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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 18 - Témoignages du 2 octobre 2014


OTTAWA, le jeudi 2 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre), se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, aux invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous nous réunissons aujourd'hui pour commencer notre étude du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre). Le projet de loi modifierait la Loi canadienne des droits de la personne afin d'intégrer l'identité de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Il intégrerait également l'identité de genre à deux articles du Code criminel.

Le projet de loi C-279 a été présenté à la Chambre des communes en septembre 2011 par M. Randall Garrison, le député d'Esquimalt-Juan de Fuca, en Colombie-Britannique. Il a été rétabli par la Chambre des communes au début de la présente session.

Il s'agit de notre première réunion sur le projet de loi C-279. Nous accueillons aujourd'hui, dans notre premier groupe d'experts, le parrain du projet de loi, le député Randall Garrison. Ce dernier est accompagné du sénateur Grant Mitchell qui parraine le projet de loi C-279 au Sénat.

Monsieur Garrison, nous commencerons avec votre déclaration liminaire. Vous avez la parole.

Randall Garrison, député d'Esquimalt—Juan de Fuca, parrain du projet de loi : Je vous remercie de votre invitation à comparaître devant le comité aujourd'hui. Je dois exprimer d'entrée de jeu ma déception de comparaître de nouveau devant le Sénat, environ un an et demi après l'adoption du projet de loi par la Chambre des communes et plus d'un an après que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne ait tenu des audiences sur le projet de loi. Comme de nombreux Canadiens, il continue de m'apparaître urgent d'adopter le projet de loi, celui-ci est important et comblera la dernière grande lacune dans la législation canadienne sur les droits de la personne.

Depuis que le Parlement fédéral est saisi du projet de loi C-279, cinq provinces ont adopté des lois semblables sur les droits de la personne : l'Ontario, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse en 2012; Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard en 2013. Sans compter que les Territoires-du-Nord-Ouest ont adopté ces mesures de protection il y a une dizaine d'années, 12 ans pour être exact.

J'aimerais croire que le débat au Parlement fédéral est à l'origine des avancées réalisées autre part, mais les longs délais nous ont privés de la possibilité d'être des précurseurs en matière de protection des droits de la personne, et ont plutôt fait de nous des retardataires.

Il ne s'agit pas d'une question partisane, mais d'une question de droit de la personne. Soulignons que la mesure législative qui ajoute une protection contre la discrimination fondée sur l'identité sexuelle au Code des droits de la personne de l'Ontario a été adoptée avec l'appui de tous les partis. La même mesure législative a été adoptée par des gouvernements néo-démocrates au Manitoba et en Nouvelle-Écosse, un gouvernement libéral à l'Île-du-Prince-Édouard et un gouvernement conservateur à Terre-Neuve.

Seize États américains ont adopté des dispositions semblables et neuf pays ont adopté des mesures de protection visant la discrimination fondée sur l'identité sexuelle : l'Argentine, qui continue d'être un chef de file dans le dossier des droits des transgenres, l'Uruguay, Porto Rico, la France, l'Estonie, la Croatie, le Monténégro, l'Albanie et Chypre. De plus, tous les pays membres de l'Union européenne offrent des mesures de protection, même si celles-ci ne sont pas identiques à celles prévues dans le projet de loi C-279.

Le 26 septembre, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a adopté une résolution demandant à tous les pays membres des Nations Unies de prendre des mesures pour lutter contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation et l'identité sexuelles. La résolution a été adoptée par un vote de 25 voix en faveur et de 14 voix contre, avec 7 abstentions. Il convient de souligner que le Canada coparrainait la résolution des Nations Unies.

Certaines entreprises privées ont déjà pris des mesures pour contrer la discrimination fondée sur l'identité sexuelle, sans attendre l'adoption d'une loi. La Banque Royale du Canada affiche la déclaration suivante sur son site web :

Comme entreprise, nous nous engageons à offrir un environnement de travail au sein duquel tous nos employés peuvent afficher ouvertement leur orientation sexuelle, leur identité sexuelle et leurs préférences d'expression sexuelle.

TD Canada Trust a créé un guide de transition en milieu de travail qui a été remis aux gestionnaires de toutes ses succursales. Le Congrès du travail du Canada a créé un guide semblable de transition en milieu de travail offert à tous ses membres au Canada.

Avant la prorogation, l'an dernier, le projet de loi avait déjà franchi toutes les étapes au Sénat, sauf une. Comme vous le savez sûrement, le Comité sénatorial des droits de la personne avait tenu des audiences sur le projet de loi en juin 2013, et le comité avait renvoyé le projet de loi C-279 au Sénat sans amendement. Malheureusement, le Sénat s'est ajourné pour l'été avant de voter sur le projet de loi C-279 à l'étape de la troisième lecture. Et lorsque le projet de loi a dû franchir de nouveau toutes les étapes au Sénat, j'ai été déçu qu'on ne se presse pas pour l'adopter rapidement.

Vous pouvez consulter les témoignages présentés lors des audiences devant le Comité de la justice de la Chambre des communes et le Comité sénatorial des droits de la personne. Une simple motion permettrait d'ajouter ces deux séries de témoignages aux travaux du présent comité. La liste des témoins qui ont comparu à l'une de ces audiences — ou aux deux — est longue. Elle comprend des Canadiens transgenres comme Hershel Russell, qui est psychothérapeute et éducateur, ainsi que Sara Davis Buechner, professeure de musique à l'Université de Colombie-Britannique. Il y a aussi eu des représentants d'EGALE Canada, de la Commission canadienne des droits de la personne, du Tribunal canadien des droits de la personne et de Justice Canada. L'Association du Barreau canadien, l'Association canadienne des libertés civiles et l'organisme REAL Women of Canada apparaissent aussi sur cette liste. De plus, le comité a entendu des représentants de l'Association canadienne des professionnels en santé des personnes transsexuelles ainsi que Mme Greta Bauer, professeure agrégée de l'Université Western Ontario du département d'épidémiologie et de biostatistique.

Je vous invite tout particulièrement à relire le témoignage de Sara Davis Buechner, une pianiste concertiste de Colombie-Britannique, qui a raconté de manière émouvante comment elle a reconstruit sa vie et sa carrière au Canada après avoir tout perdu en raison des préjugés à la suite de sa transition. Voici un extrait de son témoignage :

Le projet de loi C-279 assure la protection de gens comme moi, qui ont des besoins quant à leur identité de genre [...]

Nos besoins ne sont pas un caprice, un choix passager ou quelque chose qu'on peut tout simplement ignorer. Pour les transsexuels, les questions d'identité sont une affaire de vie ou de mort, et ils veulent vivre ouvertement, honnêtement et librement sans craindre les préjugés, la malveillance ou, pire encore, la violence. Nous ne voulons ni ne méritons de droits supplémentaires. Nous avons besoin des mêmes droits que nos frères et sours canadiens de toutes races, religions, dénominations et identités.

Comme vous le voyez, la liste des témoins est fort complète. Il m'apparaît improbable que vous en appreniez davantage sur le projet de loi en écoutant une troisième série de témoignages. Je crains également que le projet de loi C-279 risque de ne pas rester sur la liste des priorités du comité, car des projets de loi émanant du gouvernement se présenteront inévitablement. Toutefois, j'ai été rassuré d'entendre des sénateurs dire qu'ils sont persuadés que le Sénat adoptera le projet de loi avant la fin de l'automne.

Par conséquent, si vous décidez pour une raison ou une autre de tenir de vastes audiences, je vous demande d'entendre un groupe équilibré de témoins afin que les Canadiens transgenres aient la possibilité de vous raconter leur histoire. Si vous croyez sincèrement qu'il vous faut entendre d'autres témoins, je vous demande d'inviter des témoins comme les parents et les enfants qui fréquentent l'organisme Enfants transgenres ainsi qu'un représentant de l'organisme Mosaïque de genres.

D'aucuns ont invoqué des motifs techniques pour mettre en doute la nécessité du projet de loi, mais la Commission canadienne des droits de la personne et le Tribunal canadien des droits de la personne nous ont clairement dit que le projet de loi C-279 est nécessaire, à la fois pour permettre la dénonciation — afin d'indiquer clairement que ce type de discrimination est inacceptable au Canada — et pour combler des lacunes sur le plan technique qui obligent les personnes transgenres à invoquer des motifs accessoires pour défendre leur cause devant la commission ou le tribunal.

L'incessante discrimination dont sont victimes les Canadiens transgenres et transsexuels démontre la nécessité du projet de loi. La plupart du temps, lorsqu'il s'agit de logement ou d'emploi par exemple, les cas de discrimination relèvent des provinces, mais il y a des domaines importants qui sont de compétence fédérale. Pensons à l'obtention d'une pièce d'identité, comme un passeport, au processus discriminatoire de Transports Canada lors des contrôles dans les aéroports ou à la protection contre des crimes haineux.

J'aborderai maintenant l'idée la plus fallacieuse concernant le projet de loi C-279 : la question des toilettes. Je suis déçu d'avoir à revenir sur cette question, mais elle continue de faire surface, même après avoir démontré qu'elle n'avait aucun fondement. Bien franchement, je suis convaincu que sa persistance est une manifestation de la transphobie que cette mesure législative tente de vaincre.

Tout d'abord, il y a fort peu de toilettes qui relèvent du fédéral — ce sont principalement celles des avions et des trains, qui sont utilisées tant par les hommes que par les femmes, comme la plupart d'entre vous le savent.

Les installations publiques comme les toilettes relèvent généralement des provinces. Dans le territoire et les cinq provinces qui disposent d'une protection de l'identité de genre dans leurs codes des droits de la personne, il n'y a eu aucun incident s'apparentant à ceux qu'on nous dit qu'il faudrait redouter : des incidents d'hommes se faisant passer pour des femmes transgenres afin d'avoir accès aux toilettes des femmes pour les agresser.

Les organismes des droits de la personne des quatre États américains où ces dispositions existent depuis plus longtemps que partout ailleurs nous ont confirmé par écrit qu'il n'y a eu aucun incident de ce genre. La Californie, le Colorado, l'Iowa et l'État de Washington nous l'ont tous confirmé par écrit. Dans chaque lettre, les responsables affirment qu'il n'y a eu aucune plainte concernant des tentatives visant à profiter de la protection prévue contre la discrimination fondée sur l'identité transgenre pour utiliser une toilette ou un vestiaire pour se livrer à un comportement répréhensible, comme le voyeurisme ou l'agression.

Après l'adoption du projet de loi C-279, recourir à un déguisement pour entrer dans une toilette dans un but coupable — que ce soit en se travestissant ou en portant un uniforme de policier, de pompier, d'ambulancier ou de personnel d'entretien — ne serait pas plus légal qu'avant. Le projet de loi C-279 n'aurait aucune incidence sur la probabilité que ce genre d'incident se produise, et il ne constituerait pas un moyen de défense juridique pour ceux qui recourent à de tels déguisements. L'Association canadienne des policiers et l'Association canadienne des chefs de police ne partagent pas ces préoccupations, car elles ont toutes deux signalé leur appui au projet de loi C-279.

Je sais que le sénateur Plett a parlé d'un malheureux incident qui a eu lieu dans une maison de refuge à Toronto, et qui justifie, selon lui, ses réserves à l'égard du projet de loi C-279. Je tiens aussi à parler de cet incident. Même si tout indique qu'il s'agit d'un incident isolé, horrible et sordide où un homme s'est déguisé en femme pour s'immiscer dans une maison de refuge pour femmes, où il a commis des agressions sexuelles, d'où le lien avec le projet de loi C-279, on oublie que le projet de loi n'a rien à voir avec les maisons de refuges, qui ne sont jamais de compétence fédérale. Plus important encore, on oublie que cet incident s'est produit avant que l'Ontario adopte sa mesure législative, par conséquent l'incident n'a aucun lien avec la loi sur les droits de la personne en Ontario.

Les faits entourant cet horrible incident sont clairs. L'auteur du crime a été désigné délinquant dangereux en raison de cet épisode et d'une longue série d'autres incidents. Par ailleurs, je sais que les autres incidents n'avaient rien à voir avec le déguisement qu'il a porté pour accéder à la maison de refuge. Ses victimes sont un enfant de 5 ans, une femme de 27 ans ayant une déficience intellectuelle, une femme sourde et sans abri et une femme qui avait été victime de violence conjugale.

Ces incidents sont abominables, mais même sans projet de loi C-279 cet homme s'est déguisé pour commettre ses crimes et l'adoption du projet de loi C-279 n'aurait pas facilité la perpétration de ceux-ci. Cet exemple, utilisé comme élément de preuve, a peut-être sa place dans un débat sur les délinquants dangereux, mais il ne l'a pas dans un débat sur l'égalité des droits des Canadiens transgenres.

Je vous demande d'adopter le projet de loi C-279 sans amendement comme le Comité sénatorial des droits de la personne l'a déjà recommandé. J'ajouterai que le projet de loi C-13, lorsqu'il sera renvoyé ici, répondra aux préoccupations de certains sénateurs quant au fait que le projet de loi C-279 propose d'intégrer uniquement l'identité de genre à l'article du Code criminel sur les crimes haineux. Pour sa part, le projet de loi C-13 prévoit d'ajouter l'âge, le sexe, l'origine nationale et la déficience mentale ou physique à cet article.

Je tiens également à souligner que nous sommes parvenus à un important compromis avec les membres du caucus conservateur de la Chambre des communes afin que 18 députés de ce parti puissent appuyer le projet de loi, dont 8 ministres. Il est probable que la Chambre des communes s'en tienne à ce compromis. Si vous choisissez d'amender le projet de loi, il vous sera possiblement renvoyé sous sa forme actuelle, et nous aurons perdu plusieurs mois. Je vous demande de respecter le compromis auquel est arrivée la Chambre des communes. Je vous demande également de vous affranchir des craintes injustifiées concernant l'utilisation des toilettes qui, pour l'essentiel, ne sont pas visées par le présent projet de loi.

En conclusion, j'ajouterais qu'avant d'être élu à la Chambre, j'ai eu la chance de compter parmi mes amis deux femmes transgenres et un homme transgenre. Tous trois vivent une relation stable avec un conjoint de longue date. Tous trois travaillent à temps plein ou sont propriétaires d'une petite entreprise prospère. Tous trois ont dû lutter pour que leur famille, leurs amis et la société les acceptent. Pourtant, tous trois contribuent à enrichir quotidiennement la vie des gens qui les entourent, moi y compris.

