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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 22 - Témoignages du 26 novembre 2014


OTTAWA, le mercredi 26 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle, se réunit aujourd'hui en public, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi, et à huis clos pour étudier un projet de rapport sur le document intitulé Propositions visant à corriger des anomalies, contradictions ou erreurs relevées dans les Lois du Canada et à y apporter d'autres modifications mineures et non controversables ainsi qu'à abroger certaines dispositions ayant cessé d'avoir effet.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux collègues, aux invités et au grand public qui suit les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aujourd'hui.

Nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre notre étude du projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle. Il s'agit de la cinquième séance consacrée à l'étude du projet de loi.

Avant que nous n'entendions le premier groupe de témoins, qu'on me permette de faire un bref rappel aux membres, aux témoins et aux auditeurs. Un grand nombre d'entre vous êtes au courant d'une affaire en cours portant sur la production et la distribution de pornographie juvénile dont on a beaucoup parlé. L'affaire est sous le coup d'une interdiction impérative prononcée par la cour pour protéger l'identité des jeunes personnes en cause.

Certes, cette interdiction n'a aucun effet sur nos délibérations, étant donné notre privilège de liberté de parole et le fait que le nom de la victime a déjà été mentionné en public, mais j'invite néanmoins tout le monde à faire preuve de la plus grande prudence et à ne pas faire allusion aux jeunes personnes en cause. Je rappelle également à tout le monde que le privilège parlementaire n'accorde aucune protection pour les déclarations faites en dehors des délibérations parlementaires officielles. Les membres ne doivent pas perdre de vue ce fait lorsqu'ils font des observations publiquement pour les médias ou lorsqu'ils utilisent les médias sociaux.

Deuxièmement, je rappelle à tous la convention relative aux affaires en instance, selon laquelle nous devrions nous abstenir de parler de questions dont les tribunaux sont saisis. Cette convention ne limite pas le droit du Parlement de légiférer, mais là encore, les membres doivent être prudents et éviter de faire mention indûment ou inutilement à des affaires en instance.

Je demande donc à tous les participants, au cours des délibérations d'aujourd'hui, de faire preuve de retenue en s'abstenant de parler des détails précis de cette affaire et à respecter l'interdit de publication au sujet de l'identité des jeunes personnes en cause.

Un autre avertissement très bref. Nous devrons suspendre la séance à 16 h 30 pour un vote. J'invite tous les sénateurs à revenir à la séance le plus rapidement possible pour que nous puissions reprendre les travaux et ainsi manifester le plus grand respect pour le témoin, compte tenu des délais qui nous sont impartis et du fait qu'il nous a généreusement accordé son temps en acceptant de patienter jusqu'à la reprise des délibérations.

Le premier témoin d'aujourd'hui, que nous sommes très heureux d'accueillir, est Glen Canning, qui comparaît depuis Halifax par vidéoconférence. Monsieur Canning, bienvenue à vous. Vous avez été très obligeant en acceptant de comparaître et en modifiant votre propre horaire pour que le comité puisse vous entendre.

Je crois savoir que vous avez une déclaration liminaire.

Glen Canning, à titre personnel : Oui, j'en ai une.

Le président : Je vous en prie.

M. Canning : La mère de notre fille Rehtaeh ne peut être ici. Elle a un autre engagement qu'elle n'a pas pu déplacer. Je vais donc lire une déclaration qu'elle a rédigée. La dernière fois que j'ai pu parler au Sénat, j'ai présenté ma déclaration au sujet du projet de loi C-13. Par souci d'équité, je lui ai demandé si elle acceptait. Voici donc une déclaration de Leah Parsons :

J'appuie sans réserve le projet de loi C-13 en tant que parent d'une enfant qui s'est suicidée. Rehtaeh a subi des mois et des mois de harcèlement après qu'une photo d'elle eut été prise sans sa permission à un moment où elle était sous l'influence de l'alcool. La diffusion de la photo n'a jamais été stoppée et les dispositifs utilisés pour la diffuser n'ont jamais été saisis. Ces derniers mois, les garçons qui ont pris la photo et l'ont diffusée ont plaidé coupables. La photo a été prise et diffusée il y a trois ans. Ma fille a vécu dans ces tourments pendant 17 mois avant de s'enlever la vie. Elle était remplie de panique et de peur à l'idée de commencer des études dans de nouvelles écoles parce que cette image la suivait.

J'estime que la police avait besoin de tous les outils nécessaires pour intervenir immédiatement lorsqu'une photo est diffusée; plus tôt elle peut agir, plus il est facile de limiter la diffusion et de mettre un terme à la détresse psychologique de la victime.

Je dirai honnêtement que les préoccupations pour la vie privée ne sont pas ma priorité. Nous perdons trop d'enfants qui sont victimes de la diffusion de ce genre de photo et du harcèlement qui suit. Les jeunes sont psychologiquement trop vulnérables pour naviguer dans un système qui n'agit pas dans leur intérêt. Le plus important dans ces cas, c'est d'avoir des méthodes rapides et efficaces pour stopper la diffusion d'images intimes. J'ai vu, sans ne pouvoir rien faire, ma fille demander de l'aide, et j'ai aussi imploré de l'aide pour elle, mais cette aide n'est jamais venue.

J'espère que le projet de loi C-13 sera adopté, et qu'il le sera très bientôt.

Signé : Leah Parsons.

Voici maintenant ma propre déclaration. Je dirai très brièvement que pas grand-chose n'a changé pour moi, en ce qui concerne le projet de loi C-13. Toutefois, il est venu à mon attention, et à l'attention de bien de gens, qu'il existe une profonde méfiance à l'égard du gouvernement. Je demande au gouvernement de lutter contre cette méfiance au lieu de nous demander de le faire à sa place. Nous sommes évidemment des personnes blessées, et je sais que les mauvaises causes amènent de mauvaises lois. Je le sais, mais nous sommes simplement des parents qui luttent pour améliorer certaines choses. Nous n'avons pas toutes les réponses, bien entendu, et il nous est difficile de faire la part des choses, entre ce qui est une critique légitime du projet de loi C-13 et ce qui est simplement de l'aversion pour le gouvernement en place. Il est difficile de faire la différence entre ce qui est de la politique et ce qui ne l'est pas.

Nous espérons améliorer certaines choses. Nous espérons que le gouvernement et toutes les parties en cause travailleront dans l'intérêt supérieur des Canadiens, de nos enfants, de nos droits, de nos droits à la vie privée et du droit canadien.

Le président : Merci, monsieur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, monsieur le président. Monsieur Canning, entendez-vous bien la traduction?

[Traduction]

M. Canning : Oui.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Permettez-moi de vous offrir mes condoléances, en mon nom et au nom de tous mes collègues du comité. Perdre une fille dans ces conditions doit être terrible. Vous avez toute ma sympathie.

Vous avez sans doute lu le projet de loi C-13. Selon votre vision des choses et selon votre expérience, est-ce que le projet de loi va assez loin? Y a-t-il des éléments qui vous semblent absents et qui auraient dû être intégrés au projet de loi?

[Traduction]

M. Canning : Je crois que le projet de loi C-13 va assez loin. D'après ce que je peux comprendre, un grand obstacle, pour beaucoup de forces de l'ordre au Canada, c'est la difficulté d'obtenir des fournisseurs de services Internet l'information nécessaire pour faire leur travail efficacement. Ce n'est pas aussi simple que se présenter chez quelqu'un muni d'un mandat de perquisition. Certains de ces crimes peuvent être commis dans d'autres provinces. Certains peuvent avoir été commis dans un district local où la diffusion devient virale sur Internet.

Dans le cas de notre fille, la photo a été communiquée à des centaines de personnes, et cela s'est fait très rapidement. Il aurait été possible de limiter la diffusion si le projet de loi C-13 avait été en place. C'est que, selon moi, la police aurait pu agir efficacement tout de suite. Elle n'a pas agi, ce qui est regrettable dans ce cas. Nous espérons trouver pourquoi il en a été ainsi, mais si les policiers avaient pu utiliser ce genre de moyen, cela aurait certainement été utile dans notre situation.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dans la majorité des cas, ces activités criminelles sont surtout exercées par des jeunes. Pensez-vous que le projet de loi C-13, s'il est bien communiqué dans les écoles secondaires, aurait un effet dissuasif sur la transmission de photos sans le consentement de la victime ou des personnes concernées?

[Traduction]

M. Canning : Non, je n'ai rien entendu du tout au sujet du projet de loi C-13 de la part des représentants d'écoles secondaires à qui j'ai parlé. Et je ne crois pas qu'il y ait la moindre publicité efficace au sujet du projet de loi C-13 en ce qui concerne les jeunes. Je crois que beaucoup d'écoles au Canada sont engagées dans la lutte contre la cyberintimidation et font de la sensibilisation au sujet de l'intimidation. Cela a amené des progrès et il est réconfortant de voir ces changements.

En ce qui concerne le projet de loi C-13, je ne crois pas qu'il en ait été question dans quelque réseau scolaire que ce soit au Canada, en tout cas que je sache, sinon que des gens disent que des lois seront adoptées qui obligeront les gens à répondre de leurs actes.

Selon moi, certaines des choses les plus méchantes, les plus viles sur Internet ne sont pas le fait de jeunes. Il y a les questions de « porno de vengeance ». Dans le cas de ma fille, des gens m'ont contacté ou ont contacté la mère de ma fille pour dire qu'ils avaient la photo de notre fille. Ils le font pour nous blesser, pour nous causer un préjudice. Il est extrêmement révoltant que cela arrive par quelque courriel anonyme. Que sommes-nous censés faire? Nous pouvons nous adresser à la police et attendre pendant des mois. Je peux retracer un numéro de téléphone; il peut se trouver sur notre afficheur. Pourquoi les adresses IP ne sont-elles pas traitées de la même manière? Cela me dépasse.

Pour répondre à votre question, je dirai que la sensibilisation est la clé, lorsqu'il s'agit des jeunes. Il faut une information efficace au sujet de problèmes comme la cyberintimidation et peut-être aussi au sujet de notions comme l'empathie, la compassion, le savoir-vivre.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie beaucoup. Votre témoignage nous est très utile.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Merci de votre témoignage, monsieur Canning. Je voudrais reprendre là où vous vous êtes arrêté, à propos de la sensibilisation.

À votre connaissance, a-t-on donné à votre fille ou à ses camarades de la même école de l'information au sujet d'Internet, de son utilité, mais aussi du tort qu'il peut causer? Internet, c'est comme un couteau : il est très utile pour couper de la viande, mais on peut aussi se couper ou s'en servir pour menacer autrui.

À votre avis, y a-t-il eu de l'information, des exposés sur l'utilisation d'Internet, sur son utilité, sur les dangers qu'il présente, sur le cadre à respecter pour y accéder?

M. Canning : On devrait en parler dans les écoles en ce moment. Nous avons donné aux enfants un moyen de communication de masse en leur disant fort peu de choses sur son utilisation. Ils ne sont pas nombreux à savoir comment s'en servir efficacement. Certains s'en servent pour être très cruels et mesquins. D'autres pour diffuser des messages merveilleux et communiquer avec des jeunes aux quatre coins du monde. C'est un outil comme un autre. Tout comme le couteau dont vous avez donné l'exemple.

