Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 21 - Témoignages du 20 novembre 2014
OTTAWA, le jeudi 20 novembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, aux invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour poursuivre notre étude du projet de loi C-13 Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle. Je rappelle à nos téléspectateurs que les audiences du comité sont ouvertes au public et qu'elles sont aussi diffusées sur le site web parl.gc.ca. Vous trouverez de plus amples renseignements sur le calendrier de comparution des témoins sur le même site web, sous la rubrique « Comités du Sénat ».
Nous accueillons Tony Paisana, membre de l'exécutif, Section du droit pénal, de l'Association du Barreau canadien. Il comparaît par vidéoconférence de Vancouver, en Colombie-Britannique. Bonjour, monsieur. Avez-vous une déclaration préliminaire?
Tony Paisana, membre de l'exécutif, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Oui, j'en ai une. Merci d'avoir invité l'Association du Barreau canadien à présenter ses points de vue sur le projet de loi C-13. L'ABC est une association nationale réunissant plus de 37 500 avocats, étudiants, notaires et universitaires. Un des aspects importants de notre mandat consiste à trouver des façons d'améliorer la loi et l'administration de la justice. C'est cet aspect de notre mandat qui nous amène ici aujourd'hui.
Notre mémoire sur le projet de loi C-13 est le fruit d'un effort conjoint mené par la Section nationale du droit pénal, avec des commentaires de la Section nationale du droit à la vie privée, de la Section nationale du droit à la concurrence et du Comité du droit des enfants.
Je suis un membre de l'exécutif de la Section nationale du droit pénal, qui représente autant des avocats de la Couronne que des avocats de la défense de partout au pays. Personnellement, j'ai principalement œuvré à titre d'avocat criminaliste, à Vancouver, mais, de temps à autre, j'ai aussi occupé le poste de procureur de la Couronne.
Nous avons préparé un mémoire de 25 pages qui résume nos points de vue sur les deux principaux aspects du projet de loi C-13, soit, d'un côté, l'infraction de cyberintimidation, et de l'autre, les dispositions sur l'accès légal.
Notre mémoire compte 19 recommandations. Dans ma brève déclaration préliminaire, je ne pourrai pas revenir sur l'ensemble de ces recommandations, mais elles sont expliquées dans le mémoire, où vous pourrez les consulter et les examiner.
Je veux me concentrer sur deux thèmes généraux importants dans notre mémoire. Le premier, c'est que nous suggérons de préciser l'infraction de cyberintimidation, l'article 162.1, afin qu'il englobe seulement les cas de cyberintimidation vraiment intentionnels, puisque ce semble être l'intention du Parlement. Deuxièmement, nous formulons des suggestions pour améliorer les dispositions sur l'accès légal afin de garantir le plus possible la protection des renseignements personnels tout en permettant la tenue d'enquêtes efficaces et rapides en cas de crime.
Je vais commencer par l'infraction de cyberintimidation proposée. L'ABC salue et appuie l'inclusion de cette infraction dans le Code criminel. Cet article criminalise directement un comportement néfaste qui, autrement, était difficile à cibler avec les anciennes dispositions périmées.
Cet article offre aussi une solution de rechange prudente aux infractions de pornographie infantile, qui étaient parfois utilisées dans des dossiers de cyberintimidation, mais qui, selon nous, étaient, dans certains cas, disproportionnées.
L'ABC suggère deux légères modifications qu'elle juge tout de même importantes à l'article, afin de s'assurer qu'il englobe les comportements que nous associons habituellement à la cyberintimidation, et non la distribution par inadvertance d'images intimes sans l'intention criminelle que nous n'y associons habituellement pas.
Cette infraction a été présentée par le ministre de la Justice dans un effort pour « mettre fin au harcèlement et à l'exploitation nuisibles en ligne ». Le ministre a utilisé précisément le terme « cyberintimidation », même si ce terme ne figure pas dans le libellé dans l'infraction. La notion de « cyberintimidation » a une signification précise. Pour formuler l'infraction de cyberintimidation, le gouvernement s'est beaucoup appuyé sur le rapport du Groupe de travail sur la cybercriminalité du CCHF, qui définit la cyberintimidation comme suit : « l'utilisation des technologies de l'information et des communications qui facilitent le comportement délibéré, hostile et souvent répété d'une personne ou d'un groupe dans l'intention de faire du mal à d'autres. »
Dans notre mémoire, nous soulignons que cette définition fait directement référence à un comportement délibéré et intentionnel, ou ce qu'on appelle parfois une intention particulière. Cependant, deux aspects du libellé de l'infraction de cyberintimidation semblent criminaliser un comportement qui n'est peut-être pas associé à cette intention particulière.
Premièrement, le libellé de l'article est général et il englobe ainsi tout partage d'images sans consentement sans mention de l'objectif de la distribution. On peut concevoir que ce libellé général est susceptible d'englober des comportements qui n'ont rien à voir avec le comportement délibéré et préjudiciable que nous associons à la cyberintimidation. Nous avons fourni un exemple de ce problème, appliqué à une situation hypothétique, à la page 5 de notre mémoire.
Pour corriger ce problème, nous recommandons d'inclure une intention particulière dans le libellé de l'infraction. Nous avons suggéré d'ajouter le libellé suivant à l'article : « avec l'intention de contrarier, d'embarrasser, d'intimider ou de harceler cette personne ».
La deuxième modification que nous suggérons est d'éliminer la norme d'insouciance de l'intention coupable, ou de l'élément psychologique de l'infraction. Compte tenu de la réalité d'Internet, il y a potentiellement tout un spectre de culpabilité morale liée à la distribution d'images intimes. La cyberintimidation véritable est commise par ceux qui connaissent directement la source d'une image et la distribuent de façon malveillante. En incluant la norme d'insouciance, l'article criminalise des personnes qui, peut-être, connaissent peu ou pas l'origine d'une image, qui elle représente et, ce qui est peut-être encore plus important, l'intention visée au moment de sa distribution initiale.
Selon nous, le droit pénal est un outil grossier qui peut avoir des répercussions permanentes sur les personnes qui ont des démêlés avec le système. Il faut seulement y avoir recours lorsqu'il est absolument nécessaire de le faire et conformément aux objectifs énoncés de chaque loi. Dans ce cas, le Parlement a produit le projet de loi pour lutter contre des comportements de harcèlement et d'exploitation ayant une intention particulière. La norme d'insouciance élargit la portée de cette disposition au-delà de l'intention initiale, et peut soulever des préoccupations constitutionnelles liées à sa trop grande portée à cet égard.
En ce qui concerne le thème de l'accès légal dans le projet de loi, à la page 13 du mémoire, nous avons formulé une série de recommandations relativement à cet aspect du projet de loi.
En ce qui concerne l'ordre de préservation, à l'article 487.012, nous formulons quatre recommandations précises. La première, c'est qu'il faut uniquement conférer le pouvoir de donner un ordre de préservation à un agent dans les cas d'urgence où il y a des raisons de croire que les données en question pourraient être perdues. Deuxièmement, nous recommandons de raccourcir la période de préservation — qui est actuellement de 21 jours — pour qu'elle corresponde davantage à la nature urgente de ces demandes. Troisièmement, nous recommandons l'élimination des conditions imposées par les agents dans le cadre de ces demandes parce qu'elles font l'objet d'aucune surveillance judiciaire, mais peuvent tout de même entraîner des sanctions pénales. Quatrièmement, nous recommandons que ce pouvoir, ainsi que le pouvoir relatif aux ordonnances de préservation de l'article 487.013, soient limités aux enquêtes relativement à la perpétration d'une infraction criminelle à une loi fédérale ou à la perpétration d'une infraction criminelle à la loi d'un État étranger qui constituerait également un crime au Canada.
Enfin, en ce qui concerne les ordonnances de communication aux termes de l'article 487.016 — qui porte sur les données de transmission —, nous recommandons d'accroître la norme, pour qu'elle passe de « motifs raisonnables de soupçonner » à des « motifs raisonnables de croire ». Nous formulons la même recommandation en ce qui concerne les mandats pour les enregistreurs de données de transmission, à l'article 492.2.
Selon nous, cette position tient compte de la nature délicate des données de transmission et des récentes décisions de la Cour suprême du Canada au sujet de la protection de la confidentialité et de l'anonymat à l'ère moderne. Merci.
Le président : Nous allons passer aux questions, et commencer par le vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je remercie le témoin de son exposé. Je suis heureux que vous ayez fait la lumière sur la question de savoir si vous représentez les avocats de la Couronne ou de la défense. J'ai constaté dans la jurisprudence que, de temps à autre, vous avez assumé les deux rôles. Vous passez d'un rôle à l'autre, alors vous avez vu ce qui se passe des deux côtés.
Nous avons entendu beaucoup de témoins du milieu juridique qui remettent en question les motifs, tout comme vous, du soupçon raisonnable. Je sais que vous avez plaidé au sujet de la signification de soupçons raisonnables. Pour appuyer votre argument, vous avez utilisé l'arrêt Mann, de la Cour suprême du Canada, dans lequel la cour a affirmé qu'un soupçon raisonnable compte non seulement un élément subjectif, mais aussi un élément objectif.
Dans la loi actuelle, on s'appuie sur un soupçon raisonnable pour présenter une ordonnance de communication d'états financiers aux termes du Code criminel, pour les ordonnances de communication aux termes du Code criminel actuel. Puisque ce motif compte un élément objectif et un élément subjectif — en d'autres mots, il ne faut pas seulement soupçonner, il faut avoir des motifs raisonnables de soupçonner, les deux éléments —, pourquoi quelqu'un dirait-il que c'est insuffisant pour justifier les mandats qui sont accordés aux termes de cette loi?
M. Paisana : Merci de poser la question, sénateur.
Nous affirmons respectueusement qu'il y a une assez grande différence entre les deux. Dans son arrêt Chehil, de 2013, la Cour suprême du Canada a fourni des directives utiles pour différencier les deux. Dit simplement, c'est la différence entre une possibilité raisonnable d'un côté, et une probabilité raisonnable de l'autre. Le soupçon raisonnable se situe entre une simple intuition et des motifs raisonnables de croire.
En raison de ce seuil plus bas, la Cour suprême du Canada a reconnu explicitement dans l'arrêt Chehil qu'on arrêtera des personnes innocentes parce qu'on utilise ce critère plus général, du fait qu'il regroupe des comportements qu'on peut associer à un large éventail de personnes. L'exemple donné dans ce dossier, c'est lorsqu'on va à l'aéroport et qu'on nous pose des questions au sujet de nos bagages et qu'on semble nerveux, comparativement à une situation où l'on constate clairement que les bagages sentent la marijuana. Ces deux scénarios reflètent des applications très différentes des motifs raisonnables, l'un exigeant une fouille beaucoup plus limitée, et l'autre, beaucoup plus intrusive.
Dans le contexte de la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité, nous estimons qu'il faudrait appliquer une norme plus élevée relativement aux éléments d'information pouvant révéler des renseignements au sujet d'une personne, des renseignements biographiques d'ordre personnel, comme on les appelle parfois.
Le sénateur Baker : Le temps passe, alors j'ai une dernière question pour vous. La plupart des témoins que nous avons rencontrés ont mentionné la décision Spencer, qui, en passant, est tombée après que la Chambre des communes avait étudié le projet de loi en comité. C'était en juin, cette année. Cependant, la Cour suprême du Canada ne s'est pas attardée à la question du soupçon raisonnable. Elle portait sur une demande écrite de la police aux termes de la LPRPDE, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Alors, je me demande si, selon vous, il est raisonnable pour une personne de dire que les dispositions de l'arrêt Spencer s'appliquent aux dispositions qui sont à l'étude dans le projet de loi, alors que la Cour suprême du Canada n'a absolument rien dit sur la définition de « soupçon raisonnable » en ce qui concerne les mandats, l'application judiciaire de la loi?
M. Paisana : Oui. En outre, je tiens à préciser que j'ai parlé de l'arrêt Chehil tantôt, et non de l'arrêt Spencer.
Le sénateur Baker : C'est le cas du chien détecteur.
M. Paisana : Oui. Pour ce qui est de l'arrêt Spencer, il y a quelques choses très importantes qui découlent de ce dossier et qui ont une certaine répercussion sur le projet de loi. Pour la première fois, la Cour suprême du Canada a reconnu explicitement que l'anonymat est un aspect important de la vie privée. Le projet de loi en tient compte à certains égards. Ce que la cour a aussi dit, et c'est important en ce qui concerne le projet de loi, c'est que les renseignements qui ont tendance à révéler — c'est le mot qui est utilisé — l'utilisation que fait une personne d'Internet met en jeu d'importants droits en matière de vie privée, à l'extrémité supérieure de l'échelle. Par conséquent, lorsqu'on tient compte de ce que la cour a dit au sujet des renseignements, qui ont tendance à révéler l'utilisation d'Internet, et que vous associez cette position à ce qu'elle a dit dans l'arrêt Chehil au sujet de la différence de norme, et pourquoi nous devrions établir la norme des « motifs raisonnables de croire », cette dernière est plus appropriée pour les mandats et les ordonnances de communication touchant les données de transmission.
Le sénateur McInnis : Malheureusement, je n'étais pas ici hier lorsque nous avons accueilli la Criminal Lawyers' Association. J'aurais bien aimé y être. La personne qui m'accompagnait n'aime pas prendre l'avion.
Quoi qu'il en soit, votre association a dit que le projet de loi C-13 sacrifie la vie privée sur l'autel des pouvoirs accrus de la police et de normes plus libérales en matière de divulgation.
Cependant, les Canadiens ont dit clairement au gouvernement du Canada qu'ils veulent qu'on élimine tout le mal qui est infligé aux Canadiens par le truchement de la cyberintimidation, et particulièrement les jeunes. Ils veulent qu'on règle ce dossier.
Je vais lire votre mémoire, en tant que parrain du projet de loi, comme tous les membres du comité le feront, pour reconnaître les détails techniques, mais le gouvernement a produit ce projet de loi, dans un premier temps, grâce au long travail d'un groupe réunissant les ministres de la Justice fédéral, provinciaux et territoriaux, qui a présenté le rapport. C'est intéressant. Vous êtes un procureur de la Couronne et un avocat criminaliste. Nous avons fait analyser le projet de loi par de tels avocats qui pratiquent partout au pays. Des procureurs du gouvernement, rôle que vous avez affirmé avoir joué à temps partiel, sont venus nous voir pour nous dire qu'ils étaient d'accord avec le projet de loi. C'est aussi le cas de l'Association canadienne des chefs de police, qui représente 90 p. 100 des policiers du pays et qui emploie des avocats, la GRC, la Police provinciale de l'Ontario, des groupes d'intérêt et des Canadiens qui veulent que nous réglions ce problème.
Selon moi, ils sont tous d'accord, et les membres du comité pourront en juger par eux-mêmes en lisant les mémoires qui ont été présentés. Le projet de loi permet aux organisations d'application de la loi de commencer une enquête afin qu'elles puissent y aller une étape à la fois. Pour y arriver, le seuil a été réduit aux soupçons.
Des experts nous ont dit que, si on ne leur donne pas, au départ, l'occasion d'utiliser le seuil des soupçons, il n'y aura probablement pas d'enquête parce qu'ils n'auront pas suffisamment d'éléments de preuve pour respecter le critère des motifs raisonnables.
