Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 9 - Témoignages du 8 décembre 2014
OTTAWA, le lundi 8 décembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte.
Je suis la sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta, et la présidente de ce comité. Avant de commencer, j'inviterais les sénateurs à se présenter.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, de Québec.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.
La sénatrice Charette-Poulin : Bonsoir. Marie Poulin, du Nord de l'Ontario.
La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.
La présidente : Aujourd'hui, nous étudions le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public), parrainé par la sénatrice Chaput. Le but de cette réunion est de mieux comprendre la différence entre les variables qui sont présentement utilisées pour le calcul de la demande importante et celles qui sont proposées dans le projet de loi.
Pour nous aider, nous avons invité deux témoins aujourd'hui. C'est avec grand plaisir que je vous souhaite la bienvenue. M. Jean-Pierre Corbeil est directeur adjoint de la Division de la statistique sociale et autochtone à Statistique Canada. Il est accompagné de M. François Nault, directeur de la Division de la statistique sociale et autochtone.
Je cède la parole à M. Corbeil. Monsieur Corbeil, si je comprends bien, M. Nault est là pour vous appuyer et pour répondre aux questions. Après votre présentation, les sénateurs auront des questions à vous poser.
Jean-Pierre Corbeil, directeur adjoint, Division de la statistique sociale et autochtone, Statistique Canada : Je remercie les membres du comité d'avoir invité Statistique Canada à comparaître devant eux afin de nourrir leur réflexion sur l'étude du projet de loi S-205.
Je présenterai d'abord de l'information sur l'historique de la notion de première langue officielle parlée dont les premières estimations de population à partir de cette variable ont été publiées par Statistique Canada en 1989. Dans un deuxième temps, je présenterai de l'information sur l'évolution de la situation linguistique au pays et sur la façon dont le recensement canadien a pris en compte les nouveaux besoins de données statistiques permettant d'approfondir notre compréhension du sujet, en particulier la situation des minorités de langue officielle.
La nécessité d'estimer l'ampleur de la demande potentielle de services à la population dans l'une ou l'autre des deux langues officielles du pays par le gouvernement fédéral est apparue dans le contexte de la poussée importante de l'immigration internationale à partir du milieu des années 1980, une immigration de plus en plus originaire des pays non européens et très majoritairement de langue maternelle autre que le français ou l'anglais. Ces immigrants, au fur et à mesure que se prolonge leur durée de résidence au Canada, ont tendance à utiliser le français ou l'anglais à la maison ou au travail, et moins de 2 p. 100 de la population canadienne déclare ne connaître ni le français ni l'anglais. C'est donc pourquoi nombre d'intervenants et d'utilisateurs de données ont alors commencé à s'interroger sur la façon d'estimer la première langue officielle de ces individus.
Cette démarche s'appuyait notamment sur le fait que l'article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés précise que « le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège de l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services [...] là où l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante ». Pour estimer cette demande importante, la Loi sur les langues officielles de 1988 précise, à l'article 32(2), que le gouvernement peut tenir compte « de la population de la minorité francophone ou anglophone de la région desservie, de la spécificité de cette minorité et de la proportion que celle-ci représente par rapport à la population totale de cette région ».
Bien que le recensement de 1986 rendait possible la diffusion de nombreuses statistiques linguistiques permettant de décrire différentes facettes de la réalité démolinguistique, notamment les transferts linguistiques ou le bilinguisme français-anglais selon le groupe linguistique, certains utilisateurs souhaitaient obtenir une estimation du nombre de Canadiens d'expression anglaise et de l'effectif des Canadiens d'expression française pour pouvoir enrichir la description de la situation démolinguistique, compléter le profil des collectivités anglophones et francophones ou évaluer la demande des services dans chacune des langues officielles.
La « variable » de première langue officielle parlée a été développée par Statistique Canada en 1989 à la demande du gouvernement fédéral, du Conseil du Trésor en particulier. Statistique Canada avait alors proposé deux méthodes, soit la méthode I et la méthode II, pour estimer la première langue officielle parlée des Canadiens, méthodes qui reposaient sur diverses hypothèses et qui se distinguaient selon l'ordre dans lequel les trois variables présentes dans le recensement de 1986 étaient prises en compte.
C'est la méthode I qui a été adoptée par le gouvernement fédéral dans le Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, en décembre 1991.
La présidente : Pardon, monsieur Corbeil. Est-ce qu'on pourrait vous demander de ralentir un peu? On me dit que les traducteurs ont un peu de difficulté.
M. Corbeil : Pardon, je m'excuse. À l'article 2 de ce règlement, on y décrit la méthode utilisée pour déterminer « la première langue officielle parlée », laquelle tient compte, premièrement et successivement, de la connaissance des langues officielles, deuxièmement, de la langue maternelle, et troisièmement, de la langue parlée le plus souvent à la maison.
J'aimerais rappeler que la notion de première langue officielle parlée comprend deux dimensions spécifiques. D'une part, l'épithète « parlée » signifie qu'une personne doit pouvoir soutenir une conversation dans la première langue assignée. En d'autres termes, cela signifie que les quelque 75 000 personnes de langue maternelle française qui habitaient dans une province ou un territoire à l'extérieur du Québec en 2011, qui ont déclaré ne pas pouvoir soutenir une conversation en français, ne sont pas comptabilisées dans l'effectif de la population dont le français est la première langue officielle parlée.
D'autre part, le qualificatif « première » revêt deux significations différentes. Il désigne d'abord la langue apprise en premier lieu dans la petite enfance, ce qu'on appelle la langue maternelle. Chez les personnes n'ayant pas le français ou l'anglais comme langue maternelle, il désigne plutôt, au sens de principale, la langue officielle la mieux connue au moment du recensement ou celle parlée le plus souvent à la maison.
