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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 17 - Témoignages du 25 septembre 2014


OTTAWA, le jeudi 25 septembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac), se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux citoyens qui écoutent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac). Selon le sommaire, le texte modifie le code afin de créer une nouvelle infraction de contrebande de tabac et d'établir des peines minimales obligatoires d'emprisonnement en cas de récidive.

Un projet de loi identique avait été présenté au cours de la dernière session parlementaire sous le numéro S-16. Le comité avait alors consacré quatre séances au sujet et entendu 17 témoins, au total.

Le 9 mai 2013, le comité avait renvoyé le projet de loi S-16 au Sénat sans amendement, mais accompagné d'une observation sur la définition d'un « agent », au sens employé dans le projet de loi et d'autres textes de coordination.

Comme vous le savez tous, le projet de loi S-16 est mort au Feuilleton lors de la prorogation, et a été remplacé par le projet de loi C-10, qui a été présenté le 5 novembre 2013. Nous en sommes à notre troisième séance sur le projet de loi.

J'aimerais rappeler à ceux qui nous écoutent que les délibérations du comité sont ouvertes au public et qu'elles sont aussi diffusées sur le site web sen.parl.gc.ca. Vous trouverez plus d'information quant à l'horaire des témoins sur le site web, dans la section « Comités du Sénat ».

Accueillons sans plus tarder notre premier groupe d'experts : Trevor Bhupsingh, directeur général de la Direction générale de l'application de la loi et des stratégies frontalières, à Sécurité publique du Canada; Geoff Leckey, directeur général des Opérations relatives à l'exécution de la loi et au renseignement, à l'Agence des Services frontaliers du Canada, ou ASFC; le surintendant Jean Cormier, directeur des Centres de coordination de la police fédérale, à la Gendarmerie royale du Canada, ou GRC; et le surintendant Carson Pardy, directeur des opérations de la Région de l'Est, à la Police provinciale de l'Ontario, ou PPO.

On m'a donné une liste dictant l'ordre de vos déclarations liminaires, et nous allons commencer par M. Bhupsingh.

Trevor Bhupsingh, directeur général, Direction générale de l'application de la loi et des stratégies frontalières, Sécurité publique Canada : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. J'aimerais vous remercier de m'avoir donné l'occasion ce matin de parler devant le comité dans le cadre de son étude du projet de loi C-10, Loi visant à combattre la contrebande de tabac.

La contrebande de tabac est un problème de taille qui, en plus de nuire à notre économie, représente une menace sérieuse pour la sécurité publique de la population et des collectivités canadiennes.

Il ne s'agit pas d'un crime ne faisant aucune victime. La fabrication et la distribution de cette marchandise illégale stimulent la croissance des réseaux du crime organisé, qui en réinvestissent les profits dans d'autres formes d'activité criminelle, telles que le trafic de drogue et d'armes, et la traite de personnes.

En 2012, des évaluations du renseignement laissaient entendre que plus de 58 groupes criminels organisés connus participaient à la fabrication et à la distribution de tabac de contrebande. Outre cela, l'accessibilité et le prix modique du tabac de contrebande sont attirants pour nos jeunes, ce qui compromet bien souvent nos objectifs en matière de santé publique.

[Français]

Le projet de loi C-10 cible précisément les groupes criminels organisés qui font le trafic d'un volume élevé de tabac de contrebande et vise ainsi à réduire la présence de cette marchandise illicite dans nos collectivités. Le projet de loi donnera à la GRC et à ses partenaires chargés de l'application de la loi, y compris les services de police provinciale, un nouvel outil contre le crime organisé lié au commerce du tabac de contrebande.

[Traduction]

Le projet de loi C-10 vient compléter les mesures fédérales de contrôle du tabac déjà en place pour réduire l'offre et la demande de tabac de contrebande, notamment la Stratégie de lutte contre le tabac de contrebande de la GRC et la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme, qui ont établi une approche de contrôle du tabac exhaustive en application de quatre piliers, soit la prévention, le renoncement, la protection et la réduction du danger.

De plus, la nouvelle infraction proposée appuiera les efforts du groupe de travail sur la lutte contre le tabac de contrebande de la GRC, qui cible le crime organisé mêlé au marché du tabac de contrebande, et qui dirige actuellement des opérations dans le corridor de London à Valleyfield, connu comme un important secteur de contrebande de tabac.

La majeure partie du tabac de contrebande qu'on trouve au Canada est fabriqué dans des collectivités autochtones des deux côtés de la frontière canado-américaine. Les réseaux du crime organisé exploitent ces collectivités et tirent parti de leurs relations délicates en matière de compétences et de politiques avec les autres collectivités, les autorités et les forces de l'ordre.

Cela dit, les Premières Nations sont disposées à collaborer avec les gouvernements fédéral et provinciaux pour s'attaquer au crime organisé. À cette fin, la GRC travaille en étroite collaboration avec la police des Premières Nations, comme le service de police mohawk d'Akwesasne, afin d'appuyer les opérations policières conjointes contre le crime organisé aux environs des collectivités. En misant sur ce partenariat, 10 policiers autochtones seront ajoutés au groupe de travail afin d'accroître la capacité d'enquête des services de police des Premières Nations dans le but de lutter contre le crime organisé dans les collectivités à haut risque.

Plusieurs groupes ont exprimé leur soutien des mesures proposées dans le projet de loi C-10, y compris l'Association canadienne des dépanneurs en alimentation et la Coalition nationale contre le tabac de contrebande, qui ont reconnu que les mesures permettront aux services de police de mieux combattre la contrebande de tabac.

J'ai surtout parlé d'application de la loi, mais les forces de l'ordre ne régleront pas le problème à elles seules. C'est pourquoi Sécurité publique du Canada et ses partenaires fédéraux continueront d'envisager d'autres mesures pour contrer le tabac de contrebande, en collaboration avec les autorités provinciales, territoriales et autochtones, les forces de l'ordre, l'industrie, les intervenants et la communauté internationale, dans certains cas.

Pour terminer, en plus d'offrir un nouvel outil aux organismes fédéraux et provinciaux d'application de la loi, la mise en œuvre du projet de loi C-10 criminaliserait la contrebande de tabac en créant une nouvelle infraction au Code criminel, dont les sanctions correspondraient à la gravité du crime, et en établissant une peine d'emprisonnement obligatoire en cas de récidive.

Je vous remercie encore de m'avoir donné l'occasion de vous parler de cette importante question. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions en compagnie de mes confrères.

Surintendant Jean Cormier, directeur, Centres de coordination de la police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de m'avoir invité aujourd'hui avec mes confrères pour parler du projet de loi C-10, la Loi visant à combattre la contrebande de tabac, qui créera une nouvelle infraction de contrebande de tabac et établira des peines minimales obligatoires en cas de récidive.

[Français]

Afin d'appuyer votre comité dans ses travaux, j'aimerais vous donner un aperçu général des défis que la contrebande du tabac pose pour la GRC, ainsi qu'un résumé de nos activités de répression à cet égard.

[Traduction]

Des organisations criminelles sont impliquées dans la production, la distribution et la contrebande de tabac, et elles exploitent les communautés des Premières Nations, où violence et intimidation continuent d'accompagner les produits illicites du tabac. Les fruits de la vente illégale du tabac de contrebande servent souvent à financer d'autres activités du crime organisé, comme les drogues et les armes à feu.

[Français]

La contrebande du tabac constitue toujours une grave menace à la sécurité publique et, si rien n'est fait pour l'enrayer ou la prévenir, les organisations criminelles continueront d'en tirer profit. La lutte contre le crime organisé est une priorité stratégique de la GRC.

[Traduction]

Reconnaissant le niveau de participation des organisations criminelles aux produits illicites, la GRC a lancé en 2008 la Stratégie de lutte contre le tabac de contrebande, dont l'objectif global est de réduire l'offre et la demande de tabac de contrebande au Canada.

En plus de la contrebande de tabac aux points d'entrée de la frontière canado-américaine, une contrebande intense continue de prospérer dans le corridor de Cornwall à Valleyfield. La ville de Cornwall, en Ontario, se trouve d'ailleurs dans la région canadienne la plus touchée par la contrebande de tabac, qui s'effectue pour l'essentiel entre les points d'entrée. Cette situation présente des difficultés particulières pour les forces de l'ordre.

