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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 19 - Témoignages du 18 juin 2015


OTTAWA, le jeudi 18 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 8 heures, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et les travailleurs du textile).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette 37e séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la deuxième session de la 41e législature.

[Français]

Le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.

[Traduction]

Je m'appelle Mobina Jaffer. Je viens de la Colombie-Britannique et je suis présidente du comité. Avant de poursuivre, je vais demander aux membres de se présenter. Nous allons commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de Toronto, en Ontario.

[Français]

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de Toronto, en Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Comme les deux autres, je suis aussi de Toronto. Je m'appelle Art Eggleton.

La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, Île-du-Prince-Édouard.

La présidente : L'industrie du vêtement est une importante source d'emplois dans les pays en développement. La grande souplesse et la décentralisation qui caractérisent cette industrie, combinées au recours généralisé à la sous-traitance, compliquent l'application de normes adéquates en matière de santé et de sécurité.

[Français]

Dans bien des pays exportateurs de vêtements comme le Bangladesh, l'Inde et le Vietnam, des milliers de salariés sont exposés à des conditions de travail dangereuses et à d'autres risques pour leur santé et leur sécurité.

[Traduction]

Le 24 avril 2013, le Rana Plaza, un immeuble de huit étages abritant cinq usines de vêtements situé en banlieue de la capitale du Bangladesh, s'est effondré, et environ 1 127 travailleurs ont été tués et des milliers d'autres ont été blessés. C'est la catastrophe mortelle la plus grave d'une série qui a touché l'industrie du vêtement au Bangladesh. En effet, il y avait eu en novembre 2012 un incendie, où plus d'une centaine de personnes avaient perdu la vie, et en octobre 2013, un autre incendie a causé 7 décès et fait 50 blessés.

[Français]

Le secteur privé a des obligations en matière de droits de la personne, notamment dans les milieux de travail. Les employés de nombreuses collectivités dans le monde ont réussi à obtenir le droit de travailler dans des conditions saines et sécuritaires, de recevoir un salaire suffisant et d'avoir un horaire de travail raisonnable.

[Traduction]

Lorsque la santé et la sécurité des travailleurs ne sont pas assurées, lorsque les salaires ne suffisent pas à garantir un niveau de vie raisonnable et lorsque les travailleurs font l'objet d'intimidation quand ils essaient de se syndiquer, on touche à un certain nombre des droits reconnus par des conventions internationales sur les droits de la personne, dont le Bangladesh est signataire.

Malheureusement, même si le Bangladesh a ratifié un certain nombre de conventions internationales sur les droits de la personne, comme la Convention sur l'inspection du travail de l'OIT, en 1972, l'effondrement du Rana Plaza et d'autres accidents similaires démontrent qu'il y a amplement place à l'amélioration relativement à l'application de ces conventions. Cette application doit être plus efficace.

Le comité se penche sur cette situation parce que les Canadiens achètent ces vêtements à bas prix fabriqués dans ces usines. Nous étudions aujourd'hui la responsabilité sociale des entreprises.

Pour commencer, j'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Dan Rees, directeur du programme Travailler mieux à l'Organisation internationale du Travail.

Monsieur Rees, je vous remercie beaucoup de vous être libéré aujourd'hui pour comparaître devant nous. Nous avons très hâte de vous entendre aujourd'hui. Sachez que nous allons poursuivre cette étude lorsque les travaux reprendront au Parlement et nous espérons avoir l'occasion dans l'avenir de travailler avec l'OIT.

Je sais que vous avez préparé une déclaration liminaire, alors je vous cède la parole.

Dan Rees, directeur du programme Travailler mieux, Organisation internationale du Travail : Je vous remercie beaucoup, madame la présidente et membres distingués du comité. C'est un privilège pour moi d'avoir été invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Je suis heureux d'avoir l'occasion de discuter des droits des travailleurs et de l'industrie mondiale du vêtement ainsi que de la contribution de l'OIT et du Canada à l'amélioration des conditions de travail.

Lors de la Conférence internationale du travail de l'Organisation internationale du Travail, qui a lieu chaque année, des normes de travail internationales minimales sont négociées et adoptées puis incluses dans des instruments que nous appelons des conventions, que des États souverains ratifient et intègrent dans leur législation. L'OIT s'est dotée d'un mécanisme de surveillance pour surveiller le respect des obligations issues de ces conventions et pour faire rapport publiquement du respect de ces obligations.

L'OIT soutient également les États membres grâce à un important programme d'aide technique, qui sert à les épauler dans la mise en œuvre des conventions. Une grande partie de cette aide est axée sur les chaînes d'approvisionnement mondiales et sur l'industrie du vêtement en particulier.

L'OIT remercie le Canada pour son soutien et sa collaboration. Votre pays figure parmi les 10 plus importants donateurs de l'OIT. Grâce au ministère de l'Emploi et du Développement social, le Canada contribue au travail de l'OIT sur les aspects du commerce international liés au travail et sur l'intégration économique de sept pays avec lesquels le Canada a conclu un accord commercial bilatéral. Par l'entremise du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, le Canada contribue au budget de 30 millions de dollars américains de l'OIT consacré à la promotion de l'emploi et du développement des compétences auprès des jeunes au Maroc et en Égypte ainsi qu'à l'amélioration de la gestion des migrations de la main-d'œuvre en Asie du Sud-Est. Le Canada contribue également, conjointement avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni, au programme de l'OIT destiné à appuyer les réformes dans l'industrie du vêtement au Bangladesh.

Vous avez dit tout à l'heure, madame la présidente, que les discussions du comité ont porté notamment sur l'appui du Canada aux réformes dans le secteur du prêt-à-porter au Bangladesh. Alors, si vous me le permettez, je vais d'abord faire le point sur les progrès et aborder les défis à venir en ce qui concerne le travail à faire au Bangladesh.

Premièrement, l'OIT a été heureuse d'apprendre récemment que tous les fonds ont été réunis pour indemniser équitablement les victimes du Rana Plaza. Les derniers paiements devraient être effectués dans les prochaines semaines, et je crois que cela représente une grande réussite et un très bel exemple de collaboration au sein de l'industrie.

Cela dit, je crois qu'il est important qu'un régime national d'assurance contre les accidents du travail soit mis en place au Bangladesh, à la lumière de l'expérience de l'indemnisation des victimes des récentes tragédies. L'OIT s'engage avec ses partenaires au Bangladesh et des donateurs à travailler à la réalisation de cet objectif.