Au Canada, l'utilisation de la notion de « première langue officielle parlée » s'est répandue dans l'étude de la situation des minorités de langue officielle. Pour déterminer l'appartenance à un groupe linguistique donné et la situation de ce groupe dans divers domaines de la sphère publique, on a de plus en plus remplacé l'approche centrée sur le critère de la langue maternelle par celle, plus inclusive, qui utilise la première langue officielle parlée.
[Traduction]
Alors que le recensement de 1986 comportait trois questions linguistiques qui ont servi à dériver la notion de première langue officielle parlée, trois nouvelles questions ont été ajoutées dans les recensements récents. Depuis 2001, une question complémentaire sur les langues parlées de façon régulière à la maison, autres que celle parlée le plus souvent, a été posée lors des trois derniers recensements.
Cet ajout visait à répondre aux demandes de nombreux intervenants institutionnels et communautaires, pour qui l'absence de mention de la langue maternelle comme langue parlée le plus souvent à la maison ne signifie pas nécessairement que cette langue n'est pas du tout parlée à la maison.
En ce sens, cette nouvelle information permettait d'éviter de confondre, par exemple, l'usage prédominant de l'anglais à la maison avec l'abandon du français langue maternelle. Il en va de même pour ce qui est des autres langues. De plus, dans les recensements de 2001 et 2006 et dans l'Enquête nationale auprès des ménages de 2011, une question à deux volets sur la langue de travail a été posée aux Canadiens.
La particularité des données recueillies à partir de cette question est qu'elles portent sur l'utilisation des langues dans un espace clé de la sphère publique, soit celui du milieu de travail. On ne dispose cependant pas d'information sur les pratiques linguistiques hors du foyer des personnes n'occupant pas un emploi, ainsi que de celles qui ne sont pas en âge de travailler.
À la suite du recensement de 2006 et grâce à l'appui d'une dizaine de ministères et d'agences du gouvernement fédéral, Statistique Canada a mené une enquête d'envergure sur la vitalité des minorités de langue officielle. Cette enquête a notamment permis de recueillir de l'information importante sur le lien entre la première langue officielle parlée et la langue principale, c'est-à-dire celle dans laquelle on est le plus à l'aise pour parler. Les résultats ont révélé qu'au Québec, la première langue officielle parlée correspondait presque toujours à la langue dans laquelle on est le plus à l'aise pour parler.
À l'extérieur du Québec, cependant, le lien entre la langue principale et la première langue officielle parlée variait grandement. Par exemple, les adultes du Nouveau-Brunswick dont le français est la première langue officielle parlée ont déclaré être plus à l'aise en français dans une proportion de 83 p. 100, alors que 7 p. 100 ont déclaré être autant à l'aise en français qu'en anglais. À l'opposé, parmi les adultes de la Saskatchewan ayant le français comme première langue officielle parlée, 67 p. 100 ont déclaré être plus à l'aise en anglais pour parler.
En 2006, dans les provinces et territoires hors Québec, c'est près d'un adulte sur trois ayant le français comme première langue officielle parlée qui déclarait être plus à l'aise en anglais qu'en français pour parler. Ainsi, les francophones vivant dans un environnement où leur langue est fortement minoritaire sont plus susceptibles d'utiliser l'anglais et de se sentir plus à l'aise d'employer cette langue.
[Français]
Le fait d'avoir le français ou l'anglais comme première langue officielle parlée ne signifie pas nécessairement que cette langue est parlée à la maison. Par exemple, parmi l'ensemble de la population ayant le français comme première langue officielle parlée à l'extérieur du Québec, en 2011, plus de 20 p. 100 déclaraient ne parler le français ni le plus souvent ni de façon régulière à la maison, soit 193 000 personnes.
Chez les personnes qui se voient attribuer à la fois le français et l'anglais comme première langue officielle parlée, soit 122 000 personnes, près de 70 p. 100 ne parlaient pas le français tant comme langue prédominante que comme langue secondaire à la maison.
Mentionnons, par ailleurs, que, parmi l'ensemble des travailleurs ayant le français comme première langue officielle parlée à l'extérieur du Québec, près de 17 p. 100 ont déclaré ne parler ou n'utiliser le français ni à la maison ni au travail, soit un peu moins de 100 000 personnes.
Le français peut être parlé à la maison même si l'anglais est la première langue officielle parlée. Ainsi, parmi la population ayant l'anglais comme première langue officielle parlée à l'extérieur du Québec, plus de 42 000 personnes parlent le français, soit le plus souvent soit à égalité avec l'anglais, et 254 000 personnes parlent le français de façon régulière à la maison en plus de la langue qu'elles parlent le plus souvent.
Notons que, dans le cas de la population dont l'anglais est la première langue officielle parlée, le fait de parler le français à la maison le plus souvent ou régulièrement traduit notamment le fait que les francophones à l'extérieur du Québec vivent de plus en plus dans un ménage composé d'un couple exogame, c'est-à-dire où les deux conjoints n'ont pas la même langue maternelle. Par exemple, près de 50 000 personnes résidant au Canada hors Québec ayant déclaré avoir l'anglais comme langue maternelle et vivant au sein d'un ménage composé d'un couple exogame français-anglais ont déclaré parler le français le plus souvent ou régulièrement, en plus de l'anglais à la maison, en 2011.
Mentionnons également que selon les résultats de l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle de 2006, une part des jeunes fréquentant un programme d'immersion en français à l'extérieur du Québec, bien qu'étant généralement de langue anglaise, tendent également à parler le français, au moins de façon régulière, à la maison. Rappelons qu'au cours de l'année scolaire 2012-2013, 373 000 jeunes fréquentaient un programme d'immersion en français au sein d'une école française à l'extérieur du Québec.
