Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 17 - Témoignages du 24 septembre 2014
OTTAWA, le mercredi 24 septembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac), se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, afin d'en étudier la teneur.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, aux témoins et aux membres du public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac).
Selon son sommaire, le projet de loi C-10 modifierait le code afin de créer une nouvelle infraction de contrebande de tabac et d'établir des peines minimales d'emprisonnement obligatoires en cas de récidive dans la contrebande de grandes quantités de tabac. Nous en sommes à notre deuxième séance sur ce projet de loi.
Dans notre premier groupe de témoins, nous accueillons aujourd'hui M. Stuart Wuttke, conseiller juridique, Assemblée des Premières Nations; M. Donald Maracle, chef, Mohawks de la baie de Quinte; Mme Gina Deer, chef, Caucus iroquois; M. Allen McNaughton, chef, et M. Aaron Detlor, conseiller juridique, Haudenosaunee Confederacy Chiefs Council; et Mme Kris Green, représentante, Haudenosaunee Trade Collective.
Nous allons commencer par entendre la déclaration préliminaire de M. Wuttke.
Stuart Wuttke, conseiller juridique, Assemblée des Premières Nations : Bonjour. Je suis conseiller juridique auprès de l'Assemblée des Premières Nations. Je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à prendre la parole sur ce projet de loi.
D'emblée, je dirai que l'Assemblée des Premières Nations s'oppose aux modifications proposées, et ce, pour un certain nombre de raisons, sur lesquelles je reviendrai. Après avoir rapidement examiné les faits et le projet de loi, l'Assemblée des Premières Nations estime qu'il s'agit en fait d'une question de taxes, et pas nécessairement d'une question qui concerne les tribunaux criminels et le droit pénal.
Le tabac est en soi une ressource indigène des Amériques que les Premières Nations et d'autres peuples autochtones ont cultivée et dont ils ont fait le commerce pendant des siècles avant l'arrivée des Européens. Le commerce du tabac a été bien documenté et a été exercé par les peuples autochtones tout au long de l'histoire. Par conséquent, bien des Premières Nations estiment que le commerce du tabac est un droit ancestral, peut-être un droit issu de traités. Selon nous, il y a une obligation de consulter en ce qui concerne les modifications proposées au Code criminel.
Nous croyons que si ces modifications sont adoptées, elles porteront atteinte au droit des Premières Nations de faire le commerce du tabac. C'est la première raison pour laquelle l'Assemblée des Premières Nations s'y oppose.
Au sujet des recettes provenant de la taxe sur le tabac, l'Assemblée des Premières Nations est d'avis que ce sont les taxes qui sont au cœur de cette question. Nous savons que la taxe sur le tabac génère des recettes importantes pour les gouvernements fédéral et provinciaux. Entre 2001 et 2008, le gouvernement fédéral a perçu environ 204 milliards de dollars en taxes seulement sur le tabac, d'après l'information que nous avons reçue. Les recettes fiscales fédérales étaient d'environ 31,1 milliards de dollars en 2005, mais elles ont diminué au fil des ans.
Nous estimons que la contrebande du tabac peut contribuer à cette diminution. Un rapport révèle que le Canada a perdu environ 2,5 milliards de dollars par année à cause de la contrebande. L'Ontario et le Québec perdent respectivement 500 et 300 millions de dollars chacun.
Les gouvernements subissent manifestement de la pression en ce qui a trait à la contrebande de tabac, mais encore une fois, c'est une question de taxation; cela ne justifie pas, selon nous, des accusations criminelles. Pour nous, franchir certaines frontières en transportant du tabac ne justifie pas une peine criminelle, des accusations criminelles, l'emprisonnement.
En ce qui concerne la criminalisation du commerce du tabac, nous croyons que le projet de loi C-10 ciblerait et criminaliserait principalement les peuples des Premières Nations. Cela découle de la définition même de la contrebande du tabac qui est utilisée par la GRC; on la trouve dans certains de vos documents et de vos rapports.
Les modifications proposées au Code criminel obligent les tribunaux à imposer des peines minimales obligatoires pour la contrebande de tabac, que ce soit à la suite du transport, de la vente, de la possession ou aux fins de la vente de produits du tabac non estampillés. L'APN s'oppose aux peines minimales obligatoires, qui ne contribuent pas à l'atteinte de l'objectif, soit la dissuasion, étant donné que les longues périodes d'incarcération augmentent la probabilité de récidive. Cela se traduira par de longues périodes d'incarcération de délinquants moins coupables, ce qui nuira considérablement aux personnes démunies et marginalisées, comme les membres des Premières Nations. Cela aura des conséquences disproportionnées sur les membres des Premières Nations, qui sont déjà largement surreprésentés dans les pénitenciers à cause des peines plus sévères, et cela portera atteinte aux principes de la proportionnalité ou de l'individualisation des peines.
Nous soulignons qu'en 1995, le Parlement a adopté l'article 718 du Code criminel. À l'alinéa 718.2d), le tribunal a l'obligation d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes « avant d'envisager la privation de liberté ». L'alinéa 718.2e) du Code criminel prévoit « l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones ».
Nous estimons que les peines minimales obligatoires peuvent faire obstacle à l'application de cet élément précis du Code criminel. Les peines devraient être adaptées aux délinquants des Premières Nations; lorsqu'ils se retrouvent devant les tribunaux, on devrait tenir compte de tous les facteurs liés aux politiques mises en place par le gouvernement fédéral, qu'il s'agisse des pensionnats indiens, des rafles des années 1960, de la pauvreté dans laquelle se trouvent de nombreuses Premières Nations. Selon nous, l'imposition de peines minimales obligatoires peut empêcher que cela se produise ou qu'un juge prenne ces facteurs en considération.
Nous avons fait parvenir un mémoire à la greffière; nous espérons que vous en obtiendrez une copie sous peu.
En conclusion, l'Assemblée des Premières Nations vous a soumis des documents et un certain nombre de recommandations, que je vous invite à prendre en considération; elles figurent dans notre mémoire. En bref, l'Assemblée des Premières Nations s'oppose au projet de loi pour les raisons suivantes : le Canada criminalise des activités alors que selon nous, c'est davantage une question de taxation qu'une question de nature criminelle; rien ne prouve que les peines minimales réduiront le commerce du tabac ou auront un effet dissuasif; le fait que la culture du tabac n'est pas un crime au Canada; les modifications auront un effet négatif disproportionné sur les peuples autochtones; les collectivités les plus touchées seront celles qui ont toujours fait valoir le plus activement leur souveraineté et leurs droits; et si le gouvernement canadien cible ce type d'activités dans les collectivités des Premières Nations, il pourrait nuire au développement économique des Premières Nations.
Nous tenons à souligner que la vente de tabac engendre beaucoup de retombées dans les collectivités des Premières Nations, et je sais que d'autres témoins en ont parlé au comité.
Merci.
R. Donald Maracle, chef, Mohawks de la baie de Quinte : Bonjour. Je suis le chef élu des Mohawks de la baie de Quinte. Je vous remercie d'avoir accepté que nous témoignions devant le comité sénatorial aujourd'hui.
Le gouvernement fédéral a l'obligation de consulter. Dans ce cas-ci, la mesure législative a une incidence directe sur notre collectivité et nos droits. On ne nous a pas consultés avant la rédaction du projet de loi. Le Caucus iroquois a déjà demandé de témoigner devant le comité permanent de la Chambre des communes, ce qui lui a été refusé. Seuls des représentants d'Akwesasne et de Kahnawake ont pu comparaître et faire des exposés.
Le gouvernement fédéral estime que le fait de comparaître à quelques audiences du Sénat et de la Chambre des communes avant l'adoption du projet de loi constitue une consultation adéquate. Il ne s'agit pas d'une véritable consultation; en fait, ce n'est pas du tout une consultation. Nous avons dû demander de comparaître devant un comité, que ce soit un comité de la Chambre des communes ou du Sénat, et espérer être choisis pour venir exprimer nos préoccupations. La participation au processus du comité permanent ne constitue pas une consultation. Une consultation ne doit pas faire l'objet d'une sélection; elle doit inclure tous ceux qui souhaitent y participer, ainsi que ceux qui sont les plus directement touchés.
En ce qui concerne cette mesure législative, le gouvernement n'applique aucune de ses propres politiques relativement à la consultation des Premières Nations. Des consultations devraient avoir lieu, non seulement avec les organisations et les gouvernements des Premières Nations, mais aussi avec les entreprises des Premières Nations et leurs employés, qui se retrouveront au chômage.
Nous faisons la culture et le commerce du tabac depuis des siècles. Le projet de loi ne tient pas compte du commerce historique auquel notre peuple s'est livré avec d'autres nations, ainsi qu'avec les Européens qui sont venus s'installer ici. Le commerce historique est devenu l'économie d'aujourd'hui dans les collectivités des Premières Nations. Nous n'avons jamais renoncé à notre droit de faire le commerce du tabac. Le gouvernement a simplement constaté que nos membres vivent raisonnablement bien de ce commerce et qu'il perçoit moins de taxes. C'est une question économique que ce projet de loi criminalise.
Notre peuple a le droit de participer à la production, au transport, au commerce et à la vente des produits du tabac, que ce soit à des fins personnelles, cérémonielles ou économiques. Puisque le tabac fait partie de notre culture, le commerce du tabac est un droit ancestral au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle.
Le gouvernement canadien craint que les cigarettes fabriquées par les Autochtones entraînent une perte de recettes fiscales et de soutien politique de la part des entreprises non autochtones et de leurs partisans. Les Premières Nations considèrent le commerce du tabac comme un moteur économique, comme l'exercice de leur droit de créer une économie et de réduire la pauvreté des Premières Nations. La réglementation et l'attribution de permis pour le commerce du tabac relèvent de la compétence des Premières Nations. Les Mohawks de la baie de Quinte délivrent actuellement des permis aux entreprises pour faire le commerce du tabac en vertu d'une convention avec la Division du tabac du ministère des Finances de l'Ontario en vigueur depuis le début des années 1980.
L'adoption du projet de loi C-10 aura des conséquences négatives sur nos familles et nos collectivités et il fera augmenter le chômage et la pauvreté. Il risque aussi d'engendrer beaucoup de tensions sociales et politiques.
Nous avons actuellement 41 entreprises enregistrées qui vendent des produits du tabac par le système de quotas. Certaines d'entre elles ne vendent que les cigarettes assujetties au système de quotas, alors que d'autres vendent les cigarettes fabriquées par les Autochtones, que le projet de loi C-10, par définition, visera et qualifiera de tabac de « contrebande ».
Toute mesure d'application de la loi relativement à ce que le gouvernement considère comme de la contrebande de tabac aura une incidence sur les entreprises, les personnes, les familles, notre collectivité et, au bout du compte, les collectivités avoisinantes. Nos membres qui travaillent dans le commerce du tabac perdront leur emploi et leur revenu, et certains seront obligés de déclarer faillite. Même ceux qui effectuent le transport pourraient décider de ne pas participer au commerce des cigarettes et ainsi perdre leur revenu. Certains prennent part à ces activités commerciales parce qu'ils n'arrivent pas à trouver du travail ailleurs.
Sur le plan économique, le projet de loi C-10 aura comme conséquence de faire augmenter le nombre de prestataires d'aide sociale et de placer de nombreuses familles dans une situation économique difficile; elles seront incapables de payer leur loyer ou leur hypothèque et leurs factures de services publics. Actuellement, notre taux d'aide sociale est inférieur à celui du comté de Hastings. La perte de revenus d'emploi se fera sentir non seulement dans notre collectivité, mais aussi à l'extérieur, dans les entreprises avoisinantes qui tirent profit du commerce avec les collectivités des Premières Nations. Le chômage fera augmenter les coûts du programme Ontario au travail pour le gouvernement de l'Ontario; il engendrera des tensions dans les relations familiales, l'éclatement des familles et possiblement une augmentation de la violence familiale.
Le gouvernement fédéral devrait collaborer avec les Premières Nations afin de mettre en place un processus réglementaire pour soutenir et renforcer les économies autochtones au lieu d'adopter les mesures oppressives et punitives proposées dans le projet de loi C-10.
L'économie des Premières Nations n'a pas autant de valeur pour le gouvernement du Canada et les provinces que les entreprises hors réserve. Par exemple, quand le gouvernement fédéral a incité les agriculteurs du sud-ouest de l'Ontario à cultiver autre chose que du tabac, il les a payés pour le faire. Or, lorsqu'il s'agit de l'économie des collectivités des Premières Nations, la solution du gouvernement est de criminaliser les activités. Je dois souligner que la plupart des réserves ont un taux de chômage très élevé et dépendent beaucoup du soutien social sur plusieurs plans. Les Mohawks de la baie de Quinte ont un faible taux de chômage, de bons logements et un programme hypothécaire efficace.
En 1996, le gouvernement fédéral a imposé un plafond de croissance budgétaire de 2 p. 100 pour une courte période, mais ce plafond n'a jamais été éliminé par le ministère des Affaires indiennes. Près de 20 ans plus tard, la limite de croissance budgétaire de 2 p. 100 est toujours en vigueur. Cette situation a entraîné un manque à gagner pour les services liés au programme, ce qui nuit à la prestation de services à une population croissante.
Le projet de loi C-10 perpétuera la marginalisation constante des peuples des Premières Nations. Le projet de loi C-10 est considéré par les Premières Nations comme une sanction sévère et inusitée pour avoir exercé leur droit de créer une économie locale.
Le projet de loi prévoit des peines minimales pour les récidivistes. Les dispositions relatives aux peines minimales obligatoires d'emprisonnement vont à l'encontre du jugement rendu dans l'arrêt Gladue et de l'article 718.2 du Code criminel. Le Code criminel a déjà été modifié afin de respecter les principes énoncés dans la décision Gladue.
