Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 14 - Témoignages du 18 juin 2014
OTTAWA, le mercredi 18 juin 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S- 221, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun), se réunit aujourd'hui, à 16 h 38, afin d'étudier le projet de loi.
Le sénateur George Baker (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bonjour et bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui regardent peut- être la séance d'aujourd'hui sur CPAC et suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous continuons notre étude du projet de loi S-221, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun).
Le projet de loi est parrainé par notre président, l'honorable Bob Runciman, qui le défend, si je puis me permettre de le mentionner, depuis un certain temps, et qui a très bien réussi à convaincre non seulement les sénateurs, mais également les députés, de son bien-fondé. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Le président m'a demandé de présider la séance.
L'objectif du projet de loi est de modifier le Code criminel afin d'exiger du tribunal qu'il considère comme circonstance aggravante pour la détermination de la peine le fait que la victime de voies de fait soit le conducteur d'un véhicule de transport en commun, ce qui inclut les chauffeurs d'autobus, de taxi, et cetera.
J'aimerais présenter au comité notre premier groupe de témoins. Nous accueillons M. Robin West, vice-président international du Syndicat uni du transport; Mme Suzanne Burgess, membre de la section locale 279 du Syndicat uni du transport, qui représentera les chauffeurs d'autobus; et M. Nathan Woods, président de la section locale 111 d'Unifor, ce qui inclut les chauffeurs de taxi, je crois. Est-ce exact?
Nathan Woods, président, section locale 111 d'Unifor : Oui, ils font partie des membres d'Unifor.
Le vice-président : Mesdames et messieurs, avez-vous un exposé à présenter? Nous pourrions commencer par M. West.
Robin West, vice-président international, Syndicat uni du transport : Merci. Bonjour honorables sénateurs. Je m'appelle Robin West, et je suis le directeur national par intérim du Conseil canadien du Syndicat uni du transport. Il représente plus de 30 000 travailleurs canadiens des transports, de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve. Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui. Je parle en connaissance de cause, car j'ai été chauffeur d'autobus pendant plus de 30 ans.
Il a été mentionné précédemment que, contrairement à la plupart des professions, les conducteurs de véhicule de transport en commun travaillent seuls, et ce à toute heure du jour et de la nuit, dans un habitacle d'où ils ne peuvent s'échapper. Pendant leur quart de travail, il arrive un moment où ils sont complètement isolés. Tous ces facteurs les rendent plus vulnérables que les travailleurs ordinaires. Il a aussi été souligné qu'en raison de la nature même du métier, le public est en danger si le conducteur est agressé alors qu'il est au volant de son véhicule. Je ne m'attarderai donc pas sur ce sujet à ce moment-ci.
Même si depuis plus d'une décennie, notre industrie intensifie ses efforts pour réduire le nombre de voies de fait par la formation, le soutien en temps réel et l'installation de caméras, la fréquence et la gravité de ces attaques ne cessent d'augmenter — ce qui illustre la gravité des problèmes, car quel autre milieu de travail demande des caméras?
C'est une triste réalité, mais la plupart des conducteurs de véhicule de transport en commun ont subi des affronts allant de crachats aux coups de poing à la tête et ils connaissent des collègues qui ont été victimes d'attaques au couteau, de coups de pied et d'agressions sexuelles. Comme Mme Burgess en témoignera, plusieurs conducteurs subissent des blessures physiques et morales qui peuvent causer la mort et mettre fin à une carrière. Tous ces actes sont dégradants et criminels. Nous sommes venus ici aujourd'hui pour demander votre aide afin qu'ils cessent. On ne peut pas tolérer les répercussions que doivent vivre les victimes et leurs familles dans la société actuelle.
Comme l'a expliqué M. Dubord la semaine dernière, à une époque où le transport en commun doit prendre de l'expansion pour soutenir le commerce dans diverses régions du pays, de nombreux employés quittent la profession et d'autres choisissent de ne pas l'exercer en raison de ces menaces. Je ne laisserais pas mes enfants devenir chauffeurs d'autobus.
Depuis près d'une décennie, le SUT cherche à faire modifier le Code criminel pour y inscrire un élément dissuasif qui permettra de répondre à ces agressions brutales. Nous sommes convaincus que cette modification constitue la pièce manquante la plus importante. Pendant ce temps, nous avons obtenu l'appui de partenaires dans toutes les régions du pays comme l'Association canadienne du transport urbain, qui a compilé des statistiques pour nous et qui a contribué à sensibiliser les législateurs, la Fédération canadienne des municipalités, les maires de la plupart des grandes villes canadiennes, les procureurs de la Couronne, les associations de policiers, les transporteurs urbains et de nombreux parlementaires de tous les partis.
Vous êtes certainement au courant de la récente décision d'un juge d'Ottawa. C'est un parfait exemple en appui à cette demande de changement. Permettez-moi de vous rappeler que le procureur de la Couronne et l'avocat de l'agresseur ont recommandé l'imposition d'une sentence de 18 et de 12 mois respectivement pour une attaque qui s'est produite à bord d'un véhicule en mouvement de 10 tonnes, qui transportait d'autres passagers. Heureusement, aucune collision avec des voitures n'est survenue et aucun piéton n'a été blessé lorsque le véhicule a fait une embardée dans la voie opposée.
Permettez-moi également de souligner que malgré les nombreuses condamnations de l'agresseur pour des agressions antérieures, le juge a écrit ce qui suit dans sa décision :
Je ne crois pas que la loi appuie l'idée que des voies de fait contre des chauffeurs d'autobus entraînent en elles- mêmes des peines plus sévères que les autres agressions.
Puis, il a ajouté ceci :
Je ne considérerai pas cependant que les voies de fait sont aggravées simplement parce que la victime était un chauffeur d'autobus.
Ce n'est qu'en garantissant cette protection par la législation que les juges disposeront des outils nécessaires pour que des sentences justes soient infligées et que des mesures de dissuasion soient mises en place.
Je voudrais remercier l'honorable Bob Runciman et son adjoint, Barry Raison, des efforts considérables qu'ils ont consentis pour sensibiliser leurs collègues au projet de loi S-221. Je voudrais aussi remercier les membres de votre comité qui ont par la suite plaidé si éloquemment pour son adoption.
Comme vous le savez peut-être, six projets de loi ont été présentés depuis 2007 dans l'autre Chambre par chacun des trois principaux partis, mais aucun n'a franchi l'étape de la première lecture. Nous avons de grands espoirs qu'avec le soutien du Sénat, le projet de loi S-221 réussira là où d'autres ont échoué.
Je conclus ainsi : le projet de loi S-221 parrainé par le sénateur Runciman s'ajoute à cette liste, mais, avec votre soutien, il se pourrait que ce soit celui-ci qui réussira. Merci.
Le vice-président : Merci, monsieur West. Le comité en est déjà saisi, et nous allons nous prononcer à la fin des présentes délibérations. Je pense que nous appuyons tous la démarche du sénateur Runciman, et nous vous appuyons. C'est maintenant au tour de Mme Suzanne Burgess.
Suzanne Burgess, membre, section locale 279 du Syndicat uni du transport : Bonjour honorables sénateurs. Je m'appelle Suzanne Burgess et je suis conductrice d'autobus pour OC Transpo depuis maintenant sept ans.
J'ai toujours eu hâte d'aller travailler. Je conduisais un autobus articulé de 20 tonnes qui peut transporter jusqu'à 80 passagers. Ce qui me manque le plus, ce sont les contacts avec les passagers — les habitués, les personnes âgées. J'aimais aider les gens, écouter leurs histoires et bien plus.
Le 12 février dernier, j'étais assise dans mon autobus pendant une pause de l'après-midi, dans une aire d'attente, lorsque j'ai vu une femme marcher entre les autobus. J'ai ouvert ma fenêtre pour lui dire qu'il était dangereux pour elle de se trouver là. Au lieu de venir à la fenêtre, elle s'est présentée à ma porte. J'ai ouvert et j'ai senti une odeur d'alcool.
Elle s'est précipitée dans l'autobus en me menaçant par des propos vulgaires. J'ai immédiatement appelé les secours par radio. Lorsque j'ai raccroché, elle m'a ensuite agressée : elle m'a égratigné le visage et le cou pendant qu'elle essayait de me jeter par terre. Il a fallu 17 minutes avant que la sécurité n'arrive. Je suis très reconnaissante envers un autre chauffeur qui m'a entendue crier et qui est venu à mon secours. Nous avons tous des membres de notre famille, des amis et des voisins qui prennent l'autobus, et je remercie le ciel que je ne conduisais pas lorsque les événements sont survenus.
Les policiers qui sont arrivés sur les lieux m'ont dit que je n'aurais pas dû ouvrir la porte et qu'ils ne déposeraient pas d'accusation contre la femme qui m'avait agressée puisqu'elle écoperait d'une simple réprimande. Cela m'a bouleversée encore plus et il a fallu appeler une ambulance parce que j'ai fait une crise de panique. Cette agression s'est produite à 13 h 45.
[Français]
Ce jour-là, de nombreux passagers ont dû attendre au froid. L'autobus que je conduisais n'a pas pu continuer son parcours à l'heure de pointe. Je suis devenue une autre chauffeuse d'autobus. J'ai été victime de voies de fait.
L'attaque de cette femme a bouleversé mon bien-être émotionnel, psychologique et financier, ainsi que celui de ma famille. Je me suis inquiétée pour les passagers qui attendaient dans le froid et qui ne pourraient sans doute pas se rendre à temps à leur destination. Je me suis inquiétée également pour les autres chauffeurs d'autobus.
[Traduction]
Mon mari est aussi conducteur d'autobus. Ce jour-là, il passait près de l'aire d'attente lorsqu'il a eu connaissance de l'attaque dont j'ai été victime, mais il ne pouvait pas abandonner son autobus et les passagers à bord pour venir à mes côtés. Imaginez l'anxiété qu'il a ressentie et le souci qu'il s'est fait. Heureusement, il peut être avec moi aujourd'hui, de même que Guy Crete, qui représente ma section locale.
Même si les policiers ont décidé de ne pas porter plainte, les agents de sécurité d'OC Transpo ont porté des accusations contre la femme qui m'a agressée et elle a été traduite devant les tribunaux. Il y a plus de quatre mois que cette agression est survenue et je crains toujours de subir une nouvelle agression ou de me trouver encore une fois devant cette personne dans mon lieu de travail.
Je suis contente que son geste ait entraîné des conséquences pour elle. Elle a été condamnée à une réhabilitation et elle est maintenant en liberté parmi le public, alors que moi, je ne suis toujours pas pleinement réintégrée dans mes fonctions. Je prends des mesures pour reprendre mes fonctions de conductrice. La semaine suivant l'agression, j'étais toujours en état de choc et j'ai suivi une séance de deux jours de désamorçage. Deux semaines plus tard, j'ai suivi une séance de trois jours de préparation à la réintégration.
Les professionnels de la santé ont déterminé que je souffrais d'un ESPT léger. Je suis reconnaissante de l'aide et du soutien que je reçois. Je rencontre régulièrement des représentants syndicaux d'OC Transpo qui viennent s'informer de mon état. J'ai repris récemment un travail modifié qui exclut la conduite d'autobus pour le transport des passagers. J'espère y revenir, mais je ne sais pas si ce jour viendra, ni à quel moment.