Toutes ces ordonnances qui sont données à la police sont examinées de près par l'appareil judiciaire. En quoi sacrifie-t-on la vie privée sur l'autel de pouvoirs accrus pour la police, alors qu'il s'agit d'un processus progressif faisant l'objet d'une supervision judiciaire? Comment votre association peut-elle formuler un tel commentaire?
M. Paisana : Je tiens à préciser ce que nous avons vraiment dit dans notre présentation. Notre présentation est exhaustive, et, de façon générale, nous appuyons le projet de loi. Nous avons formulé certaines recommandations précises au sujet des données de transmission et de ce dont vous avez parlé concernant les motifs raisonnables de soupçonner les motifs raisonnables de croire.
Vous constaterez aussi que nous acceptons et appuyons totalement l'infraction de cyberintimidation. Il est important pour moi que vous compreniez bien notre position.
En ce qui concerne la capacité des services de police d'enquêter et relativement à notre observation qui est liée aux deux domaines où, selon nous, il faudrait appliquer un seuil plus élevé, nous ne croyons pas que cela nuira à la gestion des types d'infractions dont nous parlons.
Vous avez tout à fait raison : le gouvernement devait réagir aux cas tragiques dont on a entendu parler, et il l'a fait. De façon générale, nous appuyons ce qui a été fait, mais réfléchissons concrètement à ce que ces cas nous révèlent : un plaignant dit à la police que quelqu'un partage une image intime de lui sans son consentement. À l'heure actuelle, aux termes du présent projet de loi, grâce à l'inclusion de la nouvelle infraction de cyberintimidation, on aura là des motifs raisonnables clairs de croire qu'une infraction a été commise. Il n'est pas nécessaire d'appliquer la norme du soupçon raisonnable. Un plaignant est là. Il peut identifier une image et il affirme qu'il n'a pas consenti à son partage. Cela respecte sans problème les critères liés au seuil plus élevé. Il ne s'agit pas d'un seuil insurmontable.
La différence, c'est lorsque la situation est telle qu'on ne bénéficie pas d'une preuve manifeste. Lorsqu'on n'a qu'un simple soupçon et qu'on respecte à peine le seuil du soupçon raisonnable. Lorsqu'il est question de renseignements de nature délicate comme l'historique de navigation, les sites consultés par une personne, la fréquence à laquelle elle les consulte, on peut en apprendre beaucoup ainsi au sujet d'une personne, et nous faisons valoir que, pour cette raison, on devrait utiliser une norme plus élevée en ce qui concerne les données de transmission.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Paisana, de votre exposé. Je souligne que l'Association du Barreau canadien a formulé plusieurs recommandations dont je ne parlerai pas parce que je veux vous parler d'autre chose.
Dans l'arrêt Spencer, la cour a aussi souligné qu'on pourrait tout de même fournir une aide volontaire dans des circonstances contraignantes, dans des cas où une loi qui n'a rien d'abusif le permet ou lorsqu'il n'y a pas d'attentes raisonnables en matière de protection de la vie privée, ce qui n'était pas le cas dans le dossier de M. Spencer, qui exigent l'application de l'article 487.0195, lequel, comme nous le savons, remplacera l'article 487.014, qui porte sur l'immunité. Ma question est la suivante : selon vous, le projet de loi règle-t-il la question des circonstances contraignantes soulevée par la cour dans l'arrêt Spencer?
M. Paisana : Selon moi, ce que l'arrêt Spencer précise, c'est que, lorsqu'il y a des circonstances contraignantes — ce que la cour définit comme étant un préjudice imminent —, les services de police peuvent demander des renseignements non visés par la loi. C'est ce que j'ai compris de sa position à ce sujet.
En ce qui concerne l'immunité, l'arrêt ne modifie en rien l'idée selon laquelle une personne ne peut pas contester l'admissibilité d'un élément de preuve et n'a pas le pouvoir de le faire lorsqu'elle n'a aucune attente raisonnable en matière de protection de la vie privée. Il s'agit littéralement du premier critère qu'une personne doit respecter avant de pouvoir contester quoi que ce soit aux termes de l'article 8 de la Charte. Elle doit premièrement établir qu'elle avait effectivement une attente raisonnable en matière de protection de la vie privée à l'égard des dossiers qu'on tente d'admettre en preuve.
Le sénateur McIntyre : C'est exact. En d'autres mots, la jurisprudence de common law n'était pas suffisante pour constituer une autorité légitime, et, par conséquent, il faut un mandat ou une situation où il y a des circonstances contraignantes.
M. Paisana : C'est exact.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Dans votre mémoire, vous dites qu'il serait préférable de faire de la prévention, de la sensibilisation et de l'éducation auprès des adolescents. On ne peut pas être contre cela.
D'un autre côté, ne pensez-vous pas que, mis à part l'éducation et la prévention, en fin de compte, il faille une sanction qui aurait un effet dissuasif?
[Traduction]
M. Paisana : Oui, et nous ne contestons pas la capacité ou le droit du gouvernement de criminaliser des jeunes lorsqu'il est approprié de le faire. Notre position est nuancée parce que nous reconnaissons que, dans certaines situations extrêmes, il faut imposer des sanctions pénales. Cependant, nous soulignons aussi dans notre présentation que le droit pénal n'est pas la réponse à tous les maux de la société, surtout pas à un enjeu aussi complexe que la cyberintimidation chez les jeunes.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup d'être là aujourd'hui. Je sais qu'un représentant de l'ABC a témoigné devant un comité de la Chambre des communes au printemps dernier, mais ce n'était pas vous. C'était l'un de vos collègues, n'est-ce pas?
M. Paisana : Oui.
La sénatrice Batters : Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire le témoignage des audiences devant le comité de la Chambre des communes sur le projet de loi, mais je tiens à souligner que le comité s'est penché sur cette question pendant environ 10 jours, qu'il a entendu plus de 40 témoins, et qu'il y a eu une longue discussion sur la disposition touchant les pouvoirs d'enquête du projet de loi. Je constate que la première recommandation formulée aujourd'hui par l'ABC, dans son mémoire, est la division du projet de loi C-13 en deux projets de loi distincts, ce que d'autres témoins du milieu juridique nous ont aussi recommandé. Sur cet enjeu, les témoins sont partagés, mais je ne sais pas vraiment ce que donnerait une nouvelle étude distincte. Certains semblent tout de même proposer cette solution : séparer le projet de loi et l'étudier à nouveau. Le comité de la Chambre des communes et le comité du Sénat ont déjà rencontré un certain nombre de témoins. Vous avez peut-être entendu les commentaires de M. Canning. Il a dit que nous avons besoin de ce projet de loi et que les policiers ont besoin des outils prévus pour prévenir une autre tragédie comme celle dont a été victime sa fille, Rehtaeh Parsons.
Nous avons récemment accueilli M. Alan Hubley, juste avant la semaine de relâche durant laquelle nous retournons dans notre circonscription. Il est le père de Jamie Hubley, qui a été victime de cyberintimidation, ici même, à Ottawa, et qui s'est malheureusement enlevé la vie. Voici ce que M. Hubley avait à dire :
À mon avis, le projet de loi C-13 vise à réduire la cyberintimidation et à aider la police à réunir les preuves permettant de punir ceux qui s'attaquent à nos magnifiques enfants. Nos enfants ont besoin que vous utilisiez votre pouvoir de parlementaire pour les protéger. [...] assurez-vous que le changement est synonyme de progrès en adoptant ce projet de loi et en donnant aux forces de l'ordre les outils nécessaires.
Je me demande si vous avez quelque chose à nous dire à ce sujet ou si vous croyez toujours qu'il faut retarder le processus, séparer le projet de loi et recommencer l'étude.
M. Paisana : Personne ne minimise les tragédies dont ont été victimes certains Canadiens, en raison de la cyberintimidation, et personne non plus ne laisse entendre qu'il est approprié de retarder le processus. Nous disons seulement qu'il faut tenir compte du niveau de gravité de chaque aspect du projet de loi. En effet, ils sont très différents les uns des autres, parce que l'un concerne les règles de fond du droit pénal et d'une infraction criminelle, et l'autre porte sur l'accès légitime. En outre, il y a aussi des dispositions dans le projet de loi qui ne semblent aucunement liées à deux thèmes, comme la criminalisation de la création et de la vente de dispositifs associés au vol de signal de télévision et d'autres choses du genre.
Nous avons toujours affirmé que, lorsque nous traitons d'enjeux complexes, comme l'accès légal, et les nouveaux enjeux, comme ceux liés à Internet, il est préférable de procéder à un examen et à une étude distincts afin de pouvoir très bien comprendre leur impact, parce que la cour a dit dans des arrêts comme Tessling que les lois promulguées seront appliquées à l'avenir dans le cas de formes de technologies que nous ne pouvons tout simplement même pas concevoir actuellement. Il faut bien réfléchir à chaque aspect du projet de loi, mais, bien sûr, personne ne laisse entendre qu'il doit y avoir des retards. Personne ne laisse croire non plus que ces personnes et les Canadiens ne doivent pas être protégés. En fait, l'Association du Barreau canadien appuie fortement ces aspects du projet de loi.
Le président : J'ai une ou deux questions rapides pour vous au sujet de la norme d'insouciance et de son retrait de l'intention coupable.
Je crois comprendre que vous parlez des personnes qui pourraient être visées par la disposition sans pour autant avoir conscience des circonstances ni de la façon de déterminer si la personne représentée a donné son consentement. Si je vous comprends bien, vous suggérez que ces personnes devraient être jugées blanches comme neige si elles distribuent ce genre d'images. Selon moi, leur enlever toute responsabilité réduira grandement l'efficacité de l'article.
Les tribunaux ne devraient-ils pas pouvoir décider que la personne à l'origine du partage devrait assumer une plus grande responsabilité que ceux qui ont partagé le contenu par la suite?
Je suis préoccupé par l'impact que ce retrait pourrait avoir sur l'efficacité du projet de loi.
M. Paisana : J'ai deux choses à dire en réponse à ce que vous venez de dire. Premièrement, l'objectif explicite du projet de loi, tel que nous l'avons compris, est de lutter contre la cyberintimidation, comportement qui est associé à une intention bien précise. Nous sommes d'avis que, en adoptant la norme d'insouciance, on englobe des personnes qui n'étaient pas visées par l'objectif initial. On vise des personnes qui, compte tenu des circonstances, n'avaient pas l'intention en question, et nous avons fourni un exemple concret de la façon dont cela pourrait se produire.
Deuxièmement, j'aimerais rappeler que le droit pénal n'est pas l'unique réponse possible. Il y a des lois provinciales qui traitent de situations où quelqu'un a violé l'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée d'une autre. Je sais que la Colombie-Britannique possède ce genre de lois. Il y a des recours civils et des règlements municipaux. Il y a d'autres solutions à part le droit criminel, que beaucoup considèrent comme un outil grossier. Tout cela peut avoir d'importantes répercussions.
Le président : J'imagine que la préoccupation, c'est que la distribution des images s'aggrave lorsqu'une nouvelle personne les obtient et les redistribue à je ne sais combien d'autres personnes. Selon moi, votre suggestion minerait notre capacité de gérer de telles situations.
Le sénateur Baker : Merci de votre exposé et de l'excellent travail que vous faites dans le milieu juridique de la Colombie-Britannique. Nous l'apprécions tous.
Permettez-moi de vous poser la question suivante : vous avez plaidé des affaires liées au transport de drogues et ce genre de choses. Vous avez présenté un très bon argument à un tribunal quant à la norme des soupçons raisonnables requis pour détenir des gens aux fins d'enquête. Je parle, si vous vous en souvenez, du dossier du camion dans le cadre duquel vous aviez vraiment fait du bon travail.
Voici donc ma question : au paragraphe 47 de l'arrêt Spencer, la Cour suprême du Canada a comparé cette situation précise à celle d'une fouille réalisée par un chien renifleur. La similitude tient au fait que l'utilisation d'un chien renifleur est aussi assimilable à une fouille, selon l'arrêt Brown.
Afin de justifier la fouille d'un bagage, d'un véhicule ou de quoi que ce soit d'autre à l'aide d'un chien renifleur — et les chiens ne se trompent jamais, si je ne m'abuse —, il faut avoir un soupçon raisonnable. C'est la norme. Mais, ici, vous nous dites, comme beaucoup d'autres témoins... Je ne suis pas en désaccord avec vous, je veux simplement que vous répondiez à la question suivante : pourquoi un soupçon raisonnable n'est-il pas suffisant dans le projet de loi alors qu'il l'est pour d'autres fouilles réalisées dans notre société aux termes du Code criminel et de la jurisprudence établie? Vous avez cité un arrêt de la Cour suprême du Canada de 2013 qui portait sur la question du soupçon raisonnable et du recours à un chien renifleur. Pourquoi, alors, dites-vous maintenant que cette norme n'est pas justifiée aux termes du projet de loi, alors que, dans l'arrêt Spencer, la cour a admis les résultats de la fouille? Des droits constitutionnels ont été violés, mais les éléments de preuve ont été acceptés. Pourquoi? La Cour suprême du Canada a dit que c'était parce que c'était important pour notre société. Notre société demande justice ici.
Alors pourquoi faites-vous une distinction aussi claire en ce qui concerne le contenu du présent projet de loi?
M. Paisana : La réponse réside dans la nature des données de transmission. Soyons clairs, nous ne contestons pas le recours à la norme du soupçon raisonnable dans le projet de loi et dans d'autres articles. Par exemple, nous reconnaissons que la norme des motifs raisonnables de soupçonner est appropriée dans le cas des demandes de préservation.
Ce que nous disons, c'est que, lorsqu'il est question des données de transmission, en raison de la nature de ces données, qui peuvent en dire beaucoup au sujet d'une personne — et qui sait à quel point nous pourrons en apprendre au sujet d'une personne grâce à ces données à l'avenir en raison des percées technologiques —, il faudrait imposer une norme plus élevée, parce que ces renseignements en disent long sur les gens. Dans l'arrêt Spencer, la cour parle des renseignements relatifs aux abonnés : il ne s'agit pas que d'un nom, d'une adresse et d'un numéro de téléphone, c'est plus que ça. Ces renseignements sont la clé qui donne accès à l'historique de navigation, qui lui, fournit des détails intimes sur la vie de M. Spencer.
C'est pour cette raison que, selon la cour, il s'agissait d'une atteinte grave. La cour a considéré que cela mettait en jeu un droit en matière de vie privée beaucoup plus important parce que l'information révélait beaucoup de choses au sujet de cette personne, contrairement à l'odeur d'une valise, qui, vous comprenez bien, en dit beaucoup moins au sujet d'une personne.
Le sénateur Baker : C'est tout de même une fouille.
M. Paisana : C'est tout de même une fouille, mais il s'agit d'une fouille qui peut être réalisée à un niveau inférieur parce qu'on reconnaît qu'elle met en jeu un droit en matière de vie privée différent, et c'est ce dont la cour a parlé dans les arrêts Chehil et Spencer : quelle est la nature du droit en matière de vie privée? C'est une chose de dire que l'air près d'une valise a telle ou telle caractéristique, mais révéler l'historique de navigation sur Internet d'une personne et l'associer à une personne précise est une tout autre histoire, selon nous.
