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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 32 - Témoignages du 4 juin 2015


OTTAWA, le jeudi 4 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence, et le projet de loi C-12, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions, se réunit aujourd'hui, à 11 heures, pour étudier les deux projets de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, à nos invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Notre premier point à l'ordre du jour est la fin de notre examen du projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence.

Avant d'entamer l'étude article par article, j'aimerais informer les membres du comité que nous accueillons aujourd'hui des fonctionnaires de Justice Canada et de Sécurité publique Canada et qu'ils peuvent être invités à la table pour répondre aux questions techniques. Pensez-vous que vous aurez besoin de la présence des fonctionnaires à la table? Puisqu'il n'y a aucune indication en ce sens, je vais repousser les présentations jusqu'à ce qu'il soit nécessaire de les inviter à la table.

Nous passons maintenant à l'étude article par article. Est-il convenu que le comité procède à l'étude article par article du projet de loi C-26?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord. L'étude du titre est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord. L'étude de l'article 1, qui contient le titre abrégé, est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

Le président : Avant de passer au reste des articles, souhaitez-vous les regrouper en groupes de 10 ou les examiner un à un? Il y en a 34.

Le sénateur Baker : Il y a 34 articles. Étant donné que nous les avons examinés individuellement et que nous avons entendu des témoins à leur sujet, je crois que nous pouvons les regrouper.

Le président : Individuellement?

Le sénateur Baker : Non, vous pouvez les regrouper, car nous les avons déjà étudiés individuellement.

Le président : Les articles 2 à 9 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Les articles 10 à 20 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles 21 à 30 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles 31 à 34 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté. Le comité souhaite-t-il envisager d'annexer des observations au rapport?

Des voix : Non.

Le président : Est-il convenu que je fasse rapport au Sénat de ce projet de loi?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord. Très bien. Cela conclut l'étude du comité sur projet de loi C-26.

Nous poursuivons maintenant avec l'étude du projet de loi C-12, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Dans notre premier groupe de témoins, nous accueillons Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, par vidéoconférence de Saskatoon, en Saskatchewan, et Rebecca Jesseman, directrice intérimaire, Systèmes d'information et mesure du rendement, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

J'aimerais rappeler aux témoins qu'elles ont cinq minutes pour livrer un exposé. Nous entendrons d'abord Mme Pate, et ensuite Mme Jesseman.

Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Merci, monsieur le président, et merci, membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Je suis très heureuse de comparaître à partir du territoire du Traité 6, terre de la nation métisse à Saskatoon, où le soleil brille aujourd'hui. J'aimerais vous remercier d'avoir invité l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry à comparaître aujourd'hui. J'occupe la chaire Ariel F. Sallows des droits de la personne de l'école de droit de l'Université de la Saskatchewan. J'irai droit au but, car j'ai également très hâte d'entendre vos questions.

Récemment, et certainement au cours des dernières décennies, on s'est beaucoup concentré sur les ressources, les technologies et les efforts pour prévenir l'utilisation et l'introduction de drogues dans les prisons. Il est intéressant de souligner que de nombreuses techniques d'interdiction ont engendré des coûts plus élevés pour le Service correctionnel du Canada et sont devenues plus intrusives, ce qui a limité les ressources pour les programmes et services depuis qu'on a interdit le tabagisme. Il semble qu'il y a maintenant davantage de ressources consacrées à la lutte contre le tabagisme qu'à la lutte contre les drogues et l'alcool.

Il est important de revenir en arrière. En effet, il y a presque trois décennies, Dre Diane Riley et le comité d'experts qui s'est penché sur la question des origines des préoccupations liées au sida, au VIH et à l'hépatite C dans les prisons ont prédit que les techniques d'interdiction et la stratégie en matière de drogues proposées à l'époque créeraient de nombreux problèmes qu'elles ont effectivement créés depuis ce temps, c'est-à-dire que l'importance accrue accordée à l'utilisation et à l'interdiction des drogues plutôt qu'à la mise sur pied de programmes, de services et de soutiens pour les prisonniers pourrait accroître l'utilisation de drogues et, encore plus inquiétant, l'utilisation de drogues potentiellement plus dangereuses, mortelles ou plus difficiles à détecter, car le système les élimine plus rapidement. Nous avons observé ce problème, ainsi que la marchandisation des drogues.

On a très peu discuté de l'une des façons par lesquelles les drogues entrent dans les prisons. On a beaucoup parlé de certaines des techniques utilisées par les prisonniers, mais on n'a pas beaucoup parlé de la façon dont les drogues entrent dans les prisons par l'entremise du personnel et des employés contractuels, mais c'est un problème, et je crois que les membres du comité sont au courant.

La Commission des libérations conditionnelles du Canada et le Service correctionnel du Canada disposent de nombreux outils. Le projet de loi ne change pas vraiment cela. Actuellement, la Commission des libérations conditionnelles du Canada et le Service correctionnel du Canada peuvent intervenir, et ils le font, si une personne a soudainement un problème de drogues ou une analyse d'urine positive avant sa date de libération. Malheureusement, ce qui est encore plus vrai, c'est que le nombre de personnes libérées est plus bas que jamais, surtout dans cette région, et surtout en ce qui concerne les prisonniers autochtones. Nous avons donc beaucoup de travail à faire, mais pas nécessairement dans la direction dans laquelle nous amène le projet de loi C-12.

De plus, j'aimerais communiquer aux sénateurs, étant donné qu'ils représentent l'étape du second examen objectif, les recherches plus récentes sur la façon de traiter la toxicomanie. Ces recherches sont liées à certains travaux effectués sur la pertinence des conditions de vie et des espoirs entretenus pour l'avenir. Manifestement, vous êtes à Ottawa, et nous savons qu'un grand nombre des recommandations formulées par la Commission de vérité et de réconciliation sont pertinentes en ce qui concerne la probabilité que des personnes consomment des drogues ou deviennent toxicomanes et la façon de traiter ces problèmes, et les problèmes liés aux conditions de vie, à l'éducation et au soutien font tous partie de cela.

En résumé, nous n'avons pas besoin de ce projet de loi. Il sera probablement adopté, et il ne changera probablement rien, sauf qu'il ajoutera une autre disposition qu'il est déjà possible d'utiliser par l'entremise de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et les règlements connexes. J'ai hâte de répondre à vos questions.

Rebecca Jesseman, directrice intérimaire, Systèmes d'information et mesure du rendement, Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies : Bonjour. Je m'appelle Rebecca Jesseman, et je suis directrice au Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, ou le CCLAT. J'aimerais remercier les membres du comité de nous avoir invités à discuter du projet de loi C-12. Rita Notarandrea, notre présidente-directrice générale intérimaire, est désolée de ne pas pouvoir participer à la réunion d'aujourd'hui.

À titre de renseignement pour ceux qui ne connaissent pas le CCLAT, l'organisme a été créé par une loi du Parlement il y a plus de 25 ans, afin de rassembler le gouvernement, les organismes sans but lucratif et les intervenants du secteur privé pour trouver des solutions communes aux problèmes de toxicomanie. Dans le cadre de notre mandat prescrit par la loi, nous devons assumer un leadership à l'échelle nationale en vue de réduire les torts causés par l'alcool et d'autres drogues. La promotion de conseils fondés sur les faits dans l'élaboration des politiques et des programmes représente une partie essentielle de notre mandat.

Comme vous le savez, la majorité des délinquants qui entrent dans les prisons fédérales du Canada ont des antécédents de toxicomanie. Il ne fait aucun doute qu'empêcher les prisonniers d'avoir accès aux drogues à l'intérieur des pénitenciers est un objectif louable. L'interdiction joue un rôle important pour empêcher l'accès à la contrebande dans les prisons, et nous approuvons l'utilisation de technologies fondées sur les preuves et la cueillette de renseignements. Toutefois, il est difficile d'empêcher les drogues d'entrer dans les prisons. En effet, un sondage mené en 2010 a révélé que 34 p. 100 des hommes et 25 p. 100 des femmes dans les prisons fédérales admettent avoir utilisé des drogues dans les six mois précédents pendant leur incarcération.

Fournir un traitement fondé sur les preuves qui répond aux besoins uniques des délinquants dans les pénitenciers et dans la collectivité est la façon la plus efficace de réduire les problèmes liés à l'utilisation de drogues chez les délinquants du Canada. C'est également un moyen efficace d'améliorer la sécurité dans les collectivités en prévenant la récidive, et nous savons que certains programmes fonctionnent bien à cet égard.

Libérer des délinquants dans la collectivité sous la condition qu'ils s'abstiennent de consommer des drogues ou de l'alcool sans leur fournir les outils et les liens communautaires qui leur permettent d'y arriver augmente le risque de violation des conditions de libération. Même si nous savons que la consommation de drogues augmente le risque de récidive, l'alourdissement des peines en cas de consommation n'est pas le moyen le plus efficace de résoudre le problème sous-jacent. En effet, la toxicomanie est une rechute chronique d'un trouble du cerveau qui doit être traité comme un problème de santé et non comme un mauvais choix de vie. La stigmatisation et la discrimination sont des obstacles qu'il est important d'éliminer pour traiter les troubles liés à la consommation d'alcool et de drogues. Toutefois, le projet de loi C-12 favorise une approche punitive à l'égard de la toxicomanie qui renforce cette stigmatisation. Cela encourage les gens à dissimuler leur consommation de drogues, ce qui les empêche d'avoir accès à des occasions d'intervention et ce qui favorise les habitudes de consommation qui présentent un risque élevé.