Dans le cas de notre fille, la différence, c'est que, si quelqu'un l'avait poignardée, il y avait des lois qui permettaient aux policiers de poursuivre l'agresseur, surtout s'ils craignaient qu'il ne poignarde quelqu'un d'autre. Pour notre fille, c'était un petit coup de couteau à la fois, mais il n'y avait aucune disposition pour arrêter tout cela, il n'y avait rien que nous puissions faire, sinon ce que nous avons fait, comme changer le numéro de téléphone portable et l'accès à Internet, par exemple. Nous avons aussi exercé une surveillance très étroite. Mais le problème, c'était et c'est toujours que cette image était là et était diffusée par des textos, et notre fille n'avait aucun moyen de reprendre pied. Elle a essayé de fréquenter quatre écoles secondaires différentes, mais chaque fois, tout le monde la connaissait, connaissait son histoire et avait cette image. Personne n'a rien fait pour arrêter tout cela et l'aider. Cela n'a pas été un grand coup de couteau, mais une multitude de petits coups, jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus.

La sénatrice Frum : Monsieur Canning, merci beaucoup. Moi aussi, je suis désolée de la perte que vous avez subie.

Vous avez dit dans une interview à la CBC, je crois, que l'une des choses que les gens craignent, ici, c'est une atteinte à leurs droits à la vie privée. Vous avez ajouté que cette crainte était mal placée. Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire par là?

M. Canning : Cette crainte est mal placée parce que bien des gens pensent que, lorsqu'ils vont sur Internet, ce qu'ils font est du domaine privé. Mais quiconque se sert d'Internet passe par un fournisseur de services. Ce peut être Bell, TELUS ou encore Eastlink, dans l'Est du Canada. Chaque fois qu'on va sur Internet, ces sociétés, ces entreprises s'emparent d'informations et elles s'en servent. Même lorsqu'on est sur Internet pour aller sur Facebook ou Twitter ou encore pour faire des recherches sur Google, tout ce qu'on fait est observé. Les données sont utilisées, commercialisées, vendues, achetées, échangées. Il n'y a aucune vie privée sur Internet. Voilà pourquoi je dis que cette crainte est mal placée. Les gens vont sur Internet et se comportent comme s'ils étaient dans l'intimité de leur chambre, mais ce n'est pas cela. C'est en réalité une place publique, bien plus publique qu'on ne le croit.

Lorsqu'un texte comme le projet de loi C-13 est proposé, qui permettrait aux policiers de consulter les renseignements personnels, il faut que les gens comprennent que ces renseignements ne sont probablement pas privés du tout, au départ. Je crois que bien des gens pensent se soucier de la protection de la vie privée, mais ils ne pensent pas à la situation dans son ensemble ni à l'objectif, qui est de protéger les gens sur Internet. Il y a en ligne beaucoup de gens méchants, vils et, croyez-moi, je parle d'expérience, comme peuvent le faire bien des gens.

Il n'y a pas d'outils très efficaces en place. N'importe quel service de police vous le dira. Bien souvent, ce que les policiers répondent aux gens qui viennent les voir pour des problèmes de harcèlement, c'est qu'il faut éviter d'aller sur Internet. Ils n'ont pas la moindre idée de ce qu'il faut faire. Et s'ils le savaient, ils n'auraient pas les outils nécessaires pour faire leur travail.

Quant au respect de la vie privée en ligne, les gens se racontent des blagues et ils ne font attention à rien s'ils croient qu'ils peuvent aller sur Internet et que ce qu'ils y feront restera du domaine privé. Ce n'est pas privé. C'est une tribune ouverte, publique.

Le président : Merci, monsieur Canning. Je vous renouvelle mes excuses. Nous devrons suspendre la séance, et nous la reprendrons le plus rapidement possible pour ne pas trop vous faire attendre.

Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous exhorte à revenir le plus rapidement possible après le vote.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

Le président : Mesdames et messieurs les membres du comité, le témoin, M. Canning, va continuer à répondre à vos questions. Je cherche qui veut en poser. Je peux vous en adresser une, monsieur Canning.

L'Association du Barreau canadien a comparu devant le comité la semaine dernière. L'une de ses recommandations portait sur le critère de la négligence, du point de vue de l'intention criminelle. Elle se préoccupe des gens qui sont visés par ce critère et ne sont pas forcément au courant des circonstances, ne savent pas si le consentement a été donné ou non. Elle a exprimé des préoccupations au sujet de ce genre de problème. D'autres ont un point de vue différent, je crois. Avez-vous une opinion sur cet élément de la mesure législative?

M. Canning : Pour ce qui est de l'intention criminelle, je peux parler de l'expérience personnelle que j'ai vécue, et j'espère que cela vous conviendra. Je crois que l'intention de ces gens était de susciter la honte et de faire du mal. Savaient-ils que leur comportement était contraire à la loi? Je l'ignore. Je ne sais donc pas s'ils savaient qu'ils enfreignaient la loi. On revient à la question de l'information sur le droit, notamment auprès des jeunes.

Quant aux adultes qui, par exemple, ont recours à la porno de vengeance, ils ont certainement l'intention de causer un préjudice, d'infliger un embarras et une humiliation extrêmes, et c'est du harcèlement criminel, à mon avis.

En ce qui concerne l'intention, l'intention criminelle et les questions de consentement, l'Association du Barreau canadien est probablement mieux en mesure que moi de commenter. Je ne peux parler que de mon expérience, de ce que j'ai vécu, et je peux dire que l'intention était certainement de causer un préjudice extrême.

Le président : D'après la documentation que le ministère de la Justice a fournie au comité, seraient visés ceux qui reconnaissent qu'il y a un risque que la personne n'ait pas donné son consentement, mais qui communiquent quand même l'image. Quoi qu'il en soit, je ne vais pas continuer à exprimer mes propres opinions à ce sujet. Je vais donner la parole au sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Monsieur Canning, lorsque votre fille a eu son ordinateur, lui avez-vous donné l'argent nécessaire? Comment a-t-elle obtenu un ordinateur?

M. Canning : Elle a eu un ordinateur lorsqu'elle a commencé le premier cycle du secondaire. C'était un petit portable, et nous le lui avons acheté.

Le sénateur Joyal : À l'époque, avez-vous discuté avec elle ou lui avez-vous donné de l'information, lui avez-vous recommandé de faire attention aux images, aux observations, aux textes qu'elle y plaçait?

M. Canning : J'ai son ordinateur. J'ai ses fichiers à la maison. J'ai tout ce qui se trouve sur cet ordinateur. Avant l'agression, la plupart des choses qu'elle avait, c'était des images d'animaux en peluche et des images amusantes, des chansons. Il n'y a jamais eu rien de malicieux ou de mauvais. Pas mal de fois, elle est venue nous voir pour nous dire que telle ou telle personne lui avait dit ou fait quelque chose. Nous faisions alors ce qu'il fallait pour bloquer cette personne. Nous lui avons dit aussi bien des fois que les seules personnes qui devaient faire partie de son réseau social sur Internet devaient être des personnes qu'elle connaissait réellement dans la vie, et pas des étrangers d'un peu partout. Je sais que, lorsqu'elle a pris de l'âge, cela a changé, qu'elle a commencé à se lier avec des amis des amis des amis. Je suppose que c'est la réalité du monde des médias sociaux. Mais Rehtaeh n'a jamais utilisé les médias sociaux ni son téléphone portable pour faire du mal à quiconque, pour provoquer de la détresse chez quiconque, ou pour commettre un crime.

Le sénateur Joyal : Conscient que, parfois, des enfants ou des adolescents se servent d'Internet, comme vous le savez très bien, pour intimider ou harceler d'autres jeunes, aviez-vous des inquiétudes et lui avez-vous conseillé d'être prudente dans ce genre de situation en ce sens qu'elle devrait vous informer, vous, des enseignants ou une personne responsable?

M. Canning : Tout à fait. Nous n'avions aucun problème sur ce plan. Rehtaeh a toujours eu une bonne relation de confiance avec nous. La relation était telle qu'elle savait que, si elle venait nous parler d'un problème ou d'une question sur Internet, nous n'allions pas la punir à cause de cela.

Je sais qu'il existe de bonnes statistiques publiées récemment. Je ne peux pas vous donner de l'information à ce sujet dès maintenant, mais elles disent que les deux tiers des jeunes Canadiens ne préviennent pas leurs parents qu'ils sont victimes de cyberintimidation s'ils pensent que leurs parents vont leur enlever l'accès aux médias sociaux sur l'ordinateur ou vont leur enlever leur téléphone portable. C'est une forme de confiance, je suppose. Si quelqu'un se fait harceler ou intimider en ligne, il ne fait rien de mal. Ce qui se passe en ligne devrait être libre et à la disposition de tous. Le problème, ce sont ceux qui commettent des crimes en ligne. Ce sont toujours eux qui doivent nous préoccuper et que nous devons cibler.

Rehtaeh avait accès à Internet. Après l'agression, nous avons changé ses comptes Facebook et Twitter, nous avons exercé une surveillance et nous avons signalé les incidents à la police. Hélas, sans vrai résultat, de son vivant. Mais nous avons tout fait pour la garder en sécurité, mais sans jamais perdre de vue qu'elle était une victime, pas une criminelle. Supprimer l'accès à Internet aurait fait beaucoup plus de mal, selon moi, car, étant donné la façon dont les enfants et les adolescents communiquent entre eux aujourd'hui, je l'aurais empêchée de communiquer avec les gens biens qui étaient dans sa vie. Je crois aussi que si je l'avais fait, elle ne serait jamais plus venue me parler des problèmes qu'elle éprouvait. J'aurais contribué au préjudice au lieu d'être parmi ceux qui l'aidaient.

La sénatrice Batters : Monsieur Canning, merci infiniment de comparaître aujourd'hui et d'avoir patienté pendant le vote. Je tiens à vous remercier aussi de tout le travail que vous avez accompli en mémoire de votre fille. Malheureusement, vous et moi partageons une épreuve commune, puisque mon mari s'est suicidé il y a cinq ans. Je comprends donc dans une certaine mesure la douleur que vous avez ressentie. J'espère que vous constaterez que ce que vous faites en mémoire de votre fille vous aide dans cette lutte constante qu'il faut mener dans les premières années qui suivent la perte d'un être cher.

Voici ma première observation : au cours de mes conversations avec quelques personnes chez moi, à Regina, en Saskatchewan, au sujet du projet de loi, certains m'ont dit que le terme « cyberintimidation » atténuait plus ou moins la gravité du comportement en cause. C'est en fait davantage une « cyberagression » tellement les conséquences sont graves pour les adolescents, les jeunes adultes et même les adultes, comme vous l'avez fait remarquer, lorsqu'il s'agit par exemple de porno de vengeance. C'est plutôt comme une agression. Ce n'est pas juste lancer du sable à la figure de quelqu'un. Ce n'est pas une transgression mineure. C'est une situation grave comme, malheureusement, vous avez dû le constater.

Si vous le voulez bien, pourriez-vous nous parler du travail que vous avez fait pour aider d'autres enfants qui sont peut-être aux prises avec les mêmes problèmes que votre fille?

M. Canning : J'ai pris la parole dans un grand nombre d'écoles en Ontario. La semaine dernière encore, je me trouvais à Toronto. Je m'y suis adressé à six groupes d'élèves. Vendredi dernier, j'ai pris la parole à l'occasion d'une campagne du ruban blanc pour dénoncer la violence contre les femmes à Toronto. J'ai pris la parole à l'Université Queen's et au St. Lawrence College de Kingston, en Ontario, ainsi qu'à l'hôtel de ville d'Ottawa, à l'Université Concordia et à Mount Saint Vincent, à Halifax. J'ai fait beaucoup de conférences et je crois que c'est très constructif.