L'imposition de peines minimales risque de faire entrer davantage de membres des Premières Nations dans le système de justice et le système carcéral, où ils sont déjà surreprésentés. Les répercussions du projet de loi C-10 sur le plan social et économique pourraient être graves, importantes et dommageables pour les relations entre les Premières Nations et les gouvernements fédéral et provinciaux.
Les collectivités des Premières Nations subissent déjà les répercussions multigénérationnelles du régime des pensionnats indiens et de la rafle des années 1960. Les enfants qui ont été pris en charge ont souffert de problèmes d'identité et ils ont parfois eu de la difficulté à développer leurs aptitudes parentales. Certains de nos membres pourraient subir les mêmes répercussions s'ils se retrouvent au chômage ou en prison. Ces répercussions se font sentir durant plusieurs générations.
Les Mohawks de la baie de Quinte s'opposent à l'adoption du projet de loi C-10 parce qu'il va à l'encontre de notre utilisation traditionnelle du tabac et de notre droit d'en faire le commerce. Nous n'avons jamais renoncé à ce droit.
Les conséquences seront dévastatrices pour notre économie. Le commerce du tabac crée des possibilités d'emploi qui favorisent grandement le bien-être économique et la croissance future de nos peuples.
Les Mohawks de la baie de Quinte s'opposent à l'adoption du projet de loi C-10 et ils estiment qu'il devrait être retiré. Une consultation adéquate des gouvernements et des entreprises des Premières Nations est nécessaire afin que les législateurs puissent prendre des décisions éclairées au sujet de la violation des droits et de la compétence des Premières Nations et des répercussions économiques possibles. Si nous collaborons pour élaborer un processus de réglementation qui respecte les droits des Premières Nations, les résultats seront plus positifs, et les relations entre les Premières Nations et les gouvernements s'en trouveront améliorées.
Gina Deer, chef, Caucus iroquois : Bonjour. Merci de m'avoir invitée. Je suis ici aujourd'hui au nom du Caucus iroquois, composé de sept collectivités iroquoises représentant environ 70 000 membres des Premières Nations.
Ce qui préoccupe le Caucus iroquois au sujet de ce projet de loi, au risque de répéter ce qu'on a déjà dit, ce sont nos droits. Dans le passé, le tabac appartenait aux Premières Nations. Nous estimons disposer d'un droit ancestral, d'un droit inhérent et absolu au commerce du tabac. Maintenant, ce projet de loi criminalise l'utilisation que nous faisons du tabac depuis toujours; nous l'avons utilisé à diverses fins, pas seulement pour les cérémonies, mais aussi pour le commerce et le troc, ainsi qu'à des fins personnelles.
Le projet de loi C-10 a des conséquences directes sur les Premières Nations, car tout au long des audiences, on vous a dit que les points chauds sont l'Ontario et le Québec. Ils englobent la plupart des collectivités qui font partie du Caucus iroquois. Dans ces collectivités, il y a des gens qui travaillent dans cette industrie qui savent que c'est un droit inhérent et qu'ils ne contreviennent pas à la loi parce que nous avons un lien ancestral avec le tabac. Ce sont ces personnes qui transportent le tabac d'une collectivité des Premières Nations à une autre. Ce sont ces gens qui se font intercepter et arrêter. Voilà pourquoi nous disons que le gouvernement a l'obligation de consulter, car cela aura effectivement des conséquences directes sur nos collectivités et nos membres.
Nous, les membres des Premières Nations, l'avons répété à maintes reprises au cours des audiences. Quelqu'un m'a dit : « Pourquoi vas-tu là-bas? Cela ne sert à rien. Peu de choses ont été faites. Le projet de loi progresse. » Mais ensuite, un ancien m'a appelée et m'a dit : « Oui, Gina, vas-y. Cela démontre notre opposition. »
Dans des décisions récentes, la Cour suprême du Canada a parlé de l'obligation de consulter. Elle a mentionné l'honneur de la Couronne et l'obligation de consulter. Mais ce n'est pas ce qui se produit ici aujourd'hui, même si nous sommes présents. Ce n'est pas une consultation, car une consultation est censée se tenir au début, avant que le projet de loi en soit à cette étape-ci. Ce n'est pas ce qu'on a fait. Et la Cour suprême du Canada le dit, ainsi que les Premières Nations.
Dans les lois internationales, par exemple dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, on dit que la communauté internationale reconnaît et appuie le droit d'assurer notre développement économique, social et culturel.
Il est question ici de ce droit de se développer sur le plan culturel, social et économique.
Nous parlons des coûts pour le gouvernement. Où faut-il commencer? Les coûts sont astronomiques. Il y a un manque à gagner en taxes, mais des sommes ont aussi été consacrées aux forces policières. Le gouvernement limite le financement accordé aux Premières Nations, alors que le coût de la vie ne cesse de grimper. Dans ma collectivité, par exemple, nous avons une entente de 10 ans qui a été gelée. Autrement dit, nous ne recevrons rien de plus que ce qui est prévu dans l'entente. Nous devons donc augmenter nos revenus et nous le faisons au moyen d'une pratique traditionnelle, soit le commerce du tabac.
Quand vous parlez d'éliminer le crime organisé, sachez qu'au sein de ma collectivité, nous travaillons à une réglementation et à une loi, car nous estimons aussi que le crime organisé ne devrait pas tirer profit de ce qui constitue notre droit de faire le commerce.
Ce processus a commencé à Kahnawake, et toutes les collectivités mohawks voient ce que nous faisons. Nous croyons que nous devons négocier avec le gouvernement une sorte d'accord afin qu'il reconnaisse d'abord nos droits et qu'il nous consulte dorénavant sur toute décision qui aura une incidence directe sur les Premières Nations. Il faut un dialogue avec le gouvernement, car n'oublions pas que le gouvernement fédéral a accordé des permis, à Kahnawake, pour la fabrication de produits du tabac sans consulter les provinces. Cette activité était tout simplement vouée à l'échec, car lorsque ces produits étaient transportés, cela devenait un crime.
Je demande que ce projet de loi ne soit pas adopté en raison des décisions rendues par le tribunal, plus particulièrement par la Cour suprême du Canada, selon laquelle il y a une obligation de consulter qui n'a pas été respectée et qui doit l'être avant que le projet de loi ne soit adopté.
Allen MacNaughton, chef, Haudenosaunee Confederacy Chiefs Council : Bonjour. Je détiens le titre de Tekarihogen du Confederacy Chiefs Council, qui est l'organe législatif des Haudenosaunee. Ma nation est Mohawk, et je suis le principal représentant des Haudenosaunee dans les négociations sur les droits territoriaux avec la Couronne du chef du Canada et l'Ontario. Je vous suis reconnaissant de me donner l'occasion d'exprimer le point de vue de notre conseil.
Nos traités et nos activités commerciales ont toujours été négociés dans le cadre de discussions internes et externes visant le règlement pacifique des différends. De nombreuses nations autochtones ont conclu entre elles des traités qui datent d'avant l'arrivée des Européens et qui continuent de s'appliquer aujourd'hui. Ces traités comprennent des relations commerciales qui servent de voies de communication entre nos collectivités où se font les échanges et le commerce. Nous sommes ici pour vous rappeler que notre histoire commune nous offre un mécanisme par lequel nous pouvons entamer un dialogue ouvert, honnête et respectueux.
Ces audiences sénatoriales montrent clairement qu'il n'y a eu aucune consultation, aucune discussion, ni aucune rencontre préalables avec notre Haudenosaunee Confederacy Chiefs Council. L'imposition arbitraire et oppressive de lois unilatérales par le gouvernement canadien n'est plus une pratique acceptable en cette époque où priment les droits de la personne.
En l'absence de telles consultations auprès du Haudenosaunee Confederacy Chiefs Council, nous considérons que le ministère de la Justice du Canada et le projet de loi C-10 ne respectent pas les traités de paix, d'amitié et de non-ingérence de la Chaîne d'alliance et du Traité du wampum à deux rangs, et qu'ils ne sont pas non plus conformes aux lois internationales.
Permettez-moi de vous rappeler qu'après des années de pressions internationales, le Canada a accepté d'adhérer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ces audiences sénatoriales ne doivent en aucun cas être considérées comme une forme de consultation valable auprès du Haudenosaunee Confederacy Chiefs Council. On ne tient aucunement compte de nos droits inhérents à faire le commerce, énoncés dans les traités ou les lois internationales ou la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui traite du droit individuel et collectif à une économie, et l'interprétation que fait la Cour suprême de votre Constitution.
Les sénateurs, à titre de représentants politiques de la Couronne, ont la responsabilité de défendre l'honneur de la Couronne. L'honneur de la Couronne n'est pas protégé si les gouvernements n'assument pas les responsabilités constitutionnelles relatives à nos traités ou s'ils imposent des lois arbitraires et unilatérales. En réalité, le projet de loi C-10 n'est qu'une autre tentative de criminaliser les droits et les peuples autochtones, une pratique coloniale dont le Canada s'est servi pour prospérer sur le plan politique, financier et international, et pour devenir l'un des pays les plus riches au monde. Ces actes d'oppression perpétuent la pratique coloniale qui brime et anéantit les droits, l'économie et l'ethnicité des Autochtones.
Le Canada adopte actuellement une attitude de confrontation qui pourrait provoquer des réactions qui ne seraient avantageuses pour personne. Toute tentative pour faire appliquer ce plan se heurtera certainement à une résistance devant les tribunaux et sur le terrain. En réalité, ce projet de loi permet de protéger les intérêts financiers des grandes compagnies de tabac étrangères. Ces compagnies influent sur notre économie, nos emplois et notre commerce intérieur, et nous devons en discuter. Ces questions préoccupent beaucoup les chefs de paix.
Les peuples autochtones cultivent et utilisent le tabac à des fins cérémonielles et commerciales depuis des temps immémoriaux. Le Confederacy Chiefs Council des Six Nations l'a indiqué dans la Chaîne d'alliance et le Traité du wampum à deux rangs, et il conserve le droit et la responsabilité d'adopter des lois pour ses propres citoyens, ses terres et son commerce.
Aujourd'hui, nous croyons que le temps est venu de travailler de manière honorable, diplomatique et pacifique dans l'intérêt des peuples et des moyens de subsistance de nos nations. Nous vous invitons à engager un dialogue pacifique et respectueux avec la confédération.
C'est tout ce que j'ai à dire pour l'instant.
Le président : Merci, chef.
Kris Green, représentante, Haudenosaunee Trade Collective :
[Mme Green s'exprime dans une langue autochtone.]
Je m'appelle Kris Green et je suis une Mohawk du clan de l'Ours. Je suis aussi la porte-parole de Haudenosaunee Trade Collective, un groupe de manufacturiers au sein du territoire des Six Nations qui fabrique un produit du tabac pour un marché intérieur. Je vous ai remis un mémoire du collectif qui fournit beaucoup de renseignements. J'espère que vous prendrez le temps de le lire, car nous tentons de dissiper certains mythes et d'éclaircir des choses qui ont été dites au sujet de notre peuple par rapport au commerce du tabac.
J'ai eu l'occasion d'examiner le compte rendu de la séance du 18 septembre, plus précisément le témoignage de M. Saint-Denis. Il a mentionné sans ambages qu'aucune consultation des provinces ou des Autochtones n'était menée. Il s'est exprimé sans détour. M. Saint-Denis et le Sénat ont maintenant des données probantes selon lesquelles ce projet de loi aura des répercussions considérables sur nos collectivités, notre peuple et nos droits. Vous n'avez pas discuté avec nous, et tout ce que nous voulons, c'est vous parler. Comme l'a dit la chef Deer, nous aurions discuté avec vous avant d'en arriver là — à vrai dire, des années plus tôt —, pas à la fin alors que c'est un fait accompli.
Mesdames et messieurs les sénateurs, votre comité est tenu de préserver de manière indépendante l'honneur de la Couronne, car le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ne l'ont pas fait. Vous devez assumer cette obligation. Vous pouvez le faire de manière indépendante. C'est ce que nous ont dit certains des sénateurs avec qui nous avons parlé. Nous espérons que vous allez prendre cette obligation au sérieux et que vous allez faire un second examen objectif de la façon dont le Sénat tout entier et ce gouvernement se sont entretenus avec les Premières Nations au sujet de cette question et d'autres enjeux.
De quelle façon allez-vous vous acquitter de vos obligations envers les peuples autochtones quand il est prouvé que vous ne nous avez pas consultés? Venir nous parler maintenant ou nous laisser vous aborder, car c'est ce que nous avons fait — nous vous avons abordés —, ne suffit pas.
Je me suis réjouie de voir le sénateur Tannas dans la communauté la semaine dernière. J'aurais aimé avoir le temps de le rencontrer et de lui montrer ce que nous faisons. Nous aimons ce genre d'occasions. Il n'y a rien de mal dans cette façon de faire. Nous voulons que vous voyiez ce qui se passe de bon dans nos collectivités et ce que nous pouvons faire nous-mêmes. Nous pouvons être autonomes, sans ingérence, sans criminalisation et sans lois mises en œuvre sans tenir compte de nos droits en tant que peuple. Nous sommes les Premières Nations. Tout ce que nous demandons, c'est que vous honoriez les obligations énoncées dans de nombreuses lois, dans la Constitution et dans des décisions de la Cour suprême.
Nous vous demandons d'examiner sérieusement ce que vous vous apprêtez à faire dans nos collectivités. Cette semaine et la semaine dernière, vous avez entendu de nombreux témoignages, et ce n'est que la pointe de l'iceberg. Dans d'autres collectivités autochtones du pays, nous entendons toujours parler de nos mauvaises conditions. Nous avons une économie que nous faisons valoir.
