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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 29 - Témoignages du 23 avril 2015


OTTAWA, le jeudi 23 avril 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour procéder à l'étude de la teneur du projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, à nos invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières). Je rappelle à ceux qui suivent les délibérations que les séances du comité sont ouvertes au public et qu'elles peuvent être visionnées sur le Web, à l'adresse parl.gc.ca. Vous trouverez de plus amples renseignements sur le calendrier des témoins sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Nous accueillons maintenant notre premier groupe de témoins. Pour le gouvernement du Manitoba, nous avons parmi nous l'honorable Erna Braun, députée et ministre du Travail et de l'Immigration, par vidéoconférence de Winnipeg. Pour l'Association du Barreau canadien, nous avons Michael Mazzuca, ancien président, Section nationale du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux, ainsi que Noah Arshinoff, avocat-conseil, Législation et réforme du droit. Enfin, à titre personnel, nous recevons l'honorable Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême du Canada. Bienvenue à tous.

Madame la ministre, nous pouvons commencer par vos remarques liminaires, avant d'enchaîner avec les autres témoins. La parole est à vous.

L'honorable Erna Braun, députée provinciale, ministre du Travail et de l'Immigration, gouvernement du Manitoba : Merci. Bonjour, je vous fais mes salutations du Manitoba. Je voudrais commencer par vous remercier de me donner l'occasion d'exprimer les préoccupations du Manitoba au sujet du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).

Comme vous le savez, je m'appelle Erna Braun et je suis la ministre du Travail du Manitoba. C'est au nom du Manitoba que j'exprime de graves préoccupations concernant le projet de loi tel que présenté. Beaucoup d'entre vous ont peut-être déjà entendu ces préoccupations, que mon sous-ministre Jeff Parr a exprimées la dernière fois que le projet de loi a été étudié. C'est pourquoi je serai brève aujourd'hui.

Nous estimons que le projet de loi est inutile et qu'il empiète sur les compétences provinciales. C'est en effet aux gouvernements provinciaux que revient la responsabilité des relations de travail au Canada. Moins de 10 p. 100 des travailleurs du Canada œuvrent dans des lieux de travail sous réglementation fédérale. Le reste du temps, les gouvernements provinciaux d'un bout du pays à l'autre sont libres d'établir leurs propres priorités législatives en matière de relations de travail et le font.

Au Manitoba, les lois exigent à juste titre que les syndicats doivent fournir à leurs membres, sans frais, les états financiers du syndicat pour l'exercice précédent. Ces états financiers doivent présenter les recettes et dépenses de l'exercice avec assez de précision pour refléter avec exactitude le bilan financier du syndicat, ainsi que son fonctionnement et la nature de ses recettes et de ses dépenses.

De plus, les syndicats ont des dirigeants élus qui doivent rendre des comptes aux membres. Ils ont des constitutions, des dirigeants élus et des assemblées de représentants des membres. Les dirigeants, élus par les membres, exercent leurs fonctions à la discrétion de ces derniers. Les états financiers sont vérifiés et présentés. Notre Loi sur les relations de travail comporte des dispositions pour veiller à ce que les syndicats représentent équitablement les intérêts des employés de leurs unités de négociation.

Bref, les provinces travaillent avec les employeurs et les employés depuis des décennies. Les relations de travail sont déjà bien réglementées.

Je crains aussi beaucoup que le projet de loi ne perturbe les relations de travail entre employeurs et employés, ce qui nuirait au processus de négociations collectives.

Au cours de la dernière décennie, les employeurs, les syndicats et le gouvernement du Manitoba ont travaillé en collaboration afin de stabiliser les relations de travail. Le maintien de cette stabilité et de cet équilibre est bon pour les employeurs, pour les travailleurs, pour les collectivités et pour l'économie dans son ensemble.

Notre gouvernement a adopté à l'unanimité plus de 20 lois relatives aux relations de travail à l'assemblée législative. Nous y sommes parvenus en amenant tous les partenaires à participer à la discussion et à travailler ensemble.

Le projet de loi à l'étude adopte une approche inverse. Il n'est pas le résultat d'un dialogue fructueux entre employeurs et syndicats. Au contraire, il cible particulièrement les syndicats, sans imposer de nouvelles exigences en matière de transparence à des associations professionnelles comme celles des avocats, des ingénieurs ou des médecins. Il n'exige pas non plus de transparence de la part des groupes d'employeurs ou des représentants de l'industrie.

En conclusion, le Manitoba estime que le projet de loi ne devrait pas être adopté sous sa forme actuelle. Je vous remercie.

Le président : Merci, madame la ministre.

Nous passons à la table des témoins, en commençant par le juge Bastarache.

L'honorable Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême du Canada, à titre personnel : Bonjour. J'aimerais commencer par préciser que je suis ici à titre personnel et vous faire part des questions que j'entends traiter.

Je suis avocat-conseil au cabinet Gall Legge Grant & Munroe à Vancouver, qui a comme client Merit Canada, qui a demandé à Peter Gall de lui fournir une opinion sur la constitutionnalité du projet de loi C-377. M. Gall m'a demandé si je voulais bien préparer cette opinion pour le cabinet.

Quoi qu'il en soit, M. Gall m'a demandé mon opinion objective, sans me donner d'angle particulier à adopter. Je ne connaissais personne à Merit, et je n'ai pas parlé à un représentant de Merit avant de préparer mon opinion et de l'envoyer à M. Gall. C'était en juin 2013. M. Peter Gall m'a à nouveau contacté au sujet du projet de loi, juste pour me demander si je voulais bien témoigner devant votre comité.

J'aborderai uniquement la question de la constitutionnalité du projet de loi. Il existe des principes juridiques à respecter pour l'examen de la question, si l'on veut une décision non arbitraire.

Tout d'abord, il faut déterminer l'essence et la teneur du projet de loi. Il fait référence à une compétence qui relève du Parlement ou d'une assemblée législative provinciale. Le projet de loi apporte des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu, qui relève manifestement de la compétence fédérale. La deuxième question est alors de savoir si le projet de loi porte effectivement sur la taxation ou s'il s'agit d'une mesure législative spécieuse qu'on devrait considérer comme s'appliquant en fait à une autre compétence.

Le projet de loi est censé assurer la transparence et la reddition de comptes quant aux avantages fiscaux dont bénéficient les organisations syndicales : l'exemption d'impôt en vertu de l'article 149 de la Loi de l'impôt sur le revenu et le fait que les cotisations payées sont déductibles du revenu des contribuables, en vertu de l'article 8. Je ne vois pas de raison de croire que la teneur du projet de loi soit liée au « prélèvement de deniers », qui figure au paragraphe 91(3) de la Constitution.

Les relations de travail ne constituent pas une compétence distincte, et je ne crois pas qu'on puisse voir dans le projet de loi une mesure législative ayant trait aux relations de travail comme composante de la compétence sur les droits civils. Les organisations syndicales sont peut-être touchées, mais, en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoires, aussi longtemps que le projet de loi relève suffisamment du cadre fédéral, il est constitutionnel.

Le fait que les dispositions de transparence et de reddition de comptes s'appliquent à d'autres organismes fait fortement pencher la balance en faveur de cette interprétation. De plus, le projet de loi porte seulement sur la divulgation des renseignements financiers et ne vise pas à réglementer les activités des organisations syndicales. C'est pourquoi je ne vois pas d'empiétement majeur sur les compétences des provinces. L'objet du projet de loi est rationnellement et fonctionnellement relié à l'impôt.

Certains ont remis en question la validité du projet de loi en raison de la Charte des droits, mais je n'entrevois pas de problème. Il n'y a pas de divulgation qui affecte les croyances personnelles ou politiques reliées à la vie privée. Même si certains pourraient remettre en question la divulgation de la rémunération, un tribunal doit interpréter cette disposition comme étant conforme au droit constitutionnel. Si un tribunal croit que la divulgation personnalisée cause un problème, il peut tout simplement ordonner une divulgation généralisée. Ce n'est pas parce qu'on peut soulever un argument à son encontre qu'une loi peut être écartée. On doit prendre en compte le fait que, bien souvent, l'interprétation de la loi va régler la plupart des problèmes. Cela s'appuie, bien sûr, sur la présomption de constitutionnalité.

En ce qui a trait au droit d'association, je ne vois pas de problème. On doit comprendre les limites de ce droit et faire la distinction entre ce qui est protégé par la Constitution et ce qui est visé par la loi.

Le droit d'association est un droit procédural, qui ne protège pas les activités. C'est un droit qui protège le pouvoir de s'unir, de faire des représentations et de recevoir des réponses de bonne foi. La Cour suprême a statué à cet effet dans les arrêts Dunmore, Health Services et Fraser.

Le projet de loi ne réglemente pas les activités des syndicats et ne dicte pas comment ils peuvent dépenser leur argent. Même si une définition extrêmement vaste de ce droit était adoptée, à mon avis, le gouvernement serait en mesure de justifier une violation de l'article 1 de la Charte, étant donné les objectifs importants de transparence et de reddition de comptes et le fait qu'il s'agit d'une atteinte minime aux droits actuels.

Voilà ce que j'en pense. Je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur.

Monsieur Mazzuca.

Michael Mazzuca, ancien président, Section nationale du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux, Association du Barreau canadien : Je vais céder la parole à mon collègue M. Arshinoff.

Noah Arshinoff, avocat-conseil, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Nous sommes très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour parler du projet de loi C-377 au nom de l'Association du Barreau canadien.

L'Association du Barreau canadien est une association nationale représentant environ 36 000 membres de la profession juridique. L'amélioration de la loi et l'administration de la justice font partie de nos objectifs fondamentaux, et c'est sous cet angle que nous avons examiné le projet de loi.

Notre mémoire a été préparé en collaboration avec la Section du droit à la vie privée et de l'accès à l'information, la Section du droit constitutionnel et des droits de la personne et la Section du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux de l'Association du Barreau canadien.

Nous avons exprimé plusieurs craintes au sujet de ce projet de loi depuis qu'il a été présenté. Nous avons comparu devant le Comité des finances de la Chambre des communes ainsi que devant le Comité sénatorial des banques et du commerce pour faire part de nos réserves.

En juin 2013, le Sénat a renvoyé à la Chambre des communes une version modifiée du projet de loi C-377 aux fins d'examen. Ces amendements modifiaient la portée du projet de loi et, selon nous, apportaient des améliorations marquées. Toutefois, les amendements du Sénat sont morts au Feuilleton lorsque le Parlement a été prorogé.

Nos inquiétudes face à ce projet de loi peuvent être regroupées en trois grandes catégories : la vie privée, les aspects constitutionnels et les répercussions sur les divers fonds et régimes de pension.

Mon collègue Mike Mazzuca est un ancien président de la Section du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux de l'Association du Barreau canadien, et je vais lui céder la parole pour qu'il puisse vous parler de la teneur de notre mémoire.

M. Mazzuca : Merci de nous avoir invités de nouveau pour réitérer la position de l'Association du Barreau canadien sur le projet de loi C-377. Comme mon collègue M. Arshinoff l'a dit, l'Association du Barreau canadien est toujours d'avis que le projet de loi C-377 comporte des lacunes fondamentales au chapitre des droits à la vie privée, des droits constitutionnels et des avantages sociaux.

En ce qui a trait à la première catégorie, le droit à la vie privée, l'Association du Barreau canadien craint que la divulgation des salaires des employés et des contracteurs des organismes gérés de façon indépendante, tel que requis par le projet de loi C-377, va bien au-delà de ce qui existait déjà dans le droit canadien et va à l'encontre des principes de protection de la vie privée enchâssés dans de nombreuses lois sur le sujet et dans la jurisprudence constitutionnelle canadienne.

Des amendements ont été apportés à ce projet de loi par la Chambre des communes. Ces amendements semblent indiquer clairement que la divulgation prévue dans le projet de loi C-377 est une divulgation individuelle et non cumulative, qui est exigée de certaines autres entités. Dans la mesure où le projet de loi exige une divulgation individuelle, il oblige la divulgation de renseignements personnels, qui sont généralement considérés comme étant de nature plus délicate, notamment des informations financières ou des informations portant sur les activités et croyances politiques.

De plus, en tant qu'association d'avocats, l'Association du Barreau canadien craint que le projet de loi ne prévoie rien en ce qui a trait à l'information protégée par le secret professionnel. La Cour suprême du Canada a déclaré que le secret professionnel est un droit civique fondamental qui doit être protégé par des normes très rigoureuses pour qu'il demeure aussi absolu que possible.

Par ailleurs, des amendements ont été apportés à ce projet de loi par la Chambre des communes pour soi-disant protéger des documents visés par le secret professionnel. Or, ces amendements ne s'appliquent qu'à deux petits paragraphes du projet de loi. L'Association du Barreau canadien est d'avis que la protection du secret professionnel devrait s'étendre à l'ensemble du projet de loi et à la divulgation de ce genre de documents.