J'attends impatiemment le jour où ils n'auront plus à faire face à de la discrimination et à des menaces de violence. Tous les Canadiens devraient pouvoir vivre leur vie sans discrimination et sans menaces de violence. Je vous demande de reconnaître aux Canadiens transgenres et transsexuels les mêmes droits et les mêmes protections que ceux dont bénéficient déjà le reste d'entre nous, rien de plus, rien de moins.

Je rappelle aussi aux sénateurs les deux rôles qui leur sont généralement attribués : protéger les droits des minorités et faire valoir le point de vue des régions. Je ne vois pas en quoi le point de vue des régions sur les droits des transgenres pourrait différer, mais il me semble évident que le projet de loi devrait être une priorité pour tout corps législatif chargé de la protection des droits des minorités. Je vous demande d'adopter le projet de loi C-279 rapidement. Il s'est déjà écoulé beaucoup trop de temps. Je vous rappelle que j'ai présenté ce projet de loi au Parlement fédéral il y a plus de trois ans. Pourtant, des provinces comme l'Île-du-Prince-Édouard sont parvenues à adopter leur mesure législative en seulement trois semaines.

Il n'y a jamais eu meilleur moment pour adopter une mesure législative inclusive, dont tous les Canadiens pourraient s'enorgueillir. Comme je l'ai dit à la fin du débat à la Chambre des communes, dans le dossier de l'égalité des droits des Canadiens transgenres, si nous n'agissons pas maintenant, quand le ferons-nous?

L'honorable Grant Mitchell, parrain du projet de loi au Sénat : Je vous remercie, monsieur Garrison. J'aimerais remercier tous les membres du comité de l'intérêt qu'ils ont clairement manifesté à l'égard de ce projet de loi ainsi que de la rapidité avec laquelle celui-ci a été mis à l'ordre du jour, même s'il a fallu un certain temps avant qu'il soit renvoyé au comité, et aussi du temps qui nous est accordé pour en discuter et entendre des témoins.

Au nom de la communauté transgenre, je tiens également à remercier et à féliciter M. Garrison de son remarquable travail dans ce dossier. Il a agi avec beaucoup de détermination, avec énergie et, par moment, avec grand courage. Je tiens à le souligner également. Bon nombre de personnes qui sont ici aujourd'hui font partie de la communauté transgenre ou appuient celle-ci; elles se soucient de leurs préoccupations et de leurs droits. Elles ont aussi fait preuve de courage en défendant ce dossier et leurs droits comme elles l'ont fait.

Hier, j'ai fait valoir à M. Garrison que si la lutte a été longue et ardue pour lui et les personnes concernées par ce projet de loi, elle a aussi permis d'intéresser, d'informer et de sensibiliser davantage les Canadiens à cette question. En ce sens, elle a grandement contribué à la sensibilisation et à l'avancement de la cause. À bien des égards, elle a largement favorisé la compassion et la compréhension qui caractérisent les Canadiens. Les Canadiens comprennent d'instinct ce genre de question.

À mon avis, le processus a également permis aux Canadiens de mieux comprendre les difficultés de la communauté transgenre auxquelles les personnes transgenres se heurtent quotidiennement, ainsi que les craintes, la violence psychologique et physique souvent brutale avec lesquelles elles doivent composer.

Voilà une autre raison pour laquelle cette lutte a été extrêmement importante.

Les personnes transgenres ont tout simplement le droit de vivre en sécurité. Elles désirent avoir une famille aimante, semblable à celle que la plupart d'entre nous ont, et elles en ont le droit. Elles ont le droit de vivre des relations épanouissantes et empreintes de respect dans leur vie quotidienne. Elles ont le droit d'avoir les mêmes perspectives sur le plan économique, financier et personnel que tout le monde, des perspectives que la plupart d'entre nous tiennent souvent pour acquises au Canada.

Le sénateur Plett a fait valoir son point de vue avec grande sincérité. Je respecte le fait que ses arguments sont sincères et bien intentionnés. Il a exprimé des craintes, mais comme l'a montré M. Garrison, celles-ci sont, au mieux, hypothétiques, et elles ne s'appliquent pas à cette mesure législative pour les deux grandes raisons qu'il a signalées.

Premièrement, ces craintes ne se sont jamais concrétisées là où il y aurait eu lieu qu'elles le fassent en raison des circonstances que le projet de loi mettrait en ouvre. Deuxièmement, elles échappent à la compétence fédérale que vise le projet de loi.

Nous présenterons une série de témoins; nous vous remercions d'ailleurs de nous permettre de le faire. Je crois que ces témoins parviendront à faire au moins deux choses. Tout d'abord, étayer, au moyen de preuves scientifiques et de témoignages personnels, les arguments de M. Garrison.

Ensuite, et à mon avis, c'est encore plus important, nous entendrons des parents, des membres de la famille, des personnes transgenres, notamment des jeunes, ainsi que des personnes qui travaillent auprès de cette communauté et qui connaissent les problèmes auxquels ces personnes sont confrontées. Je crois que cela montrera que les personnes transgenres ont beaucoup en commun avec nous, ce qui est parfaitement normal. Je répète qu'elles veulent simplement avoir une vie épanouissante. Elles veulent vivre en sécurité. Elles ont le droit de vivre en sécurité. Elles ont le droit d'être acceptées, comprises et incluses dans la société, comme devraient l'être tous les Canadiens.

En un sens, c'est une occasion unique qui s'offre au Sénat. Le Sénat a été créé en grande partie pour s'occuper des droits des minorités. C'est assurément le rôle du Parlement, mais c'est un rôle particulier au Sénat, que souligne la Constitution. S'il est un cas où nous devons nous montrer dignes de cette responsabilité et à la hauteur de la situation, c'est bien maintenant. Comme l'a si bien dit M. Garrison, c'est en reconnaissant les droits des minorités, en défendant ceux-ci, et favorisant l'inclusion de tous les Canadiens en leur donnant des droits égaux que l'on permet à la société canadienne d'atteindre un maximum d'équité, de justice et d'épanouissement. Nous avons l'occasion de faire cela en adoptant le projet de loi.

Le président : Je vous remercie, sénateur. Nous allons commencer les questions en donnant la parole au vice-président du comité, le sénateur Baker.

Sénateur Baker : Je remercie les deux témoins de leurs excellentes présentations.

Je signale que l'Association du Barreau canadien appuie sans réserve le projet de loi et en a recommandé l'adoption le plus rapidement possible.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur Garrison, la priorité des projets de loi au Sénat est dictée par la coutume, c'est-à-dire que les projets de loi d'initiative ministérielle ont préséance sur les projets de loi d'initiative parlementaire. Les gouvernements sont élus pour gouverner; il est donc naturel de donner préséance aux projets de loi d'initiative ministérielle.

Je remarque que vous dites que le projet de loi sera supplanté par les projets de loi d'initiative ministérielle, vous proposez donc que le comité l'étudie rapidement, afin qu'il ne soit pas mis de côté pendant nous nous occupons des projets de loi d'initiative ministérielle qui auront préséance. Je crois que c'est votre principal argument. En d'autres mots, réglons cela rapidement. Un autre comité l'a étudié. Réunissons toutes les données et prenons une décision afin qu'il ne soit pas mis de côté pendant que nous étudions les mesures du gouvernement. Je crois que c'est l'un de vos principaux arguments. C'est bien cela?

M. Garrison : Oui, sénateur. Je suis entièrement d'accord avec vous. Je ne nie pas que le comité a l'obligation d'étudier les projets de loi émanant du gouvernement. Mais je m'inquiète du fait que la Chambre des communes renverra prochainement au présent comité plusieurs projets de loi.

Je ne nie pas non plus que le Sénat a le droit et la responsabilité d'examiner à la fois mon projet de loi et d'autres mesures législatives, mais comme cette mesure législative est à l'étude depuis longtemps, la communauté transgenre éprouve une grande frustration. Je suis personnellement frustré et inquiet à l'idée que le projet de loi soit une fois de plus relégué au bas de la liste où l'on ne s'en occupera pas.

Une version antérieure du projet de loi a été adoptée par le précédent gouvernement minoritaire, mais le Sénat n'avait pas eu la possibilité d'étudier le projet de loi avant le déclenchement des élections. Le Parlement fédéral étudie cette question depuis fort longtemps.

Le sénateur Baker : Le sénateur Mitchell nous rappelle lui aussi constamment vos arguments visant à faire adopter le projet de loi le plus rapidement possible.

Voilà pourquoi je n'ai qu'une question. Elle concerne la définition d'identité de genre que vous avez intégrée au projet de loi. Je lis beaucoup de jurisprudence. Certes, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a utilisé votre argument en 2000, mais je ne me souviens pas d'avoir vu cette définition de l'identité transgenre dans une décision. D'où vient la définition que vous avez intégrée au projet de loi?

M. Garrison : Je dirai deux choses à ce sujet. D'une part, il y a eu énormément de débats à la Chambre des communes pour déterminer s'il fallait une définition d'« identité de genre » dans le projet de loi, car ce n'est pas dans nos habitudes. Le projet de loi C-13, lorsque vous en serez saisis, ne définit ni la déficience physique ou mentale ni l'origine nationale. Ces mots sont simplement utilisés dans le projet de loi, et c'est la jurisprudence qui en donne la définition.

C'est l'un des compromis auxquels je suis parvenu avec des députés qui s'inquiétaient de la portée du projet de loi. J'ai proposé d'insérer une définition dans le projet de loi. La définition est tirée de précédents jurisprudentiels internationaux, surtout des principes de Jogjakarta, qui ont été formulés lors d'une réunion de haut niveau réunissant des spécialistes de ce domaine en Indonésie. Il s'agit de leur définition.

Le sénateur Mitchell : Si je puis me permettre de préciser, il convient également de remarquer que l'une des premières ébauches du projet de loi de M. Garrison parlait d'« identité de genre » et d'« expression sexuelle », et une autre part du compromis visant à circonscrire l'objet du projet de loi a été d'exclure « expression sexuelle ». Je crois que la ministre Glover en a fait directement la demande ainsi que la condition de son appui au projet de loi.

Permettez-moi de souligner que ces mots ont été retirés du projet de loi dans le but de raffiner et de clarifier la définition incluse. N'oublions pas non plus que la ministre Glover et 17 autres députés conservateurs ont voté pour ce projet de loi.

Le sénateur Baker : Je voudrais soulever un dernier point, sénateur Mitchell. Vous avez suggéré au comité une longue liste de témoins, mais n'oubliez pas que, comme l'a indiqué M. Garrison, si nous passons trop de temps à entendre des témoins, un projet de loi d'initiative ministérielle viendra prendre la place de celui-ci. Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l'argent du beurre.

Le sénateur Mitchell : Non. Comme je l'ai souvent dit, le travail du Sénat est davantage un art qu'une science. Je voudrais trouver le juste équilibre, pour que soient entendus les arguments persuasifs des témoins dans ma démarche pour convaincre les sénateurs d'appuyer ce projet de loi et de ne pas en faire un examen hâtif. J'espère que nous pourrons tenir plusieurs réunions et que, lorsque nous pressentirons l'arrivée d'un projet de loi d'initiative ministérielle et que le projet de loi actuel aura recueilli l'appui d'un nombre suffisant de sénateurs pour être adopté, nous en terminerons l'étude.

Le sénateur Plett : Merci aux témoins. Premièrement, je voudrais affirmer mon opposition à toute forme de discrimination, d'intimidation ou de violence visant en particulier une personne ou un groupe. Je pense, sénateur Mitchell, que vous êtes parfaitement au courant de mes convictions.

Je conviens avec vous que c'est le rôle du Sénat de protéger les droits des minorités, mais ce n'est pas notre rôle de le faire aux dépens des droits d'autres personnes.

Je ne voudrais pas m'étendre sur le cas de Christopher Hambrook, en Ontario, dont M. Garrison a parlé. C'était avant que la loi de Toby soit adoptée. Le refuge pour femmes Fred Victor avait comme politique d'accepter les transsexuels qui étaient biologiquement de sexe masculin. Certains refuges ne les acceptent pas, car ils considèrent les endroits réservés aux femmes comme importants pour les victimes de traumatismes et de mauvais traitements.

Christopher Hambrook n'était pas un transsexuel; il était biologiquement de sexe masculin, et il s'est servi de la politique l'autorisant à séjourner au refuge pour agresser des femmes. Il les a agressées sexuellement pendant la nuit. Certains se contenteront de dire, par exemple, que la justice l'a appréhendé et qu'il est désormais inscrit dans le registre des délinquants sexuels. Mais cela ne fera rien pour consoler les deux femmes qui ont été agressées sexuellement. Les règles de l'établissement ont permis à cet individu de commettre ces agressions.

Cette loi permettrait à des gens de perpétrer encore de tels actes, et vous dites que cela ne concerne que les avions et un ou deux établissements. Mais en fait, cela se passe parmi les Premières Nations, dans les prisons, à la GRC et au sein des Forces canadiennes. Ce sont tous des domaines de compétence fédérale, alors la loi s'y appliquerait.

Des groupes de femmes et des organisations féministes ont communiqué avec nous en très grand nombre pour insister sur l'importance des lieux réservés aux femmes qui préservent leur intimité.

Comment pourrions-nous nous considérer comme des législateurs responsables si nous adoptions une politique qui empêche les responsables d'installations pour femmes dans un milieu de compétence fédérale de refuser l'accès à ces installations à des personnes biologiquement de sexe masculin qui affirment avoir une identité féminine, à l'instar de Christopher Hambrook?

M. Garrison : Avec le respect que je vous dois, sénateur Plett, et sans remettre en question votre intégrité, je vous répondrais que vous avez le droit à vos croyances, mais qu'elles peuvent être néanmoins erronées comme elles le sont dans ce cas.

L'homme en question était un dangereux délinquant qui s'évertuait à trouver des moyens d'agresser des femmes. Il a employé ce moyen et en a employé beaucoup d'autres encore. Il ne s'est pas présenté comme un transsexuel; il s'est servi d'un déguisement. Ce sont deux choses passablement différentes.

Par ailleurs, je pense que vous avez tort d'affirmer que les transsexuels de sexe féminin ne devraient pas utiliser les installations réservées aux femmes. Les femmes transsexuelles sont des femmes et ont le droit d'utiliser ces installations. C'est ce que dit le projet de loi.