En conclusion, permettez-moi de rappeler que les données fournies par Statistique Canada à ses partenaires du gouvernement fédéral pour l'application du Règlement sur les langues officielles reposent sur une méthode d'estimation de la population de la minorité francophone ou anglophone adoptée en 1991 à partir des données disponibles dans le recensement de 1986.
Statistique Canada a tout mis en œuvre afin que les données fournies soient de grande qualité. Les Canadiens disposent aujourd'hui d'autres informations statistiques qui ont été ajoutées depuis 2001 et qui permettent d'enrichir notre compréhension des dynamiques linguistiques au pays et de rendre compte tant de leur diversité que de leur complexité.
Finalement, à la demande des membres du comité, vous avez en votre possession un tableau et un graphique qui permettent de comparer, à partir des données du Recensement de 2011, les statistiques, en effectifs et pourcentages, qui portent sur la première langue officielle parlée, et celles qui portent sur la connaissance de la langue officielle minoritaire pour chacune des provinces et chacun des territoires.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions sur ce sujet et sur le contenu de mon allocution. Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Corbeil. Nous passerons maintenant à la période des questions avec la sénatrice Fortin-Duplessis, vice-présidente du comité.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, madame la présidente. En tout premier lieu, soyez les bienvenus. C'est toujours un plaisir de vous recevoir.
La partie IV de la Loi sur les langues officielles porte sur les communications et les services destinés au public. Pourriez-vous nous dire davantage ce que révèlent les données de recensement en ce qui concerne l'assimilation linguistique et culturelle des communautés? J'aimerais également savoir comment vous définissez l'assimilation en termes statistiques.
M. Corbeil : Merci de votre question. Statistique Canada a toujours, pour toutes sortes de raisons, essayé d'éviter de parler d'assimilation, parce que les données qui étaient disponibles au fil du temps nous donnaient de l'information sur les pratiques linguistiques dans des contextes bien précis.
Par exemple, on sait qu'il y a des Canadiens à l'extérieur du Québec qui ne parlent pas le français le plus souvent à la maison, mais qui peuvent l'utiliser de façon régulière à l'extérieur. La question est la suivante. À partir de quel moment mentionne-t-on qu'une personne est assimilée?
Longtemps, les statistiques qui étaient disponibles comparaient la langue parlée le plus souvent à la maison avec la langue maternelle, et c'est la raison pour laquelle on utilisait la notion de substitution ou de transfert linguistique.
Cela dit, on a aussi, à un certain moment, utilisé la notion d'anglicisation, l'anglicisation désignant le fait d'avoir l'anglais qui occupe de plus en plus de place dans le quotidien.
Je vous dirais que l'enquête de 2006 sur la vitalité des minorités de langue officielle, dans la mesure où elle mentionne le fait qu'une personne est plus à l'aise en anglais qu'en français à l'extérieur du Québec, témoigne certainement de ce qu'on peut appeler l'anglicisation, puisque l'anglais devient vraiment la langue principale.
Maintenant, en ce qui a trait à l'assimilation culturelle ou linguistique, on a parfois eu recours au terme « vitalité » plutôt qu'au terme « assimilation ». Il y a différentes communautés au Canada, dont la vitalité institutionnelle, par exemple, désignée par le nombre d'institutions qui offrent des services dans la langue minoritaire, est beaucoup moins importante que dans d'autres communautés. Donc, il est clair qu'à partir du moment où une personne fonctionne essentiellement en anglais à l'extérieur du Québec, on peut parler d'anglicisation ou d'une faible vitalité linguistique ou culturelle.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont on peut définir la vitalité institutionnelle?
M. Corbeil : Dans la littérature scientifique, il y a énormément de définitions possibles, et c'est un concept qui n'a jamais été très simple à définir.
Parmi les premiers scientifiques qui ont utilisé cette notion, qui étaient essentiellement des chercheurs de psychologie, des psychologues sociaux, ceux-ci ont utilisé différentes variables pour parler de la vitalité institutionnelle. Ce qui témoigne d'une vitalité est le fait que la langue a un statut, que les communautés ont un certain prestige dans un contexte de rapports intergroupes. Il y a la question de la démographie. Il faut savoir que la vitalité d'une communauté se mesure en termes objectifs, de nombre et de démographie, mais aussi en termes subjectifs. Il y a beaucoup de chercheurs dans les années 1970 et 1980 qui ont démontré que la perception et les représentations que les gens avaient au sein d'une communauté pouvaient être aussi importantes sur les comportements linguistiques que la démographie en général.
C'est donc un concept polysémique, qui a différentes dimensions, et il n'y a pas un chercheur qui est arrivé à arrêter une définition très simple. Par exemple, Bourdieu, le sociologue français, utilisait la notion de capital. Il y a donc des communautés qui disposent d'un capital démographique, donc d'un nombre suffisant, d'une proportion suffisante dans leur communauté. Il y a un capital culturel, où on se demande s'il y a beaucoup de médias, s'il y a des institutions qui fournissent des services d'enseignement, des institutions de nature à transmettre la culture.
Ce sont toutes ces dimensions qui nous permettent de parler de vitalité. Cependant, c'est un concept très large. C'est l'une des raisons pour lesquelles, lors de la diffusion de 2006 des premiers résultats de l'enquête de Statistique Canada sur la vitalité des minorités de langue officielle au Canada, on a évité de donner une définition bien précise de ce concept; c'est un concept très large et complexe.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Mais vous aviez quand même une idée?
