Délibérations du Comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement
Fascicule 4 - Témoignages du 26 mai 2015
OTTAWA, le mardi 26 mai 2015
Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, à qui a été renvoyé le projet de loi C-586, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur le Parlement du Canada (réformes visant les candidatures et les groupes parlementaires), se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, c'est la première réunion du Comité du Règlement au sujet du projet de loi C- 586, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur le Parlement du Canada (réformes visant les candidatures et les groupes parlementaires). Nous avons avec nous aujourd'hui le parrain du projet de loi, l'honorable Michael Chong, C.P., député, qui représente la circonscription de Wellington—Halton Hills. Bienvenue.
Après son intervention, nous allons entendre l'honorable Bob Rae, C.P., O.C., c.r., par vidéoconférence, ainsi que le professeur William Cross de l'Université Carleton.
Le projet de loi C-586 a été présenté à la Chambre des communes en avril 2014 et a été reçu par le Sénat à la fin du mois de février 2015. Ce projet de loi modifie la Loi électorale du Canada pour que l'agent principal de chaque parti soit tenu de fournir le nom des personnes que le parti autorise à soutenir les candidats éventuels. Il établit aussi des processus permettant l'expulsion et la réadmission d'un député d'un groupe parlementaire, l'élection et la destitution d'un président d'un groupe parlementaire, des examens de la direction et l'élection d'un chef intérimaire. Ces mesures s'appliquent aux groupes parlementaires (ou caucus) des partis qui les adoptent à la suite d'un vote.
Monsieur Chong, merci d'être ici. Nous avons hâte d'entendre vos remarques préliminaires, qui seront suivies par les questions des sénateurs.
Avant de commencer, je vais toutefois demander aux sénateurs de se présenter.
Le sénateur McIntyre : Le sénateur McIntyre, Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Batters : La sénatrice Denise Batters, Saskatchewan.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve.
Le sénateur Wells : David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Joyal : Serge Joyal, Québec.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, Colombie-Britannique.
La sénatrice Fraser : Joan Fraser, Québec.
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.
Le sénateur D. Smith : Le sénateur David Smith, de la « province de Toronto ».
Le président : Et je suis Vernon White, de l'Ontario.
Monsieur Chong, nous allons maintenant entendre votre déclaration.
[Français]
L'honorable Michael Chong, C.P., député, parrain du projet de loi : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de votre invitation à comparaître devant votre comité.
[Traduction]
J'aimerais faire trois brèves remarques. Premièrement, la loi instituant des réformes vise uniquement la Chambre des communes. Elle traite de la façon dont les groupes parlementaires (caucus) de la Chambre des communes doivent être régis et comment les députés sont élus à la Chambre des communes.
Elle modifie pour ce faire la partie III de la Loi sur le Parlement du Canada et l'article 67 de la Loi électorale du Canada. Ni la partie III de la Loi sur le Parlement du Canada, ni l'article 67 de la Loi électorale du Canada ne concernent le Sénat; ils concernent uniquement la Chambre des communes.
Comme les honorables sénateurs le savent, l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 garantit le principe selon lequel les deux Chambres de notre Parlement bicaméral sont indépendantes l'une de l'autre pour ce qui est de leurs propres affaires, y compris pour ce qui est de leur groupe parlementaire. L'article 18 se lit comme suit :
Les privilèges, immunités, pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des communes, et leurs membres, seront ceux qui auront été prescrits de temps à autre par une loi du Parlement du Canada [...]
Ce principe a été concrétisé par l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, qui énonce :
Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants :
a) d'une part, ceux que possédaient à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi; [...]
Le principe constitutionnel est clair : la Chambre des communes peut déterminer les règles applicables à ses groupes parlementaires et les modalités de l'élection de leurs membres.
Le 25 février 2015, la Chambre des communes s'est prononcée massivement par 260 voix contre 17 sur cette question, par un vote favorable aux changements proposés par la loi instituant des réformes.
La deuxième remarque est la suivante : amender le projet de loi reviendrait à le tuer. Amender le projet de loi serait la procédure à suivre pour rejeter le projet de loi.
Troisième et dernière remarque : des dizaines de milliers de Canadiens ont communiqué avec leur député local pour faire connaître leur appui à la loi instituant les réformes. Les députés ont réagi et le projet de loi, qui était au départ loin d'être assuré d'être adopté, l'a été de façon massive par la Chambre des communes. Il faut montrer aux Canadiens que leur Parlement est capable de répondre à leur désir d'introduire des réformes et d'adopter le projet de loi avant la fin du mois de juin.
Merci.
Le président : Merci, monsieur Chong.
Nous allons commencer avec la critique du projet de loi, sénatrice Fraser, vous avez la parole.
La sénatrice Fraser : Je n'étais même pas encore sur la liste.
Le président : Vous l'êtes maintenant. Je suis sûr d'ailleurs que vous avez une question à poser.
La sénatrice Fraser : Bienvenue au Sénat, monsieur Chong.
Le gros du projet de loi traite des groupes parlementaires (caucus) et un des aspects qui me préoccupent particulièrement est que je me demande pourquoi une loi devrait dire aux groupes parlementaires comment ils doivent organiser leurs activités. Comme vous le savez, les différents partis ont des traditions et des constitutions différentes et là, nous sommes confrontés à un projet de loi qui dirait : « Peu importe ce que dit la constitution de votre parti, ce que sont vos diverses traditions ou ce que pensent vos membres. Voilà, c'est comme ça que se feront les choses. » Pourquoi pensez-vous qu'il soit nécessaire d'adopter une loi plutôt que d'en arriver à une entente au sein de son propre parti pour que vos principes soient adoptés par ce parti?
M. Chong : Merci d'avoir posé cette question, sénatrice Fraser.
Pour moi, la suprématie de la loi est une chose vraiment essentielle. J'ai observé au cours des 11 ans que j'ai passés comme député à la Chambre basse que c'est un endroit où se prennent des décisions chaotiques, arbitraires et ad hoc au sujet des groupes parlementaires et des trois partis reconnus à la Chambre des communes. S'il y a bien un lieu dans ce pays où la suprématie de la loi et l'ordre ont une importance primordiale, c'est bien le Parlement du Canadas.
Une des raisons qui expliquent pourquoi les règles et la gouvernance des groupes parlementaires sont arbitraires et ad hoc, c'est qu'il n'y a tout simplement pas de règles écrites. Sur ce plan, le Canada est un cas particulier parmi les démocraties parlementaires inspirées de Westminster parce que nous n'avons pas encore codifié, que ce soit par une loi ou sous une forme écrite quelconque, les règles qui régissent les groupes parlementaires de la Chambre des communes.
Mon projet de loi propose simplement d'utiliser l'instrument qu'est la loi — un acte du Parlement —, non pas pour imposer aux groupes parlementaires un ensemble rigide de règles, mais simplement pour exiger que les groupes parlementaires votent à quatre reprises après chaque élection générale pour décider s'ils vont adopter les règles modèles contenues dans le projet de loi ou les rejeter. Dans le cas où ils les rejetteraient, ils pourraient revenir au statu quo. Subsidiairement, ils pourraient également adopter une version modifiée des règles.
Mais en fin de compte, je crois que l'atmosphère de « club privé » d'un Parlement du XIXe siècle qui fonctionnait selon des conventions non écrites est de plus en plus archaïque, et je crois qu'il faut codifier ces règles et les formuler par écrit pour que l'ordre et la suprématie de la loi s'appliquent plus fermement à la façon dont les groupes parlementaires sont régis et dont les règles sont interprétées.
La sénatrice Fraser : Je crois que nous ne sommes vraiment pas d'accord sur ce point, n'est-ce pas.
La sénatrice Batters : Monsieur Chong, bienvenue au comité. Au fil des ans, j'ai sans doute vendu des milliers de cartes de membre du parti, comme vous l'avez fait également j'en suis sûre, pour alimenter les associations de ces circonscriptions, les campagnes à la direction d'un parti et les campagnes d'investiture. Au fil des ans, des centaines de milliers de Canadiens ont acheté des cartes de membre à 10 $ ou 15 $.
Au cours de la campagne à la direction du parti de 2004, 68 000 membres du Parti conservateur du Canada ont voté pour Stephen Harper et il a gagné cette campagne. Pour l'élection de 2011 qui vient d'avoir lieu, 5,8 millions de Canadiens ont voté pour Stephen Harper et le Parti conservateur.
Ce projet de loi accorderait pourtant aux membres des groupes parlementaires, et seulement à certains membres de ces groupes — parce que cela ne comprend pas les sénateurs —, un droit de veto sur la volonté de milliers de membres du parti et, finalement, sur l'électorat pour ce qui est des questions touchant la direction du parti. Dans le cas du gouvernement, cela voudrait dire qu'une poignée de députés pourraient destituer un premier ministre élu sans que les membres du parti ou les électeurs canadiens soient consultés. Comment conciliez-vous cela avec la notion de démocratie populaire?
M. Chong : Merci d'avoir posé cette question. J'ai une réfutation et deux commentaires à faire pour répondre à votre argument.
Premièrement, 5,8 millions de Canadiens n'ont pas voté pour Stephen Harper; il y a 5,8 millions de Canadiens qui ont voté pour le candidat conservateur local dans chacune des 308 circonscriptions électorales du Canada. Dans ce pays, nous n'élisons pas les gouvernements, ni même les premiers ministres; nous élisons une assemblée législative composée de 338 députés — à la prochaine élection — qui représenteront quelque 35 millions de Canadiens. C'est un point constitutionnel fondamental dont il faut tenir compte.
Pour revenir à votre argument, je dirais tout d'abord, que les députés ont déjà le droit d'élire et de destituer la direction de leur parti. Le problème que cela pose au Canada, c'est que lorsque l'on procède à ce vote, cela devient une affaire désordonnée, ad hoc, arbitraire et chaotique parce que les règles ne sont pas écrites.
Il y a eu de nombreux exemples de cette situation dans les assemblées législatives provinciales au cours des 18 derniers mois. Nous pouvons penser à l'ancienne première ministre Kathy Dunderdale dans la province de Terre- Neuve-et-Labrador; à l'ancienne première ministre Alison Redford dans la province de l'Alberta; à M. Tim Hudak, chef de l'opposition officielle de Sa Majesté à l'Assemblée législative de l'Ontario, qui a été également destitué par son groupe parlementaire il n'y a que quelques mois. Ce sont là juste quelques exemples au niveau provincial.
Nous pouvons penser à M. Stéphane Dion, qui a été destitué comme chef de parti en décembre 2008, à la suite de la crise provoquée par la prorogation, non pas par une convention de délégués réunis dans un congrès national du Parti libéral, mais à cause de protestations venant d'autres secteurs.
Nous pouvons également penser à la destitution de Stockwell Day en tant que chef de l'Alliance canadienne en 2001. Dans ce cas, encore une fois, ce ne sont pas les membres d'un parti politique enregistré qui l'on fait.
Mais prenons pour un instant votre argument, un argument que beaucoup d'autres personnes mettent de l'avant, suivant lequel seuls les membres d'un parti peuvent destituer le chef du parti. Si cet argument était vrai, alors, en réalité, l'élection des premiers ministres de ce pays, au palier provincial ou fédéral, serait semi-privatisée parce qu'à la différence des États-Unis, les partis politiques ne sont pas ouverts au public général au Canada. Au Canada, les partis fonctionnent, dans l'ensemble, comme des organismes privés.
Jean Chrétien a été élu en 1990. Au cours de ces 13 années, il n'a pas fait l'objet d'un seul examen par un parti politique enregistré. M. Harper a été élu en mars 2004. Depuis son élection au pouvoir en février 2006, il n'a fait l'objet d'aucun vote de confiance ces neuf dernières années. En fait, nous avons privatisé l'examen et la responsabilité des chefs de parti dans notre système.
Si le pouvoir de destituer un chef était confié aux seuls membres de son parti, cela reviendrait à dire, dans le cas de M. Harper, que les 67 000 membres du Parti conservateur qui ont voté pour lui en mars 2004 — il y a plus de 11 ans — pourraient contrecarrer les souhaits de quelque 15 millions de Canadiens qui ont voté dans cette élection il y a à peine quatre ans et demi et annuler ainsi les souhaits démocratiques de la Chambre des communes.
Je n'accepte pas cet argument pour deux raisons — premièrement, les députés ont déjà ce pouvoir et, deuxièmement, je ne pense pas que nous devrions faire de notre régime parlementaire du gouvernement un système semi-privatisé. Je pense que cet argument ne tient pas.
La sénatrice Jaffer : Merci d'être venu.
Avant que je pose ma question — et je vais faire une vérification —, mais je crois que M. Chrétien a fait l'objet d'un certain nombre d'examens. Et pour revenir sur le commentaire de la sénatrice Batters, dans le groupe parlementaire du Parti libéral, sept membres pourraient à eux seuls décider de se débarrasser du chef actuel. Cela me met mal à l'aise. Vous avez déjà répondu à la sénatrice Batters à ce sujet; je vais donc vous poser une autre question.
