnes ont voté, de sorte que ces chiffres sont très faibles.
J'aimerais parler de la carte d'identification de l'électeur. D'après votre expérience, est-ce que la plupart des électeurs les ont apportées ou en avait-il quelques-uns seulement qui le faisaient? Quelle a été votre expérience?
Mme Lynch : Les gens les apportent habituellement parce que ces cartes leur disent où aller voter et leur donnent le numéro de leur bureau de vote. Elles contiennent de l'information qui peut les aider. C'est le document qu'ils utilisent pour se rendre au bureau de vote, alors ils les apportent avec eux. Et c'est pourquoi ils sont surpris. Ils pensent qu'ils vont pouvoir utiliser ces cartes pour s'identifier, et ils sont très déçus lorsque nous leur disons que ce n'est pas une pièce d'identité acceptable. Ils pensent avoir vécu là quelque chose qui indique leur adresse.
Le sénateur Moore : On nous a dit que l'on allait encore une fois distribuer ces cartes pour la prochaine élection générale fédérale, de sorte que les électeurs vont sans doute les apporter encore avec eux. Qu'allez-vous faire?
Mme Giesbrecht : La carte mentionne qu'elle ne peut être utilisée à titre de pièce d'identité. Cela est clairement indiqué sur la carte. Je ne sais pas très bien quelle est la question. Pensez-vous que cela va soulever encore une fois des problèmes?
Le sénateur Moore : Je pense que cela pourrait être le cas. Vous avez parlé des gens qui habitent loin de leur bureau de vote et qui se présentent avec cette carte.
Mme Giesbrecht : Je parle des répondants. Si l'on supprime le recours aux répondants, alors cela ne leur laisse aucune solution. Cela ne concerne pas vraiment la carte d'information de l'électeur.
Le sénateur Moore : Non. Par contre, si cette carte les aidait à les identifier, à prouver qui ils sont, qu'ils sont des électeurs légitimes, nous devrions améliorer le système. Nous essayons de faire voter le plus de gens possible. C'est bien là le but, d'après moi.
Si cela peut aider, j'aimerais que l'on continue à le faire. Madame Lynch, je crois que vous avez dit que vous souhaitiez que les cartes CIE puissent être acceptées comme pièce d'identité et que cela serait utile. Vous avez également souhaité que le projet de loi harmonise toutes les conditions en matière d'identification. Pensez-vous que les cartes CIE devraient être une pièce d'identité suffisante ou alors, accompagnée d'un autre document?
Mme Lynch : Je pense que le problème vient du fait que nous devons nous assurer que l'électeur a un document où figure son adresse, mais je pense qu'il devrait avoir une deuxième pièce d'identité. J'ai entendu dire qu'il y avait des personnes qui venaient et qui les trouvaient sur le sol, ou alors que la personne ne vivait plus à l'adresse indiquée et qu'elle était expulsée. Si vous avez une deuxième pièce d'identité, alors vous devez avoir quelque chose où figure votre nom. Vous avez alors deux pièces qui se complètent et il y en a une sur laquelle figure l'adresse.
Ici à Ottawa, je ne peux pas vous dire combien de fois des fonctionnaires sont arrivés dans les bureaux pour voter et voulaient se servir de leur pièce d'identité du gouvernement et je leur disais « Montrez-moi l'adresse qui figure sur la pièce d'identité du gouvernement ». Cette pièce contenait uniquement leur photo.
Le sénateur Moore : Que faisiez-vous donc alors dans ce genre de situations?
Mme Lynch : Je leur dis : « Avez-vous un document avec votre adresse; si vous n'en avez pas, je regrette, revenez plus tard. » Neuf fois sur dix, ces gens sont ceux qui reviennent cinq minutes avant la fermeture des bureaux de vote. Le seul obstacle qui empêche l'électeur de voter, c'est le membre du personnel de scrutin et c'est lui qui doit dire non, et il se retrouve un peu pris entre deux feux dans ce genre de situation. C'est une situation très inconfortable. Ils sont là et dans leur esprit, ils veulent aider les gens à voter. Le fait d'être obligé de dire « non » les place dans une situation très délicate.
La sénatrice Batters : Madame Giesbrecht, je ne sais pas si vous êtes au courant de cette situation, parce qu'elle s'est produite tout récemment. Vendredi dernier, le ministre Poilievre a annoncé que le gouvernement allait accepter un certain nombre d'amendements et l'un de ces amendements permettrait d'utiliser un répondant uniquement pour l'adresse. Je ne sais pas si vous étiez au courant de ce changement, mais il est tout récent. L'amendement permettrait d'avoir recours à un répondant, uniquement pour l'adresse. Vous devez quand même posséder une pièce d'identité pour vous identifier. Cela répondrait aux préoccupations que vous avez exprimées il y a un instant.
En outre, le gouvernement propose un amendement concernant les superviseurs de centre de scrutin; cet amendement ne sera pas mis en œuvre. Je ne sais pas si vous le connaissiez également.
Pour ce qui est des cartes d'information de l'électeur, il nous reste 17 mois avant la prochaine élection, et je dirais donc qu'une bonne partie de la campagne publicitaire que lance Élections Canada pour informer la population au sujet de la façon de voter, du lieu et du moment pour le faire devrait également mentionner qu'il est obligatoire de présenter une pièce d'identité où figure l'adresse de l'électeur. C'est peut-être un élément que vous pourriez transmettre à Élections Canada lorsque vous lui communiquerez vos recommandations. La population sera ainsi informée et préparée le mieux possible avant d'arriver dans les bureaux de vote.
Je ne sais pas si vous savez que, lorsque nous avons entendu le directeur général des élections, M. Marc Mayrand, il a parlé du taux d'erreurs important que comportaient les cartes d'information de l'électeur. On a parlé au départ de 10 p. 100 d'erreurs, et même avec une révision ciblée, ce pourcentage n'est tombé qu'à 7 p. 100. Avec 23 millions d'électeurs, cela représente 2,3 millions d'erreurs. Même avec un taux d'erreurs de 7 p. 100, cela donne quand même 1,6 million d'erreurs. C'est un chiffre important. Étiez-vous au courant de cela? Cela modifie-t-il votre point de vue au sujet de la carte d'information de l'électeur utilisée comme pièce d'identité?
Mme Lynch : J'aimerais d'abord répondre à l'autre question qui portait sur les pièces d'identité et le fait que nous disposions encore d'un an et demi. Malheureusement, par rapport à tous ceux d'entre nous qui nous intéressons aux élections, les élections ne sont pas le principal problème de la vaste majorité des électeurs. Ce n'est qu'une fois qu'une élection est déclenchée que tout à coup ils commencent à se préoccuper de ces choses et c'est déjà un peu tard pour qu'ils fassent quelque chose.
Je ne pense pas qu'Élections Canada soit l'organisme approprié pour s'occuper des questions des pièces d'identité. Il ne serait certes pas mauvais, d'après moi, qu'il y ait un document national, mais je ne pense pas qu'Élections Canada soit l'organisme qui pourra le faire. C'est peut-être un autre débat.
Pour ce qui est de la carte d'identification de l'électeur, je dirais encore une fois que le monde n'est pas parfait, mais compte tenu des difficultés que rencontrent les gens qui font partie de groupes ciblés comme les personnes âgées et les étudiants, si les gens ont déjà procédé à une révision ciblée dans leurs résidences, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas utiliser la CIE à titre de pièce d'identité pour ces personnes.
Je pense également que, si ce document est complété par une autre pièce d'identité, cela réduira énormément l'ampleur de ce problème, qui nous occupe pour ce qui est notamment des erreurs ou des fausses représentations.
La sénatrice Batters : Cela ramène le taux d'erreurs à 7 p. 100, mais cela représente quand même 1,6 million d'erreurs.
Vous avez dit que le rôle d'Élections Canada n'était pas vraiment de s'occuper de questions d'identité, mais plutôt d'aider les gens à savoir où, quand et comment voter et ce sont là les aspects sur lesquels nous centrons notre débat. Sa campagne d'information ne devrait-elle pas également expliquer ce dont on a besoin pour pouvoir voter, les pièces d'identité sur lesquelles figurent le nom et l'adresse, ainsi que les façons dont on peut établir ces éléments?
L'autre question que je voulais poser concernait les déclarations de Mme Lynch au sujet des établissements de soins de longue durée et des problèmes que vous aviez constatés pour ce qui est de l'identification des personnes résidant dans ces établissements. Encore une fois, j'attire votre attention sur l'amendement qui a été proposé par le gouvernement et qui prévoit le recours à des répondants pour établir l'adresse, mais cela ne permettrait que le recours à un seul répondant par personne, tout comme c'est le cas actuellement.
Mme Lynch : Vous voyez, c'est là le problème.
La sénatrice Batters : Ce n'est pas un changement; c'est un répondant par personne. C'est la situation actuelle, et celle-ci va demeurer inchangée, par contre, elle ne concerne que l'adresse. Ces formulaires d'attestation préparés par le responsable d'un établissement de soins de longue durée ou d'une réserve des Premières Nations ou encore d'une résidence pour étudiants permettent à beaucoup plus de personnes d'établir leur adresse grâce à ce type de formulaire.
Par conséquent, plutôt que d'utiliser le processus complexe des répondants, on pourrait utiliser les formulaires d'attestation, qui pourraient être remplis bien avant le jour de l'élection; ce formulaire exige certes du travail, mais ce n'est pas aussi compliqué que de prévoir un répondant pour tous les résidents le jour de l'élection. En convenez-vous?
Mme Lynch : Il ne serait pas possible d'avoir recours à des répondants pour les résidents d'établissement de soins de longue durée parce que cela ne serait pas faisable. Il y a peut-être un moyen d'y parvenir, mais je n'arrive pas à le trouver.
La sénatrice Batters : Que proposez-vous alors?
Le président : Nous devons poursuivre. Je vais vous inscrire pour le deuxième tour de questions.
La sénatrice Jaffer : Merci pour votre exposé.
J'aimerais bien comprendre quelle était la situation avant le projet de loi. Au cours de la dernière élection, si une personne voulait voter sans posséder de pièce d'identité, disons une personne sans domicile fixe, parce que cela fait un moment que vous faites ce genre de travail et vous connaissez sans doute des personnes dans cette situation qui viennent voter, comme faisiez-vous avant que ce projet de loi n'entre en vigueur? Que faisiez-vous avec un sans-abri qui n'a pas de pièce d'identité?