Comme je l'ai indiqué, je ne remets pas en question votre intégrité, mais je pense que votre conception de la transsexualité est vraiment erronée, de même que votre conception du mobile du délinquant dangereux dont il est question. Il n'a pas prétendu être un délinquant sexuel; il a revêtu un déguisement.

Le sénateur Plett : En fait, il a bel et bien prétendu être un transsexuel et a dit s'appeler Jessica.

Le sénateur Mitchell : Je peux corroborer l'argument de M. Garrison. Beaucoup d'organisations de ma ville, Edmonton, peuvent être cités en exemple. Le conseil des écoles publiques d'Edmonton s'est doté d'une unité de travail sur la transsexualité, et celle-ci a accompli beaucoup de travail concernant les politiques. Les toilettes unisexes de ses établissements fonctionnent parfaitement bien, et il n'a eu aucun problème ni aucune difficulté dans ce domaine.

Cette loi ne ferait qu'ouvrir de nouvelles avenues, souligner l'importance de la question et motiver les organisations à trouver le moyen d'assurer l'équité pour tous. L'existence du genre de problèmes que vous soulevez en lien avec ce projet de loi, sénateur Plett, n'est tout simplement pas démontrée par les faits. Ce sont des problèmes qui sont survenus dans des contextes n'ayant rien à voir avec le projet de loi.

Le sénateur Plett : M. Garrison, vous avez dit dans l'autre endroit que les tribunaux et la Commission canadienne des droits de la personne auraient à décider de l'interprétation et de la portée à donner au concept d'identité de genre.

D'autres commissions des droits de la personne se sont vu confier la même tâche, et celle de l'Australie a inclus les variations suivantes de l'identité sexuelle dans sa définition : transgenre, transsexuel, intersexuel, androgyne, asexué, travesti, drag queen, drag king, à genre fluide, allosexuel, intergenre, neutre, pansexuel, pangenre, de troisième genre et de troisième sexe. Ce sont des variantes de l'identité sexuelle et non de l'expression sexuelle.

Avec une définition aussi large, comment pouvez-vous ne pas voir de problème si on laisse des gens aux identités sexuelles aussi variées se servir d'installations réservées aux femmes?

Je termine ma question, puis j'aurai fini pour ce tour de table, monsieur le président.

Prenons le cas d'un club de natation de femmes musulmanes. Elles n'ont pas le droit de nager en présence des hommes. Une personne qui s'identifie comme un transsexuel arrive et veut nager. Vous direz tant que vous voudrez que c'est une femme, mais c'est biologiquement un homme. Si cette personne a le droit d'imposer sa présence, qui se verra privé de ses droits?

M. Garrison : Permettez-moi de le répéter, sénateur Plett, je crois que vous faites erreur dans votre interprétation du concept de transsexualité, alors je pense que notre débat ne mène à rien. Vous maintenez votre position, même si je crois qu'elle n'est pas fondée.

Lorsque vous parlez de la définition, vous oubliez que c'est précisément la question sur laquelle nous avons fait un compromis à la Chambre des communes. Nous avons inclus une définition de l'identité sexuelle ou identité de genre dans le projet de loi précisément pour laisser moins de place à l'interprétation et atténuer les craintes que vous soulevez. Alors, l'identité sexuelle sera comme l'origine nationale et les déficiences mentales ou physiques. Les tribunaux et les commissions devront interpréter ce terme, et la définition juridique se façonnera progressivement, au fil de la jurisprudence. C'est ainsi que fonctionne notre système. C'est l'un des points forts du système de common law.

Effectivement, je crois que ce sont les tribunaux qui prendront ces décisions. C'est ainsi que notre système fonctionne, mais nous avons fait un compromis.

Le sénateur Joyal : Monsieur Garrison, je tiens à vous féliciter pour les efforts que vous avez consacrés au parrainage de ce projet de loi et pour le dévouement dont vous faites preuve. Je pense que c'est un projet de loi nécessaire et que mes collègues sénateurs devraient l'adopter. Évidemment, comme vous pouvez le constater, des points de vue divergents s'expriment parmi nous, mais tâchons de comprendre les incidences juridiques de votre proposition, car c'est le rôle de notre comité, qui est le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

Mon collègue, le sénateur Baker, vous a demandé comment vous étiez arrivé à la définition de l'identité sexuelle ou identité de genre. Vous avez répondu que, lors d'une réunion internationale, des experts avaient essayé de formuler une définition. Cette définition a-t-elle résulté d'une étude de la jurisprudence sur divers territoires où les tribunaux ont dû s'employer à définir l'identité sexuelle? Est-ce plutôt le résultat d'une discussion sur la définition pouvant être donnée de ce terme? Autrement dit, vous êtes-vous inspirés de l'avis des tribunaux sur les éléments qui définissent véritablement l'identité sexuelle pour arrêter la définition contenue dans le projet de loi?

M. Garrison : Merci beaucoup pour votre question et, bien entendu, merci d'appuyer le projet de loi.

J'aurais peut-être dû préciser que le congrès de Yogyakarta regroupait principalement des juristes.

Le sénateur Joyal : Qui a organisé ce congrès?

M. Garrison : Il a eu lieu sous les auspices des Nations Unies, je crois, mais il faudrait que je vérifie pour voir qui en étaient les organisateurs, au départ. Il s'adressait principalement aux juristes de tous les pays. La vaste majorité des personnes présentes étaient des juges.

Le sénateur Joyal : Si vous avez accès aux actes de ce congrès, pourriez-vous nous les fournir?

M. Garrison : Oui.

Le sénateur Joyal : Un rapport devrait nous être remis afin de nous présenter les divers arguments ou éléments permettant aux membres de notre comité de s'assurer que la définition que vous nous proposez est assez claire pour que les tribunaux puissent en tirer une interprétation capable de résister à l'épreuve de l'expérience pratique sur le terrain. Voilà essentiellement ma première question au sujet du projet de loi.

M. Garrison : Un document contenant les principes de Yogyakarta a été produit à l'issue du congrès, et je serais heureux de le fournir au comité sénatorial pour qu'il puisse en tenir compte dans ses délibérations.

Le sénateur Joyal : Ma deuxième question concerne l'obligation contractée par le Canada lorsque nous avons signé le protocole additionnel sur les droits de la personne qui vient s'ajouter à la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le Canada a ratifié ce protocole et se trouve lié par toute définition qui s'y trouve. Selon vous, ce protocole contient-il des dispositions pouvant être utiles pour déterminer la protection à laquelle les transsexuels devraient avoir droit?

M. Garrison : Je vous renverrais à la déclaration du secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, qui a indiqué sans ambiguïté que l'identité sexuelle était comprise dans les droits de la personne protégés par les protocoles internationaux. Il est possible que tous les protocoles ne précisent pas explicitement ce droit, mais le secrétaire général des Nations Unies et le Conseil des droits de l'homme, qui a adopté pas plus tard que le mois dernier une résolution à cet égard, sont d'avis que les États membres ont l'obligation de protéger les personnes contre tout préjudice subi en raison de leur identité sexuelle. La résolution du Conseil des droits de l'homme était très explicite et comprenait les mots « identité de genre ».

Le sénateur Joyal : Pourriez-vous nous fournir le texte de la déclaration du secrétaire général Ban Ki-moon et les autres éléments dont vous parlez?

M. Garrison : Je le ferai avec plaisir.

Le sénateur Joyal : Dans votre exposé, vous avez indiqué que certains pays avaient inclus une protection semblable dans leurs lois. Vous avez mentionné la France et d'autres membres de l'Union européenne. Vous n'êtes pas sans savoir que le Canada signera un accord de principe avec les 28 pays membres de l'Union européenne, c'est-à-dire un accord commercial dont le premier ministre s'est réjoui, à juste titre selon moi, la semaine dernière, car c'est une réalisation de taille. Toutefois, un accord commercial comporte aussi des obligations en échange, et ces obligations ne concernent pas uniquement la vente de produits. Quand des États sont liés sur le plan commercial, leurs liens s'étendent à beaucoup d'autres domaines, comme l'immigration.

Comme vous l'avez indiqué, ce projet de loi aurait, par exemple, des conséquences relatives à la loi sur l'immigration, notamment, comme vous l'avez dit, dans le cas d'une demande de passeport ou d'une vérification de sécurité lorsqu'on entre dans un pays. Avez-vous examiné la jurisprudence des pays européens pour déterminer si la protection accordée a fait l'objet d'une interprétation par les tribunaux de certains d'entre eux?

M. Garrison : Non, je n'ai pas examiné la jurisprudence européenne. Il est intéressant que vous parliez des accords commerciaux, car, lorsqu'on examine la liste des neuf pays dont j'ai parlé, on constate qu'elle pourrait surprendre bien des gens. Ce ne sont pas des pays qui sont connus pour être à l'avant-garde de la défense des droits de la personne, mais ils ont quand même présenté des demandes pour faire partie de l'Union européenne, et l'Union européenne a, en retour, posé comme condition qu'ils offrent une vaste protection des droits de la personne. Cette condition constitue un facteur de motivation important qui incite certains pays de l'Europe de l'Est à inclure, dans leur législation, des dispositions additionnelles de protection des droits de la personne.

Le sénateur Joyal : Pour revenir au Canada, vous avez indiqué que cinq provinces ou territoires avaient inclus, dans leur législation, une disposition de protection contre toute atteinte fondée sur l'identité sexuelle. Avez-vous eu connaissance de décisions des tribunaux qui auraient fait jurisprudence dans les cinq provinces ou territoires en question concernant l'application de ces nouvelles dispositions de protection? Autrement dit, la protection a-t-elle été mise à l'épreuve par les commissions des droits de la personne de ces provinces ou territoires?

M. Garrison : Comme je m'attendais à ce qu'on me pose la question, j'ai examiné récemment le cas de l'Ontario.

Le sénateur Joyal : C'est un cas facile.

M. Garrison : Deux causes ont donné lieu à des jugements des tribunaux en vertu de la loi ontarienne. Celle que je connais le mieux concerne un employeur qui a manqué à son obligation de créer un climat acceptable au travail, ce qui a entraîné le congédiement du transsexuel concerné, qui a été obligé d'en porter le blâme. La Commission des droits de la personne de l'Ontario, elle, a plutôt fait des reproches à l'employeur pour ne pas avoir créé une bonne atmosphère au travail. Ce dernier a donc écopé d'une amende considérable pour ne pas s'être efforcé de résoudre le problème de la mauvaise atmosphère qui régnait au travail.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous les deux pour vos exposés. Comme vous le savez, d'autres projets de loi sur la question de l'identité et de l'expression sexuelles ont été présentés depuis 2005, dont trois qui prévoyaient des modifications au Code criminel et à la Loi canadienne sur les droits de la personne, tandis que les deux autres contenaient uniquement des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il s'agit plus précisément des projets de loi C-276, C-389, C-326, C-494 et C-392. Si je me souviens bien, ces projets de loi ont atteint l'étape de la première, deuxième ou troisième lecture ou sont morts au Feuilleton.

Ma question est la suivante : quelle différence principale y a-t-il entre ces projets de loi qui n'ont pas été adoptés et le projet de loi actuel?

M. Garrison : Je crois que la différence réside dans le compromis qui a été atteint entre les membres du caucus conservateur et moi. C'est un projet de loi plus pointu que ceux qui ont été présentés auparavant.

Le sénateur McIntyre : Vous voulez dire qu'il sépare l'identité sexuelle et l'expression sexuelle?

M. Garrison : Oui, le terme « expression sexuelle » a sans aucun doute un sens plus vaste.

Le sénateur McIntyre : Croyez-vous que le terme « identité sexuelle » ou « identité de genre » englobe le terme « expression sexuelle »? Pensez-vous que la discrimination fondée sur l'expression sexuelle sera interdite?

M. Garrison : Nous pensons que la définition que nous avons mise dans le projet de loi sera suffisante pour interdire toute discrimination à cause de l'identité sexuelle, mais certaines formes de discrimination fondée sur l'expression sexuelle pourraient ne pas être interdites.

Le sénateur McIntyre : Le projet de loi prévoit deux modifications de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des modifications au Code criminel. Le terme « identité de genre est ajouté à deux articles de la loi ainsi qu'à deux articles du Code criminel, soit l'article 318, sous la rubrique « groupe identifiable », ainsi que l'article 718.1, qui porte sur les principes de détermination de la peine. De surcroît, le terme « identité de genre » est défini, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Le projet de loi devrait-il définir le concept d'« identité de genre », ou devrait-on plutôt laisser aux tribunaux le soin de donner une interprétation de ce terme en fonction de chaque cas?

M. Garrison : Encore une fois, à mon avis, il n'était pas nécessaire de fournir une définition. C'est la même chose pour les termes « origine nationale » ou « âge », par exemple, qui ne sont pas définis avant d'être étudiés par les tribunaux. Cela dit, j'ai accepté le compromis auquel nous en sommes arrivés. Je pense que c'est un bon projet de loi. C'est une bonne définition et elle n'aura pas d'incidence négative.

Le sénateur McIntyre : Que le projet de loi définisse ou non le concept d'« identité de genre », les tribunaux en donneront tout de même une interprétation à l'avenir. Merci, messieurs.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie monsieur le président et nos deux invités. Lorsque j'étais président du syndicat des policiers de la Sûreté du Québec, un milieu un peu macho, l'un de mes policiers est venu me rencontrer pour m'annoncer qu'il souhaitait changer de sexe et devenir une femme. Il voulait s'assurer que son syndicat le protégerait durant sa transformation. Je n'ai pas eu besoin d'intervenir, puisque son employeur, la Sûreté du Québec, lui a donné tout le soutien nécessaire.

Vous avez souligné les engagements qui sont en faveur des grands principes énoncés dans votre projet de loi. Mais, à mon avis, il y a souvent une différence entre la volonté de changer les choses et la volonté de passer à l'action. Que faut-il faire dans un cas comme celui que je viens de vous mentionner? On sait que certains cas semblables peuvent engendrer des situations conflictuelles.

Pouvez-vous exprimer votre point de vue sur cette question?

[Traduction]

M. Garrison : Cinq provinces, de même que les Territoires du Nord-Ouest, ont leurs propres lois sur les droits de la personne, et nous n'avons rien constaté qui pourrait constituer, à mon avis, une situation conflictuelle importante. Bien entendu, certains cas feront l'objet d'une interprétation, comme dans tout domaine où les codes des droits de la personne protègent les gens contre la discrimination. Les personnes qui estiment avoir été victimes de discrimination profiteront des mesures de protection qui leur sont offertes en s'adressant à la commission des droits de la personne.