Les conducteurs d'autobus d'OC Transpo entendent souvent parler d'agressions que subissent leurs collègues et ils ne savent pas s'ils seront la prochaine victime.
[Français]
Je veux aider les gens, pas les craindre. Aujourd'hui, je dis que c'est assez! Je ne veux pas qu'il y ait d'autres victimes. Les attaques contre les conducteurs de véhicules de transport en commun doivent cesser. Mes collègues et moi sollicitons votre aide. Je vous prie d'adopter ce projet de loi pour que les juges puissent se fonder sur le Code criminel pour rendre leurs sentences à l'égard de ces agresseurs.
[Traduction]
Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant vous aujourd'hui.
Le vice-président : Je vous remercie de votre exposé, et je remercie M. West également.
Nous allons maintenant écouter l'exposé de M. Nathan Woods, président de la section locale 111 d'Unifor.
M. Woods : Je vous remercie de m'avoir accordé le privilège de témoigner devant votre comité. Je m'appelle Nathan Woods. Je suis opérateur de véhicule de transport en commun dans le Grand Vancouver. Je suis également président élu de la section locale 111 d'Unifor représentant 3 700 travailleurs des transports en commun.
Un certain nombre de personnes importantes m'accompagnent aujourd'hui et j'aimerais vous les présenter : M. Amrik Singh Dhami, président de la section locale 1688 d'Unifor, qui représente plus de 1 400 chauffeurs de taxi dans la région d'Ottawa; Mme Debbie Montgomery, présidente de la section locale 4268 d'Unifor, qui représente 1 700 chauffeurs d'autobus scolaires du sud de l'Ontario; M Scott Desjardins, président de la section locale 4304 d'Unifor à Kitchener, Ontario; et M. Ben Williams, président de la section locale 333 d'Unifor à Victoria, en Colombie- Britannique. Tous ces représentants ont été touchés par des actes d'agression dans leur milieu de travail.
Au nom d'Amrik, Debbie, Scott, Ben et de près de 45 000 membres d'Unifor qui travaillent dans le secteur du transport au Canada, je tiens à offrir l'appui indéfectible de mon syndicat au projet de loi S-221 et aux modifications au Code criminel proposées.
Comme le sait très bien votre comité, on rapporte environ 2 000 voies de fait sur les chauffeurs d'autobus chaque année au Canada. Seulement dans la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique, 251 actes de violence sur des chauffeurs d'autobus ont été signalés entre 2012 et 2013. On parle donc d'un incident tous les trois jours. À l'heure actuelle, il y a un acte d'agression tous les deux jours et demi. Plus de la moitié des agresseurs ont utilisé une arme. Même si la situation semble désolante, le fond du problème est en fait beaucoup plus sérieux. D'abord, ces statistiques ne prennent pas en compte les incidents qui ne sont pas signalés.
En incluant les actes de violence et les voies de fait rapportés par les chauffeurs d'autobus scolaire, les chauffeurs de taxi, et cetera, nous obtenons un nombre beaucoup plus élevé que ne l'indiquent les statistiques. En fait, en 2011, les chauffeurs de taxi canadiens avaient le plus haut taux d'homicides au travail dans le pays, et il était encore plus élevé qu'au sein des corps policiers.
Devant la violence et les agressions dans leur milieu de travail, les chauffeurs de véhicules de transport en commun sont totalement impuissants. Les attaques peuvent laisser des séquelles physiques et mentales pendant des années. Dans certains cas, elles peuvent être fatales. Nos membres fournissent un service nécessaire et vital aux communautés et à l'économie nationale. Il est tout simplement inacceptable qu'ils soient tenus de travailler dans un environnement de plus en plus dangereux.
Pour respecter intégralement les promesses faites sur la sécurité et le respect des travailleurs des systèmes de transport en commun, exempts de violence et d'abus, toute une gamme de solutions est possible. Il n'existe pas de solution miracle. Ces solutions doivent inclure des politiques de sécurité et de signalement dans le milieu de travail. Elles doivent également comprendre des investissements par les employeurs dans la supervision de la sécurité et de la formation des chauffeurs. Il faut également veiller à ce que les chauffeurs soient actifs pour ce qui est de tous les protocoles de sécurité. Des moyens de dissuasion légaux plus fermes, notamment l'imposition de peines plus sévères pour les délinquants, pourraient complémenter ces solutions.
À cet égard, le projet de loi S-221 est un pas dans la bonne direction. Nous nous réjouissons du travail effectué par le sénateur Runciman pour présenter cette mesure législative. Nous soulignons également le rôle moteur des députés Peter Julian, John Rafferty et Ralph Goodale pour leur soutien inconditionnel à la sécurité des chauffeurs depuis les dernières années. L'adoption de ce projet de loi apporterait une référence directe aux chauffeurs de véhicules de transport en commun dans le Code criminel. Il apportera la tranquillité à nos consœurs et confrères de la profession et leur famille qui ont été victimes de ces crimes répugnants. Même si les juges considéraient comme une circonstance aggravante un cas de violence contre un chauffeur de véhicules de transport en commun, ce ne serait pas suffisant en soi pour mettre fin aux attaques contre les chauffeurs. Cependant, il s'agirait d'un outil important pour combattre le fléau.
Il y a plus de 20 ans, les chauffeurs de taxi ont lancé une campagne de sécurité ici même à Ottawa, après que l'un de nos membres a été brutalement assassiné au travail. Malheureusement, ces attaques sont toujours aussi courantes partout au pays. Il y a près de six ans, des représentants de notre syndicat sont venus à Ottawa pour réclamer l'adoption de mesures législatives concernant la sécurité des chauffeurs. Tout comme aujourd'hui, nous sommes demeurés solidaires avec nos alliés, dont M. Robin West, du Syndicat uni du transport. Je comprends que différentes approches ont été envisagées sur la meilleure façon de contrer ce problème au cours des sept dernières années, certaines étant plus pertinentes que d'autres. Néanmoins, aux yeux des travailleurs sur le terrain, il existe peu de différence entre la situation de 2007 et celle que nous vivons aujourd'hui. Ce sont sept longues années de négociations politiques et de changements textuels proposés sans résultat tangible.
Moins de cinq mois après notre visite à Ottawa, une jeune femme de ma section locale a été sauvagement battue le soir de l'Halloween. Ensanglantée, elle a vu son autobus incendié. Elle a évidemment craint pour sa vie. Durant ces sept années, nous avons déploré de nombreux cas de voie de fait et de menace contre les conducteurs de transport en commun, y compris des amis personnels. Si nos élus peuvent prendre des mesures pour prévenir ces incidents, alors ils doivent agir. Certains de nos membres sont complètement désabusés du processus. Ils ont abandonné tout espoir de changement.
Ce sont des travailleurs fiers, qui font leur travail de façon assidue. Mais comme citoyens, ils perdent confiance dans le système politique. Le succès de ce projet de loi dépend maintenant de nos élus, de leur capacité de faire preuve de leadership et de passer à l'action. Comme je l'ai dit tout à l'heure, Unifor appuie cette mesure législative sans condition, et nous ferons tout ce qu'il faut pour favoriser son adoption. Je vous remercie pour tout le travail que vous avez effectué jusqu'ici. Maintenant, mettons-nous à l'ouvrage et adoptons le projet de loi une bonne fois pour toutes. Merci.
Le vice-président : Merci pour ces trois excellents exposés.
Je cède la parole au parrain du projet de loi, le sénateur Runciman.
Le sénateur Runciman : Merci, monsieur le président, et merci aux témoins d'être des nôtres aujourd'hui. Je ne crois pas que vous ayez parlé de la fréquence et de la gravité de ces incidents. J'ai entendu dire, et vous pourrez peut-être me le confirmer, que ces cas ont augmenté en fréquence et en gravité au cours des dernières années. Pourriez-vous nous donner quelques statistiques à ce sujet et nous expliquer pourquoi il en est ainsi?
M. West : Je n'ai pas les statistiques à portée de la main, mais vous avez raison : cela a augmenté. Je crois comprendre que l'Association canadienne du transport urbain publiera des statistiques à ce sujet. Elle les a recueillies pour nous. Pourquoi ces incidents sont-ils en hausse? Je ne sais pas. C'est peut-être attribuable à un malaise social d'ordre général, et le conducteur est la première personne qu'on voit au début de sa journée ou quand on a des problèmes. Selon moi, ce dont il est question ici, ce n'est pas seulement le fait que des conducteurs sont victimes d'agression. Nous savons que des gens se font agresser tous les jours. Nous en sommes conscients. Pour nous, c'est la gravité du problème qui compte. Je pourrais vivre avec le fait que l'on m'ait agressé. Des combats de ruelle, j'en ai connu dans ma vie, et ce genre d'incidents ne troublent pas forcément ma conscience.
Par contre, ce qui me fait peur tous les jours, c'est l'éventualité que je me fasse agresser pendant que je conduis un autobus et que j'écrase un piéton en perdant le contrôle d'un véhicule de 10 ou 20 tonnes, selon le véhicule que je conduis, ou encore que les gens à bord de mon autobus subissent des blessures. Là, je sais que je n'aurais pas la conscience tranquille, même après toutes ces années d'expérience et après toutes les épreuves que j'ai connues dans ma vie. Cela va bien au-delà d'une simple voie de fait contre un conducteur. Il y va de la sécurité du public en général, et il faut agir avant que quelqu'un ne perde la vie.
Je suis membre d'un syndicat international, même si je vis et travaille au Canada. J'ai été chauffeur d'autobus à Halifax pendant 34 ans. Je sais qu'aux États-Unis, des gens perdent la vie durant de tels incidents. La moitié des États américains ont mis en œuvre une loi semblable pour essayer d'empêcher de tels actes. Au Canada, nous devons faire quelque chose, nous aussi, pour protéger non seulement les conducteurs, les chauffeurs de taxi, et cetera, mais aussi la population en général. C'est là que je veux en venir. C'est ce que je crains le plus. Oui, je veux que les membres du syndicat soient protégés, aucun doute là-dessus, mais cela ne s'arrête pas là. C'est toute la population qui est en danger, et nous devons faire quelque chose pour dissuader les gens d'agir de la sorte.
Nathan a dit clairement que ce projet de loi ne réglera pas, à lui seul, le problème. Je crois que ce sera un moyen de dissuasion très efficace et très utile. Nous nous emploierons à régler les autres problèmes, ce qui aidera également à réduire ces incidents. Si nous arrivons à mettre en œuvre ce projet de loi, ce sera un très grand pas en avant.
Le sénateur Runciman : D'accord. Y a-t-il une sorte d'incident commun qui déclenche ce genre de comportements? J'ai entendu dire que le fait de demander à quelqu'un de payer le prix du billet pourrait en être la cause. Y a-t-il un autre facteur plus courant qui déclenche ce type de confrontation?
M. West : Si je peux me le permettre, la perception des droits de transport y est pour quelque chose; cela ne fait aucun doute. Je travaille dans le domaine depuis longtemps : comme je l'ai dit, ça fait 34 ans. Je pense qu'il y a beaucoup d'éléments déclencheurs. Certaines personnes montent à bord d'un autobus pour le simple plaisir de causer des ennuis. Parfois, ces gens commencent par provoquer une querelle avec un passager. Le chauffeur essaie de les calmer, mais c'est à lui qu'ils s'en prennent ensuite. C'est ce que nous appréhendons.