Je reçois beaucoup de rétroaction. Beaucoup de réactions de jeunes qui font des promesses et disent qu'ils vont essayer de ne rien faire de mal ou qu'ils vont essayer de se porter à la défense des victimes. Le message que j'essaie de lancer, c'est que le silence fait partie du problème. Il ne faut pas se tenir dans la neutralité devant ces problèmes.

Beaucoup d'adolescents, et je peux donner des exemples de la semaine dernière... Si on voit l'expression de leur visage, quand ils viennent me voir après une conférence pour me dire quelques mots, on peut dire qu'ils sont plongés dans d'énormes difficultés, comme ma fille. Ce que je lis sur leur visage, ce n'est pas la trace de l'intimidation. Vous avez raison, il s'agit d'agression. C'est le visage de la douleur et de l'angoisse absolues.

J'ai été profondément troublé, la semaine dernière lorsqu'une fille est venue me voir et m'a dit qu'elle avait songé à mettre un terme à ses jours à cause de ce qui lui arrive. Les choses peuvent devenir graves à ce point. Je lui ai demandé : « En as-tu parlé à quelqu'un? » Elle a répondu : « À vous seulement. » On en arrive à se dire qu'il faut vraiment parler du problème dans nos écoles. Notre rencontre a été un moment déclencheur, mais dans le bon sens. Si elle n'en avait pas parlé, elle aurait continué à souffrir toute seule, et peut-être les conséquences auraient-elles été tragiques.

Je crois au plus profond de moi-même qu'il y a beaucoup de très bons jeunes au Canada. Ils ont simplement besoin de conseils. Ils ont besoin d'une source d'inspiration et de soutien, et ils feront ce qu'il faut. Il y a eu dans les écoles des exemples de cyberabus où des élèves se sont portés à la défense d'un camarade qui était là pour eux. Il y a un excellent exemple à Newmarket, où une fille était harcelée et torturée sur Facebook, et toutes ses camarades se sont portées à sa défense et ont commencé à écrire de très belles choses sur sa page. Ce sont de bons exemples à utiliser.

Il s'est fait beaucoup de bonnes choses. La plupart dans les écoles, je crois. J'ai donné une conférence à l'hôtel de ville d'Ottawa le printemps dernier. Il y avait là de jeunes hommes de l'école secondaire Longfields-Davidson Heights, à Ottawa. Un enseignant avait amené 10 ou 12 de ses élèves, et ils ont beaucoup parlé de ma fille et des épreuves qu'elle avait traversées. Cela les a beaucoup touchés. L'enseignant m'a écrit pour me le dire. Puis, l'été est arrivé, et il ne s'est pas passé grand-chose. À l'automne, il m'a fait parvenir un courriel pour me dire que je devais venir dans son école pour y prendre la parole. Vous ne pourrez pas croire ce que ces jeunes hommes ont fait. Ils ont organisé une campagne dans leur école, et leur message était qu'il fallait aider les autres, qu'il fallait se porter à la défense des plus faibles, au lieu de rester dans la neutralité, car cela équivaut à se ranger du côté de celui qui tourmente les autres. Ils ont créé des affiches au sujet de la violence contre les femmes et les ont installées un peu partout dans leur école.

Cela se produit grâce aux échanges. Ce sont peut-être là mes meilleurs exemples, mais je dois dire honnêtement que ce que ces jeunes ont fait dans leur école me semble époustouflant. Je suis renversé qu'ils aient fait cela. Et c'est parce que des échanges ont commencé. Je crois que le changement au Canada débutera dans les écoles. Nous devons comprendre que les jeunes ont un outil de communication puissant. Nous devons commencer à leur parler de s'en servir pour faire du bien et agir efficacement.

Désolé de ce qui est arrivé à votre mari.

La sénatrice Batters : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur Canning. Évidemment, je sympathise avec vous. La cyberintimidation constitue une forme de harcèlement, d'embarras, de contrariété et d'intentions malveillantes. D'après les propos que vous avez exprimés tout à l'heure, vous seriez d'accord pour que la cyberintimidation soit reconnue comme une activité criminelle. Ai-je bien compris?

[Traduction]

M. Canning : Absolument. Je crois que, dans certaines circonstances, on se livre à ce genre de comportement pour faire du mal aux gens et leur porter préjudice. Si, adulte, je faisais certaines choses que des jeunes se font les uns aux autres, la police réagirait presque immédiatement. Elle réagirait en croyant qu'il s'agit d'un crime, d'une affaire criminelle.

On ne peut pas traiter les gens comme ça. Lorsque des jeunes se comportent de la sorte, je me dis que, peut-être, ils ne comprennent pas. Ils croient que ce qu'ils font est anodin, mais c'est là que doit intervenir la sensibilisation. S'ils sont renseignés et savent que leurs actes causent du tort et font mal, ils devraient assumer la responsabilité.

Je ne propose pas de criminaliser tout ce qui se passe en ligne ou de traiter comme des criminels des gens qui lancent simplement des insultes. Dans le cas des jeunes qui sont beaucoup harcelés en ligne, la solution des forces policières en ce moment est de seulement leur dire de ne pas aller en ligne. J'ai bien des exemples de cela. Des jeunes ont été tourmentés presque jusqu'au point de vouloir s'enlever la vie, et la police leur dit : « Ne va pas sur Internet ni sur Facebook et arrête de te servir de ton téléphone portable. » Il me semble que cette réaction fait partie du problème. Pourquoi devraient-ils faire ça? On dit que c'est pour les protéger. Dans ce cas, pourquoi ne pas priver les enfants de terrain de jeux parce que nous craignons qu'un pédophile ne rôde? Pourquoi les femmes ne restent-elles pas chez elles tard le soir parce qu'il y a des violeurs? Ce ne sont pas des solutions pour réprimer les crimes. On blâme les victimes, simplement.

Je vous réponds donc que oui, je crois que, passé une certaine limite, n'importe quel jeune commet un crime. Je crois que les jeunes hommes qui ont infligé tout cela à ma fille sont des criminels. Je crois qu'ils avaient l'intention de la pousser vers une anxiété extrême, la dépression, la honte et l'humiliation. Je ne crois pas qu'ils voulaient la pousser jusqu'au suicide, mais c'est ce qui est arrivé. La question a été soulevée au tribunal et par le juge lui-même : « Vous n'avez peut-être pas eu l'intention de faire du mal à quelqu'un en prenant cette photo et en la diffusant dans toute l'école, mais n'essayez pas de vous convaincre que la victime n'a pas perdu la vie à cause de ce que vous avez fait. »

Je crois qu'une partie du problème réside dans le terme « intimidation ». Ce n'est pas le genre d'intimidation qui avait cours lorsque j'étais adolescent, loin de là. Je me suis fait battre, lorsque j'étais adolescent. Je rentrais à la maison et j'y étais en sécurité. Aujourd'hui, le jeune peut rentrer chez lui et trouver une vidéo du tabassage sur YouTube, avec 1 000 messages qui lui disent de se tuer. Malheureusement, cela a un impact terrible sur les enfants. Il faut faire quelque chose. Mais s'il est une chose qu'il ne faut pas faire, c'est dire aux victimes qu'elles sont un élément du problème. Ce n'est pas vrai. Le problème, ce sont ceux qui utilisent les médias sociaux avec de mauvaises intentions.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup d'avoir accepté de comparaître et merci de votre exposé. Il est très difficile de nous adresser à vous, car nous nous sentons tous responsables de ce qui est arrivé à votre fille. Je préside le Comité des droits de la personne, qui a fait une étude de la cyberintimidation. Vous dites qu'il n'y a pas de frontière. Lorsque nous étions jeunes, il y en avait une. Lorsque nous quittions l'école, l'intimidation cessait. Nous avions la sécurité du foyer, lorsque nous rentrions à la maison. Aujourd'hui, l'intimidation est constante, 24 heures par jour.

Une opinion qui revenait sans cesse, c'était que si les fournisseurs de service... S'il y avait une façon de retirer immédiatement l'image, au moins, la douleur cesserait. Je voudrais savoir ce que vous en pensez. S'il y avait un moyen de stopper la diffusion incessante de l'image, qui est vue par un nombre de plus en plus grand de personnes... Je voudrais connaître votre point de vue.

M. Canning : Oui. Cela se résume à la question de l'application efficace de la loi et aussi de la sensibilisation dans le cadre de l'application de la loi. Ce qui est arrivé à notre fille serait aujourd'hui considéré comme de la pornographie juvénile, évidemment, compte tenu des deux affaires récentes dont les tribunaux d'Halifax ont été saisis. Au départ, la police nous a dit que l'image qui était diffusée n'était pas son problème. C'était une affaire communautaire et non policière. Elle n'a donc rien fait pour obliger quiconque à répondre de ses actes. Il y a évidemment une lacune béante dans les lois canadiennes; c'est cela, ou bien il y a une grande rupture entre les forces de l'ordre et le droit.

Si les mesures nécessaires avaient été en place et si la police avait réagi correctement dans le cas de Rehtaeh... Je peux vous donner un exemple. La police aurait pu trouver qui avait l'image, pris son téléphone portable et repéré le fournisseur de service. Elle aurait pu trouver immédiatement à qui elle avait été envoyée et stopper la diffusion.

Il y a eu une affaire, récemment, à l'école secondaire Auburn Drive de Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Un jeune homme avait une image d'une jeune fille, et il l'a envoyée à quelqu'un d'autre. La jeune fille a appris ce qui s'était passé. Elle est allée voir le directeur de l'école. Il a aussitôt saisi le téléphone portable et appelé la police. Les policiers sont venus, ils ont pris le téléphone et vérifié à qui le jeune homme avait envoyé l'image, et ils ont aussi récupéré les téléphones qui avaient reçu l'image. C'est le genre de réaction qui s'impose en pareilles circonstances.

Si l'image est diffusée à l'extérieur du district scolaire ou si, soudain, elle parvient à des centaines de personnes, on a besoin de l'aide immédiate du fournisseur de service de téléphonie cellulaire : voici le numéro, voici l'information qui a été envoyée et nous devons savoir immédiatement à qui elle a été envoyée. Si on répond qu'il faut un mandat, et qu'il faut attendre huit semaines, je suis désolé, mais à notre époque, avec ce genre d'outil de communication, autant ne pas réagir du tout. Le mal sera fait, et on ne pourra pas revenir en arrière. On ne peut pas faire qu'une cloche qui a sonné n'ait pas sonné.

La sénatrice Jaffer : Je vous comprends. C'est ce qu'on nous a expliqué, et nous voulons que la douleur cesse immédiatement. En dehors du projet de loi, il faudrait peut-être se soucier de fournir des ressources pour que la sensibilisation se fasse, que les directeurs d'école et les policiers sachent qu'il faut faire vite, mais il faudrait aussi travailler avec les fournisseurs de service pour éviter que l'image ne soit partout diffusée. Ce serait une façon de calmer la douleur, n'est-ce pas?

M. Canning : Je suis tout à fait d'accord. Bien sûr, si nous avions pu agir sans légiférer, si certains fournisseurs de services avaient fait un effort en disant aux clients que, s'ils signent un contrat et utilisent l'appareil pour des fins illégales, l'entreprise peut intervenir. Et même s'ils ont un contrat initial, l'intervention est possible : si la police vient nous voir et croit que vous avez commis un crime en utilisant nos services, nous collaborerons à fond avec elle.