Le sénateur Baker : L'arrêt Spencer a été rendu après les audiences de la Chambre des communes. C'était tout juste après, parce que les audiences se sont terminées le 12 juin, et que votre association a témoigné au début de juin. La Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'arrêt Spencer le 14 juin. J'imagine que vous dites que la situation a changé en raison de l'arrêt Spencer. Merci.
Le sénateur McInnis : J'aimerais dire une chose : un des enjeux dont nous devons toujours tenir compte, ici, c'est de trouver le juste équilibre entre la vie privée et la protection et la sécurité des Canadiens. J'ai l'impression, après avoir fait pas mal de recherche à ce sujet, que le mot « confiance » est à l'avant-plan. C'est très important. Lorsque nous avons accueilli des représentants de la loi, ils ont dit que tous les renseignements qu'ils obtiennent font l'objet d'un contrôle strict et seront uniquement consultés par des représentants de l'application de la loi qui ont reçu toute la formation nécessaire sur les procédures et dont le comportement ferait l'objet de vérifications et de rapports.
Selon moi, les parlementaires — et nous sommes actuellement au Sénat — qui se penchent sur cette question doivent tenir compte du fait que nous sommes extrêmement préoccupés par ce qui se passe, les jeunes qui se suicident, ces histoires horribles, et, malgré tout, nous aussi voulons protéger la vie privée. Vous n'avez qu'à regarder tout ce qui a été fait, de la Charte des droits à la Loi sur la protection des renseignements personnels en passant par la Loi fédérale sur la responsabilité. Tous ces types de lois ont été mis en place au pays. Quel est le problème?
Je ne vous demande pas si votre association fait confiance aux organismes d'application de la loi. Je sais que vous leur faites confiance. Mais il semble évident pour moi que, lorsque nous prenons des décisions comme celle-ci, il faut le faire de la façon la plus équitable en donnant aux représentants de l'application de la loi les outils dont ils ont besoin pour bien protéger les Canadiens.
M. Paisana : Personne n'en veut à la capacité du gouvernement de fournir aux agents de police les outils dont ils ont besoin pour enquêter lorsqu'il y a des crimes, mais lorsque nous disons des choses comme : « Faites simplement confiance à la police », c'est une pente glissante contre laquelle nous devons toujours nous protéger.
En tant qu'avocats et législateurs, nous devons faire attention de ne pas prendre l'habitude de tout simplement nous fier à la police pour qu'elle fasse bien les choses. Nous savons qu'elle fera la bonne chose la plupart du temps. Mais c'est la raison pour laquelle nous avons besoin d'une surveillance judiciaire. Nous sommes dans une démocratie qui s'appuie sur cet aspect du système judiciaire pour s'assurer qu'on respecte le plus possible l'article 8 tout en permettant la tenue d'enquête sur les crimes.
Le sénateur McInnis : Avec tout le respect que je vous dois, je ne me demande pas si votre association ou quiconque fait confiance à la police. Je crois que nous lui faisons tous confiance. Les Canadiens admirent les forces de l'ordre. Ce que nous disons, j'imagine, c'est qu'on nous demande de protéger les Canadiens, et nous utilisons les meilleurs outils que nous pouvons, et c'est exactement ce que l'on fait avec ce projet de loi.
Dans ma carrière, j'ai vu des projets de loi entrer en vigueur en trois à six mois. Ce projet de loi est en cours d'élaboration depuis des années, et je crois que les Canadiens veulent que nous passions à l'action, pas de façon téméraire, mais avec sincérité, efficacité et efficience, et tout en assurant la protection des renseignements personnels.
M. Paisana : D'après moi, les Canadiens veulent que nous trouvions le juste équilibre et que nous le fassions de façon appropriée. Comme nous l'avons vu dans les versions précédentes du projet de loi, que nous avons toujours eu l'occasion de commenter, ce dont nous sommes reconnaissants... Nous avons contesté les versions précédentes qui, selon nous, allaient trop loi. Nous affirmons que ces changements sont appropriés.
C'est la raison pour laquelle les recommandations que nous formulons cette fois-ci sont beaucoup plus modérées que celles que nous avions formulées dans le passé parce que, franchement, le gouvernement a fait la bonne chose et a écouté bon nombre des témoins qui sont venus lui formuler leurs préoccupations au sujet des domaines où les versions précédentes allaient trop loin. Nous vous demandons simplement de tenir compte de façon semblable de nos recommandations relativement à des aspects très pointus de la plus récente version. Comme vous pouvez le voir dans notre mémoire de 25 pages, nous n'avons aucun problème avec la majeure partie du projet de loi.
Le sénateur McIntyre : J'examine la recommandation nº 3 et je constate que vous demandez la modification de l'article 162.1 qui porte que :
Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction en vertu du présent article si la distribution, la transmission, la vente, le fait de rendre accessible ou la publicité qui constitue l'objet de l'accusation est destiné à l'information du public ou constitue une question d'intérêt public.
Je me demande ce que vous voulez dire par « une question d'intérêt public », parce que, comme vous le savez, le projet de loi C-13 prévoit un moyen de défense lié au bien public. Ce moyen de défense est bien établi dans le droit canadien, et il figure dans certains articles du Code criminel, y compris ceux sur le voyeurisme et les infractions liées à l'obscénité. Pouvez-vous nous parler de cet aspect?
M. Paisana : Oui. Cet aspect du projet de loi a été demandé par notre Section nationale du droit à la vie privée et de l'accès à l'information. Si j'ai bien compris, la recommandation visait simplement une amélioration du moyen de défense lié au bien public afin de dire explicitement qu'on parle de renseignement qui est destiné à l'information du public ou qui constitue une question d'intérêt public. Je ne crois pas qu'il y a là de contradictions. Je crois que si on tente davantage d'améliorer le libellé, ce n'est pas que nous n'avons pas reconnu qu'une telle défense était déjà prévue.
Nous reconnaissons qu'il est possible que des aspects liés à l'intérêt public ou à l'information du public que nous recommandons pourraient, en fait, être inclus dans la défense du bien public en ce qui concerne l'interprétation de ce moyen de défense par les tribunaux.
Le président : Encore merci, monsieur, de votre participation, de votre témoignage et du bon travail qu'a fait l'ABC dans son évaluation du projet de loi. Nous l'apprécions beaucoup.
Nous passons à notre prochain groupe de témoins. Nous accueillons Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada; Patricia Kosseim, avocate générale principale et directrice générale; et Daniel Caron, conseiller juridique, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.
Monsieur Therrien, bienvenue, et bienvenue à votre personnel. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire, monsieur. La parole est à vous.
[Français]
Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Je vous remercie, honorables sénateurs, de nous avoir invités à nous prononcer sur le projet de loi C-13, la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité.
Le commissariat a fourni au comité un mémoire dans lequel nous appuyons la création de nouvelles infractions criminelles pour combattre la cyberintimidation, tout en soulignant les risques importants relatifs à la protection de la vie privée que posent les pouvoirs de surveillance proposés.
J'aimerais maintenant signaler nos principaux points. En ce qui concerne la question des seuils de preuve, je recommande que la norme liée aux motifs raisonnables de croire s'applique à l'autorisation de nouvelles ordonnances de communication et de nouveaux mandats. Les tribunaux ont approuvé la norme inférieure du soupçon raisonnable uniquement dans certaines situations où les intérêts en matière de protection de la vie privée sont réduits ou lorsque les objectifs d'ordre public de l'État sont prédominants.
Le gouvernement défend le seuil du soupçon raisonnable en partie sur la foi de l'argument voulant que l'information recherchée ne soit pas de nature très sensible et qu'elle entraîne donc des attentes réduites en matière de vie privée. En toute déférence, je ne suis pas de cet avis.
Comme la Cour suprême du Canada nous l'a récemment rappelé dans l'affaire Spencer, la protection des intérêts relatifs à la vie privée exige non seulement que nous examinions l'information recherchée, même si elle peut paraître inoffensive, mais aussi ce que l'information peut révéler quant aux activités d'un individu.
Un document publié récemment par le commissariat, intitulé Métadonnées et vie privée, démontre de quelle façon les différentes formes de données relatives à des transactions et à des communications peuvent, en fait, révéler des renseignements très sensibles au sujet d'une personne.
Le gouvernement justifie, en outre, le seuil du soupçon raisonnable par le fait que la lutte à la cyberintimidation ou à l'exploitation en ligne des enfants est un objectif d'ordre public important. Elle l'est, bien entendu.
En revanche, il importe de rappeler que ces nouveaux outils d'enquête permettraient à un groupe indéfini de fonctionnaires publics de rassembler une immense quantité de renseignements personnels à plusieurs fins beaucoup moins importantes que la lutte à la cyberintimidation.
[Traduction]
Comme l'a affirmé la Cour suprême dans Spencer, les intérêts en matière de vie privée ne dépendent pas de la question de savoir si le droit à la vie privée masque une activité illégale ou non, ou de la nature légale ou illégale de l'information recherchée. La question concerne non pas la dissimulation de l'usage illicite d'Internet pour la cyberintimidation ou la pornographie infantile, mais bien la protection des intérêts en matière de vie privée des gens, de manière générale, relativement aux ordinateurs qu'ils utilisent dans leur domicile à des fins privées.
Alors que certains considèrent que ce raisonnement pourrait créer un espace virtuel où le crime peut foisonner, la cour a rejeté cet argument dans l'arrêt Spencer en signalant que les enquêteurs disposaient de renseignements détaillés permettant d'obtenir une ordonnance de communication visant les renseignements recherchés.
Si le comité donne son aval à la norme moins élevée du soupçon raisonnable, nous suggérons d'ajouter une modification pour faire en sorte que l'utilisation de l'information obtenue par l'exercice de ces pouvoirs soit limitée à l'enquête de l'infraction précisée dans la demande au tribunal.
En ce qui a trait à l'article 487.095, cette disposition sur l'immunité protégerait contre toute responsabilité légale toute personne qui divulgue volontairement des renseignements personnels en réponse à des demandes du gouvernement sans mandat.
Là où l'État cherche à accéder à des renseignements personnels détenus par des organisations, y compris les fournisseurs de services Internet, R. c. Spencer limite clairement les perquisitions sans mandat aux situations où il y a des circonstances contraignantes, une loi qui n'a rien d'abusif, ou où l'information ne fait pas l'objet d'une attente raisonnable en matière de vie privée. L'exécution d'une analyse de l'« attente raisonnable en matière de vie privée » est complexe et dépend fortement du contexte. Comment peut-on s'attendre à ce que les organisations et les particuliers fassent cette analyse dans une situation donnée?
Plusieurs mois après Spencer, les Canadiens ne savent toujours pas ce qui pourrait advenir de leurs renseignements personnels. Il semble y avoir de grandes variations dans la manière d'interpréter la décision Spencer et d'y réagir. J'encourage vivement le Parlement à mettre fin à cette situation ambiguë et à clarifier quels sont les pouvoirs de la police en common law, le cas échéant, pour obtenir de l'information sans mandat suite à l'arrêt Spencer.
Enfin, sur la question de la transparence et de l'imputabilité, la Cour suprême du Canada a invité par le passé le Parlement à déterminer quels mécanismes de surveillance et d'imputabilité il conviendrait de mettre en place pour assurer le caractère raisonnable d'une loi tout en reconnaissant les implications d'ordre pratique et politique. Je demande donc aux parlementaires, pendant qu'ils en ont encore l'occasion, d'enchâsser dans le projet de loi C-13 les mécanismes d'imputabilité permettant aux Canadiens de tenir le gouvernement responsable de l'exercice de ces nouveaux pouvoirs importants et lorsqu'il effectue des demandes sans mandat.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous parler de ce projet de loi important. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci.
Le sénateur Baker : Je remercie le commissaire à la protection de la vie privée et son personnel.
Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada était, bien sûr, l'un des intervenants cités dans le cadre de l'affaire Spencer, et je constate que vous êtes accompagné de deux personnes qui ont témoigné devant la Cour suprême du Canada à ce sujet.
Monsieur le commissaire, Spencer concernait votre loi, la LPRPDE. Cette affaire ne concernait pas un mandat ou une ordonnance de communication; elle concernait l'article 7 de la LPRPDE et une résolution qui, selon la Cour suprême du Canada, tournait autour de la définition que donne cet article à « autorité légitime ».
Voici ma première question : quelle directive donneriez-vous? Vous devez vous prononcer sur des enjeux soulevés par cette loi. Selon la loi, la façon dont elle est écrite, un policier n'a besoin de rien, pas de motifs valables ni quoi que ce soit, il n'a qu'à envoyer une lettre au fournisseur de services, s'il est visé par la LPRPDE, et l'information lui serait donnée s'il a l'autorité légitime de la demander.
Actuellement, que pensez-vous de la LPRPDE? L'arrêt Spencer est survenu après votre témoignage devant le comité de la Chambre des communes, donc, il s'agit d'un nouveau domaine, et votre discours a passablement changé depuis votre passage à la Chambre. Vous demandez ici au gouvernement de prendre des mesures concrètes.
Qu'avez-vous maintenant à dire à propos de la LPRPDE, la loi dont vous veillez à l'application?
M. Therrien : Merci pour votre question. Ce n'est pas une question à laquelle il est facile de répondre, donc laissez- moi le temps de vous fournir quelques explications.
La LPRPDE est sans aucun doute liée à l'enjeu en cause, puisqu'elle renferme une disposition qui autorise la divulgation de renseignements, ce qui constitue une exception à la règle générale selon laquelle les organisations privées doivent garder confidentiels les renseignements qu'elles possèdent sur les personnes.
L'article 7 de la LPRPDE autorise les organisations privées à divulguer sur demande des renseignements au gouvernement et à les divulguer de façon volontaire lorsqu'elles reçoivent les lettres dont vous avez parlé. C'est de cette façon que la LPRPDE agit.
La Cour suprême a limité de façon importante la divulgation des renseignements à des organisations d'application de la loi par des organisations privées à la suite de la réception de ces lettres lorsqu'il existe une attente raisonnable en matière de vie privée. L'attente raisonnable en matière de vie privée constitue une notion importante.
Lorsqu'il existe une attente raisonnable en matière de vie privée, et le jugement du tribunal explique bien ce que ce terme signifie au chapitre des renseignements sur Internet, le tribunal a conclu que les renseignements personnels qui pouvaient sembler inoffensifs ou banals, mais qui sont susceptibles de révéler les activités d'une personne sur Internet, constituent des informations délicates et sont protégés par une attente raisonnable en matière de vie privée.
Lorsqu'il y a une attente raisonnable en matière de vie privée, le tribunal ajoute que la divulgation peut se faire seulement dans l'une de trois circonstances : lorsqu'il y a une autorisation judiciaire préalable, des circonstances contraignantes ou une loi qui n'a rien d'abusif. La common law cesse donc d'être une autorité légitime aux fins de la LPRPDE.
Jusqu'à maintenant, j'ai expliqué la façon dont Spencer limite de façon importante la divulgation de renseignements au gouvernement par des organisations privées, mais tout ça dépend de l'existence ou de l'inexistence d'une attente raisonnable en matière de vie privée. Le tribunal ne dit rien au sujet des limites lorsqu'il existe une attente raisonnable en matière de vie privée.
