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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 7 - Témoignages du 28 avril 2014


OTTAWA, le lundi 28 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour étudier les mécanismes internationaux visant à accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières, notamment les efforts du Canada pour favoriser l'adhésion et la conformité universelles à la Convention de La Haye sur l'enlèvement et renforcer la coopération avec les États non signataires, afin de défendre les intérêts des enfants.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à la dixième réunion de la seconde session de la quarante et unième législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

[Français]

Le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.

Je m'appelle Mobina Jaffer, je suis présidente de ce comité et j'ai l'honneur de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion.

[Traduction]

Avant de poursuivre, je voudrais inviter mes collègues à se présenter, en commençant par le sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto.

La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Unger : Betty Unger, d'Edmonton, en Alberta.

La présidente : Honorables sénateurs, lors de notre réunion du 2 décembre 2013, le comité a convenu d'étudier les mécanismes internationaux visant à régler les disputes familiales transfrontalières.

[Français]

Cette étude a pour but d'accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières, notamment les efforts du Canada pour favoriser l'adhésion et la conformité universelles à la Convention de La Haye sur l'enlèvement et renforcer la coopération avec les États non signataires afin de défendre les intérêts des enfants.

[Traduction]

Bien qu'il ne soit pas nouveau, le problème de l'enlèvement international d'enfants par le père ou la mère a pris de l'ampleur ces dernières décennies, avec l'augmentation généralisée des déplacements dans le monde, des relations internationales ainsi que des divorces et des séparations judiciaires. En pareils cas, l'enfant est arraché à son environnement familial, c'est-à-dire à son domicile habituel, emmené dans un autre État par le parent ravisseur, et peut perdre tout contact avec l'autre parent.

[Français]

Les cas d'enlèvement parental international peuvent être particulièrement éprouvants pour les personnes touchées. Selon les cas, le rapt peut avoir de graves conséquences sociales, psychologiques et même physiques sur l'enfant et sur le parent qui en est séparé. De plus, les différences entre les systèmes judiciaires d'un État à un autre ainsi que la distance géographique constituent souvent des obstacles qui font de la localisation et du retour de l'enfant enlevé puis emmené à l'étranger un problème juridique international difficile à résoudre.

[Traduction]

Je voudrais, pour commencer, souhaiter la bienvenue à tous nos témoins. Comme c'est une nouvelle étude pour nous, nous avons hâte de connaître votre point de vue sur les moyens de travailler ensemble pour aider les enfants canadiens et défendre leurs intérêts.

Nous accueillons aujourd'hui, de la Gendarmerie royale du Canada, le commissaire adjoint Joe Oliver, qui est responsable des Opérations techniques, et le sergent Jane Boissonneault, du Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés.

Nous avons aussi, de l'Agence des services frontaliers du Canada, Denis Vinette, directeur général des Opérations frontalières.

Nous accueillons en outre, de Citoyenneté et Immigration Canada, Lu Fernandes, directeur général, Intégrité du Programme de passeport, et Michelle Lattimore, directrice, Direction des opérations de l'intégrité, Direction générale de l'intégrité du Programme de passeport.

Je souhaite la bienvenue à tous. Je suppose que c'est vous qui commencerez, commissaire Oliver.

Joe Oliver, commissaire adjoint, Opérations techniques, Gendarmerie royale du Canada : Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de présenter un aperçu du travail accompli par la Gendarmerie royale du Canada dans le domaine de l'enlèvement international d'enfants.

Je suis le commissaire adjoint Joe Oliver. Je suis chargé de superviser la Direction des opérations techniques de la GRC, qui comprend le Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés. Je suis accompagné aujourd'hui du sergent Jane Boissonneault, qui est une experte en matière d'enlèvement d'enfants. Au cours des prochaines minutes, je vous donnerai une idée de la façon dont le centre aide la communauté canadienne d'application de la loi à enquêter sur les enlèvements internationaux d'enfants.

Le Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés a pour mandat de fournir des services spécialisés à la police, aux médecins examinateurs et aux coroners, à l'appui des enquêtes sur les personnes disparues et les restes non identifiés. En ce qui concerne l'enlèvement international d'enfants, le centre s'acquitte d'un certain nombre de fonctions importantes, y compris la coordination d'enquêtes internationales ainsi que la prestation de services de formation sur l'application de la loi et de services spécialisés de soutien aux enquêtes, comme le vieillissement des portraits composites.

[Français]

Les enquêtes sur les enlèvements internationaux d'enfants sont complexes et nécessitent une communication en temps opportun entre plusieurs administrations réparties sur plusieurs fuseaux horaires.

[Traduction]

Naviguer dans le méandre des complexités juridiques de telles enquêtes nécessite la coopération de multiples intervenants et partenaires. Le centre maintient une capacité d'intervention 24 heures sur 24 et travaille en étroite collaboration avec la police aussi bien au Canada que dans quelque 190 autres pays, par l'intermédiaire d'INTERPOL, afin de retrouver les enfants enlevés, de les rendre en toute sécurité à leurs tuteurs légaux et, en même temps, de tenir les ravisseurs responsables de leurs actes dans les cas où des accusations criminelles sont justifiées. Grâce au processus de notices d'INTERPOL, la GRC peut demander l'aide de la police à l'échelle internationale afin de retrouver des enfants disparus ou enlevés et d'arrêter les personnes recherchées à des fins d'extradition.

[Français]

La GRC assure également la liaison avec les autorités centrales fédérales, provinciales et territoriales aux termes de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfant afin que les enfants déplacés ou retenus illicitement puissent être ramenés à leur lieu de résidence habituel.

[Traduction]

De plus, dans le cadre du programme Nos enfants disparus, la GRC collabore avec l'Agence des services frontaliers du Canada, le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Justice, Citoyenneté et Immigration Canada et Passeport Canada pour identifier, intercepter et ramener les enfants disparus ou enlevés.

Afin d'illustrer la complexité des enlèvements internationaux d'enfants et de mettre en évidence le niveau de collaboration interorganismes qui est requis dans de tels cas, j'aimerais décrire une enquête menée en 2011. Le cas concernait une enfant et ses parents séparés — tous citoyens canadiens — ainsi qu'un beau-père qui avait été expulsé du Canada et renvoyé au Liban. La fille et sa mère sont allées au Liban rendre visite au beau-père expulsé et, contrairement à une entente écrite entre les parents biologiques, la mère n'a pas ramené l'enfant au Canada. Le père délaissé a signalé l'enlèvement à la police montréalaise, qui a fait appel au centre pour obtenir son aide et bénéficier de son expertise. Comme le père avait une ordonnance de garde canadienne, la mère a par la suite été accusée d'enlèvement et a fait l'objet d'un mandat d'arrestation pancanadien. Le centre a ensuite travaillé avec INTERPOL afin de publier une notice rouge pour faire arrêter la mère et une notice jaune pour retrouver l'enfant enlevée.

Tout le long de cette enquête, la GRC a collaboré étroitement avec les Affaires étrangères, la police de Montréal et les agents de liaison de la GRC à l'étranger pour aider le père délaissé à retrouver son enfant. Il convient de noter que le Liban n'est pas l'un des pays signataires de la Convention de La Haye.

Le tribunal libanais, même s'il hésitait au départ à intervenir vu qu'aucune des parties n'était libanaise, a fini par accorder au père délaissé la garde exclusive de l'enfant. Une fois le père et l'enfant réunis, Passeport Canada a facilité la délivrance de documents de voyage qui ont permis au père et à sa fille de rentrer au Canada en juillet 2013. Le mandat d'arrestation et la notice rouge sont toujours en vigueur relativement à la mère, qui demeure en liberté.

Comme vous l'ont dit quelques témoins, l'intervention de la police en cas d'enlèvement d'un enfant par un parent n'a pas toujours été uniforme. L'expérience peut être particulièrement difficile et frustrante pour les parents ou les tuteurs délaissés qui s'inquiètent de la sécurité et du bien-être de l'enfant enlevé.

Le centre a réagi en élaborant deux cours de formation en ligne portant particulièrement sur les enlèvements d'enfants. Depuis leur mise en œuvre en janvier 2013, les cours ont été suivis par plusieurs centaines d'agents de police. Trois autres cours en ligne portant sur les enfants disparus, les personnes disparues et les restes non identifiés seront offerts plus tard cette année.

De plus, en mars 2012, la GRC a, dans le cadre d'un projet pilote, conçu un cours avancé pour les enquêteurs sur les personnes disparues et les restes non identifiés au Collège canadien de police. Le programme de formation, qui porte notamment sur les techniques d'enquête et les dispositions législatives applicables, y compris la Convention de La Haye, est actuellement révisé en fonction de commentaires formulés par des experts du domaine.

[Français]

Une autre initiative importante destinée à améliorer la capacité de la police de traiter ces dossiers est la publication d'un recueil de pratiques exemplaires relatives aux cas de personnes disparues et de restes non identifiés. Bien qu'il ne s'applique pas expressément aux enlèvements d'enfants, le manuel, créé avec l'aide de spécialistes nationaux et internationaux, renferme des pratiques et des procédures d'enquête qui se sont avérées efficaces.

[Traduction]

Comme je l'ai dit plus tôt, la GRC fournit des services d'enquête spécialisés à la communauté canadienne d'application de la loi. Je vais parler brièvement de deux de ces services.

Dans le but de sensibiliser l'opinion publique et d'obtenir des renseignements du grand public, la GRC maintient un site web national avec moteur de recherche, qui présente les profils des enfants disparus, des personnes disparues et des restes non identifiés. Lancé en 2013, le site disparus-canada.ca renferme actuellement quelque 867 profils, dont 129 d'enfants disparus. Parmi ceux-ci, 24 pourraient avoir été enlevés par un parent.

[Français]

Comme vous le savez tous très bien, malgré les efforts des parents, des ONG et de la police, les enfants enlevés ne sont pas toujours retrouvés rapidement. Dans les cas qui demeurent non résolus pendant des années, la GRC offre un service de vieillissement de portraits composites.

[Traduction]

À partir de photos de famille, des artistes judiciaires spécialisés créent des portraits actualisés des enfants, qui sont ensuite publiés en vue d'obtenir des renseignements du grand public et de nouvelles pistes d'enquête.

J'ajouterai, pour conclure, que la GRC, en étroite collaboration avec les organismes policiers et gouvernementaux, offre divers services d'enquête et de soutien dans les cas d'enlèvement international d'enfants. En tant que bureau central canadien d'information sur les enfants disparus, nous demeurons résolus à retrouver les enfants enlevés et à les rendre en toute sécurité à leurs parents ou à leurs tuteurs légaux.

Le sergent Boissonneault et moi-même nous ferons maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

La parole est maintenant à M. Vinette.

[Français]

Denis Vinette, directeur général, Opérations frontalières, Agence des services frontaliers du Canada : Bonsoir, honorables sénateurs. Je suis directeur général des opérations à l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui a comme rôle d'appuyer nos sept régions, d'un océan à l'autre, dans toutes nos opérations frontalières.

J'aimerais vous remercier de votre invitation à participer à cette importante discussion.

Sachez, madame la présidente, que les agents des services frontaliers de l'ASFC traitent presque 300 000 voyageurs chaque jour et sont sur un pied d'alerte pour retrouver les enfants disparus ou enlevés dans les aéroports internationaux, dans nos ports maritimes et aux postes frontaliers terrestres du Canada.

Nos agents constituent le premier point de contact des personnes qui cherchent à entrer au pays. À ce titre, ils sont très bien placés pour contribuer à l'identification et au retour des enfants disparus qui ont traversé des frontières internationales.

[Traduction]

L'ASFC est un organisme partenaire du programme Nos enfants disparus depuis sa création en 1986. L'agence travaille de concert avec la Gendarmerie royale du Canada, le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, le ministère de la Justice et le Programme de passeport de Citoyenneté et Immigration Canada pour protéger les enfants vulnérables qui passent la frontière canadienne. Depuis le début du programme, plus de 1 750 enfants disparus ou enlevés ont été retrouvés et rendus à leurs tuteurs légaux.

Grâce au travail de ses employés à l'administration centrale, dans les régions et à l'étranger, ainsi qu'à la participation du Centre des opérations frontalières et du Centre de confirmation des mandats, l'agence a formé un vaste réseau d'échange d'information et de renseignements afin d'appuyer les enquêtes sur les enfants disparus et de favoriser leur retour. L'ASFC joue un rôle essentiel dans le cadre de ce réseau. Elle aide ses partenaires en diffusant des avis de surveillance une fois que ceux-ci ont été étayés à l'aide de documents fournis par les organismes locaux d'exécution de la loi et les Services nationaux des enfants disparus de la GRC, en interceptant et en récupérant des personnes aux points d'entrée, en facilitant les réunifications, en appuyant les enquêtes actives et en partageant l'information et les renseignements qu'elle a recueillis.

De plus, le Centre des opérations frontalières est le premier point de contact pour les activités menées en dehors des heures ouvrables dans le cadre du programme Nos enfants disparus. Il offre, 24 heures sur 24 et sept jours par semaine, un soutien aux organismes d'exécution de la loi d'ici et d'ailleurs qui ont besoin d'aide dans leurs enquêtes relatives à des enfants disparus ou enlevés et à des délinquants soupçonnés.

[Français]

L'ASFC participe aussi aux activités du Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants (CNCEE), qui relève de la GRC, à Ottawa.

Comme vous le savez, le CNCEE fait partie du Centre canadien de police pour les enfants disparus et exploités et agit à titre de centre de coordination national voué à la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle sur Internet, que ce soit en provenance du Canada ou de l'étranger.

Depuis 2006, un employé de l'ASFC travaille au CNCEE et s'acquitte des tâches suivantes : apporter ses connaissances spécialisées à la collecte d'information et de renseignements concernant les agresseurs sexuels d'enfants qui se déplacent à l'étranger; participer aux enquêtes et aux projets qui visent les présumés agresseurs sexuels d'enfants transnationaux et les Canadiens qui se rendent dans des pays étrangers et en reviennent pour agresser sexuellement des enfants; collaborer avec INTERPOL dans les dossiers concernant les agresseurs sexuels d'enfants inscrits qui cherchent à entrer au Canada; établir des réseaux de personnes-ressources internes et externes pour déterminer les tendances criminelles et exécuter des analyses du renseignement.

[Traduction]

Le représentant de l'ASFC au CNCEE transmet à l'agence des renseignements utilisables sur les personnes, les véhicules ou les marchandises traversant la frontière qui sont susceptibles de mener au sauvetage d'enfants gardés dans un environnement nuisible, à l'arrestation de personnes cherchant à leur faire du mal ou à la saisie de biens interdits en vertu du Code criminel. L'an dernier, par exemple, l'agence a prêté son concours, à des aéroports et des points d'entrée de tout le Canada, pour retrouver 18 enfants disparus et a effectué 133 saisies d'objets liés à la pornographie juvénile.

