Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 4 - Témoignages du 3 mars 2014
OTTAWA, le lundi 3 mars 2014
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 h 1, pour étudier la situation des relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense, notamment ses relations avec les États-Unis, l'OTAN et NORAD (sujet : défense antimissile balistique), ainsi que l'ébauche d'un budget.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui suivent cette audience, notamment à CPAC. C'est la réunion du lundi 3 mars 2014 du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.
Avant d'accueillir le témoin, je vous présente les personnes présentes. Je m'appelle Dan Lang et je suis le sénateur du Yukon. À ma gauche se trouve la greffière du comité, Josée Thérien, et à ma droite, les analystes de la Bibliothèque du Parlement qui sont assignés au comité, Holly Porteous et Wolfgang Koerner. Faisons un tour de table afin de permettre aux sénateurs de se présenter en indiquant la région qu'ils représentent. Commençons par le vice-président du comité, le sénateur Dallaire.
Le sénateur Dallaire : Je tiens à mentionner que c'est une excellente idée de commencer nos séances de cette façon. Je m'efforcerai de faire la même chose à mon comité.
[Français]
Je suis le sénateur Roméo Dallaire et je représente le Golfe du Saint-Laurent, Québec.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, Alberta.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, district de Victoria, Québec.
[Traduction]
Le sénateur Day : Joseph Day, Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Segal : Hugh Segal, de Kingston-Frontenac-Leeds, en Ontario.
Le sénateur White : Vern White, Ontario.
Le sénateur Wells : David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador.
Le président : Bienvenue. Je signale au comité la présence d'un groupe de stagiaires de l'Association parlementaire du Commonwealth. Ils sont originaires de l'Ouganda, du Lesotho, de la Zambie et de la Tanzanie. Je leur souhaite tout particulièrement la bienvenue.
Des voix : Bravo!
Le président : Conformément au mandat qu'a adopté le Sénat le 12 décembre 2013, nous poursuivons notre étude de la défense antimissile balistique. Comme on l'a entendu au cours de notre dernière séance, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense passe en revue les politiques du Canada en matière de défense antimissile balistique et la décision actuelle de ne pas adhérer au programme qu'ont proposé les États-Unis, il y a 10 ans, afin de préserver leur zone continentale des attaques de missile.
L'étude a pour objet d'analyser les principes en cause et la décision du Canada de ne pas adhérer à ce programme dans le but de déterminer si la situation n'aurait pas changé depuis, étant donné les changements apportés au programme depuis 10 ans et les nouvelles menaces de plus en plus complexes que font planer la Corée du Nord, l'Iran et, peut-être, le Pakistan, un pays instable qui construit 10 armes nucléaires par année et qui envisage de concevoir un missile balistique intercontinental, sans oublier les éventuels acteurs non étatiques.
Nous sommes ravis d'accueillir, dans un premier temps, Dean Wilkening. Il est physicien au Laboratoire national Lawrence-Livermore et coauteur du rapport Making Sense of Ballistic Missile Defense, qui fait sensation auprès de quiconque s'intéresse à la défense antimissile balistique. Nous avons hâte d'écouter votre témoignage et de connaître votre analyse de la situation actuelle et de ce qu'il faudrait faire, d'autant plus que le Canada reste en marge du dialogue puisque le gouvernement a choisi d'appuyer la défense antimissile balistique en Europe et aux États-Unis, mais pas sur son territoire.
Je crois comprendre que vous avez préparé une déclaration. Nous disposons d'une heure environ pour votre témoignage. À vous la parole.
Dean Wilkening, physicien au Laboratoire national Lawrence-Livermore, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. Je vous remercie, de même que le comité, de m'avoir invité à m'exprimer devant votre auguste institution. Je dois préciser que je témoigne à titre personnel. De toute évidence, je ne représente pas le gouvernement des États-Unis. Je ne représente pas non plus le Laboratoire national Lawrence-Livermore. Je suis plutôt ici en tant que coauteur de l'étude de l'académie nationale que le sénateur Lang vient de mentionner.
Laissez-moi vous expliquer brièvement en quoi consistait l'étude que le Congrès nous a mandatés de mener. Le Congrès a demandé à l'Académie nationale de génie de procéder à une analyse. À l'origine, elle devait surtout porter sur les options de défense antimissile en phase de propulsion, c'est-à-dire celles qui consistent à abattre les missiles balistiques pendant que leurs moteurs-fusées sont allumés plutôt qu'aux étapes subséquentes de leur vol. Toutefois, le comité a quelque peu modifié cet objectif : nous avons analysé les interventions en phase de propulsion, mais nous les avons aussi comparées à d'autres possibilités, surtout pour la défense à mi-parcours, autrement dit abattre les ogives en plein vol, dans l'espace orbital. En effet, à l'heure actuelle, les États-Unis utilisent presque exclusivement des systèmes de défense antimissile balistique à mi-parcours. Dans l'ensemble, nous avons donc comparé les options en phase de propulsion à l'éventail actuel d'options de défense à grande échelle.
Le comité ne perçoit aucune évolution des menaces. On peut débattre de la vitesse où les choses changent, mais, de toute évidence, les pays tels que la Corée du Nord, voire, prochainement, l'Iran, suscitent de lourdes inquiétudes. Ces deux États cherchent à se doter de missiles balistiques à portée de plus en plus longue. En outre, comme on le sait, la Corée du Nord a fait l'essai d'explosifs nucléaires et semble chercher soit à développer son arsenal, soit à concevoir des armes déployées par missile balistique. Les États tels que ceux-là représentent une menace croissante, mais à quelle vitesse croît-elle?
Essentiellement, le comité a été d'avis que la défense antimissile constitue une mission stratégique légitime et pertinente pour les États-Unis. Nous avons conclu que la technologie est à portée de main, surtout pour réagir à la menace émanant de la Corée du Nord et de pays comme l'Iran ou les autres pays que le sénateur a mentionnés. Le système n'est pas conçu contre la Russie ni la Chine. Les États-Unis se concentrent sur un système de défense antimissile très ciblé, mais vraisemblablement adéquat pour se défendre contre un petit nombre — une poignée, voire quelques dizaines — d'ogives de missile balistique lancées par un pays comme la Corée du Nord.
Nous avons commencé par comparer les options en phase de propulsion à celles à mi-parcours. De l'avis du comité, la défense antimissile en phase de propulsion n'est pas très prometteuse, surtout parce que la durée de cette phase est très courte pour un missile balistique — de l'ordre de une à cinq minutes, cinq minutes pour les missiles balistiques intercontinentaux —, ce qui laisse très peu de temps pour détecter le lancement du missile, suivre sa trajectoire, puis l'intercepter, que ce soit au moyen d'un intercepteur ou, comme certains le proposent, d'un laser. Or, aussi bien pour un intercepteur que pour un laser, il faut être très proche du missile balistique pour espérer l'intercepter; il faut donc aménager une plateforme défensive en territoire ennemi ou à proximité, ce qui rend sa survie incertaine. Tout dépend de l'environnement de défense de ce pays.
Au moins à court terme, nous n'avons pas perçu d'option viable qui présenterait un meilleur rapport coût-efficacité que les options à mi-parcours. Pour défendre un aussi vaste territoire que celui des États-Unis ou de l'Amérique du Nord, il faut donc forcément s'en tenir aux options de défense à mi-parcours. Un missile balistique intercontinental lancé en Corée du Nord mettrait 30 ou 35 minutes à atteindre l'Amérique du Nord. La phase à mi-parcours est d'au moins 25 minutes, ce qui laisse beaucoup de temps pour suivre la trajectoire de la menace et envoyer des intercepteurs. Un ou deux sites suffisent donc pour assurer la défense d'un très grand territoire.
L'un des problèmes que j'ai évoqués concerne la courte distance d'engagement qu'implique la défense en phase de propulsion. L'autre problème, c'est que même si le missile balistique est abattu, son ogive peut demeurer amorcée. Même si le missile est abattu avant d'atteindre la cible prévue, il peut rester une ogive amorcée et donc susceptible d'exploser. C'est un autre problème par rapport aux options en phase de propulsion.
Le comité s'est ensuite intéressé à la défense à mi-parcours, pour la défense aussi bien régionale qu'en Extrême-Orient et en Europe où, comme vous le savez, les États-Unis font beaucoup de développement et déploient beaucoup de forces. Les États-Unis ont adopté l'approche adaptative phasée pour l'Europe afin d'assurer une défense antimissile régionale en territoire européen. Nous avons déjà lancé la première phase, qui repose sur l'interception au moyen de missiles Standard 3 lancés depuis des croiseurs Aegis, qui sont actuellement déployés dans la mer Méditerranée. La deuxième et la troisième phases consisteront en des sites basés au sol, respectivement en Roumanie et en Pologne. L'administration Obama vient toutefois d'annuler la quatrième phase pour des raisons que je pourrai vous expliquer si vous le désirez.
Dans l'ensemble, la défense antimissile régionale telle que la conçoit le comité correspond aux systèmes que construisent et déploient les États-Unis : les missiles Patriot Advanced Capability-3, ou PAC-3, le système de défense de zone du théâtre à haute altitude, ou THAAD, et les navires de défense antimissile Aegis assortis de missiles Standard 3. Ces systèmes sont très efficaces en polygone d'essai. Étant donné que les capteurs et les intercepteurs assurent une architecture de défense relativement bien intégrée, le comité n'a pas perçu de problème majeur relativement à nos activités de défense antimissile régionale, aussi bien en Europe qu'en Extrême-Orient.
Ce qui a surtout préoccupé le comité, c'est la défense territoriale antimissile des États-Unis, ce qu'on appelle le système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol. Les intercepteurs basés au sol sont de très gros engins conservés à Fort Greely, en Alaska, et à la base des forces aériennes Vandenberg, en Californie. L'information provient de radars d'alerte avancée perfectionnés, les mêmes qui ont servi durant la guerre froide à détecter les missiles balistiques franchissant les pôles en provenance de la Russie ou de la Chine, ou toute autre menace redoutée à l'époque. Ces radars ont été améliorés et servent aujourd'hui à suivre la trajectoire des ogives ennemies. Il existe également d'autres sortes de radars, notamment les radars bande X basés en mer ou déployés sur une base avancée.
Le système de défense territoriale antimissile semble aux prises avec de plus gros problèmes. Tout d'abord, l'architecture des capteurs n'est pas aussi robuste qu'on le souhaiterait. Le comité a donc recommandé le recours à ce que j'appellerai des radars de reconnaissance. Il s'agit de radars bande X. La bande X, c'est le domaine fréquentiel. Il s'agit donc de radars à haute fréquence qui assurent un suivi ultraprécis de la trajectoire tout en ayant une capacité de reconnaissance et qui sont aménagés à divers endroits en Amérique du Nord.
C'était là l'une des recommandations du comité. L'autre consistait à revoir la conception de l'intercepteur basé au sol afin d'améliorer non pas tant ses moteurs-fusées que sa charge utile, l'engin de destruction, ce qu'on appelle un véhicule de destruction cinétique ou, dans le cas présent, un véhicule d'interception exoatmosphérique, ou EKV. C'est cela, la charge utile. Ce petit engin cible les ogives ennemies et entre en collision avec elles à très haute vitesse.
Le modèle actuel de véhicule d'interception atmosphérique n'a pas eu un rendement adéquat au polygone d'essai, essentiellement parce qu'il s'agit d'un prototype que le président Bush a envoyé sur le terrain précipitamment en 2004 afin de s'acquitter d'une promesse électorale. Le système n'avait pas été testé à fond, ce qui cause des problèmes depuis 10 ans. La deuxième recommandation relativement à la défense territoriale consistait donc à revoir la conception de l'engin de destruction.
Je suis ravi de signaler que ces activités sont en cours. On cherche à revoir la conception du dispositif afin de lancer un nouvel engin de destruction nettement plus fiable et incroyablement plus efficace, ainsi qu'à concevoir et à déployer des radars de reconnaissance à longue portée. Les projets en cours ne correspondent pas exactement aux recommandations de l'académie nationale, mais, dans l'ensemble, les deux éléments sont en cours d'amélioration.
Il est intéressant de rappeler que le comité a aussi recommandé que les États-Unis aménagent une troisième base pour les intercepteurs, sur la côte Est du pays. Le Congrès en a pris acte et a légiféré pour mandater le département de la Défense d'étudier la question et d'analyser les répercussions environnementales qu'entraînerait un tel site.
Il règne une certaine confusion dans mon esprit et dans la presse étatsunienne à ce sujet. La base d'interception de la côte Est a été essentiellement conçue pour permettre de tirer-observer-tirer en réaction aux menaces qui émanent de l'Iran. Tirer-observer-tirer, c'est une doctrine qui consiste à lancer un intercepteur au début du vol du missile ennemi, puis à déterminer si on l'a ou non abattu. Dans la négative, on lance par la suite un second intercepteur. On lance donc deux intercepteurs successifs au lieu d'en lancer plusieurs à la fois.
La doctrine actuelle prévoit en effet le lancement simultané de nombreux intercepteurs. Nous ne sommes pas en mesure de tirer une première salve, puis de déterminer si l'intercepteur a atteint son objectif avant d'en envoyer une seconde. La doctrine tirer-observer-tirer est donc plus efficace. En effet, si je lance trois intercepteurs sur une cible ennemie et que le premier l'atteint, alors j'en aurai gaspillé deux. Par contre, je n'aurai pas besoin d'envoyer d'autres intercepteurs si je détermine que le premier a atteint sa cible. C'est beaucoup plus efficient.
La base d'interception de la côte Est est principalement conçue pour appliquer la doctrine tirer-observer-tirer à l'égard de l'Iran. Au chapitre de la défense de l'Amérique du Nord ou des États-Unis, notre doctrine actuelle consiste essentiellement à lancer depuis l'Alaska une seule salve d'intercepteurs basés au sol sur toute cible provenant de la Corée du Nord ou de l'Iran. Nous pouvons protéger tout le territoire étatsunien d'un missile balistique iranien à condition de nous en tenir à cette doctrine plutôt qu'à la doctrine tirer-observer-tirer.
Il existe beaucoup de malentendus. Certains justifient la nécessité d'un site sur la côte Est en affirmant que nous ne pouvons pas nous défendre contre l'Iran. Or, c'est faux. Les États-Unis peuvent défendre toute leur zone continentale — et, pour la gouverne du comité, l'essentiel du territoire canadien — contre un missile nord-coréen ou iranien, à condition de s'en tenir à la doctrine actuelle.
Ces recommandations comptent parmi les plus controversées, notamment celles qui visent la défense territoriale. Bon nombre d'entre elles ont été appliquées, certaines ne l'ont pas été et d'autres encore ont été mises en oeuvre autrement. Quoi qu'il en soit, l'Agence de défense antimissile et le département de la Défense des États-Unis apportent diverses améliorations dans ce domaine.
Sur ce, je passe maintenant à vos questions et à vos préoccupations sur les sujets d'intérêt particulier pour le Canada. Je chercherai à répondre de mon mieux.
Le président : Merci beaucoup. Vous avez donné une bonne vue d'ensemble de l'étude et de ce qu'elle implique. J'ai une première question.
À votre avis, le Canada devrait-il adhérer au programme de défense antimissile balistique, par exemple en fournissant des sites où aménager des radars, voire, si nécessaire, des bases d'intercepteurs? Avez-vous des commentaires à ce sujet? Plus précisément, sauriez-vous nous dire si la participation du Canada rendrait le programme de défense antimissile balistique plus efficace? Contribuerait-elle à accroître sa propre sécurité et, dans l'affirmative, pourquoi?
M. Wilkening : En ce qui concerne la première question, je crois personnellement que le Canada devrait en effet se joindre aux États-Unis, aussi bien en tant que membre de l'OTAN relativement à l'approche adaptative pour l'Europe que par l'intermédiaire de NORAD aux fins de la défense antimissile balistique de l'Amérique du Nord. Donc, à la question de savoir si le Canada devrait adhérer à l'initiative, je réponds oui, absolument.
Le Canada serait-il plus en sécurité? De toute évidence, si le Canada était directement menacé par des missiles balistiques, alors oui. Or, cela dépend dans une certaine mesure du scénario en cause. Dans quelles circonstances le Canada pourrait-il être menacé par les missiles balistiques à longue portée de pays comme la Corée du Nord? On peut imaginer des scénarios où il se trouverait menacé, où Ottawa, Montréal ou Vancouver pourraient être menacées, mais les discussions de cet ordre sont toujours hypothétiques et parfois un peu farfelues. Il est donc difficile de répondre dans l'absolu. Imaginons cependant que le Canada forme une coalition avec les États-Unis et qu'une puissance régionale telle que la Corée du Nord le menace dans le but de le dissuader de s'engager dans un conflit en Extrême-Orient : un système de défense antimissile de l'Amérique du Nord serait alors un moyen de protection très efficace.
Sur le plan stratégique, le programme assurerait un certain degré de protection, de sorte que le Canada ne puisse être contraint de rester en coulisses d'un éventuel conflit. À mes yeux, c'est là l'un des principaux rôles de la défense antimissile. Si la dissuasion devait ne pas suffire, qu'une guerre éclatait et que des missiles étaient lancés, le programme de défense antimissile assurerait jusqu'à un certain point une protection objective quoique limitée étant donné qu'il est conçu pour réagir aux menaces émanant de la Corée du Nord, pas de la Chine, de la Russie ou d'un autre État pourvus d'un vaste arsenal de missiles, mais bien d'adversaires régionaux dotés à la fois d'armes nucléaires et de missiles. Donc, en période de paix ou de crise, le système de défense antimissile contribue à éviter que le Canada soit contraint de rester en coulisses d'un conflit potentiel en le laissant plus libre de décider si, oui ou non, il veut se joindre à l'OTAN ou aux États-Unis dans l'éventualité d'un conflit futur.
Je crois qu'il s'agit là d'un des principaux avantages du programme. En cas de guerre, vous jouiriez d'une protection physique dans la mesure où le système fonctionne comme prévu à l'égard des missiles tirés sur Ottawa.