Je souhaite que l'on traite de cette question de façon claire, puisque plusieurs joueurs importants participent au débat. Le ministre MacKay a dit qu'il n'est pas nécessaire de modifier le projet de loi à la suite de Spencer, et on en vient à se demander quel sera l'impact concret de l'arrêt Spencer.
De nombreux ministères à qui certains députés avaient demandé d'expliquer les circonstances dans lesquelles ils reçoivent des renseignements d'organisations privées n'ont pas répondu du tout, donc nous ne savons pas quel genre d'informations ils obtiennent. Certaines entreprises de télécommunications ont dit, à la suite de l'arrêt Spencer, qu'elles n'allaient plus fournir de renseignements au gouvernement, sauf dans les trois circonstances que j'ai énoncées, et d'autres n'ont pas réagi.
Il nous reste donc, à moi et aux Canadiens, un jugement très utile qui limite la divulgation de renseignements au gouvernement par des organisations privées lorsqu'il existe une attente raisonnable en matière de vie privée, ce qui laisse beaucoup de place à l'interprétation des différents intervenants concernant les contextes où il y a ou non une attente raisonnable en matière de vie privée.
Le sénateur McInnis : Merci beaucoup. Ce n'est pas ma question, mais les organisations d'application de la loi nous ont pratiquement dit que Spencer a fait taire les organisations privées. Elles ne divulguent plus rien. Mais ce n'est pas nécessairement une consolation.
J'ai découvert un document extraordinaire intitulé Une question de confiance : Intégrer le droit à la vie privée aux mesures de sécurité au 21e siècle. Il s'agit d'un document de référence du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada publié en 2010. Je l'ai trouvé très intéressant. J'essayais de trouver la formule pour atteindre le point idéal, l'équilibre entre le respect de la vie privée et la protection des Canadiens. Je n'ai pas trouvé cette formule. J'ai peut-être trouvé une partie de la formule dans l'une des études de cas.
Le paragraphe suivant est intitulé « Vie privée, sécurité et les enjeux pour la démocratie ».
Quels sont donc les enjeux en cause au moment où les décideurs et les législateurs doivent se pencher sur l'intégration du droit à la vie privée dans les initiatives de santé publique? [...] La question de la confiance est la plus importante pour le gouvernement. La confiance entre les citoyens et leurs voisins de même qu'entre les citoyens et l'État repose sur une compréhension mutuelle de la protection de la vie privée, de sa valeur en tant que droit de la personne et du bien commun.
Quand j'ai lu ce passage, je l'ai trouvé tellement exact. Je vais vous lire une autre phrase qui nous relance le défi.
En conclusion, le présent document vise principalement à fournir une référence dans le contexte changeant de la sécurité de manière à ce que le droit fondamental à la vie privée soit protégé.
Quand j'ai lu ça, je me suis dit : « C'est exactement ça. » Il s'agit d'une cible mouvante, et les gouvernements doivent tenter de trouver le point de mire, le centre d'impact, où la protection des Canadiens ne nuit pas au respect de la vie privée de chacun.
Le projet de loi C-13, que l'on utilise dans ce guide de référence, atteint, selon moi, le point de mire. Il atteint l'équilibre. À la page 17, nous retrouvons le critère en quatre parties — nécessité, efficacité, proportionnalité et autres solutions possibles. La raison pour laquelle j'affirme que le projet de loi respecte le critère est que les pouvoirs d'enquête graduels qui sont donnés aux policiers afin de trouver des renseignements font l'objet d'un contrôle judiciaire à chaque étape du processus. Comme je l'ai dit plus tôt à un témoin, s'ils n'avaient pas de raison de soupçonner une personne, ils ne respecteraient pas le critère des raisons de croire, et l'enquête prendrait fin.
Le président : Je vous encourage à poser une question.
Le sénateur McInnis : Premièrement, j'aimerais vous remercier. Il s'agit du critère, et j'aimerais que vous le commentiez, puisque vous l'avez mis à la disposition du domaine public afin de nous aider tous, et vous m'avez certainement convaincu une fois encore que le projet de loi C-13 constitue la bonne solution.
M. Therrien : Merci. Bien sûr, le défi qui se présente à vous est de trouver l'équilibre, et l'importance du tort qui est en cause et qui est en partie constitué de la cyberintimidation est un facteur, mais le projet de loi C-13 va bien au-delà de la cyberintimidation. Il fournit de nouveaux outils aux organisations d'application de la loi pour toute infraction au Code criminel ou aux lois du Parlement.
Je vous encourage donc à réfléchir à la question de savoir si ces pouvoirs, selon les motifs raisonnables de soupçonner, sont toujours nécessaires, non seulement pour la cyberintimidation, mais pour tous les crimes auxquels ils s'appliquent, et je vous dis que, selon moi, l'équilibre n'est pas là.
Le contrôle judiciaire constitue à coup sûr un élément important. Ça ne fait aucun doute, mais les tribunaux ont, de façon générale, soutenu que même lorsqu'il y a un contrôle judiciaire, la question du seuil, le type de preuve nécessaire pour que le tribunal émette une ordonnance ou un mandat devrait habituellement tenir aux motifs raisonnables de croire, et il y a des circonstances très particulières où la norme des motifs raisonnables de soupçonner est maintenue.
Je vous dirais qu'il faut démontrer clairement que les motifs raisonnables de soupçonner sont nécessaires, et, si vous voulez bien m'écouter pour une autre minute, j'ai écouté attentivement...
Le président : Je suis désolé; je ne peux pas vous donner une autre minute. Nous allons peut-être y revenir si le temps nous le permet. Sénateur Joyal?
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Therrien, monsieur Caron et madame Kosseim.
J'ai tenté de comprendre ce qui a changé entre le moment où vous avez témoigné devant la Chambre des communes concernant ce projet de loi et aujourd'hui, où vous faites cette recommandation, recommandation que j'appuie, en passant. Pourriez-vous expliquer rapidement ce qui vous a fait changer d'opinion depuis Spencer et qui vous a fait modifier votre recommandation?
M. Therrien : Merci. Un certain nombre de choses n'ont pas changé depuis mon témoignage en juin, y compris ma suggestion que les seuils d'application soient, de façon générale, la présence de motifs raisonnables de croire, mais, maintenant, je fais quelques suggestions supplémentaires fondées sur la lecture de Spencer et sur les événements qui ont lieu depuis sa publication.
L'arrêt Spencer a, comme je l'ai expliqué au sénateur Baker, éclairci de façon importante un enjeu dont il était question à la Chambre des communes lorsque j'ai témoigné en juin, enjeu qui touchait à la nature délicate des renseignements que les gens mettent sur Internet qui sont sujets à l'autorité de l'État concernant la communication de renseignements; à ce moment, c'était complètement inconnu, et de nombreuses personnes laissaient entendre que les renseignements visés par le projet de loi C-13 n'étaient pas de nature délicate, ne nécessitaient pas de protection constitutionnelle, et cetera.
Maintenant, Spencer a éclairci ce point de façon importante, pourvu qu'il y ait une attente raisonnable en matière de vie privée. Et malgré le jugement rendu dans l'arrêt Spencer, je constate une fois encore que d'importants intervenants qui participent au débat — le gouvernement, les entreprises de télécommunications, les ministères fédéraux — font des déclarations qui me laissent croire que Spencer n'aura peut-être pas un impact concret. Ils semblent interpréter Spencer de façon très étroite.
Le projet de loi qui vous est présenté laisse entendre que certaines informations seraient obtenues en fonction de motifs raisonnables de soupçonner. Je préconise les motifs raisonnables de croire. Mais si le comité accepte les motifs raisonnables de soupçonner, je crois qu'il serait utile de clarifier le fait qu'il n'est plus nécessaire de se fier au droit commun pour obtenir des renseignements à l'aide de preuves moins solides que des motifs raisonnables de soupçonner. Je ne peux pas envisager une norme moins élevée que les motifs raisonnables de soupçonner.
Si la common law doit autoriser le type de demandes que les organisations d'application de la loi font aux entreprises de télécommunications et aux autres types d'entreprises, selon la common law et l'argument selon lequel il n'y a pas d'attente raisonnable en matière de vie privée, cela signifie que les informations seraient obtenues à l'aide de preuves moins solides que des motifs raisonnables de soupçonner. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une façon équilibrée d'aborder l'enjeu.
Le sénateur Joyal : N'étiez-vous pas d'avis que plus le seuil d'application est bas, plus le contrôle doit être élevé, tout comme le besoin d'avertir la personne? Je suis surpris que vous n'ayez pas mentionné le besoin d'avertir la personne au moment de l'obtention d'un mandat pour mettre sur écoute une ligne téléphonique.
Si vous mettez mon ordinateur ou ma ligne téléphonique sous écoute, je serai mieux protégé sur ma ligne téléphonique que sur mon ordinateur, puisque, à un certain moment, vous devrez m'informer que vous avez mis ma ligne téléphonique sous écoute. Pour ce qui est de l'ordinateur, je n'en saurai jamais rien. Je ne saurai même pas que vous avez toutes mes métadonnées. Dans un rapport que vous avez publié, qui est, selon moi, un très bon rapport, vous analysez toute l'information que vous pouvez obtenir grâce aux métadonnées, et vous obtenez bien plus d'information par l'entremise de mon ordinateur qu'en écoutant ma conversation avec le sénateur Baker, et, après, vous allez devoir venir me voir et me dire que vous savez que j'ai parlé avec le sénateur Baker et que vous avez reçu cette information.
C'est pourquoi, selon moi, ce système n'est pas logique, et j'essaie de déterminer la manière dont nous devrions nous assurer que le système demeure logique, que les paramètres sont les mêmes et qu'ils sont rationnels au chapitre du contrôle à différentes échelles.
Patricia Kosseim, avocate générale principale et directrice générale, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Merci pour la question. Nous défendons la transparence et les mécanismes d'imputabilité. Nous parlons des rapports publics, mais, sans aucun doute, le fait d'avertir après coup constitue une façon importante d'intégrer un élément d'imputabilité aux dispositions. La Cour suprême l'a dit dans R. c. Tse, et, plus récemment, dans R. c. Wakeling. Même dans Wakeling, la majorité ainsi que les opposants ont confirmé que la transparence et l'imputabilité, comme l'avis après coup et les rapports publics, sont des décisions importantes en matière de politiques dont le Parlement doit tenir compte. Les deux groupes invitent le Parlement à tenir compte de ces mécanismes importants, et c'est pourquoi nous vous encourageons aujourd'hui à le faire. C'est nous qui avons recommandé les rapports publics, mais l'avis après coup est un mécanisme très important qui nous permettrait d'atteindre les mêmes objectifs à l'aide des mêmes moyens.
La sénatrice Frum : Dans le même rapport que celui dont le sénateur Joyal vient de parler, les rapports sur les métadonnées et sur la vie privée d'octobre 2014 qui traitent de l'attente raisonnable en matière de vie privée, vous précisez quelles métadonnées sont recueillies par les fournisseurs lorsque vous utilisez Internet et votre téléphone.
Ce qui me dérange au sujet de l'attente raisonnable en matière de vie privée — et j'ai posé cette question au criminaliste qui a témoigné hier —, c'est le fait que votre fournisseur recueille déjà les métadonnées. Il les utilise, et, ce que je ne comprends pas, c'est que lorsqu'une organisation d'application de la loi reçoit un mandat de transmission des données, elle va recevoir des renseignements à votre sujet que Google et Facebook possèdent, collectent et monétisent déjà. Ils utilisent déjà ces informations contre vous.
Qu'est-ce qui constitue une attente raisonnable en matière de vie privée lorsque, en tant qu'utilisatrice, mes données sont déjà recueillies, utilisées, vendues, monétisées et commercialisées? Lorsqu'elles ont des motifs raisonnables de soupçonner, les organisations d'application de la loi peuvent aussi y a voir accès, mais ma vie privée est déjà compromise, non?
M. Therrien : Vous soulevez une bonne question : la protection des renseignements personnels à l'égard des organisations privées, et non à l'égard de l'État, est-elle suffisante? Selon notre législation actuelle, les renseignements recueillis par Google et d'autres entreprises sont recueillis avec notre consentement, c'est le principal argument invoqué.
Une personne utilise certains services et consent à ce que l'organisation utilise ses renseignements de certaines façons. Je suis d'accord avec vous : les organisations privées ont notre consentement; c'est une autre question de savoir s'il est bien informé ou détaillé, mais les organisations privées utilisent ces renseignements à de nombreuses fins.
Juridiquement, la question tient au consentement. À quel point le consommateur qui reçoit des services a-t-il consenti à l'utilisation de ses renseignements par l'organisation privée?
Lorsque l'État cogne à la porte d'une organisation privée, nous ne parlons plus de consentement bien sûr. Nous parlons de l'État qui, à des fins légitimes d'enquête, veut obtenir des renseignements sans le consentement de la personne à laquelle ils se rattachent. C'est pourquoi nous avons, je dirais, des règles sur ce qui limite les circonstances dans lesquelles cela est permis, et les motifs raisonnables de croire constituent le seuil approprié.
La sénatrice Frum : Je me demande à quel point le consentement est donné pour la collecte de ces données. Je crois qu'il s'agit d'un consentement forcé.
M. Therrien : La question se pose.
La sénatrice Frum : Vous ne pouvez pas utiliser le service sans donner votre consentement, donc je ne suis pas vraiment certaine.
Au sujet de l'attente en matière de vie privée, une fois que j'ai supposément consenti à la collecte de ces données, je reconnais qu'elles ne sont plus privées.
M. Therrien : Vous reconnaissez que l'organisation privée peut les utiliser aux fins pour lesquelles elle a demandé de consentir. Souvenons-nous que la Cour suprême, dans l'arrêt Spencer, a traité de l'enjeu de l'anonymat sur Internet et de l'attente raisonnable. Dans ce cas, le tribunal a clairement établi que les renseignements en question, les renseignements personnels concernant les activités d'une personne, sont sujets à une attente raisonnable en matière de vie privée d'un point de vue constitutionnel. Il s'agit désormais d'un principe juridique établi, et cela a certaines conséquences.
D'un point de vue constitutionnel, le principe juridique est établi. Il ne l'était pas en juin, mais il l'est maintenant.
Vous soulevez des questions très légitimes sur la mesure dans laquelle le consentement donné à une organisation privée est éclairé, volontaire et complet. Je suis tout à fait d'accord avec cela, mais je crois qu'il y a une grande différence entre le fait pour une organisation privée de recueillir et d'utiliser des renseignements et la collecte obligatoire de renseignements par l'État à des fins pénales.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Merci pour votre présentation, monsieur Therrien. En examinant le projet de loi, je comprends qu'il constitue deux volets importants : tout d'abord, l'obligation de la part des forces de l'ordre de faire une demande pour obtenir un mandat; de plus, la discrétion judiciaire d'émettre ou de ne pas octroyer un mandat.
Autrement dit, les forces de l'ordre ont l'obligation de rapporter les faits au juge de première instance et, armé de ces faits, le juge de première instance est dans une excellente position pour en faire la révision et décider s'il va lancer un mandat ou non.
Je remarque que le seul article qui ne requiert pas de mandat est celui qui concerne la préservation. Cela étant dit, « préservation » ne signifie pas « protection » et, pour cette raison, je crois que le projet de loi protège l'équilibre entre la protection de la vie privée et la protection du public.