En première ligne, les agents des services frontaliers sont constamment sur un pied d'alerte pour repérer les enfants qui ont besoin de protection. Ils portent donc une attention particulière aux enfants qui entrent au Canada. En plus d'être à l'affût des enlèvements d'enfants par un tuteur légal ou un étranger, nos agents cherchent à repérer les fugueurs ou les enfants qui pourraient être victimes de réseaux de traite de personnes ou de passage de clandestins. Si, pour quelque raison que ce soit, un agent croit être en présence d'une situation liée à un enfant disparu, il renvoie automatiquement la personne qui essaie d'entrer dans le pays à un examen secondaire en vue d'un interrogatoire approfondi.

Les agents ont à leur disposition une multitude de ressources, incluant une formation en techniques d'interrogatoire des adultes et des enfants, l'accès aux bases de données de la police, de l'immigration et des enfants disparus, ainsi que de nombreux partenariats avec les services de protection de l'enfance et les organismes d'exécution de la loi des deux côtés de la frontière.

Je dirai enfin que l'ASFC est fière d'appartenir à un immense réseau comprenant des organismes d'exécution de la loi de tous les secteurs de compétence, au Canada et à l'étranger, ainsi que des ministères et des organismes communautaires qui travaillent ensemble pour retrouver et protéger les enfants qui risquent d'être maltraités ou qui sont en danger, et pour localiser les délinquants et les traduire en justice.

Je serai maintenant heureux de répondre aux questions du comité.

La présidente : Merci beaucoup.

C'est maintenant au tour de M. Fernandes.

Lu Fernandes, directeur général, Direction générale de l'intégrité du Programme de passeport, Citoyenneté et Immigration Canada : Madame la présidente, honorables membres du comité, je vous remercie de votre invitation. Nous sommes heureux de contribuer à cette importante étude sur les mécanismes internationaux visant à accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières et combattre l'enlèvement international d'enfants.

Je m'appelle Lu Fernandes. Je suis directeur général de l'Intégrité du Programme de passeport à Citoyenneté et Immigration Canada. Je suis accompagné aujourd'hui de Michelle Lattimore, directrice des Opérations de l'intégrité à la Direction générale de l'intégrité du Programme de passeport.

[Français]

À titre d'information, depuis le 2 juillet 2013, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada (CIC) assume l'entière responsabilité du Programme de passeport, y compris la délivrance, le refus de délivrance, la révocation, la retenue, la récupération et l'utilisation des passeports canadiens.

Le ministre est également chargé de fournir des conseils aux missions qui délivrent des passeports à l'étranger et de gérer toutes les questions relatives aux documents de voyage canadiens.

À cette date, la prestation des services nationaux dans le cadre du Programme de passeport devient la responsabilité du ministre de l'Emploi et du Développement social, alors que le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement continue d'offrir les services de passeport aux Canadiens à l'étranger.

Ce transfert à CIC place la délivrance d'un passeport en fin de parcours dans le continuum des services fournis par un ministère qui est chargé de s'occuper de ceux qui souhaitent visiter le Canada, y étudier, y travailler, y immigrer et, éventuellement, demander la citoyenneté canadienne. Il confie également la prestation nationale de ces services à l'organisme de prestation de services du gouvernement, Service Canada.

[Traduction]

J'aimerais maintenant prendre quelques minutes pour parler de la contribution du Programme de passeport à la prévention de l'enlèvement international d'enfants. Pour commencer, je traiterai du processus proprement dit de délivrance des passeports, qui diffère légèrement selon qu'il s'agit d'une demande pour adulte ou pour enfant et qui peut susciter une certaine confusion chez les parents qui s'inquiètent de la possibilité d'un enlèvement.

En vertu du Décret sur les passeports canadiens, un enfant est défini comme toute personne de moins de 16 ans. Cela signifie que toute personne de 16 ans ou plus peut demander un passeport sans le consentement ou l'intervention d'un parent. Toutefois, avant cet âge, un enfant ne peut obtenir un passeport que si un parent ou un tuteur légal en fait la demande en son nom en présentant un formulaire signé et toute la documentation nécessaire.

Par conséquent, pour déterminer l'admissibilité, nous examinons deux autres éléments, à savoir qui est autorisé à présenter une demande au nom d'un enfant et qui doit consentir à la demande ou l'autoriser.

[Français]

En ce qui concerne les personnes autorisées à présenter une demande, il y a en général deux cas de figure. Lorsque les parents sont mariés, qu'ils soient conjoints de fait ou qu'ils aient la garde partagée à la suite d'un divorce ou d'une séparation, l'un ou l'autre peut agir à titre de requérant. Si la garde exclusive est accordée à un seul parent, seul celui-ci peut demander un passeport au nom de l'enfant.

En ce qui a trait aux personnes qui doivent autoriser une demande ou y consentir, de notre point de vue, peu importe la situation entourant la garde, il est toujours préférable que les deux parents participent à l'obtention de services de passeport pour leur enfant en signant le formulaire de demande. Dans des cas exceptionnels, nous pouvons déterminer le niveau de participation requis du parent qui n'a pas la garde en examinant les documents relatifs à la garde de l'enfant.

[Traduction]

Dans tous les cas, il est essentiel de comprendre que le processus d'examen de l'admissibilité au passeport repose largement sur le requérant. Les parents doivent nous indiquer sur le formulaire de demande pour enfant quelle est leur relation avec l'autre parent et nous révéler l'existence de tout accord de séparation, ordonnance de la cour ou procédure judiciaire se rapportant à la garde de l'enfant, à ses déplacements ou aux droits de visite.

Pour réduire le risque que des parents présentent des demandes frauduleuses ou dissimulent des documents liés à la garde de l'enfant, le Programme de passeport utilise un outil interne appelé Liste des signalements, ou LS, pour donner l'alerte s'il est nécessaire de faire un examen approfondi d'une nouvelle demande. Ainsi, si un parent craint que l'autre parent ne demande un passeport pour leur enfant à son insu ou sans son consentement, il peut faire ajouter le nom de l'enfant à la LS pour s'assurer que toute demande de passeport fera l'objet d'un examen rigoureux.

S'il est clairement établi que le parent ou le tuteur légal qui présente la demande a le droit de le faire et respecte toutes les exigences, un passeport peut être délivré à l'enfant, même si son nom figure sur la LS. Dans ce cas, le parent qui avait demandé l'ajout du nom de l'enfant à la LS est informé par écrit de la délivrance du passeport.

La présence du nom d'un enfant sur la LS ne l'empêchera cependant pas de voyager s'il est déjà en possession d'un passeport canadien. De même, elle n'annulera pas un passeport canadien qui a déjà été délivré. Toutefois, nous examinerons la demande présentée antérieurement pour repérer tout indice de fraude. Par conséquent, si un passeport canadien a déjà été délivré, nous recommandons fortement au parent qui craint l'enlèvement de son enfant de s'adresser aux tribunaux pour obtenir ou faire modifier une entente de garde de façon à limiter les déplacements de l'enfant, imposer l'utilisation du passeport ou exiger que tout passeport délivré antérieurement soit remis au Programme de passeport ou à un tiers, par exemple un avocat.

En effet, si les responsables savent qu'il existe une ordonnance judiciaire imposant que tout passeport délivré précédemment soit remis au Programme de passeport ou au tribunal, ils peuvent évaluer le dossier afin de déterminer si le passeport non retourné peut être considéré comme volé et s'il convient d'en informer nos partenaires d'application de la loi et de contrôle frontalier, comme l'ASFC ou INTERPOL. Si le document est déclaré volé, il sera saisi aux points de contrôle frontalier internationaux et le voyage sera interrompu.

Par ailleurs, il importe de souligner que certaines circonstances indépendantes de la volonté des responsables du Programme de passeport peuvent contrecarrer les efforts déployés pour prévenir l'enlèvement international d'enfants. Premièrement, en vertu de l'Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental, les enfants de moins de 16 ans peuvent présenter une copie de leur certificat de naissance ou de citoyenneté pour passer la frontière terrestre entre le Canada et les États-Unis; ils n'ont pas à présenter un passeport. Deuxièmement, même si un passeport est déclaré volé ou est annulé, il revient au personnel du contrôle frontalier étranger d'en vérifier le statut lors de l'entrée dans le pays en question.

[Français]

Pour remédier à certaines des situations les plus complexes, nous avons mis sur pied en 2010 le premier groupe de travail du Programme de passeport à se pencher sur les enjeux propres aux enfants : le Groupe de travail sur les enfants (GTE). Au départ, il s'agissait d'une initiative interne, mais elle s'est élargie et compte maintenant des partenaires gouvernementaux et des partenaires d'application de la loi. Par l'entremise du GTE, nous sommes maintenant bien placés pour mettre l'accent sur les mesures à prendre relativement aux enjeux qui touchent les enfants en particulier.

En ce qui concerne la question de l'enlèvement d'enfants, cela s'est produit grâce à une participation accrue à des initiatives externes, telles que Nos enfants disparus et le programme d'alerte AMBER. En outre, à l'interne, nous venons de terminer la rédaction d'une publication destinée à nos agents lorsqu'ils abordent la liste des signalements (LS) avec des parents inquiets.

Nous avons également adopté un formulaire normalisé afin d'accélérer et de simplifier les ajouts à la LS.

[Traduction]

Pour nous, il s'agit de faire de notre mieux avec l'information dont nous disposons, car l'information joue un rôle déterminant. Les parents doivent faire leur part en nous fournissant toute information pertinente sur leur enfant et en nous avertissant s'ils craignent que la délivrance d'un passeport n'entraîne un déplacement illicite de leur enfant hors du Canada. Nous savons que les enfants font partie de nos clients les plus vulnérables et, tout comme vous, nous sommes déterminés à veiller à leur bien-être et à leur sécurité.

J'espère que ces renseignements vous ont permis de mieux comprendre le rôle que joue le Programme de passeport dans la prévention de l'enlèvement d'enfants. Je vous remercie.

La présidente : Je remercie tous les témoins de leurs exposés. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur Eggleton : Ma première question s'adresse à la GRC. En 1998, le Sous-comité des droits de la personne et du développement international de la Chambre des communes avait publié un rapport sur l'enlèvement international d'enfants. Il avait dit à l'époque que la plupart des services de police n'avaient pas une politique opérationnelle complète à appliquer en cas de disparition d'enfants. L'inscription des cas d'enlèvement par un parent dans la base de données du Centre d'information de la police canadienne, ou CIPC, était facultative, de même que la déclaration des cas au Bureau d'enregistrement des enfants disparus. De plus, d'après les témoins qui avaient comparu devant le sous-comité, il fallait parfois attendre des semaines avant que la police n'agisse, et il arrivait qu'elle ne fasse absolument rien. La situation a-t-elle évolué depuis la parution de ce rapport en 1998? Si oui, de quelle façon?

M. Oliver : Je suis persuadé qu'il y a eu des améliorations dans la façon dont la police réagit dans de tels cas. Le problème, dans le passé, c'est que la police n'était pas toujours sûre d'être habilitée à intervenir dans ce qu'elle considérait comme des cas relevant du droit civil. Depuis, comme je l'ai mentionné, il y a eu un certain nombre d'initiatives de formation destinées à mieux renseigner la communauté d'application de la loi sur ses rôles et responsabilités. De plus, la collaboration s'est intensifiée entre les autorités centrales, les ONG et cette communauté.

En ce qui concerne la GRC, je peux dire au comité qu'en vertu de notre politique opérationnelle, nous devons nous occuper rapidement des cas d'enfants disparus et faire des enquêtes approfondies. C'est la norme qui a servi de base à la politique opérationnelle de la GRC.

Le sénateur Eggleton : Cela signifie-t-il que l'inscription dans la base de données du CIPC et au Bureau d'enregistrement des enfants disparus est maintenant obligatoire? D'après le rapport du comité, elle était alors facultative.

M. Oliver : Chaque organisme d'application de la loi est responsable de ses propres inscriptions dans la base de données du CIPC. Il peut y avoir des cas d'enlèvement qui ne sont pas inscrits parce que l'enfant est retrouvé avant que l'inscription n'ait été faite. Il se peut également que l'inscription soit faite par un service de police, puis qu'elle soit finalement retirée, transférée ou refaite par un autre service considéré comme étant plus directement responsable de l'affaire.

L'inscription est-elle obligatoire? Non. L'inscription au CIPC relève de chacun des organismes d'application de la loi qui y contribuent. Chacun est responsable de la mise à jour des enregistrements.

Le sénateur Eggleton : L'inscription est-elle obligatoire à la GRC?

M. Oliver : Je vais peut-être demander au sergent Boissonneault de répondre. Je ne crois pas qu'elle soit obligatoire, mais elle fait sûrement partie des pratiques exemplaires. Dans toutes nos directives opérationnelles ainsi que dans notre manuel des pratiques exemplaires, nous insistons sur le fait que le CIPC joue un rôle central essentiel dans ces cas.

Sergent Jane Boissonneault, Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés, Gendarmerie royale du Canada : L'inscription n'est pas obligatoire, mais, chaque fois que nous recevons un rapport, nous conseillons fortement à l'organisme qui l'a établi d'inscrire l'enfant au CIPC. Sans cette inscription, nous ne pouvons pas envoyer un avertissement à l'ASFC ou une notice jaune à INTERPOL. Par conséquent, nous exhortons les organismes à faire les inscriptions, mais elles ne sont pas obligatoires. La décision appartient à l'organisme d'enquête.

Le sénateur Eggleton : Quand vous parlez d'« organisme d'enquête », s'agit-il des services d'enquête de la GRC ou d'un autre service local de police?

Mme Boissonneault : Quand je parle d'« organisme d'enquête », je veux désigner l'ensemble des services de police. Pour la GRC, non, ce n'est pas obligatoire. C'est fortement conseillé, mais pas obligatoire.

Le sénateur Eggleton : Je vois.

D'après votre réponse, j'ai l'impression que la situation s'est améliorée à certains égards depuis la publication de ce rapport de 1998. Est-ce également le cas pour les services locaux de police? Malheureusement, nous n'avons ici aucun représentant de ces services. Nous devions avoir des témoins de l'Association canadienne des policiers, mais ils ne sont pas venus. Croyez-vous qu'en gros, les mêmes améliorations se retrouvent aussi dans les services locaux de police? Ont-ils apporté des changements sensibles à leur approche de ce problème?

Mme Boissonneault : Je crains de ne pas pouvoir répondre au nom des autres organismes de police.

Le sénateur Eggleton : D'accord.

Je voudrais maintenant poser une question aux représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada. Vous avez dit dans votre exposé que vos agents sont constamment sur un pied d'alerte pour repérer les enfants enlevés ou disparus dans les aéroports, les ports et les postes frontaliers terrestres. Est-ce que vos agents agissent strictement en fonction de renseignements transmis par la police, la GRC ou d'autres organismes d'application de la loi? Ou bien leur apprenez-vous, dans le cadre de vos programmes de formation, à se montrer proactifs et à agir de leur propre initiative pour repérer des cas possibles d'enlèvement?

