Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 17 - Témoignages du 14 mai 2015


OTTAWA, le jeudi 14 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 8 h 31, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : La responsabilité sociale des entreprises (RSE) et les travailleurs du textile).

La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous souhaite la bienvenue à la 31e séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la deuxième session de la 41e législature.

Le Sénat a donné le mandat à notre comité d'examiner des enjeux liés aux droits de la personne, tant au Canada qu'à l'étranger.

La présidente du comité, la sénatrice Mobina Jaffer, ne peut pas être ici ce matin. Je m'appelle Salma Ataullahjan et je suis la vice-présidente du Comité des droits de la personne. Je suis ravie de vous accueillir aujourd'hui à cette réunion.

Avant que nous commencions, j'aimerais que mes collègues se présentent, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, Toronto, Ontario.

[Français]

Le sénateur Rivard : Bonjour, je m'appelle Michel Rivard, sénateur du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Hubley : Je suis la sénatrice Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Nancy Ruth : Nancy Ruth, Toronto, Ontario.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, Toronto. Les gens de Toronto sont majoritaires aujourd'hui.

La vice-présidente : Je vous remercie. L'industrie du vêtement est une importante source d'emplois dans les pays en développement. La grande souplesse et la décentralisation qui caractérisent cette industrie, combinées au recours généralisé à la sous-traitance, compliquent l'application de normes adéquates en matière de santé et de sécurité. Dans bien des pays qui exportent des vêtements, comme le Bangladesh, l'Inde et le Vietnam, des milliers de travailleurs salariés travaillent dans des conditions dangereuses et sont exposés à des risques pour leur santé et leur sécurité.

Nous avons entendu parler ce matin d'un incendie survenu dans une usine aux Philippines, où les travailleurs n'ont pas pu sortir parce qu'il y avait des barreaux aux fenêtres. On ne sait toujours pas combien de personnes sont mortes.

Le 24 avril, l'immeuble Rana Plaza, à Dhaka, au Bangladesh, s'est effondré, et environ 1 130 travailleurs ont été tués et plus de 2 500 personnes ont été blessées. C'est la catastrophe mortelle la plus grave d'une série qui a touché l'industrie du vêtement au Bangladesh. En effet, il y avait eu en novembre 2012 un incendie, où plus d'une centaine de personnes avaient perdu la vie, et en octobre 2013, un autre incendie a causé 7 décès et fait 50 blessés. Le secteur privé a des obligations en matière de droits de la personne, notamment dans les milieux de travail. Des employés dans de nombreuses collectivités dans le monde ont réussi à obtenir le droit de travailler dans des conditions saines et sécuritaires, de recevoir un salaire suffisant et d'avoir un horaire de travail raisonnable.

Lorsque la santé et la sécurité des travailleurs ne sont pas assurées, lorsque les salaires ne suffisent pas à garantir un niveau de vie raisonnable et lorsque les travailleurs font l'objet d'intimidation quand ils essaient de se syndiquer, on touche à un certain nombre des droits reconnus par des conventions internationales sur les droits de la personne, dont le Bangladesh est signataire.

Malheureusement, même si le Bangladesh a ratifié un certain nombre de conventions internationales sur les droits de la personne, comme la Convention sur l'inspection du travail de l'OIT, en 1972, l'effondrement de la Rana Plaza et d'autres accidents similaires démontrent qu'il y a amplement place à l'amélioration relativement à l'application de ces conventions. Cette application doit être plus efficace.

Pour commencer, j'aimerais souhaiter la bienvenue à Duane McMullen, directeur général de la Direction générale des opérations et de la stratégie commerciale du Service des délégués commerciaux; ainsi qu'à Jeff Nankivell, directeur général de la Programmation pour la région Asie-Pacifique.

Messieurs, je vais vous demander de présenter votre exposé, et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

[Français]

Duane McMullen, directeur général, Direction générale des opérations et de la stratégie commerciale du Service des délégués commerciaux, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.

C'est avec plaisir que je vous parlerai des efforts déployés par le gouvernement du Canada afin de soutenir l'utilisation des pratiques d'affaires responsables auprès des entreprises canadiennes qui mènent des activités commerciales ou des activités d'approvisionnement à l'étranger, ainsi que des leçons tirées de l'expérience du gouvernement dans le secteur extractif.

[Traduction]

Notre ministère travaille avec d'autres organismes du gouvernement afin de faire la promotion de pratiques et de principes commerciaux responsables auprès d'entreprises canadiennes qui ont des activités à l'étranger. Ces entreprises connaissent du succès dans des régions difficiles, et cela profite à l'économie et aux collectivités de ces régions. L'approche que nous adoptons à l'égard de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE, appuie et respecte les efforts déployés par notre ministère et par l'ensemble du gouvernement du Canada.

La position générale du ministère est que le gouvernement du Canada s'attend à ce que toutes les entreprises canadiennes présentes à l'étranger respectent les lois applicables, exercent leurs activités avec transparence et en consultation avec les gouvernements des pays d'accueil et les collectivités locales, et se comportent de façon responsable sur les plans social et environnemental. Ces entreprises sont aussi tenues de respecter les droits de la personne ainsi que les normes de pratiques commerciales responsables reconnues à l'échelle internationale en intégrant les principes de RSE à l'ensemble de leurs activités. Pour ce faire, elles doivent notamment effectuer leur vérification au préalable et leurs activités d'approvisionnement de façon responsable.

Cette position est clairement articulée dans la Stratégie de promotion de la RSE pour les sociétés extractives canadiennes présentes à l'étranger, initialement lancée en 2009 et récemment améliorée en novembre 2014. Les leçons tirées de la stratégie, ainsi que l'expérience et le leadership du Canada en matière de développement responsable des ressources, guident nos efforts généraux de RSE dans d'autres secteurs. Ces caractéristiques orientent la façon dont les ministères conseillent et soutiennent toutes les entreprises canadiennes à l'étranger, y compris ses activités d'approvisionnement responsables.

Lorsqu'elles mènent des activités commerciales à l'étranger, les entreprises canadiennes peuvent se heurter à un environnement d'accueil qui ne dispose pas de la capacité d'aider les entreprises à mener leurs activités de façon responsable à l'étranger. Le gouvernement du Canada contribue à combler cette lacune grâce à diverses initiatives qui aident les entreprises canadiennes à faire face aux difficultés qu'elles peuvent rencontrer dans la conduite responsable de leurs affaires commerciales à l'étranger.

Les activités entreprises par le gouvernement du Canada pour promouvoir et faire progresser la RSE se divisent en quatre domaines : promouvoir et faire avancer l'orientation en matière de RSE, favoriser les réseaux et les partenariats, faciliter le dialogue vers le règlement des différends, et renforcer l'environnement ayant une incidence sur les pratiques commerciales responsables.

Pour aider les entreprises à mieux comprendre les saines pratiques de RSE, le gouvernement du Canada favorise le recours à plusieurs lignes directrices à cet égard qui sont pertinentes peu importe le secteur concerné ou la taille de l'entreprise.

Les missions du Canada à l'étranger, y compris le Service des délégués commerciaux, sont un véhicule de premier plan pour promouvoir l'adoption de pratiques commerciales responsables. Au moyen de diverses activités, les missions du Canada ont une incidence concrète en réunissant une foule de parties intéressées afin de discuter de RSE, de communiquer des pratiques exemplaires et d'établir des réseaux et des relations. Le Canada compte plus de 950 agents commerciaux, dont plus de 400 travaillent dans 60 pays en développement. Ceux-ci conseillent les entreprises canadiennes présentes à l'étranger sur la conduite d'activités avec succès et respect.

En fournissant des indications et en facilitant la formation de partenariats, on aide les entreprises canadiennes à bien travailler de concert avec les collectivités locales. Néanmoins, il se peut que des problèmes surgissent. Pour aider à régler les différends, le gouvernement du Canada offre deux mécanismes de facilitation du dialogue : l'un est axé sur le secteur extractif alors que l'autre vise tous les secteurs. Le conseiller en RSE fournit des services ciblés pour le secteur extractif, alors que le Point de contact national du Canada pour les Principes directeurs de l'OCDE aide les parties consentantes à tenir un dialogue sur tous les aspects de la RSE dans tous les secteurs.