Mme Lynch : C'est une question intéressante. Au cours de la dernière élection, les CIE pouvaient être utilisées pour les jeunes et les résidents d'établissement de soins de longue durée, mais pas pour les sans-abri. Je ne connais pas très bien les raisons de cela, mais je crois que, dans ce cas, un administrateur aurait préparé une attestation pour un sans-abri, mais celui-ci ne pouvait pas utiliser les CIE.
La sénatrice Jaffer : Ils préparaient une attestation pour que cette personne puisse voter.
Mme Lynch : S'ils avaient véritablement un endroit où dormir et une adresse ou un certain lien avec cet endroit, mais si ce n'était pas le cas, ces personnes auraient de la difficulté à établir leur adresse.
La sénatrice Jaffer : Que faisiez-vous alors?
Mme Giesbrecht : Dans Provencher, nous n'avons personne pour s'occuper de ces cas.
La sénatrice Jaffer : Le cas de la personne qui se présente et affirme ne pas avoir de pièce d'identité?
Mme Giesbrecht : Nous avons encore des foyers d'accueil; ce sont habituellement des foyers pour les femmes maltraitées. Dans ce genre de situation, nous avions des attestations. Pour la personne qui n'a pas de pièce d'identité, j'ai donné cet exemple d'une épouse — il est très courant chez les personnes âgées que les épouses n'aient aucun papier. Elles viennent dans le bureau de vote, leur mari a une pièce d'identité et sa femme n'en a pas, de sorte qu'il répond d'elle.
La sénatrice Jaffer : Voilà qui est très important. Vous avez connu vous-même ce genre de choses?
Mme Giesbrecht : J'étais présente lorsque cela s'est produit.
La sénatrice Jaffer : Vous parlez d'une pièce d'identité avec une adresse ou simplement d'une pièce d'identité?
Mme Giesbrecht : Le mari avait une pièce d'identité valable. Sa femme était sur la liste, mais n'avait pas de pièce d'identité.
La sénatrice Jaffer : Alors il répondait d'elle?
Mme Giesbrecht : Oui.
La sénatrice Jaffer : Le personnel électoral qui s'occupe des bureaux de vote suit une formation appropriée pour cette journée-là et je l'admets, cette formation n'est pas la même que celle qu'on donnerait à un employé à temps plein. Si l'on va refuser à quelqu'un le droit de voter, ne devrait-il pas y avoir une personne d'expérience dans la zone des bureaux de vote?
Mme Giesbrecht : Il y en a une.
La sénatrice Jaffer : Et c'est la personne qui prend la décision en fin de compte?
Mme Giesbrecht : Eh bien, le superviseur de centre de scrutin appelle le directeur du scrutin pour l'informer de la situation et pour savoir si nous pouvons faire quelque chose. La plupart du temps, nous communiquons directement avec l'électeur et nous réglons le problème.
La sénatrice Jaffer : Il y a donc une personne d'expérience en plus du personnel du bureau de vote?
Mme Giesbrecht : Oui. Il n'y a pas toujours une personne d'expérience dans tous les bureaux de vote. Il y a des superviseurs de centre de scrutin qui se déplacent constamment, en particulier dans notre secteur où ils sont responsables de trois sections de vote différentes, et ils passent de l'une à l'autre en y restant un certain temps. C'est ce que nous sommes finalement obligés de faire.
La sénatrice Jaffer : Est-ce que l'une d'entre vous a des réserves dans sa circonscription?
Mme Giesbrecht : Nous avons une réserve.
La sénatrice Jaffer : Je crois savoir que de nombreux résidents des réserves possèdent des pièces d'identité, mais qu'il n'y a pas d'adresse sur leur certificat de statut d'Indien.
Mme Giesbrecht : Exact.
La sénatrice Jaffer : Avez-vous rencontré ce genre de situation?
Mme Giesbrecht : Nous avons la réserve de Roseau River dans notre circonscription. Il y a un agent des relations communautaires avec lequel nous sommes en contact et je dirais que tout passe par cette personne. C'est elle qui nous aide à installer un bureau d'inscription dans la collectivité pour que les gens puissent venir s'inscrire. Nous sommes autorisés à utiliser les cartes d'information de l'électeur pour ces électeurs.
Dans ces endroits, la participation électorale est très faible. Le pourcentage est presque insignifiant. Le gouvernement consacre beaucoup de ressources pour leur offrir la possibilité de voter, mais ces ressources ne sont pas toujours utilisées dans ce secteur.
Le sénateur Plett : Mesdames, merci d'être venues. Je vais déclarer immédiatement que je suis en conflit d'intérêts. Je crois que j'ai voté à chaque élection, peut-être sauf une, dans la circonscription de Provencher. Je vais poser des questions à Mme Giesbrecht au sujet de ses commentaires.
J'aimerais tout d'abord vérifier certains faits. La sénatrice Batters vous a demandé si vous aviez lu ces amendements. Vous n'avez pas lu les amendements que le ministre a proposés.
Mme Lynch : J'ai entendu parler de ceux qui ont fait l'objet de commentaires dans les journaux et j'ai écouté ceux qui concernaient les commentaires dont je vais parler aujourd'hui; je les ai mentionnés dans mes remarques préliminaires.
Le sénateur Plett : Pour ce qui est de la nomination des superviseurs de centre de scrutin, un des amendements consiste à conserver — eh bien, il ne s'agit pas d'un amendement; cette mesure est retirée du projet de loi — le processus actuel est conservé.
Je sais que nous parlons d'un phénomène que l'on retrouve dans l'ensemble du pays, mais dans son rapport, M. Neufeld a déclaré que 120 000 personnes avaient eu recours à un répondant au cours de la dernière élection. Avez-vous une idée du nombre de ces personnes dans Provencher?
Bien entendu, le recours à un répondant est toujours autorisé. Dans la plupart des situations dont vous avez parlé, en particulier celle d'un mari et de sa femme, s'il n'y a qu'une seule adresse, le mari peut répondre de sa femme; mais il ne peut répondre que d'une seule personne. Combien de personnes cette règle touche-t-elle dans Provencher? Ne pensez-vous pas qu'avec l'amendement que le ministre a maintenant proposé, avec le serment, avec de lourdes amendes et pénalités, cela résoudrait la plupart des problèmes au moins dans la circonscription de Provencher?
Mme Giesbrecht : L'électeur est toujours obligé de fournir une pièce d'identité, même avec ces nouvelles mesures.
Le sénateur Plett : Oui. Mais avec la suggestion que vous avez faite, la plupart de ces femmes auraient une pièce d'identité parce que nous savons qu'elles reçoivent des soins de santé et elles doivent normalement avoir au moins une carte de santé.
Mme Giesbrecht : Encore faut-il qu'elle l'apporte au bureau de vote et il y a également des enfants qui accompagnent leurs parents âgés. Nous avons des parents qui accompagnent leurs enfants qui viennent d'avoir l'âge de voter. Ils n'ont pas de facture ou quoi que ce soit. Il s'agit de l'adresse.
Le sénateur Plett : Il s'agit donc davantage de l'aspect pratique plutôt que de l'impossibilité de le faire.
Mme Giesbrecht : La plupart du temps, oui.
Le sénateur Plett : Ils ont oublié. Une campagne de sensibilisation pourrait probablement remédier à ce problème.
Mme Giesbrecht : Oui.
Le sénateur Plett : Ces personnes sont parfois obligées de prendre 20 minutes pour revenir chez elles et la fois suivante, elles vont penser à apporter leur pièce d'identité.
Mme Giesbrecht : Probablement. Je pense que c'est une question d'information. Je reconnais qu'il y a de nombreuses façons de s'identifier et un électeur est normalement capable de trouver une pièce d'identité. La plupart des gens n'y pensent pas.
Comme je l'ai déjà dit, les gens s'habituent à l'idée de devoir apporter une pièce d'identité. Ces gens sont de l'ancienne école et pensent « Eh bien, vous savez qui je suis ». Ce sont de petites collectivités. C'est là un autre problème.
Le sénateur Plett : J'ai grandi dans une petite collectivité.
Mme Giesbrecht : Très bien. Il y a M. Untel qui habite juste en face, qui connaît tous les électeurs et qui dit : « Eh bien, vous me connaissez. Pourquoi vous ne me laissez pas voter? » C'est un problème dans les collectivités rurales où les gens qui travaillent dans les bureaux de vote sont des gens qui habitent dans cette même collectivité. Les gens se présentent sans leur pièce d'identité parce qu'ils savent que vous allez les reconnaître, mais on nous dit qu'il n'est pas possible de laisser ces personnes voter; elles doivent établir leur résidence et leur identité.
Le sénateur Plett : Ma crainte est de leur faire perdre leur droit de vote. C'est davantage une question d'information; c'est plutôt une chose qu'ils n'ont pas faite cette fois-ci.
Mme Giesbrecht : Absolument.
Le sénateur Plett : Si j'entrais dans un bureau de vote à Landmark, l'endroit où je suis né et où j'ai grandi, et que quelqu'un me demande une pièce d'identité, je serai blessé. Néanmoins, j'aurais appris qu'il faut en apporter une.
Mme Giesbrecht : Exact.
Le sénateur Plett : Dans vos commentaires, vous avez dit : « Je souhaite également que le projet de loi ait pour effet d'harmoniser toutes les conditions en matière d'identification. » Pouvez-vous expliquer ce qu'est cette harmonisation?
Mme Lynch : Oui. Au cours des différentes étapes de leur vie, les gens doivent fournir différentes pièces d'identité. De sorte que, par exemple, ces différentes étapes sont les raisons pour lesquelles ils doivent s'identifier. Le recours à un répondant pour la révision; cela peut se faire dans notre bureau. Les gens arrivent et doivent montrer une pièce d'identité pour pouvoir s'inscrire sur la liste électorale. Pour ce qui est de la révision ciblée, les gens frappent aux portes et demandent aux résidents de montrer une pièce d'identité. Lorsqu'ils se rendent au bureau pour se voir appliquer des règles électorales spéciales, on leur demande une pièce d'identité. L'inscription, l'arrivée dans le bureau de vote, où on leur demande une pièce d'identité, et on leur demande encore une pièce d'identité au moment de voter. Ce ne sont pas toujours les mêmes pièces d'identité, de sorte que cela crée de la confusion. Neufeld a parlé de certaines choses qui montraient qu'il y avait pas mal de confusion sur ce qu'il fallait présenter.
Je pense qu'une partie du problème — et je me trompe peut-être, mais il faut bien essayer de savoir d'où viennent ces difficultés — s'ils se rendent voir quelqu'un à sa résidence, cela pourrait être une révision ciblée qui s'effectue dans un édifice où les locataires changent souvent, alors les agents de révision entrent et leur demandent une pièce d'identité. Ils voient qu'ils sont chez eux, ils savent donc qu'ils sont bien chez eux. Il n'est donc pas nécessaire de leur demander une pièce d'identité sur laquelle figure leur adresse. L'agent de révision inscrit alors ces électeurs, et ils ont le droit ensuite d'aller voter. Ils viennent voter, mais alors on leur demande de prouver leur adresse.