De plus, sans préciser le problème sous-jacent que souhaite rectifier ce projet de loi, le projet de loi n'atteint pas un juste équilibre entre les objectifs publics légitimes et le respect des intérêts privés protégés par la loi.

En raison de ces nombreuses préoccupations liées au droit à la vie privée, nous croyons que le projet de loi va fort probablement faire l'objet d'une contestation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui nous amène à aborder les craintes d'un point de vue constitutionnel de l'Association du Barreau canadien.

Selon nous, il est probable que le projet de loi soit contesté en vertu des alinéas 2b) et 2d) de la Charte, qui portent sur la liberté d'expression et sur la liberté d'association, respectivement. Au cours des dernières années, ce qui est protégé en vertu des alinéas 2b) et 2d) de la Charte a grandement changé. La jurisprudence très récente nous indique que la Cour suprême du Canada a une vision beaucoup plus déterminée et généreuse du type de problèmes de relations de travail qui sont protégés par les alinéas 2b) et 2d).

Dans la cause Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, un arrêt de 2013 de la Cour suprême du Canada, la cour a déclaré à l'unanimité que l'alinéa 2b) de la Charte protégeait la capacité du syndicat de communiquer et de persuader le public de sa cause, et qu'enfreindre sa libre expression serait une violation injustifiée de l'alinéa 2b). Puisque la Cour suprême du Canada a affirmé que l'alinéa 2b) de la Charte protégeait la liberté d'expression d'un syndicat, l'Association du Barreau canadien est d'avis qu'il permet aussi au syndicat de choisir de ne pas s'exprimer.

Dans deux décisions encore plus récentes rendues en janvier de cette année, la Cour suprême du Canada a confirmé que la liberté d'association visée par l'alinéa 2d) de la Charte vise à maintenir l'autonomie de l'employé vis-à-vis l'ascendant supérieur des gestionnaires pour permettre un véritable processus de négociation collective.

Dans ces causes, la Cour suprême du Canada a protégé le droit à la négociation collective et le droit de grève du syndicat. En vertu de ce projet de loi, les exigences voulant qu'une organisation ouvrière doit soumettre un relevé détaillant ses dépenses pour des activités politiques, des activités de lobbying, des activités d'organisation et des activités de négociation collective pourraient être déclarées inconstitutionnelles aux termes de l'alinéa 2d), ce qui désavantagerait sans doute le syndicat lors des négociations collectives.

Le président : Monsieur Mazzuca, je vais devoir vous demander de résumer vos propos.

M. Mazzuca : Très bien, je vais résumer pour ce qui est des questions touchant les avantages dans la loi. Le projet de loi s'applique non seulement aux organisations ouvrières, mais aussi aux fiducies de syndicat. Ce qui nous préoccupe au sujet des fiducies de syndicat, c'est que la définition est extrêmement large et qu'elle semble inclure n'importe quel fonds auquel cotisent les membres d'un syndicat. Cela viserait toutes sortes de fonds comme des fonds caritatifs, ceux pour les organismes sans but lucratif ou ceux destinés à la formation. Si on l'interprète assez librement, la définition pourrait même comprendre les fonds communs de placement auxquels semblent cotiser les membres d'un syndicat.

Par le passé, nous avons indiqué que le projet de loi ne devrait pas du tout s'appliquer aux fiducies de syndicat et que, le cas échéant, nous avons prévu dans notre mémoire une exemption beaucoup mieux rédigée qui ferait en sorte qu'un certain nombre de fonds ne soient pas visés par le projet de loi.

Encore une fois, merci.

Le président : Je remercie tous nos témoins.

Nous allons commencer notre série de questions avec le vice-président du comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins d'être ici aujourd'hui et d'avoir fait d'excellents exposés.

Je n'ai qu'une question et elle s'adresse à M. Bastarache. Son exposé a été très intéressant. Mais les autres témoins peuvent aussi répondre. Ma question porte sur la constitutionnalité du projet de loi.

D'autres membres du comité et moi-même sommes préoccupés par certains termes dans le projet de loi, tout en sachant très bien que les mots doivent être interprétés dans leur sens ordinaire et grammatical conformément au reste de la loi. Je pense que tous seront d'accord là-dessus. Voici les mots qui nous préoccupent :

[...] un état indiquant une estimation raisonnable du pourcentage du temps que les personnes visées au sous-alinéa (vii) consacrent à la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations du travail [...]

Maintenant, cette disposition s'applique à tous les syndicats au Canada et pas seulement aux principaux syndicats, ce qui signifie que le syndicat des travailleurs municipaux de Gander à Terre-Neuve, d'où je viens, sera également visé. Si vous êtes président du syndicat de votre section locale et délégué syndical, vous êtes la personne en position d'autorité telle que définie au sous-alinéa (vii) et devez alors fournir un état de vos activités politiques ainsi que celles non liées aux relations de travail pour l'année précédente. Les Canadiens ordinaires diraient : « Cela ne vous regarde pas. Je vis dans une petite collectivité et je fais de mon mieux pour les travailleurs du garage municipal, ceux qui ramassent les poubelles et ainsi de suite. Pourquoi devrais-je fournir cette information? »

Ma question est la suivante : en ce qui a trait à la portée excessive, qui pose problème, ou à l'imprécision, qui pose également problème, avez-vous examiné la constitutionnalité de ces mots bien précis, monsieur Bastarache? Ou bien votre opinion porte-t-elle essentiellement sur les champs de compétence visant l'ensemble du projet de loi?

M. Bastarache : Je pense que le point que vous soulevez porte en fait sur une question de politique et un problème à teneur politique, mais non pas à teneur constitutionnelle.

Quel droit constitutionnel serait contesté par les termes que vous avez mentionnés? La Constitution protège votre droit d'expression, bien sûr, mais le projet de loi ne prévoit rien qui empêche les syndicats de faire valoir leurs points de vue.

Le droit d'association, comme je l'ai dit, est un droit procédural. Rien n'empêche les gens de créer un syndicat, de déterminer ses fonctions et de s'adonner à diverses activités.

La seule obligation que je vois porte sur la transparence et, pour moi, c'est directement lié à l'objet du projet de loi, comme vous le dites, soit un projet de loi portant sur l'imposition comme toute autre partie de la loi qui fait partie de ce régime. Bien sûr, le projet de loi a pour objet de déterminer quelles sont ces activités et comment elles seront examinées par rapport aux avantages accordés aux syndicats aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Ainsi, je pense qu'il peut y avoir un problème, comme vous le dites, mais ce serait pour des raisons de protection de la vie privée, ce qui n'a rien à voir avec la Constitution, mais il faudrait l'évoquer.

M. Mazzuca : Je voudrais ajouter que l'Association du Barreau canadien a, dès le départ, soulevé des inquiétudes concernant l'incidence d'une telle divulgation sur la liberté d'association pour les syndicats. Il y a des considérations concernant leur capacité d'intervenir. Il y a eu trois affaires qui ont été entendues récemment devant la Cour suprême du Canada dont j'ai parlé dans mon exposé et qui semblent mettre en cause le droit de la liberté d'association.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur le président. J'ai deux questions à poser, l'une pour Mme Braun et l'autre pour M. Bastarache.

Madame Braun, à titre d'information pour tous ceux et celles qui suivent nos travaux, quel emploi occupiez-vous avant d'être élue?

[Traduction]

Mme Braun : Autrefois, j'étais enseignante. J'enseignais au Manitoba dans une école secondaire et j'étais également présidente de l'Association des enseignants de Winnipeg.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Les provinces ont des pouvoirs qui sont bien établis en matière de travail. Selon vous, le gouvernement fédéral n'a-t-il pas aussi un rôle à jouer dans les relations de travail? Sinon, pourquoi avons-nous au pays le Conseil canadien des relations du travail?

[Traduction]

Mme Braun : Comme je l'ai dit dans mon exposé, étant donné que 92 p. 100 des travailleurs relèvent de la province, il faut s'en tenir à cela. Étant donné qu'il existe un conseil du travail au Manitoba, la surveillance des diverses organisations fait partie de nos responsabilités, et le conseil du travail est l'organisation idoine.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, madame. Ma deuxième question s'adresse à M. Bastarache. Merci d'être ici. À titre d'information, j'ai occupé la présidence de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec, qui est un syndicat.

Afin de nous éclairer un peu, pourriez-vous nous donner des exemples en droit constitutionnel des syndicats par rapport au droit du gouvernement qui peut exiger une certaine forme de transparence de la part des syndicats? Cette transparence semble déplaire aux centrales syndicales.

M. Bastarache : Je crois que le gouvernement a le droit d'exiger la transparence de toutes les entités, associations et corporations visées par la Loi de l'impôt sur le revenu. Que ce soit un syndicat provincial ou un syndicat fédéral, cela n'a aucune importance, parce qu'il ne s'agit pas d'une loi sur les relations de travail, mais d'une loi sur l'impôt. Dans ce sens-là, ce n'est pas important. Toutefois, il faut déterminer si le gouvernement fédéral a le pouvoir de légiférer dans ce domaine en vertu de l'article de la Constitution qui lui permet de taxer.

Si on n'est pas en mesure de déterminer qu'il s'agit d'une tentative indirecte de contrôler les syndicats, dans ce cas, la présomption de constitutionnalité s'applique et la loi est valide. Tous les gens ont le droit de contester, mais ceux-ci devront prouver que l'intention véritable derrière la législation est le contrôle de l'activité syndicale.

Je ne vois dans la loi aucun contrôle de l'activité syndicale. Selon mes collègues, si nous devons répondre à la transparence, cela créera pour nous des inconvénients, mais ces inconvénients ne créent pas l'inconstitutionnalité.

Le sénateur Dagenais : J'ai une question à poser à M. Mazzuca. Vous nous avez donné une interprétation plus élargie du paragraphe 2b). Vous avez parlé du droit de ne pas répondre, que vous avez relié à votre droit d'expression — que je ne nie pas, soit dit en passant. Cependant, si on tient compte des agissements de certains leaders syndicaux au cours des dernières années, expliquez-moi pourquoi vous ne seriez pas soumis à la transparence du projet de loi C-377 sans que cela ne crée de conflits avec votre droit de poursuivre vos activités syndicales?

[Traduction]

M. Mazzuca : L'Association du Barreau canadien appuie la transparence et, selon nous, il y a divers projets de loi au niveau provincial, comme la ministre l'a signalé, qui exigent la divulgation de renseignements financiers par les syndicats, essentiellement au ministère responsable du travail et à leurs membres. Ces lois existent déjà.

Ce qui nous préoccupe concernant la liberté d'expression, ce n'est pas l'incidence sur un syndicat en particulier et sa capacité de représenter efficacement ses membres. Nous nous inquiétons du préjudice que cela pourrait causer à un syndicat et de l'incidence sur la liberté d'association.

La sénatrice Jaffer : Ma première question s'adresse à la ministre. Je sais que le Manitoba a une loi sur les relations de travail. Le Manitoba exige la divulgation de renseignements financiers. Est-ce que je me trompe?

Mme Braun : Non, vous avez raison.

La sénatrice Jaffer : Quelles sont les autres exigences qui figurent dans cette loi? Quelles sont ces exigences?

Mme Braun : La Loi sur les relations de travail vise tous les rapports entre travailleurs et employeurs. Elle renferme des exigences pour le processus de négociation collective. Tout y est prévu, si bien que ces dispositions couvrent tout le secteur des relations de travail.

La sénatrice Jaffer : Ma question maintenant s'adresse aux représentants de l'Association du Barreau canadien. J'ai pris connaissance du projet de loi, et même si ce n'est pas l'intention, à mon avis et de l'avis de la majorité des témoins que nous avons entendus, il comporte de graves lacunes et irait à l'encontre des articles 92 et 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Peter Hogg nous a parlé du critère de la véritable nature et du véritable caractère. Pouvez-vous nous dire si ce projet de loi le respecte?

M. Mazzuca : Je pense que mon collègue vous a donné quelques explications sur le processus et la structure de l'Association du Barreau canadien. Nous reconnaissons que le critère de la véritable nature et du véritable caractère permettrait de déterminer si l'enjeu relève du gouvernement fédéral ou des provinces. Toutefois, si vous prenez connaissance de notre mémoire, vous constaterez que l'Association du Barreau canadien n'a pas pris position à cet égard. Ainsi, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question.

La sénatrice Jaffer : Le sénateur Baker a soulevé cette question, mais il y a de nombreux autres aspects dans ce projet de loi qui m'inquiètent. À la page 3, le sous-alinéa (vii.1) m'inquiète grandement. Il est question d'un état indiquant une estimation raisonnable des pourcentages du temps que les personnes visées consacrent à des activités non reliées aux affaires syndicales. Ce qui m'inquiète, c'est la raison pour laquelle on demanderait à quelqu'un de révéler des activités consacrées à un groupe de scouts ou à une mosquée, car cela a trait à la vie privée des gens. Je voudrais votre opinion là-dessus.

