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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 18 - Témoignages du 9 octobre 2014


OTTAWA, le jeudi 9 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre), se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue aux sénateurs, aux invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre).

Ce projet de loi modifierait la Loi canadienne des droits de la personne afin d'intégrer l'identité de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Il intégrerait également l'identité de genre à deux articles du Code criminel. Nous en sommes à notre deuxième séance sur ce projet de loi.

Notre premier groupe d'experts de la journée est composé de Ryan Dyck, directeur de la recherche et des politiques d'ÉGALE Canada, et de Jesse Thompson, qui témoigne à titre personnel par vidéoconférence, de Toronto.

Bienvenue. Je présume que vous avez tous les deux un exposé à présenter. Nous pourrions commencer par M. Dyck. Nous vous écoutons.

Ryan Dyck, directeur de la recherche et des politiques, Égale Canada : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis vraiment ravi d'être ici aujourd'hui et d'avoir été invité à vous présenter un exposé.

Je suis impatient de répondre à vos questions sur tout aspect du projet de loi. En plus de mon exposé, je vous signale que je me suis préparé à répondre à diverses questions qui ont été soulevées ici précédemment, en particulier sur les précédents internationaux, dont les engagements internationaux du Canada concernant le projet de loi; sur la définition d'identité de genre proposée dans le projet de loi, y compris ses origines historiques et légales, et les façons dont elle a été adoptée ailleurs dans le monde; sur la nécessité de présenter les mesures de protection des droits de la personne de manière explicite, plutôt qu'implicite; sur la nécessité légale des dispositions relatives aux crimes haineux; et sur les conséquences légales et constitutionnelles de ne pas adopter le projet de loi.

Ce que j'aimerais faire dans mon exposé, c'est traiter d'une question dont on a beaucoup parlé, aussi bien ici que dans les médias, et c'est la question des effets du projet de loi sur l'inclusion des personnes trans là où les lieux sont réservés aux hommes ou aux femmes.

Je serai très clair : Égale estime que les personnes trans ont le droit de s'identifier elles-mêmes à un genre et d'accéder aux endroits réservés aux hommes ou aux femmes selon leur identité de genre. C'est un aspect essentiel au droit fondamental à l'autonomie et à l'autodétermination. Nous reconnaissons la valeur et l'importance des lieux réservés aux femmes. Nous croyons que les personnes trans qui estiment être de genre féminin sont des femmes, un point, c'est tout. C'est un fait reconnu par le droit national et international, la Cour européenne des droits de l'homme ayant affirmé en 2003 que l'identité de genre définie par chacun personnellement est « l'un des aspects les plus fondamentaux de l'autodétermination ». Cependant, nous reconnaissons aussi les questions relatives à l'inclusion des personnes qui ne s'identifient pas dans la conception binaire des genres, laquelle mise sur les genres féminin et masculin pour déterminer les lieux réservés aux hommes ou aux femmes.

Par la recherche des droits civils, on veut généralement obtenir l'un de trois résultats : l'inclusion dans un système existant, l'inclusion dans un système modifié ou la création d'un système entièrement nouveau et plus inclusif.

Nous devons admettre qu'à l'occasion, reconnaître les droits civils des personnes trans peut signifier qu'il faut changer le système ou créer un nouveau système de sorte que chacun soit inclus et bénéficie de la sécurité et du respect. Un pays qui, comme le Canada, reconnaît la diversité de ses habitants comme étant une caractéristique fondamentale et prisée de la société devrait adopter ce principe. Cela n'est pas sans précédent. En fait, les toilettes publiques, dont on a beaucoup parlé, ont été, au fil du temps, la cible des luttes pour les droits civils.

À une autre époque, les installations publiques, les universités, par exemple, ne comportaient pas de toilettes publiques pour les femmes. En réalité, ce n'est qu'en 1992 que le Sénat des États-Unis, sur la colline du Capitole, s'est doté de toilettes pour les femmes. Les codes de construction ont depuis été modifiés, et les immeubles publics doivent maintenant comporter des toilettes pour les hommes et pour les femmes. Aux États-Unis, on a appelé ce mouvement Potty Parity, soit le mouvement de la parité des toilettes. En Chine, cela fait partie de l'actuel mouvement Occupy. En 2012, l'Economist présentait un reportage sur les femmes universitaires qui occupaient les toilettes des hommes dans les universités de Chine pour protester contre l'inégalité des femmes.

À une autre époque, il n'y avait pas, dans les installations publiques, de toilettes accessibles aux personnes handicapées. Encore là, on a depuis modifié les codes de construction, de sorte que les toilettes accessibles sont maintenant obligatoires. À une autre époque, les toilettes étaient séparées selon la race. Les lois en matière de droits de la personne ont depuis été modifiées, et les formes flagrantes de discrimination de ce genre ne sont plus légales. Dans chacun de ces cas, soit les lois ont été modifiées pour inclure des personnes dans les structures existantes, soit des lois ont été adoptées pour modifier des structures existantes afin de les rendre plus inclusives. Les tribunaux et les législatures n'ont pas attendu que les structures soient changées pour modifier ou interpréter la loi. Les changements structuraux ont plutôt découlé des changements législatifs et se sont faits dans leur sillage.

La plupart du temps, ce sont les personnes trans qui risquent de subir des préjudices dans les lieux réservés aux hommes ou aux femmes. Comme société qui progresse vers la reconnaissance et l'affirmation de l'égalité des droits des personnes trans, il faut que nous changions. Il faut reconnaître que tous ne peuvent correspondre exactement aux catégories binaires que sont les genres féminin et masculin, et offrir des lieux sûrs et inclusifs pour ces membres de nos collectivités.

Aujourd'hui, de plus en plus, nous voyons des installations publiques où il y a des toilettes pour tous, sans distinction de sexe. Les utilisateurs ont un lieu privé et fermé pour se soulager, et seuls les lavabos sont ouverts et partagés. Une telle structure est sûre et inclusive pour tous, et cela pourra très bien être intégré dans les codes de construction si l'on inclut ici, aujourd'hui, l'identité de genre dans les dispositions législatives visant les droits de la personne.

On pourrait constater que des solutions semblables fonctionnent dans le réseau des refuges, à condition qu'il n'y ait pas violation du droit d'une personne de s'identifier elle-même à un genre et que personne ne soit isolé ou exclu en raison de son sexe, de son identité de genre ou de quelque autre facteur semblable.

Quand il s'agit de trouver l'équilibre entre les droits et la façon de modifier un système, au besoin, de manière à reconnaître, protéger et respecter les droits fondamentaux de deux groupes, il ne faut jamais que cela se traduise par le déni des droits d'un groupe. Le comité ne peut dire : « Nous ne savons pas comment vous inclure, alors cela nous justifie de continuer de vous exclure et de vous refuser des droits. »

L'inclusion est un processus, et il faut du temps. Il en est toujours ainsi, ne serait-ce que parce qu'il faut du temps pour faire changer les attitudes et dissiper les préjugés et les idées fausses. Cependant, nous ne pouvons pas attendre que les systèmes, les structures et les attitudes aient changé pour reconnaître et affirmer les droits fondamentaux des personnes trans.

Il n'y a pas lieu d'avoir peur. Nous l'avons fait avant et, en rétrospective, il est difficile d'imaginer comment les choses étaient avant. Je n'ai jamais vécu à une époque où les universités n'avaient pas de toilettes pour les femmes. Je n'ai jamais vécu à une époque où les immeubles publics n'avaient pas de toilettes accessibles en fauteuil roulant. Je n'ai jamais vécu à une époque où les toilettes des immeubles publics étaient séparées en fonction de la race et où les personnes de couleur devaient utiliser des toilettes distinctes.

J'espère qu'au Canada, la prochaine génération ne connaîtra jamais une époque où les personnes trans doivent supporter la violence physique et psychologique liée à la vie dans un pays où elles ne peuvent entrer dans des toilettes publiques pour se soulager ou enfiler un maillot de bain sans craindre d'être harcelées ou de subir des agressions.

Ce projet de loi se fait attendre depuis trop longtemps, et le Fonds Égale Canada pour les droits de la personne vous prie de l'adopter sans tarder, et sans l'amender.

Je vous remercie et je suis impatient de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Dyck.

Monsieur Thompson, vous pouvez présenter votre exposé.

Jesse Thompson, à titre personnel : Bonjour. C'est pour moi un privilège de m'exprimer en faveur du projet de loi C-279. Je vous remercie de m'avoir invité. Je veux vous parler de certaines des difficultés que j'ai vécues en raison de mon identité.

Quand la Loi Toby a été adoptée au printemps 2012, en Ontario, je savais que je pourrais me changer dans le vestiaire de mon équipe et être avec les autres, avant et après chaque partie.

Quand je me suis rendu à la patinoire pour ma première partie, dans une nouvelle ville, avec une nouvelle association de hockey, j'ai regardé au tableau, j'ai vu mon no de vestiaire et j'y ai mis mon équipement. On m'a convoqué au bureau du responsable, ou j'ai rencontré mon entraîneur, puis le responsable m'a dit que je devais aller chercher mon équipement et m'habiller ailleurs.

J'ai trouvé gênant et dégradant de retourner dans cette pièce, où les joueurs se trouvaient, car on venait de me dire que je n'étais pas un garçon. Je ne savais plus si je voulais toujours jouer, et je jouais depuis l'âge de 4 ans.

Pour le reste de l'année, les joueurs de mon équipe et les autres savaient que j'étais une fille et ont dit que j'en étais une parce que c'est tout ce qu'ils savaient de moi. Je n'étais pas dans le vestiaire avec mon équipe. Cela limitait mes capacités sur la glace parce que je ne voulais pas attirer l'attention, surtout si je comptais.

Chaque semaine, quand j'allais à l'aréna, je me sentais humilié. Je voulais abandonner le hockey. Tous les enfants devraient se sentir bienvenus. Pour la première fois, je ne connaissais pas les noms de tous les joueurs de mon équipe.

Ma mère a envoyé de nombreux courriels à Hockey Canada, et ils insistaient pour dire que j'étais une fille, puisqu'ils se fient à l'acte de naissance. J'ai connu une saison terrible. Le hockey me disait constamment que je n'étais pas un garçon, et je savais que je n'étais pas une fille.

La saison suivante, j'ai dit à ma mère que je m'en fichais. J'allais me changer dans le vestiaire avec mon équipe. Si on me jetait dehors, je n'irais pas dans un autre vestiaire. Je quitterais tout simplement l'aréna.

Tous les dimanches, en route pour le hockey, ma mère et moi faisions des plans. Si on m'obligeait à quitter le vestiaire, je préférais manquer une partie, plutôt que d'aller dans un autre vestiaire et devoir faire face à mes coùquipiers qui sauraient que je suis une fille.

Pendant toute cette saison, je suis resté dans le même vestiaire que mon équipe. Je n'avais toujours pas l'appui de Hockey Canada, mais je me sentais bienvenu. Surtout, je me sentais égal et j'avais le sentiment de vraiment faire partie de l'équipe.

Ma mère a déposé une plainte auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne, et j'ai fini par gagner. Je me suis senti valorisé.

Le projet de loi 33 m'a donné l'impression d'être exactement la personne que je dis être. Je ne peux toujours pas croire qu'à 15 ans, j'avais besoin d'un avocat pour être inclus dans l'un de mes sports favoris, et l'un des sports favoris au Canada.

Je suis ici aujourd'hui pour dire que le gouvernement du Canada doit prendre position. Vous devez veiller à ce que chaque enfant se sente en sécurité, protégé et inclus. Je ne demande rien de spécial, et je ne demande pas de privilèges supplémentaires. Je demande seulement d'avoir les mêmes droits que n'importe quel autre garçon au Canada. Je veux savoir que je peux aller au collège ou vivre dans une autre province, et avoir les mêmes droits à l'échelle du pays, car, en ce moment, mes choix sont très limités à la province qui, je le sais, me protégera.

Je ne devrais pas avoir à m'inquiéter de ne pas être en sécurité, d'être exclu ou de subir de l'intolérance, peu importe où je suis au Canada. Je devrais avoir les mêmes droits que mes coùquipiers et mes compagnons de classe.

Le président : Merci beaucoup.

Nous passons maintenant aux questions, et c'est le sénateur Plett qui va commencer.

Le sénateur Plett : Monsieur Dyck, dans votre témoignage, vous avez comparé les personnes trans et dit qu'elles n'étaient pas admises en certains endroits. Vous les avez comparées aux Noirs, qui n'étaient pas admis. M. Garrison a utilisé la même analogie quand je l'ai interrogé au sujet de ma petite fille de cinq ou six ans qui ne veut pas aller dans une salle de bain ou un vestiaire avec une personne née biologiquement homme. Il a laissé entendre que c'était comme si ma petite-fille ne voulait pas aller dans la salle de toilette avec une personne asiatique, ou juive. J'ai trouvé cela incroyablement offensant. Je ne crois pas qu'on puisse comparer cela : d'un côté, la race ou la couleur, et de l'autre, le sexe biologique, qu'on soit né homme ou femme.

Dans mon bureau, j'ai eu des personnes trans et nous avons eu une bonne discussion. En fait, ces personnes sont ici aujourd'hui. Certains jours, ces personnes s'identifient comme des hommes et d'autres, comme des femmes. Je n'ai pas de problème avec les Jesse Thompson de ce monde, qui ont pris une décision très claire, qui ont suivi des traitements et qui s'identifient maintenant à un autre sexe. Ce qui me dérange, c'est qu'une personne dise un jour qu'elle est un homme, et le lendemain qu'elle est une femme, et qu'elle puisse utiliser des lieux réservés aux personnes du sexe opposé à leur sexe biologique.

Dites-moi comment vous pouvez dire que c'est la même chose qu'une personne qui ne veut pas aller dans la salle de toilette en même temps qu'une personne asiatique ou juive. Comment peut-on même penser à faire une telle comparaison?

M. Dyck : Nous pourrions discuter très longuement de cette question.

Le sénateur Plett : Eh bien, c'est bon, car nous avons du temps.

M. Dyck : Bien sûr. Je dirais d'abord que par ma comparaison d'aujourd'hui, je ne cherchais pas à dire que la race, c'est la même chose que l'identité de genre. Je disais que, quand nous nous engageons à régler des problèmes de droits civils, ou des situations où l'on pourrait voir des droits contradictoires, il y a différentes façons de s'y prendre. Il y a différentes façons d'aborder l'inclusion de manière à répondre aux besoins de tous, et c'est la création de salles de toilettes ouvertes à tous, sans égard au sexe. C'est une situation, un mécanisme, qui répondrait aux besoins de tous et qui assurerait la sécurité de tous.

Le sénateur Plett : Je suis d'accord.

M. Dyck : Je ne crois pas qu'on puisse dire que c'est aussi simple que pour la race. Il faut trouver des solutions uniques ou proactives qui répondront aux préoccupations de tous, et je pense que c'est possible.

Le sénateur Plett : Je suis d'accord avec ce que vous dites. Cependant, nous n'avons pas cela partout. Si quelqu'un proposait un projet de loi disant que tous les établissements gouvernementaux doivent avoir des toilettes accessibles à tous, peu importe le sexe, j'appuierais le projet de loi. Cela ne me cause pas de problème. Dans la plupart des installations publiques, nous avons déjà cela, mais ce n'est pas partout. Et ce n'est pas de cela qu'il est question dans ce projet de loi.