M. Corbeil : Il est clair que ce que Statistique Canada est parvenu à démontrer très clairement, c'est que le poids démographique d'une population, au sein d'un territoire donné ou d'une municipalité, ou sa concentration sur un territoire, est important. Il peut y avoir une ville comme Toronto, où les populations sont dispersées, comparativement à d'autres villes, en Nouvelle-Écosse, par exemple, où les francophones sont beaucoup plus concentrés sur un territoire. Il est donc clair que ces facteurs ont une influence sur la vitalité, non seulement démographique de la communauté, mais aussi sur la vitalité culturelle, puisque l'accès à des services en français va aussi découler de la proportion que représentent ces nombres.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Corbeil, merci pour votre présentation. Nous avons entendu plusieurs témoins, dont un représentant du Conseil du Trésor. Je comprends que Statistique Canada a la responsabilité de recueillir et d'analyser les données du recensement. Cependant, cette responsabilité ne s'étend pas à l'application du Règlement sur les langues officielles.
M. Corbeil : C'est exact.
Le sénateur McIntyre : Cette responsabilité relève plutôt du Conseil du Trésor. Cela étant dit, pourriez-vous élaborer brièvement sur la façon dont Statistique Canada recueille et analyse les données du recensement?
M. Corbeil : Les données du recensement sont recueillies au même titre que les autres données. Elles portent sur la famille, les membres du ménage, sur l'âge et le sexe. Comme vous le savez très bien, en 2011, nous devions fournir les données au Conseil du Trésor. Comme toutes les données dont nous disposons, soit dans le cadre du recensement ou des autres enquêtes, il y a, bien sûr, un très gros travail de nettoyage, de validation, et de contrôle de la qualité de l'information.
Après tout ce processus, une fois que les données sont rendues publiques, elles sont affichées sur notre site Internet. À ce moment-là, toutes les données sont acheminées au Conseil du Trésor, justement pour lui permettre de mettre à jour l'application du règlement.
En ce sens, les données recueillies lors du recensement de 2011 ont suivi les mêmes processus de vérification et d'analyse. Une fois que nous nous sommes assurés que les données étaient de bonne qualité, nous avons été en mesure de les acheminer au Conseil du Trésor.
Le sénateur McIntyre : En repassant les documents et en écoutant les représentations, on s'aperçoit qu'il existe deux variables. Il y a la variable utilisée pour le calcul des données associées à l'application du Règlement sur les langues officielles et il y a la variable du projet de loi S-205.
Comme vous venez de le mentionner, la première variable tient compte de la connaissance des langues officielles, de la langue maternelle et de la langue parlée à la maison. Cela étant dit, le projet de loi S-205 propose de tenir compte d'une autre variable : celle de la connaissance des langues officielles.
En examinant les données du recensement de 2001 et de celui de 2011, que révèlent les données du recensement en ce qui concerne la première variable, soit la première langue officielle parlée, et en ce qui concerne la variable de la connaissance des langues officielles?
M. Corbeil : Il est clair que, dans le cas de la variable de la connaissance des langues officielles, l'effectif est beaucoup plus important. Essentiellement, dans le cas de la population estimée selon la première langue officielle parlée à l'extérieur du Québec, il s'agit d'environ un million de personnes. Quant à la connaissance de la langue française à l'extérieur du Québec, il s'agit d'environ 2,6 millions de Canadiens.
Donc, il y a une augmentation importante, et je vous ai fourni un tableau à cet égard. Bien sûr, lorsqu'on examine ce qui se passe au Québec, on remarque qu'environ un million de Québécois ont l'anglais comme première langue officielle parlée. Si on examine le nombre de personnes qui ont une connaissance de l'anglais et qui sont capables de soutenir une conversation, cela représente une population de 3,7 millions de personnes, donc une différence essentiellement de 2,6 millions de personnes qui peuvent parler l'anglais par rapport aux personnes qui ont l'anglais comme première langue officielle parlée.
La sénatrice Chaput : Si on prend comme critère celui de la première langue officielle parlée et qu'on examine le nombre de francophones en situation minoritaire au Canada, d'après ce que je comprends, le nombre de francophones a augmenté à travers le Canada, mais le pourcentage a diminué. Est-ce exact?
M. Corbeil : C'est exact.
La sénatrice Chaput : À quoi cela est-il attribuable, d'après vous?
M. Corbeil : Essentiellement, l'immigration internationale est maintenant le principal moteur de croissance de la population canadienne. Il est clair que le taux de croissance de cette population immigrante est de loin supérieur à celui de la langue minoritaire à l'extérieur du Québec.
D'une part, étant donné que cette population s'oriente principalement vers l'anglais, on sait que, d'abord, près de 80 p. 100 de cette population n'a ni le français ni l'anglais comme langue maternelle. Nous savons aussi que près de 98 p. 100 de cette immigration qui s'établit à l'extérieur du Québec s'oriente vers l'anglais, c'est-à-dire qu'elle a l'anglais comme première langue officielle parlée.
C'est la raison pour laquelle on mentionne qu'environ 2 p. 100 de l'immigration internationale à l'extérieur du Québec est de langue française, soit une proportion inférieure au poids de la population francophone.
La sénatrice Chaput : Ai-je raison de conclure que, tant qu'on ne se donnera pas de cibles équitables en immigration, les communautés francophones en milieu minoritaire continueront à perdre du terrain?
M. Corbeil : Le constat est assez évident, c'est-à-dire que, quand on parle d'un déséquilibre démo-linguistique, à partir du moment où on a une population dont le taux de fécondité est faible et que la transmission du français aux générations subséquentes est au mieux incomplète et au pire plus faible, ce qui se passe, c'est que l'immigration internationale s'orientant principalement vers l'anglais. Il est donc clair que le déséquilibre entre la population de langue anglaise et de langue française est en train de s'accentuer.