Oui, la jurisprudence des commissions donnera lieu à des interprétations, mais je n'ai constaté aucun problème important dans les provinces qui ont mis cette loi en ouvre.

Le sénateur Mitchell : M. Garrison a parlé de la jurisprudence. Il existe un cas typique en Ontario. Le comité entendra d'ailleurs ce témoin. Il s'agit du cas de Jesse Thompson, un jeune joueur de hockey transgenre qui est passé par toutes les étapes du processus de la Commission des droits de la personne de l'Ontario et qui a maintenant le droit de se changer avec ses amis et ses coùquipiers dans le vestiaire. Ce processus a été facilité par les structures existantes, et il montre bien que tout cela peut se faire très efficacement, sans conflit. En fait, c'est exactement le genre de chose qu'une telle mesure législative facilite. Elle facilite la résolution des problèmes sans conflit. Les gens disposent d'une instance auprès de laquelle exprimer leurs points de vue.

La sénatrice Frum : Je tiens à remercier les témoins, et j'aimerais souhaiter tout spécialement la bienvenue à M. Garrison. C'est bon de voir un député néo-démocrate au Sénat du Canada. Ce n'est pas une mauvaise idée.

Mes collègues ont parlé de la définition, mais j'aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet. Vous avez dit que la Chambre des communes en est arrivée à un compromis et que certains aspects du concept d'« expression sexuelle » seront maintenant exclus de la définition. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet et nous donner un exemple?

M. Garrison : En fait, j'hésite à le faire, car ces questions seront un jour réglées devant les tribunaux. Pour l'instant, je ne veux pas proposer à la Chambre quoi que ce soit qui pourrait favoriser ou empêcher l'inclusion ou l'exclusion.

La sénatrice Frum : La définition qui figure en ce moment dans le projet de loi est en fait très large. On peut y lire que ce concept désigne, pour une personne, l'expérience intime, personnelle et profondément vécue de son genre, que celui-ci corresponde ou non au sexe qui lui a été assigné à sa naissance.

J'ai de la difficulté à comprendre le compromis auquel vous êtes parvenus, car dans ce contexte, il me semble qu'on pourrait appliquer la même définition au terme « expression sexuelle » qu'au terme « identité de genre ».

M. Garrison : Ceux qui m'ont fait part de leurs préoccupations à cet égard sont ceux qui s'inquiètent du phénomène des travestis. Ainsi, une personne dont l'appartenance à un sexe est évidente, mais qui aime porter des vêtements associés à l'autre sexe, ne serait peut-être pas visée par cette définition, car celle-ci est axée sur le genre et l'expérience intime, personnelle et profondément vécue par une personne de ce genre. Un travesti n'a pas une telle expérience. C'est un exemple que les gens ont soulevé lorsqu'ils m'ont fait part de leurs objections. Ils pensent que ces personnes ne seront pas incluses. Je ne vais pas vous faire part de mon opinion personnelle et vous dire si cet aspect devrait être inclus ou non. Je pense qu'il est probable qu'il ne sera pas inclus dans la définition.

La sénatrice Frum : Je vous remercie; cela a certes été utile. À votre connaissance, est-il déjà arrivé, dans les cas visés par les lois fédérales sur les droits de la personne, qu'il soit impossible d'exercer un recours du fait que l'identité de genre ne constituait pas un motif de discrimination?

M. Garrison : Je ne connais pas de cas de la sorte, mais le témoin du Tribunal canadien des droits de la personne — je crois que c'est ce témoin qui a soulevé cet aspect — a déclaré que lorsqu'une plainte est fondée sur un motif de discrimination énoncé dans la loi, la cause part de là. Il n'est pas nécessaire de prouver que la personne est protégée. Cette situation crée un obstacle juridique supplémentaire pour les personnes transgenres, qui doivent d'abord prouver qu'en quelque sorte, elles ont des motifs, selon la loi, d'intenter des poursuites. Cela crée un obstacle juridique initial qui n'existe pas lorsque le motif de discrimination est énoncé dans la loi.

Cela dit, je n'ai jamais entendu parler d'un cas où cela n'a pas fonctionné.

La sénatrice Batters : Monsieur Garrison, nombreux sont ceux qui affirment que des mesures législatives de ce type, qui portent sur les codes des droits de la personne, ne sont pas nécessaires. De nombreuses provinces canadiennes n'ont pas inscrit l'identité de genre comme motif de discrimination illicite. Prenons par exemple la Saskatchewan. Récemment, un cas a été fort médiatisé en Saskatchewan, la province d'où je viens. Il s'agit d'une femme transgenre qui s'est rendue dans une boutique de robes de mariée. Vous connaissez sans doute ce cas? Elle s'est adressée à la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan. Elle n'a pas été servie par le personnel de la boutique, qui lui a demandé de quitter les lieux, ou quelque chose du genre. Quoi qu'il en soit, la commission a déterminé que sa demande était bien fondée. Le code des droits de la personne de la Saskatchewan ne fait pas mention de l'identité de genre. Le sexe et l'orientation sexuelle sont des motifs de discrimination illicites. Compte tenu du champ d'application de la loi, on a déterminé que la demande de cette personne était bien fondée, et elle a reçu une indemnité quelconque.

Sachant cela, quelle est votre réponse? Bon nombre de provinces, en fait, la majorité d'entre elles, n'ont pas inclus l'identité de genre dans la liste des motifs de discrimination illicites, et elles semblent pouvoir régler ces cas sans problème.

M. Garrison : J'aimerais tout d'abord mentionner que j'ai eu le plaisir de rencontrer la mariée en question, qui entretient maintenant une très bonne relation avec la propriétaire de la boutique. Voilà un exemple très positif des changements sociaux qui peuvent se produire.

Cet incident ne se serait peut-être pas produit si la Saskatchewan avait inscrit l'identité de genre comme motif de discrimination illicite, car les gens sauraient que ce type de discrimination n'est pas accepté, ni acceptable. C'est ce que j'appelle la fonction de dénonciation. Si ce motif avait été inscrit dans la loi, cet incident aurait peut-être pu être complètement évité. La propriétaire de la boutique a maintenant changé d'avis sur le sujet et a déclaré qu'une telle situation ne se reproduirait plus. C'est donc un cas très positif.

La sénatrice Batters : De nombreux motifs de discrimination illicites sont fort bien connus, et pourtant, il y a encore des revendications de ce type.

M. Garrison : Oui, et c'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai utilisé le conditionnel. Je ne dis pas que cela aurait permis d'éviter totalement qu'une telle situation se produise. Puisque je connais personnellement les personnes en cause dans cette affaire, je sais qu'elle a donné lieu à des changements positifs. Comme vous l'avez vous-même mentionné, partout en Saskatchewan, les gens sont au fait de la situation. Même s'il ne s'agit pas, à proprement parler, d'un motif de discrimination en Saskatchewan, ce type de discrimination est quand même interdit.

Le sénateur Mitchell : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter que tout cela va au-delà des impératifs juridiques bien précis que cette mesure législative suppose. Les répercussions sont beaucoup plus vastes. Comme l'a déclaré le juge La Forest, de la Cour suprême du Canada :

[...] l'absence de référence explicite à l'identité sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne rend les transgenres « invisibles ».

Le député Irwin Cotler a quant à lui déclaré ce qui suit à la Chambre des communes :

La Loi canadienne sur les droits de la personne est plus qu'une simple loi du Parlement. C'est une reconnaissance, un énoncé de nos valeurs collectives et un document qui présente une vision d'un Canada où tous les citoyens jouissent de l'égalité des chances et sont à l'abri de la discrimination.

Même si cela ne faisait pas une grande différence du point de vue juridique — c'est là l'essentiel de votre argument —, il n'en demeure pas moins que cela fait une énorme différence de façon générale puisqu'on reconnaît et déclare ainsi notre identité en tant que Canadiens et qu'on reconnaît et déclare aussi que chaque Canadien devrait avoir le droit de vivre sa vie comme il l'entend et de faire partie intégrante de la société.

La sénatrice Batters : Je tiens à souligner que le juge La Forest a fait cette déclaration en 1999, il y a 15 ans, et que le gouvernement libéral a été au pouvoir pendant environ sept ans après cette déclaration.

Le sénateur Mitchell : C'est ce que nous aurions dû faire. Il nous a fallu 15 ans pour rattraper le temps perdu.

La sénatrice Batters : La Bibliothèque du Parlement a rédigé une note d'information sur ce projet de loi à notre intention, comme elle le fait toujours. Elle a rédigé la note d'information et nous l'a envoyée il y a seulement une semaine. Cette note d'information indique que par suite de faits nouveaux, trois provinces et un territoire ont inscrit l'identité sexuelle parmi les motifs interdits de discrimination en vertu de leurs mesures législatives sur les droits de la personne, mais qu'en aucun cas, le terme n'est défini. La note cite ensuite des extraits des lois de ces provinces et de ce territoire. Nous avons également reçu une lettre de l'Association du Barreau canadien, rédigée l'an dernier, qui reprend ces renseignements sur les trois provinces et le territoire. Or, hier, vous avez parlé de cinq provinces et d'un territoire.

La note d'information de la Bibliothèque du Parlement indique également que dans les autres provinces et territoires, l'identité sexuelle et/ou l'expression sexuelle peuvent être incluses implicitement parmi les motifs énumérés, notamment le sexe, par l'effet de la politique ou en raison des décisions des tribunaux. Est-ce que vous incluez ces provinces et territoires dans ceux que vous avez mentionnés, ou est-ce que la Bibliothèque du Parlement nous a fourni des renseignements inexacts?

M. Garrison : Deux provinces ont récemment modifié leurs codes des droits de la personne pour y ajouter l'identité sexuelle, plus précisément l'Île-du-Prince-Édouard, en décembre 2013, et Terre-Neuve-et-Labrador, également en 2013. Je ne sais pas exactement au cours de quel mois. Je crois que c'était en juin 2013, lorsque le gouvernement conservateur de Terre-Neuve-et-Labrador a modifié ses lois.

La sénatrice Batters : Les renseignements ne sont donc pas à jour.

M. Garrison : Ils sont quelque peu désuets.

La sénatrice Batters : Pourriez-vous nous fournir des exemplaires des mesures législatives de ces deux provinces, étant donné que nous ne les avons pas en main?

M. Garrison : Je ne les ai pas. Peut-être pourriez-vous demander au personnel juridique du comité de vous les fournir?

La sénatrice Batters : Pourriez-vous vous en occuper? Comme il s'agit de votre mesure législative, je pense qu'il serait utile que vous les obteniez pour nous.

M. Garrison : Peut-être que le sénateur Mitchell pourrait vous les fournir? Cela dit, il s'agit de documents publics, qui ont été publiés dans la gazette de ces deux provinces. Ce ne sont pas des documents très difficiles à trouver.

Le sénateur McInnis : C'est la première fois que j'aborde ce projet de loi. Sénateur Mitchell, vous avez mentionné que sans cette mesure législative, ces personnes seraient invisibles. Lorsque j'ai lu cela hier soir, je me suis dit que j'aimerais que vous m'expliquiez la différence entre la discrimination fondée sur l'identité sexuelle et la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Pourriez-vous m'expliquer cela? Vous avez dit qu'à votre connaissance, il n'y a pas d'obstacle juridique faisant en sorte que l'identité sexuelle ne figure pas dans la loi. Les tribunaux ont-ils dû se pencher sur de nombreux cas similaires, qui feraient en sorte qu'il serait utile d'inclure l'identité sexuelle dans la loi? Vous avez parlé d'obstacles. Revenons en arrière. Permettez-moi de faire en quelque sorte l'étalage de mon ignorance en la matière, étant donné que c'est la première fois que j'aborde ce projet de loi. Expliquez-moi la différence entre identité sexuelle, sexe et orientation sexuelle, car je crois que les tribunaux feraient preuve d'une grande ouverture d'esprit à cet égard.

M. Garrison : Au risque de simplifier à outrance la question en essayant d'expliquer le tout rapidement, je dirais que le concept de sexe est fondé sur les caractéristiques physiques de la personne. Le concept d'orientation sexuelle est fondé sur les personnes qui exercent un attrait sexuel sur quelqu'un; cela n'a rien à voir avec les caractéristiques physiques. Quant au concept d'identité sexuelle, il s'agit de la perception qu'une personne a d'elle-même et de son sexe, si elle sent qu'elle est de sexe masculin ou de sexe féminin ou qu'elle se situe quelque part entre les deux sexes. Il s'agit donc de trois catégories juridiques distinctes, qui ont toujours été traitées comme telles. La raison pour laquelle nous voulons ajouter l'identité sexuelle, c'est que ceux qui sont victimes de discrimination pour ce motif ne devraient pas être tenus de faire valoir que c'est le cas en invoquant d'autres motifs. Cela devrait être une évidence sur le plan juridique, au même titre que le sexe et l'orientation sexuelle sont des motifs de discrimination, afin que les gens puissent invoquer l'identité sexuelle comme motif de discrimination.

Le sénateur McInnis : Voulez-vous dire que cela est impossible en vertu de la loi actuelle?

M. Garrison : À l'heure actuelle, puisque l'identité de genre n'est pas un motif de discrimination reconnu dans le Code des droits de la personne, le transgenre doit d'abord prouver que la discrimination dont il fait l'objet s'apparente à l'un des motifs énumérés dans le code. Il doit démontrer que la discrimination dont il est victime en tant que transgenre équivaut à de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ou le sexe. Cela ajoute une étape à la procédure judiciaire. Cette personne doit d'abord établir l'équivalence du motif par rapport aux motifs déjà reconnus alors que personne d'autre ne doit faire cela. La victime de discrimination fondée sur la religion n'a pas besoin d'établir que cela équivaut à de la discrimination fondée sur le pays d'origine. Il lui suffit de dire qu'elle a été victime de discrimination fondée sur la religion, et cela est un motif reconnu.

Nous faisons valoir que l'inclusion de ce motif simplifierait les choses et rendrait la loi plus complète. Qui sait s'il sera possible d'établir la correspondance de motif dans tous les cas de discrimination en fonction de l'identité de genre? Nous ne pouvons le garantir. Par contre, en l'inscrivant dans la loi, cela règle la question.

Le sénateur McInnis : Vous dites que cela simplifie les choses.