Enfin, dans le but de favoriser un environnement habilitant en ce qui concerne l'approvisionnement responsable, mon ministère et l'ensemble du gouvernement du Canada maintiennent un dialogue avec une foule de parties intéressées au Canada et à l'étranger. Le ministère collabore avec d'autres ministères sur de nombreuses questions liées au secteur du prêt-à-porter et ses chaînes d'approvisionnement, et tente de régler ces problèmes sur le plan multilatéral, notamment par l'intermédiaire du Point de contact national de l'OCDE et du groupe spécial sur les chaînes d'approvisionnement responsables dans le secteur du textile et de l'habillement, ainsi qu'en collaborant avec ses partenaires du G7.

Nous maintenons également un dialogue avec des partenaires de l'industrie, de la société civile et du marché du travail pour découvrir les meilleures façons d'encourager l'adoption de pratiques responsables en matière d'approvisionnement. Un bon exemple des efforts concertés à cet égard est la collaboration dans le but d'améliorer les conditions de travail dans le secteur du prêt-à-porter au Bangladesh, dans lequel une foule de parties intéressées déploient des efforts afin d'améliorer collectivement les conditions dans ce secteur, y compris dans le secteur privé.

Le gouvernement du Canada continuera d'aider les entreprises canadiennes à adopter des pratiques commerciales responsables là où elles mènent leurs activités, peu importe le secteur, et de leur fournir les outils et les conseils nécessaires pour leur permettre de mener leurs activités avec succès et de façon responsable.

Merci de m'avoir donné l'occasion de me présenter devant vous aujourd'hui. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

La sénatrice Eaton : Lorsqu'une entreprise canadienne fait affaire avec une usine dans un pays souverain pour la confection de vêtements ou de chaussures et que bien d'autres entreprises font également affaire avec cette usine, quel genre d'autorité pouvez-vous exercer? S'agit-il principalement d'une autorité morale? Vous arrivez dans un pays, où vous êtes un client important, mais vous êtes un client parmi d'autres. Si vous constatez que les pratiques de travail ne correspondent pas à ce que vous considérez comme étant de bonnes pratiques de travail, pouvez-vous faire quelque chose?

M. McMullen : L'une des choses que nous avons apprises durant ce processus, c'est que chaque pays a ses propres problèmes et son propre contexte. Par exemple, au Bangladesh, on s'est rendu compte — trop tard — que le principal problème était la sécurité des bâtiments et la sécurité incendie. Dans d'autres pays, par exemple en Jordanie, le principal problème s'est révélé être les travailleurs migrants et les heures de travail. Le contexte est différent d'un pays à l'autre.

Le travail de nos bureaux à l'étranger consiste à cerner les problèmes propres à un pays et à veiller à ce que les entreprises soient au courant de ces problèmes. Nous conseillons les entreprises sur la façon de les atténuer.

Par exemple, dans un pays où il y a un problème lié aux conditions de travail dans une usine, l'entreprise canadienne qui fait affaire avec cette usine n'est qu'un client parmi tant d'autres. Il est possible de résoudre ce genre de problème, mais pas nécessairement du jour au lendemain. L'un des rôles de nos missions à l'étranger est de créer des coalitions dans les pays, car s'il y a des clients canadiens, il doit bien y avoir des clients américains et européens. Nous travaillons avec nos collègues d'autres ambassades ou hauts commissariats pour mettre les entreprises au courant de ces problèmes, de sorte que le Canada ne soit pas le seul à essayer de faire changer les choses dans l'usine.

Les entreprises canadiennes, tout comme les entreprises européennes et américaines, tiennent à leur réputation. Elles ne veulent pas prendre le risque qu'il y ait, par exemple, un incendie dans l'usine qui pourrait causer la mort de nombreuses personnes, comme cela s'est produit aux Philippines. Si les entreprises ne sont pas conscientes du risque, alors elles ne peuvent rien faire à cet égard.

Au Bangladesh, par exemple, depuis l'incendie et l'effondrement de l'immeuble, nous avons fait beaucoup de travail en vue d'améliorer la sécurité des bâtiments. Nous travaillons avec le gouvernement local, la chaîne d'approvisionnement et les entreprises pour mettre en place un certain nombre de mesures, notamment établir une certification pour les usines, de sorte que les fournisseurs sachent qu'il est acceptable de faire affaire avec une usine parce qu'elle a été certifiée par des sources externes fiables.

La sénatrice Eaton : Est-ce que les normes que vous essayez de faire respecter par les fabricants canadiens et étrangers sont presque équivalentes aux normes canadiennes ou européennes? Il est certain que les entreprises mènent des activités dans des pays comme les Philippines, le Bangladesh et le Vietnam parce que la fabrication coûte beaucoup moins cher qu'ici.

M. McMullen : Les normes sont différentes. Nous essayons de respecter la souveraineté des pays en leur laissant établir leurs propres normes. Nous nous attendons à ce que les entreprises canadiennes respectent au moins ces normes, mais nous nous attendons également à ce qu'elles suivent les lignes directrices internationales qui peuvent dépasser les normes établies dans un pays donné.

Les entreprises qui mènent des activités à l'étranger ne le font pas nécessairement parce que le coût de la main- d'œuvre est faible ou parce que les normes sont différentes. Il est fort probable que ce soit à cause de la disponibilité de la main-d'œuvre ou des quotas d'importation canadiens. Donc, une entreprise qui est présente dans un autre pays n'a pas nécessairement choisi ce pays parce que c'est celui où elle voulait faire des affaires, mais parce que c'est celui où le quota est accessible. Elle doit déterminer comment mener ses activités de production dans ce pays en respectant les normes internationales, car elle a besoin de ce quota.

Le sénateur Eggleton : Lorsque vous avez comparu devant le comité il y a un an, la discussion a porté essentiellement sur l'effondrement du RANA Plaza au Bangladesh. Le bilan de cette catastrophe s'élève à plus de 1 100 morts et à un plus grand nombre encore de blessés. Cela s'est produit il y a deux ans.

Quelles améliorations ont été apportées depuis? Il y a un an, nous parlions de la nécessité d'établir des conditions de travail saines et sécuritaires, de verser des salaires suffisants, de fixer des heures de travail raisonnables et d'accorder le droit aux employés de se syndiquer sans être victimes d'intimidation. Quelles mesures ont été mises en place au Bangladesh à cet égard?

Jeff Nankivell, directeur général, Programmation, Asie-Pacifique : Je vous remercie, sénateur. Je vais répondre à cette question.

Je suis le directeur général responsable des programmes canadiens d'aide au développement pour la région Asie- Pacifique. Le gouvernement et le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement participent aux efforts entrepris au Bangladesh pour améliorer la situation des travailleurs du secteur du prêt-à-porter.

Deux ans se sont écoulés depuis la catastrophe. De nombreux partenaires ont fait beaucoup de travail pour améliorer les choses. Depuis un an et demi, dans le cadre de nos programmes d'aide au développement, nous participons à une importante initiative gérée par l'Organisation internationale du Travail. Le Canada, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont chacun investi 8 millions de dollars dans un projet de l'OIT, qui vise à offrir du soutien technique sur le plan de la sécurité-incendie et de la sécurité des bâtiments; des programmes de réadaptation et de formation professionnelles pour les travailleurs touchés par l'effondrement tragique du RANA Plaza; de l'information et de la formation sur la sécurité-incendie; de l'information sur la santé et la sécurité au travail; et de l'aide en vue d'améliorer le système d'inspection des usines. Cette initiative s'ajoute à celles entreprises par des acteurs importants de l'industrie, notamment l'Alliance pour la sécurité des travailleurs et l'Accord sur les incendies et la sécurité des bâtiments, deux coalitions internationales qui regroupent des acheteurs et des fabricants de partout dans le monde.

Parmi les usines visées, il y a 3 500 usines de vêtements de sport où l'on doit améliorer le système d'inspection. Jusqu'à maintenant, environ les trois quarts de ces usines ont été inspectées. Certaines de ces inspections ont été effectuées dans le cadre de l'Accord, d'autres ont été menées sous l'égide de l'Alliance, et environ 750, dans le cadre de l'initiative de l'OIT, ont été appuyées par le Canada. Au total, 48 usines ont fait l'objet d'une recommandation de fermeture. Parmi ce nombre, 14 ont été fermées complètement, 13 ont été fermées partiellement, et dans 21 usines des mesures correctives ont été prises et elles sont maintenant en activité.