Ai-je répondu à toutes les questions? Je n'en suis pas certain. Oh, que pourrait faire le Canada pour rendre le système plus efficace? C'est une question très intéressante. À la base, le Canada pourrait assurer un soutien politique aux activités de défense antimissile. À mon avis, ce serait très utile. Des capteurs — les radars à longue portée — pourraient aussi être installés sur le territoire canadien, quoique, à première vue, il ne soit pas évident qu'il s'agirait d'un emplacement optimal. Après tout, en ce qui concerne la menace nord-coréenne, c'est l'Alaska qui constitue l'emplacement optimal, ce qui explique l'existence d'une base aérienne à Clear, dans cet État. C'est pourquoi l'intercepteur basé au sol se trouve en Alaska : c'est directement sur la trajectoire de vol qu'emprunterait un missile balistique intercontinental nord-coréen à destination de l'Amérique du Nord, aussi bien le Canada que les États-Unis. Pour ce qui est de l'Iran, c'est le Groenland qui se trouve sur la trajectoire, alors le radar d'alerte avancée se situe à Thulé. Le comité a recommandé d'installer un radar de reconnaissance à longue portée à Thulé, sur le même site. Nous sommes en pourparlers avec le Danemark, mais le Canada se trouve juste à un bras de mer de distance. Certains des sites à Terre-Neuve ou au Labrador pourraient s'avérer utiles, mais il ne s'agirait pas nécessairement d'emplacements optimaux.
En ce qui concerne l'OTAN, peut-être existe-t-il des moyens intéressants pour le Canada de participer au programme de défense antimissile de l'organisation plutôt qu'au système de défense territoriale antimissile. La bonne nouvelle pour le Canada, c'est que l'architecture de défense territoriale antimissile actuelle a essentiellement la capacité de protéger presque tout le territoire canadien — à coup sûr toutes les régions peuplées, à proximité de la frontière, mais aussi les régions nordiques. Le système a donc la capacité inhérente de le faire. Simplement, les gouvernements doivent convenir de véritablement y participer et accepter d'étendre la portée du système étatsunien au territoire canadien, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Le sénateur Dallaire : Bienvenue. En ce qui concerne la phase suivant celle de propulsion et la question de la survivabilité des ogives, je me demande quel est le degré de perfectionnement actuel ou prévu du système étant donné que la conception de ce dernier doit se faire dans une perspective d'avenir, avec, bien sûr, des mises à niveau régulières. Sauf qu'il est question de longue portée. Les auteurs des menaces font eux aussi leurs devoirs. Abattre un engin, c'est une chose, mais désamorcer une ogive amorcée, fonctionnelle et potentiellement autonome, c'en est une autre. L'arsenal conventionnel comporte des munitions intelligentes dotées de capacités exceptionnelles. Mais une ogive peut-elle parvenir d'elle-même à éviter, comment appelle-t-on cela déjà, une arme à sous-munitions? J'allais dire que c'est comme opposer un fusil à un missile.
M. Wilkening : Je vais essayer de clarifier les choses. Je pense avoir mélangé certains d'entre vous. Lorsqu'on applique une défense en phase de propulsion et qu'on atteint le moteur-fusée, empêchant ainsi le missile de frapper sa cible, l'ogive peut tout de même rester amorcée. C'est un des problèmes de la défense en phase de propulsion. Une fois que l'ogive se détache de la fusée et tombe comme une roche dans l'espace orbital, c'est la mi-parcours. Les intercepteurs à mi-parcours repèrent l'ogive — l'architecture des capteurs cherche à la repérer —, puis prennent de l'altitude et entrent littéralement en collision avec elle, ce qui la pulvérise.
Une des choses intéressantes à propos de la défense antimissile et des outils technologiques modernes — vous avez mentionné les munitions à guidage de précision —, bref, en matière de défense antimissile, c'est le recours aux munitions à guidage de précision dans le cadre de missions de défense antimissile. Il s'agit d'intercepteurs incroyablement précis. Pour paraphraser Krouchtchev, c'est comme atteindre une balle de fusil avec une autre. L'engin de destruction entre en collision à plus de 25 000 milles à l'heure avec une cible qui fait à peine quelques pouces de diamètre. Voilà le degré de précision d'un engin de destruction. C'est ainsi que se fait la défense antimissile au moyen de munitions à guidage de précision. L'autoguidage fonctionne très bien. Le gros problème avec la défense antimissile à mi-parcours — j'aurais dû le mentionner avant — consiste à déterminer ce qui est véritablement une ogive et ce qui n'est qu'un leurre, un dispositif factice, car, comme l'a dit Galilée il y a 400 ans, dans le vide sidéral, tous les objets tombent à une vitesse constante, qu'il s'agisse d'une plume, d'une pierre ou de l'ogive d'un missile balistique. Tous les objets suivent la même trajectoire dans l'espace orbital, et les radars et autres capteurs doivent distinguer une ogive véritable d'un leurre ou même de l'étage supérieur vide. En effet, à la fin de la phase de propulsion, lorsque la fusée s'éteint, elle vole à la même vitesse que l'ogive. Les deux se séparent. On se retrouve donc avec deux objets, et il faut déterminer lequel est lequel. Il s'agit là de la principale difficulté pour la défense à mi-parcours. Les capteurs sont mis à rude épreuve. C'est essentiellement ce qui explique pourquoi on envisage de recourir aux radars de reconnaissance à longue portée. Espérons que cela se concrétise. Les capteurs de ce genre, à l'instar des capteurs optiques à infrarouges ou à lumière visible, recueillent une quantité phénoménale de renseignements sur l'apparence des divers objets en vol de manière à reconnaître la véritable ogive afin que le véhicule de destruction cinétique s'autoguide pour la pulvériser.
Le sénateur Dallaire : Je n'ai peut-être pas été clair.
Considère-t-on l'ogive en tant que telle — et j'aurai une question complémentaire à ce sujet — strictement comme un instrument balistique qui cible un point précis? Ou comporte-t-elle plutôt une certaine manoeuvrabilité, à l'instar des engins de nouvelle génération? Si le missile vise une cible précise, est-on en mesure de savoir, lorsqu'il est à mi-parcours, quelle sera cette cible de manière, par exemple, à l'intercepter s'il s'agit de Washington, mais peut-être pas s'il s'agit de Montréal?
M. Wilkening : Grosso modo, oui.
Le sénateur Dallaire : Quelque chose du genre.
M. Wilkening : Actuellement, lorsque la charge utile est détachée des moteurs-fusées, elle tombe comme une roche dans l'espace orbital. Il n'y a aucune manoeuvrabilité.
Le sénateur Dallaire : De la balistique à l'état pur.
M. Wilkening : Cela dit, il serait possible d'assurer une manoeuvrabilité dans l'espace orbital en attachant de petits moteurs-fusées au système. Mais l'intercepteur manoeuvre-t-il dans l'espace orbital? L'ennemi et vous vous retrouvez alors dans un jeu du chat et de la souris en essayant de manoeuvrer votre engin respectif. Votre ennemi détermine-t-il assez rapidement à quelle distance se trouve votre intercepteur pour pouvoir faire dévier son ogive à temps, ou votre engin de destruction continuera-t-il à s'autoguider vers sa cible?
C'est une compétition offensive-défensive. À mon sens, la partie défensive peut l'emporter, mais le débat reste ouvert relativement à ce genre de menace. Cependant, cela ne correspond pas vraiment à la situation actuelle.
Le sénateur Dallaire : Pas pour l'instant.
M. Wilkening : En principe, cela pourrait se produire. Au pire, si on lance un intercepteur et que, tout à coup, on détecte une large manoeuvre, il faut ensuite lancer un autre intercepteur. Le missile ne pourra pas manoeuvrer tout au long de sa trajectoire, car il cherche à faire entrer un gros objet sur votre territoire, c'est-à-dire une ogive nucléaire. Il lui faut d'assez gros moteurs-fusées, alors que l'engin de destruction est petit, léger, agile et conçu pour manoeuvrer et s'autoguider jusqu'à l'ogive.
C'est une classe intéressante de menaces adaptatives, mais, à mon avis, ce n'est pas rédhibitoire. Le système de défense peut gérer cela, mais il faudra peut-être lancer un second intercepteur, ou quelque chose du style, pour réagir à ce genre de menace.
Le président : N'oublions pas qu'on ne dispose que de 25 minutes pour prendre les décisions qui s'imposent.
Le sénateur Dallaire : L'engin comporte tout ce qu'il lui faut pour gérer ce genre de situation.
Le sénateur Segal : J'ai une question qui concerne moins le côté technique que le positionnement stratégique global. Je sais que vous avez amplement analysé les risques associés à cette approche relative à l'aménagement d'un système de défense antimissile balistique qui, en théorie, a été plus fructueuse au cours des dernières années qu'aux débuts du programme.
Une des critiques formulées concernait l'existence même de ce genre de dispositif de défense pour l'Amérique du Nord ou pour les États-Unis et leurs alliés, qui alimenterait une course à l'armement nucléaire. Selon vous, s'agissait-il d'un risque légitime? Ces préoccupations se sont-elles concrétisées? Dans la négative, que vous a révélé la mise en oeuvre du programme jusqu'à présent?
M. Wilkening : Une fois de plus, je vais vous donner mon point de vue personnel. En principe, un système de défense de ce genre pourrait stimuler la course à l'armement, pour reprendre le terme que vous avez employé, mais il y a deux pays avec lesquels il n'a pas été conçu pour le faire : la Russie et la Chine. La Russie affirme que le système alimentera la course à l'armement. Pour ma part, je me contente de rappeler qu'elle a entamé un programme dynamique de modernisation de ses forces nucléaires qui n'a rien à voir avec notre défense antimissile.
Par démagogie, c'est ce qu'affirmeront toujours les Russes dans la sphère publique. Évidemment, ils prennent plaisir à faire porter aux États-Unis l'odieux de cette expansion — c'est une modernisation plus qu'une expansion — bien que le système ne fasse planer qu'une menace négligeable sur la Russie. Par conséquent, à mon sens, rien ne justifie une course à l'armement avec ce pays.
La Chine, quant à elle, dispose d'un plus petit arsenal nucléaire, ce qui pourrait être plus préoccupant. Par contre, la Chine a déjà modernisé son arsenal nucléaire ces dernières années et elle poursuit ses efforts en ce sens. Je ne crois pas que cette modernisation soit attribuable aux déploiements dans le cadre du programme américain de défense antimissile, car elle est en bonne partie antérieure à ces déploiements. La Chine invoque parfois cette raison, mais en réalité elle procède ainsi pour assurer sa propre sécurité.
Est-ce que cela pourrait provoquer une course à l'armement avec la Corée du Nord? Oui. Le système est expressément conçu pour intercepter les missiles longue portée de la Corée du Nord. Cette dernière va tenter d'avoir plus de missiles longue portée; nous allons, de notre côté, accroître la robustesse de notre défense. Je préfère parler d'une « compétition offensive-défensive », parce que c'est ce dont il s'agit, plutôt que d'une « course à l'armement ». L'expression « course à l'armement » a une connotation plus politique. Il ne fait aucun doute que le programme de défense antimissile des États-Unis pourrait stimuler une compétition offensive-défensive avec la Corée du Nord. À mon avis, les États-Unis s'engageront dans cette voie, ce qui, à mon avis, s'explique en grande partie par la faiblesse relative de la Corée du Nord sur les plans économique et technique. Les États-Unis pourraient facilement l'emporter.
Le sénateur Segal : Au début de l'après-guerre froide, la théorie de la destruction mutuelle assurée — qui incitait fortement les Soviétiques à ne jamais lancer de missile en raison de la capacité de l'autre côté, à savoir les pays de l'OTAN, de déployer en retour des armes tactiques en Europe —, est l'un des facteurs qui ont amené Gorbatchev à mettre un terme à ces dépenses sans fin et à accepter de discuter avec le président américain à Reykjavik et ailleurs, ce qui semble indiquer que l'existence d'une capacité de réaction a dans la plupart des cas un effet stabilisant plutôt que le contraire.
Il importe toutefois de souligner — je suis d'ailleurs certain que vous avez vu certaines des analyses publiées, et la RAND Corporation, où vous avez travaillé, a fait des recherches à ce sujet — que l'engagement normatif et rationnel nécessaire à ce genre de décision, auquel on pouvait s'attendre de la part de l'ancienne Union soviétique et auquel on peut même s'attendre du gouvernement chinois actuel en termes de rationalité et de souci des conséquences, n'est peut-être pas aussi équilibré dans des endroits comme la Corée du Nord et l'Iran pour diverses raisons. On peut espérer que la situation s'améliorera, mais cette préoccupation est bien réelle aujourd'hui.
Il est possible que ce que nous faisons importe peu. Cependant, si, par exemple, d'autres capteurs de détection étaient installés au Canada pour combler certaines des lacunes ou que des intercepteurs étaient basés au Canada — bien que, en toute justice pour nos alliés américains, il n'en ait jamais été question —, comment cela contribuerait-il à la notion qu'un système plus cohérent qui a fait l'objet d'essais concluants et qui fonctionne bien susciterait une réaction plus rationnelle de la part d'endroits comme la Corée du Nord?
Vous êtes sûrement au courant de la dernière étude des Nations Unies sur les droits de la personne qui fait état de l'irrationalité qui règne en Corée du Nord. Je vous demanderais de bien vouloir nous éclairer étant donné que vous vous êtes penché sur certaines de ces questions dans le cadre de votre travail.
M. Wilkening : Je vois les choses quelque peu différemment en ce sens que ni Kim Jong-un ni les mollahs de l'Iran ne sont irrationnels de mon point de vue. Il est vrai que le leadership de Kim Jong-un est plutôt discutable. Je ne trouve rien d'attrayant dans le système politique de ce pays et dans la façon dont la population est traitée. Le rapport des Nations Unies l'illustre bien.
La dissuasion par représailles qui avait cours durant la guerre froide — et de nos jours les Américains ne se limitent pas à la menace nucléaire, ils englobent les représailles conventionnelles — serait une mesure très convaincante pour la majorité des scénarios en Corée du Nord. Par contre, il existe des scénarios dans lesquels même une personne parfaitement rationnelle passerait à l'attaque si elle estimait qu'elle n'avait plus rien à perdre.
Voici l'exemple classique que j'aime donner en ce qui concerne la Corée du Nord. Supposons qu'une guerre éclate, qu'il y ait un conflit dans la péninsule. Imaginons que les forces des États-Unis et de la République de Corée se déplacent au nord du 38e parallèle et que tout porte à croire que le régime de Kim Jong-un va s'effondrer. Il peut alors menacer de lancer des missiles nucléaires en direction des États-Unis, ou de Séoul, ce qui est plus probable. Voilà une menace parfaitement rationnelle, et s'il passe à l'acte, on pourrait dire qu'il s'agit d'un acte rationnel puisqu'il n'avait plus rien à perdre. Son régime va s'effondrer. Il est pour ainsi dire mort.
Dans ces circonstances, il est utile d'avoir un système de défense qui procure une certaine protection contre ce genre d'éventualité. Si je reviens en arrière et qu'aucun missile n'ait été lancé, ce système peut aussi être utile en termes de dissuasion. Nous avons parlé de la dissuasion par représailles et de la rationalité des acteurs. Une défense antimissile limitée joue un rôle dissuasif, car elle élimine les tactiques de pure intimidation. Elle élimine le lancement d'un missile ou deux pour impressionner.
Si nous avons un système de défense antimissile qui, par exemple, peut intercepter 10 missiles, Kim Jong-un doit en lancer 11 pour saturer le système et faire en sorte qu'il y en ait un qui frappe le sol, qu'il s'agisse d'une démonstration, d'une attaque limitée ou de quoi que ce soit d'autre. Il doit alors envisager une attaque plus importante. Pour ce faire, il peut avoir besoin de plus la moitié des ogives de son arsenal. Il doit lancer ce genre d'attaque pour faire en sorte qu'une seule ogive ne soit pas interceptée.
Ce genre d'attaque constitue pour la Corée du Nord une option plus risquée que le lancement d'un seul missile. Il est plus difficile pour Kim Jong-un de penser qu'il peut contrôler l'escalade. Si un adversaire veut lancer un missile de démonstration pour prouver qu'il est sérieux, un missile qui atterrit dans l'océan Pacifique au large de la côte de l'Amérique du Nord, il doit maintenant en lancer 11 et utiliser une grosse partie de son arsenal. Il est alors plus difficile pour lui d'envisager des options d'escalade limitée. La défense antimissile élimine donc les options qui comportent une escalade limitée, selon l'échelle de l'escalade, pour reprendre la terminologie de la guerre froide.
À mon avis, c'est un atout que nous procure un système de défense limitée. Il est alors plus difficile pour lui non seulement de brandir des menaces, mais aussi de procéder à un lancement. Il doit envisager des options plus risquées. Si nous le plaçons dans une situation où il n'a plus rien à perdre, ce système pourrait intercepter les missiles lancés et fournir une véritable protection en cas de guerre.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur. C'est vraiment très intéressant.
Certains croient qu'en participant à un système nord-américain de défense antimissile balistique, le Canada obtiendrait, d'une façon ou d'une autre, une protection des États-Unis. Vous semblez dire que nous n'avons pas nécessairement besoin d'activités de surveillance ou de radars bande X. Il n'a jamais vraiment été question d'établir au Canada des sites de lancement de missile.
Que faudrait-il? Dites-vous simplement qu'il faut négocier une entente avec les États-Unis? Que voudraient les Américains pour nous inclure dans ce système de défense? Voudraient-ils de l'argent pour les aider à construire le système, où que ce soit, mais pas au Canada?
M. Wilkening : Si le Canada décide de collaborer à la défense antimissile en Amérique du Nord, il doit d'abord entamer des discussions avec le gouvernement américain, c'est la meilleure chose. Je ne suis pas en mesure de vous dire ce que les États-Unis voudront. Tout ce que je sais, c'est que l'architecture actuelle a la capacité de protéger presque tout le Canada contre les menaces de la Corée du Nord, et je crois que cela s'appliquerait aussi si jamais l'Iran se dotait d'un missile balistique intercontinental. Le Canada n'aurait pas beaucoup à faire pour accroître la capacité du système, mais des discussions détaillées pourraient faire ressortir la nécessité d'un site de détection ou d'une station radar. Ce serait peut-être une possibilité. D'après ce que je sais, je ne crois pas que ce serait requis, mais qui sait? Cela pourrait être intéressant. Je ne crois pas qu'il faudrait un site d'interception, mais ce pourrait être une possibilité.
Il est préférable que les intercepteurs soient le plus au nord possible afin d'intervenir le plus rapidement possible dans la trajectoire. Je ne crois pas toutefois qu'il s'agirait d'une exigence stricte.