Ce n'est pas ce qui se passe en ce moment. Nous allons devoir faire autre chose. J'espère qu'on adoptera une loi qui s'attaquera efficacement au problème. Ma grande crainte, ce qui me préoccupe, c'est un obstacle qui empêche de faire quoi que ce soit pour aider quelqu'un qui subit ce que ma fille a subi, et cet obstacle, sérieusement, c'est le temps. Il faut être aussi rapide qu'Internet, littéralement, sans quoi les crimes en ligne sont là, le mal est fait, et il est impossible de revenir en arrière.

Le sénateur McInnis : Merci beaucoup, monsieur Canning, de ce que vous faites. J'ai entendu plusieurs de vos interviews diffusées au niveau national. Vous êtes assurément compatissant et déterminé, et vous êtes un bon communicateur.

Beaucoup de Canadiens s'inquiètent de la cyberintimidation. Le projet de loi à l'étude nous semble bon, mais ce n'est pas une panacée. Ce que vous faites est un élément de la solution. La sénatrice Jaffer y a fait allusion et elle et moi en avons parlé, mais je me demande s'il n'y a pas un moyen — une stratégie nationale, peut-être, je ne sais pas — de coordonner les efforts des nombreuses personnes qui s'occupent de ce problème. Il n'y a pas que les trois ordres de gouvernement et les divers organismes, les conseils scolaires et le réseau de l'éducation, mais aussi la police et tous ceux qui s'occupent de la question. Il me semble que nous pouvons avoir une approche qui va dans tous les sens ou bien une approche qui est structurée et coordonnée. La sénatrice Jaffer et moi allons travailler à cette question lorsque l'étude du projet de loi sera terminée.

Quel est votre avis à ce sujet? Vous êtes allé dans les universités. Vous êtes seul, et vous pouvez mobiliser beaucoup d'attention. Vous avez fait un travail splendide. Mais si vous mettiez une stratégie ou un système en place, que feriez-vous pour que, au mieux de notre capacité, nous éliminions ce fléau, notamment chez les jeunes?

M. Canning : Le mieux que nous puissions faire, à mon avis, c'est mobiliser les jeunes, leur parler, leur donner des ressources, les inspirer, leur faire connaître le mal que ce comportement peut faire, le mal qu'on peut faire en restant en touche. Cela se résume à des choses simples. Les jeunes au Canada sont fantastiques, je le sais. La majorité d'entre eux sont incroyables, et nous devons en être très fiers. Peu importe ce que nous faisons pour lutter contre ce problème, cet élément doit être là. Il ne s'agit pas de sortir les grands moyens et de dire : « C'est la loi. » Il faut parler aux jeunes pour éviter qu'ils n'enfreignent la loi.

Je ne pense pas que la majorité des jeunes hésitent le moins du monde à se comporter correctement et à se soutenir les uns les autres. Je ne le pense vraiment pas. Il suffit qu'ils sachent ce qu'il faut faire. Dans le cas de ma fille, il y a des jeunes qui sont allés voir leurs enseignants. Ils ne savaient pas quoi faire. Ils essayaient de l'aider. Le problème se résume à ça : ils n'avaient pas la moindre idée de ce qu'ils étaient censés faire. Il faut aller le leur dire : « Voici ce que vous pouvez faire; vous pouvez aller sur la page de la personne, vous pouvez faire ceci, vous pouvez aller voir la police, vous pouvez aller voir les parents. Vous pouvez faire tout cela. » Le plus important, cependant, c'est de faire comprendre que, peu importe ce qu'ils font, ils doivent éviter de ne rien faire. Cette indifférence à l'égard des victimes qui souffrent et qui sont à l'école, c'est atroce.

Je sais que des jeunes se mobilisent, car j'ai parlé à beaucoup d'entre eux, et beaucoup d'enseignants viennent me dire que ces jeunes se sont réunis et qu'ils ont formé un club, un groupe, qu'ils commencent à signer des cartes qui disent : Je ne vais pas être un simple spectateur. Tout cela se produit simplement parce qu'on leur parle.

Si on obtient cela simplement en leur parlant, j'image tout ce qui serait possible si le gouvernement avait un programme de sensibilisation efficace qui permette d'aller dans les écoles secondaires au Canada pour parler aux élèves du pouvoir des médias sociaux, de tout le bien qu'ils peuvent apporter, mais aussi de tout le mal qu'ils peuvent faire, pour leur expliquer ce qu'ils doivent faire. Nous pourrons profiter de l'occasion pour parler aux jeunes d'autres questions qu'ils ne semblent pas saisir, comme la notion de consentement.

Je crois, sénateur, que la meilleure façon de s'attaquer à ce problème au Canada, c'est d'aller dans les écoles secondaires et en parler aux jeunes. Je crois que ce sera le début et la fin de tout ce problème.

Le président : Monsieur Canning, nous allons devoir mettre un terme à nos échanges sur ces propos très utiles. Le comité vous est reconnaissant d'avoir accepté de comparaître, et il vous remercie à la fois de votre témoignage et de votre patience. Merci, monsieur.

Nos prochains témoins sont Corina Morrison, cofondatrice et directrice générale de la London Anti-Bullying Coalition, et Linda Steel, membre du conseil d'administration de la coalition. Nous accueillons également Paul Gillespie, président et directeur général de Kids Internet Safety Alliance, Karyn Kennedy, directrice générale de Boost Child Abuse Prevention & Intervention, et enfin David Fraser, associé chez McInnes Cooper, qui comparaît à titre personnel.

Mmes Steel et Morrison ont toutes les deux une brève déclaration liminaire à faire. Ce sera d'abord vous, madame Morrison?

Corina Morrison, cofondatrice et directrice générale, London Anti-Bullying Coalition : Merci beaucoup. La London Anti-Bullying Coalition a été fondée il y a 11 ans et la York Region Anti-Bullying Coalition l'a été il y a cinq ans. Nos coalitions se sont directement portées à la défense de plus de 500 familles dont les enfants ont été ou sont toujours victimisés, et à l'aide aux systèmes qui sont censés les aider et les protéger.

Le cahier que voici est plein de leurs histoires qui fendent le cœur. Nos téléphones sonnent sans cesse et les courriels ne cessent d'arriver. Nous avons des liens avec sept autres coalitions de lutte contre l'intimidation dans toute la province et avec d'innombrables partenaires communautaires de l'ensemble du Canada. Par le passé, nous avons été invités à faire valoir notre point de vue aux échelons fédéral, provincial et local.

Nous approuvons et appuyons sans réserve tous les points, de A à F, dans le résumé du projet de loi C-13 et nous nous réjouissons vraiment des progrès accomplis dans ces domaines. Et nous appuyons le projet de loi. Des enfants sont blessés, physiquement et psychologiquement. Des enfants meurent, des enfants se font dire sans cesse de se tuer. Il faut que cela cesse. On nous a demandé : « Le projet de loi C-13 va-t-il éliminer ce problème? »

Le rapport du Comité sénatorial des droits de la personne, qui est présenté dans notre invitation comme l'un des documents à l'origine du projet de loi C-13, parle beaucoup des droits des enfants garantis par la convention de l'ONU qui est entrée en vigueur au Canada en 1992. Le but du rapport, c'était de mettre un terme à la cyberintimidation et de protéger nos enfants.

Linda Steel, membre du conseil d'administration, London Anti-Bullying Coalition : Nos élèves sont victimes de traque, de harcèlement, d'agressions sexuelles, de coercition et ainsi de suite. Il n'y a rien, dans le projet de loi C-13 qui porte sur le groupe des 12 à 17 ans dont nous nous occupons. Il n'y est question nulle part des droits de l'enfant. Voilà nos questions et nos préoccupations initiales.

Bien que le projet de loi C-13 modifie le Code criminel et trois autres lois, nous ne voyons pas comment il protège les jeunes, puisqu'il ne modifie pas la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il n'y est pas question de la protection des enfants, de l'intimidation ou de la cyberintimidation. Il n'y a aucune définition officielle de la « cyberintimidation ». Comme le projet de loi n'exige pas la collecte ni la conservation de données sur les incidents d'intimidation ou de cyberintimidation, ni non plus le suivi de ces incidents, comment pourrons-nous, comment quiconque pourra-t-il savoir si les mesures prises sont efficaces? En quoi le projet de loi C-13 reflète-t-il l'intention ou les recommandations des auteurs du rapport que le Comité sénatorial des droits de la personne a publié en 2012? Comment ce projet de loi tient-il compte des articles 16 et 19 de la Convention de l'ONU relative aux droits de l'enfant? Quelles sont les répercussions réciproques entre ce projet de loi et le projet de loi C-32, qui traite de la Charte canadienne des droits des victimes, également à l'étude?

Selon la Coalition canadienne pour les droits des enfants, au Canada, les enfants subissent plus de violence, d'exploitation et de mauvais traitements que les adultes; et le Canada n'a pas une bonne note pour ce qui est de l'équité intergénérationnelle à cause du faible soutien qui est accordé aux enfants. Nous réclamons une vraie protection pour les enfants et une aide véritable pour les victimes, y compris pendant la perpétration du crime, ce qui doit amener les adultes responsables de la sécurité des enfants à tous les niveaux à rendre des comptes.

Lorsqu'il y a plus d'une personne qui vit dans une maison ou un cadre semblable où on trouve un ordinateur, la police ne peut pas, aux termes du projet de loi, accuser qui que ce soit, car il n'y a pas moyen de savoir qui a appuyé sur la touche pour envoyer des messages criminels d'intimidation qui causent du tort et de la douleur. Si, par exemple, les adultes responsables dans la maison étaient tenus légalement responsables, il pourrait y avoir un vrai changement. Malgré les mesures constructives proposées dans le projet de loi C -13, la police sera toujours, à bien des égards, incapable d'agir ou d'appliquer la loi à l'encontre d'un auteur qui reste inconnu.

Nous nous félicitons du projet de loi C-13 et nous espérons que vous poursuivrez vos efforts dans la même direction. Surtout, nous nous félicitons du rapport du Comité sénatorial des droits de la personne et nous croyons que ses recommandations devraient être mises en œuvre le plus tôt possible, notamment celle qui porte sur une stratégie nationale, de façon à assurer la cohérence dans toute la province. À moins qu'il ne soit donné suite aux recommandations, nous devrons dire, même si nous appuyons le projet de loi C-13, que cette seule mesure ne mettra pas un terme à la douleur de nos enfants, au préjudice qu'ils subissent. Nos enfants ont besoin de mesures plus nombreuses et de meilleure qualité.

De nouveau, je vous remercie sincèrement de m'avoir permis de prendre la parole. Nous voudrions contribuer à résoudre le problème.

David Fraser, associé, McInnes Cooper, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de vous adresser la parole aujourd'hui. Je vous en sais gré. Je vous suis également reconnaissant du soin, de l'attention dont vous témoignez dans vos délibérations.

Je me présente. Je m'appelle David Fraser, et je suis associé dans un cabinet d'avocats du Canada atlantique, McInnes Cooper. Je dois cependant souligner que je témoigne à titre personnel et non pas au nom du cabinet, de ses clients, ni de qui que ce soit d'autre qui serait lié à ce cabinet. J'exerce depuis une douzaine d'années dans le domaine du droit d'Internet et du droit relatif au respect de la vie privée. J'ai représenté au fil des ans de nombreux clients, dont des victimes de cyberintimidation, des victimes dont des images intimes ont été diffusées en ligne sans leur consentement, et j'ai représenté aussi et conseillé des fournisseurs de service. Plus particulièrement, j'ai fait partie d'une équipe de mon cabinet qui a porté gratuitement jusqu'à la Cour suprême du Canada la cause d'une victime de cyberintimidation de 15 ans. Ce fut la première fois où la cour a eu l'occasion d'examiner le phénomène de la cyberintimidation, et elle a rendu une décision unanime et forte pour protéger les intérêts de la victime d'une cyberintimidation qui comprenait un aspect sexuel.