Le Canada et ses partenaires internationaux ont déployé beaucoup d'efforts pour obtenir du gouvernement qu'il embauche davantage d'inspecteurs. Au cours des deux dernières années, 180 inspecteurs ont été recrutés. Parmi eux, 20 p. 100 sont des femmes. Du soutien technique a été offert pour leur formation. Des survivants de l'effondrement du RANA Plaza ont aussi été réembauchés et on a offert de la formation et de la réadaptation professionnelles aux personnes blessées.

Cela dit, il reste encore des choses à faire, particulièrement pour ce qui est de garantir les droits des travailleurs et de leur permettre de se syndiquer. Les paiements d'indemnisation aux survivants de la tragédie du Rana Plaza n'ont pas encore été entièrement versés, et il reste encore à accroître et à rendre plus cohérente la base de données comprenant toutes les usines qui effectuent le travail précédant l'exportation et qui devront être inspectées. Il faut constamment travailler sur l'application de mesures correctives.

Le sénateur Eggleton : Je crois comprendre que les inspections visent la santé et la sécurité au travail?

M. Nankivell : Oui. Nous nous concentrons sur la sécurité-incendie et l'intégrité structurale des bâtiments.

Le sénateur Eggleton : Qu'en est-il des salaires? Il y a eu beaucoup de controverse relativement aux salaires peu élevés. A-t-on fait quelque chose à cet égard?

M. Nankivell : Oui. Le gouvernement a augmenté les salaires et l'industrie a accepté la hausse du salaire minimum, qui est passé de 40 à 73 $ par mois.

Le sénateur Eggleton : Cette hausse est en vigueur?

M. Nankivell : Oui.

Le sénateur Eggleton : D'accord. Quant à la syndicalisation, y a-t-il eu des progrès sur ce front?

M. Nankivell : Oui. Il y a eu des progrès. Des syndicats ont été créés et des travailleurs en sont devenus membres. J'ai parlé du rôle que l'Organisation internationale du Travail joue au Bangladesh. Comme vous le savez, il s'agit d'un organisme tripartite qui représente des organisations du travail, des employeurs et des gouvernements de partout dans le monde. L'OIT collabore avec des organisations du travail dans le monde sur cet aspect en particulier.

Cela étant dit, tout le monde reconnaît qu'il y a encore du travail à faire. Ce ne sont pas tous les organismes qui se considèrent comme des syndicats qui seraient reconnus comme tels au Canada. Il y a des problèmes dans un pays comme le Bangladesh, où il y a de la corruption de façon assez généralisée. Au sein du gouvernement, de l'industrie et de la société civile, il y a un certain nombre de difficultés à surmonter.

Le sénateur Eggleton : En effet. Mais il n'est probablement toujours pas facile de mettre sur pied un syndicat. Il y a sans doute encore de l'intimidation. Il y a aussi sûrement de la corruption.

Qu'en est-il de l'accord et de l'alliance? Ce sont deux organisations — une davantage européenne, et l'autre davantage nord-américaine si je me souviens bien — établies par le milieu des affaires. Qu'accomplissent-elles et qu'accomplissent en particulier les entreprises canadiennes?

M. Nankivell : Elles ont joué un grand rôle dans la mise en œuvre des initiatives dont j'ai parlé et dans la réalisation des progrès que j'ai mentionnés. J'ai parlé du nombre d'inspections d'usines. Sur les 3 500 usines ciblées, 1 291 ont été inspectées avec le soutien de l'accord, qui est la coalition d'entreprises basée en Europe. Loblaw est l'une des entreprises canadiennes qui a adhéré à l'accord. En tout, 616 usines ont été inspectées sous l'égide de l'alliance et, comme je l'ai mentionné, 757 usines ont été inspectées dans le cadre de l'initiative de l'OIT.

Ces trois initiatives — et je dois ajouter que l'OIT participe à une initiative du gouvernement du Bangladesh — respectent des normes communes et le travail est réparti entre elles pour faciliter les inspections, la préparation des rapports d'inspection et l'alimentation d'une base de données commune.

Pour ce qui est de la participation des entreprises canadiennes, je ne peux pas parler en leur nom. J'encourage le comité à s'adresser à elles. Comme je l'ai mentionné, Loblaw joue un rôle important en ce qui a trait à l'accord. Si vous me donnez un instant, je pourrais vous donner le nom de certaines des entreprises canadiennes qui sont membres de l'alliance, qui, comme vous l'avez souligné, est une initiative nord-américaine, tandis que l'accord regroupe principalement, mais non exclusivement, des entreprises européennes.

Le sénateur Eggleton : La dernière fois que vous avez comparu devant nous, on nous a dit que le gouvernement du Bangladesh n'avait pas ratifié certaines conventions de l'OIT. Vous avez mentionné, madame la présidente, celle de 1972, mais il y a aussi celle de 1981 et un protocole de 2002, qui, je crois comprendre, seraient utiles pour combler certaines des lacunes du système du pays. Dans l'année qui vient de s'écouler, est-ce que le gouvernement a ratifié l'une ou l'autre de ces conventions?

M. McMullen : Nous allons devoir vérifier cela.

Depuis l'effondrement du Rana Plaza, nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement du Bangladesh, qui a adopté une loi nationale tripartite sur la sécurité incendie et la sécurité des bâtiments, ce qui a permis de donner un cadre législatif à l'embauche et à la formation d'inspecteurs, comme mon collègue M. Nankivell l'a mentionné. Le gouvernement a aussi adopté une politique nationale en matière de santé et de sécurité au travail, qui exige la mise sur pied de comités patronaux-syndicaux et de comités sur la santé et la sécurité au travail dans toutes les entreprises. De la formation est également offerte en santé et sécurité au travail. Nous avons formé 114 formateurs principaux qui s'occupent actuellement de former 7 500 superviseurs pour 500 usines, ce qui a des répercussions sur 500 000 travailleurs.

Le sénateur Eggleton : Tout cela est lié à la mise en œuvre de cette nouvelle politique?

M. McMullen : Oui. Le quatrième volet de notre politique de RSE, comme je l'ai mentionné, est le renforcement de la capacité du gouvernement du pays d'accueil d'améliorer ses propres infrastructures et institutions pour qu'il soit en mesure de gérer lui-même ce genre de problèmes.

Le sénateur Eggleton : C'est en partie à quoi servent les 8 millions de dollars, je présume?

M. McMullen : Oui.

Le sénateur Eggleton : D'accord. Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Rivard : Merci beaucoup, madame la présidente. C'est la première fois que j'ai l'honneur de participer aux travaux de ce comité, et mes questions auront peut-être déjà été posées, malheureusement.

Dans votre présentation, vous mentionnez 900 agents commerciaux dont 400 travaillent dans 60 pays en développement. Devons-nous comprendre que ces 400 agents qui travaillent sur le terrain ne sont pas nécessairement des Canadiens envoyés en Asie, mais plutôt des agents originaires de ces différents pays et formés par le Canada, qu'il s'agisse du Bangladesh ou de quelque autre pays d'Asie? En fait, ce ne sont pas 400 Canadiens.

[Traduction]

M. McMullen : Oui, c'est exact. Environ la moitié de nos délégués commerciaux à l'étranger sont embauchés localement. Ils sont des spécialistes du milieu des affaires, des pratiques commerciales et du contexte du pays. Les Canadiens ont tendance à rester dans le pays pendant deux à quatre ans et ils connaissent très bien le contexte canadien, mais nous nous adressons surtout aux employés locaux qui restent en permanence dans le pays pour obtenir des conseils au sujet de la situation locale. Ils jouent un rôle inestimable au sein de notre réseau à l'étranger.

[Français]

Le sénateur Rivard : Dois-je comprendre que vous intervenez dans des endroits où les Canadiens ont des intérêts en tant que propriétaires ou actionnaires d'entreprises manufacturières, mais aussi là où les Canadiens qui ont des entreprises ici importent d'usines installées dans ces pays? C'est bien cela votre champ d'action?

[Traduction]

M. McMullen : Nous nous attachons à sensibiliser les entreprises canadiennes aux risques qu'elles courent dans d'autres pays. Nous suivons beaucoup d'entreprises canadiennes qui débutent sur le marché international. Ces entreprises s'imaginent qu'à l'étranger, les choses fonctionnent comme au Canada. Chez nous, on fait sans hésiter des achats auprès d'une usine manitobaine par exemple et l'on ne se demande pas si les conditions de travail sont bonnes ou si l'usine est sécuritaire. On tient cela pour acquis.