Le SCC est reconnu à l'échelle internationale pour la qualité de son programme de toxicomanie et le fait qu'il est fondé sur des preuves. Le CCLAT collabore maintenant avec le SCC et les partenaires des services correctionnels provinciaux, afin de cerner et mettre en œuvre des pratiques exemplaires pour résoudre le problème de la consommation de drogues chez les délinquants et pour leur fournir du soutien pendant leur transition du pénitencier à la collectivité. Cette période de transition est une période d'ajustement difficile pendant laquelle les délinquants sont exposés à des risques, notamment le stress et des gens ou des situations liés à leur problème de toxicomanie précédent et à d'autres comportements antisociaux qui présentent un risque élevé.

La libération conditionnelle offre aux délinquants l'occasion de réintégrer la collectivité sous supervision, ce qui peut les aider à cerner et à résoudre les facteurs de risque, y compris ceux liés à la consommation de drogues. L'ajout de conditions qui rendent la libération conditionnelle plus difficile à obtenir ou plus facile à révoquer risque d'éliminer cette occasion qui leur est offerte de réintégrer la collectivité de façon sécuritaire en tant que citoyen productif et respectueux des lois. Si on refuse constamment la libération conditionnelle aux délinquants et qu'on les libère seulement à la fin de leur peine, ils ne peuvent pas profiter d'une supervision ou d'un accès soutenu aux ressources communautaires qui pourraient les aider à répondre à leurs besoins complexes.

Monsieur le président, la meilleure façon de faire la promotion des pénitenciers sans drogue, c'est de veiller à ce que les délinquants aient accès à un traitement approprié à l'intérieur des prisons et dans la collectivité. Cela nécessite une série de services et de soutiens fondés sur les preuves qui répondent aux besoins complexes en matière de santé et de services sociaux liés aux maladies causées par l'alcool et d'autres drogues. Il faut également éliminer les cloisonnements entre les programmes et les soutiens offerts dans les pénitenciers et ceux offerts dans les collectivités.

Nous nous réjouissons que le gouvernement souhaite rendre les pénitenciers et les collectivités plus sécuritaires. Nous sommes fiers de contribuer à ce dialogue, et nous avons hâte de l'aider de toutes les façons possibles grâce à une approche fondée sur les preuves pour résoudre le problème de la consommation de drogues dans les prisons et pour favoriser les transitions réussies du pénitencier à la collectivité. J'ai hâte de répondre à vos questions.

Le sénateur Baker : J'aimerais remercier les deux témoins de leurs excellents exposés.

J'aimerais poser une question à Mme Pate sur les détails du projet de loi très court dont nous sommes saisis. Mme Latimer a comparu devant le comité lors de notre dernière réunion. Elle a été particulièrement offensée par le premier paragraphe, qui contient les mots suivants : « ... refuse ou omet... de fournir un échantillon d'urine exigé... ». Elle a été offensée et elle a souligné que les mots « sans excuse raisonnable » n'ont pas été inclus dans cet article et qu'il y a infraction si le délinquant refuse de fournir un tel échantillon ou qu'il est dans l'incapacité de le faire. Elle a invoqué le paragraphe 254(5) du Code criminel, qui contient les mêmes mots, mais auxquels on a ajouté « sans excuse raisonnable ».

Avez-vous les mêmes préoccupations à l'égard du caractère adéquat de cet article?

Mme Pate : Oui. Je vous remercie d'avoir posé cette question, sénateur Baker. Nous sommes certainement d'accord avec la Société John Howard du Canada sur ce point et, en particulier, avec Catherine Latimer.

Surtout dans le cas des femmes — et je dirais que c'est probablement le cas de certains hommes aussi —, car 91 p. 100 des femmes autochtones et environ 80 p. 100 ou plus de l'ensemble des femmes ont déjà subi de la violence physique ou sexuelle, et cela crée une série de problèmes lorsqu'il s'agit de fournir un échantillon d'urine. De plus, si on leur demande de fournir un tel échantillon et qu'elles ne peuvent pas le faire immédiatement pour toutes sortes de raisons, par exemple si elles ont un trouble de santé, cette justification devrait être acceptée. À mon avis, cette disposition ne résisterait pas à une contestation juridique. Je partage donc cette préoccupation.

Le sénateur Baker : Hier, la personne responsable de nos prisons, M. Head, qui a également fourni ces renseignements, madame Pate, nous a dit que nous avons, dans nos directives — je crois que vous les appelez des directives dans les prisons, mais je ne sais pas si c'est la bonne terminologie.

Mme Pate : Ce sont les directives du commissaire.

Le sénateur Baker : Des directives du commissaire sont données assez fréquemment et elles sont assez volumineuses. J'en ai examiné quelques-unes. Dans la jurisprudence, on les considère comme ayant force de loi. On considère que c'est la pratique à suivre dans les prisons.

M. Head a souligné que ces directives contiennent des dispositions adéquates pour accommoder les personnes qui ne sont pas en mesure de fournir un échantillon d'urine sur-le-champ.

À votre avis, est-il suffisant d'avoir ces dispositions dans ces directives applicables dans les prisons?

Mme Pate : Comme les étudiants en droit carcéral qui ont obtenu leur diplôme hier pourront vous le dire, les politiques ne peuvent pas avoir préséance sur la loi. Si la loi énonce clairement qu'il n'y a aucune excuse justifiable, c'est-à-dire si l'article précédent sur lequel vous m'avez posé une question n'était pas inclus, il serait difficile pour le service correctionnel d'élargir le pouvoir discrétionnaire prévu dans la politique.

Personnellement, je crois que ce serait formidable si le service pouvait élargir son pouvoir discrétionnaire de cette façon. Toutefois, c'est très improbable. Habituellement, c'est le contraire qui se produit. Si le projet de loi est adopté, je prédis que presque immédiatement, ces politiques seront réécrites et des directives du commissaire seront émises pour indiquer que l'exercice du pouvoir discrétionnaire ne sera plus considéré comme étant légitime, surtout en ce moment, car le fonctionnement du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada est intolérant au risque, et leur pouvoir discrétionnaire n'est pas remis en question. Qu'il s'agisse d'un gardien, du commissaire, du sous-commissaire régional ou des membres de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, nous les voyons adopter les pratiques les plus restrictives plutôt qu'exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon moins restrictive.

Le sénateur McInnis : Je vous remercie d'être ici aujourd'hui.

Madame Jesseman, l'une de vos préoccupations concerne la période de transition entre la prison et la collectivité et les services de soutien à cet égard. Plusieurs témoins nous ont dit hier que les programmes et les encouragements liés à la réinsertion offerts aux prisonniers pendant leur incarcération n'ont rien à envier à ceux offerts dans le reste du monde. Vous avez déjà comparé ces services à une situation dans laquelle des gens souffrent d'une maladie — je crois que vous avez dit à la Chambre des communes que c'était presque comparable au diabète. En effet, il faut continuellement traiter cette maladie. De plus, hier, le responsable des services correctionnels nous a également dit que les agents de libération conditionnelle sont bien formés dans ce domaine, qu'ils connaissent bien le sujet et qu'ils font du très bon travail.

Plusieurs ONG et d'autres organismes comme le vôtre accomplissent beaucoup de travail. Comment collaborez-vous avec les agents de libération conditionnelle? Votre organisme accomplit ce travail, mais il existe plusieurs groupes comme celui-ci qui sont merveilleux, car ils permettent d'épargner beaucoup d'argent et ils offrent une grande expertise. Comment collaborez-vous avec ces personnes?

Mme Jesseman : C'est une excellente question qui illustre bien l'un des problèmes auquel nous sommes confrontés, c'est-à-dire le cloisonnement qui existe entre les différentes disciplines, alors que la question de la toxicomanie est elle-même très complexe et touche divers domaines.

Mme Pate a parlé de l'importance d'examiner les problèmes aux chapitres du logement, de l'éducation et de l'emploi. Comme beaucoup d'autres ONG, nous essayons d'organiser des discussions au cours desquelles les différentes organisations définiront les priorités communes et détermineront la meilleure façon de collaborer pour répondre aux besoins complexes des délinquants.

Nous savons que les délinquants ont des besoins plus complexes sur les plans de la santé physique, de l'éducation et de l'emploi que beaucoup d'autres personnes seulement aux prises avec des problèmes de toxicomanie. C'est donc l'une des façons dont nous amenons nos partenaires à collaborer. Nous essayons de fournir des outils avec lesquels ils pourront travailler. Par exemple, mon organisation mise sur les compétences de nos intervenants dans le domaine de la toxicomanie et d'autres domaines connexes pour définir les compétences de base que doivent posséder les personnes qui interviennent auprès des gens aux prises avec des problèmes de toxicomanie et les former en conséquence.

Le sénateur McInnis : Obtenez-vous du succès? Par exemple, on sait que les anciens détenus ont souvent du mal à se trouver un emploi. Est-ce que vous leur venez en aide?

Mme Jesseman : Nous n'offrons pas de services de première ligne. Je ne suis pas certaine si c'est votre question, mais ce que nous aimerions beaucoup faire cette année, de concert avec le Service correctionnel du Canada, les responsables des services correctionnels et d'autres partenaires, c'est regarder de plus près cette période de transition afin de déterminer quels sont les services qui sont offerts aux anciens détenus et quelle est la meilleure façon de les aider à bénéficier de ces services au sein de la collectivité.