Je m'inquiète du fait que vous ayez commencé par dire que, si nous amendons ce projet de loi, cela reviendrait à le tuer. Pour l'essentiel, vous nous demandez d'approuver le projet de loi tel qu'il est; est-ce bien cela?
M. Chong : C'est exact. Je pense que l'idée du Sénat comme Chambre de réflexion ne s'applique pas à trois types de projets de loi qui lui sont présentés : les projets de loi de crédits; les projets de loi fiscale pas plus qu'aux projets de loi qui traitent exclusivement de la gouvernance de la Chambre des communes et de l'élection des députés. Je pense que ces trois catégories de projets de loi relèvent manifestement de la Chambre des communes, une Chambre élue, et non pas du Sénat. De sorte que la fiscalité, les dépenses et les questions qui touchent exclusivement la gouvernance de la Chambre des communes ne devraient pas pouvoir être modifiées par le Sénat.
Le président : Veuillez être brefs dans vos questions et vos réponses. Nous avons un autre groupe de témoins ensuite.
La sénatrice Jaffer : Est-ce là votre opinion ou vous appuyez-vous sur une convention?
M. Chong : Je crois qu'il est clair qu'il s'agit d'une convention constitutionnelle. Je crois qu'il est clair, comme l'a montré la crise qu'ont connue les Chambres du Parlement britannique à l'époque de la Première Guerre mondiale, que la Chambre haute ne peut modifier en vue de les rejeter les projets de loi concernant la fiscalité ou les dépenses. Je crois qu'il est également clair, si l'on se fonde sur l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada et sur l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, que chacune des Chambres de notre Parlement bicaméral est indépendante l'une de l'autre pour ce qui est de leur gouvernance interne. C'est pourquoi je ne pense pas que le Sénat devrait avoir son mot à dire sur la façon dont la Chambre est organisée et gouvernée. Je pense également que la Chambre s'est prononcée massivement le 25 février sur la façon dont elle souhaitait se gouverner et dont ses membres seraient élus.
Le sénateur Wells : Merci d'être venu, monsieur Chong.
Il est parfois instructif d'examiner ce qui arriverait au chef de parti qui est premier ministre, si ce projet de loi était adopté; nous parlons en effet de destituer le chef d'un parti. Supposons que ce chef est le premier ministre.
Après une élection et la prise de pouvoir par le premier ministre, parce que la majorité ou la pluralité des sièges ont été gagnés par un parti et que le chef de ce parti siège comme premier ministre, ce projet de loi aurait pour effet de — eh bien, allons jusqu'à la conclusion : éventuellement, la majorité des membres du groupe parlementaire pourraient « rejeter » ce premier ministre et la majorité choisirait alors un autre premier ministre intérimaire ou premier ministre. Ce premier ministre siégerait sans que les membres de son parti ou les électeurs canadiens aient leur mot à dire; est-ce bien exact? Ce serait une majorité simple...
M. Chong : Non, ce n'est pas exact.
Le sénateur Wells : ... des membres du groupe parlementaire du parti majoritaire à la Chambre?
M. Chong : Quelques remarques. Premièrement, le chef du parti qui a détenu le plus de sièges ne devient pas toujours premier ministre; c'est le chef qui a la confiance de la majorité de la Chambre des communes qui est nommé premier ministre par le gouverneur général.
Pour ce qui est de l'élection d'un chef intérimaire, ce chef deviendrait le chef intérimaire de ce parti si ces règles étaient adoptées, mais pas nécessairement le premier ministre. Le gouverneur général serait quand même tenu d'examiner si ce chef a la confiance de la majorité des députés de la Chambre des communes.
Le sénateur Wells : Pensez-vous qu'il soit raisonnable de penser que ce ne serait pas le premier ministre ou le chef qui viendrait d'être destitué par son groupe parlementaire?
M. Chong : Exact, mais c'est le cas aujourd'hui.
Le sénateur Wells : C'est une bonne chose.
La prochaine étape serait alors...
Le président : Sénateur Wells, allez-vous poser une deuxième question?
Le sénateur Wells : Non, je pose la première question.
Le président : Soyez plus concis. Il nous reste environ 40 minutes et il y a beaucoup d'intervenants.
Le sénateur Wells : Je veux simplement comprendre tout cela et en arriver à la conclusion logique.
Il faudrait alors s'adresser aux membres du parti pour élire un chef qui pourrait devenir premier ministre.
M. Chong : Oui, les membres du parti éliraient le chef du parti dans une course à la direction, de la même façon qu'ils l'ont fait lorsque Stéphane Dion a été destitué de son poste de chef de parti et remplacé par Michael Ignatieff et lorsque Stockwell Day a été destitué et remplacé par Stephen Harper comme chef. Cela se déroulerait de la même façon, sauf que le groupe parlementaire disposerait d'un ensemble de règles mieux structurées qui s'appliqueraient au processus débouchant sur cet examen ou sur cette destitution.
Le sénateur Wells : Je comprends.
Si l'on suivait la procédure prévue par votre projet de loi, nous aurions deux premiers ministres consécutifs qui n'auraient été élus ni par la volonté des membres du parti ni par celle de l'électorat. Je voulais simplement savoir si vous pensez que ce serait un peu déstabilisant dans un pays comme le Canada qui a, selon les conventions et selon le droit, une des démocraties les plus stables au monde.
M. Chong : Tout d'abord, les règles que contient la loi instituant des réformes sont actuellement en vigueur dans d'autres démocraties parlementaires inspirées de Westminster et je ne pense pas que l'on puisse dire que le Royaume- Uni, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande sont des lieux d'instabilité ou de chaos.
Deuxièmement, je n'accepte pas l'hypothèse de base de cette question. Les Canadiens n'élisent pas le premier ministre; les Canadiens élisent une assemblée législative qui comprend — en octobre de cette année — 338 députés, qui se réunissent et accordent ou conservent leur confiance pour un chef particulier, après quoi le gouverneur en conseil nomme ce chef premier ministre.
Si l'on devait toutefois accepter votre argument, je dirais que nous avons en effet privatisé à moitié l'élection des chefs de gouvernement de ce pays en nous remettant, non pas à la décision de l'électorat canadien en se basant sur le choix des candidats locaux à une élection, mais plutôt à un organisme semi-privé appelé un parti politique enregistré, qui ne procède à des examens qu'une fois tous les 10 ans ou à peu près, dans le cas d'un chef qui est au pouvoir.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Chong.
J'aimerais revenir sur la première partie du projet de loi. Vous n'avez pas vraiment expliqué l'élément central de cette proposition, qui revient essentiellement à donner à une personne autorisée par un parti politique la tâche consistant à choisir la personne qui sera le candidat de ce parti. Nous savons qu'à l'heure actuelle, c'est le chef du parti qui exerce en fin de compte cette responsabilité. J'ai été député pendant 10 ans et j'ai vécu avec ce système. J'aimerais que vous m'expliquiez ce qui est à l'origine de cette proposition.
Ma deuxième question est la suivante : puisque c'est une personne qui est autorisée par le parti, il y a toujours la possibilité que cette personne soit choisie par le chef du parti ou obtienne son approbation. Autrement dit, cela sera-il aussi efficace que vous le pensez?
[Français]
M. Chong : J'ai fait un compromis pour obtenir l'approbation de mes collègues à la Chambre des communes. Nous souhaitons apporter des amendements à la première partie de ce texte de loi qui concerne la Loi électorale du Canada. Comme vous le savez, cette loi a été modifiée en octobre 1970. Avant cette modification, les chefs de tous les partis n'avaient pas le pouvoir de décider quels seraient les candidats dans les circonscriptions partout au Canada.
[Traduction]
Pour la première fois depuis octobre 1970, ce projet de loi supprimerait l'obligation légale que le chef de parti approuve un candidat à une élection et confierait cette décision à chacun des partis politiques. Les partis politiques, comme vous l'avez fait remarquer, peuvent fort bien décider de choisir à nouveau le chef de parti, mais je crois qu'à long terme, il s'exercera des pressions sur les partis politiques pour qu'ils se démocratisent et pour veiller à ce que ce soit les membres locaux du parti qui prennent la décision finale en matière de choix du candidat local.
Autrement dit, le projet de loi supprime, pour la première fois depuis octobre 1970, l'obstacle légal à la démocratisation des partis dans la sélection de leurs candidats. C'est un point très important.
En fin de compte, le projet de loi essaie de faire en sorte que les votes à la Chambre des communes soient plus libres. La plupart des députés sont d'accord avec leur parti plus de 90 p. 100 du temps, moi aussi. Cependant, nous ne sommes pas toujours d'accord avec notre parti. Le fait est que, si on examine la moyenne des votes à la Chambre des communes du Canada, on constate que les députés respectent à 100 p. 100 les désirs du whip du parti. Cela est incroyable. Si vous examinez les données empiriques, il n'existe aucune autre démocratie parlementaire issue de Westminster — aucune autre démocratie — où une Chambre élue respecte à ce point le whip du parti.
Comment expliquer cela? Dans notre système, les chefs de parti ont des pouvoirs immenses que ne possèdent pas les chefs de parti dans d'autres pays. Ils ont le pouvoir unilatéral de refuser ou d'approuver des candidats de leur parti, d'expulser des membres du groupe parlementaire, et ils ne sont pratiquement jamais obligés de rendre des comptes lorsque le groupe parlementaire exprime sa confiance à l'égard du chef, ni lors de l'élection du chef par le groupe parlementaire.
Le projet de loi vise uniquement à rééquilibrer ce pouvoir — légèrement — pour le ramener à ce qu'il était à un moment donné au Canada. Ces règles ne sont pas...
La sénatrice Cools : Il n'y a pas si longtemps que cela.
M. Chong : Ces règles ne sont pas nouvelles; elles ont déjà existé au Canada et elles étaient encore plus strictes que celles que propose le projet de loi.
Cette tentative s'explique pour une seule raison simple : les Canadiens ont de moins en moins confiance dans leur Parlement et dans leurs institutions démocratiques. Cela est clair. Les scrutins le montrent. La participation des électeurs le montre. Il faut rétablir les liens entre notre Parlement et les Canadiens, et je crois que ces réformes modestes sont un pas dans cette direction.
Le sénateur Joyal : Merci de cette réponse.
Je me souviens que pendant les 12 mois environ qui ont précédé l'élection, le chef régional disait « Si vous ne respectez pas la ligne du parti, vous n'obtiendrez pas votre lettre »; il voulait dire, si vous ne votez pas comme nous voulons que vous votiez, vous ne serez pas le candidat reconnu par le parti, même si vous bénéficiez de l'appui de pratiquement tous les membres de l'association de circonscription.
Il est incontestable que c'est un instrument qu'utilisent les whips pour obliger les députés à respecter la ligne du parti. Cela est évident.
Par contre, je crois qu'il faut aussi admettre que, lorsqu'un candidat qui est choisi par l'association de la circonscription est le porte-parole d'un groupe de lobbying, et je ne vais pas mentionner aucun de ces groupes de lobbying parce que cela ne me paraît pas approprié — il y a un mécanisme de sécurité puisque le chef peut dire : « Eh bien, je ne veux pas que le parti soit pris en main par un groupe de personnes qui ont décidé de toutes devenir membres du parti dans une circonscription », en particulier de nos jours avec Internet qui facilite le rassemblement de personnes autour d'une cause.
Je peux voir l'intérêt d'une telle disposition, mais il y a aussi un désavantage, qui est le fait que ce mécanisme est principalement utilisé par le parti pour faire respecter la discipline; autrement dit, pour obliger ces membres à voter ou à ne pas critiquer des politiques ou à ne pas prendre des positions qui ne sont pas celles que le gouvernement propose.
Par contre, le deuxième point est le fait qu'un membre ne peut être expulsé que selon la procédure très claire que vous exposez. Je pense que 20 p. 100 est un pourcentage un peu faible parce que, s'il y a un débat sur une question émotive ou de conscience, il se produit parfois des lignes de faille très claires entre les gens. Il est facile de se liguer contre quelqu'un. Je ne veux pas vraiment vous raconter ma propre histoire, mais à l'époque, en 1976 en particulier, je poursuivais devant les tribunaux mon propre gouvernement; je poursuivais mon propre premier ministre et mon propre ministre des Transports. Il aurait été facile d'obtenir que 20 p. 100 des membres de notre groupe parlementaire demandent mon expulsion.
Si l'on avait exigé 50 p. 100, je ne suis pas certain que cela se serait produit; mais 20 p. 100 est un seuil très bas, à mon avis, en particulier parce que la politique est une dynamique qui consiste à regrouper les gens. Elle n'est jamais statique. Quelqu'un qui est avec vous un jour peut être contre vous le lendemain et la dynamique de la vie politique est d'essayer de ne pas vous faire d'ennemis pour le reste de votre vie.
Pourquoi avez-vous choisi ce seuil de 20 p. 100?