Essayez d'imaginer un peu la situation : vous conduisez votre véhicule et quelqu'un est assis sur le siège arrière; vous ne lui faites pas confiance, et vous vous attendez à recevoir un coup de poing derrière la tête pendant que vous conduisez le véhicule. Eh bien, voilà à quoi ressemble notre vie quotidienne. Il y a 40, 50, 60, 70 passagers à bord de l'autobus en tout temps et ils sont là, tout près de nous, et nous savons que c'est notre travail. Alors, nous sommes toujours aux aguets et nous appréhendons ce coup de poing par-dessus notre épaule, pour une raison ou pour une autre. Et parfois, nous ne sommes pas la première personne à qui ces gens s'en prennent. Ils se disputent avec quelqu'un dans l'autobus, puis au lieu de frapper cette personne, c'est à nous qu'ils donnent des coups. Voilà ce que nous craignons.
Le sénateur Runciman : La semaine dernière, lorsque l'agent en chef Dubord est venu témoigner devant nous, il a parlé d'un type d'agression qui fait probablement plus de tort qu'une blessure physique : les attouchements. Il a donné l'exemple d'une conductrice — à Vancouver, si je ne me trompe pas — qui a été victime d'attouchements pendant qu'elle conduisait un autobus. Lorsqu'elle est parvenue à immobiliser l'autobus en bordure de route, l'individu s'est enfui. Ce genre de situation présente un danger, mais il y a aussi le traumatisme qui s'y rattache. Est-ce que cela arrive souvent?
M. Woods : Robin a parlé des problèmes de santé mentale et sociale qui existent dans notre milieu de travail, car il y a parfois des gens mal en point qui utilisent le transport en commun. Ils adoptent ce genre de comportements. L'agent en chef Neil Dubord travaille assidûment pour lancer deux campagnes à Vancouver. Il y a des dommages psychologiques à la suite de n'importe quel type d'agression, notamment le trouble de stress post-traumatique qui perdure après l'incident. Le cas de Mme Burgess montre bien comment une agression en milieu de travail peut créer une telle incertitude. On n'a pas envie d'aller travailler dans un environnement où on est exposé à une forme quelconque d'agression. C'est difficile à mesurer ou à quantifier.
J'aimerais revenir sur un des points que j'ai soulevés, à savoir la formation des conducteurs. Vous avez posé une question au sujet de la responsabilité. Nous savons que beaucoup d'éléments entrent en ligne de compte, notamment la formation des conducteurs, la perception des droits de transport et l'interaction avec les passagers. Nous en sommes conscients. En raison de l'optimisation des services, les travailleurs des transports en commun ont de la difficulté à travailler dans notre contexte économique. Nous comprenons tout cela. Mais, au bout du compte, si nous pouvons empêcher une agression, nous éviterons le risque que quelqu'un se retrouve à l'hôpital ou l'éventualité que Robin ou moi recevions un coup de téléphone du superviseur pour nous informer, par exemple, que Suzanne est blessée et qu'elle se trouve à l'hôpital dans un état critique. Je ne veux pas, mais vraiment pas, recevoir cet appel téléphonique. Alors, je suis content que l'agent en chef Neil Dubord travaille fort et qu'il appuie cette mesure législative.
Le sénateur McIntyre : Merci, à vous tous, de vos exposés.
Comme l'a dit M. Woods, ce qui est intéressant au sujet du projet de loi S-221, c'est qu'il exigera maintenant du tribunal qu'il considère comme circonstance aggravante pour la détermination de la peine le fait que la victime de voies de fait soit le conducteur d'un véhicule de transport en commun, au lieu de laisser au juge le soin de déterminer quels facteurs aggravants sont pertinents dans un cas donné. Je pense que c'est une très bonne nouvelle : les mots « circonstance aggravante » sont vraiment agréables à entendre.
Le projet de loi S-221 vise uniquement les conducteurs de véhicule de transport en commun, sans tenir compte des travailleurs comme ceux qui vendent ou vérifient les billets. Pensez-vous que les travailleurs de soutien devraient également être visés par le projet de loi S-221, ou le sont-ils déjà par d'autres lois?
M. Woods : Je ne sais pas s'ils sont visés par d'autres lois et s'ils devraient être inclus dans ce projet de loi. Si vous voulez que je réponde à titre personnel, en tant que travailleur des transports en commun qui voit des gens dans sa vie se faire agresser, je dirai que non. Ce qu'il faut faire aujourd'hui, c'est adopter le projet de loi. D'après mes entretiens avec mes collègues, il s'agit d'un des problèmes qui existent de longue date.
Si vous vous souvenez de mes observations préliminaires, cela fait sept ans qu'on cherche à faire adopter le projet de loi. Si on finit par le renvoyer afin d'y ajouter d'autres dispositions, alors on risque d'attendre encore deux ou trois ans.
Il y a lieu de le modifier plus tard, si cela s'avère nécessaire et si quelqu'un en fait la proposition dans un autre projet de loi, mais pour aujourd'hui, je pense qu'il suffit de faire adopter cette mesure législative.
Le sénateur McIntyre : Autrement dit, il est temps d'aller de l'avant avec ce projet de loi.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Madame Burgess, j'ai une question à vous poser. Je remarque que les agents de sécurité d'OC Transpo ont porté des accusations contre la femme qui vous a agressée. Comme vous l'avez mentionné dans votre présentation, cette dernière a comparu devant les tribunaux. À votre connaissance, la femme en question a-t-elle plaidé coupable ou non coupable au chef d'accusation?
Mme Burgess : Elle a plaidé coupable.
Le sénateur McIntyre : Est-ce que vous avez connaissance de la peine qu'elle a reçue?
Mme Burgess : Elle a reçu des soins en réhabilitation de santé mentale et pour sa consommation d'alcool. Elle a eu une amende à payer, mais c'est une personne qui ne travaille pas; elle a un an pour payer l'amende. Je pense que c'était environ 1 000 $.
Le sénateur McIntyre : Selon vous, est-ce que l'accusée avait un dossier criminel?
Mme Burgess : Elle avait déjà commis une agression auparavant, d'après le policier.
Le sénateur McIntyre : Selon vous, est-ce qu'elle souffrait de troubles mentaux au moment de l'agression?
Mme Burgess : Elle était intoxiquée. Si elle avait des problèmes mentaux, je ne le savais pas, mais elle était très intoxiquée.
Le sénateur Boisvenu : Madame et monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie de vos témoignages très révélateurs. Je tiens aussi à souligner l'excellent travail de notre collègue le sénateur Runciman dans ce dossier, et du travail de son équipe.
Lorsqu'il arrive des incidents de cette nature, est-ce que vous êtes amenés à témoigner en cours?
Mme Burgess : Moi, pas pour la première fois; si elle avait plaidé non coupable, on nous aurait donné une autre date de comparution.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous êtes au courant s'il y a des chauffeurs d'autobus qui poursuivent au civil pour dommages, pour remboursement des frais de thérapie, des frais médicaux, dans les cas que vous connaissez?
Mme Burgess : Je ne connais personne.
[Traduction]
M. West : Non, j'ignore s'il y a eu de tels cas. D'habitude, si le problème dépasse la portée du syndicat, nos membres peuvent nous en faire part, mais je ne suis pas au courant.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Tantôt, je crois avoir entendu que le temps d'intervention des policiers était de presque 20 minutes?
Mme Burgess : Dix-sept minutes.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que c'est dans la moyenne? Je trouve cela relativement long, car l'agression aurait pu être plus dangereuse à votre égard. Est-ce que la collaboration des policiers existe ou est-ce qu'il y a aussi une faiblesse à ce chapitre?
Mme Burgess : J'ai trouvé le laps de temps très lent. Les trois policiers et OC Transpo sont arrivés en même temps.
Le sénateur Boisvenu : Sentez-vous que les cours sont sympathiques envers vous comme victime? Quel genre de traitement avez-vous en cour quand vous portez plainte?
[Traduction]
M. West : Dans le cas des membres de notre syndicat, j'ai constaté que les tribunaux sont rarement de notre côté. Dans une affaire à Winnipeg il y a quelques années, le tribunal était de notre côté, et je crois que c'était surtout parce que nous avions rempli la salle d'audience de chauffeurs d'autobus en uniforme, ce qui a rendu l'affaire publique. Mais les tribunaux ne semblent pas se montrer sympathiques à notre cause.
Voici ce qui s'est passé à un de nos membres il y a quelques années, et cela donne suite à la question du sénateur Runciman sur la raison pour laquelle les gens se font agresser. Pour une raison que j'ignore, ce conducteur avait manqué un arrêt d'autobus où attendait un passager. Cet individu a décidé de prendre un taxi et de suivre l'autobus, puis une vingtaine de rues plus loin, il a demandé au chauffeur de taxi de se placer devant l'autobus. Rendu là, il est descendu du taxi pour embarquer dans l'autobus. Il a poussé le chauffeur d'autobus hors de son siège et l'a traîné dehors, devant un arrêt d'autobus, où il s'est mis à le battre, et tout cela juste parce que le conducteur avait oublié d'aller le chercher à un arrêt d'autobus. Et ce type n'a écopé que d'une amende de 300 $. Voilà le genre de chose qui peut arriver.
Nous avons connu un autre cas il y a quelques années, à Edmonton. Vous en avez probablement tous entendu parler. L'incident a été filmé sur vidéo : un type est monté à bord de l'autobus, mais il n'avait pas la monnaie pour payer son billet. Le conducteur n'a fait que le lui signaler, sans même essayer de l'expulser. Ce type l'a alors frappé à l'improviste et l'a assommé d'un seul coup. Heureusement, cela s'est passé à un arrêt d'autobus, alors personne d'autre n'a subi de blessures. À ce stade-là, le chauffeur était inconscient. Le type l'a alors traîné dehors — le tout, sous l'œil de la caméra à bord de l'autobus —, puis il l'a posé sur le sol, au bas des escaliers de l'autobus, et il s'est mis à le frapper au visage 15 fois.
Ce gars ne conduira plus jamais d'autobus. Il a perdu un œil, et son visage a dû être reconstruit. Je ne suis même pas sûr de la façon dont cela s'est terminé. Je sais que l'agresseur a été inculpé et je pense qu'après un tollé général, il a fini par être désigné criminel dangereux ou peu importe. S'il n'y a pas de vives protestations de la part du public, nous ne semblons pas jouir de l'appui des tribunaux. Et c'est pourquoi nous pensons qu'il est très important de faire en sorte que ces actes constituent des voies de fait graves, car les tribunaux auront ainsi les outils nécessaires pour traiter ces cas différemment.
Je le répète, nous ne voulons pas que nos membres soient victimes de voies de fait. Nous n'y tenons vraiment pas, mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'une véritable tragédie ne survienne, mettant en jeu non seulement un de nos membres, mais aussi beaucoup d'autres blessés. Que se passera-t-il alors? Ce sera trop tard.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : À votre connaissance, parmi les gens qui agressent les chauffeurs d'autobus, y en a-t-il beaucoup qui appartiennent à des gangs de rue ou à des groupes criminalisés, ou est-ce qu'il s'agit plutôt de gens ordinaires? D'après ce que je comprends, les agresseurs sont souvent des hommes?