M. Garrison : Simplifie et clarifie. Le sénateur Mitchell a mentionné de manière très éloquente que cela sert également à énoncer les valeurs du Canada. Nous disons que la discrimination religieuse est inacceptable, que la discrimination en fonction du pays d'origine est inacceptable et nous déclarons aussi publiquement que la discrimination en fonction de l'identité de genre est inacceptable.

Le sénateur Mitchell : Permettez-moi de donner un exemple illustrant en quoi cela se révélerait utile. J'ai eu cette prise de conscience intéressante et étonnante ce matin. Lorsqu'ils font leur demande de passeports, les transgenres doivent signer un formulaire si le sexe déclaré sur leur demande de passeport diffère de celui qui figure sur leur certificat de naissance, car il faut se rappeler que dans la plupart des provinces, il est impossible de faire changer le sexe inscrit sur le certificat de naissance. Le formulaire en question qui accompagne la demande de passeport indique que la personne ne pourra adresser de revendications au gouvernement du Canada si elle a des ennuis avec des autorités étrangères. Tout autre Canadien peut adresser des revendications au gouvernement du Canada s'il a des ennuis avec des autorités étrangères lorsqu'il voyage. Je ne vois pas comment ce point pourrait facilement être traité sous la définition de « sexe » ou d'« orientation sexuelle », car aucun n'y correspond. Le problème ne s'applique ni à l'un ni à l'autre. Il est propre aux transgenres. La mesure proposée donnerait plus de poids à leur argument comme quoi ils ne devraient pas être privés de leur droit de représentation en tant que Canadiens lorsqu'ils vont à l'étranger. Le droit à la mobilité est un droit reconnu dans notre Constitution. Il s'agit d'un droit fondamental, et il serait ainsi défendu.

Le sénateur Baker : Monsieur Garrison, vous êtes de la Colombie-Britannique, n'est-ce pas?

M. Garrison : C'est exact.

Le sénateur Baker : Question de renforcer ce point, considérons le nombre de cas où la personne a dû recourir à la justice. Le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a dit oui dans cinq cas, mais après de nombreux arguments. La Cour supérieure de la Colombie-Britannique a examiné la question et sa conclusion vous donne tout à fait raison, monsieur Garrison. La situation actuelle entraîne de longues procédures judiciaires. Vous suggérez que nous enchâssions dans la loi ce qui a déjà été reconnu par les cours et le tribunal de votre province. La notion d'identité de genre ne figure pas dans le Code des droits de la personne de la Colombie-Britannique, mais elle figure dans la loi de la Colombie-Britannique. J'ai remarqué qu'en Colombie-Britannique, la fédération des enseignants de Vancouver a intégré l'identité de genre dans sa convention collective. Tous ces exemples ne font que renforcer le fait que même dans les provinces où l'identité de genre ne figure pas dans le code, la nécessité est là, car en l'ajoutant, on évite toutes ces procédures judiciaires. C'est tout ce que je voulais dire. Je ne sais pas si vous aimeriez faire une observation.

M. Garrison : Je crois que c'est tout à fait vrai. Cela placerait les transgenres sur un pied d'égalité avec le reste du monde. Cela ne leur conférerait pas de droit supplémentaire par rapport aux autres. Ils pourraient simplement présenter ainsi leur cause sur la même base juridique que toute autre personne.

Le sénateur Mitchell : En réalité, cela permettrait de réduire les tracasseries administratives.

Le sénateur Baker : Oui. En ce qui concerne la définition, vous avez absolument raison. L'identité de genre relève fortement de la subjectivité cérébrale, par opposition aux autres éléments que vous avez mentionnés, et elle a été définie par de nombreux médecins appelés à comparaître devant les cours supérieures, ce qui appuie votre argument.

Le sénateur Plett : Sénateur Mitchell, j'aimerais vous poser une question, car je crains que les autres témoins ne disent simplement que j'ai tort. J'espère que vous ne ferez pas cela et que vous répondrez plutôt à la question.

Au chapitre du logement et de l'emploi, je ne vois aucun problème à ce qu'une personne s'identifie comme une femme alors que, biologiquement, il s'agit d'un homme. Une telle personne doit être traitée de manière tout à fait égale aux autres. Elle ne brime les droits de personne en étant ainsi.

Toutefois, de nombreux éléments de la société sont séparés en fonction du sexe et non de l'identité de genre, notamment les refuges, les vestiaires, les salles de bain, et même les équipes sportives. Ces éléments ne sont pas séparés selon le sentiment intérieur, mais selon les distinctions physiologiques et anatomiques entre les sexes. Que nous aimions ou pas le fait que les hommes et les femmes diffèrent sur le plan biologique n'a rien à voir.

Sénateur Mitchell, vous dites que 0,3 p. 100 de la société est transgenre. Pourquoi les droits de ces personnes devraient-ils avoir préséance sur le droit de ma petite-fille de cinq ans d'utiliser un vestiaire ou une salle de toilettes sans qu'un homme biologique y entre. Vous mentionnez les toilettes sans distinction de sexe, et je suis d'accord avec vous. S'il s'agit d'une salle ou les toilettes sont dans des espaces fermés et non dans des cabinets, ou si la salle ne compte qu'une seule toilette, comme dans un avion, il n'y a aucun danger qu'une autre personne entre. Mais pourquoi les droits des personnes qui comptent pour 0,3 p. 100 de la société devraient-ils avoir préséance sur ceux de mes petits-enfants, de mes petites-filles?

Le sénateur Mitchell : Premièrement, permettez-moi de préciser que les salles de toilette sans distinction de sexe du conseil des écoles publiques d'Edmonton que j'ai mentionnées ne sont pas des salles à une seule porte. Cela va plus loin que cela et ça fonctionne très bien.

Deuxièmement, j'ai également des enfants, et j'espère un jour avoir des petits-enfants. Personne ne dit que les droits des uns doivent avoir préséance sur ceux des autres.

Aucun problème à cet égard n'a été constaté. C'est purement hypothétique. Ce que je sais avec certitude, c'est qu'on ne peut diminuer les droits d'un groupe de personnes dans l'éventualité ou en prévision qu'un autre groupe de personnes ait des intentions criminelles. C'est comme si on disait que les hommes blancs ne sont pas autorisés à entrer dans les dépanneurs parce que des hommes blancs ont déjà commis des vols de dépanneurs. Le problème que vous soulevez est purement hypothétique, c'est quasi littéralement de la pure supposition.

Par ailleurs, ce n'est pas comme si les transgenres cherchaient à être exposés ou à déranger. Au contraire, ils veulent à tout prix éviter ces circonstances qui les exposent.

Enfin, il s'agit d'une activité criminelle. Aucune preuve étayée n'associe cette activité criminelle d'aucune manière à qui que ce soit outre un reportage de Fox news, et qui oserait croire cela...

Le sénateur Plett : Moi.

Le sénateur Mitchell : D'accord, mais aucune preuve empirique ne l'associe au fait d'être transgenre. Cela pourrait se produire de toute façon, et le projet de loi ni ne facilitera ce genre d'activité criminelle, ni ne l'exacerbera. Si c'était le cas, cela se produirait dans les cinq ou six provinces dont nous avons parlé.

Le sénateur Plett : Si ma petite-fille de cinq ans ne veut pas se trouver dans la même salle de toilettes qu'une personne qui est, biologiquement, un homme, dans l'école d'Edmonton dont vous parlez, quelles sont ses options? Elle ne veut pas se trouver dans cette situation. Quels choix s'offrent à elle?

Le sénateur Mitchell : Le conseil des écoles publiques d'Edmonton a une politique qui régit cela.

Le sénateur Plett : En quoi consiste-t-elle?

Le sénateur Mitchell : Dans bien des cas, on se sert de la toilette réservée au personnel, qui n'a qu'une seule porte et une seule toilette. Alors, et si le problème se présentait, votre petite-fille pourrait probablement utiliser cette toilette.

Le sénateur Plett : Elle devrait utiliser cette toilette et non le transgenre.

Le sénateur Mitchell : Non. Je ne suis pas certain de la façon dont la politique s'applique, mais il n'en demeure pas moins que des politiques ont été instaurées et rodées dans de nombreux organismes, y compris le conseil des écoles publiques d'Edmonton, que j'ai fréquenté quand j'étais jeune, et cela fonctionne. Le projet de loi ne rendra pas cela plus difficile. Il facilitera la résolution de ces situations et motivera les organismes à trouver une solution adéquate.

Le sénateur Plett : Merci, Monsieur le président.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à la perception générale du public et à la confusion qui existe entre ce qu'est un transgenre et ce qu'est un travesti. Je crois que les gens confondent les deux. Puisque nous traitons des transgenres dans le présent projet de loi, pourriez-vous nous expliquer, en vos propres mots et selon votre propre expérience, quelles sont les distinctions que nous devons connaître entre les deux?

M. Garrison : Sénateur Joyal, je vous inviterais plutôt à convoquer des spécialistes en matière d'identité de genre et de tous les aspects connexes à venir témoigner pour répondre à cette question, plutôt que de me la poser. Il s'agit d'une question très spécifique.

J'hésite à passer à une autre question sans revenir sur les propos du sénateur Plett. En faisant appel à l'indulgence du président, j'aimerais donc y revenir un instant, même si on ne m'a pas précisément demandé de commenter.

Voilà où vous faites erreur, sénateur Plett. À mon avis, c'est de la discrimination au même titre que si une personne refusait d'entrer dans une salle de toilettes où se trouve une personne asiatique ou juive. En refusant...

Le sénateur Plett : À mon sens, ce n'est pas la même chose, et je ne vous ai pas posé la question.

M. Garrison : Je comprends cela, mais vous avez mentionné le fait que j'ai dit que vous aviez tort, et je crois que c'est là que vous faites erreur. De la discrimination, c'est de la discrimination, et c'est ce que nous visons à corriger au moyen du présent projet de loi. Certaines personnes sont exclues des protections dont jouissent tous les autres.

Pour ce qui est de faire la distinction précise entre transgenre, personne dérogeant aux conventions typiquement associées à son genre, intersexué et travesti, je crois que vous avez intérêt à faire appel à une personne plus spécialisée dans le domaine que je ne le suis.

Le sénateur Joyal : Êtes-vous au courant que la Californie a adopté une loi concernant le droit des étudiants transgenres d'utiliser les toilettes et de faire partie des équipes sportives de leur choix?

M. Garrison : Oui, je suis au courant. D'ailleurs, l'université de Californie a annoncé tout récemment, je crois que cela fait à peine deux semaines, qu'elle entend instaurer une politique respectueuse des transgenres, si l'on peut dire, où elle prévoit notamment des salles de toilettes et des vestiaires dans chacun de ses 10 campus. Cela ne s'est pas révélé une question controversée.

Le sénateur Joyal : Qu'est-ce qui a poussé la Californie à adopter cette loi? Car, à ce que je sache, il s'agit d'une nouvelle loi et non d'une politique, d'une simple ligne directrice ou d'une invitation à faire des accommodements dans certains contextes.

M. Garrison : Je suis désolé. Je ne suis pas suffisamment de près l'actualité politique de la Californie pour savoir ce qui a mené à l'adoption de cette loi.

La sénatrice Batters : J'aimerais revenir à la définition. Je vais lire la définition que vous avez incluse dans le projet de loi, car nous en parlons abondamment, mais les gens qui nous écoutent ou qui n'ont pas le projet de loi sous les yeux ne la connaisse pas. La voici donc :

Au présent article, « identité de genre » désigne, pour une personne, l'expérience intime, personnelle et profondément vécue de son genre, que celui-ci corresponde ou non au sexe qui lui a été assigné à sa naissance.

Vous avez choisi d'inclure cette définition très large plutôt que d'ajouter simplement l'identité de genre aux motifs de discrimination interdits. D'après mes renseignements, les trois provinces et le territoire qui ont décidé de tenir compte de l'identité de genre ont simplement ajouté cette notion; nul ne la définit. Comme je n'ai pas vu ce qu'elles ont adopté, j'ignore si c'est également le cas dans les deux autres provinces, c'est-à-dire Terre-Neuve et l'Île-du-Prince-Édouard. Est-ce que l'une ou l'autre a défini la notion d'« identité de genre » ou l'ont-elles simplement ajouté sans la définir?

J'aimerais aussi que l'un d'entre vous parle un peu du fait que la définition incluse est plutôt large, s'il vous plaît.

M. Garrison : Le projet de loi que j'avais présenté à l'origine ajoutait « identité sexuelle » et « expression sexuelle » sans définition. Une définition a été intégrée après consultation des députés de votre caucus conservateur à la Chambre des communes, et ceux-ci ont réclamé une définition plus étroite que...

La sénatrice Batters : C'est après avoir retiré la notion « d'expression sexuelle » que vous avez voulu inclure une définition large d'« identité de genre ». Est-ce là la raison?

M. Garrison : Ces modifications ne sont pas les miennes. Elles sont le fruit d'un processus qui a mené à des compromis pour satisfaire les 18 députés de votre caucus.

La sénatrice Batters : Les compromis, ça vous inclut aussi.

M. Garrison : En effet.

La sénatrice Batters : Vous êtes le parrain du projet de loi.

M. Garrison : Nous avons convenu d'utiliser la jurisprudence internationale des principes de Jogjakarta. J'ai trouvé cela acceptable, et les 18 conservateurs aussi.

Je serais beaucoup plus heureux si le projet de loi ne faisait qu'ajouter la notion d'« identité de genre ». À mon avis, cela suffisait et, dans le cours normal de la jurisprudence, les instances judiciaires en définiraient les paramètres.

C'est en raison de ce compromis et de la crainte que la notion ait un sens trop large qu'une définition précise a été rédigée.

Le président : Merci messieurs. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence aujourd'hui et de votre assistance dans nos délibérations.

Pour notre deuxième table ronde, j'ai l'honneur d'accueillir et de présenter Gerald D. Chipeur, associé, Miller Thomson LLP; de même que Suzanne McLeod, chef des projets spéciaux de Siksika Health Services. Je dois mentionner que M. Chipeur est conseiller juridique de l'organisme de Mme McLeod.

Souhaitez-vous tous deux faire une déclaration préliminaire?

Gerald D. Chipeur, associé, Miller Thomson LLP, à titre personnel : Oui. Merci.

Le président : Madame McLeod, aimeriez-vous commencer? La parole est à vous.

M. Chipeur : Si le président n'y voit pas d'inconvénient, je vais commencer. Habituellement, ce sont les femmes d'abord, mais madame me cède la parole. Merci beaucoup.

Le président : Allez-y, je vous en prie.