[Français]
M. Chong : En bref, la règle de 20 p. 100 du caucus en ce qui concerne une demande de révision des votes pour un président de caucus ou un chef de parti n'est pas obligatoire. Tous les caucus de la Chambre des communes peuvent modifier cette règle et faire passer ce pourcentage à 20, 30 ou 40 p. 100. J'ai proposé 15 p. 100 en m'inspirant du modèle électoral du Parti conservateur du Royaume-Uni.
[Traduction]
Au Royaume-Uni, le Parti conservateur applique cette règle depuis des dizaines d'années et des membres représentant 15 p. 100 du groupe parlementaire peuvent tout simplement demander un vote. Le projet de loi initial prévoyait 15 p. 100, mais j'ai entendu des Canadiens et des collègues de la Chambre des communes dire qu'ils trouvaient que ce seuil était trop bas. Nous avons donc fait deux choses : nous l'avons fait passer à 20 p. 100, et nous avons rendu cette règle facultative pour que les groupes parlementaires aient le droit d'écarter cette règle et d'en adopter une version modifiée.
Le sénateur Joyal : Merci.
Le sénateur Doyle : Premièrement, permettez-moi de vous féliciter pour l'excellent travail que vous avez fait sur cette question, et je tiens à vous dire que je suis favorable à votre projet de loi.
Cela dit, j'aimerais vous poser une question au sujet de l'article 49.5 proposé et savoir s'il n'a pas pour effet de créer une opposition officielle au sein du groupe parlementaire. Supposons que 20 p. 100 des députés du groupe parlementaire demandent un examen de la direction et que le chef obtienne 70 p. 100 du vote. Qu'arrive-t-il aux députés du groupe parlementaire qui n'ont pas obtenu ce qu'ils souhaitaient? Est-ce que cela peut se terminer ainsi? Est-ce que cela se fait une fois ou est-ce que cela peut se faire plusieurs fois?
M. Chong : À l'heure actuelle, cela se fait plusieurs fois. Comme nous le savons avec la province de Terre-Neuve-et- Labrador, lorsque la première ministre Dunderdale a été destituée comme chef de parti et, par la suite, de son poste de première ministre, le Parti progressiste-conservateur de Terre-Neuve-et-Labrador a élu plusieurs chefs sur une période de six à huit mois, précisément à cause des problèmes que posaient le groupe parlementaire et l'appui de ce groupe.
Nous avons actuellement un système qui permet un examen continu. Le projet de loi ne fait que codifier les règles, ce qui facilitera l'application du principe de la suprématie de la loi, renforcera l'ordre et le caractère définitif des choix.
Pour répondre à votre question, il est possible qu'un groupe parlementaire effectue ce genre d'examen plusieurs fois de suite au cours d'une seule législature, mais dans l'ensemble, je crois que les députés vont utiliser ces pouvoirs de façon judicieuse et seulement lorsqu'il est vraiment nécessaire de demander à un chef de parti de rendre des comptes.
Le sénateur Doyle : Il est donc sain, d'après vous, qu'il y ait ce genre de tension démocratique, si je peux m'exprimer ainsi, au sein d'un groupe parlementaire?
M. Chong : Je le pense. Je crois qu'il est vraiment important pour notre régime politique que cet examen ait lieu non seulement tous les quatre ou cinq ans au cours d'une élection générale fédérale où les Canadiens élisent 338 députés au Parlement, mais qu'il est souhaitable que cet examen ait lieu tous les jours ici sur la Colline du Parlement.
L'exercice du pouvoir est quelque chose qu'il faut constamment réglementer et surveiller, et je crois que, si nous voulons avoir un meilleur gouvernement tenu de rendre des comptes, il faut avoir de meilleurs mécanismes de contrôle, une meilleure surveillance du pouvoir qu'exercent les groupes parlementaires de parti et la Chambre des communes, où ne s'applique que la convention qui exige qu'un chef ait la confiance de son groupe parlementaire.
La sénatrice Cools : Je vous remercie d'être venu, Michael. Je ne pense pas que je sois la seule à dire que j'admire votre ténacité et votre volonté de mieux faire les choses.
Ce n'est pas un secret que de dire que les chefs de parti contemporains exercent un pouvoir absolu et que les groupes parlementaires connaissent des luttes que l'on peut qualifier de féroces. On fait des choses aux membres du parti qu'on ne pourrait pas faire aux membres d'un groupe parlementaire et qui ne pourraient être faites dans aucun autre milieu de travail. Bien souvent, le secret ne fait que cacher de nombreux maux.
D'un autre côté, malgré tout cela, ce sont des êtres humains fantastiques et d'excellentes personnes et il ne faut donc pas aller trop loin de l'autre côté.
Je ne sais pas si vous étiez là à l'époque, sénateur Joyal, mais c'était au cours de l'examen d'un projet de loi que nous appelions le projet de loi de l'aéroport Pearson et il y avait un sénateur libéral qui avait non seulement voté contre son gouvernement, mais au Sénat, le partage des votes avait entraîné le rejet du projet de loi et c'est sa voix qui avait créé l'égalité.
J'étais une grande admiratrice de ce sénateur; c'était un sénateur d'esprit très indépendant; indépendant dans tous les sens du mot. Mais je peux vous dire que le groupe parlementaire s'est immédiatement réuni et que le sénateur principal qui dirigeait le groupe a fait quelque chose d'inhabituel; il a proposé une motion visant à expulser le sénateur du groupe parlementaire. Je peux vous dire qu'il n'avait aucune chance de réussir. J'ai dit très clairement au chef du gouvernement au Sénat à cette époque que, si le groupe prenait cette décision et l'expulsait du groupe parlementaire, j'en aurais dit beaucoup sur cette décision. Et le chef a dit : — je ne dirai pas si c'était un homme ou une femme — a dit « Ne t'inquiète pas, Anne, je n'ai aucunement fait le projet d'expulser qui que ce soit du groupe parlementaire. »
Je voulais simplement vous dire que bien souvent ces questions et ces résultats dépendent de la force de caractère des membres du groupe parlementaire qui adoptent une position tellement contraire à celle des autres qu'ils arrivent très souvent à instaurer un équilibre et c'est ce qui doit se passer.
Le président : Nous avons une longue liste de questions pour le député.
La sénatrice Cools : Monsieur le président, nous devrions prolonger l'audition de ce témoin, et il pourrait assister à deux séances du comité si cela est nécessaire. Ce sont là des sujets vitaux...
Le président : J'en conviens.
La sénatrice Cools : Ce sont des sujets que la plupart d'entre nous, en particulier les indépendants...
Le président : Et il y a beaucoup de gens qui ont des questions à poser, sénatrice, si vous voulez formuler votre question.
La sénatrice Cools : Je peux uniquement les poser ici. La solution, monsieur le président, serait donc de prolonger la séance.
Le président : Avez-vous une question à poser, sénatrice?
La sénatrice Cools : Voulez-vous m'interrompre, monsieur le président?
Le président : Avez-vous une question à poser au député?
La sénatrice Cools : Je crois que j'ai levé la main et j'ai dit que j'avais une question.
Le président : Veuillez poser votre question.
La sénatrice Cools : Vous ne pouvez pas m'imposer un délai pour poser ma question. Vous ne pouvez pas m'obliger à dire quoi que ce soit, monsieur le président. Si je décide de commencer par faire des commentaires, c'est mon droit absolu. Si vous voulez me retirer la parole, allez-y.
Comme je le disais, il y a une déclaration célèbre qui a été faite par... j'ai oublié quel lord, c'était un des grands certainement, qui parlait de l'apparition progressive du pouvoir absolu que détiennent aujourd'hui les premiers ministres, évolution qui n'avait jamais été prévue. Il a déclaré qu'il avait fallu 700 ans pour retirer ce pouvoir au roi — cela visait le Royaume-Uni. — et 50 ans pour l'attribuer au premier ministre. Cette déclaration a été faite il y a quelques centaines d'années.
Avez-vous des commentaires au sujet du grand nombre de membres des groupes parlementaires, des caucus des deux Chambres, de tous les caucus, qui ont été expulsés ces dernières années par rapport à disons les 10 dernières années? Il n'y en a pas eu tant que ça. Avez-vous des commentaires à faire sur la question de l'absolutisme, qui est tout à fait à l'opposé de la gouvernance parlementaire?
M. Chong : Merci, sénatrice Cools, d'avoir posé la question.
Pour ce qui est de l'absolutisme, je crois que le projet de loi ramène le Canada à ses racines fondamentales. Derrière la partie de l'édifice du Centre qui est occupée par le Sénat, il y a une des statues les plus imposantes de la Colline du Parlement. C'est la statue dédiée à Robert Baldwin et à Louis-Hippolyte La Fontaine pour avoir introduit le régime parlementaire dans la province du Canada au cours des années 1840. Le régime parlementaire, comme beaucoup d'entre vous le savent, avait été introduit peu de temps avant à l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse.
C'est une invention typiquement canadienne et nous étions des précurseurs par rapport à de nombreuses autres démocraties lorsque nous avons introduit cette notion. Elle constituait un changement marquant par rapport au gouvernement que nous avions eu pendant des siècles. Pour l'essentiel, avant ce moment, le gouverneur en conseil avait le pouvoir absolu de faire ce qu'il voulait, il n'était pas responsable devant l'assemblée législative élue, il l'était uniquement envers lui-même et envers Londres. Nous avons fait un changement marquant et établi une convention constitutionnelle, selon laquelle les chefs de parti sont responsables devant leurs caucus et les chefs des partis au pouvoir sont responsables devant l'assemblée législative, tout comme l'est le gouverneur en conseil. C'est un changement marquant qui s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui.
Malheureusement, nous sommes revenus au droit absolu des rois lorsque nous avons attribué autant de pouvoir aux chefs de parti à cause des changements apportés aux règles de notre système. Nous sommes une exception parmi les démocraties parlementaires inspirées de Westminster pour ce qui est de la façon dont nous nous sommes gouvernés au cours des dernières dizaines d'années. Nous avons changé les règles.
Sir John A. Macdonald ne reconnaîtrait pas le Parlement où il a travaillé. Il ne reconnaîtrait pas les règles de fonctionnement des caucus. Il ne reconnaîtrait pas la façon dont sont choisis les candidats des partis. Cette institution lui serait étrangère, malgré le fait qu'il a effectivement travaillé ici, sur la Colline du Parlement.
Pour ce qui est de l'expulsion de membres des caucus de la Chambre des communes, voici ce que je peux vous dire au sujet de ce qui s'est produit au cours de la dernière décennie : ce mécanisme a été utilisé de façon arbitraire et ad hoc. S'il y a bien un endroit où les mesures arbitraires et ad hoc ne devraient pas être tolérées, c'est bien là où doit régner la suprématie de la loi.
Pourquoi est-ce que je dis que les décisions d'expulser des membres des caucus de la Chambre ont été arbitraires et ad hoc? Parce qu'elles découlent parfois d'un vote du caucus. Parfois c'est une décision du chef de parti. Parfois cela est décidé d'une autre manière. Il n'existe pas de règles claires, et je ne pense pas que les décisions arbitraires et ad hoc aient leur place au cœur de notre démocratie, ici sur la Colline du Parlement.
Le sénateur D. Smith : Merci d'être venu.
J'aimerais dire quelques mots de la raison d'être essentielle de ce projet de loi. Bien entendu, ce projet de loi touche la Chambre des communes, et ne nous touche pas. C'est la Chambre des communes; il a été adopté par 260 voix contre 17 et j'en prends bonne note. J'ai déjà siégé dans l'autre endroit, à l'époque de Pierre Trudeau, avec le sénateur Joyal, je connais donc un peu ce qui s'y passe.
Vous pourriez peut-être me faire un commentaire sur ce point. Je pense que la véritable raison d'être de ce projet de loi est de valoriser le rôle des députés en leur donnant la possibilité de faire connaître leur point de vue et d'adopter des positions qui reflètent leur point de vue et non pas d'agir comme un robot tous les jours. Je crois que l'exemple que vous avez donné, et je vous demande si c'est bien l'essentiel, est l'exemple du Royaume-Uni. où on impose une discipline à trois degrés pour les votes. Il y a le premier degré, le deuxième et le troisième, et il y a un point auquel vous franchissez la ligne. Mais la plupart du temps, le député peut adopter une position différente de celle de son parti sur une question qui n'est pas fondamentale et qui n'a pas de conséquences graves.
Ai-je bien interprété votre intention, à savoir que vous voulez donner aux députés la possibilité de faire connaître plus facilement leurs opinions, de prendre des positions qui reflètent ces opinions et ne pas toujours agir comme de simples robots?
M. Chong : Merci, sénateur Smith. C'est exactement cela.
Si vous prenez les données empiriques — et divers journaux ont présenté une analyse de ce phénomène —, le député moyen vote toujours conformément aux souhaits de son parti. C'est renversant. Il n'existe en Occident aucune autre Chambre élue qui obtient ce genre de respect de la volonté du parti lorsqu'il s'agit de voter.