Après l'effondrement du Rana Plaza, la priorité était bien entendu d'assurer la sécurité dans les usines, la sécurité des immeubles et la sécurité incendie. À la fin du mois dernier, environ 80 p. 100 des usines dont la production est destinée à l'exportation avaient été inspectées afin de vérifier la sécurité électrique, structurelle et incendie.

Même si des usines relativement neuves ont été fermées — environ 32 — beaucoup d'autres ont largement réduit les risques pour la sécurité et sont demeurées ouvertes. Alors je crois qu'on peut dire que dans les usines au Bangladesh, je dirais 80 p. 100 d'entre elles, les risques ont été considérablement réduits depuis l'effondrement du Rana Plaza. Nous continuons de veiller à ce que les inspections soient effectuées dans 20 p. 100 des usines qui n'ont pas encore été inspectées. Il faudra aussi que le gouvernement s'assure que les usines qui ont déclaré avoir fermé leurs portes sont effectivement fermées et qu'il s'occupe des usines qui ne collaborent pas.

Sur le plan de la législation, il y a eu des progrès depuis l'effondrement du Rana Plaza. Des modifications apportées en 2013 à la Loi sur le travail du Bangladesh prévoient, par exemple, la mise sur pied de comités de santé et de sécurité au travail et facilitent un peu l'agrément des syndicats.

Depuis que ces modifications ont été apportées, le nombre de syndicats dans l'industrie est passé d'environ 130 à 450. Il y a cependant place à l'amélioration. Les règlements d'application, qui sont exigés par la Loi sur le travail du Bangladesh, doivent être publiés sans tarder.

D'autres modifications législatives sont nécessaires pour accélérer la mise en œuvre efficace des conventions 87 et 98 de l'Organisation internationale du Travail qui portent sur la liberté d'association et le droit à la négociation collective. En outre, les travailleurs dans les zones franches industrielles doivent bénéficier des mêmes droits et des mêmes protections que ceux qui ne travaillent pas dans ces zones. La loi sur les ZFI, qui est en train d'être révisée et finalisée, devrait garantir cela.

Les réformes ont contribué à améliorer la capacité des organismes de réglementation. Le ministère responsable des inspections des usines et des immeubles dispose de davantage de ressources et travaille de façon plus professionnelle. Le nombre d'inspecteurs est passé d'environ 90 à plus de 280, et la plupart d'entre eux ont été formés par l'OIT et d'autres partenaires.

Le nombre d'inspecteurs au service d'incendie a également augmenté; il est passé de 55 à 265. Des améliorations ont aussi été apportées pour faire en sorte que le travail de ces organismes de réglementation soit davantage coordonné à la suite des inspections de sécurité.

Dans l'avenir, je crois qu'il sera nécessaire de veiller à ce que les mécanismes de réglementation et de surveillance puissent garantir un milieu de travail sécuritaire une fois que le soutien externe — le soutien important offert par nos partenaires — s'estompera, car l'accord et l'alliance prendront fin en 2018.

Des mesures commencent à être prises pour améliorer les droits des travailleurs. Le ministère du Travail a créé en mars dernier un service téléphonique des plaintes ainsi qu'un système d'enregistrement en ligne des syndicats. Le service téléphonique a reçu quelque 1 500 appels au cours des six premières semaines. Toutefois, je le répète, il faut faire davantage pour permettre la liberté d'association et pour établir la confiance et un dialogue social au sein de l'industrie. Il faut s'attaquer systématiquement à la discrimination antisyndicale et aux pratiques de travail déloyales et un mécanisme sérieux de règlement des différends doit être créé afin de résoudre les différends de façon transparente.

Je vais maintenant parler, si vous le voulez bien, du programme Travailler mieux. Il s'agit d'un partenariat entre l'Organisation internationale du Travail et la Société financière internationale. Il s'agit d'un programme mondial créé par ces deux institutions internationales qui vise à améliorer les conditions de travail dans l'industrie mondiale du vêtement et à améliorer la compétitivité. Certaines observations pourraient intéresser le comité.

Le programme Travailler mieux s'emploie à évaluer la mesure dans laquelle les usines respectent les normes du travail internationales et le droit du travail national ainsi qu'à offrir de la formation et du soutien aux usines pour qu'elles apportent des améliorations. Le programme est appliqué actuellement dans environ 1 300 usines au Cambodge, en Haïti, en Indonésie, en Jordanie, au Lesotho, au Nicaragua et au Vietnam — des marchés où s'approvisionnent des entreprises canadiennes — et nous sommes en voie de l'appliquer au Bangladesh.

En évaluant dans quelle mesure les usines respectent les normes, le programme Travailler mieux permet de voir les progrès qui ont été réalisés sur le plan de l'amélioration des conditions de travail. C'est dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail que le respect des normes fait défaut le plus souvent, précisément en ce qui concerne la manutention des produits chimiques dangereux, la gestion de la chaleur et du bruit, l'état de préparation en cas d'urgence, les heures de travail et la sécurité sociale.

Depuis la mise en œuvre du programme, le respect des normes s'est amélioré constamment dans la plupart des domaines dans tous les pays où nous travaillons.

Par exemple, au cours de la dernière année, en Indonésie, le respect des conditions de travail et les indicateurs de bien-être ont augmenté de 25 p. 100 et de 18 p. 100 respectivement. Au Vietnam, le respect des systèmes de gestion de la santé et de la sécurité au travail s'est amélioré de 26 p. 100, et les usines respectent davantage les normes en matière de manutention des produits chimiques et dangereux qu'avant la mise en œuvre du programme. À ce chapitre, l'augmentation est de 25 p. 100. Ce sont là des résultats typiques qui résultent de la mise en place du programme.

L'incidence du programme Travailler mieux est évaluée par des établissements d'enseignement qui recueillent des données statistiquement pertinentes de façon indépendante. Ce qu'ils ont observé, c'est que le travail décent, favorisé par le programme Travailler mieux, est profitable non seulement pour les travailleurs, mais aussi pour les entreprises.

Des recherches récentes menées au Vietnam montrent que la rentabilité des fabriques de vêtements augmente avec l'amélioration des conditions de travail. La rentabilité elle-même vient de la productivité accrue des travailleurs dans un meilleur climat de travail, et la fabrique en retire des avantages financiers, qu'elle partage avec les travailleurs sous la forme de salaires plus élevés.

Pour terminer, je trouve important de souligner que l'amélioration de la conformité se traduit directement par un bien-être accru chez les travailleurs et a un effet énorme sur le développement social et économique du pays.

Par exemple, nos recherches nous apprennent qu'une amélioration de 5 p. 100 de la conformité aux lois du travail à l'usine génère une augmentation de 10 p. 100 du revenu du travailleur et de 9 p. 100 de l'argent que les travailleurs migrants envoient chez eux, ce qui est très bénéfique, notamment sur la santé des travailleurs.