J'aimerais connaître votre opinion sur ce sujet.
M. Therrien : Sur la question des ordonnances de préservation, nous sommes d'accord que la norme du soupçon raisonnable est adéquate dans ce cas. Comme vous le dites, c'est une chose de préserver des renseignements qui pourraient être utiles à une enquête policière éventuellement, et c'en est une tout autre de divulguer des renseignements aux corps policiers.
Nous sommes d'accord pour dire que les ordonnances de préservation sont émises sur la base des soupçons raisonnables. Cependant, malgré le contrôle judiciaire, on pense que, à l'étape de la divulgation des renseignements aux forces policières, c'est la norme des motifs raisonnables de croire qui devrait s'appliquer, comme les tribunaux l'ont reconnu, généralement, depuis des années.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Therrien.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Merci à vous tous d'être venus ici. Monsieur Therrien, je crois que la dernière fois où nous avons eu la chance de discuter avec vous, c'était quand vous étiez au Sénat pour votre audience d'approbation, ou quelque chose comme ça.
M. Therrien : Je m'en souviens bien.
La sénatrice Batters : Étant donné qu'on a tellement parlé, depuis quelques jours, de Spencer, en particulier, j'ai pensé que cette affaire pourrait fournir un contexte assez intéressant aux nombreux membres du comité qui en connaissent les détails, et je suis sûre que M. Therrien les connaît bien. Pour ceux qui suivent les audiences sur le projet C-13, il serait peut-être intéressant de connaître un peu les faits de l'affaire Spencer.
En juin 2014, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans R. c. Spencer. Je trouve qu'il est intéressant d'en parler, en particulier parce que la Saskatchewan est ma province natale et qu'il s'agit d'une affaire qui s'est déroulée en Saskatchewan.
Dans cette affaire, la police de Saskatoon a été en mesure de déterminer que Shaw Communications était le fournisseur de services d'une personne qui faisait circuler de la pornographie juvénile. La police a présenté une demande de communication afin d'obtenir de Shaw les renseignements de base sur l'abonné qui lui ont permis de remonter jusqu'à M. Spencer. La plupart des fournisseurs de services de télécommunications du Canada respectent les demandes de communication, et ces dernières ne sont présentées que lorsqu'il s'agit d'exploitation sexuelle des enfants. Shaw a fourni de bon gré ces renseignements, et la police a ensuite demandé et obtenu un mandat de perquisition afin de s'emparer de l'ordinateur de M. Spencer.
L'accusé a par la suite contesté la demande de communication en invoquant l'attente raisonnable de protection en matière de vie privée relativement à son adresse IP. Au départ, la Cour d'appel de la Saskatchewan et la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan avaient soutenu qu'il était possible de s'en servir pour obtenir des renseignements de base sur les abonnés, affirmant qu'aucune attente raisonnable de protection en matière de vie privée n'était liée à ces renseignements.
La Cour suprême du Canada a alors rejeté l'appel, en fait, et confirmé la condamnation pour possession de pornographie juvénile, ce que certaines personnes qui suivent l'affaire pourraient trouver intéressant, mais a ordonné un nouveau procès, jugeant que le juge de première instance avait erré dans l'interprétation de l'infraction de distribution de pornographie juvénile aux termes du Code criminel.
Le tribunal a conclu que M. Spencer pouvait raisonnablement s'attendre à une protection en matière de vie privée touchant ses activités anonymes en ligne et que les actes de la police constituaient une perquisition.
Autre conclusion intéressante, la Cour suprême du Canada a également déclaré que les éléments de preuve en question, dans Spencer, en particulier, ne devraient pas être écartés en application du paragraphe 24(2) de la Charte, comme on l'avance dans Grant.
Je voulais tout simplement attirer votre attention sur ces faits. En tant qu'avocats, nous avons parfois tendance à lancer ces noms en l'air, sans vraiment connaître les faits de l'affaire.
Le président : Nous manquons un peu de temps, alors il nous sera impossible de faire une deuxième série de questions. Nous apprécions beaucoup, monsieur Therrien et vos collègues, que vous soyez venus témoigner ici aujourd'hui.
Nos derniers témoins cet après-midi représentent les Clubs Garçons et Filles du Canada. Nous recevons Rachel Gouin, directrice, Recherche et politiques publiques, et Fahd Alhattab, qui est un ancien membre de l'organisation. Ensuite, nous accueillons Basiliki Schinas-Vlasis et Gwyneth Anderson, cofondatrices de la Bully Free Community Alliance.
Bienvenue tout le monde. On ne m'a pas indiqué qui allait prononcer une déclaration préliminaire. Je vais vous laisser en décider. Veuillez commencer.
Fahd Alhattab, ancien membre, Clubs Garçons et Filles du Canada : Merci de nous recevoir.
Je vais vous parler un peu de moi. Je suis un ancien membre des Clubs Garçons et Filles du Canada et d'Ottawa. Je vais aux Clubs Garçons et Filles depuis 12 ans, alors on peut dire en quelque sorte que mes frères et mes sœurs et moi- même avons grandi dans ces clubs.
Merci de nous recevoir aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-13. Les Clubs Garçons et Filles du Canada ont pour objectif de soutenir la croissance et le développement des enfants et des jeunes de toutes les régions du Canada. Nous nous occupons chaque année d'environ 200 000 jeunes, dans 650 collectivités, et nous sommes très fiers de ce que nous accomplissons. Nous sommes emballés de pouvoir discuter de cette question.
Mon exposé compte quatre volets qui portent sur les sujets suivants : le droit à la protection et à la vie privée, la consultation des jeunes; l'éducation; et la justice réparatrice.
Pour commencer, en ce qui concerne le droit à la protection et à la vie privée, nous sommes très favorables au projet de loi C-13, étant donné qu'il protège les enfants et les jeunes avec qui nous travaillons dans le dossier de la cyberintimidation. Les jeunes ont le droit d'être protégés contre la cyberintimidation, mais ils ont également le droit d'être protégés contre toute atteinte déraisonnable à leur vie privée. Même si nous ne sommes pas des experts des questions relatives à la vie privée, il faut y accorder une considération appropriée.
Notre seule recommandation touchant le droit à la protection et à la vie privée est, bien sûr, qu'il faut écouter ce que dit le commissaire à la protection de la vie privée et se préoccuper de protéger les enfants contre la cyberintimidation tout en protégeant leur droit à la vie privée.
Le second volet concerne la consultation des jeunes. Comme la plupart d'entre vous le savez, les jeunes communiquent entre eux de très nombreuses manières. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des jeunes du Canada sont connectés à Internet, à l'extérieur de l'école. Quatre-vingt-cinq pour cent des jeunes de 11e année ont accès à un téléphone cellulaire. En utilisant la technologie, les jeunes mettent à l'épreuve les limites sociales. C'est de cette manière que les adolescents font leurs expériences, qu'ils apprennent à connaître différentes choses. C'est entre autres de cette façon qu'ils gagnent de la maturité. Au moment de s'attaquer à la cyberintimidation, les législateurs auraient avantage à comprendre comment les enfants et les jeunes utilisent la technologie et à savoir ce qui, à leur avis, aiderait à contrer la cyberintimidation.
Notre recommandation, ici, est de consulter les jeunes au sujet de la loi, des programmes de prévention et de l'éducation visant à lutter contre la cyberintimidation, pour s'assurer que les efforts visant à mettre fin à la distribution sans consentement d'images soient orientés par ceux qui sont le plus touchés.
Le troisième volet touche l'éducation. Le désir de lutter contre l'intimidation et la cyberintimidation a entraîné l'adoption d'un ensemble hétéroclite de lois par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Comme vous le savez, Internet n'a pas de frontières, contrairement aux pays et aux provinces. Nous faisons courir aux enfants et aux jeunes le risque d'être déroutés en ce qui concerne leurs responsabilités et les répercussions juridiques de leurs actes.
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne et le Groupe de travail sur la cybercriminalité du Comité de coordination des hauts fonctionnaires ont tous deux recommandé que le gouvernement fédéral joue un rôle de premier plan pour ce qui est de coordonner les efforts de lutte contre la cyberintimidation, en s'appuyant en partie sur une stratégie nationale de prévention et sur la sensibilisation aux aspects juridiques. Nous voulons réitérer cette demande et insister sur le fait que cet aspect nous importe énormément. Notre recommandation est d'assurer la direction de la coordination des efforts de tous les ordres de gouvernement.
La seconde recommandation serait de faire participer les jeunes à l'élaboration d'un plan fédéral d'éducation des jeunes Canadiens au sujet de la cyberintimidation et du droit et d'encourager le respect dans les communications en ligne. De toute évidence, les Clubs Garçons et Filles, qui sont présents dans 650 collectivités, sont ouverts à la possibilité d'aider à mettre en œuvre ces initiatives d'éducation et à travailler auprès des jeunes de tout le pays.
En ce qui concerne la justice réparatrice, étant donné le nombre de jeunes qui naviguent sur Internet et interagissent à l'aide des communications numériques, le gouvernement devrait envisager la création de mesures d'application de la loi qui sont appropriées à leur âge et mettre en priorité la justice réparatrice. Dans son étude sur la cyberintimidation, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne recommandait également de faire de la promotion des initiatives axées sur la justice réparatrice un élément clé de toute stratégie coordonnée de lutte contre la cyberintimidation élaborée en partenariat par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.
En tant que représentants des Clubs Garçons et Filles, nous comprenons que la justice réparatrice est la clé du travail que nous faisons. C'est un des grands principes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, et les Clubs Garçons et Filles de l'Alberta, de la Colombie-Britannique, du Yukon et de l'Ontario offrent tous des programmes de justice réparatrice aux jeunes, depuis 2001, et obtiennent de très bons résultats.
Notre recommandation, en ce qui a trait à l'usage constant des téléphones cellulaires, des médias sociaux et d'Internet par les enfants et les jeunes, est de permettre aux jeunes de prendre la responsabilité de leurs actes et de réparer les torts qu'ils causent en favorisant une approche axée sur la justice réparatrice dans tous les cas, sauf les plus graves.
En conclusion, les Clubs Garçons et Filles du Canada soutiennent les efforts mis en œuvre par le gouvernement pour criminaliser la diffusion d'images intimes sans consentement, et ils encouragent le gouvernement également à s'assurer, ce faisant, que les droits des jeunes à la vie privée sont protégés. Mais, plus important encore, nous lui demandons instamment de chercher à mobiliser les jeunes de manière fructueuse et à rechercher leur orientation dans tous les dossiers relatifs à l'élaboration de lois, de politiques et de programmes qui touchent les jeunes. Des organismes comme le nôtre peuvent aider les jeunes à participer et à prendre position sur divers projets de loi, comme le projet de loi C-13, et nous encourageons le gouvernement et votre comité à demander leur soutien.
Basiliki Schinas-Vlasis, cofondatrice, Bully Free Community Alliance : Bonjour, et merci de nous avoir invitées ici aujourd'hui à discuter du projet de loi C-13. Je m'appelle Bessie Vlasis et, avec ma collègue Gwyneth Anderson, je suis la cofondatrice de la Bully Free Community Alliance, un organisme communautaire sans but lucratif dont les bureaux sont situés dans la région de York, en Ontario. Notre organisation défend les droits des étudiants et des familles qui ont été touchés par l'intimidation, et nous nous occupons d'éducation et de sensibilisation sur l'intimidation dans toute notre collectivité et au-delà. Notre mission et notre vision consistent à mettre sur pied et à soutenir des collectivités positives.
Notre travail a commencé il y a huit ans, lorsque nos enfants sont devenus des victimes de l'intimidation. Nous avons vite compris qu'il n'existait pas suffisamment de soutien pour les victimes et leur famille. Notre organisation a grandi peu à peu et nos principales préoccupations sont devenues la technologie et la santé mentale. Malgré toutes ses qualités, la technologie est utilisée pour causer du tort et pour faire des victimes dans la société. La cyberintimidation est devenue une épidémie dans nos écoles et dans nos collectivités et, comme la technologie évolue à un rythme rapide, les façons de causer du tort évolueront elles aussi.
Snapchat, Instagram, Twitter, Tinder et Kik ne sont que quelques exemples des applications et des sites que nos jeunes visitent et où ils affichent et téléchargent des choses. Ces sites et ces applications sont accessibles 24 heures sur 24, et c'est là que nos enfants se font taquiner, narguer, tourmenter et menacer, et la seule façon pour certains d'entre eux d'échapper à tout cela, c'est de se suicider.
Il est facile de dire à un ado de tout simplement éteindre son appareil, de ne pas regarder ces sites, de ne pas les lire. Mais la réalité est liée très étroitement à tout ce qu'ils voient et entendent sur Internet et dans les médias sociaux. Le nombre de « J'aime » qu'ils reçoivent sur Instagram ou sur Twitter fait largement partie de la façon dont les jeunes socialisent, aujourd'hui, et de la façon dont ils construisent leur estime de soi et leur sentiment d'appartenance.
Nous enseignons à nos enfants, quand nous les élevons, à ne pas parler aux étrangers et à ne pas ouvrir la porte à des gens qu'ils ne connaissent pas; pourtant, nous les laissons naviguer sur Internet et sur les sites des médias sociaux dans l'intimité de leur chambre, en permettant virtuellement à des étrangers d'entrer dans leur vie, par des moyens potentiellement dangereux et prédatoires. Certains enfants n'ont pas la maturité sociale et émotionnelle nécessaires ni une assez bonne expérience de la vie pour comprendre qu'ils peuvent ainsi se jeter dans la gueule du loup.
Nous comprenons les préoccupations relatives à la vie privée en ce qui a trait au projet de loi C-13. Cependant, lorsque nos enfants, ou même des adultes, utilisent une application ou s'inscrivent sur un site social en ligne, nous devons nous poser la question suivante : avons-nous vraiment une vie privée? Le Code criminel doit être mis à jour si l'on veut que les forces de l'ordre puissent réagir efficacement et rapidement à la cybercriminalité. Notre société a changé, et il faut que nos lois changent en même temps.
L'objectif est de donner à nos organismes d'application de la loi les outils nécessaires pour lutter contre la cybercriminalité, leur donner les moyens d'accéder rapidement aux données de façon à assurer la sécurité de nos jeunes. Nous devons éduquer les jeunes sur les dangers d'une mauvaise utilisation de la technologie. Nous avons besoin de lois sévères pour ceux qui, intentionnellement, utilisent la technologie pour commettre des méfaits, et nous devons tenir les prédateurs et les criminels responsables.
Gwyneth Anderson, cofondatrice, Bully Free Community Alliance : Le projet de loi C-13 est un pas en avant positif et nécessaire, mais nous ne devons pas nous arrêter là. Nous devons l'accompagner d'une stratégie nationale. À quoi ressemblerait une stratégie nationale? Des provinces qui travaillent de concert, qui parlent la même langue, qui s'appuient sur l'éducation, la sensibilisation, le soutien et la loi, et qui mettent un accent particulier sur la santé mentale des jeunes et sur le suicide.
Il faut que les données des téléphones cellulaires pour les jeunes âgés de 12 ans ou moins soient réglementés. Avec des données complètes, un enfant d'aussi peu que six ans peut avoir accès, à partir d'un téléphone cellulaire, à tout ce qu'il veut, sur Internet, en tout temps, souvent sans aucune frontière ni limite. Il faut les protéger contre cela.