L'argent est toujours apprécié. L'aspect technique n'est probablement pas celui qui pose le plus gros problème. Le système fonctionne bien du point de vue technique. Oui, il y a eu des ratés dans les essais, mais on peut y remédier. Les ingénieurs vont apporter les correctifs.
La défense antimissile limitée a beaucoup de valeur stratégique. Le plus gros problème, c'est que tout cela coûte cher. Les États-Unis sabrent dans leur budget de défense. Je sais que le Canada est à court d'argent. Les alliés européens aussi. Les Américains voudront toujours partager le fardeau, et si le Canada est prêt à faire sa part, je suis certain que le gouvernement des États-Unis serait tout à fait ravi. Qui sait? Les Américains s'attendent peut-être à cela, mais ce n'est pas évident que ce soit le cas.
Le sénateur Mitchell : Supposons qu'il existe un système nord-américain de défense antimissile parfaitement impénétrable. Les Nord-Coréens pourraient encore faire preuve de provocation en lançant un missile sur Séoul, par exemple, ou plus loin de leur frontière peut-être, et cela placerait les États-Unis et le Canada dans une situation très délicate — surtout les États-Unis en fait, parce qu'ils pourraient riposter. Évidemment, s'ils attaquent, il y aura alors encore plus de déchets nucléaires dans l'ensemble de la péninsule. Y a-t-il un volet de défense antimissile pour la Corée du Sud?
M. Wilkening : Oui, il existe un volet régional. Il y a les intercepteurs PAC-3, les systèmes d'interception à courte portée qui ciblent les missiles en phase terminale et qui défendent de grandes parties de la Corée du Sud. La Corée du Sud s'occupe de ses propres systèmes de défense antimissile. Elle a des navires équipés d'Aegis qui doivent être modernisés pour recevoir les missiles Standard-3. De plus, le système THAAD dont j'ai parlé un peu plus tôt, le système de défense de zone du théâtre à haute altitude, conviendrait pour protéger une bonne partie de son territoire. En fait, tous les systèmes d'interception régionaux des États-Unis conviendraient.
Tout cela est bien intéressant. Le Dôme de fer et la Fronde de David, des systèmes qu'Israël a déployés pour se défendre contre l'artillerie et les roquettes courte portée, pourraient être très utiles contre des missiles courte portée. Il existe différents systèmes de défense antimissile de courte et moyenne portée — notamment des systèmes américains et les deux systèmes israéliens dont je viens de parler — qui pourraient être très utiles pour protéger la Corée du Sud, en particulier Séoul.
Je crois comprendre que le gouvernement sud-coréen s'intéresse à ces systèmes. Les Sud-Coréens ont décidé dernièrement de se doter d'une capacité d'attaque de représailles. Pour une raison quelconque, ils voulaient d'abord se doter de moyens de dissuasion par représailles, notamment de missiles qui peuvent toucher toute la Corée du Nord. Je sais qu'ils s'intéressent aussi à leur capacité de défense. Ils pourraient acquérir des systèmes de l'étranger ou développer leur propre système. Qui sait?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je sais que vous avez récemment effectué un travail sur le bioterrorisme qui se concentrait sur la compréhension des incertitudes scientifique et technique concernant les attaques biologiques aéroportées et les effets sur les humains, je crois, du charbon pulmonaire. Votre étude avait pour but de concevoir une meilleure défense civile, une défense civile plus efficace. J'aimerais vous entendre sur ce sujet, si vous avez des commentaires.
[Traduction]
M. Wilkening : Je vous remercie de votre question. Il existe toutes sortes de menaces dont il faut se préoccuper. Nous avons parlé des menaces liées aux missiles et des raisons pour lesquelles certains pays préfèrent utiliser les missiles balistiques comme vecteurs, surtout pour les ogives nucléaires.
Dans le cas des attaques biologiques, malheureusement, les humains constituent le vecteur privilégié — on n'a qu'à penser aux attaques terroristes et aux attaques sournoises. La défense antimissile n'a rien à voir avec cela. Il est très difficile de se défendre contre des attaques biologiques sournoises. Il faut d'abord détecter qu'un agent a été relâché. Une fois l'agent relâché, il faut fournir une intervention médicale très rapidement. Si la prophylaxie est efficace, il est alors possible de bien protéger la population exposée.
Les États-Unis ont fait beaucoup de travail en matière de détection. Différentes techniques servent à détecter les agents biologiques libérés, mais elles aussi coûtent cher.
Le plus gros problème est l'intervention médicale. Si, dans une installation sportive d'Ottawa, lors d'un match de hockey, un agent biologique est relâché, peut-on dans un délai de 24 à 48 heures fournir les antibiotiques et les vaccins nécessaires pour traiter l'infection virale qui pourrait surgir? Peut-on fournir des traitements médicaux efficaces à la population exposée? En principe, oui, mais acheminer l'aide médicale à la population exposée pose de sérieux problèmes logistiques. Il n'est même pas facile de déterminer qui est exposé, car dans le cas d'un agent aéroporté tout dépend des vents.
Je n'ai pas travaillé dans ce domaine depuis une dizaine d'années, mais je pense encore qu'il s'agit d'un problème très sérieux. On doit surveiller de près si les organisations terroristes développent cette capacité ou cherchent à l'obtenir. Le cas échéant, il faut tenter d'intercepter l'agent avant qu'il ne soit relâché, sinon il faut alors le détecter très rapidement sans quoi ce sera la catastrophe.
Le sénateur Day : Je vous remercie d'être ici monsieur.
Vous avez beaucoup parlé de l'importance d'améliorer les intercepteurs basés au sol. À l'époque du président Reagan, il était question de mettre en orbite des satellites qui transporteraient des intercepteurs. Ce projet de la guerre des étoiles fait partie, selon moi, des raisons pour lesquelles le Canada ne voulait pas participer à tout cela.
Aujourd'hui, nous avons seulement abordé l'amélioration de la capacité d'interception et de destruction. Quels sont les autres projets à long terme de la DARPA ou d'autres groupes aux États-Unis?
M. Wilkening : Je ne suis pas au courant de tous les projets qui peuvent être en cours. Il est toujours question des systèmes de défense antimissile basée dans l'espace. Le rapport de l'académie nationale en traite d'ailleurs. La plupart des idées sont un peu extravagantes. Il n'y a rien dans les lois de la physique qui pourrait empêcher le déploiement d'intercepteurs dans l'espace, ce sont plutôt les lois économiques qui posent problème. Tout cela coûte très cher.
Si vous pensez que la défense antimissile coûte cher, alors la défense antimissile basée dans l'espace coûte très cher, car les satellites ne durent pas tellement longtemps. Lancer des satellites coûte très cher et les intercepteurs eux-mêmes ne sont pas donnés. Je ne crois donc pas qu'il soit possible de déployer des systèmes de défense antimissile basée dans l'espace dans un avenir prévisible uniquement en raison des coûts. Ces systèmes pourraient fonctionner, mais leurs coûts sont prohibitifs.
Cela est quelque peu problématique pour le gouvernement américain, puisqu'il maintient qu'il n'acceptera aucune restriction en ce qui concerne la défense antimissile. Les Chinois et les Russes pointent alors du doigt les activités basées dans l'espace et affirment qu'ils n'accepteront aucune limite pour ce qui est de leur défense antimissile. Cela donne à entendre que les systèmes de défense antimissile basée dans l'espace nous intéressent. Je ne crois pas. Nous nous ruinerons si nous déployons ce genre de systèmes. Je suis convaincu qu'aucun système basé dans l'espace n'est prévu dans le moment.
Il peut y avoir des capteurs dans l'espace, c'est une toute autre histoire, mais il n'y aura pas d'intercepteurs, de mécanismes de destruction ou de lasers.
Le sénateur Day : C'est la militarisation de l'espace.
M. Wilkening : Je ne crois pas que les États-Unis cherchent sérieusement à militariser l'espace. Il existe peut-être quelques programmes de R-D, mais je doute qu'ils aboutissent à quoi que ce soit.
Le sénateur Day : Je pourrais intervenir à nouveau au deuxième tour, s'il y en a un.
Le président : Malheureusement, je ne crois pas qu'il y aura un deuxième tour.
Le sénateur Wells : Merci, monsieur Wilkening, pour vos réponses jusqu'à maintenant.
J'aimerais vous entendre parler non pas tant des vecteurs, que des systèmes d'interception fixes basés au sol, des intercepteurs en mer ou des systèmes mobiles sur terre ou dans l'air. Quelles sont les contraintes actuellement? Ces options sont-elles toutes disponibles?
M. Wilkening : Je crois que oui. Anciennement, le Traité ABM interdisait la plupart des activités que l'on voit aujourd'hui dans les programmes de défense antimissile des États-Unis, mais ces contraintes ont été levées. Il existe maintenant des systèmes d'interception basés dans l'air, en mer et au sol.
Le poids pose problème. Dans le cas des systèmes basés au sol, les missiles peuvent être gros. Dans le cas des systèmes en mer, ils doivent être plus petits. Le SM-3 est plutôt gros, à partir d'ici il se rendrait jusqu'au bout de la salle. Dans le cas des systèmes basés dans l'air, les missiles doivent être assez petits. Il en va de même pour les systèmes basés dans l'espace, mais ceux-ci coûteraient trop cher.
Le sénateur Wells : Est-il avantageux d'être près du site de lancement de l'attaque pour pouvoir se défendre? Est-il plus avantageux d'être près du site de lancement ou près de la cible visée, puisque de cette façon on dispose de plus de temps ou de plus d'options?
M. Wilkening : Cela nous ramène à où on veut placer notre défense. Si on procède à une défense en phase de propulsion, il faut être très près du site de lancement, à quelques centaines de kilomètres tout au plus.
Dans le cas d'une défense à mi-parcours, il est possible d'être tout près ou plus loin. Il y a des avantages à être près, mais on ne dispose alors que de peu de temps et il faut tirer rapidement. Si on retourne vers le milieu de la trajectoire — c'est là où se trouve Fort Greely par rapport à la Corée du Nord — on dispose alors d'assez de temps pour tirer plusieurs fois pendant que les missiles passent au-dessus du territoire.
Si on se trouve dans la dernière partie de la phase de mi-parcours, on dispose de plus de temps, mais la zone défendue devient plus petite parce qu'il y a trop de distance des deux côtés.
Si on attend la phase terminale, la phase de rentrée atmosphérique des ogives, le vol du missile tire à sa fin, et les zones défendues sont encore plus petites en raison du peu de temps.
La phase de rentrée atmosphérique des missiles longue portée dure environ deux minutes. On dispose donc de deux minutes pour lancer la défense pour protéger quelques centaines de milles carrés peut-être, mais guère plus.
Je ne sais si cela répond à la question.
Le sénateur Wells : Oui.
M. Wilkening : Être près peut être avantageux, mais cela comporte aussi des défis. Dans l'architecture actuelle de la défense intérieure, de la défense nord-américaine, les États-Unis ont choisi d'être à la mi-parcours environ. Si nous déployons une base sur la côte Est, les intercepteurs lancés aux États-Unis survoleraient le Canada pour intercepter des missiles près du Groenland dans l'espace extra-atmosphérique.
Le sénateur Wells : J'ai une brève question complémentaire.
Le président : J'ai promis au sénateur Dagenais qu'il aurait la parole, et il nous reste environ trois minutes.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Wilkening, on pense que l'Armée de libération populaire de la Chine développe une arme hypersonique pouvant servir de vecteur d'ogive dans l'espace aérien uni. Quelles conséquences les armes hypersoniques pourraient-elles avoir pour les systèmes de défense antimissile?
M. Wilkening : Les armes hypersoniques n'ont pas une trajectoire balistique. Dans leur descente, elles rebondissent sur la haute atmosphère d'une manière qui rappelle un marsouin ou un dauphin. Comme elles n'ont pas une longue phase de mi-parcours, elles créent des problèmes pour les systèmes de défense antimissile à mi-parcours.
Pour tenter de se défendre contre ce type d'armes, il faut attendre la phase terminale ou la fin de phase de mi-parcours quand l'engin a fini de rebondir. C'est à ce moment que l'arme hypersonique doit trouver sa cible et la viser.
Si vous tirez sur l'engin dans cette phase de son vol, vous réussirez fort probablement à l'intercepter, mais vous ne disposerez que de très peu de temps dans cette phase tardive. De plus, la zone défendue est petite. Pour défendre un territoire aussi vaste que le territoire continental des États-Unis, ou encore l'Amérique du Nord, il faudrait beaucoup de sites de défense. Les coûts seraient donc très élevés. Cela dit, aucun principe de physique ne dit qu'il est impossible de se défendre contre un planeur hypersonique. Il est peut-être même possible de tirer sur l'engin dans la phase de mi-parcours, mais je l'ignore. C'est une technologie très récente. Les Américains se sont penchés sur cette technologie. On a rapporté dans la presse que les Chinois s'y intéressent actuellement.
C'est une façon intéressante de miner la défense antimissile balistique à mi-parcours. Un système axé sur la phase de propulsion serait pourtant très efficace dans ce cas. C'est une façon intéressante de miner la défense antimissile balistique à mi-parcours, mais il existe des façons défensives de s'attaquer au problème.
Le président : Chers collègues, il est deux heures. Je tiens à remercier notre témoin d'avoir pris le temps de venir et de nous avoir répondu franchement. Vous nous avez donné matière à réflexion. Vos propos nous ont tous éclairés.
Nous poursuivons donc, chers collègues, notre étude sur la défense antimissile balistique. Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir Steven Staples, président de l'Institut Rideau.
Bienvenu monsieur Staples. Je crois comprendre que vous n'êtes pas familier avec ce genre de délibérations. Par conséquent, je vous demanderais maintenant de nous présenter votre déclaration préliminaire.
Je tiens à préciser que nous disposons d'une heure pour ce groupe. Vous pouvez commencer.
Steven Staples, président, Institut Rideau : Sénateur Lang, je vous remercie de votre invitation. Je ferai tout d'abord quelques observations et j'espère que nous pourrons ensuite avoir une bonne discussion. J'ai dû faire preuve de retenue pour ne pas aider l'autre témoin à répondre à quelques questions. J'ai un point de vue quelque peu différent, mais je comprends que vous devez examiner la question sous tous ses angles. Vous serez donc en mesure de soumettre un rapport bien documenté, une fois que vous l'aurez terminé.
Je vous remercie d'avoir invité l'Institut Rideau aujourd'hui pour parler du rôle du Canada dans le système de défense antimissile balistique des États-Unis. Je m'appelle Steven Staples et je suis le président de l'Institut Rideau. Mon collègue Bill Robinson a aussi participé à la rédaction de cette présentation.
L'Institut Rideau est un groupe indépendant qui se consacre à la recherche, à l'action revendicatrice et à la consultation. L'Institut a été fondé en 2006 et il est établi à Ottawa. C'est un organisme sans but lucratif enregistré auprès du gouvernement fédéral, qui ne reçoit aucun financement du ministère de la Défense nationale ou des entrepreneurs du secteur de la défense.
À une autre époque, j'ai participé au dernier débat sur le rôle du Canada dans le système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol. J'ai d'ailleurs écrit à ce sujet un livre intitulé Missile Defence : Round One, qui a été publié en 2006 par Lorimer.
Nous avons fait valoir que le Canada ne devait pas participer au bouclier antimissile basé au sol, et nous avons appuyé la décision du premier ministre Paul Martin en février 2005. Fait remarquable, aucun chef de parti à l'époque ne s'était opposé à cette décision, et la plupart ont tenté de présenter cette décision comme une victoire personnelle. Dans un rare moment d'unanimité à la Chambre des communes, tous se sont levés pour applaudir la décision que le gouvernement avait prise.
Il est intéressant de découvrir ce qui est ressorti depuis cette période tumultueuse en ce qui concerne ce grand débat. Bien des gens commencent à l'oublier, mais ce débat a fait la une pendant plusieurs mois et plusieurs années.
Quand le ministre de la Défense du Canada de l'époque, Bill Graham, a appelé Donald Rumsfeld, son homologue américain, pour lui annoncer que le Canada ne participerait pas à la défense antimissile, il a reçu une réaction d'indifférence. Le sous-secrétaire de Rumsfeld, Paul Wolfowitz, a déclaré au ministre Graham qu'il comprenait le problème politique que causait, au Canada, le système de défense antimissile basée au sol, mais que les États-Unis allaient de l'avant et qu'ils n'avaient pas besoin du Canada sur le plan opérationnel de toute façon. Le ministre Graham a résumé ainsi la conversation : « Wolfowitz m'a essentiellement dit que les Américains s'en fichaient. » Eugene Lang le mentionne dans son livre intitulé The Unexpected War. Il était aux premières loges dans ce dossier à l'époque.
Évidemment, bien des gens étaient mécontents de cette décision et j'ai vu plusieurs de ces personnes comparaître devant le comité ces dernières semaines. J'ai lu avec intérêt leurs observations. D'autres ont écrit des articles dans les journaux et font du lobbying en coulisse sur la Colline, d'après ce que je peux voir dans le registre des lobbyistes.
Le dossier de la défense antimissile continue d'avancer tant bien que mal comme les zombies dans The Walking Dead. À l'époque, les faucons avaient fait valoir que si le Canada ne participait pas au système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol, tout ce qui suit pourrait arriver : NORAD serait démantelé, nos relations avec les Américains sur le plan de la sécurité se détérioreraient et l'administration américaine serait si fâchée que nous subirions des représailles économiques. Ce n'était que de la foutaise.
Le Canada et les États-Unis ont signé en 2004 une nouvelle entente d'échange de renseignements et NORAD existe toujours. En fait, avant d'assumer ses fonctions de chef d'état-major de la défense, Tom Lawson était le Canadien le plus haut placé dans NORAD. On ne l'a pas envoyé dans un coin reculé en lui confiant un commandement sans importance; on l'a promu au poste le plus important.
Notre décision concernant la défense antimissile n'a rien changé à nos relations avec les États-Unis. En fait, grâce aux énormes efforts que nous avons consentis à Kandahar, des milliers de militaires américains ont pu quitter l'Afghanistan pour aller se battre en Iraq.
Chez nous, nous avons eu droit à une collaboration binationale sans précédent en matière de sécurité pour les Olympiques de Vancouver et le G8. Il y a eu énormément de coopération.