[Français]

En 2012, les produits de tabac en transit qui ont été saisis étaient transportés à bord d'automobiles, de motoneiges, de véhicules tout terrain et de bateaux.

[Traduction]

La GRC a aussi intercepté du tabac de contrebande acheminé par la poste et les services aériens. Elle collabore étroitement avec ses partenaires des forces de l'ordre et du gouvernement pour remédier à cette situation difficile.

La GRC s'associe à divers organismes pour réprimer la contrebande de tabac. À Cornwall, par exemple, elle travaille avec le service de police mohawk d'Akwesasne, le ministère ontarien des Finances et l'Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, afin de lutter contre le crime organisé mêlé à la contrebande de tabac et à d'autres formes de criminalité.

En 2013, le gouvernement a réitéré sa volonté de s'attaquer à la contrebande de tabac en annonçant la création du nouveau groupe de travail sur la lutte contre le tabac de contrebande de la GRC, qui est en service depuis cet été, soit 2014. Le groupe de travail mène ses opérations dans les régions où il semblerait que les activités de contrebande de tabac sont les plus intenses, et il cible surtout les activités du crime organisé.

[Français]

L'équipe anticontrebande a renforcé la capacité de la GRC à enquêter sur le crime organisé et la contrebande transfrontalière de tabac de même qu'à cibler les producteurs de tabac sans scrupules et les fabricants illicites.

[Traduction]

Le groupe de travail est aussi chargé d'ouvrir le dialogue avec les producteurs de tabac et les fournisseurs des matières premières utilisées dans la fabrication du tabac.

Aux initiatives susmentionnées s'ajoute une enveloppe de 91,7 millions de dollars sur cinq ans prévue au budget de 2014 pour permettre à la GRC de mieux lutter contre le crime organisé grâce à de meilleurs systèmes de surveillance électronique aux frontières. Ces fonds serviront à durcir l'action policière axée sur le renseignement contre le tabac de contrebande et d'autres activités criminelles transfrontalières, et nous permettront d'intervenir en temps réel à des alertes à risque élevé. L'atteinte de ces objectifs sera possible grâce à la création d'un centre de renseignement géospatial et de répartition automatisée, qui assurera l'intégration et l'analyse des renseignements techniques, et à la mise en place d'une série de capteurs de détection du mouvement dans les régions transfrontalières à haut risque, depuis la frontière séparant le Québec et le Maine jusqu'à Oakville, en Ontario. La GRC s'emploie actuellement à déterminer le type de technologie qui sera mise en place dans ces secteurs.

[Français]

Je vous remercie de m'avoir invité à participer à cette importante audience. Je suis disposé à répondre à vos questions, si vous en avez.

[Traduction]

Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives à l'exécution de la loi et au renseignement, Agence des services frontaliers du Canada : Bonjour. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître dans le cadre de votre étude du projet de loi C-10, la proposition de Loi visant à combattre la contrebande de tabac.

Comme je l'ai dit en décembre dernier devant le Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, le marché canadien des cigarettes de contrebande a grandement changé ces 20 dernières années. Avant, la majeure partie du marché se composait de cigarettes canadiennes en franchise de droits et exportées. Aujourd'hui, il comprend dans un premier temps les cigarettes de marques autochtones produites illégalement, qui sont transportées par voies terrestres et, en deuxième lieu, les produits du tabac chinois et d'autres marques internationales qui entrent au Canada par tous les modes de transport.

[Français]

Le comité conviendra que le démantèlement des réseaux criminels actifs dans le mouvement transfrontalier du tabac de contrebande exige de l'information et des renseignements fiables et la capacité d'intervenir. La stratégie de lutte contre le tabac illicite au Canada doit être holistique. Toutes les organisations doivent travailler ensemble pour contribuer à la solution.

Pour sa part, l'Agence des services frontaliers du Canada possède un programme de renseignement qui sert aussi les besoins de la grande communauté du renseignement, en même temps que les activités de celle-ci profitent à la ASFC. Cette collaboration permet à chacun de disposer en temps voulu d'informations pertinentes fiables. Elle permet aussi de préparer à des fins tactiques et stratégiques du renseignement visant à faciliter le ciblage efficace des personnes, des marchandises et des entreprises qui présentent un risque élevé.

[Traduction]

Puisqu'elle contribue aux activités du renseignement, l'ASFC s'associe à d'autres ministères, aux forces de l'ordre, à des organisations internationales et à des gouvernements étrangers pour analyser les opérations et activités du crime organisé, y compris les marchés criminels de contrebande.

L'ASFC est un membre actif d'un certain nombre d'opérations policières conjointes dans la vallée du Saint-Laurent. Elle fait notamment partie de l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé, qui réunit des membres de la GRC, de la Police provinciale de l'Ontario et des forces municipales, et qui a pour mandat de démasquer les activités du crime organisé, de faire enquête, d'intenter des poursuites, de démanteler les groupes et de mettre un terme à leurs activités.

J'aimerais aussi mentionner la Section intégrée du renseignement criminel, qui réunit des organismes d'application de la loi canadiens et américains, y compris le service de police mohawk d'Akwesasne, pour lutter contre la circulation transfrontalière des produits illicites du tabac.

[Français]

Parmi tous ses partenaires, l'ASFC collabore quotidiennement avec la GRC et le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis pour résoudre des questions ayant trait au maintien de l'ordre. Par exemple, l'Agence des services frontaliers du Canada, de même que son partenaire américain et la GRC, fait partie d'équipes intégrées de la police des frontières (EIPF). Il existe 15 EIPF qui travaillent à 24 endroits pour mieux assurer l'intégrité et la sécurité de la frontière canado-américaine.

L'Agence des services frontaliers du Canada aide également la GRC dans les opérations se rattachant à la livraison surveillée des produits du tabac. Selon cette méthode, l'ASFC doit laisser passer les contenants de cigarettes illicites qu'elle intercepte à l'un de ses points d'entrée de sorte qu'ils se rendent à destination sous étroite surveillance pour qu'on puisse arrêter et poursuivre en justice les contrevenants qui les reçoivent.

[Traduction]

Bien qu'ils soient nécessaires, l'information et le renseignement ne suffisent pas à contrôler efficacement les frontières. L'ASFC compte aussi sur la formation des agents et sur les technologies pour empêcher que les produits illicites ne traversent la frontière, y compris le tabac de contrebande. L'ASFC utilise de l'équipement d'imagerie à grande échelle pour inspecter les conteneurs maritimes et les camions, et fournit aux agents de première ligne des trousses de détection de la contrefaçon pour qu'ils puissent déterminer immédiatement, sur le terrain si un produit du tabac est contrefait ou non.

[Français]

Tout récemment, le 16 septembre dernier, les agents des services frontaliers ont arrêté au point d'entrée de Cornwall un véhicule qui faisait l'objet d'un avis de surveillance en lien avec le trafic de cigarettes de contrebande. Pendant l'examen, les agents ont découvert deux faux compartiments dans la boîte de la camionnette où se trouvaient 14 caisses de cigarettes de contrebande. Il y avait au total 700 cartouches de cigarettes, et chaque cartouche compte 200 cigarettes. Cette saisie montre bien ce que l'Agence des services frontaliers du Canada peut accomplir lorsque la formation et l'intuition des agents se combinent aux outils de détection et au travail des équipes d'exécution de la loi.

[Traduction]

Monsieur le président, les amendements précis du projet de loi dont le comité est saisi devraient avoir une incidence minimale sur les activités quotidiennes de l'ASFC, qui continue à participer activement et avec dévouement au processus d'application de la loi dans ce sérieux dossier.

J'espère avoir permis au comité de mieux comprendre les partenariats qui doivent être noués entre bien des organisations afin de combattre la contrebande de tabac. Je serai heureux de répondre aux questions du comité.

Surintendant Carson Pardy, directeur des opérations, Région de l'Est, Police provinciale de l'Ontario : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis ravi de comparaître à nouveau devant vous au nom de la Police provinciale de l'Ontario, ou PPO.

La PPO poursuit ses efforts afin de contrôler la fabrication, la distribution et la vente de produits de tabac de contrebande. Bien sûr, la contrebande est étroitement liée au passage clandestin et au crime organisé. En fait, les trois sont indissociables. Puisque ces activités traversent plusieurs territoires, la lutte contre la contrebande de tabac, le passage clandestin et le crime organisé nécessite des partenariats efficaces entre tous les services de police.

