Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 8 - Témoignages du 20 octobre 2014
OTTAWA, le lundi 20 octobre 2014
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte.
Je suis Claudette Tardif, sénatrice de l'Alberta et présidente de ce comité. J'aimerais d'abord inviter mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, du Québec.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, du Québec.
Le sénateur McIntyre : Paul E. McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
La sénatrice Charette-Poulin : Marie-P. Charette-Poulin; je représente le Nord de l'Ontario depuis 1995.
La présidente : Aujourd'hui, nous commençons notre étude du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).
Ce projet de loi prévoit une série de modifications à la Loi sur les langues officielles, afin de mieux encadrer les devoirs du gouvernement à l'égard de la partie IV, qui porte sur les communications avec le public et la prestation de services, et de la partie XI, qui concerne, entre autres, les consultations et les projets de règlement. Le projet de loi introduit la notion de qualité égale des communications et des services offerts par les institutions fédérales dans chacune des langues officielles. Il précise les lieux où les institutions fédérales sont tenues d'offrir des communications et des services dans les deux langues officielles.
Les témoignages que nous entendrons nous permettront d'effectuer une analyse éclairée de ce projet de loi. Notre témoin, aujourd'hui — et notre premier témoin —, est la marraine du projet de loi au Sénat, l'honorable Maria Chaput, sénatrice du Manitoba et également membre du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Elle est accompagnée de son conseiller politique, M. Vrouyr Makalian. J'invite la sénatrice à faire sa présentation et, ensuite, les sénateurs pourront lui poser des questions.
L'honorable Maria Chaput, marraine du projet de loi : Honorables sénateurs et chers collègues, c'est un grand plaisir pour moi de vous présenter, aujourd'hui, à titre de marraine, le projet de loi S-205. Je suis accompagnée de M. Vrouyr Makalian, mon conseiller politique et législatif depuis maintenant plus de trois ans.
Le projet de loi S-205 est le troisième projet de loi que j'ai déposé qui vise à moderniser la partie IV de la Loi sur les langues officielles, et le premier qui se rend à l'étape de l'étude en comité. Je remercie très sincèrement le comité et sa présidente pour l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui et pour laquelle je suis très reconnaissante.
Je tiens à vous expliquer la portée exacte du projet de loi S-205. Il vise à mettre à jour une partie de la Loi sur les langues officielles, la partie IV, qui ne répond plus aux réalités des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ces communautés font face à des défis particuliers et distincts. Dans le cas des communautés francophones et acadiennes à l'extérieur du Québec, le défi principal est le maintien et la transmission de la langue.
Quant aux communautés anglophones du Québec, le défi est plutôt le maintien et l'épanouissement de leur vitalité institutionnelle. Les données les plus complètes qui nous ont été communiquées par le Conseil du Trésor indiquent qu'il y avait au Canada, en 2008, 11 602 bureaux fédéraux. Or, 3 410 de ces bureaux étaient tenus d'offrir des services dans les deux langues officielles, soit 29,4 p. 100; 820 de ces bureaux se trouvaient au Québec, où plus de 35 p. 100 des bureaux sont désignés bilingues au Québec et offrent donc aussi des services en anglais. Dans les autres provinces du Canada, ce sont environ 27 p. 100 des bureaux qui sont désignés bilingues et qui offrent donc des services en français.
Les fermetures de bureaux fédéraux, entre 2008 et 2013, ont eu un impact également sur le nombre de bureaux bilingues. En fait, 40 p. 100 des 1 256 bureaux fédéraux fermés étaient désignés bilingues. Il y a donc, aujourd'hui, seulement 2 911 bureaux partout au Canada qui sont désignés bilingues, soit 28,14 p. 100. La partie IV de la Loi sur les langues officielles garantit aux citoyens l'accès aux services fédéraux dans la langue officielle de leur choix. Le Règlement sur les langues officielles détermine l'application de la partie IV. Or, ce régime n'a pas été modifié depuis plus de 20 ans.
En vertu du règlement, les services fédéraux devraient être offerts dans la langue officielle minoritaire, là où il existe une demande importante. Sous le régime actuel, on calcule la demande importante en utilisant le critère de la première langue officielle parlée. Ce critère est trop restreint et ne permet pas de prendre en compte tous les francophones qui vivent dans une région majoritairement anglophone. Ceci s'explique surtout par l'exogamie, c'est-à-dire la formation de familles entre des personnes francophones et anglophones. De nombreux enfants issus de familles exogames ont tendance, le plus souvent, à parler anglais à la maison, parce que l'un de leurs parents ne parle pas le français. Ces enfants sont considérés comme anglophones en vertu de la loi, et ce, même s'ils fréquentent l'école française et participent activement à la vie communautaire. Nombre d'immigrants qui parlent les deux langues officielles seront souvent considérés comme étant exclusivement anglophones, même s'ils sont des membres actifs de la communauté francophone.
Les élèves issus des écoles d'immersion, qui fréquentent ensuite nos collèges et universités et deviennent des leaders de nos communautés, sont, eux aussi, très rarement considérés comme étant francophones en vertu de la première langue officielle parlée et sont rarement intégrés à nos statistiques. Pourtant, 60 p. 100 des étudiants du Campus Saint- Jean de l'Université d'Alberta sont issus des programmes d'immersion.
À l'Université de Saint-Boniface, au Manitoba, près de 20 p. 100 des étudiants inscrits cette année sont aussi issus des programmes d'immersion. Il s'agit d'une difficulté qui a été reconnue par la Cour suprême dans l'arrêt Beaulac, en 1999. La Cour explique qu'une méthode simple et statistique ne convient pas, et je cite :
[...] parce qu'elle n'offre pas de solution pour de nombreuses situations possibles dans une société multiculturelle et ne répond pas au fait que la langue n'est pas une caractéristique statique.
La Loi sur les langues officielles stipule que, pour établir le règlement d'application de la partie IV concernant la demande importante, le gouvernement peut considérer la spécificité de la minorité et la proportion que celle-ci représente par rapport à la population totale de cette région. Ce que le gouvernement a choisi de faire dans le règlement actuel, c'est d'ignorer la spécificité de la minorité et de prendre en compte plutôt la proportion que la communauté représente par rapport à la population totale.
Les communautés de langue officielle ne sont pas en voie de disparition; elles font certainement face à des défis de taille, et l'assimilation linguistique est toujours un réel danger. Or, ce qu'on remarque en observant les statistiques de plus près, c'est qu'il y a, compte tenu du régime actuel de la Loi sur les langues officielles, des lacunes institutionnelles qui favorisent un déclin plutôt qu'une revitalisation. Il y a donc, présentement, au niveau fédéral, un système qui contribue à l'assimilation.
Parlons des chiffres tels qu'ils sont utilisés par le gouvernement actuellement. En 2006, on comptait 997 125 personnes à l'extérieur du Québec qui avaient le français comme première langue officielle parlée. À la suite du recensement national de 2011, on en compte maintenant au-delà d'un million, donc 10 000 personnes de plus. C'est une augmentation qui progresse lentement, mais certainement pas une régression. Ce que l'on constate, par contre, c'est que si, en 2006, ces personnes formaient 4,2 p. 100 de la population, elles n'en forment aujourd'hui que 4 p. 100. Puisque les communautés francophones grandissent moins vite, leur taille relative diminue. Selon Statistique Canada, la raison principale de cette situation est l'immigration. Puisque le régime d'immigration ne favorise pas l'immigration francophone au même titre que l'immigration anglophone, la taille relative de la communauté francophone se voit diminuer.
Cette réalité s'explique par les cibles que fixe le gouvernement fédéral pour l'immigration francophone à l'extérieur du Québec; seulement 2 p. 100 des immigrants qui s'établissent à l'extérieur du Québec sont francophones. C'est beaucoup moins que le pourcentage que représentent les communautés francophones à l'extérieur du Québec. Donc, forcément, leur taille relative diminue. Comme l'a dit tout récemment le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, ce n'est pas parce que la majorité grandit plus vite que la minorité que cette dernière devrait perdre des droits et des services.