La sénatrice Chaput : Est-ce que je peux dire que c'est inquiétant pour les francophones en situation minoritaire, justement, de voir ce déséquilibre, et qu'on commence peut-être à se dire que c'est nuisible à leur vitalité et à leur développement?
M. Corbeil : Je me ferai simplement l'écho de ce qu'on entend de la part de tous nos partenaires. De l'avis de tous ceux qui font appel à Statistique Canada pour obtenir des données, c'est l'argument qui est évoqué.
[Traduction]
La sénatrice Seidman : Si j'ai bien compris, monsieur Corbeil, vous avez apporté des précisions à la définition utilisée pour déterminer la première langue officielle parlée. Il s'agissait de précisions très détaillées, avec l'ajout de trois questions complémentaires. Est-ce exact?
M. Corbeil : De fait, j'ai indiqué que l'ajout de ces questions ne visait pas à préciser la notion de première langue officielle parlée. Elles ont été ajoutées surtout parce qu'en regardant l'information donnée sur la langue parlée à la maison, les gens étaient vraiment portés à sauter aux conclusions, alors qu'ils n'avaient que l'information sur la langue parlée le plus souvent à la maison.
Nombreux sont ceux qui ont fait valoir que le fait de disposer de renseignements sur les langues parlées régulièrement, même s'il ne s'agit pas de la langue prédominante, fournit tout de même de l'information sur la dynamique linguistique à la maison.
Par exemple, nous savons qu'un grand nombre de jeunes Canadiens ont l'anglais comme première langue officielle parlée, mais fréquentent des écoles françaises ou suivent des programmes d'immersion en français, et parlent régulièrement français avec leurs parents à la maison.
Les deux autres questions ont été ajoutées parce que l'information dont nous dispositions concernait la situation à la maison, et relevait donc du domaine privé, ou la langue apprise pendant l'enfance. Nous n'avions aucune information sur les langues utilisées à l'extérieur de la maison, et nous savons que puisqu'au moins les deux tiers des gens travaillent régulièrement, les langues utilisées au travail constituent un excellent indicateur du statut d'une langue dans la sphère publique.
La sénatrice Seidman : Aidez-moi à comprendre. Si je comprends bien, il existe une norme ministérielle pour définir la première langue officielle parlée. Cette dernière est dérivée au moyen d'une série de règles qui tiennent compte de la connaissance des deux langues officielles, de la langue maternelle d'une personne et de la langue parlée à la maison. Est-ce exact?
M. Corbeil : La langue parlée le plus souvent à la maison.
La sénatrice Seidman : Le plus souvent à la maison. D'accord.
Qu'en est-il des immigrants dont la langue maternelle n'est ni l'anglais ni le français et qui pourraient parler une autre langue à la maison? Comment cette définition tient-elle compte de cette situation?
M. Corbeil : Comme je l'ai indiqué, c'est la principale raison pour laquelle des gens ont commencé à envisager d'établir une nouvelle variable pour tenir compte de ceux dont la langue maternelle n'est ni l'anglais ni le français. Par exemple, on aurait considéré qu'une personne parlant anglais et français, dont la langue maternelle est le pendjabi et qui parle le plus souvent anglais à la maison a l'anglais comme première langue officielle parlée. De même, quelqu'un dont la langue maternelle est l'arabe, mais qui parle le plus souvent français à la maison aurait été considéré comme ayant le français comme première langue officielle parlée.
La sénatrice Seidman : Voici ce que je cherche à savoir : pensez-vous que la méthode de dérivation que Statistique Canada utilise pour déterminer la première langue officielle parlée est juste et équitable?
M. Corbeil : Nous devons certainement réfléchir à ce qu'on entend par « juste ». L'idée consiste réellement à utiliser trois variables qui étaient utilisées en 1986, comme je l'ai indiqué, et qui ont été examinées pour la première fois par le Conseil du Trésor en 1991 pour la mise en œuvre du règlement.
Cela étant dit, si nous voulons parler de pertinence ou de justesse, nous devons nous demander ce que nous cherchons à évaluer ici. Si l'objectif consiste à déterminer la langue principale d'une personne ou la langue qu'elle est le plus susceptible d'utiliser pour demander des services, eh bien, vous savez, nous avons dû utiliser les données de Statistique Canada. La méthode que nous avons utilisée jusqu'à présent, choisie par le Conseil du Trésor, est celle de la première langue officielle parlée.
Cela étant dit, comme je l'ai indiqué, les choses ont évolué depuis 20 ans. La question est maintenant de savoir s'il s'agit toujours de la meilleure méthode pour évaluer la demande potentielle de services. Il ne nous revient pas d'en décider mais, comme je l'ai souligné, il y a maintenant d'autres variables dans le recensement et l'Enquête nationale auprès des ménages.
La sénatrice Seidman : Je suppose que vous voulez dire que cela rend la méthode plus pertinente?
M. Corbeil : Il faudrait étudier la question. Mais pour l'instant, ce n'est pas à Statistique Canada de déterminer si cette méthode est appropriée ou s'il faut la réexaminer.
La sénatrice Seidman : D'accord, merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Charette-Poulin : Ma question fait suite à celle du sénateur McIntyre.
On a entendu de nombreux témoignages. Plusieurs d'entre eux nous ont rappelé que le Canada a, comme statut officiel, deux langues officielles. Certains groupes s'étonnaient de devoir se battre si fort pour obtenir un service dans une langue officielle quand elle fait partie d'une minorité. Pourquoi cette difficulté existe-t-elle? Elle existe depuis des décennies, tout de même. Il faut se battre pour obtenir des services dans une langue officielle, alors qu'on vit dans un pays qui a deux langues officielles.
À votre avis, les données que vous recueillez sont-elles quantitatives et qualitatives?
