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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 28 - Témoignages du 25 mars 2015


OTTAWA, le mercredi 25 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois, se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, témoins invités et membres du grand public venus suivre aujourd'hui les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous étudions aujourd'hui le projet de loi C-32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois.

Le projet de loi C-32 crée la Charte canadienne des droits des victimes. Il vise également, entre autres, à donner aux victimes une plus grande capacité de participation aux procès criminels et au processus de détermination de la peine, ainsi qu'un meilleur accès à des renseignements sur le contrevenant qui leur a causé du tort.

Je rappelle à tous ceux qui nous regardent que les audiences des comités sont ouvertes au public et sont également diffusées sur le site web parl.gc.ca. On trouve sur ce même site web, sous « Comités du Sénat », l'horaire de comparution des témoins.

Pour lancer notre étude du projet de loi, nous accueillons l'honorable Peter MacKay, ministre de la Justice et procureur général du Canada, et l'honorable Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

Le ministre MacKay est accompagné de Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, et de Pamela Arnott, directrice et avocate-conseil, Centre de la politique concernant les victimes. Le ministre Blaney est accompagné de Kathy Thompson, sous-ministre adjointe, Secteur de la sécurité communautaire et de la réduction du crime.

Pour répondre aux questions pendant la deuxième partie de la réunion d'aujourd'hui, nous recevons également le commissaire du Service correctionnel du Canada, Don Head; le directeur général exécutif de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, Richard Clair; ainsi qu'Angela Connidis et Hasti Kousha, qui sont respectivement directrice générale des Affaires correctionnelles et avocate aux Services juridiques à Sécurité publique Canada.

Monsieur le ministre MacKay, vous pouvez faire votre présentation. Ce sera ensuite le tour du ministre Blaney.

L'honorable Peter MacKay, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Honorables sénateurs, je suis fier d'être ici, toujours fier d'être en compagnie de mon ami, collègue et partenaire contre le crime, le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney. Nous sommes ici en compagnie de fonctionnaires de nos ministères respectifs pour vous parler d'un projet de loi que nous estimons être d'une importance capitale pour notre système de justice pénale : le projet de loi C-32, Loi sur la Charte des droits des victimes.

Ce projet de loi constitue une nouvelle approche moderne quant au traitement réservé aux victimes et à la place qui leur est faite au sein de notre système de justice pénale. Il vise à édicter une loi, et la Charte canadienne des droits des victimes a pour but d'inscrire les droits des victimes dans la législation fédérale pour la toute première fois.

Cet exercice compte parmi les plus inclusifs et les moins partisans jamais entrepris par le ministère de la Justice, et je crois que le Parlement du Canada peut en être fier. Avant d'entamer ma carrière politique, j'étais avocat de la défense et procureur de la Couronne, des rôles qui m'ont donné l'occasion de prendre véritablement conscience du fonctionnement, des aspects pratiques et de la complexité de notre système de justice pénale. Même si j'ai toujours pensé que le système de justice canadien compte parmi les meilleurs du monde, mon expérience des deux côtés de la salle d'audience ne laisse aucun doute dans mon esprit : pour les victimes, c'est un système qui peut être dur, intimidant et parfois même impitoyable.

Voilà pourquoi le projet de loi C-32 compte autant pour moi. Certaines des personnes les plus professionnelles et dévouées que j'ai jamais rencontrées travaillent au sein de notre système de justice. Il est toutefois grand temps de créer une charte canadienne des droits des victimes pour donner aux victimes et à leurs familles une voix plus forte dans notre système de justice, dans lequel j'inclus le système correctionnel. Je suis fier d'avoir fait partie du processus qui nous a amenés jusqu'ici.

[English]

La Charte canadienne des droits des victimes marque une transformation dans notre façon de comprendre le rôle des victimes d'actes criminels au sein de notre système de justice pénale. Toutes les victimes, qu'elles comparaissent ou non en tant que témoins dans le cadre d'instances pénales, ont les mêmes besoins essentiels. C'est le message qui m'a été transmis à maintes reprises : les victimes veulent être traitées avec courtoisie, dignité et respect par le personnel du système de justice pénale.

[Translation]

Notre premier objectif dans l'élaboration de ce projet de loi était de veiller à ce que les victimes puissent se faire entendre. Nous avons donc tenu des consultations exhaustives partout au pays, dans chaque province et chaque territoire. J'ai mené ces consultations peu après avoir été nommé ministre de la Justice, et je n'en reviens toujours pas de l'ouverture, du courage et de l'honnêteté des nombreuses victimes qui ont comparu devant nos comités et nos groupes d'experts, et de leur volonté de raconter des événements évidemment très douloureux. Ces victimes de crimes qui ont participé aux consultations ont énormément contribué à la conception de ce projet de loi, et nous espérons que leur contribution se reflète dans ses dispositions.

J'ai aussi entendu le point de vue d'un certain nombre de fournisseurs de services aux victimes, ceux qui travaillent directement auprès des victimes de crimes et de leurs familles, qui savent à quel point il peut être difficile de s'y retrouver dans le système. Nous avons également recueilli des commentaires en ligne dans le cadre de ce qui était sans doute la plus vaste consultation virtuelle jamais entreprise par le ministère de la Justice.

Tout cela nous a permis, je crois, de faire en sorte qu'une reconnaissance officielle des droits des victimes n'ait pas d'effets négatifs sur l'efficience du système de justice pénale — une préoccupation exprimée notamment par les procureurs de la Couronne et les policiers — et du système correctionnel ni sur les droits des contrevenants qui sont protégés par la Constitution, un point pour le moins important.

Nous avons consulté de nombreux professionnels du domaine de la justice criminelle de même que nos homologues des provinces et des territoires. Nous étions, et nous sommes toujours, très conscients du fait qu'une loi officialisant les droits des victimes ne saurait être efficace sans le dévouement et les efforts de ceux qui travaillent chaque jour dans le système de justice et le système correctionnel. Nous tenions donc à ce que leur point de vue soit entendu dès le début du processus.

Je souligne que ce projet de loi ne devrait en aucun cas être perçu comme un désaveu de ces intervenants de première ligne. Ils travaillent dur chaque jour et font tout ce qu'ils peuvent pour représenter, inclure et respecter les victimes dans leurs délibérations et leurs décisions.

Au terme des consultations exhaustives que nous avons menées, nous croyons avoir conçu un projet de loi qui envoie un message clair aux victimes de crimes : vous êtes des éléments clés du processus. Ce que vous vivez nous tient à cœur à partir du moment où le crime est signalé, pendant l'enquête, le procès et la détermination de la peine, jusqu'à la libération conditionnelle, la remise en liberté d'office ou l'expiration du mandat et jusqu'à la toute fin du processus. Nous sommes conscients des préjudices qui vous ont été causés et nous ne voulons pas que votre expérience au sein du système de justice criminelle vous en cause davantage ou, comme on l'a trop souvent entendu, fasse à nouveau de vous des victimes.

En réalité, bien des cas que nous avons examinés et la plupart des témoins que nous avons entendus parlaient de concepts simples de respect et d'inclusion, de l'idée de faire entendre leur voix dans le processus. Voilà pourquoi la Charte canadienne des droits des victimes, la loi créée par le projet de loi dont vous êtes saisis, inscrit les droits des victimes dans la législation. De plus, elle prévoit deux dispositions importantes que je tiens à souligner.

La première se trouve dans le deuxième paragraphe du préambule du projet de loi.

La voici :

Attendu [...] que les victimes d'actes criminels et leurs familles méritent d'être traitées avec courtoisie, compassion et respect, notamment celui de leur dignité [...]

Ce sont des termes simples, mais forts, qui annoncent ce que renferme le projet de loi.

Je souligne que le préambule mentionnait dans sa version originale que les victimes et leurs familles devaient être traitées avec respect, mais qu'à la demande de Sharon Rosenfeldt, qui a consacré toute sa vie à la défense des droits des victimes et qui comparaîtra devant vous demain, un amendement du gouvernement a été adopté par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes afin de préciser non seulement que les victimes de crimes et leurs familles méritent d'être traitées avec respect, mais que leur dignité aussi mérite d'être respectée.

Cet amendement a été inspiré par la Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité, faite en 1988, et par la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir des Nations Unies, faite en 1985. Le respect et la dignité dans le système de justice, c'est ce que les victimes réclament depuis si longtemps. Je suis fier que nous ayons décidé d'inclure ces concepts dans le projet de loi.

La deuxième disposition dont je voulais parler et qui montre la nouvelle approche que prend ce projet de loi à l'égard des victimes, c'est celle de la primauté. Monsieur le président et chers collègues, l'article 22 de la Charte canadienne des droits des victimes prévoit qu'en cas d'incompatibilité entre la charte et une autre loi fédérale, c'est la charte qui l'emporte. Cette disposition fait en sorte que les droits des victimes seront protégés dans toute la mesure du possible. Certaines exceptions sont prévues à cette disposition sur la primauté, et je suis sûr que tout le monde veut en savoir plus à ce sujet.

Les lois qui ont été jugées quasi constitutionnelles par les tribunaux, comme la Déclaration canadienne des droits, la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur les langues officielles, la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, l'emportent en cas d'incompatibilité avec la charte. Les lois quasi constitutionnelles protègent des droits fondamentaux de la personne qui sont essentiels dans une société libre et démocratique. Tout conflit entre une de ces lois quasi constitutionnelles et la Charte canadienne des droits des victimes sera réglé par l'établissement d'un équilibre entre les droits par les tribunaux.

[English]

La disposition relative à la primauté place la Charte canadienne des droits des victimes sur un pied d'égalité avec les autres lois quasi constitutionnelles. Elle envoie également le message clair que les victimes ne peuvent être ignorées au sein du système de justice pénale.

[Translation]

Comme tout le monde le sait, les droits inclus dans la Charte canadienne des droits des victimes sont regroupés en quatre catégories de base : droit à l'information, droit à la protection, droit de participation et droit au dédommagement. De plus, le projet de loi modifie d'autres lois, comme le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition — dont mon collègue parlera davantage plus tard —, en donnant des exemples concrets de l'exercice de ces droits.

Voici quelques exemples de ces modifications. Le droit des victimes à l'information serait appuyé par des modifications au Code criminel permettant aux victimes de demander une copie des ordonnances de mise en liberté provisoire, de probation ou de sursis. Cette information est, pour la plupart, déjà accessible par les victimes et leurs familles. Le projet de loi améliorerait l'accès à l'information. Les modifications apportées à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permettraient aux victimes d'obtenir des renseignements sur le plan correctionnel ou le programme de mise en liberté d'un délinquant. Ces renseignements sont d'un grand intérêt pour les victimes, comme nous pouvons tous l'imaginer. Un droit aussi fondamental que le droit des victimes à participer au processus de justice criminelle est renforcé par des modifications aux dispositions du Code criminel sur les déclarations des victimes.

Je me souviens du temps où je pratiquais le droit après avoir quitté l'école. C'était au moment où les déclarations des victimes commençaient à être utilisées. Avant, les victimes n'avaient aucun rôle dans le processus, mis à part leur témoignage. Les modifications apportées dans le projet de loi précisent les renseignements que les victimes peuvent inclure dans leur déclaration, régularisent les pratiques au moyen d'un nouveau formulaire de déclaration et permettent aux victimes d'avoir accès à des dispositions visant à les aider à témoigner.

C'est une pratique qui est devenue assez courante depuis quelques années. Je tiens à souligner que nous avons trouvé des solutions novatrices pour aider les victimes, surtout les enfants, comme leur permettre d'avoir un animal de compagnie avec eux au tribunal. Monsieur le président, il y a deux semaines à peine, à Edmonton, un juge a permis pour la toute première fois à un enfant d'être accompagné par son chien à la barre des témoins dans une affaire d'agression sexuelle. Cette décision de compassion a permis à l'enfant d'être rassuré et de se sentir plus à l'aise pour livrer son témoignage essentiel au tribunal. Ce sont des changements fondamentaux comme celui-là que nous espérons codifier et officialiser au moyen de ce projet de loi.

Il y a aussi une disposition qui porte sur les déclarations au nom d'une collectivité, qui servent à décrire les effets d'un crime sur une collectivité au sens large. Cela se fait déjà, et nous voulons que ce projet de loi codifie cette pratique.