Mais cette approche peut être très dangereuse pour une entreprise canadienne opérant dans un environnement difficile. L'un des rôles de nos délégués commerciaux est donc de sensibiliser les entreprises canadiennes aux risques. Qu'arrivera-t-il si ces risques se matérialisent? La catastrophe du Rana Plaza en est un tragique exemple. Que peuvent faire les entreprises pour éviter ces risques?

Au Bangladesh par exemple, il y a aujourd'hui deux excellentes séries de normes élaborées par le secteur privé, l'Alliance et l'Accord, qui permettent à une compagnie de prendre connaissance du travail accompli par d'autres pour valider les pratiques de sécurité et de travail. En engageant ainsi une compagnie qui a une usine dans l'une des entreprises certifiées, on a la garantie que les achats effectués ne causeront pas de problème.

[Français]

Le sénateur Rivard : Les inspecteurs avisent-ils les propriétaires d'une entreprise avant de se rendre sur les lieux? Est- ce qu'ils vérifient les dispositifs de sécurité pour la prévention des incendies ou est-ce qu'ils jouent un rôle de vérificateur externe dans les entreprises privées, où les actionnaires décident de faire faire des inspections surprises? J'imagine qu'on doit les aviser et faire des visites-surprises pour vérifier si les droits et les règlements sont respectés.

[Traduction]

M. McMullen : Je ne connais pas précisément les pratiques de l'Alliance ou de l'Accord. Je sais que les inspections sont fréquentes et qu'à chaque visite, on constate de graves problèmes. En l'occurrence, il ne s'agit pas nécessairement de fermer immédiatement l'usine, car des centaines de travailleurs pourraient perdre leur emploi. Il s'agit de trouver des correctifs. On recherche des modes de collaboration avec l'usine pour régler les problèmes en temps opportun en faisant en sorte que l'usine continue de fonctionner.

L'approche initiale qu'adoptent l'Alliance et l'Accord consiste à s'associer avec l'usine, afin d'en améliorer les conditions. De façon générale, et pas seulement au Bangladesh, mais aussi dans d'autres marchés, on constate qu'on atteint beaucoup plus de résultats lorsqu'on est considéré comme un allié qui aide à régler les problèmes plutôt que comme quelqu'un qui essaie de vous prendre en faute et de vous mettre sur la paille.

[Français]

Le sénateur Rivard : Lorsque vous constatez une infraction grave qui peut mener à un danger pour la sécurité, naturellement, vous avertissez l'entreprise concernée. Toutefois, si cette dernière fait affaire avec une entreprise canadienne, est-ce que vous avertissez à la fois les deux parties que la situation est irrégulière?

Si le client canadien est au courant d'une situation potentiellement dangereuse, il peut faire des pressions auprès de son fournisseur. Est-ce que vous vous limitez à travailler localement pour vous assurer que la situation est corrigée?

[Traduction]

M. McMullen : Si nous découvrons un grave problème, nous le portons certainement à l'attention de l'entreprise canadienne qui fait affaire avec le fournisseur local, ainsi que des organismes de normalisation ou des inspecteurs qui cherchent de leur côté à corriger les problèmes.

La sénatrice Hubley : Lorsque vous avez comparu devant le comité en mai dernier, votre collègue Peter MacArthur avait parlé de certaines réunions qui s'étaient tenues sur le sujet quelques semaines après la rencontre. À la mi-mai, le haut-commissaire canadien avait rencontré des représentants britanniques, de l'Union européenne et des Pays-Bas, ainsi que trois ministres du Bangladesh pour exhorter ces derniers à prendre des mesures. Votre collègue avait parlé également d'une réunion de l'OCDE qui s'était tenue à Paris fin juin et de l'examen du pacte sur la durabilité au Bangladesh, mené par l'Union européenne à la mi-juillet.

Savez-vous à quoi ont abouti ces réunions? Est-ce qu'on y a parlé de l'Accord et de l'Alliance ou a-t-on abordé d'autres sujets?

M. McMullen : Je dois dire tout d'abord que ces rencontres ont vraiment eu lieu, mais que le travail mené par l'Accord et l'Alliance les avait précédées. L'Accord et l'Alliance sont des associations bénévoles du secteur privé permettant à de nombreuses entreprises de se concerter pour s'assurer qu'elles travaillent avec des sous-traitants qui sont en mesure d'offrir des conditions acceptables.

Comme je l'ai mentionné, notre rôle est d'aider l'Alliance et l'Accord à peaufiner les normes afin de les rendre praticables et propices aux correctifs puisque notre volonté est de minimiser les risques. Nous ne voulons pas mettre les gens au chômage. Au Bangladesh et dans bien d'autres pays, le secteur du prêt-à-porter est une part essentielle de l'économie et un important employeur. Nous voulons être en mesure de protéger ce secteur. Comment vous décrirais-je notre action? Il s'agit d'un exercice délicat d'équilibriste par lequel nous amenons les divers intervenants à examiner les problèmes et à réfléchir aux moyens de les résoudre.

Comme je l'ai dit, suite à l'action que nous avons menée auprès du gouvernement du Bangladesh — en fait ce n'est pas seulement notre action puisqu'il s'agit d'un effort multilatéral — celui-ci a passé des lois sur les politiques en matière de lutte contre les incendies, et en matière de santé et de sécurité au travail. Des comités de santé et de sécurité au travail composés de représentants du patronat et du syndicat ont été mis sur pied dans toutes les entreprises pour former des formateurs qui, à leur tour, apprennent aux superviseurs à appliquer les nouvelles lois.

Comme mon collègue l'a mentionné, il reste encore beaucoup à faire, mais on a quand même accompli de grands progrès.

M. Nankivell : Si je puis me permettre d'ajouter quelques mots sur ce qui se passe dans ce pays, notre haut- commissaire participe à ce que l'on appelle le processus trois-plus-cinq. Il s'agit de réunions regroupant les sous- ministres des ministères du commerce, du travail et des affaires étrangères du gouvernement du Bangladesh avec les cinq chefs de mission des pays clients que sont actuellement le Canada, les États-Unis, les Pays-Bas et l'Union européenne à titre d'organisation, avec un siège occupé par rotation par un nouveau membre. Ces gens se rencontrent une fois tous les deux mois avec un ordre du jour flottant. La dernière rencontre a eu lieu en février.

Pour vous donner une petite idée, l'ordre du jour actuel porte sur les 1 300 inspections d'usine qui n'ont pas encore été effectuées sur les 3 500 prévues, sur la dernière main à apporter aux règles d'application de la loi modifiée sur la main-d'œuvre qu'a mentionnée M. McMullen, sur l'élaboration d'un mécanisme de règlement des différends opposant les travailleurs, les syndicats et les employeurs, et finalement sur les correctifs à apporter aux usines et notamment sur la facilitation du financement permettant aux intervenants plus modestes d'accéder au capital nécessaire pour mettre leurs locaux aux normes, qui sont de plus en plus obligatoires.

La sénatrice Hubley : J'ai une autre question à vous poser sur les conséquences. Dans certains cas, vous vous attendez à ce que des entreprises canadiennes fassent une demande. Vous vous attendez à ce que le travail soit mené à bien.

Si ce n'est pas le cas, y a-t-il d'autres conséquences auxquelles s'exposent les entreprises qui, au Bangladesh, feraient appel à des usines qui ne sont pas aux normes?

M. McMullen : Les entreprises canadiennes qui ne répondent pas à nos attentes s'exposent en fait à deux conséquences. Premièrement, elles ne recevront aucun appui public de notre part. Nous leur en expliquerons les raisons. Cette conséquence pourrait peser assez lourd, car beaucoup de ces marchés sont très difficiles. Si notre ambassade ou notre haut-commissariat ne peut pas travailler avec les autorités locales pour régler les divers problèmes auxquels font face ces entreprises, celles-ci ne pourront pas réussir sur ce marché.

Il y a aussi les obstacles bureaucratiques à surmonter lorsque l'on a affaire aux autorités gouvernementales. Et si l'on ne peut pas faire intervenir une ambassade ou un haut-commissariat, ils peuvent devenir insurmontables.

Autre difficulté pour les entreprises qui ont besoin d'un financement international, elles ne pourront pas l'obtenir, si elles ne prouvent pas qu'elles sont aux normes. La Société financière internationale a des normes. Exportation et développement Canada adhère à ces normes qui sont fondées sur les principes de l'Équateur. Si vous n'êtes pas en mesure de prouver que vous respectez les principes qui s'alignent sur les types de lignes directrices et de normes que nous avons mentionnées, vous n'aurez pas de financement. Cela peut être un élément dissuasif majeur.