M. Vinette : Je dirai que c'est les deux à la fois. Lorsqu'ils sont engagés, nos agents suivent un cours de 18 semaines à notre collège national de Rigaud, au Québec. Le cours comprend un module obligatoire qui vise à apprendre à tous les agents à être vigilants dans le cas des enfants. En général, nous leur expliquons dans ce module ce que nous avons constaté sur le terrain. Nous les familiarisons avec les techniques d'interrogatoire des adultes et des enfants pour qu'ils soient en mesure de rechercher de leur propre initiative ce que nous appelons les indicateurs lorsqu'ils parlent à des gens qui veulent entrer dans le pays.

Je peux vous donner un exemple concret. Lorsque j'étais directeur général de la région du nord de l'Ontario, un homme s'était présenté en compagnie de deux jeunes garçons au port d'entrée de Fort Frances. Grâce à leur formation, les agents ont conclu, après avoir posé quelques questions, qu'il y avait quelque chose d'anormal. Les voyageurs étaient arrivés au milieu de la nuit sans papiers et sans bagages. Nos agents savent qu'ils doivent vérifier certaines choses, surtout lorsqu'un père ou une mère voyagent seuls avec des enfants. Dans ce cas, ils ont découvert que les autorités du Missouri étaient sur le point de lancer une alerte AMBER au sujet des deux garçons, ne sachant pas qu'ils avaient pris la direction du nord pour essayer de passer la frontière canadienne.

Ce cas montre que nos agents, grâce à leur formation, savent poser les questions qu'il faut aux gens qui cherchent à entrer au Canada dans des circonstances qui semblent s'écarter de la normale. Nous collaborons très étroitement avec l'ensemble des services locaux de police du pays, faisant partie du portefeuille de la sécurité publique avec la GRC. Il nous arrive souvent, probablement toutes les semaines, d'inscrire dans nos systèmes des personnes — il peut s'agir de ravisseurs ou d'enfants enlevés ou disparus — pour avertir nos agents qu'elles sont recherchées par un organisme donné si elles se présentent à un port d'entrée. Dans ces cas, les renseignements proviennent de notre propre système, de la base de données du CIPC ou d'un service local de police qui nous a appelés par suite d'un incident.

Le sénateur Eggleton : C'est bon à savoir.

Je vais maintenant passer aux représentants de Citoyenneté et Immigration Canada. Vous avez mentionné votre Liste de signalements, ou LS, dans le contexte d'une personne qui présente une demande de passeport au nom d'un enfant. Mais qu'arrive-t-il par la suite si l'enfant a déjà un passeport et que, quelques mois plus tard, l'autre parent commence à avoir des soupçons? Comme le passeport a déjà été délivré et que ce parent n'avait pas eu d'objection à ce moment, que peut-il faire? A-t-il la possibilité de vous appeler pour vous demander d'inscrire son fils ou sa fille sur votre Liste de signalements?

M. Fernandes : Oui, il peut le faire. On peut nous demander d'inscrire le nom d'un enfant sur la liste.

Comme je l'ai dit dans mon exposé préliminaire, le passeport ayant déjà été délivré, il nous est très difficile de le révoquer ou de l'annuler.

Le sénateur Eggleton : Mais si vous inscrivez l'enfant sur la Liste des signalements, ne demandez-vous pas aux agents de l'ASFC d'être aux aguets?

M. Fernandes : En fait, il s'agit d'un système interne que nous utilisons pour examiner les demandes de passeport.

Le sénateur Eggleton : Vous n'avertissez donc pas l'ASFC?

M. Fernandes : Pas sur la base de la Liste des signalements. Nous échangeons des renseignements au sujet des documents perdus ou volés. Nous en avertissons l'ASFC ainsi que le CIPC.

Le sénateur Eggleton : Je vois.

Nous n'avons pas un système officiel de contrôle des sorties. Nous devrions peut-être en avoir un, comme certains autres pays. Cela n'ajouterait-il pas un moyen supplémentaire de contrôle? Autrement dit, comment faire pour mettre en place de meilleures mesures préventives?

M. Fernandes : Un système de contrôle des sorties non seulement renforcerait le contrôle frontalier, mais permettrait aux organismes de police de trouver et d'identifier les enfants qui courent le risque d'être enlevés. En ce qui concerne le Programme de passeport, nous ne pourrions être au courant de l'utilisation des passeports que si un système de contrôle des sorties était en place.

Le sénateur Eggleton : D'accord. Je vous remercie.

La sénatrice Andreychuk : Merci. Je voudrais revenir à la question des passeports. Vous avez dit, je crois, que si les deux parents vivent ensemble, qu'ils soient mariés ou non, n'importe lequel des deux conjoints peut présenter une demande de passeport au nom de l'enfant. L'autre parent n'a pas à approuver la demande, n'est-ce pas?

Michelle Lattimore, directrice, Direction des opérations de l'intégrité, Direction générale de l'intégrité du Programme de passeport, Citoyenneté et Immigration Canada : En réalité, lorsque nous recevons une demande de passeport présentée au nom d'un enfant, nous demandons des renseignements sur les deux parents. Nous exigeons un certificat de naissance détaillé nommant les deux parents. Dans tous les cas, peu importe qui a la garde de l'enfant, que la garde soit conjointe ou non, que les deux parents vivent ensemble, soient mariés ou séparés, qu'ils soient séparés ou divorcés et que l'un d'eux ait la garde exclusive, nous préférons toujours que les deux parents signent la demande. C'est ce que nous faisons en général.

Par ailleurs, si l'un des parents produit une ordonnance judiciaire lui accordant la garde exclusive, il est possible que l'autre parent n'ait pas à signer la demande. Toutefois, nous demandons toujours les coordonnées de l'autre parent. Nous voulons avoir son nom et son adresse.

Comme l'a mentionné M. Fernandes, il y a des cas où l'adresse de l'autre parent est inconnue. Il arrive à certains parents de disparaître pendant des années sans donner de nouvelles. Ce sont des situations que nous connaissons de temps en temps, mais, dans tous les cas, nous tenons à voir des documents très clairs émis par un tribunal, qui nous donnent l'assurance qu'il n'y a pas grand risque à délivrer un passeport à l'enfant. Nous aimons bien que la situation soit claire du point de vue judiciaire. Nous encourageons les parents à s'adresser au tribunal si les documents qu'ils détiennent ne sont pas parfaitement clairs.

La sénatrice Andreychuk : Bref, il n'est pas obligatoire d'avoir la signature des deux parents s'ils vivent encore ensemble. C'est exact?

Mme Lattimore : C'est absolument obligatoire.

La sénatrice Andreychuk : D'accord. En cas de garde exclusive ou de garde conjointe, il suffit donc qu'un seul parent signe?

Mme Lattimore : En cas de garde exclusive, c'est le parent ainsi désigné qui doit présenter la demande de passeport. Si l'ordonnance judiciaire indique que l'autre parent a ce que nous appelons un droit d'accès spécifié à l'enfant, c'est-à-dire qu'il peut le voir un jour donné ou à une heure donnée, nous exigeons la signature de l'autre parent. Le seul cas où nous pourrions ne pas l'exiger, c'est lorsque l'ordonnance du tribunal indique que l'autre parent ne participe pas à la garde ou a ce que nous appelons un accès raisonnable à l'enfant, c'est-à-dire un accès qui n'est défini d'aucune façon précise. Dans un tel cas, nous pourrions, après une évaluation du risque, délivrer un passeport sans avoir la signature de l'autre parent. Nous exigeons cependant des renseignements complets sur ce dernier afin de pouvoir le joindre pour nous assurer qu'il n'existe aucun autre document judiciaire qui ne nous a pas été présenté. Nous essayons de prévoir le plus grand nombre possible de cas parce que nous reconnaissons que le processus repose largement sur le requérant.

La sénatrice Andreychuk : J'aimerais avoir une précision. Vous dites que si l'ordonnance judiciaire prévoit un « accès raisonnable », vous pourriez ne pas exiger la signature de l'autre parent?

Mme Lattimore : Nous pourrions ne pas l'exiger si le parent requérant a démontré qu'il ne connaît absolument pas l'adresse de l'autre parent. Toutefois, s'il lui est possible d'obtenir sa signature, nous exigeons absolument de l'avoir.

La sénatrice Andreychuk : Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai demandé. Si je suis le parent qui n'a pas la garde de l'enfant à plein temps, mais que j'ai un accès raisonnable, ma signature est-elle exigée?

Mme Lattimore : Nous essaierons toujours d'obtenir votre signature, mais, selon les circonstances, elle peut ne pas être indispensable à la délivrance d'un passeport.

La sénatrice Andreychuk : Sur quelle base jugez-vous qu'elle n'est pas nécessaire? Vous dites qu'en fait, le processus repose largement sur le requérant.

Mme Lattimore : C'est exact.

La sénatrice Andreychuk : Si le parent qui a la garde dit que l'autre parent ne vient jamais voir l'enfant, acceptez-vous sa parole?

Mme Lattimore : Non. Dans ces cas, nous ferons tout notre possible. Nous exigerons du parent requérant un acte notarié établissant qu'il ne connaît pas l'adresse de l'autre parent et n'a aucun moyen de prendre contact avec lui. Nous poserons d'autres questions pour savoir à quand remonte sa dernière visite à l'enfant. Nous continuerons à poser des questions jusqu'à ce que nous soyons persuadés que l'autre parent ne peut absolument pas, pour quelque raison que ce soit, signer la demande de passeport. C'est seulement dans ce cas que nous acceptons de délivrer un passeport sans cette seconde signature. De toute façon, les cas de ce genre ne se présentent que très rarement.

La sénatrice Andreychuk : Je ne sais pas qui peut répondre à cette question. On craint souvent, si un parent se prépare à partir, qu'il entreprenne d'abord le processus normal d'obtention d'un passeport, puis qu'il profite de l'occasion pour s'en aller. Est-ce que le nombre de ces cas augmente? Je sais que les données ne sont qu'anecdotiques.

M. Oliver : Je ne peux pas parler de cette question. Je ne dispose pas de faits permettant d'aboutir à ce genre de conclusion.

La sénatrice Andreychuk : Personne d'autre ne peut répondre? Très bien.

L'autre question que je veux aborder concerne l'échec du mariage. Arrive-t-il souvent, lorsqu'un couple se sépare légalement ou non, que les enfants soient emmenés dans un autre pays, qu'il soit nécessaire de recourir à la Convention de La Haye et que nous ayons sur les bras davantage d'affaires d'enfants disparus? Nous parlons de personnes de 16 ans et moins. Par conséquent, dans le cas d'un enfant de 14 ans, s'agit-il d'un cas d'enfant disparu par opposition à un problème de garde? Les enfants sont-ils emmenés à l'étranger ces jours-ci?

M. Oliver : Dans une optique policière, si un parent s'adresse à nous, nous considérons que c'est un cas d'enfant disparu. D'après nos directives opérationnelles, nous devons agir rapidement et faire une enquête approfondie. Les circonstances varient : il peut y avoir ou non une ordonnance, il y a parfois un schéma de déplacement établi dans lequel un parent peut partir puis revenir, et ainsi de suite. La détermination des faits et des antécédents est très importante lorsque nous examinons des affaires de ce genre.

Pour ce qui est de l'identification des cas, nous essayons de répartir les affaires d'enlèvement par les parents selon l'existence d'une ordonnance de garde, afin d'établir les statistiques que nous publions chaque année sur notre site web. Toutefois, les chiffres sont combinés et n'indiquent pas nécessairement un schéma particulier dépendant de l'ordonnance de garde. C'est un peu mélangé. Les proportions dans certains cas sont de 60 à 40 p. 100. Il est difficile de dire avec précision si les cas se classent dans un groupe ou dans l'autre.

La sénatrice Andreychuk : Monsieur Fernandes, vous avez un système interne d'alerte. Pourquoi ne communiquez-vous pas vos renseignements à l'Agence des services frontaliers du Canada?

M. Fernandes : Le système d'alerte est utilisé par nos propres agents du secteur de l'intégrité pour signaler et examiner des cas. Nous tenons parfois les renseignements d'un conjoint qui n'est pas très satisfait de l'ordonnance de garde émise ou des conditions du divorce ou de la séparation. Par conséquent, ces renseignements ne sont pas nécessairement objectifs. Encore une fois, comme Mme Lattimore l'a dit, le processus repose largement sur le requérant. Un parent peut demander que son enfant soit inscrit sur la Liste des signalements. Les renseignements fournis n'étant pas toujours exacts, nous ne tenons pas vraiment à communiquer à nos partenaires des données dont nous ne sommes pas sûrs. Nous préférons prendre le temps de faire les examens nécessaires dans le cadre de nos programmes et de nos systèmes afin de déterminer l'admissibilité à un passeport.

La sénatrice Andreychuk : Une fois que vous avez fait cet examen et que vous avez confirmé l'exactitude des renseignements, pourquoi ne les communiquez-vous pas?

M. Fernandes : Encore une fois, c'est un simple examen interne destiné à nous permettre de prendre une décision sur l'admissibilité d'une demande. Une fois que nous avons déterminé cette admissibilité, le passeport est délivré. À ce moment, il n'y a plus de problème.

La sénatrice Unger : Ne croyez-vous pas que ces renseignements peuvent servir à l'Agence des services frontaliers du Canada? Voici ce que vous avez dit dans votre exposé préliminaire : « Pour nous, il s'agit de faire de notre mieux avec l'information dont nous disposons, car l'information joue un rôle déterminant. Les parents doivent faire leur part en nous fournissant toute information pertinente... » Ne pensez-vous pas que ces renseignements peuvent servir à d'autres organismes et permettre ainsi de prévenir un enlèvement?

M. Fernandes : Je répète encore que la Liste des signalements sert à déterminer l'admissibilité au passeport. Elle nous permet de savoir s'il y a un problème. Une fois l'information vérifiée et validée, le passeport est délivré à l'enfant. À ce moment, le risque qu'il soit enlevé est faible sinon inexistant.

Mme Lattimore : J'ajouterai que la Liste des signalements constitue pour nous, comme l'a dit M. Fernandes, un outil interne qui nous permet de savoir quelles demandes doivent faire l'objet d'un examen plus serré. Nous ne nous en servons pas seulement dans le cas des enfants.