Enfin, pour ce qui est de nos relations avec notre principal partenaire commercial, on constate toujours des accords et des désaccords, mais rien n'indique qu'il existe un lien entre nos relations en matière de défense et nos relations commerciales avec les États-Unis. Il n'y a pas de lien à proprement parler.
Le ministre Baird devrait savoir que le dossier du pipeline Keystone XL n'avancera pas plus rapidement même si le Canada décide aujourd'hui de participer à la défense antimissile.
Ceux qui sont favorables à la défense antimissile font maintenant valoir que le système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol s'est grandement amélioré au cours des dernières années. À en croire certains, ce système fait plus de tirs réussis que Wayne Gretzky.
Ce n'est pas le cas. Premièrement, les essais sont effectués dans un environnement contrôlé, tout est prévu et il n'y a aucun obstacle. Il est facile de compter des buts quand il n'y a pas de gardien de but. Mais même dans les essais, selon les statistiques de l'Agence de défense antimissile, 8 des 16 essais d'interception ont été infructueux depuis 1999. Même devant un filet désert, le système ne réussit pas à marquer la moitié du temps.
J'ai inclus les dernières statistiques de l'Agence de défense antimissile en ce qui concerne les essais. J'ai remis ces renseignements au greffier pour que le comité puisse les consulter.
Le président : Vous pouvez le faire?
M. Staples : Oui. Nous les avons maintenant.
Le président : Merci.
M. Staples : Ce qui est encore pire, c'est que le système devient moins fiable, et non plus fiable. Les trois derniers essais ont échoué. Il n'y a donc pas eu un seul essai réussi depuis que le président Obama occupe la Maison-Blanche. Le dernier essai réussi remonte en décembre 2008.
Certains partisans du système tombent dans un piège en ce sens qu'ils s'intéressent seulement au bon fonctionnement du système, ils oublient l'essentiel, c'est-à-dire est-ce que ce système accroîtra la sécurité? La réponse est non. En fait, les systèmes de défense antimissile qui ciblent des missiles balistiques intercontinentaux sont terriblement déstabilisants. Soyons clairs. Je ne parle pas des systèmes comme le Dôme de fer ou les missiles Patriot de la première guerre du Golfe. On englobe ces systèmes dans les discussions, mais ils sont complètement différents pour ce qui est de leurs capacités, de leur taille et de leurs incidences. Ce sont des versions réduites des missiles qui se trouvent dans les silos en Californie et en Alaska, et ces missiles, qui sont plus petits, ne posent pas les mêmes problèmes sur le plan de la sécurité internationale.
La campagne que nous avons décrite concernait le système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol, non les systèmes de théâtre. Nous parlons d'intercepter des ogives nucléaires dans le vide de l'espace, des ogives qui sont lancées à l'autre bout du monde. C'est un peu comme atteindre une balle de fusil avec une autre balle. Je suis sûr que quelqu'un a mentionné cela dans les présentations, et c'est de ce système dont il est question.
Le système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol n'a aucun effet de dissuasion, comme l'ont affirmé certains témoins. En fait, il perturbe la dissuasion. Il va à l'encontre de la dissuasion en donnant à un côté un avantage sur l'autre. Le pays qui dispose d'un bouclier peut intercepter une première attaque mineure, mais en plus il peut lancer une attaque et neutraliser la riposte de son adversaire avec le reste de son arsenal. C'est pourquoi il s'agit d'un système d'attaque.
Compte tenu des piètres résultats dont nous avons parlé, vous vous demandez peut-être pourquoi les Russes et les Chinois se sentent menacés par un si petit système qui ne fonctionne pas la moitié du temps. C'est parce que ceux qui planifient la défense de la Russie ou de la Chine doivent supposer que le système fonctionne, qu'il fonctionne tout le temps et qu'il s'améliorera. Malgré les résultats obtenus, ils doivent supposer que ce système fonctionnera.
Comme on peut l'imaginer, les pays qui n'ont pas de bouclier fabriqueront plus de missiles, ils amélioreront leurs missiles et ils seront plus enclins à les lancer en cas de crise afin de l'emporter sur le système de défense d'un agresseur potentiel. Deux guerriers équipés d'une épée n'oseront peut-être jamais porter le premier coup par crainte de perdre la vie aux mains de l'autre, mais si un des guerriers a un bouclier, il peut porter le premier coup sans crainte et se défendre par la suite. C'est pourquoi le système a un effet déstabilisant.
Le monde serait-il plus sûr si la Chine ressent le besoin d'accroître son arsenal nucléaire au même niveau que ceux des États-Unis et de la Russie? Pourquoi la Russie accepterait-elle de réduire son arsenal nucléaire maintenant que la guerre froide est terminée et que les États-Unis se sont retirés du Traité sur les missiles antimissiles balistiques, le Traité ABM, et continuent de placer des défenses antimissiles jusqu'aux frontières de l'Europe?
Bien qu'elles soient considérables, les difficultés techniques qui affligent le système ne constituent pas la raison fondamentale pour laquelle la défense antimissile ne fonctionnera pas. C'est plutôt le fait que le déploiement de systèmes de défense antimissile amènera les pays qui se sentent menacés à réagir. Ce sont ces réactions qui feront en sorte que le bouclier antimissile ne fonctionnera pas et ce sont ces réactions qui expliquent pourquoi le déploiement d'un système de défense antimissile est plus susceptible de miner notre sécurité que de l'accroître.
Quelles sont donc les autres options? Les solutions diplomatiques ont beaucoup plus de chance d'être couronnées de succès que les systèmes de défense antimissile. Le nouveau Traité START a donné lieu à d'importants progrès au chapitre du désarmement nucléaire des États-Unis et de la Russie, de sorte que ces deux pays compteront environ 1 550 ogives déployées, ce qui est encore beaucoup trop mais qui constitue néanmoins une amélioration.
Prenons le cas de la Syrie. L'Occident s'apprêtait à procéder à une intervention militaire, parce que des armes chimiques avaient été utilisées malgré le fait qu'elles sont interdites. La menace que posaient ces armes chimiques a pu être éliminée grâce à un effort de coopération entre les États-Unis et la Russie, avec l'aide des Nations Unies. La guerre civile se poursuit en Syrie — et je ne cherche aucunement à amoindrir les terribles souffrances qu'occasionne cette tragédie là-bas —, mais en ce qui concerne les armes chimiques, nous avons assisté à une victoire de la diplomatie humaine. Toute intervention militaire aurait eu des effets désastreux.
En vue de ma présentation aujourd'hui, j'ai invité nos membres à me faire parvenir des observations à votre intention. J'ai reçu plus de 300 commentaires en quelques jours seulement. Bien des gens s'intéressent à ce dossier et suivent son évolution, et la plupart estiment que la défense antimissile ne comble pas leurs besoins actuels en matière de sécurité.
Paul Beckwith a déclaré que le risque d'être frappé par un missile est négligeable comparativement aux risques que les changements climatiques abrupts présentent pour les Canadiens. Beth Johnson a ajouté que le Canada doit revenir à son rôle de gardien de la paix tout en aidant les moins fortunés au Canada et à l'étranger à avoir un mode de vie convenable et durable.
J'espère que nous pourrons discuter des coûts, du rôle potentiel et des problèmes techniques que posent les leurres, un aspect qui a été brièvement abordé dans la période de questions qui a suivi la présentation précédente.
Je terminerai en vous demandant de réfléchir à l'affirmation suivante : le rôle du Canada dans la défense antimissile ne pose pas un problème qui doit être réglé. En 2004, au plus fort du débat sur la défense antimissile, une personnalité politique bien connue a déclaré :
Nous devons connaître précisément les objectifs de cette initiative, savoir si elle est techniquement réalisable, savoir quel serait le rôle exact que le Canada serait appelé à jouer et savoir quels pourraient être les coûts et les avantages, de même que la nature et la durée de tout engagement que le Canada pourrait être appelé à prendre.
Ce sont là d'excellents arguments qui ont été soulevés à la Chambre par le leader de l'opposition de l'époque, Stephen Harper. À ma connaissance, cela demeure la position du Parti conservateur.
Je vous demanderais de bien vouloir examiner ces questions aussi et en l'absence de réponses satisfaisantes, j'espère que vous proposerez dans vos recommandations finales que le Canada maintienne le cap et continue de ne pas participer au système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol des États-Unis. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Staples. Je tiens à vous remercier d'avoir fait part de votre position au comité. Je vous suis également reconnaissant pour les quelques minutes que votre collègue et vous-même m'avez accordées il y a quelques semaines.
J'ai bien lu le livre que vous m'avez donné. C'est un livre très éclairant et j'en recommande la lecture à tous les membres du comité. J'estime qu'on y trouve une perspective de ce qui s'est passé il y a 10 ans. Le comité souhaite aujourd'hui discuter à nouveau du dossier de la défense antimissile balistique publiquement et déterminer s'il est dans les intérêts du Canada de jouer un rôle plus grand qu'il ne le fait en ce moment.
J'aimerais vous poser une question avant que nous poursuivions. Je veux citer votre livre, si je peux, pour prouver, dans un premier temps, que je l'ai lu et, ensuite, que nous pouvons consigner des choses au compte rendu.
Dans votre livre, vous dites à la page 140 :
Ce qui préoccupait avant tout le Canada, ce n'était ni le coût élevé de la défense antimissile ni son fonctionnement. Les arguments que nous avons invoqués contre la défense antimissile portaient essentiellement sur le risque de provoquer une autre course à l'armement nucléaire et la militarisation de l'espace, et sur le fait que le Canada délaisserait ainsi l'appui qu'il a toujours accordé au contrôle des armes et au maintien de la paix.
Voici donc ma question. À la lumière des 10 dernières années et de la réduction du nombre d'armes nucléaires en ce qui concerne les États-Unis et le Canada, la course à l'armement nucléaire demeure-t-elle votre principale préoccupation comme en 2004?
M. Staples : Merci pour cette excellente question. Je tiens à préciser que certains sénateurs préconisent également l'abolition des armes nucléaires. Le sénateur Dallaire et le sénateur Segal ont fait de très bons discours sur le désarmement nucléaire et la nécessité de se débarrasser des armes nucléaires. Je suis sûr que d'autres sénateurs sont du même avis, et je tiens à le signaler.
C'est exact. C'est en partie pourquoi je voulais faire la distinction entre les systèmes de défense antimissile de théâtre, comme le Dôme de fer, et les autres systèmes dont il est question. Ils sont très différents à notre point de vue. Nous parlons du système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol, qui vise à miner la capacité stratégique d'autres pays. C'est ainsi que ces pays voient les choses et leurs réactions provoquent une course à l'armement, que ce soit en fabriquant plus d'armes, en n'en réduisant pas le nombre aussi rapidement ou en améliorant leurs capacités nucléaires. Voilà le genre d'impact que le système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol a sur ces pays.
Vous m'avez demandé où se trouvaient les preuves et j'ai indiqué que le nouveau Traité START qui est actuellement en vigueur est vraiment extraordinaire. J'ai été privilégié. J'ai assisté à la conférence préparatoire des parties chargées d'examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui s'est tenue à l'ONU, à Vienne, en 2012. Les Américains et les Russes, qui sont responsables de la mise en œuvre du nouveau Traité START et des réductions prévues ont fait une présentation.
Ils avaient de belles choses à dire les uns des autres. Les Russes ont raconté qu'ils ont visité des installations nucléaires américaines, qu'ils sont montés à bord de sous-marins lance-missile balistique et qu'ils ont ouvert les dômes pour y faire descendre une corde avec un poids dans le but de mesurer la distance jusqu'au bout du missile pour savoir de quel genre de missile il s'agissait. Ce sont des façons très simples de vérifier le genre d'armes et le nombre d'armes dans les silos.
Les Américains ont raconté des histoires semblables. Ils sont allés en Russie et ont dû chausser des skis et des raquettes pour aller vérifier les numéros de série des missiles pour être en mesure de rendre compte de chacun. Il y a beaucoup de coopération.
Quand la question de la défense antimissile a été soulevée, le ton a changé. Les Américains ont tenté d'en réduire l'importance. Bien sûr, vous savez Obama a quelque peu changé le système européen en lui donnant un nouveau nom. La couverture est un peu plus étendue. Ce n'est pas ce que l'administration Bush proposait. Il y a plus de pays et plus de systèmes. Les Américains voulaient minimiser l'importance de la chose, mais les Russes se sentaient clairement confrontés et il était clair que cela les empêchait de procéder à de nouvelles réductions.
Il était très intéressant de voir tout cela, monsieur le sénateur. Je crois que ce programme compromet les réductions. Comme le témoin précédent l'a mentionné, les Russes et les Américains continuent d'améliorer leur arsenal respectif. Il y aura une nouvelle arme bientôt aux États-Unis : la B61 Mod 12, modification 12. Il s'agit d'une nouvelle arme nucléaire améliorée. Les Russes font la même chose de leur côté.
Nous sommes loin de l'abolition des armes nucléaires que beaucoup d'entre nous préconisons pour notre pays et le monde entier. Le système de défense antimissile, à mon avis, n'aide en rien.
Le président : Merci.
Le sénateur Dallaire : Les Britanniques ont sabré massivement dans leurs budgets de défense au niveau tactique, mais ils vont investir 40 milliards de livres pour moderniser les capacités nucléaires de leurs sous-marins. Je crois qu'ils le font plus pour leur industrie nucléaire que pour répondre à un besoin opérationnel réel. Cela m'amène à votre argument selon lequel une capacité de dissuasion peut entraîner un conflit ou des frictions entre des adversaires potentiels, et peut même encourager la prolifération.
C'est une tactique d'intimidation. Il faut donc se demander à quel niveau on doit se situer pour faire clairement comprendre à l'autre côté qu'il gaspille son argent en jouant avec cette capacité et qu'il peut utiliser d'autres moyens ou se retirer complètement de tout cela. J'inclus même le Pakistan.
M. Staples : Le risque de prolifération, d'accident ou d'utilisation d'armes nucléaires est très grand dans le cas du Pakistan et de l'Inde. C'est un point chaud du globe.
Évidemment, le système de défense antimissile basée au sol n'est pas conçu pour ce genre d'armes. Je ne crois pas que ces armes ont la même portée que celles de la Chine ou de la Russie, je ne suis pas sûr que cela entre dans l'équation ici.
Il est très clair selon moi que si nous souhaitons éviter une catastrophe nucléaire en Asie du Sud, il serait nettement préférable d'arrêter la production de ces armes nucléaires et de s'en débarrasser, si possible, et d'apporter plus de stabilité et une meilleure coopération au lieu d'installer des boucliers antimissiles.
Pour ce qui est du Royaume-Uni, il est intéressant de constater que la relance du système Trident suscite tout un débat. Les Britanniques ont retiré toutes les armes nucléaires de leur flotte de surface, et ils n'ont plus d'armes nucléaires larguées dans les airs, les deux éléments de la triade stratégique.
Il leur reste des sous-marins nucléaires qui sont basés en Écosse. En avril dernier, j'ai pu visiter cette installation — en fait je ne suis pas allé à l'intérieur. J'ai fait le tour de l'installation, sur la rivière Clyde, juste au nord de l'Écosse. C'est un dossier très chaud.
Les Écossais ne veulent pas de ces sous-marins à cet endroit. Ces sous-marins sont très impopulaires. La question du système Trident est maintenant mêlée au mouvement d'indépendance de l'Écosse. Le Parti national écossais est devenu, à juste titre, antinucléaire et associe le retrait de ces sous-marins au mouvement indépendantiste. Il a une forte pente à remonter selon les sondages, mais cette question, entre autres, est très importante dans le débat sur l'avenir du système Trident du Royaume-Uni.
Beaucoup de gens s'intéressent à la capacité de déployer un sous-marin nucléaire à la fois, et c'est ce que le Royaume-Uni a. Les Britanniques ont besoin de quatre sous-marins pour pouvoir en déployer un seul. Quelle différence est-ce que cela peut bien faire? Il y a beaucoup de risques associés à tout cela. Comme vous le savez, incroyablement, un de ces sous-marins est entré en collision avec un sous-marin français au fond de l'océan il y a quelques années. Deux sous-marins se trouvaient au même endroit et ils sont entrés en collision. Quelles sont les chances que cela se produise? On penserait que c'est inimaginable. Eh bien, c'est vraiment ce qui s'est produit. C'est vrai.
Le sénateur Dallaire : Il est également intéressant qu'ils conservent ce programme au détriment de 17 régiments qui pourraient être déployés dans des conflits partout dans le monde et qui pourraient contribuer à atténuer des conflits de faible intensité.
Je reviens à l'argument de la dissuasion par rapport à l'accroissement du risque que les gens veuillent continuer d'améliorer leur capacité.
Qu'arrive-t-il si les Américains ne souhaitent pas vraiment déployer leurs capacités parce que ce ne sont pas les États-Unis qui sont ciblés? La cible pourrait être en périphérie, même en périphérie du Canada. L'attaque pourrait découler d'un machisme épouvantable et d'un comportement de surenchère, caractéristiques peu enviables des pays comme la Corée du Nord qui poussent les limites de ce qu'on peut tolérer avant qu'on passe à l'action.
Si nous ne faisons pas partie du système, serons-nous laissés à nous-mêmes pour nous défendre dans ces circonstances?
M. Staples : C'est une bonne question et c'est l'un des points soulevés au commencement du débat quand on a cherché à déterminer quelle serait la participation du Canada et quels genres d'avantages le Canada retirerait sur le plan de la sécurité en participant à ce système.
Il a été proposé que le Canada ait un mot à dire quant au lancement de ces intercepteurs. À l'heure actuelle, nous participons à la collecte de données pour déterminer quand une attaque est lancée. L'engin se dirige-t-il vers nous? Oui. Où? On ne sait trop. Seattle ou Vancouver? Il peut être impossible d'être aussi précis, car il s'agit d'une petite distance quand quelque chose arrive d'aussi loin.
À l'époque, je me souviens que le premier ministre Martin avait demandé si le Canada aurait son mot à dire en ce qui concerne les lancements. Qu'arriverait-il en cas de désaccord? À l'heure actuelle, la décision finale revient aux États-Unis, non au Canada, un point c'est tout.
Il y a eu des discussions sur la possibilité que quelques intercepteurs soient réservés pour l'usage exclusif du Canada. Des hypothèses ont été émises et il est ressorti assez clairement que les avantages en matière de sécurité pour le Canada n'étaient pas très évidents.