M. Chipeur : Je m'appelle Gerald Chipeur. Je suis l'avocat de Siksika Health Services, en Alberta. J'aimerais avant tout préciser que le but de notre présence ce matin est de faire valoir le besoin de clarté de la part des responsables de la santé et des décideurs relativement aux modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne proposées dans le projet de loi C-279. En particulier, nous partageons la préoccupation exprimée par l'Association du Barreau canadien dans sa lettre adressée au Sénat le 6 mai 2013, à la page 2 de la lettre. Je vais citer un passage de la lettre en question. À la deuxième phrase du troisième paragraphe de la page deux, l'Association du Barreau canadien dit :

Bien que l'interprétation large de la législation existante sur les droits de la personne englobe actuellement l'identité sexuelle, il demeure une certaine incertitude dans la législation, ce qui entraîne une augmentation du nombre de violations ainsi que des litiges inutiles et coûteux.

Puisque le Sénat envisage d'élargir la Loi canadienne sur les droits de la personne pour clarifier la signification de genre et étendre la notion de genre pour inclure l'état mental de la personne, il importe, encore là pour les raisons énoncées par l'Association du Barreau canadien que je viens de vous lire, de clarifier une autre partie de la loi, soit l'alinéa 15(1)g) de la loi. Je vais vous citer le passage en question à compter du début du paragraphe 15(1) :

Ne constituent pas des actes discriminatoires : [...]

g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.

Un certain nombre de situations correspondent logiquement à l'alinéa 15(1)g) conformément au paragraphe 15(2). Pour comprendre le genre de motifs qui pourraient être inclus dans l'alinéa 15(1)g), il faut se reporter au paragraphe 15(2) de la loi, qui dit :

Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont [...] un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

Or, ces trois mots ont un sens large et incertain. Ainsi, tandis que le comité sénatorial envisage de clarifier les notions de genre et de sexe, il devrait également envisager d'étayer et de clarifier l'alinéa 15(1)g) et le paragraphe 15(2), de sorte que nous puissions éviter, pour reprendre les propos de l'Association du Barreau canadien, les litiges inutiles et coûteux que risquent d'entraîner l'application de cette loi à l'établissement de soins de santé où nous fournissons des services dans la réserve de la nation siksika.

Mon client ne peut se permettre de consacrer les maigres ressources financières destinées aux soins de santé au règlement de litiges concernant le sens précis de ces trois mots. Le présent comité a le pouvoir de clarifier cela aujourd'hui pour que nul n'ait besoin de faire appel aux instances judiciaires et aux tribunaux des droits de la personne pour comprendre ce que signifient ces trois mots pour un refuge pour femmes ou un fournisseur de soins de santé dans une réserve au Canada.

Par conséquent, nous demandons au comité de tenir compte de la nécessité de faire en sorte que les personnes puissent servir et être servies sans crainte de traumatismes supplémentaires, comme en parlera ma collègue Suzanne McLeod. Je ne veux pas trop empiéter sur le contenu de son témoignage, mais je tiens à dire que nous désirons offrir des services à tout le monde, mais nous voulons le faire en fonction de ce que les responsables de la santé estiment être dans le meilleur intérêt de chaque patient, chaque client et chaque personne servis dans le système de santé.

Nos préoccupations concernent la prestation des services de santé financés par le gouvernement fédéral ou offerts dans un contexte de compétence fédérale. Les réserves des Premières Nations et les bases militaires sont deux exemples qui me viennent à l'esprit.

Cela dit, en terminant, le comité doit également se demander quelles seront les répercussions du projet de loi dans d'autres domaines, et en particulier dans le domaine des événements sportifs et des équipes sportives, tel qu'il a été mentionné plus tôt aujourd'hui. Si je comprends bien l'alinéa 15(1)g) et du paragraphe 15(2), une personne pourrait invoquer les nouvelles dispositions prévues au projet de loi C-279 pour se joindre à une équipe du sexe opposé, et le Canada serait alors exclu des Jeux olympiques, des Jeux panaméricains, des Jeux du Commonwealth et d'autres événements du genre.

Par conséquent, je suggère au comité de vérifier s'il n'y aurait pas d'autres modifications de la loi qui s'imposent dans d'autres domaines, c'est-à-dire outre celui de la santé dont nous sommes venus vous parler aujourd'hui.

Voilà qui complète mes propositions. J'aimerais maintenant céder la parole à Suzanne McLeod.

Mme McLeod : Bonjour, sénateurs. Je suis chef des projets spéciaux de Siksika Health Services. La nation siksika se situe sur le territoire des Pieds-Noirs, quelque 80 kilomètres au sud-est de Calgary.

Siksika Health Services exploite un centre de santé communautaire de pointe qui offre des soins cliniques, primaires et communautaires.

L'un des projets dont je suis responsable consiste à élaborer une proposition visant la création d'une maison de transition pour les femmes et les enfants dans la réserve de la nation siksika.

Une maison de transition est plus qu'un refuge. Nous pouvons y offrir des services aux personnes âgées de moins de 18 ans. Cela est important parce que bon nombre des victimes que nous traitons ont moins de 18 ans et à l'heure actuelle, nous n'avons pas la capacité de protéger ces personnes. Notre population globale est âgée d'entre 16 et 24 ans. Soixante pour cent de notre population se situe dans ce groupe d'âge, alors nous avons un dilemme croissant sur le plan des traumatismes intergénérationnels et de la violence familiale.

Comme nous le savons, les réserves relèvent de la compétence fédérale. Toutefois, nous recevons du financement et de la province, et du gouvernement fédéral.

Nous savons que 95 p. 100 des transgenres sont des hommes. Cela vaut aussi pour la nation siksika. Or, la population transgenre siksika a une visibilité relativement élevée. La réserve compte 6 800 habitants. De ce nombre, environ 1 p. 100 sont transgenres. « Visible » est le mot-clé ici. Les gens ne quittent pas la réserve pour aller vivre ailleurs; c'est une petite collectivité, mais en raison de la façon dont la réserve est structurée, il n'est pas de la nature des gens de déménager, alors ils y vivent pendant des générations et des générations. Ainsi, toute minorité y est très « visible », c'est parce que tout le monde sait qui est qui, qui fait quoi et qui a quel mode de vie.

Fondée sur notre expérience de prestation de services communautaires et de collaboration avec la GRC ainsi que sur l'ensemble des différents services que nous offrons, notre vision est d'avoir un centre communautaire qui offre sous un même toit, mais dans des ailes distinctes, des services aux femmes, aux enfants et aux transgenres. Je m'explique.

Dans la réserve, les fonds dont nous disposons pour créer quelque type d'établissement que ce soit sont extrêmement limités. Cela fait jusqu'à cinq ans que nous tentons d'obtenir la création d'un refuge dans la réserve. Nous savons qu'un ministère nous a imposé un moratoire, et cela restreint considérablement notre accès à des ressources. Ainsi, cela ne sert à rien de vouloir un centre pour les transgenres, un autre pour les femmes et les enfants, et un autre pour les hommes, car nous ne les aurions jamais.

Nous ne voulons pas refuser les transgenres qui se présentent à notre refuge et à notre maison de transition simplement en raison de leur sexe à la naissance. Nous ne voulons pas faire cela. Toutefois, nous reconnaissons également le fait que nous devons protéger les femmes et les enfants. Si nous refusons ainsi des gens — et cela s'est produit par le passé — cela entraîne d'autres problèmes pour ces personnes et pour la collectivité.

Notre approche respecte les concepts culturels afin d'offrir un soutien complet, multidisciplinaire et à long terme tant à la victime qu'à l'agresseur. Le manque de clarté dans la loi rend difficile l'établissement de services appropriés et de politiques légales et éthiques. Une plus grande clarté nous aiderait à établir ces définitions et politiques au niveau de l'administration et de la première ligne.

À l'heure actuelle, nous savons que les victimes siksikas de sexe masculin sont envoyées dans des refuges à l'extérieur de la réserve, où elles sont souvent victimisées à nouveau. Nous voulons simplement avoir la possibilité d'avoir un établissement dans la réserve où nous pourrons accueillir, dans des ailes séparées, tant les transgenres que les femmes et les enfants.

Nous savons que les transgenres — et cela revient au contexte du milieu qui est tel que les gens ne quittent pas la réserve — ont plutôt tendance à tenter de rester dans la collectivité, alors nous avons besoin de ce mécanisme pour pouvoir leur offrir le même soutien et la même protection qu'à toute autre personne dans ces circonstances.

En ce moment, la demande de financement met l'accent sur le grave besoin d'un lieu sûr pour les femmes et les enfants. On espère qu'une possibilité se présentera dans le futur pour des services axés sur les hommes et la communauté transgenre. À notre avis, la législation et les initiatives visant à faire en sorte que les transgenres ne subissent pas de discrimination sont des progrès positifs. Nous ne voulons pas refuser ces personnes parce que cela revient à refuser une partie de notre collectivité.

Dans le contexte du projet de loi à l'étude au Sénat, nous sommes d'avis que des clarifications s'imposent. On ne saurait trop insister. Il est nécessaire de clarifier la loi pour s'assurer que nous servons et protégeons un groupe vulnérable sans traumatiser l'autre. Par conséquent, nous recommandons que les refuges pour femmes soient autorisés à traiter les femmes sans la présence des hommes, sans égard à leur identité de genre personnelle. Nous formulons cette recommandation en raison du traumatisme que vivraient les femmes vulnérables si elles étaient en présence d'hommes dans la période initiale des soins dans un refuge pour femmes.

Cette recommandation est fondée sur l'expérience du refuge pour femmes situé sur la réserve des Gens-du-Sang, juste au sud de Calgary. Lorsque des hommes étaient présents au refuge pour femmes, les femmes et les enfants vivaient des traumatismes supplémentaires considérables en plus de l'incident initial. Nous croyons fermement qu'il est possible d'offrir des établissements de soins séparés pour les hommes, les femmes et les transgenres sous un même toit, et qu'il faut amender le projet de loi pour permettre aux responsables de la santé de choisir un mode de prestation des services qui aide tout le monde et ne cause de préjudices à personne.

Le président : Merci.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leur présentation.

Je m'adresse d'abord à M. Chipeur, un avocat-conseil célèbre — la jurisprudence le cite dans une centaine d'arrêts publiés et il a comparu une vingtaine ou une trentaine de fois devant la Cour suprême du Canada sur des sujets très intéressants, dont certains s'apparentant à celui qui nous intéresse présentement.

M. Chipeur a cité la lettre de l'Association du Barreau canadien. Or, je considère que cette lettre appuie totalement le projet de loi à l'étude. Le passage cité se rapportait à la législation existante, sans le projet de loi. Selon l'Association du Barreau canadien, il demeure une certaine incertitude dans la législation actuelle, ce qui entraîne une augmentation du nombre de violations ainsi que des litiges inutiles et coûteux.

J'en déduis que selon l'Association du Barreau canadien, le projet de loi remédiera à cette lacune et indiquera clairement la voie à suivre aux instances judiciaires.

J'ai eu l'impression que vous citiez ce passage pour dire que c'est ce qui arriverait si nous adoptions le projet de loi. Est-ce que je me trompe?

M. Chipeur : Ce que je voulais dire, c'est qu'il ne faut pas vous arrêter à mi-chemin quand vous répondez à la demande de clarification. Autrement dit, pour atteindre l'objectif visé — à savoir l'absence de poursuites et d'incertitude pour les administrateurs de la santé — il faut veiller à définir de façon précise quand la présence d'un homme qui a le sentiment puissant d'être une femme est permise. Dans quelles circonstances cette présence peut-elle être imposée à un administrateur de la santé?

Nous estimons qu'il n'y a pas de problème si quelqu'un veut être traité comme une femme dans un établissement de soins de santé ordinaire. Cependant, si, lorsqu'elle arrive à un refuge pour femmes, cette personne se trouve devant trois portes, une pour les hommes, une pour les femmes et une dernière pour les transgenres, elle n'entrera peut-être pas par la porte destinée aux femmes pour demander à être traitée.

Nous disons simplement qu'il serait très facile d'apporter à l'alinéa 15(1)g) des précisions sur les soins de santé, la sécurité et les coûts dans le contexte des refuges pour femmes. Si la question demeurait théorique, nous pourrions laisser à l'article 15(1)g) le soin d'y répondre, mais il ne s'agit pas de théorie. Nous ne nous basons pas seulement sur la jurisprudence, mais aussi sur notre expérience dans nos collectivités — où le problème est concret —, et comme nous savons que cela concerne 1 p. 100 de la population de notre collectivité, il y aura un risque de poursuites.

Le Sénat a la capacité d'éviter ces poursuites en disant aux administrateurs de la santé : « Voici ce que signifient les coûts de santé et la sécurité dans ce cas précis. » Comme nous savons que la situation est réelle, il ne fait aucun doute que cela causera des problèmes. Par conséquent, éliminons ces problèmes. Il suffit de proposer un amendement grâce auquel il ne sera jamais nécessaire de s'adresser aux tribunaux puisque le Sénat aura établi très précisément ce qui est considéré comme de la discrimination et ce qui est considéré comme un effort de bonne foi de protéger les femmes et d'éviter qu'elles ne soient traumatisées de nouveau dans un contexte de violence. C'est la seule chose que nous demandons et cela ne va pas plus loin. Je pense que cela décrit bien la préoccupation de l'ABC en ce qui concerne les coûts.

Je conviens que l'ABC n'a pas tenu compte de cet aspect lorsqu'elle a rédigé cette lettre. Je reprends leur argument pour illustrer qu'il ne faut pas s'arrêter à mi-chemin, pas pour dire qu'il ne faut pas adopter le projet de loi. Puisque nous reconnaissons, comme il convient, tous les droits de la personne, j'estime qu'il faut être clair au moment d'adopter ce projet de loi qui est fort détaillé, il faut l'admettre. Il explique en détail quand et comment ses dispositions s'appliquent. Par conséquent, puisqu'autant de soin a été apporté à établir le domaine d'application de façon détaillée, j'estime qu'il faut appliquer le même niveau de détail aux exceptions qui, nous le savons tous, doivent être présentes compte tenu des témoignages des experts.