Ce n'est pas seulement l'assimilation que ces communautés doivent vaincre, mais aussi des facteurs qui sont entièrement hors de leur portée. Entre-temps, les services sont coupés. Nous savons que plus d'une centaine de bureaux ont perdu leur désignation bilingue à la suite du dernier recensement de 2001. D'autres bureaux, il faut le noter, ont acquis une désignation bilingue à la suite de ce même exercice. Comme l'expliquait un rapport de 2005 du commissaire aux langues officielles, ce qu'il faut évaluer, c'est l'importance des bureaux qui ont perdu leur désignation bilingue. À la suite de l'exercice de 2001, les institutions dont les bureaux ont perdu leurs obligations de communiquer et de fournir leurs services dans l'une ou l'autre langue officielle sont celles qui ont le plus de contacts avec le public : la Société canadienne des postes, 64 bureaux; la Gendarmerie royale du Canada, 17 bureaux; Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 7 bureaux; l'Agence canadienne d'inspection des aliments, 6 bureaux; Financement Agricole Canada, 3 bureaux.
Enfin, il importe de souligner la perte importante de bureaux désignés bilingues de certaines provinces : Terre- Neuve-et-Labrador, perte nette de quatre bureaux; Manitoba, perte nette de sept bureaux; Saskatchewan, perte nette de trois bureaux.
Selon les statistiques préliminaires que nous avons obtenues par l'entremise de la Loi sur l'accès à l'information, il y a eu, jusqu'à maintenant, perte nette de la désignation bilingue de 12 bureaux à la suite de l'exercice de recensement de 2011. Ces pertes se font ressentir dans les provinces majoritairement anglophones, car, au Québec, le nombre de bureaux désignés bilingues ne change pas.
Dans son document interne, le Conseil du Trésor affirme que ce n'est pas une perte catastrophique. Avec respect, je ne crois pas qu'il faille attendre une catastrophe avant de corriger une situation. C'est l'érosion tranquille qui continue. Pourtant, comme je l'ai expliqué, les communautés ne sont pas plus petites. Si le gouvernement a l'obligation d'encourager l'épanouissement de ces communautés, comment peut-il justifier le fait de couper des services sur la base d'un calcul complètement déconnecté de la réalité des communautés?
Face à cette problématique sérieuse, le projet de loi S-205 ne propose pas de tout refaire. Le projet de loi propose de simplifier les choses. Pour calculer la taille de la minorité de langue officielle, le projet de loi S-205 propose de prendre en considération le nombre de personnes pouvant communiquer dans la langue officielle. Au Manitoba, la taille de la population francophone ne serait pas de 41 365 personnes, mais bien de 104 360 personnes. Cette nouvelle approche permet d'inclure tous les membres des communautés qui se servent des deux langues officielles régulièrement et qui sont présentement exclus des calculs du gouvernement. Cette approche reflète mieux la réalité des communautés.
Le projet de loi S-205 propose aussi de prendre en compte, comme il est déjà suggéré dans la Loi sur les langues officielles, la spécificité et la vitalité institutionnelle des communautés de langue officielle. Tout le monde reconnaît que la réalité des communautés n'est plus celle qu'elle était il y a 10, 20 ou 30 ans. Ainsi, pourquoi ne pas recentrer le processus sur les communautés?
La Loi sur les langues officielles s'applique aux communautés anglophones et francophones. Ces communautés, lorsqu'elles se retrouvent en situation minoritaire, ont des défis complètement différents. Les anglophones du Québec ne perdront jamais leur langue. C'est la perte de leur identité et de leurs institutions communautaires qui les inquiète. Il faut les consulter afin de connaître leurs besoins et leur réalité. C'est exactement pour cette raison que le projet de loi met l'emphase sur la spécificité et la vitalité institutionnelle des communautés. Si on est d'accord avec le fait que les communautés ont des besoins différents — et tout le monde s'entend sur ce point —, on ne peut se borner à appliquer les mêmes calculs statistiques et s'attendre à des résultats miraculeux. En ce sens, le projet de loi S-205 propose une approche plus fidèle au principe de l'égalité réelle, principe qui découle de la jurisprudence de la Cour suprême.
Le projet de loi prévoit la publication d'un préavis quand le gouvernement décide de couper des services qui touchent les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ces services jouent un rôle doublement important pour les communautés, et celles-ci ont le droit d'être prévenues de leur disparition. Le projet de loi S-205 prévoit aussi une révision obligatoire du règlement tous les 10 ans.
J'ajoute quelques mots sur le dernier élément de ce projet de loi. Le projet de loi S-205 rendrait bilingues les principaux centres de transport. Il faut souligner, ici, que la grande majorité de ces centres le sont déjà, y compris 15 aéroports et 16 gares ferroviaires. Il n'y a que cinq aéroports et trois gares ferroviaires qui seraient affectés par cet élément du projet de loi. Une telle mesure reflète la prise d'un engagement solide envers la dualité linguistique au Canada. Je crois, en toute sincérité, que cet élément du projet de loi est un élément accessoire, un symbole.
Je ne vais pas m'éterniser sur les fondements juridiques et constitutionnels du projet de loi S-205. D'autres témoins juristes éminents en parleront plus longuement. Je suis toutefois convaincue que le régime actuel, s'il est maintenu, sera un jour contesté devant les tribunaux et que les contestataires auront gain de cause. Pourquoi faudrait-il encore une fois s'adresser aux tribunaux pour obtenir le respect de nos droits? Le Canada ne peut-il pas faire mieux? Je crois que oui.
Je tiens à préciser que le projet de loi S-205 ne propose pas une révolution. Sa portée est plus limitée. Le projet de loi S-205 ne crée pas de nouvelle demande. Cela est un argument fallacieux. Ce sont quand même 28 p. 100 des bureaux fédéraux au Canada qui sont désignés bilingues. Les ressources sont là. Pourquoi refuser de les réorganiser afin d'en arriver à de meilleurs résultats?
Que signifie tout cela en termes de coûts? Le gouvernement devra nécessairement revoir sa réglementation afin qu'elle soit conforme aux nouveaux principes que propose le projet de loi S-205. Comme tous les autres projets de loi, il y aura un coût associé à cet exercice.
Honorables sénateurs, vous reconnaîtrez qu'il est impossible pour moi, à titre de sénatrice non affiliée au parti au pouvoir, d'obtenir une analyse des coûts. Il y avait aussi une directive au sein du gouvernement de ne pas me parler. J'ai donc dû procéder par le truchement de la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir des bribes d'information. Nous avons déposé plus de 15 demandes d'accès à l'information, et j'ai déposé des questions écrites au Sénat afin d'obtenir des réponses. Je n'ai jamais réussi à obtenir des rencontres avec les députés conservateurs du gouvernement. À la suite de la participation de certains de mes collègues conservateurs au Sénat, j'ai eu des rencontres que je qualifierais de courtoises avec les fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor, en la présence du directeur des affaires parlementaires du cabinet du ministre. J'ai aussi rencontré une fois le ministre Clement avant le dépôt du projet de loi S-211. Il reconnaissait l'importance de la question de la demande importante. Par ailleurs, son cabinet nous a informés que la meilleure façon d'étudier l'impact du projet de loi serait de le déposer.
Le gouvernement lui-même, malgré toutes les ressources à sa disposition, présente souvent des projets de loi sans effectuer d'analyse détaillée des coûts. Le but du projet de loi S-205 n'a jamais été et n'est pas de dépenser plus d'argent, mais bien de dépenser l'argent de manière plus efficace. Le projet de loi se base sur des données puisées dans le recensement décennal de Statistique Canada. Il propose une amélioration aux mécanismes existants.