J'espère que, à différents points de vue, cette expérience apportera au comité une certaine aide dans sa tâche importante qu'est l'étude du projet de loi C-13. Comme il a déjà été dit, nous devons trouver un juste équilibre dans cette mesure législative, et je crois qu'elle n'y arrive pas tout à fait. J'espère pouvoir expliquer pourquoi et apporter un peu d'aide. À mon avis, des rajustements mineurs feront en sorte que ce projet de loi puisse résister à toute contestation fondée sur la Charte.

Je parlerai d'abord des dispositions qui portent sur la diffusion non consensuelle d'images intimes. Il a été dit que le projet de loi C-13, s'il avait été en vigueur, aurait pu sauver Amanda Todd et Rehtaeh Parsons. On peut certes l'espérer, mais le monde est bien plus compliqué que cela. Dans les deux cas, la possession et la diffusion de pornographie juvénile étaient déjà un crime, tout comme le sont la création, la possession et la diffusion d'images de voyeurisme, l'extorsion et le harcèlement criminel. Cela dit, il y a une grave lacune à combler dans le Code criminel, et elle concerne la diffusion malicieuse d'images intimes sans le consentement de la personne qui y est montrée, peu importe l'âge de la victime. Nous devons être très prudents dans la définition de cette infraction. La réalité, de nos jours, est que des jeunes et des adultes, que cela nous plaise ou non, prennent des photos d'eux-mêmes et les partagent volontiers avec leurs partenaires intimes. Il est facile de diffuser ces images numériques sans le consentement de la personne qui y est montrée.

Nous voulons criminaliser, du moins je le veux, le comportement du type qui diffuse en ligne des images de son ex-petite amie sans consentement, dans ce qu'on appelle de la porno de vengeance. Je veux criminaliser les actes d'une personne qui transmet des images de ses partenaires présents ou passés. Dans chacun de ces cas, la personne doit ou devrait savoir s'il a le consentement de la personne représentée. Mais nous devons éviter de criminaliser par mégarde un comportement qui n'est pas blâmable. Quelqu'un trouve une photo d'une personne nue en ligne et l'envoie à un ami. Cette personne ne connaît rien des circonstances dans lesquelles la photo a été prise. Il peut s'agir d'un mannequin professionnel. Il se peut que la personne représentée ait elle-même pris la photo. Il n'y a aucun moyen de savoir si, dans ces circonstances, le consentement a été obtenu et si, au moment où la photo a été prise, la personne voulait que cela reste du domaine privé. L'internaute n'a aucun moyen de savoir. Les dispositions du projet de loi invoquent le critère de la négligence, ce qui, à mon avis, n'est pas assez exigeant. Cette notion s'applique lorsque la personne aurait dû faire une vérification, mais a préféré l'aveuglement volontaire. Toutefois, comme c'est le cas pour une grande partie du contenu en ligne, il n'est pas possible de faire cette vérification.

Nous devons prendre grand soin d'élaborer une loi capable de résister à une contestation devant les tribunaux. Je crains que cette notion de « négligence » ne risque de faire invalider la loi ou encore de criminaliser des gens qui ne sont pas vraiment dignes de blâme. Je veux éviter les situations où des accusations sont portées et où l'affaire finit par être rejetée parce qu'une loi ne peut résister à une contestation fondée sur la Charte.

Le gros du projet de loi C-13 traite des pouvoirs de la police, dont je voudrais maintenant parler. On a dit également que les nouveaux pouvoirs que le projet de loi confère à la police auraient pu servir pour poursuivre ceux qui ont tourmenté Amanda Todd et Rehtaeh Parsons. Dans ces deux cas, à mon avis, la police n'a pas su utiliser à fond les pouvoirs qui étaient déjà à sa disposition pour faire correctement enquête sur les crimes dont les deux jeunes filles étaient victimes.

Le projet de loi C-13 prévoit, au nouvel article 487.016, des ordonnances de production pour rendre obligatoire la transmission de données et, à l'article 492.2, un mandat pour un enregistreur de données de transmission. Il a été dit que la raison d'être des dispositions du projet de loi sur les données de transmission était d'étendre les pouvoirs policiers existants — qui sont soumis à une surveillance judiciaire, je le souligne — relatifs à l'information sur la téléphonie à l'ère Internet, sans étendre de façon appréciable le statu quo. Ce pour quoi on soutient que le soupçon raisonnable est le critère qui convient.

Cette discussion est passée à côté de l'essentiel : les données de transmission sont nettement différentes des données de signalisation en téléphonie classique. En téléphonie classique, les « données de transmission » désignent le numéro appelé, le numéro à partir duquel et vers lequel l'appel se fait, la réalisation de l'appel et sa durée. Dans le contexte d'Internet, la quantité d'information et ce qu'elle révèle sont radicalement différents. Il y a l'adresse IP de l'ordinateur d'origine, de l'information sur l'ordinateur, le navigateur, le protocole de communication Internet, le fait qu'il s'agit de voix sur le protocole Internet, d'une session de navigation ou de clavardage. L'interception des données de transmission révélerait aux organismes d'exécution de la loi si l'utilisateur ciblé par la surveillance visitait un moteur de recherche, une encyclopédie, un site à caractère médical, le site web d'un médecin ou autre chose. Il s'agit d'une expansion radicale de l'information fournie, par opposition aux communications téléphoniques classiques.

Aujourd'hui, on se sert des ordinateurs bien différemment de ce qu'on fait d'un téléphone, et l'utilisation des ordinateurs révèle beaucoup plus d'information sur la personne. Je crains donc, à cause du volume d'information et de ce qu'elle révèle sur la personne, même si on ne tient pas compte du contenu, que le critère du soupçon raisonnable ne résiste pas à une contestation fondée sur la Charte. Il doit y avoir des « motifs raisonnables de croire », si on veut que la disposition soit reconnue conforme à la Charte. Cette opinion est appuyée par l'arrêt rendu récemment dans l'affaire Spencer, qui a fait l'objet d'abondantes discussions au comité.

Pour finir, je voudrais signaler deux autres points. L'un est que, pour toute utilisation de ce pouvoir, il faudrait que les policiers finissent par aviser la personne dont l'information a été obtenue, soit après six mois, soit lorsque cela ne risque plus de nuire à une enquête légale. Quant aux personnes en cause, tout comme c'est le cas pour les ordonnances d'interception, les dispositions devraient s'appliquer. J'estime que les dispositions sur l'immunité n'apportent rien de bon. Je serais heureux d'en parler longuement.

Paul Gillespie, président et directeur général, Kids Internet Safety Alliance : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs. Merci de me permettre de comparaître. Je m'appelle Paul Gillespie. Je suis l'ancien policier de Toronto qui a été responsable de la section chargée de la lutte contre l'exploitation des enfants, largement considérée comme chef de file mondial dans le domaine de la lutte contre les crimes sur Internet dont les victimes sont des enfants. Je suis maintenant président de la Kids Internet Safety Alliance, la KINSA, organisme de bienfaisance enregistré, de plus en plus présente dans le monde, qui vise à secourir les enfants.

La KINSA veut libérer tous les enfants de l'exploitation en ligne. Au niveau international, la KINSA collabore avec des organismes d'exécution de la loi et d'autres partenaires pour offrir de la formation et des services de renforcement des capacités dans les services de police des pays en développement, pour les aider à trouver et à secourir les enfants. Jusqu'à maintenant, la KINSA a donné à plus de 400 policiers et procureurs de 26 pays la capacité de secourir 121 enfants, dont 10 au Canada. Ceux qui ont suivi la formation de la KINSA ont fait des présentations sur la sécurité sur Internet à 10 000 policiers et 25 000 civils dans le monde entier. À l'échelle nationale, la KINSA a lancé le site nobodystandsalone.com, grâce à des fonds du ministère ontarien de l'Éducation et de l'industrie privée, qui donne des outils et des conseils aux adolescents et aux jeunes pour démasquer les cyberintimidateurs et mettre fin à leurs manœuvres. Nous avons réuni des ressources pour les adolescents, les parents et les éducateurs, afin de les renseigner sur la cyberintimidation, et nous leur donnons des stratégies éprouvées pour gérer ces problèmes.

Je voudrais vous donner lecture d'un article du conseiller juridique de la KINSA, David Butt, avocat de la région de Toronto, dont les lettres d'opinion sont régulièrement publiées dans le Globe and Mail, pour ensuite vous faire part de quelques réflexions personnelles.

Quels droits préexistants en matière de protection des renseignements personnels le projet de loi C-13 enlève-t-il au juste? Précisément aucun. Le projet de loi actualise, pour l'ère numérique, la disposition complexe du Code criminel sur les mandats de perquisition, mais il n'élargit pas les pouvoirs que possède la police pour se procurer de l'information sans avoir obtenu au préalable une ordonnance judiciaire. Toute affirmation selon laquelle le projet de loi C-13 autoriserait une surveillance en ligne sans mandat plus envahissante tient de la légende. Toutefois, le projet de loi encourage la communication volontaire à la police de renseignements qui peuvent déjà, légalement, être communiqués sans ordonnance judiciaire. Il nous faut donc demander quels sont les renseignements qui peuvent être légalement communiqués à la police sans ordonnance judiciaire préalable. La réponse, c'est fort peu de choses, et même ce peu est étroitement contrôlé après coup par les tribunaux.

Les fournisseurs de service Internet possèdent des tonnes de données sur nos habitudes de navigation sur Internet, ou y ont accès, parce nous accédons à Internet par l'entremise de fournisseurs d'accès. Qu'est-ce que la police peut demander aux fournisseurs de fournir volontairement sur notre profil personnel, sur notre profil Internet? Là encore, peu de choses : le nom et l'adresse de l'abonné. C'est tout. De façon responsable, presque tous les fournisseurs d'accès Internet interdisent l'utilisation de leurs services pour commettre des crimes. De façon tout aussi responsable, ils apportent leur aide aux enquêtes légitimes sur les violences envers les enfants sur Internet en fournissant volontairement le nom et l'adresse d'un abonné lorsque la police les demande dans les règles. Les Canadiens peuvent donc se rassurer : la police peut demander la communication volontaire de fort peu de choses, et les tribunaux surveillent de près ces communications.

À moins d'être la cible d'un assassin, on peut considérer la communication de son nom et de son adresse comme une atteinte négligeable à la vie privée. Nous publions de façon tout à fait courante des noms et des adresses dans de multiples annuaires. Et pourtant, pourquoi la police demanderait-elle ces renseignements sans avoir une ordonnance des tribunaux? Une brève illustration le montrera. Sally, 13 ans, fait l'objet de cyberintimidation anonyme sur sa page des médias sociaux, de la part de Jean Untel. Sally et ses parents sont affolés et appellent la police pour démasquer celui qui se cache sous le nom « Jean Untel ». Combien de temps faudra-t-il à la police pour obtenir la communication volontaire de l'information sur l'abonné auprès de l'hôte du média social et du fournisseur d'accès? À peine quelques minutes. Mais s'il faut une ordonnance d'un juge, il faut en réalité deux ordonnances : une pour l'hôte de média social et l'autre pour le fournisseur d'accès Internet. La police doit rédiger chaque demande et la faire approuver par le tribunal. Elle attend ensuite son tour, puisque la boîte de réception de l'entreprise déborde d'ordonnances semblables. Habituellement, il faut compter 60 jours pour obtenir le nom et l'adresse de l'abonné de cette façon. Et l'enquête ne s'arrête pas au nom et à l'adresse. Ce n'est qu'un indice pour la police. À partir de là, la police doit encore préparer une demande détaillée de mandat pour justifier l'accès à toute activité de Jean Untel sur Internet. Soixante jours de cyberintimidation, c'est une éternité d'angoisse pour une jeune adolescente. Pourquoi Sally et ses parents devraient-ils attendre 60 jours avant qu'une enquête ne s'amorce, alors que, avec une atteinte minime à la vie privée par la communication volontaire de renseignements sur l'abonné, l'enquête peut commencer après quelques minutes?