Le droit des victimes à la protection serait renforcé par des modifications au Code criminel concernant la production de documents provenant de tiers dans les procès au criminel mettant en cause des crimes de nature sexuelle. Ces modifications feraient en sorte que toutes les infractions de nature sexuelle passées soient incluses, doubleraient la période de notification pour les accusés qui signifient une demande de production de documents provenant de tiers, et exigeraient du tribunal qu'il tienne compte de la sécurité personnelle du plaignant ou du témoin dans sa décision de produire ou non un document.

Les modifications touchant les dispositions du Code criminel qui concernent les dédommagements exigeraient du tribunal qu'il envisage la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement dans tous les cas et, s'il décide de ne pas rendre l'ordonnance, qu'il donne ses motifs. C'est ce qu'on appelle le fardeau inversé. Les provinces et les territoires pourraient désigner un organisme public chargé d'aider à la collecte des dédommagements impayés afin d'enlever ce fardeau aux victimes. Comme nous le savons, la collecte des sanctions pécuniaires impayées est un sujet très important.

En conclusion, monsieur le président, je crois que le projet de loi C-32, la loi sur les victimes, changera pour le mieux le système canadien de justice criminelle, tout comme les autres changements que nous y avons apportés au cours des dernières années et que j'ai mentionnés plus tôt, comme les centres d'appui aux enfants, le Bureau national pour les victimes d'actes criminels, le Fonds d'aide aux victimes de 140 millions de dollars auquel les provinces ont accès, et les divers programmes conçus pour soulager les traumatismes associés à la criminalité. Le projet de loi, essentiellement, changera la façon dont les victimes sont perçues et leur façon de se percevoir elles-mêmes. Les victimes sont des participants appréciés et nécessaires au processus. Elles méritent d'être traitées avec un plus grand respect et d'être incluses. C'est ce que vise le projet de loi C-32, qui est fondé sur les expériences réelles de victimes qui sont passées à travers le processus.

Je tiens à féliciter les nombreuses personnes qui ont accordé de l'attention à cet important projet de loi, vous y compris. Je remercie particulièrement les deux dames assises à ma gauche, Pamela Arnott et Carole Morency du ministère de la Justice, des efforts qu'elles ont déployés et de leur engagement personnel à l'égard du projet de loi. J'espère que la mise en œuvre de ce projet de loi fera en sorte que le système de justice sera plus efficace et plus bienveillant pour la prochaine génération de Canadiens. Il me tarde de prendre connaissance des résultats de vos délibérations et, surtout, de voir ce projet de loi historique être rapidement adopté. Je vous remercie pour votre attention.

[English]

L'honorable Steven Blaney, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Honorables sénateurs et sénatrices, je suis privilégié d'être ici, cet après-midi, avec mon collègue et ami, le ministre MacKay, pour l'appuyer dans les échanges que nous aurons sur la Loi sur la Charte des droits des victimes.

Je ne peux m'empêcher de souligner la contribution de chacune et de chacun d'entre vous. Dès que le ministre MacKay a été assermenté, il a commencé une tournée de consultations élargies auprès des groupes et des associations de victimes. J'ai eu la chance de participer à ces rencontres, notamment à Montréal, mais également à Québec, avec le sénateur Boisvenu, que je tiens à saluer, et qui, pour moi, est un peu cette voix des victimes québécoises.

Évidemment, c'est un beau moment que nous vivons ensemble, car nous avons la chance de marquer l'histoire canadienne du droit par l'adoption de ce projet de loi important qui va enchâsser les droits des victimes dans la loi canadienne. D'une façon plus pragmatique, je dis souvent au ministre que je suis, à certains égards, ses bras et ses mains, puisque comme vous le savez, Sécurité publique Canada est responsable de l'application de la loi en ce qui concerne les services policiers, les services correctionnels et la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

La charte énonce des principes, mais elle offre également des outils plus précis à chacune des étapes où une victime a à transiger avec les autorités dans le cadre du processus judiciaire pour que justice soit rendue. Ce sont ces éléments que j'aimerais partager avec vous cet après-midi. Si vous me le permettez, je vais poursuivre en anglais.

[Translation]

Ce projet de loi historique fera en sorte que les victimes d'actes criminels auront des droits inscrits dans la législation fédérale. Depuis longtemps, le gouvernement exprime clairement la nécessité de rectifier un déséquilibre dans notre système de justice pénale. Comme le ministre MacKay vient de le dire, nous comptons sur l'aide de fonctionnaires du ministère de la Justice, de fonctionnaires du ministère de la Sécurité publique qui m'accompagnent aujourd'hui, et de représentants du Service correctionnel du Canada, dont le commissaire Don Head.

[English]

Nous estimons que, trop souvent, le système ne répond pas suffisamment aux besoins des victimes, des innocents qui ont subi une perte physique, émotionnelle et économique aux mains des criminels. Le ministre MacKay nous rappelle à quel point, souvent, on oublie de mentionner les coûts considérables liés au crime et les dommages irréparables que ceux-ci infligent aux victimes.

C'est la raison pour laquelle la correction de ce déséquilibre fait partie des priorités de notre gouvernement conservateur depuis le début. Comme vous le savez, monsieur le président, notre gouvernement a prévu plusieurs mesures législatives pour remettre les victimes au cœur de notre système judiciaire. À cet égard, je tiens à saluer les efforts du ministre MacKay et de ses prédécesseurs qui ont apporté des développements importants en la matière et qui, aujourd'hui, connaissent un point culminant avec la présentation de la Charte canadienne des droits des victimes.

[Translation]

À l'instar des Canadiens, nous croyons que nos lois, nos programmes et nos politiques devraient traduire le principe de base selon lequel chaque victime doit être traitée avec courtoisie, compassion et respect.

[English]

La reconnaissance et la satisfaction des besoins des victimes d'actes criminels se trouvent au cœur du programme de réforme de la justice pénale du gouvernement. Le projet de loi dont vous êtes saisis aujourd'hui aidera à donner aux victimes une voix plus importante au sein de notre système de justice pénale.

[Translation]

Nous pouvons l'affirmer avec beaucoup de certitude, puisqu'au cours de l'élaboration de cette loi historique, nous avons été informés directement par les victimes d'actes criminels elles-mêmes ainsi que par des intervenants et des citoyens de l'ensemble du pays pendant les vastes consultations que nous avons menées. Les quatre piliers sur lesquels repose ce projet de loi sont le droit à l'information, le droit à la protection, le droit de participation et le droit au dédommagement. Le projet de loi sur la Charte des droits des victimes accorderait aux victimes d'actes criminels le droit de demander et de recevoir des renseignements significatifs.

[English]

La question de l'accès à l'information a été soulevée plus que toute autre question par les victimes au cours du processus de consultation. Le système de justice garantit que les criminels sont avisés du fonctionnement du processus et de ce qui arrive à chaque étape. Les victimes devraient avoir ce même droit.

Ainsi, ce projet de loi vise à donner aux victimes le droit de demander et de recevoir des renseignements précis, qu'il s'agisse de l'état de l'enquête sur l'infraction commise contre eux, de l'échéancier ou des résultats des procédures criminelles. Donc, dans le continuum du processus judiciaire, il s'agit d'être en mesure d'informer les victimes à chaque étape.

[Translation]

Une fois qu'elle a payé sa dette à la société, la personne reconnue coupable d'un acte criminel peut être libérée. Grâce au projet de loi, la victime pourra décider de recevoir de l'information au sujet de la libération du délinquant, et cela inclut le lieu, le moment et la manière. Les histoires tragiques de victimes terrorisées à l'idée de se retrouver, dans une allée de leur supermarché, face à la personne qui leur a fait du mal seront chose du passé.

[English]

En fait, Service correctionnel Canada sera tenu, grâce à l'adoption de la loi, de transmettre ces renseignements aux victimes inscrites 14 jours avant la libération, dans la mesure du possible, et lorsque cela ne suscitera pas de préoccupations liées à la sécurité publique.

Une autre amélioration, qui a été soulevée par de nombreuses victimes au cours de nos consultations, est liée à la disposition selon laquelle nous ferons en sorte que la victime ait accès à une photo du criminel au moment de sa libération. Il s'agit d'un geste pratique pour les victimes qui contribue également à renforcer leur droit à la protection.

Enfin, j'aimerais souligner un dernier élément en ce qui a trait à l'information. La victime recevra automatiquement une copie des décisions de la Commission des libérations conditionnelles du Canada si elle le souhaite.

[Translation]

En ce qui concerne la participation des victimes, nous avons pris des mesures pour faire en sorte que les victimes aient le droit de présenter leurs opinions et de les faire étudier à toutes les étapes du processus de justice pénale, y compris aux fins de la libération conditionnelle.

[English]

Nous avons aussi pris des mesures dans le but de permettre aux victimes qui ne peuvent assister en personne à une audience de libération conditionnelle d'écouter un enregistrement sonore de l'audience. Cela offre aux victimes qui ne peuvent pas assister aux procédures un moyen d'être informées.

En ce qui concerne le droit à la protection, ce projet de loi exigerait que tout le personnel responsable de la justice pénale tienne compte de la sécurité des victimes dans toutes les décisions.

Concrètement, nous avons proposé des modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui exigeraient que la Commission des libérations conditionnelles du Canada impose des ordonnances de non-contact et des restrictions géographiques aux délinquants visés par une ordonnance de surveillance de longue durée, lorsque cela serait raisonnable et nécessaire. Des incidents comme celui qui a frappé tragiquement l'agente Sandra Dion seront une chose du passé une fois le projet de loi adopté.

[Translation]

Et, brièvement, le projet de loi accorderait aussi aux victimes le droit au dédommagement. Ce faisant, nous reconnaissons le fardeau financier que peuvent assumer les victimes. En vertu de ce droit, les tribunaux seraient tenus d'envisager d'ordonner un dédommagement pour toutes les infractions où l'on peut déterminer qu'il y a eu pertes.

[English]

Au-delà de la liste des droits que nous proposons aux victimes, nous avons aussi pris des mesures pour leur présenter un mécanisme officiel par lequel ils pourront déposer une plainte au ministère ou à l'organisme fédéral approprié, si elles estiment que leurs droits, tels qu'ils sont prévus dans la charte, ont été violés.

Lorsque ces droits seront mis en place, les victimes disposeront de plus de choix et d'options pour participer de façon significative au système de justice pénale. Ces droits contribueront grandement à habiliter les victimes et à leur accorder la voix qu'elles veulent et qu'elles méritent.

D'abord et avant tout, en enchâssant ces droits dans la loi, le gouvernement contribuera à faire en sorte que les Canadiens qui ont été victimes d'une infraction criminelle ne se sentent pas davantage opprimés par notre système de justice pénale.

En conclusion, nous souhaitons faire en sorte que la Charte des droits des victimes constitue la fin d'un processus parlementaire. Nous sommes ici, au Sénat, et bientôt nous souhaitons voir ce projet devenir une loi. C'est certainement le début d'un nouveau chapitre où les victimes auront une voix au sein de notre système de justice pénale.

[Translation]

Monsieur le président, je vous remercie pour le temps que le comité nous a accordé aujourd'hui. Je suis prêt à entendre les questions que vous pourrez avoir pour le ministre MacKay ou moi-même.

Le président : Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous allons maintenant passer aux questions. Nous débutons par le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je tiens à remercier les témoins. Je dois dire, monsieur le ministre MacKay, que le travail que vous avez effectué en amont de la présentation du projet de loi est tout à fait admirable. Vous êtes allé sur la côte Ouest et la côte Est du pays, de même que dans la région centrale du Canada et dans les provinces des Prairies, afin d'y rencontrer des membres du milieu juridique et de discuter des éléments du projet de loi. Voilà une entreprise très louable. C'est peut-être ce qui explique que, dans l'ensemble, l'Association du Barreau canadien appuie cette mesure législative. Je dis « dans l'ensemble », car je n'ai pas encore lu son mémoire.

Vous-même, monsieur le ministre, avez déjà été procureur de la Couronne, et vous avez touché au droit civil et pratiqué le droit criminel. Vous allez donc comprendre mes interrogations. Je vous pose mes deux questions d'entrée de jeu et je vous laisserai y répondre.

