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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 13- Témoignages du 20 novembre 2014


OTTAWA, le jeudi 20 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-219, Loi instituant une journée nationale de commémoration de l'exode des réfugiés vietnamiens et de leur accueil au Canada après la chute de Saïgon et la fin de la guerre du Vietnam, se réunit aujourd'hui, à 8 heures, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour, mesdames et messieurs. C'est la 22e réunion du Comité des droits de la personne. Nous examinons aujourd'hui le projet de loi S-219, Loi instituant une journée nationale de commémoration de l'exode des réfugiés vietnamiens et de leur accueil au Canada après la chute de Saïgon et la fin de la guerre du Vietnam.

Je suis la sénatrice Salma Ataullahjan, vice-présidente du comité. La sénatrice Jaffer a été retenue aujourd'hui. J'invite les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Eaton : Bonjour, je vous remercie de votre présence au comité. Je suis Nicky Eaton, de l'Ontario.

La sénatrice Nancy Ruth : Je suis la sénatrice Nancy Ruth, de Toronto.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de Alberta.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l'Ontario.

Le sénateur Cowan : Jim Cowan, de la Nouvelle-Écosse.

La vice-présidente : Honorables sénateurs, je voudrais signaler que l'ambassadeur du Vietnam a transmis au comité une documentation supplémentaire pour donner suite à sa lettre à la présidente, que vous avez déjà reçue. Cette documentation sera déposée au comité et distribuée aussitôt qu'elle aura été traduite.

Ce matin, nous avons deux témoins représentant la Société historique de l'immigration canadienne : M. Mike Molloy, président, et M. Can Le, ancien président.

Monsieur Molloy, je crois que vous devez prendre la parole en premier.

Mike Molloy, président, Société historique de l'immigration canadienne : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. Je suis très honoré d'avoir été invité à m'adresser à vous aujourd'hui au sujet du projet de loi S-219 et de la proposition visant à désigner le 30 avril comme journée nationale de commémoration de l'exode des réfugiés vietnamiens et des circonstances remarquables qui ont marqué leur établissement au Canada.

J'ai eu le privilège de faire la connaissance du sénateur Thanh Hai Ngo, il y a un an, à l'Université York où s'étaient réunies une centaine de personnes comprenant d'anciens réfugiés, d'anciens parrains, des fonctionnaires, des dirigeants politiques et d'autres pour trois jours de commémoration et de réflexion sur le mouvement indochinois et le lancement du Programme de parrainage privé de réfugiés du Canada. J'ai été enchanté lorsque le sénateur m'a parlé de ce projet de loi. Je m'y suis intéressé pour trois raisons.

Premièrement, comme jeune agent dans les années 1970, j'ai consacré beaucoup d'énergie à la mise en œuvre de la Loi sur l'immigration de 1976, qui était la première mesure législative comportant des dispositions précises relatives aux réfugiés. Ces dispositions comprenaient entre autres la base du fameux régime de parrainage privé de réfugiés et d'une catégorie désignée qui facilitait considérablement la sélection des réfugiés indochinois par rapport aux réfugiés ordinaires au sens de la convention.

Par la suite, au cours de l'été 1979, j'ai été nommé coordonnateur principal d'un groupe de travail formé par le sous- ministre de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada afin de gérer le transport et l'établissement au Canada de 60 000 réfugiés indochinois en 1979 et 1980. À titre de coordonnateur principal, j'étais au bas de l'échelle hiérarchique, mais je n'en étais pas moins responsable de toute l'opération, depuis la supervision de la sélection jusqu'au transport, à l'accueil, au jumelage avec les parrains, à l'envoi des gens à leur destination finale et aux dispositions d'établissement à prendre aux lieux de destination.

Deuxièmement, à la Société historique de l'immigration canadienne, nous en sommes aux dernières étapes de la rédaction de la première histoire complète du mouvement des réfugiés indochinois depuis 1983. Nous avons pensé, parce que nous avancions en âge et que nous n'avions pas raconté tous les événements qui s'étaient produits alors, qu'il serait bon de le faire maintenant. Nous espérons faire paraître le livre en 2015. Il parlera surtout de ce qu'il a fallu faire pour amener au Canada, en 18 mois, 60 000 personnes qui se trouvaient à l'autre bout de la planète.

Troisièmement, depuis la fin de la conférence de l'Université York que je viens de mentionner, le Centre d'études sur les réfugiés de l'université, l'Association des signataires d'ententes de parrainage du Canada et la Société historique de l'immigration canadienne participent avec les membres de la communauté indochinoise à un projet pluriannuel destiné à consigner et à préserver le souvenir d'une période vraiment remarquable de l'histoire du Canada. J'ai ici un document à distribuer qui décrit ce projet.

Permettez-moi de passer brièvement en revue les événements et les raisons pour lesquelles cette période a été tellement remarquable. Tandis que le Laos, le Cambodge et le Vietnam tombaient sous le joug communiste au printemps 1975, un très grand nombre de jeunes Vietnamiens de Montréal s'étaient rassemblés devant les édifices du Parlement, terrifiés par les risques que couraient les membres de leur famille dans leur pays natal. Le gouvernement d'alors, saisi devant le nombre des manifestants, leur avait dit de rentrer chez eux à Montréal après avoir pris l'engagement de garder les bureaux de l'immigration ouverts 24 heures sur 24 et de leur permettre, indépendamment de leur statut de résidence au Canada, de parrainer des parents dans l'espoir que nous pourrions les faire venir.

En quelques semaines, 10 000 demandes de parrainage couvrant 17 000 personnes avaient été déposées. Elles avaient alors été toutes transmises par télex — vous vous souvenez peut-être encore de cet appareil — à Hong Kong. Les demandes étaient tellement nombreuses qu'il fallait constamment remplacer les rouleaux de papier des télex, qui s'épuisaient rapidement, et recommencer la transmission des messages perdus.

À Hong Kong, le personnel de l'immigration s'efforçait de faire sortir des gens du Vietnam. Les autorités canadiennes avaient fourni trois avions Hercules, mais, dans les derniers jours du gouvernement sud-vietnamien, les responsables refusaient de délivrer des visas de sortie. Tout ce que nous avions réussi à faire — et ce n'était pas peu de chose —, c'est arracher au Vietnam quelque 90 bébés, que nous avons fait venir au Canada pour les placer dans des foyers canadiens.