Le sénateur McInnis : Madame Pate, vous avez dit qu'il y a moins de détenus qui sont mis en liberté à l'heure actuelle. Je ne comprends pas. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Ai-je bien compris?

Mme Pate : Tout à fait. Le nombre de libérations accordées par la Commission des libérations conditionnelles a diminué, et nous constatons que de plus en plus de détenus sont mis en liberté d'office avec assignation à résidence ou à l'expiration de leur mandat.

Le problème ici, et cela se rapporte également à la question que vous avez posée à Mme Jesseman, c'est que nous remarquons qu'un plus grand nombre de délinquants mis en liberté dans la collectivité présentent des besoins plus grands — pas nécessairement des risques plus élevés, mais des besoins plus grands — au sein de la collectivité.

Comme vous le savez sans doute, notre organisation ne fait pas la différence entre une personne qui purge sa peine ou une personne qui l'a terminée. Nous continuons de lui fournir de l'aide, que ce soit pour obtenir un emploi, traiter une dépendance ou recevoir du soutien, ou même pour trouver un logement, ce qui est de plus en plus difficile. Nous prenons la personne en charge, sans tenir compte du fait qu'elle soit sous mandat ou fasse encore l'objet d'une peine.

Ce sont des défis de taille. Même s'il y a des gens extrêmement compétents dans le système correctionnel, et je suis certaine que la plupart d'entre eux seraient d'accord moi, de nombreux délinquants n'ont pas accès aux programmes ni aux services dont ils ont besoin. Étant donné qu'on accorde plus d'importance à l'interdiction et aux autres types d'intervention qu'au traitement en tant que tel, ce n'est pas tout le monde qui peut bénéficier des programmes en temps opportun. On demande aux gens d'attendre et de renoncer à leur droit à une audience de libération conditionnelle.

Le mois dernier, je me suis rendue dans deux prisons où de nombreuses femmes m'ont dit qu'on les avait encouragées à renoncer à leur droit de demander une libération conditionnelle. Maintenant, dans le dossier, la décision semble avoir été prise par les détenues, mais en théorie, c'est plutôt l'agent de libération conditionnelle ou l'équipe de gestion de cas qui leur a recommandé de prendre cette décision parce qu'elles n'ont pas suivi certains programmes qui, de toute façon, ne peuvent pas leur être offerts pour l'instant, car d'autres personnes ont la priorité. Ils leur disent ensuite que si elles ne suivent pas leurs recommandations, il est très peu probable que la Commission des libérations conditionnelles soit en faveur d'une libération.

Ce sont de véritables problèmes et préoccupations pour les individus dans le système. Plus les détenus restent longtemps dans le système, plus ils ont de la difficulté à réintégrer la collectivité. Ce n'est pas impossible, puisque cela arrive tout le temps, mais ces pratiques entraînent des coûts humains, sociaux et financiers inutiles.

Le sénateur McInnis : Est-ce parce que l'agent des libérations conditionnelles estime que ces personnes ne sont pas prêtes? Est-ce parce qu'elles sont aux prises avec un problème de toxicomanie et qu'elles n'ont pas suivi un programme pour le régler?

Mme Pate : Oui, c'est souvent ce qui arrive. De plus en plus, nous essayons de faire comprendre au personnel, ainsi qu'aux juges, aux étudiants en droit et aux futurs avocats que ce qui figure dans le plan de traitement correctionnel devient essentiellement la bible sur laquelle on se fonde pour recommander une libération conditionnelle et sur laquelle s'appuiera probablement la Commission des libérations conditionnelles pour décider de l'accorder ou non.

Qu'il s'agisse de rapports de police, qui sont évidemment les dossiers les plus importants, ou d'allégations qui n'ont pas été prouvées, tout ce qui se trouve dans le plan de traitement correctionnel d'un détenu indique ses facteurs de risque et les exigences auxquelles il doit satisfaire. Presque tous les détenus qui sont admis dans un établissement ont un problème de toxicomanie comme facteur de risque. Dans bien des cas, c'est approprié, mais dans d'autres cas, cela peut ne pas l'être. Par conséquent, la plupart des détenus doivent suivre ces programmes.

Étant donné le nombre accru de détenus, particulièrement chez les femmes, ce n'est pas tout le monde qui peut suivre le programme en même temps, et il y a une liste d'attente. Les détenus peuvent attendre des mois, voire des années, selon la durée de leur peine et le nombre de personnes qui ont la priorité.

Effectivement, cela signifie qu'ils ont probablement un problème. Quant à savoir si le programme qu'ils doivent suivre leur permettra d'y remédier, c'est une autre histoire. On voit souvent des femmes qui s'auto-médicamentent parce qu'elles n'ont jamais reçu de soutien après avoir été agressées sexuellement alors qu'elles étaient enfants ou subi des abus de quelque nature que ce soit dans les pensionnats indiens, dans le cas des Autochtones. Ce sont parfois des personnes qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et à qui on a prescrit des médicaments dans la collectivité; ce sont donc des médicaments légaux, alors si on leur enlève en prison ou...

Le président : C'est une réponse très complète, mais nous devons continuer.

La sénatrice Batters : Bonjour à vous deux. Je suis heureuse que vous soyez de retour avec nous de la Saskatchewan.

Mme Pate : Oui.

La sénatrice Batters : Je suis ravie d'entendre qu'il fait soleil là-bas. J'ai hâte d'y retourner plus tard ce soir. Le sénateur Plett, du Manitoba, dit que c'est toujours ensoleillé en Saskatchewan.

Madame Pate, en ce qui a trait aux problèmes de toxicomanie chez les détenus et aux programmes de traitement qui leur sont offerts, pourriez-vous comparer la situation des hommes et des femmes?

Mme Pate : Même si je vais encore dans les prisons ici, mon expérience avec les hommes, comme vous le savez sans doute, date de 25 ans, à l'époque où je travaillais exclusivement avec les hommes et les jeunes hommes, mais d'après mon expérience auprès des femmes, je sais que beaucoup d'entre elles prennent des médicaments d'ordonnance, qu'on leur a prescrits en prison ou avant leur séjour en prison, pour traiter ou masquer des problèmes de santé mentale. Ces médicaments leur permettent souvent d'endormir des problèmes attribuables à de la violence subie par le passé.

À moins que la situation ait changé dernièrement, il y a beaucoup plus de femmes qui prennent des médicaments d'ordonnance dans le système carcéral.

Maintenant, pour ce qui est des drogues illégales, comme je l'ai indiqué, que ce soit les agents correctionnels, les directeurs ou les avocats, tous s'entendent pour dire que la substance la plus illégale en ce moment dans les prisons est le tabac. Les cigarettes sont très prisées. Par conséquent, une grande partie des mesures d'interdiction dont le commissaire et d'autres personnes au sein du système correctionnel ont parlé portent surtout sur le tabac et ont été mises en place depuis que l'interdiction de fumer est en vigueur dans les pénitenciers. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'autres types de drogues qui sont introduits dans les établissements, mais en misant davantage sur l'interdiction que sur le traitement, nous constatons qu'en plus du tabac, lorsque des drogues sont introduites, ce sont davantage des drogues dures.

C'est une grande préoccupation. Je connais assurément des femmes qui n'avaient jamais pris de médicament avant leur séjour en prison et, cela ne vous étonnera pas, mais comme la prison n'est pas un endroit très joyeux, elles ont cherché à en obtenir pour être capables d'y faire face. Par conséquent, nous savons que des gens, des femmes en particulier, sont devenus toxicomanes en prison et non pas dans la collectivité.

Au sein de la collectivité, selon ce que les femmes nous disent, et toutes les études le démontrent également, les meilleures conditions de vie, y compris la possibilité d'un emploi, de même qu'un accès à leur famille et à du soutien sont ce qui les encourage à ne pas consommer de drogues ou d'alcool.

La sénatrice Batters : Madame Jesseman, votre organisation est-elle en faveur de la mise en place de programmes d'échange de seringues au sein des pénitenciers?

Mme Jesseman : C'est une question que nous n'avons pas examinée depuis quelque temps. Nous nous sommes déjà penchés là-dessus par le passé. Évidemment, il faudrait revenir au...

La sénatrice Batters : Quelle était votre position?

Mme Jesseman : Nous étions d'avis que des programmes d'échange de seringues pourraient s'inscrire dans le cadre d'un processus de traitement de la toxicomanie fondé sur des données probantes.

La sénatrice Batters : Quelle était la position de votre organisation relativement au projet de loi C-2, dont nous venons tout juste d'être saisis, concernant la protection des collectivités et des centres d'injection supervisée?

Mme Jesseman : En fait, j'ai eu le plaisir de m'adresser au comité au sujet de ce projet de loi.

Nous étions d'avis qu'il fallait établir des normes fondées sur des données probantes en fonction desquelles les demandes visant à ouvrir des sites de consommation supervisée seraient évaluées, mais nous avions indiqué qu'il fallait clarifier certaines dispositions du projet de loi, si je me souviens bien, en ce qui a trait au fardeau du processus de demande et également à l'importance qu'on accorderait aux différents facteurs et dispositions dans le cadre du processus.

Le sénateur McIntyre : Merci à vous deux pour vos exposés. Madame Jesseman, si j'ai bien compris, votre organisme a été créé il y a plus de 25 ans et, au fil des ans, vous avez collaboré à la fois avec des partenaires privés et publics. Par exemple, vous travaillez dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la toxicomanie, qui a été mise en place, si je ne me trompe pas, en 2005 par diverses organisations et personnes qui se consacrent à la cause partout au pays. Je crois savoir que vous avez 13 secteurs ou mesures prioritaires, dont l'une consiste à répondre aux besoins uniques des délinquants. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ces priorités?