Il ne faut pas oublier non plus qu'il est possible de viser une réforme graduelle. Le cabinet du président du Conseil du Trésor avait parlé d'un échéancier de trois à cinq ans. Je suis entièrement ouverte à cette idée. De plus, la date d'entrée en vigueur peut être fixée par décret, comme ce fut le cas pour d'autres projets de loi, et même pour certaines sections de projets de loi, comme le projet de loi C-45, tout récemment. Le but est d'instaurer un système plus efficace. Il serait raisonnable de l'adapter au prochain exercice de recensement, soit celui qui aura lieu en 2021. L'exercice d'application du recensement de 2011 tire à sa fin, et on ne souhaite pas tout refaire.
Dans le cadre de conversations que j'ai eues avec d'anciens fonctionnaires, puisque les fonctionnaires en service n'ont pas le droit de me parler, un consensus très clair se dégageait. Il est tout à fait possible de moderniser la partie IV sans bouleverser le système. Il y a même une volonté de le faire au sein de la fonction publique. Ce qu'il faut, c'est une réorganisation et non un grand bouleversement. Pour ce faire, il faut du leadership et de la volonté politique.
Je vous remercie de votre attention. Je serai maintenant heureuse de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, sénatrice Chaput. Nous passerons maintenant aux questions. Sénatrice Fortin- Duplessis, vous pouvez poser la première question.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Sénatrice Chaput, j'aimerais tout d'abord vous féliciter et vous remercier de votre présentation. Je sais que vous avez planché sur ce projet de loi depuis un certain temps. Je tiens à vous dire que je vous admire. Vous avez fait preuve de beaucoup de persévérance et de ténacité.
La sénatrice Chaput : Merci.
La sénatrice Fortin-Duplessis : En 2014, le Secrétariat du Conseil du Trésor a adopté de nouveaux instruments de politique sur les langues officielles, mesures positives mises de l'avant afin de veiller à ce que les institutions offrent leurs services au public de manière efficace et pour assurer la gestion cohérente des obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.
À la lumière du fait que ces nouveaux instruments tiennent compte de nouvelles réalités, telles que les médias sociaux et le jugement de la Cour suprême dans l'affaire DesRochers, quel lien faites-vous entre ces nouvelles mesures et le projet de loi que vous avez déposé?
La sénatrice Chaput : En réalité, sénatrice, ce sont de bonnes mesures, mais elles ne vont pas en profondeur. Quand la base n'a pas été retouchée, quand on part avec une prémisse qui n'inclut pas tout ce qui devrait être inclus, les mesures peuvent être très bonnes, mais elles ne s'appuient pas sur un fondement solide.
C'est la raison pour laquelle le projet de loi recommande de modifier le règlement et d'y ajouter de nouvelles définitions, afin que les nouvelles mesures puissent, justement, reposer sur une base solide qui reflète la réalité du Canada. Parce que le visage des communautés de langue officielle a changé. Il y a eu l'urbanisation, l'exogamie, et il y a maintenant tous les nouveaux arrivants originaires d'autres pays, dont la langue première n'est pas le français.
Tant qu'on n'aura pas pris en considération la définition de ce qu'est la francophonie canadienne et de ce qu'est la vitalité linguistique des communautés de langue officielle en situation minoritaire, on peut proposer de très bons changements, mais, comme je l'ai dit plus tôt, ils ne s'inspireront pas de la réalité.
La sénatrice Fortin-Duplessis : L'article 5 du projet de loi S-205 ajoute deux critères obligatoires permettant de déterminer les circonstances selon lesquelles les institutions fédérales sont tenues d'offrir des services et des communications bilingues. Premièrement, le nombre de personnes pouvant communiquer dans la langue de la population de la minorité francophone ou anglophone et, deuxièmement, la spécificité de cette population, notamment sa vitalité institutionnelle.
Ce concept n'apparaît-il pas déjà à l'article 24 de la Loi sur les langues officielles? De plus, pouvez-vous nous donner des exemples de communautés qui bénéficieraient de l'inclusion de tels critères qualitatifs dans le processus de désignation des obligations linguistiques des bureaux fédéraux?
La sénatrice Chaput : Je vais d'abord répondre au premier volet de votre question. En effet, il est vrai qu'on parle déjà de la spécificité de la communauté dans la Loi sur les langues officielles. Ce que nous visons à accomplir avec ce projet de loi, c'est de définir ce qu'est la spécificité de la communauté à l'aide des termes « vitalité institutionnelle ». On a donc déjà défini un peu plus clairement ce que signifie la spécificité de la communauté.
Lorsqu'on incorporera la vitalité institutionnelle, par règlement, en consultation avec les communautés, ce sera toujours le gouvernement qui préparera la définition de la vitalité institutionnelle qui sera insérée au règlement. Il faut aussi reconnaître le fait que Patrimoine canadien utilise déjà une définition de la vitalité institutionnelle des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Le gouvernement pourra s'en inspirer pour clarifier davantage ce que cela signifie. Par ailleurs, la raison pour laquelle nous avons inclus la définition dans le projet de loi, c'est pour clarifier la notion de la spécificité de la communauté.
Quelle était la deuxième partie de votre question?
La sénatrice Fortin-Duplessis : Pouvez-vous nous donner des exemples de communautés qui bénéficieraient de l'inclusion de tels critères qualitatifs dans le processus de désignation des obligations linguistiques des bureaux fédéraux?
La sénatrice Chaput : Les communautés francophones en milieu minoritaire bénéficieraient davantage de la nouvelle situation de la francophonie. Notamment, les communautés qui vivent dans des milieux majoritairement anglophones sont toujours inquiètes de la perte de la langue française. Elles bénéficieraient aussi de la vitalité institutionnelle, parce qu'elles se sont donné des institutions.
Prenez l'exemple d'une école française qui existe déjà. Vous pourriez alors offrir des services de santé en français, parce qu'il y a déjà un noyau de la francophonie. Si les institutions fédérales offraient aussi des services en français, ce serait un ajout supplémentaire à la vie en français dans cette communauté. Plus on offre des services en français, plus on peut vivre en français dans un milieu majoritairement anglophone.
En ce qui concerne les anglophones du Québec, qui représentent aussi une communauté de langue officielle en situation minoritaire, ils ne perdront pas leur langue, puisque l'anglais est la langue universelle. Toutefois, il est très important que la vitalité institutionnelle des anglophones du Québec soit reconnue, car ils se sont donné des écoles et des centres communautaires. Ils ont déjà leur réseau d'institutions et ils aimeraient être reconnus dans leur développement comme communauté de langue officielle en situation minoritaire.
Vrouyr Makalian, conseiller en politiques, Bureau de la sénatrice Chaput : En ce qui concerne la première question, tout d'abord, il est vrai que, dans la loi, on parle de la spécificité des communautés. Cependant, la loi stipule que le gouvernement « peut » considérer la spécificité dans l'application du règlement.
Dans le règlement qui a été mis en vigueur en 1992, le gouvernement a choisi de faire fi de ce critère. Lors de la préparation du règlement, le gouvernement avait l'option de considérer la spécificité, mais il a décidé d'adopter plutôt des termes quantitatifs, c'est-à-dire le pourcentage.
Ainsi, l'objectif du projet de loi est de mettre en œuvre ce que le gouvernement avait cru être une bonne idée, soit de prendre en considération la spécificité, et 20 ans plus tard, de la rendre obligatoire. Le gouvernement serait maintenant tenu de le faire, alors que, auparavant, il avait simplement le droit de le faire.
Finalement, en ce qui a trait aux communautés qui seraient avantagées par la reconnaissance de la vitalité institutionnelle, on pourrait vous référer au rapport de l'analyste du comité, Mme Marie-Ève Hudon, qui traite de la réglementation des langues officielles et des services offerts aux communautés francophones. Elle y dresse une liste d'une trentaine de communautés francophones, là où il y a des écoles et où les provinces offrent des services en français, mais dans lesquelles le gouvernement, en raison des nombres, décide de ne pas le faire.
Il s'agit d'une situation bizarre dans laquelle les provinces reconnaissent les organismes établis, mais où le gouvernement fédéral n'offre pas de services en français. On peut, bien sûr, vous transmettre l'information également.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup à tous les deux. Merci, madame la présidente.