Sur ce, madame la présidente, je m'arrête et je vous invite à me poser des questions pendant la discussion.

La présidente : Merci infiniment de votre exposé. Nous sommes nombreux à avoir des questions à vous poser, mais j'aimerais d'abord vous demander une précision sur la Société financière internationale. Quelle est sa structure et qui la finance?

M. Rees : Travailler mieux est un partenariat entre l'OIT et la SFI, qui découle d'un accord de coopération signé par les deux organisations en 2009. En tant que directeur du programme Travailler mieux, je fais rapport à un conseil d'administration mixte composé des deux organisations, qui prend les décisions stratégiques liées au programme, et les deux organisations acceptent la responsabilité de la mobilisation de ressources et appuient le programme par le développement des compétences professionnelles et l'affectation des ressources nécessaires pour atteindre son objectif. C'est donc un partenariat administré conjointement.

Son financement provient de diverses sources. Pour le programme mondial — c'est donc un partenariat mondial —, les plus grands donateurs sont la Suisse, les Pays-Bas, le Danemark et les États-Unis d'Amérique, et pour les programmes nationaux, d'autres donateurs s'ajoutent à ceux que je viens de nommer. Par exemple, le Canada contribue au programme du Bangladesh en collaboration avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

Nous avons également une stratégie de remplacement des donateurs, parce que ce programme profite tant au bien public, comme je l'ai expliqué dans mon exposé, qu'aux intérêts privés. Nous demandons une contribution aux entreprises qui participent au programme. Notre intention à long terme pour les grands programmes en Asie, c'est que les revenus d'entreprises en viennent à remplacer les dons, et nous cheminons très bien vers cet objectif dans la plupart des programmes qui visent l'Asie.

La présidente : Nous nous préoccupons beaucoup de l'indemnisation. Nous savons que 30 millions de dollars ont été investis dans le fonds. J'espère que les gens vont être indemnisés.

Je crois comprendre que 10 millions de dollars ont déjà été dépensés, mais qu'il en reste encore 20. De toute évidence, vous avez du personnel sur le terrain. Avez-vous confiance que ces 20 millions de dollars vont être distribués équitablement? Pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont cet argent sera distribué pour que toutes les personnes blessées et les familles qui ont perdu un être cher reçoivent une indemnité équitable?

M. Rees : Certainement. Je tiens d'abord à préciser que le Comité de coordination du Rana Plaza rassemble tous les intervenants de l'industrie. Le gouvernement du Bangladesh y est représenté, de même que les fabricants, les syndicats, les ONG et les marques internationales. L'OIT s'est vu confier la tâche d'assurer une présidence neutre et indépendante pour l'établissement de ce fonds en fiducie.

Ainsi, je peux faire l'observation suivante : jusqu'à maintenant, cette entente, qui s'applique à tous les travailleurs touchés par la catastrophe du Rana Plaza, a permis de distribuer 70 p. 100 des indemnités. Il y a des cas exceptionnels, mais presque toutes les indemnités ont été calculées et versées, 70 p. 100. Les fonds qui restent, qui ont été recueillis récemment, permettront au comité de verser les 30 p. 100 des indemnités calculées qui restent, de même que de faire quelques autres paiements, pour des soins médicaux à long terme, par exemple.

Le comité a créé un service d'administration des demandes, qui est supervisé par trois commissaires : M. Mojtaba Kazazi, ancien commissaire d'indemnisation de l'ONU, et deux juges du Bangladesh, qui s'assurent de l'intégrité de son fonctionnement.

Divers partenariats ont été établis avec des ONG pour offrir des conseils aux demandeurs et assurer un suivi; ils sont là pour comprendre les besoins des demandeurs, pour le bon fonctionnement du comité. Ils veillent aussi à ce que tous les demandeurs aient un compte bancaire et à ce qu'ils reçoivent leurs indemnités, puis ils leur offrent des services d'aiguillage et de soins à long terme, au besoin, particulièrement pour ceux ayant des besoins médicaux à long terme.

C'est grâce à ce réseau d'ONG et de services de soutien que ce comité temporaire compte offrir des services à long terme.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de votre exposé de ce matin. Le programme Travailler mieux se déploie en collaboration avec le gouvernement du Bangladesh. À quel point est-il ouvert à vos recommandations?

M. Rees : Je pense qu'on peut dire que le gouvernement du Bangladesh accueille avec beaucoup d'enthousiasme le programme Travailler mieux, tout comme les autres parties. Nous travaillons avec lui depuis environ trois ans, nous lui expliquons les avantages du programme, mais aussi comment nous fonctionnons, et je pense que je qualifierais cette relation d'assez chaleureuse et ouverte.

Je dirais aussi qu'avant que le programme Travailler mieux soit parfaitement déployé au Bangladesh, il nous faut des règles de mise en œuvre. La structure législative, au Bangladesh, crée un cadre assez général qui nécessite la prise de règlements de mise en œuvre détaillés. Nous devons connaître les règles pour pouvoir nous rendre sur les lieux de travail et évaluer le degré de conformité de chacun. Le gouvernement est en train d'y mettre la touche finale, mais il faut que ces règles soient publiées.

Nos efforts à ce jour ressemblent plutôt à un réchauffement, si je peux m'exprimer ainsi. Nous avons eu amplement le temps de nous expliquer aux usines, aux organisations de travailleurs et au gouvernement, mais le véritable test ne viendra que quand nous commencerons à évaluer la situation dans les usines, quand nous rendrons nos constats publics et que nous ferons véritablement notre travail consultatif. C'est la phase que nous nous apprêtons à amorcer, dès que les règles de mise en œuvre seront établies, et nous les espérons au cours des prochaines semaines.

La sénatrice Ataullahjan : Une écrasante majorité des travailleurs de l'industrie du vêtement, au Bangladesh, sont des femmes. Comment en tenez-vous compte? Les femmes ont-elles été consultées?

M. Rees : Nous avons tenu une longue période de consultations avant d'établir notre programme, et nous sommes passés pour cela par les organisations de travailleurs et d'employeurs. Donc dans la mesure où ces organisations représentent bel et bien les travailleuses et les font participer à la démarche, oui, nous les avons consultées.