Malgré les différents partenariats formés depuis 1996, y compris le Groupe de travail régional de Cornwall, il y a encore une forte contrebande de tabac sur le fleuve Saint-Laurent, près de Cornwall et jusqu'à la Première Nation d'Akwesasne.

En 2010, nous avons élargi le partenariat au sein du Groupe de travail régional de Cornwall, qui compte actuellement des représentants de la GRC, de la PPO, du Service de police communautaire de Cornwall, du ministère du Revenu de l'Ontario, de l'ASFC, du Service des poursuites pénales du Canada, et des poursuites provinciales. Ces organisations font elles aussi partie de l'équipe. Le Groupe de travail régional de Cornwall est une opération policière conjointe éprouvée et efficace, qui contribue grandement à la sécurité publique.

Au sein du groupe de travail, les agents de la PPO travaillent directement avec la GRC et exercent des pouvoirs d'exécution qu'ils ne détiennent habituellement pas. En vertu des lois provinciales actuelles, les services de police du reste de l'Ontario ne sont pas autorisés à faire des fouilles et des saisies de tabac de contrebande, sauf en présence de représentants du ministère du Revenu. En 2011, des modifications fort nécessaires aux dispositions provinciales ont toutefois permis à la police ontarienne de saisir directement les produits du tabac illégaux et non étiquetés qui sont bien en vue — et j'insiste sur l'expression « bien en vue » —, puis de porter des accusations, s'il y a lieu, sans l'intervention du ministère du Revenu. Les modifications prévoyaient aussi des amendes plus salées pour la possession de cigarettes illégales en Ontario. Depuis le début de 2010, les équipes de contrôle routier de la PPO ont confisqué des dizaines de milliers de cartouches de cigarettes de contrebande.

Le prix du tabac de contrebande a monté en flèche, augmentant du même souffle le profit des criminels impliqués dans la contrebande et la distribution et, parallèlement, les préoccupations en matière de sécurité publique. Les passeurs clandestins se sont servis, pour enfreindre la loi, de propriétés privées, comme des quais et des maisons au bord de l'eau. Ils sont réputés pour leur agressivité envers quiconque essaie de les arrêter ou de leur mettre des bâtons dans les roues. Ils utilisent aussi des bateaux à grande puissance en pleine nuit et se déplacent à grande vitesse sans lumières, ce qui constitue un grand danger pour la navigation.

Bien sûr, les problèmes associés au tabac de contrebande ne se limitent pas au passage des produits dans la région de Cornwall. Le sud-ouest de l'Ontario est aussi touché. Les cabanes à cigarettes, comme on les appelle souvent, sont encore présentes sur la route 6 qui longe la réserve des Six Nations. La plupart sont situées stratégiquement pour que les non-Autochtones puissent acheter des cigarettes sans taxes, ce qui est illégal. C'est toutefois la possession de cigarettes de contrebande par des non-Autochtones qui est franchement illégale et que nous faisons respecter de notre mieux.

La vente de tabac dans les cabanes à cigarettes est un problème qui relève de différentes instances, et que la PPO ne peut pas régler à elle seule. La PPO n'applique ni la loi fédérale sur le tabac ni les lois fiscales provinciales, mais nous collaborons avec les organismes qui en sont responsables. Lorsque le ministre du Revenu de l'Ontario prend des mesures coercitives, la PPO lui offre un soutien pour assurer la sécurité du public et des routes.

Même si tout le monde peut faire de la contrebande ou vendre des cigarettes illégales, ces activités sont souvent associées, en Ontario, aux résidants des différentes Premières Nations. Voilà qui peut compliquer l'application de la loi, puisque les problèmes peuvent être exacerbés par les revendications de droits issus de traités et les pratiques ancestrales.

La contrebande de tabac est un problème complexe, et je n'en ai abordé que quelques aspects dans mon exposé. Comme toujours, la PPO appuie toute modification législative qui pourrait diminuer ou décourager la contrebande, la distribution et la vente de produits illicites du tabac.

Je vous remercie, et je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Je remercie tous les témoins. J'ai une longue liste d'intervenants, et nous allons commencer par le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins. Je tâcherai d'être le plus concis possible, compte tenu du temps qui m'est alloué. Je vais poser trois questions précises.

Monsieur Leckey, vous avez dit que la scène de la contrebande a changé au cours des 20 dernières années. Nous entendons souvent parler de contrebande au sein des Premières Nations. Or, la plus grande affaire de contrebande dont j'ai entendu parler au cours des 20 dernières années est aujourd'hui devant les tribunaux, et il s'agit d'une poursuite civile entre les producteurs de tabac de l'Ontario et les grandes sociétés de tabac. Dans votre mémoire, vous dites notamment que la situation a changé et que les grandes sociétés de tabac ne font plus de contrebande, mais que le problème s'est aussi déplacé du côté des Premières Nations, n'est-ce pas?

M. Leckey : Chose certaine, les grandes sociétés de tabac ne font plus de contrebande.

Le sénateur Baker : C'est terminé. En êtes-vous certain?

M. Leckey : Eh bien, nous ne voyons rien de tel.

Le sénateur Baker : Plus maintenant?

M. Leckey : Les deux grands procès et les amendes très sévères que les grandes sociétés ont dû payer ont fortement dissuadé ce genre de pratique.

Le sénateur Baker : Bien.

M. Leckey : Ce que nous voyons, ce sont de très grandes quantités de tabac à coupe fine importées en contrebande, ce qui est bien sûr le type de tabac qui sert à la production illégale de cigarettes du côté américain ou canadien de la frontière, et qui se retrouve sur le marché illégal du tabac.

Le sénateur Baker : Grâce à la GRC, une entente a été conclue avec les grandes sociétés de tabac, qui ont admis leur culpabilité en disant avoir fait de la contrebande pendant un certain temps.

Permettez-moi maintenant de poser une question à M. Bhupsingh, puisqu'il est spécialiste du domaine. Dans le projet de loi, les mots clés du libellé sont « qui ne sont pas estampillés ». On dit ensuite que « estampillés » s'entend au sens de l'article 2 de la Loi de 2001 sur l'accise. Je me souviens de son adoption. Selon la définition, je pense qu'un produit « estampillé » porte un timbre indiquant que la taxe d'accise a été acquittée par le manufacturier, n'est-ce pas?

M. Bhupsingh : C'est exact.

Le sénateur Baker : Autrement dit, lorsque vous trouvez du tabac, qu'il soit emballé ou non, il est accompagné d'une étiquette portant la mention « Taxe d'accise ». Voilà en quoi consiste le timbre.

Eh bien, selon une décision récente de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, il semble que le tabac actuellement produit par les Premières Nations porte un timbre; pourtant, il est bien moins cher que le tabac produit ailleurs. Par conséquent, ce tabac fabriqué en vertu d'un permis par les Premières Nations et portant un timbre n'est nullement touché par les dispositions du projet de loi, n'est-ce pas?

M. Bhupsingh : Le tabac estampillé? Il n'est pas couvert par les dispositions. Le problème, c'est que les producteurs mêlent les activités illégales avec les activités légales. C'est le défi qui se pose. Ce que nous voyons en Ontario et au Québec, c'est une production illégale de tabac non estampillé. Voilà l'activité que le projet de loi tente de cibler en s'attaquant aux éléments du crime organisé chez les producteurs illégaux sur réserve.

Le sénateur Baker : Ma dernière question s'adresse à la police. Vous avez tous les deux parlé des saisies de camions, de motoneiges, de bateaux, et ainsi de suite. Vous dites que les produits doivent être « bien en vue », ce qui est très important. Pouvez-vous imaginer des modifications qui devraient être apportées à la loi? J'ignore si vous pourrez répondre. Il faut avoir ce qu'on appelle communément un motif précis ou procéder à une détention aux fins d'enquête. Je suis certain que vous avez entendu ces expressions des agents de police. Quelles raisons justifient une détention aux fins d'enquête? Que faut-il respecter pour une telle détention afin d'effectuer une fouille ou de mener une enquête à des fins de fouille? Trouvez-vous encore cette voie difficile puisque, bien souvent, vos agents ne sont pas en mesure de faire ce qu'ils veulent en raison des restrictions de la loi — je suis d'accord, soit dit en passant —, qui empêchent dans certains cas de réaliser des fouilles tout à fait justifiées?