Par conséquent, voici ce que nous recommandons à votre comité et au Sénat : que M. Saint-Denis comparaisse de nouveau pour déterminer pourquoi Justice Canada n'a pas défendu l'honneur de la Couronne, alors que le ministère et votre comité savent, concrètement et par imputation, que le projet de loi aurait une incidence sur les droits ancestraux reconnus des peuples Onkwehonwe; et que votre comité exerce son autorité afin de défendre l'honneur de la Couronne en ajournant les travaux en cours d'ici à ce que le Sénat et les membres du comité se soient acquittés de leurs obligations respectives de s'engager de bonne foi à mener des consultations et à assumer leurs responsabilités fiduciaires dans le but de favoriser la réconciliation entre tous nos gouvernements, de manière à ce que les Premières Nations puissent reconnaître que le Sénat est une institution indépendante du pouvoir exécutif fédéral.
Je vous remercie de votre temps, car, comme je l'ai dit, c'est un enjeu important; nous voulons seulement être entendus. Nous voulons discuter avec vous.
Aaron Detlor, conseiller juridique, Haudenosaunee Confederacy Chiefs Council : Mon nom est Aaron Detlor; je suis avocat et Mohawk. Je suis très honoré d'être accompagné de mon chef, des Mohawks de la baie de Quinte, et du chef de ma confédération.
La seule chose que je tiens vraiment à porter à votre attention concerne le témoignage de M. Saint-Denis. Juste avant qu'il affirme qu'aucune consultation n'était menée, il a dit quelque chose qui témoigne de l'approche du gouvernement dans ce dossier. Il a dit : « Nous avons parlé à la famille fédérale. » Il a ensuite énuméré les ministères avec qui ils se sont entretenus, comme Sécurité publique et Justice Canada. Devinez qui a été exclu de la famille fédérale. Il a exclu ses homologues fédéraux, les Onkwehonwe, le peuple autochtone de ce territoire. Il les a complètement laissés pour compte, et cela en dit très long sur son approche. Il a dit : « Nous avons parlé à la famille fédérale. » Mais il n'a pas parlé à tout le monde. Il a expressément exclu un des plus importants membres fondateurs de ce qui est censé être la famille fédérale : les peuples autochtones du Canada. Voilà ce qui n'a pas été abordé.
La question qui se pose maintenant est la suivante : quel est le rôle du Sénat? C'est une période intéressante pour cette institution. Est-ce un organisme indépendant? Le Sénat est-il un organisme indépendant qui défendra l'honneur de la Couronne? Comme ma collègue vous l'a dit, nous nous penchons sur une question précise. Pour les Autochtones du Canada, ce qui importe vraiment, c'est de savoir si le Sénat interviendra et commencera à honorer la relation entre les diverses parties concernées, s'il agira réellement comme une Chambre haute et comment il peut jouer ce rôle.
[M. Detlor s'exprime dans une langue autochtone.]
Le président : Nous avons une longue liste de sénateurs qui souhaitent poser des questions. J'encourage les sénateurs et les témoins à être le plus concis possible. Il sera parfois difficile de répondre brièvement, mais nous aimerions que le plus grand nombre de sénateurs possible ait l'occasion de poser des questions pendant le peu de temps dont nous disposons. Nous allons commencer par le vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Merci aux témoins de leurs excellents exposés. Je félicite les chefs du travail qu'ils font dans les collectivités autochtones.
Pour ne pas avoir à intervenir une seconde fois, je vais poser toutes mes questions en même temps, et vous pourrez ensuite y répondre.
Tout d'abord, vous avez tout à fait raison de dire que ce projet de loi va à l'encontre de l'alinéa 718.2e) du Code criminel du Canada, qu'il n'en tient aucunement compte. Vous avez tout à fait raison, et espérons que la Cour suprême du Canada aura l'occasion de se prononcer sur la légalité de cette mesure.
Vous dites que ce projet de loi vise à créer une infraction criminelle pour le tabac non emballé à moins qu'il soit estampillé conformément au libellé de l'article 2 de la Loi de 2001 sur l'accise. Vous dites que le tabac qui est visé par cette mesure est le même tabac qui est utilisé dans les collectivités autochtones du fait que l'exigence de l'estampillage est différente si le tabac est utilisé dans la collectivité plutôt qu'à l'extérieur de celle-ci. Le projet de loi vous touchera donc plus que qui que soit d'autre au Canada.
Monsieur Maracle, vous avez dit qu'on trouve deux sortes de tabac dans un point de vente au détail, et que la deuxième sorte est celle qui sera criminalisée. J'aimerais que vous nous donniez des précisions à ce sujet.
Madame Deer, vous avez dit que le gouvernement fédéral a délivré des permis pour la fabrication dans les collectivités autochtones. Nous pensions que les permis de fabrication vous étaient accordés par l'autorité provinciale, pas par l'autorité fédérale.
Ma dernière question est la suivante : les Premières Nations ont-elles la capacité et l'autonomie nécessaires pour réglementer les produits du tabac et préserver l'ordre public? Madame Green, monsieur Detlor, je suppose que vous êtes les experts dans ce domaine, et nous pourrions commencer avec vous.
M. Detlor : Depuis des temps immémoriaux, des peuples autochtones ont préservé l'ordre public. Si l'objectif du projet de loi est de créer des milieux sûrs et des collectivités sécuritaires, tant pour les peuples autochtones que leurs voisins, l'histoire a montré que la meilleure façon d'y arriver est de collaborer de bonne foi pour élaborer un processus de réglementation qui convient aux collectivités indiennes. Je vais employer le mot « Indien » pour le moment.
Le sénateur Baker : Oui, conformément à la Loi sur les Indiens.
M. Detlor : C'est ainsi qu'on va de l'avant, car c'est la méthode qui s'est révélée la plus efficace, pas l'approche descendante qui dit simplement : « Nous allons criminaliser votre conduite et vos activités, et ce que nous essayons vraiment de faire en procédant ainsi est d'assurer une part de marché pour les multinationales étrangères. » Au bout du compte, ce qu'on essaie vraiment de faire, c'est de trouver une façon détournée de bénéficier d'une exemption aux articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, qui stipulent qu'un Indien a le droit d'acheter du tabac exonéré de taxes. Maintenant, si je veux faire valoir les droits que me confèrent les articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, cela fait de moi un criminel; je suis passible d'une peine d'emprisonnement.
Je vais m'en tenir à cette réponse pour ce qui est de l'ordre public, et je vais laisser Mme Green ou Mme Deer répondre à vos premières questions.
M. Maracle : Au début des années 1980, la question du tabac est devenue un enjeu pour les communautés autochtones. Les membres des Premières Nations comprennent la proclamation royale, un document auquel il est fait allusion dans la Constitution du Canada, et ils savent que la Constitution garantit leur droit d'entretenir des relations commerciales avec des sujets britanniques pourvu qu'ils obtiennent un permis à cette fin. À ma connaissance, cela fait toujours partie de la Constitution du Canada.
C'est pourquoi nous avons rencontré le représentant de la Couronne, la province de l'Ontario, qui était l'organisme de réglementation. À l'époque, Don Roselle était sous-ministre adjoint. Le chef Earl Hill, les membres du conseil et moi l'avons rencontré, et l'entente conclue à cette occasion était que le conseil élu des Premières Nations donnerait un permis à ceux qui veulent faire le commerce du tabac. Tout ce que la province de l'Ontario a demandé au conseil de faire était de reconnaître qui avait le droit d'acheter du tabac à un grossiste à des fins commerciales. C'est la convention à laquelle on adhère en Ontario depuis le début des années 1980. Pour nous, il s'agit d'une garantie constitutionnelle : nous avons le droit, en tant que nation autochtone, d'avoir des relations commerciales avec d'autres personnes qui vivent dans ce pays.
Le système de quota élaboré...
Le président : Nous devons passer au prochain intervenant. Je vous rappelle encore une fois d'essayer d'être le plus concis possible.
Le sénateur White : Merci à chacun de vous d'être ici aujourd'hui. Ma question porte sur l'endroit où on fait actuellement pousser le tabac qui serait visé par cette mesure législative, si elle est adoptée, pas nécessairement l'endroit où il est vendu, mais celui où on le fait pousser, et sur l'endroit d'où il provenait au départ. Monsieur Maracle, si vous voulez répondre, il serait utile de commencer par là.
Mme Green : Pour ce qui est du tabac de notre communauté, nous le faisons pousser nous-mêmes sur le territoire des Six Nations.
Le sénateur White : Deuxièmement, j'aimerais savoir combien de producteurs mènent actuellement leurs activités dans le respect de la loi, que ce projet de loi soit adopté ou non. Quel est le pourcentage de producteurs?
Mme Green : Cela dépend de ce que vous entendez par là. En ce qui nous concerne, nous menons tous nos activités dans le respect de la loi.
Le sénateur White : Dans le respect de la loi en ce qui vous concerne.
Mme Green : Je suppose alors que nous avons ne voyons pas les choses de la même manière.
Le sénateur White : Je comprends.
Mme Green : À propos des permis, Grand River Enterprises en détient un, tout comme un autre fabricant des Six Nations.
Le sénateur White : En connaissez-vous le nom?
Mme Green : M1, je crois.
Le sénateur White : Ce pas tous les produits du tabac fabriqués ou vendus sur le territoire des Six Nations qui sont cultivés sur place.
Mme Green : Non. On peut acheter le tabac où on veut.
Le sénateur White : La grande majorité du tabac proviendrait toutefois de l'extérieur, n'est-ce pas?
Mme Green : Oui.
La sénatrice Cordy : Il est troublant et décevant qu'aucune consultation ne soit menée, car, comme vous l'avez tous dit, comparaître devant un comité ne revient pas à être consulté; la consultation doit se faire au moment de la rédaction du projet de loi.
De plus, pour reprendre les propos de M. Saint-Denis, car j'ai lu le compte rendu de la dernière séance, il est également troublant que les ministres de la Justice des provinces n'aient pas été consultés. Merci beaucoup d'avoir porté cela à notre attention.
J'aimerais soulever quelques points. Le premier porte sur les peines minimales obligatoires. Certains d'entre vous ont abordé la question et parlé de l'effet que cela aura sur les jeunes Autochtones, qui est le segment de la population canadienne qui croît le plus rapidement. Monsieur Wuttke, je crois que c'était vous qui aviez demandé s'il y avait des preuves que les peines minimales obligatoires réduiraient la contrebande de tabac.
Madame Deer, je crois que vous avez dit, et je paraphrase, qu'aucune organisation criminelle ne devrait tirer profit de la vente de tabac. Pourtant, des membres de toutes les Premières Nations et de tous les groupes autochtones seront arrêtés si ce projet de loi est adopté. Je me demandais si vous pouviez parler de certaines mesures que vous prenez pour vous assurer qu'on ne contrevient pas à la loi, comme vous l'entendez.
J'ai eu le privilège de rencontrer les représentants des Six Nations et de discuter avec le chef Hill, et j'ai donc beaucoup entendu parler des répercussions que ce projet de loi aura sur les Six Nations. Ils ont dit que plus de 2 000 personnes seront directement touchées, et les collectivités qui entourent la réserve le seront aussi en raison d'une diminution du pouvoir d'achat. Je me demandais si vous pouviez nous parler de ces questions.
Mme Deer : Je peux parler de la situation actuelle à Kahnawake, de ses lois et de sa réglementation sur le tabac. Pour les mettre en œuvre, l'ensemble de la communauté a son mot à dire, pas seulement les gens de l'industrie. Un des principaux objectifs est de voir à ce que toute personne qui n'est pas membre des Premières Nations ne puisse en bénéficier. On ne peut pas avoir de partenaire externe. Il faut être membre de la communauté pour obtenir un permis ou vendre du tabac, ce qui s'applique tant aux grossistes qu'aux détaillants, et on essaie de ramener cela à une seule source de manière à ce que les gens aient des comptes à rendre.
Dans notre communauté, nous discutons de la parité des prix. C'est un enjeu important, car les non-Autochtones sont ceux qui se font le plus d'argent. Ils profitent de nous, et on veut mettre un terme à cela. Nous avons également besoin du soutien du gouvernement pour en arriver à un point où... Nous ne pouvons pas éliminer complètement le crime organisé. Personne ne pourra l'éradiquer. Il suffit de jeter un coup d'œil à la Commission Charbonneau à Montréal. Les organisations criminelles sont partout.
La sénatrice Cordy : C'est un bon point.
Mme Deer : Nous avons toutefois l'intention d'obtenir la parité des prix et de procéder à l'élimination à l'extérieur...
La sénatrice Cordy : C'est donc ce que vous visez.
Mme Deer : Oui, le processus est entamé.
M. Wuttke : À propos des peines minimales obligatoires, comme vous le savez, si quelqu'un est arrêté par un agent, l'agent a un certain nombre d'options. Il peut donner un avertissement ou porter des accusations en vertu de la Loi sur l'accise, et, avec cette mesure, potentiellement du Code criminel ou même de règlements provinciaux. Nous ne sommes pas convaincus que l'agent de police ou les autres responsables feront preuve d'indulgence dans le cas des contrevenants autochtones. Nous croyons, comme on le voit dans d'autres circonstances, qu'ils purgent des peines trop sévères, qu'ils font l'objet des accusations les plus graves et qu'ils disposent d'une petite marge de manœuvre. C'est ce qui se passe d'entrée de jeu, au contact avec les policiers. Par la suite, les procureurs de la Couronne, qui disposent de certains pouvoirs discrétionnaires, sont saisis de leur dossier, et c'est ensuite le tour des juges.
Au bout du compte, les peines minimales obligatoires feront en sorte que, dès le départ, au moment de la mise en accusation, les membres des Premières Nations ne seront pas traités équitablement. Ils seront pénalisés et traités différemment des autres contrevenants.
Le sénateur McIntyre : Merci de vos exposés. Nous vous sommes reconnaissants d'être ici aujourd'hui. Ma question porte sur la réglementation de l'industrie du tabac par des conseils de bande. Je signale que, l'année dernière, le Conseil mohawk d'Akwesasne a reçu une subvention du gouvernement de l'Ontario pour aider ses membres à élaborer une loi et un cadre de réglementation sur le tabac. Auriez-vous l'obligeance de nous dire quelques mots à ce sujet?