Nous devons continuer à promouvoir le site web Pensez cybersécurité, et d'autres sites web, de façon que l'information à jour, les services de soutien et les ressources soient facilement accessibles et disponibles.
Nous devons continuer à diffuser des messages d'intérêt public, semblables à ceux qui sont actuellement diffusés, de façon que l'information sur la nouvelle loi soit comprise.
L'intimidation et la méchanceté sont des comportements acquis. Nous devons effectuer un changement culturel. Nous devons prendre des mesures pour promouvoir une culture du respect et de la gentillesse à l'égard d'autrui. Cela pourrait sembler une entreprise irréaliste et impossible, mais j'aimerais que nous y réfléchissions un instant. Nous avons changé la culture touchant l'alcool au volant, et nous avons changé des lois parce que l'alcool au volant tuait des gens. Nous avons changé la culture touchant le tabagisme, parce que cela tuait des gens, et nous avons dû changer des lois. Nous avons changé la culture en matière d'environnement. Nous avons changé des lois parce que les gens tombaient malades et mourraient. Nous pouvons certainement changer la culture en ce qui concerne nos relations avec autrui. C'est possible.
Nous avons travaillé de concert avec les commissions scolaires locales et les services de police pour produire une vidéo sur YouTube, que vous avez récemment reçue dans un courriel du greffier; la vidéo porte le titre #yeswewill Change the Culture of Cyberbullying. Nous avons besoin de ce changement de culture. C'est une énorme entreprise, mais nous ne devons pas nous décourager.
Pour un enfant, ce n'est pas un privilège que de se sentir en sécurité à la maison, à l'école et dans sa collectivité; c'est un droit, un droit tout à fait fondamental. Lorsque des enfants commencent à s'enlever la vie et que les problèmes de santé mentale à l'échelle nationale atteignent un niveau record, nous, les adultes, devons réfléchir à la question et prendre des mesures. Nous espérons que vous partagerez cette vision.
Le président : Merci à tous. Nous allons commencer les questions en donnant la parole au sénateur Baker, vice- président du comité.
Le sénateur Baker : Merci à tous les témoins qui sont ici aujourd'hui. Les exposés étaient d'excellente qualité, et vos suggestions étaient aussi excellentes; je suis heureux que ces deux exposés figurent maintenant au compte rendu des travaux du comité du Sénat.
Je n'ai pas de question précise, mais j'aimerais peut-être vous demander, si vous le désirez, d'en dire un peu plus au sujet du deuxième point soulevé dans le dernier exposé, sous la rubrique « à quoi ressemblerait une stratégie nationale? » Vous avez dit qu'il faut réglementer les données des téléphones cellulaires pour les jeunes âgés de 12 ans ou moins car, avec des données complètes, un enfant d'aussi peu que 6 ans peut avoir accès, à partir d'un téléphone cellulaire, à tout ce qu'il veut en tout temps, sur Internet, souvent sans aucune frontière ni limite, et qu'il faut les protéger contre cela.
Voudriez-vous en dire un peu plus là-dessus? Vous n'êtes pas obligée de le faire, mais le voudriez-vous?
Mme Anderson : Tout à fait. Nous travaillons beaucoup avec des travailleurs de première ligne, avec des familles et des étudiants, avec des enseignants, et nous obtenons beaucoup d'informations directement des enseignants qui s'occupent des classes où des enfants âgés de six ans seulement se présentent en classe avec un iPhone, contenant toutes les données, et qui ont accès à tout ce qu'ils veulent, en tout temps. Les enfants n'ont pas la maturité sociale et émotionnelle nécessaires, à cet âge, pour savoir qu'on les incite à faire quelque chose, pour savoir qu'ils visitent un site qu'ils ne devraient pas visiter. Nous aimerions qu'il y ait à tout le moins une discussion sur la réglementation de ces choses, pour les enfants, parce que lorsque les parents achètent un forfait, c'est habituellement un forfait contenant certains types de textes et de données. Cela ne veut pas dire qu'ils ne pourront pas, à la maison, s'installer devant l'ordinateur, mais les ordinateurs sont plus gros, et il est à espérer qu'ils sont installés dans un endroit de la maison d'où les parents peuvent voir l'écran. Mais quand des enfants se promènent avec des appareils mobiles, nous estimons qu'il faudrait discuter de ce que nous pourrions faire pour aider à protéger nos enfants qui sont très jeunes contre les prédateurs ou les empêcher de se placer dans une situation dont ils ne pourront pas s'extirper.
Le sénateur Baker : Vous suggérez d'entamer un dialogue, de discuter de la façon dont nous pourrions approcher ce problème, comme vous l'avez dit, pour les enfants sous un certain âge.
Mme Anderson : Exact. Ceux qui ont un adolescent savent que c'est ainsi que les ados socialisent. Nous ne croyons pas qu'il faut priver les étudiants de la technologie, pas du tout, parce qu'il est évident que cela fait partie de leur monde et que la technologie ne peut que prendre de plus en plus de place. Mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas réfléchir à la question, pour nos petits, leur dire qu'il y a des raisons de leur interdire de conduire avant un certain âge ou de boire avant un certain âge. Nous pensons qu'il serait bon d'avoir cette discussion et de réfléchir à ce que nous faisons, en matière de technologie, pour nos petits.
Le sénateur Baker : Fahd, pourrais-je vous poser une question d'ordre général? Pensez-vous que les gens de mon âge ignorent tout au sujet d'Internet et que nous devrions peut-être discuter davantage avec des gens comme vous?
M. Alhattab : Je ne dirais pas que vous ignorez tout à propos d'Internet. Je ne veux surtout pas qu'on pense que je suis d'accord avec une telle affirmation.
Le sénateur Joyal : Il est bien renseigné, croyez-moi.
M. Alhattab : Je crois que dans certains cas, vous en savez beaucoup plus que nous. Les gens qui créent le plus de contenu sur Internet, ceux qui produisent le plus grand nombre de vidéos sur YouTube et qui affichent le plus de choses, ce sont les jeunes de 16 ans. Ce sont eux qui créent Internet. Ce ne sont pas eux qui consomment. Ce sont les gens plus âgés qui consomment. Vous allez en ligne, vous lisez les nouvelles, vous regardez les vidéos sur YouTube, mais vous n'affichez pas de vidéos sur YouTube. Ce sont les jeunes qui en affichent.
Je crois que nous avons un point de vue différent sur notre situation par rapport à Internet et à la technologie virtuelle. Il y a beaucoup de consommation et de création. Si nous pouvions tenir une discussion avec des jeunes sur cette question et sur la façon dont ils voient Internet et leur place par rapport à Internet, cela changerait la façon dont nous envisageons la loi.
Le sénateur McInnis : Merci beaucoup. C'est très intéressant. Ce n'est pas ma question, mais la sénatrice Jaffer ne pouvait pas se présenter ici aujourd'hui. Elle et moi avons discuté de la mise en œuvre d'un mécanisme quelconque, lié à une stratégie nationale que nous pourrions élaborer et coordonner et présenter de manière plus efficace au public. Je suis certain que nous allons vouloir en parler. Son Comité des droits de la personne a réalisé il y a quelques années une magnifique étude sur ce sujet. Elle aurait adoré pouvoir être ici pour en discuter avec vous.
J'aimerais parler de la justice réparatrice, car le projet de loi n'a pas pour intention de jeter des jeunes en prison. J'aimerais en parler un peu plus, parce que je me souviens qu'il y a quelques années, lorsque je pratiquais le droit, la justice réparatrice commençait tout juste à être en vogue. Bien sûr, il y a la victime, il y a la déclaration de la victime, l'auteur du crime est présent ainsi que les membres de la famille et un superviseur, une sorte d'arbitre, et ainsi de suite.
Le problème que j'ai cerné, au bout du compte, concerne le suivi. Une fois qu'ils ont quitté la pièce, ils ont tout plein de remords, ils se prennent dans les bras ou se serrent la main, par exemple, mais il y a la question du suivi. J'aimerais que vous me disiez comment vous vous y prenez pour que ces gens restent en contact, après? Cela a toujours été le problème. J'ai participé tout récemment, il n'y a pas plus d'un an, à une de ces réunions, et le problème était le suivi, mais après, il était trop tard.
Rachel Gouin, directrice, Recherche et politiques publiques, Clubs Garçons et Filles du Canada : J'aimerais répondre à cette question, si vous me le permettez. Quand des organismes communautaires comme les Clubs Garçons et Filles mettent en œuvre ce type de programme, nous entretenons déjà des relations avec le jeune, et dans bien des cas, ce sont des relations de longue date. Nous les connaissons depuis qu'ils sont jeunes, jusqu'à ce qu'ils entrent dans l'âge adulte. Nous sommes mieux outillés pour les soutenir tout au long de ce processus et nous assurer qu'il y ait un suivi, qu'ils fassent ce qu'ils ont dit qu'ils feraient, et pour les accompagner. Le taux de réussite a atteint 87 p. 100. C'est indiqué dans notre mémoire. Près de 9 jeunes sur 10 ne commettent pas de nouvelle infraction.
Le Club Garçons et Filles de Kawartha Lakes propose un tel programme, et, récemment, la Police provinciale de l'Ontario nous a confié des jeunes coupables de sextage, des jeunes qui avaient été arrêtés alors qu'ils avaient entre 12 et 17 ans. Cela leur donne la possibilité de s'amender et de réparer les torts qu'ils ont causés.
Je comprends ce que vous dites. On gagne énormément à travailler avec des organismes communautaires qui ont établi des relations avec les jeunes, quand on veut s'assurer que cela ne se résume pas à une seule réunion, à l'issue de laquelle on se congratule, et qu'il y a un suivi.
Le sénateur McInnis : Et comment le châtiment est-il appliqué? Que faites-vous? S'agit-il d'éducation?
M. Gouin : Cela dépend. Selon ce que je comprends, ce sont les membres du comité qui prennent ensemble la décision. Le jeune pourrait devoir demander réparation, par exemple en écrivant une lettre d'excuses ou encore en rédigeant un essai sur la question. Il pourrait devoir participer à une campagne de financement pour une cause ou une autre. Il pourrait devoir faire des travaux communautaires, mais, souvent, on lui demande davantage que de consacrer quelques heures à sa collectivité. Bien sûr, dans certains cas, il pourrait faire du bénévolat auprès des Clubs Garçons et Filles ou travailler quelques heures auprès de jeunes enfants ou encore, par exemple, renseigner ses cadets au sujet de la cyberintimidation.
Le sénateur Joyal : Merci de votre exposé. Vous êtes la bienvenue. J'ai deux séries de questions.
Pour commencer, à votre avis, combien y a-t-il de groupes comme le vôtre qui travaillent dans ce domaine? Je sais qu'il y en a un au Québec, la Fondation Jasmin Roy. D'ailleurs, je soutiens directement cette fondation. Combien y a-t- il de groupes semblables au vôtre qui existent au Canada, les côtoyez-vous? Autrement dit, échangez-vous des initiatives ou des pratiques exemplaires, avez-vous des objectifs communs touchant les modifications de la loi, la mise en œuvre de programmes à l'échelon provincial, et ainsi de suite?
Mme Anderson : Oui, il existe de nombreux groupes qui font de l'excellent travail. Quand Bessie et moi-même avons commencé, il y a huit ans, c'est parce que nos enfants étaient victimes d'intimidation, et nous pensions pouvoir sauver le monde, à l'échelle de l'école, et que tout rentrerait dans l'ordre. Toutefois, plus vous creusez la question, plus vous réalisez que c'est un problème énorme, et nous voyons cela comme un énorme casse-tête qui compte de très nombreuses pièces. Il y a les changements à l'échelon municipal, à l'échelon provincial et à l'échelon fédéral. Il y a beaucoup de gens qui font de l'excellent travail.
Ce serait merveilleux que tous les intervenants du Canada se réunissent et discutent de ce qu'ils font, parce que c'est très fragmenté. Les gens du Québec font certaines choses, les gens de différentes régions du Canada font d'autres sortes de choses. Mais nous travaillons effectivement en réseau avec différentes personnes, évidemment, c'est inévitable.
Le sénateur Joyal : Il n'existe pas d'organisme qui regrouperait tous ces gens et mettrait en commun les pratiques exemplaires, les initiatives et l'expertise.
Mme Anderson : Corrigez-moi si je me trompe, mais vous êtes probablement en contact avec bien des gens, tout comme nous le sommes. Il y a des organismes comme le Canadian Safe School Network, par exemple, qui organisent parfois des conférences ou des ateliers, mais je ne crois pas qu'il existe un grand forum où tout le monde peut se réunir et discuter des pratiques exemplaires. Ce serait peut-être quelque chose à ajouter à une stratégie nationale.
Mme Gouin : Il y a aussi PREVNet. Il y a beaucoup d'échanges de ressources de collaboration, dans certains dossiers. Par exemple, les Clubs Garçons et Filles du Canada ont collaboré avec l'Association canadienne pour la santé mentale afin de trouver des moyens d'offrir un meilleur soutien en matière de santé mentale dans la collectivité pour les enfants et pour les jeunes. Il y a de la collaboration à l'égard d'enjeux de ce type.
Bien sûr, une stratégie nationale de lutte contre l'intimidation nous aiderait à regrouper nos forces et à travailler de façon plus cohérente. Nous partageons des ressources, mais notre travail ne profite pas toujours d'un fil conducteur. Les Clubs Garçons et Filles ont lancé la campagne Appartenance. Le premier mercredi du mois de mai, nous essayons de dévier du sujet de l'intimidation pour parler plutôt du rétablissement du sentiment d'appartenance et de la promotion de la santé mentale auprès des jeunes, dans le but de les aider à entretenir les uns avec les autres des relations fondées sur le respect.
Nous voyons cela comme un antidote. Le volet éducatif vise à renseigner les jeunes sur les conséquences de leurs actes, et il est également important de leur donner des modèles de comportement et d'attitudes respectueuses les uns envers les autres.
Le sénateur Joyal : L'autre problème qui me préoccupe, c'est que l'environnement des écoles a changé, même si je n'irais pas jusqu'à qualifier le changement de spectaculaire. Les programmes du ministère provincial de l'Éducation devraient passer par l'éducation des enfants et des adolescents sur les impacts de ce qu'ils ont entre les mains.
J'ai de jeunes neveux qui ont quatre ans. Ils passent déjà des heures et des heures à jouer à leurs jeux. Ils sont déjà, en soi, des îles. L'école, c'est l'endroit où les enfants peuvent socialiser et rencontrer d'autres personnes tous les jours, continuellement — de nombreuses personnes qu'ils ne connaissent pas —, et ils doivent s'adapter à un environnement dans lequel ce qu'ils ont entre les mains peut être une arme et un outil en même temps. Il me semble que le programme d'enseignement devrait avoir un volet où on enseigne aux enfants ce que cela suppose. Un couteau peut être utile pour couper de la viande, mais il peut être nuisible si on l'utilise sans faire attention, contre quelqu'un.