Mme Burgess : Il y a beaucoup de femmes qui agressent.
Le sénateur Boisvenu : Beaucoup?
[Traduction]
M. Woods : Il s'agit souvent d'actes aléatoires.
Le sénateur Boisvenu : Il n'y aucun groupe particulier?
M. Woods : Aucun groupe particulier.
M. West : Mis à part peut-être un groupe de jeunes qui lancent des roches sur un autobus ou des choses de ce genre, ces voies de fait ne sont pas commises par des gangs. Il s'agit d'actes individuels. Les gens, pour une raison ou pour une autre, sont mécontents de leur journée et ils s'en prennent au conducteur, parce qu'ils croient qu'ils peuvent s'en tirer en toute impunité. À Halifax, la sanction la plus sévère que j'ai vue, c'est l'interdiction de monter à bord d'un autobus pendant six mois.
Le sénateur McInnis : J'aimerais, moi aussi, exprimer ma reconnaissance au sénateur Runciman. Il s'agit d'un projet de loi très utile, qui arrive à point nommé.
Tout récemment, nous avons accueilli un groupe de témoins, et mon collègue, le sénateur Plett, a présenté un projet de loi. Essentiellement, les témoins nous ont dit que les peines plus sévères ne donnent pas de bons résultats et qu'elles n'ont pas d'effet dissuasif. À quel point pensez-vous que cette mesure aura un effet dissuasif?
M. West : Eh bien, je crois personnellement que l'imposition de peines plus sévères aura un effet dissuasif. J'ai vécu dans une région d'Halifax, et bon nombre de mes amis ont eu des démêlés avec la justice, mais le système judiciaire les a remis sur le droit chemin. Je crois donc que cette mesure aura un effet dissuasif, et je pense que c'est la seule façon de mettre un terme à ces actes.
Le sénateur McInnis : Je suis d'accord avec vous, mais je voulais faire remarquer que, selon certains, des peines plus sévères n'aboutissent à rien. En tout cas, je suis d'accord avec vous, et le gouvernement est d'avis que cela fonctionne.
M. West : Si vous me permettez de faire une observation à titre personnel, sans entrer dans les détails, je peux vous dire que si je n'étais pas entré dans le système judiciaire pendant mon adolescence, je ne serais pas ici aujourd'hui.
Le sénateur McInnis : On nous a fourni des renseignements sur la Toronto Transit Commission, assortis de statistiques et de tout le reste, et on nous a parlé des mesures prises, comme l'installation de caméras dans les métros et les véhicules routiers, la distribution de plusieurs milliers de brochures et même l'installation de cloisons pour les conducteurs. S'agit-il de mesures que l'on prend de façon générale partout au pays, ou est-ce plutôt une initiative qui est plus ou moins l'apanage des grands centres urbains?
M. West : Cela se fait dans l'ensemble du pays, car les sociétés de transport en commun reçoivent du financement à cette fin. Les petites sociétés ont plus de mal à le faire, mais il s'agit de mesures prises partout au pays. Notre syndicat réclame l'installation de caméras. Nous avons peut-être des opinions divergentes quant à l'usage de ces caméras, mais nous voulons certainement qu'elles soient là pour assurer la sécurité et empêcher les actes criminels. Il est impossible d'éliminer toutes les voies de fait; nous en sommes conscients, mais au moins, les caméras pourront nous aider à poursuivre ces criminels de sorte qu'ils soient traduits en justice. Dans bien des cas, nous avons des preuves; le problème, c'est que les tribunaux n'imposent pas les peines appropriées. Ils laissent ces criminels s'en tirer avec une tape sur les doigts.
Le sénateur McInnis : Espérons que cela fonctionnera. Merci beaucoup de comparaître.
Le sénateur Plett : Merci. Je suis heureux de voir que nous avons d'aussi bons juges à Winnipeg; les tribunaux ont certes joué un rôle.
Toutefois, ma question porte davantage sur les taxis que les autobus, même si je pense que cela va dans les deux sens. À Winnipeg, tous les taxis sont munis d'écrans protecteurs; les chauffeurs sont donc protégés. De plus, si vous suivez un taxi à Winnipeg, vous constaterez qu'il y a sur les pare-chocs un autocollant portant le message suivant : « Si ce phare stroboscopique fonctionne, composez le 9-1-1 », ce qui signifie que le chauffeur de taxi a un problème. Je ne suis pas certain que nos autobus en sont munis. Je pense que nos autobus ont également une protection quelconque pour les chauffeurs. Est-ce propre à Winnipeg? De telles mesures de protection ont-elles été mises en place dans d'autres villes?
M. Woods : À Vancouver, depuis environ 10 ans, les opérateurs de véhicules de transport en commun ont à leur disposition un bouton de panique, mais ils ne peuvent l'activer de leur siège. Ils peuvent activer le bouton, mais ils doivent tirer sur un cordon pour allumer le phare stroboscopique. En réalité, le conflit doit déjà avoir éclaté avant de pouvoir... Il faudrait prévoir le conflit pour pouvoir appuyer sur le bouton.
Amrik est ici et il pourrait parler de l'industrie du taxi. Toutefois, je pense que les commissions de transport en commun, les syndicats ou tous ceux qui s'intéressent au transport en commun, qu'il s'agisse des entreprises ou des employés, appuient l'utilisation de l'autocollant et de la signalisation, ainsi que la campagne qui est menée. Tous souhaitent avoir le plus d'outils possible pour mettre en place les mesures dissuasives dont il est question. Parle-t-on seulement de sentences plus sévères? Non. Il y a les campagnes comme celle dite de l'arbre de Noël, qui est le nom que nous donnons au système de signaux lumineux ou aux caméras pour les autobus et les taxis. Ce sont tous ces éléments que nous recherchons.
Le sénateur Plett : N'y a-t-il pas une campagne structurée pour l'installation d'écrans protecteurs quelconques pour protéger les chauffeurs d'autobus et empêcher que quelqu'un puisse s'en prendre à eux?
M. Woods : À Vancouver, nous travaillons au développement d'écrans protecteurs. Nous collaborons avec WorkSafeBC pour la mise en place d'un système de protection identique à celui de Toronto, parce que nous en reconnaissons l'importance. Nous savons que c'est l'un des éléments d'un mécanisme de sécurité. Le projet de loi est une solution juridique, mais nous devons aussi avoir une solution technique, et c'est pourquoi nous mettons en place une exigence concernant les écrans protecteurs.
M. West : Nous avons aussi mené quelques essais. Il y a actuellement quelques problèmes, car les autobus des diverses sociétés sont différents. Ils ne sont pas conçus pour l'installation d'écrans protecteurs. Par conséquent, les écrans protecteurs doivent être conçus en fonction des modèles d'autobus. Malheureusement, ce qui nous préoccupe en ce moment, c'est qu'aucun de nos autobus n'est muni d'une sortie de secours, comme dans une voiture ou un taxi, où il suffit d'ouvrir une porte pour s'enfuir. Si l'on commence à installer des écrans protecteurs, cela signifie que nous sommes enfermés, manifestement, et que nous n'avons aucun moyen de sortir du véhicule. Particulièrement lors d'un accident ou d'un incident quelconque, comment pouvons-nous sortir?
Ils suscitent notre intérêt, mais nous estimons que la conception des autobus doit être repensée si l'on veut que cela fonctionne. Certains de nos membres n'aiment pas les écrans protecteurs parce qu'ils veulent interagir davantage avec le public. Pour nous, c'est un cercle vicieux. C'est une question de sécurité, mais nous avons des membres qui croient encore à la politesse envers le public; ils veulent travailler avec le public et avoir la possibilité de quitter leur siège pour aider les gens — avec des fauteuils roulants et des choses du genre —, mais les écrans protecteurs rendent ces choses plus difficiles. Nous continuons de les étudier. Des sociétés comme la TTC, qui est une des sociétés dont je m'occupe, celle d'Edmonton et aussi celle de Winnipeg, je crois, ont mené des essais sur les écrans protecteurs. Nous poursuivons nos études à cet égard, mais nous croyons que cela doit venir de l'usine et la conception des autobus doit être revue. Il faut une porte du côté gauche, ce qui nous permettrait de sortir en cas d'incident.
Le vice-président : Nous passons maintenant à un sénateur qui a représenté les agents de police, ayant lui-même exercé ces fonctions pendant de nombreuses années, le sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Mes collègues vont peut-être trouver que je me répète, mais lorsque je suis arrivé à la Sûreté du Québec, en 1972, les voitures n'étaient pas équipées de grilles protectrices. Plus tard, à titre de président du syndicat, j'ai exigé qu'elles soient installées dans tous les véhicules de patrouille.
À Montréal, la plupart des taxis sont maintenant munis de grilles protectrices. Comme je l'ai mentionné aux autres témoins qui sont passés avant vous, j'ai déjà vu ces fameux écrans protecteurs aux États-Unis.
Je peux comprendre qu'il vous soit plus difficile de communiquer avec le client, mais il en va aussi de votre sécurité. Vous avez le droit d'exercer votre travail en toute sécurité, et les passagers ont également le droit d'être protégés.
Maintenant, monsieur Woods, vous m'avez dit que vous étiez satisfait du projet de loi comme tel, mais qu'il y aurait peut-être lieu d'y apporter quelques modifications. Vous avez parlé, par exemple, des gens qui travaillent dans les billetteries. J'aimerais entendre votre opinion au sujet du projet de loi. Est-ce qu'il vous satisfait? Devrait-il aller plus loin?
J'en profite aussi pour féliciter le sénateur Runciman. C'est un bon projet de loi qui devrait vous aider.
[Traduction]
M. Woods : En fin de compte, vous pourriez probablement le faire. Je ne le contesterai pas. Quant aux autres partis qui ont présenté un projet de loi, ils pourraient laisser entendre que le libellé de leurs projets de loi était meilleur et que l'on devrait l'inclure dans ce projet de loi.
Je vais être franc. Je ne suis pas à votre place. Je ne suis pas législateur. Je ne modifierai pas les lois canadiennes. Selon mon point de vue, en tant que travailleur de première ligne représentant 3 700 travailleurs — parmi 45 000, cela fonctionne.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je comprends que le projet de loi est pour vous un grand pas vers l'amélioration. Il s'imposait pour votre sécurité.
[Traduction]
Le vice-président : Merci. Nous passons maintenant à la deuxième série de questions, si quelqu'un souhaite intervenir.
Je tiens simplement à souligner, au passage, que j'ai réfléchi au fait que vous avez fait allusion aux projets de loi à l'autre endroit. La caractéristique intéressante du projet de loi préparé par le sénateur Runciman, c'est qu'on y mentionne spécifiquement les chauffeurs d'autobus, les chauffeurs de taxi et les opérateurs de véhicules de transport en commun. C'est un projet de loi très ciblé et, comme vous le dites, vous êtes d'avis que nous devrions procéder aussi rapidement que possible, et si des amendements sont nécessaires après l'adoption de ce projet de loi, eh bien, il s'agira d'y revenir; est-ce votre position?
M. Woods : Si ce projet de loi est adopté, nous serons bien plus avancés que jamais auparavant.
Le vice-président : Quelqu'un d'autre souhaite intervenir dans ce deuxième tour?