Si vous regardez les données empiriques concernant des parlements comme le palais de Westminster, les chiffres sont très différents. Il existe un site web appelé publicwhip.org.uk où les députés de la Chambre des communes britannique sont classés en fonction du nombre de fois qu'ils ont voté contre les souhaits de leur parti. Il y a de nombreux députés qui ne suivent pas leur parti 15, 20 ou 25 p. 100 du temps. Il y a en fait un bon quart des membres de la Chambre des communes britannique qui ne suivent pas leur parti bien plus fréquemment que n'importe quel député de la Chambre des communes du Canada. Il y a environ 150 députés qui ne suivent pas leur parti bien plus souvent que n'importe quel député de la Chambre des communes du Canada.
Je ne pense pas que ce soit parce que les candidats qui sont élus à la Chambre des communes de l'autre côté de l'Atlantique sont plus capables que les parlementaires canadiens. Je ne pense pas que ce soit parce qu'ils sont de nature plus indépendante. Je pense que c'est simplement à cause de ces règles.
Les règles ici sont très différentes. Ici, le chef peut décider unilatéralement de bloquer ou d'approuver un candidat de son parti. Il fait très rarement face à un examen et il n'est bien sûr pas élu par son caucus comme c'est le cas aux États- Unis dans une plus grande mesure. Enfin, le chef a le pouvoir de décider unilatéralement d'expulser un député du caucus.
J'ai été renversé d'apprendre que le greffier et le sergent d'armes de la Chambre des communes étaient en fait nommés par le premier ministre. Au Royaume-Uni, ils sont nommés par la Chambre et par le Président.
Il y a toute une série de différences et de changements ici qui donnent aux chefs de parti des pouvoirs immenses et qui explique pourquoi le whip est au Canada incroyablement strict et pourquoi il y a si peu de dissidence sur les projets de loi présentés à la Chambre.
Le sénateur D. Smith : Pensez-vous qu'il soit paradoxal que le Parlement britannique, qui est la mère de tous les parlements, ait adopté ces changements pour valoriser davantage le rôle de leurs députés, dans leur capacité individuelle, contrairement au Canada?
M. Chong : Je crois que c'est une raison pour être optimiste et espérer que nous réussirons à changer notre système.
Le Parlement britannique est beaucoup plus moderne et plus souple dans ses règles que ne l'est le Parlement canadien. En fait, au cours des 10 dernières années, le Parlement britannique s'est profondément réformé pour ce qui est de ses comités parlementaires.
Les comités permanents de leur Chambre des communes, ce qu'ils appellent des select committees — ils ont également d'autres types de comités —, sont élus par les députés. Leurs présidents sont à leur tour élus par les membres de ces comités. Les comités législatifs sont vraiment indépendants du chef du parti. Au Canada, les membres du comité siègent selon le bon plaisir du chef de parti.
Eh bien, cela n'a pas toujours été le cas à Westminster. Ces règles ont changé au cours des 10 dernières années, parce que le Parlement britannique et les députés du Parlement ont compris qu'ils devaient répondre au désir de la population de réformer cette institution.
Je crois que nous pouvons travailler dans le même esprit ici et adopter cette loi instituant des réformes, qui nous orientera dans la bonne direction. Je pense que les règles qui figurent dans le projet de loi sont déjà en vigueur dans d'autres pays, et nous avons de nombreux éléments qui nous montrent comment elles fonctionnent.
Le sénateur D. Smith : Je dirais pour terminer que j'ai passé pas mal de temps à Westminster et je pense que nous devrions vraiment en faire notre modèle.
La sénatrice Martin : Tout d'abord, je remercie Michael Chong d'être venu. Je conviens que nous pouvons le féliciter pour le travail qu'il a effectué et la passion qu'il a manifestée pour la préparation de ce projet de loi et dans d'autres domaines.
J'aimerais poser quelques questions. Premièrement, pour ce qui est de la définition de « groupe parlementaire » (caucus), vous parlez comme si ce projet de loi traitait uniquement de la gouvernance de la Chambre des communes et vous nous demandez ainsi d'approuver sans le regarder ce projet de loi. Mais nous sommes membres du caucus national et selon le Vocabulaire de procédure parlementaire, « caucus, groupe parlementaire » est défini comme étant « le groupe composé de tous les députés » de la Chambre des communes « et sénateurs d'un même parti ».
J'admets que nos Chambres sont indépendantes, tout comme le sont les règles qui régissent ces Chambres. Mais dans le cas d'un examen de la direction, qu'est-ce qui arrive à un chef qui est membre du caucus national? Au cas où ce projet de loi serait adopté, quel serait d'après vous le rôle des sénateurs lorsque nous serons directement touchés par cette décision?
Je comprends le principe de l'indépendance des Chambres, mais certaines décisions les touchent toutes les deux. Nous avons un système bicaméral. Nous nous complétons; nous travaillons de concert. Nous ne sommes pas complètement séparés. Je reconnais cette indépendance des Chambres, mais j'essaie de comprendre comment cela va me toucher comme sénatrice, comme membre d'un caucus, et où vous nous voyez dans cette grande équation.
M. Chong : Merci d'avoir posé cette question. C'est une question importante que de nombreux sénateurs m'ont posée en privé ces dernières semaines.
Le caucus national, comme nous l'appelons, va continuer à exister et les sénateurs vont continuer à siéger à ce caucus national. Mais, il me paraît important de signaler un élément éclairant, c'est que le caucus national n'a aucune existence en droit et n'est pas reconnu par la Constitution.
Ce qui se produit tous les mercredis matins au caucus conservateur et, plus récemment, au caucus libéral, devrait plutôt s'appeler une séance conjointe du caucus conservateur de la Chambre des communes et du caucus conservateur du Sénat. Nous nous réunissons, mais selon la loi, nous sommes deux entités distinctes. La Constitution et la Loi sur le Parlement du Canada sont très claires. L'indépendance des deux Chambres fait partie de leur nature inhérente et elle est très claire.
C'est pourquoi, par exemple, la partie II de la Loi sur le Parlement du Canada parle des caucus du Sénat pour tous les partis et que le Règlement du Sénat parle des caucus du Sénat et de la façon dont ces caucus du Sénat sont reconnus. La partie III de la Loi sur le Parlement du Canada et le Règlement de la Chambre des communes parlent des caucus de la Chambre des communes et de la façon dont ils sont établis et reconnus. Les règles sont fort différentes.
La loi instituant des réformes ne crée pas une nouvelle entité qui s'appellerait le « caucus de la Chambre des communes ». Ce caucus existe déjà en droit.
Par exemple, un caucus du Sénat est composé d'au moins cinq membres du Sénat qui s'identifient comme tels et qui sont affiliés à un parti politique enregistré. Cette règle est très différente de celle qu'applique la Chambre des communes.
À la Chambre des communes, pour constituer un caucus de la Chambre des communes, le règlement énonce qu'il suffit de former un groupe d'au moins 12 députés qui s'identifient en cette qualité, et c'est tout. Il n'est pas nécessaire qu'il existe à l'extérieur du Parlement un parti politique enregistré pour que ce caucus soit reconnu par la Chambre. Il existe deux séries de règles très différentes selon le droit actuel et les conventions établies.
Pour ce qui est de la séance conjointe qui a lieu tous les mercredis matin, ou que nous appelons familièrement le caucus national, cela ne changerait pas. Ce n'est que, si les quatre règles concernant l'examen et la destitution du chef de parti, l'expulsion et l'admission des membres du caucus, l'examen et l'élection du président du caucus et l'élection d'un chef intérimaire, si aucune de ces quatre règles était adoptée sans modification, alors ces votes seraient réservés aux membres du caucus de la Chambre des communes et non pas aux sénateurs.
Franchement, c'est tout à fait ce qui se passe en pratique de nos jours. Nous entendons souvent les membres du caucus national dire à voix haute lorsqu'on procède à l'occasion à un vote à main levée « Députés seulement. Pas de sénateurs. » En réalité, nous le faisons pour beaucoup de votes touchant diverses questions.
La sénatrice Martin : Cela me paraît différent, pour ce qui arrive au chef d'un parti, qui comme membre du caucus national — je comprends que cela est codifié et régi par des conventions ou des traditions, mais tel qu'il est défini à l'heure actuelle, il comprend les sénateurs. Eh bien, il n'y a aucune définition de « caucus ou groupe parlementaire » qui exclurait les sénateurs, mais dans la loi instituant des réformes — je sais que vous dites qu'elle régira uniquement la Chambre des communes, les règles semblent être davantage exclusives et moins parlementaires et elles vont plutôt à l'encontre des traditions parlementaires. C'est simplement mon interprétation.
M. Chong : Très bien.
La sénatrice Martin : L'autre aspect dont je voulais vous parler est que vous avez mentionné d'autres parlements en Australie, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni; aucun de ces pays n'a toutefois adopté de loi régissant ce que font les partis politiques avec leurs systèmes politiques respectifs pour ce qui est des examens de la direction des partis. Je me demande pourquoi vous n'avez pas présenté vos idées au congrès de votre parti et demandé aux membres de votre parti de les examiner et pour ensuite introduire des changements qui modifieraient le mécanisme des examens de la direction plutôt que d'en faire une loi.
M. Chong : Je pense que les caucus de parti relèvent des parlementaires. La façon dont les caucus sont régis et la question de savoir si le président doit être élu ou si des membres devraient être expulsés par le chef de parti ou par un scrutin secret des membres du caucus ne devrait pas relever d'une organisation semi-privée que l'on appelle un parti politique enregistré. Ce sont là des décisions que prennent les députés. Nous nous réunissons ensemble ici sur la Colline du Parlement et nous nous organisons. Nous ne devrions pas confier les règles concernant une institution très publique que l'on appelle le Parlement du Canada et en particulier, la Chambre des communes, une assemblée élue, à une organisation semi-privée qu'on appelle un parti politique enregistré. Comment les caucus sont structurés et régis ici sur la Colline du Parlement est une responsabilité qui incombe aux députés élus.
Pour ce qui est du choix des candidats des partis, le projet de loi confie aux membres du parti le soin de décider comment les membres du parti seront choisis. Le projet de loi prévoit que c'est à chacun des partis politiques enregistrés de décider comment ils vont approuver leurs candidats. Le projet de loi confie également à chacun des partis politiques enregistrés le soin d'examiner la direction du parti en utilisant le mécanisme actuel. Il confie également aux partis politiques enregistrés et à leurs membres le soin d'élire leur chef permanent comme ils le font actuellement. Cela ne touche pas les droits des simples membres des partis. Il dit simplement qu'il y a un parti parlementaire — cela est clair.
C'est pourquoi il y a ce mur qui sépare le parti politique enregistré et le parti parlementaire. C'est pourquoi vous et moi ne pouvons tenir une réunion du Parti conservateur du Canada, un parti politique enregistré, ici dans cette salle. Nous pouvons avoir une réunion du caucus du Parti conservateur ici dans cette salle, mais nous ne pouvons pas tenir une réunion d'un parti politique enregistré ni des associations de circonscription parce que ce parti n'existe pas sur la Colline du Parlement Nous pouvons utiliser nos ressources pour les caucus du parti et pour le parti parlementaire, mais nous ne pouvons pas utiliser les ressources du Bureau de régie interne et celles du Bureau de régie interne du Sénat pour un parti politique enregistré. Cela est clair parce que ce parti politique enregistré n'existe pas ici sur la Colline du Parlement
Le président : Si vous le permettez, il y a encore huit autres questions et il nous reste environ huit minutes, nous allons donc devoir accélérer un peu. Je vous invite donc à poser des questions concises et à fournir des réponses tout aussi concises.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Chong, pour votre exposé.
J'ai examiné le projet de loi et j'ai constaté qu'il ne traite pas de la question d'un parti qui choisirait son chef selon un autre moyen, comme par acclamation. Il ne porte pas sur cet aspect. Il semble limiter la capacité d'un parti politique de modifier sa constitution et ses statuts lorsqu'il souhaite se dispenser de tenir une élection, par exemple. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
M. Chong : Mon projet de loi ne touche d'aucune façon et d'aucune manière les droits d'un parti extraparlementaire, un parti politique enregistré, et il ne concerne pas la façon dont le chef est examiné ou comment il est élu. Il dit simplement qu'il y a des partis parlementaires reconnus selon la Loi sur le Parlement du Canada dont il faut préciser le fonctionnement et la gouvernance. À l'heure actuelle, les partis de la Colline du Parlement — les partis reconnus de la Chambre des communes et les partis reconnus du Sénat — ne disposent pas d'un ensemble clair de règles sur leur façon de fonctionner. Ils fonctionnent selon des règles tout à fait arbitraires et ad hoc. Le projet de loi tente tout simplement d'apporter de l'ordre et de renforcer le principe de la suprématie de la loi dans le fonctionnement de ces partis parlementaires.