Les femmes sont au cœur de notre programme. Nous ciblons une industrie où de 80 à 85 p. 100 des travailleurs sont des femmes, et nous mesurons l'incidence de notre programme sous l'angle comparatif entre les sexes pour comprendre quels en sont les effets sur les femmes et comment les améliorer. Nous avons beaucoup de protocoles en place sur la façon de mener notre travail et sur l'équilibre entre les hommes et les femmes au sein de nos équipes; nous offrons de la formation spécialisée pour tisser le dialogue avec les travailleuses, dont certaines sont vulnérables, pour recueillir de l'information et offrir des services consultatifs.

J'espère que cela répond à votre question, mais je peux vous parler plus en détail de l'analyse comparative entre les sexes que nous effectuons, si cela vous est utile.

La sénatrice Ataullahjan : Non. Voici ce que j'aimerais savoir : vous affirmez travailler avec diverses organisations. Y a-t-il des femmes au sein de ces organisations qui peuvent exprimer le point de vue des femmes et souligner les problèmes auxquels elles sont confrontées?

M. Rees : En gros, oui. Je peux vous parler de mon expérience personnelle, mais nous avons également tissé des liens avec des organisations de travailleurs dirigées par des femmes, qui ont des déléguées féminines, des directrices qui expriment la position des travailleuses dans l'industrie. Quand nous travaillons intensivement avec les usines, comme nous le faisons, nous encadrons la sélection des représentants des travailleurs, nous sollicitons leur participation et nous favorisons l'équilibre entre les hommes et les femmes.

Oui, ce programme met beaucoup l'accent sur les femmes. Dès que nous le pouvons, nous collaborons avec les organisations qui ont les compétences et les connaissances nécessaires pour cela.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie beaucoup de ce rapport sur l'avancement de votre programme. Il nous montre clairement qu'il y a beaucoup d'avancées dans ce domaine, mais que les défis restent colossaux, comme vous l'admettez sans doute. Nous avons des entreprises qui font des affaires dans des pays comme le Bangladesh en cette ère de mondialisation, parce qu'elles veulent garder leurs coûts le plus bas possible pour rivaliser avec la concurrence. C'est le grand motivateur officiel. Malheureusement, ces entreprises sont plus motivées par la réduction des coûts que par la responsabilité d'entreprise.

Ajoutez à cela des lois locales inadéquates, les lois ou leur application par les différents pays, sans mentionner l'intimidation, particulièrement envers ceux et celles qui essaient de former des syndicats.

Permettez-moi de vous questionner sur deux ou trois choses. Vous avez d'abord mentionné la création d'une ligne directe. À quel point croyez-vous que les travailleurs vont utiliser cette ligne directe? Parce qu'ils vont avoir peur d'être exposés et de subir des représailles. Vous avez mentionné que 1 500 personnes l'avaient utilisée, mais à quel point cette ligne directe est-elle efficace?

Ma deuxième question porte sur les syndicats. Vous nous avez peut-être donné des statistiques sur la formation de syndicats, mais je les ai oubliées. Pouvez-vous me dire comment la situation évolue?

M. Rees : Certainement. Je ne sais pas trop à quel point je peux vous fournir une réponse solide à la question sur la ligne directe. C'est un essai qui se poursuit, parce que les gens du Bangladesh ont accepté d'essayer cette technique, parmi beaucoup d'autres. C'est un projet pilote, et il vise justement à répondre à la question que vous posez.

D'après ma longue expérience dans l'industrie du vêtement, je crois que les travailleurs n'utiliseront une ligne directe que s'ils croient vraiment qu'elle va leur permettre de régler leurs problèmes et qu'ils ne s'exposent à aucun risque ce faisant.

Je pense qu'il faut évaluer le type de plaintes déposées au cours des six premières semaines et à quoi elles serviront. Je pense que c'est la seule réponse honnête que je peux vous donner à ce sujet en ce moment.

Bien sûr, ce n'est qu'une technique parmi d'autres, qui est mise à l'essai pour favoriser des conditions dans lesquelles les travailleurs peuvent s'exprimer davantage. Elle ne remplace en rien les organisations représentatives, les syndicats et les organisations de travailleurs qui sont là pour protéger les travailleurs et faire valoir leurs droits par les négociations collectives et les relations industrielles. Je pense qu'il faut que ce soit dit sans équivoque.

Pour répondre directement à votre question sur le nombre de syndicats qu'il y a dans le secteur, si je ne me trompe pas, il y en avait 130 au début de 2013 et il y en a désormais 450. Le nombre de syndicats a donc augmenté.

Les réformes mises en œuvre pendant cette période découlent de modifications à la Loi sur le travail du Bangladesh, qui a facilité l'enregistrement des syndicats, mais qui a aussi permis une révision de tout le processus d'enregistrement des syndicats et du processus décisionnel, pour le rendre plus ouvert et transparent, un changement généralement jugé efficace pour réduire l'ingérence politique dans le processus d'enregistrement des syndicats.

Je pense que c'est ainsi que les choses évoluent. Je suis d'accord avec votre synthèse selon laquelle il s'agit de progrès, mais qu'ils sont encore limités et qu'il reste beaucoup à faire.

Le sénateur Eggleton : Les dirigeants du G7 se sont réunis récemment en Allemagne et se seraient engagés à appuyer un programme qu'on appelle le Fonds vision zéro et qui serait établi en collaboration avec l'OIT, dans le but de prévenir et de réduire les décès et les blessures graves en milieu de travail. Parlez-moi davantage de ce fonds, de ses objectifs et de la façon dont il va contribuer à l'atteinte des objectifs dont nous parlons ici pour les travailleurs de l'industrie du vêtement.

M. Rees : D'accord. Cette initiative est venue de l'Allemagne, pendant sa présidence, et elle fait partie d'une série d'initiatives établies par la présidence pour améliorer les chaînes d'approvisionnement et la responsabilité des entreprises et des autres acteurs concernant les conditions de travail dans les chaînes d'approvisionnement. Vision zéro évoque l'idée de réduire à néant les incidents en milieu de travail. Cela se veut un fonds auquel divers États membres contribuent, auquel le secteur privé contribue. Il s'agit d'un fonds en fiducie pour l'élaboration de nouvelles stratégies à grande échelle susceptibles d'améliorer la santé et la sécurité dans les pays les moins développés qui déploient des stratégies de croissance axées sur l'exportation. Pour l'instant, c'est encore une idée en gestation. Elle fait l'objet de consultations au sein du G7, mais nous sommes très conscients qu'elle sera mieux définie pendant l'été, d'ici octobre. L'objectif est de susciter la collaboration à grande échelle et de favoriser les stratégies susceptibles de contribuer fortement à la réduction du nombre d'accidents dans ces entreprises. Ce n'est pas propre à l'industrie du vêtement. Je pense que l'intention est d'inclure d'autres industries également et de créer un programme robuste sur plusieurs années.