Mme Deer : Oui. Ils arrivent à la fin du projet, et le cadre de réglementation devrait bientôt être disponible à Akwesasne. J'ai parlé récemment avec les membres du conseil, et il devrait être affiché sur leur site web d'un jour à l'autre. Je tiens à répéter que le gouvernement de l'Ontario reconnaît le besoin d'établir des règlements visant les collectivités autochtones. Il a appuyé et financé ce projet. Il y a donc une incohérence entre un projet de loi fédéral comme celui-ci et le fait d'ignorer le travail accompli par une province pour réglementer l'industrie.
Je pense qu'il est très important de conclure un accord tripartite entre les Premières Nations, les provinces et le gouvernement fédéral. Comme je l'ai dit plus tôt, des habitants de Kahnawake sont titulaires de permis fédéraux. Ces permis n'ont pas été délivrés par la province. Le crime était d'avoir essayé de transporter du tabac sur des autoroutes provinciales, pas de l'avoir cultivé dans la collectivité. Il n'y a avait pas d'ententes provinciales, et c'est pourquoi je parle de la façon dont c'était voué à l'échec pour nous.
Il faut prendre des mesures. Nous préférerions que ce soit fait à l'échelle gouvernementale plutôt que devoir nous adresser aux tribunaux, qui reconnaissent l'obligation de consulter et l'honneur de la Couronne.
Le sénateur Joyal : Je vous souhaite la bienvenue. J'aimerais revenir à ce qui est selon moi la question fondamentale en jeu ici, à savoir les droits issus de traités.
Lorsque M. Saint-Denis a comparu devant notre comité le 18 septembre — et ceux qui ont lu son témoignage y ont fait allusion —, il a mentionné qu'aucune consultation n'était menée auprès des provinces et des Autochtones. Je reprends mot pour mot un passage de son témoignage. Il répondait à une de mes questions.
Plus tard, en répondant à une question très judicieuse du sénateur McInnis, M. Saint-Denis a dit ce qui suit au sujet de la position des Autochtones, ce qui contredit complètement ce que vous avez affirmé, qu'il est question ici des droits issus de traités :
[...] je crois comprendre que leur position est qu'ils ont assurément le droit de contrôler leur propre consommation. Hier comme aujourd'hui — du moins, c'est ce que je crois — la position du gouvernement a toujours été que le commerce des produits du tabac ne fait pas partie des droits autochtones et que les activités qui s'y rattachent sont encadrées par la Loi sur l'accise, et donc que cela serait assujetti à ces dispositions.
Si je lis la position du gouvernement, car il parlait au nom du ministère de la Justice, ce que vous considérez comme un droit issu d'un traité — et je ne dis pas que je suis du même avis que M. Saint-Denis — n'est pas visé par l'article 35 de la Constitution qui confirme les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada depuis des temps immémoriaux. Ce n'est pas plus visé par la proclamation royale. J'en ai d'ailleurs vérifié le libellé pour m'assurer que ce que vous prétendez être un droit issu d'un traité peut être interprété ainsi par la Cour suprême. Personne ne remettra en question la consommation de tabac depuis des temps immémoriaux. La première fois que Champlain a rencontré des Autochtones, ils se sont assis et ont fumé. C'est ce qui est écrit dans tous les livres d'histoire.
En ce qui concerne le fondement juridique de ce que vous revendiquez, pouvez-vous nous parler davantage de la façon dont vous prouverez à la Cour suprême, à la fin du processus, qu'il s'agit dans ce cas-ci de droits issus de traités? Comme l'a dit M. Saint-Denis, la position du gouvernement est tout à fait contraire à ce que vous affirmez être la vôtre.
M. Detlor : Notre réponse comportera deux volets. Je vais d'abord parler de l'aspect juridique et technique, et je vais ensuite céder la parole à Mme Deer.
Dans les affaires Haïda et Taku, la Cour suprême du Canada a établi le processus à suivre pour défendre l'honneur de la Couronne. Voilà de quoi il était question : un processus. On a d'abord parlé de la façon dont le droit est enclenché. Il faut en avoir connaissance, concrètement ou par imputation.
Le gouvernement doit ensuite procéder à ce qui est appelé une évaluation prima facie du droit, puis on informe les Premières Nations du résultat de l'évaluation. Les responsables du ministère de la Justice disent : « Nous ne croyons pas que vous avez un droit issu d'un traité, ou ce genre de droit; vous pouvez vous en servir à des fins cérémonielles, mais pas à des fins économiques. »
La Couronne doit ensuite autoriser la nation autochtone concernée à « définir et à clarifier ses droits », ce qui est exactement ce dont vous parlez. C'est précisément ce qui doit se produire selon la Cour suprême : travailler à une réconciliation, amorcer des discussions et établir des partenariats. C'est ainsi que se déroule la première étape.
La deuxième étape se rapporte à ce que la cour a récemment dit dans le cadre de l'affaire William, ou Tsilhqot'in.
Le sénateur Joyal : L'affaire de l'été dernier.
M. Detlor : La première affaire portant sur le titre ancestral.
Dans cette affaire, la cour a fait une importante distinction entre les droits reconnus et les droits ancestraux. Nous avons d'abord des droits ancestraux qui n'ont pas été prouvés. Dans ce cas-ci, nous parlons de droits constitutionnalisés. Nous ne parlons pas simplement de droits ancestraux, mais de droits consacrés.
Ce que la Cour suprême vient tout juste de dire dans le cadre de l'affaire Tsilhqot'in, c'est que cela enclenche une obligation fiduciaire, pas seulement l'obligation de consulter et d'accommoder, mais aussi une obligation fiduciaire, qui est encore plus stricte. L'obligation fiduciaire forcerait le ministère de la Justice à dire : « Nous devons avoir une longue discussion à ce sujet; nous devons en parler sérieusement; dites-nous pourquoi vous pensez avoir ces droits, et nous pourrons ensuite en discuter. » Si aucune solution n'est trouvée, on restreint la nature et la portée de la consultation, et on peut ensuite se battre devant les tribunaux. Vous pouvez avoir une discussion à ce sujet, mais je ne pense pas que l'on ait suivi ces étapes préliminaires jusqu'à maintenant.
Mme Deer : Je suppose que je peux parler au nom de chaque Mohawk ordinaire qui mène ce genre d'activité dans ma collectivité. Comme je l'ai dit, ils ont toujours utilisé le tabac pour faire du commerce, pour en tirer un profit et à des fins cérémoniales. Ils s'apprêtent maintenant à être criminalisés et ils disent : « C'est ce que nous avons toujours fait. »
C'est aussi une question d'éducation et de compréhension des peuples autochtones. C'est selon moi ce qu'il faut faire ici, car les Premières Nations n'ont jamais renoncé à ce droit, et elles disent : « Nous avons toujours utilisé le tabac d'une manière ou d'une autre; à quel moment avons-nous renoncé à ce droit; quand l'avons-nous perdu? »
La sénatrice Batters : Je ne suis pas certaine s'il serait plus approprié d'adresser ces questions à Mme Deer ou à Mme Green, mais je vous laisse déterminer qui y répondra. Je cherche simplement à comprendre certains aspects pratiques de l'exploitation de ce genre d'entreprise. Je vais donc poser quelques questions.
Je me demande si vous inspectez les fabriques à des fins sanitaires et quel genre de mesures vous prenez pour garantir la sécurité des produits. Faites-vous un suivi de l'endroit où les cigarettes aboutissent et des personnes qui possèdent les fabriques?
Mme Deer : Je peux répondre pour ce qui est de Kahnawake. À l'époque où on utilisait des permis fédéraux, le gouvernement fédéral envoyait des inspecteurs dans les usines.
La sénatrice Batters : Est-ce que c'est toujours le cas?
Mme Deer : À l'heure actuelle, aucun permis fédéral n'est délivré, et c'est pourquoi nous sommes en train d'élaborer une loi et des règlements.
La sénatrice Batters : Comment procède-t-on en attendant? Qui inspecte les usines? Personne?
Mme Deer : On utilise actuellement les normes qui sont déjà définies pour les fabriques de cigarettes. Étant donné que tous les travailleurs ont des liens entre eux, des normes très strictes sont appliquées pour assurer le bien-être, la santé et la sécurité de chacun d'eux.
La sénatrice Batters : Est-ce que tout le monde vérifie que c'est bien le cas?
Mme Deer : À l'heure actuelle, les fabricants surveillent leurs propres installations.
La sénatrice Batters : Faites-vous un suivi pour savoir à quel endroit ces cigarettes aboutissent?
Mme Deer : Non, nous ne faisons pas ce genre de suivi. Les cigarettes sont achetées dans la collectivité. C'est un des aspects sur lesquels nous nous penchons actuellement dans l'établissement des règlements.
La sénatrice Batters : À qui appartiennent les fabriques?
Mme Deer : À des particuliers de la collectivité.
La sénatrice Batters : Des non-Autochtones?
Mme Deer : Non, des Autochtones.
La sénatrice Batters : Avez-vous autre chose à ajouter?
Mme Green : Au sein du collectif sur le commerce, le respect des normes de santé et de sécurité sera une pratique courante pour garantir un milieu de travail sécuritaire à tous nos employés. Ce sera le fondement des lois et des règlements sur lesquels nous travaillons nous aussi. Notre situation est très semblable à celle de Kahnawake.
La sénatrice Batters : Qui a établi vos normes de santé et de sécurité?
Mme Green : Ces normes seront établies par le conseil des chefs haudenosaunee.
La sénatrice Batters : Mais quelles normes respectez-vous actuellement?
Mme Green : À l'heure actuelle, la pratique courante consiste à s'assurer que le milieu de travail est sécuritaire. Il s'agirait donc de normes communes, semblables à celles des provinces, mais pas exactement les mêmes.
M. MacNaughton : Lorsqu'aucun problème ou aucune préoccupation n'est signalé au sujet de la fabrication et de ses activités connexes, on n'a pas besoin de règlements. Cela dit, un certain temps peut s'écouler, un court moment, du moins espérons-le, pendant lequel des préoccupations comme celles que vous avez mentionnées sont exprimées.
Je tiens à signaler tout de suite que le collectif sur le commerce des Six Nations a été chargé par le conseil de la confédération d'élaborer des règlements. Nous nous pencherons sur la question pour ensuite créer notre propre législation qui déterminera comment les activités seront gérées et qui se chargera de leur administration.
La sénatrice Batters : Combien de temps a-t-on donné au collectif pour s'acquitter de cette tâche?
M. MacNaughton : Le délai était d'abord de trois mois, et nous l'avons prolongé d'un autre trois mois il y a environ trois semaines. Il faut un certain temps pour en venir à bout.
Je tiens à préciser que nous regardons ce qui se fait dans d'autres collectivités haudenosaunee. Nous examinons tout ce qui se fait.
Je vais vous dire une chose sur les Haudenosaunee, et les gouvernements fédéral et provinciaux vous le confirmeront. Quand on négocie avec nous et qu'on arrive à une entente, on se rend compte que nous avons l'habitude de dépasser les normes qui sont déjà en place parce que nous voulons faire mieux. Nous voulons que tout soit mieux pour tout le monde.
M. Maracle : Selon les données fournies au comité de la Chambre des communes à la suite des tests qui ont été effectués, le tabac autochtone n'est pas plus nocif que le tabac utilisé par les grands fabricants de tabac.
Par ailleurs, Grand River Enterprises est titulaire d'un permis fédéral. Je crois que le gouvernement fédéral prescrit les conditions qui doivent être respectées pour préserver ce permis de plein droit.
Le sénateur McInnis : Merci beaucoup d'être venus témoigner. J'ai une question, mais j'aimerais d'abord formuler certains commentaires.
Avant de devenir sénateur, j'ai eu l'occasion de consulter le rapport de la Commission royale sur la condamnation injustifiée de Donald Marshall, Jr. Une des 82 recommandations était que l'on mette en place une tribune tripartite à l'intention du gouvernement fédéral, de la province et de la communauté autochtone, et c'est ce qui a été fait. J'en parle parce qu'elle a été créée dans le but que des consultations soient menées sur tous les aspects des droits autochtones. Nous avons essayé, dans la mesure du possible, de respecter l'esprit de cette recommandation. Je crois que c'est extrêmement important de toujours mener des consultations.
Je ne connais pas l'historique de ce projet de loi, le contexte dans lequel il a été créé. Je pense avoir une idée de ce qu'il en est en le lisant, mais, quoi qu'il en soit, il est extrêmement important de mener des consultations.
Je voulais citer les commentaires de Doug George-Kanentiio, un défenseur des droits autochtones d'Akwesasne, qui a comparé les arguments actuels en faveur de la contrebande du tabac à ceux avancés dans les années 1980 par Pablo Escoba et d'autres barons de la drogue colombiens pour défendre leurs activités commerciales. Il a dit que cette pratique produit un revenu et permet d'employer des gens, mais ce n'est fondamentalement pas bon pour le peuple iroquois d'avoir une économie qui repose, d'un, sur un seul produit et, de deux, sur un produit qui tue.
J'aimerais juste établir un lien avec cette étude qu'on a réalisée au cours de 2009, 2010 et 2011. Je crois qu'elle a été faite sur une période de trois ans. On a sondé des centaines d'écoles secondaires de l'Ontario et du Québec, et le tiers des cigarettes trouvées dans les établissements ontariens et plus de 40 p. 100 de celles trouvées dans les écoles québécoises provenaient de la contrebande. Elles étaient vendues aux élèves parce qu'on ne demande pas de voir une pièce d'identité quand on vend des produits de contrebande et parce qu'elles coûtent moins cher. Il me semble avoir lu dans un article qu'on peut acheter 200 cigarettes pour 10 $, alors qu'il faudrait débourser environ 88 $ pour obtenir la même quantité de cigarettes fabriquées légalement, conformément aux règlements et avec un permis.