Mme Jesseman : Absolument. Je crois que vous faites allusion au Cadre national d'action pour réduire les méfaits liés à l'alcool et aux autres drogues et substances au Canada, et je peux comprendre pourquoi vous ne vous souveniez plus du nom exact.

Les délinquants font partie des 13 priorités. À l'heure actuelle, notre organisation cible trois secteurs prioritaires. Ce sont le cannabis, l'alcool et l'abus de médicaments d'ordonnance. Toutefois, nous nous sommes penchés sur les délinquants par le passé, en réalisant notamment une étude, en collaboration avec les responsables des services correctionnels, afin de déterminer quels étaient les services offerts aux délinquants dans les établissements ainsi qu'à ceux qui réintégraient la collectivité. À l'époque, nous examinions la situation à l'échelle provinciale et territoriale, et les résultats ont démontré qu'il y avait des lacunes relativement aux programmes offerts dans les provinces et territoires, que ce soit dans les établissements ou au sein de la collectivité, ce qui revient à la question du sénateur Baker au sujet de la disponibilité des services de traitement offerts au moment de la libération, laquelle dépend largement du contexte et de l'endroit où vous êtes mis en liberté. Si vous êtes mis en liberté dans un centre urbain et que vous êtes pris en charge par les sociétés John Howard ou Elizabeth Fry, vous avez de l'aide pour trouver du soutien. Cependant, si vous êtes mis en liberté sans ce genre de soutien, par exemple, dans des régions plus rurales, les services auxquels vous avez accès sont plutôt restreints.

Le sénateur McIntyre : En janvier dernier, votre organisme a accueilli plus de 50 partenaires de partout au Canada à l'occasion du premier Sommet national sur le rétablissement de la dépendance. Si je ne me trompe pas, le sommet s'est tenu sur deux jours à Ottawa.

Mme Jesseman : En effet.

Le sénateur McIntyre : La ministre de la Santé était également présente.

Les participants s'entendaient-ils sur la question des troubles liés à la toxicomanie?

Mme Jesseman : On était d'avis que la dépendance est une maladie et qu'il est possible de se rétablir de cette maladie. Nous avons également produit un engagement en matière de rétablissement au Canada. Je serais heureuse de le transmettre aux membres du comité par l'entremise de la greffière.

Le sénateur Plett : Il y a une semaine ou deux, nous avons reçu Michael Spratt, et je lui ai posé une question qu'il considérait comme étant trop simpliste. J'ai tendance à poser des questions trop simplistes. Je vais essayer d'en poser une aujourd'hui, mais je vais d'abord vous lire l'article 4 du projet de loi, qui modifie le paragraphe 133(3) comme suit :

(3) L'autorité compétente peut imposer au délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir sans escorte les conditions qu'elle juge raisonnables et nécessaires...

Et ceci est important :

... pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

Par conséquent, nous sommes préoccupés par le délinquant et nous voulons qu'il réintègre la collectivité avec succès. La disposition se lit comme suit :

Il est entendu que les conditions peuvent porter sur la consommation de drogues ou d'alcool par le délinquant...

Je présume qu'ici, on parle de drogues illégales. L'article se poursuit ainsi :

... notamment lorsqu'il a été établi qu'elle est un facteur de risque dans le comportement criminel du délinquant.

Vous estimez toutes deux que nous devrions avoir des programmes pour aider ces gens. Je suis tout à fait en faveur, mais j'essaie de comprendre comment on peut justifier de les laisser poursuivre leurs activités illégales en attendant. Nous voulons appuyer des activités illégales tout en exécutant les programmes. Ce n'est peut-être pas ce que vous dites, mais c'est du moins ce que je comprends à la lumière de vos commentaires. J'aimerais que chacune d'entre vous me dise ce qu'il en est.

Mme Pate : Voudriez-vous que j'y aille en premier?

Le sénateur Plett : Bien sûr, allez-y, madame Pate.

Mme Pate : Je vous remercie de rectifier le tir, parce que si j'ai dit quelque chose qui vous a donné cette impression, c'était erroné. Je ne voudrais certainement pas que des gens soient davantage aux prises avec des problèmes de dépendance.

Toutefois, je parlais de la nature même du projet de loi. Au bout du compte, il appartient à la Commission des libérations conditionnelles du Canada de prendre ces mesures. Le Service correctionnel du Canada, même sans le projet de loi C-12, avisera la commission si quelque chose se passe avant la libération. Ces pouvoirs sont déjà entre ses mains.

Soyons clairs : la raison pour laquelle nous considérons que cette mesure législative n'est pas nécessaire, c'est parce qu'elle vient tout simplement dédoubler ce qui existe déjà en imposant des coûts d'administration inutiles au lieu de mettre en place davantage de services et de programmes à l'appui de ces individus.

J'aimerais préciser que lorsque je parle des programmes et des services d'appui, je ne parle pas que des problèmes de dépendance. Les études révèlent que si les gens ont un logement, du soutien, que ce soit de la part des membres de leur famille ou de leur collectivité, s'ils mènent des activités importantes, qu'il s'agisse d'un emploi, d'études ou d'une combinaison des deux, ils risquent moins de succomber à la tentation et de redevenir dépendants. Ils sont beaucoup plus susceptibles de vouloir profiter de la vie sans retomber dans l'alcool ou la drogue. C'est donc ce que je voulais dire, pour clarifier les choses.

De toute évidence, il y a déjà des techniques relatives à la répression de la consommation et du trafic de drogues dans les prisons. Je soulignais également que toutes les drogues n'entrent pas des façons décrites ou présumées par les dispositions législatives. Nous n'avons pas parlé du trafic de stupéfiants de la part du personnel. Tout le monde est au courant du phénomène, y compris Service correctionnel du Canada, ou SCC, même s'il ne peut pas l'affirmer publiquement. Tout ce qui nécessite une approche plus punitive entraîne davantage de comportements d'évitement plutôt que de régler les problèmes fondamentaux. Voilà ce que j'essayais de faire valoir.

Le sénateur Plett : Pourriez-vous répondre aussi, madame Jesseman?

Mme Jesseman : Je suis d'accord avec Mme Pate, c'est-à-dire que le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies n'est pas favorable à ce que la consommation se poursuive dans les prisons. Je m'excuse vraiment si j'ai dit quoi que ce soit qui vous ait donné cette impression.

Nous craignons que ce que le projet de loi laisse entendre en matière de révocation automatique puisse en fait entraîner une consommation plus risquée, car nous savons par exemple que des drogues comme les opiacés et les stimulants demeurent dans le sang et sont détectables plus longtemps que le cannabis, disons.

Puisque nous savons que la transition est une période où le risque de rechute est élevé, nous craignons que les délinquants soient moins enclins à s'ouvrir. S'ils remarquent par exemple qu'ils ont davantage le goût de consommer ou qu'ils présentent certains facteurs de risque, ils seront plus susceptibles de le camoufler plutôt que de se manifester pour demander de l'aide et des services.

Le sénateur Plett : Bien sûr, le projet de loi ne parle pas de révocation automatique. Il dit clairement que l'autorité compétente « peut », et non pas qu'elle « doit ».

D'après ce que vous dites, madame Pate, j'en déduis que le projet de loi n'a rien de trop choquant à vos yeux. Vous dites simplement qu'il n'est pas nécessaire étant donné que nous avons déjà des lois qui font exactement la même chose. Vous ne voyez donc aucun problème concernant le projet de loi.

Mme Pate : C'est faux; je vous remercie de me permettre de préciser ma pensée. Au contraire, je trouve bel et bien que le projet de loi pose problème. Je pense qu'il est déjà possible d'atteindre ses objectifs ou son but, comme il a été dit. Je suis d'avis qu'il est problématique de créer des conditions plus sévères comme celles énoncées dans le projet de loi et dont le sénateur Baker a parlé. Contrairement à ce que vous venez de dire sur l'utilisation du verbe « peut » plutôt que « doit », dès que ce genre de dispositions sont adoptées, SCC reçoit immédiatement des directives et resserre les règles. C'est précisément pourquoi moins de gens sont mis en liberté, et pourquoi nous constatons un resserrement des possibilités à ce chapitre. La question ne dépend pas nécessairement d'un soutien accru qui permettrait aux gens de sortir ou de ne pas consommer. En fait, c'est tout le contraire. Le projet de loi entraînera un resserrement des règles et une approche plus punitive qui causera éventuellement plus de problèmes. Nous le constatons bel et bien dans le cas des femmes, et plus particulièrement chez les femmes autochtones et chez celles ayant des troubles de santé mentale.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je voudrais tout d'abord féliciter le travail de nos deux témoins. C'est un travail qui n'est pas facile.

J'aimerais vous parler des ressources, et je vais vous raconter une petite histoire. Lorsque j'étais policier à la Sûreté du Québec, il y avait une petite municipalité de 3 000 personnes où il y avait une maison de transition pour les femmes.