La sénatrice Frum : Premièrement, Michael, vous savez que j'ai énormément de respect pour vous, de sorte que si je ne vote pas en faveur de votre projet de loi, j'espère que vous verrez là de ma part l'exercice de mon droit de voter contre mon parti et contre mon collègue sur un projet de loi d'initiative parlementaire. Cela ne reflète aucunement l'estime considérable que j'ai pour vous, et je reconnais tout le travail que vous avez mis dans ce projet ainsi que vos excellentes intentions.
Je veux contester l'idée qu'à l'heure actuelle, un chef de parti n'est pas obligé de rendre des comptes à son caucus. L'exemple de la première ministre Dunderdale a été cité et je donnerais également l'exemple de la première ministre Redford, comme étant l'exemple le plus récent. Lorsqu'un chef n'a plus la confiance de son caucus, ce n'est plus qu'un mort ambulant. Nous avons vu ce genre de chose. Cela vaut également pour les chefs de tous les caucus au palier fédéral. Il n'y a pas que les votes qui reflètent l'appui dont bénéficie un chef.
Vous dites que vous souhaitez que le pouvoir du chef soit constamment vérifié, pratiquement toutes les semaines ou tous les mois. Je sais que vous connaissez les dangers — vous êtes en effet quelqu'un qui a souvent pris position en fonction de principes et vous n'avez pas toujours été appuyé par tous les autres. Vous savez qu'il ne faudrait pas mesurer la popularité du chef de façon aussi régulière, mais il faut obtenir l'appui de son caucus ou alors vous êtes mort. Vous avez besoin de l'appui de votre caucus et la première ministre Redford serait certainement d'accord avec cette affirmation.
M. Chong : Sénatrice Frum, je suis d'accord avec vous sur ces deux points. Je reconnais qu'aujourd'hui les chefs de parti doivent rendre des comptes à leurs caucus et c'est ce qui se passe à l'heure actuelle. J'espère que je n'ai pas donné à qui que ce soit l'impression erronée qu'il n'y a actuellement aucune reddition de comptes entre les chefs de parti et leurs caucus respectifs. Je pense que c'est ce qui se passe aujourd'hui. Je pense tout simplement que ce mécanisme doit être codifié pour que les règles soient claires.
Je suis également d'accord avec vous lorsque vous dites que, si les chefs de parti sont obligés tous les jours et régulièrement de rendre des comptes sur la Colline du Parlement, cela ne veut pas dire qu'il devrait y avoir constamment des examens du chef. Nous ne voulons pas un Parlement où toutes les semaines ou tous les mois ou deux ou trois fois par année, il y a des examens des chefs pendant les quatre années que dure une législature. J'envisage un Parlement qui ressemblerait davantage à celui du Royaume-Uni, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, où les examens de la direction d'un parti ont lieu une fois par an ou une fois par an et demi ou en cas de crise, auquel cas la question est réglée rapidement.
Je pense à l'époque où l'Alliance canadienne a connu une crise qui a duré plusieurs mois et qui a détruit le parti. Le parti est passé d'environ une vingtaine de points de pourcentage en Ontario à l'élection de novembre 2000 à un nombre à un chiffre en quelques mois. Pourquoi? Parce que le caucus n'avait pas accès à des règles claires précisant comment vérifier la popularité du chef Stockwell Day. Il y a eu des luttes intestines pendant des semaines et des mois. Au lieu de s'occuper des questions qui intéressaient les Canadiens, ils se sont intéressés à leurs propres luttes internes. En fin de compte, le chef a été expulsé du caucus parce que, comme vous l'avez fait remarquer, il doit rendre des comptes au caucus, mais c'était un parti désagrégé. Par la suite, ils ont élu Stephen Harper comme chef, qui de façon très adroite et tactique a fusionné avec les progressistes-conservateurs.
J'ai demandé à beaucoup de mes collègues conservateurs : avec qui allons-nous fusionner la prochaine fois? Parce qu'il n'y aura pas d'autre parti avec qui fusionner, si nous passons encore une fois par une période comme en 2001 où il y a une situation de crise pour le chef et où le caucus ne dispose pas de règles claires.
La sénatrice Fraser : Je vais répondre à certaines affirmations que vous avez faites, monsieur Chong, et vous dire que le Sénat, en fait, a le pouvoir de modifier et de rejeter les projets de loi auxquels vous avez fait référence, mais que nous ne le faisons pas très souvent. Le seul pouvoir que nous n'avons pas est celui de présenter des projets de loi de finance, mais nous pouvons rejeter ou modifier tout ce que la Chambre des communes nous envoie.
Deuxièmement, les règles auxquelles vous faites référence, celles de Westminster, d'Australie et les autres, sont fixées par les partis eux-mêmes. Ce ne sont pas des lois générales qui s'appliquent à tous les partis. Je crois qu'il est important de le savoir.
J'aimerais que vous me disiez pourquoi vous pensez que, si nous amendions ce projet de loi, qui n'a été présenté ici qu'il y a trois mois alors qu'il est resté à la Chambre pendant presque un an, cela reviendrait à le supprimer? Si nous amendions ce projet de loi et le renvoyions à la Chambre des communes, je sais qu'il irait à la fin de la liste des projets de loi d'initiative parlementaire, mais vous pouvez le faire avancer plus rapidement. Vous avez affirmé de façon très convaincante que vous avez obtenu un large appui pour le projet de loi à la Chambre alors pourquoi ne pourriez-vous pas faire ce dont je viens de parler?
M. Chong : Premièrement, je ne pense pas que le Sénat ait le droit de rejeter les projets de loi de crédits ou les projets de loi fiscale. Je puis vous assurer, sénatrice, que je suis tout à fait convaincu qu'il existe depuis des dizaines d'années au Canada une convention non écrite qui veut que le Sénat ne puisse adopter que les projets de loi des finances ou les projets de loi fiscale sans les amender. Je dois dire aux sénateurs qui sont ici que, si le Sénat devait rejeter un projet de loi fiscal ou un projet de loi de crédits, nous connaîtrions une crise constitutionnelle.
Deuxièmement, je ne pense pas que le projet de loi impose des règles générales. Les caucus ont le droit, selon ce projet de loi, de modifier les règles et de les changer comme ils l'entendent, que ce soit de faire passer de 15 à 20 p. 100 le pourcentage du vote à obtenir pour prendre une décision.
Enfin, pour ce qui est d'amender le projet de loi, il n'y a tout simplement pas suffisamment de temps pour modifier le projet de loi et l'adopter dans les quatre semaines qui viennent. Amender le projet de loi est une façon indirecte de le tuer. Il y a surtout le fait que la Chambre s'est prononcée massivement sur la partie III sur la Loi du Parlement du Canada et sur la Loi électorale du Canada. La Loi électorale du Canada traite des élections et n'a rien à voir avec le Sénat. La partie III de la Loi sur le Parlement du Canada concerne la Chambre des communes et non pas le Sénat.
Si le Sénat souhaite modifier ses propres règles de gouvernance, comme certains sénateurs ici l'ont suggéré, il est libre de le faire. Il est possible de présenter un projet de loi sénatorial qui modifie la partie II de la Loi sur le Parlement du Canada. C'est pour cette deuxième raison, la plus importante, que je ne pense pas que le Sénat devrait amender le projet de loi.
La sénatrice Batters : Nous en avons déjà parlé, et les membres des caucus de la Chambre des communes sont les seuls qui sont visés par la définition de « groupe parlementaire ». Je vous ai entendu dire il y a un instant que c'est parce que les sénateurs sont nommés par le chef. Mais en réalité, étant donné la durée des mandats du côté du Sénat, la réalité est que les membres d'un caucus du Sénat ont été nommés par différents chefs. Dans notre caucus conservateur, nous avons des sénateurs qui ont été nommés par les premiers ministres Mulroney, Harper et même par le premier ministre fédéral Paul Martin. Le caucus du Sénat libéral comprend, notamment, des membres qui ont été nommés par les premiers ministres Jean Chrétien et Paul Martin, qui étaient tous les deux, cela était connu, des chefs rivaux.
À l'heure actuelle, la nomination des candidats à la Chambre des communes est directement signée par le chef de parti actuel. Et en plus, même si formellement les Canadiens élisent indirectement leur premier ministre, je suis sûre que vous admettrez que la figure de chef joue un rôle beaucoup plus grand pour le choix des électeurs que le candidat de la circonscription.
Je me demande qui est vraiment le plus soumis à la volonté d'un chef.
M. Chong : Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec la prémisse de base de votre question. Le projet de loi n'a pas pour effet de créer un caucus de la Chambre des communes. En fait, je peux vous citer ce que dit la partie III de la Loi sur le Parlement du Canada.
La sénatrice Batters : Je n'ai pas dit « créer », j'ai dit comprendre.
M. Chong : Le projet de loi dit simplement, à des fins de précision, que, lorsqu'il parle de « groupe parlementaire » dans les modifications à la partie III de la Loi sur le Parlement du Canada, il vise uniquement le groupe parlementaire de la Chambre des communes. Il ne s'agit pas d'exclure ou d'inclure qui que ce soit. La partie III de la Loi sur le Parlement du Canada fait référence à l'heure actuelle à chaque « parti comptant officiellement au moins 12 députés ». Un « parti reconnu » ou « un groupe parlementaire d'un parti » à la Chambre des communes est mentionné à plusieurs reprises dans la partie III de la Loi sur le Parlement du Canada, comme le sont les groupes parlementaires du Sénat dans la partie II et dans le Règlement du Sénat.
Le projet de loi se conforme simplement aux principes législatifs et constitutionnels en vigueur touchant la séparation des deux Chambres et ne fait qu'ajouter certaines définitions applicables aux groupes parlementaires de la Chambre des communes.
Le président : Le greffier vient de m'informer qu'il est arrivé au moins à une reprise, le 10 juin 1993, que le Sénat a rejeté un projet de loi d'exécution du budget, vous le savez maintenant.
Je vous laisserai répondre à cela à la fin de la séance, monsieur Chong.
Le sénateur Wells : Monsieur Chong, je voulais en arriver à l'idée que — je sais que vous avez utilisé le mot « facultatif » — c'était un projet de loi facultatif. Comment le Sénat du Canada peut-il même envisager d'examiner un document que vous aimeriez voir devenir une loi et que, par la suite, les gens puissent décider s'ils vont suivre ou non cette loi? Voici une loi qui est facultative, et en plus, qui ne contient pas de sanction en cas d'inobservation, et j'ai bien lu l'ensemble du projet de loi.
M. Chong : Je pense que les députés seront invités à voter à quatre reprises si le projet devient loi après la prochaine élection générale. Ces votes seront des votes par appel nominal. De sorte que les députés auront des comptes à rendre à leur circonscription : premièrement, et surtout, aux électeurs de leur circonscription électorale; deuxièmement, aux membres de leur parti dans leur circonscription électorale; et troisièmement, aux autres membres de leur caucus. Je pense que ces votes par appel nominal permettent de faire en sorte que les députés exercent leur jugement en connaissance de cause et répondent des décisions qu'ils ont prises.
Le sénateur Wells : Encore une fois, ce serait une loi facultative qui ne contient aucune sanction en cas d'inobservation?
M. Chong : C'est exact. Elle prévoit une certaine souplesse.
D'un côté, les gens ont critiqué le projet de loi parce qu'il était trop normatif. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons introduit ces votes. Ces règles ne seront pas imposées aux groupes parlementaires des partis. Les groupes parlementaires de la Chambre décideront s'ils souhaitent adopter ou rejeter ces règles. S'ils les rejettent, ils pourront revenir au statu quo non écrit ou subsidiairement, ils pourront adopter une version écrite et modifiée de ces règles.
Le président : Il reste une question.
La sénatrice Cools : Je tiens à remercier encore une fois Michael. Je vous remercie pour la générosité qui anime votre esprit et votre réflexion.
J'aimerais vous faire remarquer deux choses. Premièrement, les partis politiques ne sont pas des institutions semi- privées. Ce sont des clubs privés, on ne peut le nier. Un parti politique est une entité très particulière.
Jusqu'à tout récemment, les caucus n'avaient pas d'existence juridique, ce qui explique qu'il a toujours été difficile de les réglementer, parce qu'on pensait qu'ils étaient des sociétés secrètes. Ils sont secrets. Les débats, les discussions sont secrets.
Il y a toujours eu des domaines sensibles. Lorsqu'ils dépassent les bornes, lorsqu'ils vont au-delà de ce que j'appellerais une gestion raisonnable, alors cela fait problème, mais je voulais le mentionner.
Encore une fois, je voulais simplement faire remarquer que toutes les personnes qui travaillent au sein d'un caucus connaissent fort bien ces imperfections. L'époque où les chefs de parti étaient choisis parce qu'ils connaissaient l'histoire du Parlement, les lois du Parlement et même les principes fondamentaux de la gestion est bien révolue.