M. Corbeil : Pourrais-je vous demander de préciser ce que vous entendez? J'en ai une petite idée, mais pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « données qualitatives »?
La sénatrice Charette-Poulin : Prenons l'exemple de la qualité de la langue française parlée dans un environnement complètement anglophone. Les questions vous permettent-elles d'évaluer, en d'autres mots, l'accès à un environnement culturel, social, francophone, justement pour alimenter la qualité de la langue française? Un bon exemple serait l'accès aux services de Radio-Canada, qui donne l'occasion à des individus, à des groupes d'écouter, de regarder ou d'avoir accès par Internet à des produits, des émissions, des nouvelles en français dans certaines provinces ou en anglais au Québec. Cela contribue énormément au développement de l'ouïe, de la langue et même à la jouissance de la langue. Vos données vous permettent-elles d'évaluer la qualité de l'environnement?
M. Corbeil : On pourrait probablement faire plus de choses avec les données actuelles que ce que beaucoup de gens pensent. D'une part, bien sûr, le recensement a ses limites. C'est la raison pour laquelle, en 2006, 10 ministères et agences du gouvernement fédéral avaient collaboré à la réalisation de cette enquête approfondie, très détaillée, sur la situation des minorités de langue officielle.
Cela dit, il est clair que, dans la mesure où un individu demeure ou vit dans un milieu très minoritaire, dans ses interactions quotidiennes, les probabilités qu'il soit en contact avec la langue française à l'extérieur du Québec sont plutôt faibles. On sait très bien que cette personne, si elle le désire, a aussi accès à des médias et à Radio-Canada. Il existe donc des outils qui sont des vecteurs de transmission de la culture et de la langue française. Dans le cas d'une personne qui a très peu de contacts avec la langue minoritaire, la probabilité qu'elle maintienne cette langue au fil du temps et qu'elle la transmette à ses enfants est plutôt faible. L'exemple le plus concret est lorsqu'une langue n'est pas du tout utilisée à la maison. La probabilité de la transmettre aux enfants est alors très faible. On le constate à l'extérieur aussi, dès que ces personnes quittent le milieu familial et qu'elles n'ont pas l'occasion de la mettre en pratique.
Les éléments de nature qualitative sont plus difficiles à évaluer. Dans l'enquête à laquelle je faisais référence sur la vitalité des minorités, il y avait un élément beaucoup plus subjectif. On demandait aux gens s'ils estimaient que la communauté minoritaire dans laquelle ils vivent manifestait une forte vitalité ou une faible vitalité. Les gens qui vivaient en milieu très minoritaire avaient plutôt tendance à être pessimistes face à l'avenir de leur langue.
La sénatrice Charette-Poulin : Parmi les questions concrètes posées dans le cadre d'une telle recherche, pose-t-on les questions suivantes : « Avez-vous accès à des nouvelles en français? Avez-vous accès à des émissions? Avez-vous accès à des journaux? Avez-vous accès à des livres? Avez-vous accès à de la musique? » Ces questions sont-elles posées?
M. Corbeil : Évidemment, elles ne peuvent pas l'être dans un recensement. On comprend très bien que le fardeau de réponses serait extrêmement élevé.
Dans le cadre de l'enquête menée en 2006, il y avait différents modules, dont un sur la culture et les différents services. On posait aux gens la question suivante : « Est-ce que vous avez été en mesure d'utiliser la langue minoritaire dans le cadre de vos interactions, que ce soit avec le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial, pour avoir des soins de santé, pour bénéficier de produits culturels? » Si on nous répondait non, on demandait pour quelle raison. On a donc une idée des éléments qui pouvaient entraver ou favoriser l'accès à ces services.
La sénatrice Charette-Poulin : Existe-t-il un projet pour refaire une telle étude dans 10 ans, par exemple, en 2016? Comptez-vous faire une mise à jour à cause de l'influence des médias sociaux?
M. Corbeil : Comme vous le savez, nous aimons beaucoup les données. Cela dit, cette enquête a tout de même coûté près de 7 millions de dollars. Donc, ce n'est pas à Statistique Canada de le décider. Si quelqu'un sonne à notre porte pour nous demander de mener une autre enquête, nous en ferons une autre.
Le sénateur Maltais : Monsieur Corbeil, monsieur Nault, j'aimerais vous amener sur un terrain qui n'a pas encore été abordé. Nous avons, au Canada, deux langues officielles. Je ne parle pas des immigrants, mais des Canadiens. Y a-t-il des Canadiens qui ne parlent pas du tout l'un des deux langues officielles?
M. Corbeil : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter un peu à ce que vous venez de dire. Près d'un Canadien sur cinq est issu de l'immigration. Même si cette personne est née à l'extérieur du Canada, elle est tout de même canadienne. Je crois comprendre ce que vous voulez dire. Vous parlez des personnes nées au Canada. La proportion de personnes nées au Canada qui ne connaissent ni le français ni l'anglais est extrêmement faible. On peut les compter sur le bout de nos doigts.
Le sénateur Maltais : J'aimerais vous amener sur l'autre terrain. Je sais que les chiffres sont minimes, mais il y a des Canadiens qui ne parlent ni le français ni l'anglais. Je vais vous donner un exemple bien concret.
Alors que j'étais député dans un autre parlement, j'avais, sous ma responsabilité, des réserves indiennes. Il y avait des Cris et des Montagnais qui parlaient les deux langues. Parmi les Montagnais, certains parlaient le français, et d'autres, l'anglais. Les Cris étaient surtout anglophones. Les Atikamewk, pour leur part, ne parlaient ni l'une ni l'autre des deux langues officielles. Pour communiquer avec eux, il fallait un interprète.