La sénatrice Charette-Poulin : J'endosse ma collègue, la sénatrice Fortin-Duplessis, qui vous a félicitée, sénatrice Chaput, pour le travail que vous avez accompli dans le cadre de la préparation de ce projet de loi. On sait à quel point la recherche et l'attention exigées sont considérables lors de la préparation d'un tel projet de loi.
J'aimerais reculer d'un pas si vous me le permettez. Les changements proposés à la loi actuelle sur les langues officielles vont-ils apporter des changements dans la vie socioéconomique et culturelle des communautés de langue officielle en situation minoritaires au Canada?
La sénatrice Chaput : Votre question est très vaste, mais je vais tâcher d'y répondre. L'intention de ce projet de loi est d'apporter des changements, justement, sur le plan de ce que vous appelez la vitalité linguistique socioculturelle des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Dans un premier temps, ces communautés aiment pouvoir être inclusives. Lorsqu'on est déjà peu nombreux et qu'on sait que les statistiques n'incluent pas plusieurs des membres de nos familles — mariages mixtes, ayants droit, immigrants —, il s'agit là d'une exclusion plutôt que d'une inclusion.
Des immigrants et des francophiles m'ont déjà dit qu'ils voulaient faire partie de cette communauté. Un président d'une association m'a dit ne pas être comptabilisé comme francophone. Le fait d'inclure plutôt que d'exclure est un aspect.
Deuxièmement, en partant de la réalité de ce qu'est le Canada, en garantissant des services aux minorités de langues officielles, en déterminant si l'offre est là ou non; si elle demeure, est enlevée ou est réduite, en déterminant les offres de service sur une base réaliste et qui respecte ce que nous sommes, il ne fait aucun doute que nous pourrons arrêter l'actuelle érosion des services.
Avoir des écoles françaises et des services en français offerts par les provinces n'est pas suffisant. Nous avons toujours besoin des services des ministères fédéraux également. Quand il y a de la vitalité dans une communauté, une école, une province qui offre des services en français, mais que les bureaux fédéraux retirent la désignation bilingue ou n'offre pas de services, cela nuit.
Il y a déjà des exceptions dans la Loi sur les langues officielles, mais on ajoute une autre exception liée à la réalité. Je demanderai à M. Makalian d'expliquer les retombées économiques importantes pour les communautés.
M. Makalian : À l'article 24, la Loi sur les langues officielles offre déjà des exceptions là où le gouvernement ne serait pas tenu de tenir compte des chiffres. Donc, dans les cas où la vocation du bureau concerne la santé ou la sécurité publique, on dit qu'on ne tiendra pas compte des chiffres. On ajoute une exception; le gouvernement en reconnaît déjà certaines. Là où les services offerts par le bureau fédéral comportent des retombées économiques majeures pour les communautés, le gouvernement aurait la possibilité de faire fi des nombres. Par exemple, il pourrait décider que, même si on tombe sous le seuil des 5 000, le service offert en matière d'investissement communautaire en soutien aux petites et moyennes entreprises vaudrait la peine s'être conservé, car les retombées économiques sur cette communauté francophone dans telle province, ou sur une communauté anglophone au Québec seront très importantes. C'est une exception supplémentaire et qui devrait être équivalente aux autres, selon nous.
La sénatrice Charette-Poulin : J'apprécie vos explications, surtout en ce qui concerne les changements dans la définition des communautés minoritaires au pays, les changements sociaux que nous avons connus qui ne sont pas reflétés par les données statistiques auxquelles nous avons accès.
J'ai reçu énormément de commentaires d'une communauté du Nord de l'Ontario concernant l'importance de votre projet de loi. Pourriez-vous nous parler des groupes ou des personnes qui ont publiquement appuyé le projet de loi?
La sénatrice Chaput : Je vous remercie de cette question, sénatrice. Ce projet de loi est basé sur la consultation. Il est vrai que, déjà, lors de ma nomination au Sénat en 2002, j'avais cette préoccupation. Depuis, j'ai entrepris des consultations à titre formel. J'ai commencé dans ma province où j'ai regroupé les leaders. Ensuite, il y a eu des consultations nationales avec les représentants de toutes les associations et des groupes qui représentent les communautés francophones et acadienne du Canada, ainsi que les anglophones du Québec.
Je les ai rencontrés chaque année pour faire le suivi de ce dossier, et je les consultais pour m'assurer que c'était encore ce dont nous avions besoin et ce que nous voulions. Je suis allée rencontrer des professeurs et des étudiants dans des écoles pour connaître leurs préoccupations et leurs clientèles afin que le projet de loi S-205 représente vraiment la réalité canadienne. J'ai reçu au-delà d'une douzaine de lettres et de communiqués appuyant l'initiative. On m'a aussi affirmé que, si j'en voulais davantage, je n'avais qu'à téléphoner pour qu'on m'en fasse parvenir d'autres. La FCFA, le commissaire aux langues officielles et la province du Manitoba l'appuient. D'ailleurs, le premier ministre du gouvernement provincial du Manitoba m'a envoyé une belle lettre d'appui pour le projet de loi S-205. Comme vous le savez, au Manitoba, nous avons un gouvernement néo-démocrate qui reconnaît le travail qui a été fait et qui étudiera aussi une nouvelle définition pour la francophonie manitobaine. En outre, j'ai reçu l'appui de Mme Meilleur, ministre déléguée aux Affaires francophones en Ontario. Elle a redéfini, elle aussi, la francophonie ontarienne par l'entremise d'un projet de loi. Tout est basé sur une consultation.
La semaine dernière encore, j'ai assisté à une rencontre nationale avec l'association des conseils des écoles francophones du Canada et avec laquelle nous avons discuté du projet de loi S-205. Elle nous appuie, ainsi que tous les francophones et Acadiens du Canada.
La sénatrice Charette-Poulin : Madame la présidente, aurons-nous l'occasion d'entendre des témoins concernant ce projet de loi?
La présidente : Oui, plusieurs témoins sont prévus.
La sénatrice Chaput : Le consensus, c'est que le calcul de la demande importante comporte des lacunes et qu'il faut y remédier. C'est l'âme du projet de loi. Les communautés le savent. Le président du Conseil du Trésor l'a reconnu lorsque nous l'avons rencontré à son bureau, et certains de mes collègues conservateurs le reconnaissent également. Alors, je me dis qu'il est temps d'y remédier.
La sénatrice Charette-Poulin : Merci, sénatrice.
La présidente : Sénatrice Seidman?
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Je vous remercie infiniment de votre présentation, madame la sénatrice.
Je crois fermement que tout le monde reconnaît que la Loi sur les langues officielles est importante afin de protéger et préserver les droits linguistiques des Canadiens, tant anglophones que francophones. En fait, vous dites dans votre exposé que votre projet de loi a pour objectif de mettre à jour la partie IV de cette loi, qui ne répond plus aux besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire. C'est toute une déclaration, et toute une tâche puisque la Loi sur les langues officielles est la pierre d'assise de notre pays à bien des égards. Si nous examinons ce qui s'est passé au Canada depuis l'adoption de la loi, nous constatons que le texte a subi 14 modifications. Or, toutes ces modifications étaient des initiatives gouvernementales ayant reçu l'appui de tous les partis, puisqu'un consensus avait été dégagé à l'avance.
Je ne veux pas tomber dans la partisanerie, car la Loi sur les langues officielles transcende vraiment les partis et touche l'ensemble des Canadiens. Cependant, étant donné l'énormité de la tâche et les défis importants entourant la mise en application des dispositions dans tous les ministères, pourquoi avez-vous choisi de présenter ces mesures sous forme de projet de loi d'initiative parlementaire?