M. Mazzuca : Comme je l'ai dit plus tôt, nous avons de graves inquiétudes en ce qui concerne la protection de la vie privée. D'autres organisations doivent se soumettre à certaines divulgations, mais cela porte sur un ensemble d'activités, et non pas sur des particuliers et des activités précises que ce projet de loi semble viser.

En outre, nombre de ces divulgations doivent être faites auprès d'entités gouvernementales. Ce projet de loi va clairement plus loin. Il exige que cette divulgation soit faite non seulement auprès d'entités gouvernementales, mais qu'elle soit également affichée sur un site Internet. Cela semble aller à l'encontre de bien des dispositions législatives concernant la vie privée en vigueur au pays.

Le sénateur Plett : Merci, chers témoins. Je serai bref. J'ai une question pour les représentants de l'ABC et une autre pour la ministre du Travail du Manitoba.

En 2013, la commissaire à la protection de la vie privée Jennifer Stoddart a affirmé devant le Comité des banques qu'aucune disposition du projet de loi C-377 ne violerait la Loi sur la protection de la vie privée. Qu'en dites-vous?

M. Mazzuca : Eh bien, si l'on se reporte à la loi fédérale, la Loi sur la protection de la vie privée, la LPRPDE, je pense qu'il y a une disposition qui comporte une exemption. Ainsi, si une loi exige certaines divulgations, il n'y aurait pas violation de la LPRPDE. Nous faisons allusion à l'esprit général de ces lois sur la protection de la vie privée. Il semble que ce projet de loi aille à l'encontre du genre de protection prévue dans d'autres lois. Toutefois, je conviens qu'il y a une exemption dans les lois fédérales en ce qui concerne les renseignements exigés par d'autres lois.

Le sénateur Plett : Madame la ministre, merci d'être venue témoigner. Je suis du Manitoba. J'ai suivi avec vif intérêt il y a quelques semaines la course à la chefferie de votre parti au Manitoba. À mon avis, le chef de votre parti ne serait pas en poste aujourd'hui s'il n'avait été de l'influence de certains dirigeants syndicaux très puissants.

Le sénateur Baker : Bravo.

Le sénateur Plett : Ainsi, si les syndicats ont un tel pouvoir pour élire le premier ministre d'une province, comme ce fut le cas au Manitoba, ne pensez-vous pas que les exigences de divulgation, celles qui sont prévues dans le projet de loi C-377, sont d'autant plus importantes? Je vous en prie, ne me dites pas qu'il y a des dispositions législatives au Manitoba, car il n'y a rien qui ressemble à celles qui figurent dans le projet de loi C-377. Ne reconnaissez-vous pas que la divulgation est très importante dans une telle situation?

Mme Braun : Merci, sénateur Plett. Je vous dirai que la course à la chefferie n'a rien à voir avec la discussion que nous tenons aujourd'hui sur le projet de loi C-377. Ce n'est absolument pas pertinent à notre discussion ici. Il est question ici de transparence et de traitement équitable de tous les travailleurs qui s'occupent de négociations collectives.

Le sénateur Plett : Je ne suis certainement pas d'accord pour dire que ce n'est pas pertinent. Nous parlons de transparence. Nous parlons des syndicats qui participent à une activité politique ou à toute autre activité avec l'argent des contribuables et qui ne sont pas transparents.

Madame la ministre, je vais vous poser la même question en vous priant de ne pas me donner la même réponse. Pensez-vous qu'il soit important de demander aux syndicats d'être transparents, lorsqu'ils sont, en réalité, capables de faire élire le premier ministre d'une province?

Mme Braun : Merci. Si on se soucie vraiment de la transparence des organisations bénéficiant d'avantages fiscaux en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, je crois qu'on ferait beaucoup mieux d'engager un dialogue avec les secteurs et organismes concernés en vue d'apporter des changements grâce auxquels ils seront tous traités de la même manière. Si on n'aborde pas la question de la transparence sous l'angle plus large de la Loi de l'impôt sur le revenu, il serait souhaitable de ne pas viser uniquement les syndicats et leur traitement spécial, notamment puisque, comme je l'ai dit plus tôt, 92 p. 100 des questions concernant les travailleurs, les relations de travail et la réglementation du travail relèvent des provinces.

Le sénateur Plett : Merci.

Le sénateur Joyal : Madame la ministre, permettez-moi de revenir sur votre lettre du 21 avril, plus précisément sur le premier point, selon lequel le projet de loi C-377, et je cite :

explore clairement le domaine des relations de travail qui est, en vertu de la Constitution, un domaine qui relève des provinces et territoires;

Avez-vous obtenu l'avis du ministère de la Justice du gouvernement du Manitoba avant de rédiger ce paragraphe et d'avancer que ce projet de loi relève clairement des provinces?

Mme Braun : Comme je l'ai indiqué plus tôt, 8 p. 100 des travailleurs au Canada sont sous réglementation fédérale. Le reste des travailleurs relèvent des provinces, et toutes les provinces, à leur façon, ont leur loi qui gouverne leurs autres relations de travail. Cela signifie...

Le sénateur Joyal : Je ne remets pas cela en cause, madame la ministre. J'aimerais savoir si vous avez demandé un avis juridique auprès du ministère de la Justice — un de vos collègues au sein du cabinet — avant d'avancer que ce projet de loi relève des provinces. Voilà essentiellement la question que je vous pose. Je ne remets pas en question le fait qu'un grand nombre de travailleurs relèvent des provinces. Tout le monde reconnaît ce fait. J'essaie de comprendre les fondements juridiques sur lesquels vous vous basez pour dire que le domaine des relations de travail est, en vertu de la Constitution, un domaine qui relève des provinces et territoires.

Vous avez certainement analysé le projet de loi C-377 par rapport à ses retombées sur les relations de travail. C'est essentiellement ce que je souhaite savoir : quel genre d'analyse juridique avez-vous faite du projet de loi C-377 pour en arriver à la conclusion qu'il relève des provinces?

Mme Braun : Le Manitoba est de cet avis, à savoir que le domaine des relations de travail relève de notre compétence et qu'il s'agit d'un domaine de notre ressort. Telle est notre position. Il s'agit de la responsabilité du Manitoba et nous affirmons notre position en disant qu'il s'agit d'un dossier qui relève de notre compétence.

Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à l'essence et au fond de la question, monsieur Bastarache. Il me semble que votre interprétation de l'essence du projet de loi soit très étroite, même trop étroite en fait, pour être valide sur le plan constitutionnel. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi j'en arrive à cette conclusion.

Lorsqu'on lit le projet de loi et qu'on veut en mesurer les retombées, on vérifie bien sûr la rubrique de la Constitution. On vérifie le titre du projet de loi. À première vue, on pourrait en conclure qu'il relève de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Mais il faut aller un peu plus loin et se poser la question suivante : jusqu'où va-t-il dans la réglementation des activités envisagées dans le projet de loi? Dans ce projet de loi, nous traitons des organisations ouvrières; nous ne traitons pas des organismes de bienfaisance. Nous traitons d'une entité, dans les relations de travail, qui existe de manière autonome et qui bénéficie de certains droits. Les deux dernières décisions de la Cour suprême qui ont été rendues en janvier expriment clairement, à mon avis, le statut spécial des syndicats au Canada.

Ce projet de loi, à mon sens, ne répond pas aux critères de caractère véritable, et je vais vous expliquer pourquoi : il fait pencher la balance du côté des employeurs, aux dépens du syndicat, sans établir un équilibre entre les obligations qu'il impose aux syndicats par opposition aux avantages que les employeurs continueront d'avoir, en vertu de la loi générale.

Ainsi, si l'on veut comparer avec les organismes de bienfaisance l'obligation qu'auront les syndicats en vertu de ce projet de loi, à mon avis, il faut aller plus loin, car les organisations syndicales sont des entités à part entière indépendantes qui ont leurs propres droits. Les récentes décisions de la Cour suprême ont été très approfondies.

Hier, lorsque nous avons entendu nos témoins, j'ai posé une question précise : quel sera l'effet de ce projet de loi sur l'avenir des relations de travail entre employeurs et syndicats? Les représentants syndicaux et d'autres témoins présents m'ont répondu qu'il allait faire pencher la balance.

Et c'est pourquoi il ne s'agit pas seulement d'une mesure fiscale. Il s'agit d'un projet de loi qui a un effet sur l'exercice des responsabilités des syndicats de négocier des conditions justes pour leurs membres. Et c'est là que je trouve que le critère du caractère véritable que vous avez proposé est trop limité.

M. Bastarache : Eh bien, je ne suis pas d'accord avec vous, car je crois fondamentalement que vous êtes en train de dire qu'il ne s'agit pas d'un bon projet de loi et qu'il ne devrait pas exister, car il a une incidence indirecte, comme vous dites, sur l'équilibre entre les syndicats et les employeurs.

Mais il s'agit là fondamentalement d'une conséquence indirecte, car le projet de loi ne porte toujours pas sur les syndicats; il porte sur l'imposition et sur la transparence. Il ne dit aucunement que les syndicats ne peuvent pas faire telle ou telle chose, ou qu'ils ne peuvent pas dépenser leur argent de telle ou telle façon, si bien qu'il n'a aucune incidence sur le fonctionnement des syndicats.

S'il avait cet effet, vous pourriez alors le qualifier de spécieux. Mais fondamentalement, il traite d'avantages fiscaux et stipule que l'on peut imposer toutes sortes de conditions aux gens pour qu'ils obtiennent un avantage. À mes yeux, il s'agit clairement d'un projet de loi sur l'imposition, et c'est une question constitutionnelle.

L'autre question que vous m'avez posée est une question de politique qui revient à dire que ce n'est pas un bon projet de loi à cause des effets qu'il aura.

La sénatrice Fraser : Bienvenue à vous tous. Merci d'être ici.

Je demeure perplexe quant aux répercussions de ce projet de loi sur la protection de la vie privée. Le sénateur Baker a fait allusion aux sous-alinéas (vii) et (vii.1) qui visent les cadres, les administrateurs, les fiduciaires et les employés de syndicats. Je vais vous poser une question sur les sous-alinéas (viii) et (viii.1), qui visent les employés et les entrepreneurs et requièrent un état indiquant une estimation raisonnable du pourcentage du temps que ces personnes consacrent à la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations de travail.

Je suis particulièrement préoccupée pour les entrepreneurs, car ils ne travaillent généralement pas à temps plein pour le syndicat. Ils sont parfois à contrat. Souvent ils ne le sont pas, notamment un avocat qui travaille à contrat ou un comptable qui a de nombreux clients, dont le syndicat. Ce projet de loi ne limite pas les exigences pour ce genre de communications au temps ayant fait l'objet d'une rétribution du syndicat. Il parle simplement du « pourcentage du temps ». Je ne suis pas avocate, mais je trouverais qu'il s'agit là d'une intrusion massive dans ma vie privée si j'étais concernée par ce projet de loi, ce qui n'est pas le cas. S'il ne s'agit pas d'une intrusion dans la vie privée, de quoi s'agit-il alors?

J'aimerais entendre le point de vue de n'importe lequel d'entre vous.

M. Mazzuca : Comme je l'ai dit plus tôt, je pense que le projet de loi empiète sur la vie privée des entités privées beaucoup plus que tout autre projet de loi que nous connaissons. Vous avez raison. Parce que le projet de loi exige une divulgation très précise dans les articles que vous avez mentionnés, de même que dans d'autres, cette divulgation ne constitue pas seulement une intrusion dans la vie privée de ce que le projet de loi considère comme des organisations ouvrières, mais aussi une intrusion dans la vie privée des entités avec lesquelles ces organisations interagissent.

Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, le projet de loi exige une divulgation précise. Il exige la divulgation de chaque transaction, y compris l'identité du payeur et du bénéficiaire. Cela va plus loin que tout autre projet de loi qui exige la divulgation de renseignements très précis, ce qui ne devrait pas seulement inquiéter les syndicats, qui semblent être ciblés par le projet de loi, mais également toute entité qui interagit avec eux. C'est pourquoi l'Association du Barreau canadien s'inquiète en particulier des effets sur le secret professionnel.

La sénatrice Fraser : Est-ce que cela pourrait aller jusqu'à toucher les personnes qui sont à contrat pour réparer les photocopieuses, par exemple?

M. Mazzuca : Je crois absolument que cela pourrait aller aussi loin. Si la transaction représente plus de 5 000 $ au total au cours d'une année civile, il faudrait alors divulguer cette transaction avec l'entreprise de photocopie.

La sénatrice Fraser : Et le temps que le technicien passe à faire des activités politiques?

M. Mazzuca : Oui.

Le sénateur McInnis : Merci d'être ici.