Je dois vous dire que nous recevions constamment des appels, parce qu'elles ne respectaient pas les conditions et qu'elles n'étaient pas revenues à la maison de transition, parce qu'il y avait violation des règles à l'intérieur de la résidence, ou parce qu'il y avait des problèmes de drogues. Vous comprenez que nous ne pouvions pas monopoliser des véhicules de police pour cette maison. Évidemment, les gens de cette communauté de 3 000 personnes ne voulaient plus de la maison de transition, car ils disaient qu'elle avait une mauvaise influence sur la communauté. Je dois préciser qu'il y avait un manque de ressources à cette résidence. Je ne sais pas si c'est partout pareil, mais c'est ce que j'ai vécu pendant plusieurs années.

Est-ce qu'il ne serait pas plus simple de garder les gens plus longtemps à l'intérieur des prisons, parce celles-ci disposent de services et de ressources? Force est d'admettre que, dans le cas de la maison de transition, même si elle visait la réinsertion des détenues dans la société, elle présentait constamment des problèmes et, à un moment donné, les gens de la communauté ont demandé à ce que cette maison soit fermée.

J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Je pense qu'il y avait un problème de manque de ressources.

[Traduction]

Mme Pate : Je ne peux formuler aucune observation précise puisque j'ignore de quelle collectivité il est question. Je sais que les maisons de transition des Sociétés Elizabeth Fry sont dans les collectivités d'un bout à l'autre du pays. J'ignore si celle dont vous parlez en fait partie. Cela ne nous ressemble pas. Quoi qu'il en soit, bien des services d'aide sont à la disposition des gens qui y séjournent. Très bien, ce n'était pas une maison Elizabeth Fry.

La plupart des maisons de transition des Sociétés Elizabeth Fry ont habituellement de bonnes relations avec les services de lutte contre la toxicomanie, les maisons d'hébergement prolongé et d'autres services d'aide. Puisqu'il faut bel et bien respecter la loi, la police sera avisée et devra intervenir en cas d'inobservation des conditions. C'est ainsi parce que ceux qui séjournent dans la plupart de ces maisons purgent encore leur peine, mais dans la collectivité.

Je dirais qu'il est inexact de penser que le milieu carcéral offre plus de soutien et de services. Je ne dis pas qu'il y a assez de services dans la collectivité, car ce n'est pas le cas. Il en faut plus. Mais le fait de donner les ressources du milieu aux prisons n'apporte aucune aide à ce chapitre.

À l'heure actuelle, l'importance accordée aux approches plus punitives et à l'incarcération de plus de gens pendant plus longtemps épuise ces ressources. Nous constatons donc un besoin accru, mais la solution ne devrait pas être de laisser les gens en prison plus longtemps puisqu'ils ne semblent avoir accès à aucun service. En fait, il y a de plus en plus de femmes qui vont en prison, de sorte qu'elles sont moins nombreuses à avoir accès aux services en temps opportun.

Mme Jesseman : Nous savons qu'il est plus coûteux de garder les délinquants en établissement que dans la collectivité. Sur le plan du rendement du capital investi, il est donc plus judicieux d'investir dans le but de favoriser les ressources locales. Il est également possible d'assurer la qualité des installations dans lesquelles les délinquants sont mis en liberté au moyen d'une certification, par exemple, de sorte qu'ils aient accès aux ressources dont ils ont besoin.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s'adresse à Mme Pate. Je vais vous poser la même question que j'ai posée à Mme Latimer hier : les données statistiques nous indiquent que 85 p. 100 des criminels condamnés pour agressions sexuelles ont des problèmes de toxicomanie très avancés et très graves, et que 95 p. 100 des gens qui reçoivent une sentence de plus de deux ans à purger dans une prison fédérale — parce qu'on sait qu'il y a très peu de services dans les prisons provinciales — et qui demandent d'être admis à un programme de désintoxication seront admis à un tel programme dans un pénitencier.

Lorsqu'on libère ces gens qui ont des problèmes de toxicomanie, et qu'on sait que ce problème fera en sorte que s'ils récidivent, il y aura encore plus de victimes innocentes, ne croyez-vous pas que les contrôles liés à cette clientèle doivent être sans reproches, et les plus sévères possible? On sait que c'est la consommation qui les conduit à la criminalité.

[Traduction]

Mme Pate : Je pense qu'il n'est pas nécessairement juste de présumer que la consommation cause la criminalité. Il est vrai que les délinquants sont souvent sous l'influence de l'alcool ou de drogues au moment d'être accusés d'une infraction criminelle, mais certainement pas lorsqu'ils sont reconnus coupables. Certains policiers nous confient que c'est ainsi parce qu'ils sont alors plus faciles à attraper. On ne peut certainement pas dire que les individus ne commettent des agressions sexuelles que s'ils souffrent de dépendance. Nous savons que la plupart des délits sexuels se produisent dans la demeure des gens. Pour ce qui est des femmes, la majorité d'entre elles ont été victimes; peu de femmes sont des délinquantes sexuelles — le taux est négligeable, en fait. Il est vrai que les hommes qui sont arrêtés sont habituellement les plus faciles à attraper.

Si nous voulons nous attaquer à l'incidence des infractions sexuelles et de la violence à caractère misogyne au pays, nous devons trouver d'autres façons de rendre le pays plus sécuritaire pour les femmes en général, et pour les enfants aussi. C'est possible au moyen d'une meilleure stratégie globale ayant trait à la prestation universelle pour la garde d'enfants, à un meilleur soutien aux victimes, à plus de soutien dans les écoles, à une aide aux femmes qui tentent de fuir la violence, à une aide financière... Voilà autant d'outils qui nous permettront de prévenir la victimisation.

Lorsqu'une personne a été victime, nous voulons bien sûr prévenir la récidive ou une double victimisation. Mais à moins qu'ils ne meurent en prison, tous ces individus reviendront probablement dans la société. Il faut veiller à ce que l'aide soit disponible, dans le cas d'une personne logée dans une maison de transition ou libérée à l'échéance du mandat de détention, ce qui est de plus en plus courant chez les individus purgeant une peine pour une infraction d'ordre sexuelle.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je ne voulais pas avoir un cours de criminologie. Je voulais recevoir une réponse simple à ma question. Ce que je vous pose comme question, et je vous la répète — je comprends que vous connaissez très bien le domaine —, c'est lorsque des criminels ont des problèmes de consommation, ont été condamnés, et n'ont pas réglé leur problème de consommation à l'intérieur d'un pénitencier, et qu'on les remet en liberté, est-il normal pour une société d'avoir des contrôles plus sévères par rapport à ces gens pour éviter qu'ils récidivent? Parce que c'est lorsqu'ils consomment qu'ils commettent des crimes. Ils ne commettent pas de crime pour consommer; ils consomment et ils commettent des crimes. N'est-il pas normal qu'une société exerce des contrôles plus importants auprès de ces gens, au lieu de faire appel strictement à des mesures incitatives, et à des programmes de bonne compréhension? Est-il normal pour une société de se protéger en exerçant des contrôles plus sévères? J'aimerais que vous me répondiez oui ou non.

[Traduction]

Mme Pate : Je serai ravie de vous répondre par oui ou non. En fait, la réponse est non.

Ce que vous proposez est une approche qui exigerait de modifier la procédure actuelle. Pour l'instant, les délinquants qui présentent un risque élevé sont habituellement remis en liberté dans la société sans condition puisqu'ils demeurent incarcérés jusqu'à l'échéance du mandat de détention. Il faudrait donc de nouveaux mécanismes. Des mécanismes comme les ordonnances délivrées en vertu de l'article 810 visent les individus qui sont encore considérés comme étant dangereux. De telles dispositions sont donc déjà prévues à la loi.

J'essaie de faire valoir que pour régler le problème, il faut s'attaquer à ses composantes. Votre supposition que toute personne ayant déjà commis un acte criminel risque de récidiver à la minute où elle boit n'est pas nécessairement fondée.

C'est bel et bien une question à laquelle il faut s'attarder.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Avez-vous entendu, hier, les témoignages des intervenants des Services correctionnels du Canada et de la Commission canadienne des libérations conditionnelles? Ils nous ont dit que les critères de contrôle post-sentence de consommation d'alcool ne sont pas les mêmes si le détenu est libéré selon les critères de la Commission canadienne des libérations conditionnelles ou s'il est libéré du pénitencier, par exemple, une libération d'office aux deux tiers de la sentence. Les critères de contrôle ne sont pas les mêmes.

Ce projet de loi propose d'établir le même type de contrôle qu'on peut exercer sur un criminel, qu'il soit libéré par le système carcéral ou par la Commission canadienne des libérations conditionnelles. On nous a dit, hier, que ce ne sont pas les mêmes systèmes qui suivent les détenus après leur libération.

[Traduction]

Mme Pate : Veuillez m'excuser, mais je n'étais pas en mesure d'écouter les délibérations hier.

Il y a bel et bien des règles, et une surveillance est possible aussi. La Commission des libérations conditionnelles ne libère des individus dans la collectivité, ce qui est de plus en plus rare, que si le risque est considéré comme étant gérable dans le milieu. Autrement, les gens demeurent de plus en plus souvent incarcérés jusqu'à l'échéance du mandat de détention, après quoi ils sont libérés sans condition.

Je ne sais pas quoi dire d'autre. Mais s'il y a autre chose à ce sujet, je serai ravie d'obtenir l'information. Je vais retourner lire les délibérations, et je vous remercie de m'en avoir informée.

Le sénateur McInnis : Madame Pate, au moins 80 p. 100 des détenus étaient toxicomanes avant leur incarcération. Ils ont commis un crime, et doivent purger le temps prévu à leur peine en fonction de la nature du crime.