[Français]
Le sénateur Rivest : Vous savez que, en novembre 2013, un chauffeur de taxi a été tué à Montréal, M. Bouzid, il était père de trois enfants. Il y a des mesures de sécurité. Des discussions sont présentement en cours à Montréal pour déterminer si on doit mettre une caméra dans la voiture ou si la vitre est suffisamment sécuritaire, et cetera. Je suppose que vous êtes ouvert à trouver façons d'améliorer la situation.
Dans le cas des transports en commun, par exemple pour les autobus, ce dont madame parlait, bien sûr, lorsqu'il survient un incident, la police régulière intervient. Mais est-ce que les compagnies de transport ont leur propre service de sécurité et de soutien aux chauffeurs d'autobus qui sont sur le terrain? Y a-t-il des moyens pour communiquer de façon adéquate, parce que le 17 minutes d'intervention m'a fortement impressionné. Je trouve cela long.
Mme Burgess : La première fois que j'ai appelé mon superviseur, j'ai demandé de l'aide parce que la dame était vraiment vulgaire et, pour moi, il est difficile de conduire avec une personne vulgaire et entêtée. Il m'a envoyé quelqu'un, mais cela a pris 17 minutes. C'est notre personnel de sécurité qui est arrivé en premier, avant la police. Mais la police m'a dit qu'elle ne pouvait rien faire, même s'il y avait déjà eu des accusations d'agression contre une autre personne. C'est sa deuxième accusation d'agression, et la police n'a rien fait. Cela m'a fait quelque chose, parce que c'est ma quatrième attaque en sept ans. Lors de ma troisième attaque, un monsieur se filmait devant moi, j'ai dû appliquer les freins brusquement parce que je ne voyais pas, et une dame est tombée et elle s'est blessée à une hanche. Je me sens mal pour cette dame. Lors de la deuxième attaque, il s'agissait de jeunes étudiants. Ils se sont fait prendre à ne pas payer leur droit de passage par les inspecteurs. Mon autobus était vide et ils m'ont laissée partir. Quand j'ai tourné le coin, ils ont lancé de grosses roches en direction de ma fenêtre; elles me sont passées à un pouce du visage. Pour ce qui est de la première agression, je me suis fait cracher au visage, parce que la personne ne voulait pas payer son droit de passage. Je ne l'ai pas obligée à le payer. Je lui ai juste dit que le droit de passage était de 3,25 $. C'était un jeune de 16 ans et il m'a craché en plein visage.
[Traduction]
Le sénateur Plett : En référence aux propos de Mme Burgess sur le fait que les policiers ont indiqué qu'ils ne pouvaient rien faire, je sais que personne parmi vous n'est avocat et je ne le suis pas non plus; je pose donc la question davantage aux fins du compte rendu qu'à autre chose. Nos avocats pourront y répondre plus tard. Lorsque vous dites que les policiers ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire, il me semble que si j'étais agressé dans la rue, les policiers pourraient accuser l'individu de voies de fait. Ils ne peuvent évidemment pas prononcer une peine, mais ils peuvent accuser une personne de voies de fait. Pourquoi n'auraient-ils pas été en mesure de porter des accusations d'agression contre cette femme alors qu'il ne fait aucun doute qu'elle vous a agressée?
Mme Burgess : L'agent m'a donné le choix : je pouvais porter plainte au service de police d'Ottawa ou aux agents d'OC Transpo.
Ils m'ont dit que si je portais plainte par l'intermédiaire du service de police d'Ottawa, on allait lui donner une tape sur la main, elle serait libérée et rien ne serait fait. Il faudra jusqu'à 18 mois pour que la cause soit entendue au tribunal et on lui dira de ne pas recommencer. Ensuite, je devais faire un choix; j'ai choisi les autorités policières du réseau de transport en commun. Ils ont porté des accusations contre la femme, devant le tribunal provincial, dans notre cas, et elle a été envoyée en réadaptation pour les problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Si elle ne suit pas le programme, elle retournera devant le tribunal, mais on ne nous tiendra pas au courant. Toutefois, elle a encore le droit de prendre l'autobus.
M. West : Selon mon expérience — en particulier à Halifax —, j'ai eu de bonnes relations avec la police à travers le pays, mais particulièrement là-bas, parce que je les connais bien.
L'impression que j'ai, c'est que cela ne tient pas du fait que les agents de police ne peuvent porter des accusations. Je pense qu'ils sont aussi frustrés que nous. Il arrive fréquemment qu'ils accusent des gens d'agression, puis que ces gens se retrouvent devant les tribunaux, concluent une entente et s'en tirent à bon compte. Donc, les policiers sont frustrés. Je ne peux parler de ce cas précis, mais quand ils disent qu'ils ne peuvent rien faire, je ne pense pas qu'ils parlent d'eux- mêmes, personnellement. C'est simplement qu'ils sont frustrés parce que lorsqu'ils font quelque chose, ils n'obtiennent pas de résultats. Ils sont tout aussi frustrés que nous par rapport au système.
Le sénateur Plett : Cela me semble logique. Je comprends; merci beaucoup.
La sénatrice Batters : Je voulais essayer d'apporter quelques éclaircissements à ce sujet. Je pense que ce qu'ils veulent dire, c'est que jusqu'à ce que le projet de loi soit adopté, on ne considère pas cela comme des circonstances aggravantes justifiant une peine plus sévère. Actuellement, les sanctions qui seraient imposées pour ce genre d'infraction seraient probablement, comme vous l'avez indiqué, tout à fait minimes, malheureusement. C'est pourquoi je pense que ce projet de loi est plus que nécessaire. Je suis certaine que vous en conviendrez tous, et je vous remercie beaucoup d'être venus.
Madame Burgess, j'espère que vous trouverez que votre parcours vous aide à aller de l'avant malgré ces circonstances malheureuses. Je suis peinée que vous ayez subi cela, mais j'espère que vous aurez le sentiment que venir raconter votre histoire au comité vous aide.
Le vice-président : Merci. D'où, selon le sénateur Runciman, la nécessité de ce projet de loi, ce que tendent à démontrer les témoins que nous avons entendus aujourd'hui.
Merci beaucoup de vos exposés; ils étaient excellents et couvraient l'ensemble du sujet. Nous entendrons d'autres témoins et nous vous assurons qu'après, le sénateur Runciman, en tant que président du comité, a mis à l'ordre du jour l'étude article par article. Ensuite, il demandera le consentement afin de renvoyer le projet de loi en troisième lecture au Sénat, ce qu'il obtiendra.
Je vous prie d'accueillir notre dernier groupe de témoins d'aujourd'hui. Nous entendrons Mme Diane Deans, conseillère et présidente de la Commission de transport de la Ville d'Ottawa. Représentant l'Association canadienne du transport urbain, nous accueillons M. Patrick Leclerc, qui est vice-président, et M. Alex Maheu, qui est gestionnaire, secteur des Politiques et relations gouvernementales.
Pour commencer, Mme Deans fera une déclaration préliminaire.
Diane Deans, conseillère et présidente de la Commission du transport en commun, Ville d'Ottawa : Merci beaucoup, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Comme le président l'a dit, je suis membre du Conseil municipal d'Ottawa et, ce qui est peut-être plus important aux fins de la discussion d'aujourd'hui, je suis présidente de la Commission de transport d'Ottawa. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui pour appuyer le projet de loi S-221.
La protection des opérateurs de véhicules de transport en commun est un enjeu d'une importance primordiale pour OC Transpo et d'autres sociétés de transport en commun d'un océan à l'autre. Chez OC Transpo, la sécurité de nos employés et nos clients est au centre de toutes nos activités. Assurant plus de 200 000 déplacements par jour, nos chauffeurs sont les employés de première ligne qui rencontrent nos clients toute la journée, depuis tôt le matin, jusqu'à tard la nuit. Notre clientèle, ce sont des enfants, des jeunes, des étudiants, des travailleurs — hommes et femmes —, des aînés, des personnes handicapées, des immigrants, des personnes aux prises avec la toxicomanie, des personnes sans emploi, et cetera. Les gens qui prennent l'autobus représentent un microcosme de l'ensemble de la collectivité.
Étant donné le nombre de personnes qui, quotidiennement, montent à bord des véhicules et en redescendent, vous comprendrez que des problèmes surviennent de temps à autre. Imaginez maintenant, si vous voulez, la place qu'occupe le chauffeur à l'avant de l'autobus. Le volant est devant, il y a une fenêtre à gauche, le siège est derrière et la boîte de perception est à droite. En cas de conflit, très peu de mouvements sont possibles.
Il faut aussi garder à l'esprit que ces travailleurs acharnés assurent le transport des gens tôt le matin et tard le soir et qu'ils se retrouvent souvent dans des secteurs isolés et éloignés de la ville.
Un autre facteur important est le fait que la sécurité de nos clients à bord de l'autobus relève du chauffeur. Lorsqu'un passager agresse un chauffeur d'autobus pendant que le chauffeur est au volant du véhicule, les autres passagers, d'autres conducteurs et les piétons sont tous exposés à des risques.
Dans le milieu du transport en commun, tous conviennent que la violence contre les chauffeurs d'autobus est un problème grave et permanent et qu'il faut en faire plus pour résoudre ce problème.
Les opérateurs de véhicules de transport en commun d'Ottawa ne sont malheureusement pas à l'abri de ces incidents. En 2013, OC Transpo a enregistré 72 agressions contre nos chauffeurs. Entre le 1er janvier et le 31 mai de cette année, nous avons enregistré 22 agressions supplémentaires contre des chauffeurs. Parfois, ces agressions se produisent à la suite d'un différend concernant le titre de transport. Parfois, cela semble lié à des problèmes liés à la toxicomanie ou encore des actes spontanés de violence gratuite.
Peu importe la cause, un seul incident de violence contre nos chauffeurs peut faire les manchettes et réduire le sentiment de sécurité sur l'ensemble de notre réseau de transport en commun. La plupart du temps, malheureusement, la perception devient réalité, et cette réalité, c'est que nos chauffeurs ont droit à un environnement de travail sûr, exempt de violence et de harcèlement. À l'heure actuelle, ils sont vulnérables.
Il est important de se rappeler que nos employés sont des êtres humains : ce sont des mères, des pères, des frères, des sœurs et des amis. Tout acte de violence — même les incidents apparemment mineurs, comme les crachats ou les menaces verbales — peut causer un traumatisme psychologique et avoir des répercussions importantes sur la santé et le bien-être de nos employés.
Il a été observé que les employés victimes de violence connaissent des niveaux plus élevés d'anxiété et de stress qui peuvent devenir une distraction au travail, ce qui entraîne une diminution de la productivité. Certains chauffeurs qui ont été agressés au travail ont de la difficulté à reprendre le travail, ce qui augmente le taux d'absentéisme.
Les agressions n'ont pas seulement une incidence sur la victime; elles touchent aussi les collègues et les familles, et cela a un effet négatif sur l'environnement de travail, la culture et le moral. Les agressions peuvent accroître l'impression qu'il s'agit d'un environnement de travail dangereux. Les employés craignent pour leur propre sécurité dans l'exercice de leurs fonctions habituelles, les familles craignent pour la sécurité de leurs proches.
En résumé, la violence ou la menace de violence crée un environnement de travail stressant; les chauffeurs ont donc plus de difficulté à servir leurs clients. Ce n'est pas acceptable. De toute évidence, ces employés du secteur public méritent d'être protégés et il leur faut une plus grande protection de façon à leur assurer la sécurité de leur milieu de travail.