Après la chute de Saïgon, près de 130 000 personnes se sont entassées dans toutes sortes d'embarcations et ont pris la direction du large où des bâtiments de la Marine américaine les ont recueillies. La marine a d'abord emmené ces gens à Hong Kong, mais, à l'arrivée de la mousson, il a fallu les transférer à Guam. Poursuivis encore par la mousson, les réfugiés ont ensuite été accueillis dans des camps militaires du sud des États-Unis. À tous ces endroits, une équipe canadienne venue de Hong Kong intervenait pour essayer de sauver le maximum de personnes ayant des liens avec le Canada. Après avoir réussi à le faire, l'équipe a ajouté 3 000 autres personnes au groupe. En tout, dans les quatre ou cinq mois qui ont suivi la chute de Saïgon, nous avons fait venir 7 000 personnes au Canada.

Les deux années suivantes ont été marquées par une certaine accalmie. C'est alors que nous avions mis en vigueur la Loi sur l'immigration de 1976, qui contenait deux dispositions qui revêtiraient une grande importance dans les années suivantes. La première était le programme de parrainage et la seconde, la possibilité pour le gouvernement d'établir ce qu'on avait appelé une « catégorie désignée », qui simplifiait considérablement la sélection des réfugiés d'Indochine.

Pendant l'hiver 1978-1979, le nombre de personnes prenant la mer dans de petits bateaux de pêche surchargés pour échapper aux conditions de plus en plus graves qui régnaient au Vietnam — où sévissaient la famine et différentes catastrophes naturelles et où le gouvernement avait lancé une campagne d'épuration ethnique contre la minorité chinoise — a augmenté à un rythme exponentiel, passant de quelques milliers par mois à quelques dizaines de milliers par mois, puis à 60 000 personnes en juin 1979.

Les pays de la région — Malaisie, Thaïlande, Indonésie et Singapour — étaient tellement alarmés par cet exode qu'ils avaient interdit leurs côtes aux réfugiés. Pour les 60 000 personnes qui ont réussi à quitter le pays pendant ce mois, il y a probablement 40 000 autres qui ont trouvé la mort en essayant de fuir. À mesure que les pressions exercées s'intensifiaient, le nombre de morts augmentait.

Réagissant aux événements, les Nations Unies — pas le haut-commissaire aux réfugiés, mais le secrétaire général lui- même — sont intervenues. Au cours du mois dans lequel le gouvernement Joe Clark a assumé le pouvoir au Canada, le secrétaire général a convoqué une réunion d'urgence pour la mi-juillet 1979.

À ce moment, le Comité mennonite canadien, premier groupe du Canada à signer une entente de parrainage de réfugiés, a tenu une série de consultations avec la nouvelle ministre des Affaires étrangères, Flora MacDonald, pour lui suggérer — peut-être même pour exiger — que le Canada prenne des mesures spectaculaires.

Au départ, le gouvernement conservateur a fait passer le quota établi de 5 000 à 8 000, ajoutant que 4 000 autres pourraient peut-être être parrainés. Cela se passait en juin 1979. En juillet, en réaction à l'aggravation de la situation et au fait que le Canada devait faire une annonce à Genève, le Cabinet s'est réuni à nouveau. Le nouveau ministre de l'Immigration, Ron Atkey, avait apporté avec lui un exemplaire du fameux livre d'Irving Abella, None is Too Many, qui racontait la tristement célèbre histoire du paquebot chargé de juifs allemands que le Canada avait renvoyé vers la fin des années 1930, condamnant ainsi la plupart des passagers à mourir dans les camps de concentration nazis.

M. Atkey avait donné lecture de quelques extraits du livre à l'ouverture de la séance du Cabinet. Ensuite, il s'était tourné vers ses collègues et leur avait demandé : « Quel souvenir voulez-vous laisser à la postérité? » Ce fut un moment dramatique, m'a-t-on dit. Nous avons eu un entretien avec M. Atkey, il y a quelques mois. C'est alors que j'ai entendu cette histoire pour la première fois.

Lorsque Flora MacDonald est allée à Genève quelques jours plus tard, elle a annoncé que le Canada accepterait 50 000 réfugiés. Les Hongrois s'étaient engagés à en prendre 37 000, les Tchèques 11 000, les Ougandais 6 000 et les Chiliens près de 7 000. Par rapport à ces nombres, le chiffre canadien semblait ahurissant. Il a certainement stupéfié ceux d'entre nous qui travaillaient alors pour le ministère de l'Immigration. Nous ne savions pas du tout que le gouvernement avait décidé de prendre un nombre aussi énorme de Vietnamiens.

Il est intéressant de noter à cet égard que le plan initial prévoyait 60 000 réfugiés, mais vous vous souviendrez peut- être du fait que, dans sa campagne électorale, le gouvernement Clark s'était engagé à réduire les effectifs de la fonction publique canadienne de 60 000 fonctionnaires. Les responsables avaient pensé à l'époque que la juxtaposition des deux chiffres — 60 000 congédiements et 60 000 réfugiés — serait plutôt mal accueillie dans la presse.

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés avait été enchanté par la décision canadienne. Toutefois, il s'était inquiété par écrit — j'ai vu les lettres en cause — du fait qu'une aussi grande partie de l'engagement canadien dépendait de la générosité de simples citoyens. L'annonce faite se fondait sur l'hypothèse que 21 000 personnes feraient l'objet d'un parrainage privé et qu'en contrepartie, le gouvernement s'occuperait lui-même de 21 000 autres personnes. Le haut commissariat ne croyait pas que le Canada serait en mesure d'honorer cet engagement.