Il y a une lacune dans la façon dont le ministre de l'Éducation aborde le milieu scolaire aujourd'hui. Ce devrait être la première chose qui nous vient à l'esprit, puisque la première chose que les enfants apprennent dans la vie, de nos jours, c'est comment utiliser leur téléphone, leur ordinateur ou un autre appareil du genre.
Avez-vous formulé des observations à l'échelon provincial, en tant que groupe?
Mme Anderson : Nous tentons assurément de le faire. Le processus est si lent, et la technologie, si rapide. Notre conseil scolaire, celui du district de la région de York, déploie de très grands efforts pour que l'enseignement tienne compte du bien-être social et émotionnel des enfants. Des études ont été réalisées sur l'importance des sentiments d'appartenance et de sécurité pour les enfants. Leurs résultats scolaires s'amélioreront automatiquement grâce à ces sentiments. Ce sont des conversations que nous essayons de tenir. Nous tentons également de parler à nos députés provinciaux locaux et aux responsables des collèges et des universités qui offrent le programme de baccalauréat en éducation pour veiller à ce que les enseignants qui commencent leur nouvelle carrière possèdent les compétences, les connaissances et l'expérience nécessaires.
Pas plus tard qu'hier, nous avons parlé à un étudiant en enseignement parce que c'est la semaine de sensibilisation à l'intimidation en Ontario. Les étudiants n'ont pas discuté de l'intimidation ni de la santé mentale des jeunes. Les enseignants jouent de nombreux rôles, mais ce serait formidable de les envoyer dans leur nouvelle carrière munis de suffisamment de compétences pour reconnaître ce dont un problème de santé mentale pourrait avoir l'air lorsqu'il s'agit d'un enfant de 4 ou de 6 ans, qui pourrait être différent de celui d'un jeune de 16 ans, et pour reconnaître les signes de l'intimidation et être en mesure de répondre à ces questions.
Nous essayons de tenir ces conversations; nous essayons constamment.
Le sénateur Joyal : Qu'en est-il du niveau collégial ou secondaire?
Le président : Nous reviendrons à vous, sénateur Joyal.
La sénatrice Batters : Je veux souligner l'accent que vous mettez sur la santé mentale... C'est une question très importante pour moi, alors je vous en remercie.
Je veux aborder brièvement ce dont M. Alhattab a parlé ainsi que son désir de nous voir adapter les mesures d'application de la loi à l'âge dans ce projet de loi et veiller à ce que la justice réparatrice soit prise en compte. J'attire votre attention sur le fait que, aux termes du projet de loi, pour les personnes qui ont le bon âge, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, en tant que loi de premier plan dans ce domaine particulier, contient les dispositions qui s'appliqueraient aux éléments du caractère adapté à l'âge et de la justice réparatrice. Un grand nombre des éléments du projet de loi s'appliqueraient aux jeunes, alors je voulais porter ce fait à votre attention.
En ce qui concerne la Bully Free Community Alliance, je me réjouis de votre appui à l'égard de ce projet de loi. J'ai trouvé que vous aviez souligné un excellent point dans votre déclaration préliminaire, quand vous avez dit :
Nous comprenons les préoccupations relatives à la vie privée en ce qui a trait au projet de loi C-13. Cependant, lorsque nos enfants, ou même des adultes, utilisent une application ou s'inscrivent sur un site social en ligne, nous devons nous poser la question suivante : avons-nous vraiment une vie privée? Le Code criminel doit être mis à jour si l'on veut que les forces de l'ordre puissent réagir efficacement et rapidement à la cybercriminalité. Notre société a changé, et il faut que nos lois changent en même temps.
Il est vraiment important de ne pas l'oublier. C'est ce que nous tentons de faire grâce à ce projet de loi : nous tenir à jour parce que nos lois ont en quelque sorte pris du retard à cet égard. La sénatrice Jaffer, critique libérale de ce projet de loi, a abordé le fait que son Comité des droits de la personne avait étudié cette question il y a quatre ans. Maintenant, nous allons de l'avant avec un projet de loi.
Pourriez-vous nous donner plus de détails sur le besoin de protéger la vie privée tout en prenant des mesures?
Mme Anderson : J'écoutais la sénatrice Frum quand elle a parlé de la présence sur Internet et de ce qui arrive à nos renseignements. Nous ne sommes certainement pas des décideurs ni des commissaires à la protection de la vie privée. Nous sommes parfois un peu dépassés parce que nous ne connaissons pas tous les autres aspects. Nous nous y attaquons en tant que parents de jeunes enfants qui ont besoin de gérer cela dans nos foyers.
Nous avons parlé à Carol Todd et à Glen Canning. Nous collaborons avec le Centre canadien de sensibilisation aux abus, et nous travaillons avec la police. Ils disent tous qu'ils doivent pouvoir agir rapidement... Prendre ces renseignements et faire ce qu'il faut pour protéger l'enfant et empêcher l'intimidation. Nous nous demandons ce qui serait arrivé si seulement on avait eu cette mesure législative plus tôt — si on avait su, il aurait fallu, on aurait dû —, mais regardons en avant. Nous nous préoccupons tous de notre vie privée. Je suis inquiète, moi aussi, lorsque je suis en ligne, mais je ne sais où trouver cet équilibre. Je sais seulement que, quand nous parlons aux parents et que nous voyons ce qui arrive à ces enfants, nous savons qu'il y a sûrement quelque chose que nous pouvons faire, et cela semble être le premier grand pas en avant.
La sénatrice Batters : Puisque vous avez mentionné Carol Todd, je dois vous dire que nous avons brièvement parlé d'elle, hier, avec M. Geist. Je lui posais des questions au sujet d'une entrevue particulière qu'elle avait accordée à la CBC. Nous n'avions pas la transcription à ce moment-là, mais je l'ai aujourd'hui. Je veux transmettre son commentaire parce qu'elle a un peu clarifié les observations qu'elle avait faites devant le comité de la Chambre des communes. Dans cette transcription, on peut dire que Carol Todd a dit : « Je pense qu'il faut l'adopter bientôt. Il fallait l'adopter il y a de nombreuses années, à mon avis, dès que la technologie a commencé à se profiler à l'horizon. » Elle a poursuivi en disant : « Vous savez que je n'ai pas parlé de le scinder » — en parlant du projet de loi — « et je ne vois pas, personnellement, pourquoi nous ne pouvons le scinder, mais on m'a expliqué qu'il ne pouvait pas être scindé parce qu'il contient des dispositions relatives à la cyberintimidation et au cyberharcèlement, de même que les autres dispositions qui concernent les pouvoirs d'enquête, les perquisitions et les recherches en ligne sur les choses. On m'a affirmé que ces dispositions sont indissociables. » Et c'est la fin de sa déclaration sur cet aspect particulier. Je pense qu'il est très important de ne pas l'oublier.
Vous avez aujourd'hui la capacité, puisque vous êtes devant un comité du Sénat du Canada, de transmettre aux Canadiens le travail important que vous faites au sein de votre organisation particulière. Je m'adresse aux deux représentantes de la Bully Free Community Alliance qui sont ici : pour une personne qui pourrait être en train de regarder la séance du comité ou qui en lira la transcription, quels bons conseils pratiques donneriez-vous à un jeune Canadien — ou aux parents de ce jeune — qui serait victime de cyberintimidation actuellement?
Mme Anderson : Merci pour l'occasion. Nous tentons de rester dans la simplicité. La première étape consiste tout simplement à retirer toute la technologie de la chambre à coucher, le soir. Il n'arrive rien de bon en pleine nuit, lorsqu'on tente d'intervenir. Les jeunes vont se lever au beau milieu de la nuit quand leur téléphone sonne. Même si c'est mal, ils veulent savoir ce que les gens disent. Ils accordent de la valeur à ce qu'un jeune qu'ils ne connaissent pas, qui fréquente une autre école, dit à leur sujet.
Nous devons prêter attention à cela. Ainsi, retirer toute la technologie — les iPad, les iPod, les téléphones cellulaires — de la chambre à coucher la nuit.
Des études ont démontré que les jeunes manquent de sommeil et qu'ils ne sont pas bien reposés quand ils vont à l'école. Cela devient un cercle vicieux. Donc, ce serait une mesure à prendre.
Ayez cette communication ouverte. Vous payez pour le téléphone cellulaire, et l'enfant est encore mineur. Vous discutez des responsabilités associées au fait de posséder cet appareil portatif. Vous savez quoi? Les jeunes n'aiment pas cela, mais nous devons nous occuper d'eux, et vous pouvez le formuler de cette manière : vous faites votre travail de parent, et vous vous assurez seulement que l'enfant est en sécurité et vous ne l'espionnez pas. Vous devez seulement savoir que la situation est sécuritaire.
La sénatrice Batters : Je suis d'accord.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous de vos exposés.
Tout d'abord, je remarque que les Clubs Garçons et Filles sont favorables à une approche axée sur la justice réparatrice dans tous les cas, sauf les plus graves, Je suis heureux de l'entendre.
Mesdames Anderson et Schinas-Vlasis, la question de la santé mentale a été soulevée. J'ai remarqué que vous l'aviez également soulignée dans votre exposé, qui nous a été remis. D'ailleurs, vous mentionnez que, au fil de l'évolution de votre organisation, vos principales préoccupations sont devenues la technologie et la santé mentale.
Or, ma question est la suivante : pourriez-vous nous décrire plus en détail le lien entre l'intimidation, la cyberintimidation et les problèmes de santé mentale? Autrement dit, les jeunes qui sont impliqués dans l'intimidation ou la cyberintimidation, en tant que victimes ou agresseurs, sont-ils nombreux à avoir des problèmes de santé mentale? Comme l'a demandé avec raison le sénateur McInnis, y a-t-il un suivi? Le cas échéant, de quel genre s'agit-il? Faisons- nous un suivi auprès des centres de santé mentale communautaires de la région? Pourriez-vous en dire plus à ce sujet, s'il vous plaît?
Mme Anderson : Eh bien, les problèmes de santé mentale sont épidémiques chez les jeunes. Il est difficile de répondre à cette question, car le simple fait qu'une personne est victime d'intimidation ne signifie pas qu'elle va finir par avoir des problèmes de santé mentale, et le simple fait qu'un enfant en intimide un autre ne signifie pas qu'il a un problème de santé mentale. Cependant, certains enfants sont beaucoup plus résilients que d'autres. On peut leur dire quelque chose, et cela les laissera tout à fait indifférents. Pour d'autres, cela va les toucher profondément. Selon qu'il s'agira de harcèlement constant ou d'images qui pourraient circuler continuellement, l'intimidation peut littéralement changer leur cerveau et avoir des répercussions à vie.
Alors, qu'est-ce qu'on peut faire? Nous devons commencer très tôt. Beaucoup d'argent a été affecté à l'éducation post-secondaire en santé mentale, ce qui est excellent. C'est parce que certains étudiants abandonnent l'université avant décembre parce qu'ils n'arrivent pas à gérer la situation. Mais, en réalité, nous devons nous concentrer sur les tous petits également, pour nous assurer que nous pouvons reconnaître le problème tôt et orienter les enfants dans cet aspect social et émotionnel de l'école.
Mme Schinas-Vlasis : La proactivité est cruciale. Lorsque nous parlons avec les enfants, surtout avec les plus jeunes, nous constatons que c'est aussi simple que de leur montrer comment être un bon ami. Une fois qu'ils peuvent saisir cette notion et comprendre ce que suppose le fait d'être un bon ami, cela mène, plus tard, à la gentillesse. Il s'agit tout simplement d'être proactif et d'enseigner aux enfants à être bons et à faire preuve d'empathie. Ce sont tous des traits qu'ils doivent apprendre à un jeune âge, et nous avons moins de problèmes par la suite.
Mme Anderson : Parce que, lorsqu'ils communiquent en ligne, ils ne peuvent pas voir le visage de leur interlocuteur. Ils ne peuvent pas voir que quelqu'un est blessé.
Le sénateur McIntyre : Je comprends ce que vous dites, mais y a-t-il un suivi auprès des centres de santé mentale communautaires? C'est à cela que je veux en venir, parce que ces centres jouent un rôle majeur pour ce qui est d'aider ces enfants à régler leurs problèmes de santé mentale.
Mme Schinas-Vlasis : Absolument, et nous constatons que les files d'attente et les temps d'attente ne cessent de s'allonger. Ne serait-ce que pour être admis et obtenir une consultation, le temps d'attente est long. Il n'y a pas autant de suivi en raison des longs temps d'attente. Nous voudrions que cette situation change, car si les enfants sont en crise, il devrait y avoir beaucoup de suivi. Ils devraient obtenir immédiatement le soutien dont ils ont besoin.
Mme Anderson : À notre hôpital local, nous avons un centre de crise, où on admet la personne qui a tenté de s'enlever la vie plutôt que celle qui parle de le faire. Ce sont deux situations de crise, mais on est également à court d'argent. La police d'assurance des gens arrive à échéance, et ils se retrouvent dans une situation financière où ils n'ont pas les moyens de prendre soin de leurs enfants.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci pour vos présentations. Je veux vous féliciter pour votre travail. Votre mission et les valeurs que vous véhiculez font partie, je pense, de ce qu'on appelait précédemment la formation, la prévention et la sensibilisation auprès des jeunes.
Les nouvelles technologies peuvent être dévastatrices. Parfois, on peut faire de grandes choses, mais elles peuvent être aussi très dévastatrices. D'ailleurs, souvent, ce sont les nouvelles technologies qui peuvent entraîner les jeunes sur des pentes savonneuses.
Je pense que le gouvernement a raison de s'inquiéter et de veiller à donner des outils aux policiers pour leur permettre de mieux faire leur travail. J'aimerais vous entendre parler de la préservation de l'équilibre entre l'application efficace de la loi et ce dont on a parlé précédemment, soit les droits de la personne.
Mme Gouin : Il n'y a pas un droit qui va au-delà de l'autre. Les gens ont droit à la protection contre la violence et contre le harcèlement, mais ils ont aussi droit à la protection de leur vie privée.
Les jeunes ont droit à tous ces droits de façon égale. Il faut trouver l'équilibre, mais on ne peut opposer un droit à un autre. Je vous fais confiance, à cet égard, avec l'aide des experts dans ce domaine.
Ce qui nous préoccupe, c'est que les jeunes puissent profiter pleinement de tous leurs droits : le droit à la sécurité de leur personne, le droit à la vie privée, et cetera. On fait confiance aux experts qui étaient ici. On est heureux de voir qu'il y a plusieurs différentes voix qui s'expriment à ce sujet, et on compte sur vous pour faire des choix judicieux. De notre côté, nous allons nous assurer de continuer à appuyer les jeunes.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Je veux revenir un peu à la réponse que vous avez donnée à la sénatrice Batters au sujet du retrait des appareils de la chambre à coucher, le soir. En tant que parent et, maintenant, que grand-parent, je serais certainement favorable à cette mesure.
Toutefois, nous traitons tout le temps de lois ici, et je suis actuellement en train d'étudier un projet de loi particulier dans un contexte où des parents me disent que leur enfant de trois, quatre ou cinq ans est assez grand pour prendre des décisions. Comment peut-on régler ce problème, quand un parent dit qu'un enfant de cinq ans ou de trois ans est assez vieux pour prendre une décision cruciale et le laisse conserver cet appareil dans sa chambre à coucher? Qui devons-nous sensibiliser : les enfants ou les parents? Comment pouvons-nous sensibiliser les parents? Ce serait ma première question. J'en ai une autre pour l'autre groupe.