Nous nous retrouvons dans une situation, et je l'ai vue de nombreuses fois, où ce sont des novices qui dirigent des novices. Ce n'est pas une bonne chose. Le Parlement devait toujours fonctionner en suivant les précédents, et les parlementaires les plus anciens devaient encadrer les discussions, par exemple. Je suis certaine que vous savez que j'ai été membre du caucus libéral pendant 20 ans et que j'ai passé un temps très court dans votre caucus, mais il n'a pas été suffisamment court.
Je vous remercie.
Le président : Il n'y a pas de question. Voulez-vous répondre au commentaire au sujet de la mise en œuvre du projet de loi?
M. Chong : En 1993, est-ce que cela ne concernait pas la TPS? Non, très bien.
Le président : Il n'y a pas eu de chaos constitutionnel.
M. Chong : Je suis fermement convaincu que les choses ont changé. Comme on l'apprend dans le cours de science politique de base, de nouvelles conventions apparaissent lorsque les acteurs politiques du système se conforment à cette convention.
Je pense qu'au cours des 23 dernières années, nous avons véritablement établi une convention constitutionnelle. Je pense qu'il y aurait une crise si une loi d'exécution du budget, une loi fiscale ou une loi de crédits devait être rejetée par le Sénat. Je pense que les choses ont beaucoup changé.
La dernière remarque que j'aimerais faire est la suivante : en ce qui concerne toutes les questions que soulèvent les chefs de parti et les partis, il y a un aspect que je n'ai pas souligné à propos du projet de loi. Ce projet de loi renforce la convention qui exige que le chef ait la confiance de la Chambre des communes. La convention en matière de confiance existe uniquement à la Chambre des communes. C'est le mécanisme fondamental qui permet d'obliger les gouvernements à rendre des comptes à l'assemblée législative. Les gouvernements ne sont pas tenus responsables de la même façon au Sénat parce que la convention en matière de confiance n'existe pas au Sénat. En renforçant le mécanisme de reddition de comptes des chefs des partis de la Chambre des communes en le confiant aux caucus de la Chambre des communes, cela revient en fait et de façon indirecte à renforcer la convention en matière de confiance entre le premier ministre et l'ensemble de la Chambre.
Le président : Je vous remercie beaucoup pour le travail que vous avez effectué avec ce projet de loi. Je sais que vous avez travaillé très fort sur ce sujet ainsi que sur d'autres projets de loi. Merci d'avoir trouvé le temps de venir aujourd'hui. Je pense que nous aurions pu poursuivre encore longtemps cette discussion.
Je souhaite la bienvenue, par vidéoconférence, à M. Rae et à M. Cross au Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Nous n'avons pas beaucoup de temps et nous allons donc commencer immédiatement.
Je crois savoir que vous voulez commencer par présenter certains commentaires, monsieur Rae.
L'honorable Bob Rae, C.P., O.C., c.r., à titre personnel : Je serai très bref.
Tout d'abord, monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant vous. Je suis désolé de ne pas pouvoir me présenter en personne. Je l'aurai préféré, mais mon horaire ne me l'a pas permis.
Je voulais vous dire que c'est un sujet qui m'intéresse depuis très longtemps et que cela remonte à mes débuts comme député à la fin des années 1970 et au début des années 1980, à cette époque j'ai été le chef du Nouveau Parti démocratique en Ontario pendant près de 15 ans. Par la suite, bien sûr, j'ai été élu député et, ensuite, chef intérimaire du Parti libéral, au palier fédéral.
Je crois que le projet de M. Chong est un pas dans la bonne direction. Si l'on y pense bien, c'est un pas assez modeste, mais il a pour effet de centrer davantage le débat sur la façon dont nous pourrions continuer à faire une différence entre le Parlement et l'exécutif. On peut voir là une tentative de définir si vous voulez, le rôle du chef de parti dans le but de limiter le pouvoir de l'exécutif ou le pouvoir du chef, mais de le faire tout en respectant le plus possible les réalités politiques de l'époque.
À mon avis, le projet de loi ne va pas suffisamment loin. J'aurais aimé qu'il en dise davantage au sujet de l'élection des présidents des comités, sur la façon dont fonctionnent les comités de la Chambre, tout en accordant une plus grande indépendance aux députés pour ce qui est des votes relatifs aux projets de loi, de ce qui devrait être une question de confiance et de ce qui ne devrait pas en être une.
Cela dit, je pense qu'il faut toujours partir de ce qui existe. Je sais qu'il y a eu beaucoup de débats internes au Parti conservateur avant que le projet de loi de M. Chong soit finalement adopté par la Chambre des communes. C'est pourquoi je pense que les mesures proposées sont tout à fait modestes.
Franchement, si vous regardez ce qui se passe dans les parlements en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni, vous constaterez que nous sommes tous confrontés à ces problèmes et que nous essayons de renforcer les pouvoirs du simple député du Parlement, à reconnaître que le député a le droit d'avoir une voix indépendante et que la confiance du caucus est un élément essentiel pour que le chef d'un parti politique puisse agir de façon efficace.
Avec l'article 49 proposé, les partis peuvent, en un sens, adopter ces dispositions ou ne pas le faire. Cela permet à chacun des partis de décider si c'est bien la façon dont il veut se gouverner. Je ne pense pas que cela soit normatif, mais je constate néanmoins que ce projet de loi propose une certaine orientation.
[Français]
C'est un dossier qui m'intéresse depuis très longtemps. J'ai eu l'occasion de débattre de ce dossier en tant que député dans les années 1970 et 1980, à titre de chef du Nouveau Parti démocratique de l'Ontario, et plus tard à titre de député libéral et de chef intérimaire du Parti libéral. L'importante réforme de la Chambre des communes et des activités du caucus demeure un objectif démocratique qui concerne non seulement les députés de la Chambre, mais aussi tous les Canadiens. Il s'agit d'assurer la qualité de notre démocratie parlementaire.
[Traduction]
Je serais heureux de répondre aux questions, monsieur le président.
Le président : Merci, monsieur Rae.
Monsieur Cross.
William Cross, Département de science politique, Université Carleton, à titre personnel : Merci. J'aimerais commencer par remercier le Sénat de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. J'aimerais féliciter M. Chong pour avoir déclenché une discussion aussi importante au sujet de nos institutions démocratiques.
Pour des raisons de temps, je vais limiter mes remarques préliminaires aux questions du projet de loi qui traitent de la sélection des candidats, de la sélection et de la destitution des chefs. Ce sont là vraiment mes domaines d'expertise. J'écris sur ces questions à propos des partis canadiens, mais également sur une base comparative à propos des autres systèmes issus de Westminster, en particulier ceux de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Irlande et dans une certaine mesure du Royaume-Uni. Je serais donc heureux de répondre aux questions des membres du comité au sujet de ces exemples.
J'examine cette mesure avec ce qui me paraît être un sain scepticisme à l'égard de la réglementation par l'État de nos partis politiques et, en particulier, du processus décisionnel interne des partis politiques. Cela s'explique pour un certain nombre de raisons et je vais vous en mentionner rapidement deux.
La première est que cette notion de règle générale, qui laisse entendre qu'il existe une approche qui est meilleure que les autres, qu'il convient d'exposer et ensuite, d'imposer à tous les partis. Bien sûr, nos partis mettent l'accent sur des valeurs démocratiques différentes; ils reflètent des principes démocratiques différents auxquels ils attribuent des priorités différentes; et, bien sûr, ils se trouvent de temps en temps dans des contextes politiques très différents. Par exemple, le parti qui se choisit un chef alors qu'il est au pouvoir — ce qui revient en fait à choisir un nouveau premier ministre — est dans une situation fort différente du parti parlementaire qui se situe au quatrième ou cinquième rang avec un caucus de 12 députés et qui choisit un chef. Il n'est donc pas certain qu'il existe un ensemble de règles capables de préciser ce qu'il conviendrait de faire dans ces différents cas de figure.
Une deuxième préoccupation est ce que j'appellerais la thèse de la prise en main par l'État. Les partis politiques sont de plus en plus dépendants de l'État pour leur financement et ils sont déjà très réglementés par l'État, mais à un moment donné, on constate qu'il y a une limite à ne pas dépasser. La recherche indique qu'à un moment donné, les citoyens se détachent des partis qui sont trop réglementés et qui sont trop intégrés à l'État. Cela peut se traduire par une diminution de l'engagement envers les partis politiques et de la confiance de la population dans les partis.
Cela dit, il est clair qu'il est nécessaire que l'État réglemente nos partis. Ils jouent un rôle simplement trop important dans notre processus démocratique; ils sont trop privilégiés pour ce qui est des sommes qu'ils reçoivent des contribuables, à cause de la position privilégiée qu'ils occupent dans les campagnes électorales, en matière d'accès aux ondes des postes publics et d'accès au scrutin électoral pour que nous puissions dire qu'il faudrait les laisser comme ils sont, à savoir des organismes privés.
Le défi est donc d'en arriver à un équilibre approprié. À mon avis, je pense que la version actuelle de la loi instituant des réformes introduit un équilibre de ce genre. Je trouve que ce projet de loi est bien supérieur à sa version initiale, qui était beaucoup trop normative et prescriptive. Le projet de loi actuel l'est beaucoup moins et accorde une discrétion considérable aux partis politiques.
Pour ce qui est du choix des candidats, la proposition qui vous est présentée représente également une amélioration par rapport au droit actuel. Tant que nous mentionnerons l'affiliation politique sur les bulletins de vote, ce que nous faisons depuis plus de 40 ans au Canada, il faudra bien qu'un membre du parti désigne quel sera le candidat de ce parti dans chacune des circonscriptions électorales. Comme vous le savez, ce pouvoir est exercé à l'heure actuelle par le chef de parti. Ce que propose le projet de loi ne supprimerait pas forcément ce mécanisme; il obligerait simplement les partis à débattre de cette question et à prendre une décision au sujet de la personne à qui ils veulent confier ce pouvoir.
Ce n'est pas quelque chose de nouveau en politique canadienne, même depuis que les bulletins mentionnent l'affiliation politique. Je rappellerais aux sénateurs qu'au cours des années 1990, le Parti réformiste a pratiquement retiré ce pouvoir au chef, conformément aux statuts du parti, et l'a confié à son conseil exécutif. Ce n'était pas une décision nécessairement juridiquement contraignante, mais c'était la pratique du parti telle qu'elle était exposée dans ces statuts.
Je pense que si ce projet de loi est adopté, les partis vont expérimenter quelque peu et adopter des approches différentes. Cette possibilité me paraît, par nature, très saine.
Pour ma dernière remarque, lorsqu'il s'agit du choix des candidats, il y a beaucoup de fausses informations qui sont diffusées; en effet, les partisans du projet de loi répètent à l'envi que la situation canadienne est beaucoup plus centralisée que celle que l'on retrouve dans les autres systèmes inspirés de Westminster. Empiriquement, ce n'est pas vrai dans des exemples comme la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Irlande. Je serais heureux de parler de cet aspect si cela intéresse des sénateurs.
Pour ce qui est de la proposition concernant le choix et la destitution du chef — et je dirais que le projet de loi qui vous est soumis touche aussi bien sa sélection que sa destitution —, je dirais encore une fois que cela constitue une amélioration notable par rapport à la proposition initiale puisqu'elle n'est pas obligatoire et ne lie pas les partis politiques.
J'entretiens toutefois certaines préoccupations au sujet de cette partie du projet de loi, en particulier parce qu'elle donne le pouvoir, par une loi, au caucus de la Chambre des communes de destituer le chef si le parti le souhaite. Ce n'est pas conforme à la tradition de Westminster dans laquelle les lois sont habituellement muettes sur cette question ou cette décision est prise par un parti extraparlementaire. Il est vrai qu'à l'heure actuelle, dans la plupart des partis des parlements issus de Westminster, ce pouvoir est accordé au caucus parlementaire; cet organisme a le pouvoir de destituer le chef s'il le souhaite, mais ce pouvoir ne provient pas d'une loi.
Je ne pense pas que cela constitue un obstacle insurmontable pour le projet de loi actuel pour deux raisons. Premièrement, je dirais très franchement que les partis extraparlementaires ne vont pas renoncer facilement à leurs droits dans ce domaine, parce qu'ils ont beaucoup lutté pour les obtenir. Nous pouvons penser à la destitution de M. Diefenbaker comme étant la première fois où un parti extraparlementaire a réussi à destituer un chef de parti. Peu après cet événement, les partis extraparlementaires se sont accordé ce droit dans leurs statuts.
Je pense qu'en adoptant des résolutions au cours d'un congrès, ils vont préciser à leur caucus parlementaire comment il devra voter et lui dire s'il y a lieu d'adopter les règles qui se trouvent dans le projet de loi de M. Chong. Bien sûr, cela ne sera pas contraignant, mais je pense que c'est la direction qu'ils choisiront.