Le projet de loi S-221 est une mesure législative essentielle qui servira à protéger davantage nos travailleurs du transport en commun, à accroître la sensibilisation du public, et à s'assurer que les auteurs de ces attaques malicieuses se voient imposer des sanctions importantes. Le projet de loi envoie un message fort : les incidents de violence ne seront pas tolérés. Il indique également aux tribunaux que vous vous attendez à ce qu'ils ne fassent pas preuve de clémence envers les auteurs de ces crimes et il leur fournit les outils nécessaires pour s'assurer que des sanctions appropriées seront imposées.
Nos travailleurs du transport en commun ont un travail difficile et ils sont responsables de la sécurité du public. Nous avons la responsabilité de nous assurer que nous faisons tout notre possible pour protéger nos travailleurs contre la violence en milieu de travail. Je suis reconnaissante d'avoir eu l'occasion aujourd'hui de faire comprendre au comité l'importance que revêt ce projet de loi pour l'ensemble du secteur du transport en commun. Je tiens à remercier le sénateur Runciman de son leadership dans ce dossier. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité du Sénat, merci d'avoir écouté mon témoignage aujourd'hui. Merci.
Le vice-président : Eh bien, merci, madame Diane Deans, conseillère et présidente de la Commission de transport de la ville d'Ottawa. Nous allons maintenant écouter M. Patrick Leclerc, le vice-président de l'Association canadienne du transport urbain.
[Français]
Patrick Leclerc, vice-président, Association canadienne du transport urbain : Honorables sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de l'invitation à comparaître aujourd'hui devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat. Nous sommes reconnaissants d'avoir l'occasion de nous prononcer sur le projet de loi S- 221, qui vise à faire des agressions contre les chauffeurs de véhicules de transport collectif un facteur aggravant dans la détermination de la peine. Je tiens également à saluer et à remercier l'honorable sénateur Runciman pour son projet de loi, et à remercier Mme Burgess, M. Woods, M. West et Mme Deans pour leur témoignage aujourd'hui.
L'Association canadienne du transport urbain regroupe environ 500 membres, dont les réseaux de transport collectif, les manufacturiers et fournisseurs, des agences gouvernementales et plusieurs autres acteurs de l'industrie.
[Traduction]
Je tiens avant tout à affirmer clairement que l'Association canadienne du transport urbain appuie sans réserve le projet de loi S-221. Jour après jour, les conducteurs de véhicules de transport en commun de tout le pays amènent des milliers de personnes au travail, à l'école, à leur lieu de loisir préféré et à des centres de services communautaires. Entre autres tâches et responsabilités, les conducteurs doivent conduire des véhicules lourds — ce qui se fait très souvent dans des conditions de circulation difficiles —, respecter les horaires des parcours, assurer la perception du prix du trajet, offrir des services aux clients et, ce qui est encore plus important, veiller à la sécurité de leurs passagers. À ce chapitre, il est très crucial de comprendre que les chauffeurs sont eux seuls responsables d'assurer la sécurité de tous les passagers qui montent dans leur véhicule.
Or, bien qu'ils assurent la prestation de services de mobilité essentiels pour nos collectivités, services qui contribuent au dynamisme et à la prospérité de nos villes, les conducteurs de véhicules de transport en commun n'évoluent pas nécessairement dans un environnement de travail sécuritaire, comme l'indiquent nos données annuelles en la matière. En fait, les conducteurs de véhicules de transport en commun subissent environ 2 000 agressions par année, sans parler des nombreuses autres qui ne sont pas rapportées. Il s'agit donc d'une moyenne de cinq agressions par jour.
Comme je le disais tantôt, les employés des transports en commun sont tenus de veiller à la sécurité de leurs passagers. Or, ce type d'agression constitue un danger pour le grand public. Un cas récent peut donner une idée de la gravité de telles agressions. Le 26 mars dernier, à Surrey, en Colombie-Britannique, un passager a frappé un conducteur en plein visage. Au moment de l'agression, l'autobus filait à environ 30 kilomètres à l'heure et transportait une trentaine de passagers. Le coup de poing a cassé le nez et d'autres os du visage du conducteur, ce qui a provoqué un trouble de la vue dans un œil et le déchaussement de certaines dents. Mais parce que sa préoccupation première était d'assurer la sécurité et le bien-être de ses passagers, le conducteur a malgré tout réussi à stopper l'autobus de façon sécuritaire et à ouvrir la porte pour laisser sortir l'agresseur, mettant ainsi terme à la menace que ce dernier faisait peser sur les passagers.
Le sang-froid du conducteur a fait en sorte que personne n'a été blessé durant cet incident. Il est toutefois facile d'imaginer dans quelle mesure ce type d'incident peut être dangereux pour la sécurité des passagers, des piétons et d'autres usagers de la route.
Nos statistiques indiquent qu'en 2012, environ 80 p. 100 de tous les crimes perpétrés contre les employés des transports en commun ont été commis à bord des véhicules. En multipliant ce chiffre par le nombre moyen de passagers véhiculés, soit 30, il est possible de saisir l'étendue du potentiel de risque et la menace que de telles agressions peuvent faire peser sur la population dans son ensemble.
L'ACTU exhorte le Sénat d'adopter ce projet de loi, puisqu'il fournira aux organismes de transport un outil additionnel pour leur permettre de poursuivre les délinquants. L'ACTU et la Metro Vancouver Transit Police — le service de sécurité du transport en commun du grand Vancouver — s'emploient actuellement à recueillir des données pancanadiennes sur les peines imposées aux personnes reconnues coupables d'agressions sur des chauffeurs d'autobus. Or, les résultats préliminaires de cet exercice semblent révéler un manque d'uniformité à l'échelle du pays dans les peines imposées aux agressions de même type.
Il est aussi important de souligner que l'ACTU et nos membres travaillent d'arrache-pied à la mise en place de mesures de prévention en matière de sécurité. Par exemple, plusieurs grands organismes de transport en commun procèdent actuellement à l'installation de caméras en circuit fermé et d'écrans protecteurs, et embauchent des employés additionnels affectés exclusivement à la sécurité. Ces initiatives permettent assurément d'améliorer la sécurité des chauffeurs, mais elles doivent être appuyées par d'autres mesures telles que les modifications législatives proposées aux termes du projet de loi S-221.
Pour terminer, monsieur le président, sachez que nous estimons que ce changement est nécessaire, et ce, pour trois raisons. Premièrement, ces mesures législatives fourniront un outil de plus pour aider les organismes de transport en commun à assurer la protection de leurs chauffeurs qui, à l'échelle du pays, subissent près de 2 000 agressions par année. Deuxièmement, en instaurant des conditions plus sécuritaires, les dispositions du projet de loi contribueront à l'amélioration de la sécurité du public en général par le biais d'une amélioration de la sécurité des passagers et des autres usagers de la route. Et troisièmement, ces mesures contribueront à améliorer l'uniformisation et la prévisibilité des peines imposées à l'échelle du pays pour des agressions de même type. Merci, monsieur le président.
Le vice-président : Merci, monsieur Leclerc. M. Patrick Leclerc est vice-président de l'Association canadienne du transport urbain. Il est ici avec M. Alex Maheu, qui dirige l'unité des Politiques et relations gouvernementales de cet organisme, et qui pourra répondre aux questions que vous pourriez avoir.
Le premier intervenant sera l'auteur de la motion, le promoteur du projet de loi, le sénateur Runciman.
Le sénateur Runciman : Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins.
Je crois que vous pouvez tous répondre à cela. Vous avez fait allusion au manque d'uniformité qui existe à l'échelle du pays dans le système de justice. Pouvez-vous nous parler de l'expérience que vous avez à cet égard et nous donner des détails sur la façon dont les tribunaux traitent les agressions de ce type?
Également, un témoin précédent a parlé de la réaction des services policiers, qui, selon moi en tout cas — et peut-être pour le sénateur Plett —, indiquait elle aussi une certaine frustration à l'égard de la façon dont ces incidents sont traités en cour, cette situation de portes tournantes où les contrevenants ne se voient pas imposer de peines appropriées. Frustrés aussi de voir les agents consacrer un temps précieux à ces affaires, à la paperasserie, et cetera, alors que tout cela finit essentiellement en eau de boudin. Je crois en tout cas que ce sont les grandes lignes de ce que nous avons entendu du témoin précédent.
J'aimerais que vous nous parliez de l'expérience que vous avez eue tant avec le système de justice qu'avec les réactions des services policiers.
M. Leclerc : Merci, sénateur. Pour ce qui est de l'uniformité, comme je l'ai dit, nous travaillons avec les autorités du grand Vancouver à ce sujet. Des témoins avant moi ont affirmé que, dans de nombreux cas, les délinquants se font tout au plus taper sur les doigts, alors que dans certains autres, la peine est à la mesure de la gravité du crime. Là où c'est difficile, c'est que le juge a actuellement la capacité de décider si cela devrait être une circonstance aggravante, mais ce n'est pas dans la loi, alors ce n'est pas obligatoire. Je pense ici à une affaire que je crois que vous connaissez... Mais je vais demander à mon collègue Alex de relater cet exemple de la cour contre Patrick Guitard, qui fait référence à cela.
Alex Maheu, gestionnaire, Politiques et relations gouvernementales, Association canadienne du transport urbain : Voici ce que le juge a dit pour expliquer sa décision : « Je ne considérerai pas que les voies de fait sont aggravées simplement parce que la victime était un chauffeur d'autobus. »
Cela donne un bon exemple du manque d'uniformité qui prévaut. Comme le disait mon collègue Patrick, nous travaillons avec la Metro Vancouver Transit Police et le Syndicat uni du transport afin de colliger de l'information sur les peines et le manque d'uniformité à l'échelle du pays. Alors nous avons averti nos membres et leur avons demandé de suivre ces affaires du début à la fin afin de nous donner une idée des tendances dans l'attribution des peines.
Mme Deans : Puis-je ajouter quelque chose à cela? Je crois que c'est dans cette affaire que la peine n'a été ni à la hauteur des attentes de la Couronne ni à la hauteur de ce qu'avait demandé l'avocat de la défense. Je crois que ce qui nous a tous pris au dépourvu, c'est le fait que la peine imposée par le juge ait été plus modeste que ce que tout le monde demandait.
Le sénateur Runciman : Qu'en est-il de la réaction des services policiers? Vos membres vous rapportent-ils des choses à ce sujet? Madame Deans, les gens font-ils des observations au sujet de la police d'Ottawa?
Mme Deans : Au sujet de quoi exactement?
Le sénateur Runciman : Eh bien, un témoin précédent nous a dit qu'elle avait parlé de cela aux policiers, et qu'on lui avait répondu que, de toute façon, le délinquant ne recevrait qu'une tape sur les doigts et que le jeu n'en valait pas la chandelle, que ce serait une perte de temps pour eux. On lui a dit qu'elle avait deux options : s'adresser à la sécurité...
Mme Deans : D'accord. Je crois qu'on pourrait affirmer sans se tromper que c'est effectivement ce que notre service de police pense de cela. Il serait difficile de présumer autrement, puisque les habitudes de nos tribunaux semblent indiquer que ce vide législatif ne les incite pas à donner des peines qui sont à la hauteur de nos attentes.