Mme Anderson : Si j'avais la réponse parfaite, ce serait fantastique. Nous luttons contre ce problème dans les écoles parce que les appareils sont utilisés dans la salle de classe comme outils pédagogiques. On prend des photographies, et plus personne ne se passe des messages sur de petits bouts de papier. On formule des commentaires irrespectueux au sujet de quelqu'un d'autre. La cyberintimidation en tant que telle a lieu dans la salle de classe, pendant que l'enseignant essaie d'enseigner.
Nous avons dit aux directeurs : « Vous voulez peut-être que les téléphones cellulaires ne soient utilisés que lorsque l'enseignant dit que c'est le moment de sortir son téléphone cellulaire pour faire une recherche sur Internet ou dans le Moodle sur un sujet ou un apprentissage particulier. » Cependant, beaucoup de directeurs ne veulent pas le faire parce que les parents vont dire : « Je veux être capable de joindre mon enfant à tout moment de la journée, n'importe quand. »
Le sénateur Plett : Exactement.
Mme Anderson : Un de nos directeurs a dit à un parent : « Eh bien, utilisez le téléphone du bureau. Si vous voulez téléphoner et parler à votre enfant, nous allons le faire descendre, et vous pourrez lui parler au téléphone. »
Il y a de la sensibilisation à faire auprès de tout le monde. Je déteste mettre le fardeau sur les enfants seulement, comme si c'était leur responsabilité, parce que c'est notre responsabilité à tous. Les parents doivent absolument être sensibilisés. Un enfant de cinq ans qui décide où il va sur Internet, ce n'est pas une bonne chose.
Le sénateur Plett : C'est inacceptable.
Mme Schinas-Vlasis : Une analogie que nous utilisons beaucoup, c'est de comparer à une situation où vous remettez vos clés de voiture à votre enfant de 12 ans pour ensuite lui dire : « Chéri, va chercher du lait au dépanneur. » Vous ne le feriez pas parce qu'à 12 ans, on ne sait pas comment conduire une voiture. C'est la même idée lorsqu'on donne un téléphone cellulaire à quelqu'un qui a moins de 12 ans sans lui donner de directives ou de lignes directrices. Il pourrait se causer du tort à lui-même ou en causer à d'autres.
Le sénateur Plett : Je suis d'accord. Toutefois, il y a une différence. L'enfant de 12 ans sait probablement comment utiliser l'ordinateur et Internet, beaucoup mieux que le parent.
Mme Anderson : Il peut se rendre où il veut. C'est certain.
Le sénateur Plett : Très bien. Je sais qu'il n'y a pas de réponse parfaite.
Mme Anderson : Il est important de tenir ces discussions, absolument.
Le sénateur Plett : Je m'adresse aux Clubs Garçons et Filles; je veux seulement approfondir cette réponse particulière : avez-vous des programmes qui permettraient vraiment d'enseigner à ces enfants qu'il y a des activités beaucoup plus constructives auxquelles ils peuvent s'adonner? Bien entendu, vous ne les avez peut-être qu'un soir la fin de semaine, mais, certainement, lorsque les enfants sont si fatigués qu'ils veulent seulement aller au lit quand ils rentrent à la maison, ils ne seront peut-être pas sur l'iPad. Que peut-on faire peut-être, pour que les enfants soient tellement fatigués qu'ils voudront peut-être s'abstenir de l'utiliser?
M. Alhattab : Je leur fais faire le tour du gymnase à la course, encore et encore. Nous avons assurément des tonnes de programmes à nos Clubs Garçons et Filles. Beaucoup des jeunes et des enfants qui viennent à nos clubs sont là plusieurs fois par semaine, ce qui est formidable. Les parents nous adorent parce que, oui, les jeunes rentrent bel et bien fatigués à la maison. Ils dépensent leur énergie.
Nous offrons également beaucoup de programmes d'informatique. Nous avons eu des programmes de médiatique, où les jeunes apprennent à faire des vidéos et à utiliser Photoshop. Ils apprennent à se servir des outils informatiques pour des choses efficaces et pour des choses amusantes qui peuvent être utilisées; nous leur montrons donc comment l'ordinateur et Internet peuvent être utilisés pour des choses très productives.
Nous offrons des tonnes de programmes sportifs, des programmes de leadership et des programmes artistiques qui leur permettent de nouer des amitiés dans leur communauté locale et dans leur quartier, ainsi que de passer du temps loin du téléphone cellulaire. Bien des clubs découragent l'utilisation des téléphones cellulaires pendant que les jeunes participent à notre programme. On leur dit : « Vous pouvez l'utiliser à d'autres moments. Là, nous jouons au basketball. Tu ne peux pas vraiment envoyer des messages textes pendant que tu joues au basketball. » Ou : « Nous participons à un programme de leadership. En tant que jeune leader, tu dois fixer ton attention sur ce qui se passe maintenant, n'est-ce pas? » Nous décourageons donc l'utilisation de cet appareil afin d'avoir toute leur attention et de leur enseigner les valeurs positives associées au fait d'être de bons citoyens et d'être de bons amis ainsi qu'à la création de ces relations.
Le sénateur Plett : À de nombreuses réunions, nous devons laisser nos téléphones cellulaires à la porte avant d'entrer.
Le président : J'ai une question pour les représentants de l'alliance. Plus tôt, aujourd'hui, nous avons accueilli un représentant de l'Association du Barreau canadien, et l'une de ses préoccupations au sujet du projet de loi a amené l'ABC à proposer le retrait de la norme d'insouciance relative à l'élément de l'intention criminelle du projet de loi. Personnellement, j'ai quelques préoccupations à cet égard. Selon le ministère de la Justice, la définition du terme « insouciance », au sens du projet de loi, englobe les personnes qui reconnaissent qu'il y avait un risque que la personne n'ait pas été consentante, mais qui ont tout de même diffusé l'image.
Je crains que nous donnions à penser que ces personnes devraient être dégagées de toute responsabilité, essentiellement, si elles distribuent une telle image et qu'elle n'était pas clairement consciente de la situation pour déterminer si la personne figurant sur l'image avait consenti à sa distribution. À mon avis, cela réduit grandement l'efficacité du projet de loi. Je me demande si vous vous êtes penchés sur cette question. Je sais que le Barreau semblait craindre qu'on aille trop loin, mais nous avons encore d'importants pouvoirs discrétionnaires pour la police et la Couronne. Au bout du compte, le juge va rendre une décision, lui aussi. Je me demande si vous avez un commentaire à formuler à ce sujet.
Mme Anderson : Nous n'avons pas lu le projet de loi en entier, du début à la fin. Nous sommes un peu dépassés par certains passages. Je ne vais pas mentir. Nous sommes ici en tant que parents et membres de la collectivité. Mais le fait que ce projet de loi existe et que les jeunes et les parents dans notre société sachent que la distribution de ces images constitue un acte criminel fera que les gens y penseront à deux fois avant de le faire. C'est notre impression, en tant que parents. Nous avons l'occasion d'avoir cette discussion lorsqu'ils sont encore petits, même au moment où ils reçoivent leur premier téléphone cellulaire, de leur dire : « Voici ta responsabilité, mais comprends bien qu'il y a maintenant une loi et que tu dois respecter la loi lorsque tu utilises ton téléphone cellulaire. Par conséquent, réfléchis à deux fois à ce que tu dis et à ce que tu envoies; c'est aussi simple que cela. »
On peut décortiquer toutes les mesures du projet de loi, et l'aspect lié à la protection de la vie privée est énorme, mais nous nous dirigeons vers des zones encore inexplorées. Je suppose que ce serait ma réponse. Je pense que c'est vraiment important, parce que les enfants doivent savoir qu'un crime y est associé. Nous ne voulons pas qu'ils aillent en prison — chacune des personnes qui distribuent quelque chose —, mais elles doivent savoir que ce crime existe.
Le président : J'interprète cela comme un appui de votre part en ce qui concerne l'inclusion dans le projet de loi de la disposition relative à l'insouciance.
Mme Anderson : Oui.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vos commentaires m'apparaissent très pertinents. Lorsqu'on donne un outil de cette nature à un enfant de huit, neuf ou dix ans, et qu'on lui permet de l'avoir toute la nuit dans sa chambre à coucher, c'est comme si on donnait la clé de sa chambre à un étranger ou à un pédophile.
À mon avis, aucune loi ne remplacera la vigilance des parents. Lorsqu'un pédophile peut entrer en contact avec un enfant, c'est parce qu'il sait que les parents sont absents.
Dans ce cadre, je crois qu'il faut donner des pouvoirs spéciaux aux policiers, des pouvoirs qui dépassent le cadre actuel du Code criminel, parce qu'on fait affaire à des gens qui utilisent des technologies, des moyens pour entrer en contact avec nos enfants, que le Code criminel n'a jamais prévus, historiquement.
Je vois des gens s'objecter en vertu du seul principe de protéger la vie privée. Je ne sais pas si vous avez écouté ces témoignages. Avez-vous l'impression qu'on met le droit à la vie privée de ces criminels devant le droit des enfants d'être protégés?
[Traduction]
Mme Schinas-Vlasis : Oui. Une réponse très courte : oui.
Le sénateur Baker : Je n'ai qu'une question pour les Clubs Garçons et Filles. Lorsque vous vous êtes présentés devant le comité de la Chambre des communes, vous avez recommandé que le projet de loi soit scindé. D'après l'exposé que vous présentez maintenant au comité du Sénat, vous ne semblez plus proposer cela, mais dire très fort : « Oui, protégez les enfants et les jeunes contre la cyberintimidation, mais vous devez également protéger leur droit à la vie privée. » Et vous suggérez non pas que nous scindions le projet de loi, mais que nous prêtions une attention particulière au commissaire à la protection de la vie privée et à ses recommandations. Ai-je raison de dire cela? Pourriez-vous en dire plus à ce sujet?
Mme Gouin : Nous pensons encore que ce serait une bonne idée de scinder le projet de loi, mais nous croyons savoir qu'il est peu susceptible de l'être. Nous recommandons que vous prêtiez attention aux questions qui ont été soulevées et à la raison des nombreuses demandes faites pour que le projet de loi soit scindé, notamment le fait qu'il est très volumineux.
Donc, même si nous parlons de certains de ces aspects en fonction de notre expérience, il y a beaucoup d'aspects dont nous ne pouvons pas parler. Nous comptons sur d'autres intervenants pour en comprendre la logique et s'assurer qu'il s'agit d'un bon projet de loi solide qui protégera les enfants et les jeunes. S'il était plus simple et limité à la cyberintimidation... C'est tout ce dont nous avons parlé. Pour le reste, nous laissons les autres gens se manifester pour en parler. En ce sens, il serait plus facile pour nous d'appuyer pleinement ces dispositions s'il était scindé. Pour le moment, nous faisons de notre mieux avec ce que nous avons.
Le sénateur Baker : Félicitations pour les exposés que vous avez présentés aux comités de la Chambre et du Sénat.
Le sénateur McInnis : Je veux revenir là-dessus. Concernant la possibilité de scinder le projet de loi, on ne peut pas ajouter au Code criminel un élément qui n'a pas la procédure et le processus nécessaires pour permettre à la police de porter des accusations, alors je ne comprends pas. Je pense que vous devez regarder ce projet de loi en entier parce que les services de police ont besoin que les seuils soient mis en place pour enquêter sur le crime. Je ne comprends pas du tout cet argument, quand je l'envisage à la lumière du projet de loi en entier. Pourquoi ne voudrions-nous pas avoir les pouvoirs d'enquête si nous mettons en place l'infraction?
Mme Gouin : Alors, nous allons faire confiance au jugement selon lequel le projet de loi doit être adopté dans son ensemble, en un seul tenant, avec les pouvoirs d'enquête, et vous allez tenir compte des préoccupations qui ont été soulevées à l'égard de la protection de la vie privée. Nous n'allons pas le faire, mais c'est pourquoi nous avons isolé cette partie du texte.
Le sénateur McInnis : Les gouvernements responsables doivent peser le pour et le contre.
La sénatrice Batters : Monsieur Alhattab, vous avez proposé que nous consultions les jeunes à ce sujet. J'ai mené ma propre petite consultation personnelle la semaine dernière quand j'étais chez moi, à Regina. Je racontais cela aux témoins, hier. Je me suis adressée à une classe de 22 élèves du secondaire, au Campbell Collegiate, à Regina. Je leur ai parlé de diverses choses, de mon rôle au Sénat et de ce que je fais. Je leur ai parlé du comité et, comme il s'agissait d'élèves de 10e année, il est bien possible que l'intimidation soit un phénomène auquel ils font face personnellement, à l'heure actuelle. Peut-être qu'une personne assise dans cette classe en était victime à ce moment-là. Je leur ai parlé un peu de ce projet de loi, et je leur ai donné certaines informations au sujet du site web AidezMoiSVP.ca, dont nous avons déjà entendu parler par un agent de police qui a témoigné devant notre comité.
Quand j'ai répondu à des questions après mon exposé, il y avait un élève en particulier, qui ne m'avait rien demandé jusqu'à ce moment-là. Il était assis dans la première rangée et avait écouté attentivement, mais il n'avait posé aucune question. L'enseignant a dit à la classe « C'est votre chance d'influencer un législateur. Que pensez-vous de ce projet de loi? » Je leur ai demandé : « Pensez-vous que nous avons besoin d'une loi? Selon vous, est-il satisfaisant de se contenter d'une plus grande sensibilisation publique et d'un plus grand nombre de sites web, de ce genre de choses? » Cet élève m'a dit qu'il pensait qu'il était très important que nous adoptions ce projet de loi parce que, sans une loi importante comme celle-ci, il n'y aurait pas de conséquences pour ces types d'actes très graves.
Je vous raconte cela pour vous remercier de votre commentaire. Dans notre petite région, nous essayons aussi de le faire. Il est certain que nous recevons également de l'information, parfois par courriel et sous forme d'appels téléphoniques.
Le sénateur McIntyre : Je veux revenir à l'idée de scinder le projet de loi. Je sais qu'elle a fait l'objet de discussions approfondies par le comité de la Chambre des communes et que les membres ont décidé de ne pas le scinder. Cependant, ils ont recommandé un examen parlementaire dans sept ans. J'aimerais entendre vos réflexions au sujet de l'examen du projet de loi dans sept ans.
Mme Anderson : Nous n'avons jamais fait partie des personnes qui veulent scinder le projet de loi, mais, selon moi, un examen dans sept ans serait une bonne chose, parce que, dans sept ans, la technologie aura changé. On pourrait observer une situation complètement différente. Un examen dans sept ans serait une très bonne idée.
Le sénateur McIntyre : Vous êtes d'accord avec cette recommandation?
Mme Anderson : Oui.
Le président : Je vous remercie tous de votre contribution très utile et instructive à nos délibérations sur cet important texte de loi.
Mesdames et messieurs, nous allons poursuivre la discussion sur le projet de loi C-13 la semaine prochaine. Nous avons également à notre ordre du jour l'étude préliminaire de la Loi d'exécution du budget, dont nous devons nous occuper rapidement. Nous allons étudier cette question la semaine prochaine également.
La séance est levée.
(La séance est levée.)