Le président : J'ai demandé des questions courtes.
Le sénateur McInnis : Et ce sera le cas. Mes commentaires ont mené à ma perte.
Quelqu'un a mentionné la parité, et vous avez parlé des règlements. Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet, car c'est néfaste pour la santé des jeunes? Pouvez-vous nous parler de la parité et des règlements qui sont appliqués un peu partout, dans la mesure où vous pouvez les contrôler?
Mme Deer : J'aimerais d'abord revenir sur ce qui a été dit à propos de notre économie, à savoir qu'elle dépendrait d'un seul produit. Je peux vous dire que ce n'est pas le cas dans ma collectivité. Nous avons une industrie de même que les jeux de hasard, mais on nous a dit que nous n'avions pas le droit d'exercer ce genre d'activité. Une fois de plus, nous pouvons prouver que tout au long de notre histoire, nous avons recouru aux jeux de hasard et aux paris pour réaliser des gains.
L'économie de notre communauté repose donc sur de nombreuses sources de revenus, mais dans le cas du Conseil mohawk de Kahnawake, il y a d'autres activités que nous n'avons pas le droit d'exercer. De nombreux paliers de gouvernement doivent nous consulter, et à bien des égards.
J'ai également parlé de la parité des prix. Oui, les non-Autochtones sont ceux qui viennent acheter des cigarettes dans la collectivité parce qu'elles coûtent moins cher. Toutefois, sans la réglementation que nous tentons actuellement d'établir, on continuera de faire fluctuer les prix, de constamment les réduire dans le but de soutenir la concurrence. Il est donc très intéressant de venir acheter du tabac en grande quantité pour ensuite le revendre aux élèves des écoles secondaires à l'extérieur des réserves. Les enfants ne viennent pas dans nos collectivités pour acheter du tabac, car les Autochtones ont beaucoup de respect à leur égard. Nous ne leur en vendons pas. Ce ne sont pas les Autochtones qui distribuent les cigarettes partout dans la province, très loin de Kahnawake.
Nous voulons augmenter les prix pour que les produits du tabac soient moins attrayants et moins accessibles aux jeunes. En tant que chef de Kahnawake responsable du portefeuille des produits du tabac des Premières Nations, j'encourage les gens à ne pas fumer, étant moi-même non-fumeuse.
M. Maracle : Je ne fume pas non plus et je n'ai jamais fumé, mais j'ai fréquenté une école hors réserve à Belleville avant qu'il y ait des cigarettes autochtones, et il y avait vraiment beaucoup de jeunes de 7e et de 8e années qui fumaient la cigarette. Cette situation dure depuis des années.
Par ailleurs, le Dr Richard Schabas, médecin hygiéniste en chef du comté de Hastings, a présenté des statistiques semblables à notre conseil que vous venez de mentionner au sujet des jeunes qui arrivent à se procurer des cigarettes autochtones. Nous lui avons demandé des renseignements, et plus particulièrement de l'information de la police sur ceux qui ont été poursuivis pour ces infractions et sur la façon dont le médecin hygiéniste en chef gérait cette préoccupation avec la police. Il n'a pas été en mesure de nous fournir ces renseignements concernant les accusations, si bien qu'à nos yeux, ce n'était rien d'autre qu'un bon reportage.
Le président : Il ne nous reste vraiment plus de temps, mais je pense que ce sujet suscite un intérêt. Si les membres sont d'accord, nous pourrions poursuivre pour cinq ou six minutes de plus pour avoir l'occasion de poser une deuxième question. Sommes-nous d'accord?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Baker : Pour parler de la constitutionnalité, je vais céder mon temps de parole au sénateur Joyal, qui pourra poser une question complémentaire à sa première question.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à la décision que la Cour suprême a rendue l'été dernier et que vous avez citée. Je suis convaincu que vous êtes tous au courant de cette décision. La cour a reconnu le bien-fondé de la revendication ainsi que l'atteinte à un droit.
Si nous acceptons votre hypothèse selon laquelle un droit issu de traités régit le commerce des produits du tabac, à partir des faits historiques que vous avez décrits, le gouvernement pourrait-il soutenir que la violation dans le projet de loi C-10 est acceptable ou justifiable dans les limites établies dans la décision de la cour? La cour a reconnu qu'il pourrait y avoir des exceptions ou, autrement dit, une violation comme celle du projet de loi C-10.
M. Detlor : Ce serait certainement possible, mais cela devient alors une question de processus. La cour a déclaré dans l'affaire Tsilhqot'in ou l'affaire William que l'on passe d'abord par le processus de consultation, l'aspect procédural, puis on applique l'obligation fiduciaire. L'obligation fiduciaire et l'atteinte ou la violation peuvent être justifiées dans un critère en trois volets. Si l'on regarde ce que le critère prévoit, il faut se demander si l'action de la Couronne porte une atteinte minimale au droit. C'est le premier volet. La question que je veux maintenant vous poser, qui est essentiellement pour la forme, c'est si l'incarcération porte une atteinte minimale aux droits des gens ou si c'est la sanction la plus extrême à imposer d'emblée. Dans mon mémoire, c'est le premier volet.
Le sénateur Joyal : Le deuxième.
M. Detlor : Le premier est l'objectif du gouvernement. Y a-t-il un objectif gouvernemental légitime et valable? Si l'objectif du gouvernement, c'est la santé et la sécurité, alors oui, il est légitime, mais si c'est de faire avancer un intérêt économique aux dépens d'un autre, alors il ne l'est pas. Si l'objectif du gouvernement est vraiment d'améliorer la part du marché des marques de cigarette de JTI et de RBH au détriment des fabricants autochtones, il ne répondrait pas au premier critère.
Deuxièmement, nous avons déjà discuté de l'atteinte minimale.
Troisièmement, pour ce qui est de l'équilibre entre les intérêts, les préjudices et les avantages, est-ce logique? Lorsque nous examinons l'objectif du projet de loi et les préjudices qu'il causera aux collectivités, aux citoyens et aux familles en incarcérant les gens, est-ce logique? Ce doit vraiment être une décision équitable. C'est très difficile à déterminer en tant qu'avocat, mais si je me fie à mon instinct, je ne vois pas comment c'est logique.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à Mme Deer. Vous devez sûrement être au courant que, il y a quelques années, dans le territoire de Kanesatake, la maison du chef Gabriel avait été incendiée, parce qu'il s'objectait à la contrebande du tabac. D'ailleurs, le corps de police mohawk avait été expulsé du territoire de Kanesatake. Je crois que le corps de police avait pu réintégrer le territoire environ un an et demi plus tard.
Est-ce que vous nous dites que la contrebande du tabac représente une valeur économique assez importante dans vos communautés pour qu'on accepte ce genre de situation? M. Gabriel avait fait l'objet de menaces à titre de chef, et il n'avait pu réintégrer sa communauté avant un an environ.
[Traduction]
Mme Deer : Je peux vous assurer que oui, j'en suis consciente, car j'étais policière à l'époque pour les Kahnawake Mohawk Peacekeepers et j'ai travaillé dans cette collectivité lorsque le service de police de Kanesatake a été aboli. Ce n'est pas arrivé uniquement pour cette raison. Cette collectivité était aux prises avec des problèmes sous-jacents, et l'est encore aujourd'hui. Ils n'ont pas été résolus. Il n'y avait pas que ce genre d'activités. Il y avait beaucoup de politique derrière tout cela et beaucoup de dissension. Nous ne pouvons pas blâmer la contrebande, car la collectivité est toujours aux prises avec les mêmes problèmes. Il y a malheureusement beaucoup d'instabilité dans cette collectivité.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Est-ce que je dois comprendre que vous étiez policière, à ce moment-là, à Kanesatake?
[Traduction]
Mme Deer : Non. Je travaillais pour les Kahnawake Mohawk Peacekeepers qui ont remplacé les Kanesatake Peacekeepers.
Le sénateur White : J'aurais une petite question complémentaire à vous poser, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Elle se rapporte à une question qu'on vous a posée tout à l'heure. Vous avez répondu que lorsque vous avez discuté avec des agents d'un service de police local, ils n'avaient aucune statistique à vous donner concernant les accusations portées. Ce type de renseignements vous auraient-ils été utiles?
M. Maracle : Le conseil a toujours demandé que l'on valide le lien avec le crime organisé. Nous avons demandé un rapport de la police. Nous ne sommes pas prêts à accepter spontanément une déclaration politique alors qu'il y a tellement d'intérêts financiers divergents en jeu. Notre conseil n'a reçu aucune information de la Police provinciale de l'Ontario, du médecin hygiéniste en chef ou de notre service de police local.
Le sénateur White : Une disposition de ce projet de loi permettrait aux services de police qui ne peuvent maintenant pas exercer leurs activités en vertu de la Loi sur l'accise — c'est seulement pour les services fédéraux — d'avoir ce contact et d'enquêter sur ce type de crimes aux termes du Code criminel du Canada, que ce soit à l'échelle municipale ou provinciale, droit qui est accordé uniquement à la GRC à l'heure actuelle. C'est l'un des défis lorsque des mesures législatives comme celle-ci ne sont pas en place...
M. Maracle : Le conseil régit la vente au détail des produits du tabac en délivrant des permis. Si l'on retire le permis d'un détaillant, des preuves doivent être présentées au conseil. Ni le médecin hygiéniste en chef ni le service de police n'ont présenté de preuves au conseil pour justifier le retrait de permis pour vendre des produits du tabac.
Le président : Je dois vous interrompre et remercier tous les témoins d'être venus ce soir. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir contribué à nos délibérations.
M. Maracle : Très rapidement, la Cour suprême du Canada a toujours trouvé très stricte l'interprétation des droits du gouvernement du Canada. L'Assemblée des Premières Nations a sans cesse demandé qu'une table sur les droits soit établie pour que l'on puisse s'entendre sur l'interprétation des droits. Le gouvernement n'a pas créé cette table. Le...
Le président : Je ne peux pas vous permettre de faire un autre discours. J'ai été généreux avec le temps que je vous ai accordé.
M. Maracle : La cour a également dit que lorsqu'il y a un désaccord, les droits devraient être interprétés de manière à favoriser les Autochtones.
Le président : Merci beaucoup.
Pour notre deuxième groupe de témoins aujourd'hui, nous accueillons, de l'Imperial Tobacco Canada Ltd., Éric Gagnon, directeur, Affaires réglementaires et relations gouvernementales et, du magazine Frontline Security, le rédacteur de la publication, Ed Myers.
Messieurs Gagnon et Myers, je crois savoir que vous avez tous les deux préparé des déclarations liminaires. Nous entendrons M. Gagnon en premier.
[Français]
Éric Gagnon, directeur, Affaires réglementaires et relations gouvernementales, Imperial Tobacco Canada Ltd. : Je voudrais remercier le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles de son invitation à comparaître devant lui pour discuter du projet de loi C-10.
[Traduction]
Tout d'abord, je tiens à dire qu'Imperial Tobacco Canada Ltd. appuie sans réserve le projet de loi, et nous encourageons son adoption le plus rapidement possible. Avant d'en parler, je veux toutefois préciser que notre entreprise reconnaît les risques pour la santé associés au tabagisme et la nécessité d'avoir une réglementation adéquate, équilibrée et fondée sur des données probantes.
Cela dit, le choix auquel sont confrontés les décideurs au Canada est d'avoir une industrie du tabac légale et réglementée ou une industrie non taxée et non réglementée, où tout est permis. C'est la réalité à laquelle les gouvernements sont confrontés en raison de la crise de la contrebande de tabac au Canada, et c'est dans cette optique que toutes les politiques sur le tabac, dont le projet de loi C-10, devraient être examinées.
Comme on l'a mentionné, on estime que ce projet de loi est une étape importante pour lutter contre la contrebande, qui prive les gouvernements de milliards de dollars chaque année, enrichit les groupes du crime organisé et nuit aux efforts de lutte contre le tabagisme, surtout en ce qui concerne la vente de produits du tabac aux jeunes. Ne vous méprenez pas : la contrebande de tabac est une grande entreprise et constitue une menace importante à la sécurité publique.
Le gouvernement du Canada, et c'est tout à son honneur, a reconnu le problème, et le projet de loi C-10 fournira de nouveaux outils pour faire échec à ceux qui se livrent à la contrebande de tabac dans des collectivités de partout au Canada. C'est vraiment un problème national, car des produits de contrebande du Québec et de l'Ontario sont acheminés d'un bout à l'autre du pays, depuis Terre-Neuve jusqu'à la Colombie-Britannique. Toutefois, le projet de loi C-10 n'est qu'un premier pas, et il faut prendre des mesures pour s'attaquer aux causes profondes de la crise de la contrebande, c'est-à-dire les notions élémentaires d'économie de l'offre et de la demande.
Du côté de la demande, de nombreuses études ont démontré qu'il existe un lien direct entre les importantes augmentations des taxes sur le tabac successives et la croissance de la contrebande de tabac. La dépendance des gouvernements à l'égard des hausses de taxes sur le tabac, comme en font foi les nombreuses hausses fédérales et provinciales des dernières années, a fait en sorte que les consommateurs se sont tournés vers le marché illégal pour avoir des solutions de rechange moins coûteuses, créant ainsi une demande. L'offre illimitée provient alors d'activités de fabrication illimitées au Canada, et plus de 300 cabanes à cigarettes vendent des produits du tabac en dehors des cadres légaux, réglementaires et fiscaux existants.
Ne vous méprenez pas : nous ne sommes pas contre une concurrence équitable, y compris de la part des collectivités des Premières Nations. Toutefois, en tant qu'entreprise légale respectueuse des lois, nous nous attendons à ce que toutes les organisations qui fabriquent et vendent des produits du tabac au Canada respectent les mêmes règles et à ce que les gouvernements les fassent appliquer.