Vous dites vouloir que ce projet de loi soit adopté tel quel, mais vous dites très clairement qu'il y a une lacune dans le projet de loi parce qu'il ne permet pas cela. Ce projet de loi dit simplement que je peux me dire d'un sexe différent de celui qui m'a été donné à la naissance n'importe quel jour de la semaine, et alors, j'aurai accès à la salle de toilette que je veux.

Permettez-moi de vous dire, monsieur Dyck, que je me préoccupe comme vous de la violence faite aux personnes trans. J'ai horreur de la violence et de l'intimidation sous quelque forme que ce soit, et je tiens beaucoup à ce que l'on fasse quelque chose contre cela.

Les statistiques que vous et d'autres avez données sont troublantes, et c'est la raison pour laquelle je ne suis pas opposé à la modification du Code criminel. Je trouve la définition trop vague et générale, mais je crois que les personnes trans ont besoin d'une protection supplémentaire en ce qui concerne le Code criminel.

Cela étant dit, d'après vous, est-ce que l'ajout de l'identité de genre à l'article visant les crimes haineux comme faisant partie des circonstances aggravantes aux fins de la détermination de la peine produira un effet dissuasif sur un prédateur violent, une personne violente qui cherche à profiter d'une personne plus faible qu'elle, comme une femme, ou personne trans ou un gai? Croyez-vous que cela empêchera un prédateur violent de le faire?

M. Dyck : Je pense que c'est la fondation sur laquelle nous pouvons travailler à dissuader les agresseurs violents. Je pense que c'est très clair dans le travail que nous faisons. Par exemple, notre organisation travaille à l'échelle du pays avec les forces policières à agir pour empêcher les crimes violents. Ils ne peuvent pas le faire en ce moment parce que l'identité de genre n'est pas clairement indiquée dans les mesures législatives visant les crimes haineux. Sans cela, il ne peut y avoir de précédent au pays pour qu'on puisse estimer que la loi englobe les personnes trans.

Nous avons réalisé des recherches systématiques et approfondies à l'aide des bases de données de droit public. Ces mesures législatives existent depuis 18 ans, mais aucun cas ne vise une personne trans. Cela ne fonctionne pas en ce moment, et il nous faut cette base en droit pour éduquer convenablement les services policiers et les communautés. Je pense que cela va prévenir le crime dans la même mesure que les dispositions actuelles du Code criminel préviennent le crime et permettent aux gens d'offrir des programmes à cette fin.

L'autre aspect, c'est qu'en ce moment, Statistique Canada recueille des données sur les crimes haineux auprès des services de police. Ils publient un rapport chaque année sur les crimes haineux signalés par la police. Ce rapport ne comporte aucune information sur les personnes trans, et c'est précisément parce que l'identité de genre ne fait pas partie des motifs énumérés. S'il en fait partie, la police signalera ces crimes et les consignera convenablement. Cette information ira à Statistique Canada, et nous aurons les preuves qu'il faut pour examiner mieux les crimes haineux et établir de meilleurs programmes de prévention du crime fondés sur la preuve.

Le sénateur Plett : En tant qu'avocat, êtes-vous d'accord avec les peines minimales?

M. Dyck : Je ne suis pas avocat.

Le sénateur Plett : Êtes-vous d'accord avec les peines minimales? Je pensais que vous étiez un conseiller juridique d'ÉGALE.

M. Dyck : Non. Je suis le directeur de la recherche et des politiques. Je suis analyste des politiques.

Le sénateur Plett : D'accord.

Êtes-vous d'accord avec les peines minimales?

M. Dyck : Je n'ai pas de position définie à ce sujet.

Le sénateur Plett : Merci.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins.

Monsieur le président, je vais céder mon temps au parrain du projet de loi au Sénat, le sénateur Grant Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci, sénateur Baker. Je vous remercie de vos excellentes présentations, messieurs Dyck et Thompson. J'aimerais m'adresser d'abord à M. Thompson.

Il y a des gens qui croient que de faire la transition est un choix; que vous choisissez de croire que vous êtes qui vous savez être, alors que biologiquement, vous n'êtes pas cela. Parfois, les parents succombent à une illusion : que leur enfant pense vouloir être de l'autre sexe, mais qu'il finira bien par changer d'idée un jour.

Monsieur Thompson, pouvez-vous nous donner une idée de ce que vous avez traversé et de la façon dont vous en êtes venu à cette profonde conclusion; dont vous avez dû alors sonder les profondeurs de votre courage pour faire ce que vous avez fait; et dont vos parents vous ont aidé?

M. Thompson : Eh bien, quand j'étais petit, je ne voyais pas vraiment de différence. J'étais juste Jesse. Je jouais avec les garçons et les filles. Il n'y avait pas d'un côté les filles, et de l'autre, les garçons. Nous nous tenions tous ensemble. Petit, je rêvais d'avoir une barbe, quand je serais grand. À la puberté, j'ai constaté tous les changements que mon corps subissait, et ce n'était pas les changements que je souhaitais du tout. J'ai commencé à ressentir beaucoup de malaise et à être très malheureux. C'est à cela que je pense, quand les gens croient que c'est un choix.

Les personnes transgenres doivent subir du malaise concernant leur corps, ainsi que de l'intimidation et tout ce qui se passe dans leur esprit. Aucun enfant ne choisirait de vivre cela. C'est probablement l'une des pires choses à vivre.

J'ai fini par avoir beaucoup de thérapie et par parler à des gens. On m'a dit que j'étais peut-être un garçon emprisonné dans le mauvais corps, et c'est ainsi que je me suis mis à me sentir. J'ai toujours eu beaucoup de soutien à la maison, de la part de ma famille et de mes amis.

Le sénateur Mitchell : C'est excellent. Merci beaucoup.

M. Thompson : De rien.

Le sénateur Mitchell : Avez-vous autre chose à ajouter? Je sais que ce n'est pas facile.

M. Thompson : Non. Je pense à plein de choses en ce moment.

Le sénateur Mitchell : D'accord. Merci beaucoup.

Monsieur Dyck, vous avez dit une chose qui m'a vraiment frappé. Je paraphrase, mais c'était à peu près ceci : quand nous ne savons pas comment inclure quelqu'un, nous continuons de l'exclure. Cela démontre très bien que ce genre de mesures législatives — j'en suis sûr — est en fait le catalyseur qui nous empêchera d'exclure et d'utiliser notre incapacité d'inclure comme raison, et qui nous forcera à trouver des solutions, comme dans le cas de M. Thompson et de son expérience avec la loi ontarienne et la décision rendue en conséquence. Est-ce juste?

M. Dyck : Oui, tout à fait. Ce genre de mesures législatives sert de base à ce genre de travail. Sans cette impulsion, sans l'obligation légale de respecter les droits de tous, y compris les personnes transgenres, nous avons une raison de ne pas le faire.

Dans l'élaboration de mesures législatives et de politiques, les commissions des droits de la personne conçoivent des politiques et des orientations en fonction des motifs donnés dans le code. Cela ne se produit généralement que quand les motifs sont énumérés. C'est cette orientation qui nous aide, et qui aide les entreprises, par exemple, à mettre en place de manière proactive les mécanismes, les politiques et les méthodes qui garantiront le respect des droits de la personne.

Le sénateur Mitchell : Je comprends cela.

L'une des choses que vous avez mentionnées, monsieur Thompson — et je trouve cela très saisissant —, c'est votre sentiment d'inclusion cette année. Vous pouvez être dans le vestiaire avec vos amis. M. Thompson joue à la défense. Il fait partie de l'équipe. Je suis très très impressionné que le sénateur Plett ait accepté cette modification au Code criminel. Excellent.

Mais il ne suffit pas de modifier le Code criminel. Pourriez-vous tous les deux nous parler un peu du pouvoir de l'inclusion qui est inhérent quand nos droits sont reconnus dans un projet de loi comme celui-ci et dans la Loi sur les droits de la personne? Monsieur Thompson, pourriez-vous nous parler un peu de l'incidence de cela et nous dire si vous avez eu ce sentiment d'inclusion?

M. Thompson : J'étais vraiment content. J'ai souvent dit à ma mère que c'est pour ça que les jeunes trans ne participent plus à des sports; ils doivent subir tout cela et se battre. J'ai senti que, pour une fois, je pouvais m'affirmer. Oui, j'avais peur, mais en même temps, je n'ai pas peur. Vous pouvez me dire ce que vous voulez, je vais quand même m'affirmer et me battre pour ce que j'estime juste et pour ce en quoi je crois. Même des jeunes à l'école sont venus me voir pour me dire : « Tu as fait quelque chose d'extraordinaire pour tous les jeunes de l'Ontario. Il y aura tellement plus de jeunes qui vont probablement se mettre à jouer. » J'étais juste vraiment content. C'était quelque chose de gros, et maintenant, tous ces jeunes peuvent se sentir égaux et n'ont plus à se cacher et à rester chez eux. Ils peuvent sortir, voir leurs amis, faire partie d'une équipe, pratiquer des sports avec leurs amis parce qu'ils sont égaux; ils font partie de l'équipe et ne sont plus exclus. J'étais tout simplement emballé et content.

Le sénateur Mitchell : Merci.

M. Dyck : En tant qu'allié, sans être trans, je vous dirais quelque chose qu'une femme trans m'a dit. J'ai voyagé partout au pays avec la Dre Barbara Perry, sans doute la plus grande spécialiste mondiale en matière de crimes haineux, et nous avons interrogé des personnes GLBT sur leur expérience des crimes haineux. Nous avons publié un article dans la revue Critical Criminology au début de l'année. Nous y avons inclus diverses citations liées précisément aux mesures législatives visant les crimes haineux. Voici ce que nous a dit une femme trans de la région de Toronto : « Les personnes trans, hommes et femmes, ne sont pas incluses dans les mesures législatives visant les crimes haineux, au Canada. Vous pouvez donc tuer une personne trans, la battre, y mettre le feu, l'ostraciser, abuser d'elle, crier après elle et la marginaliser; ce n'est pas un crime haineux. Cela donne lieu à un profond sentiment d'isolement. Cela m'isole de tout le monde, au Canada — de mes concitoyens canadiens, n'est-ce pas? Je ne suis pas une citoyenne à part entière dans mon propre maudit pays. »

Je suis désolé pour le juron.

On comprend bien le sentiment d'isolement et d'exclusion que les textes de loi peuvent susciter chez les gens qui sont régulièrement la cible de crimes haineux, voyant que le gouvernement ne s'en soucie pas assez pour reconnaître cela. Je ne répéterai jamais l'importance de cela.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux de vos exposés.

Comme nous le savons, la Cour suprême a toujours adopté une approche large et libérale au moment d'interpréter les textes de loi portant sur les droits de la personne. Dans le projet de loi S-279, on a retiré le terme « expression sexuelle » pour ne laisser que l'expression « identité de genre ». D'après vous, comment les tribunaux interpréteront-ils cela? Pensez-vous que les tribunaux interpréteront « identité de genre » comme incluant l'expression de cette identité? Je vous écoute.

M. Dyck : Nous croyons, compte tenu de l'avis que nous avons obtenu de notre conseiller juridique, que oui, les tribunaux estimeront que l'expression « identité de genre » englobe l'expression de cette identité de genre. Je ne pense pas avoir la citation telle quelle sous les yeux. Dans le passé, la Cour suprême a clairement indiqué que l'expression de l'identité qui est au cour de cette identité est traitée. Par exemple, je crois que c'est dans le récent arrêt Whatcott que la Cour suprême l'a clairement dit, comme elle l'a fait dans l'affaire Trinity Western University c. the British Columbia College of Teachers. On s'éloignerait de la jurisprudence en incluant directement l'expression sexuelle. Pour les autres motifs comme la religion ou l'orientation sexuelle, on n'énumère pas l'expression de la religion ou l'expression de l'orientation sexuelle. Les tribunaux ont conclu que c'était inclus, alors nous pouvons présumer que les tribunaux vont inclure l'expression sexuelle.

Le sénateur McIntyre : De quelle façon les tribunaux abordent-ils la question jusqu'à maintenant? À votre avis, le font-ils dans la perspective des droits de la personne ou du droit pénal?

M. Dyck : Pourriez-vous préciser votre question?

Le sénateur McIntyre : Est-ce davantage une question de droit criminel ou de droits de la personne?

M. Dyck : Je dirais que c'est plus souvent qu'autrement une question de droits de la personne. Je répète que nous n'avons vu aucun cas où les dispositions du Code criminel concernant les crimes haineux ont été appliquées à des personnes transgenres ou dérogeant aux conventions typiquement associées à leur genre. De toute évidence, cela n'a jamais été une question de droit pénal. On s'est attaqué à la discrimination à l'encontre des transgenres par le truchement des différentes lois provinciales et territoriales en matière de droits de la personne.

Le sénateur McIntyre : Merci.

La sénatrice Batters : Merci à vous deux de votre présence aujourd'hui.

J'ai quelques questions pour vous, monsieur Dyck. Les lois sur les droits de la personne de cinq provinces et d'un territoire précisent explicitement que l'identité de genre fait partie des motifs illicites de discrimination. Dans toutes les autres provinces, cette identité est simplement traitée en vertu des dispositions applicables au sexe ou à l'orientation sexuelle. Lors de notre dernière séance de comité, je faisais référence à une affaire qui a beaucoup retenu l'attention des médias en Saskatchewan et dont vous avez peut-être entendu parler, même si je ne sais pas si elle a fait les manchettes ailleurs au Canada. Au cours de la dernière année, une femme transgenre s'est rendue dans une boutique de robes de mariée à Saskatoon. On l'en a expulsée, ou, tout au moins, on a refusé de la servir. Même si l'identité de genre ne figure pas parmi les motifs illicites de discrimination en Saskatchewan, cette femme a eu gain de cause en vertu des motifs énoncés pour la discrimination fondée sur le sexe ou l'orientation sexuelle.

Je vais vous poser la même question que j'ai adressée à M. Garrison lorsqu'il est venu nous expliquer son projet de loi. Il semble bien que bon nombre de nos commissions provinciales des droits de la personne parviennent à traiter efficacement les plaintes de la sorte en invoquant les motifs de discrimination fondée sur le sexe ou l'orientation sexuelle. Pourquoi faudrait-il alors inclure explicitement l'identité de genre?

M. Dyck : Je pourrais vous répondre de bien des manières, mais je vais me limiter à deux aspects particuliers.

Dans le cas des tribunaux des droits de la personne, le résultat est incertain, et on ne sait pas encore comment les instances supérieures pourraient trancher. À titre d'exemple, il y a eu voilà six mois à peine en Alberta une cause qui s'est rendue jusqu'à la Cour du Banc de la Reine dans laquelle la province contestait l'interprétation voulant que l'identité de genre soit incluse dans la Loi sur les droits de la personne de l'Alberta.

Il y a donc le fait que l'issue est incertaine lorsqu'on s'adresse aux instances supérieures. Comme une province ou un avocat peut toujours s'opposer, on doit savoir composer avec cette incertitude. Il faut que nous puissions offrir à la communauté transgenre la certitude absolue, tout au moins à l'échelon fédéral, que sa réalité est prise en compte et que ses droits ne peuvent pas être contestés par un autre tribunal ou par le gouvernement lui-même. C'est extrêmement important.