Le projet de loi concerne l'éradication des drogues dans les prisons et la réduction de la consommation, dans la mesure du possible. Avant d'accorder la libération conditionnelle à une personne, le système carcéral lui fait subir une analyse d'urine, qui ne doit être ni positive ni refusée — et des témoins nous ont dit à quelques occasions hier qu'un excellent travail est fait à ce chapitre.

Voilà ce dont il est question dans le projet de loi. Il est vrai que l'analyse semble déjà être effectuée, mais le projet de loi enchâsse cette obligation dans la loi. C'est une des conditions préalables au retour des individus dans la société, à laquelle ils participeront en tant que bons citoyens respectueux des lois. Il y a peut-être les autres conditions dont vous avez parlé, comme le logement, l'éducation et ce genre de choses. Nous voulons dans la mesure du possible que les individus ne consomment plus et soient réadaptés, et c'est l'objet du projet de loi. Pour l'amour du ciel, vous n'êtes assurément pas contre cela, n'est-ce pas?

Mme Pate : Je ne suis pas en désaccord. J'essaie simplement de vous faire comprendre que les dispositions existent déjà. Si une personne était soudainement recommandée pour la libération conditionnelle, et que la Commission des libérations conditionnelles rendait une ordonnance ou décidait que cette personne peut être libérée, mais que celle-ci se faisait pincer à consommer de la drogue, je ne peux imaginer aucune situation où cela ne donnerait pas lieu à une intervention. Aussi, je ne me rappelle d'aucun exemple de situation semblable. La réponse semble être une situation hypothétique.

Le sénateur McInnis : Êtes-vous en train de me dire que vous êtes d'accord sur le projet de loi?

Mme Pate : Je dis que vous avez déjà un tel pouvoir. Je suis contre le fait de continuellement adopter des projets de loi si l'autorité existe déjà. Je trouve malheureusement que c'est une mauvaise utilisation de votre temps, du mien, et de l'argent des contribuables dans le but de reproduire un mécanisme qui existe déjà et de régler un problème qui ne se pose vraiment pas. Le gouvernement semble vouloir donner l'impression qu'il y a un problème alors que ce n'est pas nécessairement le cas, et alors que nous avons déjà des lois et des politiques pour agir au besoin.

Le président : Mesdames Pate et Jesseman, je vous remercie d'avoir pris le temps de nous donner votre point de vue sur le projet de loi C-12. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Nous sommes maintenant rendus à notre deuxième groupe d'experts de la journée. Je souhaite la bienvenue à Gerry Verrier, membre du conseil d'administration du Drug Prevention Network of Canada, qui témoignera par vidéoconférence à partir de Winnipeg, au Manitoba.

Monsieur Verrier, je vous souhaite la bienvenue. Nous allons commencer par votre déclaration de cinq minutes.

Gerry Verrier, membre du conseil d'administration, Drug Prevention Network of Canada : Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à votre comité au sujet du projet de loi C-12. C'est un véritable honneur. Je m'appelle Gerry Verrier, et je vous parle au nom du Drug Prevention Network of Canada. Je suis le plus récent directeur à avoir été nommé au conseil. Notre directeur général David Berner a récemment témoigné devant un comité parlementaire à propos du même projet de loi.

Le Drug Prevention Network of Canada appuie le projet de loi, et moi aussi. Je travaille depuis 28 ans maintenant à la Behavioural Health Foundation de Winnipeg, au Manitoba, et j'en suis le directeur depuis 17 ans. Je suis également un ancien toxicomane dépendant aux opiacés, et j'ai moi-même bénéficié d'un traitement en établissement en 1986.

La Behavioural Health Foundation est une organisation à but non lucratif autorisée et privée qui offre des services de traitement des dépendances prônant l'abstinence aux Manitobains depuis 42 ans. La fondation propose des services en établissement à long terme à un maximum de 136 adultes et de 32 jeunes. Notre clientèle est majoritairement autochtone. Quelque 20 à 25 p. 100 de nos clients ont des démêlés avec la justice. Nous croyons que la toxicomanie fait partie d'un mode de vie et d'une culture. Nous considérons également que la criminalité s'intègre dans ce mode de vie et cette culture.

À la fin des années 1980 et au début des années 1990, il y avait en moyenne 15 libérés conditionnels participant aux programmes de la fondation. Ces jours-ci, il est même rare d'en avoir un ou deux. Pendant ce temps, les maisons de transition locales sont bondées de libérés conditionnels, mais elles coûtent plus cher au système qu'un programme de traitement en établissement. La plupart du temps, les individus peuvent quitter l'établissement à 7 heures et ne sont pas tenus de rentrer avant 23 heures. Dans la majorité des cas, on ne leur demande pas de travailler. Il y a peu de comptes à rendre; des clients nous disent que les gens sont souvent en état d'ébriété lorsqu'ils reviennent, et que les employés des maisons de transition ferment parfois les yeux pour continuer à combler leurs places.

Dans un programme de traitement en établissement, ces individus seraient tenus de suivre une routine, de prendre part à des programmes, d'améliorer leur éducation, de faire du bénévolat et, un jour, d'intégrer le marché du travail. Ils auraient des comptes à rendre 24 heures par jour.

Service correctionnel du Canada nous dit que si un délinquant suit un programme en établissement, les fonds ne seront pas versés pour le traitement dans la collectivité. C'est insensé, puisque SSC paie pour une maison de transition qui coûte plus cher que notre organisation, par exemple.

Voici le cœur de mon exposé. Pour être efficace, le traitement de la toxicomanie doit être fait dans un environnement favorable au changement, et favorable au travail nécessaire afin qu'un criminel toxicomane devienne un citoyen occupant un emploi rémunéré et contribuant à la société. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, et je peux pratiquement garantir que la culture carcérale ne favorise pas la réadaptation active en prison.

Pour bien des gens, le préjugé associé à la sobriété représente un obstacle important. Lorsque j'ai arrêté de consommer, j'étais fier de moi et j'avais l'impression de faire la bonne chose. Au cours des trois premières années de ma sobriété, si on m'offrait une boisson alcoolisée, je répondais habituellement non merci, prétextant que je ne bois pas. Mon interlocuteur répondait inévitablement par une des deux questions suivantes : « C'est quoi, ton problème? », ou bien « Tu te crois meilleur que nous? » Bon nombre de mes anciens amis étaient portés à mettre ma sobriété à l'épreuve en m'offrant constamment de l'alcool et de la drogue, comme si c'était une sorte de défi.

L'alcool est un lien qui unit bien des gens dans toutes sortes de cercles et lors de nombreuses activités. C'est un comportement tout à fait acceptable socialement, et c'est presque une attente. Une personne qui ne consomme pas d'alcool appartient à une infime minorité.

Mes nombreuses années de travail avec les jeunes et les adultes me permettent de dire que c'est un facteur important pour notre clientèle. Pour elle, la seule idée d'être rejetée par la famille et la collectivité est très réelle. Je travaille avec des jeunes qui résistent aux offres de drogue qu'on leur fait pendant qu'ils visitent leur famille et qui sont paniqués à l'idée de s'en faire offrir tous les jours après leur sortie du programme de traitement.

Le Dr Adrian Hynes, éminent psychiatre de notre province, a dit un jour que le traitement à long terme est le moyen le plus efficace d'aider ceux qui sont intrinsèquement incapables de se réaliser pour changer durablement leur vie. Ils ont besoin d'un cerveau extérieur pendant qu'ils travaillent à mener une vie utile à la société et productive. Je crois qu'un bon nombre de détenus des réseaux d'établissements fédéraux et provinciaux correspondent à cette description.

Je dirais qu'il appartient au gouvernement fédéral et au Service correctionnel du Canada d'accompagner les détenus dans le processus de réinsertion sociale sans l'entraver. Je ne préconise pas un passe-droit pour les détenus qui commettent des crimes pendant qu'ils sont en liberté. Je dis seulement que les détenus qui ont suivi des programmes en établissement restent exposés à une rechute et, s'ils devaient tomber, il faudrait mobiliser les services communautaires plutôt que de mettre fin à leur liberté conditionnelle et les renvoyer dans un établissement qui les détournera d'une réinsertion efficace.

Merci.

Le président : Merci beaucoup. Le premier à vous questionner sera le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur Verrier, pour votre excellent exposé. Au début, vous avez dit que vous appuyiez le projet de loi. Mais vos deux dernières phrases m'ont semblé le contredire. Pouvez-vous m'éclairer?

M. Verrier : J'appuie l'idée d'exiger beaucoup de tous les Canadiens qui mènent une vie productive, qui évitent la prison et qui sont utiles à la société. Je m'inquiète d'une évaluation sans nuance d'un détenu qu'on renverrait en prison à cause d'une rechute.

Si des crimes sont commis, c'est une autre histoire. Mais on semble aujourd'hui n'accorder aucune marge de manœuvre au détenu qui tombe dans la communauté de pouvoir s'y faire traiter. Le Service correctionnel du Canada le dément.

Le sénateur Baker : Autrement dit, vous appuyez le projet de loi dans son principe et vous recommanderiez son adoption. En même temps, vous dites qu'il faut corriger un défaut grave du système. Vous avez indiqué une solution dans votre exposé.

Constatez-vous que les idées que vous livrez dans vos exposés aux autorités provinciales ou fédérales et qui ressemblent à celles que vous nous avez présentées aujourd'hui, sont bien accueillies et prévoyez-vous que, en fin de compte, des autorités acquiesceront à votre recommandation et l'appliqueront de façon générale pour que les personnes qui en ont besoin puissent être traitées?