D'après ce que j'ai entendu, je vous recommande de parler à d'autres scientifiques. J'ai mentionné que Philip Coyle pourrait être un témoin intéressant en sa qualité d'ancien responsable du Bureau des essais et de l'évaluation au Pentagone. Il a aussi été directeur adjoint du Laboratoire national Lawrence-Livermore et il pourra vous répondre plus directement. Cependant, il y a peu de temps pour réagir et il faut agir rapidement pour pouvoir lancer un intercepteur. Qu'il soit possible ou non de faire la distinction entre Vancouver et Seattle, à mon avis, on tirera sur n'importe quoi pour tenter de l'abattre.
Le sénateur Segal : Merci, monsieur Staples, de votre présence et de votre position cohérente et claire au sujet de cette dépense. Vous avez déclaré dans le passé que si on approuvait le déploiement d'intercepteurs basés dans l'espace, ceux-ci seraient très problématiques en ce qui concerne l'équilibre entre l'Est et l'Ouest. La militarisation de l'espace serait une chose horrible, nous sommes tous d'accord sur ce point selon moi. Est-ce que le fait que les Américains ont mis de côté le déploiement de tels intercepteurs change d'une façon ou d'une autre votre opinion quant à l'opportunité d'avoir des systèmes de défense non pas contre les Russes comme vous l'avez âprement dit, mais contre les États voyous qui sont moins ouverts aux voies diplomatiques que les Russes et les Américains l'ont été, du moins en ce qui concerne l'entente de Reykjavik et tous les progrès réalisés dans le cadre du Traité START?
M. Staples : Je crois que la militarisation de l'espace demeure une option, comme le témoin précédent des États-Unis l'a dit. Il a dit qu'il y avait toujours des discussions sur la militarisation de l'espace. Est-ce imminent? Probablement pas. Mais est-ce une éventualité si nous nous engageons dans cette voie? Je crois oui, à cause de la physique. De nombreux problèmes associés à l'interception des missiles pendant la phase de mi-parcours n'existent pas pendant la phase de propulsion. L'interception est plus facile. Et tous les problèmes associés aux intercepteurs basés en mer et au sol disparaissent eux aussi si on utilise des intercepteurs basés dans l'espace.
Le témoin précédent avait parfaitement raison. Il faudrait déployer des efforts phénoménaux et assumer des coûts prohibitifs pour mettre en orbite pareille quantité d'intercepteurs. Il en faudrait des milliers parce qu'ils seraient dans l'orbite inférieur de la Terre et parce qu'ils ne seraient pas géostationnaires. Les bancs d'essai dans l'espace constituent toutefois un pas dans cette direction. Des fonds sont prévus dans le budget américain pour des bancs d'essai, pas pour des déploiements. Il s'agit tout de même d'un pas dans cette direction, la direction de la militarisation de l'espace. Cela amène certainement certains pays à vouloir améliorer leurs armes stratégiques.
Vous avez raison pour ce qui est de négocier avec des pays qui se comportent mal. Cependant, si on tient compte des coûts et des autres éléments négatifs, si on examine l'avantage qu'on pourrait retirer d'une éventuelle capacité d'interception limitée pour un ou deux missiles lancés à partir d'un État voyou par rapport à tous les aspects négatifs du contrôle des armes et de la prolifération nucléaire, sans compter les coûts incroyables, il faut se rendre à l'évidence que ce n'est pas la voie à emprunter.
Le sénateur Segal : Dans la réponse que vous avez donnée plus tôt, vous avez parlé du risque déstabilisateur que pourrait créer ce genre de système en affaiblissant les diverses options stratégiques de l'Iran et de la Corée.
Tout d'abord, étant donné la place qu'occupent depuis récemment ces deux pays sur l'échiquier géopolitique, ne croyez-vous pas qu'il serait dans l'intérêt général de la défense du Canada d'affaiblir les options stratégiques de ces deux pays? Deuxièmement, êtes-vous d'avis que, si le Canada se dotait d'un réseau d'alerte avancé, qui devait faire partie intégrante de la contribution du Canada à la suite des négociations entourant le missile Bomarc et du passage aux systèmes antimissiles — je souligne qu'il n'y a jamais eu de missiles balistiques intercontinentaux basés au Canada visant quelque pays que ce soit, mais que nous avons eu un réseau d'alerte avancé à des fins de surveillance —, qu'un réseau de cette nature dis-je, qui a permis de recueillir des renseignements globaux pour assurer notre défense advenant une attaque, serait également contre-productif?
M. Staples : En ce qui concerne le réseau d'alerte avancé, comme nous le savons, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, on a craint que des bombardiers à long rayon d'action n'attaquent des villes américaines par l'Arctique. Le Canada a contribué à la création du NORAD. Nous avons pu y apporter une contribution territoriale dans les diverses stations radars, mais celles-ci ont été établies parallèlement à l'arrivée des missiles balistiques intercontinentaux. Il n'était désormais plus nécessaire d'utiliser des avions pour larguer des bombes. On pouvait alors surveiller le système dans l'espace, et c'est à cette époque-là que les premiers projets de systèmes de défense antimissile ont vu le jour. On se disait que, si on pouvait abattre des avions, on pouvait peut-être également abattre des missiles. De tels plans ne datent pas d'hier et ils ne sont jamais tombés dans l'oubli.
Nous avons plutôt opté pour la doctrine de la destruction mutuelle assurée. Au lieu d'ériger des moyens de défense, nous avons préconisé qu'une attaque par l'un ou l'autre camp allait provoquer la destruction des deux camps. Cette doctrine était à l'opposé de l'approche fondée sur les missiles antibalistiques et a donné lieu au Traité sur les missiles antimissiles balistiques, signé en 1972. Les États-Unis se sont retirés du traité sous George Bush afin de mettre en œuvre le système de défense à mi-parcours basée au sol dont il est question. Tous ces efforts maintenant déployés auraient pu être empêchés en vertu de ce traité. Ce sont les États-Unis, et aucun autre pays, qui ont décidé de se retirer du traité pour mettre en œuvre ce système. Le Canada y participe-t-il? Dans une certaine mesure. L'entente sur l'échange de renseignements conclue en 2004 a été importante, en fait plus importante que beaucoup le croyaient à l'époque.
Le traité a entraîné un changement : les renseignements recueillis par le NORAD, entre le Canada et les États-Unis, ont pu être transmis à d'autres commandements militaires, dont le Commandement de l'Amérique du Nord, un commandement strictement américain chargé d'assurer la défense aérienne à mi-parcours basée au sol. En fait, les renseignements recueillis par le NORAD, dont le rôle est de surveiller les attaques aux missiles, pourraient être transmis aux Américains qui, dans certains cas, pourront littéralement —-puisqu'ils se trouvent physiquement dans la même installation — appuyer sur le bouton et lancer les intercepteurs.
L'avenir du NORAD a été assuré. Nous y avons contribué de cette façon, mais nous n'avons pas participé à la matrice décisionnelle concernant le lancement de ces missiles.
Le Canada a-t-il besoin d'un système de défense à mi-parcours basée au sol? Non. Il en est actuellement question, et c'est peut-être ce qui, en partie, suscite ce regain d'intérêt. Le Congrès a mandaté l'armée américaine d'examiner d'autres installations éventuelles sur la côte Est. À l'heure actuelle, quatre sites sont envisagés, qui se trouvent tous dans le Maine et dans le nord de l'État de New York. Aucun n'est situé au Canada.
À l'époque, la compagnie Raytheon, le fabricant du radar à bande X, avait envisagé Goose Bay comme station radar éventuelle, comme vous le savez, et l'endroit avait été présélectionné. À mon avis, les Américains n'ont pas besoin d'y installer là un système radar pour leur système de défense basée au sol. Ils pourraient utiliser Thulé, Fylingdales et d'autres installations dont ils n'ont pas vraiment besoin. Je ne crois donc pas qu'il soit nécessaire d'échanger de l'information ou des renseignements dans le cadre de ce système.
Le sénateur Day : Pour votre gouverne uniquement, je vous signale que l'un des témoins qui a comparu plus tôt a dit que les Américains avaient choisi la base de Portsmouth pour y installer leur système radar et recueillir de l'information sur la côte Est. J'ai cru bon de vous le faire savoir. Vous pouvez vérifier si c'est effectivement le cas.
Ma question est quelque peu technique, mais je pense qu'elle touche à la destruction mutuelle assurée dont vous venez de parler et au fait qu'une telle doctrine est très dérangeante lorsqu'on tente d'établir un système de défense. J'aimerais entendre vos commentaires sur les raisons pour lesquelles le Dôme de fer israélien est un type de système de défense acceptable. Il y a également la Phased Adaptative Approach — l'Approche adaptative graduelle —, en Europe, qui est le deuxième système de défense en importance. Puis, il y a le dernier, celui dont nous discutons actuellement, qui semble être le plus gros système de défense antimissile basée au sol.
À partir de quand est-il acceptable de se doter d'une capacité de défense antimissile de théâtre, mais inacceptable d'adopter cette défense stratégique?
M. Staples : C'est une excellente question. Il est essentiel de comprendre comment ces systèmes fonctionnent pour se faire une opinion.
Il s'agit de systèmes techniquement très complexes. À mon avis, dans le cadre de ce débat, des connaissances fondamentales sur le fonctionnement de ce genre de technologie peuvent vous faire changer d'opinion sur certaines choses, par exemple sur la souveraineté et le fait que les intercepteurs ne survolent pas le Canada, mais qu'ils sont basés dans l'espace. C'est un fait important, car il touche à ces questions fondamentales.
C'est la même chose pour ce qui est des différences entre ces types de système de défense antimissile. Il en existe bien des sortes. Ces systèmes de défense antimissile de théâtre, que ce soit le Dôme de fer ou un autre, servent à intercepter de petites roquettes qui pourraient être tirées. Les missiles Patriot sont de taille moyenne, et il ne faut pas oublier les missiles SCUD, utilisés lors de la guerre du Golfe. Les pays dotés d'un important arsenal nucléaire tels que la Chine et la Russie ne perçoivent pas ce type de technologie comme un obstacle à leur capacité stratégique de lancer des attaques nucléaires — et, par conséquent, à la défense et à la protection de leur pays.
J'ai certaines réserves, cependant, puisque le système européen de l'Approche adaptative graduelle, qui est nouveau et que je ne connais pas aussi bien que le système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol, semble être hybride. C'est plus qu'un système antimissile de théâtre. Il évoluera au fil du temps et il utilisera différents intercepteurs — en mer et au sol. Il utilisera toute une batterie d'intercepteurs.
Or, les Russes le voient comme un obstacle à leur capacité stratégique de dissuasion, à un point tel que, si je ne me trompe pas, un ministre russe des Affaires étrangères — ou un haut fonctionnaire — a, à un certain moment, évoqué l'idée de déplacer les missiles à courte portée plus près de la frontière de façon à ce que la Russie puisse réagir aux sites d'interception en Europe de l'Ouest. Nous pouvons donc déjà le voir — que nous croyions ou non que cette technologie affaiblisse la capacité de la Russie, du moins, elle, c'est ce qu'elle croit. Les mesures que prend la Russie semblent aller en ce sens.
C'est ce qui se passe quand on commence à entrer dans la zone de danger, c'est-à-dire quand on commence à voir les effets déstabilisateurs globaux des stratégies de défense. Comme le sénateur Lang l'a dit au début, c'est ce qui nous préoccupe depuis toujours en ce qui concerne cette question.
Il y en a un autre type, qu'on appelle « terminal » — je présume qu'on l'appelle ainsi parce qu'il s'agit d'un système de défense en phase terminale, où le missile est intercepté à son arrivée. Par exemple, nos frégates sont munies de petits systèmes de défense antimissile, qui servent à intercepter un missile à la dernière minute, dans l'eau alors qu'il cible un bateau. Ces systèmes ne posent aucun problème. Ce sont ce qu'on appelle des « systèmes de défense antimissile ». C'est le gros système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol qui soulève tous ces facteurs déstabilisateurs qui nous préoccupent.
Le sénateur Dagenais : Les efforts de la Chine en vue de se doter d'une arme antisatellite posent une menace directe à l'utilisation de l'espace à des fins pacifiques. En 2007, par exemple, la Chine a lancé un missile balistique antisatellite et détruit un satellite météorologique chinois. Elle a alors provoqué ce qui est décrit comme la pire contamination en orbite basse terrestre en 50 ans. On croit que, six ans plus tard, soit le 22 janvier 2013, un débris de l'explosion survenue lors de cet essai serait entré en collision avec un nanosatellite russe en orbite et qu'il continue de menacer d'autres objets en orbite autour de la Terre, dont la Station spatiale internationale.
Pourquoi vos critiques de la militarisation de l'espace n'ont-elles visé que le Canada et les États-Unis, alors que la Chine ne s'empêche aucunement de mettre en œuvre des programmes qui menacent les programmes spatiaux civils internationaux?
De plus, quelles sont les possibilités de coopération internationale concernant les débris spatiaux?
M. Staples : Nous étions tous très inquiets lorsque ces essais ont été menés — lorsque les Chinois ont intercepté ce satellite. Vous avez dit, avec raison, à quel point cet essai a été catastrophique étant donné la quantité de débris qu'il avait laissés. Détrompez-vous. Ces débris ne sont pas les seuls; les programmes spatiaux russes et européens en ont laissé bien d'autres au cours des dernières décennies. On y trouve déjà beaucoup de matériel à cet endroit. Mais cet essai a fait augmenter de beaucoup la quantité de débris, je ne sais pas de quel pourcentage exactement, mais dans une grande proportion en tout cas.
C'est une grande source de préoccupation, et je sais que de nombreuses organisations s'efforcent de limiter ce genre d'approche et d'instaurer ce qu'on appelle la « sécurité spatiale ». Je félicite le gouvernement canadien et le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, qui a joué un rôle de leadership très constructif en ce qui concerne la sécurité spatiale. Le Canada contribue à l'index de sécurité spatiale, une évaluation annuelle menée sous la direction de l'Université McGill.
On observe un certain nombre de facteurs et de paramètres afin de voir si la sécurité spatiale s'améliore ou se détériore. La gouvernance mondiale, la coopération et le respect du code de conduite, notamment, sont au nombre des facteurs observés. Trois des dix facteurs, si je me rappelle bien, ont trait aux armes. Les armes antisatellite sont l'un d'eux, tout comme la capacité de lancer des frappes à partir du sol — ce qui est en quelque sorte l'inverse du système de défense antimissile, qui consisterait à placer des missiles dans l'espace afin d'intercepter des objets lorsqu'ils pénètrent dans l'atmosphère.
C'est très inquiétant. Tout le monde exprime des inquiétudes à cet égard. Mais c'est de là que vient la militarisation de l'espace. Si nous nous engageons vers la militarisation de l'espace, notamment en déployant des efforts afin d'intercepter des objets dans l'espace pouvant être liés à un système de défense antimissile, qu'il s'agisse d'intercepteurs ou de satellites utilisés dans le cadre d'un système de défense antimissile à mi-parcours basée au sol, tout cela est intimement lié d'une certaine manière. Si l'espace devient davantage une plateforme pour faire la guerre, ce genre d'incidents pourrait se multiplier à l'avenir. Les débris spatiaux attirent l'attention de bien des gens. Ils sont un élément fondamental puisqu'ils mobilisent des intervenants internationaux qui veulent les empêcher.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Staples, c'est très intéressant. J'aimerais aborder plus en profondeur la question, que vous avez soulevée plus tôt, de l'équilibre qu'apporte la dissuasion dans l'équation. Vous avez dit — et c'est un exemple éloquent — que le Viking muni d'un bouclier et d'une épée risque de s'attaquer davantage à un adversaire qui n'a qu'une épée pour se défendre. Disons que les États-Unis sont dissuadés d'attaquer la Corée du Nord ou l'Iran puisque les pays limitrophes alliés seraient grandement atteints par une attaque, et que la Chine étant un pays voisin et un allié de la Corée du Nord, on ne voudrait pas les provoquer par une attaque nucléaire. D'un côté, les États-Unis sont dissuadés d'utiliser leur arme nucléaire de façon précipitée ou en guise de représailles, mais de l'autre, très peu de facteurs dissuaderaient l'Iran dans certaines circonstances et encore moins la Corée du Nord, qui semble particulièrement menaçante, d'attaquer les États-Unis s'ils possédaient l'arme nucléaire. Dans ce contexte, je crois — et cela nous a été démontré de façon convaincante — que le système de défense antimissile n'entraîne pas le déséquilibre dont vous parlez. En réalité, il a plutôt l'effet contraire.
M. Staples : Eh bien, vous soulevez des points intéressants. J'imagine que nous devons réfléchir aux conséquences non intentionnelles que vous avez évoquées. Il n'y a pas que la Chine qui serait menacée. La Corée du Sud le serait sûrement elle aussi. La Corée du Nord serait tout à fait capable de lancer une pluie de plusieurs milliers de missiles sur Séoul et de raser la ville. Les raisons de ne pas s'engager dans ce genre de conflit semblent nombreuses.
Certains diront — et vous en penserez ce que vous voudrez — que c'est la capacité nucléaire de la Corée du Nord, l'un des pays formant l'« axe du mal », qui était à l'origine de ce dont il est question. Regardez ce qui s'est passé en Iraq, désigné comme l'un des trois pays de l'axe du mal, alors que le pays ne possédait aucune arme nucléaire puisqu'il avait abandonné l'idée dès le début de son programme, ni aucune arme de destruction massive. La Corée du Nord, qui fait elle aussi partie de l'« axe du mal » croit qu'elle ferait mieux de conserver ses armes nucléaires, car c'est peut-être son seul moyen de dissuader les États-Unis de l'attaquer. Elle a su être dissuasive à cet égard.
Si l'on continue de perfectionner le système de défense antimissile basée au sol, ces pays continueront à se doter d'armes, quoique je craigne qu'ils ne le fassent de toute façon. Ils continueront probablement de renforcer leur arsenal et leur capacité de défense. Selon moi, aucune menace potentielle lointaine ne justifie ce qu'il nous en coûterait de participer à ce système de défense antimissile à ce stade-ci.
Le sénateur Wells : La défense d'un territoire ou d'intérêts repose sur tout un ensemble d'options et d'instruments. Comment justifiez-vous de retirer l'une de ces options qui visent à mieux protéger la sécurité des citoyens?