Le sénateur Runciman : D'une certaine façon, vous avez tous les deux fait une distinction entre les chauffeurs de véhicules de transport en commun et les autres professions — une question qu'a aussi abordée le chef Dubord, la semaine dernière. J'ai déjà posé cette question, et j'avoue avoir reçu des réponses adéquates à plus d'une occasion, mais j'aimerais quand même avoir votre avis pour qu'il soit consigné dans le compte rendu. J'aimerais que vous me parliez de la différence qu'il y a entre un chauffeur du transport en commun et une infirmière, que vous compariez les risques qui accompagnent cette dernière profession avec ceux que courent les gens que vous représentez dans l'exercice de leurs fonctions.
Mme Deans : Cela ne fait aucun doute que tous ceux qui interagissent avec le public courent toujours un certain risque. Dans le cas des chauffeurs du transport en commun de la ville d'Ottawa qui transportent les usagers sur plus de 200 000 trajets par jour, le nombre de contacts avec le public est incommensurable. Cela fait beaucoup de gens qui grimpent à bord des autobus et en descendent.
À l'exception des moments où son autobus accueille la visite d'agents vérificateurs de titre de transport ou des services de police des transports publics, le chauffeur est la plupart du temps le seul employé de l'organisation à bord. Il doit passer son temps dans un espace très confiné qui lui laisse peu de place pour bouger. Malheureusement, comme je le disais, l'autobus est un peu un microcosme de la société en général. Les autobus accueillent des gens de toutes les sortes. Certains sont en état d'ivresse, d'autres ont des problèmes de toxicomanie, d'autres sont colériques ou ont des problèmes de santé mentale, autant de facteurs susceptibles d'aggraver les choses.
La nature même du lieu de travail et la nature de l'interaction avec le public font en sorte qu'il y a un plus grand nombre d'agressions à bord des autobus que dans d'autres milieux de travail. Je n'essaie en rien de discréditer l'importance de l'interaction avec le public que d'autres ont dans leur emploi, mais il semble que les chauffeurs d'autobus sont objectivement plus à risque que nombre d'autres salariés.
M. Leclerc : Et, si vous me le permettez, la grande différence est la question de la sécurité du public. Mme Deans a brossé un portrait pour la ville d'Ottawa, mais dans l'ensemble du pays, nous effectuons environ 2 milliards de trajets par jour. Cela signifie que les gens effectuent quotidiennement 2 milliards de trajets à bord des autobus, et ces chiffres ne cessent d'augmenter d'année en année à cause des embouteillages et de la popularité du transport en commun. Avec ce nombre de trajets et le nombre d'agressions, les situations potentiellement dangereuses ne sont donc pas surprenantes.
Jusqu'ici, nous avons été chanceux. Il y a eu 2 000 agressions. Les chauffeurs d'autobus sont touchés directement, leurs familles et leurs collègues sont touchés eux aussi. Il n'y a eu aucun incident majeur qui aurait touché le grand public, mais nous ne devons pas attendre qu'un autobus aille percuter un abribus à l'heure de pointe pour réagir. Nous devons agir maintenant, avant qu'une telle chose arrive.
Le sénateur Runciman : Bien dit. Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le président. Merci à nos trois témoins. Je suis d'avis que le projet de loi constitue quand même un grand pas en avant pour l'amélioration de la sécurité des chauffeurs d'autobus. J'aimerais revenir sur les mesures de protection dans les autobus. On a fait référence aux taxis, aux véhicules de police, et cetera, ainsi qu'aux fameux écrans protecteurs pour les chauffeurs d'autobus. Nombreux sont ceux qui ont mentionné que cela pouvait nuire à la communication avec les passagers, notamment lorsqu'ils ont besoin d'aide. La priorité, c'est d'assurer la sécurité des chauffeurs. Ceux-ci ont la responsabilité de 30 ou 40 passagers. Ma question s'adresse à madame Deans, la présidente d'OC Transpo. Est-ce que le budget d'OC Transpo prévoit éventuellement la mise en place d'autres mesures protectrices dans les autobus pour améliorer la sécurité de ses chauffeurs?
[Traduction]
Mme Deans : Non. Il faudra discuter longuement avec nos partenaires syndicaux avant d'en arriver là. C'est peut- être quelque chose qui arrivera graduellement suivant le renouvellement des véhicules.
L'ajout d'écrans protecteurs aux autobus qui n'ont pas été conçus pour cela ne donnera probablement pas d'aussi bons résultats en ce qui concerne le lieu de travail que si l'on achète des autobus qui ont déjà de tels écrans et qui ont été conçus pour assurer la sécurité du chauffeur tout en offrant un espace de travail adéquat.
Bref, c'est quelque chose que l'on peut envisager pour l'avenir. Mais j'ai eu beaucoup d'entretiens avec nos chauffeurs, et je ne suis pas convaincue que ce genre d'espace de travail confiné fasse l'unanimité. L'une des raisons qui poussent quelqu'un à choisir une carrière de chauffeur d'autobus a peut-être à voir avec le fait que c'est un extroverti et qu'il aime interagir avec le public et rencontrer des gens de tous les horizons, qu'il aime converser avec les gens et apprendre à les connaître. Le fait de vous retrouver derrière un écran limite vos contacts. Cela modifie très considérablement l'environnement de travail.
Je peux vous assurer que la ville d'Ottawa et son transporteur public, OC Transpo, accordent beaucoup d'importance à la sécurité. Je comprends que ce projet de loi n'est pas une panacée, qu'il existe de nombreux moyens de protéger nos chauffeurs. Plus tôt aujourd'hui, nous avons eu une réunion de la commission du transport en commun. Nous recevions l'American Public Transit Association qui venait tout juste de terminer une évaluation par les pairs des mesures de sécurité d'OC Transpo, et qui a formulé de nombreuses recommandations pour nous aider à améliorer la sécurité de nos usagers et de nos chauffeurs. Nous appliquerons beaucoup de ces mesures, mais cet outil en est un qui, nous le croyons, permettra d'améliorer la sécurité.
[Français]
Le sénateur Dagenais : À l'époque où je voyageais en autobus à Montréal, il y avait une affiche sur laquelle il était inscrit : « Prière de ne pas me déranger. Toute mon attention est requise pour mon travail. »
Je comprends que la plupart de vos chauffeurs aiment garder un contact avec les clients, mais il n'en reste pas moins que les temps ont changé. Il y a quelques années, il n'y avait pas autant d'agressions de chauffeurs d'autobus, comparativement à aujourd'hui. Est-ce que c'est le comportement de la société qui a changé? Il y a 10 ou 15 ans, ce genre d'agressions était beaucoup plus rare. Merci de votre réponse.
[Traduction]
Mme Deans : Je suis d'accord avec vous : les temps ont changé, et c'est peut-être quelque chose que nous allons envisager pour l'avenir. Nous n'encourageons évidemment pas les clients à parler au chauffeur pendant que le véhicule se déplace, mais quand l'autobus est arrêté, les occasions d'interagir ne manquent pas.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos trois invités. Il y a eu de très bons témoignages. Monsieur Leclerc, vous n'avez pas parlé des tableaux que vous avez en main. J'aimerais comprendre certaines données. Selon les données du tableau, il y a au-delà de 2 000 agressions, si je me fie au pourcentage indiqué dans les cercles. Avez-vous le tableau devant vous?
Il s'agit de statistiques. On indique que les homicides représentent 40 p. 100 des agressions au Canada. S'agit-il d'homicides?
M. Leclerc : Ce sont des attaques de niveau 1, soit 40 p. 100. Mon collègue Alex peut en préciser la définition.
M. Maheu : Les attaques de niveau 1 constituent, par exemple, les crachats, les coups de pied, les coups de poing...
[Traduction]
Il peut s'agir de crachats ou de menaces proférées avec un geste, comme de brandir le poing à l'endroit du chauffeur. Ce sont les attaques de niveau 1. Elles ne causent pas nécessairement de blessure physique, mais ce sont les agressions de premier niveau.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Dans l'autre tableau, on parle de pourcentages. Par exemple, c'est indiqué 10 p. 100 pour le Québec. Est-ce que ce chiffre-là signifie 10 p. 100 des crimes commis contre les chauffeurs au Québec?
M. Maheu : Vous parlez du tableau qui traite des véhicules stationnés ou des propriétés? C'est dommage que les graphiques ne soient pas en couleur — on pourra vous les faire parvenir plus tard —, mais sur le graphique, le 10 p. 100 représente le nombre d'agressions faites sur nos employés lorsqu'ils se trouvent sur les propriétés de transport collectif, et le 72 p. 100 représente les véhicules.
[Traduction]
Alors, ce que vous voyez ici, c'est qu'au Canada, près de 80 p. 100 des agressions sur les employés des transports en commun se font à bord des véhicules.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous n'avez pas de tableau comparatif d'une province à l'autre? Est-ce qu'il y a une province qui présente plus de problèmes en ce qui concerne les agressions contre des conducteurs d'autobus, ou est-ce que la proportion est plutôt en rapport avec la population?
Par exemple, le Québec compte 22 p. 100 de la population canadienne, mais par rapport aux agressions contre des chauffeurs d'autobus ou de taxis, est-ce la même proportion, ou bien, y a-t-il des provinces où il y a vraiment des écarts qui s'expliquent difficilement?
M. Maheu : Pour les statistiques, on voit que la plupart des agressions varient selon l'achalandage et la population. En Ontario, en 2012, il y a eu 765 agressions contre les membres du réseau de transport, ce qui donne une moyenne de deux agressions par jour; en Colombie-Britannique, c'est environ 552, et au Québec, 264.
Le sénateur Boisvenu : En Ontario, c'est combien?
M. Maheu : C'est 765.
Le sénateur Boisvenu : Et au Québec, 260; donc, toutes proportions gardées, il y en a moins au Québec qu'en Ontario? Et en Colombie-Britannique, qui a une population deux fois inférieure à celle du Québec, il y a deux fois plus d'agressions?
M. Leclerc : Ce qui est intéressant dans ces statistiques, c'est le chiffre brut. Tous les réseaux de transport au Québec ne sont pas membres de l'ACTU. On doit considérer cet aspect.
Mais on doit également tenir compte du fait que les tableaux peuvent donner l'impression que c'est un problème qu'on retrouve dans les grandes villes. Bien sûr, il y a plus de cas dans les grandes villes, en nombres absolus. Par contre, quand on regarde le ratio par rapport aux nombres de voyages ou par rapport à l'achalandage, sur le million de passagers, par exemple, les statistiques sont plus élevées dans les provinces atlantiques.
Ce n'est donc pas uniquement une question liée à la taille des villes; on retrouve le même problème dans les plus petites collectivités. Là où notre tableau a certaines limites, c'est que ce ne sont pas toutes les organisations qui sont équipées pour faire le suivi des cas, les documenter, analyser les statistiques, surtout quand ce sont de très petits réseaux, dans de plus petites collectivités.
Le sénateur Boisvenu : Ces données vous sont fournies par vos membres, et non par les corps policiers?
M. Leclerc : Exactement.
Le sénateur Boisvenu : Avez-vous le pourcentage de récidive?