Au-delà de l'effet dissuasif que pourrait susciter la perspective d'une catastrophe, d'un incendie, de l'effondrement d'un immeuble ou d'une grève généralisée qui amèneraient le gouvernement à imposer de lourdes sanctions, le fait que l'image de marque de l'entreprise soit associée à cela peut avoir un effet dévastateur. Nous expliquons donc aux entreprises ce qui peut arriver à leur marque et à leur chiffre d'affaires si elles sont liées à ce genre de situation tragique et, habituellement, elles sont très intéressées à prendre les mesures nécessaires pour éviter ce genre de risques. Ce n'est donc pas seulement une question d'éthique, mais aussi de bonnes pratiques commerciales.

La sénatrice Nancy Ruth : Comme j'ai beaucoup de questions différentes à vous poser, peut-être que vous voudrez les prendre en note.

La compagnie montréalaise Gildan a une grande usine de fabrication de t-shirts et de teintures au Bangladesh. L'usine est très moderne, en tout cas par rapport à celle de Rana Plaza. Quel type d'influence, si elle en a, Gildan exerce-t-elle sur d'autres Canadiens qui travaillent dans ce secteur?

Pour ce qui est de la santé et de la sécurité au travail, est-ce que les inspections portent sur des éléments tels que l'éclairage, l'ergonomie, la responsabilité en cas de maladie professionnelle, et cetera?

Je me souviens très bien que lorsque les premières puces d'ordinateur ont été fabriquées en Indonésie, toutes les femmes avaient les doigts rongés par l'acide et les compagnies canadiennes qui les employaient n'avaient pris aucune responsabilité pour leur verser des indemnités à long terme.

Autre question à propos des mécanismes de différends, est-ce que le Bangladesh a un système judiciaire qui intervient dans les différends lorsque ceux-ci ne peuvent pas être réglés?

Lorsque vous avez parlé du soutien du public canadien, vous avez très bien précisé les pressions que le gouvernement doit exercer sur les entreprises. Je me posais une question sur les quotas. Dans votre présentation liminaire, je ne suis pas sûre d'avoir bien compris ce que vous vouliez dire par quotas. Et est-ce que ces quotas font partie des pressions exercées?

M. McMullen : Je ne savais pas que Gildan avait des investissements au Bangladesh, mais si vous le dites, cela doit être vrai. Beaucoup de fabricants de prêt-à-porter canadiens trouvent de plus en plus difficile d'embaucher de la main- d'œuvre canadienne. Ils craignent par contre les risques que présente la sous-traitance dans les marchés étrangers et se sentent beaucoup plus à l'aise d'avoir leurs propres capacités sur ces marchés. En effet, ils ont alors le sentiment de pouvoir contrôler les normes, les conditions de travail, les enjeux de santé et de sécurité, et cetera. En conséquence, bon nombre d'entre eux comptent sur leurs propres capacités.

Dans le cadre de l'Accord et de l'Alliance, des entreprises canadiennes, françaises, italiennes, allemandes et américaines œuvrent de concert pour élaborer des normes et des lignes directrices communes afin de pallier les lacunes des autorités locales. Je pense que les entreprises canadiennes ont une grande influence sur ce que j'appellerai les instances multinationales essentiellement pilotées par le secteur privé, mais aussi sur des intervenants qui n'en font pas partie. Mais leur influence au sein de ces instances est disproportionnée.

Pour ce qui est des inspections des locaux, est-ce qu'elles portent sur des éléments comme l'éclairage et l'ergonomie? Je n'en suis pas sûr. Mais nous pouvons trouver cette information et vous la communiquer.

La sénatrice Nancy Ruth : C'est dans le cadre des enjeux de santé et de sécurité dont je parlais.

M. McMullen : Pour ce qui est des inspections des locaux sur les questions de santé et de sécurité, le principal problème au Bangladesh concernait la sécurité des bâtiments, la protection contre les incendies et les issues de secours. Comme mon collègue M. Nankivell l'a fait remarquer, il est extrêmement difficile d'inspecter convenablement plus de 3 500 usines et il y a une grande division du travail. Le travail se poursuit, mais il reste encore plus de 1 000 usines à inspecter.

S'agissant du règlement des conflits, nous respectons la souveraineté des systèmes judiciaires et je dirais que les mesures punitives sont habituellement du ressort des pays où sont installées les usines. Lorsque les lignes directrices ne sont pas suivies, nous avons recours aux mécanismes de règlement des différends et à des mesures correctives. Nous cherchons des moyens autres que la punition pour faire respecter les normes. Nous laissons les autorités locales s'occuper des sanctions. Dans de nombreux cas, les entreprises canadiennes ne s'adresseront pas à un sous-traitant si les normes ne sont pas respectées.

Le système des quotas est complexe, mais beaucoup de pays, y compris le Canada, ont des quotas sur le volume de vêtements prêt-à-porter importés de divers pays et ces quotas sont inférieurs à ce que serait la demande du marché canadien.

Cela amène le secteur du vêtement prêt-à-porter, mais aussi de la chaussure, à se tourner vers les pays où tous les quotas n'ont pas été utilisés. Si l'on peut installer des usines de production dans ce pays, on peut alors fabriquer davantage de t-shirts, de chaussures ou d'autres produits, mais ces pays ont souvent, je dirais, un environnement institutionnel semé d'embûches. Ils n'ont pas de gouvernement capable de faire appliquer des normes concernant la sécurité des immeubles, les heures de travail ou les divers codes du travail. Il faut alors que des intervenants se concertent, définissent ces normes et les fassent appliquer, faute de quoi surgissent les problèmes que nous avons connus au Bangladesh et dans d'autres pays.

La sénatrice Nancy Ruth : Je me demande si M. Nankivell peut répondre à ma question à propos de Gildan au Bangladesh. J'y ai visité son usine où l'on offre un repas par jour aux employés et où il y a du personnel infirmier à la disposition des employés et de leur famille. Leurs normes de travail dépassent largement tout ce que j'ai vu ailleurs au Bangladesh. Je suis curieuse de savoir quelle portée leurs normes ont sur d'autres entreprises canadiennes implantées dans le pays.

M. Nankivell : Je peux confirmer, comme vous l'avez fait vous-même, sénatrice, que Gildan est présente au Bangladesh. J'y ai rencontré ses représentants en compagnie de représentants d'autres entreprises et organisations. La compagnie est un symbole de qualité.

On s'attendrait à ce qu'il y ait toute une gamme d'entreprises, certaines étrangères, certaines locales, à avoir des normes élevées. Avec 3 500 usines qui exportent, la gamme est très large. Mais plus les entreprises qui appliquent des normes élevées peuvent montrer que c'est possible et qu'elles peuvent exporter de façon rentable sur des marchés comme le Canada, l'Europe et les États-Unis, plus vite on constatera des améliorations à l'échelle globale.

C'est probablement le facteur le plus important pour rehausser la norme de l'industrie. Pardon, je n'irai pas jusque- là. Le facteur le plus important serait plutôt la mise en œuvre et l'application de lois sur la sécurité des bâtiments, sur la sécurité-incendie et sur les normes d'hygiène au travail. Mais — et c'est là un facteur presque aussi important — il faudrait que les propriétaires d'entreprises aient le sentiment qu'il est bon pour leur entreprise d'opérer de façon sécuritaire et que c'est dans l'intérêt des employés qui resteront plus longtemps en poste.

Quiconque exploitant une usine dans une industrie à forte concentration de main-d'œuvre n'importe où dans le monde vous dira qu'un des problèmes importants, c'est le roulement de personnel. Chaque fois qu'on engage de nouveaux employés, il faut les former et on veut les garder le plus longtemps possible. Les usines où les normes de qualité sont élevées ont des taux de rétention du personnel beaucoup plus hauts et elles en récoltent les fruits. C'est un élément très important dans le tableau d'ensemble et dont on tient compte dans les programmes d'aide au développement. Dans les efforts que nos partenaires et nous-mêmes déployons pour renforcer les capacités de l'industrie de façon holistique, nous travaillons avec les principaux employeurs pour faire en sorte qu'ils puissent communiquer les avantages de l'exemple qu'ils représentent.

Le sénateur Ngo : Comme vous le savez, les usines de fabrication de vêtements sont connues pour embaucher des mineurs. Selon votre exposé, nous avons 900 délégués commerciaux répartis dans 60 pays et 400 d'entre eux font appel à des agents locaux. Comment vous assurez-vous que ces inspecteurs, ces agents locaux puissent garantir que les entreprises respectent la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant?