Monsieur le juge Bastarache, j'ai toujours voulu être en la présence d'un juge de la Cour suprême du Canada, et vous êtes un ancien juge de cette cour. Je dois vous dire que je suis d'accord avec vous. Je suis flatté de pouvoir m'adresser à vous maintenant, puisque nous parlons d'imposition, qui est une question politique qui relève du gouvernement fédéral.

Il faut souvent une crise pour qu'il y ait des changements au gouvernement. Je l'ai vu en Nouvelle-Écosse. Il a fallu la condamnation injustifiée de Donald Marshall Junior, qui a passé 11 ans en prison pour un crime qu'il n'a pas commis, et la commission royale subséquente présidée par l'ancien juge en chef de Terre-Neuve, Alex Hickman, pour qu'il y ait des changements, pour que les procureurs du Bureau du procureur général soient séparés de l'administration de la justice et des services de police. Je fais ce parallèle.

Dans cette affaire, il y a cinq ou six dirigeants syndicaux qui auraient mal géré les fonds des membres. J'ai regardé les nouvelles nationales, et Peter Mansbridge et Terrence McKenna, je pense, ont fait un reportage sur les actions de certaines personnes de la FTQ Construction. Ce sont des situations très graves. Il y en a d'autres, cinq ou six, qui sont maintenant connues du public.

La transparence et la reddition de comptes sont ce qui caractérise tout ce que nous faisons au gouvernement. N'êtes- vous pas d'accord pour dire que ces deux principes sont importants et que le gouvernement devrait assurer la transparence et la reddition de comptes en étant, dans la mesure du possible, proactif, plutôt que forcé de le faire? C'est ce que je vois ici. Il faudra une crise, et le gouvernement devrait être proactif.

Cette question s'adresse à la ministre du Manitoba ou à toute autre personne qui veut répondre.

Mme Braun : Si vous me permettez de répondre, à titre de ministre du Travail du Manitoba, l'une des choses dont on peut être très fier, c'est que depuis de nombreuses années, il y a une excellente collaboration en matière de relations de travail au Manitoba. La Commission du travail du Manitoba qui s'occupe des plaintes dans le domaine de la transparence a reçu très peu de plaintes. Je pense que la façon dont collaborent les employeurs, les travailleurs et le gouvernement est la solution pour créer un environnement et des relations de travail très stables au Manitoba. Comme je l'ai déjà dit, il y a eu très peu de plaintes en matière de transparence déposées à la Commission du travail du Manitoba.

M. Mazzuca : Comme je l'ai déjà dit, l'Association du Barreau canadien appuie certainement la transparence et l'ouverture, mais nous appuyons également le respect de la vie privée des personnes et des organisations. Il faut qu'il y ait un équilibre entre les questions de transparence et de protection des renseignements privés et personnels. À cet égard, nous nous inquiétons que le projet de loi aille trop loin et fasse pencher la balance.

Le sénateur Cowan : Merci d'être ici aujourd'hui, messieurs.

Je veux revenir au caractère véritable dont mon collègue, le sénateur Joyal, a parlé dans sa discussion avec le juge Bastarache. Dans son exposé, le juge Bastarache a parlé du caractère véritable, à savoir si le projet de loi était une loi déguisée qui en apparence semble être une chose, mais qui en est une autre. Je demanderais à M. Mazzuca et à M. Arshinoff s'ils sont d'accord avec le sénateur Joyal pour dire que l'interprétation du juge Bastarache était trop étroite et qu'il faut aller au-delà du titre pour voir sur quoi porte vraiment le projet de loi. Ou est-il suffisant, comme le propose le juge Bastarache, de dire que c'est une question de politique, ou faut-il plutôt examiner le projet de loi pour déterminer quel est son effet réel? Mis à part le fait qu'en apparence, il traite d'impôt sur le revenu, si son application réelle rompt l'équilibre dont vous avez parlé entre les employeurs et les employés et qu'il ne respecte pas les renseignements personnels, la liberté, l'accès à l'information et la transparence, ne faut-il pas faire cette analyse pour voir de quel côté penche la balance?

M. Mazzuca : Comme je l'ai déjà dit, le critère du caractère véritable revient à une question de compétence entre les provinces et le gouvernement fédéral, et l'Association du Barreau canadien n'a pas pris position à ce sujet.

J'ai parlé de nos préoccupations concernant la Charte. Il y a eu les récentes décisions de la Cour suprême du Canada en janvier 2015. C'est une estimation de ces décisions indiquant que la Charte vise à protéger l'autonomie des employés contre le pouvoir plus important de la gestion afin de permettre une négociation collective véritable.

Dans la mesure où ce projet de loi modifie cet équilibre, qui est protégé par l'alinéa 2b) selon la Cour suprême, alors, oui, on pourrait le contester en vertu de la Charte.

Le président : Veuillez garder à l'esprit qu'il ne reste qu'environ cinq minutes. Je suis désolé, monsieur, mais nous allons manquer de temps.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci pour vos présentations. Monsieur le juge Bastarache, certains craignent ou font valoir que le projet de loi C-377 obligera les syndicats à divulguer des renseignements protégés par le secret professionnel des avocats. Partagez-vous cette inquiétude?

M. Bastarache : J'ai seulement examiné la constitutionnalité du projet de loi. Le problème que vous soulevez en est un qui préoccupait surtout mes collègues du domaine de la protection de la vie privée. Toute cette question ne fait pas partie de l'analyse constitutionnelle. Il s'agit d'une analyse qui permettrait de voir si la question est contraire à la loi en matière de protection de la vie privée, et ainsi de suite. Les représentants du ministère ou du Commissariat à la protection de la vie privée ont dit que ce n'était pas contraire à la loi, mais ils avaient tout de même des préoccupations. Il faudrait donc modifier la loi si elle a un effet qu'on veut contrer. Cependant, ce n'est pas une question constitutionnelle.

Le sénateur McIntyre : Pour moi, ce n'est pas une inquiétude, parce que si un avocat donne des conseils juridiques, il s'agit de services juridiques. Par ailleurs, si un avocat fait du lobbying pour une organisation ouvrière, à ce moment-là, il ne s'agit pas de services juridiques.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci. Premièrement, j'ai une petite question pour la ministre Braun. Qui parle en arrière-plan à côté de vous? Plus tôt, la sénatrice Jaffer vous a posé une question, tout comme le sénateur libéral Joyal. Il semblait avoir quelqu'un hors du champ de la caméra, car on ne voit que vous à l'écran. Il semble que quelqu'un vous fournit des réponses à des questions assez directes. Je me demandais si vous pouviez répondre brièvement à cette question.

J'ai une autre question, pour le juge Bastarache. Il semble assez clair, à la lumière des réponses que vous avez données au sénateur Joyal sur l'avis juridique, que vous n'avez pas reçu ou demandé d'avis sur la constitutionnalité du projet de loi C-377, ou que vous en avez reçu un qui n'était pas favorable à l'avis de votre procureur général.

Mme Braun : Je vous remercie. Je suis accompagnée de quelques collaborateurs aujourd'hui, dont mon sous- ministre. C'est certainement une question qui a fait couler beaucoup d'encre depuis que ce projet de loi a été déposé. Il a fait l'objet de longues discussions et de dialogues, et c'est donc à moi qu'il revient de vérifier l'information auprès de mon sous-ministre, puisque je suis en poste depuis un peu plus d'un an. Je pense que c'est le genre de discussion et d'échange que tout ministre doit avoir avec son personnel.

La sénatrice Batters : Vous pouvez comprendre notre curiosité, puisque nous ne pouvons voir que vous à l'écran et que nous entendons une voix, sans savoir à qui elle appartient. Je vous remercie de cette réponse.

Monsieur le juge Bastarache, je vous remercie de votre présence. Vous avez une compétence reconnue en matière juridique, et j'aimerais vous donner l'occasion d'expliquer brièvement, aux fins du compte rendu, votre expérience dans le milieu juridique.

De plus, je tiens à informer les membres du comité que nous avons reçu un avis juridique, daté du 9 avril 2015, de Larry Seiferling, membre du cabinet d'avocats McDougall Gauley de la Saskatchewan. C'est un avocat chevronné spécialisé dans les relations de travail. Il a appuyé le comité dans son étude du projet de loi C-525. Il ne pouvait pas être des nôtres aujourd'hui, mais il a formulé la conclusion suivante dans sa lettre d'opinion :

J'ai passé en revue l'avis juridique du juge de la Cour suprême, Michel Bastarache, sur la constitutionnalité du projet de loi C-377. À la lumière de mon expérience, je souscris à l'avis de cet expert et de ce juge des plus respectés.

Il dit aussi ceci :

J'appuierai donc ce projet de loi sous sa forme actuelle et j'encourage son adoption, afin d'assurer l'équité pour les contribuables du Canada, les cotisants dissidents des syndicats ainsi que le grand public.

Pourriez-vous brièvement, aux fins du compte rendu, nous parler de vos antécédents, et aussi nous exposer votre analyse de l'article 1?

Le président : Ce devra être une version abrégée des antécédents, car nous allons ensuite devoir conclure.

M. Bastarache : J'ai été enseignant de droit constitutionnel pendant 10 ans, et j'ai pratiqué dans ce domaine pendant 12 ans. J'ai été juge pendant 14 ans. À la Cour suprême du Canada, je pense que 17 à 20 p. 100 des causes que nous entendons sont d'ordre constitutionnel.

La sénatrice Batters : Je vous remercie beaucoup. Pendant combien de temps avez-vous siégé à la Cour suprême?

M. Bastarache : Onze ans.

Le président : Au nom du comité, je tiens à remercier tous les témoins d'avoir comparu aujourd'hui et de nous avoir aidés dans nos délibérations sur ce projet de loi.

Nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Je tiens à souhaiter la bienvenue à Len MacKay, président de l'Association des juristes de justice. À titre individuel, nous entendrons Marc Roumy, par vidéoconférence de Toronto, et Ken Pereira. Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue.

Monsieur MacKay, peut-être commencerons-nous par vous, puis ensuite ce sera au tour de M. Roumy puis de M. Pereira.

Len MacKay, président, Association des juristes de justice : Je vous remercie, monsieur le président et honorables sénateurs, de nous donner l'occasion de vous faire part de nos opinions, du point de vue de la fonction publique fédérale.

L'Association des juristes de justice est l'agent négociateur exclusif d'environ 2 600 avocats qu'emploie le gouvernement du Canada. Elle travaille pour le ministère de la Justice et le Service des poursuites pénales du Canada et fournit des services juridiques à long terme à divers organismes fédéraux et tribunaux du pays.

Nous sommes l'un des 17 agents de négociation de la fonction publique fédérale et le seul à avoir été convoqué devant votre comité. Bien qu'il soit encore possible qu'il y ait d'autres témoins, je pourrais m'exprimer largement en leur nom. À ce que j'ai compris, plusieurs de ces groupes ont présenté des mémoires écrits. Plusieurs ont certainement exprimé leur appui à la position que je vais faire valoir aujourd'hui : le groupe des agents du service extérieur — l'APASE —, les employés professionnels de l'ACEP et les agents financiers de l'ACAF.

Je pense qu'on ne comprend pas très bien le problème réel ou perçu que ce projet de loi cherche à régler, mais les objections fusent de toutes parts. Comme vous le savez probablement, un projet de loi d'initiative parlementaire doit suivre le même processus législatif que tout autre projet de loi du gouvernement. Cependant, l'examen dont il fait l'objet et le temps qui lui est consacré sont restreints. De plus, on ne prévoit pas effectuer l'analyse approfondie qui est exigée pour les projets de loi du gouvernement dans le cas du projet de loi C-377. Ce projet de loi ne jouit pas de l'expertise des avocats du ministère de la Justice et de l'appareil gouvernemental qui, autrement, en analyseraient la légalité tout au long de la phase de rédaction.

C'est à mon avis surtout aux sénateurs qu'il incombe d'examiner en profondeur et d'analyser ce qu'on peut qualifier de mesures portant atteinte à la vie privée que propose le projet de loi C-377. Évidemment, compte tenu du titre de ce comité, on peut s'attendre à ce qu'il se préoccupe surtout de la légalité et de la constitutionnalité du projet de loi, mais on veut aussi qu'il commente d'autres aspects importants de ce projet de loi.

Du point de vue juridique, j'aimerais d'abord parler du secret professionnel, que d'autres ont mentionné, dont l'ABC à la séance précédente. Ce projet de loi prévoit des mesures de protection liées à la divulgation, qui sont nécessaires pour protéger le secret professionnel, mais ces dispositions ne portent pas sur tous les types de renseignements qui pourraient autrement être protégés par ce secret professionnel, y compris les dépenses liées aux négociations collectives ou aux relations de travail. Ce type de renseignement, même s'il est fourni sous le couvert du secret professionnel, est transmis au ministre des Finances et, en vertu de ce projet de loi, rendu public.