Le second aspect que j'aimerais souligner nous ramène à l'arrêt Vriend c. Alberta, dont la plupart ont sans doute entendu parler. La Cour suprême a clairement précisé que le manquement de l'Alberta à inclure explicitement l'orientation sexuelle comme motif illicite dans son code des droits de la personne constituait de la discrimination. Compte tenu des abondantes preuves de discrimination existantes, la province, en choisissant d'exclure l'orientation sexuelle et d'ainsi perpétuer l'invisibilité des gais et des lesbiennes, perpétuait du même coup la discrimination et contrevenait donc à l'article 15 de la Charte.

Je dirais qu'un principe semblable est en jeu ici. Compte tenu des preuves abondantes de discrimination, de harcèlement, de violence et de crimes haineux dont les personnes transgenres sont systématiquement victimes au Canada, si nous choisissons de ne pas inclure l'identité de genre comme motif illicite dans la Loi sur les droits de la personne, nous risquons de perpétuer la discrimination et l'invisibilité de cette communauté et de ses réalités.

La sénatrice Batters : Je veux d'abord préciser que les causes entendues par le tribunal des droits de la personne peuvent être soumises à des instances supérieures si des erreurs de droit ou de fait ont été commises et si les circonstances s'y prêtent. À quelle année remonte l'arrêt Vriend c. Alberta?

M. Dyck : 1998.

La sénatrice Batters : Est-ce à ce sujet que le juge La Forest a formulé des observations précises concernant...

M. Dyck : C'était le rapport La Forest qui était commandé par la Commission canadienne des droits de la personne.

La sénatrice Batters : Savez-vous qui a rédigé cette décision? De toute manière, nous pourrons vérifier.

Le sénateur Mitchell : C'est la décision d'un tribunal albertain qui a ensuite été renversée. Vriend a perdu son emploi à cause de cela, et il lui était impossible de se défendre devant les tribunaux albertains.

M. Dyck : Mais la Cour suprême du Canada a infirmé la décision du tribunal albertain.

La sénatrice Batters : En 1998.

M. Dyck : Oui.

La sénatrice Batters : C'était il y a plus de 15 ans.

M. Dyck : Pour des motifs d'orientation sexuelle, et non d'identité de genre.

La sénatrice Batters : C'est exact.

Vous avez aussi noté que le tribunal avait invoqué l'article 15 de la Charte qui traite de droit à l'égalité, notamment entre les sexes. Je veux simplement faire valoir qu'il existe déjà bien des façons pour les tribunaux de juger du bien-fondé des allégations semblables en se basant sur les motifs déjà prescrits.

J'aimerais que vous nous disiez brièvement ce que vous pensez d'autres situations où des femmes ont revendiqué l'ajout de motifs illicites de discrimination fondée sur la grossesse ou l'allaitement, par exemple. Les tribunaux ont toujours conclu que les motifs semblables sont déjà inclus dans ceux applicables à la discrimination fondée sur le sexe. Comment feriez-vous la distinction entre les deux?

M. Dyck : Très honnêtement, je ne suis pas trop au courant de ces arguments au sujet des questions de grossesse. Je ne sais pas si je pourrais établir une telle distinction si j'avais eu la chance de mieux examiner la question.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur McInnis : Merci de votre comparution. C'est très intéressant.

Je crois qu'il y a maintenant cinq provinces où l'identité de genre est un motif illicite de discrimination en vertu de la Loi sur les droits de la personne. Dans quelle mesure cela a-t-il permis d'accroître l'accessibilité aux services pour les personnes concernées? Y a-t-il eu diminution des infractions criminelles à leur endroit? Avez-vous des renseignements à ce sujet?

M. Dyck : Je n'ai pas d'information sur les causes pénales, car celles-ci relèvent du Code criminel.

Quant au respect des droits de la personne, j'ai pu jeter un coup d'oil. Comme bon nombre de ces dispositions remontent à une année à peine, les rapports annuels des commissions concernées n'ont pas encore été rendus publics et nous ne pouvons donc pas savoir combien de poursuites ont pu être intentées en invoquant ces motifs. Il est donc encore difficile de savoir à quoi nous en tenir.

Il va de soi que dans notre rôle d'organisation nationale s'employant à aider les GLBT et les transgenres tout particulièrement, à faire respecter leurs droits de la personne, nous avons constaté un changement notable dans leur capacité d'intenter des poursuites. Je pense en particulier à l'Ontario qui, à la suite de l'adoption de la loi de Toby, a mis à jour sa politique sur l'application de la Loi sur les droits de la personne dans le contexte de l'identité de genre et de l'expression de genre. Cette nouvelle politique rendue obligatoire par le projet de loi 33 a beaucoup changé la donne. Nous pouvons maintenant nous référer à ce document pour entamer un dialogue avec les employeurs qui, par exemple, font de la discrimination sans le vouloir — en ne comprenant pas en quoi consiste l'inclusion des personnes transgenres — ce qui permet de réduire le recours aux tribunaux pour intenter des poursuites.

Le sénateur McInnis : C'est donc une question d'éducation et de temps, n'est-ce pas?

M. Dyck : Tout à fait. Mais il faut miser au départ sur une base législative en apportant les modifications nécessaires pour que la loi inclue explicitement l'identité de genre comme motif illicite de discrimination.

Le sénateur McInnis : Comme il y a un avocat qui va témoigner devant nous, je vais en rester là pour l'instant.

Le président : Nous passons à un second tour.

Sénateur Plett, vous avez des questions supplémentaires?

Le sénateur Plett : Je voudrais parler des préoccupations exprimées par un témoin et quelques autres personnes avec lesquelles j'ai pu communiquer.

Nous avons reçu ici la semaine dernière Mme McLeod de la Première Nation Siksika. Elle s'occupe d'un refuge pour les personnes victimes de mauvais traitements, et pas seulement pour les femmes. Elle était vraiment préoccupée. Elle nous a dit que ces femmes sont généralement maltraitées par des proches, plutôt que par des inconnus. Elles sont donc fortement traumatisées. Elles ont peur des hommes, sans que cela soit toujours justifié — et elle ne voulait certes pas laisser entendre que toutes les personnes transgenres sont violentes. Mais reste quand même qu'elles craignent de se retrouver en présence d'hommes.

Elle soutenait que ce projet de loi ne lui permettrait pas d'isoler les femmes des hommes. Elle demandait donc un amendement qui pourrait tout au moins l'autoriser à prévoir dans son refuge des ailes distinctes de telle sorte qu'elle puisse s'assurer que ces femmes maltraitées sont séparées des hommes, quels qu'ils soient.

Hier, j'ai reçu à mon bureau la visite d'une femme qui est des nôtres aujourd'hui. Elle m'a raconté avoir été victime d'agression sexuelle. Assez étrangement, elle est devenue transgenre — et je ne devrais peut-être pas dire que c'est étrange — mais elle est bel et bien devenue un homme pour ensuite redevenir une femme. Maintenant, elle s'identifie uniquement comme femme. Elle se disait préoccupée du fait que ce projet de loi ne tient pas compte de la situation des femmes agressées sexuellement.

Avant de poser ma question, j'aimerais vous lire une des nombreuses lettres que j'ai reçues :

Monsieur Plett,

En tant que père qui prend soin de ses enfants ainsi que de sa mère de 84 ans qui souffre de démence, je vous remercie de lutter pour faire en sorte que les salles de bain ne deviennent pas des endroits que l'on craindra devoir partager avec une personne du sexe opposé, une situation embarrassante.

Il écrit ensuite :

Mon épouse grimace à la perspective de devoir apporter son aide à notre fille handicapée ou à ma mère dans une salle de bain qui ne serait pas uniquement réservée aux femmes.

Que la sagesse de Dieu vous guide.

Et c'est signé « Carl ».

Il ne dit pas que son épouse a peur des gens. Il parle d'une situation embarrassante. Il ne laisse pas entendre que ma petite-fille a peur de ces gens-là. C'est simplement un malaise.

Ne croyez-vous pas, monsieur Dyck, que ces personnes devraient également avoir le droit au respect de leur vie privée par tous les moyens? Il semblerait que 0,3 p. 100 des Canadiens soient transgenres. Ne sommes-nous pas en train d'empiéter sur les droits d'autres citoyens en permettant aux personnes transgenres de fréquenter ces endroits?

Les deux personnes que j'ai rencontrées à mon bureau étaient surtout préoccupées par des questions d'équité en matière d'emploi et de logement. Je partage d'ailleurs leurs préoccupations. La possibilité d'utiliser les salles de bain uniquement réservées aux femmes n'était pas leur principale source d'inquiétude. Il va de soi qu'elles étaient favorables à ce projet de loi. Mais ne sommes-nous pas en train de porter atteinte aux droits d'un groupe pour en conférer à un autre groupe?

M. Dyck : Je ne suis pas du tout de cet avis. En fait, je suis totalement en désaccord. D'abord et avant tout, je dirais qu'aucun Canadien n'a le droit d'être à l'abri de toute situation embarrassante. Un tel droit n'est enchâssé nulle part. C'est ce que cet homme vous écrivait. Il voulait éviter une situation embarrassante. C'est l'expression que vous avez utilisée. Je ne pense pas que nous disposions d'un tel droit sous une forme ou sous une autre.

Le sénateur Plett : Oh, mon Dieu. Merci.

M. Dyck : Pour ce qui est de la sécurité...

Le sénateur Plett : Nul besoin de poursuivre votre réponse. C'est bien, merci.

Le sénateur Mitchell : Il peut continuer sa réponse. Vous ne devriez pas l'interrompre.

Le sénateur Plett : Vous pouvez lui poser votre question. Il a répondu à la mienne.

Le président : Je dois l'interrompre, car nous n'avons plus de temps.

Je crois que le sénateur Baker a cédé son temps de parole au sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci.

Je trouve outrageant que ce débat soit sans cesse ramené à cette question des salles de bain. Compte tenu des enjeux extrêmement importants en cause, j'estime primordial que nous allions au-delà de ces simples considérations. Près de 20 p. 100 des personnes transgenres signalent avoir été victimes d'agressions physiques ou sexuelles, et pas moins de 34 p. 100 d'entre elles déclarent avoir fait l'objet de harcèlement, d'intimidation et de menaces. Il n'est pas rare que leur emploi soit en jeu ou qu'il leur soit impossible d'en décrocher un. Leur niveau de vie est nettement inférieur à celui de leurs concitoyens ayant un même niveau de scolarité. Ce sont des personnes souvent très instruites. Comme je le disais, elles sont victimes d'intimidation et de harcèlement mental et physique, parfois sous une forme très brutale. Leurs taux de suicide sont extrêmement élevés, surtout chez les jeunes. De grands torts sont causés aux personnes transgenres du fait que leurs droits ne sont pas reconnus de la manière dont ce projet de loi permettrait de le faire. Suis-je en train d'exagérer les choses ou est-ce un portrait fidèle de la réalité?

M. Dyck : Je peux vous assurer que tout ce que vous venez de dire est conforme aux données que nous avons pu voir. Ce ne sont pas toutes les personnes transgenres qui doivent composer quotidiennement avec des situations semblables. Plusieurs sont épargnées, mais celles qui sont touchées par les comportements que vous venez d'énumérer le sont dans une mesure plus prononcée que les autres Canadiens.

Le sénateur Mitchell : Pour ce qui est des refuges, le cas du Centre Fred Victor a été évoqué. Avant l'entrée en vigueur de la loi de Toby, dans une province qui n'est pas visée par cette loi, c'était une affaire mettant en cause un prédateur sexuel qui n'était pas transgenre. Êtes-vous au fait de cas où des refuges pour femmes parmi les centaines, voire les milliers, que compte le Canada, accueillant des femmes transgenres ont connu des problèmes de la sorte? Il faut savoir qu'il y a des hommes qui travaillent au Centre Fred Victor. Il serait faux de prétendre que tout homme travaillant dans un refuge pour femmes constitue une menace. Il y a des moyens pour les refuges, les écoles et les autres organisations de composer avec ce genre de situations, mais on leur faciliterait grandement les choses en adoptant une loi semblable, n'est-ce pas?

M. Dyck : Tout à fait.

La sénatrice Batters : Les articles 2 et 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l'article 718.2 du Code criminel incluent actuellement le sexe et l'orientation sexuelle dans les motifs illicites de discrimination dans ces contextes particuliers. L'article 318 du Code criminel fait pour sa part uniquement référence à l'orientation sexuelle sans parler du sexe. C'est à cet article du Code criminel que M. Garrison souhaite ajouter le motif d'identité de genre, mais sa proposition ne vise pas l'inclusion du sexe comme motif.

Croyez-vous qu'il pourrait y avoir des conséquences non souhaitées si l'identité de genre était ajoutée à l'article 318 du Code criminel sans que le sexe ne le soit? Des femmes pourraient faire l'objet de crimes haineux sans être protégées par cet article du Code criminel, alors que l'identité de genre serait visée.

M. Dyck : Non, je ne pense pas qu'il y aurait des conséquences non souhaitées.

Je dois d'abord préciser que je n'ai pas vu de causes où des tribunaux canadiens auraient assimilé l'orientation sexuelle à l'identité de genre. À ma connaissance, on se limite au sexe et à l'incapacité. Cet article dans sa forme actuelle ne permet pas de protéger de quelque manière que ce soit les personnes transgenres en fonction de leur identité. Je ne vois pas comment cela pourrait être possible. Il va donc de soi que cet article doit être modifié de manière à ne pas exclure les personnes transgenres.

Quant au fait que le sexe ne soit pas inclus contrairement à l'identité de genre, nous sommes assurément en faveur de son inclusion et il y a des projets de loi d'initiative parlementaire en ce sens. Il y a même un projet de loi du gouvernement qui prévoit un tel changement qui est actuellement devant la Chambre des communes. Je crois qu'il s'agit du projet de loi C-13 et nous sommes assurément favorables à cette mesure.

La sénatrice Batters : Vous appuyez cette disposition du projet de loi C-13?

M. Dyck : Oui, cette disposition-là.

Tout le monde a une identité de genre. Cela ne conférerait aucun droit particulier à quiconque. Cette disposition s'applique à tout le monde, y compris les femmes « cisgenres ».

La sénatrice Batters : Comme nous en discutions précédemment, l'identité de genre est très bien définie dans ce projet de loi. Dans les provinces et les territoires en question, on parle simplement d'identité de genre sans définir ce concept. La différence, c'est que le projet de loi de M. Garrison en fournit une définition assez détaillée. Vous avez répondu tout à l'heure au sénateur Plett, ou je crois que c'était plutôt au sénateur McIntyre, en indiquant que vous estimiez que l'expression du genre pourrait être incluse dans la définition qui est fournie. Je vous remercie.

Le président : Merci à vous deux, messieurs Thompson et Dyck, pour votre comparution devant notre comité aujourd'hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.

J'aimerais maintenant vous présenter nos prochains témoins. De REAL Women of Canada, Diane Watts, chercheure; et, à titre personnel, Michael Crystal, avocat, Crystal & Associates.

Bienvenue à tous les deux. Nous allons maintenant vous laisser la parole pour vos déclarations préliminaires.

Madame Watts, voulez-vous commencer?

Diane Watts, recherchiste, REAL Women of Canada : Merci beaucoup.