Le sénateur Eggleton : Quelle est l'ampleur de l'engagement financier à ce jour au sein du G7?

M. Rees : Les pays du G7 n'ont pas encore tous pris leurs engagements. Certains se sont déjà engagés. J'hésite à vous en parler parce que je ne sais pas trop si ces engagements sont déjà publics, mais je peux vous promettre de faire parvenir toute l'information publique au comité ou de vous tenir au courant dès que l'information deviendra publique, monsieur.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton : Ce n'est pas tout noir ni tout blanc. Compte tenu de toutes ces réformes que le monde, et particulièrement vous, semble vouloir imposer au Bangladesh pour rendre les conditions de travail plus sûres et adéquates, jusqu'où le gouvernement du Bangladesh vous semble-t-il prêt à aller avant de craindre de perdre son avantage concurrentiel pour la mode rapide et à bon marché? Autrement dit, les gens se tournent déjà vers le Cambodge, le Vietnam et le Myanmar. Croyez-vous que cela inquiète les Bangladais ou qu'ils ont vraiment l'intention d'améliorer leurs normes du travail?

M. Rees : Ce n'est pas simple, et effectivement, je ne peux pas m'exprimer au nom du gouvernement du Bangladesh ou de l'industrie Bangladaise. C'est une vaste industrie, bien sûr, qui emploie quelque 4 millions de travailleurs dans le secteur de l'exportation. Mais permettez-moi de vous dire ceci : je constate un désir manifeste de réforme dans certaines parties de l'industrie et de la résistance dans d'autres. Il est clair qu'il y a des gens qui craignent que l'amélioration des conditions de travail et des droits des travailleurs fasse augmenter les coûts et ne rende l'industrie non compétitive, les gens le disent souvent. Ce n'est pas une crainte que j'entends seulement au Bangladesh; je l'entends partout dans le monde.

Cette crainte existe donc bel et bien, mais je pense qu'il est vrai aussi que le Bangladesh est l'un des pays où les coûts de la main-d'œuvre sont parmi les plus bas au monde. Il m'apparaît clair d'après les événements récents et les catastrophes survenues qu'on ne peut pas être concurrentiel simplement grâce à des coûts faibles si l'on ne respecte pas la loi, les normes internationales et les exigences de décence des marchés internationaux.

Nous constatons beaucoup de pressions de la part des marchés sources, dont le Canada, les États-Unis et l'Europe, en faveur d'une plus grande transparence sur la façon dont les vêtements sont fabriqués, de conditions de travail décentes et d'autres choses aussi.

Les améliorations que ces pays réclament contribuent beaucoup aux avantages concurrentiels qu'on peut avoir dans cette industrie et ce, de plus en plus. Si on prend l'exemple du Bangladesh, plus de 200 marques internationales ont adhéré à l'Accord du Bangladesh, si bien que presque toute l'industrie nord-américaine participe à cette alliance. C'est un autre signe que les personnes les plus influentes de l'industrie veulent favoriser la santé et la sécurité au travail, de même que de bonnes conditions de travail. Il suffit de formuler tout cela en termes de prix et de compétitivité au sein de l'industrie.

Ma deuxième réponse est celle-ci : les résultats du programme Travailler mieux montrent clairement que les entreprises participant à notre programme qui ont les meilleures conditions de travail sont les plus rentables. Par exemple, au Vietnam, les usines où les travailleurs affirment être traités équitablement, sans discrimination, se sentir en sécurité au travail et savoir quelle rémunération ils doivent recevoir et la reçoivent effectivement sont 7 p. 100 plus rentables que les usines où les travailleurs n'en disent pas autant.

En fait, il y a un avantage concurrentiel à faire du travail décent et à bien le faire. Cela peut sembler contre-intuitif, mais il y a de plus en plus de données probantes qui prouvent que c'est bon pour les affaires à long terme.

La sénatrice Eaton : Je ne le conteste pas. Je me questionne, toutefois, sur une campagne menée il y a plusieurs années en Amérique du Nord — je ne sais pas si elle a touché l'Europe aussi — sur les diamants de sang. Je pense que tout avait commencé avec Harry Winston, à New York, qui s'était mis à acheter des diamants canadiens, parce que ce n'étaient pas des diamants de sang. Certaines personnes se sont donc mises à chercher consciemment des diamants canadiens plutôt que des diamants de sang, c'est-à-dire des diamants sud-africains.

En tant qu'organisation internationale, qu'arriverait-il si une marque...

La présidente : J'aimerais simplement rectifier une chose : les diamants de sang ne sont pas ceux de l'Afrique du Sud, mais du Sierra Leone.

La sénatrice Eaton : Du Sierra Leone? Je m'excuse. Mais vous avez compris ce que je voulais dire.

La présidente : Oui.

La sénatrice Eaton : Que penseriez-vous de donner une désignation ou une étiquette aux fabricants de tous ces pays qui respectent de bonnes normes du travail pour aider le consommateur? Il pourrait ainsi choisir entre un T-shirt à 4 $ sans cette étiquette et un T-shirt à 5 $ avec cette étiquette. Est-ce que cela aiderait à mettre de la pression sur des pays comme le Vietnam, le Cambodge, le Bangladesh et Mumbai?

M. Rees : C'est une question très intéressante, que l'industrie s'est posée à maintes reprises. Je crois que l'expérience à ce jour montre que les marques hésitent à faire la promotion de leurs produits et de leur réputation en fonction des droits des travailleurs. Le cas échéant, cela semble être pour des produits de niche destinés à un marché de niche.

Pour l'instant, cette idée n'est pas encore la plus répandue. L'une des principales raisons à cela, c'est que beaucoup de marques craignent que cela crée énormément d'attentes chez les consommateurs, alors que la réalité est telle que la chaîne d'approvisionnement reste très faible et qu'elles ne la maîtrisent pas aussi bien qu'elles le devraient. Elles manquent d'outils de contrôle, il serait donc dangereux pour elles de favoriser ce concept.

Pour l'instant, les stratégies les plus productives sont généralement plus axées sur l'offre que sur la demande. Certains groupes exercent des pressions pour l'inscription de normes sur les étiquettes, et nous devrons voir comment la situation évolue. Une chose est sûre : pour l'instant, l'Organisation internationale du Travail et beaucoup d'acteurs de l'industrie cherchent surtout à renforcer l'adhésion à de bonnes pratiques de travail et d'en faire une condition d'affaires, pour que ce soit presque un prérequis de la compétitivité. Nous cherchons donc surtout à relever la barre, à essayer de créer des conditions de mise en application plus rigoureuses et à favoriser un environnement dans lequel les libertés civiles et politiques sont mises de l'avant et les travailleurs peuvent s'organiser, parce que nous croyons que c'est surtout un problème au niveau de l'offre. J'oserais dire aussi que le consommateur est parfois contradictoire dans ses demandes et réclame à hauts cris de bonnes conditions de travail, mais exige aussi, comme nous l'avons déjà dit, un prix très concurrentiel. Ces deux éléments ne se concilient pas encore dans une demande claire dans la majorité des domaines.