Le sénateur Plett : Une question d'information, encore une fois?
Mme Lynch : Je ne pense pas que l'on puisse tout placer dans la catégorie de l'information. On a déjà demandé à ces personnes une pièce d'identité. On leur demande une pièce d'identité au niveau provincial. Chaque fois qu'on les invite à voter au cours d'élections, qu'elles soient fédérales ou provinciales, on leur demande une pièce d'identité, et ils n'ont toujours pas bien compris la façon de faire.
Je dirais bien sûr que cela n'est pas mauvais; plus les gens sont informés, mieux c'est. Je ne dis pas qu'il ne faut pas s'en occuper. Mais l'harmonisation des pièces d'identité réglerait la plupart de ces problèmes. Même dans notre bureau, il y a une affiche au sujet des R.É.S. au sujet des pièces d'identité exigées. Les gens entrent, voient l'affiche, se préparent et ensuite, montrent leur pièce d'identité. Mais ici, à l'inscription, on leur demande quelque chose d'autre. J'ai connu une situation où...
Le président : Je dois intervenir. Excusez-moi.
Le sénateur Plett : Pour le deuxième tour, s'il vous plaît.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vais répéter ce que j'ai dit à tous les témoins qui se sont présentés ici. Il y a plusieurs années, il n'y a pas si longtemps, on ne s'identifiait pas pour prendre l'avion. Aujourd'hui, vous devez avoir votre carte d'embarquement et une pièce d'identité. Il n'y a pas si longtemps, on pouvait entrer au Parlement sans pièce d'identité. Même pour entrer ici, à l'édifice de l'Est, vous devez vous identifier.
Il y a eu dernièrement des élections au Québec. On exigeait une pièce d'identité et il y avait six choix, soit la carte d'assurance-maladie, le permis de conduire; vous n'arriviez pas avec votre carte d'électeur — moi, je l'avais oubliée mais on m'a demandé une pièce d'identité avec photo. Le projet de loi va plus loin que cela, il permet près de 39 pièces d'identité.
Afin d'assurer une saine démocratie, ne pensez-vous pas qu'il est préférable de demander aux gens de s'identifier, quitte à recevoir un moins grand nombre d'électeurs plutôt que de laisser tout un chacun venir voter en permettant un peu plus de laxisme? Là, évidemment, on va chercher un plus grand nombre d'électeurs, mais on ne s'assure pas nécessairement de l'identité de personne.
[Traduction]
Mme Giesbrecht : Je suis favorable à l'idée d'exiger une pièce d'identité et d'informer les gens qui veulent voter qu'ils doivent apporter une pièce d'identité. Le problème vient principalement de l'adresse. Les gens savent que, lorsqu'ils vont passer une frontière, ils ont besoin d'un passeport. Vous le savez et vous l'apportez avec vous. Le problème est qu'il y a beaucoup de ces pièces d'identité sur lesquelles ne figure pas l'adresse de leur titulaire.
Quant à accepter que moins d'électeurs viennent voter, j'aurais beaucoup de mal à le faire. Je suis une représentante d'Élections Canada, et c'est cet organisme qui subit les répercussions de tout cela. Si vous refusez des électeurs, ces gens-là ne reviendront pas. Le fait de diminuer le nombre des électeurs n'aura pas pour effet d'en augmenter le nombre par la suite : « J'ai appris ma leçon et la prochaine fois j'apporterai une pièce d'identité. » Je pense que les gens se mettent en colère. À tort ou à raison, là n'est pas la question. La question est que nous perdons des électeurs. La participation est déjà faible. Si nous voulons vraiment réduire le nombre des électeurs, alors ce serait une bonne façon de le faire.
L'information est une solution logique. C'est tout simplement le fait que la plupart des pièces d'identité que nous possédons actuellement ne contiennent pas tout ce qui est exigé, ne contiennent pas ce que nous demandons.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je comprends de votre réponse qu'il est plus important de ne pas perdre d'électeurs que d'avoir des électeurs qui s'identifient?
[Traduction]
Mme Giesbrecht : Ce n'est pas ce que je dis. Il y a plusieurs façons d'identifier les électeurs. Dans nos petites collectivités, nous avons recours à un répondant. C'est un outil qui est à notre disposition et qui a donné d'excellents résultats. Je ne peux pas dire la même chose pour les secteurs urbains. Je sais que la situation est probablement complètement différente, mais le recours à un répondant est le mécanisme que nous avons utilisé dans les régions où nous travaillons.
Je ne comprends pas que le fait de répondre d'une personne puisse soulever un problème. Vous parlez de gens qui voteraient illégalement et je ne sais pas quel pourcentage cela représente. J'ai examiné certains rapports.
Le sénateur Plett : Quarante-deux.
Mme Giesbrecht : Ce ne sont pas des électeurs illégaux. C'est en fait un chiffre différent. Le rapport Neufeld parle des électeurs dont nous savons qu'ils n'ont pas respecté la loi. Quel est le mot que je cherche?
Mme Lynch : Des irrégularités.
Mme Giesbrecht : Oui. Je pense que le rapport a constaté que ce pourcentage était extrêmement faible.
Le sénateur McIntyre : Merci pour vos exposés. J'allais vous poser des questions sur les répondants et la carte d'information de l'électeur, mais nous avons déjà couvert ces sujets; je vais donc passer à autre chose.
À l'heure actuelle, il y a trois jours de vote par anticipation en plus du jour de vote général. Malgré cette possibilité, il y a des électeurs qui risquent de ne pouvoir voter en raison de leurs responsabilités sur le plan du travail et de la famille. Par exemple, je pense aux nombreux Canadiens qui travaillent six jours par semaine, y compris le samedi, et qui ont du mal à aller voter.
Le projet de loi C-23 va ajouter une journée de vote par anticipation. Les Canadiens disposeront désormais de quatre journées de vote par anticipation. Voici ma question : cette mesure va-t-elle augmenter la participation électorale? Les électeurs qui résident dans vos circonscriptions respectives ont-ils recours au vote par anticipation et dans quelle mesure?
Mme Lynch : Oui, effectivement, ils viennent voter. Ottawa-Centre est un peu inhabituel sur ce plan, si on compare cette circonscription aux autres de la région, mais pas énormément. Il n'y a pas autant d'électeurs qui votent par anticipation que dans les circonscriptions voisines. Nous avons toutefois une forte participation électorale le jour des élections. Nous avons une des participations les plus élevées du pays. C'est comme si les électeurs prenaient le temps de réfléchir et qu'ils venaient ensuite voter le jour de l'élection. Les gens n'ont pas réussi à comprendre cette situation. Ils essaient de le faire. Il semble qu'il y ait une tendance.
Oui, le fait d'avoir quatre jours est une bonne chose. J'espère que les gens vont répartir leur vote entre ces quatre jours. C'est habituellement le premier jour qu'il y a des difficultés. Le personnel de scrutin est un peu comme un animal sauvage qui est pris dans les phares d'une voiture. Il voit les gens qui font la file dans la rue pour voter; les différents partis amènent leurs électeurs par autobus complets parce qu'ils veulent que ces personnes votent par anticipation. J'espère que le fait d'avoir quatre jours permettra d'étaler ce vote. Pour les électeurs, c'est une excellente chose que d'avoir quatre jours pour voter.
La seule réserve que j'aurais concerne peut-être l'emplacement de certains bureaux de vote. Nous utilisons une église pour le vote par anticipation, et cela pourrait poser un problème le dimanche. Nous avons effectué un essai au cours de la dernière élection parce que le vote par anticipation se tenait à Pâques, et nous avons donc dû préparer les bureaux pour le Vendredi saint et les autres jours; nous avons toutefois réussi à le faire. L'autre aspect est celui qui touche le personnel de scrutin. Ces personnes vont-elles accepter de venir quatre jours, mais c'est là un aspect mineur.
La difficulté que soulève le vote par anticipation vient du fait que le projet de loi décrit des procédures très complexes. Nous avons parlé tout à l'heure de formation et celle-ci va principalement porter sur la façon de remplir les différentes cases et sur les aspects administratifs plutôt que sur le processus à mettre en place pour que les électeurs puissent voter rapidement et efficacement.
Le sénateur McIntyre : Vous avez mentionné des églises. Et le fait de voter le dimanche? Je sais que le Québec et la Saskatchewan prévoient un vote par anticipation qui peut être tenu le dimanche. Je sais également qu'au Québec, les élections municipales ont lieu le dimanche. Que pensez-vous du fait de voter un jour de congé? Je sais, par exemple, qu'une journée de vote par anticipation était prévue le Vendredi saint au cours de l'élection générale de 2001; que pensez-vous donc du fait de voter un dimanche ou un jour de congé?
Mme Giesbrecht : J'étais directrice de scrutin pendant cette élection de 2011, et j'ai reçu de nombreux appels d'électeurs qui n'étaient pas très satisfaits de voter un Vendredi saint. Si je vous donne une opinion, je ne pense pas qu'elle s'applique vraiment sur ce point. Je pense que cela soulève des difficultés dans de nombreux secteurs.
J'aimerais revenir à ce dont vous parliez — les quatre jours de vote par anticipation — dans Provencher, nous avons beaucoup de secteurs ruraux où il y a entre 5 et 20 personnes environ qui viennent voter ce jour-là dans les bureaux de vote. Le fait d'ajouter un jour pour ces bureaux de vote ne sera guère utile, mais dans les grands centres, cela sera positif.
Il faut effectivement essayer de concilier tout cela. Il serait pratique de pouvoir décider à l'avance combien de journées de vote par anticipation il y aura dans chacun des bureaux de vote. Ce n'est que mon opinion.
Le sénateur McInnis : Moi aussi j'allais vous poser quelques questions au sujet des répondants, mais je crois que nous en avons entendu suffisamment à ce sujet. J'aimerais par contre soulever d'autres aspects.
Pour ce qui est du personnel des bureaux de vote, des scrutateurs, des greffiers du scrutin et de l'inscription, pour vous citer : « Je crois savoir que si les candidats ne fournissent pas suffisamment de noms, nous serons obligés de communiquer avec l'association locale d'un parti. Habituellement, nous avons une personne-contact principale pour chaque campagne électorale. Je me sentirais personnellement mal à l'aise de communiquer avec une autre personne que ma personne-contact. » J'aimerais avoir vos commentaires sur ce point. Madame Giesbrecht, est-ce que je prononce votre nom correctement?