REAL Women of Canada est une association non partisane de femmes issues de tous les horizons professionnels, sociaux et économiques. REAL est l'acronyme anglais pour parler de femmes réalistes, égales et actives pour la vie. Nous croyons que la famille est l'unité la plus importante de la société canadienne et nous militons pour l'égalité, l'avancement et le mieux-être des femmes. Le projet de loi C-279 soulève pour nous différentes préoccupations dont nous avons déjà fait état devant d'autres comités. Merci de nous avoir invités.

REAL Women respecte les droits de tous les Canadiens. Chacun devrait être protégé contre toute forme de préjudice, y compris les personnes qui ne sont pas satisfaites de leur identité sexuelle, mais pas au détriment des femmes et des enfants.

Nous nous opposons à ce projet de loi pour trois raisons. Premièrement, c'est une mesure superflue parce que les citoyens qui s'identifient comme étant GLBT sont déjà protégés par la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel. Les représentants du ministère de la Justice l'ont d'ailleurs confirmé lors de leur témoignage devant le comité de la Chambre des communes.

Deuxièmement, les termes utilisés dans ce projet de loi sont mal définis, une tâche qui est laissée aux tribunaux. Le parrain du projet de loi a ainsi indiqué qu'une fois le concept d'identité de genre inclus dans les lois sur les droits de la personne, il incombera aux tribunaux et aux commissions des droits de la personne d'en interpréter le sens.

Troisièmement, nous croyons que ce projet de loi aggravera les torts causés aux personnes qui tentent de changer de sexe. Nous vous invitons à ce sujet à vous référer au mémoire que nous avons soumis au comité. Le 9 mai 2013, nous avons écrit aux sénateurs pour fournir des explications à ce sujet en faisant référence à la preuve médicale concernant les préjudices causés aux personnes qui subissent certaines de ces interventions médicales.

Nous voulons également rappeler les divergences profondes d'opinion au sein de la communauté médicale relativement aux tentatives de changement de sexe en soulignant que l'on utilise maintenant des injections chimiques pour les jeunes enfants. Vous pouvez consulter les résultats des recherches menées à ce sujet, mais j'y reviendrai tout à l'heure.

Il y a aussi des divergences au sein même des GLBTIA. Bon nombre de lesbiennes et de gais ne croient pas à l'appartenance des transgenres, ce qui soulève des débats très controversés auxquels tout le monde peut avoir accès sur Internet. La perception des GLBT n'est pas uniforme, comme c'est le cas au sein de la communauté médicale. Il y a de plus en plus de personnes transgenres qui font marche arrière parce qu'elles ne sont pas satisfaites du processus de transformation. Nous avons également des renseignements à ce sujet.

Les Nations Unies rejettent les termes « identité de genre » et « expression de genre ». La recommandation controversée du commissaire des droits de l'homme des Nations Unies basé à Genève à l'effet que l'identité de genre et l'expression de genre soient des droits protégés a été rejetée sans équivoque par le Conseil des droits de l'homme en mars 2012.

Le 26 septembre dernier, ce même conseil a adopté une résolution visant à tout simplement continuer à étudier l'orientation sexuelle et l'identité de genre dans le contexte de la violence, et a précisé que la résolution ne créait aucun nouveau droit de l'homme. L'identité de genre continue d'être rejetée par les pays membres de l'ONU, car elle nuit à l'universalité de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies, censée défendre les droits de toutes les personnes.

Les délégués aux sessions de l'Assemblée générale de l'ONU ont répété que ces termes ne sont pas objectifs, puisqu'ils créent une catégorie qui peut uniquement être définie par les préférences subjectives des gens. De plus, les délégués se sont plaints que le fait d'identifier une catégorie de personnes qui bénéficieraient d'une protection spéciale contre les violations des droits de la personne diluerait l'application universelle des obligations des pays membres de l'ONU à ce chapitre.

C'est la logique des Nations Unies, même si de nombreuses personnes affirment que de grands progrès ont soi-disant été réalisés. Il existe des preuves scientifiques selon lesquelles les taux de morbidité et de mortalité sont plus élevés chez les gens qui ont subi des interventions chirurgicales pour changer leur sexe. Nous vous référons à l'étude compréhensive effectuée par l'Institut Karolinska, ainsi qu'aux publications du Dr Paul McHugh, psychiatre en chef de l'hôpital universitaire Johns Hopkins. Dans un article publié dans le Wall Street Journal le 12 juin 2014, il explique en termes simples les difficultés qu'il a rencontrées au fil des ans à la suite d'interventions chirurgicales problématiques.

J'aimerais également faire mention des principes Jogjakarta, qui ont servi d'inspiration à la définition de l'identité de genre utilisée dans le projet de loi C-279. Ces principes ont été formulés lors d'une conférence à laquelle ont assisté 29 experts autoproclamés, dont trois juges seulement, et n'ont pas été retenus par les Nations Unies. Les principes peuvent être interprétés pour nuire aux droits des parents cherchant à obtenir de l'aide professionnelle afin que les enfants ayant une certaine confusion à l'égard de leur sexualité puissent apprendre à mieux s'identifier au sexe qui est conforme à leur profil génétique, à leur ADN immuable.

Selon des études menées par l'Université Vanderbilt et la clinique Portman de Londres, même dans le cas des enfants éprouvant une confusion à l'égard de leur sexe qui reçoivent des injections pour freiner l'arrivée de la puberté, seules une minorité de ces enfants choisissent de changer de sexe, allant ainsi à l'encontre de leur profil génétique.

Le président : Je vous demanderais de terminer.

Mme Watts : Nous avons inclus dans notre mémoire une lettre rédigée par l'Association américaine des pédiatres à l'intention des écoles, indiquant que l'on peut aider les enfants à accepter leur sexe. De plus, un sondage mené par le conseil scolaire du district d'Ottawa-Carleton signale que les plaintes liées à l'orientation sexuelle étaient d'ordre mineur, soit de 5 p. 100.

Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Michael Crystal, avocat, Crystal & Associates, à titre personnel : Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup pour l'occasion de m'adresser à vous ce matin sur le projet de loi C-279 comportant des amendements au Code criminel et à la Loi sur les droits de la personne, notamment l'inclusion du motif de l'identité de genre et sa définition.

J'aimerais vous dire quelques mots sur mon parcours : j'exerce dans le domaine du droit pénal, entre autres, depuis 20 ans et j'ai commencé ma carrière avec l'aide juridique à St. John's, à Terre-Neuve et oui, sénateur Baker, c'est là que plus tard j'ai soulevé des questions liées aux droits de la personne. Je continue d'offrir certains services à titre bénévole, notamment dans les causes liées aux droits de la personne, et je suis l'ancien conseiller juridique de l'Association canadienne pour les Nations Unies. Enfin, j'aimerais ajouter que je préside actuellement le conseil d'une petite école privée locale.

C'est tout ce que je vais citer de mon mémoire, que j'ai fait circuler dans les deux langues officielles, car j'aimerais aborder quelques points simples. J'aimerais vous parler aujourd'hui de façon franche et vous expliquer pourquoi je suis ici.

Bien franchement, il est urgent que l'identité de genre soit ajoutée aux motifs prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le motif deviendrait alors valide et offrirait une visibilité à nos frères et sours au Canada qui sont aux prises avec cette difficulté énorme.

Songeons à la pièce Twelfth Night de Shakespeare écrite il y a 500 ans. La question de la confusion sur l'identité sexuelle, quelle que soit la façon dont on veut la caractériser, et je dis ça en tout respect, est avec nous depuis toujours.

Une partie de moi-même, grand amateur d'histoire du droit civil américain, aimerait affirmer que nous avons maintenant notre propre affaire Brown c. Board of Education. J'exagère peut-être un peu, mais c'est parce que je veux que nous y réfléchissions.

En 1954, lorsque Thurgood Marshall s'est présenté devant la Cour suprême des États-Unis, il semblait alors que le chemin devant nous était long et impraticable : avec le temps, avec les avancements au niveau de la politique et de l'éducation, le problème n'existe plus vraiment pour les enfants de ce grand pays. Reste à savoir où nous en sommes ici au Canada.

Normalement, les clients que je représente ne se font pas agresser de façon aussi virulente que ne l'a été le sénateur Plett, mais je crois que c'est quand même très utile que nous soyons ici aujourd'hui et que nous écoutions les questions qu'il pose, car c'est lui le personnage le plus visible. Les questions qu'il pose sont les mêmes que celles de la plupart des Canadiens.

Abstraction faite de certains termes que nous ne voulons pas entendre, ses questions sont tout à fait pertinentes.

Lors de la dernière séance, il a posé des questions sur l'impact, et il l'a dit encore aujourd'hui, sur sa petite-fille. Saviez-vous que les lois en matière de droits de la personne tiennent compte de certaines choses, telles que les toilettes et les vestiaires et les personnes qui les utilisent? L'affaire Synthia Kavanagh et l'affaire entendue en Colombie-Britannique en 2000, qui portaient sur la société Rape Relief de Vancouver, ont toutes les deux porté sur les droits de la personne. Dans l'affaire Kavanagh, il s'agissait d'une femme transsexuelle qui était toujours un homme sur le plan anatomique. Cette femme voulait être détenue dans un établissement pénitencier pour femmes, mais on a décidé que non, on allait faire autrement. À un moment donné, elle était devenue admissible à une chirurgie pour changer son sexe et on l'a transférée à une prison pour hommes.

Dans l'affaire qui portait sur un centre offrant des services aux victimes de viol à Vancouver, il était question d'une femme transsexuelle qui souhaitait travailler dans ce centre. En 2000, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a confirmé la politique de ce centre, qui interdisait la présence des hommes.

Là où je veux en venir, c'est que, quelle que soit la décision, on a largement tenu compte de ces personnes et de leurs points de vue.

De plus, et je vais terminer sur ce point : la meilleure politique que l'on a vue en Ontario en 2014 portait sur l'aspect éducatif. On nous encourage de travailler ensemble avant qu'il n'y ait un problème. C'est ainsi que nos efforts deviennent efficaces.

En ce qui concerne le moment où le sénateur Plett a soulevé la question, admettons qu'une personne, un homme transsexuel effronté, se rendait dans les toilettes des femmes, peut-être pour affirmer ses droits, peut-être pour s'afficher. Il reste à savoir si nous fermons les yeux à ce geste s'il n'y a pas atteinte aux droits des autres.

Je vous dis que non. Je vous dis que ce n'est pas la façon dont fonctionnent nos lois. En fait, si de tels gestes sont posés dans le but de générer de l'hystérie, il peut même y avoir des accusations criminelles.

C'est là où je veux en venir. On peut et on doit aborder ces questions dans une vue d'ensemble.

Le sénateur Plett : Madame Watts, comme l'a indiqué M. Crystal, lors de la dernière séance, j'ai parlé du fait que ma jeune petite-fille ne souhaite pas être dans le même vestiaire qu'un homme biologique, et Randall Garrison, le parrain du projet de loi, a répondu que c'est la même chose que de ne pas vouloir se retrouver dans des toilettes avec une personne asiatique ou juive, ce que je trouve ridicule, bien franchement.

À titre de représentante d'une organisation féminine, quel est votre avis sur cette comparaison et dans votre expérience, les femmes sont-elles nerveuses, craintives et anxieuses face à l'éventuelle adoption du projet de loi C-279?

Mme Watts : Je ne crois pas que la situation a été expliquée correctement aux Canadiens. Les gens reçoivent des renseignements grâce aux médias, mais ils n'ont pas reçu toutes les informations.

Nous tenons pour acquise la civilité de notre société. Nous présumons que nous pouvons utiliser des espaces réservés aux besoins personnels en paix. J'ai toujours joui d'une certaine discrétion. Je n'ai jamais connu de scènes traumatiques ou dérangeantes, mais on voit bien qu'il y a eu des préoccupations.

À titre d'exemple, dans la boîte de nuit BJ's Lounge de Victoria, un homme qui pensait qu'il était une femme, et aux termes du projet de loi C-279 il aurait le droit d'aller dans n'importe quel endroit où vont les femmes, est entré dans les toilettes des femmes. De nombreux clients de cet établissement se sont plaints.

La Société d'aide aux victimes de viol de Vancouver et les femmes des refuges, qui y restent pendant quelques semaines, ont porté plainte. Ces femmes, qui sont traumatisées en raison des violences subies, se servent des toilettes publiques également. Comment vont-elles réagir si une personne ayant l'apparence d'un homme rentre parce qu'elle se sent comme une femme?

Et ce ne sont pas que les toilettes. Les sports sont également concernés. Il y a un combattant d'arts martiaux mixtes, Fallon Fox, un homme biologique qui se dit être une femme. Il se bat contre des femmes et il les assomme au bout de quelques minutes de la première ronde. Une combattante féminine a souffert une fracture de l'os orbitaire et une commotion cérébrale. Une autre a été assommée au bout de 39 secondes. Fallon a remporté cinq victoires de suite dans la première ronde. Aux termes du projet de loi C-279, qui lui garantirait son droit de s'identifier comme une femme, les associations de ce sport dangereux, qui permet aux hommes de se battent contre des femmes, auraient-elles le droit de protéger les femmes qui y participent?

Le sénateur Plett : Merci.

Monsieur Crystal, je vais faire référence à une affaire qui est revenue souvent lors des séances de ce comité. J'en ai parlé au Sénat et le sénateur Mitchell l'a mentionné plus tôt aujourd'hui en la banalisant.

Christopher Hambrook s'est rendu dans un refuge pour femmes en sortant de prison. Il avait été emprisonné pour agressions sexuelles. Il disait qu'il était transsexuel, ce qu'a nié M. Garrison l'autre jour. Il a alors affirmé qu'il s'était tout simplement habillé comme une femme. J'ai des citations de son psychiatre qui confirme qu'il faisait semblant d'être transsexuel.

La Commission ontarienne des droits de la personne a indiqué dans son rapport que les agressions sexuelles sont en fait illégales, et ce, après que cet homme a agressé deux femmes. Je ne sais pas dans quelle mesure une telle déclaration viendrait consoler les femmes qui avaient déjà été agressées sexuellement, notamment lorsque des lois comme celles-ci donnent aux hommes de plus en plus accès aux aires réservées aux femmes.

Il y a beaucoup de Christopher Hambrook dans ce monde, même si l'opposition ou le sénateur Mitchell veut bien le croire ou non. Il a demandé à un témoin plus tôt si ce dernier pensait que de tels cas se produisaient souvent : la réponse est peut-être non. À votre avis, une personne qui est soupçonnée d'être un délinquant dangereux ou qui l'est en fait serait-elle prête à profiter de toute loi et de toute situation qui lui permettraient d'abuser de personnes vulnérables?

M. Crystal : Sénateur, permettez-moi d'abord de vous dire ce qui suit : c'est la définition qui constitue le problème de ce tout petit amendement à la Loi sur les droits de la personne. Vous l'avez déjà mentionné. Il y a cette notion de fluidité. Si vous avez une personne qui est un homme transsexuel ou une femme transsexuelle, le droit, à mon avis, se penchera sur l'affaire en fonction des faits. Je crois qu'à la base de votre question, il y a cette zone grise et c'est pour moi le plus grand problème.

Mais si on pense à des criminels qui entrent dans des refuges, bien franchement, je ne crois pas qu'il soit utile de donner des exemples de cas les plus redoutables si l'on veut progresser. On peut affirmer qu'après l'affaire Kavanagh, par exemple, les établissements correctionnels ont maintenant en place une politique pour ce cas de figure, c'est-à-dire des hommes et des femmes transsexuels dans les établissements fédéraux.