M. Staples : Il faudrait que j'examine ces options afin de voir si elles renforceraient bel et bien notre sécurité. Au bout du compte, il faut se demander si cette option contribuerait à accroître notre sécurité et si elle améliorerait, globalement, la situation. Si un tel système ne nous protège pas davantage, voire nous protège moins, à mon avis, nous ne devrions pas y adhérer. Cela me paraît logique.
Le Traité sur les missiles antimissiles balistiques a été mis en œuvre. Les États-Unis s'en sont retirés, mais, durant de nombreuses années, nous avons convenu de ne pas nous engager dans cette voie. Nous avons renoncé aux mines antipersonnel. Le Canada a d'ailleurs joué un rôle de premier plan à cet égard. Nous renonçons à nos armes à sous-munitions et détruisons nos bombes à fragmentation, et ce, même si nous n'adhérons pas entièrement à ce traité. Le Canada préconise depuis longtemps le fait que les systèmes d'armes apportent davantage de problèmes que de bienfaits et qu'il faudrait s'en débarrasser. Le système de défense antimissile entre dans la même catégorie.
Le président : Je vais revenir sur cet aspect puisqu'il est important de le souligner. Lors de la dernière audience, nous en avons appris au sujet du programme visant les missiles balistiques en Europe, auquel 27 pays adhèrent, c'est-à-dire qu'ils en approuvent l'installation. Pour faire suite à ce que le sénateur Wells a dit, peut-on savoir pourquoi le Canada ne joue pas un rôle plus proactif étant donné que 27 pays européens estiment que ce programme est dans leur intérêt et qu'il les protégera? Pourquoi le Canada serait-il différent?
M. Staples : Les systèmes de défense européens visent à défendre les pays européens. Ils protègent les pays européens.
Il faut voir quel genre de contribution ces pays y font. Ils ont peut-être adhéré à ce programme, mais leur participation financière semble très modeste par rapport au nombre de navires munis de missiles balistiques qu'ils déploient. J'ai commencé à faire des lectures sur le système de défense européen, et j'ai lu un article du U.S. News publié à l'automne dernier. On y déplorait le fait que les États-Unis assument le fardeau financier de ce système européen et qu'ils y investissent beaucoup d'argent — beaucoup plus que les Européens. L'objectif est appelé à changer.
Je crains que le Canada ne participe au système européen de défense antimissile, mais je me rends compte que nous y participons déjà en raison de notre adhésion à l'OTAN. Néanmoins, je continue de croire que nous ne devrions pas contribuer au système de défense à mi-parcours basée au sol.
Le sénateur Mitchell : Pour ce qui est du coût, je signale que, selon M. Wilkening, le témoin précédent, la contribution financière réelle du Canada pourrait être nulle puisque les États-Unis n'auront peut-être pas l'intention de déployer des stations de surveillance au Canada ni même d'armes à proprement parler. On pourrait faire valoir que, étant donné le bilan du Canada en matière d'acquisitions, notre pays ne contribuera jamais à ce système de toute façon.
Dites-vous que, à défaut de contribuer financièrement à ce système, le Canada aurait deux possibilités : soit négocier avec les États-Unis afin qu'ils nous défendent advenant une attaque, soit — est-ce ce que vous préconisez? — aller plus loin et tenter de les dissuader de s'engager dans cette voie, même s'ils assument tous les coûts?
M. Staples : Je trouve curieux que les partisans du système de défense antimissile fassent valoir des points de vue opposés sur son coût. Selon certains, nous sommes des profiteurs qui ne contribuent pas suffisamment à la sécurité continentale, et, puisque le système de défense nous protège, pourquoi n'y participons-nous pas financièrement?
Selon d'autres — c'est ce qu'on peut lire dans les pages éditoriales et il y avait justement un autre article d'un sénateur qui a déjà été membre de ce comité —, il ne nous en coûtera rien puisque nous ne sommes pas tenus d'apporter une contribution. Qu'en est-il réellement? Devons-nous y contribuer ou non? Les partisans de ce système semblent incapables de se faire une idée.
Je crois, à l'instar de l'intervenant américain, qu'une contribution financière est toujours bienvenue. Honnêtement, à ce point-ci, il n'y a pas grand-chose d'autre que nous puissions faire. On n'a pas besoin de notre territoire. Notre industrie est toujours libre de faire sa part. Rien n'interdit aux entreprises canadiennes de soumissionner dans le cadre d'appels d'offres et de participer à des marchés.
En 2005, le premier ministre Mulroney avait pris la même décision : le Canada n'y participerait pas. Il n'avait pas interdit aux entreprises canadiennes d'y participer si elles le souhaitaient, mais il avait dit que c'était la décision des États-Unis. Il avait décidé que le Canada ne se joindrait pas à ce système, sans pour autant faire la leçon.
Parallèlement, j'aimerais que le Canada appuie les négociations en faveur de l'élimination des armes nucléaires. L'abolition des armes nucléaires est la seule solution au problème dont il est question. Nous devrions préconiser cela plutôt que des systèmes de défense antimissile. J'aimerais beaucoup que le Canada fasse avancer cette question, comme il l'a fait pour les mines antipersonnel et d'autres enjeux semblables.
Le président : Je remercie notre invité qui a comparu devant le comité aujourd'hui. Vous avez apporté un point de vue différent, un point de vue fort bien documenté devrais-je même ajouter. J'aurais un ou deux mots à dire sur l'évolution des choses par rapport à il y a 10 ans, alors que les discussions sur le sujet commençaient. Nous avons entrepris ce débat public afin de discuter de la sécurité du Canada dans le cadre de la défense contre les missiles balistiques et autres menaces. Il existe des menaces réelles. Je ne crois pas qu'aucun des témoins n'ait remis cela en question. Il s'agit de savoir comment nous défendre et de prévoir comment réagir aux menaces si elles se concrétisaient.
C'est une question hypothétique fort intéressante. Ce programme antimissile a ses partisans et ses détracteurs. Au bout du compte, si je me trouve à Edmonton et que plane une menace d'attaque au missile, je ne veux vraiment pas me demander quel programme me protégera. Je veux savoir qu'on peut contrer l'attaque. Je crois que vous éprouveriez le même sentiment si vous viviez à Edmonton à ce moment-là.
C'est là l'autre côté de la médaille. Il s'agit d'une situation qui nécessite de la planification et des décisions à long terme, car la mise au point et l'installation de ce genre de technologie ne se produisent pas du jour au lendemain. Une telle entreprise prend beaucoup de temps.
J'aimerais vous poser une question qui porte sur l'aspect commercial de l'affaire en contexte canadien. Dans votre livre, vous mentionnez qu'une entreprise — montréalaise, je crois — avait décroché un contrat pour un projet lié au programme de défense contre les missiles balistiques. On prétend que le contrat en question aurait été annulé parce que le pays a décidé de ne pas prendre part au programme. J'ignore si c'est vrai, mais, selon moi, il n'est pas tout à fait exact d'affirmer qu'une participation active est possible en ce qui concerne le programme même. Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires avant de conclure?
M. Staples : Les Américains prisent hautement le programme et, évidemment, ils veillent très sérieusement à la protection de leur technologie. Sur un sujet connexe, vous vous rappellerez peut-être que l'entreprise Alliant Techsystems, ATK, a tenté il y a quelques années — c'était après la parution du livre — de faire l'acquisition des systèmes spatiaux créés par MacDonald, Dettwiler and Associates, ou MDA, en plus du satellite RADARSAT-2, du bras robotique Canadarm, ainsi que d'autres technologies critiques dont nous ne savons rien, puisqu'elles n'ont jamais été vraiment discutées. Par contre, nous savons qu'ATK participait à la création du système de défense antimissile balistique et fabriquait même des propulseurs d'appoint de missile. Nous croyons, mais cela reste à prouver, qu'ATK voulait acquérir les technologies développées par MDA pour les inclure dans le système de défense antimissile.
Nous nous y sommes opposés. Je suis très heureux que le gouvernement actuel ait bloqué la première prise de contrôle par des intérêts étrangers à avoir lieu depuis l'adoption de la Loi sur Investissement Canada, soit depuis les années 1980. Cette mesure visait à protéger la souveraineté et les technologies canadiennes et a eu pour résultat d'empêcher cette société de l'utiliser pour de la défense antimissile. Ce fut un autre grand jour.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Staples.
Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, alors que nous poursuivons notre étude de la défense antimissile balistique.
Nous sommes heureux d'accueillir le major-général Christian Rousseau, chef du renseignement de la défense, ainsi que Craig Maskell, directeur du renseignement scientifique et technique au sein du Commandement du renseignement des Forces armées canadiennes. Je suis certain que, tôt ou tard, nous aurons recours à de nombreux acronymes.
Messieurs, nous sommes impatients d'entendre vos observations sur cet important sujet. Je crois comprendre que vous avez préparé une allocution d'ouverture. Veuillez commencer. Nous avons prévu une heure pour cette partie de la séance.
Major-général Christian Rousseau, chef du renseignement de la défense, Défense nationale et Forces armées canadiennes : Monsieur le président et sénateurs, je vous remercie de cette invitation à témoigner devant vous cet après-midi. C'est avec grand plaisir que je m'adresse à vous aujourd'hui pour vous faire part de notre point de vue sur les menaces liées aux missiles balistiques contre le Canada, ainsi que de certaines de nos préoccupations plus importantes en matière de sécurité, sous l'angle du renseignement de la défense.
[Français]
Tel que mentionné, je suis accompagné aujourd'hui de M. Craig Maskell, directeur du renseignement scientifique et technique au sein du commandement des renseignements des Forces armées canadiennes. Il m'aidera à apporter des clarifications à vos questions d'ordre technique.
Avant de parler des menaces possibles contre le Canada telles que nous les envisageons, je souhaite mettre en contexte mon rôle en tant que chef du renseignement de la défense et commandant du commandement des renseignements des Forces armées canadiennes.
Le rôle de mon équipe consiste à aider le ministère de la Défense et les Forces armées canadiennes à faire des choix judicieux dans l'exercice de leurs fonctions. Qu'il s'agisse de la conduite d'opérations dans l'Arctique, de fournir du soutien aux Jeux olympiques de Vancouver, de répondre à une menace terroriste ou de la conduite d'opérations militaires outre-mer, les Forces armées canadiennes ont besoin de renseignements précis et à jour afin de réaliser leurs objectifs militaires et de garantir la sécurité et la protection de leur personnel.
Le renseignement de la défense est aussi une composante essentielle de la capacité du gouvernement du Canada à prendre des décisions éclairées en ce qui a trait à la défense, à la sécurité nationale et aux affaires étrangères. Dans l'accomplissement de notre mandat, je peux affirmer avec fierté que notre capacité de renseignement est de calibre mondial et qu'elle offre les outils requis 24 heures par jour, 365 jours par année, pour fournir à nos leaders un avantage en matière d'information.
Permettez-moi d'insister sur le fait que le renseignement est le principal facteur de succès opérationnel. Sur ce plan, nous recevons un soutien exceptionnel de nos partenaires internationaux. Le personnel du renseignement de la défense, que ce soit collecteur ou analyste, est étroitement connecté et communique quotidiennement avec ses homologues aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande et avec ses homologues des pays de l'OTAN. Grâce aux efforts de répartition de la charge de travail, il n'y a aucune partie du monde que nous ne pouvons rapidement évaluer et comprendre. Étant donné les dangers inhérents aux opérations militaires, notre but est de garder nos commandants et nos dirigeants informés en tout temps. Ainsi, nous opérons autant que possible sous le principe de la responsabilité de partager l'information plutôt que du besoin de savoir.
Il est aussi important de souligner que nous profitons de relations productives avec nos partenaires nationaux. En particulier, notre centre de coopération, avec le Centre de la sécurité des télécommunications et le Service canadien du renseignement de sécurité, demeure exceptionnel. Ces deux organisations ont été essentielles à nos opérations au cours de la dernière décennie et nous continuons de développer des manières de nous entraider.
Vous et les Canadiens que vous représentez pouvez être certains que les organisations du renseignement s'assurent de promouvoir les intérêts en matière de défense et de sécurité du pays.
[Traduction]
Alors, en ce qui concerne la question qui nous intéresse, nous avons, au cours des derniers mois, entendu des témoignages de certaines personnes très avisées sur les enjeux en matière de sécurité qui, selon elles, s'avèrent les plus pertinents pour le Canada. Bien que je ne sous-estime en rien la menace terroriste ou le danger de la radicalisation, à titre de chef du renseignement de la défense, je consacre principalement mes énergies sur les menaces militaires étrangères et sur le soutien aux opérations des Forces canadiennes à l'étranger.
Nous définissons les menaces comme étant composées à la fois d'une intention et de capacités. Un groupe qui souhaite causer du tort au Canada sans toutefois en avoir les moyens ne représente pas une menace. Ainsi, après avoir décelé une intention de nuire au Canada de la part d'un acteur étranger, le travail de l'appareil du renseignement consiste à surveiller toute avancée sur le plan des capacités et à reconnaître le fait que cet acteur devient une menace.
Dans un même ordre d'idées, le fait d'avoir des capacités contre lesquelles le Canada ne peut se défendre ne constitue pas une menace en l'absence d'une intention. Si nous décelons qu'un acteur étranger possède des capacités qui pourraient lui permettre de causer du tort au Canada, le problème le plus subtil sur le plan du renseignement consiste à déterminer les changements sur le plan de l'intention.
En gardant cette définition à l'esprit, je peux affirmer qu'à 1'heure actuelle, nous ne voyons aucun acteur étatique qui a à la fois les capacités et l'intention de nuire au Canada par la voie militaire. Comme je l'ai évoqué précédemment, il est parfois difficile de surveiller ou de prévoir les changements sur le plan des capacités, mais cela est généralement possible, avec une marge d'erreur raisonnable. Il est plus difficile encore d'évaluer une intention réelle ou grandissante, mais cela demeure possible. Il s'avère très risqué de prédire une intention et de remettre en question sa sécurité en fonction de cette prédiction. Bien qu'un État puisse ne montrer aucune hostilité tandis qu'il renforce une capacité, celle-ci, une fois acquise, demeure dans son arsenal, peu importe les changements qui surviennent dans son calcul politique et ses intentions.
En ce sens, nous jugeons très inquiétants la prolifération et l'usage potentiel d'armes de destruction massive et de missiles balistiques contre le continent nord-américain. Les États qui suscitent le plus de préoccupations, tels que l'Iran et la Corée du Nord, continueront fort probablement de tenter d'acquérir, de renforcer et d'améliorer leurs capacités en matière d'armes et de missiles balistiques. Notons que les tendances actuelles montrent que les systèmes de missiles balistiques deviennent plus mobiles, fiables et précis, tout en ayant des portées encore plus grandes.
Bien que nous voyions d'un œil favorable les récentes concessions faites par l'Iran quant à son programme nucléaire soi-disant civil, soit l'arrêt de la production et la réduction de ses stocks d'uranium intermédiaire enrichi en échange d'un assouplissement des sanctions économiques, il est clair que ce pays a poursuivi des activités qui pourraient être appliquées à des armes nucléaires.
L'Iran possède également les forces de missiles balistiques les plus importantes et les plus diversifiées dans la région du Moyen-Orient, bien que son arsenal de missiles actuel n'ait pas la portée et la complexité requises pour frapper des cibles en Amérique du Nord. Les capacités des systèmes de lancement de missiles balistiques de l'Iran vont toutefois fort probablement s'améliorer et gagner en complexité au cours de la prochaine décennie. Cependant, bien que l'Iran continue de renforcer et d'accroître sa capacité, rien ne porte à croire qu'il envisage de prendre l'Amérique du Nord comme cible prioritaire.
Le cas de la Corée du Nord est différent. Ce pays a expressément indiqué vouloir être en mesure de pointer l'Amérique du Nord avec des missiles nucléaires. Jusqu'à présent, il a démontré sa capacité de détoner un dispositif nucléaire, ayant mis à 1'essai au moins trois dispositifs du genre. La réussite de ces essais est toutefois discutable, puisque leur puissance était très faible. Seul le troisième essai réalisé en février 2013, avec une puissance évaluée à environ cinq kilotonnes, pourrait indiquer une réussite partielle. C'est une puissance relativement faible pour une première arme. Nous croyons que la Corée du Nord travaille à la création d'armes nucléaires depuis bien des années, mais il est impossible de déterminer si elle est ou non parvenue à développer une arme efficace.
La Corée du Nord travaille aussi activement au développement de missiles balistiques intermédiaires et de son missile balistique intercontinental KN-08, qui pourrait potentiellement atteindre l'Amérique du Nord. Certains de nos partenaires dans la région, comme le Japon, la Corée du Sud et l'Australie se situeraient toutefois dans la portée du missile KN-08. Bien que l'on s'interroge encore sur la fiabilité et la précision des missiles, une intention de les perfectionner plus encore est manifeste.
Qu'est-ce que cela représente pour la sécurité du Canada et des Canadiens? Quelles mesures stratégiques devraient être prises, s'il y a lieu, pour améliorer notre défense nationale? En tant que conseiller en matière de renseignement, ce n'est pas à moi de répondre à ces questions. Mon rôle consiste à fournir à nos dirigeants les renseignements les plus honnêtes et les plus exhaustifs sur la menace qui plane, et c'est la raison pour laquelle M. Maskell et moi-même sommes ici cet après-midi. C'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Avant d'accorder la parole au vice-président pour la période de questions, j'aimerais vous poser une question liée à votre rôle dans le domaine du renseignement, compte tenu de ce qui est survenu au cours des 10 dernières années, soit de 2004 à aujourd'hui. Étant donné les événements que l'on connaît en Corée du Nord et en Iran, et les outils technologiques qu'ils ont développés ou dont ils ont fait l'acquisition, la menace posée par ces deux pays est-elle plus grande maintenant qu'il y a 10 ans, selon vous, à titre d'agent du renseignement?
Mgén Rousseau : Absolument, monsieur. Je vous remercie de votre question, qui va droit au cœur du problème. Partons de la prémisse qui veut qu'une menace soit composée à la fois d'une intention et de capacités. En ce qui concerne les capacités, la Corée du Nord travaille très fort depuis 10 ans, non seulement à la mise au point d'armes nucléaires pouvant être attachées à un missile, mais aussi à la conception et aux mises à l'essai de leur technologie des missiles. Ils ont accompli des progrès importants dans ces deux domaines. Dans un instant, M. Maskell prendra la parole et pourra vous donner de plus amples détails à ce sujet.