La sénatrice Hubley : Bonjour, monsieur Rees. Je vous remercie de votre exposé. La semaine dernière, M. Bob Jeffcott, du Maquila Solidarity Network, a dit ceci au comité — et je le cite :

[...] l'autoréglementation et le modèle de vérification sociale du secteur privé n'ont pas su combler le vide créé par les administrations qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas faire appliquer le règlement en matière de normes de travail.

Pourriez-vous nous dire si vous croyez que c'est vrai? Si c'est le cas, que pouvons-nous faire à cet égard?

M. Rees : Permettez-moi de répondre à votre question directement. Ce qu'a dit Bob Jeffcott est pertinent et exact. L'autoréglementation, c'est-à-dire les codes de pratique qui sont appliqués volontairement dans les chaînes d'approvisionnement de la façon dont ils le sont, n'a pas entraîné les améliorations voulues, prévues ou exigées. Dans l'industrie, il est largement admis que s'appuyer simplement sur cette vérification sociale volontaire ne constitue pas une solution productive.

Que voudrions-nous faire à cet égard? Si je reviens à mon expérience dans le cadre du programme Travailler mieux, bien entendu, nous utilisons cet outil d'évaluation de la conformité des usines. Nous mettons les résultats de l'évaluation à la disposition de l'usine et de la marque et de plus en plus, nous rendons l'information publique. Toutefois, nous croyons que c'est seulement un outil parmi tant d'autres.

Il est vrai que l'objectif et la force de la responsabilité sociale sont liés à l'action et à la diligence raisonnable dans la chaîne de valeur. Il nous faut une transparence accrue sur ce plan et sur les conditions et les améliorations apportées. Ce serait très utile. La meilleure forme de vérification de ce qui se passe concrètement dans les usines et les installations, c'est la transparence quant à ce qui se passe concrètement, et il faut que les marques disent clairement où elles s'approvisionnent. Je crois que ce serait utile.

Du côté de l'OIT, nous choisissons de travailler avec des marques mondiales et nous essayons d'utiliser l'influence commerciale des chaînes d'approvisionnement, car nous voulons également renforcer la gouvernance des industries dans lesquelles nous travaillons. Je ne crois pas que la surveillance des multinationales peut remplacer de bonnes lois bien appliquées, des relations de travail fortes et un dialogue social.

Dans le cadre du programme Travailler mieux, nous avons l'intention d'utiliser cette influence pour améliorer les choses à cet égard. La solution durable pour le Bangladesh, le Vietnam, le Cambodge et d'autres pays, c'est que l'industrie encourage l'adoption de lois plus rigoureuses mieux appliquées et favorise une plus grande transparence et l'amélioration des relations de travail. Au bout du compte, les 95 années d'expérience de l'OIT ont vraiment montré que ce sont ces éléments qui fonctionnent pour les entreprises et les travailleurs.

La sénatrice Hubley : Une représentante du Solidarity Center a également comparu devant notre comité, et elle nous a dit qu'il n'y a rien qui permet de remplacer le droit des travailleurs d'intervenir directement pour promouvoir les droits des travailleurs, comme par la syndicalisation et le recours à des négociations collectives. Votre réponse précédente m'indique que vous êtes du même avis.

Pensez-vous qu'il est réaliste de préconiser la reconnaissance des droits des travailleurs, la syndicalisation dans tous les pays où des entreprises canadiennes mènent des activités?

M. Rees : Il est certain que rien ne peut remplacer le droit des travailleurs d'intervenir et de choisir leurs propres organisations, une valeur que les conventions internationales de l'OIT reflètent.

Toutefois, au bout de compte, il appartient aux travailleurs de déterminer s'ils veulent être représentés par un syndicat, et aux syndicats de s'entendre avec les employés pour signer des conventions collectives.

Je dirais qu'il est tout à fait indiqué que des États-nations insistent sur le respect des conditions de liberté d'association et du droit à la négociation collective. Les travailleurs ont l'environnement qui leur permet de former ces organisations et d'en être membres s'ils le souhaitent et les organisations d'employeurs et de travailleurs sont libres de le faire.

Le fait est que dans bon nombre de pays producteurs de vêtements, ces libertés n'existent pas ou sont gravement minées. Les États membres responsables devraient prôner une ouverture aux libertés civiles et politiques pour permettre aux travailleurs de faire partie des organisations qu'ils choisissent de représenter, mais le travail de syndicalisation appartient aux travailleurs et aux syndicats.

La présidente : Monsieur Rees, j'ai quelques questions à vous poser.

Vous avez dit entre autres que le nombre de syndicats a augmenté, ce qui est positif, mais je ne suis pas certaine que cela devrait servir à évaluer la situation, car un petit nombre de syndicats forts peuvent avoir plus de capacités qu'un grand nombre de syndicats faibles. J'aimerais que vous donniez votre point de vue à ce sujet, car une augmentation du nombre de syndicats ne se traduit pas nécessairement par une augmentation des droits accordés aux travailleurs. Il nous faut un plus grand nombre de syndicats forts plutôt que de nombreux syndicats plus faibles.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Rees : Les données que j'ai fournies concernent le Bangladesh, où le nombre de syndicats dans les usines, auparavant très limité, a augmenté. Cela correspond au nombre d'usines dans lesquelles les femmes et les hommes ont choisi d'inscrire leur syndicat dans le cadre des réformes qui ont eu lieu.

Vous avez tout à fait raison de dire qu'il s'agit de bon nombre de syndicats dans les usines. Les syndicats au Bangladesh se plaignent qu'il est difficile, voire interdit, de se fédérer et de réunir des syndicats d'usines sous une fédération syndicale. C'est l'une des caractéristiques des syndicats forts, en ce sens qu'il y a une unité au sein du mouvement des travailleurs — c'est bon pour les travailleurs —, mais des employeurs de partout dans le monde disent fréquemment qu'ils veulent traiter avec une ou peut-être deux partenaires et non avec de nombreuses organisations fragmentées.