C'est certes dérangeant de penser à un criminel ou à quelqu'un qui a de mauvaises intentions qui rentrerait dans un refuge, il se peut que je ne réponde pas à votre question, mais j'ai du mal à tirer des conclusions utiles de ce scénario.

Pour répondre à votre question, j'aimerais vous dire que je suis le président du conseil d'une école privée. La question dont nous sommes saisis ne s'est pas encore présentée, mais je peux vous dire qu'après la présente séance qui porte sur le projet de loi C-279, l'une des premières choses que je vais faire, c'est d'instaurer une politique en la matière parce que je crois que ce serait intelligent de le faire.

Ce genre de situation qui donne lieu à des plaintes dans le cadre d'un système de résolution de différends ne crée pas forcément de précédents utiles. Ces situations sont propres aux faits. La réponse proviendra de la politique.

Le président : J'accorde la parole au vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je remercie les deux témoins de leurs exposés fort intéressants.

J'ai lu toute la jurisprudence qu'a citée M. Crystal. Elle est instructive dans la mesure où dans chacune des affaires, des définitions suffisantes ont été fournies par des experts du domaine médical et reconnues par les tribunaux. M. Crystal est un avocat d'expérience qui a comparu devant tous nos grands tribunaux, la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel de l'Ontario et la très intéressante Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador. C'est dommage qu'il ait quitté la province de Terre-Neuve-et-Labrador pour accepter un poste ici en Ontario.

J'aimerais donner ce qui reste de mon temps de parole au parrain du projet de loi ici au Sénat, le sénateur Grant Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci, sénateur Baker.

J'aimerais mentionner que Mme Watts a déjà comparu ici sur la question du mariage homosexuel. À l'époque, il me semble que son organisation était d'avis que le mariage des homosexuels créerait d'énormes problèmes sociaux, ce qui n'est pas le cas, et que d'une façon quelconque, les homosexuels pouvaient changer, et ce sont les mêmes arguments qu'elle avance ici. Je vais les écarter parce que ces arguments n'ont plus cours depuis longtemps.

Monsieur Crystal, je vous demanderais de tirer au clair certains de vos propos parce qu'ils sont tellement importants. Vous avez dit qu'une fois que ces droits seront reconnus par les tribunaux, comme dans le cas d'une personne transsexuelle qui voudrait s'afficher pour assumer ses droits en rentrant dans les toilettes de l'autre sexe, il pourrait y avoir des accusations criminelles, et les tribunaux en seraient saisis. En fait, ils sont saisis de telles affaires, et les tribunaux se sont servis de la loi en la matière pour trancher toutes les affaires qui leur ont été soumises. Vous dites que les tribunaux et la politique suffiraient à gérer ces préoccupations. Même dans votre école, par exemple, ce serait faisable.

M. Crystal : Oui, mais je crois que les préoccupations du sénateur Plett apportent du mordant.

Le sénateur Mitchell : Oui.

M. Crystal : Parce que ce sont des préoccupations extrêmes.

Vous avez tout à fait raison, et je ne vais pas vous faire perdre plus de votre temps. Je vais m'exprimer ainsi. Lorsque nous constatons les faiblesses de n'importe quel projet de loi ou loi, ce sont des cas extrêmes. C'est toute la base du processus socratique : aller jusqu'au bout afin de trouver les faiblesses.

Le sénateur Plett donne l'exemple de cette personne transsexuelle qui se rend dans les toilettes et provoque une réaction quasi hystérique. Ce genre d'exemple est-il utile? Il a tout à fait raison. Dans une situation extrême, c'est valide, et personne ne voudrait être en faveur de ce type de situation.

Le problème, c'est donc la définition. J'y reviens. Pourquoi? Parce que sa portée est trop grande, elle est incomplète, elle n'est même pas nécessaire compte tenu de la façon dont les tribunaux ont déjà tranché ce genre de question. Je serais ravi de voir l'identité de genre devenir un motif énuméré, afin que les gens n'aient pas besoin de prendre des mesures supplémentaires pour l'inclure dans la liste des motifs reconnus.

Je vous dis ceci, par contre : le droit s'avère efficace. Nous pensons que nous en sommes au début d'un marathon. Or, nous sommes à mi-chemin. Il y a déjà eu des précédents. Continuons.

Cinq provinces et un territoire n'ont pas de définition. Je sais que cela fait partie d'un compromis. J'ai entendu les témoignages la dernière fois, mais il faut s'en rendre compte, je ne crois pas que la définition vienne améliorer les choses. C'est exactement la raison pour laquelle les Canadiens posent des questions, tout comme le fait le sénateur Plett, à cause du manque de clarté. Si les Canadiens devaient lire les décisions des tribunaux et des cours d'appel, je ne crois pas qu'ils poseraient ces questions.

Le sénateur Mitchell : D'accord. Je suis frappé par votre référence à Socrate. Je suis sûr que le sénateur Baker dirait que Socrate vient probablement de Terre-Neuve.

M. Crystal : De la côte Ouest.

Le sénateur Mitchell : Ou bien qu'il a étudié là-bas.

Vous avez fait une observation très intéressante sur la définition. C'est ironique, car lorsque le projet de loi a été déposé, certains de l'autre côté ont considéré que la définition était trop générale, mais je ne vais pas vous contredire.

Si l'on va au-delà de cet argument, vous ne proposez pas pour autant qu'on apporte des amendements qui permettraient d'anticiper certains problèmes ou excluraient d'autres cas de figure qui pourraient être perçus comme étant discriminatoires. Vous ne revendiquez pas ce type d'amendement du tout.

M. Crystal : Pas du tout. Le processus est très logique. Je parlais avec des amis qui travaillent au ministère de la Justice, et on voit déjà les progrès ici en Ontario. Dès qu'on a un motif énuméré comme l'identité de genre, la bureaucratie commence à avancer. Il y a alors des lignes directrices et des types de rapport comme celui-ci : Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur l'identité sexuelle et l'expression de l'identité sexuelle.

Le sénateur Mitchell : C'est le rapport que j'ai ici.

M. Crystal : Oui, publié en 2014.

J'aimerais mentionner que cette politique, que je trouve absolument formidable, indique, à la page 40, au deuxième paragraphe :

Les changements à la réglementation sur le Code du bâtiment de l'Ontario qui entreront en vigueur le 1er janvier 2015 exigeront que tous les nouveaux édifices et tous les édifices auxquels ont été apportées des rénovations importantes incluent au moins une toilette universelle. Dans le cas des édifices à étages multiples...

Le document se poursuit, mais là où je veux en venir c'est que nous sommes en train d'avancer. Lorsqu'il y a des motifs énumérés, c'est exactement ce qui se passe. Les progrès n'ont pas lieu en vase clos. Nous n'évoluons pas dans un vide. Il n'est pas nécessaire d'intenter des poursuites dans chaque cas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Crystal, le problème de ce projet de loi, c'est qu'il n'y a pas de définition de genre comme telle, et j'ai l'impression que cela est laissé à la prétention de chacun. Je pense que cela peut occasionner des abus et des inconforts, et je m'explique.

Je vais vous citer le projet de loi à la page 1, article 2, dernier paragraphe au bas de la page. On y lit ce qui suit :

Au présent article, « identité de genre » désigne, pour une personne, l'expérience intime, personnelle et profondément vécue de son genre, que celui-ci corresponde ou non au sexe qui lui a été assigné à sa naissance.

Évidemment, on a beaucoup parlé de la fameuse salle de bain. Cependant, imaginez un transgenre qui entre dans une salle de bain. Il faut penser aussi qu'il y a un inconvénient qui peut se présenter si un homme ou une femme dans cette salle de bain n'a pas la certitude d'être en présence d'un transgenre.

C'est sur ce point que le projet de loi semble flou, et c'est peut-être à partir de ce moment-là que se crée la confusion.

[Traduction]

M. Crystal : Merci beaucoup, sénateur Dagenais.

Nul doute que la modification atteint les personnes trans. Les principes de Jogjakarta, dont la définition provient, portaient sur les droits internationaux des personnes trans.

Je dirais que son libellé n'est pas utile sur le plan juridique. On n'emploie pas la langue juridique. Je ne dirais pas que c'est un énoncé de mission, mais un énoncé de validation de convictions profondes, ce qui n'est d'aucune utilité pour les tribunaux.

C'est important; ne vous méprenez pas. C'est important, et intégrer l'identité de genre à la liste des motifs constitue une validation de l'identité de genre. Notre lutte pour l'inclusion de nos frères et sours trans — parce que ce sont nos frères et nos sours — concerne la validation.

On emploie un langage politique, et la définition n'est même pas complète. Je dis ici qu'on n'a même pas inclus la définition complète. Cela ne nous aide pas et n'aide pas nos amis.

J'aimerais seulement dire quelque chose au sujet des définitions. Selon des principes du droit, une fois qu'on commence à définir une chose, on exclut autre chose. Je crois que c'est toujours un problème.

Je crois que nous nous sommes toujours opposés à l'inclusion de définitions dans les lois sur les droits de la personne. Je pense que cela remonte aux lois sur la consanguinité aux États-Unis, aux lois de Nuremberg. Nous ne définissons pas ce qui est valable pour les gens, car on risque de les démoraliser. Nous n'avons pas besoin de définition, et je ne vous dis pas de regarder vers l'avenir pour vous en convaincre, mais bien de regarder en arrière.

Les mesures législatives fonctionnent. Nous avons une très bonne jurisprudence. Toutefois, il est temps de comprendre que nous avons tous une obligation quant à la reconnaissance des personnes trans et quant à l'intégration de l'identité de genre dans les motifs énumérés.

Je souscris en grande partie à ce qu'a dit la juge — j'allais vous appeler « juge Batters ». Je souscris en grande partie à ce qu'a dit la sénatrice Batters, mais mon critère, c'est qu'il faut que cela fasse partie des motifs, car une fois que ce sera réalisé, nous verrons le système générer les documents dont j'ai parlé tout à l'heure concernant l'Ontario, et cela deviendra important et sera intégré dans le discours, dans notre jurisprudence et à notre sensibilité concernant les droits, et c'est bien ainsi. Voilà.

La sénatrice Batters : J'ai profité de la séance pour lire rapidement le mémoire que vous nous avez fourni plus tôt aujourd'hui. Je vous remercie beaucoup.

Le temps réservé à la présentation des exposés est limité, et une partie importante de votre mémoire portait sur la définition, qui est, à votre avis, trop large et arbitraire dans le projet de loi. C'est même l'un de vos titres.

Même que, monsieur Crystal, vous dites ce qui suit :

La définition de l'identité de genre proposée dans le projet de loi C-279 est une reproduction incomplète de la définition plus complète qui figure dans les principes de Jogjakarta...

Vous dites également ceci :

En outre, le libellé actuel de la définition proposée est trop large et manque de clarté. Les préoccupations qui ont été soulevées en ce qui concerne...

— ces différentes mesures —

... sont une conséquence directe de la nature vague et trop large de la définition proposée.

Vous dites ensuite ceci :

À mon avis, leur source est la nature énigmatique de cette définition erronée. Ces préoccupations constituent le canari dans la mine de charbon.

Vous avez également utilisé cette expression en parlant du sénateur Plett, et je ne sais pas si quelqu'un l'a déjà décrit comme un canari.

Le sénateur Plett : Un éléphant dans un magasin de porcelaine.

M. Crystal : C'est un grand haut-parleur.

La sénatrice Batters : Vous avez dit aujourd'hui que le droit s'avère efficace; continuons. Vous dites que cette définition n'est pas utile pour les tribunaux. Je voulais seulement vous donner la possibilité de parler un peu plus de la définition.

M. Crystal : Malgré tout le respect que je dois à mes amis d'ÉGALE, je voudrais voir une définition non seulement juridique, mais aussi plus complète, car cela pourrait aider. L'idée n'est pas de contrecarrer le motif énuméré, mais de faciliter l'interprétation de la définition. Dans ce cas, je crois qu'on a l'effet inverse.

Je crois que le type de jurisprudence que nous avons jusqu'à maintenant montre que les tribunaux et les cours d'appel ont fait un examen très minutieux lorsqu'ils ont dû se pencher sur des questions d'identité de genre et de discrimination. Ce n'est pas la jurisprudence qui manque.

Ce que j'ai trouvé très intéressant en examinant des lois provinciales et certaines des lois les plus récentes — celles de l'Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador, je crois —, c'est qu'elles incluent « expression sexuelle », mais il n'y a pas de définition.

Ce qui peut être aussi intéressant, pour faire la lumière là-dessus, c'est que très souvent, les lois provinciales sur les droits de la personne définissent quelque chose comme la « déficience ». On pourrait penser que la déficience serait beaucoup plus évidente que quelque chose comme l'identité de genre.

Je crois qu'au bout du compte, il faut comprendre que ce sont des dispositions législatives qui seront interprétées par des avocats, des juges et des membres du jury, et que le langage politique n'est pas utile dans ce cas. À mon avis, c'est ce que les principes de Jogjakarta nous donnent en fin de compte.

La sénatrice Batters : Merci.

De plus, le sénateur Mitchell a dit plus tôt que certaines personnes, de l'autre côté, ont considéré que la définition d'identité de genre était trop générale. Je veux souligner que c'est en fait devant le comité de la Chambre des communes, où il était question de deux motifs que M. Garrison voulait inclure dans le projet de loi au départ : « identité de genre » et « expression sexuelle ». Au cours de son témoignage devant notre comité, M. Garrison, parrain du projet de loi et député du NPD, nous a dit que la définition large découlait de l'exclusion du terme « expression sexuelle » — c'est-à-dire qu'il a été éliminé du projet de loi, qu'on a conservé le concept d'identité de genre et qu'on a inclus la définition générale. Voilà l'argument. Ce n'est pas que la définition d'identité de genre était trop générale.

M. Crystal : Concernant les définitions, on a le motif fondé sur l'identité de genre; on a ensuite une définition floue. Cela a amené l'autre côté à prendre en considération les salles de bain et les sports, des amendements qui limitent cela. Nous commençons le processus au palier législatif, car nous essayons de préserver nos propres interprétations.

De mon point de vue d'avocat dans une salle d'audience, on s'en remet à l'arbitre. Ce sont mes arguments. Tout comme je ne peux pas faire de déclaration politique dans mon mémoire à la cour d'appel, je ne m'attends pas à voir cela dans les dispositions sur lesquelles je me bats. C'est tout simplement comme cela.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. J'aimerais revenir aux principes de Jogjakarta, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Madame Watts, dans votre exposé, vous avez parlé brièvement des principes de Jogjakarta; et vous, monsieur Crystal, vous en avez parlé dans votre mémoire et dans les réponses que vous avez données à la sénatrice Batters et au sénateur Dagenais.

J'aimerais que vous entendre au sujet des principes de Jogjakarta. La définition est-elle trop vague ou est-elle claire?

Mme Watts : En ce qui concerne les principes de Jogjakarta, je crois qu'il y en a 69 ou 68. M. Crystal a raison de dire qu'ils sont très politiques. Ils visent à changer réellement la jurisprudence et ils sont très axés sur la sexualité des personnes à cet égard.

Premièrement, la définition est trop générale. Comme tout le monde le dit, elle sera interprétée par les tribunaux et qui sait comment elle sera interprétée. C'est ce que nous faisons. C'est pourquoi le ministre de la Justice s'est opposé au projet de loi : il n'est pas sage d'adopter un projet de loi dont la terminologie n'est pas claire et de laisser quelqu'un d'autre la définir.