Pourtant, la réaction de la population canadienne a été tout simplement renversante. En juillet, mois de l'annonce, 359 groupes se sont engagés à parrainer 2 200 réfugiés. En août, 1 420 groupes ont dit qu'ils allaient s'occuper de 8 000 réfugiés. À la fin du programme, en décembre 1980, 7 675 groupes avaient promis de parrainer un tout petit peu moins de 40 000 réfugiés, soit près du double de ce que le gouvernement avait demandé. Je dois dire que les responsables du ministère des Finances étaient au bord de la syncope. C'était vraiment compliqué. Ce fut un moment étrange, un moment stupéfiant de notre histoire.

Dans cette période de 18 mois, de petites équipes de très jeunes agents canadiens des visas ont été formées. Il était indispensable de recourir à des jeunes parce que les conditions étaient extrêmement difficiles. Toute personne de plus de 30 ans se serait probablement tuée à la tâche. Les bureaux des visas de la Thaïlande, de la Malaisie, de l'Indonésie, des Philippines, de Hong Kong et de Macao ont réussi à faire embarquer 60 049 réfugiés à bord de 181 vols nolisés qui ont atterri soit à Edmonton soit à Montréal.

Sur les 60 000, 1 700 étaient parrainés par des membres de leur famille, 26 000 par le gouvernement et 33 000 par de simples particuliers. Les citoyens du Canada avaient assumé le plus gros du fardeau.

Ce fut une réalisation extraordinaire. Elle a été rendue possible par le leadership exceptionnel qui s'est manifesté à tous les échelons du gouvernement, des maires et des conseillers municipaux aux ministres fédéraux et provinciaux et aux infatigables fonctionnaires. Je vais vous dire à quel point les gens ont travaillé fort. Le livre que nous écrivons aura pour titre Running on Empty, ou Courir à bout de souffle. Quand je dis aux vétérans du mouvement du Vietnam que c'est ainsi que nous appellerons le livre, ils me répondent que oui, c'est vrai, nous avancions à toute vitesse, mais nous étions à bout de souffle.

Les vrais héros de l'histoire, ce sont les centaines de milliers de Canadiens qui ont parrainé des réfugiés par l'entremise de leurs églises, de leurs synagogues, de leurs cercles d'entraide, de leurs syndicats et de groupes spéciaux d'amis et de voisins qui se sont réunis pour participer à ce programme.

Comme vous le savez, l'ONU a été tellement impressionnée par cette réalisation du Canada qu'en 1986, elle a décerné aux Canadiens la médaille Nansen qui, dans le domaine des réfugiés, est l'équivalent du prix Nobel. Nous sommes le premier et le seul peuple à avoir reçu cet honneur.

Nous avons probablement aidé plus d'un demi-million de réfugiés à s'établir dans notre pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi envisageons-nous d'accorder une reconnaissance spéciale à ce groupe particulier?

Tout d'abord, le mouvement indochinois, qui a commencé en 1975, s'est poursuivi jusqu'aux années 1990 pour être plus ou moins remplacé par un programme vraiment énergique de réunification des familles vietnamiennes. C'est de loin la plus grande opération d'établissement que nous ayons jamais entreprise. Elle nous a donné dans l'ensemble près de 200 000 nouveaux citoyens. Les réfugiés et leurs personnes à charge représentent maintenant plus de 300 000 de nos concitoyens.

Ensuite, la réaction étonnante de centaines de milliers de Canadiens qui ont relevé le défi du gouvernement en parrainant deux fois plus de réfugiés qu'on ne leur en avait demandé constitue un exemple extraordinaire de ce que notre population peut faire en s'appuyant sur nos meilleures valeurs.

Si elle est adoptée par le Parlement, cette journée spéciale dira à nos concitoyens d'Indochine que nous sommes fiers de les voir s'intégrer dans notre société et nous rappellera en permanence ce que notre pays peut réaliser quand les Canadiens écoutent leur cœur.

Can Le, ancien secrétaire général, Vietnamese Canadian Federation : Madame la vice-présidente, membres du Comité sénatorial des droits de la personne, mesdames et messieurs, bonjour.

Je vous remercie de me donner l'occasion de vous présenter mon point de vue sur le projet de loi S-219, qui propose d'instituer une journée nationale de commémoration de l'exode des réfugiés vietnamiens et de leur accueil au Canada après la chute de Saïgon et la fin de la guerre du Vietnam, le 30 avril 1975.

Je crois que l'observation, au Canada, le 30 avril de chaque année, d'une journée nationale pour commémorer l'exode de près d'un million de réfugiés vietnamiens après la fin de la guerre du Vietnam et l'accueil dans ce pays de plus de 60 000 de ces réfugiés inscrira un important événement dans l'histoire du Canada et enrichira la mosaïque culturelle et sociale du pays.

La Vietnamese Canadian Federation dont je suis l'un des fondateurs et un ancien secrétaire général, est une organisation-cadre fondée en 1980 pour représenter les organisations communautaires vietnamiennes d'un océan à l'autre. À l'heure actuelle, elle compte des organisations représentant les communautés vietnamiennes de Halifax, Sherbrooke, Montréal, Ottawa, Toronto, Windsor, Winnipeg, Saskatoon, Edmonton, Calgary et Vancouver. Son siège social est situé à Ottawa.

Au cours de ses 34 années d'existence, la fédération a aidé des milliers de réfugiés vietnamiens à s'établir au Canada tout en favorisant la compréhension mutuelle au niveau culturel et en défendant la démocratie, la liberté et les droits de la personne au Vietnam.

Je voudrais vous faire part de quelques observations concernant le contexte de l'exode des réfugiés vietnamiens à la fin des années 1970 et au début des années 1980, observations qui m'ont amené à appuyer ce projet de loi.

Après l'invasion du Sud-Vietnam par les communistes nord-vietnamiens en 1975, des centaines de milliers de Vietnamiens, de membres des forces armées de la République du Vietnam, de responsables ou de partisans du gouvernement, de dirigeants religieux et d'intellectuels ont été envoyés dans des camps de travail officiellement baptisés « camps de rééducation », où des milliers ont trouvé la mort par suite d'exécutions sommaires ou à cause de maladies et de malnutrition.

De nombreux autres ont été exilés dans ce qu'on a appelé les « nouvelles zones économiques », c'est-à-dire les régions isolées du Vietnam. De plus, les Vietnamiens d'origine chinoise ont été forcés à se réinstaller ailleurs ou ont été expulsés du pays en raison du conflit politique de 1979 entre la Chine et le Vietnam.