[Français]
La sénatrice Chaput : Comme je l'ai dit tout à l'heure, cette préoccupation était importante au Manitoba et, lors de ma nomination au Sénat, j'en ai discuté avec plusieurs personnes qui avaient beaucoup plus d'expérience que moi. Le sénateur Gauthier, qui était mon mentor, est arrivé à faire modifier la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Même si je vois que cela peut faire une différence, je reconnais, maintenant, qu'il s'agit d'un projet de loi proposé par une sénatrice, qui émane du Sénat. Je reconnais aussi que c'est un projet de loi qui émane d'une personne qui ne fait pas partie du pouvoir. Mais le fait demeure que, ayant cette préoccupation, ayant vérifié, ayant consulté et ayant vu que le besoin était là et qu'il fallait faire quelque chose, j'ai donc décidé, contre vents et marées, de déposer le projet de loi, sachant très bien qu'il serait très difficile de le faire adopter, parce que je suis sénatrice et parce que je ne suis pas du parti au pouvoir.
Tout le monde reconnaît le problème, sénatrice. À un moment donné, quelqu'un doit faire quelque chose. Ce que j'apprécie vraiment, aujourd'hui, c'est de commencer le débat public, de recevoir des témoins et de leur poser des questions. Je me dis que, un jour, si ce projet de loi n'est pas adopté au Sénat ni à la Chambre des communes, il reviendra; il reviendra peut-être de l'autre endroit, mais il reviendra, parce que c'est trop important. Il faut faire le changement.
La présidente : Avez-vous d'autres questions, sénatrice Seidman?
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Je comprends très bien ce que vous dites. Mais comme je l'ai mentionné, compte tenu de l'énormité des dispositions que vous proposez et des défis importants que représente leur mise en œuvre, des fonds qui seront nécessaires, et du fait que les 14 modifications apportées à la Loi sur les langues officielles au fil des ans découlaient de projets de loi d'initiative ministérielle à la Chambre... Je crois qu'il y a eu un projet de loi sénatorial, mais il émanait d'un sénateur libéral à une époque où les libéraux étaient au pouvoir. Il s'agissait donc d'une initiative gouvernementale émanant du Sénat.
Lorsque j'examine la situation et constate le défi qui se présente ainsi que l'importance de la tâche, je me demande : pourquoi ne pas établir un consensus, comme on l'a fait par le passé? Je suis persuadée que toutes les modifications qui ont été apportées dans le passé, même dans le projet de loi sénatorial, étaient considérées comme indispensables et nécessaires à ce moment. Le fait est qu'il s'agissait de projets de loi d'initiative ministérielle pour une raison, j'imagine, à savoir que de nouveaux fonds étaient nécessaires à la mise en œuvre des dispositions dans l'ensemble des ministères.
La mise en œuvre de dispositions semblables représente un défi énorme. Je ne dis pas qu'elles ne sont pas importantes, loin de là : c'est extrêmement important. Mais j'essaie de comprendre pourquoi vous avez décidé de passer à l'action au moyen d'un projet de loi d'initiative parlementaire. J'en reviens à la même question.
[Français]
La sénatrice Chaput : Le projet de loi S-205 ne propose pas une refonte de la Loi sur les langues officielles. Il ne cherche pas non plus à corriger tous les problèmes que vivent les communautés de langue officielle. Ce ne sont que des modifications à certaines définitions que l'on retrouve à la partie IV, uniquement la partie IV et certaines dispositions. Cela ne touche pas le reste du projet de loi. À mon avis, ces modifications sont beaucoup plus restreintes que si on apportait des modifications plus évidentes à la Loi sur les langues officielles.
Rétrospectivement, comme je suis une personne qui a toujours travaillé avec les communautés, ce que j'ai fait, tout d'abord, c'est que j'ai bâti un consensus avec les communautés partout au Canada. Je voulais m'assurer qu'il ne s'agissait pas uniquement de mon inquiétude, de ma réalité au Manitoba, mais de la réalité de toutes les communautés au Canada.
Après avoir bâti ce consensus, après avoir été convaincue que c'était la réalité que vivaient toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire, j'ai essayé d'obtenir un consensus avec le parti au pouvoir. J'ai essayé. J'ai fait tout ce que j'ai pu, au meilleur de mes connaissances, mais je n'y suis pas arrivée. Voilà la réalité.
Le sénateur McIntyre : Félicitations pour votre présentation, sénatrice Chaput, et pour tout le travail accompli dans le cadre de ce projet de loi.
La partie IV de la Loi sur les langues officielles porte sur les services destinés au public. La partie VII porte sur le développement des communautés de langue officielle en milieu minoritaire. Si j'ai bien compris, l'un des principaux objectifs du projet de loi S-205 consiste à mieux établir le lien entre la partie IV et la partie VII.
Selon vous, est-ce que ce lien devrait également s'étendre aux parties V, VI et VII de la Loi sur les langues officielles?
La sénatrice Chaput : Si je peux me le permettre, le projet de loi S-205 ne touche aucunement la partie VII.
Le sénateur McIntyre : Je comprends.
La sénatrice Chaput : Il ne modernise que la partie IV. Il n'y a aucun doute que tous les articles d'une même loi ont un effet les uns sur les autres. Mais le projet de loi S-205 ne modernise que la partie IV.
Maintenant, que ce soit les parties IV, VII ou autres, ces articles s'inscrivent dans le même esprit qui est celui de la Loi sur les langues officielles, qui donne au gouvernement fédéral l'obligation d'encourager l'épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Le sénateur McIntyre : Mais, pour le moment, il se limite aux liens entre les parties IV et VII de la Loi sur les langues officielles?
La sénatrice Chaput : M. Makalian pourrait l'expliquer mieux que moi.
M. Makalian : C'est vrai, dans un sens, quand on parle d'« épanouissement des communautés », qu'il y a une ressemblance dans le vocabulaire, mais ce vocabulaire ne découle pas de la partie VII; il découle plutôt de la jurisprudence de la Cour suprême concernant les services au public.
Même s'il n'y avait pas eu l'ajout de la partie VII, si on n'avait pas inclus les mesures positives, par exemple, si cet amendement n'avait pas eu lieu, la définition proposée est une définition qui tient compte de la jurisprudence de la Cour suprême concernant les communications et les services au public.
Le sénateur McIntyre : J'aurais une autre question. L'article 1 du projet de loi S-205 ajoute la définition du terme « région métropolitaine », dans le but d'assurer une conformité avec les modifications proposées à l'article 2. D'où provient cette définition?
La sénatrice Chaput : Nous nous sommes servis de la définition utilisée par Statistique Canada, qui existe présentement. C'est la même.
Le sénateur Maltais : Il ne reste pas beaucoup de temps et la sénatrice Poirier a des questions.
Madame la présidente, j'ai une série de questions que je ne peux pas poser en cinq minutes. Ce serait un travail bâclé. Il y a d'anciennes enseignantes ici qui me disputeraient. Si elle est d'accord, je me demandais si la sénatrice Chaput pourrait comparaître de nouveau devant le comité.
Sénatrice Chaput, c'est avec beaucoup de respect que je m'adresse à vous. Le travail que vous faites, je le connais depuis quelques années. N'étant pas un spécialiste de la langue, mais après avoir vécu ce que j'ai vécu au Québec dans un autre Parlement, j'ai une légère expérience de la langue, et je sais que le travail que vous faites est parfois ingrat et difficile, mais ce sont vos fibres qui vibrent en vous-même qui vous font faire cet effort, et vous avez tout mon respect pour cela.
Madame la présidente, lorsqu'on parle de la minorité — et la sénatrice a bien voulu l'indiquer dans son mémoire de présentation —, j'aurais aimé entendre la sénatrice Charette-Poulin sur la situation dans le Nord de l'Ontario. J'aurais aimé entendre la sénatrice Poirier, sur la situation au Nouveau-Brunswick.
J'aurais aimé entendre ma collègue, la sénatrice Seidman, pour comprendre comment les lois québécoises sont perçues du côté anglophone. Lorsqu'on touche à la langue, on touche au cœur des individus, peu importe la langue qu'ils parlent. Au Canada français, y compris au Québec et dans l'ensemble du Canada, c'est une lutte qui dure depuis plusieurs siècles. Cela fait vibrer encore plus les gens.
Je vais me limiter à une question dans l'espoir que vous allez revenir nous voir.