Selon nous, le problème que comportent les principes de Jogjakarta, c'est qu'ils ne protègent vraiment pas les parents. Si l'enfant a de la difficulté à s'identifier à son genre naturel, selon les principes de Jogjakarta, il ne doit pas y avoir immixtion de la part des parents. C'est le problème qui se pose maintenant en Californie compte tenu des lois qui y ont été adoptées. On tente d'interdire les services de consultation aux enfants et aux adultes qui trouvent problématique d'avoir des identités qui les mettent vraiment mal à l'aise. Dans une société libre, il me semble que nous devrions pouvoir consulter lorsque nous sommes confrontés à des difficultés.

De toute évidence, les principes de Jogjakarta ne tiennent pas compte des droits des parents. Personne ne connaît mieux les enfants que leurs parents.

M. Crystal : Je ne suis pas du même avis. Je dirai respectueusement qu'il s'agit d'un document très différent. C'est un document international.

Ce que nous devons comprendre, entre autres, c'est que les autres pays ne sont pas tous démocratiques comme le Canada et certains ont des régimes très répressifs. Les principes de Jogjakarta sont les droits. Ils constituent essentiellement une déclaration de droits pour les personnes trans dans le monde visant à les protéger, peu importe où ils vivent. Dans certains cas, le seul fait de mentionner ou de savoir qu'une personne est trans conduirait à une peine de mort. Il s'agit d'une déclaration.

De plus, les principes ont été conçus par des spécialistes des droits de la personne et du droit. Il s'agit d'un document d'une qualité incroyable qui a des répercussions importantes. C'est un document très important, un document essentiel pour la validation de la communauté trans.

Prendre une partie de la définition, qui est dans les notes en bas de page et qui ne constitue pas une composante principale du document — le document porte davantage sur la validation et tous les droits qui appartiennent à tout le monde, vraiment. Toutefois, il est maladroit de prendre la définition et de l'intégrer dans ce que nous essayons de faire; et elle est incomplète.

J'appuie sans réserve le document, qui a ses mérites. Il est formidable. Prendre la partie de la définition et dire qu'il s'agit d'une bonne définition utile pour nous — non, elle est trop politique. Des spécialistes y ont travaillé pendant des mois — ils étaient 28; je les ai comptés. Je dirais que la plupart d'entre eux venaient du milieu juridique, mais ils étaient spécialistes des droits de la personne et de la communauté trans. L'objectif de leur travail était différent. Ce sont deux choses tout à fait distinctes.

Je terminerais en disant ceci : dans une certaine mesure, il est injuste et anti-intellectuel de juger que les principes de Jogjakarta ne sont pas acceptables dans notre Loi canadienne sur les droits de la personne. On parle de deux choses tout à fait distinctes ici, et c'était injuste d'inclure cela.

La sénatrice Frum : Je remercie nos deux témoins de comparaître.

Monsieur Crystal, vous avez été clair, mais j'aimerais que vous nous donniez votre point de vue sur les changements qu'il faut apporter au projet de loi.

Vous appuyez l'inclusion de l'identité de genre dans la Loi sur les droits de la personne, le Code criminel, mais vous voudriez qu'un amendement soit adopté pour supprimer la définition. Est-ce exact?

M. Crystal : C'est exact; cela fait partie de ma thèse, de mon document.

La modification proposée à la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC. (1985), c. H-6, qui figure au paragraphe 2(2) du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre), devrait être exclue du projet de loi.

C'est l'amendement que je propose.

La sénatrice Frum : Vous avez soulevé la question des droits de la personne des transgenres incarcérés. Notre comité n'a pas encore discuté de la question des prisons. J'ai fait une courte recherche. Je constate que c'est un milieu où les transgenres sont très vulnérables.

En particulier, pour ce qui est de la définition — et je conviens qu'elle est très floue —, ce qui me frappe, c'est le risque de conflit concernant ce qui sert le mieux les intérêts lorsque des gens se perçoivent comme appartenant à l'autre sexe, et qu'ils doivent avoir des liens avec les services correctionnels. Pouvez-vous en dire davantage à ce sujet? Vous êtes-vous penché sur la question?

M. Crystal : La DC 800 est la politique sur le trouble de l'identité sexuelle qui a découlé de la cause Synthia Kavanagh. Je vais la fournir à la greffière, qui pourra la faire circuler, si cela ne vous dérange pas que certains passages soient surlignés ou soulignés.

Plusieurs choses résultent de la cause Kavanagh. Je tiens à saluer le travail de Nicole Nussbaum, qui travaille à Aide juridique Ontario, qui m'a aidé à ce sujet. Elle m'a beaucoup aidé, et je sais qu'elle est parmi nous aujourd'hui.

En gros, la DC 800 fait une distinction entre les délinquants ou délinquantes au stade préopératoire et ceux ou celles au stade postopératoire — je n'aime pas utiliser ces mots. Avant la chirurgie pour changement de sexe, les femmes trans sont incarcérées dans un établissement pour hommes, mais on tient compte de leurs besoins. On parle ici de pénitenciers fédéraux. Si la personne est admissible pour ce qui est des tests reconnus, et cetera — c'est-à-dire, si elle est prête à subir la chirurgie pour changement de sexe —, Service correctionnel Canada doit payer pour cela. Pour ce qui est des personnes qui ont subi l'intervention chirurgicale, il a été convenu qu'une femme ou un homme trans, selon le cas, peut aller dans le pénitencier pour le sexe opposé.

C'est ce qui a découlé de la décision du tribunal dans la cause Kavanagh, qui a été maintenue par la Cour fédérale, qui s'est occupée de la révision judiciaire. C'est maintenant la politique.

Je n'ai pas fait de recherche à ce sujet, mais j'ai entendu dire que dans un établissement correctionnel de la Colombie-Britannique, on a tenu compte des besoins d'une femme trans au stade préopératoire. Je n'ai pas fait la recherche, mais c'est ce que j'ai entendu. Comme je l'ai dit, ce n'est pas du tout confirmé.

La sénatrice Frum : Vous dites donc que la politique s'applique même si la Loi sur les droits de la personne n'a pas été modifiée; les deux sont complètement distinctes.

M. Crystal : Oui. À l'époque, l'identité de genre a été établie par des motifs existants. C'est tout à fait exact. La cause Kavanagh s'est déroulée en ce sens. Évidemment, nous sommes maintenant beaucoup plus éclairés que nous l'étions à l'époque, et la politique en témoigne.

Le sénateur McInnis : Monsieur Crystal, vous avez laissé entendre que vous retourneriez à l'école privée dont vous présidez le conseil. Je crois vous avoir entendu dire que ce sera pour y instaurer une politique en la matière. Je crois comprendre que souvent, les politiques finissent par se transformer en loi, mais ce n'est pas nécessairement toujours le cas.

Plus tard, vous avez dit qu'il doit y avoir une loi. J'en ai conclu qu'il est symbolique de déclarer que ce soit réalisé. Ai-je bien compris?

M. Crystal : Je crois que je parlais de l'un des merveilleux effets, soit celui d'ajouter un motif. Ne nous faisons pas d'illusions, car très peu de motifs proposés deviennent un motif de discrimination. Évidemment, vous savez qu'on a essayé de faire en sorte que cela devienne un motif dans le cadre d'autres affaires, mais il est difficile de l'ajouter aux motifs de discrimination. C'est un motif important.

Inscrire l'identité de genre à la loi a notamment pour effet de susciter l'intérêt et d'ouvrir un dialogue — j'ai parlé d'une politique gouvernementale permettant de produire ce genre de documents, par exemple. Les éducateurs qui en prennent conscience commencent à se dire qu'un enfant ne devrait pas avoir à se présenter devant la Commission ontarienne des droits de la personne parce qu'il ou elle souhaite être traité comme tout le monde. Ils ne veulent pas de ce litige, et ne souhaitent pas y être impliqués. Ils ne veulent pas témoigner aux audiences, et ils n'ont pas à le faire. Ils jugent la procédure inutile. L'accent est mis sur la résolution du litige, comme nous souhaitons parfois le faire dans les affaires civiles. Personne ne désire aller jusqu'aux plaidoiries à moins que ce ne soit absolument nécessaire.

Lorsque j'entends parler de cette question, moi qui ne suis mêlé à l'éducation que de loin, je comprends avec le projet de loi que nous ferions mieux de commencer à en parler, car nous ne voudrions surtout pas qu'un étudiant ne se sente pas à sa place à l'école. Ce n'est tout simplement pas le genre d'échange que nous souhaitons porter à l'attention du Tribunal canadien des droits de la personne. Adoptons une politique à cet égard. Commençons donc à résoudre le problème avant qu'il ne survienne. Nous saurons alors quoi faire, et tout le monde aura l'impression de faire partie de la solution.

Puisque je suis criminaliste, un individu doit être accusé pour que j'intervienne. Il va y avoir des flammèches lors de l'audience de détermination de la peine ou du procès. Voilà en quoi consiste le système de justice pénale. Mais dans cette situation, les droits de la personne datent de l'ère des dinosaures. Il faut choisir ses batailles, et cette question n'en fait pas partie.

Le sénateur McInnis : Les tribunaux considèrent-ils généralement que l'identité de genre fait implicitement partie des motifs de distinction?

M. Crystal : Il y a eu des décisions en ce sens. À la dernière séance, le sénateur Baker a mentionné des affaires en Colombie-Britannique. L'identité de genre a été considérée comme un motif de distinction faisant partie des motifs actuels. Or, il se passe trop de choses sous nos yeux pour ne pas en faire un motif distinct. Il n'y a absolument rien qui justifierait de ne pas aller de l'avant. Il se passe bien trop de choses.

J'ai distribué un document sur la proportion des jeunes transgenres qui ont songé au suicide — et je peux vous trouver l'information. Lorsque j'ai discuté avec Nicole Nussbaum, je me suis porté volontaire pour siéger à un comité transgenre pour l'aide juridique après avoir appris le taux de discrimination que subit ce groupe de personnes sur tous les plans. Nous devons tous mettre la main à la pâte, mais le fait est qu'il s'agit d'un groupe extrêmement vulnérable au sein de notre société.

Chaque génération est confrontée à ses propres défis. Je ne veux pas dire à mes petits-enfants que je n'ai rien fait et que j'ai préconisé le statu quo quand est venu le temps de remédier à l'affaire Brown c. Board of Education. Ce n'est pas mon souhait.

Même si on a jugé que ce motif fait partie d'autres motifs, il y a lieu de l'ajouter à ceux qui sont en vigueur. Et je ne dis pas cela à la légère puisque, comme je l'ai dit et comme vous le savez fort bien, sénateur, il est très difficile d'ajouter un nouveau motif à la Loi canadienne sur les droits de la personne. C'est difficile, et les occasions sont rares.

Le sénateur Plett : Si le motif d'identité de genre et la définition proposée avaient été en vigueur à l'époque de l'affaire R. c. Kavanagh, aurait-on pu agir comme on l'a fait, ou aurait-on été obligé de laisser Kavanagh aller dans une prison pour femmes?

M. Crystal : C'est une excellente question. Avec cette définition, il est fort possible que le souhait de Mme Kavanagh d'aller dans un établissement pour femmes se serait réalisé.

Le sénateur Plett : Dans une affaire de l'État de Washington, un homme biologique adulte se disant transgenre s'est dénudé dans un vestiaire devant des femmes et des fillettes d'à peine six ans. Je crois savoir que ce n'est pas une question de sécurité, et que le geste ne pourrait probablement pas être excusé aux termes de l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui tient compte de la sécurité.

Monsieur Crystal, croyez-vous que l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne pourrait être modifié à la lumière de ces préoccupations? Comme bien des Canadiens, je trouve ce comportement tout à fait déplacé. Croyez-vous que l'article 15 pourrait être modifié, ou pensez-vous que supprimer la définition de l'identité de genre est la seule chose à faire?

M. Crystal : Puisque je ne suis pas législateur, j'ignore dans quelle mesure c'est facile. Bien franchement, supprimer la définition répondrait sans équivoque à vos préoccupations. J'avais songé à l'article 15 au départ. Je pense qu'il serait très difficile de le modifier, et je doute qu'une telle proposition soit adoptée un jour.

Cette affaire de Washington me trouble. Permettez-moi de dire ceci avec le plus grand respect : quel que soit le motif, comme l'orientation sexuelle ou le genre, je ne pense pas qu'un tel problème permette à quiconque de faire fi du Code criminel. Tôt ou tard, les gens doivent assumer leurs responsabilités. Personne n'agit en vase clos. Quelle que soit la situation, un homme adulte ne peut pas utiliser des toilettes où se trouvent des fillettes.

Pour tout vous dire, si j'étais membre de la communauté transgenre ou autre, j'aurais trouvé que l'individu en question n'a pas rendu service à mes idéaux politiques. Ce que je veux dire, c'est que si vous voulez brûler un drapeau pour faire valoir une idée, faites-le, mais ne brûlez celui de personne d'autre. Voyez-vous ce que je veux dire? C'est tout simplement inutile, en plus de nuire aux groupes comme Égale et d'autres, qui tentent légitimement de faire valoir leurs idées dans des salles d'audience comme celle-ci, en présentant chiffres et arguments avec passion. Ce genre de comportement nuit au message. Il y a bien d'autres façons de faire valoir l'idée, et si l'objectif est d'avoir une cause type, il y a des manières de procéder.

Je ne crois pas qu'une telle situation permette de faire fi du Code criminel ou de tout règlement...

Le président : Il reste trois sénateurs, et nous n'avons que quelques minutes. Je vais vous demander de poser des questions courtes et de donner des réponses concises.

Le sénateur Mitchell : Une des questions qui ont été soulevées par le passé, c'est l'idée que l'identité de genre soit très subjective; on se demandait même comment les tribunaux pourraient l'aborder. Or, cet argument ne tient pas la route dans le cas des lois sur les droits de la personne. La religion est une question très subjective aussi et, pourtant, on s'en occupe. Les tribunaux ont toujours affaire à des questions subjectives, non? Ils s'attardent aux motifs dans les affaires criminelles : s'agit-il d'une intention consciente ou d'un accident?

Pourriez-vous parler brièvement de la grande question du traitement des éléments « subjectifs » par les tribunaux?

M. Crystal : La notion de mens rea ou d'« intention criminelle » fait partie des tribunaux et du code.

Au sujet du supposé cadeau de l'article de définitions, qui parle de sentiments, de subjectivité et de ce genre de choses, j'estime qu'il s'agit d'une tentative non juridique de démontrer la valeur des personnes aux prises avec des questions d'identité sexuelle ou de genre. Il ne s'agit pas de termes juridiques sur les calculs que les arbitres devront effectuer.

Tout ce que je peux dire, c'est que la définition parle bel et bien de sentiments et de pensées. Or, l'intérêt légal à ce chapitre n'a rien à voir et existe déjà dans les affaires de discrimination sous la forme d'une analyse.

Le président : Mesdames et messieurs, je vous remercie de vos témoignages fort intéressants et utiles. Merci de nous avoir aidés dans le cadre de nos délibérations sur le projet de loi.