Le projet de loi comprend trois parties : la criminalisation de la diffusion d'images intimes; des exigences réduites à propos des mandats exigés pour accéder à certaines données; l'immunité pour les entreprises de télécommunication qui transmettent volontairement des données à la police. Tout d'abord, selon moi et en tout respect, c'est une évidence, compte tenu des affaires récentes qui ont reçu beaucoup d'attention et des peines infligées à ceux qui ont diffusé des images.

La réponse aux critiques est triple : a) expliquer pourquoi, aux premiers stades de l'enquête, il faut commencer par un critère. Autrement, les enquêtes sont dans une impasse : impossible de faire une enquête sans qu'une autre enquête ait été faite; b) les critères moins exigeants sont déjà monnaie courante, comme le soupçon raisonnable, pour détenir des personnes aux fins d'une enquête, et l'efficacité de ces stratégies est avérée; c) l'effet pratique de l'exigence d'un mandat est une solide protection. En effet, la police doit rédiger des choses dont elle sait qu'elles seront lues par des juges et des avocats de la défense, et qu'ils pourront utiliser pour la contre-interroger. En soi, le processus assure de très solides protections au citoyen, peu importe le critère appliqué par le juge. En un mot, un juge ne signera jamais en connaissance de cause un mauvais mandat.

Les entreprises ne peuvent communiquer que ce qu'il est légal de communiquer. Les dispositions sur l'immunité n'affaiblissent donc pas le moindrement les protections relatives à la vie privée. J'estime donc que le projet de loi est bien raisonné et équilibré. Merci.

Karyn Kennedy, directrice générale, Boost Child Abuse Prevention & Intervention : Bon après-midi, distingués sénateurs, mesdames et messieurs. Merci de me donner cette occasion de parler du projet de loi C-13, Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité. Je suis la directrice générale de Boost Child Abuse Prevention & Intervention et du Child and Youth Advocacy Centre, à Toronto. Boost travaille depuis 30 ans avec les enfants et les jeunes qui sont victimes de mauvais traitements et de violence, et il a ouvert le premier Child and Youth Advocacy Centre de Toronto à l'automne 2013. Nous collaborons étroitement avec la police, les services de protection de l'enfance, les procureurs et d'autres professionnels pour réagir aux cas de mauvais traitements et de violence contre des enfants. Nous sommes également membres de la stratégie ontarienne de lutte contre l'exploitation des enfants sur Internet et coordonnons le traitement de tous les enfants et les jeunes victimes d'exploitation sexuelle en ligne et de cyberintimidation dans l'ensemble de l'Ontario. Ces deux dernières années, nous avons remarqué une nette augmentation du nombre de cas d'exploitation et de cyberintimidation d'enfants sur Internet. C'est là un problème qui nous préoccupe vivement, et nous avons eu à ce sujet de nombreuses discussions avec nos collègues du Centre canadien de protection de l'enfance, à Winnipeg, et collaboré avec les efforts de prévention et d'intervention dans l'ensemble du pays.

Nous croyons comprendre, d'après ce que nous disent nos partenaires de la police au Child and Youth Advocacy Centre, nos partenaires de la stratégie de lutte contre l'exploitation des enfants sur Internet, avec qui notre personnel collabore étroitement pour préparer et appuyer les enfants et les jeunes qui participent à des instances judiciaires, que le projet de loi, et plus particulièrement l'article 162.1, concernant la diffusion non consensuelle d'images intimes, combleront une lacune dans le Code criminel concernant la diffusion d'images, comportement qui n'est pas par ailleurs visé par les infractions déjà prévues au Code criminel ou des infractions analogues. Dans la mesure où cette nouvelle infraction aidera nos partenaires du système de justice pénale à faire enquête sur des crimes commis contre des enfants et des jeunes et d'intenter des poursuites, Boost se réjouit grandement de ces modifications.

Nous nous félicitons aussi des modifications et des ajouts proposés dans le projet de loi qui aideront la police à conserver les éléments de preuve et à obtenir des ordonnances ou des mandats pendant les enquêtes sur les crimes commis contre des enfants. Il faut encourager tout ce qui aide nos partenaires du système de justice pénale à identifier avec exactitude et à arrêter comme il se doit et inculper les auteurs de crimes contre des enfants et des jeunes. Nous sommes profondément préoccupés par la prévalence des crimes consistant à diffuser des images intimes sur Internet et par le traumatisme grave et durable que ces actes provoquent. Nous savons trop bien comment, dans certains cas, le traumatisme est accablant et aboutit souvent à un drame et même à la mort. Il est nécessaire d'obliger les auteurs des crimes à assumer leur responsabilité et à rendre des comptes. C'est une façon de décourager la perpétration de ces crimes. Cela lance aussi un message fort à la société : ces crimes ne seront pas tolérés.

Nous savons que beaucoup d'autres témoins ont déjà présenté des mémoires pour expliquer comment les modifications du Code criminel proposées toucheront les droits au respect de la vie privée au Canada. Nous ne prétendons pas reprendre des témoignages qui ont déjà été présentés, mais nous voudrions mettre en lumière certains aspects du projet de loi.

J'ai passé en revue les mémoires que des témoins ont présentés au comité ce mois-ci, et notamment les 5 et 6 novembre, et je tiens à renforcer certains des points qui ont été soulignés, notamment ceux du ministre Peter MacKay.

La loi seule ne saurait prévenir ni régler les problèmes de cyberintimidation d'enfants et de jeunes, ainsi que d'adultes. Il faut une réaction plus large dans les foyers, les écoles, les collectivités, les provinces et le pays tout entier. Selon nous, le projet de loi a déjà commencé à intensifier le dialogue sur l'impact de la cyberintimidation sur les victimes et leur famille et la sensibilisation à ce problème. Nous espérons que cela aidera les jeunes à réfléchir un peu plus aux conséquences possibles de leurs actes. Il y aura ainsi un aspect de prévention ou au moins de dissuasion qui fera diminuer le nombre d'infractions. Dans le cadre de nos programmes scolaires de prévention à l'intention des élèves de la 6e à la 8e année, nous discutons des conséquences pénales possibles pour les jeunes de 12 ans et plus qui commettent des actes non consensuels, et nous allons certainement aborder cette nouvelle infraction dans nos programmes.

Dans le cadre d'une réponse plus vaste à la cyberintimidation et d'autres formes de violence à l'égard des enfants, il faut continuer de soutenir les programmes de prévention dans les écoles et au niveau local, et ils doivent être axés non seulement sur les éventuelles victimes, mais aussi, et c'est tout aussi important, sur les personnes qui pourraient être des témoins, des spectateurs passifs et des auteurs de crime. Je voudrais aussi faire écho aux propos que Greg Gilhooly a tenus au comité le 6 novembre, au sujet de la nécessité de maintenir le financement spécialement ciblé vers les centres de défense des enfants qui se développent dans tout notre pays. Nous avons toujours besoin de centres de défense des enfants et des jeunes, de services psychologiques et de programmes de soutien pour la comparution devant les tribunaux, pour les enfants et les jeunes qui sont victimes de mauvais traitements, de violence et de cybercriminalité. Nous espérons que les gouvernements fédéral et provinciaux continueront de soutenir les efforts d'organisations comme la nôtre pour apporter les compléments d'intervention nécessaires, en plus des mesures législatives.

En guise de conclusion, je voudrais reprendre les propos de ma collègue Lianna McDonald, du Centre canadien de protection de l'enfance : il est absolument essentiel que nous protégions mieux les enfants et les jeunes des horreurs qu'ils doivent affronter lorsqu'ils sont victimes de crimes semblables. Nous devons faire davantage, et le projet de loi nous fait progresser en ce sens. Nous estimons que le projet de loi est nécessaire et concilie correctement la protection et l'aide à apporter aux victimes, d'une part, et le respect de la vie privée, d'autre part. Nous appuyons fermement un projet de loi qui aidera ceux qui travaillent avec les victimes vulnérables de la cybercriminalité. Merci.

Le président : Merci à vous tous. Nous commencerons par les questions du vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins qui comparaissent aujourd'hui. Vous nous avez donné largement matière à réflexion et vous avez apporté de nouvelles idées au sujet du projet de loi.

Pendant la période limitée dont je dispose, je voudrais poser des questions à M. Fraser, qui est associé chez McInnes Cooper. J'ai lu quelques affaires qu'il a plaidées, et je dois dire que le cabinet McInnes Cooper doit être fier de vous avoir, monsieur Fraser, parmi ses associés. Au fil des ans, vous avez fait un excellent travail comme avocat. Je vous croyais bien plus âgé que vous ne l'êtes.

Toutefois, nous avons ici une divergence d'opinions. J'ai lu beaucoup de jugements en droit pénal, et beaucoup d'entre eux ne portent pas uniquement sur Internet. Ils portent sur le droit pénal, les drogues et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, par exemple, et j'ai appris avec les années que l'expression « soupçon raisonnable » est un critère qui se situe à un niveau plus élevé que le simple soupçon.

Dans l'affaire Spencer, la Cour suprême du Canada ne s'est pas interrogée sur le « soupçon raisonnable », mais sur une lettre écrite à la police pour obtenir de l'information, car, comme vous le savez, aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, c'est tout ce qu'il suffit de faire s'il y a une enquête policière. C'était là le fond de cet arrêt. Au paragraphe 47, cependant, la Cour suprême du Canada traite des perquisitions qui nécessitent une autorisation judiciaire. Elle a pris l'exemple du recours à un chien renifleur, car il s'agit d'une forme de perquisition. On a recours à un chien renifleur parce qu'on a un soupçon raisonnable. Le policier force une personne à s'arrêter sur le côté de la route — c'est très fréquent — et il a un soupçon raisonnable. Il passe les menottes à la personne et la laisse appeler un avocat si elle le veut, et il fait venir un chien. Il s'agit d'une perquisition complète, selon la Cour suprême du Canada. Et ce type de perquisition est fait sur la base d'un soupçon raisonnable.

Je considère l'actuel article 487.012 du Code criminel et les mandats qui ont été délivrés au Sénat, par exemple, pour des personnes comme M. Duffy, parce que le juge croyait que le policier avait un soupçon.

Pourriez-vous m'expliquer pourquoi nous abordons cette question sous un angle différent? Je considère le soupçon raisonnable comme un critère relativement exigeant. Pourquoi êtes-vous aussi catégorique? Les autres avocats, qui n'ont peut-être pas la même expérience que vous dans ce domaine du droit, nous ont dit la même chose.

M. Fraser : Ma préoccupation à ce sujet a un lien avec l'arrêt Spencer, bien que, comme vous l'avez dit, cet arrêt n'ait pas porté sur une situation identique à celle qui nous intéresse. Le critère à utiliser pour décider si le juge doit donner son autorisation sur la base d'un soupçon raisonnable, ou d'un motif raisonnable, doit reposer sur le caractère délicat des renseignements en cause. Il y a certainement une différence entre l'action d'un chien renifleur et un policier qui fouille toute la voiture. Ce qui me préoccupe...