Pour mettre en perspective les proportions de l'offre illégale, il faut tenir compte que la GRC a déclaré qu'il y a jusqu'à 50 entreprises de fabrication illégale au Canada. Si elles n'ont toutes qu'une seule machine de fabrication de cigarettes — et nous présumons que bon nombre d'entre elles en ont plus —, elles pourraient approvisionner tout le marché canadien plusieurs fois.
En outre, le Rapport sur la stratégie de lutte contre le tabac de contrebande de 2013 de la GRC a révélé qu'au moins 20 fabricants illégaux sont associés à des groupes du crime organisé, et il y a eu un cas en mai dernier mettant en cause une opération de contrebande du tabac de grande envergure dirigée par la mafia et des membres de la réserve d'Akwesasne.
Le même rapport de la GRC a également relevé une tendance inquiétante où des fabricants illégaux cultivent leur propre tabac sans aucune surveillance. Le rapport laisse entendre que la réserve des Six Nations a 200 acres de culture du tabac non réglementée, ce qui produirait assez de feuilles pour fabriquer au moins 200 millions de cigarettes, si l'on se fie à la production de l'année dernière.
Enfin, pour démontrer le défi en matière d'application que pose ce problème, le rapport de la GRC fait état que la sécurité des policiers est la principale préoccupation liée aux mesures d'application de la loi visant les fabricants de produits du tabac illicites.
Il faut donc se demander si le projet de loi C-10 se penche sur la dynamique fondamentale de l'offre et de la demande derrière le commerce de contrebande. Je répondrais que oui, dans une certaine mesure. Si les gens qui se livrent au trafic de tabac de contrebande sont passibles de peines plus sévères telles que les peines minimales obligatoires, certains d'entre eux pourraient être acculés à la faillite, ce qui aurait une incidence sur l'offre.
Toutefois, le projet de loi C-10 ne répondra probablement pas à la demande, puisque le seuil de 10 000 cigarettes, ou 50 cartouches, auquel ce projet de loi s'applique, ne viserait pas le fumeur moyen qui cherche une solution de rechange moins coûteuse. Par conséquent, les peines existantes applicables à la possession de petites quantités de tabac de contrebande continueraient de s'appliquer et n'ont pas eu d'effet dissuasif. Tant qu'il y aura une demande, il y aura une offre — surtout avec un si grand nombre d'entreprises de fabrication illégale et de cabanes de vente de cigarettes, ainsi que la préoccupation concernant la sécurité des policiers qui font appliquer les lois existantes.
Par conséquent, même si nous appuyons sans réserve le projet de loi C-10, nous présentons trois recommandations additionnelles pour lutter contre la contrebande du tabac.
Premièrement, il faut sensibiliser les consommateurs au commerce illégal du tabac de contrebande et à son lien avec le crime organisé, aux peines applicables et à l'absence de surveillance de la qualité ou de contrôle du contenu dans le processus de fabrication. Nous croyons qu'investir dans une campagne de la sorte serait une utilisation judicieuse des nouveaux fonds qui ont été réservés dans le budget de l'an dernier pour lutter contre la contrebande.
Deuxièmement, pour qu'il y ait une incidence sur la demande, les gouvernements doivent reconnaître l'écart de prix entre les produits légaux et les produits illégaux et tenir compte de ce facteur au moment de prendre des décisions concernant les politiques fiscales. Les effets positifs d'une mesure comme le projet de loi C-10 peuvent facilement être minés par des hausses de taxes qui accentueront l'écart de prix entre les produits légaux et les produits illégaux et pousser un plus grand nombre de consommateurs à se tourner vers les produits de contrebande.
Enfin, pour vraiment s'attaquer à la contrebande à long terme, les entreprises de fabrication illégale et les cabanes de vente de cigarettes doivent être assujetties à la loi. C'est indispensable si l'on veut s'attaquer à l'offre. On n'a pas besoin de nouvelles lois en fin de compte, mais il faut appliquer celles qui existent.
Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de comparaître. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur.
Monsieur Myers, la parole est à vous.
Ed Myers, rédacteur, FrontLine Security : Merci, monsieur le président, et merci à vous, distingués membres du comité permanent. Je suis le rédacteur du magazine FrontLine Security depuis 2008. Le FrontLine Security est un magazine trimestriel en format imprimé et électronique qui a une distribution contrôlée de 20 000 lecteurs et qui compte environ 50 000 lecteurs en ligne, principalement des agents d'application de la loi, des agents de sécurité, des agents de sécurité frontalière ainsi que des spécialistes des politiques de tous les ordres de gouvernement.
Nous avons constamment appliqué une politique rédactionnelle au magazine FrontLine Security visant à relever le niveau des débats au pays sur la sécurité publique et nationale. Au début de ma carrière chez FrontLine Security, je suis tombé sur un rapport du Service canadien de renseignements criminels sur le crime organisé et certains enjeux entourant le tabac de contrebande. Une enquête plus approfondie sur le sujet a fait ressortir les liens entre le commerce illicite du tabac et le crime organisé, et plus particulièrement les bandes de motards. Les liens éventuels à la sécurité publique et nationale semblent être probants.
À l'été 2012, nous avons décidé de publier nos constatations et réflexions sur le sujet et avons produit le premier article d'une série de trois au début de l'automne 2012. Les deux éditions trimestrielles suivantes renfermaient les articles subséquents. J'ai remis un recueil de ces publications au comité à titre de référence.
Les gens ont fait entendre leur opinion au sujet du premier article beaucoup plus que ce que j'avais prévu, dont des agriculteurs qui n'étaient même pas sur notre liste de distribution. Un agriculteur m'a téléphoné pour se plaindre que son voisin dans la région de Tillsonburg vendait ses récoltes excédentaires quatre ou cinq fois plus cher que sur le marché légitime. Nos lecteurs se sont dits surpris et alarmés d'apprendre l'existence de liens entre le crime organisé et la production ou la vente de tabac de contrebande.
D'autres recherches menées l'année dernière ont permis d'établir des liens entre les revenus tirés des activités de contrebande et le Hamas, ce qui a été documenté dans une vidéo intitulée Smoke and Terror. Après avoir établi la portée du problème, nous sommes allés voir comment les agents d'application de la loi réagissaient à la situation. Je n'ai pas pu trouver un seul agent d'application de la loi crédible qui comprenait la portée des activités de contrebande ou des réseaux criminels impliqués.
Les conclusions que j'ai tirées de cette série de trois articles étaient, premièrement, que le commerce illicite du tabac au Canada représente 3,5 milliards de dollars annuellement en pertes de recettes fiscales.
Deuxièmement, les groupes du crime organisé contrôlent tout le marché du tabac de contrebande et fournissent des incitatifs financiers et des mesures coercitives pour attirer des complices.
Troisièmement, les peines imposées pour le trafic du tabac de contrebande ne suffisent pas pour dissuader les contrevenants.
Quatrièmement, les organismes d'application de la loi n'ont ni le mandat ni la motivation d'intervenir de façon satisfaisante pour lutter contre le commerce illicite des produits du tabac et ses répercussions sur la sécurité publique ou nationale.
Cinquièmement, le commerce illicite du tabac comporte beaucoup de corruption qui se répercute parfois sur des citoyens respectueux des lois, dont des agriculteurs et des propriétaires de dépanneurs.
Sixièmement, les fournisseurs vendent leurs produits de contrebande à n'importe qui, y compris à des mineurs.
Septièmement, les complexités de l'environnement de la contrebande du tabac doivent tenir compte des intérêts légitimes des collectivités des Premières Nations.
Huitièmement, il faut donner aux organismes d'application de la loi locaux et provinciaux le mandat et les ressources qui leur permettront de mettre un terme à la contrebande du tabac.
Enfin, pour gérer convenablement la complexité de la lutte contre la contrebande du tabac au Canada, il faudrait créer un poste d'ombudsman au fédéral qui disposerait de capacités d'enquête et de ressources suffisantes pour remplir son mandat.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant le comité. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci. Nous allons commencer avec les questions du vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je remercie les témoins des déclarations intéressantes qu'ils ont faites devant le comité.
C'est en effet un dossier complexe que nous étudions, à savoir le trafic et la contrebande du tabac. Comme vous le savez, il arrive parfois que de grandes compagnies de tabac légitimes au Canada vendent leurs produits sur le marché hors taxe aux États-Unis et que les produits du tabac se retrouvent ensuite sur le marché régulier au Canada. C'est l'objet d'une poursuite civile à l'heure actuelle contre les grandes compagnies. C'est assez complexe.
Ce que je trouve complexe, et vous pouvez peut-être répondre à cette question, c'est que lorsqu'on lit la jurisprudence sur le nombre d'arrestations de personnes accusées d'avoir en leur possession des produits du tabac illégaux, on voit l'un ou l'autre des scénarios suivants : un policier arrête une fourgonnette ou un camion lorsqu'il voit des cigarettes ou, s'il est avec un agent des douanes, il peut saisir le chargement sur la base de soupçons.
L'autre scénario, c'est que le policier, disons en Ontario ou au Québec, arrête une fourgonnette et vérifie si le conducteur a les sept ou huit permis requis pour transporter des produits du tabac. Il y a, d'une part, la Loi sur la taxe d'accise, qui est fédérale et, d'autre part, la loi provinciale.
En vertu de ce projet de loi, les motifs d'arrestation sont les mêmes. C'est seulement la quantité transportée qui change, et on ajoute une accusation en vertu du Code criminel plutôt qu'en vertu d'un régime de réglementation. Comment cela pourrait-il décourager les gens à se livrer à des activités de contrebande illégales?
M. Gagnon : J'aimerais clarifier un point. Lorsque vous dites que des produits légaux reviennent au Canada, vous faites allusion à une vieille affaire qu'on a déjà réglée avec le gouvernement du Canada. Je peux vous assurer qu'aucun produit légal ne revient au Canada à l'heure actuelle.
Le sénateur Baker : Il y a toujours la poursuite civile cependant.
M. Gagnon : D'accord, mais il n'en demeure pas moins qu'aucun produit légal ne revient au Canada.
Le sénateur Baker : Non, non. Je n'accuse pas Imperial de quoi que ce soit qu'elle n'a pas été accusée il y a plusieurs années.
M. Gagnon : Pour ce qui est du projet de loi C-10 plus particulièrement, comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, il dissuadera certains trafiquants de sortir des produits des réserves des Premières Nations. Les amendes seront tellement élevées qu'elles risquent de dissuader certains trafiquants illégaux.
Mais pour revenir à votre point, le défi, c'est qu'à l'heure actuelle au Canada, on n'a pas le droit de transporter des produits du tabac d'une région à une autre ou d'une province à une autre, si l'on ne détient pas les bons permis. On voit qu'il n'existe aucune collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux pour essayer de trouver une solution au problème de contrebande.
Le sénateur Baker : C'est le point que vous avez soulevé.
M. Gagnon : Imperial Tobacco Canada croit que pour résoudre ce problème, il faudra un effort concerté de la part de l'Ontario et du Québec puisque c'est dans ces provinces où les entreprises de fabrication illégale exercent leurs activités, et le gouvernement fédéral essaie vraiment de régler ce problème. Le projet de loi C-10 est un premier pas dans la bonne direction, mais je pense que les gouvernements fédéral et provinciaux devront combiner leurs efforts dans l'avenir.
M. Myers : Nous avons demandé que tous les intervenants se réunissent pour trouver une solution. Il est grand temps que cette rencontre ait lieu. Notre demande pour créer un poste d'ombudsman fédéral détenant des pouvoirs d'enquête pourrait largement contribuer à régler les questions de compétence.
Bien franchement, je suis d'accord avec mon collègue là-bas lorsqu'il dit que les taxes élevées contribuent au marché illégal et que l'absence de peines criminelles favorise les activités illégales dans les collectivités.
Le projet de loi commence à s'attaquer aux problèmes qu'il doit régler, mais il faudra la coopération de divers groupes, notamment des collectivités des Premières Nations et des organismes d'application de la loi. De nombreux groupes doivent participer, dont les organismes de santé également. Il est temps de régler tous ces problèmes.
Le sénateur White : Je vous remercie tous les deux d'être des nôtres aujourd'hui. Je veux tout d'abord dire que je déteste la cigarette. J'ai l'air d'y être favorable chaque fois que je pose une question, même si je suis le parrain du projet de loi. Je ne pourrais pas être plus contre le tabagisme. Je voulais simplement le mentionner.
Nous parlons des pouvoirs. À l'heure actuelle, en vertu de la Loi sur l'accise, les services de police ne disposent pas des pouvoirs dont ils ont besoin — et c'est le point que j'ai soulevé auprès du groupe de témoins précédent — pour enquêter sur ceux qui vendent ou transportent des produits du tabac illégaux, notamment. Je crois que ce projet de loi nous donnera la capacité de partager les pouvoirs avec d'autres services de police. Monsieur Myers, j'ai lu vos articles, mais je pense que vous conviendrez que le pouvoir que confère ce projet de loi, c'est de permettre aux organismes d'enquêter, ce qu'il ne pouvait pas faire auparavant.
M. Myers : Tout à fait, monsieur.
La sénatrice Cordy : Sénateur White, je ne sais pas qui de vous ou de moi détestent le plus la cigarette : le porte-parole ou le parrain. Je vais essayer d'oublier mon aversion pour le tabagisme lorsque je poserai ces questions afin de pouvoir être objective.
J'aime votre idée, monsieur Myers, de réunir tous les intervenants pour discuter et trouver la meilleure solution possible. Nous avons accueilli plusieurs membres de collectivités autochtones plus tôt aujourd'hui. Ils étaient très mécontents, et avec raison, de l'absence totale de consultation, et aucune consultation n'a eu lieu avec les provinces. Les trois ordres de gouvernement doivent collaborer pour lutter contre la contrebande du tabac. Ce serait une excellente idée de réunir les intervenants. Toutefois, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il est important que des consultations aient lieu.