M. Pardy : Je peux répondre au nom de la PPO. Je suis d'accord, monsieur le sénateur, que la loi actuelle permet à toutes les forces de l'ordre d'appliquer le critère « bien en vue ». C'est bien implanté dans notre formation et dans les pouvoirs conférés aux tribunaux par la common law. Pour qu'un produit soit « bien en vue », l'agent doit le voir.

Au-delà des produits « bien en vue », que les agents arrivent à voir sans rien toucher, ni découvrir, ni fouiller, je conviens que les agents doivent s'en remettre aux pouvoirs conférés par le Code criminel pour avoir des motifs raisonnables et probables de demander un mandat de perquisition à un tribunal afin d'effectuer une fouille.

Le sénateur Baker : Le représentant de la GRC a-t-il quoi que ce soit à ajouter?

M. Cormier : Les pouvoirs qui nous sont conférés par la Loi sur l'accise sont quelque peu différents; ils nous permettent évidemment de réaliser certaines fouilles, mais celles-ci doivent bien sûr être fondées sur des motifs raisonnables et probables, et bien souvent appuyées d'ordonnances des tribunaux. Il y a aussi la Charte canadienne des droits et libertés, et nous devons la respecter et agir dans les limites du droit.

Enfin, je ne suis pas certain de pouvoir vous dire si d'autres dispositions ou lois pourraient améliorer la situation.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de vos interventions très éclairantes. J'ai quelques questions qui j'espère ne seront pas trop embêtantes. Des représentants autochtones sont venus plaider farouchement contre ce projet de loi tout en déclarant que, dans leurs communautés, il ne semblait pas y avoir de crime organisé. Cependant, je lis dans votre mémoire, monsieur Cormier, que la production serait faite par le crime organisé. Est-ce que ça contredit un peu la position des chefs autochtones qui disaient qu'on ne peut pas avoir de contrebande? Si on parle de production, on parle de production dans les communautés autochtones, n'est-ce pas?

M. Cormier : Pour répondre à votre question, oui, le crime organisé est présent partout. Personne n'est à l'abri de la présence du crime organisé. Certainement, quand on cible la criminalité qui se tourne vers le tabac, ce n'est pas fondé sur des critères que j'appellerais géopolitiques. C'est basé sur le crime organisé. C'est ce qu'on cible. Donc, oui, il y a du crime organisé dans les réserves indiennes aussi. Personne n'a l'immunité de ça. C'est dommage, mais c'est ainsi. En effet, la production du tabac, en grande partie, se déroule sur les réserves indiennes.

Le sénateur Boisvenu : De façon légale.

M. Cormier : Oui, de façon légale, mais c'est aussi la diversification de produits légaux qui fera qu'ils se retrouveront sur le marché illégalement.

Le sénateur Boisvenu : On fait face à une opposition farouche de la part des autorités autochtones, par rapport à ce projet de loi, qui affirment que cela va affecter les travailleurs. Selon elles, la production de cigarettes créée des emplois et a amélioré le sort des communautés. De plus, ce serait les petits qui seraient touchés, éventuellement, par les arrestations et les amendes.

Si on fait face aux autorités politiques autochtones qui s'opposent à ce projet de loi, quelles vont être vos relations avec les policiers autochtones qui risquent d'avoir de l'opposition ou de la pression de leur côté pour ne pas intervenir? On a vu ce qui s'est passé. Le sénateur Dagenais parlait du chef Gabriel, qui avait subi cette pression. Comment vont-ils réussir à créer une certaine harmonie et un équilibre entre votre travail et celui des policiers autochtones si, sur le plan de l'opposition politique, on risque d'avoir des problèmes?

M. Cormier : Il y a quelques commentaires que j'aimerais faire en réponse à votre question. C'est-à-dire, l'objet n'est pas de cibler les travailleurs qui travaillent dans l'industrie; c'est de cibler le crime organisé. S'il y a des personnes autochtones qui sont impliquées dans le crime organisé, il faudra qu'elles fassent face aux enquêtes aussi. Les partenariats et les relations avec les communautés autochtones constituent un sujet sensible qui doit être géré de façon sensible. Il faut considérer leurs positions, leurs droits et l'aspect illégal, et déterminer comment on peut travailler ensemble. C'est quelque chose qu'on fait couramment. On a des échanges avec eux. On travaille déjà avec eux. Je ne crois pas que les nouvelles lois vont empirer notre relation. C'est un aspect dont il nous faudra être conscients, et il faudra déployer des efforts pour maintenir cette relation.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : J'ai une question complémentaire à celle que le sénateur Boisvenu vous a posée, monsieur Bhupsingh. Dans votre exposé, vous avez dit que les Premières Nations sont disposées à collaborer avec les gouvernements fédéral et provinciaux pour lutter contre le crime organisé, et c'est ce que les témoins nous ont dit. Vous dites que Sécurité publique du Canada et ses partenaires fédéraux vont continuer à explorer d'autres mesures pour lutter contre la contrebande de tabac en partenariat avec les gouvernements des provinces, des territoires et des Premières Nations. C'est tout à fait louable.

Nous avons entendu un certain nombre de témoins autochtones hier et la semaine dernière, et je les ai rencontrés à mon bureau. Aucun groupe autochtone n'a été consulté pour l'élaboration du projet de loi. Vous parlez de partenariats provinciaux, mais aucun ministre de la Justice provincial ou territorial n'a été consulté. Si les partenariats et les relations sont aussi importants, pourquoi ces groupes n'ont-ils pas été consultés lors de l'élaboration du projet de loi?

Nous étions saisis du projet de loi il y a un an et demi. Lorsque je m'étais adressée au Sénat à ce moment, j'avais parlé de l'importance des consultations. Le Parlement a été prorogé, puis une année s'est écoulée où des consultations auraient pu avoir lieu. Rien n'avait été fait en préparation du projet de loi précédent, pas plus que pour le projet de loi d'aujourd'hui. Lorsqu'on parle de bâtir des relations, je pense que cet aspect est des plus important. Qu'en pensez-vous? Cela relève-t-il de votre domaine de compétence?

M. Bhupsingh : Je suis heureux de commenter la question de la sénatrice, monsieur le président.

Vous avez raison : il n'y a eu aucune consultation dans le cadre du projet de loi. Les témoins ici aujourd'hui vous donnent principalement le point de vue des organismes d'application de la loi sur le problème de contrebande de tabac. Que les groupes autochtones aient été consultés ou non à propos du projet de loi en particulier, il y a actuellement des relations de longue date entre les partenaires provinciaux et les Premières Nations sur le sujet.

Ce que je peux vous dire, c'est que le budget de 2013 prévoyait ajouter 10 agents autochtones de plus. Je dirais que nous discutons longuement avec les Premières Nations pour que cela devienne réalité, pour vraiment viser le cœur du problème.

Je participe personnellement à la sécurité publique avec mes partenaires fédéraux, qui discutent de ces questions avec les provinces, les territoires, les forces de l'ordre et les chefs de Premières Nations, et qui prennent des mesures proactives au-delà de l'application de la loi, comme des campagnes de sensibilisation du public, afin de répondre à ces enjeux particuliers.

Je ne vais pas dire pourquoi les Premières Nations ou nos homologues provinciaux n'ont pas été consultés dans le cadre du projet de loi, car cela ne fait pas partie de mon mandat. Pour ce qui est des témoins des forces de l'ordre qui sont ici aujourd'hui, je peux vous dire que nous avons régulièrement affaire aux intervenants des Premières Nations et à nos homologues provinciaux.

La sénatrice Cordy : Si vous lisez les témoignages, vous constaterez que tous les groupes autochtones ayant comparu devant nous sont très mécontents et déçus d'avoir été tenus à l'écart du processus de consultation.

Monsieur Leckey, je suis allée au poste frontalier de Cornwall, et j'ai été très impressionnée par le travail des agents frontaliers. Il était bien intéressant et instructif de voir ce qui se passe en coulisse. C'est manifestement un travail très difficile.

Tout d'abord, pouvez-vous nous donner le nombre de colis de tabac illégal qui ont été interceptés à la frontière au cours de la dernière année?

En deuxième lieu, faites-vous des contrôles au hasard? Vous avez parlé de la formation des agents aux postes frontaliers. Font-ils des contrôles au hasard ou simplement en fonction des renseignements recueillis auprès de vos partenaires?