Le sénateur Baker : Vous pouvez vous retrouver en prison.

M. Fraser : Le chien ne peut pas vous mettre en prison, mais il peut susciter des « motifs raisonnables de croire » dont on pense qu'ils permettent de procéder à une fouille approfondie. Ce qui me préoccupe, c'est que nous avons déjà un mandat qui permet de conserver de l'information téléphonique sur la base de doutes raisonnables. Ce qui m'inquiète, c'est que l'historique de navigation n'est pas identique à la liste des appels téléphoniques. Les deux sont fort différents. Compte tenu du caractère délicat et de l'importance des renseignements qui pourraient être découverts, il faut s'appuyer non sur un soupçon raisonnable qu'un crime a été commis, mais sur des motifs raisonnables de le croire.

Si je crois que l'arrêt Spencer conforte cet avis, c'est parce que la cour a affirmé que les renseignements sur les activités d'une personne sont plutôt parmi les plus délicats, face aux procureurs du ministère public, à la police et à d'autres, y compris le gouvernement du Canada, qui a dit qu'il s'agit seulement de renseignements qu'on trouve dans un annuaire téléphonique, et ces renseignements ne sont manifestement pas délicats. C'est là une opinion fondée sur une perception fondamentalement erronée de la nature des renseignements.

Le sénateur Baker : Oui, mais vous obtenez l'adresse IP. Il se peut que plusieurs personnes se servent de cette adresse.

M. Fraser : Ou une seule, effectivement.

Le sénateur Baker : Vous savez, étant donné votre expérience passée du droit, que ce qui arrive normalement, c'est que la police met la main sur l'ordinateur et obtient un mandat pour en examiner le contenu.

M. Fraser : C'est vrai.

Le sénateur Baker : Et pour examiner le contenu de l'ordinateur, c'est le critère dont vous parlez qui s'applique. Comment transposez-vous ce critère de la fin du processus à son début, au stade de l'adresse IP?

M. Fraser : C'est qu'il ne s'agit pas uniquement de l'adresse IP, lorsqu'il est question de données de transmission Internet. Il y a l'adresse IP, les sites web visités, les URL, l'information sur les appels par protocole Internet. Cette définition recouvre un ensemble de renseignements beaucoup plus importants. Je crois qu'on peut corriger le problème de deux façons, et je serais heureux d'apporter toute la lumière que je peux.

Une façon de faire est de s'assurer de restreindre la définition des renseignements téléphoniques de façon qu'on traite de la téléphonie analogique, puisque nous sommes à l'ère numérique, en ce qui concerne les renseignements sur les appels, et de façon que nous comparions des pommes avec des pommes. Il se peut que ce soient des McIntosh et des Granny Smith, mais ce sont uniquement des pommes. Ou bien on a affaire à une catégorie de renseignements qui sont plus délicats que des simples renseignements de signalement téléphonique, et le critère des motifs raisonnables de croire s'applique. Un fait à signaler, c'est que, si je comprends bien, dans la plupart des affaires très remarquées de cyberintimidation qui portaient sur des actes criminels, je crois, la police avait des motifs raisonnables. Il ne s'agissait pas d'un simple soupçon.

Le sénateur McInnis : Merci à vous tous de comparaître. Nous avons accueilli d'excellents témoins et entendu de multiples points de vue, vous pouvez le comprendre. Après avoir écouté les témoins et fait des recherches sur les enjeux que le projet de loi C-13 soulève, j'en suis venu à la conclusion qu'il y aura toujours une tension entre une exécution efficace de la loi et la protection des renseignements personnels.

Avec raison, les Canadiens s'attendent à ce que la police puisse mener des enquêtes à la fine pointe et à ce que, pendant ces enquêtes, elle ait le respect voulu pour la vie privée. Les ordonnances sont approuvées par le judiciaire, après tout.

Approuvez-vous ce processus modéré? Convenez-vous que les membres des forces de l'ordre doivent avoir la formation voulue et qu'il doit y avoir de la transparence, et même des vérifications, ce qu'ont préconisé certains services qui ont comparu et qui représentent 95 p. 100 des policiers? Qu'en pensez-vous?

M. Fraser : Vous vous adressez à moi?

Le sénateur McInnis : À vous deux, et à M. Gillespie, peut-être.

M. Fraser : Je suis tout à fait d'accord. La formation et la prise de conscience sont absolument critiques. M. Canning a dit qu'il fallait faire de la sensibilisation dans un certain nombre de domaines, mais d'après son expérience avec les forces de police et les faits tragiques auxquels il a été directement mêlé, je ne pense pas qu'on puisse dire que les services policiers auxquels il a eu affaire étaient assez sensibilisés, puisqu'ils ont dit qu'il s'agissait de questions communautaires. Il s'agissait d'un crime, et c'est peut-être à cause d'un manque de sensibilité à ces questions que, à ce moment-là, on n'a pas su le reconnaître.

Les parents ont dû faire beaucoup de démarches. Les parents ne devraient pas avoir à se battre avec la police pour obtenir une intervention, dans une situation semblable. La formation et la sensibilisation auraient probablement fait des merveilles, et je pense avec optimisme que la sensibilisation a progressé, au sujet de ce problème grave qui touche tant de jeunes et d'adultes. Cette prise de conscience apportera de meilleurs résultats si on donne à la police non seulement les outils voulus, ce dont nous discutons ici, mais aussi la capacité et les compétences pour s'en servir correctement pour régler ces problèmes.

M. Gillespie : Tout d'abord, en ce qui concerne l'accès légal à l'information et son utilisation, j'ai entendu l'expression pour la première fois en 1996, lorsque je faisais partie de l'équipe des vols à main armée. Nous avions exactement le même problème. Et nous voici au même point 18 ans plus tard. Je m'en tiens là. C'est exaspérant. À propos de ces agents — car j'ai lu la plupart des témoignages précédents — qui ont dit qu'il pourrait y avoir des vérifications ou qu'on pourrait créer de nouvelles normes pour pouvoir assurer la conformité et veiller à ce que les gens agissent de bonne foi, je suis absolument d'accord. Aucun problème.

Quant à l'exécution de la loi, je comprends tout à fait les observations de M. Fraser soulignant qu'il faut s'efforcer de rendre la police plus sensible au problème ou plus consciente et déplorant qu'elle n'ait pas été au courant. Il est difficile de suivre l'évolution de la technologie. Tout le monde doit être d'accord. Nous commençons tout juste à bien comprendre le phénomène et nous ne sommes pas conscients du fait que la plupart des jeunes sont sur Snapchat, et je peux nommer cinq autres innovations. Facebook appartient maintenant au passé. Il est difficile de suivre, surtout si on est un agent de première ligne ou si on appartient à une petite organisation qui doit faire 900 choses différentes, et voici qu'il y en a 901. Il y a un juste milieu, et je suis tout à fait favorable à ce que les forces de police soient plus responsables. Tout ce que nous faisons à cet égard doit pouvoir être soumis à un contrôle judiciaire, publiquement. Toutefois, nous avons besoin d'un accès instantané dans certaines circonstances, et le projet de loi C-13 nous donne un accès raisonnable.

Le sénateur McInnis : Monsieur Fraser, en ce qui concerne la transmission d'images intimes, vous avez dit que ce sont les personnes qui connaissent les victimes, qui savent ce qui fait le plus mal, et qui franchissent le pas pour commettre un acte criminel qu'il faut pourchasser alors qu'il ne faut pas criminaliser ceux qui, plus loin dans la chaîne de transmission, n'ont aucune raison de connaître les circonstances entourant la diffusion de l'image.

N'êtes-vous pas d'accord pour dire que, pour la victime, il n'y a vraiment aucune tolérance, plus loin dans la chaîne? N'en arrivons-nous pas au point, dans notre société, et particulièrement chez les jeunes, où il faut comprendre que, tout simplement, il ne faut pas expédier ces images?

M. Fraser : Je comprends les sentiments et les préoccupations qui se profilent derrière cette question. Ce que je veux dire, c'est que nous envisageons de créer une infraction qui s'appliquera à ce méfait. Elle doit s'y appliquer d'une manière telle que, au bout du compte, les tribunaux maintiendront la disposition législative. Par le passé, il est arrivé que des tribunaux annulent des dispositions parce qu'elles violent la Charte, parce qu'elles entravent ou criminalisent un comportement dont le degré de culpabilité n'est pas proportionné.

Il est possible que quelqu'un ne connaisse pas les circonstances de la création d'une image. Il y a sur Internet de nombreuses photos de personnes nues. Elles se trouvent sur des sites professionnels ou autres. Quelqu'un peut ignorer les circonstances où la photo a été prise. Il peut s'agir d'un mannequin. Il peut s'agir de porno de vengeance. Celui qui les voit n'en sait rien, s'il n'a pas de repère, s'il n'a pas un certain degré de culpabilité. Je me souviens de ce que M. Canning, dans l'autre groupe de témoins, a dit au sujet du fait que l'infraction est commise principalement pour faire mal à quelqu'un, le mettre dans l'embarras, lui causer du tort ou le harceler. Ce comportement est coupable. À mon avis, cela est criminel et doit être considéré comme tel. J'espère que ce sera l'aboutissement de ces délibérations.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de tous vos exposés. Chose certaine, ils nous amènent à continuer de réfléchir aux problèmes que vous avez soulevés. Je remercie la London Anti-Bullying Coalition de reconnaître que le rapport du comité sénatorial sur la cyberintimidation est un élément fondateur. Nous vous remercions de vos compliments.

Monsieur Fraser, j'ai du mal à comprendre. Après avoir écouté beaucoup de jeunes à d'autres audiences, il me semble que l'élément crucial, c'est le temps. Lorsque M. Gillespie parle de 60 jours, j'ai une sorte d'attaque de panique. Lorsque des images compromettantes deviennent publiques, l'enfant commence à souffrir. Ce sont les enfants qui nous préoccupent. Je tiens à ce que l'image soit retirée tout de suite. Comment pouvons-nous y parvenir?

M. Fraser : Un moyen d'y arriver est d'amender le projet de loi C-13 pour que le processus se déroule plus rapidement et de fournir les ressources nécessaires. Il faut noter une chose : toutes les ordonnances de production de tout renseignement prévues dans le projet de loi exigent une autorisation judiciaire, qu'il y ait de simples soupçons ou qu'on ait des motifs de croire. Tout policier devra suivre cette démarche pour obtenir un mandat, qui est essentiellement une ordonnance de production.

La communication volontaire dont il a été question est en fait illégale. L'arrêt Spencer le dit clairement. Aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, le pouvoir de la police, en common law, de demander l'information est illégal, et les renseignements ne peuvent pas être communiqués. La preuve ne serait pas admise en cour. Il appartient donc au Parlement du Canada de mettre en place un mécanisme qui permet, dans des cas d'exploitation d'enfants ou d'autres cas analogues, un processus accéléré pour que les choses se fassent. Le projet de loi C-13 ne règle pas ce problème.

La sénatrice Jaffer : De quoi ce mécanisme aurait-il l'air? J'ai vraiment du mal à comprendre. Je conviens qu'il doit y avoir un mécanisme. Vous avez beaucoup d'expérience. Comment se présenterait ce mécanisme?