Voici ce qui me préoccupe, et j'imagine qu'il en va de même des avocats de la défense : aux termes de l'article 17 du projet de loi, le tribunal peut, sur demande d'un témoin ou du poursuivant, rendre une ordonnance interdisant la divulgation, dans le cadre de l'instance, de tout renseignement qui permettrait d'établir l'identité du témoin.

Or, en vertu du droit canadien, en vertu de la Constitution, selon les règles régissant la divulgation — lesquelles ont été confirmées dans l'affaire Stinchcombe —, le procureur de la Couronne est tenu de fournir à la défense, avant le procès, une liste de ses témoins et un énoncé de ce que ceux-ci pourraient dire ou de ce qu'ils vont dire. La disposition législative proposée va complètement à l'encontre de l'exigence de divulgation dans le système actuel. C'est ma première question.

Je passe à la deuxième question. D'après ma compréhension du projet de loi, les procureurs du ministère public pourraient s'opposer à l'élément qui suit. À l'article 21, on lit : « [...] le tribunal est tenu, après avoir accepté le plaidoyer de culpabilité, de s'enquérir auprès du poursuivant si une victime a avisé ce dernier de son désir d'être informée de la conclusion d'un tel accord et, le cas échéant, si des mesures raisonnables ont été prises pour ce faire. »

Comme vous le savez, monsieur le ministre, plaider coupable ou non coupable se décide parfois sur-le-champ : une personne peut en être à sa deuxième comparution et décider de répondre « non coupable » aux chefs d'accusation. Ou bien, dans le cadre d'une instance, un accusé pourra déclarer : « Je plaide non coupable. » Il changera peut-être d'idée deux heures plus tard, mais vous imposez tout de même au procureur de la Couronne l'obligation d'informer la victime de toute dénégation de culpabilité.

J'aurais un troisième point à faire valoir, parce que vous avez fait un peu de droit civil. Vous avez parlé d'ordonnances de dédommagement. Dans le Code criminel, des dédommagements sont ordonnés pour des raisons pécuniaires seulement.

En cas de défaut de paiement du délinquant, le projet de loi prévoit que toute victime en faveur de laquelle une ordonnance de dédommagement est rendue a le droit « de la faire enregistrer au tribunal civil ». Il s'agit donc de la faire enregistrer au tribunal civil à titre de jugement exécutoire. On parle ici de dommages-intérêts pécuniaires. Or, en droit civil, les dommages-intérêts les plus importants — souffrances et douleurs, perte de jouissance de la vie — ne sont pas d'ordre pécuniaire. Les dommages-intérêts généraux ne sont pas pris en compte.

Je ne crois pas que la jurisprudence établisse clairement si un jugement ordonnant le versement de dommages- intérêts strictement pécuniaires pour indemniser la victime de ses pertes annulerait le droit que celle-ci a de poursuivre le délinquant en vue d'obtenir des dommages-intérêts non pécuniaires.

Pourriez-vous répondre à ces trois observations? D'emblée, monsieur le ministre, j'ai tenu à vous offrir des félicitations générales, car j'ai entendu bon nombre de personnes du milieu juridique se dire ravies de votre processus de consultation.

M. MacKay : Merci beaucoup, sénateur. Monsieur le président, par votre entremise, j'aimerais dire que ce sont là d'excellentes questions. J'espère éclairer quelque peu le comité.

Vous avez tout à fait raison lorsque vous parlez de l'anonymat des témoins. Tout d'abord, il ne s'agit nullement d'un nouveau concept, comme nous l'avons vu. Tout le système de justice pénale pour les adolescents repose sur la protection de l'identité du jeune pour les raisons que nous connaissons.

Cette même protection nous apparaît de plus en plus nécessaire dans des affaires impliquant le crime organisé ou des affaires liées au terrorisme — sujet d'actualité s'il en est. Il importe de protéger certains témoins, qui travaillent pour les services de sécurité ou les forces de l'ordre ou sont des agents d'infiltration, ce qui peut être le cas en ce qui concerne le crime organisé. La protection de leur identité est essentielle en raison des risques inhérents. Il en va de même des victimes, dans le système de justice pénale.

Nombreux sont les cas où une victime d'agression sexuelle se fait contre-interroger par l'accusé, non représenté par un avocat. C'est l'exemple classique de la victime qui doit revivre une nouvelle fois sa douloureuse expérience. Voilà pourquoi les tribunaux acceptent de plus en plus le recours à des dispositifs facilitant les témoignages, tels que des écrans et des systèmes de télévision en circuit fermé. On ne perd jamais de vue la nécessité de permettre à l'accusé de présenter une défense pleine et entière, comme vous l'avez souligné à juste titre, ainsi que la nécessité que l'accusé fasse face à son accusateur. Il existe désormais des moyens modernes de garantir cela, moyens que les tribunaux acceptent plus volontiers.

À mon avis, ce droit est également dans l'intérêt de l'accusé, qu'il faut concilier de manière juste avec l'intérêt de la victime. Le juge peut décider d'autoriser cette demande, si la Couronne démontre que cette façon de faire n'est pas trop préjudiciable.

Le juge jouit donc d'un pouvoir discrétionnaire et fonde sa décision sur les éléments de preuve et les arguments qu'on lui présente.

Par souci de brièveté, je vais passer à la question suivante relative à la reconnaissance de culpabilité. À l'instar de nombreux intervenants du système de justice, comme vous vous en doutez, j'ai souvent assisté en cour à l'étape typique du changement de plaidoyer. C'est assez spectaculaire lorsqu'un procès avec jury s'apprête à commencer, que le jury a été choisi, que le tribunal se prépare et que tout tombe à l'eau pour cause de négociation de plaidoyers.

Lorsque tout tombe à l'eau — et j'entends par là que le procès est annulé —, la dernière personne à l'apprendre est souvent la victime. C'est une expérience qui peut s'avérer traumatisante et très insultante. Il existe évidemment des situations dans lesquelles ce ne sera pas possible à cause des horaires et de circonstances qui évoluent, mais ce que nous cherchons à accomplir, autant que faire se peut, c'est inclure la victime dans la discussion, dans la décision. Nous souhaitons que la Couronne déploie des efforts raisonnables pour informer la victime de la décision avant qu'on l'annonce au tribunal.

Nous voulons enchâsser dans la loi l'obligation, pour le juge, de se renseigner pour savoir si des mesures raisonnables ont été prises. L'idée est d'encourager la consultation. Il ne s'agit pas d'une exigence absolue voulant que la Couronne agisse ainsi dans tous les cas, mais nous voulons respecter la dignité de la victime et faire en sorte qu'elle soit consultée dans la mesure du possible.

J'ai travaillé en étroite collaboration avec des députés de tous les partis à la rédaction d'un rapport intitulé Les droits des victimes — Participer sans entraver. Je vous en recommande la lecture si vous voulez vous renseigner à ce sujet. Les victimes ont tenu le même discours au comité parlementaire qui a rédigé le rapport; elles disaient ne pas vouloir empêcher le système de justice de fonctionner. Retarder le processus, c'est la dernière chose que je veux que le projet de loi fasse. Ce dont se plaignent le plus les victimes, c'est notamment les retards.

Le tribunal n'aura besoin d'ajourner ses travaux que brièvement pour consulter la victime avant d'annoncer aux gens présents que le procès n'aura pas lieu parce que l'accusé plaide coupable. Nous estimons que c'est un geste très important de respect envers les victimes.

Le président : Monsieur le ministre, puis-je vous demander une courte réponse à la question sur le dédommagement? J'essaie de donner une certaine marge de manœuvre aux intervenants, mais je vous invite à...

M. MacKay : Je serai bref. Je suis tout fébrile, car je ne dispose que de 30 secondes à la période des questions, monsieur le président, et il s'agit de questions et de réponses très complexes.

Le dédommagement des victimes est un élément majeur du projet de loi. Le chiffre pourra en surprendre plus d'un autour de la table, mais on estime que le coût annuel de la criminalité au Canada avoisine les 100 milliards de dollars. Quatre-vingt-dix pour cent de ce coût est assumé par les victimes. Cela inclut la perte de productivité, les dommages subis et les frais de traitement.

Je fournis ce chiffre pour étayer ma réponse à votre question sur la cause d'action en dommages-intérêts au civil. C'est un élément distinct. Il y a une différence importante entre ce que le tribunal peut ordonner, dans une affaire criminelle, pour indemniser la victime de dommages à ses biens, à ses vêtements, et ainsi de suite, et pour couvrir les frais de traitement. Le préjudice doit être attribuable au crime. Cela inclut les traitements prolongés en cas de traumatisme. Le projet de loi donnerait au tribunal, ce qui est nécessaire à mon sens, le pouvoir d'ordonner ce type de dédommagement.

Si la personne intente une action au civil, pour reprendre votre exemple, il faudrait prendre en considération le dédommagement ordonné par le tribunal criminel pour établir le montant total à accorder au civil.

J'espère que cela répond à votre question.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur MacKay, monsieur Blaney, merci beaucoup de votre présence. Je tiens surtout à vous remercier pour le travail qui a été fait depuis deux ans, auquel j'ai participé activement. Le fait pour moi d'être le parrain de ce projet de loi est plus qu'un honneur. C'est un privilège de représenter les victimes d'actes criminels, non seulement du Québec, mais de partout au Canada.

Il y a maintenant 10 ans que j'adressais cette demande au premier ministre Harper. C'était à Sherbrooke, au mois d'août 2005. Ma demande visait à doter le Canada d'une charte des droits des victimes pour faire en sorte que victimes et criminels aient des droits égaux au sein de notre système de justice.

Je tiens d'abord à vous remercier, monsieur MacKay, pour le mot « charte ». Nous avons eu un débat qui a duré plusieurs mois sur les termes « charte » et « déclaration ». Vous avez été l'un de ceux qui tenaient au mot « charte ». Pour les victimes d'actes criminels, le mot « charte » est très important. Les victimes d'actes criminels ne se retrouvent pas dans la Charte des droits et libertés. Les criminels, je crois, s'y trouvent davantage, mais ce n'est pas le cas des victimes. Le fait, aujourd'hui, cette semaine, ce printemps, pour les victimes d'actes criminels d'avoir leur propre charte est un événement significatif. C'est l'un des moments les plus importants, pour eux, depuis 100 ans, et même depuis l'existence du Canada.

Des gens critiqueront la charte en disant qu'elle ne va pas assez loin ou qu'elle va trop loin. La charte n'est pas une fin en soi. C'est un outil qui va évoluer dans le temps. Monsieur le ministre, selon les rencontres que vous avez eues avec les victimes, pouvez-vous nous dire comment cette charte pourra évoluer dans le temps? Elle évoluera un peu, comme la Charte des droits et libertés a évolué au cours des 30 dernières années. J'aimerais entendre votre point de vue à ce sujet, pour rassurer les victimes qui, elles aussi, veulent savoir comment leurs droits évolueront.

M. MacKay : Merci beaucoup, sénateur Boisvenu. Je crois que plusieurs personnes comprennent que vous avez beaucoup d'expérience, malheureusement, en raison de la tragédie qui a touché votre vie. Vous prenez le temps de travailler plus fort pour les victimes, non seulement au Québec, mais dans tout le pays et dans le monde. J'ai beaucoup d'admiration pour votre travail. L'occasion de travailler avec vous a été une bonne expérience pour moi.

Pour répondre à votre question, la mise en œuvre de cette charte, comme pour la Charte des droits et libertés, est la clé du succès. Il est essentiel de travailler avec toutes les provinces et avec les territoires dans le cadre de cette mise en œuvre et de l'application des droits des victimes. Il est nécessaire aussi d'avoir les ressources nécessaires pour effectuer cette transition. À mon avis, une transition s'effectue avec ce projet de loi. La formation et l'acceptation de certaines pratiques au sein du système sont aussi essentielles. Il faudra un certain temps pour permettre aux différents acteurs, comme les juges, les procureurs de la Couronne, les avocats, les policiers, et à tout le monde de s'adapter à leurs nouvelles obligations et responsabilités.

Comme dans le cas de tout changement monumental qui s'opère dans le domaine du droit, une période d'adaptation est toujours nécessaire. Je suis persuadé que les professionnels et tous les participants à notre système de justice auront le désir d'accomplir ce changement, non seulement à l'avantage des victimes, mais du système et du concept de justice canadien.