M. Leckey : Je vais commencer par la deuxième partie de votre question.

La majorité de nos contrôles sont fondés sur le renseignement. Une autre part importante découle des doutes des agents qui se trouvent en face d'un individu — ils se basent sur leurs soupçons, leurs connaissances, leur expertise, et même leur intuition. Il y a également des contrôles au hasard.

Je serai heureux de vous donner des chiffres à jour. Les deux principaux types de produits saisis sont le tabac à coupe fine et les cartouches de cigarettes. Au cours des trois dernières années, nous avons constaté une grande recrudescence des saisies de tabac à coupe fine. En 2011, nous en avons saisi 35 000 kilogrammes; 148 000 kilogrammes en 2012, ce qui est quatre fois plus; et 221 000 kilogrammes en 2013, soit six fois plus que deux années plus tôt.

À la fin du mois d'août dernier, le nombre équivalent est de 54 000 kilogrammes de tabac haché fin, ce qui correspond à une baisse considérable par rapport à 221 000 kilogrammes. Si nous faisons des projections, nous aurions 80 000 kilogrammes à la fin de l'année.

Pourquoi une telle baisse, cette année? Nous croyons que c'est lié aux activités d'application de la loi et aux saisies fructueuses des dernières années, et les effets du projet Lycose réalisé au Québec en avril 2014 ne sont pas négligeables.

Le président : Où la plupart de ces saisies ont-elles lieu?

M. Leckey : La majorité des saisies, plus de 80 p. 100 des saisies, ont lieu à la frontière du Québec et dans le sud-est de l'Ontario.

La sénatrice Cordy : D'où venait la marchandise, principalement?

M. Leckey : Dans ces cas, aux frontières, dans les régions que je viens de mentionner, elle venait des États-Unis.

Les autres saisies importantes que nous avons faites sont des saisies de cartouches de cigarettes, et nous constatons une tendance à la saisie de cartouches de cigarettes de contrefaçon. La Chine est de loin le principal pays de provenance de ces cartouches, et elle est suivie de la Corée du Sud, puis des États-Unis, en troisième place.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je tiens à remercier nos invités pour leur présence. Je veux revenir sur notre relation avec les policiers mohawks. En tant que policier à la Sûreté du Québec dans les années 1990, j'avais été appelé à travailler sur la réserve d'Akwesasne, du côté québécois, où j'avais croisé des collègues d'autres corps policiers. Si vous vous souvenez, à l'époque, il y avait eu le meurtre de deux autochtones à cause de la contrebande de cigarettes. À ce moment-là, les policiers mohawks n'exerçaient plus aucun pouvoir sur la réserve d'Akwesasne. C'est la raison pour laquelle les divers corps policiers étaient intervenus. D'ailleurs, nous avons été sur place pendant deux ou trois ans. De plus, à l'époque, des bateaux dont les phares étaient éteints traversaient la rivière à toute vitesse. On arrivait parfois à en arrêter quelques-uns.

J'ai cru comprendre qu'on avait réinstallé un corps policier mohawk à Akwesasne. J'aimerais connaître votre relation avec celui-ci. On sait que ce sont tous des frères autochtones. Est-ce que l'on peut faire confiance aux policiers mohawks? Et est-ce que vous entretenez une bonne relation avec ce corps policier?

M. Cormier : Je peux certainement répondre à votre question. Par contre, il m'est impossible de vous donner des détails, car le corps policier autochtone ne relève pas de moi. Mais je peux vous confirmer que nos membres de la division C au Québec ont une bonne relation avec la police autochtone. Il s'agit d'une relation délicate qui doit être gérée avec prudence. On veut éviter qu'une autre crise survienne comme par le passé. On ne veut pas que cela se reproduise. On a encore une bonne relation avec eux. On collabore avec eux. On a aussi un groupe qui s'est joint à Montréal et qui participe à nos opérations. Certains membres de leur corps policier font même partie de nos équipes à Montréal.

Le sénateur Dagenais : Je sais que, à l'époque, on avait de la difficulté à entrer à Kanesatake et à Akwesasne, parce qu'il y avait une méfiance. Est-ce que vous y avez accès? Est-ce que ce sont seulement les policiers mohawks qui sont autorisés à entrer dans la réserve?

M. Cormier : Notre relation nous permet d'y entrer, mais comme je l'ai déjà mentionné, il faut faire preuve de diplomatie. Quand on entre dans une réserve, c'est dans un esprit de collaboration avec la police mohawk.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur cette question, parce qu'elle m'apparaît au cœur de l'efficacité de tous les objectifs de lutte à la contrebande du tabac.

[Traduction]

Monsieur Leckey, j'ai remarqué que, dans votre mémoire, vous ne parlez pas de la coopération avec la police d'Akwesasne, mais vous en avez parlé dans votre exposé, et cela a attiré mon attention.

J'ai l'impression que nous marchons sur des œufs quand il est question des forces policières autochtones. Je ne vois pas comment l'unité de la GRC que vous avez dit être en activité depuis l'été dernier — la Force anticontrebande — puisse être efficace sans que vous vous associiez aux forces policières autochtones. Vous serez toujours arrêtés aux limites de la réserve. C'est comme ce qu'on appelle une vue de l'esprit. Il est utopique de penser que nous serons efficaces, que le ministère de la Sécurité publique sera efficace, si nous n'entretenons pas une relation de confiance avec les forces policières et si cela n'est pas formalisé par un partenariat négocié et défini. Sans cela, vous mènerez une enquête, et selon l'ambiance politique qui prévaut dans la réserve, ils vous diront que vous pouvez entrer ou vous expédieront. D'après moi, il faudrait, à long terme, établir ce genre de partenariat, essentiellement fondé sur la confiance. Peu importe ce que nous pensons des services policiers autochtones, nous n'avons d'autre choix que de traiter avec eux.

N'est-ce pas une de vos préoccupations, au groupe sur l'accès transfrontalier, à la GRC ou à la PPO, d'avoir ce genre d'approche systématique, plutôt que d'y aller enquête par enquête, dans l'espoir que la police autochtone coopérera avec vous au moment où vous êtes prêts à mener une opération? Ne serait-il pas préférable d'avoir conclu une entente générale et des objectifs communs, et d'avoir une discussion claire avec eux?

M. Pardy : Je peux certainement parler au nom de la Police provinciale de l'Ontario à ce sujet. Je pense que tout le monde sait qu'il est bien mieux d'entretenir de bonnes relations avant que survienne une crise, de sorte que nous parlions la même langue et que nous comprenions les rôles de chacun. De notre côté, nous avons un partenariat très solide et fondé sur la confiance avec le service de police mohawk d'Akwesasne. Nous les rencontrons régulièrement. Ils participent aux efforts de notre équipe de gestion pour tout ce qui touche le crime organisé dans la région de Cornwall. Nous avons mené des enquêtes à leur demande. Ils savent qu'ils n'ont qu'à nous téléphoner, et nous répondons quand ils appellent. L'attention qu'ils portent à leur territoire n'est pas différente de celle que nous portons à nos communautés de l'est de l'Ontario. Que ce soit pour le crime organisé, le commerce illicite de la drogue, les crimes graves ou les crimes contre la personne, ils font régulièrement appel à nous. Nous nous rendons sur le territoire avec nos équipes tactiques pour intervenir dans des affaires criminelles importantes.

Je crois cependant que la question du tabac est particulière, en ce sens que sur le territoire, comme des leaders des Premières Nations vous l'ont dit, la communauté appuie le trafic, ce qui place la police dans une situation que je qualifierais respectueusement de très gênante.

Cependant, je peux vous dire sans équivoque que nous avons des contacts réguliers. Nos équipes provinciales de liaison les rencontrent régulièrement. Nous travaillons avec les jeunes des Premières Nations dans le cadre de programmes qui visent à les aider. Nous entretenons des liens, et nous consacrons beaucoup de temps et d'efforts à veiller à ce qu'ils soient significatifs.

[Français]

Monsieur Cormier, voulez-vous ajouter un commentaire?

[Traduction]

Je me suis adressé à vous deux individuellement, alors je vais vous donner l'occasion de parler de cela.

M. Cormier : Oui. Si ça ne vous dérange pas, j'aimerais ajouter quelque chose, car je pense que votre question découle de ma réponse précédente aussi.