Mme Giesbrecht : Oui, c'est parfait.
Le sénateur McInnis : Très bien. Vous déclarez que si nous autorisons les partis politiques à nommer le personnel de scrutin, Élections Canada sera considéré « comme étant un organisme partisan, quelle que puisse être la teneur de la loi électorale. Les électeurs forment leurs opinions sur ce qu'ils constatent dans les bureaux de vote. »
Je ne travaille pas dans ce domaine depuis aussi longtemps que le sénateur Baker, parce qu'il n'y a personne à cette table qui fait de la politique depuis aussi longtemps que lui. Nous venons d'avoir une élection en Nouvelle-Écosse, par exemple. Je me suis rendu dans plusieurs bureaux de vote. Je n'y ai jamais constaté de problème.
Lorsque je lis ceci, ce n'est pas une insulte — ce mot est trop fort. Mais cela me choque de vous entendre dire que vous auriez de la difficulté — disons qu'il s'agit du directeur de campagne du parti le plus important qui vous le fournit — à vous adresser à quelqu'un d'autre si cette personne ne pouvait être rejointe.
Deuxièmement, cela fait des années et des années que les deux partis s'entendent pour nommer le personnel de scrutin. Il n'y a jamais eu de difficulté dans ce domaine. Je n'ai jamais vu, ni entendu parler de problèmes.
Pouvez-vous commenter ces différents aspects?
Mme Giesbrecht : Absolument.
Dans Provencher, au cours des deux dernières élections — 2011 ainsi que pour l'élection partielle — aucun des partis ne m'a fourni de nom. J'ai parlé au directeur de scrutin précédent. Il avait reçu une liste de noms très courte — il y en avait moins de 10 — de l'élection précédente, de sorte qu'aucun nom ne nous a été fourni.
Le fait que des personnes puissent se porter candidates à un poste de façon indépendante ne soulève aucun problème pour moi. Ils peuvent fort bien être membre d'un parti politique. Pour moi, ce n'est pas un problème, parce qu'elles cherchent à obtenir un poste et que celui-ci est accordé en fonction du mérite. Ce n'est pas nous qui fournissons des noms en disant : vous devez trouver un poste pour cette personne.
Voilà ma position. Je ne dis pas que nous n'acceptons pas les personnes qui sont affiliées à un parti politique. Il me paraît plus facile de les choisir en fonction de l'expérience qu'elles ont acquise antérieurement au cours d'élections. Nos superviseurs de centre de scrutin sont habituellement des personnes qui ont beaucoup d'expérience. Nous faisons confiance à leur jugement. Je m'attends à ce qu'ils fassent beaucoup de choses. Ils représentent Élections Canada. Ils ne représentent pas un parti politique. Voilà ma position. Et c'est la raison pour laquelle j'ai dit tout cela.
Le sénateur McInnis : Vous n'organisez pas de cours? Cela se fait en Nouvelle-Écosse avant de choisir le personnel de scrutin. Votre bureau ne le fait pas?
Mme Giesbrecht : J'ai été nommée directrice de scrutin au printemps de 2011. En fait, je n'ai pas participé à la préparation de cette élection. C'était le baptême du feu. J'ai été nommée et il y a eu une élection partielle. Encore une fois, il n'y a pas de préparation pour ce genre de choses. J'ai donc parlé aux candidats — aux candidats officiels — et je leur ai demandé, comme nous le faisons toujours, qu'ils me donnent des noms. Je leur ai dit : « Voici ce que vous pouvez faire. Vous pouvez me donner des noms. Je n'en ai reçu aucun. »
Cela me satisfait parce que cela me permet alors d'embaucher des gens en me fondant sur leur expérience et sur le fait qu'ils sont intéressés. N'importe qui peut poser sa candidature. Nous n'allons pas nécessairement les embaucher, mais tout le monde peut se présenter.
Le sénateur McInnis : Cela me surprend parce que chez moi, les gens se battent pour obtenir ces postes. Vraiment.
Mme Giesbrecht : J'ai l'impression, après avoir parlé avec les candidats officiels et leurs agents officiels, qu'ils ont besoin de tout leur personnel pour obtenir de l'information. Dans Provencher, ils se déplacent constamment et vont de bureau de vote en bureau de vote pour essayer d'obtenir de l'information. Ils veulent que leur personnel travaille dans leur bureau. Ils ne veulent pas nous envoyer de travailleurs. Ils veulent les garder pour eux. C'est ce que j'ai vu.
Le sénateur McInnis : Je ne peux pas parler pour les autres partis, madame Lynch, mais pour ce qui est des campagnes des conservateurs, je peux vous dire que vous serez traitée avec le plus grand respect. N'hésitez pas à aller voir ces personnes.
Mme Lynch : Ce n'est pas le problème ici. Nous rencontrons les candidats ou les associations bien avant qu'une élection soit déclenchée pour leur faire connaître les changements qui sont intervenus. Il y a des réunions. Ils se demandent quelles seront les répercussions de ce nouveau projet de loi, ce que nous avons fait, ce qui se passe avec le redécoupage, ce que cela a fait pour les bureaux de vote. C'est le genre de discussions que nous avons. Dans certains cas, le candidat n'a pas encore été identifié et nous parlons donc à l'association.
Lorsqu'ils ont choisi leurs candidats et que ceux-ci sont connus, ce qui se passe dans les provinces de l'Atlantique, c'est que le directeur de scrutin n'a plus rien à faire avec le personnel parce que tous les noms sont présentés. Un et deux et c'est fini. L'embauche est vraiment très facile pour ces directeurs de scrutin. C'est bien la situation. Mais lorsqu'on se dirige vers l'Ouest, vers le Québec et l'Ontario et qu'on poursuit vers l'Alberta, nous sommes concurrencés par McDonald, et McDonald l'emporte pour ce qui est du salaire et du reste.
La difficulté que j'éprouve à m'adresser aux candidats est que, lorsque le candidat a été choisi, c'est lui qui décide de tout. Par conséquent, si je m'adresse au parti et que je dis : « J'ai besoin que vous me donniez des noms », j'ai le sentiment qu'il doit y avoir une personne-contact. Si je dois contacter le parti X, j'aimerais qu'il me présente une liste de noms après avoir consulté le parti et l'association. Cela facilite les choses. Il en va de même pour eux. Ils appellent mon bureau et me parlent. S'il y a un problème le jour de l'élection, ils m'en parlent. C'est la même chose; si nous avons quelques difficultés avec un de leurs représentants dans les bureaux de vote, je parle à leur personne-contact.
C'est la raison pour laquelle il est bien plus facile, pour ce qui est des noms, qu'ils nous les transmettent et nous pouvons ainsi combler tous les postes. C'est ce que je pense. Ça ne me gêne pas de recevoir des noms. J'en suis heureuse, mais je tiens simplement à être sûre de les avoir. J'ai parfois l'impression que je risque de marcher sur les plates-bandes de quelqu'un.
Le président : Nous allons devoir terminer ici. Nous vous remercions d'avoir comparu aujourd'hui et de nous avoir aidés dans notre étude de ce projet de loi.
Comparaissent maintenant, André Blais, professeur titulaire à l'Université de Montréal, par vidéoconférence, et David Smith, professeur émérite de l'Université de Saskatchewan.
Messieurs, bienvenue. Je pense que vous allez présenter des déclarations préliminaires. Monsieur Smith, puis-je vous demander de commencer?
David E. Smith, professeur émérite, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Certainement. Je vous remercie. Quelques exemplaires de mon mémoire ont été distribués même si je l'ai quelque peu changé.
Je me suis inscrit à l'Université de la Saskatchewan en 1964, à cause de la réputation de Norman Ward. À cette époque, il était le doyen des politicologues canadiens, en particulier pour ce qui est du Parlement, de la représentation, des élections et des finances publiques. C'était aussi un humoriste, puisqu'il avait gagné la médaille Leacock au cours des années 1960. Il était très connu, aussi bien dans la population que parmi les politicologues, comme un conteur amusant, une réputation qui me plaisait beaucoup, mais qu'il fallait contrôler, comme je l'ai appris par la suite.
Un jour, au cours d'une campagne fédérale des années 1970, je suis venu dans son bureau et j'ai vu qu'il était en colère, sentiment qu'il n'avait jamais manifesté auparavant. Il réagissait ainsi parce qu'un ami s'était porté candidat pour le Parti rhinocéros et, plus précisément, à cause d'une affiche électorale de cette personne que l'on retrouvait sur les poteaux téléphoniques de la circonscription, comme cela se faisait à cette époque, qui montrait l'arrière de sa tête avec les mots « Votez pour cet homme, votez Rhinocéros. » Norman a déclaré, la gorge nouée : « Les Canadiens et les Canadiennes ont sacrifié leur vie au cours de l'histoire pour que nous puissions aujourd'hui être libres de donner notre vote à ceux qui sont prêts à assumer des fonctions publiques. »
J'ai ainsi appris que, pour cet humoriste canadien, il ne fallait pas se moquer des élections. J'ai été surpris par cette manifestation d'émotion, pas seulement à cause de la personne qu'il est, mais aussi parce que, pour la première fois, je crois, j'ai considéré qu'une élection et le fait de voter n'étaient pas seulement un sujet de recherche universitaire, mais en fait, le fondement d'une démocratie parlementaire. Cela a été pour moi mon chemin de Damas. Ma réaction va peut-être sembler superficielle sur le plan politique, je le comprends, mais cet incident a eu pour effet de centrer mon attention sur un aspect que je n'avais pas examiné auparavant — à savoir le mécanisme des élections et le vote.
Quelques années plus tard, la Commission Lortie sur la réforme électorale et le financement des partis a demandé à un collègue et à moi de rédiger une étude comparative des systèmes d'inscription des électeurs. La pratique canadienne de rémunération consistant à établir une liste électorale quelques semaines avant l'élection fédérale n'avait plus la faveur de la population et ce qu'on a appelé le registre permanent des électeurs était devenu à la mode.
L'étude que nous avons faite des systèmes utilisés aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Australie ne nous a pas convaincus qu'ils étaient supérieurs à celui du Canada. La raison pour laquelle nous n'avons pas été convaincus de la supériorité de ces systèmes venait du premier principe sur lequel reposait notre étude, à savoir créer une liste électorale qui contiendrait le plus grand pourcentage possible des personnes ayant le droit de vote. À notre avis, l'énumération donnait des résultats plus exacts et plus constants que les autres systèmes. La Commission a néanmoins recommandé l'adoption d'une liste électorale permanente.