Deuxièmement, rien dans le projet de loi n'empêche un parti extraparlementaire de continuer d'avoir le pouvoir de destituer son chef. Nous pourrions en arriver à une situation où le caucus parlementaire et le parti extraparlementaire, de façon indépendante, auraient le droit de destituer leur chef. Je conclurai en disant qu'un tel mécanisme n'est pas sans précédent; les libéraux-démocrates ont adopté cette approche au Royaume-Uni.
Le président : Merci, monsieur Cross.
Nous allons commencer les questions avec la sénatrice Fraser.
La sénatrice Fraser : Merci à vous deux, monsieur Rae et monsieur Cross.
J'aimerais vous poser à tous les deux une question fondamentale : est-ce que 20 p. 100 est un pourcentage qui vous paraît trop faible? Il me semble qu'en particulier, lorsqu'il y a une controverse, 20 p. 100 serait un seuil qui serait très facile à obtenir, du moins temporairement, mais « temporairement », suffit. Je crains qu'avec un seuil aussi peu élevé que 20 p. 100 des députés d'un caucus donné, on puisse déstabiliser une direction qui, après réflexion, n'aurait pas dû l'être.
Est-ce que je m'inquiète trop? Qu'en pensez-vous?
M. Rae : Tout d'abord, il est important de souligner qu'avec le projet de loi sous sa forme actuelle, les partis sont tout à fait capables d'adopter leurs propres règles, comme cela a été mentionné, et qu'elles pourraient remplacer ce que propose ce projet de loi, dans un sens.
Deuxièmement, si je me base sur mon expérience puisque j'ai été à la tête de deux caucus différents dans deux assemblées législatives différentes, c'est que, dans la réalité concrète de la vie politique, si le chef n'a pas l'appui de son caucus, il ne peut pas fonctionner. C'est tout simplement une réalité concrète. Le travail d'un chef politique au Canada est tellement associé à la vie parlementaire, aux négociations qui se font au Parlement que le chef qui perd l'appui de ses collègues est fini.
Tout ce que fait ce seuil de 20 p. 100, si c'est bien le seuil qui est choisi par un parti, est de déclencher un examen qui s'effectue au sein du caucus. À ce moment-là, il faut obtenir 50 p. 100 des voix pour réussir.
Je ne sais pas si cela est vraiment important. Si j'avais été incapable d'obtenir l'appui de plus de la moitié de mon caucus pour que je continue comme chef, je ne serais pas resté à ce poste. C'est un simple fait; c'est ce qui se produit.
Nous pouvons maintenant imaginer une situation dans laquelle 20 p. 100 des caucus diraient : « Nous allons essayer d'expulser ce gars. » Je suppose que l'on peut l'imaginer, mais en pratique, le résultat est que chaque parti va décider quel sera le processus à suivre pour vérifier si les députés ont confiance dans leur chef.
M. Cross a également soulevé une question : que se passe-t-il si un parti politique disait : « Voici nos règles, ce ne sont pas les règles exposées dans la loi et nous avons le droit de les remplacer par nos propres règles »? C'est un débat qui se fera à l'interne, au sein du parti politique concerné.
À mon avis, l'aspect essentiel de ce projet de loi est qu'il essaie de réaffirmer, dans le contexte de tous les changements qui se produisent, le pouvoir des circonscriptions de comté, les droits des députés pris individuellement et le droit du caucus d'avoir son mot à dire sur la performance de la direction du parti. Il pourrait se poser une question pratique de la façon suivante : supposons qu'il y ait un examen de la direction au sein d'un caucus. La majorité du caucus déclare : « Nous n'avons plus confiance dans le chef. » À ce moment-là, le parti devrait faire quelque chose. Il ne pourrait tout simplement pas se contenter d'imposer un chef au caucus.
Comme je l'ai dit, je suis quelqu'un qui pense que, lorsqu'on dirige un parti politique, il faut également diriger ce parti à la Chambre des communes. C'est de cette façon que l'on mérite sa légitimité et son pouvoir de chef. Si vous n'êtes pas capable d'obtenir l'appui de votre caucus, vous ne pouvez pas vous attendre à rester longtemps le chef.
Le président : Merci, monsieur Rae.
Monsieur Cross, voulez-vous répondre à cette même question?
M. Cross : On peut concevoir la règle du 20 p. 100 différemment selon la taille du caucus et aussi selon le nombre de députés que cela pourrait concerner. Cela touche la question de la généralité des règles. Comme M. Rae et M. Chong l'ont tous deux fait remarquer, les partis auraient toute la liberté de modifier ces règles s'ils le souhaitaient.
Pour ce qui est de l'effet du projet de loi sur la contestation du chef, je dirais simplement deux choses. Premièrement, les députés prennent un grand risque lorsqu'ils contestent leur chef, de sorte qu'ils sont souvent réticents à le faire dans d'autres systèmes dans lesquels les caucus peuvent contester le chef à moins qu'ils pensent vraiment qu'ils sont suffisamment nombreux pour l'emporter, parce que ce genre de chose entraîne toujours un coût personnel. Deuxièmement, dans d'autres systèmes, il y a beaucoup de partis qui limitent le nombre de fois que l'on peut contester le chef. Ainsi, si un chef est contesté et qu'il survit à cette contestation, il ne peut pas être contesté pendant les 12 mois suivants, par une autre résolution du caucus.
La sénatrice Fraser : À titre d'observation supplémentaire, lorsque vous dites que les partis peuvent modifier les règles, ils pourraient s'arranger pour que leurs caucus rejettent le projet de loi de M. Chong et décider ensuite d'élaborer leurs propres règles, ce qu'ils peuvent de toute façon faire s'ils le souhaitent.
M. Cross : Exact.
M. Rae : C'est exact. Le projet de loi est, si vous voulez, une suggestion ou une protection parce qu'il énonce que, si le caucus ne peut pas s'entendre pour adopter un ensemble de règles claires, alors c'est ce qui se passera.
Je reviens à ma remarque : cet aspect, si l'on prend un peu de recul, n'est pas la question centrale. La question centrale est de savoir comment renforcer l'indépendance des députés, leur capacité d'élire le président d'un comité et leur capacité d'obtenir une certaine indépendance par rapport à la direction du parti.
Lorsque je pense à la façon dont le Parlement du Royaume-Uni fonctionne — et j'en sais pas mal à ce sujet, parce que ça fait pas mal de temps que je l'étudie —, on constate que les députés sont beaucoup plus indépendants et que les caucus sont davantage en mesure de dire à l'exécutif du parti : « Non, ce n'est pas ce que nous pensons. » Je pense à toutes sortes de choses que nous devrions faire pour favoriser la liberté du vote, ce qui ferait une grande différence et renforcerait l'aspect démocratique de la Chambre.
Le sénateur Wells : Monsieur Rae, vous avez dit que chaque parti décidera des règles à appliquer au chef. M. Cross a déclaré que les partis seraient libres de changer ces règles, en particulier avec ce projet de loi. Il est possible de voter, je pense, dans les sept jours d'une élection générale. M. Chong a même déclaré que cela était facultatif.
Si cela est facultatif, si les partis ou les caucus peuvent décider eux-mêmes d'accepter ces règles, et s'il n'y a pas de sanction au cas d'inobservation, comme vous l'avez peut-être entendu il y a un instant dans la question que j'ai posée à M. Chong, si les partis choisissaient leurs propres règles, qu'elles soient facultatives et qu'ils soient libres de les modifier, est-il vraiment nécessaire de codifier cela dans une loi canadienne? N'est-ce pas ce que nous faisons déjà et faisons depuis des années, de façon très efficace, avec la structure de nos partis?
M. Rae : Je pense que, si les députés avaient une entière confiance dans la façon dont ils étaient traités par la direction de leur parti, je pense que ce projet de loi n'aurait jamais vu le jour. Mais je pense qu'il traite d'un problème plus vaste, et c'est la raison pour laquelle il a été présenté. Le problème vient du fait qu'il y a un grand nombre de députés qui estiment, d'après ce que j'ai pu observer — il y a beaucoup d'études sur cette question — qu'ils contrôlent mal leur vie et les jeux politiques qui se déroulent près d'eux et qu'ils vivent davantage au jour le jour qu'ils ne le souhaiteraient. C'est la raison pour laquelle je pense que la Chambre des communes a adopté ce projet de loi et pour laquelle des députés de tous les partis politiques ont appuyé l'initiative de M. Chong.
Je crois que vous avez raison lorsque vous signalez la disposition qui se trouve au projet d'article 49 du projet de loi, qui énonce que les partis peuvent substituer leurs propres règles à celles que contient cette loi, s'ils le souhaitent. Je pense que c'est sans doute le prix à payer pour que M. Chong fasse accepter ce projet de loi, et je ne pense pas que ce soit la fin du monde.
Je crois que ce projet de loi a déjà lancé un débat, ce qui est une très bonne chose. Il a amené les partis à reconnaître que quelle que soit leur attitude à l'égard du pouvoir que détient leur exécutif, de celui du chef, par rapport aux députés, au reste du parti et au caucus, il semble que ces choses devraient être codifiées. C'est parce que les chefs doivent savoir que leur pouvoir est limité, et c'est la simple réalité. Vous vous souvenez peut-être, et d'autres s'en souviennent peut-être également, que si on examine les livres d'histoire, on constate qu'il y a eu des débats célèbres au Parlement britannique à la fin du XVIIIe siècle, au sujet d'une simple résolution disant que le pouvoir de l'exécutif était trop puissant et qu'il devait être réduit. Ce débat ne s'est pas poursuivi depuis cette époque.
Le sénateur Wells : Je souhaite simplement que la Loi de l'impôt sur le revenu permette ce genre de choix.
M. Rae : Je pense que nous ressentons tous la même chose à ce moment de l'année, n'est-ce pas sénateur?
M. Cross : J'aimerais faire deux remarques pour répondre à cette question. La première est que les dispositions relatives au choix des candidats ne sont pas simplement facultatives. Cette partie est impérative de sorte que le parti concerné devrait nommer quelqu'un, peut-être le chef, pour le charger de cette fonction. Les partis pourraient conserver le statu quo ou non.
Pour ce qui est des dispositions relatives au choix et la destitution de la direction du parti, je pense que c'est principalement là une suggestion. Le projet de loi propose que les partis agissent de cette façon, ils seront obligés d'examiner ces questions et de tenir un vote au sein du caucus parlementaire pour décider s'ils veulent agir de cette façon.
Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que nos partis politiques sont à l'avant-garde des partis politiques du monde entier pour ce qui est de modifier, amender et changer la façon dont nous procédons à la sélection et à la destitution des membres de la direction d'un parti. Les libéraux ont adopté des résolutions en 1919, des dizaines d'années avant que les autres régimes parlementaires le fassent, et ils ont démocratisé et élargi la procédure suivie pour choisir leurs chefs. Les règles ont été modifiées, comme vous le savez, de nombreuses fois. De sorte que les partis extraparlementaires ont été réceptifs à ces changements, si je peux m'exprimer ainsi, et qu'ils ont accepté de modifier ces règles et ont été capables de le faire.
Je crois que M. Rae a raison lorsqu'il dit qu'il s'agit essentiellement de donner davantage de pouvoir aux députés, de leur attribuer, de façon plus explicite, un certain pouvoir, notamment de surveillance, sur leur chef et obliger le parti à débattre de la question de savoir s'il est souhaitable ou non d'adopter telle ou cette suggestion.
La sénatrice Batters : Je vous remercie tous les deux d'être venus.
Premièrement, monsieur Cross, pourriez-vous commencer par nous dire brièvement quelle est votre formation? Je crois savoir que vous êtes professeur au Département de science politique de l'Université Carleton.
Pourriez-vous nous expliquer davantage votre opinion selon laquelle le pouvoir de destituer un chef parlementaire qu'accorde ce projet de loi n'est pas conforme à la tradition de Westminster?
M. Cross : J'ai été avocat aux États-Unis et conseiller auprès du Comité national démocrate pendant des années, de sorte que j'ai une certaine expérience du fonctionnement des partis politiques. Je suis ensuite retourné aux études et obtenu un doctorat en science politique et, depuis cette époque, j'ai beaucoup écrit sur la question de la sélection et de la destitution des membres de la direction des partis et sur la sélection des candidats. J'ai publié de nombreux livres sur ce sujet, tout récemment avec la Oxford University Press.
Pour ce qui est de votre question au sujet d'une disposition légale applicable à ces domaines, dans le système issu de Westminster, la seule chose qui me paraît ressembler à une obligation légale se retrouve en Nouvelle-Zélande, où les candidats à la Chambre des communes doivent être nommés selon un processus « démocratique ». Cette règle a été adoptée lorsque le pays a modifié son système électoral pour passer à un système mixte proportionnel et au moment où les gens craignaient que la liste des députés soit choisie de façon assez secrète. Vous vous souvenez peut-être que nous avons eu ce débat au Canada lorsque nous avons envisagé d'avoir des listes de partis fermées ainsi que de procéder à une réforme électorale.
Il n'y a pas d'autres pays où il existe une réglementation qui dicte la façon dont, dans les systèmes issus de Westminster, les candidats ou les chefs doivent être choisis. Cela est laissé à la discrétion des partis parlementaires.