Le secret professionnel est la pierre angulaire de notre système juridique. Toute atteinte à ce privilège pour des raisons idéologiques ne peut que saper notre système juridique et les droits fondamentaux des Canadiens.

Je devrais aussi ajouter, et peut-être d'autres ne l'ont-ils pas vu, qu'il ne s'agit pas que de la portée de la divulgation exigée ici. Tout ce que fait un avocat qui est divulgué est une atteinte au privilège. Le fait de retenir les services d'un avocat, pour n'importe quel motif, est un renseignement assujetti au secret professionnel qui devra être divulgué en vertu de ce projet de loi.

La deuxième chose dont j'aimerais parler porte sur la protection des renseignements personnels, dont il a déjà été question ce matin. Ce projet de loi met en jeu d'importants intérêts liés à la vie privée. La mesure de la divulgation publique exigée est disproportionnée par rapport à tout objectif possible, y compris la reddition de comptes aux contribuables. Les syndicats doivent d'abord et avant tout rendre des comptes à leurs membres, et je ne le dirai jamais assez. Même quand on pense à la reddition de comptes au public concernant les subventions fiscales, ce projet de loi permet une intrusion disproportionnée dans la vie privée des gens. Ces préoccupations pour la vie privée ne se limitent pas aux membres des syndicats et aux employés; elles visent aussi les personnes qui ont des transactions commerciales avec ces agents négociateurs, notamment quelqu'un qui offre de simples services de déneigement ou d'entretien. Ils ne sont aucunement affiliés aux syndicats, mais pourtant, leurs renseignements personnels seront divulgués. Ainsi, on estime que 12 millions de Canadiens pourraient être touchés si ce projet de loi devait être promulgué. C'est le chiffre qu'a fourni l'ex-sénateur Hugh Segal.

J'aimerais aussi parler de la vaste portée de ce projet de loi. Bien des organisations qui ne sont pas soi-disant « ciblées » par le projet de loi, si on le voit comme un projet de loi antisyndical, pourraient également être touchées. Ainsi, Doctors Nova Scotia a présenté un mémoire sur la possibilité que cette organisation soit englobée dans ce projet de loi. L'Institut des fonds d'investissement du Canada parle aussi du fait que les fonds mutuels pouvaient être visés également, de même que les fonds de pension. Cela démontre, à mon avis, à quel point ce projet de loi ratisse large.

La constitutionnalité est défendue de plusieurs façons. Premièrement, on peut dire que le projet de loi est ultra vires et que les relations de travail relèvent principalement des provinces. Je ne suis pas ici pour formuler une opinion juridique à ce sujet. Je ne me spécialise pas dans les relations de travail. Je suis criminaliste, mais je m'en remettrai aux autres arguments déjà formulés. Pour être honnête, je pense que cette question ne s'inscrit pas dans mon mandat comme syndicat fédéral. Je ne peux donc pas vraiment laisser entendre à votre groupe qu'il s'agit d'un argument solide que je formule pour les miens, mais il s'agit selon moi d'un argument valable — si on écoute ce que disent les autres — voulant que plus de 90 p. 100 des conséquences de ce projet de loi seront ressenties par les syndicats provinciaux.

J'ajouterais également qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi portant sur l'impôt sur le revenu, en dépit du fait qu'il modifie la Loi de l'impôt sur le revenu.

Je ne m'attarderai pas à tous les détails obscurs de l'argument de fond, mais celui-ci a été formulé. Selon moi, la question ici, c'est clairement les relations de travail, et non pas les impôts.

Le président : Je crains que vous ne puissiez vous attarder à tous ces détails. Je vous demanderais de conclure.

M. MacKay : D'accord.

Je tiens à souligner que le point principal, du point de vue du syndicat, est l'incidence sur les droits constitutionnels prévus aux alinéas 2b) et 2d) de la Charte, la liberté d'expression et la liberté d'association. On peut facilement constater que les dispositions du projet de loi auraient des répercussions considérables sur l'administration interne et les activités des syndicats et que cela pourrait même donner lieu à une violation de la liberté d'association de leurs membres. Comme mes collègues de l'ABC l'ont indiqué, le projet de loi ne précise pas ce qui pourrait justifier une telle violation. Les décisions récentes de la Cour suprême du Canada indiquent clairement qu'il s'agit d'une liberté fondamentale.

Le président : C'est malheureusement tout le temps que nous avons. Passons à M. Roumy.

Marc Roumy, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Comme je l'ai dit devant le Comité sénatorial des banques, je vous incite à adopter ce projet de loi fort nécessaire.

Je suis agent de bord pour Air Canada et membre du SCFP depuis plus de 17 ans. Je participe régulièrement aux réunions syndicales de ma section locale et j'ai assisté à des congrès nationaux du SCFP. J'ai été secrétaire-trésorier. À l'heure actuelle, j'en suis à mon quatrième mandat à titre de fiduciaire du SCFP.

L'une de mes premières lettres à un journal national a été lue à la Chambre des communes la veille du renvoi du projet de loi au Sénat. La lettre s'intitulait « Union Secrecy Firsthand ».

À l'heure actuelle, les exigences législatives portant sur la divulgation des renseignements financiers des syndicats sont insuffisantes. C'est donc aux dirigeants syndicaux que revient la tâche d'interpréter ce qui est suffisant. Le projet de loi C-377 règle ce grave problème.

À titre de membre syndical actif, je répondrai à certaines des préoccupations formulées par les opposants au projet de loi C-377, préoccupations qui sont, selon moi, injustifiées, voire malavisées.

Certains affirment que les employeurs sauront le montant dont les syndicats disposent dans leur fonds de grève. Mon syndicat divulgue le contenu de son fonds de grève national sur son site web, qui est déjà accessible au public. Je l'ai indiqué à un sénateur en 2013, après qu'un dirigeant syndical bien connu ait affirmé que cela pourrait causer du tort aux syndicats si les employeurs étaient au courant de ce montant.

En 2013, le ministre du Travail néo-démocrate de la Nouvelle-Écosse a dû répondre à la question de savoir si son parti recevait des dons des syndicats. Il a affirmé que non, que la loi ne le permet pas. C'est exact. Toutefois, mon syndicat a apporté une aide financière en se portant garant d'un prêt consenti par une institution financière au NPD de la Nouvelle-Écosse en vue des élections provinciales de 2013.

Voilà seulement un exemple des nombreuses explications fallacieuses formulées par les dirigeants syndicaux pour maintenir leur statu quo. Les dirigeants syndicaux pourraient s'inquiéter si leurs membres et la population générale savaient tout ce qui est dépensé pour des questions qui n'ont rien à voir avec les négociations collectives et les griefs.

Comme j'ai pu me rapprocher du vif du sujet, j'en ai beaucoup appris. Par exemple, en 2012, le SCFP a financé le Festival folk d'Ottawa à hauteur de plus de 40 000 $. Il a financé des campagnes contre l'eau embouteillée et de nombreuses autres causes qui n'ont pas d'avantages directs pour les membres du syndicat.

Aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada, les cotisations syndicales déductibles d'impôt doivent servir à payer les « frais ordinaires de fonctionnement ». Les Canadiens doivent savoir que les cotisations syndicales déductibles d'impôt sont utilisées pour mener des campagnes qui n'ont rien à voir avec les frais ordinaires de fonctionnement des syndicats afin que la loi actuelle puisse être appliquée de façon concrète. Les dirigeants syndicaux craignent que leurs membres et la population soient mieux informés. Cela créerait de nouveaux problèmes pour eux et leur capacité de dépenser presque illimitée.

Les opposants au projet de loi ont mentionné la liberté d'association à de nombreuses reprises. Ils affirment que le projet de loi C-377 nuira à leur liberté d'association en vertu de la Charte. Je me demande à qui sert cette liberté d'association. Les grands dirigeants syndicaux et le NPD, ou encore le travailleur? Et qu'en est-il de ma liberté de ne pas m'associer à un parti politique?

En conclusion, les opposants au projet de loi ont dit à de nombreuses reprises que le C-377 est une solution en quête d'un problème. Le vrai problème, c'est le soutien financier offert par le SCFP à un parti politique ainsi que toutes les organisations et activités qui reçoivent l'argent tiré des cotisations syndicales, ce qui contrevient à la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada actuelle, et on ne fait rien contre cela.

Ce ne sont pas des cotisations déductibles, et grâce à la pression du public et, au bout du compte, une application réelle de la loi, le SCFP aurait beaucoup de mal à continuer de dépenser de l'argent pour mener ses campagnes idéologiques plutôt que pour m'aider, moi, de même que mes collègues et mon environnement de travail. Pourquoi? Parce qu'il devrait me convaincre de payer des cotisations qui ne sont pas déductibles. À titre de travailleur, mais également de contribuable, je m'attends à ce que toutes les cotisations obligatoires ne soient dépensées que pour l'application de la loi et l'amélioration des conventions collectives et des milieux de travail syndiqués.

Je vous incite tous, honorables sénateurs, à adopter le projet de loi C-377. Contrairement à ce que d'autres dirigeants syndicaux ont dit, la transparence mène à la reddition de comptes, et la reddition de comptes favorise la confiance.

Merci. Je suis impatient de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci.

Monsieur Pereira.

Ken Pereira, à titre personnel : Merci, monsieur le président.

Je suis un travailleur syndiqué et un chef syndical. J'ai dirigé la section locale 1981 des mécaniciens industriels de la FTQ Construction. J'ai vu des choses qui m'ont choqué. Je pensais pouvoir les changer de l'intérieur, et j'avais tort.

Aujourd'hui, on dit que je suis un dénonciateur. J'ai été un soi-disant « témoin vedette » au sujet de la corruption syndicale à la commission Charbonneau, au Québec. Je ne travaille plus au Québec, ma province natale que j'adore. Je vis là avec ma conjointe et nos deux enfants, qui sont maintenant de jeunes adultes, mais je dois travailler ailleurs.

Ma vie a été menacée. Personne ne devrait avoir à faire ce que j'ai fait pour veiller à ce que les activités financières soient légales. Je crois fermement aux syndicats, mais certaines choses doivent changer dans notre pays. Ce projet de loi nécessaire sur la divulgation est un point de départ.

Tous les Canadiens, pas seulement les syndiqués, doivent avoir accès en ligne aux renseignements financiers de toutes les organisations syndicales exonérées d'impôt afin de mettre un terme à l'utilisation abusive des cotisations syndicales déductibles d'impôt.

Je vais vous dire ce que j'ai découvert au-delà des apparences. Je résumerai les événements d'une période de ma vie très longue et pénible.

Je suis devenu chef au sein de la FTQ-Construction, le plus grand syndicat du Québec. J'ai exposé le directeur de la FTQ, Jocelyn Dupuis, déclaré coupable de fraude et condamné à un an de prison pour avoir falsifié des documents financiers.

En n'examinant que 6 mois de ses 11 ans de mandat, j'ai trouvé l'équivalent de plus de 125 000 $ en fausses déclarations : des voyages en Californie et à Las Vegas, des demandes de remboursement pour le kilométrage quotidien parcouru en Californie, même s'il utilisait une voiture de location, des factures de restaurant s'élevant à 3 000 $ par repas, des demandes de remboursement mensuelles de plus de 20 000 $ rien que pour un seul restaurant, ainsi que de nombreuses activités non liées aux relations de travail — le tout, sous le « regard attentif » du conseil exécutif. À ce jour, le conseil n'a toujours pas réclamé le remboursement de cet argent au nom des membres du syndicat ou des contribuables du Canada. Les hauts placés du syndicat se sont présentés devant les tribunaux au nom de Jocelyn Dupuis et ont dit au juge que cet argent a été utilisé à différentes fins, donnant des excuses minables, comme l'achat de bois pour des grèves.

Aujourd'hui, chaque directeur ayant approuvé ces dépenses occupe un poste de direction au sein du conseil de la FTQ-Construction.

L'opération Diligence, menée par une unité conjointe de la GRC et de la SQ, a permis de découvrir beaucoup de choses; par exemple, Jocelyn Dupuis a donné plus de 70 000 $ à la section locale 791 pour aider à faire réélire Eric Boisjoli, un de ses protégés. Aujourd'hui, Eric Boisjoli est directeur adjoint à la FTQ-Construction — et c'est cette personne qui a organisé une rencontre entre moi et un gangster notoire lié à la mafia.

Lors d'une conversation enregistrée, Yves Mercure et Yves Ouellette m'ont révélé la perte de 70 000 $ dans une arnaque liée à un gala de boxe; 140 000 $ ont été utilisés pour acheter des billets pour un événement de boxe commandité par la FTQ.

Aujourd'hui, Yves Ouellette est directeur général de la FTQ-Construction. Yves Ouellette a aussi approuvé les demandes de remboursement de Jocelyn Dupuis pendant deux ans alors qu'il était trésorier. L'équivalent de 10 ans et demi de documents liés aux dépenses de Jocelyn Dupuis a disparu des archives de la FTQ-Construction. Le même genre de situation se produira dans de nombreux syndicats partout au Canada.