Dans certains cas, un parent peut s'adresser à nous après la délivrance du passeport pour nous dire qu'il dispose maintenant de nouveaux documents judiciaires en vertu desquels l'autre parent ne peut pas continuer à détenir le passeport. Il pourrait nous dire, par exemple : « J'ai un nouveau document judiciaire qui montre que le passeport devrait être remis au tribunal ou à moi-même. » Dans un tel cas, la Liste des signalements permet d'examiner la demande pour déterminer si le requérant demeure encore admissible. S'il ne l'est plus et qu'il nous est possible d'entreprendre un processus de révocation ou d'annulation du passeport, l'information est immédiatement communiquée à la police et à l'ASFC par l'intermédiaire du CIPC et du Système de soutien des opérations des bureaux locaux. Nous nous servons de ces moyens très puissants pour échanger de l'information avec les organismes d'application de la loi et de contrôle frontalier, mais, pour nous, la Liste des signalements n'est vraiment qu'un moyen interne de repérage. Comme M. Fernandes l'a mentionné dans son exposé préliminaire, le fait qu'un nom figure sur la liste ne signifie pas nécessairement que nous ne délivrerons pas un passeport.

Nous nous soucions beaucoup des contacts avec les parents. Ceux-ci ont longtemps cru que si leur enfant est inscrit sur notre Liste des signalements, il ne pourra ni obtenir un passeport ni voyager à l'étranger. Nous avons déployé de grands efforts pour expliquer aux parents, par l'entremise de nos partenaires du ministère des Affaires étrangères et des organismes d'application de la loi et grâce à notre participation au programme Nos enfants disparus, qu'en fin de compte, il faut disposer d'une ordonnance judiciaire pour empêcher la délivrance d'un passeport et empêcher un enfant de voyager.

De plus, même si un passeport est inscrit comme ayant été révoqué, perdu ou volé par l'autre parent, le fait n'a aucune valeur en soi si le passeport n'est pas vérifié à la frontière. Nous dépendons beaucoup de l'excellent travail que font les responsables des services frontaliers partout dans le monde afin de repérer de tels passeports et d'identifier les enfants en cause lorsqu'ils passent la frontière.

Le sénateur Eggleton : Je voudrais revenir sur une question que je vous ai déjà posée plus tôt. Je voulais savoir si un parent peut, après la délivrance du passeport, vous appeler et vous dire : « Je crains que mon épouse ne soit partie en emmenant ma fille. Nous avons conjointement obtenu le passeport et j'avais signé la demande il y a plusieurs mois. Toutefois, la situation n'est plus la même, et je vous demande d'inscrire ma fille sur votre Liste des signalements. » J'ai peut-être mal compris, mais j'ai l'impression que vous m'avez donné une réponse positive, à savoir qu'un parent peut faire cette démarche après la délivrance d'un passeport.

Vous dites maintenant que la situation peut changer si une personne s'adresse à un tribunal et obtient une ordonnance différente. Eh bien, les gens n'ont pas tous les moyens de s'adresser constamment aux tribunaux. De plus, une situation peut évoluer très rapidement. S'il y a rupture entre les parents, l'un d'eux peut téléphoner parce qu'il craint qu'un enlèvement ne se produise à n'importe quel moment. Même s'il a les moyens de s'adresser aux tribunaux, la procédure judiciaire peut être très lente.

Vous disposez d'un système. Je comprends bien qu'il est interne, mais il pourrait servir de moyen préventif dans une situation comme celle que je viens de décrire. Dans un cas de ce genre, ne croyez-vous pas qu'il serait logique d'avertir l'Agence des services frontaliers du Canada pour que ses agents sachent qu'une certaine personne pourrait bien se présenter à la frontière?

M. Fernandes : Eh bien, monsieur, je crois que cette information pourrait être utile. Toutefois, il faudrait aussi tenir compte des droits de l'autre parent. Si l'un des parents nous dit qu'il est inquiet parce qu'un passeport a été délivré et qu'un incident s'est produit par la suite, le meilleur conseil que nous ayons à donner est d'obtenir une ordonnance judiciaire. Vous avez raison, cela peut occasionner des difficultés à certains parents qui n'auraient pas les moyens de le faire. Le fait de nous demander de porter le nom d'une personne sur notre Liste des signalements est une chose. Nous pouvons légalement prendre des mesures en vertu du Décret sur les passeports canadiens si nous apprenons qu'un passeport a été perdu ou volé. C'est à cet égard que notre action peut être limitée.

Devrions-nous avertir l'Agence des services frontaliers qu'un enfant pourrait essayer de passer la frontière? Encore une fois, il s'agirait de personnes en train de quitter le pays.

Le sénateur Eggleton : Oui. C'est bien de cela que nous parlons.

M. Fernandes : Si le parent qui nous a informés ne disait pas la vérité, nous courrons le risque que l'autre parent soit arrêté à la frontière.

Le sénateur Eggleton : Je comprends cela, mais il s'agit dans ce cas non d'une interdiction, mais d'une alerte. Si vous communiquez les renseignements à l'Agence des services frontaliers du Canada, ses agents pourraient interroger la personne en cause et constater en fin de compte qu'il n'y a aucune raison de l'arrêter. La démarche n'aurait nui à personne, mais on aurait au moins donné l'alerte.

La sénatrice Seidman : Je crois qu'on vous a déjà interrogé au sujet des contrôles de sortie. Je voudrais revenir sur cette question dans le contexte de la formation et de la sensibilisation des parents, par exemple. Est-ce qu'on a fait des efforts pour éduquer les parents qui pourraient se trouver dans de telles situations afin qu'ils comprennent les restrictions que leur impose la Convention de La Haye sur l'enlèvement international d'enfants? Si les gens comprennent mieux les contrôles mis en place, est-ce que cela peut réduire le nombre d'enlèvements?

Ma question ne s'adresse à aucun témoin particulier. Si vous souhaitez y répondre, je le prie de le faire.

M. Vinette : Dans le programme Nos enfants disparus, que dirige la GRC au nom d'une multitude de partenaires, les activités de communication et d'information jouent un rôle important. Nous nous efforçons d'informer les parents qui voyagent : tuteurs légaux, mari et femme, enfants, parent voyageant seul et ainsi de suite. Si vous quittez Ottawa pour la journée pour vous rendre à Syracuse, vous devriez avoir certains documents. Voilà ce que nous faisons pour faciliter les déplacements transfrontaliers entre le Canada et les États-Unis ou à destination d'autres pays.

Nous avons mentionné que les voyageurs doivent avoir des papiers d'identité, des lettres d'autorisation et, dans certains cas, une ordonnance judiciaire pour que nos agents puissent faire les vérifications nécessaires et s'assurer que les enfants qui accompagnent des adultes ne sont pas victime d'un enlèvement. Nous faisons cela régulièrement aux ports d'entrée.

Lorsque nous avons affaire à des personnes qui n'ont pas les documents voulus — je ne dis pas les documents nécessaires, car ils ne sont pas exigés, à proprement parler —, nous profitons de l'occasion pour les sensibiliser. Chaque année, le 25 mai, Journée internationale des enfants disparus, la plupart des organismes font autant d'efforts de sensibilisation que possible pour expliquer la nécessité pour nous d'être vigilants, dans la communauté d'application de la loi, et de faire comprendre au public voyageur que ceux qui passent la frontière avec des enfants doivent s'attendre à faire l'objet d'un examen assez serré aussi bien au Canada qu'à l'étranger.

La sénatrice Seidman : J'aimerais savoir plus particulièrement quel genre de formation reçoivent les agents des services frontaliers en matière de contrôles de sortie. Avez-vous des programmes spécialisés pour les aider à comprendre ce qu'ils doivent chercher ainsi que les problèmes qui peuvent se poser?

M. Vinette : Nous avons différentes mesures ayant trait aux contrôles de sortie. Certaines concernent exclusivement le Canada, tandis que d'autres sont mises en œuvre de concert avec des partenaires.

L'Agence des services frontaliers du Canada ne contrôle pas les gens qui quittent le pays. Nous avons lancé l'initiative sur les entrées et sorties dans le cadre du programme Par-delà la frontière. Nous l'avons étendue aux ports d'entrée terrestres automatisés établis le long de la frontière Canada-États-Unis, qui suit le 49e parallèle. Nous échangeons des renseignements afin de savoir qui a quitté le Canada et qui y est entré et de déterminer s'il y a des personnes d'intérêt parmi les voyageurs. Cela ne se fait pas toujours en temps réel. Les étapes ultérieures du projet nous permettront de faire les mêmes vérifications dans le cas des passagers aériens. Nous saurons alors s'il y a des voyageurs qui figurent sur notre Liste des signalements.

Pour revenir à certaines des questions posées, je dirais que si un enlèvement ou une disparition sont signalés ou encore si un parent ne ramène pas un enfant à l'heure dite chez le parent qui en a la garde et que la police locale ouvre une enquête et diffuse une alerte, nous aurons la possibilité à l'avenir, dans le cadre de l'étape finale de mise en œuvre du projet, de recevoir un avis préalable. Ce n'est qu'une des nombreuses stratégies que nous employons.

Cela dit, même si nous ne disposons pas encore de ces moyens, nous collaborons étroitement avec nos collègues des douanes et des services frontaliers américains. Ainsi, si nous apprenons que quelqu'un essaie de quitter le Canada pour se rendre aux États-Unis, nous communiquons les renseignements et les signalements. Les Américains surveillent les gens qui quittent le Canada à destination des États-Unis. Nous travaillons également avec nos partenaires des organismes d'application de la loi lorsqu'il faut intervenir dans des cas particuliers et mettre en place des stratégies et du personnel pour être en mesure de réagir si une personne essaie de quitter le pays.

La sénatrice Seidman : Il me semble que les agents des services frontaliers constituent le premier point de contact si quelqu'un essaie de quitter le pays.

M. Vinette : Ils sont le premier point de contact des voyageurs qui arrivent dans le pays. Nous avons actuellement pour mandat de nous occuper des gens qui arrivent de l'étranger.

La sénatrice Seidman : Oui, vous avez raison. Vous vous occupez des gens qui arrivent, et c'est là que le bât blesse. Personne ne surveille ceux qui quittent le pays, à part le personnel des compagnies aériennes qui vérifie les passeports.

M. Vinette : C'est à cet égard que les relations avec les organismes d'application de la loi deviennent très importantes.

La sénatrice Seidman : C'est un problème sérieux qui est reconnu depuis un certain temps déjà. Il a fait l'objet de recommandations en 1998 dans le cadre d'une étude de la Chambre des communes. Ce problème me préoccupe encore. Je voudrais donc savoir si le Canada a une forme ou une autre d'échange de pratiques exemplaires en matière de contrôles de sortie avec ses partenaires internationaux. Y a-t-il d'autres options à envisager? Comme vous l'avez dit, le plus grand problème réside dans le fait qu'aucun responsable de la GRC ou des services frontaliers, aucun agent ayant la formation nécessaire pour comprendre ce qui se passe n'est là lorsqu'un adulte accompagné d'un enfant monte à bord d'un avion et présente un passeport qui n'est peut-être pas valide. J'insiste sur ce point parce que j'essaie de comprendre. Que pouvons-nous faire face à un problème de ce genre?

M. Oliver : En l'absence d'un système de gestion des sorties au Canada, nous avons mis en place un certain nombre de protocoles.

Tout d'abord, la GRC a publié un guide exposant les pratiques exemplaires à l'intention de la communauté des organismes d'application de la loi. Ce guide traite des mesures à prendre dans le cas des personnes et des enfants disparus et de certains moyens d'enquête qu'il est possible d'utiliser. Il y a, par exemple, l'inscription dans la base de données du CIPC pour s'assurer que l'information est disponible, et le lancement d'une alerte AMBER, qui relève des autorités provinciales. Si un État voisin est en cause, il y a des protocoles entre le programme provincial d'alerte AMBER et les autorités de cet État. En cas de lancement d'une alerte AMBER, on collabore avec le Service américain des douanes et de la protection des frontières.

Dans les cas où nous avons de bonnes raisons de croire qu'il y a possibilité d'enlèvement, les renseignements sont inscrits dans le CIPC et on recourt à l'interface américano-canadienne NCIC-CIPC pour rechercher des personnes, des véhicules et d'autres éléments et pour lancer des alertes au besoin.

De plus, il peut y avoir des ententes avec les compagnies aériennes pour déterminer si certaines personnes ont acheté un billet et pour essayer de prendre des mesures préventives le cas échéant. Il s'agit évidemment de cas dans lesquels de nouveaux renseignements ont été portés à notre connaissance et de cas ayant fait l'objet, dès le départ, d'une enquête rapide et approfondie. Bref, nous faisons de notre mieux. Dans certains cas, nos efforts n'aboutissent pas, et un enfant est alors soustrait à son environnement habituel.

La sénatrice Unger : Monsieur Oliver, vous avez mentionné à plus d'une reprise le Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés. Avez-vous eu l'occasion d'essayer d'identifier les restes d'un enfant? Si oui, à quelle fréquence?

M. Oliver : Si des restes non identifiés sont signalés à la police, dans bien des cas, l'affaire fait initialement l'objet d'une enquête sur un homicide. Toutefois, nous collaborons également avec les coroners et les experts afin d'identifier les restes retrouvés.

Nous nous occupons d'un certain nombre d'importantes initiatives destinées à renforcer la capacité du Canada à identifier les restes. Par exemple, nous constituons actuellement une nouvelle base de données analytique qui sera reliée au CIPC. Nous avons amélioré le CIPC de façon qu'il soit possible d'y introduire beaucoup plus de renseignements que dans le passé. Le nouveau système de données sur lequel nous travaillons, qui devrait devenir opérationnel entre cette année et l'année prochaine, nous donnera des capacités analytiques supplémentaires qui nous permettront d'établir une correspondance entre les affaires de personnes disparues et les restes non identifiés. Nous travaillons avec les coroners et les médecins légistes pour mettre en place ces capacités.

De plus, le guide des pratiques exemplaires que j'ai mentionné plus tôt comprend des méthodes recommandées de traitement des restes non identifiés.

Y a-t-il des cas? Oui, il arrive que des médecins légistes nous signalent des restes non identifiés qui pourraient appartenir à un enfant. Dans de tels cas, il faut se conformer à une certaine procédure d'enquête pour identifier les restes.

La sénatrice Unger : Comment travaillez-vous avec vos partenaires internationaux pour rendre un enfant enlevé à son tuteur légal?

M. Oliver : Nous avons recours à un certain nombre de mécanismes. Bien sûr, nous comptons énormément sur nos relations avec INTERPOL, l'organisation internationale de police criminelle. INTERPOL joue un rôle critique dans les affaires d'enlèvement et de disparition d'enfants. Il y a tout d'abord le processus de publication de notices, qui permet à la communauté policière d'obtenir une aide internationale. La notice jaune signale la disparition d'un enfant. Nous nous en servons pour demander à nos partenaires internationaux d'application de la loi de prendre des mesures pour retrouver l'enfant ou la personne disparue.

Dans le cas des ravisseurs, aussitôt que des accusations sont portées au Canada et que la Couronne a consenti à l'extradition, nous avons recours à la notice rouge, qui constitue l'élément de base du processus international d'identification et d'arrestation des ravisseurs.