J'ai trouvé intéressant, monsieur Gagnon, lorsque vous avez dit que les hausses de taxes se traduisent par une augmentation de la contrebande. C'était ce que je pensais, mais la dernière fois que ce projet de loi a été présenté, je pensais que c'était les dépanneurs. Avez-vous des statistiques pour corroborer que les hausses de taxes entraînent une augmentation de la contrebande? Le cas échéant, j'aimerais beaucoup les avoir.
M. Gagnon : Dans un premier temps, il faut comprendre la différence de prix entre les produits légaux et illégaux. Vous pouvez acheter un sac de 200 cigarettes pour environ 15 $ sur le marché illégal. Si vous achetez la même quantité de cigarettes sur le marché légal, vous paierez en moyenne entre 65 et 80 $. Dans certaines provinces, le prix peut atteindre jusqu'à 100 $.
La différence de prix est tellement importante qu'en tant que consommateur, on atteint un point de non-retour où l'on se dit : « C'est trop cher pour moi; il y a le marché illégal, alors je vais acheter mes produits illégalement. »
La sénatrice Cordy : Mais avez-vous des statistiques pour montrer que les hausses de taxes font augmenter la contrebande?
M. Gagnon : Oui, je me ferai un plaisir de vous les faire parvenir.
La sénatrice Cordy : J'aimerais beaucoup les avoir.
Vous avez également qualifié le projet de loi de premier pas pour lutter contre la contrebande de tabac. Vous avez tous les deux parlé du lien entre le crime organisé et la contrebande de tabac. Je me demande si vous pourriez revenir sur certaines des mesures que vous avez évoquées, dont l'éducation. J'ai vu des annonces télévisées tout à fait épouvantables, car je pensais qu'on n'allait vraiment rien faire pour sensibiliser la population au sujet des liens entre les éléments criminels et la contrebande de tabac.
Mais vous avez proposé quelque chose de très important, car nous avons accompli du bon travail au chapitre de la publicité et fait diminuer le nombre de fumeurs. Avez-vous un scénario en place pour cela?
M. Gagnon : Je ne sais pas si c'est un scénario. Le gouvernement fédéral a promis de mener une campagne d'éducation sur la contrebande pendant de nombreuses années et nous ne l'avons toujours pas vue, à vrai dire. Nous croyons qu'avec l'adoption du projet de loi C-10, il faut informer les trafiquants illégaux que des peines et des amendes plus sévères seront imposées.
En sensibilisant les gens et en ciblant les individus qui se livrent à la vente illégale des produits du tabac, et peut-être aussi ceux qui sont dans la zone grise — ceux qui ne sont pas des trafiquants illégaux mais qui sont des citoyens respectueux des lois qui, dans certains cas, commettent un acte illégal en se procurant des produits du tabac. Nous croyons que ces gens doivent être informés que c'est un acte illégal assorti de peines et d'amendes. La sensibilisation serait donc un volet important pour essayer de dissuader les consommateurs d'acheter des produits illégaux.
La sénatrice Cordy : Et le gouvernement fédéral a la compétence pour le faire?
M. Gagnon : Bien sûr. Comme je l'ai dit, dans le dernier budget fédéral, si je me rappelle bien, on a annoncé l'octroi de 91 millions de dollars pour lutter contre la contrebande de tabac au cours des cinq prochaines années. Il sera important d'utiliser cet argent plus judicieusement et pour des mesures concrètes qui auront des répercussions sur le marché. Nous croyons qu'une campagne d'éducation sur les conséquences de l'achat de tabac de contrebande est l'une de ces mesures.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, messieurs. Monsieur Gagnon, j'ai quelques questions à vous poser. La contrebande de cigarettes n'est pas une activité propre au Canada. La contrebande de cigarettes est mondiale, n'est-ce pas?
M. Gagnon : À ce que nous sachions, c'est vrai, il y a beaucoup de contrebande. Le tabac est probablement l'un des produits échangés le plus illégalement à travers le monde. La différence du Canada par rapport à d'autres pays, c'est que ce sont des produits légaux dans ces pays qui vont y entrer. C'est l'un des problèmes. Un autre problème, ce sont les produits contrefaits, un problème qu'on connaît peu au Canada. Le problème particulier au Canada, c'est qu'il y a des manufacturiers illégaux qui fabriquent les produits ici et qui les revendent dans les communautés. Ça, c'est particulier au Canada.
Le sénateur Boisvenu : C'est majoritairement dans les communautés autochtones?
M. Gagnon : Ce que dit la GRC, c'est que les 50 usines illégales se trouvent dans les réserves des Premières Nations en ce moment.
Le sénateur Boisvenu : Les entreprises légales de tabac comme la vôtre — et vous me corrigerez si j'ai tort — ont, par le passé, fourni des matières premières aux Autochtones, n'est-ce pas?
M. Gagnon : En fait, on n'a pas fourni de matières premières dans les années 1990 et 1980; on a plaidé coupable à une violation de la Loi sur l'accise. Il s'agit d'un problème qui a été réglé avec le gouvernement fédéral et, aujourd'hui, le problème auquel nous faisons face est tout autre, compte tenu des 50 usines illégales et des 175 groupes de crime organisé qui génèrent la contrebande du tabac.
Le sénateur Boisvenu : Les usines autochtones viennent donc un peu déséquilibrer les lois du commerce en ce qui a trait à la cigarette. Quel est le pourcentage de cigarettes sur le marché au Québec ou au Canada qui proviennent d'entreprises légales comme la vôtre et le pourcentage de celles qui proviennent des entreprises autochtones et autres? Le pourcentage se situe à combien?
M. Gagnon : Il est très difficile de le savoir. On aimerait bien pouvoir mettre le doigt sur un niveau. Étant donné qu'il s'agit d'une activité illégale, il est difficile d'arriver à un chiffre exact. Sur le plan national, plusieurs groupes semblent s'entendre sur un pourcentage qui se situe entre 20 et 30 p. 100. Toutefois, encore hier, une étude a été publiée selon laquelle, en Ontario, 42 p. 100 des cigarettes qui y sont vendues sont illégales, et au Québec, ce serait entre 15 et 25 p. 100.
Le sénateur Boisvenu : Cela correspond à quoi comme somme d'argent en ce qui a trait à la vente? Quand on parle de 40 p. 100 de cigarettes illégales vendues, cela correspond à quoi comme somme d'argent illégal?
M. Gagnon : J'imagine que l'on parle de milliards de dollars. Je ne sais pas si mon collègue a un chiffre, mais moi, je n'ai pas de chiffre précis. En termes de revenus pour les gouvernements au Canada, cela représente plus de 2 milliards de dollars par année. Les gouvernements au Canada font déjà 7 milliards de revenus sur les taxes liées au tabac. Il y a environ 2 milliards de dollars, d'un bout à l'autre du Canada, qui ne sont pas perçus en raison de la contrebande du tabac.
Le sénateur Boisvenu : Votre entreprise est-elle en croissance ou en décroissance?
M. Gagnon : L'industrie décroît à un cycle d'environ 1 p. 100 par année.
Le sénateur Boisvenu : Quelle est la part du marché que vous avez perdu depuis 10 ans?
M. Gagnon : Imperial Tobacco est le chef de file sur le marché. Notre entreprise détient environ 50 p. 100 du marché.
Le sénateur Boisvenu : Donc, votre entreprise est stable.
M. Gagnon : Oui, elle est relativement stable. Le marché décroît d'année en année. En raison des récentes augmentations de taxes au Québec, en Ontario et au niveau fédéral, il y a de plus en plus de ventes légales, selon des données que nous avons obtenues. Or, cette décroissance s'est accélérée dans tous les points de vente, notamment dans ceux qui sont plus près des réserves des Premières Nations.
Pour revenir au commentaire formulé plus tôt, il y a, effectivement, une corrélation très directe entre les augmentations de taxes, le prix du produit et la contrebande. Ce n'est pas seulement l'avis d'Imperial Tobacco. Selon des tierces parties, notamment des groupes de santé, le plus gros problème relève de la contrebande de tabac.
Le sénateur Joyal : Je vais m'adresser à vous d'abord, monsieur Gagnon.
[Traduction]
M. Myers voudra peut-être faire des observations par la suite.
[Français]
Quand M. Saint-Denis, conseiller principal du ministère de la Justice, a comparu pour présenter le projet de loi le 18 septembre dernier, je lui ai demandé quelles étaient les études sur lesquelles le gouvernement pouvait s'appuyer pour arriver à la conclusion que le projet de loi était nécessaire, et si ce texte de loi répondait aux recommandations ou aux constatations qui ont été faites en ce qui concerne la contrebande ou l'augmentation de la contrebande.
Maintenant, je vous lis la question posée à M. Saint-Denis, ainsi que la réponse qu'il a donnée :
Monsieur Saint-Denis, comme vous n'avez pas consulté les représentants autochtones et les procureurs généraux des provinces, sur quelle étude factuelle vous êtes-vous fondé pour arriver à conclure qu'il était important d'amender le Code criminel selon les dispositions que vous nous proposez aujourd'hui?
Et voici ce qu'il a répondu :
Nous n'avions aucune étude qui nous a incités à accomplir cela. Nous avons eu des directives et nous les avons suivies pour ce qui est de la création d'une nouvelle infraction.
Je lui avais ensuite demandé de qui venaient les directives. Il a répondu qu'elles venaient du ministre, c'est-à-dire d'une source politique.
Je poursuis :
Monsieur Saint-Denis : Le ministre a mis de l'avant une politique qu'il voulait que nous adoptions. Nous l'avons donc fait. »
Sénateur Joyal : Donc, ce n'est pas à la suite d'un rapport de la Gendarmerie royale qui, dans les cas de contrebande de certains produits, arrive à la conclusion qu'il y a lieu de resserrer les peines, parce que ce serait un moyen efficace d'atteindre les objectifs qu'ils n'arrivent pas à respecter dans le cadre législatif actuel.
Nous sommes saisis d'un projet de loi dont nous devons examiner les répercussions, alors que nous ne connaissons ni la base de recherche ni la base factuelle qui inciteraient le gouvernement à agir immédiatement, tel que le propose le projet de loi. Il en est de même pour les peines définies dans le projet de loi faisant suite aux recommandations formulées.
[Traduction]
Par exemple, M. Myers l'a peut-être fait dans le cadre de son étude sur la contrebande.
[Français]
Pouvez-vous nous donner vos commentaires sur l'étrange origine du projet de loi par rapport aux objectifs que nous souhaitons atteindre?
M. Gagnon : Dans un premier temps, je ne voudrais pas répondre au nom de M. Saint-Denis, mais plusieurs études démontrent qu'il y a un problème important de contrebande au Canada. Ce ne sont pas les études qui manquent. À mon avis, le rapport le plus important, c'est celui de la GRC. À l'époque, le gouvernement fédéral avait créé une stratégie sur la contrebande et la GRC avait mis à jour cette étude. Cette dernière établit un lien étroit entre la contrebande de tabac et le crime organisé.
Selon M. Myers, il est prouvé que certains bénéfices et une partie des recettes récoltées de la contrebande au Canada aboutissent dans d'autres pays pour financer le crime organisé. Je serais heureux de vous faire suivre différentes études qui confirment la nécessité de mettre en place diverses initiatives.
Le sénateur Joyal : Faites-vous référence au rapport de 2008-2009?
M. Gagnon : C'est exact. Celui de 2008 était le rapport initial. Cette stratégie a été révisée la dernière fois en 2013. Cependant, de nombreuses études révèlent que la contrebande de tabac est un grand fléau au Canada. En outre, ce qui est encore plus important, c'est le lien avec le crime organisé.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Monsieur Myers, voulez-vous ajouter des observations à la réponse de M. Gagnon?
M. Myers : Non, je ne crois pas avoir grand-chose à ajouter, sauf pour dire que l'une des démarches que nous avons faites dans le cadre de nos recherches pour rédiger nos articles parus dans le magazine FrontLine Security, c'est de nous pencher sur la situation dans d'autres pays, dont aux États-Unis. Nous avons constaté qu'il y avait de nombreux cas où il existait un lien entre la contrebande du tabac et le crime organisé. Il y a eu de nombreuses études réalisées aux États-Unis, dont des études des mégots, qui traitent de la prévalence du tabac de contrebande dans les collectivités.
L'une des choses qui me préoccupent, c'est de voir le sens moral des gens se dérégler. Nous voyons des agriculteurs qui sont normalement des citoyens respectueux des lois devenir des criminels. Nous l'avons vu souvent aux États, où des propriétaires de petits commerces à New York vendent des produits du tabac de contrebande, sinon ils feraient faillite.
Nous avons été témoins de problèmes semblables au Canada, où des détaillants ont fait faillite parce que les dépanneurs dépendent de la vente de cigarettes pour maintenir leurs commerces à flot. Ils vendent aussi des bouteilles de Coke et d'autres produits, mais c'est la vente de cigarettes qui leur permettent de rester en affaires.
Si quelqu'un au bout de la rue vend des cartouches de cigarettes de contrebande à l'arrière d'une camionnette, cela nuira aux affaires des propriétaires de dépanneurs, et c'est déjà le cas. Certaines études ont révélé que la contrebande a entraîné la fermeture de 40 p. 100 des commerces de détail dans certaines régions. C'est un énorme problème.
À mon avis, le problème, ce sont les répercussions sur les collectivités. Cela incite les gens à commettre des crimes dans les collectivités. Si vous habitez une région où l'on se livre à la contrebande dans le sud de l'Ontario, vous verrez tard le soir des camions circulés avec de grandes quantités de produits du tabac qui finiront sur les marchés illégaux.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup à tous les deux d'être venus ici aujourd'hui et de nous avoir fait part d'un point de vue important dont nous avons beaucoup entendu parler lorsque notre comité s'est penché pour la première fois sur une version précédente de ce projet de loi en particulier, mais nous en avons peu entendu parler jusqu'à présent.