Des chefs syndicaux supérieurs à mon rang m'ont menti pour protéger leurs intérêts. Tout comme l'ont fait d'autres chefs connus, comme l'ancien président du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile, Ken Lewenza, et l'ancien président du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, Dave Coles. Dans une publication nationale, ils déclaraient conjointement :

La plupart des provinces et des territoires exigent que les syndicats déposent leurs états financiers annuels afin d'en permettre l'examen public.

C'est faux. Aucune commission des relations de travail, aucun organisme gouvernemental au Canada ne conservent de tels états financiers afin de permettre au public de les consulter.

Certains dirigeants syndicaux sont prêts à dire n'importe quoi pour cacher cette réalité aux Canadiens, y compris aux Canadiens syndiqués. Ceux qui critiquent le projet de loi, et qui voudraient même en empêcher l'adoption, permettraient à cette horrible réalité de se perpétuer. Je vous mets au défi de me regarder dans les yeux et de m'expliquer pourquoi quiconque devrait se retrouver dans une situation semblable à la mienne. Seule la divulgation publique complète permettra d'augmenter la pression sur le mouvement syndical.

La Loi de l'impôt sur le revenu permet la déduction des cotisations syndicales; les revenus des syndicats sont ainsi exempts d'impôt, faisant en sorte qu'il n'existe aucune vraie divulgation et aucun réel examen des livres des syndicats nationaux. J'ai ouvert une boîte de Pandore. C'est à vous de la refermer pour le bien des syndicats et de la classe ouvrière. Merci.

Le président : Merci.

Nous allons commencer notre tour de table par le sénateur Baker, vice-président de notre comité.

Le sénateur Baker : Merci aux trois témoins d'être présents aujourd'hui. Vos exposés étaient tout à fait intéressants et très instructifs, et nous pouvons confirmer à M. MacKay que nous avons reçu son mémoire écrit et que tous ses documents seront étudiés par le comité.

Monsieur Mackay, j'aimerais vous poser une question à propos du droit à la vie privée dans le contexte du projet de loi, sachant que ce droit est protégé par notre Constitution. Vous avez parlé de la portée trop large et de la formulation floue du projet de loi. Toute personne exerçant des fonctions de gestion au sein d'un syndicat public ou privé, n'importe où au pays, peu en importe la taille, devra pour la première fois produire une déclaration annuelle au sujet de ses activités non liées aux relations de travail et de ses activités politiques. Puisque la notion d'« activités non liées aux relations de travail » n'est pas définie, selon vous, quelles activités cette expression devrait-elle inclure? Par exemple, la notion englobe-t-elle toutes les activités non liées aux relations de travail? Les activités liées aux relations de travail sont définies, mais pas l'inverse, ni les activités politiques. Ces deux expressions feront en sorte que, pour la première fois en Amérique du Nord, toutes les personnes associées aux syndicats, même les petits syndicats, devront produire cette déclaration, et ce, même dans les plus petites localités au pays. Aux États-Unis, une telle mesure s'applique aux syndicats dont les revenus sont supérieurs à 250 000 $ par année — un contexte complètement différent — et ne vise que le secteur privé. Pourriez-vous commenter la définition d'« activités non liées aux relations de travail »?

M. Mackay : Je peux en parler rapidement en faisant le lien avec mon mandat en matière de relations de travail, qui, selon moi, comporte deux volets : la négociation et les services de représentation. Voilà les deux grands mandats de notre syndicat. Les activités à l'extérieur de ces deux volets seraient donc des activités non liées aux relations de travail. À cette fin, il me serait difficile de vous fournir des exemples, à part celui de la personne qui enlève la neige dans notre stationnement, de la personne qui fait notre tenue de livres ou de celle qui fait le ménage dans notre bureau — enfin, la liste serait très longue.

Je place le montant de 5 000 $ au centre de mon argument parce qu'il s'agit d'un seuil peu élevé pour exiger la divulgation d'information, ce qui touchera la vie privée de millions de Canadiens qui devront divulguer toute activité et tout service qu'ils offrent à un syndicat.

Si on souhaite vraiment s'attaquer aux activités politiques, ce qui semble être particulièrement le cas, j'aimerais souligner une chose par rapport à mon syndicat. Nous avons recours à un système démocratique et nous sommes contrôlés par nos membres. À l'Association des juristes de justice, nous avons instauré des règlements et des politiques qui nous interdisent de mener toute activité politique. Il s'agit d'une mesure clairement indiquée dans nos règlements et politiques, créés au moyen d'un processus démocratique au sein de notre syndicat. Les choses devraient demeurer ainsi, c'est-à-dire qu'il faudrait laisser les syndicats prendre les décisions grâce à un processus démocratique.

Le sénateur Baker : Donc, le projet de loi exigera de vous une chose qui ne vous est pas permise de toute façon, mais vous devrez aussi fournir une liste annuelle de vos activités non liées aux relations de travail, une liste de toutes les personnes au sein d'un syndicat, qu'il soit petit ou grand, dès qu'un contrat de 5 000 $ les lie au syndicat, parce que les personnes exerçant des fonctions de gestion devront produire ces listes. Selon vous, cette définition est-elle trop large ou trop vague?

M. Mackay : Oui, tout à fait. La question de la vie privée pose parfois des difficultés. On se préoccupe moins des gros montants et davantage des petits services rendus et de la manière dont la portée du projet de loi aura une incidence sur des millions de Canadiens.

Ironie du sort, un projet de loi présenté récemment prévoyait la divulgation obligatoire des fonctionnaires fédéraux et des employés de sociétés d'État gagnant un salaire supérieur à 188 000 $. Ce seuil a été porté à 444 000 $ au moyen d'un amendement. Pour le public, ce chiffre peut sembler étrange, mais il correspond aux salaires des sous-ministres. Le projet de loi a été rejeté parce que celui ayant proposé l'amendement a laissé entendre que la divulgation de ces montants entraînerait de nombreuses complications bureaucratiques. Au final, ce sont ces gens qui doivent rendre des comptes aux contribuables, car ce sont eux qui paient leurs salaires. L'autre projet de loi n'est pas allé plus loin. Il est ironique que nous discutions maintenant de la divulgation de petits montants touchant uniquement les syndicats.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois témoins. Ma question s'adresse à M. Pereira.

Premièrement, permettez-moi, à titre d'ancien chef syndical, de saluer votre courage. J'ai suivi de très près tout ce qui s'est passé, en particulier à la FTQ-Construction. Sachant comment cela se passe à l'interne, au sein des syndicats, je peux vous dire qu'il a fallu beaucoup de courage pour faire ce que vous avez fait. Je vous en félicite.

Cela dit, selon vous, la mafia est bien présente dans l'environnement de certains syndicats, je crois qu'on l'a constaté lors de la commission Charbonneau. Est-ce que ce sont les leaders syndicaux qui se collent à la mafia ou est-ce plutôt la mafia qui veut s'immiscer dans les affaires syndicales?

M. Pereira : D'un côté, il peut s'agir de la mafia qui veut avoir quelque chose de plus et qui se colle aux chefs syndicaux, et de l'autre côté, les leaders syndicaux veulent parfois avoir le prestige de graviter autour de ces personnes.

J'aimerais ajouter des commentaires au sujet d'une chose que j'ai entendue aujourd'hui. On parle de 5 000 $ et moins. Souvent, on semble dire que ce n'est pas important ou que c'est ambigu. Selon mon expérience dans l'industrie de la construction au Québec, le déneigement, la machine à copier ou l'entretien ménager, savez-vous qui s'en occupait? Souvent c'était la femme, le cousin, la sœur, le frère du gestionnaire des affaires, mais les travailleurs ne le savaient pas. Ce projet de loi n'a pas été élaboré pour le Sénat, ni pour le gouvernement, mais bien pour les travailleurs.

Le sénateur Dagenais : Pouvez-vous nous dire comment les cadres supérieurs syndicaux peuvent utiliser l'argent des membres pour faire de la politique, et s'ils le font, dans quelle colonne de chiffres ces dépenses apparaissent-elles?

M. Pereira : J'ai fait partie des deux syndicats les plus importants au Québec : le CPQMCI, c'était l'International Brotherhood, et la FTQ-Construction, c'était le plus gros. On mettait cela sous la colonne « divers ». Sans lancer de gros débats à ce sujet, les Italiens et les Portugais, au Québec, sont beaucoup plus favorables aux libéraux, personne ne votait vraiment pour le Parti conservateur. Dans les syndicats, on poussait vers le PQ, mais on n'écoutait pas ce que le travailleur voulait. On tenait compte du point de vue du directeur général, qui prenait l'argent des cotisations syndicales sans aucun prétexte. Celui-ci décidait de donner soit 2 000 $, 3 000 $ ou parfois même jusqu'à prêter des gens pour aider à gagner une élection favorable dans sa région, comme on a fait avec le NPD ou avec le PQ.

Cela n'a aucune importance pour moi. On peut voter pour qui on veut, c'est tout à fait normal, mais on n'a pas le droit de transmettre l'argent des membres à un certain parti.

Le sénateur Dagenais : Le sénateur Baker me corrigera si je me trompe, mais je pense qu'il a demandé à M. MacKay s'il existait une définition de « fiducie de syndicat » dans le projet de loi. Effectivement, je vous invite à regarder la première page, au troisième paragraphe, à l'article 149.01. On y retrouve la définition. C'était simplement à titre d'information. Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je serai bref. Monsieur Pereira, j'aimerais simplement faire écho à ce que le sénateur Dagenais vient de dire et je veux vous remercier du travail que vous faites à ce chapitre. Hier, j'ai regardé pour la première fois la vidéo de l'entrevue que vous avez donnée à la CBC, je crois, et j'ai été estomaqué par les pressions que vous avez subies et tout ce que vous avez fait; alors, je tiens à vous en remercier particulièrement.

Ma question pour vous est la suivante : vous dites que vous devez maintenant travailler à Cold Lake, en Alberta, et que votre famille se trouve au Québec. Vous sentez-vous toujours en danger dans votre province d'origine, même si vous travaillez en Alberta? Qu'en est-il de votre famille? Êtes-vous préoccupé par sa sécurité à la suite de ce que vous avez fait?

M. Pereira : À l'heure actuelle, je ne me sens pas en danger, mais l'une des raisons pour lesquelles je me sens relativement en sécurité, c'est qu'il y a eu divulgation. Il y a eu divulgation dans les médias, ce qui cadre bien avec le projet de loi. Il faut qu'il y ait divulgation pour éliminer cette pression dont sont victimes les travailleurs ordinaires, ceux qui prennent leur courage à deux mains pour aller au micro et dire aux dirigeants, par exemple : « Écoutez, je tiens à savoir combien vous avez dépensé dans les restaurants. »

À l'heure actuelle, au Québec, donc, c'est ce qu'il faut aussi comprendre; selon le registre des entreprises du Québec, il y a plus d'argent dans les associations sportives qui sont affiliées à la section locale que dans le fonds de grève. Tout est dit.

Le sénateur Plett : Merci.

Monsieur Roumy, avez-vous l'impression que votre section locale vous met de la pression, de quelque façon que ce soit, pour vous dissuader d'agir ou pour vous inciter à faire ce que vous faites?

M. Roumy : Ce n'est pas de la pression que je ressens, mais plutôt, je pense, une certaine irritation. Il y a davantage de résistance lorsque je pose des questions. Je participe à des réunions de section locale depuis plus de 10 ans, et parfois, lorsque les dirigeants syndicaux sont différents, les présidents nous permettent de sortir de la réunion avec des états financiers. D'autres fois, ils font preuve de réticence à nous laisser partir avec les états financiers.

Je n'ai pas fait l'objet de pressions importantes, mais je me suis heurté à une certaine résistance pour ce qui est de la divulgation du salaire de mon président national ou des états financiers, mais rien de comparable à ce que M. Pereira a vécu.

Le sénateur Plett : Merci.

J'ai une brève question pour M. Mackay. Monsieur MacKay, dans votre exposé, vous avez dressé une liste comprenant un certain nombre d'organisations, y compris des organismes de bienfaisance enregistrés, des organisations sans but lucratif, des contributions politiques, et vous établissez une corrélation. Que pensez-vous des organismes de bienfaisance enregistrés? Devraient-ils être soumis à des exigences de divulgation intégrale?

M. MacKay : Différents facteurs entrent en jeu là-dedans. Il y a, d'une part, la reddition de comptes aux contribuables et, d'autre part, la reddition de comptes aux membres du syndicat. Je pense que l'argument principal que j'avance aujourd'hui, c'est que nous parlons là de questions de relations de travail. Je ne veux pas examiner dans le menu détail la question de savoir qui devrait divulguer quoi aux contribuables ou qui ne le devrait pas. Je tiens à vous faire comprendre que les membres d'un syndicat ont droit à une divulgation intégrale des affaires du syndicat, et que cela n'est pas le cas des contribuables, du simple fait que les cotisations syndicales sont déductibles d'impôt.