J'appuie ce que vous dites. Je veux rappeler qu'au Bangladesh, les conditions se sont améliorées. Il y a quelques améliorations du côté des syndicats d'usine, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire, tant sur le plan d'une réforme du droit — pour que les exigences des normes fondamentales du travail internationales soient respectées — que sur le plan des pratiques avant que le milieu permette pleinement aux travailleurs de se syndiquer comme bon leur semble.

La présidente : Lundi passé, une représentante de Human Rights Watch nous a dit que le programme Travailler mieux inspecte et surveille les grandes usines, mais pas les petites usines de sous-traitants. Est-ce toujours le cas? Prévoyez-vous commencer à inspecter de plus petites usines?

M. Rees : Cette observation est vraie de façon générale. À ce stade-ci, notre stratégie consiste à établir des liens avec les unités d'exportations primaires. Dans certains cas, lorsque nous le pouvons, nous le faisons avec les unités de sous-traitance. Par exemple, nous faisons cela pour ce qui est de l'augmentation du nombre au Cambodge, où nous avons une entente avec le gouvernement et les parties qui nous permet d'aller dans cette direction.

Je dirais également ceci : la transparence est importante en ce qui a trait aux lois qui sont appliquées dans les usines de vêtements. L'une des façons de procéder, c'est par l'intermédiaire du programme Travailler mieux, par la surveillance du travail de chaque usine. Il ne faut pas cependant nous en tenir à la stratégie consistant à changer le monde une usine à la fois.

Je reviens à cette notion selon laquelle le programme Travailler mieux est meilleur lorsque nous pouvons appuyer une plus vaste réforme dans l'industrie. Nous devrions envisager de renforcer la gouvernance des acteurs qui devraient régir les marchés du travail — le gouvernement, les institutions nationales et les organisations de travailleurs et d'employeurs indépendantes.

Je crois que nous hésiterions à tomber dans l'idée que nous devrions agir dans chaque usine du monde. Nous essayons de changer la culture axée sur la conformité dans une industrie en collaborant avec une masse critique de marques internationales et d'employés pour leur montrer qu'il est dans leur intérêt d'avoir de meilleures conditions de travail. Il en résulte alors d'autres améliorations ailleurs sur le plan de la gouvernance. Voilà notre stratégie pour tous les pays dans lesquels nous travaillons.

Le sénateur Ngo : Monsieur, je vous remercie de votre exposé. J'ai quelques questions complémentaires. Théoriquement, tout ce que vous dites est vrai, mais dans les deux usines, cela ne va pas. Vous dites qu'il appartient aux travailleurs de former un syndicat, que c'est à eux de soulever les questions, et ainsi de suite. Cependant, dans un pays qui interdit les syndicats et où les usines appartiennent aux représentants du gouvernement, comment est-ce possible? Théoriquement, vous dites que c'est bien, mais la semaine dernière, la représentante de Human Rights Watch a dit que le Vietnam empêche son organisme d'y travailler.

Qu'allez-vous faire? Vous dites que vous aimeriez discuter, parler avec le gouvernement, améliorer les normes, et cetera. Vous avez parlé du Vietnam. C'est la question que je me pose. Le Vietnam interdit la syndicalisation. Il n'est pas permis d'y former des syndicats.

M. Rees : Oui.

Le sénateur Ngo : De plus, l'entreprise de fabrication appartient aux représentants du gouvernement. Il ne s'agit pas d'une entreprise privée. Les travailleurs n'ont donc pas voix au chapitre, et vous dites qu'ils sont payés. Selon ce que vous dites, ils ne sont pas payés. Si leur salaire est d'environ 1 $ l'heure, ils reçoivent 50 cents. L'autre moitié va aux employeurs, soit les représentants du gouvernement. Que ferez-vous à ce sujet? Voilà les questions que je me pose.

M. Rees : Ce sont de bonnes questions, et comme je l'ai déjà dit, l'industrie du vêtement produit dans des pays où la liberté d'association ou le droit à la négociation collective n'existent pas, et le Vietnam en est un exemple.

Que faisons-nous au Vietnam? Eh bien, nous sommes évidemment obligés d'agir en fonction de la législation du pays, dans le cadre de laquelle il est difficile d'intégrer la négociation collective. Il est certain qu'actuellement, la liberté d'association n'existe pas. Nous adoptons une vision à long terme et une démarche axée sur la réforme. Je crois que l'OIT a des discussions très importantes avec le gouvernement vietnamien au sujet de sa volonté de ratifier les conventions sur la liberté d'association et sur le droit à la négociation collective. Je pense que nous savons que l'industrie change et qu'en ouvrant ses portes au marché international, le Vietnam procédera à certaines réformes.

Le programme Travailler mieux vise à fournir une occasion pour ces institutions nationales, les travailleurs et les employeurs, d'expérimenter de nouvelles formes d'expression. Par exemple, il y a environ trois ans, nous avons commencé la pratique d'élections libres et justes dans l'industrie du vêtement au Vietnam. C'était nouveau à l'époque. C'est avant-gardiste en quelque sorte.

Nous avons constaté qu'une fois que les travailleurs ont acquis la confiance nécessaire pour élire leurs propres représentants et que nous leur avons enseigné des techniques de négociation — de même qu'aux gestionnaires — l'usine est mieux à même de cerner et de résoudre les problèmes. Nous avons également constaté que ces formes de sélection ont été ratifiées dans des réformes législatives au Vietnam. De plus, maintenant, au moment où le Vietnam se prépare à entamer de nouvelles réformes, nous pensons que nous pouvons orienter le programme de sorte qu'il soit un outil permettant aux institutions nationales, de même qu'aux travailleurs de l'usine, de s'exprimer davantage à mesure qu'ils s'ouvrent à la liberté d'association et au droit à la négociation collective. Il s'agit donc d'une vision à long terme. Il s'agit d'investir dans les mesures que nous pouvons prendre pour améliorer les conditions de travail et de soutenir les changements effectués par le Vietnam, au rythme qu'il est prêt à suivre pour respecter les libertés civiles et politiques. C'est la stratégie que nous menons au Vietnam.

Nous travaillons également en Jordanie. Lorsque le programme Travailler mieux y a été lancé, il n'était pas du tout évident que la législation autorisait les 90 p. 100 de travailleurs de cette industrie qui sont des migrants de s'affilier au syndicat. Aujourd'hui, chacun d'eux est représenté dans une entente collective avec le syndicat indépendant dans le secteur du vêtement, dans ce qui constitue une convention collective claire et relativement solide conclue avec les employeurs. Le processus a pu être établi parce que Travailler mieux a pu se positionner comme un endroit où les travailleurs et les employeurs pouvaient commencer à discuter des problèmes que nous mettions en évidence, à renforcer leur capacité de négocier et, en définitive, à créer ce contrat qui — et je suis ravi de le dire — est appuyé en partie par des spécialistes canadiens alors que nous aidons de façon continue à mettre le contrat en œuvre.