M. McMullen : Je dirai tout d'abord qu'il est pratiquement impossible pour nos bureaux à l'étranger de pouvoir aller... Prenons l'exemple du Bangladesh. Notre programme commercial dans ce pays emploie quelques personnes. Notre programme d'aide est plus important, mais avec 3 500 usines, nous ne pouvons pas vérifier que chacune d'entre elles offre de bonnes conditions de travail ou n'engage pas de mineurs. Nous nous fions sur les administrations locales, mais aussi sur les entreprises ainsi que sur l'Alliance et l'Accord pour savoir si les usines sont bonnes ou mauvaises. Quant aux entreprises canadiennes, nous leur donnons des recommandations sur... Je veux parler des consultants ou des sources d'information qui leur permettront de déterminer si une usine est bonne ou pas. Soit ils seront en mesure de déterminer si une usine a été certifiée par le gouvernement, par l'Alliance ou par l'Accord, soit ils sauront comment faire preuve de diligence pour établir qu'une usine respecterait les normes, même si elle n'a pas été certifiée.

Le sénateur Ngo : Il y a deux ans, lorsque l'édifice s'est effondré, nous avons constaté que de nombreux enfants s'y trouvaient. Nous ne pouvons pas dire que nous devons compter sur le gouvernement, l'entreprise ou l'Alliance pour signaler cette situation. Je crois que nous devrions le savoir. Comment faites-vous cela?

M. McMullen : Je dirais qu'une catastrophe met les problèmes en évidence. Le défi, c'est d'éviter cette catastrophe.

On y parvient en fixant des normes, en menant des inspections et en réglant les problèmes. Il est très difficile de cerner les usines qui présentent un risque dans un endroit où se trouvent, par exemple, 3 500 usines. On peut toujours les recenser après une catastrophe, mais un mécanisme de signalement après la catastrophe n'est utile à personne. Il faut plutôt mettre en œuvre des mesures pour éviter ces catastrophes.

Dans le cas du Bangladesh, cela nécessite des centaines d'inspecteurs ainsi que la participation du secteur privé, de l'Alliance et de l'Accord, des travaux sur les usines et beaucoup de formation. Ces efforts directs vont bien au-delà de la capacité de nos missions à l'étranger, mais nous tentons de favoriser un milieu qui permet aux intervenants du gouvernement local, de l'industrie et de la main-d'œuvre de collaborer pour obtenir les normes et les inspections nécessaires pour éviter ces catastrophes.

M. Nankivell : Nos missions à l'étranger peuvent également jouer un rôle essentiel sur le plan pratique, c'est-à-dire qu'elles peuvent mener une analyse de la situation, de la main-d'œuvre et des facteurs de risque dans un pays. Dans certains pays, nous pouvons manifestement constater que l'utilisation du travail des enfants représente un problème. Il y a peut-être d'autres pays dans lesquels ce n'est pas vraiment un problème. Nous menons ce type d'analyse générale, afin que les délégués commerciaux puissent avertir les entreprises canadiennes qui entrent sur un marché que l'utilisation du travail des enfants est un problème important dans un pays et qu'elles devront en tenir compte si elles souhaitent rencontrer des fournisseurs potentiels là-bas.

Dans certains autres pays, il se peut que la structure des bâtiments doive faire l'objet d'un examen — par exemple dans une région sismique —, car elle pose un risque de catastrophe. Dans d'autres endroits, il pourrait s'agir d'autres éléments liés aux droits de la personne; en effet, les droits des enfants, des femmes et des minorités sont des éléments sur lesquels nous menons des analyses générales dans les pays où il y a une présence canadienne. C'est le type de conseils que nous donnons aux entreprises et à d'autres organismes qui s'installent dans un pays, surtout pour la première fois.

Le sénateur Ngo : J'aimerais revenir sur la question du sénateur Eggleton. Il a mentionné que dans certains pays, on ne permet pas la formation de syndicats. Il a dit que le Pakistan avait ratifié... quelque chose de ce genre. Mais qu'en est-il des autres pays? Prenons l'exemple du Vietnam. On ne permet pas la formation de syndicats là-bas. Nous savons que les travailleurs sont victimes de mauvais traitements, qu'il y a des inégalités de salaire, et qu'on traite les hommes, les femmes et les enfants de façon différente. Que faites-vous à cet égard lorsqu'il n'y a pas de syndicats dans le pays?

M. McMullen : Nous rappelons aux entreprises canadiennes qui mènent leurs activités à l'étranger — et c'est l'un des piliers de notre approche en matière de RSE, comme je l'ai mentionné dans l'exposé — que le dialogue multipartite est une nécessité absolue. Lorsque ce dialogue n'existe pas, nous encourageons les entreprises à l'établir.

Par exemple, si on ne permet pas la formation de syndicats dans une usine dans laquelle ces entreprises mènent leurs activités — par exemple, le gouvernement ne permet pas la création d'un syndicat ou un syndicat a été créé et contrôlé par le gouvernement et il ne fonctionne pas comme un syndicat le devrait —, nous encourageons alors cette entreprise à créer un mécanisme de dialogue avec les travailleurs, afin qu'elle soit en mesure de détecter rapidement les problèmes, de tenter de les résoudre en temps voulu et de comprendre le point de vue des travailleurs.

Selon notre expérience à l'étranger, c'est une stratégie qui peut être très efficace pour les entreprises canadiennes. De plus, les Canadiens réussissent très bien dans ce domaine, même si parfois, il faut le leur rappeler. Cette stratégie fonctionne bien et elle est suffisante pour les convaincre d'agir à la manière canadienne et de mettre en œuvre des mécanismes de dialogue.

Le sénateur Ngo : Pourriez-vous nous donner un exemple d'une entreprise canadienne qui applique cette technique au Vietnam? À ma connaissance, actuellement, le gouvernement vietnamien ne permet pas la formation de syndicats. Comment y parvenez-vous?

M. McMullen : Connaissez-vous des entreprises qui font cela au Vietnam?

M. Nankivell : Non.

M. McMullen : Nous devrons revenir sur la question de la situation au Vietnam, car nous devons consulter nos collègues dans nos missions dans ce pays.

Le sénateur Ngo : Merci.

La vice-présidente : J'ai quelques questions avant de passer à la deuxième série de questions.

L'Alliance et l'Accord se concentrent sur le Bangladesh, mais on peut présumer que d'autres pays ont des problèmes similaires. Pourquoi ces initiatives sont-elles limitées à un pays? Et que fait-on ailleurs?

Cela m'amène également à préciser que chaque pays fait face à ses propres défis. Serait-il possible d'élaborer une stratégie générale en matière de RSE pour l'industrie du vêtement?

M. McMullen : Chaque pays doit effectivement faire face à ses propres défis. Les médias ont parlé du Bangladesh; ce sont les tragédies vécues au Bangladesh qui ont lancé les efforts de l'industrie relativement à l'Alliance et à l'Accord. On retrouve un type d'organisme soutenu par l'industrie similaire dans de nombreux pays. Étant donné qu'elles doivent gérer les risques liés aux problèmes potentiels dans leurs chaînes d'approvisionnement, c'est beaucoup plus facile pour les entreprises. En effet, elles souhaitent toutes certifier la même chose. Autrement, certaines entreprises individuelles mènent leurs propres inspections. Cependant, lorsque les entreprises collaborent et se partagent cette tâche, c'est bien plus efficace et beaucoup moins dispendieux. Les entreprises le feront peut-être naturellement ou il sera relativement facile de catalyser ce type d'initiative simplement en communiquant avec les entreprises et en réunissant leurs dirigeants dans la même pièce.

Mon collègue a mentionné le processus trois-plus-cinq au Bangladesh. Nous avons grandement l'habitude, à l'étranger, de travailler avec nos collègues aux vues similaires d'autres ambassades — les ambassades européennes, l'ambassade américaine — et nous utilisons fréquemment ces personnes pour réunir les dirigeants d'entreprises, afin qu'ils puissent se partager la gestion des risques liés à leurs chaînes d'approvisionnement.

Notre stratégie en matière de RSE s'applique à toutes les entreprises et à tous les secteurs à l'extérieur du Canada. C'est une obligation à laquelle est tenu le Canada en sa qualité de membre de l'OCDE. Les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales s'appliquent à toutes les entreprises canadiennes qui mènent leurs activités à l'étranger. Nous travaillons énergiquement à l'élaboration de ces principes directeurs avec nos collègues de l'OCDE et à leur mise en œuvre dans le cadre des travaux de toutes nos missions à l'étranger auprès des entreprises canadiennes.