M. Blaney : J'aimerais ajouter quelque chose, monsieur le président, sénateur Runciman.

[Translation]

Vous comprendrez que j'ai le plus grand respect pour le sénateur Boisvenu. Il m'a sensibilisé aux effets qu'une tragédie peut avoir dans la vie de quelqu'un et m'a fait comprendre que le système n'était pas toujours en mesure d'appuyer les personnes touchées.

[English]

J'aimerais ajouter, sénateur Boisvenu, que la Charte des droits des victimes amènera un changement de paradigme à l'intérieur de notre système de justice, c'est-à-dire qu'on fournira des outils. Le ministre MacKay fait souvent référence à la confiance qu'il a envers les juges, envers le système judiciaire, mais également envers les services policiers et correctionnels, qui ont une approche plus humaine envers les victimes d'actes criminels. L'exemple qu'il a donné est très bon.

Il nous a dit aujourd'hui que, il y a quelques semaines, un juge a décidé qu'un enfant qui avait été victime d'une agression sexuelle pourrait être accompagné d'un animal de compagnie pour comparaître devant lui. Pour moi, c'est un petit geste, mais pour cet enfant, cela a sûrement fait une grande différence. C'est petit geste par petit geste que la charte humanisera nos cours et fera en sorte que les victimes ne seront pas à nouveau opprimées par notre système judiciaire.

C'est donc un pas important, et comme l'a dit le ministre, je suis persuadé que, au-delà des mots, cela amènera un changement de mentalité dans notre système judiciaire.

La sénatrice Hervieux-Payette : Bienvenue, messieurs les ministres.

D'entrée de jeu, j'aimerais dire que je souscris entièrement au principe d'une charte des droits des victimes qui vise à améliorer le sort des victimes.

Heureusement, je n'ai pas vécu de cas précis dans ma famille, mais ayant déjà œuvré auprès du solliciteur général du Canada, par le passé, je sais que l'une des choses les plus importantes pour les victimes est de retrouver un mode de vie normal, et pour les proches de ces victimes, c'est de recevoir des soins psychologiques et une compensation financière.

À ce sujet, monsieur le ministre, vous avez parlé plus tôt d'un fonds de 140 millions de dollars. Est-ce un nouveau fonds ou existait-il déjà? À quoi doit servir ce fonds? Vous disiez qu'il pouvait y avoir une ordonnance, mais est-ce que cela se fait au moment du procès du prévenu ou est-ce qu'on doit entamer une procédure distincte, devant un autre tribunal, afin d'aller chercher une indemnisation une fois le procès terminé? Est-ce qu'il y a deux instances? Qui rendra cette ordonnance et qui l'appliquera? Les gens qui sont poursuivis et condamnés n'ont pas toujours les ressources financières à cette fin.

M. MacKay : Il y a de nombreux fonds associés à ce projet de loi.

[Translation]

La somme de 140 millions de dollars dont il a été question fait partie du Fonds d'aide aux victimes, qui existe depuis quelque temps. En fait, le gros du financement a déjà été alloué aux provinces, aux services aux victimes et aux organismes qui traitent directement avec les victimes. Une partie de l'argent est à l'œuvre en ce moment.

Il va sans dire que la mise en œuvre du projet de loi sera assortie de financement. Je crois que c'était là l'essence de votre question. Ce financement fait l'objet de négociations avec les provinces et les territoires. Comme vous êtes en mesure de le comprendre, les besoins varient d'une province à l'autre. Certains services aux victimes sont, avouons-le, bien plus avancés que d'autres. L'une des plus grandes difficultés — et c'est une évidence pour tout le monde autour de la table et pour beaucoup d'intervenants au sein du système —, réside dans les distances à parcourir dans le Nord. Le défi que pose la prestation de certains programmes dans les localités rurales et éloignées est gigantesque.

Par le truchement du projet de loi, nous voulons financer les efforts visant à améliorer l'accès à la justice et aux services aux victimes un peu partout au pays et au sein des divers organismes. Notre dernier projet de loi budgétaire, celui de 2014, est venu confirmer que la Charte des droits des victimes procurerait à celles-ci des ressources en ligne pour les aider à accéder aux programmes en place.

L'objectif que nous poursuivons avec le projet de loi, c'est de faire mieux connaître aux gens les programmes et les fonds offerts. Je puis vous assurer que les fonctionnaires du ministère de la Justice et de celui de la Sécurité publique s'emploient activement à améliorer l'utilisation qui est faite des programmes en vigueur. Certains programmes sont sous-utilisés; nous voulons maximiser leurs avantages. Tout au long de la mise en œuvre du projet de loi, nous examinerons la question de l'affection des ressources.

[English]

La sénatrice Hervieux-Payette : Vous dites que, selon les articles 6, 7 et 8, les victimes ont le droit, sur demande, d'obtenir des renseignements. Y aura-t-il un fonctionnaire désigné à cette fin? Est-ce que ce fonctionnaire proviendra du ministère de M. Blaney ou du vôtre? C'est bien de dire que ces gens pourront poser des questions, mais à qui les gens s'adresseront-ils? Y a-t-il déjà une personne désignée pour l'application de la loi? L'un des problèmes des victimes était qu'elles ne savaient pas à qui s'adresser. Y aura-t-il une personne à qui ces gens pourront s'adresser?

M. Blaney : Je peux répondre. Comme je l'ai mentionné dans mon allocution, le projet de loi améliorera concrètement l'information transmise aux victimes. Cette information sera acheminée par l'intermédiaire des Services correctionnels ou de la Commission des libérations conditionnelles. J'ai parlé notamment de renseignements clés lors de la remise en liberté. Il y a donc des dispositions budgétaires additionnelles qui ont été prévues pour accroître les ressources afin que nous soyons en mesure d'offrir les services de notification, notamment.

J'ai évoqué également les photographies qui seront disponibles lorsque la personne reconnue coupable aura purgé sa sentence et qu'elle sera libérée. Il y a également des ressources financières qui sont prévues, tant pour le volet des ressources humaines que pour la gestion des bases de données. J'ai mentionné les enregistrements qui seront faits et qui seront disponibles. Donc, les ressources budgétaires ont été prévues. À cet égard, nous avons consulté nos experts et les représentants des Services correctionnels, notamment, afin d'établir les besoins financiers nécessaires pour mettre en place les mécanismes qui permettront de fournir l'information aux victimes.

[Translation]

M. MacKay : Il existe une distinction importante entre les programmes provinciaux et territoriaux de dédommagement et les mécanismes de soutien offerts par le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels. D'ailleurs, je crois savoir que le comité entendra Mme O'Sullivan.

« La marée montante fait avancer tous les bateaux », pour reprendre une vieille expression des Maritimes. Ainsi, nous cherchons à améliorer la prestation de services et l'accès aux programmes de dédommagement et à des mécanismes de traitement des plaintes, que ce soit à propos du système pénal ou du processus. Le niveau de service et le degré d'intervention ne sont pas les mêmes d'une province à l'autre; tout dépend des ressources financières et du temps investis dans un ombudsman des victimes — certaines provinces sont plus avancées que d'autres — ou dans la capacité de donner suite aux demandes de dédommagement de la part des victimes d'actes criminels.

Le sénateur Plett : Merci aux deux ministres. J'aime l'analogie que vous avez employée, monsieur MacKay, celle des partenaires contre le crime. Je remercie les deux principaux maîtres d'œuvre canadiens de la lutte contre la criminalité de leur présence ici cet après-midi. Je me fais l'écho des paroles du sénateur Boisvenu en disant que nous sommes reconnaissants du travail que vous accomplissez au nom de notre pays.

Ma question, qui s'adresse à vous deux, concerne le processus de consultation. Le sénateur Baker a salué les consultations que vous avez entreprises, monsieur MacKay, en parcourant tout le pays.

Hier, au Sénat, la porte-parole de l'opposition pour ce projet de loi, la sénatrice Hervieux-Payette, a dit que le Québec n'avait pas été consulté.

J'aimerais que vous nous décriviez le processus de consultation tel qu'il s'est déroulé au Québec, au Manitoba — ma province — et ailleurs au pays. Est-ce que les provinces vous ont aussi transmis des commentaires des victimes? Pourriez-vous nous donner un aperçu du processus de consultation?

M. MacKay : Je tenterai d'être bref. Merci, sénateur Plett, de vos bons mots. Je peux vous assurer que non seulement les provinces ont été consultées, mais qu'elles l'ont été directement, à maintes reprises, dans le cadre de diverses activités, et par divers représentants. Tout comme moi, mon prédécesseur, le ministre Nicholson, a eu l'occasion de rencontrer nos homologues provinciaux et territoriaux. Ce projet de loi a fait l'objet de discussions entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à diverses étapes de sa création. Nous avons eu plusieurs occasions de consulter les fonctionnaires provinciaux et territoriaux. Je peux vous assurer que j'ai eu de nombreuses conversations avec mes homologues provinciaux et territoriaux. Le groupe de travail fédéral-provincial-territorial n'a cessé de se pencher sur le libellé du projet de loi et les améliorations possibles, sans parler de l'apport des divers gouvernements visant à faire de cette mesure un succès.

Il y a aussi eu des consultations en ligne en plus des consultations en personne au sujet du libellé du projet de loi. Pendant tout ce processus, j'ai été aidé par les deux dames très compétentes assises à ma gauche. Nous sommes au courant des préoccupations des provinces. Nous sommes au courant de certaines inquiétudes récurrentes, surtout relativement au pouvoir discrétionnaire de la poursuite. Nous avons eu amplement le loisir de consulter nos partenaires des provinces et des territoires, ce qui fait partie de cette évolution dont j'ai parlé plus tôt en réponse à une question du sénateur Boisvenu. Il s'agit vraiment d'un effort global de la part de notre système de justice. N'oublions jamais que l'administration de la justice revient aux provinces. Il était donc essentiel qu'elles aient leur mot à dire, et qu'on tienne compte de leur opinion dans la rédaction de ce projet de loi.

Le sénateur Plett : Est-ce que tous appuient ce projet de loi?

M. MacKay : Je ne voudrais pas être présomptueux. Il y a eu plusieurs changements de gouvernements depuis le début du processus de rédaction de ce projet de loi. Je dirais sans équivoque que tous les procureurs généraux provinciaux appuient le principe de ce projet de loi. Vous entendrez des témoins qui ont des idées sur la façon de l'améliorer et de présenter certains amendements, mais l'essence du projet de loi et la création d'une Charte des droits des victimes bénéficient d'un vaste soutien partout au pays. En conclusion, j'espère que cette charte se retrouvera, juste à côté de la Charte canadienne des droits et libertés, sur les murs des bureaux de nombreux avocats, y compris ceux du ministère de la Justice.

M. Blaney : Permettez-moi d'ajouter quelques mots, sénateur, car il a été question du Québec

[English]

J'ai assisté aux consultations auxquelles le ministre MacKay a pris part, tant à Montréal qu'à Québec, en compagnie du sénateur Boisvenu.

Dans le cadre de ces consultations, on en est presque à développer une proximité ou une intimité avec les représentants des organisations des victimes. J'étais récemment à Victoriaville où le premier ministre assistait à une table ronde avec les victimes. Avant d'entrer dans une période confidentielle pouvant donner lieu à un partage très émouvant avec les victimes, les caméras qui étaient dans la salle se sont retirées. Une victime a alors dit que c'était la première fois que les caméras étaient braquées sur elles, parce qu'habituellement, les caméras sont braquées sur les criminels.

Bien sûr, ces gens ont exprimé leur reconnaissance envers le premier ministre Stephen Harper, et ils lui ont dit qu'il avait fait ce que nul autre premier ministre n'avait fait auparavant pour eux, c'est-à-dire les reconnaître, leur donner une voix et mettre en place des outils légaux pour que leurs droits soient reconnus et pour qu'ils soient protégés davantage.

Quand ces mots sont prononcés par une mère de famille qui a perdu ses trois enfants ou par un homme victime d'abus par des membres de congrégations religieuses, comme on dit en québécois : « Ça fesse dans le dash! » Vraiment, cette charte a toute sa raison d'être.