La raison de ce choix était que l'énumération exigeait l'embauche de plus de 100 000 énumérateurs si l'on voulait qu'elle soit achevée dans la période de trois semaines prévue par la loi. Une telle armée de bénévoles ne pouvait plus être recrutée dans le Canada de la fin du XXe siècle, de sorte que la liste permanente a remplacé l'énumération. Toutefois, à mon avis, le registre est inférieur à ce que le Canada avait auparavant dans le sens que le jour de l'élection, il ne donne pas une liste aussi exacte et complète des personnes ayant le droit de vote.
Je signale en passant que je me demande dans quelle mesure l'augmentation du recours aux répondants, dont on dit qu'il constitue un problème et risque de faciliter la fraude, est reliée à ce changement dans l'établissement de la liste électorale.
Ces remarques et la discussion au sujet des changements que l'on propose d'apporter aux pratiques et aux règles électorales ont pour but de souligner l'importance que j'attribue à la lutte contre l'absentéisme. Au risque de paraître pompeux, je dirais que les élections sont le sancta sanctorum de la démocratie parlementaire.
J'ai, ces dernières années, travaillé sur des projets qui concernaient les Premières Nations. Un des nombreux avantages que j'ai retirés de ce travail a été de m'éclairer sur le fait que j'avais vécu jusqu'ici la vie choyée d'un membre de la classe moyenne. Une sensibilisation comparable m'a fait assumer de nouvelles responsabilités à l'égard des membres âgés de ma famille qui se trouvent dans des établissements de soins. Ce sont là deux collectivités dont il faut protéger les droits civils. Le principe qui devrait sous-tendre les mécanismes prévus pour le vote des personnes défavorisées et marginalisées est, d'après moi, l'ouverture.
Le problème que pose, d'après moi, le projet de loi C-23, tant avant qu'après les changements annoncés par le ministre il y a une semaine, est que le principe sur lequel il repose n'est pas clair. S'agit-il de réduire l'absentéisme? S'agit-il de supprimer la supposition de personnes dans les bureaux de vote? S'agit-il de confier la conduite des élections aux partis politiques, comme cela se faisait auparavant et d'ainsi revenir sur l'engagement qu'avaient pris tous les partis représentés au Parlement au cours du dernier demi-siècle de favoriser la participation de la population aux élections grâce au travail des commissions indépendantes de révision des limites des circonscriptions électorales, avec une loi sur le financement des élections et grâce au travail éducatif mené par le directeur général des élections pour lutter contre la diminution de la participation électorale, en particulier chez les jeunes? Il convient d'invoquer un principe uniforme et ce doit être un principe qui favorise la participation électorale au lieu de l'affaiblir, parce que le vote est, d'après moi, l'élément essentiel de la citoyenneté.
Je vous remercie.
Le président : Merci, monsieur Smith.
André Blais, professeur titulaire, Université de Montréal, à titre personnel : J'aimerais remercier le comité de m'avoir invité à présenter mes réflexions au sujet du projet de loi C-23. Au cours de ma carrière, j'ai été amené à étudier les élections au Québec, au Canada et dans le monde entier, et c'est à la fois un honneur et un privilège de vous parler.
Les élections sont un élément essentiel de toute vie démocratique. Lorsque nous ne sommes pas d'accord, au lieu de nous battre, nous nous en remettons aux votes. Mais à chaque élection, il y a des perdants et les élections donnent de bons résultats si les perdants acceptent la défaite et les perdants n'acceptent leur défaite que s'ils ont l'impression que les élections étaient justes.
C'est la raison pour laquelle la première mouture du projet de loi C-23 m'a inquiété. J'ai accepté, avec des collègues, de signer des lettres dans lesquelles nous critiquions à la fois le contenu et la procédure prévue.
Une bonne partie des défauts que contenait le projet de loi semblent avoir été corrigés avec les amendements annoncés vendredi dernier, même si je n'ai pas pu prendre connaissance de leur texte. Je tiens à remercier le gouvernement d'avoir écouté les critiques et d'avoir présenté ces amendements importants.
Je me pose encore des questions au sujet de ce projet de loi dont je vous ferai part dans un instant. Avant de le faire, je tiens à exprimer mon appui à la nouvelle position que le gouvernement a adoptée au sujet des répondants. Nous devrions faciliter le plus possible le vote et nous devrions également prendre toutes les mesures visant à éviter la fraude électorale. Ces deux objectifs, l'intégrité du processus et son caractère inclusif, sont aussi importants l'un que l'autre. Je conviens avec le gouvernement du fait que les électeurs devraient être obligés de présenter une pièce d'identité. Je sais par contre que certaines personnes n'ont pas de pièce d'identité sur laquelle figure leur adresse et ces personnes devraient donc pouvoir recourir à un répondant. C'est en fait la proposition que je voulais présenter au comité avant les annonces qui ont été faites vendredi.
Le projet de loi actuel contient encore certaines anomalies. La principale concerne le commissaire aux élections fédérales. Comme je l'ai mentionné, la prévention de la fraude électorale devrait être la grande priorité. Le commissaire a fait état des difficultés qu'il avait rencontrées lorsqu'il a fait enquête sur l'affaire des appels automatisés parce qu'il ne pouvait pas obliger les témoins à venir témoigner. Je ne vois toujours pas pourquoi il n'est pas possible d'accorder au commissaire le droit de convoquer des témoins.
Dans la même veine, je ne vois aucune raison déterminante qui justifie de faire relever le commissaire du directeur des poursuites pénales. Il est essentiel que le commissaire soit tout à fait indépendant de tous les partis et également tout à fait indépendant du gouvernement pour que la population sache que la loi électorale est appliquée de façon juste et équitable. Cette indépendance et surtout cette image d'indépendante seraient mieux garanties s'il relevait d'Élections Canada que du ministère de la Justice. C'est le commentaire qu'a fait de façon très éloquente le directeur des poursuites pénales lundi dernier.
J'invite le comité à apporter deux autres amendements au projet de loi C-23 : un qui donnerait au commissaire aux élections le pouvoir d'assigner des témoins et un deuxième qui aurait pour effet de préserver l'indépendance et la légitimité du commissaire en continuant à le faire relever d'Élections Canada.
Mon dernier commentaire concerne le fait qu'on empêche Élections Canada d'encourager la participation de la population. Une forte participation électorale est dans l'intérêt public. Il est préférable que cette participation soit de 80 plutôt que de 50 p. 100. Une élection est perçue comme étant plus légitime lorsque la participation est élevée. Le fait qu'un grand nombre de personnes expriment leurs opinions dans les bureaux de scrutin renforce la qualité de la représentation. Nous devrions tous souhaiter que la participation de la population soit la plus élevée possible.
Il faut donc alors se demander qui devrait être chargé d'inciter la population à voter? Le gouvernement semble penser que cela devrait être les partis. Il est évident qu'il est dans l'intérêt des partis de faire voter la population. Ils mobilisent leurs partisans. Le problème vient du fait qu'un bon nombre de citoyens n'appuient aucun parti. Bien souvent, ils ne s'intéressent pas à la politique, ils sont difficiles à rejoindre et les partis n'ont aucun intérêt à le faire parce qu'il est fort possible que ces personnes voteraient pour un autre parti. Nous pouvons nous fier aux partis pour qu'ils fassent voter leurs partisans, mais pas pour inciter l'ensemble de la population à voter.
Il est possible de se demander si cette responsabilité devrait être confiée à Élections Canada ou à un autre organisme indépendant. Il me semble qu'Élections Canada est bien placé pour s'en charger, puisque cet organisme a pour mission d'organiser les élections et de fournir des renseignements sur l'endroit et le moment où il est possible de voter. Il y aurait à mon avis une économie d'échelle si Élections Canada se chargeait de cette tâche.
En bref, la démocratie fonctionne mieux lorsque la participation est élevée, et il est dans l'intérêt de tous d'inciter les citoyens à voter. Cette responsabilité ne devrait pas être confiée uniquement aux partis, même s'ils représentent un élément important de l'équation. Il paraît logique de confier cette responsabilité à Élections Canada, même s'il serait possible d'envisager d'autres solutions.
Je vous remercie de votre attention.
Le sénateur Baker : Je remercie les deux professeurs de leur analyse très précise de ce projet de loi. J'ai une question à poser à chacun des deux témoins.
Monsieur Smith, je conviens avec vous, et je suis sûr que le sénateur McInnis sera lui aussi d'accord, que l'ancien système consistant à élaborer une liste d'électeurs lors de chaque campagne électorale, pour ensuite rédiger une liste révisée et enfin une liste définitive — on s'y reprenait à trois reprises dans l'ancien système — donnait de bien meilleurs résultats que tout ce qui a été mis en place par la suite.
C'était le système en vigueur lors de l'adoption de notre Charte des droits et libertés en 1983. L'article 3 de la Charte n'impose que l'obligation d'être un citoyen canadien. Toute exigence supplémentaire, entre autres l'obligation de présenter une carte d'identité, enfreint les dispositions de cet article de la Charte.
Monsieur Smith, alors que nous nous mettons à exiger de plus en plus de cartes d'identité, pensez-vous que c'est là une des raisons principales de l'abstention grandissante des électeurs en mesure de voter?
M. Smith : Je considère que c'est un facteur important. Comme vous le savez, à l'étape du recensement, on venait frapper à votre porte pour vous demander : « Il y a combien de gens ici qui sont en mesure de voter? » Les conditions étaient d'être citoyen canadien et d'habiter à cette adresse depuis trois ou six mois, et c'est tout. Par la suite, lorsque vous vous présentiez au bureau de vote, personne ne vous demandait rien.
Après avoir écouté les deux témoins antérieurs qui sont en fait en première ligne en matière d'administration de la loi électorale et de relation avec les électeurs, je constate qu'il y a véritablement de grosses difficultés d'identification. Cela rejoint mes préoccupations, notamment en ce qui a trait aux Premières Nations et aux personnes âgées, mais le problème est général.
Je me souviens d'avoir vu, lors de la dernière élection le Vendredi saint, une amie écrivaine, par conséquent cultivée, qui bloquait toute la file parce qu'elle n'avait pas de carte d'identité appropriée et qu'elle avait dû demander à son mari d'aller la chercher. C'est là le cœur du problème. C'est un véritable dilemme et j'aimerais qu'on me persuade qu'après avoir été rejetée une première fois, cette personne va se présenter la fois suivante. À mon avis, elle ne va pas revenir.
Le sénateur Baker : Monsieur Blais, vous avez déclaré qu'il fallait apporter d'autres modifications à la loi, notamment pour conférer au commissaire le pouvoir d'obliger quelqu'un à témoigner.