Dans ces circonstances, des milliers ont cherché à fuir le pays. On disait souvent alors que si les réverbères avaient eu des pieds, ils auraient aussi pris la fuite.

L'exode des réfugiés vietnamiens est entré dans une phase critique vers la fin de 1978 quand certains pays asiatiques voisins ont refusé d'accueillir les boat-people, ainsi baptisés parce que la plupart avaient quitté le pays à bord de petites embarcations en mauvais état pour entreprendre un dangereux voyage dans la mer de Chine orientale. Des centaines de milliers de ces réfugiés ont péri en mer noyés, sont morts de faim ou ont été violés et tués par des pirates.

Le président du Congrès canadien du travail avait alors bien résumé la situation en disant ce qui suit :

Il est parfaitement clair pour nous que le problème des réfugiés vietnamiens s'est aggravé au point de se transformer en crise humanitaire mondiale. Nous croyons que la seule façon humaine de réagir est de prendre immédiatement des mesures décisives.

Émue par la situation critique de ces réfugiés en 1979, la mairesse d'Ottawa, Marion Dewar, avait organisé à son bureau des réunions auxquelles elle avait invité des représentants d'organisations communautaires, de groupes religieux et d'organismes de services sociaux afin de discuter des moyens d'aider les réfugiés. C'est ainsi qu'a été lancé le Projet 4000 dont l'objectif était de faire campagne pour admettre un nombre de réfugiés indochinois pouvant atteindre 4 000. La majorité de ces réfugiés sont venus à Ottawa dans le cadre du Programme de parrainage privé du gouvernement fédéral.

Des initiatives communautaires semblables ont été prises ailleurs au Canada, notamment l'opération Lifeline dirigée par Howard Adelman à Toronto. Deux semaines à peine s'étaient écoulées depuis la réunion initiale des chefs religieux, des représentants des communautés ethniques et des responsables de l'immigration au bureau de la mairesse Dewar, le 27 juin 1979, quand a eu lieu le grand rassemblement du Centre municipal d'Ottawa, le 12 juillet.

Cette courte période avait suffi pour mettre en place la structure de l'un des plus importants mouvements sociaux de la base de l'histoire du Canada. Dans le mois qui a suivi le rassemblement, auquel avaient participé près de 3 000 personnes, la plupart des 347 groupes de parrainage qui ont finalement vu le jour avaient déjà été formés et enregistrés au bureau local de l'immigration.

Par la suite, le gouvernement du premier ministre Joe Clark avait décidé, comme vient de le mentionner M. Molloy, d'accepter 50 000 réfugiés surtout vietnamiens, mais comprenant aussi des Cambodgiens et des Laotiens qui avaient fui les régimes communistes récemment établis dans leur pays.

Le Projet 4000 était la réponse d'Ottawa à la crise des boat-people de 1979. Des Canadiens de tous les coins du pays, comprenant des milliers de volontaires de toutes les couches sociales, se sont empressés d'offrir leur aide. J'ai eu l'honneur et le privilège de faire partie du conseil d'administration de ce projet entre 1979 et 1983. J'ai beaucoup appris en m'occupant du projet de concert avec des centaines de volontaires. J'ai pu mieux comprendre la situation des réfugiés qui avaient renoncé à tout ce qu'ils possédaient au Vietnam et avaient risqué leur vie et celle de leurs proches dans leur quête de la liberté.

Selon deux anciennes volontaires du Projet 4000, Eleanor Ryan et Sue Pike, c'était un grand risque aussi bien pour les réfugiés que pour leurs parrains. Il a fallu que les deux parties fassent un acte de foi, mais, au bout du compte, l'expérience a considérablement enrichi Ottawa.

On peut en dire autant du travail fait par les centaines de groupes de parrainage établis ailleurs au Canada pour aider les réfugiés vietnamiens à retrouver leur vie et leur liberté. L'histoire de ce projet exceptionnel est bien documentée dans le livre Gift of Freedom. J'en ai apporté un exemplaire pour le cas où vous souhaiteriez jeter un coup d'œil plus tard. Il a été écrit par Brian Buckley et a été distribué en 2008 par la Vietnamese Canadian Federation.

Depuis qu'ils sont au Canada, tous ces réfugiés ont réussi au fil des ans à s'intégrer dans la société canadienne et à contribuer sensiblement à la prospérité du pays. De plus, ils ont participé à la préservation de ses grandes valeurs. Il y a maintenant des milliers de Canadiens d'origine vietnamienne ainsi que les enfants et petits-enfants de ces réfugiés qui font carrière en médecine, en dentisterie, en pharmacie, en génie, en droit, en économie, en éducation, en informatique, en comptabilité, et cetera. Des centaines d'entreprises vietnamiennes se sont développées partout dans le pays. De plus, des membres de la communauté ont commencé à s'intéresser à la politique tant provinciale que fédérale.

En approuvant ce projet de loi, le Parlement donnera aux nouveaux venus et aux générations futures l'assurance qu'ils ont leur place dans le pays et montrera que l'inclusivité est à la base de la force et de la prospérité du Canada.

L'établissement de milliers de réfugiés au lendemain de la guerre du Vietnam constitue un autre brillant chapitre de l'histoire du Canada. Ces événements montrent une fois de plus la compassion et la générosité dont les Canadiens font preuve face aux souffrances des autres peuples du monde et de ceux qui fuient des régimes totalitaires pour retrouver la liberté. Il convient d'honorer ce brillant chapitre et de l'inscrire en permanence dans l'histoire du Canada. C'est, je crois, la principale raison d'être du projet de loi S-219.

Madame la vice-présidente, membres du comité, mesdames et messieurs, je suis honoré d'exprimer mon appui au projet de loi.

La sénatrice Nancy Ruth : Je vous remercie de vos exposés. Nous avons en main une lettre de l'ambassadeur de la République socialiste du Vietnam qui dit qu'il est fermement convaincu que ce projet de loi ne reflète pas le point de vue de la majorité des Canadiens d'origine vietnamienne. Qu'avez-vous à répondre à cela?