[Translation]

Le sénateur Joyal : J'aimerais me concentrer sur l'article 22, que le ministre a mentionné dans son allocution. Vous avez qualifié cet article, qui s'intitule « Primauté en cas d'incompatibilité », de quasi constitutionnel. J'ai quelques difficultés avec ce qualificatif. J'ai lu les articles 25, 28 et 29, et j'ai constaté que les quatre droits que vous avez mentionnés, soit les droits à l'information, à la protection, à la participation et au dédommagement, sont protégés seulement par un mécanisme de plaintes, qui est un mécanisme administratif. Il ne s'agit pas d'un mécanisme judiciaire ou juridique équivalent à l'article 24 de la Charte, qui est assez clair, de sorte que si on porte atteinte à vos droits, vous avez le droit de vous adresser aux tribunaux, qui rendront une décision.

En vertu de ce projet de loi, lorsqu'on porte atteinte à vos droits, vous disposez d'un mécanisme de plainte qui est essentiellement administratif. Selon l'article 28, il n'y a aucune cause d'action, et selon l'article 29, aucune possibilité d'appel. Je suis donc très perplexe, et je pèse mes mots, quand vous affirmez que l'article 22, qui porte sur la primauté, est quasi constitutionnel. J'ai essayé de comparer l'article 22 à la section 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui porte sur l'interprétation de la construction et selon laquelle aucune loi du Parlement ne peut être considérée comme empiétant sur les droits énumérés dans la Charte. Cet article affirme la primauté, mais n'a pas la portée juridique qu'il devrait avoir pour être vraiment significatif si une victime estime que ses droits au dédommagement, à la participation, à l'information et à la protection n'ont pas été respectés.

Est-ce que l'expression « quasi constitutionnel » décrit adéquatement ce que vous proposez de faire dans ce projet de loi? Je n'aimerais pas que les gens pensent qu'ils auraient un droit en vertu de cette charte. Je sais que vous et le sénateur Boisvenu aimez beaucoup utiliser le mot « charte », mais dans l'esprit des Canadiens, lorsque vous avez un droit en vertu de la Charte, vous pouvez vous adresser aux tribunaux pour le faire respecter. Avec cet article, les gens ne pourront pas dépasser la porte du palais de justice, si je peux me permettre cette image.

M. MacKay : Merci beaucoup, sénateur. Avec respect et déférence à votre égard et à l'égard de votre grande connaissance du droit constitutionnel, je dirais respectueusement que ma réponse est fondée sur la supposition que la question soit soumise à un tribunal. Selon moi, l'appareil judiciaire joue un rôle essentiel dans l'interprétation de ce projet de loi, de sa primauté et de sa quasi-constitutionnalité. Cela ne fait aucun doute, et je serais le premier à convenir que le fait que la Charte canadienne des droits et libertés soit enchâssée dans la Constitution porte immédiatement la question à un niveau supérieur. Toutefois, le fait de devenir partie intégrante du droit pénal et du système de justice par l'entremise du Code criminel, de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et d'autres lois permettra certainement aux tribunaux d'interpréter et, dans certains cas, de démêler les droits conflictuels qui surviennent régulièrement dans notre société.

En codifiant les droits à l'information, à la protection, à la participation et au dédommagement, nous tentons d'élever ces droits des victimes et, pour employer vos propres mots, grâce à une cause d'action, de permettre qu'on les soumette à un tribunal, non pas pour qu'ils l'emportent sur d'autres droits ou les briment, mais qu'ils soient tous considérés sur un pied d'égalité. Voilà pourquoi c'est indiqué en toutes lettres. Le libellé précise bien que ces droits ne l'emportent pas automatiquement sur d'autres droits. Ils ne l'emportent pas sur la Charte canadienne des droits et libertés pour ce qui de la langue, du respect de la vie privée ou d'autres droits quasi constitutionnels. Nous voulons que cet article crée une norme d'interprétation générale devant être appliquée à d'autres lois, ordonnances et règlements fédéraux, comme les juges le font régulièrement lorsque certains droits s'opposent.

Nous croyons donc que ces droits peuvent coexister, qu'il est possible de développer l'interprétation des lois et mesures fédérales, et que cette interprétation fera en fait partie de l'évolution et de la modification de la législation. Mais le plus important, en définitive, c'est le traitement qu'on accorde aux victimes, et en inscrivant ces droits dans la loi, nous croyons que les victimes bénéficieront d'un statut beaucoup plus solide sur le plan constitutionnel et juridique.

Le sénateur Joyal : Il s'agirait donc selon vous d'une disposition interprétative, d'une disposition de fond accordant des droits reconnus et affirmés par les tribunaux?

M. MacKay : Je crois que comme les tribunaux vont l'affirmer dans des affaires futures, il s'agit d'une disposition interprétative. Je crois aussi que, tout comme dans le cas de la Charte, cela fera l'objet de débats et de consternation, et qu'il en émergera une jurisprudence.

Le président : Permettez-moi d'intervenir, sénateurs. Les ministres ont largement dépassé l'heure à laquelle ils devaient quitter. Nous les remercions à nouveau. Les fonctionnaires restent avec nous.

Je les ai déjà présentés, mais pour nous rafraîchir la mémoire, se joignent maintenant à nous à la table Don Head, commissaire de Service correctionnel Canada; Richard Clair, directeur général exécutif de la Commission des libérations conditionnelles du Canada; et Angela Connidis, directrice générale, Affaires correctionnelles.

Bienvenue à cette table. Je suis content que vous soyez tous ici. Je crois comprendre que vous n'avez pas de déclaration préliminaire.

Comme certains sénateurs n'ont pas eu l'occasion de poser des questions aux ministres, je vais déroger à la procédure normale, si le sénateur Baker n'y voit pas d'inconvénient. Nous allons commencer par le sénateur McIntyre.

Le sénateur McIntyre : Merci. Je note que le projet de loi s'applique aux infractions faisant l'objet d'une enquête et de poursuites en vertu du système de justice pénale, et non du système de justice militaire. J'ai ici un exemplaire du projet de loi. Selon le paragraphe 18.3, cette loi ne s'appliquera pas aux infractions qui sont d'ordre militaire.

Le gouvernement a-t-il l'intention de présenter un projet de loi distinct visant à reconnaître les droits des victimes dans le cadre du système de justice militaire? Madame Arnott, pourriez-vous répondre à cette question?

Pamela Arnott, directrice et avocate-conseil, Centre de la politique concernant les victimes, ministère de la Justice Canada : Avec plaisir, sénateur.

En effet, le ministre MacKay a déclaré à la Chambre que le gouvernement avait l'intention de présenter un projet de loi distinct qui inclurait les notions de la charte proposée des droits des victimes dans le système de justice militaire.

Le sénateur McIntyre : Vous connaissez bien les articles 738 et 739 du Code criminel, qui portent sur la désignation par règlement. Je note que le projet de loi permettrait aux gouvernements provinciaux de désigner une personne ou un organisme pour agir en tant qu'autorité publique à cette fin. J'attire votre attention sur le nouvel article 739.4 du code.

Le projet de loi C-32 permettrait aux provinces de faire de telles désignations par ordre du lieutenant-gouverneur en conseil plutôt que par règlement.

Quel était l'objectif de cet amendement? Visait-il à éviter des retards possibles qui auraient pu découler de l'exigence de prise de règlement initialement proposée dans le projet de loi? Comme vous le savez, un amendement a été proposé par le comité de la Chambre.

Mme Arnott : Vous avez parfaitement raison, sénateur. Cet amendement a été proposé à la demande des provinces et des territoires. Le ministre MacKay l'a renvoyé à un sous-comité du groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les victimes d'actes criminels, qui a tenu d'importantes discussions pendant l'automne au sujet de leurs points de vue, de leurs préoccupations et de leurs pensées au sujet du projet de loi C-32. C'est à la suite de ces discussions qu'il a été suggéré de modifier la façon dont cet organisme d'application de la loi pourrait être créé. Les provinces et les territoires étaient d'avis que ce n'était pas seulement une question de délais, mais aussi de ce qu'il pourrait leur en coûter. Ils souhaitaient accélérer le processus d'amélioration de la restitution à l'endroit des victimes.

Le sénateur McIntyre : Il est plus rapide d'avoir recours aux ordres du lieutenant-gouverneur en conseil qu'à la prise de règlements, c'est bien ça?

Mme Arnott : C'est exact.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d'être ici aujourd'hui au sujet de cet important projet de loi. Avant d'arriver au Sénat, j'ai pratiqué le droit en pratique privée pendant de nombreuses années en Saskatchewan, avant d'être pendant près de cinq ans chef de cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan. J'ai donc une bonne idée de la façon dont le ministre MacKay a acquis son expérience des deux côtés d'un tribunal et comment cette expérience lui a permis d'apprécier la grande importance de ce projet de loi. Je partage le même genre d'expérience et d'appréciation pour ce projet de loi monumental. Je remercie ceux d'entre vous qui y avez travaillé.

J'ai aussi eu l'occasion de me joindre au ministre MacKay à l'occasion d'une table ronde tenue à Saskatoon avec des victimes d'actes criminels, des travailleurs de première ligne, des procureurs, et cetera, dans le cadre de ses consultations pancanadiennes entourant la rédaction de ce projet de loi. Les histoires que les gens avaient à raconter étaient atroces et déchirantes. Nous avons entendu des témoignages de membres de familles victimes de tragédies grandement médiatisées en Saskatchewan. Ils étaient là uniquement pour pouvoir contribuer. Ils voulaient faciliter la vie aux autres familles qui seraient éventuellement victimes de tragédies semblables. Je me demande si vous pourriez nous dire comment ce processus de consultation pancanadien a contribué à l'élaboration de ce projet de loi.

Mme Arnott : Merci, sénatrice Batters. J'ai eu le privilège de participer à des tables rondes avec les ministres MacKay et Blaney, ainsi qu'avec le sénateur Boisvenu et vous-même. Je crois que comme le sénateur Boisvenu l'a si bien dit, c'est un exercice d'humilité que d'être en présence de ces gens. Comme vous venez de le dire, à toutes les tables rondes, que ce soit dans les provinces ou les territoires, les victimes nous ont dit vouloir améliorer le système pour les personnes qui viendraient après elles. Des victimes d'agressions sexuelles sans précédent ont déclaré vouloir que le système du tiers détenteur des dossiers les inclue. Des victimes nous ont parlé de l'importance des moyens destinés à faciliter les témoignages, ce qui a mené à l'amendement visant à étendre leur usage. Des procureurs de la Couronne nous ont dit à quel point le critère de « nécessité » — ce moyen destiné à faciliter les témoignages doit être nécessaire — était rigoureux et comment, selon leur expérience, le fait de passer à un critère de « facilitation » apporterait un meilleur équilibre au système.

Je pourrais parler longtemps de ce que nous avons entendu pendant ces consultations mais, comme le ministre MacKay l'a dit, il s'agissait d'une multitude de petites idées, de concepts simples faisant en sorte qu'au bout du compte, les gens veulent qu'on les écoute et qu'on les traite avec respect. C'est ce que nous avons tenté de faire.

La sénatrice Batters : Des idées sensées. Le ministre MacKay a aussi parlé d'un sujet qui, j'en suis certaine, nous a tous touchés, soit ce jeune, victime d'agression sexuelle, qui a été autorisé à venir dans le box des témoins accompagné de son chien. Merci. Je me demande également si la personne le mieux placée pour répondre à cette question pourrait nous dire quel genre de soutien financier ou autre le gouvernement du Canada offre actuellement aux victimes d'actes criminels.

Mme Arnott : Je pourrais peut-être répondre d'abord, puis je laisserai la parole à mes collègues de Service correctionnel et de la Commission des libérations conditionnelles. Au ministère de la Justice, nous avons tout d'abord le Centre de la politique concernant les victimes, qui a été créé dans la foulée du rapport intitulé Les droits des victimes - Participer sans entraver, paru il y a plusieurs années. Le Centre de la politique concernant les victimes rassemble des avocats, des analystes politiques et des chercheurs afin de donner aux victimes une voix dans le système de justice pénale, et ce travail va se poursuivre. Nous avons le Fonds d'aide aux victimes, auquel le ministre MacKay a aussi fait référence. Chaque année, 11,5 millions de dollars sont mis à la disposition des provinces, des territoires, des organisations non gouvernementales et des victimes dans le but de donner à ces dernières une voix plus forte dans le système de justice pénale.