Le sénateur Baker : Monsieur le conseiller, même si cette mesure législative est adoptée, les tribunaux consulteront la jurisprudence et pourraient conclure qu'il y a précisément violation de l'identité de genre, qu'ils considéreront comme faisant partie du sexe aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, comme l'a fait la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour l'affaire Kimberly Nixon c. Vancouver Rape Relief Society, qui portait sur une situation similaire, pour l'affaire Waters c. BC Medical Services Plan et pour une affaire mettant en cause les services de traversiers de la Colombie-Britannique, et comme l'a fait le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique dans l'affaire Barker c. Hayes, qui n'était pas tout à fait semblable, pas exactement comme vous l'avez présentée, mais dont certaines circonstances étaient similaires.

Je présume que vous nous demandez de colmater une brèche qui a déjà été ouverte dans la jurisprudence existante.

M. Chipeur : Il est certain que les tribunaux ont déjà été saisis d'affaires sur l'identité de genre et la définition de ce qu'est le genre, et les notions de genre et de sexe sont assez clairement définies dans la loi. Nous ignorons toutefois quel effet aura le présent projet de loi. Nous ne savons pas comment les tribunaux l'interpréteront. Nous ignorons s'il restreindra ou s'il élargira leur interprétation, mais nous savons qu'il s'agit d'un nouveau droit prévu par la loi pour préciser ce qui avait jusqu'à maintenant fait l'objet d'une interprétation. À la suite de l'adoption de ce projet de loi, il est certain que certaines personnes de notre collectivité se diront que ce droit s'applique à elles. Elles pourraient se présenter à ce refuge pour femmes et dire : « C'est un endroit pour les femmes et je suis une femme », même s'il s'agit en fait d'un homme.

Nous savons que cela peut arriver parce que cela s'est déjà produit, et c'est pourquoi nous recommandons d'éliminer cette possibilité. Nous savons tous que, pour répondre aux besoins des femmes qui ont été traumatisées, la sécurité et les soins de santé sont certainement des enjeux qui justifient ce genre de précision.

Tandis que vous êtes saisis de ce projet de loi, vous avez la possibilité d'y apporter des précisions, comme nous le recommandons, mais ce n'est qu'une recommandation que nous formulons, car nous savons que cette question attire de l'attention. Nous savons aussi que, en l'absence de cette précision, le seul véritable moyen de savoir si les notions de santé et de sécurité s'appliquent sera que poursuites soient intentées, dans le cadre desquelles le gouvernement accordera des fonds à la Commission des droits de la personne et l'établissement de soins de santé devra payer ses avocats, argent qui pourrait autrement être consacré aux soins de santé.

Le sénateur Plett : Je remercie les deux témoins de leur présentation. Madame McLeod, dans le contexte de votre centre de transition, pouvez-vous nous expliquer un peu plus en détail quels effets néfastes sur le traumatisme vécu par une victime féminine découlent de la présence d'un mâle biologique dans le même établissement, surtout s'ils se trouvent dans la même chambre ou dans la même aile? Je vous pose cette question parce que vous avez parlé d'ailes différentes, et je vous en pose tout de suite une autre.

Seriez-vous en faveur d'un amendement qui vous donnerait la souplesse de déterminer, en fonction de leur genre, dans quelle aile il faut placer les personnes qui se présentent à votre établissement, soit homme, transgenre et femme, comme l'a indiqué M. Chipeur? Si le projet de loi était amendé de façon à vous donner cette souplesse, y seriez-vous favorable?

Mme McLeod : Je pense que c'est effectivement de cela qu'il est question, que le projet de loi accorde aux administrateurs des établissements locaux de première ligne la souplesse de choisir la façon d'offrir des services à tous les membres de la collectivité, tout en demeurant dans les limites des politiques juridiques du code des droits de la personne. En effet, j'appuierais certainement un tel amendement.

Le sénateur Plett : Pourriez-vous nous parler un peu des conséquences négatives que pourrait subir une femme qui été victime de violence de la part de son conjoint si elle devait partager les locaux du refuge?

Mme McLeod : À leur arrivée au refuge, les femmes sont extrêmement traumatisées. Elles arrivent seules ou accompagnées de leurs enfants après avoir été victimes de violence de la part d'un homme, qui peut être leur conjoint. Lorsqu'elles arrivent au refuge, elles sont donc très bouleversées. Les deux premières semaines de leur séjour au refuge constituent une période de stabilisation. C'est pourquoi les séjours dans les refuges durent habituellement de 14 à 28 jours.

Il est important que, pendant les sept à 14 premiers jours, la pensionnaire du refuge n'ait aucun contact avec un homme parce que, habituellement, son agresseur était un homme. La présence d'un homme lui ferait revivre son traumatisme. Même si l'homme est gentil et qu'il n'est pas l'agresseur, le sentiment qui associe la violence aux hommes en général est toujours fortement ancré chez la victime. Par conséquent, il existe des éléments déclencheurs à cet égard.

Le sénateur Plett : Monsieur Chipeur, si ce projet de loi est adopté, pourrait-on juger que les Services de santé Siksika font preuve de discrimination s'ils décidaient de séparer les hommes biologiques — les femmes transgenres — des femmes biologiques, qui ont été victimes de violence et de mauvais traitements pour des raisons de sécurité ou, à tout le moins, pour que les femmes puissent se sentir en sécurité à l'intérieur du refuge? Si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, pourrait-on dire que cette pratique est discriminatoire?

M. Chipeur : Si un tribunal acceptait le témoignage de Suzanne McLeod, l'alinéa 15(1)g) protégerait l'établissement contre une plainte de discrimination, mais seulement après la tenue d'une audience. Compte tenu de ce que j'ai entendu ce matin de la part des témoins précédents, l'autre partie pourrait certainement faire valoir qu'il ne s'agit pas d'une question de sécurité.

On ferait probablement appel à deux séries de témoins. L'une comprendrait des témoins comme Suzanne McLeod qui diraient que les femmes doivent être protégées à tout prix, même contre la présence d'un homme gentil. D'autres affirmeraient le contraire, qu'il est possible de traiter ces femmes malgré la présence d'hommes au refuge.

Je préférerais que cette entité, le tribunal du Sénat, prenne la décision, qu'il accepte le témoignage de Suzanne McLeod et qu'il élimine toute incertitude, plutôt que de laisser les tribunaux trancher la question, examiner minutieusement les deux points de vue et entendre des experts prêts à invoquer tous les arguments. Cette position n'est pas contraire à l'intention actuelle de la loi. Ce que nous demandons ne dépasse pas la portée de la loi, mais, comme nous souhaitons éclaircir celle-ci, nous vous exhortons de prendre les mesures nécessaires pour que cet objectif soit atteint.

Compte tenu de ce que j'ai entendu ce matin, il est peu probable que la position de Suzanne soit acceptée en tant qu'analyse adéquate des exigences qu'il faut respecter en matière de santé et de sécurité.

La sénatrice Frum : Toujours à ce propos, vous dites que nous devrions éliminer toute incertitude dans le projet de loi. Comment proposez-vous exactement que nous y parvenions?

M. Chipeur : On pourrait apporter un amendement à l'alinéa 15(1)g) et au paragraphe 15(2) afin de déterminer les endroits où il existe un risque légitime et raisonnable pour la santé ou la sécurité, ce qui, selon nous, pourrait inclure les situations où des mauvais traitements pourraient être perpétrés. Ces dispositions devraient s'appliquer à toutes les personnes — femmes ou hommes transgenres — qui ont été victimes de mauvais traitements dans des situations intimes et qui pourraient être traitées séparément, si le fournisseur de soins de santé le juge approprié.

Je pense qu'il serait facile d'apporter un amendement qui habiliterait les administrateurs des établissements de santé à prendre les décisions qui s'imposent. Évidemment, on ne peut pas demander au gouvernement de dépenser de l'argent dans les soins de santé et exiger qu'il ouvre un refuge pour hommes parce qu'il existe déjà un refuge pour femmes. Toutefois, ces administrateurs pourraient décider d'exclure des refuges pour femmes les hommes, ceux qui s'identifient comme des femmes ou les femmes transgenres.

Si l'on décidait d'apporter un amendement, je pense que le comité ainsi que le Sénat pourraient déterminer qu'il existe d'autres situations de vulnérabilité. Vous pourriez utiliser le critère suivant : des personnes seront vulnérables ou se sentiront vulnérables en présence de personnes de l'autre sexe à cause de ce qui leur est arrivé par le passé. Si vous pouviez déterminer ces situations, je pense que vous seriez alors en mesure d'atteindre cet objectif.

La sénatrice Frum : En gros, vous parlez des établissements de santé et des refuges.

M. Chipeur : Ce sont les établissements qui nous préoccupent.

La sénatrice Frum : Est-ce que ces établissements sont les seuls qui vous préoccupent?

M. Chipeur : En tant qu'organisation, ce sont là nos préoccupations.

Si vous souhaitez connaître mon opinion personnelle, je dirais que les toilettes sont des endroits — que ce soit sur une base militaire ou ailleurs — où les femmes peuvent s'attendre raisonnablement à être en présence d'autres femmes. Cela n'est pas déraisonnable. C'est mon point de vue personnel. Toutefois, ce n'est pas le point que nous souhaitons faire valoir aujourd'hui. Notre préoccupation a trait aux soins de santé, mais si vous me demandez si les femmes pourraient se sentir vulnérables à d'autres endroits, si le comité est d'avis que ces endroits existent, c'est l'occasion idéale de se pencher là-dessus.

Il n'y a aucune raison de rendre une personne mal à l'aise dans le but d'accepter tout le monde au sein de la société. Je pense que notre société est suffisamment grande et pluraliste pour qu'on puisse souligner la valeur de chaque personne sans que d'autres soient susceptibles de ne pas se sentir en sécurité.

La sénatrice Frum : Dans ce cas, que pensez-vous du fait que le projet de loi comprend la définition de l'expression « identité de genre »? On nous a dit que, dans sa version initiale, le projet de loi ne définissait pas explicitement cette expression. Serait-il utile d'éliminer cette définition du projet de loi?

M. Chipeur : Non, je ne le pense pas. En réalité, les tribunaux ont affirmé que le genre comprend toutes ces questions. Je ne pense pas que la question des définitions pose problème. Lorsqu'une personne dit qu'elle peut s'identifier à un genre en particulier, les tribunaux ou les commissions des droits de la personne la croient sur parole et ne cherchent pas à aller plus loin que cette déclaration subjective.

Je ne pense pas que le fait de modifier les définitions constitue la solution. Il faut plutôt éclaircir les choses. Nous cherchons à éclaircir ce qui doit être inclus; maintenant, nous vous demandons d'éclaircir ce que le paragraphe 15(1) ne doit pas comprendre. À condition que les sénateurs — des personnes raisonnables — s'entendent sur ce qui devrait ou ne devrait pas être inclus dans les facteurs touchant la santé et la sécurité ainsi que les coûts, qu'ils puissent tenir compte d'exemples passés et qu'ils sachent que ces questions sont réelles et qu'elles doivent donc être réglées par des organisations de ressort fédéral, il est raisonnable que le Sénat puisse dire : « Voilà ce que nous voulons dire quand nous parlons des facteurs touchant la santé et la sécurité ainsi que les coûts. »

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de vos exposés.

Vous avez tous deux soulevé la question de la clarté, et nous sommes en présence de deux modifications : une à la Loi canadienne sur les droits de la personne et l'autre au Code criminel. Le projet de loi vise à ajouter l'expression « identité de genre » à deux articles de cette loi et à deux articles du Code criminel.

Il peut arriver que le Tribunal canadien des droits de la personne soit saisi d'un différend. Évidemment, il faut alors suivre un processus bien précis. Par ailleurs, si un tribunal est saisi d'un différend, il faut se conformer à un processus différent. Devant un tribunal, le fardeau de la preuve incombe à la Couronne; il lui appartient donc de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable. C'est incontestable.

Dans ce contexte, monsieur Chipeur, en tant qu'avocat, pensez-vous que, à moins que des amendements ou des éclaircissements soient apportés au projet de loi, les procureurs ne pourraient pas engager de poursuites et les tribunaux ne pourraient pas condamner les personnes fautives? Auriez-vous l'obligeance de nous fournir des précisions à ce sujet?

M. Chipeur : Ce matin, nos exposés n'ont pas porté sur le Code criminel. Ils étaient axés spécifiquement sur la question des droits de la personne.

Si vous me demandez mon opinion sur le Code criminel en tant qu'avocat, je vous dirai que, selon moi, l'auto-identification crée bel et bien de l'incertitude. Je pense que si un tribunal devait se pencher sur les modifications qui ne sont axées que sur le Code criminel, il faudrait qu'il mette en place un certain processus objectif. Autrement dit, une personne ne pourrait pas simplement s'auto-identifier sans dire à qui que ce soit ce que cela signifie, puis s'attendre à ce qu'un procureur intente des poursuites en vertu des dispositions pertinentes. Je pense que les tribunaux seraient d'avis que l'auto-identification doit reposer sur des preuves objectives et que, à cause de cette auto-identification, un individu a pris des mesures discriminatoires.

Le sénateur McIntyre : Ce que vous dites s'appliquerait-il aux deux articles du Code criminel — 318 et 718.2 —, qui définissent le principe de détermination de la peine?

M. Chipeur : Je pense que, en l'occurrence, il faudrait d'abord satisfaire au critère concernant l'objectivité avant d'en arriver à la détermination de la peine.

Je pense qu'il est inutile dans ce cas d'utiliser la définition élargie. En d'autres mots, je ne crois pas que cette définition permette d'ajouter quoi que ce soit. Je pense que si on se contentait d'inscrire dans le Code criminel la définition de l'expression « identité de genre » figurant dans certaines lois provinciales relatives aux droits de la personne, il serait tout à fait possible de protéger les personnes contre les crimes de ce genre. Je ne pense pas pouvoir aller au-delà de cela, car il s'agit véritablement d'apporter une certaine objectivité. Comme vous l'avez dit, les procureurs et les tribunaux doivent s'attendre à pouvoir examiner les circonstances d'un crime présumé en toute objectivité. Il ne faut pas que seule la victime soit d'avis qu'il s'agit bel et bien d'un crime. Les tribunaux ne pourront pas juger qui que ce soit si la victime est la seule personne à avoir l'impression qu'elle a subi un acte criminel.

Le sénateur McIntyre : Tout à fait. Les procureurs ne déposeront pas d'accusations à moins qu'ils pensent être en mesure de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable.

M. Chipeur : Vous avez raison. Il faut des preuves qui montrent objectivement que l'auteur de l'acte criminel était au courant de cette auto-identification.

Le sénateur McInnis : Merci d'être ici aujourd'hui. Dites-vous que nous devrions maintenir le statu quo ou éclaircir les choses?