M. Le : Je ne sais pas où il prend ses informations, mais nous, membres de la Vietnamese Canadian Federation ne sommes au courant d'aucune opposition au projet de loi, sauf peut-être à l'ambassade. D'après tous les renseignements que nous avons reçus jusqu'ici, les membres de la communauté vietnamienne du Canada appuient en très grande majorité cette mesure législative.

Le sénateur Tannas : Messieurs, je vous remercie des exposés que vous nous avez présentés. J'ai beaucoup aimé votre histoire. Je l'ai trouvée excellente, et je vous en remercie.

Monsieur Le, je crois savoir que nous avons encore admis quelques dizaines de réfugiés venant du Vietnam ce week- end.

M. Le : Oui, il y en avait 28.

Le sénateur Tannas : Vous avez dit 28. Cela signifie que l'histoire n'est pas finie. À votre avis, que penseraient du projet de loi ces 28 réfugiés qui viennent d'arriver chez nous? L'appuieraient-ils?

M. Le : Merci beaucoup de votre question, sénateur. Permettez-moi d'ajouter quelques éléments d'information. Les 28 réfugiés qui sont arrivés au Canada la semaine dernière venaient de Thaïlande, où ils avaient été coincés pendant plus de 20 ans. La Vietnamese Canadian Federation a travaillé de concert avec l'organisation VOICE des États-Unis de 2002 à 2007 jusqu'à ce que la ministre Diane Finley annonce le programme humanitaire en faveur des réfugiés, mais il s'agissait de réfugiés des Philippines, qui avaient été coincés là pendant 20 ans.

Après cinq ans d'efforts auprès du gouvernement, les réfugiés ont finalement été acceptés au Canada et ont commencé à arriver en 2008 et 2009. Cette réalisation est attribuable à de nombreuses personnes, dont le sénateur Thanh Ngo, différentes organisations de la communauté vietnamienne et d'autres organisations des États-Unis et d'Australie.

Je voudrais ajouter un autre enseignement : nous avons dépensé près de 650 000 $ pour faire venir 275 personnes des Philippines, ce qui représente en moyenne 2 500 $ par personne. Nous avons nous-mêmes recueilli la totalité de ce montant. Nous nous sommes occupés de tout : examens médicaux, frais pour la présentation des demandes à l'étranger, billets d'avion et frais d'établissement. Lorsque ces gens sont arrivés au Canada, ils ont commencé à travailler dans les deux semaines suivantes, sinon dans les quelques jours qui ont suivi. Nous n'avons jamais eu de difficultés.

Par suite de cette expérience, le gouvernement — dans ce cas-ci, il s'agissait du ministre Jason Kenney — a appris ce que nous avons fait pour les réfugiés des Philippines. Le ministre nous a donc informés qu'il était disposé à nous laisser parrainer un certain nombre d'autres réfugiés. Nous avons pu compiler une liste de quelque 110 personnes qui étaient coincées en Thaïlande depuis plus de 20 ans. Nous avons commencé à recueillir des fonds au sein des communautés vietnamiennes du Canada, des États-Unis, d'Australie et d'autres pays. C'est ainsi que le premier groupe de 28 de ces réfugiés est arrivé la semaine dernière.

Après leur atterrissage à Vancouver, beaucoup d'entre eux sont allés à Calgary et à Toronto. Je crois que sept sont restés à Vancouver. Un autre est arrivé au Canada dimanche dernier. J'ai eu le plaisir d'aller l'accueillir à l'aéroport. Je suis sûr qu'il aura trouvé du travail dans les prochains jours. Je vous remercie donc de me donner l'occasion de vous en dire davantage sur la situation de ces réfugiés.

Le sénateur Cowan : Je vous remercie de votre exposé de ce matin. C'est une histoire remarquable.

J'ai cru comprendre que le sénateur Ngo a l'intention de proposer un amendement visant à remplacer le titre de « Jour de l'Avril noir » par « Jour du Parcours vers la liberté ». Êtes-vous en faveur de cet amendement? Rend-il le texte plus ou moins acceptable?

M. Le : Je crois que le titre « Jour du Parcours vers la liberté » est plus clair et plus facile à comprendre pour les Canadiens. De plus, il a des connotations plus positives, de sorte que nous l'appuyons sans réserve. À part « Jour du Parcours vers la liberté », un autre titre a été suggéré. Je ne sais pas si vous êtes disposés à l'envisager. Je propose en effet « Jour du don de la liberté » car c'est essentiellement ce que les Canadiens offrent aux réfugiés non seulement du Vietnam, mais du monde entier : le don de la liberté. Soit dit en passant, c'est aussi le titre du livre qui raconte l'histoire du Projet 4000 d'Ottawa.

Le sénateur Cowan : Ma seconde question s'adresse peut-être à vous, madame la présidente. La sénatrice Nancy Ruth a mentionné la lettre de l'ambassadeur que nous avons tous reçue et dans laquelle il demande à comparaître devant le comité. Pouvez-vous me dire pourquoi cette demande n'a pas été acceptée?

La vice-présidente : Nous avons demandé un mémoire écrit, qu'il nous a transmis. Nous avons pensé que c'était suffisant.

Le sénateur Cowan : Je n'ai pas vu les autres documents, mais il dit qu'il a demandé à comparaître. Je ne suis pas ici depuis longtemps, mais je pense qu'il aurait fallu, ne serait-ce que par courtoisie, donner à l'ambassadeur la possibilité de présenter son point de vue. Mais je suppose que le comité a décidé.

La vice-présidente : Oui, il a décidé de se limiter au mémoire écrit.

Le sénateur Cowan : Je vous remercie.

Le sénateur Ngo : J'ai deux questions à poser. La première s'adresse à M. Molloy. Dans l'article, l'ambassade du Vietnam communiste dit craindre que l'adoption du projet de loi S-219 ne rouvre de vieilles blessures. Trouvez-vous cette crainte justifiée? Pourquoi?

M. Molloy : Il est évident que, pour l'ambassade, cette préoccupation est réelle. Nous devons nous demander quelle est l'expérience canadienne dans les situations de ce genre, quand des gens sont lésés par les actes d'un gouvernement. Quelle est la bonne solution?