Nous avons donc financé des projets qui vont de l'amélioration des services offerts aux femmes qui fuient la violence conjugale à des projets pilotes de dédommagement. Nous offrons aux victimes de l'argent pour assister aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles ainsi qu'un accès à une foule d'autres programmes. Je me demande si mes collègues voudraient ajouter autre chose.

Don Head, commissaire, Service correctionnel Canada : Certainement. Merci, sénatrice, de cette question. En ce moment, Service correctionnel Canada dispose de 33 employés dont la tâche consiste à offrir des services aux victimes. Environ 7 900 victimes sont actuellement inscrites dans nos registres. Nos employés les aident principalement à s'inscrire à titre de victimes. Ils leur fournissent des renseignements au sujet du système, en particulier le système correctionnel fédéral. Nous leur expliquons quel genre de demandes elles peuvent soumettre en vertu des lois actuelles. J'aide aussi à traiter les documents qu'elles demandent.

L'an dernier, nous avons aidé à répondre à environ 56 000 demandes provenant de victimes. Nous leur avons fourni quelque 192 000 documents. Outre les 33 employés dont j'ai parlé, 18 autres personnes se consacrent aux possibilités de justice réparatrice pour les victimes qui souhaitent participer à ce genre d'activités. Nous avons en ce moment environ 374 dossiers de justice réparatrice en cours.

La sénatrice Batters : En plus de tout cela, il y a aussi l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels. Merci beaucoup.

Le sénateur McInnis : Merci d'être ici. Lorsque j'ai commencé à analyser le projet de loi et à effectuer des recherches, j'ai eu une impression de déjà vu. En 1989, lorsque j'étais procureur général de la Nouvelle-Écosse, j'ai en effet présenté et fait adopter un projet de loi provincial sur les droits des victimes. J'ai discuté avec des employés du bureau dernièrement et ils sont absolument ravis du projet de loi. Selon eux, il sera particulièrement efficace sur les plans du droit au dédommagement et de l'application des ordonnances.

Le projet de loi me plaît beaucoup, mais j'ai besoin d'explications, car je trouve qu'il entraînera certaines lourdeurs. Prenons la définition de « victime », qui englobe quiconque a subi des dommages moraux. Qui tranchera? Comment déterminera-t-on que telle ou telle personne est bel et bien une victime? Je pense que cela pourrait quelque peu ankyloser le système. J'ignore qui est le mieux à même de répondre à la question, mais j'aimerais que l'on m'explique plus clairement pourquoi cette mention figure dans le projet de loi.

Mme Arnott : Je répondrai avec plaisir. L'ajout de la notion de dommages moraux n'a rien de nouveau. Le projet de loi ne change rien. La définition de « victime » qui figure dans le Code criminel englobe déjà les dommages corporels, moraux et matériels. Or, en ce moment, la définition se trouve à cinq endroits distincts dans le Code criminel ainsi que dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La modification proposée vise en fait à consolider le tout de manière à définir une seule fois en quoi consiste une victime.

Actuellement, les tribunaux n'ont aucun problème avec la notion de dommages moraux. Selon nos recherches, rien dans la jurisprudence ne montre que les tribunaux auraient été inondés de dossiers de personnes dont les préjudices ou les pertes attribuables à une infraction seraient strictement d'ordre moral. Normalement, les cas comportent également d'autres formes de préjudices ou de dommages; les dommages moraux sont une conséquence parmi d'autres de l'infraction commise.

Le sénateur McInnis : Parmi les 7 000 victimes qui sont inscrites, combien auraient subi des dommages moraux?

M. Head : En général, nous ne compilons pas de statistiques sur les personnes qui correspondent à telle ou telle catégorie. Notre approche ressemble à celle de la Commission des libérations conditionnelles du Canada : elle se veut plus inclusive qu'exclusive. En vérité, c'est là le message que transmet la Charte des droits des victimes. Les seuls cas où nous avons refusé d'inscrire quelqu'un en tant que victime, c'est lorsqu'il n'existe manifestement aucun lien avec le délinquant ou l'acte criminel commis, lorsqu'il s'agit surtout d'obtenir des renseignements sur le délinquant et qu'il n'y a aucun lien. Je répète que nous cherchons l'inclusion plus que l'exclusion.

Le sénateur McInnis : J'ai juste une petite question rapide : parmi les 7 000 personnes inscrites, combien assistent aux audiences?

Richard Clair, directeur général exécutif, Commission des libérations conditionnelles du Canada : L'an dernier, environ 1 900 victimes ont assisté aux audiences, et environ 264 ont alors fait une déclaration. La commission compte par ailleurs 700 ou 800 autres victimes inscrites.

Le sénateur Baker : Avant tout, pour en revenir à la notion d'ordonnance de dédommagement, si je puis me permettre, je constate que vous avez une nouvelle formule, la formule 34.1, dans le Code criminel.

Si je ne m'abuse, la formule 34.1 s'applique depuis toujours aux dispositions relatives à la fraude, c'est-à-dire l'article 380 du Code criminel. Je pense que si vous consultiez la version actuelle du Code criminel, sous ce formulaire, vous verriez l'article 380.3, puis fraude, n'est-ce pas?

Vous cherchez maintenant à remplacer cela par la formule 34.1. Or, sous cette rubrique, il y a le paragraphe 737.1(4), alors la formule 34.1 est remplacée. Quelle formule faut-il donc employer pour réclamer un dédommagement à la suite d'une fraude en vertu des dispositions du Code criminel qui concernent la fraude, c'est-à-dire l'article 380? Car ici, il est question de l'article 737.1. Vous constatez qu'il est écrit : « La formule 34.1 de la partie XXVIII de la même loi est remplacée par ce qui suit [...] ».

Qu'on me permette de poursuivre ma question pendant que vous vérifiez cela. Sur le plan du dédommagement — qu'on me corrige si j'ai tort —, il n'y a rien de nouveau pour le Code criminel, et les articles 738 et 739 sont conservés. C'est exact?

L'article 741 est modifié, la première partie, mais pas le paragraphe 741(2), selon lequel un recours criminel ne porte pas atteinte à un recours civil. C'est bien cela?

Mme Arnott : Oui.

Le sénateur Baker : Vous parlez de dommages moraux et tout et tout, mais le seul dédommagement que prévoit le projet de loi correspond à ce qu'on peut prouver avoir payé pour un service. C'est strictement financier. Il n'y a pas du tout de dédommagement pour des préjudices, qu'ils soient moraux ou autres. C'est tout le contraire de ce qui se passerait dans un recours civil.

Voici ma question : où est la jurisprudence selon laquelle les deux iraient de pair ou s'annuleraient mutuellement? Cette question n'a rien de nouveau, car le paragraphe 741(2) figure déjà au Code criminel et y restera.

J'ai une deuxième question très simple, puis je me tairai. Je ne dirai rien de plus.

Pourquoi la disposition Gladue du Code criminel, l'alinéa 718.2e), est-elle édulcorée dans le projet de loi? À mon humble avis, lorsqu'on consulte l'interprétation juridique de Driedger, la nouvelle formulation ferait en sorte que les circonstances propres aux délinquants autochtones deviendraient moins importantes que le préjudice qu'ils ont prétendument causé en commettant l'infraction. Pourquoi le ministère de la Justice et le gouvernement ne proposent-ils pas deux dispositions distinctes, à l'alinéa 718e) et à un de ses sous-alinéas, pour que les deux éléments soient pris en considération au moment de déterminer la peine, au lieu d'édulcorer les principes de la disposition Gladue, ce qui expose la loi à une contestation sur le plan constitutionnel? Je suis convaincu que quelqu'un tentera de contester cette disposition.

Voilà mes questions, et la première portait sur l'erreur relative à la formule.

Mme Arnott : Je répondrai à la question qui porte sur le dédommagement et la fraude, et je laisse le soin à ma collègue, Mme Morency, d'intervenir sur la disposition Gladue et la détermination de la peine.

Vous avez raison de dire que l'article 380.3 mentionne actuellement la formule 34.1, qui porte donc sur le dédommagement à la suite d'une fraude. Or, dans le projet de loi, nous proposons de retirer la mention à l'article 380.3 de manière à ce qu'une victime de fraude qui réclame un dédommagement relève désormais des dispositions, dont vous avez parlé, qui concernent le dédommagement. La nouvelle formule 34.1 s'appliquera donc à la demande de dédommagement d'une victime à l'égard de n'importe quelle infraction.

Le sénateur Baker : Mais l'en-tête de la formule mentionne l'article 737.

Mme Arnott : C'est parce qu'il s'agit du numéro de...

Le sénateur Baker : Cela n'a rien à voir avec la fraude.

Mme Arnott : C'est la disposition relative au dédommagement.

Le sénateur Baker : Comment s'appliquerait-elle alors à la fraude?

Mme Arnott : C'est la disposition relative au dédommagement. Toute demande de dédommagement, quelle que soit l'infraction concernée, relève des articles 737.1 et 738.

Le sénateur Baker : C'est l'article 738 qui figure actuellement dans le Code criminel.

Mme Arnott : C'est exact. Vous avez tout à fait raison : le Code criminel prévoit qu'on peut seulement être dédommagé de préjudices essentiellement financiers. Toutes sortes de rubriques figurent dans l'actuel article 738. Il pourrait s'agir de dommages attribuables à un vol d'identité ou à des dépenses encourues pour avoir dû quitter son domicile en raison d'une infraction, ce genre de choses.

Selon la jurisprudence, le dédommagement s'applique aux préjudices vérifiables. C'est le premier principe et il est très important...

Le sénateur Baker : Ce n'est pas vraiment un dédommagement.

Mme Arnott : Ensuite, le dédommagement ne peut s'appliquer aux pertes futures.

Le sénateur Baker : C'est très limité, ce n'est pas vraiment pour dédommager la victime.

Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : En ce qui concerne l'alinéa 718e), je considère les choses sous un autre angle que vous, c'est-à-dire que les modifications que propose le projet de loi C-32 n'édulcorent pas les principes de l'arrêt Gladue.

Je précise que le principe en question vise la modération. Il oblige un juge qui impose une peine à tenir compte de ce qui apparaît raisonnable compte tenu des circonstances propres à chaque affaire de manière à proposer une peine autre que l'emprisonnement, et ce, pour tous les délinquants, mais en accordant une attention particulière à ceux qui sont autochtones.

La Cour suprême elle-même a conclu dans divers arrêts — Gladue, Wells et Ipeelee — que l'idée n'est pas de renoncer à imposer une peine appropriée et juste compte tenu des circonstances en cause, et que le délinquant autochtone qui commet une infraction grave recevra vraisemblablement le même genre de peine qu'un délinquant non autochtone qui commet une infraction grave. Là où les choses varient, c'est au tout début du processus : quelles autres façons y aurait-il de déterminer la peine?

Le projet de loi C-32 applique les mêmes paramètres, le même cadre, et ne vise pas à édulcorer quoi que ce soit. Il enjoint au tribunal qui détermine la peine de considérer, au moment de concilier ces divers facteurs, non seulement les circonstances en cause, mais aussi ce qui constituerait une peine appropriée en fonction du préjudice subi par la victime en cause ou la société.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie, monsieur Head, de votre participation à notre comité. Nous sommes toujours heureux de vous revoir. Vous avez comparu devant la Chambre des communes sur le même projet de loi, et j'ai en main l'une de vos citations dans laquelle vous dites que « le Service correctionnel du Canada a un bilan très enviable en ce qui est de protéger les victimes, mais aussi de fournir un soutien affectif. Comme on peut l'imaginer pour une victime, se trouver dans un tel milieu et finir face à quelqu'un qui lui a causé un préjudice peut être bouleversant. »

À mon avis, la notion de sécurité des victimes dans la Charte des droits des victimes est l'un des éléments les plus fondamentaux. Je m'occupe depuis 10 ans des victimes d'actes criminels, et c'est sans doute la critique la plus récurrente que j'entends de la part des victimes d'agressions sexuelles et de violence conjugale, plus particulièrement. C'est de voir comment le système les laisse tomber avant le procès, pendant le procès et après que le criminel a exécuté sa sentence. Je ne sais pas comment le système carcéral canadien pourra appliquer cette charte. J'aimerais entendre votre point de vue, parce que l'une des récriminations les plus fréquentes des victimes, particulièrement les femmes, c'est de ne pas jouir de cette protection, parce qu'elles ont dénoncé leur agresseur ou parce qu'elles ont témoigné. Après, souvent, l'agresseur continuera d'agresser la victime. Prenez le cas de Sandra Dion. Il est difficile d'infirmer la décision du système carcéral pour faire en sorte de ne pas installer son prédateur à 100 mètres de sa maison. Cela a été pénible, difficile. J'aimerais savoir comment demain, sur le plan philosophique, le système carcéral canadien mettra réellement au cœur de son action la sécurité des victimes.