Ce dont on nous a parlé dans le passé, c'est du rôle important que joue le crime organisé dans la contrebande du tabac. Des témoins nous ont signalé que les mêmes circuits pour faire la contrebande des produits du tabac sont utilisés pour la contrebande de drogues et d'armes. Monsieur Myers, je me demande si vous avez d'autres observations à faire à ce sujet.
Je pense également que ce projet de loi en particulier envoie le message clair qu'il s'agit d'activités criminelles graves. Ce n'est pas seulement une question fiscale. C'est une activité criminelle grave, lourde de conséquences pour les Canadiens. J'aimerais demander à M. Myers s'il pourrait nous en dire plus long à ce sujet.
Monsieur Gagnon, vous avez dit que l'une de vos recommandations serait que le gouvernement fédéral sensibilise les consommateurs à la contrebande du tabac et au lien avec le crime organisé, notamment. D'après vous, quelle est la meilleure façon de s'y prendre?
M. Myers : Pourriez-vous reposer la question?
La sénatrice Batters : J'aimerais que vous parliez du lien entre la contrebande du tabac et le crime organisé. Vous en avez touché un mot tout à l'heure, mais pourriez-vous nous donner plus de détails? De plus, pouvez-vous parler plus particulièrement de vos importantes recherches au sujet des mêmes circuits qui sont utilisés pour faire la contrebande du tabac et la contrebande de drogues et d'armes?
M. Myers : En fait, j'ai participé à la préparation d'une vidéo l'hiver dernier. On y trouve des gens qui ont été accusés d'avoir utilisé le produit de la vente de biens de contrebande pour financer des organisations liées au Hamas. Nous les avons filmés en pleine action. Nous avons brouillé leurs visages et modifié leurs voix, mais ils ont admis utiliser le produit illicite de ces activités pour financer des organisations terroristes.
Nous avons entendu dire que les sentiers de piégeage qui sont utilisés pour la contrebande du tabac entre le Canada et les États-Unis, près d'Akwesasne, servent aussi à l'importation d'armes et de cocaïne au Canada et à l'exportation de marijuana vers les États-Unis.
Nous avons vu des images de hors-bord chargés de tabac partant du côté canadien à minuit et traversant le fleuve Saint-Laurent à toute vitesse jusqu'aux États-Unis, où l'on décharge rapidement la marchandise avant de l'expédier vers le sud. Dans l'État de New York, les marges sur ces produits sont phénoménales, tout simplement en raison des taux de taxes à cet endroit. Les taxes sont très élevées là-bas. Donc, pour les Américains, c'est vraiment économique.
Nous voyons beaucoup d'activités de ce genre. En fait, dans le cadre de notre travail à cet égard, nous avons trouvé beaucoup de données probantes. Je serais heureux de les fournir au comité.
La sénatrice Batters : Ce serait utile. Merci.
M. Gagnon : Honnêtement, nous n'avons pas encore déterminé la forme que prendra la campagne d'information, mais parmi les éléments clés, il faut d'abord noter qu'il y a des points chauds. Nous avons parlé du fait que le Québec et l'Ontario sont des plaques tournantes de la contrebande. Si nous lançons une campagne d'information, ces marchés devront probablement se retrouver dans le haut de la liste.
De plus, du côté des consommateurs, beaucoup de gens pensent que c'est un crime impuni. Les gens doivent comprendre que ce n'est pas le cas. Ce n'est pas parce qu'il s'agit de tabac que cela ne s'accompagne pas de sanctions juridiques. Or, c'est ce que l'on a vu au Canada au cours de la dernière décennie. Beaucoup de gens pensent qu'ils peuvent acheter ces produits auprès d'amis et de membres de leur famille; des gens achètent une caisse, la rapportent dans leur collectivité pour ensuite vendre les produits à gauche et à droite en ayant l'impression qu'il n'y a pas de mal à cela. Je pense que les gens doivent savoir que ce n'est pas un crime qui demeure impuni. Il y a beaucoup de bons exemples de saisies et de gens qui ont été reconnus coupables d'avoir vendu du tabac de contrebande, ce qui comporte des conséquences.
Le sénateur McIntyre : Dans vos déclarations respectives, vous avez tous les deux parlé de la question de l'application de la loi. Aujourd'hui, nous sommes saisis du projet de loi C-10, mais auparavant, nous avons traité du projet de loi S-16, qui n'a pas été adopté en raison de la prorogation du Parlement.
Le projet de loi S-16 visait la création d'une force spéciale de lutte contre la contrebande du tabac composée de 50 agents de la GRC pour cibler les groupes du crime organisé impliqués dans la production et la distribution de tabac de contrebande. Or, il n'y a aucune mention de cette force spéciale de lutte contre la contrebande du tabac composée de 50 agents de la GRC dans le projet de loi C-10. Toutefois, en gardant cela à l'esprit, croyez-vous que c'est ce genre de force d'application de la loi qu'il nous faut pour lutter contre la contrebande de tabac? Est-ce cela qu'il nous faut?
M. Gagnon : Je crois en avoir parlé dans mon exposé. Il s'agit d'un pas dans la bonne direction, mais je pense que le succès que l'on peut obtenir grâce à l'application de la loi est limité. Tant que nous n'aurons pas réussi à régler le problème de l'approvisionnement en produits de contrebande, ce sera difficile, pour être honnête. Ce sera utile. Je pense qu'un bon exemple est celui du Québec. On y a mis en place de bonnes mesures et cela a donné des résultats. Toutefois, il faut s'assurer que les agents de lutte contre la contrebande disposent des pouvoirs adéquats. S'ils procèdent à des arrestations, ils ont le droit de saisir les produits et de retirer les permis. Le Québec a beaucoup de règlements qui pourraient être repris en Ontario, par exemple.
Encore une fois, pour répondre précisément à votre question, oui, nous sommes favorables à toute réglementation liée à l'application de la loi, mais si cela pouvait être jumelé à des mesures de lutte contre l'approvisionnement, alors ce serait encore mieux.
M. Myers : Si vous le permettez, je ne suis pas tout à fait certain que ce soit une bonne mesure. Au risque de déplaire au sénateur White, je dirais que je ne crois pas que la GRC ait été très efficace dans la lutte contre le tabac de contrebande au Canada. Lorsque nous avons essayé d'en parler avec la GRC, on nous a répondu qu'on ne considérait pas cela comme un problème. La GRC ne s'y intéresse pas trop à moins que ce ne soit accompagné de toutes sortes de complots, de grosses transactions, de meurtres, et cetera. Je pense que l'élément-clé de la mesure législative proposée serait que l'on accorde des pouvoirs aux organismes municipaux et provinciaux d'application de la loi.
En passant, ce que nous avons remarqué dans le passé, c'est que des forces comme la Sûreté du Québec ont été très efficaces dans leur lutte contre un grand nombre de groupes criminels impliqués dans la contrebande de tabac. Je pense que la Police provinciale de l'Ontario se prépare à faire la même chose.
Encore une fois, je pense qu'au lieu de dépenser 90 millions de dollars pour la GRC, il faut prendre la moitié de cette somme pour créer un poste d'ombudsman enquêteur auquel on accorderait le pouvoir d'enquêter — aux échelons fédéral, provincial et municipal — sur la contrebande de tabac et les problèmes connexes.
Le sénateur Lang : Je veux poursuivre dans la même veine que la sénatrice Batters. Elle a parlé du problème du crime organisé et elle a fait valoir — à juste titre, je pense — que c'est un problème très grave qui touche les Canadiens. Vous avez parlé des drogues et de la contrebande d'armes à feu, et sur le plan de la santé, c'est manifestement un problème très grave. Il convient de se rappeler que cela doit être au sens des préoccupations du point de vue de la politique publique en général. Lorsque les jeunes peuvent acheter des cigarettes à 15 $ au lieu de 88 $, on sait immédiatement où ils les achètent et il apparaît évident qu'ils développent ainsi une dépendance beaucoup plus rapidement.
Il y a un aspect dont nous avons peu parlé. J'aimerais poser une question à M. Myers à ce sujet. Vous avez parlé de votre vidéo intitulée Smoke and Terror, et vous avez déterminé que le produit de la contrebande servait au financement du Hamas et de groupes terroristes.
M. Myers : Oui.
Le sénateur Lang : Cela devrait être une de nos très grandes préoccupations. Vous pourriez sans doute nous en parler davantage. À votre connaissance, étant donné les renseignements nécessaires pour capturer et traduire ces personnes en justice, des accusations ont-elles été portées contre des individus mêlés à la contrebande de cigarettes?
M. Myers : Pas au Canada, à ma connaissance, mais aux États-Unis, oui. Si vous le voulez, je peux vous fournir une copie de cette vidéo. C'est une vidéo très prenante dans laquelle on établit clairement ces liens. Je n'en connais pas l'ampleur, mais il existe un lien très clair entre les gens qui font le commerce de produits de contrebande aux États-Unis et le financement de groupes terroristes. Si vous le désirez, monsieur, je vais vous fournir une copie de la vidéo.
Le sénateur Lang : Monsieur le président, je ne pense pas qu'on ait répondu à ma question. Y a-t-il eu des accusations?
M. Myers : Oui.
Le sénateur Lang : Elles ont mené à des condamnations?
M. Myers : Oui.
Le sénateur Lang : Pourriez-vous nous donner une idée du montant en cause?
M. Myers : Je suis désolé; je n'en connais pas les détails, à première vue. Cependant, je peux me renseigner pour vous.
Le sénateur McInnis : Ma question a déjà été posée, pour ainsi dire, mais j'ai une brève question que j'aurais dû poser aux gens du groupe d'experts précédent.
Il me semble que certaines sociétés non autochtones pourraient avoir un rôle implicite dans la production de cigarettes de contrebande. D'où proviennent le papier, les filtres et les produits qui, outre le tabac, entrent dans la composition des cigarettes? Quelqu'un le sait?
M. Myers : Probablement de la Chine. Principalement de la Chine, je pense.
M. Gagnon : Nous savons que pour le tabac, il y a eu beaucoup de saisies en Caroline du Nord ou en Ontario. C'est là qu'ils l'achètent. M. Myers a indiqué que certains trafiquants achetaient le tabac de producteurs ontariens et de producteurs de la Caroline du Nord et de la Caroline du Sud. Fabriquer une cigarette, c'est simple : il faut du tabac...
Le sénateur McInnis : Je sais que c'est simple. On peut acheter des cylindres à rouler. J'en ai vu. Cependant, il faut du papier et des filtres.
M. Myers : Sénateur, sur Internet, il y a un site web appelé TradeKey sur lequel on peut commander un million de filtres ou de feuilles de papier à cigarettes. Aucun problème. Des gens de partout — de l'Inde, du Pakistan et de la Chine, surtout de la Chine — seraient plus qu'heureux de vous vendre tout le papier que vous voulez.
Remarquez que ce n'est pas le même papier que celui qu'utilisent les sociétés légitimes; lorsqu'on ne tire pas sur la cigarette, elle s'éteint. Ces autres papiers ne sont pas traités de la même façon; ils continuent de brûler même si vous ne tirez pas sur la cigarette. Cela présente donc un risque d'incendie. Il s'agit de produits de qualité inférieure qui proviennent de l'étranger. Une fois dans les mains de l'acheteur, leur qualité est d'autant plus inférieure.
Le président : Monsieur Myers, depuis la fermeture de l'Office de commercialisation des producteurs du tabac jaune de l'Ontario — il y a deux ou trois ans —, ni la production, ni la vente, ni la commercialisation du tabac brut n'ont fait l'objet d'une surveillance.
Plus tôt, vous avez évoqué le sens moral. J'ai entendu parler de bonnes gens qui sont touchés par cet enjeu, en particulier dans le sud-ouest de l'Ontario. À votre avis, quelle incidence cela a-t-il sur la croissance du marché illicite en Ontario?
M. Myers : Monsieur, je pense que c'est un grave problème dans cette région. À mon avis, le ministère des Finances de l'Ontario a failli à son devoir dans ce dossier. Il devait réglementer cette industrie. La résolution de ce problème a maintes fois été repoussée, et il semble que l'on doive maintenant attendre au moins jusqu'en janvier 2015 avant qu'un régime soit mis en place pour réglementer l'industrie. Entre-temps, tout est permis, là-bas. Personne ne comptabilise les récoltes, le rendement et les choses du genre.
Donc, d'après ce que nous avons appris des gens qui sont sur le terrain, une bonne quantité du tabac produit dans ces exploitations agricoles n'est pas comptabilisée et se retrouve au mauvais endroit.
M. Gagnon : M. Myers fait référence au projet de loi 186, qui devrait être présenté en Ontario en janvier. J'inviterais fortement le gouvernement fédéral à s'assurer que l'Ontario surveille la production de tabac. Dans le dossier de la contrebande, c'est un problème majeur.
Le président : Y a-t-il eu de la publicité à cet égard?
M. Myers : Oui.
Le président : Très bien.
M. Myers : J'ai écrit un article intitulé « Tillsonburg Tragedy ». Il a été publié dans deux ou trois journaux du sud de l'Ontario dans le dernier mois. Il porte sur cet environnement digne du Far West qui s'installe dans la région. Je serais heureux de vous fournir le lien, si vous le voulez.
Le président : En quelque sorte, il est hypocrite de la part du gouvernement provincial de se plaindre de la contrebande du tabac s'il permet en même temps que cette atmosphère du Far West se poursuive.
M. Myers : Exactement.
Le président : Eh bien, nous devons conclure pour laisser la place à un autre comité. Messieurs, merci d'être venus ce soir et de nous avoir aidés dans notre étude.
(La séance est levée.)