Je le confirme. En effet, nous reconnaissons qu'il y a toujours moyen de faire mieux dans toute relation. Nous avons un lien de travail avec eux. Nous travaillons ensemble à des enquêtes conjointes. Pour ce qui est de la relation et de son amélioration, on peut toujours faire mieux. Nous avons toujours des liens en ce moment, et nous avons fait bien du chemin depuis la crise d'Oka, au Québec, et depuis l'autre crise qui a été décrite. Nous avons fait bien du chemin, et c'est une relation à laquelle nous continuons de travailler.

M. Leckey : Je vous remercie de vos commentaires. J'aimerais dire que je suis d'accord avec tous vos commentaires. L'application de la loi dans les réserves autochtones ne peut se faire sans le soutien actif des services policiers autochtones.

Vous avez tout à fait raison. J'ai effectivement ajouté quelques mots dans ma présentation qui ne se trouvent pas dans mon mémoire. J'ai mentionné la participation à un service mixte particulier, la Section intégrée de renseignements criminels du service de police mohawk d'Akwesasne. Je l'ai fait parce que je voulais souligner ce que vous dites maintenant.

Il serait peut-être bon de signaler — et j'enlève peut-être les mots de la bouche de M. Bhupsingh — deux autres initiatives dont le but est de faire activement intervenir la police autochtone. L'Initiative de partenariat avec Akwesasne, menée par la Sécurité publique, vise à donner à ce service de police l'occasion de participer à des activités d'enquête en collaboration avec la GRC et d'autres agences comme l'ASFC qui ciblent l'activité criminelle. L'Initiative sur le crime organisé autochtone, aussi menée par la Sécurité publique, a des objectifs semblables. Nous entretenons des relations quotidiennement avec le service de police mohawk d'Akwesasne, et ce sont des relations étroites et positives.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de vos exposés.

Hier, le comité a entendu M. Ed Myers, rédacteur en chef de FrontLine Security, une revue trimestrielle faisant l'objet d'une diffusion contrôlée à quelque 20 000 lecteurs et à un nombre estimatif de 50 000 lecteurs en ligne, principalement des policiers, des agents de sécurité, des agents de la sécurité frontalière et des spécialistes des politiques de tous les ordres de gouvernement. La revue se concentre sur les questions de sécurité publique et de sécurité nationale.

Il y a environ deux ans, la revue a décidé de mener une enquête sur le crime organisé et le tabac de contrefaçon. Selon M. Myers, l'enquête a fait ressortir les liens entre le commerce illicite et le crime organisé, en particulier les gangs de motards. Les conclusions et idées de la revue sur la question ont alors été publiées.

M. Myers a poursuivi en disant que son groupe avait essayé de se pencher sur la façon dont l'application de la loi répondait à la situation. Je dois admettre qu'il a brossé un tableau très sombre de la situation. Je dis cela, car, à ma surprise — et je suis sûr que mes collègues s'en rappellent —, il a dit, et je le cite, qu'ils n'ont pas pu trouver « un seul agent d'application de la loi crédible qui comprenait la portée des activités de contrebande ».

Il a ensuite terminé son exposé en énumérant neuf choses, dont deux en particulier. Il faut donner aux organisations d'application de la loi locale et provinciale le mandat et les ressources qui leur permettront de mettre un terme à la contrebande du tabac — de toute évidence, vous êtes d'accord avec cela —, et les organisations d'application de la loi n'ont ni le mandat ni la motivation d'intervenir de façon satisfaisante pour lutter contre le commerce illicite des produits du tabac et ses répercussions sur la santé publique ou nationale. Ce sont des propos très durs. J'aimerais vous entendre à ce sujet, surtout en ce qui concerne son utilisation du terme « motivation ».

M. Cormier : Je peux sans doute donner une réponse partielle à cela, mais je n'ai pas d'énoncé de position ou autre à ce sujet, car je n'ai pas pris connaissance du rapport que M. Myer a rédigé ou de sa recherche. J'aimerais avoir l'occasion de lire le rapport avant de faire des commentaires.

En ce qui concerne le lien entre le tabac illégal et les incidences sur la sécurité nationale, il est sûr qu'il y a des liens avec le crime organisé. Est-ce que le crime organisé a des liens aussi avec le genre d'activités qui servent à financer le terrorisme? C'est possible, mais ce ne serait qu'hypothèses pour le moment.

Mes collègues ont peut-être quelque chose à ajouter.

Le sénateur McIntyre : Ce qui me trouble un peu, c'est qu'il a utilisé le terme « motivation ». D'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, messieurs, vous avez de la motivation parce que vous voulez abattre ce tigre. Est-ce juste?

M. Leckey : Bien sûr. C'est tout à fait juste. Nous sommes extrêmement motivés, tout comme mes collègues, à abattre ce tigre, comme vous le dites, car si vous vous arrêtez à l'expression « contrebande de tabac », chacun des mots vous dirige vers quelque chose d'autre. La contrebande mène au crime organisé et, une fois que le tabac est au Canada, cela mène à de graves problèmes de santé et à des coûts en matière de santé. C'est du tabac, mais les réseaux qui font la contrebande du tabac peuvent aussi facilement servir à la contrebande de cocaïne et d'héroïne, et au passage de clandestins. Alors en commençant par la contrebande du tabac, nous sommes extrêmement motivés à régler la question une fois pour toutes.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup de votre présence et de la perspective que vous nous donnez sur le sérieux problème qu'est devenue la contrebande du tabac dans certaines régions du Canada. Je crois que certains d'entre vous ont précédemment comparu devant nous au sujet de ce projet de loi. Peut-être tous, mais je n'en suis pas sûre. Nous avons précédemment entendu des témoignages selon lesquels les mêmes pipelines servent à la contrebande du tabac et à la contrebande de drogues et d'armes, et M. Bhupsingh a dit ce matin qu'ils peuvent aussi servir à la traite de personnes. Pouvez-vous nous donner plus d'information sur cet aspect particulier? Comme vous l'avez dit, ce n'est pas un crime sans victimes, même si plusieurs organisations autochtones ont essayé de nous le faire croire. J'aimerais en savoir plus sur les pipelines de contrebande de tabac qui servent à d'autres activités criminelles importantes et sur le crime organisé qui multiplient ces pipelines à de telles fins.

M. Bhupsingh : En ce qui concerne les déclarations au sujet de la traite de personne, nous avons récemment constaté, en nous penchant sur les groupes criminels organisés, que les profits de la contrebande du tabac servent à d'autres activités illicites, notamment à la traite de personnes. Je ne peux donner des noms et des sources, mais il y a des liens vers d'autres activités illicites. C'est véritablement troublant et cela revient à l'autre conversation que nous venons d'avoir au sujet de la motivation de chercher à prendre ces groupes que nous voulons démanteler. Je dirai simplement que c'est un problème pour nous, pour toutes les raisons que nous avons soulevées.

J'ajouterai que c'est un problème très délicat, car le tabac en général est un produit légal. Le problème, c'est l'activité illégale autour d'un produit légal. L'autre aspect est celui des communautés autochtones. De bien des façons, c'est un problème très délicat parce que bon nombre de groupes autochtones ont un lien spirituel et culturel avec le tabac. La ligne est donc toujours très mince entre le respect de ces droits et l'application de la loi visant à intercepter les éléments de criminalité autour de cela.

Outre cela, je dirai simplement au comité que c'est un problème au sujet duquel nous sommes très motivés. C'est un problème important pour nous, et nous voulons agir. J'ajouterai simplement que le projet de loi C-10 nous donne quelques outils et mécanismes de plus pour nous aider dans cette lutte.

La sénatrice Batters : Est-ce que d'autres témoins peuvent dire quelque chose et parler des mêmes pipelines qui servent à faire la contrebande de drogues et d'armes?

M. Pardy : Le terme « pipeline » peut porter à confusion. Le corridor de l'autoroute 401 est bien connu comme pipeline d'activité criminelle illégale. Nos efforts d'application de la loi le long de ce corridor l'ont prouvé. Aujourd'hui, nos équipes d'application de la loi pourraient intercepter un chargement de tabac de contrebande. Demain, ce pourrait être des narcotiques. Le surlendemain, ce pourrait être de la traite de personne, et cetera.

On appelle « pipeline » les routes qu'ils empruntent. Ils prennent généralement la voie la plus facile. Le corridor de l'autoroute 401 est l'un des corridors routiers les plus achalandés d'Amérique du Nord, ce qui facilite grandement le passage. Toutes les marchandises semblent suivre le même chemin.

La sénatrice Batters : Absolument.