La critique émane, pour l'instant, de la Chambre des communes. Devant notre comité, le ministre a pris l'exemple du sénateur Dagenais, qui a d'excellents états de service en tant qu'agent de police et qui n'a pas le pouvoir — même en sa qualité d'agent de police, assure-t-on — d'obliger quelqu'un à parler. Vous êtes-vous penché sur la question? Que répondez-vous?
M. Blais : Je réponds que la loi électorale a des caractéristiques bien particulières. Le système dans son ensemble est tributaire de l'accord du perdant. Celui qui perd les élections doit être convaincu que toute l'opération, l'ensemble de la procédure, est équitable. À partir du moment où il y a des doutes, l'ensemble du système est remis en cause.
Il est extrêmement important que chacun soit convaincu qu'en cas de fraude les autorités s'en apercevront et auront les moyens de faire enquête dans les meilleurs délais. Ma réponse est que la loi électorale a des caractéristiques bien particulières.
La sénatrice Frum : Messieurs, vous avez tous deux abordé la question du taux de participation des électeurs et du rôle joué en la matière par Élections Canada. Vous savez qu'aux termes de ce projet de loi, Élections Canada va devoir faire porter ses efforts sur le taux de participation des électeurs en précisant mieux la date, le lieu et les conditions de vote. Avez-vous pris connaissance des propres études d'Élections Canada, qui nous révèlent que les jeunes qui ne vont pas voter donnent pour principale raison le fait qu'ils ne comprennent pas les modalités de vote? Le principal obstacle au vote des jeunes, d'après le rapport d'Élections Canada, c'est le manque de familiarisation avec la procédure électorale, notamment le fait de ne pas connaître les différentes modalités de vote. La moitié des jeunes de notre pays ne savent pas qu'ils peuvent voter par anticipation, par correspondance ou par bulletin spécial. Un quart des jeunes qui ne votent pas nous disent que le fait de ne pas savoir où, quand et comment voter a joué un rôle dans leur décision de s'abstenir. Cela étant, et compte tenu du fait que ce projet de loi demande justement à Élections Canada de mettre l'accent sur le lieu, la date et les conditions de vote, où est le problème?
M. Smith : Je ne pense pas que ça pose un problème. Je considère que la question soulevée par le professeur Blais était plus générale, si j'ai bien compris, en l'occurrence que ce projet de loi n'autoriserait ni n'inciterait Élections Canada à promouvoir dans son ensemble la participation électorale, par opposition au vote des jeunes, mais sans oublier bien sûr le vote des jeunes.
La sénatrice Frum : Elle peut s'adresser à tout le monde, à l'ensemble des Canadiens, comme c'est son obligation.
M. Smith : Plus précisément...
La sénatrice Frum : Ce qu'il faut bien voir cependant, c'est que le fait de ne pas savoir où, quand et comment voter est bien souvent le véritable obstacle et empêche les électeurs d'aller voter.
M. Smith : Je pense que vous avez raison, mais il m'apparaît qu'il y a d'autres obstacles au vote, selon le groupe concerné, comme je l'ai indiqué dans mon exposé au sujet des Premières Nations qui restent à l'écart. Il y a donc, à mon avis, d'autres raisons. Il y a plus qu'une méconnaissance de la procédure, qui peut bien jouer, je le reconnais, mais il faut aussi faire bien comprendre à ces gens qu'ils ont intérêt, même si c'est à long terme, à exercer leur devoir civique. Je considère qu'Élections Canada a un rôle à jouer en la matière.
La sénatrice Frum : Monsieur Blais, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Blais : Il y a bien des raisons qui font que les électeurs vont voter ou s'abstiennent. J'ai passé toute ma vie à essayer de le comprendre, et je n'en suis toujours pas sûr. Ce qui est certain, c'est que la méconnaissance de la procédure n'est qu'une des raisons pour lesquelles les électeurs ne vont pas voter.
En réalité, je considère que la population est mieux renseignée qu'avant en ce qui concerne la loi électorale. On est mieux informé, ce qui n'empêche pas le taux de participation de baisser. Il y a toutes sortes de raisons en dehors de celle-là. Lorsqu'on demande à un abstentionniste pourquoi il n'est pas allé voter, on sait bien que c'est mal vu et qu'il va donner la première explication qui lui vient à l'esprit : « je n'étais pas au courant et je ne savais pas où c'était », par exemple. Il ne faut pas trop se fier à ça.
Je reconnais que c'est un facteur à prendre en considération, mais ce n'est que l'une des principales raisons qui amènent un électeur à voter ou à s'abstenir. Je ne pense pas qu'il soit bon d'insister uniquement sur ce facteur.
La sénatrice Frum : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces autres facteurs?
M. Blais : Ainsi, dans quelle mesure les électeurs en font ou non un devoir; dans quelle mesure ils voient des différences entre les candidats ou les partis; s'ils considèrent que l'élection est truquée, que la politique est corrompue; tout ce qui fait que la population accorde ou non de l'importance aux élections. Il y a toutes sortes d'éléments qui n'ont rien à voir en soi avec la méconnaissance de la procédure et qui sont tout aussi importants.
La sénatrice Frum : Vous considérez qu'il appartient à Élections Canada de remédier à ces défauts?
M. Blais : Élections Canada ou à défaut un autre organisme public. Nous avons intérêt à ce que le taux de participation soit élevé. C'est l'intérêt général et nous devons faire notre possible pour inciter les gens à voter au maximum. Que ce soit par l'intermédiaire d'Élections Canada ou d'un autre organisme public, il est dans l'intérêt général d'augmenter le taux de participation dans toute la mesure du possible, de comprendre pourquoi les gens ne vont pas voter et de s'efforcer de les faire changer d'avis.
Le sénateur Moore : Je tiens à remercier les deux témoins d'être venus.
Monsieur Smith, je vous renvoie à votre exposé lorsque vous nous citez la déclaration de votre mentor Norman Ward :
Les Canadiens et les Canadiennes ont sacrifié leur vie au cours de l'histoire pour que nous puissions aujourd'hui être libres de donner notre vote à ceux qui sont prêts à assumer des fonctions publiques.
Compte tenu de ce rappel, que pensez-vous de la pratique des appels informatisés et de celle qui consiste à diriger les électeurs vers un bureau de vote qui n'est pas le leur.
M. Smith : Je considère qu'on a tort de tromper la population, quel que soit le sujet. Lorsqu'on la trompe au sujet des élections, on a doublement tort.
Pour en revenir à cette partie de mon exposé, la pratique du vote est une composante essentielle de la démocratie; absolument essentielle. Le recours à une liste exacte des électeurs et la bonne marche des opérations le jour du vote revêtent la plus grande importance, et tous les beaux discours qu'on peut faire restent secondaires.
L'enseignement que j'ai tiré de la réflexion de Norman est très important, et c'est pourquoi cela m'a particulièrement frappé. Je n'étais pas si jeune que ça lorsque je l'ai entendue, mais jusque-là j'avais tendance, je crois, à considérer les élections comme faisant partie du chapitre 10 des sciences politiques. Mais en fait, il n'en est rien. C'est le chapitre 1, et si les choses ne sont pas bien faites dans ce domaine, on ne peut pas aller plus loin.
C'est ainsi que j'ai tendance à considérer les élections désormais : dans quelle mesure elles facilitent la participation des personnes autorisées — disons, de celles qui le sont de toute évidence.
Ce qui me dérange, c'est le fait que l'on parle beaucoup des comportements frauduleux, mais que nous n'en avons que très peu de preuves concrètes. Ce n'est pas ce que je constate, et il m'apparaît bien dangereux de mettre en place un mécanisme qui va faire baisser le taux de participation pour remédier à un problème qui n'existe pratiquement qu'en théorie.
Le sénateur Moore : Dans son arrêt touchant les appels informatiques de Guelph, le juge Mosley a statué qu'il y avait eu effectivement fraude dans cette affaire. À son avis, ce n'était pas suffisant pour annuler les résultats de l'élection. La décision publiée la semaine dernière par le commissaire aux élections fédérales, Yves Côté, s'appuyait sur un rapport de 47 000 $ émanant de l'ex-juge Louise Charron, qui a déclaré que même si certains électeurs avaient été dirigés vers le mauvais bureau de vote, rien ne prouvait que l'on ait voulu ainsi les empêcher de voter. Quel était le but de cette pratique selon vous?
Monsieur Blais, que dites-vous de ces appels informatiques et du fait de diriger les électeurs vers un bureau de vote qui n'est pas le leur? Quelle en était la raison, à votre avis? Je pense que c'est une pratique condamnable. Qu'en pensez-vous?
M. Blais : C'est de toute évidence une pratique condamnable, mais je ne connais pas suffisamment l'affaire, je n'ai pas tous les éléments, pour vous en dire davantage. Je considère, bien sûr, que c'est répréhensible.
Le sénateur Moore : Quant au recours à des répondants, vous avez déclaré que vous y étiez favorable, mais que l'on devait instituer des mécanismes pour éviter les fraudes. Avez-vous des idées ou des propositions à faire à notre comité?
M. Blais : Disons tout simplement que je me suis efforcé de comprendre la position du gouvernement à ce sujet. Finalement, rien ne prouve que le recours à des répondants ait entraîné la moindre fraude.
Toutes proportions gardées, je peux comprendre que le recours à des répondants augmente les probabilités de fraude. Ce sont des préoccupations que je comprends.
Le recours à un répondant s'accompagnant de l'obligation de présenter au minimum une certaine preuve d'identité me paraissait un compromis raisonnable. C'est exactement ce que j'allais proposer, et je crois que c'est ce que propose aujourd'hui le gouvernement. C'est un compromis tout à fait raisonnable.
La sénatrice Batters : Tout d'abord, je souhaite plus particulièrement souhaiter la bienvenue à M. Smith. Il enseigne dans mon alma mater, l'Université de la Saskatchewan. Je me trouve ici en quelque sorte en conflit d'intérêts. Il a été le professeur en sciences politiques de mon mari, et son professeur préféré. Il a fait tout ce déplacement pour venir nous voir ici depuis la Saskatchewan, et nous en sommes très heureux.
Monsieur Smith, on a beaucoup parlé de consensus et du fait que les modifications apportées à la loi électorale ont généralement été le fruit d'un consensus. La lettre signée par les universitaires, y compris par vous-même et par le professeur Blais, a évoqué ici une tradition canadienne remarquable qui n'a pas été respectée en l'espèce. Voilà qui me semble faire partie en quelque sorte d'une histoire révisionniste.
Lorsque l'on se penche sur les réformes de la loi électorale des dernières décennies, on constate que les projets de loi C-114 en 1993, C-63 en 1996, C-2 en 2000 et C-24 en 2003, ont tous été adoptés à la majorité avec dissidence.