De même, bien que leur programme d'armes nucléaires ait connu des hauts et des bas et qu'il ait été pratiquement interrompu durant six mois, alors qu'ils négociaient avec le PT5+1, les Iraniens ont tout de même développé un programme au cours des 10 dernières années, et ils continuent de le faire. Leur technologie de missiles s'est améliorée depuis 10 ans; ils sont loin de pouvoir atteindre l'Amérique du Nord, mais ils déploient beaucoup d'efforts pour la perfectionner.
Craig Maskell, directeur du renseignement scientifique et technique, Défense nationale et Forces armées canadiennes : J'aimerais présenter quelques détails techniques sur les systèmes et les capacités que développent l'Iran et la Corée du Nord.
Comme le général Rousseau l'a mentionné dans son allocution d'ouverture, ces deux pays posent ce que nous appelons des capacités de menace, qui sont de deux natures : les charges conventionnelles, comme les armes nucléaires par exemple, et la possibilité de les lancer à longue distance. La Corée du Nord a mis à l'essai au moins trois armes nucléaires, des bombes ou ce que nous aimons appeler des « dispositifs ». L'arme mise à l'essai le plus récemment, en février 2013, avait une puissance explosive d'environ cinq kilotonnes. En comparaison, l'explosion d'Hiroshima en 1945 avait une puissance d'environ quinze kilotonnes; celle de Halifax en 1917, de deux à trois kilotonnes; et la plus forte explosion non nucléaire jamais connue était d'environ cinq kilotonnes. Ces chiffres vous donnent une idée de la puissance de l'arme en question. Les armes nucléaires actuelles ont une puissance explosive beaucoup plus importante, de l'ordre de plusieurs mégatonnes.
La Corée du Nord a procédé à des mises à l'essai; un certain nombre de stations de surveillance l'ont confirmé. Voilà ce qui en est pour les armes nucléaires de la Corée du Nord.
Les Nord-Coréens sont en train de mettre au point leurs capacités de tir. Ils disposent principalement de deux missiles. L'un d'entre eux est le KN-08, dont la portée sera intercontinentale, selon nous. Toutefois, les spécimens du KN-08 ont été vus seulement lors d'une parade et il s'agissait sans doute d'échantillons d'ouvrage. Le KN-08 n'a pas encore été mis à l'essai en vol.
C'est le cas de l'autre système, nommé Taepodong-2 ou TD-2, un véhicule de lancement spatial utilisé pour lancer des satellites en orbite. Selon nous, la Corée du Nord n'a pas l'intention d'employer cette roquette pour lancer des charges militaires à distance balistique intercontinentale. Il est toutefois important de souligner que les Nord-Coréens se servent du TD-2 comme véhicule d'essai pour éprouver des technologies susceptibles d'être incluses dans d'autres systèmes, comme celui des fusées à étages, qui comprennent divers types de moteurs et des dispositifs très précis de guidage et de contrôle.
Quant à eux, les Iraniens n'ont pas procédé à la mise à l'essai d'un dispositif ou d'une arme nucléaire. Comme le général l'a mentionné dans son allocution d'ouverture, l'Iran respecte l'accord conclu en novembre dernier avec le groupe P5+1, selon lequel il accepte de diminuer son programme d'enrichissement d'uranium, c'est-à-dire le programme qui vise à transformer de l'uranium naturel en uranium de qualité militaire, utilisable pour fabriquer des armes nucléaires. L'Agence internationale de l'énergie atomique surveille la situation.
À l'heure actuelle, l'Iran ne dispose pas de missiles à longue portée à même d'atteindre l'Amérique du Nord. Il reste qu'il possède l'arsenal de missiles balistiques de portées courte et intermédiaire le plus diversifié et le plus puissant de toute la région du Moyen-Orient.
Le président : Si vous le permettez, j'aimerais poser une question supplémentaire concernant la Corée du Nord. Ce régime est pratiquement isolé du reste du monde et pourtant, on y développe des capacités nucléaires que la plupart des pays n'ont pas. Comment les Nord-Coréens arrivent-ils à trouver l'expertise nécessaire pour accomplir une telle chose s'ils sont aussi isolés qu'on le dit?
Mgén Rousseau : Je vais répondre à cette question. Vous vous souvenez peut-être qu'à la fin de la guerre froide, on a longuement discuté de ce qu'il fallait faire avec les scientifiques nucléaires et autres experts en armement qui avaient été fort bien payés et occupés au cours de la guerre froide. On se demandait quelle situation leur offrir pour éviter qu'ils ne soient tentés de travailler pour un régime voyou, une organisation terroriste ou une autre entité du genre. Selon nous, les régimes en question sont arrivés à acquérir certaines technologies — des missiles balistiques ou de l'armement nucléaire — grâce à certains scientifiques qui, par le passé, ont été au service de pays reconnus comme des puissances nucléaires.
Le sénateur Dallaire : Ma question porte sur l'évaluation des menaces. Vous avez parlé de celles que nous connaissons. Examinons la situation sous l'angle de la prolifération nucléaire. Qu'en est-il des pays qui n'en font qu'à leur tête ou qui changent d'orientation pour cibler leurs efforts ailleurs? Je pense notamment au Pakistan et aux pays de la même région qui adhèrent à sa philosophie. Existe-t-il une indication qu'ils souhaitent à court terme mettre au point un système de tir plus performant, ou qu'ils sont en mesure de le faire? Ce qui m'amène à parler de la Chine. Nous savons que le système de défense antimissile balistique ne vise pas la Chine cette semaine, mais si les choses se détériorent, Dieu sait ce qui se produira. Quelles sont les capacités de la Chine en matière de missiles balistiques à portée intercontinentale? Où en est-elle sur le continent? Envisage-t-elle de construire des installations en mer à cet effet?
Mgén Rousseau : Tout d'abord, pour ce qui est de la prolifération, je dirai qu'elle a lieu dans les deux pays dont j'ai parlé. Ces deux peuples tirent profit de la prolifération, car ils recueillent ainsi des renseignements qui leur permettent de faire progresser leur programme respectif.
Nous sommes d'avis que le programme nucléaire du Pakistan — et celui de l'Inde, puisqu'ils forment un duo — vise surtout la région et consiste essentiellement à se défendre de la Chine. Tous les efforts de conception vont dans ce sens; rien ne semble indiquer des ambitions intercontinentales, ou même qu'on cherche à atteindre une cible hors de la région. Au contraire, on semble vouloir acquérir un contrôle plus localisé. De toute façon, même s'ils changeaient d'intention, ces deux pays n'auraient pas les moyens d'aller dans cette direction.
Quant à la Chine, elle aborde la sécurité de son arsenal nucléaire et de son système de lancement sous un angle différent de celui de la Russie. La Russie cherche à écraser les systèmes ennemis par un nombre de charges militaires si élevé qu'il leur serait impossible de bloquer l'attaque.
La Chine a plutôt choisi de maintenir ses moyens de dissuasion à un niveau tout juste suffisant pour demeurer crédible. En fait, les Chinois travaillent à la conception de corps de rentrée sophistiqués qui rendraient caduc un système de défense antimissile balistique à rapport coût-efficacité élevé, ce qui permet d'éviter de construire une grande quantité de missiles comme l'ont fait les Russes.
M. Maskell : Ce qui se passe en Chine est intéressant. En plus de concevoir des systèmes de qualité, quoique moins nombreux qu'en Russie, la Chine a entrepris une modernisation remarquable de ses forces militaires, non seulement au sens habituel du terme, mais aussi sur le plan des technologies, qui viendront perfectionner leur capacité en matière de missile balistique.
La Chine possède moins de têtes nucléaires que la Russie. Elle dispose toutefois d'une industrie compétente en matière de lancement spatial, ainsi que des capacités en R-D militaire. Il est intéressant de souligner qu'ils tentent de mettre au point des technologies visant à contourner les systèmes de défense antimissile balistique.
Vous avez peut-être entendu parler du planeur hypersonique. Il s'agit d'un engin à haute manœuvrabilité susceptible de transporter des missiles nucléaires et qui serait potentiellement en mesure d'éviter une interception de la part d'un système de défense antimissile balistique.
La Chine modernise également sa flotte de sous-marins et, bien qu'elle ne possède encore aucun missile balistique intercontinental lancé par sous-marin, elle possède une capacité de tir considérable à courte et moyenne distance.
Je vais en mentionner un ou deux. Par exemple, leur système JL-2 est un missile balistique lancé d'un sous-marin dont la portée peut atteindre 8 000 km. La distance de sécurité jusqu'à l'Amérique du Nord serait donc très grande.
À l'heure actuelle, la Chine possède près de 100 missiles et nous croyons qu'elle en détiendra plus de 100 dans les cinq ou dix prochaines années.
Le sénateur Dallaire : Nous savons que les Chinois déploient beaucoup d'efforts dans le domaine de la furtivité, et notamment les avions furtifs. Un missile peut-il devenir furtif une fois lancé? Anticipez-vous qu'une telle chose se réalise au cours des prochaines années, de quelque façon que ce soit?
M. Maskell : En un mot, non, monsieur le sénateur. Pas pour le missile, non. Un planeur hypersonique, peut-être, s'il est utilisé pour éviter l'interception, mais, de façon générale, non.
Le sénateur Dallaire : Ma question portait sur les manières possibles d'exploiter davantage l'aspect « hyper » de la technologie.
M. Maskell : C'est une avenue possible. En vérité, c'est ce que les Russes et les Chinois tentent de faire.
On pourrait aussi déclencher une attaque surprise en lançant des missiles balistiques à partir de systèmes mobiles terrestres appelés transporteurs-érecteurs-chargeurs, ou TEL. Les TEL sont beaucoup plus difficiles à détecter parce qu'ils sont mobiles, contrairement aux systèmes fixes basés au sol ou aux systèmes en silo.
Le sénateur Segal : Je tiens à remercier les témoins de leur présence et je leur demande de songer plus précisément au Pakistan, à l'Iran et à la Chine pour répondre à la question que je vais poser.
Je saisis bien votre définition, selon laquelle l'intention et la capacité doivent toutes deux être présentes pour qu'une menace existe. Mais, comme nous l'avons vu dans différentes régions du globe, la menace peut s'avérer plus ou moins instable selon qui dirige un gouvernement particulier, même transitoirement, et qui est responsable de l'armement nucléaire — comme au Pakistan, par exemple. Il s'agit là d'une question que vous et vos collègues tentez sans doute de résoudre le mieux possible, car elle a une incidence sur les préparatifs que nous et nos alliés devons faire.
Par exemple, l'Iran s'impose un ensemble de contraintes en raison des négociations actuelles. Et pourtant, un budget présenté récemment au parlement iranien comprend un élément budgétaire créé précisément pour le financement des activités terroristes à l'étranger. L'élément n'est pas nommé ainsi, mais son nom est quand même très explicite.
Selon moi, aucun organisme de renseignements de sécurité n'est pas sans savoir que le Hamas ou le Hezbollah, ou encore la garde révolutionnaire, qui agit dans diverses régions du monde, y compris dans notre propre hémisphère, sont ceux qui transmettent les compétences causant de l'instabilité.
Les Chinois ont exprimé clairement leur point de vue concernant la mer de Chine méridionale. Ceux qui sont théoriquement nos alliés, les Japonais, les Malaisiens, des concurrents de la région, les Indiens, tous ceux qui ont fait l'objet d'une attaque de la part de la Chine créeraient une dynamique susceptible de poser de sérieuses conséquences pour les intérêts légitimes et normatifs du Canada dans cette région.
Comment tenez-vous compte de ces facteurs dans le contexte plus large de la combinaison intention plus capacité, qui est soit dit en passant une définition très utile? Il est clair que, dans l'éventualité d'une profonde instabilité, les responsables de l'arsenal nucléaire au Pakistan pourraient avoir des intentions très différentes de celles du gouvernement avec lequel nous négocions en ce moment. Il en va de même pour l'Iran.
Bien que la situation en Chine semble plus stable, les enjeux relatifs à certaines zones critiques, comme la mer de Chine méridionale, peuvent rapidement changer la donne. J'aimerais savoir, tout comme mes collègues sans doute, comment vous vous y prenez pour tenir compte de ces nuances dans l'évaluation complexe et continue que vous devez faire pour vos supérieurs.
Mgén Rousseau : Vous avez cerné le problème. On dit que le développement des capacités nécessite des années d'investissement, car il faut envoyer des gens à l'université et dans des usines; il est donc possible de déceler l'intention. Mais un simple accident de voiture peut changer une intention. Nouveau régime, nouvelle intention.
Pour ce qui est des trois pays que vous avez mentionnés, le Pakistan, l'Iran et la Chine, nous analysons les limites de leurs capacités, non pas seulement à l'heure actuelle, mais aussi dans le futur.
Comme je l'ai dit plus tôt, le Pakistan ne tente pas de mettre au point des missiles balistiques à portée intercontinentale. Les Pakistanais n'ont pas de programme et n'envoient personne à l'université pour en apprendre sur le sujet. En fait, leurs capacités seront limitées jusqu'à ce qu'ils décident d'investir à cet égard; nous en tiendrons compte dans notre analyse à ce moment-là.
Donc l'intention, par opposition à la menace envers nos alliés — dont nous nous soucions également — la menace que pose le Pakistan pour le Canada en matière d'attaque parrainée par l'État est inexistante, tant maintenant que dans un avenir rapproché. Toutefois, la situation peut changer.
Notre point de vue est différent en ce qui concerne l'Iran. Bien que ses programmes ne sont pas encore en place, l'Iran déploie des efforts en ce sens. L'intention n'est plus le seul facteur existant; maintenant que nous savons qu'ils posséderont aussi les capacités, l'analyse de l'intention devient plus intéressante et nuancée.
Quant à la Chine, puisqu'elle possède déjà les moyens d'atteindre l'Amérique du Nord si elle le souhaite, c'est la question de l'intention qui reste à déterminer. À l'heure actuelle, nous estimons que leur intention se limite aux environs de la Chine. Il est vrai que les Chinois sont en mesure de menacer nos alliés dans la région, mais nous estimons que ce n'est pas le cas, et qu'ils n'ont pas non plus l'intention de s'en prendre au Canada.
Dans l'éventualité où ils se sentiraient menacés ou s'ils décidaient d'unifier la Chine — décision qui selon eux relève de la politique interne —, les Chinois veulent faire en sorte que d'autres acteurs comme les États-Unis ne seront pas en mesure de les en empêcher. En grande partie, le projet de modernisation de leurs forces militaires vise à garantir des capacités d'interdiction de zone ou des capacités leur permettant d'affirmer un contrôle sur la région, même si d'autres intervenants, comme les États-Unis, tentent de les arrêter.
Nous ne détectons chez les Chinois aucune intention de dominer la planète ou autre chose du genre. Il serait insensé à long terme de déployer des efforts en ce sens.
Le sénateur Segal : J'ai une courte question additionnelle.
Le président : Brièvement s'il vous plaît, sénateur Segal.
Le sénateur Segal : Monsieur Maskell, si la Chine n'a actuellement aucune intention d'attaquer, pourquoi possède-t-elle un sous-marin en mesure de lancer un missile balistique à 8 000 miles? Au cas où? Simplement parce qu'elle le peut? Quelque chose m'échappe; pouvez-vous m'éclairer?
M. Maskell : Certainement. Comme le général l'a dit, la Chine n'a pas manifesté une intention d'attaquer la première. Elle a adopté une posture nettement dissuasive. Comme elle souhaite prévenir une attaque sur son territoire, elle a mis sur pied un certain nombre de systèmes militaires, non seulement des sous-marins, mais aussi des avions, pour compléter ses capacités en matière de défense antimissile balistique.
Le sénateur Segal : On taille l'acier plus vite dans la marine que partout ailleurs?
M. Maskell : C'est ce que les Chinois font, monsieur le sénateur. Leur programme est extraordinaire. La Chine est aussi dotée d'un puissant satellite et de technologies spatiales; elle possède donc un large éventail de capacités militaires. Toutefois, rien ne nous amène à croire qu'elle a l'intention de les utiliser.
Quant à elle, la Corée du Nord a déclaré publiquement qu'elle a l'intention d'utiliser la capacité dont elle disposera. On observe donc une grande différence entre les deux pays; la Chine nous paraît plus stable.
Le sénateur Mitchell : Ma première question porte sur la possibilité que la Russie ait déployé des missiles nucléaires dans certains pays — dont le nom se termine en « stan » — qui sont plutôt stables en ce moment. Or, cette stabilité pourrait très bien disparaître. Est-ce là un risque sur lequel vous vous penchez?
Mgén Rousseau : La Russie n'a pas besoin de déployer des armes nucléaires ailleurs sur son territoire. La triade nucléaire, c'est-à-dire le lancement de charges militaires par le biais de missiles à portée intercontinentale et de missiles lancés à partir de sous-marins ou d'avions, leur permettrait de dominer facilement tout système des États-Unis ou de l'OTAN sans qu'ils aient à déplacer leur arsenal dans d'autres pays.
Si on évalue les risques pour la Russie de voir ses armes tomber entre les mains d'un pays en qui elle n'a pas tout à fait confiance, on en conclut qu'il est peu probable qu'elle adopte une telle stratégie.
Le sénateur Mitchell : Ma deuxième question est la suivante. Nous avons entendu des témoignages contradictoires. D'un côté, certains témoins nous ont dit que si le Canada collabore avec les États-Unis dans le dossier de la défense antimissile balistique, il pourrait se voir obligé d'installer des stations de surveillance, quoique rien ne nous indique que nous construirions ici des silos pour y entreposer des fusées. D'un autre côté, certains disent que les Américains n'auraient pas à imposer une telle chose et qu'ils ne la considèrent même pas.
Selon vous, existe-t-il une indication concrète que la coopération du Canada aurait un prix? Si ce n'est pas le cas, comment peut-on garantir que les États-Unis se soucieront suffisamment de nous pour bloquer les roquettes qui nous seront destinées? Comment voyez-vous la situation?
Mgén Rousseau : Je peux certainement essayer de répondre à vos questions.
Le coût des systèmes de défense, leur emplacement, la façon de les commander et de les contrôler, ne relèvent pas de mon domaine. Je ne peux pas vous répondre. Je crois savoir que vous visiterez le NORDAD. À mon avis, ce serait une bonne question à lui poser. Il est probablement mieux placé pour vous répondre.