INTERPOL est un élément critique, mais nous avons aussi, de même que l'Agence des services frontaliers du Canada, un réseau international d'agents de liaison qui collaborent sur une base quotidienne avec la communauté policière et nos partenaires d'application de la loi à l'étranger. La GRC a 35 agents stratégiquement répartis entre 26 pays, qui travaillent régulièrement avec nos partenaires internationaux. Nous avons profité des relations établies dans les cas d'enlèvement pour retrouver les enfants en cause et traduire en justice les ravisseurs.

La sénatrice Ataullahjan : J'ai une question à poser aux représentants de la GRC. Vous avez parlé d'un cas remontant à 2011 dans lequel un enfant a été emmené au Liban. Combien de temps a-t-il fallu pour régler toute cette affaire?

M. Oliver : D'après les renseignements dont je dispose, l'affaire a commencé en février 2011 et s'est terminée en juillet 2013 avec le retour au Canada du père et de l'enfant. Il a donc fallu plus de deux ans pour régler l'affaire.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez dit qu'au départ, le tribunal libanais ne tenait pas à intervenir, mais qu'il a fini par le faire. Si les tribunaux du pays étranger refusent de s'occuper d'une affaire, quels autres recours les parents ont-ils? Il semble bien, à l'heure actuelle, que les parents planifient leur coup. S'ils envisagent d'enlever un enfant, ils songent à l'emmener dans un pays qui n'a pas signé la Convention de La Haye.

M. Oliver : Je crois que vous avez déjà entendu le témoignage de nos collègues des Affaires étrangères qui offrent des services consulaires. Dans certains cas, nos services consulaires prennent contact avec le parent qui a enlevé l'enfant pour discuter avec lui des conséquences de son refus de le restituer ou de le ramener au Canada.

Si les tribunaux civils étrangers s'occupent de questions de garde, il y a cette possibilité. Selon les arrangements conclus par le Canada avec les différents pays, nous pouvons demander l'extradition du parent ravisseur si des accusations ont été portées contre lui au Canada et que la Couronne soit disposée à appuyer la demande d'extradition.

À titre d'organisme canadien d'application de la loi, la GRC n'a aucun pouvoir à l'étranger et doit compter sur la bonne volonté des autorités du pays en cause ainsi que sur les ententes policières que nous avons avec nos partenaires.

La sénatrice Hubley : Ma question s'adresse également à la GRC. Je voudrais parler des chiffres. Je m'interroge sur le nombre actuel d'enfants disparus et enlevés. Quel est leur nombre actuel d'après les chiffres du CIPC?

M. Oliver : Je ne peux vous donner qu'une idée ponctuelle du nombre d'enlèvements par des parents inscrit dans le CIPC, car le nombre peut changer tous les jours. D'après le CIPC, nous avions, le 19 avril de cette année, 85 enlèvements d'enfants avec ordonnance de garde et 72 sans ordonnance de garde, ce qui donne un total de 157 enfants enlevés par leurs parents.

La sénatrice Hubley : Le CIPC est-il le seul registre qui indique le nombre d'enfants disparus et enlevés? Y en a-t-il d'autres à consulter pour trouver le nombre exact?

M. Oliver : Cela dépend du nombre que vous cherchez. Si vous voulez avoir un chiffre ponctuel représentant la situation à un moment donné, le CIPC est le plus fiable, mais il ne donne pas nécessairement le nombre total de cas enregistrés dans une période donnée de l'année. En effet, certains cas sont inscrits à l'origine dans le CIPC, mais, s'ils sont réglés, ils n'y figurent plus. Je peux donc vous dire que, le 19 avril, le nombre de cas actifs qui restent dans le CIPC est celui que je vous ai donné.

Chaque année, le nombre de rapports inscrits dans le CIPC varie. Par exemple, en 2013, nous avons eu 130 transactions — 53 avec ordonnance et 77 sans ordonnance —, mais certains de ces cas peuvent avoir été réglés et certains autres peuvent ne pas être internationaux. Ils peuvent avoir été inscrits dans le CIPC pour une seule province ou même sur une base interprovinciale.

La sénatrice Hubley : Il y a probablement des cas où le nom de l'enfant reste dans le système pendant une longue période.

M. Oliver : Sur les 157 cas inscrits au 19 avril, un certain nombre se trouvait dans le CIPC depuis plus de deux ans.

La sénatrice Hubley : S'agit-il là des inscriptions les plus anciennes?

Mme Boissonneault : Non, nous avons des cas qui remontent à très loin. Certains sont là depuis plus de 20 ans. Nous gardons ces dossiers et continuons à faire des recherches. Indépendamment du fait que l'enfant est maintenant un adulte, l'infraction a été commise et l'enfant n'a pas été rendu aux parents délaissés. Nous gardons ces dossiers. Ils sont encore dans le CIPC.

M. Oliver : Cela s'applique également à la question posée plus tôt au sujet des restes non identifiés. S'il y a encore des restes qui demeurent non identifiés depuis 20 ans, grâce au CIPC et aux nouvelles capacités analytiques que nous aurons l'année prochaine, nous pourrons peut-être établir la correspondance entre un dossier d'enfant disparu et des restes non identifiés. Comme vous le savez sans doute, le gouvernement a annoncé dans le budget son intention de créer un répertoire de données génétiques sur les personnes disparues. Des investissements sont prévus à cette fin.

La présidente : J'ai une question à poser aux représentants de la GRC. Vous avez lu le compte rendu de nos précédentes réunions. Il y a actuellement un réseau international de juges de La Haye. Envisage-t-on de créer un réseau d'exécution de la loi? Je suis sûre qu'il existe un réseau informel, comme vous l'avez déjà mentionné, mais est-il question de le rendre officiel?

M. Oliver : En fait, le centre a été établi comme point de convergence des experts en application de la loi dans les domaines des enfants et des adultes disparus et des restes non identifiés.

Je peux vous dire qu'il y a deux semaines, nous avons eu à Ottawa une rencontre nationale de médecins légistes, de coroners et de responsables des services d'enfants disparus des différents organismes policiers du Canada. Nous nous sommes retrouvés pour échanger des pratiques exemplaires et parler des tendances les plus récentes. De plus, nous comptons énormément sur nos relations avec INTERPOL pour faire avancer différentes initiatives dont la notice jaune constitue un élément important.

Mme Boissonneault : Nous sommes membres du Global Missing Children Network, ou Réseau mondial d'enfants disparus. Il s'agit d'un groupe de 22 pays dont l'activité principale consiste à tenir un site web sur les enfants disparus. La participation du Canada réside dans l'établissement d'un lien direct entre notre site web et celui-ci. Ainsi, si une personne à l'étranger recherche un enfant lié d'une façon quelconque au Canada, elle sera renvoyée à notre site web.

Nous travaillons également avec ce groupe pour la planification de la Journée nationale des enfants disparus, qui est célébrée le 25 mai de chaque année, c'est-à-dire dans quelques semaines. Nous sommes en liaison avec le Centre international pour enfants disparus et sexuellement exploités, qui supervise les activités du réseau mondial. Nous collaborons avec le centre en vue de la planification des manifestations devant avoir lieu au cours de la Journée nationale des enfants disparus.

La présidente : Ma question suivante s'adresse à l'Agence des services frontaliers du Canada. Vous savez, d'après les questions que nous avons posées, que nous nous inquiétons des visas et des contrôles de sortie. Nous n'avons pas de tels contrôles au Canada. Vous avez dit que ce sont les employés des compagnies aériennes qui examinent les passeports. Donnez-vous de la formation à ces employés pour les familiariser avec les éléments qu'ils devraient rechercher?

M. Vinette : Oui, nous le faisons à l'échelle internationale. De plus, comme le commissaire adjoint l'a signalé, nous avons un réseau de liaison de 60 agents répartis entre une quarantaine de pays. Ces agents se renseignent sur les voyageurs à destination du Canada. Nous faisons certainement notre part à l'échelle internationale et collaborons avec les compagnies aériennes pour déterminer qui vient au Canada pour des motifs légitimes et surtout pour des motifs illicites, peut-être en compagnie d'un enfant enlevé.

Au Canada, nous participons dans la plupart des aéroports aux travaux des comités responsables des opérations aéroportuaires. Certains se composent exclusivement de représentants d'organismes fédéraux et provinciaux. D'autres réunissent différents intervenants. Nous cherchons à nous assurer que les membres connaissent l'ensemble des programmes que nous offrons. Ce programme en fait partie.

En prévision de la mise en œuvre de notre initiative sur les entrées et les sorties, qui fait partie du plan d'action Au-delà de la frontière, et pour répondre aussi à l'une des questions posées plus tôt, je dirai que nous essayons de déterminer ce qui se fait à l'échelle internationale. Beaucoup de pays ont mis en place un programme de ce genre. Dans le cadre de nos préparatifs et compte tenu du rôle que les compagnies aériennes joueront dans cette initiative, nous trouverons des occasions de leur parler des avantages de ce programme et de l'importance de leur participation en ce qui concerne non seulement les enfants disparus, mais aussi d'autres affaires faisant appel aux renseignements recueillis avant le départ.

La présidente : J'ai aussi quelques questions à poser aux représentants de CIC. Comme nous risquons de manquer de temps, je commencerai par présenter toutes mes questions, après quoi vous pourrez me donner une réponse.

Si vous délivrez un passeport sans la permission de l'autre parent, l'en informez-vous par écrit? Tenez-vous des statistiques comparatives sur les fausses déclarations par rapport aux déclarations véridiques?

Il y a une chose qui me dérange. Si un parent envisage d'enlever un enfant et d'en priver l'autre parent, comment pouvez-vous faire la distinction entre une personne qui ne connaît vraiment pas l'adresse de l'autre parent et une personne qui ment à ce sujet? En fonction de quels critères jugez-vous que quelqu'un dit ou non la vérité?

M. Fernandes : Si vous le permettez, je répondrai à votre dernière question. Je laisserai ensuite à ma collègue les autres questions concernant l'envoi d'une lettre à l'autre parent et la distinction entre le vrai et le faux.

Pour ce qui est de déterminer quels rapports sont vrais et quels rapports sont faux, nous ne possédons pas l'information nécessaire pour le faire. Nous ne suivons pas ce genre de renseignements. Comme je l'ai dit plus tôt, nous comptons sur la Liste des signalements, qui contient l'information communiquée par les parents. Si nous recevons des renseignements contradictoires après avoir examiné une demande de passeport présentée au nom d'un enfant, nous faisons un examen plus approfondi du signalement en cause, mais nous ne tenons pas de statistiques à ce sujet.

Mme Lattimore : Vous avez demandé dans votre première question si nous écrivons à l'autre parent. Si nous avons ses coordonnées, mais qu'il n'a pas participé et n'a pas signé la demande pour une raison ou une autre, nous lui écrivons pour lui demander au moins de confirmer qu'il sait qu'une demande de passeport a été présentée. Nous essayons ainsi de nous assurer que les deux parents participent.

Quant à la question de savoir comment nous faisons la différence entre le vrai et le faux, compte tenu du fait que le processus repose largement sur le requérant, nous donnons beaucoup de formation tant à nos agents de première ligne qu'au personnel interne qui s'occupe du programme de l'intégrité. Les agents de première ligne apprennent dès le départ à connaître les risques associés aux demandes de passeport présentées au nom d'enfants, avant même de voir une demande ou d'y toucher. Nous leur apprenons à reconnaître ce que nous appelons les drapeaux rouges : renseignements manquants, écritures différentes et autres détails et écarts notés sur le formulaire.

Ces agents sont en mesure de poser des questions s'ils ont affaire aux parents en personne ou, si les contacts se font par la poste, ils ont la possibilité de communiquer avec le parent en cause, avec le répondant ou avec les personnes citées comme référence dans le formulaire, de façon à obtenir les renseignements supplémentaires dont ils ont besoin.

Ils peuvent également renvoyer un dossier à l'examen secondaire. C'est ainsi que les dossiers arrivent dans mon service, où les membres du personnel sont spécialisés dans les situations de garde compliquées. En fait, ils connaissent si bien ces cas qu'ils sont très bien placés pour déterminer ce qui se cache entre les lignes.

La sensibilisation de nos agents de première ligne aux questions d'intégrité est également favorisée par une formation continue en sécurité. À l'heure actuelle, nous en sommes aux dernières étapes de l'élaboration d'un module de sensibilisation à la sécurité que nous pourrons offrir sur une base permanente. Le module concerne particulièrement les enfants et vise à permettre aux agents de reconnaître les indices tels que les contradictions dans les dossiers ou des comportements inhabituels en situation de face à face. Il comprend aussi des directives très claires sur la façon de procéder.

En ce sens, j'ai la conviction que nous faisons tout notre possible pour que les agents qui voient les demandes sachent quoi faire dans chaque cas.

La présidente : Je vous remercie pour vos exposés et vos réponses à nos questions. Vous avez pu constater que nous avons beaucoup de questions à vous poser. Il est donc bien possible que nous ayons encore besoin de recourir à vous. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant accueillir un nouveau groupe de témoins afin de poursuivre notre étude des disputes transfrontalières relatives aux enfants. Les témoins suivants nous parleront de l'interaction entre la charia et la Convention de La Haye sur l'enlèvement d'enfants.

[Français]

Les témoins qui nous ont parlé antérieurement à ce sujet nous ont dit que plusieurs pays musulmans examinent la jurisprudence islamique pour déterminer la compatibilité de leur pays avec la Convention de La Haye en ce qui concerne les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants. En raison des systèmes de droit différents qui interagissent avec cette convention, il est difficile d'atteindre un consensus sur plusieurs questions.

[Traduction]

Ainsi, même si la charia et la Convention de La Haye accordent toutes deux la plus haute importance à l'intérêt de l'enfant, dans bien des cas, l'interprétation de cet intérêt peut varier considérablement d'un endroit à l'autre. En majorité, les pays musulmans n'ont pas signé la convention à cause de cette difficulté et d'autres. Toutefois, certains progrès ont été réalisés à cet égard dans le cadre du Processus de Malte. En fait, le Maroc a récemment adhéré à la Convention de La Haye.

Les témoins qui comparaissent ce soir nous aideront à comprendre les dispositions de la charia relatives à la garde des enfants et aux droits des parents et des enfants. Cela nous permettra de mieux saisir les incompatibilités perçues entre la charia et la Convention ainsi que les moyens de rechercher un terrain d'entente.

Je tiens à remercier les trois témoins qui ont accepté de nous aider à très bref délai. Ils comparaissent tous à titre personnel. Nous avons Timothy Gianotti, directeur des études islamiques à l'American Islamic College, qui se joint à nous par vidéoconférence. Nous avons, également par vidéoconférence, Anver Emon, professeur à la faculté de droit de l'Université de Toronto. Nous entendrons aussi Ahmed Fekry Ibrahim, professeur adjoint à l'Institut d'études islamiques de l'Université McGill.