Nous constatons que le Canada, au sein de l'OCDE, joue un rôle de leadership dans le secteur de l'extraction, simplement parce que nous avons beaucoup plus d'expérience que quiconque en raison des activités des sociétés d'extraction canadiennes dans des pays étrangers qui posent des défis. Dans un secteur comme celui du prêt-à-porter, d'autres membres de l'OCDE, notamment l'Italie et la France, ont beaucoup plus d'expérience que le Canada dans différents pays à l'étranger. Les pays qui assument un rôle de leadership élaborent des normes et des principes directeurs, ils mettent sur pied des coalitions de l'industrie et ils créent des guides d'utilisation pratiques. Nous contribuons également à ce processus, mais nous profitons grandement des travaux des pays de l'OCDE aux vues similaires aux nôtres à cet égard. Toutefois, la stratégie en matière de RSE du Canada vise tous les pays et tous les secteurs à l'extérieur du Canada.

La vice-présidente : D'après ce que je comprends, l'Alliance et l'Accord sont limités à des préoccupations précises en matière de sécurité; est-ce exact?

M. McMullen : L'Alliance est une organisation de l'industrie à laquelle l'adhésion se fait sur une base volontaire. Tout a commencé par des questions fondamentales de sécurité en matière d'incendie et de bâtiment. Cependant, une fois qu'on parvient à réunir ces entités et qu'un dialogue est établi, et lorsqu'elles ont pris l'habitude de tenir des discussions et de participer à des réunions, les nouveaux problèmes sont intégrés à mesure qu'ils surgissent. Nous avons constaté qu'avec l'expérience, la portée et la présence des principes directeurs de l'Alliance et de l'Accord prennent de l'ampleur au Bangladesh.

Encore une fois, cela revient à l'un des piliers de notre approche en matière de RSE, c'est-à-dire la valeur et l'importance de la création d'un dialogue multipartite. En effet, une fois qu'on parvient à réunir ces gens et à établir un dialogue, les choses commencent à fonctionner, et on apporte des améliorations qui serviront de point de départ à d'autres efforts en ce sens. En notre qualité de gouvernement, notre rôle est de tenter de réunir ces parties et de catalyser leurs efforts en vue d'une collaboration durable et efficace.

La vice-présidente : Toutefois, des changements liés à d'autres enjeux, notamment le salaire, les heures de travail et la syndicalisation, pourraient être moins intéressants pour les entreprises. Que pouvons-nous faire à cet égard?

M. McMullen : Cela concerne l'autre volet de notre politique, c'est-à-dire le renforcement de la capacité du gouvernement local, afin qu'il soit en mesure de réglementer et de légiférer de façon efficace dans des domaines qui relèvent de sa compétence souveraine.

La vice-présidente : L'amélioration des conditions de travail entraîne une augmentation des coûts. Y a-t-il un risque que les entreprises déménagent ailleurs lorsque les conditions s'améliorent? Peut-on faire quelque chose à cet égard?

M. McMullen : Oui. Il y a évidemment un risque qu'un pays devienne trop dispendieux pour une industrie. Il ne faut pas l'oublier. Quel est le bon équilibre? Cela dépend vraiment de chaque pays. Manifestement, l'adoption de normes canadiennes pourrait mettre tout le monde au chômage dans un certain secteur dans un autre pays et dans ce cas, les travailleurs eux-mêmes considéreraient qu'ils sont victimes d'une injustice. L'établissement d'un dialogue multipartite qui inclut les travailleurs et le gouvernement local, afin d'être en mesure de trouver un équilibre, d'améliorer les normes, de protéger les droits de la personne et de fixer des normes en matière de santé et de sécurité, mais également de protéger les emplois et les avantages économiques, représente un processus continu. Nous avons conclu que l'établissement d'un dialogue multipartite est la meilleure façon d'atteindre cet équilibre dans chaque situation et de continuer à le perfectionner.

La sénatrice Eaton : Pour revenir aux propos du sénateur Ngo, dans un mémoire intitulé Investor Brief, on souligne l'échec du gouvernement du Bangladesh en ce qui concerne la finalisation de règlements pertinents sur la mise sur pied de comités sur la santé et la sécurité. Si on ne crée pas de comités sur la santé et la sécurité, si on permet le travail des enfants — je ne connais pas la situation au Vietnam, contrairement au sénateur Ngo — dans des pays tels le Vietnam ou les Philippines, le Canada conseillera-t-il aux intervenants de l'Accord ou de l'Alliance de boycotter ces pays?

M. McMullen : Je crois que conseiller un boycottage représenterait une mesure extrême. L'approche préconisée vise toujours à recenser les problèmes et à les résoudre en collaboration avec les entreprises.

La sénatrice Eaton : Toutefois, il y a des différences culturelles et des besoins économiques différents, comme vous l'avez dit vous-même. Dans certains pays, un enfant de 10 ans pourrait se rendre au travail tous les jours. Je suis certaine que de tels pays existent. Vous savez que c'est le cas. La résolution de problème et les discussions sont-elles toujours efficaces?

M. Nankivell : Je peux peut-être répondre à cette question. C'est manifestement une question très difficile. De grandes injustices se produisent partout dans le monde. Des injustices se produisent également dans les milieux industriels du Canada. Comme mon collègue l'a mentionné, conseiller un boycottage de l'ensemble de la production d'un pays représente une mesure extrême.

La sénatrice Eaton : D'accord, si on ne boycotte pas le pays, peut-on boycotter certaines usines?

M. Nankivell : C'est précisément l'idée qui sous-tend l'Alliance et l'Accord et ces autres initiatives, c'est-à-dire la création d'un système où les usines peuvent être certifiées. Nous nous sommes concentrés sur l'Alliance et l'Accord. Je ne suis pas un expert international à cet égard, mais il y a également de nombreux codes auxquels adhèrent volontairement différents détaillants, fabricants et distributeurs. De grandes entreprises telles Apple, Nike, et cetera, ont leurs propres normes et régimes d'inspection à l'échelle mondiale dans le cadre desquels les consommateurs et les actionnaires peuvent prendre des mesures par l'entremise de conseils d'administration et de mesures en matière de consommation, y compris les boycottages de produits. Les entreprises ont lancé une série d'initiatives qui visent à créer ce régime de certification, afin que nous puissions éliminer, aussi rapidement que possible, la participation des usines dans lesquelles on a recours à ces pratiques illégales. On peut les éliminer de la chaîne d'approvisionnement, mais c'est un gros défi. Dans cette discussion, nous nous concentrons sur les produits envoyés au Canada, mais même au Bangladesh, des produits sans marque sont envoyés dans d'autres régions d'autres marchés, par exemple la Chine, l'Afrique, l'Inde, et cetera.

La sénatrice Eaton : Lorsque vous parlez d'autres pays — et je ne crois pas que nous devrions nous concentrer seulement sur le Bangladesh, même si un horrible accident s'est manifestement produit dans ce pays — tels le Vietnam, l'Inde et peut-être l'Afrique, pouvez-vous prévoir où ces entreprises déménageront par la suite en raison de l'augmentation des coûts de la main-d'œuvre? Avez-vous une longueur d'avance ou suivez-vous la lente marche des entreprises de pays en pays?

M. McMullen : Habituellement, nous sommes informés un peu à l'avance lorsque le marché se déplace de cette façon, car les entreprises arrivent dans ces pays et elles cherchent des fournisseurs si elles décident d'entrer sur un marché. Elles recherchent toujours des endroits où elles peuvent installer leur production dans le secteur du prêt-à- porter. Nous le savons donc un peu à l'avance. Lorsque cela se produit, nos missions situées à l'étranger peuvent fournir des conseils utiles à ces entreprises, en collaboration avec nos missions aux vues similaires.

Si vous me le permettez, j'aimerais revenir à la question du travail des enfants et des normes ou sur le boycottage de certains pays. Par exemple, je crois que nous avons entendu la sénatrice Nancy Ruth affirmer que Gildan est active au Bangladesh et semble exploiter une excellente usine. En boycottant le Bangladesh, nous risquerions de punir Gildan et les travailleurs de son usine. Si l'entreprise respecte tous les codes et les principes directeurs, ce serait une mesure excessive.