Le sénateur Plett : Même s'il s'agit de leur argent?

Le président : Il faut passer à quelqu'un d'autre.

Sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Merci, monsieur le président.

[Français]

Le sénateur Joyal : Monsieur Pereira, selon votre expérience de la vie syndicale au Québec, croyez-vous que les lois qui gouvernent les syndicats sont insuffisantes pour prévenir les exactions que vous avez décrites dans votre présentation?

M. Pereira : J'ai gagné en vertu de la première loi 135, qui porte sur la discrimination et l'intimidation sur les chantiers de construction. L'entrepreneur a eu une amende minime de 5 000 $. Les lois existent, et il faut les appliquer. C'est ce que je crois. Le Québec est peut-être une entité un peu à part des autres, mais il a besoin d'un ombudsman.

Les syndicats doivent avoir l'occasion de venir démontrer qu'ils sont blancs. Nous faisons la morale syndicale à tout le monde, mais de notre côté, nous nous contrôlons nous-mêmes, nous nous autogérons, et nous ne voulons pas que personne ne vienne toucher à nos livres. Selon moi, c'est complètement absurde.

Le sénateur Joyal : Quand vous dites qu'il y aurait lieu d'avoir un ombudsman, pouvez-vous préciser davantage ce que vous avez à l'esprit?

M. Pereira : J'étais directeur général. Cependant, dans le cas d'un simple travailleur qui a besoin de consulter les livres pour faire son travail en matière fiscale, s'il ne fait pas partie de l'exécutif, on doit lui donner une voix. Or, il n'a pas de voix. Nous avons un exécutif, mais l'exécutif, en général, est composé des huit hommes et des huit femmes les mieux payés de l'exécutif du local. Ce sont les plus proches.

Dans l'industrie de la construction, si tu te retrouves dans la chaise confortable sur laquelle les leaders syndicaux sont assis, à un moment donné, après y avoir été assis pendant un certain temps, c'est le travailleur qui devient ton ennemi, et non le reste. On finit par dire : « Pourquoi tu me poses tellement de questions? Pourquoi tu me demandes ça? Pourquoi tu veux ça? » Alors qu'il est tout à fait normal de demander où est dépensé l'argent du local.

L'argent appartient aux travailleurs et à personne d'autre. Nous sommes les porte-paroles des travailleurs, nous devons les défendre le mieux possible, où que nous soyons. Je suis le seul directeur à ne pas être secrétaire financier en vertu de mes statuts et règlements. Au Québec, cela ne se fait pas. Tous les directeurs généraux sont secrétaires financiers, c'est-à-dire qu'ils occupent deux postes : un poste à l'exécutif et un poste comme directeur général. Quant aux placements, ils décident si, aujourd'hui, ils vont faire 50 000 $ ou 20 000 $ en disant : « Posez la bonne question, s'il vous plaît. »

Le sénateur Joyal : Comme vous l'avez mentionné, votre expérience est principalement dans le secteur de la construction qui, si je ne m'abuse, a une histoire très tumultueuse qui remonte aux frères Dubois, à l'époque d'une autre génération. Est-ce que votre connaissance des autres milieux syndicaux est semblable à celle que vous avez de l'industrie de la construction? Diriez-vous que tous les syndicats au Québec font face à la même histoire et problématique que celle de l'industrie de la construction?

M. Pereira : Je vais vous donner un exemple. J'ai fait une photocopie et un CD de tous les reçus liés aux 125 000 $ et je les ai donnés au président de la FTQ, mon directeur, pour obtenir un appui. Ensuite, j'en ai fait des photocopies que j'ai distribuées à tous les locaux affiliés à la FTQ, la branche des 20. Je n'ai jamais reçu d'appel de personne. Quand on touche aux finances, on touche le cœur du syndicat. On a le droit de gaspiller comme on veut, mais on n'a pas le droit de le divulguer. Il est d'une importance capitale de le comprendre.

Parmi tous les locaux, pas un ne m'a téléphoné pour me dire : « Écoute, Ken, ce que tu as dénoncé, c'est bon, ou ce n'est pas bon. » Personne. C'était l'omerta totale. De plus, c'était au-dessous de la branche de la FTQ. L'International Brotherhood m'a ostracisé. La CSD, la CSN, personne ne m'a appuyé. On parle de 500 000 travailleurs de la FTQ et de plus d'un million de syndiqués.

Mon point de vue est simple. Lorsqu'on n'a rien à cacher — et je comprends le concept du « big brother » et le point de vue selon lequel on ne veut pas toucher le côté personnel de chacun —, un syndicat a le droit, de par la taxe fédérale, d'avoir certaines dépenses qui ne sont pas déductibles d'impôt. Or, je pense que, lorsque c'est le cas, il faut être plus transparent, puis la transparence fera en sorte que les syndicats seront beaucoup plus près de leurs membres.

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous diriez également que le fonds de développement géré par la FTQ opère dans les mêmes conditions d'opacité et d'incapacité d'avoir accès à l'évolution des opérations et des décisions?

M. Pereira : Vous parlez du Fonds de solidarité?

Le sénateur Joyal : Oui.

M. Pereira : Il est très délicat, pour moi, de vous donner des renseignements au sujet du Fonds de solidarité. Je ne suis pas expert en la matière. Les administrateurs du fonds ont toujours dit qu'ils n'avaient rien à cacher, mais après la commission Charbonneau, ils ont changé leurs règles. Je pense qu'on l'a beaucoup amélioré.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Pereira, je comprends que vous êtes un ex-syndicaliste et un ex-directeur de l'association nationale des mécaniciens affiliée à la FTQ-Construction. On dit de vous que vous n'avez peur de rien. D'ailleurs, vous l'avez démontré en témoignant courageusement au cours des dernières années devant la commission Charbonneau, une commission qui avait pour but de faire enquête, de faire toute la lumière sur l'industrie de la construction au Québec.

De plus, j'ajouterais que, si la commission en a tant appris sur l'industrie de la construction et certaines pratiques antisyndicales, elle le doit en bonne partie à votre témoignage et à l'écoute électronique. Je parle en connaissance de cause, parce que j'ai suivi religieusement les délibérations de la commission à la télévision.

Cela dit, le projet de loi C-377 propose une divulgation publique des états financiers des organisations ouvrières dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu. Sans aucun doute, le régime fiscal fédéral offre des avantages aux syndicats. Je comprends que, selon vous, il est juste que le public sache comment les syndicats dépensent ces fonds publics. Les membres des syndicats ouvriers font également partie du public; est-ce qu'ils partagent votre opinion?

M. Pereira : Je suis venu ici au nom du syndicat. Je veux défendre le mouvement syndical, et en le défendant, parfois, on ouvre la boîte de Pandore.

Le sénateur McIntyre : En général, ils vous appuient?

M. Pereira : Oui.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur.

[Traduction]

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup de votre présence. Mes questions s'adressent principalement à M. Pereira. Je vous félicite, moi aussi, et je vous remercie de votre courage.

M. Pereira : Merci.

La sénatrice Fraser : Je suis, moi aussi, québécoise, et ces questions ne sont pas sans importance.

Je tente, dans ma tête, de résoudre la quadrature du cercle concernant ce projet de loi précis. Pour commencer, il me semble que les syndicats de la construction sont, en substance, bien différents de la plupart des autres syndicats, dans le sens où ce travail, de par sa nature, est temporaire. Tout projet de construction a une fin, et chaque ouvrier doit trouver davantage de travail. Le syndicat joue un rôle important, ce qui crée un déséquilibre des pouvoirs internes que l'on n'observe pas forcément dans d'autres syndicats où les employés jouissent de la sécurité d'emploi une fois qu'ils sont syndiqués. Je me demande si vous pensez que cela a une influence sur les problèmes que vous discernez.

Dans ce contexte, mais aussi de façon plus générale, vous avez parlé dans votre exposé — et bien sûr, ailleurs — des fausses demandes de remboursement et de la fraude. Les gens qui sont prêts à présenter de fausses demandes et à commettre de la fraude, en général, ne tomberont pas vraiment sous le coup du projet de loi, parce qu'ils sont prêts à mentir et à voler. Étant donné que nous avons déjà des lois contre ces agissements, je ne suis pas certaine de la façon dont le projet de loi permettrait de résoudre ce problème, mais de toute évidence, vous pensez que cela serait le cas. Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet?

M. Pereira : Je vais essayer. Écoutez, lorsque je me suis aperçu de la période de six mois, je ne suis pas allé voir la police ni les médias. La première personne à qui je me suis adressé, c'était le président de la section syndicale de la FTQ, Michel Arsenault, un homme qui n'avait rien à voir avec la construction; c'était un syndicaliste, mais il n'a jamais fait partie des métallos. Donc, il ne connaissait rien des spécificités syndicales propres au milieu de la construction, mais il comprenait bien la question de la fraude.

À ma surprise, il n'a rien volé, mais il a étouffé l'affaire, car cela aurait nui à l'image de la FTQ-Construction. Cela aurait nui au Fonds des travailleurs du Québec.

Pour égaliser les choses, à mes yeux, le projet de loi élimine le facteur humain. Il met directement en perspective les dépenses, les actifs, le bilan. Il ne permet pas des excuses comme : « Eh bien, si c'est de nature politique, nous ne devrions pas le faire », ou « Nous avons donné 20 000 $ à ce parti, mais voyez-vous, cette personne nous a aidés dans ce dossier, alors c'est justifiable », ou encore « Nous avons financé cette grève, et personne n'était censé le savoir. »

C'est ce que j'ai vu et je comprends bien cela, mais le projet de loi va nous obliger à désigner quelqu'un. Et c'est la raison pour laquelle je penche toujours du côté des membres. Les membres doivent savoir à quelles fins les fonds sont utilisés. Il y a trop de gens qui font ce qu'ils veulent avec l'argent des membres. Certaines sections locales disposent de 30 millions de dollars.

Au cours de la commission Charbonneau, on s'est aperçu que cette personne avait obtenu 13 p. 100. Jean Lavallée, de la FIPOE, était tout content. Il a déclaré : « J'ai obtenu 13 p. 100 parce que j'ai prêté des fonds. » Le fait de prêter des fonds n'est pas la question. Le fait de réaliser 13 p. 100 n'est pas non plus la question. L'important, c'est que vous, avec votre conseil d'administration, vos huit administrateurs, avez décidé de prêter 500 000 $ ou 1 million de dollars à quelqu'un. Avec cet argent, on a acheté une pourvoirie à Joncas. C'est donc cet aspect qui doit être éclairci pour les membres, et c'est la raison pour laquelle je suis pour le projet de loi.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, monsieur Pereira. Ma question s'adresse à vous aussi. Merci beaucoup pour votre déclaration préliminaire fascinante; je pense que vous nous avez vraiment bien expliqué pourquoi ce projet de loi est nécessaire. Ces deux derniers jours, nous avons entendu beaucoup d'arguments juridiques ésotériques portant sur l'essence de la mesure législative et d'autres questions constitutionnelles. Vous nous avez fourni des raisons tout à fait réalistes qui justifient pourquoi nous avons besoin de ce projet de loi. Je souhaitais vous accorder un peu plus de temps pour que vous puissiez expliquer davantage pourquoi, compte tenu de vos expériences personnelles, le projet de loi C- 377 permettra d'améliorer la vie des travailleurs syndiqués au Canada.

M. Pereira : Merci beaucoup. C'est certain que je ne suis pas un avocat constitutionnel.

La sénatrice Batters : Ça va; nous en avons beaucoup.

M. Pereira : Je pense simplement que le projet de loi doit être adopté en raison de la situation dans les syndicats depuis trop d'années déjà — je les représente, je suis un syndicaliste et j'y crois réellement, car sans eux, je crois que notre classe moyenne n'existerait pas.

Mais quand il y a des gens qui ont tous ces pouvoirs et qui ne sont pas tenus de rendre des comptes, je persiste à croire qu'ils ont besoin de « surveillance », besoin de quelqu'un qui garde un œil sur eux. Voilà en quoi consiste le projet de loi. Il permet de dévoiler les livres comptables directement aux membres, aux médias et à tous qui souhaitent les voir; ils peuvent les ouvrir, visiter le site Internet et apprendre que le syndicat a consacré, par exemple, 20 000 $ à telle ou telle activité. C'est de la transparence. Je crois que cette exigence devrait s'appliquer ailleurs aussi, mais c'est un début. Je ne suis là que pour mes propres syndicats, et voilà tout.

La sénatrice Batters : Merci. Nous sommes heureux que vous soyez dans l'Ouest canadien, même si j'espère que vous serez bientôt réuni avec votre famille.