M. Chipeur : Nous ne sommes pas venus ici pour vous dire quoi faire. Tout ce que nous disons, c'est que l'étude du projet de loi C-279 est une bonne occasion d'apporter des éclaircissements, non seulement à ce qui est inclus, mais aussi à ce qui est exclu. Nous disons que, dans nos collectivités, certaines personnes s'auto-identifient et qu'il faut habiliter les administrateurs des établissements de santé à prendre les décisions qui s'imposent pour les groupes vulnérables. Nous demandons au Sénat de profiter du fait qu'il est saisi de ce projet de loi pour apporter des éclaircissements, lesquels sont selon nous nécessaires pour que le citoyen moyen puisse comprendre ce qu'il en est de l'alinéa 15(1)g) proposé.

Dans la vie de tous les jours, la plupart des gens n'ont pas en main un exemplaire de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Tout ce qu'ils voient, ce sont les grands titres, comme « Personnes transgenres » ou « Protection contre la discrimination fondée sur l'identité de genre ». Nous préférerions que les tribunaux et la Commission des droits de la personne soient informés à l'avance de ce qui est inclus et de ce qui ne l'est pas afin que, en cas de plainte, ils puissent déterminer avec certitude qu'il s'agit d'un établissement qui fournit des soins à des femmes vulnérables. Par conséquent, cet établissement ne serait pas visé par la loi, et la plainte serait rejetée sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours aux services d'avocats et d'organiser une audience. C'est tout ce que nous demandons.

Nous croyons que vous avez maintenant l'occasion de fournir un service au public. Vous pouvez apporter des éclaircissements dans un sens comme dans l'autre.

Le sénateur McInnis : Y aurait-il un problème si nous ne faisions pas cela?

M. Chipeur : Si vous n'adoptez pas le projet de loi C-279 ou si vous n'apportez pas les éclaircissements nécessaires?

Le sénateur McInnis : Si nous n'apportons pas les éclaircissements nécessaires.

M. Chipeur : Si vous n'apportez pas les éclaircissements nécessaires, nous craignons qu'il y ait des plaintes. Nous savons que les bureaucrates et les juges sont humains. Il se peut qu'ils ne soient pas d'accord avec Suzanne à ce sujet. Il se peut qu'ils disent : « Non, il ne s'agit pas d'une question de sécurité. Nous ne souscrivons pas à votre argument. » Tout ce que nous disons, c'est que, si vous êtes d'accord avec Suzanne et pensez qu'il y a là un problème, pourquoi ne pas proposer l'amendement dès maintenant? Vous pourriez régler le problème immédiatement, au lieu de laisser le tout à la discrétion d'un juge ou d'un administrateur. C'est tout ce que nous disons. Nous ne laissons rien entendre d'autre. Nous n'adoptons pas de position particulière quant à l'adoption ou au rejet de ce projet de loi. Tout ce que nous disons, c'est ceci : « Pendant que vous y êtes, pourquoi ne pas vous pencher sur une situation dont nous sommes témoins sur le terrain à l'heure actuelle? »

Le sénateur Mitchell : Je tiens à remercier les témoins. Monsieur Chipeur, je vais donner suite à ce que demandait le sénateur Baker, car l'extrait que vous avez cité d'une lettre de l'ABC laissait entendre qu'elle estimait en quelque sorte que le projet de loi était faible. Je tiens à m'assurer que c'est aussi votre interprétation puisque vous avez lu toute la lettre. En fait, voici ce que dit l'ABC :

L'ABC est d'avis qu'il est primordial d'avoir une protection légale expresse pour les Canadiens et les Canadiennes transgenres dans la législation fédérale. Comme la Chambre des communes l'a reconnu, le projet de loi C-279 assurera la protection voulue.

L'ABC est extrêmement favorable au projet de loi, n'est-ce pas?

M. Chipeur : Je suis d'accord avec vous, et notre position n'est pas contraire à celle de l'Association du Barreau canadien. Nous n'adoptons pas de position par rapport à cette lettre. Nous sommes d'accord pour dire que le projet de loi est nécessaire. Nous disons que, si les éclaircissements voulus sont apportés, on pourra répondre aux préoccupations de l'ABC relativement aux litiges inutiles. Nous n'allons pas plus loin que cela.

Le sénateur Mitchell : Les gens de l'ABC disent que le projet de loi permettra d'atteindre cet objectif.

M. Chipeur : Je pense que vous devriez les réinviter et leur poser la question.

Le sénateur Mitchell : C'est ce que nous allons faire. Ils vont venir — enfin, je l'espère, car leur nom figure sur la liste.

Vous parlez sans cesse de l'importance des coûts. Évidemment, nous sommes tous inquiets des coûts. Cependant, vous laissez entendre que, s'il est trop coûteux de fournir aux personnes transgenres exactement les mêmes services que ceux offerts aux autres personnes, cela constituerait un problème et qu'il faut se prémunir contre ce genre de situation. En ne cessant de parler des coûts, vous laissez vraiment entendre qu'il faudrait conclure en toute logique que les personnes transgenres ne devraient pas obtenir les mêmes services que les autres parce que cela coûterait trop cher. N'est-ce pas là justement la raison pour laquelle il est nécessaire d'adopter ce projet de loi?

M. Chipeur : En fait, c'est l'alinéa 15(1)g) qui parle des coûts. Ce n'est pas moi qui ai proposé cela, c'est déjà là. Cet argument — si quelqu'un souhaitait l'invoquer — se trouve déjà dans la loi. Le projet de loi C-279 ne fera rien pour changer cette situation.

Ce n'est pas notre position. En fait, notre position est tout le contraire de cela. Suzanne a dit que nous allions demander de l'argent au gouvernement fédéral pour veiller à ce que les hommes, les personnes transgenres et les femmes — tout le monde — reçoivent des soins. Nous disons simplement que nous devons avoir la possibilité de fournir ces soins séparément. Voilà une très grande distinction qui s'impose. Nous n'avons jamais dit que nous souhaitions une discrimination fondée sur les coûts. C'est ce que dit la loi à l'heure actuelle, et c'est ce qu'elle continuera de dire si le projet de loi C-279 n'est pas adopté. Vous pourriez aussi vous pencher sur cette question, car nous souhaitons certainement obtenir les fonds nécessaires pour fournir des soins à toutes les personnes qui sont maltraitées dans notre société.

Le sénateur Mitchell : Cette question ne pose plus vraiment problème, car elle a été définie à maintes reprises dans des cas antérieurs.

Madame McLeod, je tiens à féliciter votre organisation d'avoir reconnu les besoins des personnes transgenres en matière de soins de santé. C'est tout à votre honneur. Vous faites des efforts en ce sens. Je ne crois pas que le projet de loi à l'étude aujourd'hui nuirait à vos efforts.

Premièrement, avez-vous consulté des refuges pour femmes partout au pays, des organisations comme la vôtre, qui disposent de politiques visant à régler des problèmes semblables à ceux que vous avez soulevés ou qui pourraient se présenter, en ce qui a trait à l'aide apportée aux femmes transgenres? Les avez-vous consultés?

Deuxièmement, qu'en est-il des organisations semblables à la vôtre, mais qui ne tentent pas de travailler avec tous les intéressés et qui décident de ne pas aider les personnes transgenres à avoir accès aux services offerts à tous les autres Canadiens? Quels recours pourraient avoir les personnes transgenres en l'absence de ce projet de loi?

Mme McLeod : Pour répondre à la première question, je dirais que nous avons consulté d'autres Premières Nations. Nous avons déjà discuté avec la réserve des Gens-du-Sang, la réserve de Stony, qui est située à l'ouest de Calgary, ainsi qu'une autre réserve qui se trouve tout juste à l'extérieur de Cold Lake. Dans ces cas, nous avons parlé aux administrateurs.

Je ne suis pas administratrice; je m'occupe de développement communautaire. Ces administrateurs m'ont parlé de leur expérience plutôt limitée auprès des personnes transgenres, ainsi que des types de problèmes auxquels ils ont dû faire face.

Pourriez-vous répéter la deuxième question?

Le sénateur Mitchell : Qu'en est-il des organisations comme la vôtre, dans les communautés autochtones et ailleurs? Qu'en est-il des organisations qui décident de ne pas fournir de soins de santé? Les obstacles à l'accès aux soins de santé sont un des problèmes auxquels les personnes transgenres doivent faire face. Elles font souvent l'objet de discrimination dans les hôpitaux, par exemple. Quels seraient leurs droits et recours si ce projet de loi n'était pas adopté? Elles pourraient faire l'objet de discrimination — de la part d'organisations autres que la vôtre —, mais ne disposeraient d'aucun recours.

Mme McLeod : Elles n'ont aucun recours.

Le sénateur Mitchell : Tout à fait. Elles ont donc besoin de ce projet de loi.

Mme McLeod : En effet, elles ont besoin de ce projet de loi. Les refuges pour femmes ont dû renvoyer chez eux des hommes transgenres parce qu'ils ne disposent pas de définitions et d'une politique solides — je reviens ici à la situation de la réserve des Gens-du-Sang. Le seul recours de ces hommes transgenres est d'être admis dans les refuges pour hommes situés en milieu urbain. Ils sont donc victimisés de nouveau.

Le président : Au moins un sénateur souhaite intervenir au cours de la deuxième série de questions.

Le sénateur Plett : J'aimerais faire suite à la question du sénateur Mitchell sur le fait que ces personnes n'ont aucun autre recours. Vous appuyez le projet de loi, sous réserve d'un amendement à portée restreinte, qui vous permettrait de séparer les clients dans les cas où, selon votre opinion ou celle d'un autre expert, cette mesure s'impose. Est-il juste de dire que vous appuyez ce projet de loi à condition que nous apportions cet amendement?

Mme McLeod : Oui, c'est bien cela.

Le sénateur Plett : Je vous remercie.

Monsieur Chipeur, dans votre exposé, vous avez parlé d'événements sportifs — les Jeux olympiques, les Jeux panaméricains et les Jeux du Commonwealth. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et nous parler des répercussions pour nous, à un niveau inférieur? Plus tôt, le sénateur Mitchell nous a dit qu'un témoin nous parlerait de son expérience en tant que joueur de hockey en Ontario. Toutefois, j'aimerais connaître les répercussions profondes de cette mesure pour les participants aux Jeux olympiques.

M. Chipeur : À l'heure actuelle, on fait la distinction entre les sexes dans la plupart, voire la totalité, des cas lors de la tenue d'événements sportifs internationaux, comme les Jeux olympiques, les Jeux panaméricains et les Jeux du Commonwealth. À ce que je sache, il y a quelques exceptions. Je pense que, dans certains sports d'hiver, on a commencé à adopter une approche mixte. Une organisation des droits de la personne ou une loi en la matière ne peut pas statuer sur la décision de former des équipes mixtes plutôt que des équipes constituées de membres d'un seul sexe. Ces questions doivent être examinées à l'échelle internationale. Il s'agit en fait d'une question de politique étrangère dont doivent discuter les États lorsqu'ils se réunissent à l'occasion d'événements sportifs.

À mon avis, il n'appartient pas au comité de déterminer s'il convient ou non de continuer d'avoir des équipes d'hommes et de femmes séparées, mais égales. Les politiques et les lois internationales interdisent aux équipes constituées d'hommes de participer à des événements destinés aux femmes, et vice versa. Si le Canada ou le Sénat adoptait le projet de loi C-279 dans sa forme actuelle, un athlète pourrait présenter une demande à la Commission canadienne des droits de la personne. En tant que juriste, je suis d'avis que sa demande de faire partie d'une équipe de femmes serait acceptée. Si cet homme avait les qualifications nécessaires, mais n'était pas accepté au sein de l'équipe, celle-ci serait disqualifiée et n'aurait pas le droit de participer à des compétitions internationales.

Plus tôt aujourd'hui, j'ai appris que la Californie contesterait le système et qu'elle irait de l'avant, malgré les règles internationales. C'est une option possible. Si le Canada adoptait le projet de loi C-279, il souscrirait à cette règle par défaut et priverait des équipes canadiennes de participer à des événements sportifs internationaux. Il prendrait alors une décision très importante, sans tenir le type de débat et d'enquête qui s'impose pour déterminer la pertinence de cette mesure.

Je n'avais pas l'intention de parler des événements sportifs, mais, en examinant l'alinéa 15(1)g) et l'article 15(2) de la loi en prévision de notre témoignage, je me suis rendu compte que ces événements ne répondent pas aux critères liés à la santé, à la sécurité et aux coûts. Alors que j'écoutais le débat sur la décision prise en Californie, je me suis dit que vous, les sénateurs, devriez être au courant de cette question. Il se peut qu'une telle décision ait des répercussions qui vont bien au-delà de la protection des personnes contre la discrimination fondée sur l'identité de genre. Il est important que le comité le sache.

À mon avis, il ne fait aucun doute que vous allez jouer avec le feu si vous adoptez le projet de loi dans sa forme actuelle, sans amendement.

Le sénateur Plett : Pour rester dans le domaine des événements sportifs, on sait que les athlètes qui participent aux Jeux olympiques ne sont pas autorisés à suivre des traitements aux hormones, ce que font évidemment les personnes en voie de changer de sexe.

M. Chipeur : Je ne suis pas au courant de cela, mais il serait tellement facile de se contenter d'apporter un amendement pour dire que cette question sera examinée ultérieurement. Il est possible d'adopter le projet de loi C-279. Nous pouvons protéger les personnes contre la discrimination fondée sur l'identité de genre. Toutefois, cette mesure ne s'applique pas aux événements sportifs internationaux auxquels le Canada pourrait participer. On pourrait ainsi éviter ce problème. Je ne comprends pas du tout comment le comité pourrait aborder la question des hormones, car je n'en sais pas plus à ce sujet.

Le sénateur Plett : Je vous remercie.

Le président : Est-ce que d'autres membres aimeraient poser une brève question? Sénateur Mitchell, auriez-vous quelque chose à ajouter rapidement? Êtes-vous satisfait des réponses?

Le sénateur Mitchell : Ne vous inquiétez pas, nous pourrons ultérieurement interroger des avocats sur toutes ces questions.

Le président : Nous remercions les témoins qui ont comparu devant nous aujourd'hui.

Chers collègues, mercredi prochain, nous examinerons la Loi corrective, puis, jeudi, nous continuerons de débattre de ce projet de loi.

La séance est levée.

(La séance est levée.)


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