M. Verrier : Il est sûr que le Service correctionnel du Canada nous écoute, mais rien ne semble changer. Je vais vous dire que le déclin a commencé il y a une dizaine d'années, sans amélioration malgré nos efforts, malgré notre respect continu des normes, conformément au contrat d'achat de services avec cet organisme et ainsi de suite.

Le sénateur Baker : Êtes-vous étonné que le ministre, en présentant le projet de loi, nous ait fait remarquer que, en une année, on a fait plus de 3 000 saisies de drogues illégales dans nos prisons fédérales?

M. Verrier : Pas le moins du monde!

Le sénateur Baker : Pourquoi? Y a-t-il une raison particulière pour trouver ces drogues dans nos prisons? Quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Verrier : La culture dans laquelle vivent les détenus et qui imprègne le système ressemble très souvent à celle dont ils proviennent, hors les murs. Une population de toxicomanes ayant une mentalité criminelle qui enfreignent la loi, quand elle se retrouve en prison après avoir été arrêtée, jugée et condamnée, cherchera à recréer le même type de culture dans le cadre carcéral qui, en fait, est un microcosme condensé, plus intense. Personne ne peut échapper à l'autre. La culture du gang y prospère. On peut faire beaucoup d'argent dans le système, même en vendant des cigarettes, encore plus en vendant des drogues illicites ou de l'alcool. Même les cigarettes acquièrent une grande valeur dans la prison.

Le sénateur Baker : Ne trouvez-vous pas remarquables ces plus de 3 000 saisies dans les prisons fédérales canadiennes, qui révèlent l'absence de moyens de prévention par le système? N'importe quel Canadien sensé s'inquiéterait de cette impuissance contre le trafic de drogues ou leur fabrication derrière les murs.

Ce fléau ne devrait pas exister. Voyez-vous une solution pour empêcher la présence de drogues dans nos prisons?

M. Verrier : Faute de connaître mieux le système et son fonctionnement, je ne peux vraiment pas donner une véritable opinion. Je suis d'accord, c'est inquiétant et troublant, cette omniprésence de drogues et d'alcool dans un cadre si rigide, si surveillé.

Le sénateur McInnis : Merci de comparaître devant le comité.

C'est presque incroyable, mais on a trouvé une cachette de drogues d'une valeur de 200 000 $ dans un entrepôt. L'annonce de la découverte d'un alambic dans une prison m'a très déconcerté. C'est difficile à saisir. Il faut faire partie de ce comité pour en savoir beaucoup sur ce qui se passe derrière les barreaux.

J'ai été frappé par la remarque de David Berner, votre directeur, selon qui 80 p. 100 des détenus, en fait, sont des niais qui ont fait des choix vraiment mauvais et qui n'ont pas développé de compétences ou ont cessé de le faire à cause d'une dépendance.

Quelle déclaration fascinante! Au fond, il disait — et j'ai posé la question hier à M. Head, le chef des Services correctionnels du Canada — que les agents correctionnels ne sont pas assez bien formés pour découvrir, en parlant avec les détenus, leur véritable projet de vie ni leur suggérer des solutions pour changer leurs habitudes, mais on m'a assuré, hier, qu'ils avaient reçu cette formation.

Je pense que M. Berner voulait dire, et vous aussi, que c'est très bien d'investir dans une maison de transition, mais il faut l'entourer d'un système qui aide à poursuivre la réinsertion, sinon il y a problème. Qu'en dites-vous?

M. Verrier : Le toxicomane incapable de régler sa conduite peut se trouver totalement sous la dépendance de son addiction. Beaucoup de détenus au Canada sont des Autochtones. Comme nous le savons, beaucoup d'Autochtones ont été traumatisés d'un certain nombre de façons.

Le traumatisé est handicapé. Il est faible. Il est incapable de rester fidèle à ses objectifs. Il subit facilement l'influence de sa famille, de la famille étendue et de ses amis. Issu d'une culture de toxicomanie et d'alcoolisme, il y retombe très facilement. Quand il subsiste pour lui peu d'espoir, peu de dignité et peu d'aide, ses seuls appuis, il les trouvera chez des alcooliques et des toxicomanes.

C'est une réalité accablante, mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas faire d'efforts pour accompagner d'autres Canadiens dans ce processus. Il y a de l'espoir, et nous pouvons exiger beaucoup des Canadiens et espérer qu'ils redeviendront actifs et qu'ils contribueront à la société. Mais il faut du temps.

Le sénateur White : Merci beaucoup d'être ici.

D'après les témoignages, et nous sommes beaucoup à le savoir aussi, beaucoup de détenus du réseau d'établissements fédéraux s'y sont retrouvés à cause de leur toxicomanie. Avant de les remettre en liberté, nous allons analyser des échantillons pour nous assurer qu'ils ne consomment pas ce qui les a conduits là où ils se trouvent et, s'ils en consomment, nous ne les remettrons pas en liberté.

Cela me semble simple et logique. Est-ce que cette simplicité cache quelque chose? D'après moi, les remettre en liberté équivaut à les condamner à l'échec.

M. Verrier : Tout ce que je dis, c'est que les programmes en établissement ne peuvent être efficaces qu'en partie, à cause de la culture carcérale. Cette culture ne tolère pas la sobriété ni les évolutions dans une direction différente. Les gangs tentent souvent d'imposer une discipline à leurs membres en ayant pour eux des projets pour après leur sortie. On vend des drogues aux détenus. On s'en fait des obligés en n'exigeant pas qu'ils paient immédiatement. On emploie beaucoup de moyens pour les attacher à ce mode de vie quand ils sont en prison.

Je ne propose pas leur remise en liberté. Je dis simplement qu'il faut tenir compte de la difficulté pour le détenu toxicomane de rester sobre de son propre gré dans le cadre carcéral.

Le sénateur White : J'ai visité un certain nombre d'établissements en Ontario, en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan. Serait-il utile que les détenus de certains établissements s'affirment non toxicomanes, qu'ils soient soumis à des tests continuels et qu'ils soient séparés de cette population? Est-ce que ce serait utile?

M. Verrier : Énormément. Je signalerai le centre correctionnel de Nanaimo et le programme Winding River, à la prison de Headingley à Winnipeg où des quartiers entiers sont réservés aux détenus qui suivent des programmes inspirés du modèle de la communauté thérapeutique et qui vivent ensemble en permanence.

On les isole ainsi de la population générale, ce qui permet une surveillance et supervision meilleures par les agents correctionnels. Ils entreprennent honnêtement le programme. C'est une chose d'entreprendre un programme, dans les meilleures intentions et c'en est une autre de retourner dans un milieu où des camarades et des truands veulent vous mettre au pas. Pouvoir suivre un traitement ininterrompu, 24 heures sur 24, dans un quartier réservé serait très utile.

Le sénateur White : Comme dernière remarque, si vous permettez, monsieur le président, pour faire suite aux observations du sénateur Baker : ce que vous essayez vraiment de faire, c'est de dire que c'est une chose d'appuyer le projet de loi; il faut tenir compte de la nécessité de changer la prestation des services du Service correctionnel du Canada pour que ceux qui ne consomment pas de drogue puissent continuer de le faire. Ai-je raison?

M. Verrier : C'est cela, oui.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur Verrier, pour votre présentation.

À l'intérieur des murs, et même dans les maisons de transition, il y a de la drogue qui circule. Malheureusement, à l'extérieur des murs, on ne trouve pas toujours les services nécessaires pour assurer la transition et la réhabilitation des détenus.

Je vais donc répéter ma question : êtes-vous d'accord pour dire que les détenus qui demeurent à l'intérieur des murs un peu plus longtemps bénéficient de meilleurs services et d'une surveillance accrue qui permettent de réduire la dépendance à la drogue? Ensuite, lorsque les détenus sont libérés, ils se trouvent dans une situation plus favorable pour réintégrer la société. Une période plus longue à l'intérieur des murs permet une meilleure réhabilitation, parce que les services sont déjà en place et que les mesures de surveillance sont plus strictes. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas dans les maisons de transition. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

M. Verrier : Je serais d'accord avec ce que vous dites. Si cela signifiait qu'il fallait un peu plus de temps à un détenu pour se trouver en meilleure posture avant de sortir de l'établissement, alors ce devrait être le processus à suivre.

Mes observations sur le traitement dans la communauté concernaient plus la possibilité de mettre fin à la liberté conditionnelle, quand la personne est dans la communauté.

Je suis absolument d'accord, et c'est dans l'intérêt de chacun de mener le processus à bonne fin, de chercher le moyen le plus efficace de réinsérer les détenus dans notre société, avec des structures qui favorisent cette croissance continuelle et ce détachement continu d'un mode de vie criminel.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Verrier, je tiens à vous féliciter pour votre travail. Je sais qu'il est difficile de travailler auprès de cette clientèle.

Selon vous, quelle est la proportion des criminels qui sont remis en liberté, qui avaient des problèmes de consommation avant ou pendant leur sentence — vous travaillez dans un centre de transition, je crois — et qui réussissent à s'en sortir sans consommer pendant une longue période de temps après leur sortie de prison et après avoir été encadrés par vos services?