Monsieur Ibrahim, vous pouvez commencer, si vous voulez bien.

Ahmed Fekry Ibrahim, professeur adjoint, Institut d'études islamiques, Université McGill, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de participer à cette discussion en compagnie de deux distingués collègues représentant de hauts lieux du savoir.

J'aimerais présenter quelques observations générales sur la loi islamique afin de nous aider à comprendre le contexte de la législation d'État.

Il y a quatre écoles de loi islamique sunnite, une école de loi chiite duodécimaine et une école de loi ismaïlienne. La plupart des lois que nous examinerons au niveau national sont dérivées des quatre écoles de loi sunnites ou de l'école chiite duodécimaine. Ce sont des écoles de la loi pré-moderne. Certaines de leurs doctrines juridiques ont été intégrées dans la législation d'État de beaucoup de pays musulmans.

Je mentionnerai quelques exemples venant de l'Égypte, où le droit familial se fonde essentiellement sur la loi islamique. En Égypte, les dispositions relatives à la garde prévoient que l'enfant reste avec sa mère jusqu'à l'âge de 15 ans, après quoi la garde passe au père. En fait, il arrive parfois qu'on demande à l'enfant s'il préfère rester avec sa mère ou aller chez son père. C'est là une interprétation de la loi islamique qui se base sur l'école de jurisprudence malikite.

Il y a d'autres interprétations. Dans la loi hanafite, par exemple, la garde de l'enfant est confiée à la mère jusqu'à l'âge de 7 ans, après quoi elle passe au père. Dans la loi chaféite, qui est l'une des quatre écoles sunnites, la garde est également confiée à la mère jusqu'à l'âge de 7 ans, après quoi elle peut passer au père. À cet égard, la loi islamique comporte un aspect délicat : si la mère est incapable d'assumer la garde, si elle est invalide ou si elle meurt, la garde n'est pas automatiquement transférée au père. En vertu de la loi islamique, elle passe à la grand-mère ou à une proche apparentée à la mère.

Ce n'est pas nécessairement le cas dans la législation moderne d'État, quoique certaines dispositions aient été maintenues jusqu'aujourd'hui. Par exemple, en Égypte, c'est encore à la grand-mère ou à une parente de la mère que revient la garde d'un enfant de moins de 15 ans en cas de décès de la mère.

Certaines des difficultés qui existent sont liées au fait que si la mère se remarie avec un homme qui n'est pas un proche parent de l'enfant, la garde est automatiquement transférée au père. C'est la même chose si la mère se convertit à une religion autre que l'Islam ou encore, dans trois des quatre écoles sunnites, si elle n'est pas musulmane. Toutefois, dans l'école hanafite, une mère non musulmane peut avoir la garde de l'enfant. Il y a lieu de noter que la plupart des États modernes ayant un droit familial islamique ont adopté le système de jurisprudence hanafite.

Il n'en reste pas moins que la législation d'État moderne se fonde surtout sur un ensemble éclectique d'enseignements inspirés de différentes écoles pour s'adapter aux notions modernes de droits et pour donner aux femmes un plus grand droit d'accès aux enfants ou à la garde. En fait, en vertu des lois modernes de l'Égypte, c'est la mère qui a la garde. Le concept de garde conjointe n'existant pas, c'est la mère qui s'occupe de l'enfant jusqu'à l'âge de 15 ans. C'est un important écart par rapport à la loi hanafite qui constituait la règle en Égypte jusqu'en 1929 et qui accordait à la mère la garde de l'enfant jusqu'à l'âge de 7 ans.

Ce ne sont là que quelques observations générales. Je vais m'en tenir à cela, mais je serais heureux de répondre à toute question que vous pourriez avoir.

La présidente : Je vous remercie.

Monsieur Gianotti?

Timothy Gianotti, directeur des études islamiques, American Islamic College, à titre personnel : Compte tenu du fait que mes domaines de spécialisation sont surtout liés à la théologie et à la philosophie, je préférerais que vous entendiez d'abord mon collègue et ami Anver Emon. Ensuite, je vous ferai part de mes propres observations. Le fondement juridique est très important ici. M. Emon peut vous aider à élucider quelques aspects essentiels du sujet.

La présidente : Merci.

À vous, monsieur Emon.

Anver Emon, professeur, faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Merci. Je voudrais également remercier M. Gianotti et M. Ibrahim. C'est un plaisir de faire votre connaissance. Je tiens en outre à remercier le Comité sénatorial permanent des droits de la personne de m'avoir invité à parler de la Convention de La Haye sur l'enlèvement international d'enfants et des problèmes qui se posent dans le contexte des États à majorité musulmane qui ne sont pas signataires de la Convention.

Comme vous l'ont dit d'autres témoins qui ont comparu devant le comité, les États à majorité musulmane soutiennent qu'en ratifiant la convention, ils enfreindraient la charia, ou loi islamique. J'ai été invité à expliquer ce que cela signifie exactement et à proposer des stratégies possibles d'engagement pouvant s'appliquer à différents pays et différentes traditions.

L'un des principaux problèmes qui se posent à cet égard, c'est à la fois comment définir la charia et comment savoir qui est habilité à en parler. La charia n'est pas seulement une tradition juridique historique. Elle constitue aussi un important élément de l'environnement politique des pays à majorité musulmane. Par conséquent, toute tentative d'aborder la charia nécessite non seulement de comprendre la tradition littéraire historique — ce que nous faisons tous les trois d'une façon ou d'une autre —, mais aussi de saisir la façon dont cette tradition influe sur la politique intérieure des pays à majorité musulmane ainsi que les liens entre cette politique et la coopération internationale.

De plus, en parlant de la charia, je voudrais m'associer aux observations de M. Ibrahim concernant le monde contemporain et la tradition juridique islamique pré-moderne. Parler de la charia revient à examiner une tradition juridique historique qui s'est intégrée dans la trame d'un État moderne d'une manière fragmentaire, centralisée et moniste dans le contexte de lois précises. Autrement dit, l'État adapte le contenu de la charia à la lumière de ses diverses priorités juridiques et autres.

Permettez-moi de vous présenter un exemple lié à notre discussion. Encore une fois, cela se rattache à certaines des observations que vous venez d'entendre. Dans la loi islamique pré-moderne — je parle ici de la littérature de la période comprise entre le IXe et le XVe siècle —, deux termes décrivent les différentes formes de responsabilité envers les enfants. Le premier, c'est la wilaya, qui se traduit approximativement par « tutelle ». C'est une forme de garde légale qui implique une responsabilité financière envers l'enfant indépendamment du droit de garde et d'accès. On suppose le plus souvent que le père de l'enfant est son tuteur, qu'il soit ou non responsable de sa garde. Je précise encore une fois que je parle d'une façon très générale.

Le second terme, hadâna en arabe, désigne la garde physique de l'enfant. Il convient de noter que les deux termes représentent deux formes de responsabilité envers l'enfant. Dans le contexte de la hadâna, garçons et filles sont censés résider avec leur mère jusqu'à un certain âge. Dans le cas des garçons, cet âge varie selon les écoles de jurisprudence, comme l'a mentionné M. Ibrahim, allant de 7 à 9 ans. Dans le cas des filles, la garde de la mère dure plus longtemps, allant souvent jusqu'à l'âge de la puberté. Différents pays à majorité musulmane ont inclus ces termes dans leurs lois sur le statut personnel. Cela définit le cadre de garde des enfants qui empêche la ratification de la convention, comme l'a dit M. Ibrahim.

Compte tenu de cette situation, comment avancer? Je crois que la réponse à cette question fait partie de ce que vous attendez de moi aujourd'hui.

Dans mon travail de recherche, je crois que la voie la plus avantageuse et la plus respectueuse consiste à œuvrer à l'intérieur de la tradition islamique plutôt que d'essayer de la contourner. Pour découvrir les hypothèses qui sous-tendent la tradition juridique et déterminer leur application dans un système juridique donné, je fais actuellement des recherches, de concert avec un collègue du Royaume-Uni, afin d'éclaircir les questions relatives aux enfants et à leur garde dans le contexte de la Convention de La Haye, d'une part, et de la tradition juridique islamique, de l'autre. Même si je ne peux pas encore parler des conclusions de cette étude, je peux dire que notre but est d'établir deux choses : d'abord, que le conflit entre la charia et la Convention de La Haye est plus une perception qu'une réalité et ne devrait pas empêcher la ratification; ensuite, que même si la ratification n'est pas possible pour diverses raisons, juridiques ou autres, il y a d'importantes solutions de compromis faisant intervenir la médiation et des institutions de médiation qu'il conviendrait de développer entre les différents pays en cause. Notre but consistera à présenter des idées sur des pratiques de cette nature. Mon objectif, par conséquent, sera d'étudier la tradition juridique islamique pré-moderne et sa codification dans les lois contemporaines des États musulmans afin de révéler tant ce qui se cache souvent dans ces lois que les raisons pour lesquelles on a essayé d'y cacher quelque chose.

Pour revenir à l'exemple de garde d'enfant dans la tradition pré-moderne, qui prévoit un transfert automatique de la garde physique de la mère au père à certains âges, comme l'a mentionné M. Ibrahim, de nombreuses sources pré-modernes signalent aussi qu'aux âges en question, garçons et filles peuvent choisir de rester avec leur mère. La plupart des lois modernes, mais non la totalité, ne contiennent pas à cette disposition, qui est cependant importante pour notre propos. Pourquoi? Parce qu'elle révèle l'âge auquel le point de vue des garçons et des filles compte pour déterminer ce que nous appelons l'« intérêt supérieur » de l'enfant. Même si nous n'accordons de nos jours que peu de valeur au témoignage d'un garçon de 7 ans ou d'une fille de 11 ans dans un tribunal de la famille de Toronto, de Vancouver ou de l'Île-du-Prince-Édouard, l'âge en soi est moins important que ce qu'il représente, à savoir le poids donné à l'avis de l'enfant lors de la détermination de son intérêt supérieur. En fait, nous assistons à l'heure actuelle à une légère évolution du monde musulman à cet égard. En 2006, le Qatar a modifié les dispositions de son droit de la famille pour y mentionner expressément l'intérêt supérieur des enfants, ou maslahat al-awlad en arabe. J'ai moi-même joué un rôle secondaire à titre d'expert dans une affaire mettant en cause la loi qatari sur le droit de la famille.

Le but du projet dont je viens de parler est d'étudier les hypothèses qui sous-tendent la tradition historique, d'en examiner la continuité ou la discontinuité dans les lois modernes et d'explorer différentes approches de la charia qui n'empêcheraient pas la ratification de la Convention de La Haye. Le projet a deux importantes applications possibles. Premièrement, parmi les diplomates du Processus de Malte, il pourrait garantir que la charia ne met pas automatiquement fin à la discussion. Il amènerait les diplomates des pays musulmans, dont beaucoup ne sont pas des experts de la jurisprudence islamique, à réfléchir à ce qu'ils entendent par charia et à se demander si leur rejet de la ratification a des motifs plus politiques que juridiques.

La seconde préoccupation concerne les intervenants non étatiques et, en particulier, les chefs religieux du monde à majorité musulmane. Mon coauteur et moi-même avons l'intention d'obtenir du financement par l'entremise d'une ONG afin de donner à nos conclusions la forme d'une fatwa — ou opinion juridique — virtuelle. Même si l'utilisation du mot « fatwa » peut sembler étrange dans ce contexte, nous avons choisi délibérément ce terme, qui évoque une forme d'argument juridique que les chefs religieux du monde à majorité musulmane connaissent bien. Nous envisageons de faire traduire le document en arabe, en urdu et en indonésien et d'organiser des réunions avec les chefs religieux et d'autres intervenants dans le but de rallier des appuis à nos conclusions. J'ai déjà suscité de l'intérêt parmi un certain nombre d'ONG internationales. Dès que nous aurons obtenu le financement nécessaire, je compte poursuivre mes entretiens à mesure que le projet avance.

Je n'ai pas la prétention de croire que ces travaux garantiront automatiquement la ratification de la Convention de La Haye. J'estime cependant qu'ils peuvent — parce qu'ils prennent la charia au sérieux aussi bien d'un point de vue intellectuel que dans une optique d'érudition — changer la teneur et le ton des échanges diplomatiques sur le sujet.

Je me rends compte que je ne vous ai pas présenté beaucoup de contenu juridique islamique, mais j'ai pensé pouvoir le faire au cours de la période de questions et réponses. De plus, je voulais profiter de ces brèves observations pour vous donner une idée de ce qu'il est possible de réaliser quand différents intervenants se réunissent pour discuter ensemble. Réunir des représentants de gouvernements, d'ONG, de dirigeants religieux et d'autres parties prenantes, ainsi que des experts du domaine, peut ouvrir des voies inexplorées et aboutir à des destinations encore inconnues qui promettent quelque chose de nouveau et de stimulant. Voilà ce que je vous offre aujourd'hui.

Je voudrais vous remercier encore de m'avoir invité à m'adresser au comité. Je serai heureux de répondre à toute question concernant la loi islamique ou un sujet plus général. Je me réjouis entre autres de pouvoir discuter avec les autres témoins de ce groupe. Je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup. Pouvons-nous maintenant entendre M. Gianotti?

M. Gianotti : Merci beaucoup. Je voudrais exprimer ma gratitude la plus profonde et la plus respectueuse envers mes collègues et vous tous pour avoir organisé cette conversation. En fait, beaucoup des points abordés par M. Emon figurent dans l'ébauche que j'ai rédigée, mais en termes beaucoup moins éloquents que les siens. Je crois que ces points nous orientent vers des moyens d'action possible qui pourraient être très fructueux et très avantageux pour ces enfants.

Je crois qu'on l'a déjà dit, mais il n'est pas inutile de le répéter d'une autre façon. Lorsqu'on parle de charia et de loi islamique, il ne s'agit pas d'un système de jurisprudence statique et immuable. Comme l'a signalé M. Emon, il s'agit plutôt d'un dialogue continu vieux de 1 400 ans. La loi islamique est une discussion, un débat permanent qui se poursuit encore et peut donner lieu à des changements et à de nouvelles interprétations. C'est un facteur qui devrait nous encourager à poursuivre nos efforts à l'avenir.

Il importe de noter que, par suite de ma propre étude d'amateur de la loi islamique et de la question de la garde, j'ai l'impression que dans le contexte de la tradition classique pré-moderne, qui ne comporte évidemment aucune notion d'État-nation, de droits d'un État-nation ou de pays de résidence habituelle, certaines des dispositions de la Convention de La Haye peuvent sembler très étrangères et doivent donc être soigneusement expliquées. Il semble en même temps que l'intérêt supérieur de l'enfant constitue un facteur prédominant dans les deux traditions. Je crois que c'est là un facteur commun qui peut servir de base au dialogue que propose M. Emon.