Est-ce chose courante ou est-ce plutôt rare? Dans d'autres parties du Canada, retrouve-t-on certaines petites communautés qui ne parlent ni l'une ni l'autre des deux langues officielles?
M. Corbeil : Vous voulez que j'exclue les immigrants?
Le sénateur Maltais : Oui, vous pouvez les exclure. On parle des Autochtones et des Premières Nations.
M. Corbeil : Oui, effectivement, il y a des Autochtones.
Le sénateur Maltais : Jacques Cartier était un immigrant.
M. Corbeil : Je pourrais vous fournir l'information sur demande, mais, oui, il y a un certain nombre d'Autochtones qui ne peuvent soutenir une conversation ni en français ni en anglais. Un peu plus de 200 000 personnes ont déclaré, en 2011, avoir une langue autochtone comme langue maternelle. Je pourrais vous fournir le nombre exact de ceux qui ont déclaré ne connaître ni l'anglais ni le français. Ce n'est pas une proportion très grande. En comparaison, il est clair que chez les immigrants récents, cette proportion est beaucoup plus importante. On parle essentiellement de 600 000 Canadiens issus de l'immigration qui ne peuvent parler ni le français ni l'anglais.
Le sénateur Maltais : Lorsque ces personnes immigrent au Canada, leur demande-t-on une certaine connaissance d'une des deux langues?
M. Corbeil : Tout dépend de la catégorie d'admission. On parle des gens qui font partie de la catégorie de réunification familiale, pour des raisons évidentes. Le principal demandeur, celui qui a été admis dans la catégorie d'immigrant économique, doit avoir une connaissance de l'une des deux langues officielles. Il est normal que des gens qui accompagnent cette famille ne puissent soutenir une conversation ni en français ni en anglais.
Le sénateur Mockler : Vous avez une vaste expérience au sein du gouvernement. L'un des provinciaux objectifs du projet de loi S-205 consiste à mieux établir le lien qui existe entre la prestation des services et le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Nous sommes d'accord sur ce point?
M. Corbeil : Oui.
Le sénateur Mockler : Le deuxième constat est le suivant. Le projet de loi S-205 vise également à moderniser la Loi sur les langues officielles pour refléter les changements qui ont marqué la société canadienne depuis 1988. On est d'accord?
M. Corbeil : Oui.
Le sénateur Mockler : Ma question est donc la suivante. Compte tenu de l'expérience que vous avez acquise au sein du gouvernement, pouvez-vous nous dire pourquoi la Loi sur les langues officielles a besoin d'être modernisée? Deuxièmement, quels sont les changements sociétaux qui doivent être pris en considération pour ce faire? Finalement, que révèlent les données du recensement en ce qui concerne les besoins liés à la modernisation de la Loi sur les langues officielles, en tenant compte de votre expérience dans l'appareil gouvernemental?
M. Corbeil : Comme sous le savez, étant donné que je représente Statistique Canada, ce n'est certainement pas à moi, étant donné mes responsabilités et mes obligations, de vous dire que la Loi sur les langues officielles a besoin de modernisation. Il faudra poser cette question à quelqu'un d'autre.
Cela dit, il est clair que, pour toutes les enquêtes, et j'inclus le recensement, l'objectif est toujours double : c'est-à-dire de permettre une comparaison historique pour suivre l'évolution de la société canadienne, mais en même temps de s'adapter aux nouveaux besoins et aux changements qui surviennent au fil du temps. Comme vous pouvez vous l'imaginer, dans les années 1960, on ne posait pas de question sur les couples de même sexe. Aujourd'hui, c'est une réalité dont on doit tenir compte. De même, on sait que dans les années 1960, l'immigration provenait essentiellement de l'Europe. On n'avait donc pas les mêmes préoccupations concernant l'estimation de la première langue officielle de ces nouveaux immigrants, alors que, maintenant, ils proviennent principalement d'Asie.
L'objectif des données du recensement ou de différentes enquêtes est de refléter le mieux possible la réalité sur le terrain. Donc, pour des raisons de comparabilité historique, par exemple, le fait de recueillir de l'information sur la connaissance des langues officielles, comme on le fait depuis 1901, nous permet de suivre l'évolution de cette caractéristique au sein de la population canadienne. De la même façon, on pose aujourd'hui une question sur la langue de travail. Il est clair que, compte tenu des enjeux liés à l'utilisation des langues au travail, que ce soit les langues non officielles dans un contexte de mondialisation, ou l'utilisation de la langue minoritaire au Québec ou à l'extérieur, ces questions sont posées pour tenir compte de ces changements.
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, les données sur la première langue officielle parlée sont tirées d'une méthode qui a été mise en place ou dérivée par Statistique Canada il y a plus de 20 ans. L'objectif de cette époque était de parvenir, avec les données disponibles, à refléter le mieux possible la réalité.
Aujourd'hui, la question se pose. Cette variable permet-elle de recueillir ou de mesurer cette réalité de la même façon? À mon avis, cette question est certainement ouverte au débat.
Le sénateur Mockler : La partie IV de la Loi sur les langues officielles porte sur les communications et les services destinés au public. Cette partie de la Loi sur les langues officielles, telle qu'elle a été rédigée en 1988, vous y avez fait allusion, contribue-t-elle à lutter efficacement contre une inquiétude que nous avons face à l'assimilation linguistique et culturelle des communautés de langue officielle en situation minoritaire, selon les données que vous avez recueillies depuis 1988?