M. Leclerc : On ne l'a pas avec nous, mais on peut vérifier si cette information est disponible. D'ailleurs, quand on documente les cas, comme on le fait en ce moment avec Metro Vancouver, c'est un aspect dont on tient compte également.
L'autre aspect à examiner, c'est que, tout comme le TTC, certains de nos membres essayent d'obtenir des interdictions de monter à bord, tout simplement. Ils sont très impliqués, ils ont créé un nouveau poste seulement pour suivre ces cas. On aura donc des données encore plus détaillées dans les mois et les années à venir.
Le sénateur Boisvenu : Il serait intéressant de connaître le pourcentage de récidive, parce que, dans le fond, le projet de loi veut punir les gens qui commettent ce type de crimes, mais il a aussi comme objectif de réduire le taux de récidive. Il serait donc intéressant d'avoir des données à ce sujet et de les suivre sur une période de cinq ans — puisque les projets de loi sont normalement réévalués tous les cinq ans —, pour déterminer si ce projet de loi aura effectivement un effet sur la récidive. C'est surtout là qu'il faut intervenir.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Merci pour tous vos exposés. Je souhaite moi aussi féliciter le sénateur Runciman d'avoir parrainé ce projet de loi. Ce qui me plaît particulièrement dans ce projet de loi, c'est que le fait d'ajouter les mots « circonstance aggravante » place les conducteurs de véhicules de transport en commun sur un pied d'égalité avec les policiers lorsque le tribunal doit déterminer la peine à donner à un contrevenant. Par exemple, une infraction visant un agent de la paix constitue une circonstance aggravante, comme d'attaquer un agent de la paix, d'attaquer un agent de la paix avec une arme ou de causer des blessures, ou de commettre une voie de fait grave sur la personne d'un agent de la paix. Que tout cela est doux à nos oreilles.
Maintenant, comme vous l'avez dit, monsieur Leclerc, il semble qu'il y a un manque d'uniformité au Canada en ce qui concerne les peines infligées pour les attaques sur les conducteurs des transports en commun. Selon vous — et j'aimerais aussi avoir l'avis de nos autres témoins à ce sujet —, l'adoption de ce projet de loi permettra-t-elle d'uniformiser un tant soit peu la détermination des peines à cet égard?
M. Leclerc : À tout le moins, nous sommes d'avis que le projet de loi permettra d'assurer une plus grande uniformité. Le plus important, c'est qu'il procurera aux organismes de transport en commun un autre outil qu'ils pourront utiliser lorsqu'ils poursuivent les contrevenants. Voilà ce qu'il en est selon nous.
À propos de ce que vous avez dit concernant les circonstances aggravantes, plutôt que de simplement se pencher sur ce que la peine devrait être et en faire part aux juges, il y aurait toujours un bon équilibre entre les législateurs et la magistrature. Le sénateur Runciman l'a très bien exprimé en disant que ce projet de loi établit un équilibre entre le droit du Parlement d'orienter les tribunaux et le pouvoir discrétionnaire au moment de la détermination de la peine. C'est exactement ce qui est prévu. Nous sommes d'avis qu'il assurera une plus grande uniformité d'un bout à l'autre du pays.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Maheu, désirez-vous ajouter quelque chose?
M. Maheu : À l'heure actuelle, les juges peuvent considérer les agressions contre les chauffeurs d'autobus comme des circonstances aggravantes, mais ils ne sont pas tenus de le faire. Ce projet de loi les obligera au moins à considérer ces agressions comme des circonstances aggravantes, et c'est la raison pour laquelle il est important que nous soyons ici et qu'il soit adopté.
Le sénateur McIntyre : Les circonstances aggravantes sont énoncées à l'article 718.2 du code. Comme vous l'avez dit, les juges peuvent tenir compte de tous les facteurs aggravants au moment de la détermination de la peine, qu'ils soient expressément énumérés dans le code ou non. Cela dit, d'après mon expérience, ce n'est pas toujours ce qu'ils font, et c'est donc une bonne chose que ces circonstances soient très précisément énoncées dans le code.
Le vice-président : Ils doivent évidemment en tenir compte si elles sont dans le code. Un juge doit respecter ce qu'on y trouve.
Nous allons faire un deuxième tour de questions.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'ai une question très courte pour nos témoins.
Avez-vous considéré les conséquences de ces actes sur l'achalandage? Avez-vous considéré, du point de vue monétaire, ce que cela coûte aux compagnies de transport lorsque les employés doivent s'absenter du travail?
M. Leclerc : On n'a pas avec nous les données financières sur les congés de maladie. Chaque réseau de transport a ses données, qui leur sont confidentielles. Nous allons voir si nous pouvons obtenir ces données et les fournir au comité.
Plusieurs facteurs auront des répercussions sur l'achalandage. Quant à savoir si les attaques ont une conséquence directe sur l'achalandage, c'est difficile à déterminer.
Comme le chef Neil Dubord l'a mentionné, les passagers qui sont témoins d'une agression peuvent ressentir par la suite un sentiment d'anxiété ou d'inconfort. Certaines personnes peuvent effectivement décider de ne plus utiliser les transports collectifs.
L'autre aspect est que ces cas sont de plus en plus médiatisés. Par exemple, en ce moment, on a vraiment l'impression que prendre les transports collectifs dans la région de Vancouver n'est pas sécuritaire, alors que ce n'est pas le cas. Ces cas sont très médiatisés, parce qu'ils sont souvent très violents. C'est donc l'impact que cela a sur les usagers des transports collectifs.
Le sénateur Dagenais : Vous voulez ajouter quelque chose, madame Deans?
[Traduction]
Mme Deans : Oui, en effet. C'est une excellente question, et elle porte sur l'essence même de nos activités. La stratégie de transport en commun à long terme de la ville d'Ottawa et la planification des transports de la ville visent à améliorer notre répartition modale pour que davantage de personnes délaissent leurs voitures au profit des moyens de transport en commun.
Nous construisons une ville caractérisée par cette vision. Nous ne construisons pas de routes comme nous le faisions avant; nous construisons des infrastructures de transport en commun, notamment un réseau de transport urbain léger. À l'heure actuelle, à Ottawa, nous avons un système de transport en commun constitué de véhicules à moteur diesel et d'autobus à grande capacité. De plus, nous avons grandement amélioré notre flotte, tout cela dans le but que les gens délaissent leurs voitures au profit du transport en commun. C'est ce que les villes doivent faire d'un bout à l'autre du Canada; c'est un principe de croissance intelligent.
D'année en année, nous recueillons des données sur les impressions de nos usagers en matière de sécurité publique. Lorsque les gens ont l'impression que le transport en commun n'est pas sécuritaire, tout le système en souffre. Nous collaborons avec des organisations féminines et un certain nombre d'intervenants de notre collectivité pour qu'on se fasse une meilleure idée du niveau de sécurité, et la situation s'est améliorée à cet égard à Ottawa.
Pour y arriver, nous avons déployé beaucoup d'efforts et investi beaucoup de temps, mais une seule agression très médiatisée dont les tribunaux ne tiennent pas compte peut nuire à tout cela. Il est important pour nous que les tribunaux considèrent sérieusement cet aspect et que la peine soit proportionnelle à la gravité du crime.
La sénatrice Batters : J'aimerais faire un petit commentaire. Monsieur Maheu, j'ai bien aimé votre allusion à l'affaire Guitard. J'ai formulé les mêmes observations à l'intention d'un témoin qui a comparu devant le comité avant vous. Je m'étais dit qu'elles appuyaient fortement ce projet de loi. On cherchait seulement un moyen d'avoir ce genre d'outils au moment où on inculpe les gens. Je tenais seulement à vous remercier d'en avoir parlé. À mon avis, il s'agit d'une des principales raisons pour lesquelles le projet de loi donnera d'excellents résultats.
M. Maheu : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'ai une question pour Mme Deans. Vous travaillez pour la Commission du transport en commun de la Ville d'Ottawa, n'est-ce pas?
Mme Deans : Correct.
Le sénateur Boisvenu : Conservez-vous des données sur les délais d'intervention des policiers dans le cas d'une agression sur un chauffeur? Un des témoins précédents est une dame qui a été agressée dans la région de Toronto. Le délai d'intervention des policiers était d'environ 17 ou 19 minutes. Pour cette personne, ce délai d'intervention a paru long. Avez-vous des données sur les délais d'intervention?
[Traduction]
Mme Deans : Je n'ai pas apporté de chiffres, et je ne suis pas certain de la quantité de données disponibles que nous avons. Je crois que cette témoin vient d'Ottawa; c'était un de nos chauffeurs.
Notre maire adore montrer sur une carte que les villes de Vancouver, Calgary, Edmonton, Toronto et Montréal entrent toutes dans les limites de la ville d'Ottawa, du point de vue géographique. Nous avons un grand territoire.
Selon l'endroit où se trouve un de nos autobus, beaucoup plus de temps peut être nécessaire avant que la police du transport en commun ou de l'aide arrive sur les lieux. Je crois que la chauffeuse était à Greenboro, qui est une partie plus urbanisée de la ville, mais plus de temps pourrait être nécessaire selon l'endroit où sont les ressources, le moment de la journée, et le nombre de ressources disponibles, car certaines pourraient se trouver ailleurs.
Je pense que c'était un très long délai pour une urgence dans la ville d'Ottawa. Je ne pense pas que ce soit normal, mais, cela étant dit, je n'ai pas les données en main.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : On l'a dit plus tôt, souvent, une agression commise contre un chauffeur d'autobus ou de taxi peut mettre en péril la sécurité des clients. Est-ce une priorité pour le corps policier d'Ottawa d'intervenir rapidement lorsque se produit une agression dans un autobus ou dans un taxi, pour éviter que la situation ne dégénère? On peut être en présence d'un groupe de 10 ou 20 personnes dans un autobus. Est-ce une priorité pour le corps policier d'Ottawa?
[Traduction]
Mme Deans : Oui, bien sûr. Nous avons un système d'intervention à deux vitesses, ce qui veut dire qu'un appel serait reçu par le centre des opérations du transport en commun et qu'un constable spécial d'OC Transpo ou un agent de la police d'Ottawa serait envoyé sur place. De toute évidence, le degré de priorité accordé à l'appel dépendrait de la nature de l'agression ou du crime.
Le vice-président : Nous remercions beaucoup nos témoins de leurs excellents exposés. Vous pouvez rester à la table si vous le désirez. L'adoption du projet de loi par le comité prendra seulement quelques minutes.
Plaît-il au comité de procéder à l'étude article par article du projet de loi S-221, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun)?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'étude du titre est-elle réservée?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : L'article 1 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Les membres du comité souhaitent-ils examiner la possibilité d'annexer des observations au rapport?
Des voix : Non.
Le vice-président : Vous plaît-il que la présidence, le sénateur Runciman, qui a demandé l'adoption rapide du projet de loi, en fasse rapport au Sénat? Êtes-vous d'accord?
Des voix : D'accord.
Le vice-président : Voilà qui met fin à nos travaux. Nous souhaitons remercier tous les témoins.
Le projet de loi passe maintenant à l'étape de la troisième lecture au Sénat. Le sénateur Runciman a déjà réalisé des progrès auprès de tout le monde en espérant qu'il soit adopté rapidement. Nous avons beaucoup de respect pour le sénateur Runciman et son jugement après avoir entendu les exposés d'aujourd'hui.
(La séance est levée.)