Ce que nous avons appris au Canada, après avoir vécu quelques tristes épisodes de notre propre histoire — dans le cas des Chinois, dans le cas des Japonais durant la Seconde Guerre mondiale, dans le cas des pensionnats indiens —, c'est qu'il est impossible de faire disparaître les cicatrices en les masquant. Nous pouvons assurer la guérison en donnant au gouvernement l'occasion de reconnaître les faits et aux personnes lésées l'occasion d'entendre le gouvernement dire qu'il regrette ce qui s'est produit et qu'il fera tous les efforts possibles pour que cela ne se reproduise jamais. C'est ainsi que nous agissons dans ce pays. Je crois que nous voulons être fidèles à nos traditions lorsque nous parlons des erreurs commises dans le passé.

Si la sénatrice Jaffer avait été ici aujourd'hui, elle aurait appuyé la notion qu'il est possible pour une communauté de réfugiés du Canada de se réconcilier avec le gouvernement qui lui a porté préjudice. Il y a eu toute une série d'événements, ces deux dernières années. Les réfugiés ougandais ont commémoré leur arrivée au Canada en présence de l'ambassadeur de l'Ouganda. Bien sûr, le pays a un nouveau régime et un nouveau président qui, plutôt que de se plaindre de ce qui a été fait, a tendu la main aux Asiatiques venus de l'Ouganda, les a aidés à retrouver leurs biens et a fait différentes choses pour favoriser la réconciliation. Aujourd'hui, les meilleurs partisans de l'Ouganda dans le monde se recrutent dans la communauté ougandaise du Canada.

On ne peut pas supprimer le préjudice en le masquant. Il faut l'affronter. Il sera très difficile pour un régime comme celui du Vietnam de le faire, mais j'estime que c'est davantage son problème que le nôtre. Nous sommes responsables envers nos gens, qui comprennent 300 000 Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens qui ont fui leur pays pour échapper à d'horribles persécutions. Nous pouvons reconnaître leurs souffrances, leur contribution à notre pays et la façon dont les Canadiens les ont accueillis. Cela relève bien de nous.

Le sénateur Ngo : Merci, monsieur Molloy. Nous avons également reçu une lettre du président du Comité des affaires extérieures de l'Assemblée nationale de la République socialiste du Vietnam, M. Tran Van Hang. Il dit dans cette lettre : « Ce projet de loi, le S-219, est un document qui falsifie l'histoire. »

Pouvez-vous me dire quels faits historiques ont été falsifiés dans le projet de loi?

M. Le : Puis-je formuler quelques observations sur la question du sénateur Ngo? Je ne crois pas qu'il y ait des blessures et des scissions parmi les vietnamiens ordinaires qui vivent au Vietnam et ailleurs. Même le premier ministre du Vietnam, Vo Van Kiet, a révélé dans une interview accordée à la BBC, que la réunification du Nord et du Sud après 1975 avait causé des souffrances à des millions de personnes.

Le projet de loi S-219 met en lumière les divisions qui existent entre le gouvernement et le peuple du Vietnam.

Quant à rouvrir de vieilles blessures, ce n'est qu'un faux prétexte, très probablement parce que le gouvernement responsable des horreurs commises est encore au pouvoir aujourd'hui. Et c'est ce même gouvernement qui exprime des préoccupations. Si nous acceptions son raisonnement, nous devrions éviter de célébrer chaque année le jour du Souvenir, qui évoque une guerre tragique, mais que les Canadiens commémorent avec fierté. Nous nous souviendrons.

L'analogie ne tient pas. Le projet de loi ne rouvrira pas de vieilles blessures. Le traumatisme est encore là. Nous saignons encore dans nos cœurs et dans nos corps. Nous ne devons pas tirer le rideau sur le passé. Ce serait honteux et insultant pour ceux qui ont souffert et ceux qui sont morts. En toute franchise, ce serait embarrassant pour tous les Canadiens.

Je voudrais attirer votre attention sur une chose analogue à ce que nous faisons ici. Le projet Tribute to Liberty est lancé, comme vous l'avez sans doute appris. Il s'agit de construire un monument à Ottawa pour commémorer les victimes du communisme. Cela rouvrira-t-il de vieilles blessures? Je ne le crois pas. Cela occasionnera-t-il des difficultés diplomatiques et commerciales avec les anciens et les actuels pays communistes? Je ne le crois pas davantage.

Le sénateur Ngo : J'ai une autre question. Comme vous le savez, nous parlons d'événements qui remontent à 1975. Nous sommes presque en 2015 : 40 ans sont passés. Nous disons que c'est le 40e anniversaire de la communauté vietnamienne qui s'est établie au Canada. Qu'est-ce que cette commémoration signifie pour la communauté? Croyez- vous que les communautés vietnamiennes établies dans d'autres pays célébreront aussi cet anniversaire?

M. Le : Je le crois. Il serait particulièrement opportun que l'approbation du projet de loi soit annoncée le 30 avril 2015, date du 40e anniversaire de la chute du Sud-Vietnam.

Comme je l'ai déjà dit, le projet de loi bénéficie d'un très fort appui au sein de la communauté vietnamienne du Canada. Il est également appuyé par les communautés vietnamiennes d'autres pays. Nous attendons avec impatience son adoption.

Le sénateur Ngo : Puis-je poser une autre question?

Monsieur Molloy, pouvez-vous nous en dire davantage sur le rôle de la population canadienne dans l'accueil des boat-people? À votre avis, pourquoi ce rôle devrait-il s'inscrire dans l'histoire du Canada? Qu'est-il arrivé aux Canadiens qui ont aidé les réfugiés vietnamiens à s'établir dans le pays?

M. Molloy : Je dois dire que ceux d'entre nous qui ont vécu cette période ont été stupéfiés par la vitesse à laquelle les Canadiens ont réagi. Il y a également lieu de mentionner que pas un seul groupe religieux du Canada n'a refusé de participer. Autre fait à noter : deux communautés fortement marquées par le souvenir de la guerre et de la répression ont pris la direction du mouvement.