Je ne sais plus exactement si le premier d'entre eux a été déposé par les conservateurs ou par les libéraux, mais tous les autres ont été adoptés alors que les libéraux étaient au pouvoir. Ils ont tous apporté des modifications importantes à la loi électorale, mais aucun d'entre eux n'a été le résultat d'un consensus. Je me demande si à l'époque, vous-même ou vos collègues, avez émis des réserves à ce sujet.
M. Smith : Je fais la distinction entre le consensus et l'unanimité. On peut avoir des avis divergents; il peut y avoir des dissidences.
Je ne veux pas faire ici la promotion de mon livre, parce que je n'ai pas sur moi de copies à vendre, mais j'ai publié un nouvel ouvrage intitulé Across the Aisle : Opposition in Canadian Politics, dont près de la moitié des pages traitent de cette question, de la façon dont opérait effectivement le gouvernement. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai aujourd'hui, mais je considère que ces 40 dernières années ou tout au long du siècle dernier, il y avait un fort consensus, et notamment dans le domaine des élections.
La première Commission de délimitation des circonscriptions électorales a été conçue au départ par M. Diefenbaker, avant la défaite de son gouvernement en 1963. M. Pearson a ensuite repris le projet et c'est à ce moment-là qu'a été institué le régime des circonscriptions électorales, délimitées pour la première fois à la fin des années 1960. Tous les partis ont donné leur accord. Le régime de financement des élections fédérales est alors entré en vigueur, Norman Ward faisant partie de ce comité. Je ne me souviens plus du nom du président. Judy La Marsh était alors secrétaire d'État. Je pense que c'était elle. Là encore, tous les partis étaient d'accord.
Pendant longtemps, on a eu le sentiment qu'il fallait que les élections ne soient pas placées sous le contrôle des partis politiques, car ces derniers étaient des parties prenantes trop directement concernées. Il fallait que la population participe davantage, qu'il s'agisse des changements devant être apportés à la Loi de l'impôt sur le revenu, au régime des dons ou encore à celui des crédits d'impôt. Il y avait un large consensus en la matière. Indépendamment d'autres questions, il y avait évidemment aussi à ce moment-là un large consensus concernant l'unité nationale — il vous appartient de juger si c'était une bonne ou une mauvaise chose, mais c'était le cas, à mon avis — de la part des trois grands partis.
J'ai peut-être dépassé le temps qui m'était imparti, ce qui m'évitera éventuellement de devoir répondre à votre question, mais je considère qu'il y avait un consensus. Cela n'exclut pas nécessairement les dissidences. Dans la pratique, cette dissidence était souvent le fait du Crédit social pendant toutes ces années-là.
La sénatrice Batters : C'est vrai. Les exemples auxquels je me suis référée se situaient entre 1993 et 2003.
M. Smith : Je traite de cette question dans un autre chapitre du livre, et c'est au début des années 1990 que la situation a commencé à évoluer.
La sénatrice Batters : Vous convenez donc qu'il y a eu de moins en moins de consensus.
M. Smith : Oui. Ce n'était absolument pas gravé dans la pierre.
La sénatrice Batters : Monsieur Blais, en ce qui a trait à vos observations au sujet du directeur des poursuites pénales, je dois vous dire qu'avant d'être sénatrice, j'ai occupé les fonctions de ministre de la Justice de la Saskatchewan. Vous le savez peut-être, mais au cas où vous ne le sauriez pas, lorsque j'ai occupé ce poste, il était de notoriété publique que ce directeur des poursuites pénales, par l'entremise du ministère de la Justice, était totalement indépendant, et c'était la première chose que l'on faisait comprendre aux nouveaux titulaires de ce poste lorsqu'ils entraient en fonction. Même si ce poste relève théoriquement de ce ministère, son titulaire a un rôle clé et doit bénéficier d'une grande indépendance en raison de ses différentes fonctions. Avez-vous des observations à faire à ce sujet?
M. Blais : J'imagine que ce n'est pas ainsi que le perçoit le public. J'ai l'impression qu'il est plus facile pour le grand public d'envisager qu'Élections Canada soit un organisme totalement indépendant du gouvernement. Il n'est pas aussi évident pour lui de comprendre que le ministère de la Justice jouit d'un statut spécial au sein du gouvernement. En termes d'image dans le public, cela fait toute une différence.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de vos exposés.
Le mois dernier, plus de 160 professeurs, et vous en faisiez partie, ont signé une lettre ouverte faisant état de leurs réserves au sujet de ce projet de loi. Je vous cite :
[...] En n'acceptant pas comme preuve d'adresse les cartes d'information de l'électeur, ce projet de loi remet en cause le droit de vote protégé par l'article 3 de la Charte, un droit constitutionnel si fondamental qu'il ne peut être limité par la clause dérogatoire de la Charte...
Pouvez-vous tous deux commenter cette déclaration, en commençant par M. Smith?
M. Smith : Concernant la nature fondamentale des cartes d'information de l'électeur?
La sénatrice Jaffer : Vous nous avez dit : « En n'acceptant pas comme preuve d'adresse les cartes d'information de l'électeur, ce projet de loi remet en cause le droit de vote... »
M. Smith : De la façon dont j'interprète la chose — et ce texte a été rédigé par plus d'une centaine de personnes — il y a évidemment ici une plus grande limitation du droit de vote que par le passé. Je vous répète ce que je vous ai dit dans mon exposé : je m'oppose de manière générale à toute restriction des droits civiques de l'électeur tant qu'on ne m'a pas donné une raison convaincante pour me faire changer d'avis.
Comme je le fais remarquer par ailleurs dans mon exposé, pour ce qui est du recensement j'ai finalement accepté le principe de la liste permanente. Je ne suis pas rétrograde, mais je considère effectivement qu'à moins d'avoir une excellente raison, il n'est pas bon de compliquer le vote des gens — et nous ne parlons pas ici de ceux de la classe moyenne — il faut faciliter le vote des gens qui ne votent pas, qui doivent surmonter maints obstacles, pour qui le vote est un luxe, ce qui ne devrait pas être le cas. Il faut faciliter le vote, et non pas le contraire.
Je ne veux pas m'attarder davantage sur le sujet, mais j'ai des petites filles. Je peux les imaginer en train de se présenter dans un bureau de vote de Lethbridge ou de Calgary. Elles n'ont pas les preuves d'identité dont nous parlons ici. Je le sais pertinemment. Elles n'ont pas les cartes d'identité que je leur recommande, et que vont-elles faire par conséquent? Je pense que ça sera difficile. Même si elles se rendent une première fois dans un bureau de vote, elles ne reviendront plus si elles se font refuser. Qui pourra être leur répondant en disant les connaître? Elles sont étudiantes dans une université qui comprend 15 000, 18 000 ou 20 000 étudiants et elles sont en première ou en deuxième année. J'ai donc bien du mal à comprendre la façon dont tout cela fonctionne.
M. Blais : Le problème n'est pas facile et j'y ai beaucoup réfléchi. Je suis très préoccupé par le taux de participation des électeurs et par la nécessité d'englober tout le monde, mais je comprends le point de vue du gouvernement, le fait qu'il y a toujours un risque de fraude et qu'il est donc raisonnable d'exiger une certaine preuve d'identité.
C'est pourquoi je me suis rangé au point de vue selon lequel il convient effectivement d'exiger une certaine preuve d'identité si nécessaire, sans que l'adresse soit fournie nécessairement, car ça devient alors bien trop difficile. Tout le monde ou à peu près devrait pouvoir apporter une preuve d'identité en l'absence de l'adresse.
La sénatrice Jaffer : Vous avez par ailleurs indiqué dans votre lettre que vous n'étiez pas très satisfaits de la réponse du comité du Sénat. Selon vous, nous n'avons pas bien réagi face au projet de loi C-23. Compte tenu des amendements proposés aujourd'hui par le ministre, estimez-vous que l'on a répondu à vos préoccupations?
M. Smith : On a beaucoup progressé, mais il reste du chemin à faire.
M. Blais : J'ai fait savoir que l'on avait fait de gros progrès, mais qu'à mon avis il convenait d'apporter deux autres amendements au sujet du commissaire aux élections et qu'il fallait éventuellement supprimer l'interdiction faite à Élections Canada d'encourager la participation des électeurs. Voilà les trois choses que je proposerais.
Le sénateur Plett : Monsieur Smith, je vais vous rappeler, comme l'a fait le sénateur Moore, la citation de Norman Ward. J'aimerais rajouter quelques mots à cette citation. Plutôt que d'être libres de voter, il m'apparaît que nous avons le devoir d'aller voter. Il me semble que j'ai l'obligation d'honorer les hommes et les femmes qui ont donné leur vie pour que j'aie cette liberté, il me faut respecter leur sacrifice et je suis tenu d'aller voter.
J'ai du mal à comprendre toutes nos difficultés. J'ai passé ma vie à chercher à amener les gens à voter, même si c'était de manière partisane au profit d'un certain parti; mais les autres partis font la même chose. Nous avons eu quelques succès lorsqu'il s'est agi de faire voter nos partisans, et les autres partis ont eu un peu plus de succès encore lors de certaines élections.
Vous nous dites que nous retirons à la population le droit ou la possibilité de voter. Élections Canada s'est démenée au fil des années, cette organisation a fait des choses, nous avons fait des choses, et pourtant le taux de participation des électeurs a constamment diminué. Aujourd'hui, nous constatons que des gens nous critiquent parce que nous cherchons à faire évoluer les choses alors qu'ils n'ont absolument aucune preuve que cela va empirer la situation. Ça pourrait très bien l'améliorer. Il est possible que la population commence à ressentir l'obligation de voter.
J'ai une question à poser à M. Smith. Je relève que vous avez mentionné le cas de vos filles et de vos petites-filles. En vous voyant, je me dis que vos filles comme vos petites-filles doivent avoir besoin d'une carte d'identité pour entrer dans un pub de Calgary.
M. Smith : Elles n'y vont jamais.
Le sénateur Plett : Certes, elles ne vont pas dans les pubs, mais je suis sûr qu'elles voyagent à l'occasion. On a besoin d'une preuve d'identité de nos jours. Par où commencer, à partir du moment où l'on exige une carte d'identité sous une forme ou sous une autre? Bon, il y a le problème de l'adresse, que nous avons réglé. Nous avons compris les difficultés que cela posait. M. Blais reconnaît qu'au minimum il faut présenter une carte d'identité quelconque. J'aimerais que vous me disiez quelles sont les mesures positives prises par Élections Canada pour faire venir les électeurs dans les bureaux de vote. Cette organisation n'a rien fait; le taux de participation a baissé. Nous avons besoin d'exiger une carte d'identité, quelle qu'elle soit. On ne peut pas se contenter de laisser les gens arriver en disant : « Je veux voter. »
M. Smith : On pourrait soutenir qu'il aurait pu baisser davantage encore si Élections Canada n'avait pas agi comme elle l'a fait. Je n'en sais rien. Personne n'en sait rien.