À part les théologiens du monde à majorité musulmane ou des régions du monde où prédomine la religion islamique, nous pouvons recourir à une ressource inexploitée, à savoir les érudits musulmans des milieux tant traditionnels qu'universitaires du Canada, des États-Unis et des autres régions où les musulmans vivent à titre de minorités heureuses. Nous pouvons leur demander leur aide afin de promouvoir ce dialogue. Je crois que c'est une ressource que nous ne pouvons pas ignorer et que nous devons utiliser : dirigeants musulmans d'optique commune, universitaires et spécialistes de la loi islamique disposés à collaborer avec nos organismes d'application de la loi et avec le gouvernement. Le but est d'encourager ce dialogue d'une manière qui respecte la tradition juridique islamique dans toute sa diversité et qui permet en même temps de défendre les intérêts de la communauté internationale ainsi que ceux de l'enfant et des parents délaissés par des moyens qui aient un sens dans les régions du monde où les coutumes canadiennes et internationales et les traités multilatéraux suscitent énormément de méfiance et de doutes.

Il y a un autre point très important que M. Emon a abordé. Il s'agit de l'hégémonie postcoloniale, voire actuelle de l'Ouest sur de nombreuses régions à majorité musulmane du monde. Je suis persuadé que ce facteur complique les choses, même s'il n'a rien à voir avec les droits de l'enfant et des parents délaissés, car il influe sur les tendances qui se manifestent dans certaines de ces anciennes colonies. Ce n'est d'ailleurs pas tout. Je crois que l'évolution de la situation politique internationale constitue un important obstacle sur lequel il faudra travailler avec subtilité, tact et empathie.

Nous n'avons pas besoin de bureaucrates du monde occidental, de l'Europe, des États-Unis, du Canada et d'autres régions du monde. Nous avons besoin de gens qui vivent au sein de ces sociétés et qui peuvent collaborer avec les bureaucrates, les organismes d'application de la loi et les gouvernements afin de jeter des ponts et de favoriser la compréhension et la confiance, car nous sommes en présence d'un déficit international aux chapitres de la confiance, de la bonne volonté et de la foi dans les bonnes intentions d'autrui.

Dans le cas particulier des mariages interreligieux, la question de la religion peut jouer un rôle déterminant dans la perception qu'on a du droit d'un parent de prendre la fuite avec un enfant dont la garde est confiée à l'autre parent non musulman. Ce facteur peut vraiment changer les paramètres de la situation.

Nous devons reconnaître l'existence des déficits qui caractérisent les questions à l'étude. Nous devons considérer des ressources jusqu'ici inexploitées, surtout dans les communautés qui vivent au Canada, au sein de nos sociétés occidentales, et qui peuvent jeter un pont fondé sur une langue et un discours communs. C'est aussi un pont de traduction qui permet d'exprimer le contenu de documents tels que la Convention de La Haye ou la législation de la famille du Canada ou des États-Unis dans des termes que peuvent comprendre et accepter les diverses régions du monde où le droit de la famille est encore profondément influencé par d'anciennes traditions.

La présidente : Merci beaucoup.

Pour commencer, je voudrais poser une question à M. Emon. D'une façon générale, est-ce que le sexe, la nationalité et la religion jouent un rôle déterminant dans les droits reconnus aux parents en vertu de la loi islamique? Si oui, de quelle façon?

M. Emon : Merci beaucoup de votre question. Il n'y a pas de doute que ces éléments jouent un rôle, comme l'ont mentionné M. Ibrahim et M. Gianotti. Les parents délaissés qui ne sont pas musulmans, qui sont de sexe féminin ou qui n'ont pas la nationalité du pays sont desavantagés par le système juridique des pays à majorité musulmane. Par conséquent, il y a toujours des préoccupations à cet égard découlant des lois en vigueur, et pas seulement de l'interprétation de l'intérêt supérieur de l'enfant en fonction de son développement religieux et spirituel. On suppose le plus souvent qu'un parent non musulman est incapable de veiller à ce développement.

On peut certainement trouver ce genre de préjugé dans beaucoup de lois contemporaines du monde musulman.

La sénatrice Ataullahjan : C'est un plaisir de vous revoir, monsieur Gianotti. Vous nous manquez à Toronto.

Nous avons parlé du Processus de Malte, qui permet aux États parties d'avoir un dialogue avec les pays dont le système juridique est fondé sur la loi islamique. Pouvez-vous nous dire comment les nations islamiques abordent les cas d'enlèvement d'enfants et ce qu'ils font à cet égard?

M. Gianotti : C'est une excellente question. Je préférerais que M. Emon y réponde en premier parce que je crois qu'il a des connaissances particulières dans ce domaine.

M. Emon : Comme toujours, M. Gianotti se déprécie injustement, mais je voudrais le remercier de la confiance imméritée qu'il me témoigne.

Il ne me sera pas facile de répondre à votre question, car la situation varie d'un pays à l'autre. Dans certains pays, le système judiciaire collabore mieux que dans d'autres. Quelques-uns font énormément d'efforts de médiation. Au Royaume-Uni, il y a une ONG, Reunite, qui s'est spécialisée dans les cas de ce genre. Grâce à ses bureaux, elle a établi un important réseau qui permet de rendre des enfants à leurs parents, surtout en Grande-Bretagne.

Il n'y a pas de réponse facile à votre question. Je peux seulement vous dire que la situation varie avec le niveau de coopération judiciaire qu'il est possible d'obtenir, la mesure dans laquelle le Canada peut conclure des ententes bilatérales avec les pays qui n'ont pas ratifié la Convention de La Haye et le genre de structure que ces pays peuvent s'engager à créer, qu'il s'agisse d'une agence centrale ou d'un organisme autorisé, pour s'occuper de tels différends.

Je ne vous ai probablement pas donné les détails que vous souhaitez avoir, mais qu'il me suffise de dire que c'est un domaine compliqué, comme peuvent en témoigner les parents pris dans des situations de cette nature.

M. Gianotti : Permettez-moi d'ajouter qu'il est également possible d'envisager des ententes bilatérales. Bien que les écoles de jurisprudence ne s'entendent pas toutes là-dessus, il y a dans la loi islamique une notion généralement admise selon laquelle plus une idée est populaire, plus elle est perçue comme étant juste, simplement à cause du consensus croissant qui se forme à son sujet.

Plus tôt aujourd'hui, je lisais un texte sur le fondement théologique de la pratique du pluralisme religieux en Indonésie. J'ai alors pensé qu'il serait peut-être avantageux de déterminer quels pays ont déjà adopté des interprétations plus flexibles, libérales et multiculturelles de la loi islamique, puis de commencer à travailler, lentement, patiemment et stratégiquement, avec le monde à majorité musulmane, pays par pays, en vue de former un consensus au sujet de la Convention de La Haye. On pourrait peut-être ainsi en arriver à une entente internationale qui ne menace pas le bien-être de l'enfant, et qui sauvegarde et renforce plutôt ce bien-être.

La présidente : Monsieur Ibrahim, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Ibrahim : Je suis d'accord avec mes deux collègues. Je conviens que la charia est très diverse, représentant 1 400 ans d'engagement intellectuel. Il y a dans la charia de très nombreux points de vue valides que les législateurs d'aujourd'hui ont pu utiliser pour adapter les lois aux mœurs modernes.

La charia comporte suffisamment d'outils pour satisfaire les érudits de la région. J'appuie certainement la notion que les choses ne devraient pas être imposées. Ces lois devraient bénéficier d'un soutien interne. Comme l'a dit M. Emon, les diplomates doivent se familiariser avec la loi islamique et la prendre au sérieux.

Comme l'a également mentionné M. Emon, il y a, dans la tradition de l'école chaféite — qui est l'une des plus importantes de l'Islam sunnite —, une notion voulant que l'enfant ait son mot à dire à un très jeune âge, que certains estiment à 6 ou 7 ans. Le juge peut ou non en tenir compte lorsqu'il détermine où réside l'intérêt supérieur de l'enfant.

Je crois que ce sont les voies à suivre pour concilier la loi islamique avec les notions modernes de droits de la personne et, par extension, la Convention de La Haye.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Emon, dans le cas de nombreux pays musulmans, le grand problème réside dans le préjugé favorable au père, mais nous apprenons maintenant que l'enfant a son mot à dire. Nous savons que la mère a la garde de l'enfant quand il est très jeune, mais dans quelle mesure le point de vue de l'enfant est-il pris en considération?

Ensuite, convenez-vous qu'en ce qui a trait aux pays musulmans, le problème est davantage lié à la culture qu'à la religion? Dans le cas de l'Égypte, vous avez dit, je crois, que les lois ont été changées en 1929. Comme le changement se fondait sur les enseignements de différentes écoles et sur différentes interprétations, n'a-t-il pas un caractère culturel?

M. Emon : Si vous le permettez, je répondrai d'abord à la seconde question portant sur le caractère culturel ou religieux du changement. J'estime tout simplement qu'il n'est pas facile d'établir une nette distinction entre les deux. Par exemple, je peux dire que la Charte canadienne des droits et libertés est un document juridique qui défend mes droits, mais je considère quand même qu'elle revêt un caractère culturel parce qu'elle crée une identité civile canadienne. Bref, une doctrine juridique peut avoir des incidences culturelles. De la même façon, les doctrines juridiques qui nous intéressent, même lorsqu'elles sont modifiées dans les lois de l'État, ont en soi une existence distincte dans la grande sphère des discussions et délibérations publiques, dans les interactions quotidiennes et dans la façon dont les gens se perçoivent eux-mêmes.

Selon le philosophe canadien Charles Taylor, de bien des façons, la loi, la tradition historique n'est pas une simple trame législative. À part cette fonction, elle alimente « l'imagination sociale, » notamment parmi de nombreux musulmans de ces régions du monde, et pas seulement dans les pays à majorité islamique. En effet, cela se manifeste aussi à des endroits tels que le Canada. En ce sens, ce n'est ni religieux ni culturel : c'est une contribution juridique à un débat juridique et politique plus vaste.

Cela dit, l'enfant a-t-il son mot à dire? Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question parce que je n'ai pas trouvé de données empiriques permettant de trancher.

Ce que M. Ibrahim et moi-même disons, c'est que dans la tradition historique pré-moderne, il y avait un moment où la garde de l'enfant passait, croyait-on, de la mère au père. C'est une hypothèse juridique qui pouvait être écartée si l'enfant disait : « Non, je veux rester avec ma mère. »

On peut alors se demander si cette notion influe sur l'établissement d'un modèle d'intérêt supérieur dans les lois des États musulmans. À ma connaissance, cette influence n'est pas encore très forte. Peut-on dire qu'elle est inexistante? Non, elle peut avoir une certaine influence.

La refonte de 2006 du droit de la famille de Qatar permet de croire que cet État a fait une importante transition. Toutefois, elle n'est pas simplement doctrinale ou législative. Elle est aussi institutionnelle. Il faut dire que la réforme est surtout l'œuvre de l'épouse de l'émir du Qatar.

La réforme ne s'est pas limitée à une loi spéciale. Les Qataris ont également établi un tribunal spécial chargé exclusivement du droit de la famille. La création de tels tribunaux spécialisés dans certains pays rappelle un peu l'avènement, au Canada, des commissions des droits de la personne, à titre de tribunaux administratifs spécialisés chargés de s'occuper de cas qui s'inscrivent mal dans le champ de compétence générale d'autres juridictions telles que nos cours supérieures.

Je voudrais réitérer mon appui aux observations de M. Gianotti qui a suggéré de recourir, pour avancer, non seulement au projet axé sur la doctrine dont je m'occupe, mais aussi à des initiatives ciblant des pays particuliers qui ont pris des mesures institutionnelles d'une grande portée, quoique discrètes et subtiles. Le Qatar en est un exemple. Je crois que les Émirats arabes unis ont pris des mesures semblables, mais je n'en suis pas absolument certain. Je serai heureux de communiquer au comité les résultats de mes recherches aussitôt que je les aurai terminées.

Le sénateur Eggleton : Je vais parler du même sujet qui m'intéresse particulièrement. Dans quelle mesure le problème tient-il à la charia ou à des considérations culturelles? De plus, la charia se présente elle-même dans différents contextes.

Monsieur Emon, si j'ai bien compris, vous avez dit que la différence entre la charia et la Convention de La Haye est plus une question de perception qu'une réalité.

En même temps, monsieur Gianotti, vous avez parlé de déficits qui, pour moi, avaient surtout un caractère culturel puisqu'ils étaient liés à la colonisation, au manque de confiance et à d'autres éléments relevant de la culture et des différences entre les pays occidentaux, qui forment l'essentiel des signataires de la convention, et les pays islamiques qui n'y ont pas adhéré, même s'ils participent aussi à un processus. Nous ne l'avons pas dit jusqu'ici, mais le Processus de Malte englobe la plupart des pays musulmans.

Fait particulièrement intéressant, le Maroc a adhéré à la Convention de La Haye. Je me demande si cela indique que beaucoup d'autres pays musulmans pourraient aussi y adhérer ou si c'est vraiment un cas isolé.

J'aimerais donc savoir ce que vous pensez de l'exemple marocain et de la distinction à faire entre culture et charia.

M. Gianotti : Cela s'applique à toutes les religions, à toutes les croyances de la planète. Séparer l'héritage prophétique du patrimoine culturel entourant une religion à un moment ou un endroit particulier est une affaire très délicate. Compte tenu des déficits que j'ai mentionnés, si le débat se déroule dans des pays occidentaux, la discussion est infiniment plus délicate parce qu'elle porte sur des facteurs identitaires liés à la façon dont les gens se perçoivent eux-mêmes.

Au sein des différentes cultures et même dans la droite évangélique américaine d'aujourd'hui, les gens ne se rendent souvent pas compte de la mesure dans laquelle les héritages culturel, politique, théologique et prophétique sont enchevêtrés. Pour eux, il s'agit simplement de christianisme ou d'Islam.

Nous devons en être profondément conscients lorsque nous examinons toute situation, culture ou place particulière marquée par un processus séculaire de culture patriarcale, de tribalisme et de notions d'ethnicité intimement mêlées à des concepts religieux.

Parce que le monde islamique est tellement divers, malgré le caractère monolithique que les médias lui attribuent, nous aurons de la difficulté à trouver au sein de nos propres sociétés et communautés les diverses ressources qu'il faudra pour jeter des ponts. Nous ne trouverons pas une solution pouvant convenir dans tous les cas.

Il y a d'importantes organisations à part celles qui ont été mentionnées aujourd'hui. L'Organisation de la Conférence islamique, ou OCI, constitue le plus grand regroupement d'États du monde, après l'ONU. C'est essentiellement un club politique composé d'États membres musulmans qui n'appartiennent pas nécessairement à une doctrine ou à une école de jurisprudence particulière.