Le Comité central mennonite a été le premier à embarquer. Certains de ses membres de l'époque avaient eux-mêmes fui la Russie comme réfugiés. De même, l'Église chrétienne réformée du Canada, ou Église réformée néerlandaise, se compose de gens qui ont connu l'occupation nazie pendant la guerre. Le troisième important groupe de participants, qui se recrutait dans la communauté juive du Canada, se souvenait lui aussi des horreurs de la persécution, de la guerre et de la répression.

Pendant que nous faisions nos recherches pour le livre, nous sommes très souvent tombés sur des articles de journaux parlant de réfugiés hongrois qui ont parrainé des réfugiés vietnamiens. Des réfugiés ougandais, arrivés au Canada cinq ans plus tôt, avaient également formé des groupes de parrainage.

Tout cela s'est passé il y a 40 ans. Nous étions alors en bonne voie de devenir un pays multiculturel, mais nous étions quand même très loin de ce que nous avons réalisé aujourd'hui. Pour beaucoup de Canadiens traditionnels, c'était la première fois qu'ils avaient l'occasion de parrainer des gens de régions du monde autres que l'Europe et de les recevoir dans leurs églises et leurs maisons. Je crois que, pour nous tous, ce fut une expérience humanisante. C'est pour cette raison que je m'intéresse tant à ce projet de loi.

Nous célébrons l'antithèse de ce qui est arrivé à ces gens. Au Vietnam, les portes se sont fermées devant les gens. Les Chinois ont été expulsés. Au Canada, nous avions partout toutes sortes de gens : c'était extraordinaire car il n'y a pas une seule localité du pays — pas même Tuktoyaktuk, dans le Grand Nord — qui n'ait pas accueilli des réfugiés de cette région. Ils ne sont peut-être pas restés après l'arrivée de l'hiver, mais il y a encore des Vietnamiens qui exploitent des entreprises à Yellowknife.

C'est incroyable, même aux endroits où ils ne sont pas restés.

Si vous parlez aux gens de l'Île-du-Prince-Édouard, où 10 ou 15 familles sont arrivées, mais sont parties plus tard, ils vous diront qu'ils ont trouvé l'expérience positive parce qu'elle leur a ouvert les yeux sur d'autres êtres humains. Je crois que cette arrivée en masse des Vietnamiens a joué un grand rôle dans l'affaiblissement du racisme dans le pays. Bien sûr, nous avons encore des racistes, mais je pense que, dans les petites villes du Canada où on n'avait jamais vu des Asiatiques, à part peut-être le propriétaire du restaurant chinois local, la population a soudain été mise en présence de gens qui comptaient parmi eux des personnes âgées et des bébés et qui avaient besoin d'un emploi et d'un logement. Elle a dû s'interroger sur ce qu'il convenait de faire à Noël, et tout le reste.

Comme je l'ai déjà dit, ces événements ont eu un effet humanisant sur nous tous et ont marqué un important moment de notre histoire. Les gens se demandent souvent comment ils se comporteraient si c'était à refaire. Peut-être ce moment a-t-il été unique, mais il a eu de profondes répercussions sur notre attitude comme Canadiens.

M. Le : Puis-je ajouter quelque chose aux observations de M. Molloy? Il a mentionné la présence de réfugiés vietnamiens à Yellowknife. Je les avais rencontrés en 1979. C'était une famille parrainée par un groupe religieux de Yellowknife. Elle a monté une petite entreprise de nettoyage de bureaux, qui est encore active. Les membres de la famille sont encore là, et leur affaire est florissante.

Je voudrais aussi mentionner, au sujet des collectivités isolées du Canada où des groupes religieux ont parrainé des réfugiés, que la famille de Carol Huynh, qui a remporté une médaille d'or aux Jeux olympiques de Beijing, il y a quelques années, avait été parrainée par un groupe religieux d'une petite ville de la Colombie-Britannique. Les membres de la famille y vivent encore.

La vice-présidente : Comme il n'y a pas d'autres questions, je voudrais remercier M. Molloy et M. Le.

Plaît-il au comité d'entreprendre l'étude article par article du projet de loi S-219?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Le titre est-il reporté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Le préambule est-il reporté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il reporté?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Ngo : Pour l'article 1, page 2, je propose :

Que le projet de loi S-219 soit modifié à l'article 1, page 2, par substitution, à la ligne 37, de ce qui suit :

« 1. Loi sur la Journée du Parcours vers la liberté. »

La vice-présidente : Nous devrions attendre avant de proposer l'amendement à l'article 1. En effet, nous avons dit : « Le préambule est-il reporté? » Nous étions sur le point d'aborder l'article 2. Nous pourrons revenir à l'article 1 plus tard.

Adam Thompson, greffier du comité : Sénateurs, permettez-moi de donner quelques explications. Nous avons toujours reporté l'étude des titres et du préambule, qui ne sont ordinairement modifiés que pour tenir compte de changements apportés au corps du projet de loi. Par conséquent, nous devrions examiner les articles 2 et 3, puis revenir à l'article 1 et au préambule.

Le sénateur Ngo : D'accord.

La vice-présidente : Si vous souhaitez proposer un amendement à l'article 2, vous pouvez le faire maintenant.

Le sénateur Ngo : D'accord. Je vais le faire.

Pour l'article 2, page 2, je propose :

Que le projet de loi S-219 soit modifié à l'article 2, page 2, par substitution, à la ligne 39, de ce qui suit :

« désigné comme « Journée du Parcours vers la liberté ». »

La vice-présidente : L'amendement est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Andreychuk : Puis-je intervenir? Suis-je autorisée à le faire?

J'approuve certainement la modification du titre existant. Je crois aussi qu'un titre positif vaut mieux qu'un titre négatif. Je remercie donc le sénateur Ngo d'y avoir pensé.

Je pense cependant qu'un projet de loi de ce genre vise à honorer les réfugiés qui sont venus et qui sont maintenant des citoyens qui contribuent au Canada. De plus, ce genre de mesure a une valeur éducative. « Parcours vers la liberté » n'évoque pas le Vietnam. Je voudrais simplement dire que j'aurais probablement préféré un titre qui ait un lien avec le Vietnam. Je ne cherche pas vraiment à proposer un amendement. J'aurais juste aimé qu'une fois mis en vigueur, le projet de loi ait une valeur éducative. Nous devrions donc mettre en évidence le fait qu'il s'adresse à la communauté vietnamienne.