[Traduction]

M. Verrier : Je n'ai pas de statistiques précises. Régulièrement, nous administrons au hasard des analyses d'urine. Nous surveillons les comportements qui seraient indicateurs de tendances à la toxicomanie, mais probablement de 350 à 400 adultes passent chaque année par nos établissements. Leur séjour dure en moyenne 100 à 120 jours, mais certains peuvent avoir besoin de deux ans. En fait, nous renvoyons très peu de patients pour consommation de substances illicites pendant leur séjour dans nos programmes de traitement. Nous faisons un suivi six mois après leur départ. Manifestement, les taux commencent à diminuer un peu, mais nous constatons qu'environ 70 p. 100 de ceux qui sont restés chez nous au moins 90 jours et qui se sont trouvé un emploi rémunérateur avant de sortir du programme conservent toujours leur emploi six mois après leur départ. La consommation de drogues diminue sensiblement, et environ 17 p. 100 de ces personnes retombent dans la criminalité après leur départ.

Je dirai que ceux qui suivent nos programmes sont mieux armés pour quitter cet environnement et se fixer dans la communauté, pour faire leur propre travail, parce que, en partant, ils ont d'habitude un emploi rémunérateur, ou du moins, ils sont mieux sensibilisés. Ils ont connu une période de vraie sobriété et, après trois ou six mois, il devient beaucoup plus facile de continuer.

Cela leur donne aussi de l'espoir et de la dignité, ce qui leur permet de continuer. Une partie de la solution que nous offrons consiste à se tenir occupé. C'est aussi d'appartenir à un groupe ou à une culture différente, comme, par exemple, être salarié. Nous leur montrons la valeur de ce mode de vie, la valeur de cette fierté renouvelée, la valeur de la réaction de la communauté à leur égard, de son acceptation, de la volonté sincère de beaucoup de gens, même des employeurs, de travailler avec des personnes qui n'abandonnent pas. Nous sommes en mesure de les placer dans des conditions favorables qui leur permettront de persévérer.

Mais nous ne les suivons que six mois. Après, je ne suis pas vraiment sûr de ce qui leur arrive. Par exemple, mon programme accueille actuellement les petits-enfants de personnes que nous avons reçues dans nos services aux adultes et aux familles, il y a 25 ou 30 ans. Le problème ne se résorbe pas tout seul. Il ne s'en va pas, et les efforts des Canadiens n'ont pas autant de succès, je le crois sincèrement, qu'ils le pourraient. J'ai de l'espoir pour ces personnes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Parmi les détenus qui ont suivi un programme de désintoxication à l'intérieur des murs, quel pourcentage de ceux-ci seront encadrés après leur incarcération?

[Traduction]

M. Verrier : Les programmes seraient efficaces si les gens pouvaient s'y engager honnêtement, et je reviens à ce que je disais sur la culture carcérale.

Dès qu'un détenu s'approche d'un gardien pour seulement lui parler, les autres voient en lui un délateur, un informateur sur la vie carcérale. Alors cette culture carcérale rend difficile la gestion des rapports honnêtes entre des détenus et le personnel correctionnel.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Verrier, je vous remercie pour votre excellent exposé. Vous m'avez fortement impressionné. Votre exposé aussi. En fait, dans le document que vous nous avez communiqué, vous admettez ouvertement avoir été un consommateur de substances opiacées et d'avoir suivi un traitement en établissement en 1986.

Comment vous en êtes-vous sorti?

M. Verrier : J'avais beaucoup de motivations : la peur de croupir en prison, la honte d'avoir sali le nom de ma famille, les torts causés à beaucoup de gens, mais, surtout, l'inscription à un programme qui m'a permis de transformer le toxicomane que j'étais en ce que je voulais devenir, de renouer avec ma famille en restaurant les rapports détruits à cause de ma toxicomanie. Il m'a fallu un travail acharné, de la persévérance. À un moment donné, je suis devenu père, c'est devenu très important pour moi d'être le bon modèle pour mon fils.

Je n'ai pas honte de qui j'étais. J'étais mal parti dans la vie et après un certain nombre d'années, après avoir essayé des substances, après ne pas avoir été heureux dans la vie, je me suis réveillé un jour accroché aux opiacés et mis devant le choix de moisir en prison ou de changer ma vie pour la peine.

Le sénateur McIntyre : Nous avons beaucoup parlé de drogues. Quelle est l'importance de l'activité physique dans nos pénitenciers? Par exemple, les détenus sont-ils désireux de faire de l'exercice? Des programmes encouragent-ils l'activité physique?

M. Verrier : J'imagine que les occasions seraient nombreuses, mais, encore une fois, les endroits où les détenus peuvent s'exercer, les gymnases, les salles de musculation, tout cela est sous l'emprise des gangs et des voyous. La plupart des détenus qui les fréquentent pour être actifs cherchent à développer leurs muscles pour devenir plus imposants et perpétuer le mode de vie qu'ils ont adopté.

L'activité physique pour les toxicomanes fait partie de nos programmes. En fait, elle favorise le sommeil, la santé, y compris la santé mentale, et une saine perception de la vie. Une grande partie de notre programme vise simplement à occuper durablement les gens et à les faire travailler à atteindre un objectif. L'ennui est la première cause de rechute dans la communauté. La toxicomanie est une conséquence de l'ennui.

Le sénateur McIntyre : Voit-on des coureurs chez vous?

M. Verrier : Je n'ai pas connu cette expérience personnellement. Je peux seulement dire que c'est intéressant. Dans les pénitenciers d'Indonésie, l'activité physique est une partie importante de l'emploi du temps du détenu; pourtant, au Canada, d'après ce que me disent des clients qui sont dans le réseau, le détenu peut choisir de passer sa journée dans sa cellule. On ne lui demande pas de travailler. Il peut le faire pour gagner un peu d'argent supplémentaire. Les tentatives de tous de remettre les détenus sur la bonne voie rencontrent beaucoup de résistance.

Le président : J'ai quelques questions pour vous, monsieur Verrier. Hier, j'ai posé celle-ci à Don Head, commissaire au Service correctionnel Canada, et à Catherine Latimer, directrice exécutive de la Société John Howard. Elle m'est inspirée par les anecdotes que j'ai entendues au fil des années. Dans votre mémoire, vous faites allusion à des situations semblables, en parlant de maisons de transition où les pensionnaires ne reviennent qu'après souper, n'ont pas besoin de revenir avant 23 heures, dont on n'exige pas qu'ils travaillent, où il y a peu de comptes à rendre et dont le personnel ferme les yeux sur certaines activités, parce qu'ils veulent que les lits restent occupés. J'ai posé la question à ces témoins, hier, parce que je percevais un conflit possible d'intérêts vu que les organisations sont payées d'après le nombre de lits occupés. M. Head m'a assuré que ces organisations sont tenues, par contrat, de faire rapport au Service correctionnel du Canada ou à la Commission des libérations conditionnelles. Mme Latimer m'a dit la même chose. Je suis curieux de savoir ce que vous savez à cet égard.

Parlez-nous de la différence entre les coûts d'un établissement à 10, 15 ou 20 lits, exploité par un tiers, et un emplacement de taille comparable exploité par votre organisation. Quelle serait-elle?

M. Verrier : Je ne connais pas exactement l'écart entre nos tarifs et ceux d'une maison de transition. Pour un participant adulte à nos programmes, nous demandons 95 $ par jour. À ce que je sache, les maisons de transition demandent de 20 à 30 p. 100 de plus, mais j'ignore les chiffres exacts.

Nous savons cela, parce que nous faisons partie d'une association de maisons de transition dans l'Ouest et que notre directeur le sait plus que quiconque, parce qu'il a des discussions à ce sujet dans ces maisons de transition.

Je ne suis jamais passé par une maison de transition. Je répète simplement ce que nos clients nous ont dit. De même, au fil des années, les médias ont répété que les détenus en liberté conditionnelle commettent des vols et s'adonnent à la toxicomanie sans que ce soit surveillé. En réalité, cette clientèle s'attend à ce que le reste de la population se comporte de façon très honnête et très directe. Nous n'avons pas le droit de lui demander ce que nous ne faisons pas. Elle est à la recherche des manifestations d'hypocrisie dans le système, qu'elle n'hésitera donc pas à signaler quand elle en verra — par exemple le personnel qui ferme les yeux sur le retour de pensionnaires à la maison de transition à 23 heures, en état d'ébriété et qu'il envoie simplement se coucher.

Nous, nous sommes exceptionnellement rigides et nous avons des attentes exceptionnellement élevées à l'égard de nos pensionnaires. Ils s'attendent à ce que nous les modérions, en raison de leur expérience dans d'autres établissements. C'est hors de question. Notre réputation auprès des tribunaux du Manitoba se fonde sur nos méthodes. Nous faisons du travail de réunification des familles dans notre milieu avec des organismes de protection de l'enfance. Ils comptent sur nous pour assurer dans notre milieu une certaine sobriété, pour la sécurité de ces enfants et ainsi de suite.

L'essentiel de mes renseignements provient des clients.

Le président : Monsieur Verrier, je vous remercie. C'est la fin, mais je pense que nous avons tous été impressionnés par votre nouvelle vie, votre contribution à la société et votre témoignage.

Des voix : Bravo!

Le président : Nous vous en sommes très reconnaissants. Bonne chance.

M. Verrier : Je vous en prie. Je suis enchanté. Merci.

Le président : Chers collègues, je vous rappelle que vous serez censés, provisoirement, être convoqués pour mardi prochain, à 10 h 30. Nous verrons ce qui arrivera à la Chambre aujourd'hui et nous le confirmerons. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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