Pour le dernier groupe d'experts de la journée, accueillons chaleureusement Noa Mendelsohn Aviv, directrice du programme d'égalité de l'Association canadienne des libertés civiles. Nous recevons aussi deux représentants du Service de police d'Ottawa : le surintendant Don Sweet, de la direction des enquêtes criminelles; et David Snoddy, directeur du Développement communautaire. Bienvenue à tous.

Madame Aviv, je vous invite à commencer.

Noa Mendelsohn Aviv, directrice, programme d'égalité, Association canadienne des libertés civiles : Merci beaucoup, et bonjour.

Le principal message que j'aimerais transmettre au comité et à l'ensemble du Sénat, c'est qu'il est temps de passer à l'acte et d'adopter le projet de loi. Il y a d'excellentes raisons de le faire, alors qu'il n'y a aucune véritable raison de ne pas agir.

Je vais tenter d'omettre les arguments que vous avez déjà entendus, à ma connaissance. Vous savez que le projet de loi ajoutera l'identité de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Ce que vous n'avez peut-être pas envisagé, contrairement à moi, c'est qu'il est tristement ironique que nous discutions ici de modifier notre loi fédérale sur l'égalité, car c'est justement cette loi qui exclut actuellement un des groupes les plus marginalisés du Canada. C'est insensé et inacceptable.

La Loi canadienne sur les droits de la personne doit être modifiée, ne serait-ce que sur le plan symbolique. Elle doit être corrigée. Toutes les autres instances ont mis les choses en branle pour apporter cette modification, et c'est maintenant au tour du Sénat de le faire. Voilà mon principal message.

Je vais omettre de vous dire à quel point la marginalisation et la discrimination à l'égard des transgenres sont graves, mais je tiens à préciser que nous parlons d'emploi, de logement, et même de la prestation de services par les fonctionnaires fédéraux et de la vulnérabilité des transgenres. Le projet de loi porte donc sur l'ensemble de ces éléments. Il faut les évaluer en regard d'une menace qui n'est fondée sur aucune preuve. Elle repose plutôt sur la peur et, peut-être, sur le préjugé entourant la possibilité que quelque chose se passe dans les toilettes. Or, il est prouvé que des actes sont sans cesse commis aux toilettes par des personnes qui n'ont rien de transgenres. Je pourrai en parler davantage lors de la période de questions.

Voici ce dont je veux parler : la discrimination dans sa forme la plus rudimentaire et insidieuse existe lorsqu'un groupe est tellement marginalisé qu'on ne l'estime même pas digne d'être protégé. Il est possible que les membres du groupe soient déshumanisés, qu'on ne leur reconnaisse aucun droit à l'égalité, et que la discrimination soit invisible ou considérée comme légitime, en quelque sorte, tant le groupe est différent. Les gens ne les comprennent tout simplement pas.

Voici la question que les tribunaux se posaient en 1928, dans l'affaire Edwards c. Canada — c'était justement lié au Sénat du Canada :

Le mot « personnes » employé à l'article 24 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 s'entend-il des femmes?

À l'époque, les sociétés étaient reconnues comme des personnes, mais dans l'affaire « personne », ou Edwards c. Canada, la Cour suprême du Canada ne considérait même pas les femmes comme telles. Voilà le genre d'exclusion qui découle d'une non-reconnaissance des droits fondamentaux en matière d'égalité. La décision en question a d'ailleurs été infirmée par le Conseil privé britannique.

Il y a quelques années, il s'est produit exactement la même chose dans l'affaire Vriend c. Alberta, dont je sais que vous avez beaucoup entendu parler. Dans cette affaire, l'Alberta disait qu'un homosexuel avait voulu affirmer son droit à l'égalité en vertu de la loi provinciale sur l'égalité. On l'appelait à l'époque la Individual Rights Protection Act, ou IRPA. Puisque l'homosexualité ne fait pas non plus partie des motifs de distinction de cette loi, le tribunal a dit que ce n'était pas possible. Il y a une merveilleuse citation tirée de l'affaire, que je vous lirai volontiers si nous avons le temps. Mais pour l'essentiel, le fait que les personnes qui sont victimes de discrimination ne puissent pas compter sur nos lois en matière d'égalité envoie un message clair et sinistre.

Puisque la Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée en 1977, on peut comprendre dans ce contexte historique pourquoi elle n'incluait pas l'identité de genre, mais on demande de rectifier le tir et d'ajouter l'identité de genre au monde juridique depuis au moins l'an 2000, notamment dans le rapport du juge La Forest.

Nous devrions aussi dire qu'en pratique, les droits des transgenres sont déjà reconnus. Le Tribunal canadien des droits de la personne les reconnaît sans qu'il n'y ait la moindre conséquence néfaste, et les tribunaux provinciaux et territoriaux le font également sans problème depuis au moins 1999. Cela fait 15 ans — l'affaire Sheridan. Comme je l'ai dit, puisque les tribunaux fédéraux, provinciaux et territoriaux le font déjà, bien des lois provinciales sur les droits de la personne ont été modifiées ces dernières années de façon à inclure l'identité de genre, bien sûr.

En ce qui concerne l'identité de genre, l'orientation sexuelle, la religion, l'origine ethnique et tout autre motif de distinction illicite, ces tribunaux répondent à des questions comme celles que votre comité pose à propos de l'identité, des définitions, de la façon d'agir si des droits entrent en conflit, des personnes qui peuvent revendiquer les droits, et des preuves que celles-ci doivent fournir.

Quand vient le temps de se prononcer sur ces affaires, les tribunaux sont passés maîtres. Je serai ravi de vous en dire plus là-dessus, mais je tenais à préciser que les droits sont reconnus depuis 15 ans et que ça fonctionne. Il existe d'autres raisons de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, mais nous n'avons pas à craindre ce qu'il adviendra si la modification est adoptée et que l'identité de genre est reconnue, car elle l'est déjà.

À l'époque où l'ensemble de la population était peu sensibilisé à l'identité de genre, la Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée de bonne foi, mais les choses ont changé.

Le président : Madame Aviv, je vous demanderais de conclure, s'il vous plaît.

Mme Mendelsohn Aviv : Puis-je prendre 30 secondes?

Le président : Tout au plus.

Mme Mendelsohn Aviv : Merci.

Le refus de reconnaître les droits à l'égalité des personnes transgenre est un acte discriminatoire. Dans les provinces et les territoires, la plupart des tribunaux ont corrigé la situation. La Chambre des communes vous a confié le projet de loi C-279 pour que vous remédiiez à cette lacune, et il appartient maintenant au Sénat du Canada de décider ce qu'il léguera. Le Canada aura-t-il une loi discriminatoire en matière d'égalité?

Le président : Merci.

Surintendant Sweet?

Surintendant Don Sweet, Direction des enquêtes criminelles, Service de police d'Ottawa : Bonjour, monsieur le président Runciman, et mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je m'appelle Don Sweet, et je suis actuellement le surintendant de la direction des enquêtes criminelles du Service de police d'Ottawa. Je suis accompagné de M. David Snoddy, directeur du développement communautaire et des services de liaison. Nous sommes très heureux d'être ici aujourd'hui pour vous fournir de l'information qui, nous l'espérons, vous sera utile en ce qui a trait au projet de loi C-279, ainsi que pour répondre aux questions que vous pourriez avoir. Je suis également ravi de représenter le chef Charles Bordeleau.

J'en suis maintenant à ma 29e année de service, et j'ai passé une bonne partie de ma carrière à la direction des enquêtes criminelles. Je suis responsable de la majorité des enquêtes criminelles à la ville d'Ottawa, et je les supervise, y compris les homicides, les agressions sexuelles, la violence conjugale, les vols, les armes à feu et les gangs, les renseignements criminels et le crime organisé. En rapport à l'étude d'aujourd'hui, je chapeaute également les unités sur l'extrémisme et les crimes haineux.

Nous sommes d'avis que le projet de loi C-279 aura des répercussions dans deux domaines très distincts en ce qui concerne l'identité de genre : sur le plan des démarches d'enquête ainsi que des droits et de l'action communautaire.

Du point de vue des enquêtes, l'ajout de l'identité de genre au Code criminel du Canada permettra aux membres de cette communauté de rapporter des crimes qui n'auraient pas pu l'être sans cette disposition. Même si nous ne nous attendons pas à ce que le nombre de plaintes soit élevé, toute poursuite et toute peine imposée à l'égard d'un crime attribué à la façon dont une victime s'identifie à son sexe, seraient considérées comme une réussite. Nous croyons fermement que l'inclusion des crimes motivés par la haine et l'imposition de peines appropriées contribuent à réduire la victimisation. Elles permettent aux enquêteurs et aux procureurs de la Couronne de recommander des options de peines appropriées, conformément à l'article 718 du Code criminel du Canada.

Le Service de police d'Ottawa et d'autres services de police ont eu de nombreuses occasions de relever avec succès de semblables défis liés à la question du genre. À ces occasions, nous avons pu mettre à jour nos pratiques et offrir de la formation relative aux soins des prisonniers, à la fouille de prisonniers, à la réaction initiale de la police lors d'un incident et à l'information du public. Nous ne voyons aucune raison pour laquelle, si cet amendement porte fruit, la police aurait des problèmes à fournir une réponse appropriée.

En ce qui concerne l'approche communautaire, le Service de police d'Ottawa collabore depuis longtemps et étroitement avec ses diverses collectivités. En 1991, il a mis sur pied un comité de liaison pour les gais, les lesbiennes, les bisexuels et les transgenres — le comité de liaison GLBT — l'un des premiers du genre au Canada, qui est composé d'agents de police communautaire et de représentants chargés de la sécurité publique. Nous avons des liens étroits avec des membres de la communauté et des organisations qui font de l'éducation et qui appuient l'égalité par rapport à l'identité et à l'expression sexuelles. Les expériences des membres de la collectivité directement touchés par la haine fondée sur l'identité et l'expression sexuelles, et celles des membres qui travaillent avec nous nous ont amenés à appuyer ce projet de loi. D'ailleurs, notre comité de liaison GLBT a présenté une soumission pour appuyer le projet de loi C-279, lorsque ce dernier a été présenté.

Beaucoup d'entre nous ont des parents ou des collègues touchés par l'identité et l'expression sexuelles et malheureusement, la plupart du temps, ce sont des actes de discrimination ou de violence haineuse qui suscitent le débat de cet élément essentiellement caché de la vie publique. Les victimes de ces crimes ont exprimé leur frustration à l'égard du fait que le système de justice semble aveugle à ces actes prémédités et ne reconnaît pas leur vulnérabilité.

Une grande partie des pratiques policières d'aujourd'hui sont encore basées sur les principes fondamentaux énoncés par sir Robert Peel. L'un de ces principes stipule que le public est la police, et la police est le public. Pour l'un et pour l'autre, il est impératif que la peur soit réduite au minimum et que la confiance soit sans cesse renforcée pour assurer la meilleure participation possible quand on a affaire à des crimes motivés par la haine.

Il est difficile de susciter la confiance et de la maintenir lorsque des particuliers, leur famille, leurs collègues et les collectivités estiment que leurs droits sont ignorés. Cela alimente la peur et empêche les gens de rapporter des incidents, et cela érode les relations de confiance nécessaires pour continuer d'avoir des collectivités sécuritaires, saines et diversifiées. Les services de police valorisent la confiance du public, qu'ils considèrent nécessaire pour atteindre l'objectif de sécurité que vise la collectivité.

L'appui apporté à ce projet de loi assure un accès équitable à la peine. Il envoie le bon message à la société, à savoir que la haine ne sera pas tolérée, et reconnaît les aspects distincts de l'identité de genre, réduisant ainsi la confusion avec l'orientation sexuelle et d'autres facteurs similaires. Il envoie le message que la police et la collectivité peuvent continuer à s'engager, à susciter la confiance, à prévenir la haine et à traduire en justice ceux qui commettent des crimes motivés par la haine.

Enfin, notre message aux victimes est d'autant plus clair que nous pouvons leur expliquer les options de peine à l'égard de crimes commis contre eux, à titre de groupe identifiable. Nous serons ainsi en mesure de tendre la main à ces collectivités et aux victimes qui auparavant auraient eu peur de porter plainte.

Le meilleur résumé que je puisse faire de la position du Service de police d'Ottawa sur cet amendement est de citer un renvoi au Code criminel concernant l'augmentation des peines liées aux crimes motivés par la haine. Et je cite :

[...] On On peut le considérer comme une expression des valeurs sociales canadiennes de respect pour la diversité ainsi que de préservation et de promotion du multiculturalisme. C'est plus qu'une simple réaffirmation des principes de détermination de la peine existants, c'est une invitation faite au juge d'accorder un poids considérable à ce facteur aggravant.

Pour toutes ces raisons, le Service de police d'Ottawa appuie l'amendement de ce projet de loi, tel que proposé. C'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions. Merci.

Le sénateur Plett : J'ai quelques questions brèves à poser aux deux intervenants.

Le témoin qui vous a précédé, l'avocat Michael Crystal, a proposé d'enlever les définitions qui présentent pour lui un vrai problème. À ses yeux, c'est la plus grave lacune de ce projet de loi. J'aimerais donc savoir si vous appuyez un projet de loi dans sa forme actuelle, mais dans lequel on retirerait les définitions.

Mme Mendelsohn Aviv : Sans les définitions ou tel qu'il est? Je répondrai aux deux. Est-ce que cela convient?

Le sénateur Plett : D'accord.

Mme Mendelsohn Aviv : Nous n'avons pas de position à propos de la définition qui est, à mon avis, assez large. Ce n'est pas l'idéal, mais si on devait proposer un amendement à ce projet de loi et qu'il devait être renvoyé à la Chambre des communes, il serait très peu probable qu'il soit adopté pendant cette session. En d'autres termes, un amendement à ce stade équivaudrait à ce que le projet de loi ne soit pas adopté. Or, il est à mon avis tout à fait urgent qu'il le soit. Nous pouvons certainement nous accommoder de cette définition et nous l'accepterions. Donc, nous appuierions le projet dans sa forme actuelle.

Le sénateur Plett : Mais ne convenez-vous pas qu'il incombe au Sénat de s'assurer que la loi soit la plus proche possible de la perfection, même si cela prend un petit peu plus de temps?

Mme Mendelsohn Aviv : Ce projet de loi est peut-être aussi proche de la perfection qu'il peut l'être, et je pense qu'à ce stade, il incombe au Sénat de l'adopter pour que ces protections soient mises en place. Vous avez beaucoup entendu parler de la vulnérabilité des personnes transgenres, mais les chiffres sont extrêmes. Quatre-vingt-dix pour cent des jeunes subissent diverses formes de harcèlement verbal, et 25 à 37 p. 100 d'entre eux, des agressions physiques.

Le sénateur Plett : Quatre-vingt-dix pour cent des jeunes?

Mme Mendelsohn Aviv : Quatre-vingt-dix pour cent des jeunes scolarisés, d'après l'étude.

Le sénateur Plett : Comment ce projet de loi concerne-t-il 90 p. 100 des jeunes, alors que nous parlons d'une toute petite collectivité?

Mme Mendelsohn Aviv : Je vous prie de m'excuser, je parlais de 90 p. 100 des jeunes transgenres qui sont victimes de harcèlement verbal.

Le sénateur Plett : Pardonnez-moi, mais vous avez dit « jeunes ».

Mme Mendelsohn Aviv : Je suis désolée, j'étais dans un autre contexte et c'est ce que j'ai dit.

Le sénateur Plett : Je comprends, merci.