M. Fraser : Il serait semblable aux dispositions de la loi sur les ordonnances de production. Le mécanisme permettrait à un juge d'approuver un processus simplifié, accéléré, exigeant que les renseignements soient communiqués dans les 24 heures, avec un ensemble limité de renseignements, les renseignements qui permettraient à un policier de savoir où chercher. L'exemple dont il a été question tout à l'heure était celui de la transmission d'un téléphone à un autre, puis à un autre. Le mécanisme permettrait de suivre la chaîne des contacts successifs. L'ordonnance dirait que le policier n'a pas à revenir demander une autre ordonnance pour passer au chaînon suivant. Le Parlement pourrait créer, par des dispositions judicieuses, ce genre d'ordonnance qui serait extrêmement utile aux forces de l'ordre. On pourrait probablement trouver le juste milieu. Mais cela ne se trouve pas dans le projet de loi C-13, malheureusement.

M. Gillespie : Puis-je intervenir rapidement? Ce qui se passe en pareilles circonstances aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie, c'est qu'un officier supérieur, dans une organisation comme une force policière, ou encore un civil assermenté à un certain niveau, a le pouvoir de signer cette ordonnance. Il n'est pas nécessaire que ce soit un juge ou un juge de paix, ce qui prend trop de temps. L'ordonnance est conservée et déposée au tribunal, et les gens peuvent être contre-interrogés. Voilà comment les États-Unis, l'Australie et la Grande-Bretagne s'y sont pris. Pour ce que cela peut valoir, il semble que ce soit satisfaisant d'un côté comme de l'autre.

La sénatrice Batters : Monsieur Gillespie, je suis consciente de tout le travail que vous avez fait dans ce dossier avec le groupe de lutte contre l'exploitation des enfants sur Internet à Toronto. Je connais quelque peu le groupe de la Saskatchewan. Je suis au courant du travail important qu'il accomplit et de ses efforts incessants pour suivre l'évolution de la technologie, comme vous nous l'avez si bien expliqué. Les changements sont quotidiens. Ce sont maintenant les parents qui utilisent Facebook, alors que les jeunes sont partis ailleurs et ont opté pour des nouveautés comme Instagram, par exemple.

Vous avez parlé du site web Nobody Stands Alone. Pourriez-vous nous parler de ce site web et de l'information utile qu'il propose? Peut-être un adolescent tombe-t-il sur CPAC et voit-il cette audience du comité ou entend parler de cela par l'un de ses parents. Quel est le type d'information qui est fourni sur ce site web et qui peut aider celui qui est touché par ce terrible fléau qu'est la cyberintimidation?

M. Gillespie : Le site web a été conçu avec la collaboration de différents comités jeunesse et d'une équipe canado-australienne. Les concepteurs ont remporté des prix en Australie parce que le site s'adresse bien aux jeunes et qu'il est facile à lire pour eux. Il présente six étapes pour celui qui est victime d'intimidation, et de l'information pour les parents, les élèves et les enseignants. Il y a toutes sortes de choses faciles à lire et téléchargeables qui peuvent intéresser les jeunes. Les images qui se trouvent sur le site, le maquillage de gens sur le site sont le reflet de notre société. Au fond, tout a été écrit par des jeunes pour des jeunes.

Pourrais-je ajouter quelque chose à propos de la technologie? Je vous en prie, n'oubliez pas ceci : j'ai deux fils, dont l'un vient de terminer ses études universitaires tandis que l'autre les commence. Ils utilisent leur ordinateur portable ou fixe pour faire leurs travaux ou télécharger leur musique favorite. Ils ne s'en servent pas pour autre chose. Tous les jeunes se servent de leurs téléphones mobiles. En ce moment, n'importe quel service policier au Canada doit avoir de 200 à 500 téléphones portables dont il est urgent de faire un examen judiciaire, parce qu'ils ont été utilisés pour commettre des crimes. Il y a des retards partout. Compte tenu de cette évolution, nous devons laisser de côté les ordinateurs. En Afrique ou en Asie, l'ordinateur n'est plus un problème, puisque personne ne les utilise. Ce ne sont que des appareils mobiles, bloqués, l'un à l'autre, et il est impossible de s'immiscer entre eux. Ces crimes se produisent, nous voyons le dernier usager et il faut essayer de stopper ce qui s'est produit avant.

Je le répète, c'est un enjeu social. On a discuté du rôle que pouvaient jouer l'information et la sensibilisation pour régler le problème, mais il n'y a pas que les services policiers qui peuvent agir, car ils sont déjà très occupés. Il y a aussi les ONG, comme la Kids' Internet Safety Alliance, la KINSA, et d'autres, qui peuvent réunir des spécialistes pour faire une partie du travail et apporter des solutions utiles. Au Royaume-Uni et en Europe ont fait appel bien davantage aux ONG parce qu'on comprend que la police a besoin d'aide. Nous devons discuter, enlever les œillères, pour arriver à comprendre à quel point le problème est terrible. Vous n'avez pas idée à quel point le problème est grave. Voilà mon avis, pour ce qu'il vaut.

La sénatrice Batters : Merci de nous avoir montré non seulement que tous ces éléments sont importants si nous voulons résoudre le problème, mais aussi que le projet de loi est une partie importante de la solution. Je vous remercie des observations que vous avez livrées à partir des opinions juridiques de David Butt, qui a dit que cette mesure n'enlevait rien aux droits à la vie privée, expliquant qu'il fallait actuellement 60 jours pour obtenir une ordonnance, ce qui est une éternité d'angoisse pour la victime. Ce sont des observations très utiles.

Madame Kennedy, merci du travail que vous faites. Auriez-vous l'obligeance de nous en dire un peu plus sur ce qui vous incite à penser que le projet de loi est nécessaire et qu'il assure un juste équilibre?

Mme Kennedy : Je ne suis pas policière, mais nous travaillons en étroite collaboration avec les services policiers, et nous entendons chez eux la même exaspération que mes collègues ont exprimée ici au sujet de la nécessité de réagir rapidement. Je suis tout à fait d'accord pour qu'on emploie l'expression « distribution d'images intimes » plutôt que pornographie juvénile. Depuis très longtemps, nous luttons contre l'emploi de l'expression « pornographie juvénile », car l'exploitation d'enfants sur Internet est de l'exploitation; ce n'est pas de la pornographie juvénile. Le projet de loi apporte ce changement.

Le projet de loi lance aussi un message puissant à la société : il s'agit d'un crime. Ce ne sont pas des jeunes qui, simplement, s'amusent. Ce ne sont pas des plaisanteries entre jeunes. Dans bien des cas, il y a au départ une agression sexuelle qui se produit quelque part et dont des gens ont pris des photos. Ils ont diffusé les photos qui sont sur la toile et qu'il est très difficile de récupérer.

Nous constatons que les problèmes deviennent de plus en plus complexes. Il y a des filles de 15 et 16 ans qui font l'objet d'un trafic et disent être la propriété d'hommes qui prennent des photos et les placent sur Internet, essentiellement pour les vendre. Comme Paul l'a dit, le problème est en train de prendre d'énormes proportions. Nous ne voyons que la partie émergée de l'iceberg, et nous devons faire plus que ce que nous faisons maintenant. Le projet de loi nous donne des outils pour que nous puissions le faire, mais ce n'est qu'un début. C'est un élément du casse-tête. Il y a une foule d'autres choses à faire.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos invités. On a beaucoup parlé du travail de la police en mentionnant que, souvent, elle ne pouvait rien faire. Je suis l'un de ceux qui croient que la police manque de moyens et d'outils efficaces, mais je crois que le projet de loi C-13 constitue l'un de ces bons outils.

Lorsque j'étais policier à la Sûreté du Québec, il y a plusieurs années, sur environ 4 750 policiers, 3 étaient assignés au dossier de la cyberintimidation. Dans le cas des policiers provinciaux de l'Ontario, ils étaient en avance sur nous; il y en avait cinq ou six. J'espère qu'ils ont augmenté les effectifs, parce que c'est un crime qui devient à la mode.

Ne pensez-vous pas que la question centrale, en ce qui concerne la police, est de déterminer comment elle pourrait se doter d'outils performants pour chasser ces prédateurs de façon plus efficace?

[Traduction]

M. Gillespie : La première partie m'a échappé, mais je comprends l'essentiel. Je ne crois pas que nous puissions engager assez de policiers pour nous sortir de ce pétrin. Je ne crois pas que nous puissions régler le problème à force d'arrestations. Je pense simplement que nous devons travailler.

Je le répète, c'est un problème social. La police, les forces de l'ordre, le secteur privé, le secteur public, le gouvernement, tout le monde doit avoir une discussion honnête sur ces problèmes, et nous devons nous y attaquer différemment. La plupart des forces policières sont dotées en personnel de la façon que vous avez décrite. On peut avoir à s'occuper d'une zone qui comprend un million de personnes, et il se peut qu'il y ait un ou deux agents affectés à ces types de crime.

Dans la composition des forces policières et la répartition des ressources, les crimes les plus anciens et classiques occupent toute la place, et on ne tient pas compte des nouveaux crimes, et il n'y a aucune croissance des budgets qui permette de le faire dans la plupart des cas et des circonstances. Je vais être d'une brutale franchise : si le chef de police ou le commissaire n'est pas personnellement investi de la charge de ces problèmes qui concernent les enfants, des mauvais traitements qui leur sont infligés, par exemple, rien ne va se faire. C'est ainsi.

M. Fraser : Je dirais que la plupart des outils qui sont donnés aux forces de l'ordre dans le projet de loi sont bien adaptés et comblent des lacunes importantes. J'insiste cependant sur le fait qu'au moins un d'entre eux doit être modifié. Je suis convaincu qu'il est logique de prévoir un mécanisme qui permet aux policiers d'accéder rapidement à l'information dont il a déjà été question, concernant l'exploitation des enfants sur Internet, peut-être avec un critère moins exigeant, mais en maintenant les freins et contrepoids nécessaires. Comme je l'ai dit, cela ne figure pas dans le projet de loi. Sans doute a-t-on voulu attendre une autre occasion.

Le président : J'ai une question à poser à M. Gillespie, après quoi je vais conclure. Des préoccupations se sont fait entendre au sujet du critère de la négligence. À titre d'ancien policier et vu vos responsabilités actuelles, si le critère proposé est retiré du texte législatif, diriez-vous que cela le rendra très inefficace, du point de vue du travail que nous espérons tous accomplir? Votre organisation ou vous personnellement, avez-vous un point de vue là-dessus?

M. Gillespie : Je crois que le critère proposé convient parfaitement. Il est suffisant. Tout ce qui se fait dans ces enquêtes et se fera grâce au projet de loi C-13, il en sera rendu compte. Il sera possible de contre-interroger ceux qui prennent les décisions, et ils pourront donner leurs réponses au tribunal. Si la défense ou les avocats estiment qu'il y a un problème, c'est l'occasion de le signaler. Mais cela doit se faire dans le cadre du processus judiciaire, en tenant compte de tout, pas au début, de façon que les choses se fassent correctement. Cela peut se dire de la plupart des organismes d'exécution de la loi et de la plupart des crimes. Nous devons compter que la police fera de son mieux et agira de bonne foi. Si elle ne répond pas à cette attente, bien sûr qu'il faut exiger des comptes, mais dans le cadre d'un processus judiciaire et non pas au début de la démarche.

Le président : Voilà qui met fin aux échanges pour nous tous, je le crains. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté de comparaître. Je suis sûr que nous aurions pu continuer à poser des questions pendant une autre heure. Il y avait plus de témoins aujourd'hui que d'habitude, mais il y a des circonstances qui nous ont forcés à en arriver là. Encore une fois, merci à vous tous de votre présence, de votre contribution à l'étude du projet de loi.

Mesdames et messieurs les sénateurs, il nous reste autre chose à voir. Nous devrons maintenant étudier le rapport sur la loi corrective.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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