Le sénateur Plett : C'est possible.
M. Smith : C'est possible.
Comme l'a dit M. Blais, et je pense que tous ceux d'entre nous qui se penchent sur la situation électorale sont du même avis, c'est un mystère et pas seulement au Canada, mais dans tous les pays. Pourquoi en est-on arrivé là et que faire pour remédier à la situation? L'hypothèse étant bien sûr qu'il faut y remédier, car un électorat motivé est nécessaire dans une démocratie. C'est indispensable. Il me semble que tout le monde s'entend là-dessus.
Au sujet d'Élections Canada, j'ai lu le témoignage donné à la Chambre des communes, je crois, par le professeur Howe du Nouveau-Brunswick. Il disait qu'il se servait dans ses recherches des données fournies par Élections Canada concernant les taux de participation et les problèmes rencontrés. L'un des principaux atouts d'Élections Canada, c'est que cette organisation centralise les données. C'est utile parce qu'autrement ces données seraient davantage éparpillées. Les efforts faits par le passé pour encourager le vote des jeunes doivent être appuyés et prolongés.
L'autre question porte sur les preuves d'identité. Je ne peux pas parler à la place de mes petites-filles, mais je suis convaincu qu'on est bien trop optimiste en considérant que de manière générale le public peut toujours présenter une preuve d'identité de ce genre. Ce n'est tout simplement pas vrai, à mon avis.
Le sénateur Plett : Les gens ne vont pas toujours voter. C'est une occasion spéciale.
M. Smith : Les gens ne vont pas toujours voter. On nous a parlé tout à l'heure du fait de se présenter au bureau de vote, et bien souvent les femmes n'ont pas de carte d'identité sur elles, d'où mon anecdote au sujet de cette femme, pourtant bien éduquée, ayant bloqué toute une file d'électeurs lors de la dernière élection parce qu'elle n'avait pas de carte.
On a évoqué la possibilité d'instituer, comme pendant la guerre, une carte d'identité nationale. On en avait une lors de la dernière guerre. Lorsqu'on se penche sur les modalités d'inscription et sur la procédure électorale en Allemagne, on constate qu'il y en a une dans ce pays. Avant de quitter l'hôpital, les bébés reçoivent une carte qu'ils gardent toute leur vie.
Le sénateur Plett : Je prends l'avion toutes les semaines. Air Canada ne me laisserait pas monter à bord sans carte d'identité.
Monsieur Blais, laissez-moi vous poser une petite question au sujet de l'indépendance du commissaire. Vous avez déclaré, en réponse à une question posée par la sénatrice Batters, que cela dépendait de la perception du public, mais qu'est-ce qui vous fait dire qu'un commissaire relevant du directeur général des élections est plus indépendant qu'un commissaire qui rend des comptes au directeur des poursuites pénales?
M. Blais : Élections Canada doit se situer au-dessus de la mêlée. Il appartient à cette organisation d'administrer une élection lors de laquelle il est essentiel qu'elle soit totalement indépendante de tous les partis et du gouvernement. La population le comprend parfaitement.
Quant au ministère de la Justice, l'opinion publique lui reconnaît certainement une certaine indépendance, mais étant donné les soupçons dans la population, il est bien plus difficile dans les cas délicats de convaincre la population canadienne que le ministère de la Justice est totalement indépendant du reste du gouvernement.
Le sénateur Plett : Là encore, il s'agit d'écarter les soupçons et de sensibiliser la population.
Le sénateur McIntyre : Vous avez peut-être déjà répondu à la question que je vais vous poser. J'aimerais revoir avec vous le rôle que vont jouer le directeur général des élections, le commissaire aux élections fédérales et le directeur des poursuites pénales dans le cadre du projet de loi C-23. Il est bien évident qu'aux termes des dispositions actuelles de la loi électorale, le commissaire aux élections fédérales exerce ses activités à la discrétion du directeur général des élections. Ce dernier peut demander au commissaire aux élections fédérales de mener certaines enquêtes, de se pencher sur une allégation comme tout autre citoyen canadien et d'étudier toute question qui lui paraît aller à l'encontre de la loi. Il lui appartient de porter ces questions à l'attention des pouvoirs publics ou du directeur des poursuites pénales.
Aux termes des dispositions du projet de loi C-23, nous avons trois acteurs différents. C'est comme dans une pièce de théâtre. Il y a le directeur général des élections, chargé d'administrer les élections, le commissaire aux élections fédérales, chargé d'enquêter en cas de méfait, et le directeur des poursuites pénales, chargé de porter des accusations en vertu des dispositions de la Loi électorale du Canada.
Monsieur Smith, que pensez-vous de ce nouveau mode de fonctionnement institué par le projet de loi C-23?
M. Smith : Si j'ai bien compris, il me semble que le commissaire se rapproche ou est davantage rapproché du directeur des poursuites pénales. S'il y a trois responsables et s'il se trouve au centre, d'un point de vue schématique il est déplacé, le directeur général des élections se situant à gauche et le directeur des poursuites pénales à droite...
Le sénateur McIntyre : Effectivement. On éloigne le commissaire aux élections fédérales du directeur général des élections.
M. Smith : Oui. C'est comme cela que je vois la chose.
Le sénateur McIntyre : Vous êtes d'accord avec ce mode de fonctionnement?
M. Smith : C'est ainsi que j'interprète la situation. Est-ce que je suis d'accord et est-ce que j'appuie ce mode de fonctionnement?
Le sénateur McIntyre : J'aimerais avoir votre avis.
M. Smith : J'ai oublié de mentionner que le directeur général des élections est un agent du Parlement. J'ai évoqué tout à l'heure les questions liées à l'élargissement des circonscriptions, aux finances électorales, et cetera.
Lors de la deuxième moitié du XXe siècle, le Parlement ou les responsables politiques canadiens ont par ailleurs institué des agents du Parlement occupant des postes spéciaux et en quelque sorte indépendants. On a beaucoup parlé de l'indépendance de ces agents. Indépendants par rapport à qui? Quoi qu'il en soit, ce sont des agents indépendants.
Dans la mesure où le commissaire relève des attributions du directeur général des élections, la situation me paraît de manière générale préférable à celle qui consisterait à lui faire rendre des comptes à une autorité administrative, ce qui donnerait l'impression, à tort ou à raison, qu'il est sous l'influence du pouvoir politique exercé par le gouvernement. On semble s'orienter davantage dans ce sens. Ce n'est pas sûr et certain, mais on peut l'interpréter ainsi, à mon avis.
Le sénateur McInnis : C'est une des questions que je me posais. Je trouve cela assez surprenant. Je vais vous donner un exemple concernant la séparation entre, d'une part, l'administration de l'élection et, d'autre part, les pouvoirs d'enquête et les poursuites éventuelles.
Élections Canada peut faire l'objet d'une plainte. Il est alors nécessaire de faire enquête. Dans la situation actuelle, le commissaire est l'employé du directeur général des élections. Le Directeur pourra dire éventuellement : « Nous ne portons aucune accusation; nous n'allons pas intenter des poursuites. » C'est un véritable conflit d'intérêts. La séparation des pouvoirs qu'instaure ce projet de loi est à mon avis une des meilleures choses que nous n'ayons jamais faites.
Au Canada, le directeur des poursuites pénales est considéré comme une instance totalement séparée se prononçant en toute indépendance lorsqu'il s'agit de procéder ou non à une mise en accusation. Je ne pense pas qu'il y ait d'autres gouvernements provinciaux ou nationaux qui respectent mieux cette totale indépendance. J'aimerais maintenant aborder une autre question. Vous pourrez faire vos commentaires à ce sujet plus tard.
En ce qui a trait au commissaire et au pouvoir d'obliger une personne à témoigner, les commissaires et la police canadienne n'ont pas ce pouvoir de forcer quelqu'un à témoigner. Au départ, ce ne sont pas des juges. Ce ne sont que des auxiliaires de la justice. Ce sont les juges qui ont le pouvoir de faire témoigner une personne sous serment, de procéder à un contre-interrogatoire, et cetera. Je suis consterné d'entendre constamment répéter la même chose, alors que c'est tout simplement exclu dans notre système. La GRC et la police municipale ne sont pas habilitées à procéder à des contre-interrogatoires. Un contre-interrogatoire doit se faire sous serment. Lorsqu'on décide de procéder ainsi, on part du principe que le tribunal a le pouvoir d'assigner la personne à témoigner. La police et le commissaire peuvent alors obtenir un mandat. Ils peuvent obtenir d'autres ordonnances. Voilà la façon dont on procède au Canada et dont opère notre système judiciaire.
Voilà qui m'apparaît déconcertant et c'est pourquoi j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Comment faire autrement? Quel système peut-on mettre en place pour obliger ces gens à témoigner, apparemment devant le commissaire et les forces de police?
M. Smith : Voulez-vous que M. Blais vous réponde en premier? Il a déjà abordé la question un peu plus tôt.
M. Blais : Je ne connais pas tous les détails de la procédure. Je peux vous dire que cela a été proposé et que le commissaire a lui-même fait savoir qu'il n'avait pas ce pouvoir et qu'il en avait besoin. Le directeur général des élections a dit la même chose. Tous deux ont bien évidemment le sentiment de ne pas disposer de tous les pouvoirs pour enquêter en bonne et due forme dans les affaires qui leur sont présentées. Il me semble logique qu'on leur confère des pouvoirs spéciaux dans le cadre d'une loi tout à fait particulière.
Le sénateur McInnis : Il ne manquerait plus que le Canada dote le pouvoir judiciaire d'un nouveau palier de juridiction.
Le président : Nous avons dépassé le temps qui nous était imparti.
Monsieur Smith, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Smith : Non, je ne pense pas.
Le président : Je remercie les deux témoins. Nous vous remercions d'avoir comparu aujourd'hui devant notre comité.
Mesdames et messieurs les membres du comité, nous nous réunirons demain matin à 10 h 30 pour terminer notre étude préliminaire du projet de loi C-23. Nous allons entendre un certain nombre d'universitaires ainsi que les représentants du Congrès des peuples autochtones. Nous nous sommes par ailleurs réservé une certaine plage horaire pour discuter d'autres questions, probablement à huis clos.
(La séance est levée.)