De plus, le travail des enfants est un enjeu délicat. J'ai grandi sur une exploitation agricole au Canada. On pourrait faire valoir que j'étais un enfant travailleur.

La sénatrice Eaton : Vous mangiez probablement trois repas par jour, vous dormiez probablement dans un bon lit et votre mère vous a probablement envoyé à l'école. Oui, vous avez travaillé sur une exploitation agricole — après les heures et avant d'aller à l'école.

M. McMullen : Oui, c'est exact.

La sénatrice Eaton : Je ne crois pas que ce soit comparable à un enfant du Vietnam qui se lève et qui a peut-être quelque chose à se mettre sous la dent avant de devoir aller travailler de 10 à 12 heures par jour; il doit peut-être également dormir sur un matelas posé directement sur le plancher.

M. McMullen : Mais on peut se demander quels seraient les principes directeurs en ce qui concerne le travail des enfants. Le travail des enfants serait-il complètement inacceptable dans toutes les circonstances, ou un enfant peut-il travailler s'il est éduqué, bien nourri et logé? Nous tentons d'établir des dialogues multipartites et d'élaborer des normes à cet égard, car dans certains endroits, le salaire des enfants peut représenter une partie essentielle du revenu familial.

La sénatrice Eaton : J'en conviens, et vous êtes donc culturellement adaptés au milieu.

M. Nankivell : J'aimerais ajouter qu'il s'agit d'un enjeu mondial. Il convient de souligner que le Canada se penche activement sur ces enjeux à l'échelle mondiale. Par exemple, nous fournissons un soutien essentiel à l'Organisation internationale du Travail et nous sommes un membre actif de cette organisation, car elle s'efforce de rehausser les normes du travail partout dans le monde. Au cours des dernières décennies, on a observé que des progrès avaient été réalisés à l'échelle mondiale à l'égard de cet enjeu. Il y a encore beaucoup de chemin à faire, mais il s'agit de problèmes mondiaux. Ils s'inscrivent au cœur de la culture, de l'économie et de la politique des pays et des collectivités de partout dans le monde. Nous participons activement à l'OIT et nous fournissons un soutien essentiel pour le renforcement des capacités et les efforts en matière d'établissement de normes de cette organisation. Nous participons également, par l'entremise du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, à des examens sur le bilan des pays en matière de droits de la personne, et ils visent absolument les droits des travailleurs et les droits des enfants et d'autres groupes vulnérables des milieux économiques. Il y a plusieurs façons de procéder. Aujourd'hui, nous nous concentrons sur la responsabilité des entreprises, mais c'est une lutte qui se mène sur plusieurs fronts et nous participons à d'autres initiatives, à l'échelle mondiale, qui se penchent sur ces problèmes mondiaux.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le sénateur Eggleton : Ce matin, j'ai lu le reportage des médias sur l'incendie qui s'est produit aux Philippines. C'est peut-être un peu tôt pour poser cette question, mais savez-vous si des entreprises canadiennes collaborent avec cette entreprise? Il s'agit d'une entreprise située en périphérie de Manille qui fabrique des chaussures en caoutchouc. Savez- vous si des entreprises canadiennes participent à ses activités?

M. McMullen : Nous avons vu également les reportages dans les médias ce matin, mais nous ne savons pas encore si des entreprises canadiennes sont concernées.

Le sénateur Eggleton : D'accord. Si vous obtenez cette information, pourriez-vous nous la transmettre?

J'aimerais aborder la question d'un point de vue plus général, toutefois. Le bilan est actuellement de 72 morts. Les médias ont rapporté que des barreaux de fer dans les fenêtres ont empêché les gens de sortir.

Lorsque les représentants d'une entreprise canadienne se rendent dans un pays en développement en vue de conclure un contrat pour l'achat et l'importation de vêtements, ou dans ce cas-ci de pantoufles de caoutchouc, j'imagine qu'ils vont visiter l'usine en question. Ils veulent voir l'usine où seront fabriqués les produits qui sont prévus au contrat. Leur donnez-vous des conseils ou des directives sur ce à quoi ils devraient porter attention lorsqu'ils visitent cette usine? Je ne peux croire qu'une entreprise — qu'il s'agisse ou non d'une entreprise canadienne —, en voyant que des barreaux de fer empêcheraient les employés d'une usine de sortir en cas d'incendie, jugerait qu'il est acceptable d'y faire des affaires.

Quels conseils donnez-vous aux entreprises qui sont sur le point de conclure des contrats là où, de toute évidence, la santé et la sécurité des travailleurs posent problème?

M. McMullen : Nous aviserions les entreprises des risques liés à ce marché en particulier, nous les orienterions vers, disons, une initiative locale de l'industrie, comme l'Alliance ou l'Accord, et nous leur recommanderions peut-être de se joindre à l'Alliance afin de profiter du travail qu'accomplit cette organisation en inspectant les usines et en confirmant la conformité de leurs installations, ainsi qu'en mettant en place des mesures correctives. Comme solution de rechange, nous leur recommanderions également des organismes d'inspection professionnels et compétents qui pourraient aller voir un fournisseur potentiel et le conseiller en vue de l'amélioration des conditions dans son usine. Cela peut être très difficile. Les voyageurs d'affaires internationaux qui passent une heure dans une usine ne peuvent tout voir; il y a toutes sortes de choses qu'ils ne remarqueront pas.

Le sénateur Eggleton : S'ils communiquaient avec vous avant d'aller visiter l'endroit et de conclure un contrat, les aviseriez-vous de vérifier les questions de santé et de sécurité, notamment la présence de barreaux dans les fenêtres qui empêcheraient les gens de sortir en cas de feu?

M. McMullen : Oui. D'après l'article publié ce matin, on utilise les fenêtres grillagées partout aux Philippines pour empêcher le vol. Si on songe à la façon dont une organisation établirait des normes, on se dit que tout le monde serait pénalisé si les fenêtres grillagées n'étaient pas acceptées, car il y aurait alors un problème de vol. Y a-t-il alors une autre façon de s'assurer, par exemple, qu'il y a suffisamment de sorties de secours et que les gens reçoivent une formation? Il y a des exercices d'évacuation en cas d'incendie, qui permettent aux gens d'évacuer le bâtiment. En ce qui concerne cet incendie, d'après ce que les médias ont rapporté, des travaux de soudure étaient effectués près de l'endroit où était entreposé le caoutchouc, et c'est ce qui a provoqué l'incendie. Comment gérer les processus industriels afin que ces activités à risque élevé n'aient pas lieu?

Le sénateur Eggleton : Je pense qu'il est inexcusable que ce genre de catastrophe se soit produite. Nous devons nous assurer que toutes les entreprises canadiennes qui se rendent là-bas font les vérifications nécessaires dans ces installations.

La vice-présidente : J'ai une petite question, mais je ne sais pas si vous pourrez y répondre. De quels pays importons- nous le plus de vêtements? Outre le Bangladesh, à quels pays devrions-nous nous intéresser dans le cadre de notre étude? Pouvez-vous répondre à cette question?

M. McMullen : Je n'ai pas cette information en main, mais nous pouvons la transmettre au comité, madame la présidente.

La sénatrice Eaton : Si une entreprise comme Loblaw ou Gildan fait des affaires avec des usines qui ont été inspectées, supervisées et adaptées à la norme du pays, y a-t-il une marque, quelque chose qui l'indique sur le t-shirt? Quelle était la société de diamants de New York — qui appartient maintenant à des Canadiens —, qui indiquait « Ce ne sont pas des diamants de la guerre »? Avons-nous quelque chose de comparable pour les travailleurs du textile, comme « Ce t-shirt a été fabriqué dans une usine certifiée »? Y a-t-il une marque ou une étiquette particulière?

M. McMullen : Oui. C'est comme le café équitable, par exemple. Ces marques existent, mais elles ne sont pas largement reconnues. Les fabricants de vêtements veulent généralement leur propre marque, que ce soit Gildan, Lululemon ou Zara. Ils veulent que cette marque...

La sénatrice Eaton : Je comprends, mais ils n'ont pas une autre mention qui indique « Fabriqué dans une usine certifiée »?

M. McMullen : Non, pas à ma connaissance.

La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup d'être venus. Comme vous le voyez, c'est une question qui nous intéresse beaucoup, et je suis sûre que nous communiquerons à nouveau avec vous.

Nous allons nous arrêter quelques minutes et poursuivre ensuite la séance à huis clos pour discuter de nos travaux futurs.

(La séance se poursuit à huis clos.)


Haut de page