Il y a donc des moyens qui pourraient nous permettre d'aborder simultanément ces questions à de multiples niveaux. La notion de relations bilatérales ou de pays particuliers à cibler à cause du dynamisme de leur propre cadre juridique est, à mon avis, très prometteuse. Je crois que l'Organisation de la Conférence islamique constitue une autre voie à envisager pour essayer d'engager les discussions voulues. Bien sûr, il y a aussi le Processus de Malte auquel, d'après vos propres renseignements, de nombreux pays musulmans participent activement.

Ce sont les réponses préliminaires que je peux vous donner.

M. Emon : Je voudrais aborder la question d'une manière différente.

Je ne suis pas vraiment persuadé que le Processus de Malte a réussi. En 2010, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international m'a demandé de rédiger un mémoire sur les principes islamiques de médiation parce que le Processus de Malte, comme mécanisme visant à favoriser la ratification de la convention, ne marchait pas vraiment et que la médiation constituait un nouveau modèle. De bien des façons, nous constatons que la charia s'est transformée en obstacle à la discussion dans le cadre de ce processus. Je veux au moins le reconnaître parce que la charia constitue maintenant l'obstacle dont il faut parler. La question, cependant, est de savoir comment engager la discussion.

Permettez-moi d'abord de poser la question suivante : comment pouvons-nous aborder la charia par opposition à la culture? Je soutiens encore une fois que la dichotomie est factice. Elle n'est pas réelle, et je vais vous en donner un exemple.

Dans l'affaire Lautsi c. Italie, la Cour européenne des droits de l'homme a convenu avec le gouvernement italien que la croix arborée dans les salles de classe des écoles publiques constituait un symbole culturel laïque qui ne violait pas la politique officielle de laïcité de l'enseignement. En même temps, dans l'affaire Dahlab c. Suisse, la cour a statué qu'une enseignante portant le hidjab contrevenait à la politique de laïcité de l'enseignement public en Suisse.

Nous pouvons donc voir la religion et la loi travaillant en tandem pour affirmer certaines valeurs culturelles liées à la laïcité, à l'enseignement et aux salles de classe. Je veux au moins reconnaître que le droit devient alors un instrument ou un véhicule de culture. Toutefois, s'il faut définir ces termes, j'estime qu'il ne suffit pas de les distinguer comme s'ils étaient totalement isolés l'un de l'autre.

Cela m'amène à mon troisième point. En 2012, j'ai coédité un livre avec des collègues. J'avais alors présenté au comité deux chapitres de l'ouvrage destinés à situer le contexte. C'était un projet dirigé par l'Association du barreau national du Séminaire mondial de Salzbourg. Nous avions réuni des spécialistes de la loi islamique et des droits de la personne en soutenant que la recherche de points communs était vaine et qu'il fallait plutôt établir plus clairement ce qu'offrent les droits de la personne et la loi islamique. Les deux proposent des régimes de réglementation accordant certaines libertés encadrées par certaines restrictions. La question est de savoir comment limiter ces libertés et comment interpréter les limites. Quelles répercussions les limites de l'article premier de la Charte ont-elles sur la démocratie canadienne? Que signifient les dispositions de l'article 9.2 de la Convention européenne des droits de l'homme relatives aux mesures nécessaires à la sécurité publique dans une démocratie?

J'estime que les recherches futures devraient porter sur des questions de ce genre pour qu'il soit possible de s'attaquer à ce problème particulier en fonction de multiples parties prenantes et de multiples intervenants gouvernementaux.

Pour ce qui est de l'exemple marocain, j'estime — mais je me trompe peut-être — que le gouvernement de Rabat a ratifié la convention de 1996 et non celle de 1980. Il y a eu des développements historiques relatifs aux deux conventions. À ma connaissance, celle de 1980 comptait moins de participants. Je crois qu'il serait intéressant de déterminer si la convention de 1996 remédiait à quelques-uns des problèmes de celle de 1980.

J'aimerais bien parler de la convention de 1996, mais, encore une fois, elle ne fait pas partie de mon domaine de spécialisation. J'ai cependant voulu vous donner mon interprétation des raisons pour lesquelles le Maroc a ratifié la convention.

La sénatrice Andreychuk : Je voudrais juste aborder deux points. M. Emon est probablement le mieux placé pour répondre à ma question.

Si je m'en souviens bien, la plupart des pays musulmans, je dirais même tous à part la Somalie et l'autre exemple que nous connaissons, n'ont pas signé la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Cette convention en disait long sur la façon d'élever les enfants ainsi que sur leurs droits et leurs besoins. Même si elle contenait, au début, un avertissement soulignant la nécessité de tenir compte des traditions et valeurs culturelles, on a l'impression qu'elle n'a pas occasionné les mêmes difficultés que la Convention de La Haye. Pouvez-vous nous dire pourquoi? Avez-vous étudié les différences entre les deux documents?

M. Emon : Merci beaucoup de cette question. Je n'ai pas particulièrement étudié cette question. Le point qui m'a intéressé et qui a retenu l'attention de nombreux observateurs est que beaucoup de questions touchant les raisons pour lesquelles les pays ratifient ou ne ratifient pas les traités internationaux sont restées sans réponse. Je peux citer l'exemple de la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ou CEDAW. La quasi-totalité des pays à majorité musulmane l'ont ratifiée, en exprimant des réserves et en prévoyant des restrictions quant à ce qu'elle signifie et à la façon de l'appliquer. Pour moi, la ratification est moins intéressante que les réserves émises.

Je ne peux pas parler de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, que je ne connais pas suffisamment. Toutefois, comme j'ai fait quelques recherches au sujet de la convention relative aux femmes, je peux vous dire que l'un des aspects les plus intéressants des audiences tenues par le comité de la CEDAW pour recevoir les rapports périodiques des États parties — je crois qu'ils sont présentés tous les cinq ans —, c'est le travail accompli par une ONG appelée Musawah, avec laquelle j'ai collaboré. Il s'agit d'un groupe international de défense de l'égalité des femmes. Ce groupe a élaboré un modèle de travail conforme à la loi islamique afin de rédiger des rapports parallèles à ceux des gouvernements de pays tels que l'Égypte, le Maroc et d'autres. Lorsque les ministres de la Justice ou des Affaires étrangères de ces pays comparaissent devant le comité de la CEDAW, Musawah et ses organismes affiliés présentent des observations concernant leurs rapports et leurs restrictions en se fondant sur leur modèle inspiré de la loi islamique. Les activités de l'ONG ont été relativement bien accueillies. Il n'y a pas de doute qu'elles ont mis quelques gouvernements sur la défensive. À ma connaissance, c'est un modèle que le Comité des droits de l'homme de Genève a déjà demandé à Musawah de présenter.

Je veux simplement dire par là que même la ratification n'est pas une fin en soi. Au bout du compte, c'est la mise en œuvre qui nous permet de savoir si les tendances politiques permettent ou non une intégration efficace de l'instrument international dans les lois du pays.

Je m'excuse de ne pas pouvoir vous donner une réponse précise au sujet de la Convention relative aux droits de l'enfant, mais j'espère que mes observations concernant la CEDAW offrent une analogie suffisante. Je regrette de ne pas pouvoir vous communiquer les résultats des recherches à ce sujet.

La sénatrice Andreychuk : Je comprends ce qui s'est passé dans le cas de la CEDAW ainsi que les réserves exprimées au moment de la ratification, mais c'est la signature de la convention qui m'intéresse. Il a fallu 10 à 15 ans d'épuisantes discussions sur les enfants et les droits des parents pour aboutir à une convention que tous ces États ont signée. C'était la première étape d'un processus visant à trouver un terrain d'entente au sujet des enfants et à permettre à un organisme tel que le Comité des droits de l'homme d'interroger périodiquement les États parties sur les améliorations apportées à la vie des enfants et sur ce que vous appelez les tendances politiques de l'heure.

On peut parler de pauvreté, de santé maternelle, de droits, mais l'essentiel est de commencer à former un certain consensus pour que tous les intéressés concentrent leur attention sur les besoins de l'enfant dans la société d'aujourd'hui. Voilà où je veux en venir. Je ne sais pas si les autres témoins ont quelque chose à ajouter.

M. Ibrahim : Je voudrais revenir sur la question de l'évolution de la culture ou de la religion. Je suis bien d'accord avec M. Emon : cette distinction n'est pas très utile.

J'ai récemment lu un texte sur les États-Unis du XIXe siècle, où la garde revenait automatiquement au père en cas de divorce. À un moment donné du XIXe siècle, les juges ont commencé à recourir pour la forme aux précédents en vue de modifier le système parce que les mœurs de la société avaient évolué et que les gens souhaitaient que la garde des enfants soit confiée à la femme. C'est exactement ce qui s'est passé aux États-Unis.

Pour revenir à votre question, si nous pensons au contexte égyptien, nous constatons qu'en 1929, la garde des enfants était censée être confiée à la mère jusqu'à 7 ans, mais cet âge a été repoussé à 10 ans pour les garçons et à 12 ans pour les filles en 1985. Par la suite, en 2005, il est en fait passé à 15 ans. Bref, la doctrine religieuse ou juridique évolue. La raison, qui figure dans une loi adoptée au milieu du XXe siècle, était une mention explicite de l'intérêt supérieur de l'enfant. Comme par magie, cette mention a disparu en 2005.

Il y a des choses qui peuvent changer. Souvent, les changements sont inspirés par la tradition qui, dans son immense diversité, permet qu'une évolution se produise. C'est la raison pour laquelle la notion selon laquelle la charia est incompatible avec la Convention de La Haye n'est qu'une des interprétations possibles de la charia, les autres interprétations pouvant être utilisées dans les lois adoptées par l'État.

M. Emon : À moins que Timothy ne veuille intervenir, j'aimerais répondre plus précisément à la question concernant la Convention relative aux droits de l'enfant ou CDE. Je voudrais faire une distinction entre les deux conventions, du moins en fonction de votre description de la CDE. Mon interprétation de la Convention de La Haye est un peu différente. Elle ne traite pas seulement des enfants, de ce qu'ils méritent et de ce que doivent être leurs droits.

La Convention de La Haye porte sur la garde, qui met en cause les parents. Elle porte aussi sur la religion, en tant que facteur qui contribue à l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle traite du rôle de l'Islam dans le contexte de conflits perçus entre les civilisations et, comme Timothy l'a mentionné, de l'aspect postcolonial du monde des citoyens. Elle parle des incidences de la nationalité et de la citoyenneté sur le contexte mondial du travail, qui comporte des flux internationaux de main-d'œuvre donnant lieu à des mariages transfrontaliers et transnationaux, facteur qui, pour moi, n'existe pas nécessairement dans le cas de la Convention relative aux droits de l'enfant. Avec la Convention de La Haye, nous avons affaire à des questions de souveraineté et à un processus de retour. Nous parlons d'États qui renoncent à leurs revendications touchant leurs enfants.

Pourquoi le Japon n'a-t-il ratifié la convention que récemment? Le Japon n'est pas un pays qui perd ses enfants. Ce sont d'autres enfants qui viennent au Japon. Cela est évidemment coûteux, mais l'idée de renvoyer des enfants en Amérique, aux États-Unis, au Canada et ailleurs est certainement préjudiciable sur le plan de la politique intérieure.

Avec la Convention de La Haye, le problème à cet égard est plus aigu. Même si nous pouvons nous inspirer de la CDE pour déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant, je pense que beaucoup des facteurs déterminants mentionnés par Timothy pourraient ne pas jouer de la même façon dans le cas de la Convention de La Haye. Encore une fois, je reconnais en disant cela que vous connaissez sans doute mieux que moi la CDE.

La sénatrice Andreychuk : Je dois dire que je n'ai pas vraiment rendu justice à la Convention relative aux droits de l'enfant. Je n'ai fait que relever certains points. Il y a beaucoup de points qui se recoupent avec la Convention de La Haye et les responsabilités, mais il serait intéressant de voir si cela peut être utile dans des négociations bilatérales.

J'ai une autre observation à formuler. Je me demande si le moment n'est pas venu de repenser la Convention de La Haye dans une perspective plus vaste afin de trouver un meilleur moyen d'amener un plus grand nombre de pays à réagir à la mobilité accrue des familles et au fait qu'il est maintenant possible d'enlever un enfant et de l'emmener dans une autre région du monde. Cela n'était pas aussi facile il y a quelques années que maintenant. Par conséquent, il est bien possible que le Processus de Malte soit trop limité et qu'il nous faille envisager une nouvelle procédure ou un nouveau mécanisme.

La présidente : Monsieur Emon, il ne nous reste presque plus de temps, mais je voudrais que vous répondiez à la sénatrice Andreychuk, puis que vous nous donniez quelques précisions sur une chose que vous avez mentionnée.

Vous avez dit que la charia n'est pas nécessaire et n'est pas compatible avec la convention, mais aussi qu'elle définit les droits des parents en fonction du sexe et de la nationalité. Si j'ai bien compris, comment est-il possible d'éviter le conflit entre une convention indépendante du sexe et de la nationalité et un système juridique dans lequel les droits peuvent être fonction de facteurs tels que le sexe et la nationalité? Je vous demande de préciser ce point parce que le rapport que nous rédigeons traite des lois dans leur forme actuelle et non des changements possibles à l'avenir. Je vous prie donc de répondre à la question de la sénatrice Andreychuk, puis d'aborder cette question.

M. Emon : Pour ce qui est de la première question, je n'ai pas de réponse à donner sur ce qu'il conviendrait d'ajouter ou de réexaminer. J'ai trouvé extrêmement intéressants les témoignages précédents, particulièrement en ce qui concerne l'absence de contrôles de sortie. Il faudrait peut-être renforcer ces contrôles et cesser de compter uniquement sur les compagnies aériennes pour les gérer. Cela impliquerait peut-être d'étendre le Processus de Malte à d'autres intervenants et participants.

Quant à la charia et à la discrimination en fonction du sexe et de la nationalité, j'ai beau penser que l'intérêt supérieur de l'enfant et les questions de garde peuvent être négociés dans le cadre de la loi islamique, je crois, sur la base des lois actuelles que j'ai consultées, que le combat à livrer sera très ardu. Je ne prétendrai pas le contraire. C'est un combat à livrer à différents niveaux. Le groupe Musawah que j'ai mentionné tout à l'heure concentre ses efforts sur l'égalité homme-femme. J'ai un travail à faire sur des questions liées à l'enlèvement d'enfants. Encore une fois, on a beau dire qu'il y a une évolution au sein de la tradition islamique et qu'il y a beaucoup de gens qui essaient de favoriser les éléments égalitaires, je ne crois pas que quiconque envisage une victoire facile. Nous aurons tous à travailler très fort.

La présidente : Je voudrais remercier sincèrement nos trois témoins. Vous nous avez certainement beaucoup appris et vous avez mis en évidence les questions à examiner. Nous vous remercions de votre disponibilité et du temps que vous nous avez accordé.

(La séance est levée.)


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