Quelle est la position du Service de police d'Ottawa à ce sujet?

M. Sweet : Je pense qu'un projet de loi sans définitions nous rendrait la tâche plus difficile. Nous aurions à consulter d'autres sources, telles que l'information dont dispose le procureur de la Couronne.

Sans vouloir être défaitiste, les définitions seraient utiles pour un enquêteur qui cherche à établir les accusations appropriées ou pour le dialogue qui est noué avec le procureur de la Couronne.

Le sénateur Plett : Je tiens à être très clair à ce sujet, et je l'ai été depuis le début, j'appuie toute forme de lutte pour combattre les crimes motivés par la haine. J'appuie les aspects du projet de loi touchant l'équité en matière d'emploi, de logement, et ainsi de suite. J'ai demandé au représentant d'Égale si les gens ont le droit de ne pas se sentir maladroits et il m'a répondu que personne n'a le droit de ne pas être mal à l'aise. Je ne suis pas d'accord avec lui, mais permettez-moi de reformuler ma question.

Tout le monde, y compris ma petite fille, ma femme et ma mère, n'a-t-il pas le droit de se sentir en sécurité partout où il va?

M. Sweet : La sécurité ne dépend évidemment pas de nous. De façon générale, tout le monde souhaite bien sûr être en sécurité partout où il va.

La définition de la sécurité a probablement changé d'une génération à l'autre et elle continue de changer. Mais pour vous donner une réponse d'ordre général, oui, tout le monde souhaite être en sécurité.

Le sénateur Plett : La communauté transgenre souhaite, surtout pour des raisons de sécurité, être autorisée à entrer dans des lieux privés réservés à l'autre sexe. Les membres de cette communauté ont été maltraités et menacés. Lorsqu'un mâle biologique, qui se sent femme, doit utiliser une salle de bains pour hommes, il se sent menacé et ne se sent pas en sécurité. Et nous disons qu'ils ont plus le droit de se sentir en sécurité qu'un enfant de cinq ans qui déclare : « Je ne veux pas entrer dans cette salle de bains avec cette personne ». Au lieu de cela, le promoteur me dit que c'est la même chose que de ne pas vouloir être dans la salle de bains avec un Asiatique ou un juif.

Je le répète, est-ce que les deux n'ont pas également droit à la sécurité?

M. Sweet : Je conviens que les deux ont également droit à la sécurité. Je pense qu'il est important de distinguer la différence entre ceux qui manifestent un comportement humain normal dans cet environnement sécuritaire et ceux qui ont des intentions criminelles. C'est là où je vois la différence dans ce que j'ai écouté ce matin. Il y a ceux — et je suis sûr qu'ils ne sont qu'une toute petite minorité — qui y verront l'occasion de commettre un acte criminel et je ne pense pas que dans ce contexte, le problème de la sécurité serait aussi difficile à résoudre.

Le sénateur Plett : Merci.

Le sénateur Mitchell : Merci à vous tous d'être venus témoigner, et de vos exposés. Je vous en sais gré.

Je me demandais, madame Mendelsohn Aviv, si vous pouviez simplement nous lire la citation que vous avez mentionnée dans l'affaire Vriend.

Mme Mendelsohn Aviv : Certainement. Le tribunal a déclaré, au sujet de la loi qui ne reconnaît pas les droits des homosexuels, ce qui constitue une forme de discrimination en fonction de l'orientation sexuelle, et je cite :

« Le refus, par la voie d'une omission du législateur, d'accorder la protection à des personnes fort susceptibles d'en avoir besoin est tout aussi grave que l'exclusion explicite. Cette exclusion, établie délibérément dans un contexte où il est évident que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle existe dans la société, transmet néanmoins un message à la fois clair et sinistre. Le fait même que l'orientation sexuelle ne soit pas un motif de distinction illicite aux termes de l'IRPA, laquelle constitue le principal énoncé de politique du gouvernement contre la discrimination, laisse certainement entendre que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle n'est pas aussi grave ou condamnable que les autres formes de discrimination. On pourrait même soutenir que cela équivaut à tolérer ou même à encourager la discrimination contre les homosexuels. En conséquence, cette exclusion a manifestement un effet qui constitue de la discrimination. »

Le sénateur Mitchell : Je veux vous dire, monsieur Sweet et monsieur Snoddy que j'ai assisté à un service commémoratif pour les transgenres qui se déroule chaque année à votre quartier général et auquel assistait également le chef de police. Je dois dire que le travail que vous faites dans ce domaine, en tant que service de police, est remarquable et votre exposé en témoigne.

Dans une certaine mesure, cela concerne les deux exposés. C'est une question d'exhibitionnisme ou d'activité criminelle. Le message puissant que vous transmettez dans votre exposé, monsieur Sweet, est que la criminalité qui vise les transgenres est si forte que cette mesure vous aiderait à la contrecarrer. En revanche, ceux qui pourraient s'en servir — bien que, comme vous l'avez mentionné, il n'y ait pratiquement pas de preuve que ce soit le cas — feraient l'objet de sanctions pénales. En plus, l'exhibitionnisme relève du Code criminel et nous n'allons pas l'empêcher en réprimant les droits d'autrui.

M. Sweet : Oui.

Le sénateur Mitchell : D'accord.

Vous voulez faire un commentaire? Allez-y.

M. Sweet : Vous l'avez parfaitement bien dit. Il y a des lois qui répriment ce type de comportement.

Franchement, nous ne connaissons pas l'ampleur du problème, parce qu'il est caché. On ne le mesure pas. Or, il faut pouvoir le mesurer. Nous serions alors en meilleure position pour offrir de la formation et mener les activités de sensibilisation nécessaires et, après toutes ces années, nous serions dans un monde meilleur.

Mme Mendelsohn Aviv : Il n'y a probablement aucune femme, ni aucune fillette, qui ne connaît pas le sentiment de vulnérabilité provoqué par le harcèlement sexuel, les agressions sexuelles, les attouchements ou une attention non désirée dans divers endroits, y compris les endroits réservés aux femmes. Cela arrive tout le temps. Et ces agressions dans des endroits divers sont une tragédie.

Je crois que le sentiment de vulnérabilité que les femmes ressentent n'est probablement rien par rapport à ce que vit la communauté transgenre, mais nous devons faire une distinction entre les craintes que ces types de protection soient exploités et les preuves que cela arrive en fait. D'après les recherches que j'ai faites, rien ne laisse entendre que l'inclusion de l'identité de genre va mener à davantage de crimes, à davantage d'exhibitionnisme et à davantage de voyeurisme. Cela fait 15 ans que l'on reconnaît l'identité de genre au Canada et s'il y avait un problème de voyeurisme, nous ferions appel à nos excellents services de police pour s'en occuper.

Le sénateur Mitchell : Vous l'avez bien dit, cela fait 15 ans que l'on reconnaît l'identité de genre. Bien sûr, ceux qui s'opposent au projet de loi diraient : « Puisque cela arrive déjà et que l'argument a été fait, pourquoi s'en soucier? » La réponse serait que si cela arrive déjà, quel mal y aurait-il à le faire? Il pourrait y avoir des avantages. Que répondriez-vous à ceux qui disent que le sexe et l'orientation sexuelle couvrent déjà le sujet et que cette mesure est donc inutile?

Mme Mendelsohn Aviv : C'est une excellente question.

Premièrement, la valeur symbolique de l'exclusion de l'un des groupes les plus marginalisés est énorme. C'est un acte de discrimination comme le dit la citation que j'ai lue dans l'affaire Vriend. Et ce n'est pas moi qui le dis, ce sont nos tribunaux.

Les militants et ceux qui font du travail policier dans la communauté LGBTA savent que cela a une énorme valeur à titre d'effet dissuasif, mais aussi d'effet éducatif par rapport au mandat des diverses institutions, commissions des droits de la personne, forces policières et tribunaux. Le contenu de nos lois est intégré dans le système éducatif et finit par imprégner toute la société.

La sénatrice Batters : Merci à tous d'être venus. Ma question s'adresse au surintendant Sweet.

Dans votre exposé d'aujourd'hui, vous avez parlé de ce qu'il conviendrait d'inclure sous la rubrique identité de genre dans la section sur les crimes haineux. J'ai déjà posé la question à un autre témoin sur le sujet, et maintenant, je vous la pose.

Les articles 2 et 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l'article 718.2 du Code criminel actuel suscitent le sexe et l'orientation sexuelle. Quant à l'article 318 du Code criminel, il cite bien l'orientation sexuelle, mais pas le sexe.

Compte tenu de cela, il y a certainement une lacune et l'inclusion de l'identité de genre à l'article 318 du Code, qui par ailleurs ne fait pas mention du sexe, pourrait avoir des conséquences inattendues. En vertu de ce projet de loi d'initiative parlementaire, le député néo-démocrate ne propose pas d'ajouter le terme « sexe » dans la section sur les crimes haineux, mais il propose d'ajouter l'« identité de genre ». Avez-vous un commentaire à ce sujet?

M. Sweet : Selon moi, la question du sexe est couverte dans certains passages d'autres lois que nous avons sur, par exemple, les agressions sexuelles. Je crois que c'est presque implicite. Je ne sais pas si cela répond à votre question de façon adéquate.

La sénatrice Batters : Alors, dans le cas des crimes haineux, le sexe serait implicite, mais pas l'identité sexuelle. C'est bien cela? Si quelqu'un agresse une femme parce qu'elle est une femme...

M. Sweet : C'est une question qui mérite d'être soulevée. Je peux faire des recherches plus approfondies à ce sujet et vous donner une réponse ultérieurement.

Je crois qu'habituellement, cet aspect sera plus axé sur les agressions sexuelles qu'il ne l'est maintenant. D'après ce que nos enquêteurs sur les crimes haineux m'ont dit hier, ce n'est pas quelque chose qui est problématique ou préoccupant pour l'instant.

La sénatrice Batters : Bien entendu, cela dépendrait du fait que ce soit effectivement considéré comme une agression sexuelle. Il peut y avoir de nombreux autres types de crimes qui ne sont pas des agressions sexuelles.

M. Sweet : C'est exact.

Le sénateur McIntyre : Dans vos commentaires préliminaires, vous avez parlé du rapport La Forest. Si je me souviens bien, ce rapport a été rédigé par un ancien juge de la Cour suprême, Gérard La Forest, et il s'intitulait La promotion de l'égalité : Une nouvelle vision. Le rapport compte quelque 165 recommandations, dont une qui stipule que l'identité sexuelle devrait être ajoutée à la liste des motifs de discrimination illicite dans la Loi sur les droits de la personne. Le rapport contient-il quelque passage que ce soit concernant l'ajout de l'identité sexuelle au Code criminel?

Mme Mendelsohn Aviv : Je vais vous le dire sans détour : je n'en sais absolument rien. Je ne peux pas répondre.

Le sénateur McIntyre : Selon les dispositions actuelles, la Commission des droits de la personne, le Tribunal des droits de la personne et les tribunaux considèrent que l'identité et l'expression sexuelles sont protégées par la Loi sur les droits de la personne. D'après ce que je comprends des exposés que vous avez faits aujourd'hui et des exposés d'autres témoins qui appuyaient le projet de loi C-279, l'ajout de l'identité sexuelle et de l'expression sexuelle à la Loi sur les droits de la personne serait un moyen de rendre la chose explicite.

En revanche, certaines personnes critiques à l'endroit du projet de loi sont venues témoigner devant notre comité et ont affirmé très clairement qu'il y a actuellement 11 motifs de discrimination illicite, dont le sexe et la déficience. Ces personnes nous ont dit que le projet de loi n'ajoutait aucun nouveau droit pour les Canadiens transgenres et qu'il se contente de leur donner une protection légale plus explicite.

Que pensez-vous du point de vue de ceux qui critiquent le projet de loi? Je connais votre position, mais j'aimerais savoir où vous vous situez par rapport à ces critiques et à ces 11 motifs de discrimination illicite.

Mme Mendelsohn Aviv : Tout d'abord, il est un peu étrange de demander à une personne de se conformer à une définition qui ne convient pas. Il est étrange et déplacé de demander à une personne qui subit de la discrimination parce qu'elle est transgenre de recourir au motif du sexe ou, pire encore, de la déficience, pour se protéger. Le fait d'être transgenre n'est pas une déficience. Et voilà pour ma première réponse.

Ma deuxième réponse fait écho à ce qui a déjà été dit. Il y a encore des incertitudes juridiques sur ce que les cours supérieures vont faire et sur la façon dont elles vont se prononcer quant à la reconnaissance effective de l'identité sexuelle en tant que motif de protection contre la discrimination, mais toujours sous les motifs « sexe » ou « déficience », ce qui, à mon avis, n'est pas la bonne approche.

Dans votre dernier point, vous avez suggéré que les personnes transgenres allaient avoir plus de droits parce qu'elles allaient être nommées en tant que groupe alors que d'autres ne le sont pas. Premièrement, il faut reconnaître que la plupart des groupes qui ont besoin de protection sont inscrits. Et deuxièmement, j'estime que les tribunaux sont des experts lorsqu'il s'agit de départager des droits contradictoires. Ce n'est pas une question strictement contextuelle. C'est mon gagne-pain; c'est ce que je fais. Il y a des exemples fascinants de causes qui se sont intéressées à ce qui arrive lorsque les droits d'une personne handicapée interfèrent avec les droits à l'égalité d'une autre. Une allergie m'empêche de m'asseoir dans la même pièce qu'une personne accompagnée d'un chien-guide, alors que fait-on? La Commission ontarienne des droits de la personne a récemment publié une politique sur les droits contradictoires. C'est une question où les cours excellent.

Il incombe aux tribunaux et aux commissions de mettre au point ces politiques et de prendre ces décisions, car chaque situation est unique. Les décisions doivent tenir compte du contexte et être prises au cas par cas. Ce qui est vrai dans telle situation ne l'est peut-être pas dans une autre, et chaque cas doit être examiné individuellement. Cela ne pourrait pas fonctionner avec les lois que nous avons, comme la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le sénateur Mitchell : Madame Mendelsohn Aviv, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le gouvernement — donnons-lui cela — a inclus « sexe » dans son projet de loi C-13 sur la cyberintimidation. Cette question est donc déjà réglée. Je crois du reste que ce projet de loi se retrouvera un jour devant notre comité.

Mme Mendelsohn Aviv : Oui. Je ne suis pas ici pour présenter une position affirmée à ce sujet, mais, de prime abord, il semble que ce soit une sage disposition. D'une façon ou d'une autre, comme vous le savez sûrement, ce projet de loi vise à protéger les droits des transgenres et à faire en sorte d'inclure l'identité sexuelle. C'est l'objet du projet de loi. Le sexe peut et devrait être ajouté, peut-être aux termes du projet de loi C-13, sinon dans le cadre d'une autre initiative, mais il s'agit de deux questions distinctes. Nous ne devrions pas retarder l'adoption de ce projet de loi à cause de dispositions promises aux termes de cet autre projet de loi dont l'adoption n'est pas assurée.

Le sénateur Mitchell : Merci.

Le président : Voilà qui met fin à notre séance. Nous vous remercions d'avoir été là aujourd'hui. Votre témoignage nous aidera dans nos délibérations.

Je rappelle aux membres du comité que notre prochaine réunion aura lieu le 22 octobre. L'ordre du jour n'est pas encore arrêté, mais nous vous tiendrons au courant aussitôt que possible.

(La séance est levée.)


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