[Translation]

M. Head : C'est une excellente observation. Il y a quelques points que je tiens à soulever. Pour ce qui est d'aider les victimes qui assistent aux audiences à composer avec leur revictimisation, c'est quelque chose que la Commission des libérations conditionnelles du Canada et nous prenons au sérieux. Nous veillons, lorsqu'une victime se présente aux audiences et qu'elle participe au processus, à la confier à quelqu'un qui lui assurera du soutien et qui l'aidera même à se rendre jusqu'au lieu de l'audience. Aussi, depuis quelques années, nous faisons tout le nécessaire pour fournir aux victimes des ressources professionnelles chargées de les aider après les audiences. Vous comprendrez que de vives émotions peuvent vite remonter à la surface lorsqu'une victime a dû reconstituer des discussions ou même simplement revoir le délinquant en personne.

Pour ce qui est de s'occuper des délinquants, surtout lorsqu'ils se retrouvent dans la collectivité, c'est une priorité au sein de l'organisme. Les agents de libération conditionnelle qui sont chargés des délinquants savent exactement où vivent et travaillent les victimes, ce qui permet d'imposer des restrictions aux délinquants pour les empêcher d'avoir accès à elles.

En outre, nous entamerons incessamment un projet pilote de surveillance électronique. De toute évidence, cela n'empêcherait personne de se rendre quelque part, sauf que nous saurons très rapidement si un délinquant se dirige vers un endroit qui lui est interdit. Nous continuons à examiner les pratiques et les procédures qui nous aideront à gérer le problème que vous mentionnez, mais nous cherchons également à faire appel à la technologie de manière à être alertés lorsqu'un délinquant se dirige vers une zone qui lui a été interdite. L'objectif consiste à protéger des victimes.

M. Clair : La Commission des libérations conditionnelles du Canada prend les déclarations des victimes très au sérieux et elle impose des conditions en conséquence, comme une limitation géographique ou une interdiction de communiquer avec elle. Toute déclaration faite aux membres de la commission est absolument prise en considération. En ce qui concerne les ordonnances de surveillance de longue durée, ou OSLD, le projet de loi impose des exigences précises : si la commission choisit de ne pas imposer une condition que réclame une victime, il lui faut justifier sa décision. C'est l'un des nouveaux articles qui figurent dans la Charte des droits des victimes.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Head, compte tenu des dispositions contenues dans la Charte des droits des victimes, lorsqu'on remettra une personne en liberté qui sera considérée comme étant encore dangereuse ou à risque, est-ce que les victimes pourront être sûres que nous accorderons d'abord la priorité à leur sécurité plutôt qu'au droit du criminel de vouloir s'installer où il veut?

Est-ce que les victimes peuvent être persuadées qu'avec la Charte des droits des victimes, les femmes tout particulièrement pourront être en sécurité chez elles au lieu de rencontrer leur agresseur sur le coin de la rue le lendemain et d'être encore en danger?

[Translation]

M. Head : Tout à fait, sénateur. C'est manifestement notre intention première : veiller à ce que les victimes se sentent en sécurité. Si une victime ne se sent pas en sécurité, pour quelque raison que ce soit, nous nous assurons alors qu'elle a le moyen de nous contacter, de s'adresser à la commission ou à la police, de manière à ce qu'une enquête soit menée sur ce qui cause le problème en vue de le régler.

Le projet de loi permettra entre autres de fournir à chaque victime davantage d'information sur le délinquant concerné. Nous savons parce que des victimes nous l'ont dit que disposer de plus d'information leur permet de se sentir un peu plus à l'aise, car elles ne seront pas prises au dépourvu. Si une victime sait 14 jours d'avance qu'un délinquant sera relâché ou transféré, elle peut s'y préparer.

Si la victime dispose d'une photo récente du délinquant, elle saura le reconnaître si elle devait le voir dans la rue. Toutes les dispositions du projet de loi nous aideront à faire en sorte que les victimes se sentent en sécurité.

[English]

La sénatrice Hervieux-Payette : J'aimerais que la loi ait de bonnes intentions du point de vue de l'application, surtout parce qu'il y a deux ministères. Il est inquiétant de ne pas savoir si la coordination sera faite.

J'aimerais que chacun d'entre vous me dise comment se fera l'intervention en vertu de cette loi. Prenons l'exemple d'une victime de viol. Dans le cas où on trouve celui qui a commis le crime, est-ce qu'elle sera informée qu'elle a des droits en tant que victime? Tout d'abord, qui va l'informer et comment sera-t-elle informée?

Ensuite, dans le cas d'une personne condamnée et incarcérée, qui va s'assurer qu'elle est enregistrée? Qui va lui dire comment s'y prendre? En ce qui concerne Service correctionnel Canada, est-ce que le même service sera disponible dans les 10 provinces, à savoir que la personne sera informée que l'individu sera libéré sous peu et qu'on lui en donnera les détails afin qu'elle ne soit pas prise au dépourvu, et qu'elle ne se retrouve pas face à face avec son agresseur?

Au point de vue de l'application de la loi, s'il n'existe pas de mécanisme pour faire en sorte que les victimes puissent recevoir tous les services, une loi devient inutile, car l'important, c'est surtout qu'on informe les victimes. Il ne s'agit pas nécessairement de personnes diplômées en droit, et je pense qu'il est important de savoir qui va les aider.

Quant à la compensation, comment va-t-on permettre à la victime de faire une réclamation? Comment fera-t-elle l'évaluation des coûts? Devra-t-elle engager un avocat? Enfin, comment va-t-on la protéger du début à la fin du processus?

Mme Arnott : Si vous me le permettez, je vais répondre aux questions qui concernent l'information et l'indemnité, et je vais demander à mes collègues de Sécurité publique Canada de compléter la réponse.

En ce qui a trait au droit à l'information, le projet de loi vise l'information générale d'abord, et l'information spécifique par la suite. Nous travaillons actuellement en collaboration avec les provinces, les territoires, les administrations de services aux victimes, les procureurs de la Couronne, les services policiers ainsi qu'avec nos collègues de Sécurité publique Canada, et ce, dans le but de veiller à la mise en application des dispositions.

Dans votre exemple, lorsqu'une victime se présentera devant un service policier, le service policier aura l'obligation de l'informer, tel qu'il est indiqué dans le projet de loi, de son rôle et des services offerts et, par la suite, de l'état de l'enquête, des accusations s'il y en a, ainsi de suite.

En ce qui a trait à l'indemnisation, elle est de compétence provinciale. Il existe des programmes d'indemnisation dans neuf provinces, et il n'y a que Terre-Neuve et les territoires qui n'ont pas de programme. Il revient au service aux victimes de chaque province de veiller à ce qu'une victime soit au courant des dispositions du programme et des montants qu'il est possible de réclamer. Vous avez entièrement raison de dire que c'est la mise en œuvre qui demandera une étroite collaboration, et je crois que nous sommes déjà sur la bonne voie dans le cadre de nos discussions avec les provinces et les territoires.

[Translation]

M. Head : Je poursuis sur cette lancée. L'une des choses que nous faisons, c'est de collaborer étroitement avec les services provinciaux, territoriaux et même, parfois, municipaux. Nous collaborons de très près avec les communautés et les organismes autochtones afin de joindre les victimes et de les informer. La clé, ce sera de faire inscrire les victimes.

Cela dit, nous savons également qu'il y a des victimes qui ne veulent pas être informées de quoi que ce soit et qui refusent de s'inscrire, et nous le comprenons parfaitement, mais pour ceux qui le désirent, nous faisons en sorte que notre réseau s'étende jusqu'aux municipalités et que les gens puissent obtenir l'information de diverses manières et dans différentes langues.

À titre d'exemple, sur notre site web, il y a une section que les gens peuvent consulter pour se renseigner sur les services offerts aux victimes, sur la façon de s'inscrire et sur les personnes-ressources. En collaboration avec les communautés autochtones, nous avons rendu notre information disponible dans 16 langues autochtones afin que les gens puissent connaître les services qui leur sont offerts. Nous allons continuer de nous pencher sur les façons d'étendre ces réseaux et de collaborer avec diverses organisations.

Nous avons également mis sur pied des comités consultatifs pour les victimes qui se composent de membres de divers groupes de soutien dans l'ensemble du pays. Grâce à leurs réseaux, nous pouvons joindre les victimes et faire en sorte que toutes les victimes qui souhaitent s'inscrire puissent le faire et accéder à tous les renseignements auxquels ils ont droit aux termes du projet de loi.

[English]

M. Clair : La Commission des libérations conditionnelles du Canada partage un service d'inscription avec Service correctionnel Canada. Il y a environ 7 800 victimes qui sont enregistrées, et le service est le même partout au Canada. Nous avons des professionnels dans chaque région — il y en a 24 — qui communiquent directement avec les victimes qui le veulent. Nous offrons exactement le même service. De plus, nous exploitons les nouvelles technologies, comme YouTube, pour informer les victimes sur la façon dont les choses fonctionnent, pour leur expliquer à quoi elles peuvent s'attendre, et quelles sortes de déclarations elles peuvent rédiger. Nous les accompagnons dans les établissements, nous les suivons et nous leur donnons des conseils et l'information nécessaire. Donc, il s'agit d'un service pancanadien.

Kathy Thompson, sous-ministre adjointe, Secteur de la sécurité communautaire et de la réduction du crime, Sécurité publique Canada : Vous vous demandez peut-être comment les victimes sauront à qui s'adresser et comment le faire. À Sécurité publique Canada, au sein du portefeuille de la sécurité publique, nous avons un bureau national pour les victimes d'actes criminels. Nous sommes chargés de la coordination pour le portefeuille et nous aidons à distribuer et à publier l'information.

Tout comme Service correctionnel Canada, nous publions l'information dans 18 langues différentes, y compris 5 langues autochtones. Pour favoriser la coordination, lorsque les victimes ne savent pas quoi faire, au sein du portefeuille de la sécurité publique, nous participons à la coordination et nous les mettons en contact avec les bonnes personnes pour assurer le suivi.

[Translation]

Le sénateur McIntyre : Le projet de loi C-32 contient 60 articles. Il y en a qui visent à apporter des modifications mineures de nature technique, notamment en changeant ou en reformulant des dispositions afin de clarifier l'objectif de la loi. Le projet de loi propose également des modifications importantes. Je sais que le projet de loi modifierait la définition du terme « victime » pour y remplacer le mot « personne » par le mot « particulier », et je me demandais sur quel raisonnement s'appuyait ce changement. A-t-on limité la définition aux particuliers afin d'exclure la possibilité qu'une société soit considérée comme une victime?

Mme Arnott : Je vous remercie de la question, honorable sénateur. Cette distinction était tout à fait intentionnelle. En ce qui concerne la définition de « victime », qui se trouve dans la section sur la charte des droits, nous avons voulu que l'interprétation de ce terme soit le plus large possible. Cependant, lors de l'élaboration de la définition pour le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, nous avons fait ce choix de façon intentionnelle en tenant compte de la possibilité qu'une société se voie accorder les droits accordés aux victimes aux termes des mesures prévues dans le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Puisque des sociétés ont déjà été en mesure d'invoquer certaines dispositions du Code criminel concernant les victimes, nous ne voulions pas apporter de changement à cet égard.