La présidente : Sénateur, nous n'avons pas de limite de temps. Alors, ce soir, vous pouvez prendre le temps que vous voulez. Si la sénatrice Chaput est disponible, nous pouvons prendre le temps.
Le sénateur Maltais : Merci beaucoup, madame la présidente, pour ces précisions; cela me met plus à l'aise vis-à-vis de ma collègue, la sénatrice Poirier. Si on prend le temps d'examiner le projet de loi S-205, on s'aperçoit, sénatrice Chaput, qu'on ouvre une porte très grande. C'est une porte que, un jour ou l'autre, il faudra ouvrir, comme vous l'avez si bien décrit. Mais si on ouvre la porte toute grande, je crois qu'il faut que nous y mettions des paramètres.
Compte tenu de ce que vous voulez faire avec projet de loi S-205, en tant que francophone hors Québec, je devrai, en tant que francophone canadien québécois, refaire le même exercice avec les anglophones du Québec. Voyez-vous dans quelle situation on se retrouve lorsqu'on touche aux langues? Au Québec, il y a eu une lutte pendant des siècles. On a dû passer 11 lois pour affirmer que, au Québec, la langue officielle serait le français, tout en protégeant la communauté anglophone.
Aujourd'hui, nous avons atteint un certain équilibre. Je ne dis pas que c'est parfait, loin de là, la perfection n'étant pas de ce monde. Cependant, c'est vivable. Nos institutions, autant francophones qu'anglophones, jouissent d'une protection, d'une part, en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés, d'autre part, en vertu des lois 178 et 86. Bien sûr, ce n'est pas la perfection, mais c'est vivable.
Si on ouvre cette porte au Canada, et je vous le dis avec un cœur de grand-papa qui pense à ses petits-enfants, il faut s'assurer que tous les paramètres linguistiques dans les provinces majoritairement francophones, dans les provinces qui sont officiellement bilingues, soient bien clairs et bien déterminés pour éviter que l'on se retrouve dans une situation comme celle qu'on a connue au Québec en 1968, avec le projet de loi 63, et vous savez pourquoi.
Ainsi, je ne veux pas être celui qui met en défaut votre projet de loi, loin de là — et c'est avec respect que je m'entretiens avec vous —, mais je veux aller au fond des choses.
J'ai une question à poser, ce soir, dans l'espoir que je reverrai la sénatrice Chaput comme témoin : quelle est la valeur que les francophones de votre coin — je veux parler du centre du Canada — attribuent à la langue française? Je vous donne un exemple. Je suis un amateur de hockey, et beaucoup de joueurs de hockey qui ont des noms francophones viennent de l'Ouest. Je suis très surpris de voir que ceux qui viennent de Hearst, en Ontario, parlent français, et que ceux qui viennent du Manitoba ou de la Saskatchewan ne parlent pas un traître mot de français.
Donc, quelle est la valeur que vos communautés francophones attribuent à la langue française? Tout à l'heure, vous disiez dans votre mémoire que — et c'était très bien expliqué —, souvent, à la maison, les parents francophones s'adressent en anglais à leurs enfants et vice-versa. Chez moi, madame Chaput, ma mère et mon père s'exprimaient en français, même si j'étais entouré de communautés autochtones qui parlaient cinq langues autochtones.
Donc, je vous pose la question bien simplement, et si Mme Tardif était à votre place, je lui poserais la même question.
La sénatrice Chaput : Je vais tâcher de répondre à votre question; j'espère l'avoir bien comprise, parce que c'est toute une question. Pour ce qui est de la francophonie manitobaine, si on parle de la première langue parlée, nous sommes environ 41 000. Si on parle de la francophonie manitobaine qui inclut tous les Manitobains pouvant s'exprimer en français, nous sommes 100 000. Tous ces francophones du Manitoba fréquentent les écoles françaises et les écoles d'immersion.
Le sénateur Maltais : Les 100 000 fréquentent l'école française?
La sénatrice Chaput : L'immersion, dans le cas des francophiles.
À l'Université de Saint-Boniface, au Manitoba, à l'heure actuelle, 20 p. 100 des étudiants proviennent des écoles d'immersion; ils ont appris le français dans les écoles d'immersion et peuvent être des enfants de parents uniquement anglophones, qui ne parlent pas un mot de français, ou des enfants dits « ayants droit » de couples exogames, dont l'un des deux parents ne parle pas français.
Les recherches indiquent, sénateur, et vous le savez, que, lorsque deux parents sont francophones, chez nous, au Manitoba, évidemment les enfants vont toujours parler français au foyer, comme dans mon cas. Si l'un des deux parents ne parle pas le français, les enfants parleront français au foyer avec le parent qui parle français, mais, si, autour de la table, l'un des deux parents ne parle pas le français, ils auront à parler en anglais aussi, pour être compris. Les statistiques démontrent que, lorsque la mère est francophone, la transmission de la langue est beaucoup plus élevée que lorsque la mère est anglophone et le père est francophone.
C'est la réalité que nous vivons au Manitoba et ailleurs. Alors, pour ma part, sénateur, je vous dirais que le français au Manitoba, pour ceux qui se battent, qui sont encore là et qui vivent en français, c'est une valeur incroyable et tellement importante. C'est la raison pour laquelle nous avons eu nos luttes pour obtenir non seulement nos écoles françaises, mais aussi notre propre division scolaire franco-manitobaine. Nous avons réussi à garder nos institutions financières, nos caisses qui, à un moment donné, travaillaient de près avec les caisses Desjardins, au Québec. Nous avons réussi à obtenir des services de santé en français, des hôpitaux, des foyers, des médecins, parce que nous voulons continuer à vivre en français. Ce sont des luttes continues.
Ainsi, lorsque vous me demandez quelle est la valeur que les francophones au Manitoba attribuent à la langue, je vous dirais que, s'il y avait encore plus de services en français et que l'on pouvait vivre davantage en français au Manitoba, il y aurait moins d'assimilation.
Pour revenir à votre exemple, vous n'avez sûrement pas rencontré Jonathan Toews. Sa mère est francophone et son père vient du Manitoba — vous le savez?
Le sénateur Maltais : Oui, sa mère est Beauceronne.
La sénatrice Chaput : C'est un couple manitobain, sa mère vient du Québec, et il parle très bien le français. Jonathan disait que, lorsqu'il était petit, lorsqu'il parlait français à sa mère, il croyait que c'était entre lui et sa mère, que c'était un secret. C'est tellement beau quand il le raconte. À un moment donné, il s'est aperçu qu'il y avait toute une communauté qui parlait français, qu'il y avait des écoles, et cetera. Alors, voyez-vous, ce n'est pas tout à fait le cas quand vous dites qu'il n'y a pas de joueurs de hockey qui parlent français.
Le sénateur Maltais : Je ne dis pas qu'il n'y en a pas. Mais je vous donnerais l'exemple d'un joueur qui a un nom très francophone, René Bourque, et qui vient de chez vous.
La sénatrice Chaput : Il vient d'Alberta.
Le sénateur Maltais : En tout cas, il vient de l'Ouest; il ne parle pas un traître mot de français, alors qu'il y a un joueur qui vient du fin fond du Minnesota et qui parle français — à ma grande surprise; je suis tombé par terre quand je l'ai entendu parler français.
La sénatrice Chaput : C'est un exemple de l'assimilation, sénateur, ça aussi. Voyez-vous, quand l'anglais est majoritaire et le français minoritaire, si on ne fait pas d'efforts et si on ne pense pas à parler français... Je n'ai pas de réponse.
La sénatrice Charette-Poulin : J'ai une question supplémentaire à la question du sénateur Maltais, car c'est une question très intéressante. Sénatrice Chaput, pourriez-vous parler un peu des auteurs et des compositeurs qui viennent du Manitoba et qui ont contribué, je suis certaine, à votre joie d'entendre et de lire? Pouvez-vous nous parler un peu de certains grands artistes du Manitoba?