M. Corbeil : En 1989, quand cette variable de la première langue officielle parlée a été dérivée par Statistique Canada, l'objectif n'était pas de prémunir les francophones contre l'anglicisation ou les facteurs qui pouvaient nuire à leur développement ou à leur vitalité. Il faut bien comprendre qu'il s'agissait de mesurer la demande potentielle de services dans l'une ou l'autre des langues. Une question où on demanderait aux gens quelle langue ils souhaitent utiliser pour obtenir leurs services serait très précise et très nette. On aurait peut-être des résultats qui ne feraient pas plaisir à certaines personnes et qui feraient plaisir à d'autres personnes. Pour le moment, il n'y a pas de telle question dans le recensement.
L'enquête de 2006 posait la question suivante : « Quand vous communiquez avec le gouvernement fédéral, quelle langue utilisez-vous? » Il est très clair que, pour la majorité des francophones hors Québec qui vivent dans une population ou une municipalité où leur poids démographique est inférieur à 10 p. 100, plus des deux tiers nous ont mentionné utiliser davantage l'anglais que le français, puisque c'était la langue avec laquelle ils étaient le plus à l'aise pour communiquer.
Le sénateur Mockler : À la lumière de vos propos, monsieur Corbeil, serait-il approprié pour votre bureau d'approfondir la réflexion sur cette question et sur le projet de loi S-205?
M. Corbeil : Statistique Canada a le mandat de recueillir de l'information. Une bonne partie de nos clients sont des ministères fédéraux et des agences du gouvernement fédéral. Nous avons également beaucoup d'interlocuteurs et de partenaires dans les provinces, y compris les administrations provinciales et municipales.
Statistique Canada effectue un travail à partir du moment où il y a une demande. Nous répondons à des besoins de la société canadienne. C'est la raison pour laquelle je vous ai donné un exemple bien précis tout à l'heure. Je vous ai parlé de l'ajout d'une question sur la langue parlée régulièrement à la maison qui découle de demandes de la part des partenaires provinciaux et de la part du gouvernement fédéral. De la même façon, l'ajout de la question sur la langue de travail découle de demandes de la part de partenaires.
Évidemment, ce n'est pas la responsabilité de Statistique Canada d'examiner le projet de loi, de savoir s'il est pertinent ou pas, et s'il arrive à mesurer la réalité. Statistique Canada est là pour répondre aux questions et pour faire le travail si besoin est.
La sénatrice Chaput : Monsieur Corbeil, je ne sais pas si vous êtes prêt à répondre à cette question, mais je vais vous la poser de toute façon. Dans le questionnaire du recensement ou à la suite d'une étude quelconque, vous avez mentionné que des francophones auraient répondu qu'ils demanderont des services en anglais, parce qu'ils sont plus à l'aise en anglais.
Je veux parler des services offerts dans les institutions fédérales et des francophones en situation minoritaire qui veulent être servis en français. Il n'est pas évident de trouver des services disponibles en français, lorsque l'offre active n'est pas nécessairement présente.
On ne le voit pas. La personne hésite, parce que, si elle parle en français, elle risque de se faire dire : « Un instant, on va aller chercher quelqu'un qui parle français. » Elle attend, elle est pressée, tout le monde la regarde, elle finit par demander le service en anglais. Est-ce que mon analyse est sensée?
M. Corbeil : Je n'ai pas de statistiques sur le sujet, mais c'est quelque chose qu'on entend régulièrement. Beaucoup de gens ont mentionné que, s'il n'y a pas de petit écriteau qui dit « Ici, on parle français et anglais », ils vont utiliser la langue dominante. Ce sont des choses qu'on entend régulièrement, mais on ne peut pas le mesurer dans nos statistiques.
La présidente : Sénatrice Fortin-Duplessis, avez-vous une autre question?
La sénatrice Fortin-Duplessis : Le sénateur Mockler a posé ma question.
La présidente : Ma question sera brève. On sait que certains bureaux perdent leur désignation bilingue à la suite des données du recensement. Avez-vous des données sur l'effet de ce phénomène sur les communautés?
M. Corbeil : Nous n'avons pas de donnée à ce sujet, tout simplement, parce que, d'une part, le Conseil du Trésor utilise un algorithme bien précis. Je pense que Marc Tremblay, l'un de vos témoins précédents, l'a très bien mentionné.
Donc, il est clair que, une fois qu'on a utilisé cet algorithme pour déterminer qu'il y a une situation où on passe en deçà d'un certain seuil, que ce soit en termes de pourcentage ou d'effectifs, Statistique Canada ne peut pas avoir d'idée sur les répercussions, parce que cela sous-entendrait qu'on fasse une étude sur le lien entre la prestation des services ou l'absence des services sur la vitalité de la communauté et la vitalité du français dans cette communauté.
La présidente : Ce serait un bon sujet d'étude, n'est-ce pas?
M. Corbeil : Comme je l'ai mentionné, si vous voulez qu'on fasse des études, il n'y a pas de problème, nous sommes là pour cela.
La présidente : Il faut cogner à la porte. Au nom du comité, monsieur Corbeil et monsieur Nault, je tiens à vous remercier très sincèrement d'avoir pris le temps de nous fournir des renseignements qui seront très précieux au comité dans le cadre de l'étude de ce projet de loi.
M. Corbeil : J'aimerais mentionner que vous m'aviez demandé des statistiques, mais je vous ai fourni uniquement un graphique qui est un petit tableau sur les provinces. On pourra vous faire parvenir, sous forme électronique, l'information qui s'y trouve pour les quelque 5 000 municipalités au Canada, de même que la comparaison entre la situation en 2001 et en 2011. C'est déjà tout préparé, et on n'a tout simplement qu'à vous le faire parvenir.
La présidente : Ce serait très apprécié si vous pouviez nous transmettre ces renseignements. Merci beaucoup.
Chers membres du comité, le deuxième sujet dont nous voulions discuter sera reporté à une réunion ultérieure.
(La séance est levée.)