C'est une question difficile, et je n'ai pas de solution magique ou de réponse simple. Nous essayons de nous donner les moyens de faire tout ce que nous pouvons pour favoriser une réforme permanente et mettre en œuvre les conventions de l'OIT à plus long terme. Voilà notre stratégie.

Le sénateur Ngo : Êtes-vous allé voir un ou deux fabricants? Vous avez dit qu'au Vietnam certaines entreprises ont déjà un processus de négociations collectives et sont déjà un syndicat et ont déjà la liberté de réunion, et cetera. Je ne crois pas que ce soit le cas. Jusqu'à maintenant, il n'y a rien. Qu'allez-vous faire pour changer la situation? Parlez-vous directement avec le gouvernement ou le syndicat ou les employeurs?

M. Rees : Excusez-moi?

Le sénateur Ngo : Avez-vous discuté directement avec le gouvernement ou les employeurs de l'entreprise afin que des syndicats soient créés et que les travailleurs puissent avoir accès à la négociation collective?

M. Rees : Je veux seulement préciser qu'il est présentement illégal au Vietnam de former un syndicat indépendant dans le milieu de travail. Bien entendu, nous ne menons pas d'activités illégales dans les pays où nous travaillons. Il est légal et en quelque sorte nouveau pour les travailleurs d'élire leurs propres représentants dans des comités de participation et de commencer à déterminer quels sont leurs problèmes et à en faire part aux gestionnaires pour les résoudre et améliorer les conditions de travail.

Il y a un syndicat au Vietnam. Il s'agit de la Confédération générale du travail du Vietnam, ou CGTV, qui fait partie de l'appareil du parti. Dans ce contexte, ce qu'on peut faire pour promouvoir directement la liberté d'association et le droit à la négociation collective à long terme tout en respectant les lois du pays est très limité. L'OIT est présente au Vietnam à la demande du gouvernement et des autres parties prenantes, et nous respecterons la loi du pays.

Ce que je dis, c'est que dans le climat changeant du Vietnam, la législation laisse une certaine marge de manœuvre favorisant une plus grande participation des travailleurs et leur permettant d'agir sur les problèmes auxquels ils font face dans leur milieu de travail, ce qui est renforcé par des techniques de négociation. Puisque la CGTV se réforme — elle suit un processus de réforme — et que le cadre juridique se réforme également et ouvre davantage la voie au respect de la liberté d'association et du droit à la négociation collective — et nous nous attendons à ce que ce soit le cas —, alors nous continuons à soutenir les possibilités qu'ont les travailleurs et les employeurs de faire valoir leurs droits, d'être en mesure de négocier et de créer les associations qu'ils peuvent créer.

C'est ce que nous faisons. Je ne veux insinuer d'aucune façon que ces conditions existent. En principe, ce n'est pas le cas. Ce que je dis, c'est que certaines subtilités peuvent accroître la participation, et puisque les réformes augmentent au Vietnam — et encore une fois, nous nous attendons à ce que cela se produise —, des mesures peuvent être prises dans le cadre du programme Travailler mieux pour appuyer cette voie qui s'ouvre.

La sénatrice Andreychuk : Je ne veux faire qu'une observation sur le travail de l'OIT. Puisque je m'intéresse à ces questions depuis plus de 30 ans, je sais qu'au départ, les mesures de l'OIT portaient toujours sur les accords et les définitions, et cetera. Au fil du temps, j'ai vu les choses évoluer quant à la compréhension de ce qu'est le milieu de travail, à la participation du gouvernement et des entreprises. J'encourage donc l'OIT à continuer à trouver de nouveaux moyens, comme vous le faites dans votre mandat. C'est un aspect qui fonctionne très bien sur le plan des droits de la personne, plutôt que les interprétations strictes qui étaient habituellement faites. J'espère que l'on continuera dans cette voie.

La présidente : J'ai une dernière question, si vous me le permettez. Voici un passage de la déclaration des dirigeants des pays du G7 dans le cadre du sommet du G7 qui a eu lieu récemment en Allemagne :

[...] [n]ous nous efforcerons de mieux faire respecter, dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, les normes, les principes et les engagements internationalement reconnus dans le domaine du travail et dans le domaine social et environnemental (en particulier ceux de l'ONU, de l'OCDE et de l'OIT, ainsi que les accords sur l'environnement applicables).

Quels effets cela aura sur les travailleurs du vêtement, à votre avis?

M. Rees : Pour répondre à votre question et compte tenu de l'observation précédente, permettez-moi de dire ceci : dans bon nombre de pays, il y a un écart important entre le droit et ce qui se passe concrètement. Les États membres ratifient des conventions, ce qui est bien, et c'est important qu'ils le fassent, mais dans bien des pays, il y a un écart considérable entre le droit du travail et les pratiques de travail, et il ne s'agit pas seulement de l'industrie du vêtement.

J'espère que le G7, dans un effort collectif, et que bien d'autres gouvernements militeront pour des conditions de travail et des emplois décents dans le cadre de leurs relations avec leurs partenaires commerciaux et leurs partenaires du développement dans le monde. Je crois que le travail décent et de bonnes conditions constituent un pilier fondamental des stratégies de développement nationales. De toute évidence, ce sera un objectif de développement durable essentiel, qui a été plutôt négligé dans le passé quant à l'importance des règlements sur le travail pour les entreprises et d'une bonne réglementation pour favoriser la concurrence.

L'écart est important, et nous espérons que grâce à l'aide au développement, à la mobilisation d'un plus grand nombre de ressources, à l'influence du G7 et d'autres gouvernements, on accordera plus d'attention à ce problème pour réduire l'écart entre le droit et les pratiques. Il s'agit de renforcer les institutions nationales, d'inciter les entreprises se trouvant au sommet de la chaîne d'approvisionnement à être plus responsables dans le cadre de leurs pratiques et la façon dont elles commandent le produit et en fixent le prix, et au bout du compte, il faut que les pays du G7 et d'autres pays exercent leur influence et fassent valoir que c'est pertinent dans le monde qu'ils veulent et que le commerce international soit basé sur la décence et le travail décent.

La présidente : Monsieur Rees, je vous remercie d'avoir été présent. Il nous reste encore beaucoup de questions, mais notre temps est écoulé. Nous vous remercions d'avoir pris le temps de comparaître devant notre comité et nous avons hâte de collaborer avec vous.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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