M. Makalian : Je voulais auparavant simplement dire un mot, à titre de Québécois, pour mentionner Daniel Lavoie. Ça m'a pris du temps, mais j'ai fini par apprendre qu'il venait du Manitoba; je ne le savais pas.
La sénatrice Chaput : Il y a Gabrielle Roy aussi. De plus, deux maisons d'édition francophones au Manitoba publient des livres écrits en français par des Manitobains.
Le sénateur Maltais : J'aimerais faire remarquer à la sénatrice Charette-Poulin que, dans le Nord de l'Ontario, un grand joueur de hockey de Hearst a joué au sein de l'équipe du Canadien de Montréal pendant de nombreuses années : il s'agit de Claude Larose, qui parlait un excellent français.
La sénatrice Charette-Poulin : Vous avez tout à fait raison. De grands Canadiens ont réussi et ont contribué à la qualité du pays dans tous les domaines, y compris le sport; des gens qui parlent français et qui viennent des régions partout au pays. Je vous remercie de le noter.
Le sénateur Maltais : Pouvez-vous me dire comment sont éparpillés les 42 000 francophones dont vous parlez dans votre mémoire? Vous dites que, si on combine les deux, on arrive à 102 000, mais pouvez-vous me dire s'il y a des concentrations ou si c'est vraiment perdu, à savoir 10 dans une ville ou 5 dans une petite communauté?
La sénatrice Chaput : En raison du facteur d'urbanisation, il y a maintenant une assez grande concentration de francophones dans les régions de Saint-Boniface, Saint-Vital, Saint-Norbert, et dans l'entité de Winnipeg. Je dirais, approximativement, que de 50 à 60 p. 100 de la francophonie s'y retrouve, mais il y a encore, à travers le Manitoba, une vingtaine de communautés, comme la collectivité d'où je viens : Sainte-Anne-des-Chênes, ainsi que Saint-Pierre-Jolys et La Broquerie, qui comptent encore un bon pourcentage de francophones. Nous ne sommes pas majoritaires, mais il y a encore des écoles françaises, des institutions et des services qui nous permettent de vivre en français, chez nous, dans notre collectivité. Je dirais qu'il y a encore de 20 à 21 collectivités aux quatre coins du Manitoba, autant dans le nord que dans le sud.
Le sénateur Maltais : Merci; j'espère qu'on aura l'occasion de revenir à cette conversation très importante.
La présidente : Bien sûr, et nous avons aussi plusieurs autres témoins qui devront comparaître devant le comité.
La sénatrice Poirier : Je vous remercie, sénatrice Chaput, pour votre présentation, ainsi que pour votre engagement envers cette cause; je sais qu'elle vous tient à cœur et que vous y travaillez depuis longtemps.
Je suis originaire d'une province bilingue, et on vit aussi toutes sortes de défis, probablement comme vous, au Manitoba. Je me demande dans quelle voie nous nous engagerons avec un tel projet de loi privé. Comment faire pour nous assurer, si nous allons de l'avant, que tout sera mis en place et cordonné?
Par exemple, je me souviens que, au Nouveau-Brunswick, des changements avaient été apportés à une certaine loi dans le cadre de laquelle on demandait à nos municipalités quel était le pourcentage de bilinguisme au sein de leur communauté, ainsi que le nombre de francophones, de francophiles et d'anglophones.
À la suite de cela, certaines décisions ont été prises; si un certain nombre était atteint, il fallait absolument que soient traduits tous les projets de loi, tous les procès-verbaux, et cetera. Il y avait même certaines municipalités, autant francophones qu'anglophones, qui n'avaient jamais reçu de telles demandes de la part de leur communauté pour que des documents soient traduits, mais elles étaient tout de même obligées de rendre disponible la traduction en raison des changements apportés à la loi. Ces municipalités ont fait des représentations auprès du gouvernement pour dire qu'elles étaient d'accord pour respecter la loi, mais que cela représentait des coûts de traduction importants pour toute cette documentation, de même que des coûts liés à l'embauche de personnel supplémentaire pour poursuivre l'exercice. Si je me souviens bien, la période de traduction avait même duré un an ou deux. Il y avait certainement eu de l'aide financière de la part des gouvernements pour que ce soit fait.
Je remarque que, dans le projet de loi S-205, vous proposez également d'ajouter le critère de la connaissance de la langue dans la méthode de calcul pour déterminer la taille de la population au sein de la minorité linguistique. En ajoutant ce critère, je me demande si cela ne créerait pas un faux besoin dans certaines régions et pour certains services. Croyez-vous que des coûts seront rattachés au projet de loi S-205 et, si oui, de quelle manière prévoyez-vous aborder cela? J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
La sénatrice Chaput : Merci, sénatrice. J'aimerais seulement vous dire, honorables sénateurs, que le projet de loi S- 205, qui modifie la partie IV, s'adresse uniquement aux ministères fédéraux qui ont des bureaux partout au Canada. Cela ne concerne aucun autre palier de gouvernement; uniquement les communications et les services au public qui proviennent des bureaux fédéraux à travers le Canada.
La sénatrice Poirier : Je comprends cela.
La sénatrice Chaput : Très bien. C'est le gouvernement qui va s'occuper de mettre en place les paramètres; si le projet de loi devient réalité, le gouvernement aura à développer les paramètres. Le gouvernement le fera en consultant les minorités également.
Présentement, c'est le projet de loi que j'ai présenté au Sénat. Je n'ai pas pu obtenir d'estimation des coûts, comme je l'ai dit dans ma présentation, parce que je n'ai pas pu obtenir de renseignements de la part du gouvernement fédéral par rapport à ce que cela pourrait coûter. Nous avons fait des demandes d'accès à l'information pour savoir ce que cela pourrait coûter. Nous en avons présenté au-delà de 10, pour avoir une idée des coûts et de ce que cela pourrait coûter. Je n'ai pas de preuve de ce que je vais dire, mais je suis tout de même convaincue que cela n'apportera pas de coûts exorbitants, parce que, quand je regarde chez moi ou ailleurs, je suis convaincue qu'il y a moyen de réorganiser les services offerts dans les langues officielles, dans les bureaux fédéraux existants, afin que ce soit plus efficace et que cela réponde encore mieux aux besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je suis convaincue de cela. Je n'ai pas de preuves, mais j'ai la ferme conviction qu'on peut faire une réorganisation.
Quant aux faux besoins, je crois qu'il s'agit plutôt des besoins que l'on constate; ce sont des besoins évidents. C'est la demande connue et la demande potentielle. Je ne peux donc pas être d'accord pour dire que ce sont de faux besoins, parce que les nombres y sont, les personnes qui peuvent communiquer en français y sont. Les institutions que se sont données les francophones et les anglophones partout au Canada y sont. On peut les voir. À mon avis, il ne s'agit pas d'une demande artificielle. En réorganisant les services dans les bureaux existants, je suis convaincue que nous pouvons être plus efficaces. Il n'y a pas de projet de loi qui ne coûte rien; tout projet de loi a des coûts qui y sont liés. N'oubliez pas cela. Il n'y a pas de projet de loi qui ne coûte pas un sou.
M. Makalian : J'aimerais ajouter un complément de réponse concernant la mise en œuvre de tout cela. Je ne sais pas à quel point le règlement actuel et le processus d'application du règlement vous sont familiers. Il s'agit d'un processus assez archaïque, et je le dis avec respect, parce que les fonctionnaires eux-mêmes le disent. C'est un processus qui commence deux ou trois ans avant le recensement pour préparer le tout. Ensuite, après le recensement s'écoule une autre période de deux ou trois ans pour en voir l'application.
Ce qu'on a surtout constaté dans les documents que l'on a obtenus par la voie de l'accès à l'information, c'est que chaque ministère passe par ce processus. Il remarque que, dans cette région, les services ne devraient plus être offerts. Puis, un fonctionnaire bien au courant va dire que ce n'est pas logique et qu'on va maintenir les services de façon non officielle. Le processus actuel est coûteux et n'apporte pas les bons résultats. Comme on l'a vu à plusieurs reprises, que ce soit au Manitoba, au Nouveau-Brunswick ou ailleurs, lorsqu'un bureau change de désignation, la communauté s'insurge avec raison, car la demande y est, et le service est rétabli.