M. Leckey : Il nous arrive très rarement de tomber sur quelqu'un qui fait la contrebande d'un seul produit et qui dirait : « Moi, c'est le tabac; pas l'héroïne, ni la cocaïne ». Une chose en amène effectivement une autre, une fois que le pipeline est établi.

De plus, la contrebande du tabac a tendance à représenter un niveau de recrutement dans l'échelle du crime organisé. Bien des jeunes commencent par faire une livraison de cigarettes de l'autre côté de la frontière, puis, de là, aboutissent au sein de réseaux criminels organisés plus sérieux.

Le sénateur McInnis : Je vous remercie d'être là.

Le sénateur Joyal a touché au nœud du problème. Je vais vous citer un article que j'ai lu et que les Autochtones qui ont comparu devant le comité ont mentionné. Ils soutiennent :

[...] qu'ils ont beaucoup plus contribué au développement économique que le gouvernement fédéral et les administrations des bandes, et remettent en cause la légitimité des administrations autochtones qu'ils qualifient de créatures des lois colonialistes.

Vous voulez peut-être attraper le tigre par la queue et l'abattre, mais pour moi, c'est plus qu'une question d'application de la loi. J'ai l'impression que le protocole et la démarche revêtiront une très grande importance. Ces seigneurs de la cigarette vivent dans les réserves et emploient beaucoup de gens, alors c'est une situation très délicate. Nous avons entendu cela.

Certaines personnes travaillent à un régime de réglementation qui rendra cette production légitime, mais il me semble qu'il ne s'agit pas que d'appliquer la loi. Il faut plutôt de la négociation. Trente pour cent des cigarettes produites au Canada et fumées sont produites par les communautés autochtones. C'est un défi de taille, et ce n'est pas une chose qu'on peut régler rapidement. Je vois cela comme une situation très délicate qu'il faut aborder sans faire de provocation. J'aimerais que vous nous parliez de cela.

M. Bhupsingh : Comme je l'ai dit dans mon exposé — et, mesdames et messieurs les sénateurs, vous y arriviez justement —, par l'application de la loi seulement, on n'arrivera pas à résoudre le problème en raison de ses complexités.

On a soulevé aujourd'hui un certain nombre de choses avec lesquelles nous sommes d'accord. La première est l'amélioration de nos relations actuelles avec les Premières Nations et les provinces et territoires, de sorte que nous demeurions au fait de tout ce qui se passe dans ces contextes. Le gouvernement fédéral ne va pas réussir seul à résoudre le problème.

Je ne vais pas revenir là-dessus, mais nous discutons avec ces partenaires. Je conviens que nous devons continuer d'améliorer ces partenariats.

L'autre élément qui a été signalé au comité aujourd'hui et précédemment est essentiellement la question de la sensibilisation. Il ne faut pas tant s'attaquer à l'approvisionnement que viser la demande en soulignant les incidences sur la santé et sur les jeunes qui se mettent très tôt à s'adonner à des activités criminelles. On pourrait efficacement recourir à des campagnes de sensibilisation du public pour parler des dommages que cela cause et des effets contreproductifs.

Enfin, en plus de collaborer avec nos homologues provinciaux, territoriaux et autochtones, il faut collaborer avec les agences américaines d'application de la loi et de réglementation en vue de l'établissement de modèles intégrés additionnels.

Il y a une chose dont nous n'avons pas parlé, et c'est que nous avons des initiatives intégrées d'application de la loi qui nous aident dans le cadre de l'initiative de lutte contre la contrebande du tabac, par exemple, le programme Shiprider. C'est une initiative intégrée de surveillance et d'interception maritime que nous avons avec les organismes d'application de la loi américains pour les eaux frontalières entre le Canada et les États-Unis.

Il existe probablement d'autres moyens de s'attaquer à ces problèmes. Il faut à cette fin conjuguer le raffermissement de nos partenariats, la sensibilisation et l'exploration des nouvelles possibilités, du moins sur le plan de l'application de la loi.

Le président : Surintendant Cormier, dans votre exposé, vous avez parlé d'un centre de renseignement géospatial et de répartition automatique. Vous avez peut-être dit que c'était 24 millions pour l'exercice financier en cours. Je pense que vous avez dit, dans votre exposé, que vous envisagez un échéancier pas très lointain — nous en sommes à la moitié de l'exercice financier —, et je me demande si vous avez rencontré des problèmes concernant la progression de cela. Pensez-vous que ce sera terminé pendant l'actuel exercice financier, conformément à l'engagement qui a été pris?

M. Cormier : Nous n'avons pas rencontré de problèmes. C'est manifestement un processus compliqué qui exige de l'argent, entre autres. Pour obtenir l'argent, nous devons fournir un plan convainquant décrivant la technologie qui sera utilisée. C'est donc un projet en cours pour le moment.

Le président : Comment cela fonctionne-t-il avec les États-Unis? Comment se fait la coordination? Est-ce qu'il y a un partage des coûts? Les capteurs vont servir à détecter les personnes qui entrent au Canada ou qui en sortent? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Cormier : Il y a collaboration avec les États-Unis, mais pas de partage des coûts, pour cette initiative. Les capteurs seront du côté du Canada, pour protéger les Canadiens, mais les partenaires américains vont par le fait même en profiter aussi.

Le président : C'est bien beau de voir un bateau traverser le lac ou la rivière, mais quelles sont vos capacités d'interception? Dans quelle mesure pouvez-vous réagir rapidement si les capteurs vous indiquent quelque chose?

M. Cormier : Nous avons des équipes situées stratégiquement le long de la frontière, là où les capteurs se trouvent. La surveillance se fait 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous avons du personnel prêt à réagir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Je n'ai pas les détails ici, mais des capteurs placés en certains endroits ont déjà porté des fruits; là où les capteurs ont détecté quelque chose, il y a eu un déploiement rapide et des arrestations en conséquence.

Le président : Je me trompe peut-être, mais la GRC est chargée d'appliquer la loi entre les points d'entrée. Je pense que c'était dans l'Ouest, peut-être au Manitoba, dans les dernières semaines, que des gens de l'ASFC ont essayé d'aider la police, mais leurs gestionnaires le leur ont reproché.

Si vous vous trouvez dans une situation où vos gens ne sont pas en mesure de répondre rapidement, vous ne pouvez faire appel aux actifs et au personnel de l'ASFC. C'est bien cela?

M. Cormier : Non, pas ailleurs qu'à la frontière. M. Leckey pourrait sans doute mieux que moi répondre à cela, mais il y a des contraintes sur la façon dont les ressources peuvent être déployées.

Le président : S'ils pouvaient le faire, est-ce que cela vous serait utile, sur le plan de votre réaction?

M. Cormier : Cela équivaudrait à une augmentation de l'effectif, c'est sûr. Nous travaillons déjà ensemble, mais, oui, ce serait un facteur.

M. Leckey : D'importants pouvoirs sont conférés par la loi à l'ASFC, mais ces pouvoirs sont essentiellement liés au point d'entrée. Hors des points d'entrée, il y a des contraintes d'ordre législatif.

Le sénateur Joyal : Quelle distance couvrez-vous?

Le président : Il dit qu'ils ne couvrent que les points d'entrée.

M. Leckey : L'intérieur des limites d'un point d'entrée.

Le sénateur Joyal : Autour du passage de la frontière seulement?

M. Leckey : Oui.

Le président : Vous avez parlé d'obstacles législatifs. Je pensais que c'était un décret.

M. Leckey : Le Parlement a imposé de manière bien réfléchie certaines contraintes qui ne nous empêchent pas de collaborer avec d'autres agences d'application de la loi à l'extérieur des points d'entrée, mais qui exigent des réflexions préalables et imposent certaines restrictions et contraintes concernant ce que nous pouvons faire à l'extérieur du point d'entrée.

Le sénateur Baker : La dernière fois que nous avons été appelés à nous pencher sur ce projet de loi, on a suggéré de modifier la Loi sur les douanes en ajoutant « et aux corps de police provinciaux » à la définition du terme « agent », de sorte qu'elle soit libellée comme suit : « Toute personne affectée à l'exécution ou au contrôle d'application de la présente loi; la présente définition s'applique aux membres de la Gendarmerie royale du Canada et aux corps de police provinciaux. » Monsieur le surintendant Pardy, avez-vous d'autres commentaires à ce sujet, ou devrais-je simplement passer à une autre question?