La sénatrice Batters : Monsieur Rae, en tant qu'ancien chef de parti, je suis sûre que vous savez bien que l'on craint parfois l'intervention de clowns parmi les membres de son propre caucus. Dans certains cas, cela veut dire faire connaître des points de vue qui vont à l'encontre des valeurs du parti et même, parfois, à l'encontre de celles de la majeure partie de l'électorat. Si les chefs n'ont plus le pouvoir de signer les documents de nomination ou d'expulser des députés du caucus, comment pensez-vous qu'il pourrait faire respecter la discipline de parti?
M. Rae : J'aime bien votre question.
À mon avis, sénatrice, je dirais que c'est toujours une question d'équilibre. Selon moi, l'équilibre a été rompu puisque désormais le chef peut tout simplement désigner un député et l'expulser du caucus. En désignant un député, le chef peut lui dire : « Vous ne serez pas nommé candidat. » Cela ne décrit pas uniquement ce qui se passe dans un seul parti; c'est vrai pour tous les problèmes politiques.
Cela fait problème. Je pense que cela va trop loin. Je suis quelqu'un qui pense qu'il arrive que les membres d'un caucus aient des points de vue différents. Je peux vous dire, sénatrice, que j'ai connu cela aussi bien au palier fédéral qu'au provincial et je n'ai pas toujours aimé ce genre de chose, loin de là.
Je pense qu'il incombe à un chef de gouvernement de faire en sorte que les membres de son cabinet appuient les mesures que prend le cabinet. Je crois à la solidarité ministérielle. Cela me paraît être un principe important. Il n'est pas bon que les membres d'un caucus n'aillent pas dans la même direction.
Au sein des caucus élargis, je dirais qu'il serait bon de leur laisser une certaine latitude. S'il y a des gens qui votent contre le whip, ils doivent en accepter les conséquences.
Je pense que le projet de loi essaie tout simplement de dire qu'il ne faudrait pas confier au seul chef de parti le pouvoir d'expulser, de façon définitive, les députés. Ce devrait être une décision collective. Cela devrait être une décision démocratique et chaque membre devrait savoir où il se tient.
Croyez-moi, la discipline de parti est une excellente chose, mais la discipline de parti est quelque chose qu'un chef doit gagner. Je ne pense pas que l'on puisse l'exercer en expulsant tout simplement certaines personnes d'un caucus. Mon point de vue a toujours été un peu différent de celui-là. En fin de compte, si un caucus décide qu'il faut prendre une telle mesure, que ce soit lui qui prenne cette décision; elle ne devrait pas appartenir uniquement au chef.
La sénatrice Frum : Monsieur Cross, vous avez proposé d'en dire davantage sur l'idée qu'au Canada, le pouvoir exécutif n'est pas plus centralisé que dans les autres régimes issus de Westminster. Pourriez-vous en dire davantage?
M. Cross : Bien sûr. J'ai fait cette remarque au sujet de la sélection des candidats. En fait, si nous examinons ce que font les autres partis à Westminster, nous constatons que la direction du parti joue souvent un rôle plus important qu'ici dans la sélection des candidats locaux qui vont se présenter aux élections.
Par exemple, le Parti travailliste d'Helen Clark en Nouvelle-Zélande a souvent été au pouvoir et les candidats au niveau local sont choisis par un comité de « sélection » qui comprend six ou sept membres, selon le nombre de membres de l'association locale. Trois de ces six personnes représentent l'exécutif national, ce qu'ils appellent le New Zealand Council, et les trois autres représentent l'association locale. Si l'association locale est le moindrement divisée, alors c'est la direction qui contrôle le choix des candidats.
En Australie, il y a une certaine décentralisation dans le sens que les partis dans les États établissent les règles pour ce qu'ils appellent la présélection, les mises en candidature pour la Chambre des représentants fédérale. L'approche la plus courante consiste à partager le pouvoir de voter; par exemple, le conseil de l'État pourrait avoir 50 p. 100 du vote et le vote des membres locaux représenterait 50 p. 100.
En Irlande, il y a des districts où il y a de trois à cinq membres. La direction du parti décide combien de candidats les membres locaux peuvent nommer. À cause de leur système électoral, ce sont des décisions stratégiques. Il ne faut pas trop nommer de candidats à cause de leur scrutin préférentiel. C'est une décision qui est prise par la direction du parti. Celle-ci donne également des directives aux membres locaux comme « Vous devez proposer des personnes issues de divers groupes au sein de l'électorat », encore une fois, pour optimiser le transfert des votes. C'est un peu compliqué. Mais ils vont parfois réserver un siège, garder un candidat en réserve, de sorte que la direction peut également nommer un candidat si elle le souhaite.
Tous ces partis et tous ces systèmes ont quelque chose de semblable à ce que l'on a finalement appelé au Canada le processus « feu rouge/feu vert » dans lequel les candidats sont approuvés par la direction et doivent obtenir son autorisation avant d'être choisis. Il y a aussi ce qu'on appelle en Australie les choix du capitaine, qui permettent aux chefs de nommer de temps en temps des candidats, selon un mécanisme semblable à celui qui est utilisé au Canada.
Je voulais corriger ce qui me paraît être une mauvaise impression, parce que nous entendons souvent dire que dans les autres pays, ce choix est réservé aux membres locaux et que nous constituons en quelque sorte une anomalie sur ce point.
La sénatrice Cools : Monsieur Cross, je vous souhaite la bienvenue ici et j'aimerais vous dire que j'apprécie que vous soyez venu ce matin.
C'est un aspect intéressant. Les présidents américains envient les pouvoirs que détiennent les premiers ministres. En fait, il n'y a aucune autre entité qui possède les pouvoirs absolus d'un premier ministre — il fixe la date des élections et le reste. Sur ce point... et Bob Rae. Bonjour, Bob. C'est la sénatrice Cools qui parle.
M. Rae : Sénatrice, comment allez-vous?
La sénatrice Cools : Je vais très bien. Contente de vous voir.
De toute façon, l'idée de « renforcer les pouvoirs des députés » revient constamment dans ce débat. Le deuxième aspect qui revient également constamment, et je crois que vous en avez parlé, monsieur Cross, était que la contestation d'un chef comporte un coût. J'aimerais que vous m'en disiez davantage au sujet des coûts que peut entraîner pour les députés le fait de contester leur chef. Grosses contestations, petites contestations? Quel genre de contestations? Il y a des gens qui en ont un ego tellement fragile qu'une simple question est pour eux une contestation. J'aimerais en entendre davantage à ce sujet.
Dans le domaine dont vous parlez, lorsque nous essayons de réglementer — et nous devons éviter de trop réglementer les choses qui sont difficiles de toute façon à réglementer —, qu'est-il arrivé au chef qui dirigeait son parti par la force de ses principes moraux ou par la force de son intelligence, la force de ses arguments et la force de la persuasion pour ce qui est des relations avec les députés? Qu'en reste-t-il? Mackenzie King était un maître dans ce domaine. Mulroney a perdu l'appui du pays, mais il n'a jamais perdu l'appui de son caucus. Je peux vous le dire. Cela ne lui est jamais arrivé. Qu'est-il arrivé à ces qualités nécessaires ou caractéristiques d'un chef? Pouvez-vous me dire ce qu'il leur est arrivé?
M. Rae : Vous adressez-vous à moi, sénatrice, ou à M. Cross?
La sénatrice Cools : Aux deux ou à l'un d'entre vous.
M. Rae : Pour vous répondre brièvement, je dirais que vous avez tout à fait raison; il n'est pas possible d'imposer un style de leadership. La clé d'un leadership démocratique est la capacité de transmettre une vision et de convaincre les autres de sa valeur. Je pense que M. Cross a remarqué que, dans toute situation politique, ceux qui essaient de mener une révolte deviennent des chefs qui réussissent et s'ils échouent, ils sont envoyés en enfer.
Dans un contexte démocratique, la persuasion est tout. Encore une fois, M. Cross l'a bien signalé. Dans le système du Royaume-Uni, et dans de nombreux autres systèmes, le chef réussit à convaincre une association de circonscription ou à encourager la direction d'une circonscription d'accepter quelqu'un comme candidat parce que c'est la personne que le chef voudrait voir choisie. Dans toute situation saine, le chef devrait disposer d'une certaine latitude pour exercer ce pouvoir et convaincre les personnes concernées.
Je ne vois rien dans ce projet de loi qui empêche ce genre de choses de se produire. En fait, c'est tout le contraire, je crois que c'est exactement ce qui va continuer à se produire. Vous ne pouvez pas changer la réalité concrète, à savoir que le chef peut avoir certaines idées sur les personnes qu'il aimerait voir faire partie de son équipe. C'est la politique. On ne peut pas exclure la politique en adoptant un projet de loi.
Ce que l'on peut faire par contre, à mon avis, c'est que oui, ces choses arrivent, mais il serait bon qu'elles arrivent à l'intérieur d'un cadre de règles. Il est important de ne pas oublier que c'est finalement l'association de la circonscription qui choisit le candidat. En fin de compte, le député représente sa circonscription, il a une relation avec la circonscription qui est associée à une certaine intégrité qui va au-delà de la simple affiliation partisane.
J'ai été élu 11 fois. J'ai représenté des électeurs aux paliers fédéral et provincial pour divers partis politiques. Il est toujours important de comprendre la relation qui existe entre un député et sa circonscription. Il est important de savoir que les députés ne sont pas juste des pions dans un jeu. Ce ne sont pas de simples numéros que l'on peut accrocher au mur et dire : « Maintenant, j'ai une majorité. » C'est toujours un exercice de persuasion.
M. Cross : J'ajouterais simplement que je crois que vous avez raison au sujet du pouvoir relatif d'un premier ministre par rapport à celui d'un président. Je crois que cela découle principalement de la fusion du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif dans notre régime parlementaire.
Pour ce qui est des styles de leadership, je pense qu'il est très important de ne pas oublier que les règles n'imposent pas toujours des comportements. M. Mulroney s'est trouvé dans un système dans lequel son caucus n'avait pas le pouvoir officiel de le destituer. Et pourtant, comme tout bon chef, et je crois que M. Rae serait d'accord avec moi, il a toujours recherché et continué à rechercher un appui massif auprès de son caucus.
Un autre exemple serait M. Rudd en Australie, dans un système où il pouvait être destitué de son poste de chef; il a été effectivement destitué par son caucus et il avait la réputation, d'après certains, d'être arrogant et méprisant envers les membres de son caucus. Cela veut dire que les règles inciteraient peut-être les gens à se conduire différemment qu'ils l'avaient fait.
M. Rae : Sénatrice, je suis sûr que vous connaissez l'histoire de M. Douglas lorsqu'il était le premier ministre de la Saskatchewan. Il est allé à son bureau et dans la salle d'attente, il y avait le roi de Siam, de Thaïlande, et un simple député de son caucus. En traversant le bureau de réception, il a dit au député : « Venez avez moi. » Il a fait un signe au roi et il lui a dit : « Majesté, je dois voir quelqu'un de très important et je pourrai ensuite passer un peu de temps avec vous. » Je crois que M. Douglas comprenait ce que cela voulait dire d'être chef d'un caucus.
La sénatrice Cools : Oui, et je crois que les bons chefs doivent comprendre leur rôle et ce qu'il faut faire pour l'exercer correctement et être prêt à faire ce genre de choses.
Le sénateur McIntyre : Merci à tous, pour vos exposés.
Monsieur Cross, nous avons beaucoup parlé de l'expression « groupe parlementaire » (caucus) cette dernière heure. Si j'ai bien compris, le terme « groupe parlementaire » n'est défini dans aucune loi fédérale. On peut trouver une définition de « caucus national » dans les règlements applicables aux députés adoptés par le Bureau de régie interne de la Chambre des communes, dans le Règlement de la Chambre des communes, dans le glossaire de procédure parlementaire contenu dans le document La procédure et les usages de la Chambre des communes, mais, à toutes fins pratiques, et corrigez-moi si je me trompe, la notion de « groupe parlementaire » n'est définie dans aucune loi fédérale. Une modification à la Loi sur le Parlement du Canada va apporter, pour la première fois, une définition légale de « groupe parlementaire », pour désigner un caucus de la Chambre des communes, où par définition les sénateurs ne seraient pas inclus. Ai-je bien raison de dire qu'il n'y a aucune loi fédérale où l'on puisse trouver une définition de l'expression « groupe parlementaire »?
M. Cross : Sénateur, je pense que c'est exact et, en particulier, si l'on parle d'un groupe parlementaire de la Chambre des communes.
Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, je vais remercier M. Cross et l'honorable Bob Rae pour avoir trouvé le temps de nous parler. Cela a été fort utile.
Notre prochaine réunion aura lieu mardi prochain, le 2 juin, à 9 h 30; nous distribuerons la liste des témoins dans les jours qui viennent. Je vous remercie.
(La séance est levée.)