Nous sommes présentement dans la période d'application du recensement de 2011. Des résultats préliminaires prédisent qu'il y aura une perte de services. Le moment d'agir est maintenant approprié. Il ne s'agit pas de refaire l'exercice de 2011, mais plutôt de relancer le débat et de préparer le terrain pour 2021. L'année 2021 est encore loin, mais cela nous donne le temps d'en arriver à un règlement d'application qui tienne compte du nombre et de la vitalité institutionnelle. Si les nombres sont là mais que la vitalité institutionnelle n'y est pas, il n'y aura pas nécessairement de nouveaux services. Un nouveau règlement tiendra compte de ces deux facteurs pour 2021. La sénatrice n'a jamais proposé de refaire l'exercice qui se fait maintenant.
La sénatrice Chaput : J'aimerais ajouter à ces propos. L'exercice est fait, de toute façon, après chaque recensement pour évaluer les besoins. L'argent est dépensé, les employés sont là, l'exercice se fait.
En utilisant ce mécanisme, mais à l'aide d'un règlement qui prévoit de nouvelles définitions, on le fera selon de nouvelles statistiques. Les questions existent déjà. Dans le dernier questionnaire, auquel votre gouvernement, madame la sénatrice, avait ajouté une question sur les langues officielles, on peut obtenir les réponses nécessaires à cette nouvelle définition. On n'a qu'à changer cette définition et à se servir du même exercice pour réévaluer les services partout au pays, à savoir si les bureaux répondent réellement aux besoins en fonction des critères établis et de la population existante.
La sénatrice Poirier : J'ai évoqué la notion de créer un faux besoin car, au Nouveau-Brunswick, lorsqu'on a décidé d'apporter des changements, certaines municipalités croyaient qu'on avait créé un faux besoin, étant donné qu'aucune demande n'avait été exprimée en ce sens de la part des citoyens des municipalités. C'est pourquoi j'ai fait allusion à cette notion.
Je comprends qu'il vous est difficile de savoir quels seront les coûts rattachés à un tel projet de loi. Évidemment, il y en aura. Habituellement, ce genre de projet de loi émanerait du gouvernement et non d'intérêts privés au Sénat. Je me demande donc si on procède de la bonne façon ou au bon endroit pour ce projet de loi.
La présidente : Sénatrice Chaput, vous avez un commentaire?
La sénatrice Chaput : Non.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Dans votre présentation, vous avez parlé de tous les gens que vous avez consultés. Avez-vous également consulté des représentants de certaines provinces et des territoires avant de déposer votre projet de loi?
La sénatrice Chaput : Oui. Je me suis rendue à différents endroits partout au Canada, il y a tout de même plusieurs années. J'ai profité d'invitations à des réunions annuelles d'associations. À ce moment, oui, j'ai présenté le projet de loi et il a fait l'objet de discussions. À l'échelle provinciale, je n'en ai parlé qu'au premier ministre du Manitoba, étant donné qu'il s'agit de ma province. J'ai aussi obtenu l'appui de la ministre Meilleur, de l'Ontario.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Le premier ministre du Manitoba s'est sans doute prononcé en faveur?
La sénatrice Chaput : En effet. D'ailleurs, nous avons reçu une très belle lettre d'appui de sa part. Si vous en désirez une copie, il nous fera plaisir de vous la remettre.
La présidente : Dans votre présentation, vous avez fait un constat bien important. À la page 2 de votre document, vous indiquez ce qui suit :
Or, ce qu'on remarque en observant les statistiques de plus près, c'est que nous avons, avec le régime actuel de la Loi sur les langues officielles, des lacunes institutionnelles qui favorisent un déclin plutôt qu'une revitalisation. Nous avons donc, au niveau fédéral, un système qui contribue à l'assimilation.
Comme vous le savez, sénatrice Chaput, je suis de l'Alberta. Selon le dernier recensement, en Alberta, on compte 81 000 personnes ayant le français comme langue maternelle, mais 238 000 parlants français. Pouvez-vous nous expliquer, encore une fois, rapidement, comment les critères utilisés en vertu de la partie IV, influent sur les services offerts aux communautés de langue officielle en situation minoritaire?
La sénatrice Chaput : Si l'évaluation des services se fonde sur une définition qui ne respecte pas la réalité d'une communauté de la francophonie canadienne, si l'offre des services et l'évaluation de cette offre de services sont aussi fondées sur des chiffres qui n'incluent pas la vitalité institutionnelle des communautés, en faisant uniquement cette analyse, on ne tient pas compte de tous les facteurs. Par conséquent, après chaque recensement, on se retrouve avec des pertes ou des diminutions de services.
Honorable sénatrice, vous venez de l'Alberta et je viens du Manitoba. Vous savez que tout service en français chez nous est très précieux. Il peut y avoir des écoles, certains services de santé, et même d'autres services offerts par le gouvernement provincial en français, dans notre cas. Cependant, s'il n'y a pas aussi des services des bureaux fédéraux, offerts par un gouvernement qui a l'obligation de contribuer à notre développement et à notre épanouissement, cela n'aide sûrement pas à combattre l'assimilation. Chaque élément compte lorsqu'on est en situation minoritaire, comme francophones, dans une province majoritairement anglophone.
J'aimerais aussi mentionner une décision de la Cour suprême : l'arrêt Beaulac. Celui-ci stipulait qu'une méthode simple, comme la langue maternelle ou la langue employée à la maison, ne convient pas, notamment parce qu'elle n'offre pas de solution à de nombreuses situations possibles dans une société multiculturelle et ne répond pas au fait que la langue n'est pas une caractéristique statistique.
Chaque goutte compte. Notre verre d'eau n'est même pas à moitié plein. Il ne faudrait donc pas enlever trop de gouttes, car le verre d'eau risquerait de se trouver presque vide.
Le sénateur Maltais : Ce que vous venez de dire est quand même très important, sénatrice Chaput. Lorsqu'on parle de la langue d'enseignement, il faut se mettre du point de vue opposé, dans le cas du Québec, pour les minorités anglophones. Il faut que les parents parlent une autre langue que le français, soit l'anglais, et non l'italien, le chinois ou n'importe quelle autre langue, pour que les enfants soient admissibles à l'école anglaise.
Certains gouvernements ont exagéré, je dois le dire, au Québec, à une certaine période. Heureusement, c'est terminé. Ma collègue, la sénatrice Seidman, est très au fait de ces abus.
Le Québec a probablement été le seul endroit sur la planète où il y avait une police de la langue. À mon avis, cela n'existe pas ailleurs. Faites-moi signe si vous connaissez des endroits où cela existe.
Dans votre mémoire, vous avez beaucoup parlé du commissaire aux langues officielles, M. Graham Fraser qui, semble-t-il, a accordé son appui au projet de loi. Quelle a été la réaction des députés de votre ancien parti qui viennent de l'Ouest ou de l'Ontario? Par exemple, quelle a été la réaction d'un député du centre du Canada comme Lloyd Axworthy? Est-ce qu'ils vous ont donné leur appui?
La sénatrice Chaput : J'ai l'appui des députés de mon parti tel qu'il existe présentement à la Chambre des communes. De plus, s'il advenait que le projet de loi soit lu pour une troisième fois au Sénat, j'ai un parrain qui l'acheminerait afin qu'il soit étudié à la Chambre des communes, tel qu'on le fait présentement, ici, au Sénat.
Quant à la personne que vous venez de mentionner, je peux vous dire que, non, je n'en ai pas discuté avec lui.
La présidente : Chère collègue, merci pour l'excellente présentation de votre projet de loi. Vous l'avez présenté avec clarté, avec transparence, avec engagement, avec passion et avec conviction.
Honorables sénateurs, je suspends la séance pendant quelques minutes et nous procéderons ensuite à huis clos.
(La séance est levée.)