M. Pereira : Merci.

Le sénateur McInnis : Merci à vous tous de votre présence.

Monsieur Mackay, vous avez parlé de votre syndicat et du fait qu'il est géré démocratiquement. Je n'en ai aucun doute. Il existe des syndicats au Canada qui, en réalité, fonctionnent de manière entièrement intègre, dans le respect de la loi et en toute transparence.

Cependant, ce que nous avons entendu ici aujourd'hui — nous en avons entendu parler par le passé, et j'ai lu à ce sujet —, c'est qu'en réalité, un certain nombre de cadres ont vraiment commis des malversations, même si ce n'est que des allégations dans certains cas.

Je suppose que ma question est la suivante : croyez-vous que c'est systématique? Est-ce répandu? Est-ce que cela se propage dans bon nombre de syndicats partout au pays? Est-ce vers cela que nous nous dirigeons?

M. MacKay : Pour ce que cela vaut, je ne crois pas que ce soit le cas, non. Je pense qu'il est dangereux de baser des lois comme celles-ci sur une situation qui est probablement assez peu répandue. L'industrie de la construction au Québec a donné lieu à toute une enquête, en fonction de ce scénario. Si nous voulons déposer des lois selon ce critère, je pense que c'est très dangereux.

D'après mon expérience, je n'ai rien vu de mal parmi les syndicats avec lesquels je travaille, mais là n'est pas la question. Il faut se pencher sur l'objectif de ce projet de loi et déterminer comment corriger la lacune qui s'y trouve. S'il existe une situation où la direction de M. Roumy et de M. Pereira n'est pas tenue de leur rendre des comptes, ce n'est pas la Loi de l'impôt sur le revenu qui peut tout arranger; ce sont plutôt les lois sur les relations de travail.

Je rends des comptes à mes membres en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Je suis tenu, aux termes de la loi constitutive de notre syndicat, de fournir des états financiers vérifiés à mes membres lors de notre assemblée annuelle et sur demande. La plupart des autres administrations font pareil. S'il existe une lacune dans ce régime, vous devrez modifier la loi pour y inclure l'obligation de rendre des comptes aux membres et encourager fortement les provinces à agir de la sorte dans leurs propres champs de compétence.

Le sénateur McInnis : Monsieur MacKay, sauf votre respect, le projet de loi n'est pas basé uniquement sur la FTQ- Construction ou la commission Charbonneau. Loin de là. Je pourrais vous mentionner plusieurs situations où il n'y aurait même pas eu d'activités de comptabilité; en fait, cela a été prouvé. Ne donnez pas l'impression aux téléspectateurs ou aux gens dans la salle que c'est le cas.

J'aimerais, si possible, que les deux autres témoins répondent à la question suivante : pensez-vous que c'est un problème systémique?

M. Pereira : Nous avons entendu un expert témoigner devant la commission Charbonneau au sujet de la pègre dans le secteur de la construction en Ontario, et il paraît que cela pourrait être encore pire qu'au Québec.

Je ne peux pas parler au nom de nos sections locales. À mon avis, il y a beaucoup de bonnes personnes, hommes et femmes, qui défendent les syndicats, mais nous devons adopter ce projet de loi, car le problème existe partout au pays.

M. Roumy : Si vous me le permettez, la majorité des syndiqués ont tous de bonnes intentions, mais je crois — et je sais — qu'il y a des cas extrêmes de fraude. Un projet de loi comme celui-ci, qui exige la divulgation, obligera les syndicats à revoir leurs règlements, leurs réunions de membres, et l'imputabilité de leurs dirigeants. Ils verront aussi à quel point il y a transparence lorsqu'on remettra les états financiers.

Si je peux préciser ce dont nous parlions, il ne s'agit pas seulement de la FTQ-Construction et de ce qui se passe au Québec. Hier, le comité a reçu le président du CTC. J'ai regardé une partie de son témoignage. Il a expliqué que le CTC a 3,3 millions de membres et que la direction du syndicat doit rendre des comptes aux membres.

Je suis un membre du SCFP, et le SCFP fait partie du CTC. Je n'ai jamais reçu les états financiers du CTC. Il n'y a pas longtemps, j'ai appelé le conseil du congrès pour demander si je pouvais voir les états financiers du CTC, qui ne sont pas disponibles en ligne — il n'y a pas de renseignements financiers sur son site web — et on m'a dit que le SCFP est un membre du CTC, mais qu'un simple travailleur comme moi ne l'était pas. Donc, je n'ai pas accès aux états financiers. Je crois que j'ai compris les états financiers; le SCFP cotise des millions de dollars au CTC en tant que membre. Alors, si une partie de mes cotisations va au CTC, et que le SCFP en est un membre, j'aimerais savoir comment le CTC dépense mon argent et celui de mes collègues.

J'aimerais simplement préciser que ce projet de loi est important parce qu'on parle du Québec, et avec le seul exemple du CTC, qui affirme donner accès au SCFP à ses états financiers, ce qui est peut-être vrai, mais moi, est-ce que j'y ai accès? Suis-je au courant de cette information? Non. Donc, j'espère que le projet de loi va corriger la situation.

Le sénateur White : Merci à vous tous d'être ici.

Monsieur MacKay, je veux m'assurer de bien comprendre. Vous craignez que si le projet de loi ressemble à une loi sur les relations de travail, il s'en retrouve diminué. Est-ce bien ce que vous dites? Ou est-ce que le projet de loi ressemble plutôt à une mesure fiscale?

M. MacKay : Je dis que cette question tourne entièrement autour des relations de travail, des syndicats et de leurs membres. À l'heure actuelle, la plupart des provinces et territoires ont des lois sur la responsabilité financière. Donc, s'il y a des lacunes dans la loi et dans le domaine des relations de travail, on peut modifier les lois existantes ou en créer de nouvelles.

Le sénateur White : Merci. Mais je veux m'assurer d'avoir bien compris. Si cette loi sur les relations de travail était une loi canadienne ou néo-écossaise, vous n'auriez pas les mêmes craintes. Est-ce exact?

M. MacKay : Eh bien, j'imagine que ce ne serait pas...

Le sénateur White : En vertu du Code canadien du travail.

M. MacKay : Oui. Alors j'imagine qu'on ne ferait pas de lien entre les subventions des contribuables et la divulgation à toute la population. Voilà ma préoccupation.

Je ne m'inquiète pas de la question de savoir où on classe le projet de loi; ce qui me préoccupe, c'est que ce devrait être un projet de loi en matière de relations de travail, c'est-à-dire une mesure législative qui se limite à la relation entre les syndiqués et l'employeur, de toute évidence, plutôt que d'en faire une situation qui concerne les contribuables et où ces renseignements peuvent être divulgués à la population.

Le sénateur White : Je comprends cela, mais vous avez dit plus tôt que les cotisations syndicales ne sont pas un impôt, mais elles le sont pour les syndiqués; ils sont obligés de les payer. Ils ont l'impression que c'est un impôt, même si cela ne correspond pas à la définition. Cela a un effet sur les contribuables canadiens, car il s'agit d'un revenu imposable qui n'est pas perçu puisqu'on peut le déduire. Alors, en réalité, l'argument selon lequel ce n'est pas un impôt direct est peut-être vrai. Mais il y a sans conteste un effet sur l'impôt sur le revenu au Canada. N'êtes-vous pas d'accord?

M. MacKay : Oui, je serais certainement d'accord. Les cotisations syndicales sont déductibles d'impôt et le revenu des syndicats est...

Le sénateur White : Alors, que vous soyez d'accord ou non par rapport au lien que l'on fait avec la Loi de l'impôt sur le revenu, on peut certainement en déduire qu'il y a un lien avec cette loi et, donc, avec les contribuables canadiens.

M. MacKay : Oh, il y a certainement un lien, mais je ne suis pas ici pour discuter de la validité, qui est une discussion sur le caractère essentiel. Un lien plus que ténu n'est probablement pas suffisant pour nous amener dans ce domaine.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous ai écouté attentivement, monsieur Pereira. À titre de renseignement, pendant 28 ans, j'ai œuvré pour le Syndicat des policiers de la Sûreté du Québec, où j'ai occupé tous les postes, de celui de délégué à celui de président. Je peux vous dire que le danger, au sein des syndicats — et je pense que vous l'avez clairement mentionné —, survient lorsque des gens atteignent des postes de cadres supérieurs, car des millions de dollars leur passent entre les mains et, souvent, ils en oublient la raison première pour laquelle ils ont été élus, et les intérêts de leurs membres.

Nous avons des devoirs envers nos clients et, souvent, nous les oublions, comme vous l'avez clairement mentionné. Peut-être que le projet de loi remettra les pendules à l'heure?

M. Pereira : Je pense que nous sommes sur la même longueur d'onde. Parfois, la chaise est très importante, mais elle fait en sorte qu'on oublie les membres. On est très confortable où se trouve et, parfois, des sommes d'un million de dollars, de 2 millions de dollars ou de 20 millions de dollars deviennent difficiles à gérer, et elles prennent trop d'importance, plus d'importance que la cause.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : En écoutant vos observations, monsieur Roumy et monsieur Pereira, j'ai l'impression que le problème que vous voulez résoudre pourrait être mieux corrigé par les relations de travail que par une loi sur l'impôt. C'est plus qu'une question d'impôt. Il s'agit de l'éthique des syndicats. Il s'agit de la capacité pour un membre d'obtenir des réponses de la part de ses représentants. C'est la façon dont le rapport est présenté à l'assemblée annuelle des membres. Il s'agit de la vie démocratique des syndicats.

Si ce problème doit être corrigé — et j'hésiterais à appliquer ce jugement à tous les syndicats au pays. J'ai une certaine réticence à ce sujet, monsieur Pereira, parce que je crois que c'est injuste. Nous n'avons pas la preuve que tous les syndicats posent autant problème que ceux de l'industrie de la construction au Québec depuis des générations, ou qu'ils le sont à cause de la nature de l'industrie. Je termine avec cette parenthèse. Nous n'avons pas cette preuve. Je ne peux pas dire que tous les syndicats au Canada ne font pas du bon travail pour leurs membres. Ce serait aller trop loin que d'en arriver à cette conclusion aujourd'hui, d'après moi. Je n'en suis pas encore là.

Je reviens à ce que je voulais dire. Le problème que vous avez décrit devrait être corrigé par la Loi sur les relations de travail et non pas celle de l'impôt au Canada. Il me semble que vous avez fait ressortir les observations qui ont été formulées hier, à savoir que nous sommes à l'extérieur du cadre de la loi de l'impôt et dans le domaine des relations de travail.

Ne serait-il pas mieux de s'attaquer à la nature même de ce problème plutôt que d'essayer de le faire par la porte arrière, d'une façon qui soulève des problèmes constitutionnels, que le projet de loi sera devant les tribunaux pendant des années à cause de contestations juridiques? Il y a des problèmes à régler, mais on n'utilise pas la bonne approche.

Le président : Cette question s'adresse à M. Roumy. L'avez-vous entendue, monsieur?

M. Roumy : C'est à moi que s'adressait la question?

Le président : Oui.

M. Roumy : Pardonnez-moi, je croyais que c'était à M. Pereira.

Les syndicats et les dirigeants syndicaux représentent leurs membres, lesquels s'attendent à ce que leurs cotisations servent à renforcer et à améliorer leurs conventions collectives. Je paie à la fois les cotisations syndicales obligatoires et, par mes impôts, je finance un parti politique que je n'appuie pas. Donc, si les syndicats disent me représenter, pourquoi financent-ils le Festival de musique folk d'Ottawa ou un parti politique, ou pourquoi envoient-ils des lettres aux présidents de la Colombie et de l'Équateur? Cela ne représente ni moi ni mes collègues. Cela n'améliore pas mes conditions de travail, ni ne m'aide dans mes négociations collectives ou mes griefs.

Ce projet de loi est nécessaire parce que mes cotisations sont déductibles d'impôt et les syndicats sont des organisations sans but lucratif. Les cotisations sont déductibles, elles ne devraient servir que pour les affaires syndicales, les griefs et les conventions collectives. Alors, pourquoi y a-t-il toutes ces autres choses? Excusez-moi, mais je ne peux pas vous entendre, car j'ai perdu la connexion audio.

Le sénateur Plett : Très rapidement, je tiens à apporter une précision aux fins du compte rendu. Le sénateur McInnis en a parlé, pour donner suite aux propos de M. MacKay sur l'attitude « réactionnaire » à l'égard d'un enjeu au Québec. Sachez que les travaux sur le projet de loi ont commencé il y a quatre ans, avant la commission Charbonneau, qui, elle, a débuté il y a deux ans.

Le président : Là-dessus, nous allons devoir lever la séance. Nous remercions les témoins d'avoir été des nôtres aujourd'hui. Nous continuerons de discuter du projet de loi la semaine prochaine.

(La séance est levée.)


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