Bien sûr, les gens ne liront pas tous le projet de loi et ne connaîtront pas tous nécessairement les événements historiques qu'il évoque. Si nous le laissons tel quel, nous pourrons toujours donner les explications nécessaires dans des brochures, des vidéos ou des discours pour bien montrer qu'il concerne les Vietnamiens.

Je voulais simplement donner explicitement mon avis, mais je suis disposée à accepter le vote sur cette disposition.

La vice-présidente : Je vous remercie.

La sénatrice Nancy Ruth : Pour faire suite aux observations de la sénatrice Andreychuk, je voudrais ajouter que si « Jour de l'Avril noir » est l'expression couramment utilisée, nous devrions la conserver. Je crois personnellement que ces changements reflètent l'impérialisme chrétien. Je n'en vois pas la nécessité. Je préférerais que le titre reste tel quel.

La sénatrice Eaton : Je ne suis pas du même avis que mes deux collègues. Je crois que « Journée du Parcours vers la liberté » s'adresse non seulement aux Vietnamiens qui sont venus chez nous, mais aussi aux autres immigrants qui viendront à l'avenir. Je trouve l'expression très canadienne, très inclusive.

La vice-présidente : S'il n'y a pas d'autres interventions, je vais poursuivre. L'amendement est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'article 2 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'article 3 est-il adopté?

Le sénateur Ngo : Pour l'article 3, page 2, je propose :

Que le projet de loi S-219 soit modifié à l'article 3, page 2, par substitution, à la ligne 40, de ce qui suit :

« 3. Il est entendu que la Journée du Parcours vers la liberté »

La vice-présidente : Est-ce d'accord?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'article 3 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Le sénateur Ngo : Madame la présidente, je propose :

Que le projet de loi S-219 soit modifié à l'article 1, page 2, par substitution, à la ligne 37, de ce qui suit :

« 1. Loi sur la Journée du Parcours vers la liberté. »

La vice-présidente : L'amendement est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'article 1 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Le préambule est-il adopté?

Le sénateur Ngo : Pour le préambule, je propose :

Que le projet de loi S-219 soit modifié dans le préambule, page 2, par substitution, à la ligne 24, de ce qui suit :

« l'Avril noir » ou encore comme « Journée du Parcours vers la liberté » en tant que journée pour ».

La vice-présidente : L'amendement est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Le préambule modifié est-il adopté?

La sénatrice Andreychuk : Je voudrais soulever une question dont j'ai déjà parlé au sénateur Ngo.

Le deuxième paragraphe du préambule est ainsi libellé :

que le 30 avril 1975, malgré les Accords de paix de Paris, les forces militaires de l'Armée populaire vietnamienne et du Front national de libération ont envahi le Vietnam du Sud, ce qui a entraîné la chute de Saïgon, la fin de la guerre du Vietnam et l'établissement d'un gouvernement socialiste à parti unique;

Il me semble que la dernière partie, qui parle de « l'établissement d'un gouvernement socialiste à parti unique », n'est pas très heureuse. Elle entraîne des discussions sur l'établissement de tel ou tel gouvernement, ce qui ne correspond pas à ce que nous ont dit les témoins et le sénateur Ngo.

De plus, l'expression confirme plus ou moins la position énoncée dans la lettre de l'ambassadeur parce que nous portons un jugement sur le gouvernement. Il serait préférable d'utiliser le titre officiel du gouvernement qui s'est établi sans soulever une polémique relativement à la gouvernance, et cetera. C'est le seul point qui me dérange. Le reste, qui ne fait que relater des faits historiques, est incontestable. Certains — dont l'ambassade vietnamienne peut-être — le trouveront sans doute pénible, mais il nous appartient de décider de ce que nous voulons faire.

Bref, je souhaiterais qu'on mentionne plutôt le titre officiel du gouvernement qui a pris le pouvoir ou qu'on supprime tout simplement ce passage. Il n'ajoute rien à la loi et pourrait occasionner des difficultés ailleurs.

J'ai demandé au sénateur Ngo de réfléchir à cela.

Le sénateur Ngo : Merci, sénatrice. Après vous avoir parlé hier, après avoir réfléchi et en avoir discuté avec d'autres, voici la conclusion à laquelle j'ai abouti. Après la guerre du Vietnam, il y a eu la transition vers... J'ai voulu éviter l'expression « République socialiste du Vietnam », préférant parler du « gouvernement socialiste ». Si vous le souhaitez, nous pouvons inclure le titre officiel du gouvernement. Je n'y vois pas d'inconvénient. Depuis l'établissement de ce gouvernement, c'est le drapeau des réfugiés, le mot-clé qui a entraîné l'exode. Bref, si vous préférez qu'on dise « l'établissement du gouvernement de la République socialiste du Vietnam », je ne m'y opposerai pas.

La sénatrice Andreychuk : Effectivement. Vous abordez ensuite des faits historiques...

Le sénateur Ngo : Oui.

La sénatrice Andreychuk : ... et nous évitons de parler du gouvernement d'alors et du gouvernement d'aujourd'hui. Ce n'est pas l'objet du projet de loi. En mettant le titre officiel, si nous pouvons en convenir, nous affaiblirions l'argument de l'ambassade concernant cet élément de notre politique étrangère.

Le sénateur Ngo : Si nous adoptons le titre officiel, nous aurions alors « l'établissement du gouvernement de la République socialiste du Vietnam ». Un point, c'est tout.

La sénatrice Andreychuk : Très bien. Est-ce d'accord?

Le sénateur Ngo : C'est plus clair.

La vice-présidente : Est-ce d'accord?

La sénatrice Nancy Ruth : Oui, c'est d'accord.

La vice-présidente : Le préambule modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Le projet de loi modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Suis-je autorisée à faire rapport du projet de loi modifié au Sénat?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : C'est tout ce que nous avions à faire. Je vous remercie.

(La séance est levée.)


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