Par exemple, la jurisprudence révèle qu'il est arrivé qu'une municipalité puisse faire une déclaration de la victime, et nous ne voulions pas apporter de changement à cet égard. La définition que le Code criminel donne du terme « victime » continue de s'appuyer sur le sens le plus large du mot « personne ». Cependant, pour ce qui est de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, puisqu'il fallait notamment assurer un certain équilibre concernant l'information qui peut être communiquée au sujet d'un délinquant, nous étions d'avis qu'il devait s'agir de l'information communiquée à des particuliers. Ainsi, l'information sur un délinquant pourrait être communiquée à un particulier, mais pas à une municipalité. C'était un choix délibéré.

La sénatrice Fraser : Tous ces visages me sont familiers; je suis heureuse de voir tous ces gens. Je commence à me familiariser avec ce projet de loi. Il y a des aspects auxquels je dois réfléchir. Nous devrions peut-être les faire comparaître de nouveau à la fin des audiences, monsieur le président. Je songe, par exemple, à la communication de dossiers sur les cas d'infraction sexuelle. Pour le moment, j'ai des questions toutes simples qui trahissent mon ignorance absolue à propos de la loi. J'implore votre indulgence.

En ce qui concerne la définition du terme « victime » donnée à l'article 2 et dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, il me semble que c'est une catégorie très vaste. On ne précise même pas qu'il faut avoir directement subi les dommages en question. Il pourrait s'agir d'une personne victime de souffrance psychologique parce que son entraîneur de hockey avait des problèmes qui l'empêchaient d'être là pour son équipe, et que celle-ci a donc perdu le championnat. Je me demande notamment quelle est l'étendue de cette définition lorsqu'on parle de préjudices, de dommages ou de pertes subies par suite de la perpétration ou prétendue perpétration d'une infraction.

Je comprends que vous ne vouliez pas que les victimes soient obligées d'attendre jusqu'à la condamnation. C'est très important. Tout le monde serait d'accord. Je m'interroge quand même sur l'inclusion du mot « prétendue », et je me demande si la jurisprudence permet d'établir jusqu'où cela peut s'étendre. Ce que je veux dire par là, je pense, c'est que j'espère que nous ne sommes pas en train de faire en sorte que n'importe quelle personne qui a maille à partir avec quelqu'un puisse, par exemple, revendiquer le statut de victime au motif qu'elle est convaincue que son voisin est responsable de quelque chose. J'ai une autre question à poser ensuite.

Mme Arnott : D'accord, je tenterai d'être brève. Comme je l'ai dit plus tôt, nous essayons de faire en sorte que cette définition regroupe cinq définitions. L'une des définitions, celle du Code criminel, dit que le terme « victime » s'entend notamment de la victime d'une infraction présumée. Cette définition déjà établie vise seulement à tenir compte de la notion d'infraction présumée, pour les raisons que vous avez expliquées, c'est-à-dire qu'on ne veut pas que les droits ne soient accordés aux victimes qu'après la condamnation.

Cependant, nous avons fait en sorte que la définition proposée indique qu'il doit y avoir un lien avec une infraction. Nous essayons d'atteindre un certain équilibre pour qu'il soit précisé qu'il faut un lien de causalité entre la personne qui revendique les droits accordés aux victimes et un comportement criminel, car c'est là notre champ d'activité.

Est-ce que cela vous aide à comprendre, madame la sénatrice?

La sénatrice Fraser : Je n'en suis pas certaine. Je vais devoir y réfléchir davantage. Je peux encore envisager toutes sortes d'hypothèses, mais en ce qui concerne le Code criminel, la définition qui s'y trouve déjà ne pose-t-elle pas le genre de problème que j'envisage?

Mme Arnott : Dans le cas qui nous occupe, les droits qui sont proposés sont liés au domaine pénal. Ils impliquent donc la possibilité de porter une accusation. Dans les modifications techniques, nous avons établi que ces droits doivent se fonder sur une procédure. Prenons l'exemple de la déclaration de la victime. Nous proposons de faire en sorte que les dispositions concernant la déclaration de la victime indiquent clairement que la déclaration doit porter sur les chefs d'accusation pour lesquels le délinquant a été déclaré coupable. Dans le cas d'un délinquant qui a dû faire face à 10 chefs d'accusation, s'il est déclaré coupable de deux chefs d'accusation seulement, la déclaration de la victime porte sur ces deux chefs d'accusation, et non sur ce que le voisin pense qu'une personne aurait pu faire.

La sénatrice Fraser : Cela m'aide à comprendre. Les articles 9, 10 et 11, qui portent sur la protection, disent que toute victime a droit à ce que sa sécurité soit prise en considération, à ce que des mesures raisonnables et nécessaires soient prises afin de la protéger contre l'intimidation et les représailles, et à ce que sa vie privée soit prise en considération. Tout cela doit être assuré par les autorités compétentes. Encore une fois, peut-être que je suis juste suspicieuse de nature, mais je me demande pourquoi vous n'avez pas précisé un peu plus quelles sont les autorités compétentes. En cette période de compressions budgétaires, je peux m'imaginer les forces policières faire valoir que cela ne relève pas d'elles mais plutôt des tribunaux ou de la Couronne. Ne serait-il pas possible de préciser un peu plus quelles sont les autorités qui devraient prendre ces mesures pour aider les victimes?

Mme Arnott : Nous avons pensé à tout cela, honorable sénatrice. Dans le contexte actuel, l'ensemble des provinces et des territoires ont des lois concernant les victimes, et un certain nombre de ces lois provinciales et territoriales précisent exactement qui est responsable de quoi. Nous devions donc élaborer une loi qui s'harmonise avec le cadre législatif actuel. C'est l'un des aspects dont nous avons tenu compte. L'expression « autorités compétentes » se trouve déjà dans les lois pénales; nous nous sommes donc fondés sur l'interprétation que le système fait déjà de cette expression. Cette notion n'a rien de nouveau. Par conséquent, si un tribunal doit l'interpréter, il pourra s'appuyer sur le cadre législatif actuel.

La sénatrice Fraser : Je vous avais bien dit que mes questions étaient fondées sur l'ignorance.

Le président : Il reste deux sénateurs sur la liste; nous allons essayer de leur donner le temps nécessaire pour poser leurs questions.

La sénatrice Batters : Aujourd'hui, nous avons entendu un discours légaliste qui m'a en quelque sorte rappelé qu'il y a peut-être des gens qui s'intéressent à cette question, mais qui ne sont pas sûrs du sens de certains mots qui ont été employés. Tout d'abord, lorsqu'on parle de dommages-intérêts pécuniaires, ne s'agit-il pas essentiellement d'un type de dommages-intérêts plus facile à calculer? Voilà l'explication que je donnerais aux gens qui ne sont pas sûrs de comprendre ce que cela signifie. Les dispositions de ce projet de loi concernant l'ordonnance de dédommagement et les dommages-intérêts pécuniaires ne visent-elles pas essentiellement à rendre le processus beaucoup plus simple à appliquer afin que les victimes puissent obtenir des sommes limitées lorsqu'elles n'ont pas les capacités financières nécessaires pour embaucher un avocat et s'engager dans des procédures judiciaires qui sont longues et très coûteuses, notamment une poursuite au civil?

Mme Arnott : Je pense que vous avez raison. La loi établit une distinction importante entre le dédommagement et l'indemnisation. Le projet de loi porte sur le dédommagement. Le dédommagement est un élément d'une peine appropriée. L'ordonnance de dédommagement vise le délinquant; c'est donc lui qui doit payer le dédommagement. Comme nous l'avons déjà dit, le dédommagement s'applique à certaines choses qui sont énumérées dans la loi. Il ne s'applique pas aux pertes futures ni aux choses dont la valeur ne peut être déterminée facilement, et c'est le langage employé dans le code. Comme vous l'avez dit, il s'agit de choses aisément quantifiables. Ce projet de loi vise à aider les Canadiens, les victimes d'actes criminels, à comprendre ce qu'on veut dire lorsqu'on dit que la valeur des dommages doit pouvoir être déterminée facilement, et c'est ce que nous ferons aux termes des dispositions concernant l'information publique.

La sénatrice Batters : Pourriez-vous donner seulement quelques exemples du type de dommages-intérêts pécuniaires qui pourraient être accordés?

Mme Arnott : Si une personne victime d'un vol d'identité a dû obtenir un nouveau passeport, il s'agit là d'un coût très précis qui peut être déterminé facilement, et pour lequel la personne pourrait demander un dédommagement en raison du vol d'identité dont elle a été victime.

Le sénateur Joyal : Ma question s'adresse à Mme Arnott ou Mme Morency. En ce qui a trait à l'article 25 du projet de loi, notamment le paragraphe 25(2), si je comprends bien le principe sur lequel s'appuie le projet de loi, il est question d'établir des droits, mais lorsqu'il s'agit de les faire respecter, on s'en remet à une procédure d'administration des plaintes, si elle existe. Lorsqu'un organisme comme celui de M. Head ou de M. Clair est doté d'un mécanisme de plainte, une victime peut faire appel à ce mécanisme. Or, selon le projet de loi, s'il n'y a aucun mécanisme de ce genre au sein d'un ministère ou d'un organisme, on en mettra un en place. Le projet de loi prévoit cela, mais voici ce qui me laisse perplexe. Si la victime n'est pas satisfaite de la réponse qu'elle a obtenue dans le cadre du mécanisme de plainte de l'organisme de M. Head ou de M. Clair, elle peut faire appel à l'autorité qui peut examiner la plainte. Or, dans le cas du ministère ou de l'organisme qui n'a pas de mécanisme de plainte et qui devra en mettre un en place, il n'y aura pas d'examen si la victime n'est pas satisfaite de la réponse. Autrement dit, il y aura deux types de protection des droits des victimes. Il y a une protection qui est assurée par le système actuellement en place, mais dans le nouveau système, si le ministère ou l'organisme n'a pas de mécanisme, la victime ne pourra pas porter plainte. Je ne comprends pas pourquoi il y aura deux façons de traiter les victimes selon qu'il existe ou non un mécanisme de plainte assorti d'un processus d'examen. Comment expliquez-vous une telle lacune dans le projet de loi?

Mme Arnott : Honorable sénateur, il n'y aura pas deux approches. Les ministères et les organismes visés par ce projet de loi seront tenus d'avoir un mécanisme de plainte. Comme vous l'avez souligné, le projet de loi précise ce que doit prévoir ce mécanisme de plainte, c'est-à-dire la capacité de recevoir et d'examiner les plaintes ainsi que l'obligation d'informer la victime du résultat de l'examen.

Le sénateur Joyal : Ce n'est pas ce que dit le paragraphe 25(2). Voici ce qu'il dit : « [...] peut déposer une plainte auprès de toute autorité compétente pour examiner les plaintes [...] ». Cependant, cela ne veut pas dire que le ministère qui établira un mécanisme de plainte aux termes du paragraphe 25(3) mettra en place un mécanisme d'examen. Ce n'est pas clair. Il n'est pas clairement établi que, aux termes du paragraphe 25(3), la victime se verra accorder le même droit lorsqu'un tel mécanisme de plainte n'existe pas, à moins de faire appel au pouvoir d'examen exercé par la Cour fédérale à l'égard de l'ensemble de l'organe administratif du gouvernement fédéral.

Mme Arnott : Je comprends. L'article 25 vise à établir le premier recours offert à la victime, c'est-à-dire porter plainte auprès du ministère ou de l'organisme qui, selon elle, a porté atteinte à ses droits. C'est au paragraphe 25(1). Selon le paragraphe 25(2), toute victime ayant fait appel à ce processus qui n'est pas satisfaite de la réponse — selon l'analyse subjective de la victime — peut prendre d'autres mesures, que ce soit en s'adressant à l'ombudsman fédérale, dont le mandat actuel prévoit l'examen des dossiers concernant le Service correctionnel et la Commission des libérations conditionnelles. Il pourrait s'agir d'autres autorités, y compris la Commission des plaintes du public contre la GRC ou le barreau d'une province, selon l'organisation qui a porté atteinte aux droits de la victime.

Le président : Je suis sûr qu'on pourrait en discuter encore longtemps, mais nous avons dépassé le temps prévu. Je tiens à remercier tous les témoins qui ont comparu aujourd'hui d'avoir participé à nos délibérations. Je vous remercie.

Chers membres, nous allons poursuivre cette conversation dans le cadre de nos délibérations demain matin. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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