M. Pardy : Je pense que, même si les deux textes de loi sont très étroitement liés, ils sont aussi très différents. La Loi sur la taxe d'accise est essentiellement une initiative d'application de la loi axée sur les produits, alors que les dispositions du Code criminel portent sur le geste posé.

Si nos agents étaient désignés en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, cela aurait des effets importants sur les besoins en formation, alors qu'en vertu du Code criminel, ce sont les mêmes lois, les mêmes pouvoirs, mais un produit différent.

Je pense que cela fonctionnerait d'une manière ou d'une autre. Je suis d'accord avec vous. Cependant, la désignation en vertu de Loi sur la taxe d'accise s'accompagnerait de quelques difficultés. De plus, cela ne correspond pas à notre mandat, car en ce moment, nous n'avons aucun mandat en Ontario dans ce texte de loi.

Le sénateur Baker : Bref, vous dites que vous n'y seriez pas opposé, compte tenu de la prise en compte des autres facteurs. Vous avez dit qu'il faudrait donner de la formation à vos membres dans un domaine supplémentaire, alors que c'est assez semblable avec le Code criminel, mais les dispositions du Code criminel visant la recherche de produits du tabac changent constamment, tout comme pour la marijuana et d'autres matières. À une autre époque, on pouvait utiliser un chien pour une tâche particulière, et maintenant, comme vous le savez, pour une fouille, on ne peut utiliser un chien que dans certaines circonstances.

Vous assurez-vous de tenir la GRC, les agents frontaliers et les agents de la police provinciale régulièrement au courant des dispositions législatives en constant changement qui visent les attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée dans les automobiles, les bateaux, les avions et ailleurs? Est-ce constant, ou bien laissez-vous faire, de sorte que des erreurs soient commises, que des choses soient saisies et qu'il soit nécessaire par la suite de les rendre et d'acquitter tout le monde?

M. Pardy : Monsieur, c'est une évolution qui se fait au quotidien.

Le sénateur Baker : Comment faites-vous?

M. Pardy : Grâce à l'arrivée des médias sociaux, à la transmission électronique et à de la formation vidéo utilisant la téléconférence. Dans le passé, l'information sur la nouvelle jurisprudence était envoyée par la poste, et on espérait que tout le monde la recevrait. Aujourd'hui, nous sommes au courant des décisions des tribunaux le lendemain. Nous communiquons les incidences de ces décisions directement à nos agents qui appliquent la loi.

Je dirais que, comme tous nos partenaires, notre activité de formation spécialisée est très robuste. Même les agents sur le terrain ou les agents de première ligne doivent, en Ontario, en vertu de la loi provinciale, passer annuellement par le recyclage et la formation.

La sénatrice Cordy : Monsieur le surintendant Cormier, pourriez-vous nous parler de la Force spéciale de lutte contre la contrebande de tabac de la GRC, qui est composée de 50 agents? Je sais qu'elle vient d'être créée, alors il est difficile de faire une analyse complète de ce qui se passe. Que fera-t-elle de différent? En quoi changera-t-elle beaucoup les choses? En réponse au sénateur McIntyre, M. Myers a suggéré hier, et je le cite :

[...] je pense qu'au lieu de dépenser 90 millions de dollars pour la GRC, il faut prendre la moitié de cette somme pour créer un poste d'ombudsman enquêteur auquel on accorderait le pouvoir d'enquêter — aux échelons fédéral, provincial et municipal — sur la contrebande de tabac et les problèmes connexes.

Qu'est-ce que cette force fera? Comment améliorera-t-elle les choses? Comment changera-t-elle les choses? Pourriez-vous aussi nous dire d'où viennent ces 50 agents? Est-ce qu'il nous manque maintenant 50 agents à la GRC? Ils sont toujours des membres de la GRC, mais est-ce qu'on les a retirés d'autres postes sans les remplacer, ou bien est-ce qu'on a créé 50 nouveaux postes à la GRC?

M. Cormier : Je vais essayer d'être bref et précis. Il y a deux équipes comptant 25 personnes chacune; l'une est au Québec et l'autre, en Ontario. L'avantage, c'est que ces agents vont se concentrer sur le tabac, alors qu'auparavant, ils faisaient partie des ressources générales des services de police fédérale.

La réalité, c'est que ces postes ne s'accompagnent pas de nouveaux fonds, alors, oui, ce sont des gens qu'on est allé chercher au sein de la GRC, mais ce n'est pas nouveau. C'est une priorité qui a été définie par le gouvernement du Canada, et que nous sommes déterminés à respecter. Il est de pratique courante d'évaluer les menaces et les risques les plus importants pour déterminer où il faut déployer ou réaffecter les ressources.

C'est toujours un défi. Bien entendu, ce n'est jamais facile, mais c'est la réalité.

[Français]

Le sénateur Joyal : Dans votre présentation, monsieur Cormier, vous avez fait référence à, et je cite, « la stratégie de lutte contre le tabac de contrebande ».

[Traduction]

En anglais, c'est la Contraband Tobacco Enforcement Strategy, ou CTES, une stratégie que vous avez publiée en 2008. Avez-vous le document avec vous en ce moment?

M. Cormier : Non. J'en suis désolé.

Le sénateur Joyal : Je ne veux pas mettre M. Cormier dans l'embarras. Pourriez-vous nous dire en quelques mots comment on reconnaît le rôle des forces policières autochtones, dans cette stratégie?

M. Cormier : La stratégie traite du partenariat, de toute évidence. Il faut ce lien et ce partenariat, non seulement pour la prévention, l'application de la loi et la sensibilisation, mais aussi pour les trois piliers que sont l'application de la loi, la sensibilisation et le processus d'éducation.

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous l'envoyer à la greffière du comité pour que nous puissions l'examiner et nous donner une idée de l'étape à laquelle les forces policières autochtones interviennent, ainsi que des rôles et responsabilités qu'on leur attribue dans la stratégie?

M. Cormier : Je vais le faire.

Le sénateur Joyal : En 2013, elle a été réévaluée. Si, dans le document de 2013, il y a eu une réévaluation du rôle des forces policières autochtones, je vous saurais gré de nous l'envoyer aussi, de sorte que nous ayons une idée claire de la façon dont elles s'intègrent dans le processus.

M. Cormier : Certainement.

Le président : Messieurs, je vous remercie de vos témoignages intéressants et utiles.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant faire l'étude article par article du projet de loi. Êtes-vous d'accord pour que le comité fasse l'étude article par article du projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac)?

Le sénateur Joyal : Monsieur le président, je veux que les membres du comité sachent que la sénatrice Cordy, le sénateur Baker et moi-même nous abstiendrons de voter, car nous comptons proposer un amendement à la troisième lecture. Nous ne sommes pas contre l'objectif du projet de loi, mais nous ne sommes pas pour le moment en mesure de l'appuyer. C'est la raison pour laquelle je vous informe de notre abstention.

Le président : Merci de nous en avoir informés.

Je reprends. Êtes-vous d'accord pour que le comité fasse l'étude article par article du projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac)?

Des voix : Oui.

Le président : D'accord.

Le titre est-il réservé?

Des voix : Oui.

Le président : L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il réservé?

Des voix : Oui.

Le président : L'article 2 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le sénateur Joyal : Avec abstention.

Le président : Adopté.

L'article 3 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le sénateur Joyal : Avec abstention.

Le président : Adopté, avec abstentions.

L'article 4 est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le sénateur Joyal : Avec abstention.

Le président : Adopté, avec abstentions.

L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

Le titre abrégé est-il adopté?

Des voix : Oui.

Le président : Adopté.

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : Oui.

La sénatrice Cordy : Avec abstention.

Le sénateur Joyal : Avec abstention.

Le président : Adopté, avec abstentions.

Les membres du comité souhaitent-ils annexer des observations au rapport?

Le sénateur Joyal : Non.

Le président : Je dois souligner que les observations accompagnaient notre projet de loi antérieur et qu'elles sont publiques, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de les répéter.

Puis-je faire rapport du projet de loi au Sénat?

Des voix : Oui.

Le président : Merci à vous tous.

Le sénateur Joyal : Quel est l'objet de notre prochaine séance, monsieur le président?

Le président : Nous allons nous pencher sur le projet de loi portant sur l'identité de genre; je crois que c'est le C-279. Cela devrait aussi être intéressant.

(La séance est levée.)


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