Je peux vous dire, cependant, que lorsqu'un missile vient d'être lancé, à l'étape où on essaie de détecter la menace, ceux qui le suivent ne savent pas où il touchera terre. Si on veut l'intercepter, attend-on de savoir où il touchera terre ou l'intercepte-t-on immédiatement? Je pense que ce serait une bonne question à poser au NORAD.
Le sénateur Dagenais : D'après le document intitulé The Military Balance : 2014, le Pakistan fabrique 10 armes nucléaires par année, ce qui en fait le plus important fabricant parmi les pays détenteurs de l'arme nucléaire. Il produit tellement de plutonium que d'ici 2020 il pourrait posséder le cinquième arsenal nucléaire en importance du monde. En plus de la menace d'attaques de missiles balistiques et de missiles de croisière qu'il fait planer sur son voisin, l'Inde, certains croient que le Pakistan pourrait envisager de développer un missile balistique intercontinental de plus grande portée, le Taimur.
En comparaison avec la Corée du Nord et l'Iran, comment évaluez-vous la menace que pose la capacité du Pakistan de fabriquer des armes nucléaires? Qu'en est-il de la menace de prolifération que pose le Pakistan?
Mgén Rousseau : Merci. Certes, la sécurité et le processus décisionnel entourant l'arsenal nucléaire du Pakistan nous préoccupent, car on ne sait jamais qui, entre le gouvernement ou les forces armées, est au pouvoir.
Leur façon d'accroître leur arsenal nous en dit long sur leur psyché; c'est surtout l'Inde qui est dans son collimateur. À l'heure actuelle rien ne porte à croire que le Pakistan essaie de développer une force de frappe intercontinentale pour atteindre l'Amérique du Nord.
Vous avez soulevé la question de la contre-prolifération. En ce qui concerne la prolifération, nous sommes inquiets que d'autres profitent de la capacité de fabrication du Pakistan. Ce dernier représente, certes, une menace importante pour l'Inde, et il éprouve plus de difficultés que d'autres pays à contrôler son arsenal nucléaire — c'est une priorité pour le gouvernement de garder le contrôle sur ses armes nucléaires. C'est non seulement une source d'inquiétude, mais pose une menace importante ou non négligeable.
M. Maskell : Je n'ai rien à ajouter.
Le sénateur Day : Merci. Messieurs, j'aimerais brièvement parler des acteurs non étatiques et des mesures que vous prenez à cet égard. Nous avons surtout parlé des États voyous et des mesures prises par les États, mais les armes ne sont pas forcément utilisées par ceux qui les fabriquent. Des acteurs non étatiques — je crois que vous avez parlé de l'un d'entre eux, monsieur Maskell — pourraient très bien acquérir le transporteur-érecteur-lanceur, soit pour des raisons idéologiques, soit pour se faire de l'argent en le revendant à un État. Plusieurs raisons pourraient pousser un acteur non étatique à proférer des menaces et à lancer un de ces missiles. Quelles mesures prenez-vous pour identifier ces acteurs?
Mgén Rousseau : C'est la question qu'on a soulevée plus tôt : l'intention existe, mais il s'agit de déterminer si les capacités existent. Nous savons que certains acteurs non étatiques sont déterminés à trouver un moyen d'avoir une emprise sur l'Ouest, en essayant de se procurer des armes de destruction massive et un système de lancement, alors nous examinons de près l'évolution de leurs capacités.
En ce qui concerne la menace de missiles nucléaires intercontinentaux pointés sur l'Amérique du Nord, un acteur non étatique devrait les lancer à partir d'un espace non gouverné, car seul un acteur étatique peut le faire à partir d'un espace gouverné. Les exigences technologiques sont telles que nous ne prévoyons pas que, dans un avenir prévisible, un acteur non étatique soit en mesure de lancer un missile intercontinental. Les acteurs non étatiques sont en mesure de se procurer des fusées capables de frapper le pays voisin, mais, à l'heure actuelle, ils n'ont pas la capacité de lancer des missiles intercontinentaux à partir d'un dispositif mobile.
M. Maskell : Il existe, certes, des exemples d'acteurs non étatiques qui se servent, entre autres, d'armes pour mettre à exécution leurs menaces. Je pense au Hezbollah qui utilise des armes fabriquées en Iran, mais, je le répète, il s'agit d'armes de très courte portée, généralement de fusées, pas de missiles balistiques intercontinentaux. Tous les types d'armes de destruction massive nous inquiètent. S'ils utilisaient des armes de destruction massive, les acteurs non étatiques seraient plus enclins à utiliser des armes chimiques et biologiques, par exemple, que des missiles nucléaires ou balistiques.
Le sénateur Day : Monsieur le président, d'ici cinq ans, une fusée capable de frapper le pays voisin sera capable de frapper beaucoup plus loin. Vous devez certainement en tenir compte. La prochaine attaque contre des tours jumelles ne sera pas perpétrée au moyen d'un avion, mais au moyen d'un missile ou d'une fusée lancée de quelque part. Est-ce un scénario futuriste que vous étudierez à un moment donné? Attendez-vous qu'un tel scénario se concrétise ou l'étudiez-vous à l'heure actuelle?
Mgén Rousseau : Bien sûr, nous n'attendons pas qu'un tel scénario se concrétise. Notre travail consiste à surveiller les systèmes de menace, à déterminer qui les possède, et à découvrir qui fournit quoi à qui. Nous ne nous reposons pas sur nos lauriers.
En ce qui concerne les missiles qui ont une portée de 500 kilomètres aujourd'hui et auront une portée de 5 000 kilomètres dans quelques années, il existe des restrictions physiques pour chaque classe de missiles — M. Maskell pourra vous en parler plus en détail dans quelques instants. Par exemple, pour pouvoir frapper un autre continent, il faut passer par l'espace. Il faut utiliser des fusées à étages, réussir la rentrée dans l'atmosphère et viser correctement l'objectif. Ce type de fusée est beaucoup plus difficile à commander que les fusées traditionnelles. Par conséquent, eu égard à la technologie actuelle, il est peu probable que les acteurs non étatiques soient en mesure d'en lancer dans un avenir proche.
M. Maskell : En ce qui concerne l'augmentation de la portée des missiles ou des systèmes, de courte à longue portée, les pays qui fabriquent des missiles possèdent généralement différents types de programmes, à savoir un programme axé sur les missiles de courte portée et un autre axé sur les missiles de longue portée. Certains ont un programme axé sur les missiles de portée intercontinentale. Plus tôt, j'ai mentionné le missile KN-08. La Corée du Nord possède donc un programme visant à développer ce système d'armes. Il est peu probable que des acteurs non étatiques mal intentionnés aient accès à ce système et il est à peu près certain que, même s'ils y avaient accès, ils ne seraient pas en mesure de le programmer ou de l'utiliser correctement à des fins militaires.
Notre principale préoccupation est de surveiller tous les acteurs, étatiques et non étatiques. Heureusement, les Nations Unies ont mis en place plusieurs régimes de contrôle de la prolifération. Par exemple, le Régime de contrôle de la technologie des missiles, le RCTM, limite les exportations de pays producteurs. En fait, il interdit l'exportation d'une certaine classe de fusées et d'ogives.
Beaucoup de pays y ont adhéré, mais certains, dont la Corée du Nord, ne l'ont pas fait.
Le sénateur White : Je vous remercie tous deux de votre présence. J'ai trouvé pertinente l'explication concernant l'intention et la capacité, surtout en lien avec la Corée du Nord. J'essaie de comprendre. S'il n'en tient qu'à la Corée du Nord, elle aura, à un moment donné, l'intention et la capacité, et elle tentera quelque chose. À votre avis, en ce qui concerne le système balistique, devrions-nous participer à son développement au lieu d'espérer pouvoir sauter sur le train en marche, quelles que soient les échéances?
Mgén Rousseau : Tout à fait, monsieur. Je pense que c'est très à propos. Voilà pourquoi nous avons ces discussions. La question est de savoir comment nous allons réagir à la menace. Je n'ai aucune difficulté à décrire la menace et son évolution. Par contre, je laisse à d'autres témoins le soin de parler de la façon d'y réagir, de la nécessité de se défendre de façon proactive ou non et des mesures à prendre.
En ce qui concerne la Corée du Nord, il est certain que, si elle le pouvait, elle se procurerait immédiatement ce type d'arme. Sans le régime de contrôle de la prolifération, elle l'aurait déjà acquise, car au lieu de dépenser l'argent pour nourrir sa population, elle finance ses forces armées.
Le commentaire concernant l'intention de la Corée du Nord est intéressant, car quelqu'un qui lance un missile balistique intercontinental sur l'Amérique du Nord s'attend certainement à une riposte et à être anéanti. Aucune personne sensée ne ferait une telle chose. Je doute cependant que le chef d'État de la Corée du Nord fasse partie de cette catégorie de personnes, compte tenu des décisions qu'il prend.
Le sénateur White : Tout le monde est d'accord avec ce que vous venez de dire, mais pour en revenir à ma question, ce que j'aimerais savoir, c'est à partir de quel moment entrons-nous dans la danse, en sachant que, tôt ou tard, quelqu'un lancera un missile et que nous risquons de faire partie de ceux qui demanderont aux autres d'intercepter le missile avant qu'il nous frappe, et non de ceux qui sont en première ligne et qui savent que la technologie nous aidera ou renforcera notre sécurité?
Mgén Rousseau : En ce qui concerne la réaction aux menaces, je vais laisser le soin à d'autres personnes de répondre. Je signale toutefois que nous sommes parfaitement au courant de ce qui se passe en Corée. L'équipe de M. Maskell est composée d'experts dans le domaine du nucléaire, des missiles et de l'espace. Ces derniers collaborent avec les États-Unis, les partenaires de l'OTAN et les partenaires du Groupe des cinq pour comprendre la menace. Ils se partagent le fardeau. Les spécialistes dans chaque domaine contribuent aux résultats. En ce qui concerne la compréhension de la menace, nous n'accusons pas de retard, nous n'attendons pas que quelqu'un nous informe de l'existence d'une menace. Nous sommes en première ligne.
Le sénateur White : Cependant, en ce qui concerne la façon de réagir à la menace, devrions-nous ou ne devrions-nous pas...
Mgén Rousseau : Monsieur, je vous suggère...
Le sénateur White : Si vous ne souhaitez pas répondre, je comprendrais.
Mgén Rousseau : Vous devriez peut-être inviter notre sous-ministre adjointe aux politiques, Jill Sinclair. Elle serait probablement la mieux placée pour vous parler de la bonne façon de réagir à cette menace.
Le sénateur White : Merci beaucoup.
Le sénateur Wells : Je crois que Mme Sinclair a participé à l'une de nos réunions antérieures.
Mgén Rousseau : Oui, mais pas sur ce sujet.
Le sénateur Wells : C'est juste, vous avez raison.
Je vous remercie des explications que vous avez fournies jusqu'à présent. Le Canada et ses alliés essaient de décourager les États qui cherchent à acquérir des armes nucléaires. Nous avons signé des ententes avec ceux qui possèdent déjà de telles armes ou nous essayons d'entretenir de bonnes relations avec eux afin qu'ils ne nous prennent pas pour cible. À défaut de cela, il y a la défense antimissile balistique et d'autres options.
Nous avons paré à toute éventualité, alors qu'avons-nous à craindre? Quelles sont les autres menaces? Nous avons conclu des partenariats ou des ententes avec les États qui possèdent des armes nucléaires. Nous essayons de décourager ceux qui n'en ont pas et qui pourraient avoir de mauvaises intentions à notre égard, et nous avons des moyens de défense. Par conséquent, qu'avons-nous à craindre?
Mgén Rousseau : Nous déployons beaucoup d'efforts et collaborons avec nos partenaires pour comprendre la menace. En ce qui concerne les mesures que nous prenons — vous ne serez pas surpris d'apprendre que les États-Unis possèdent un imposant arsenal, mais ils n'ont pas l'intention de s'en prendre à nous, car cela fait près de 200 ans que nous ne représentons plus une menace pour eux.
En ce qui concerne les mesures que nous prenons à l'égard des pays qui ont l'intention et les capacités — je peux vous parler de leurs capacités et vous dire si je pense que leur intention change. Mais, en ce qui concerne les mesures que nous prenons à l'égard de ces pays, à savoir si nous les caressons dans le sens du poil ou si nous les décourageons au moyen de sanctions, je ne peux pas vous répondre.
Je n'essaie pas d'éluder la question, mais je doute que mes connaissances au sujet de la menace puissent contribuer à votre débat.
M. Maskell : En ce qui concerne ces régimes de contrôle de la prolifération, je suis d'avis que le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, en tant que responsable canadien des relations internationales et des partenariats avec les pays, serait bien placé pour répondre à vos questions sur les voies diplomatiques et les approches non militaires, et faire le point sur l'efficacité des régimes de contrôle internationaux.
Le sénateur Wells : Merci, c'est utile.
Le président : J'aimerais que nous parlions d'un sujet d'actualité : la situation en Ukraine et votre responsabilité d'analyser les menaces qui émanent de cette région du monde.
J'aimerais tout d'abord poser une question à M. Maskell. Il y a d'abord eu le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, puis les Mémorandums concernant les garanties de sécurité signés à Budapest en 1994. La Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni et, si je ne m'abuse, la France ont donné l'assurance à l'Ukraine que sa souveraineté serait respectée si elle se débarrassait de son arsenal nucléaire.
Pouvez-vous confirmer que l'Ukraine a démantelé sa capacité nucléaire?
M. Maskell : Oui, je le confirme. L'Ukraine avait hérité d'un important arsenal d'ogives nucléaires et de missiles balistiques de l'ancienne Union soviétique. Dès 1996, toutes ces armes avaient soit été rendues à la Russie, soit détruites sur place. La plupart des armes ont été rendues. Je crois que seule une très petite partie a été détruite sur place.
À l'heure actuelle, l'Ukraine ne possède pas de missile balistique intercontinental. Elle ne possède même pas de missile balistique de portée moyenne. L'Ukraine possède des missiles balistiques, mais il s'agit de missiles tactiques ou de courte portée, dont la portée maximale est typiquement de 200 à 300 kilomètres. Elle possède également un système de défense aérienne à longue portée russe, le S-200. C'est un autre dispositif dont son armée s'est dotée au cours des dernières années.
Fait intéressant, l'Ukraine dépend de l'énergie nucléaire pour produire son électricité. En fait, les centrales nucléaires produisent environ la moitié de l'électricité consommée au pays.
Voilà l'état actuel de la capacité militaire et civile de l'Ukraine.
Le président : J'aimerais poser une question au major-général Rousseau en lien avec la crise actuelle qui secoue l'Ukraine.
Pensez-vous que les agissements de la Russie présentent une menace? Selon vous, quel est son objectif final?
Mgén Rousseau : C'est un sujet d'actualité depuis cinq jours. Nous avons examiné les images et les cartes, et essayons de comprendre à quel jeu elle joue — je dis « jeu », mais cela ne veut pas dire que nous ne prenons pas la situation au sérieux —, et de déterminer l'objectif du président Poutine, car, au fond, c'est lui qui prend les décisions.
Des troupes russes se déploient en Crimée, au fond, à la demande du gouvernement local. En fait, les forces russes se sont déployées en plus grand nombre que convenu en Crimée et, sans même tirer un coup de feu, en ont pris le contrôle.
Les forces ukrainiennes déployées dans cette région se sont repliées; elles sont rentrées chez elles. Seules trois garnisons ont refusé de déposer les armes. Le commandant ukrainien de la Marine en Crimée a prêté allégeance au gouvernement de Crimée — pas à la Russie; il bat toujours pavillon ukrainien —, l'ami qui a invité la Russie à se déployer sur son territoire.
Je crois qu'il ne fait aucun doute que la Russie — le président Poutine — a utilisé la force militaire à des fins politiques.
Le sénateur Dallaire : Personne ne comprend l'ampleur de ce déploiement de navires et de soldats russes en Crimée — l'Ukraine semble avoir les nerfs à vif.
Si vous permettez, je reviens à l'OTAN et au système de défense antimissile balistique déployé par les Américains en Europe. C'est une sorte de système de l'OTAN. Comment se fait-il alors qu'on ne nous ait pas demandé d'y participer? On pourrait invoquer l'article 5, en ce sens qu'une menace contre l'un des membres est une menace contre tous les membres. Nous nous sommes déployés aux quatre coins de l'Europe dans le passé. Nous participons à d'autres initiatives de l'OTAN. Pourquoi ne nous a-t-on pas demandé de participer à cet effort? Pourquoi ne s'agit-il pas d'un effort concerté de tous les membres de l'OTAN? Cela nous aurait permis de participer aux discussions et peut-être même de fournir du matériel. Je sais que nous n'avons pas de missiles Patriot ou de missiles Patriot de dernière génération, mais nous aurions pu fournir d'autres composantes.
Mgén Rousseau : C'est une question politique. Je peux parler de la menace pour l'Europe. Comme vous le savez probablement, car l'OTAN a fait une annonce officielle, l'OTAN a déployé des batteries de missiles Patriot en Turquie, en raison du conflit en Syrie. L'Europe, en raison de la proximité de ces pays, se sent beaucoup plus vulnérable que nous.
Même si les armes et la technologie iraniennes ne peuvent pas atteindre l'Amérique du Nord, elles pourraient atteindre certaines régions de l'Europe. Voilà pourquoi l'Europe se sent plus vulnérable que l'Amérique du Nord.
En ce qui concerne le fonctionnement de l'OTAN, je crois savoir que les pays membres ne participent pas forcément tous à chacun des efforts de l'OTAN. Lorsque nous pilotions les avions-radar AWACS, seule une partie des pays membres ont participé à la mission, mais l'OTAN au complet en a profité. Donc, en ce qui concerne le système de défense antimissile balistique en Europe, il n'est pas nécessaire que tous les membres y participent en déployant leur matériel.
Le sénateur Segal : Si nous étions le comité de surveillance américain, britannique, français, allemand, italien ou néerlandais, vous pourriez faire preuve d'une franchise brutale dans la réponse à la question suivante, mais je sais que ce n'est pas de votre faute, que vous ne pouvez pas faire preuve d'une franchise brutale, parce que vous n'avez pas la liberté de partager certains renseignements avec nous. Nous respectons cela et ne nous en offusquons pas. Nous sommes déconcertés, mais ce n'est pas la faute de nos invités si nous n'avons pas cette capacité.
En ce qui concerne la planification de scénarios, l'ampleur de la menace et la capacité d'analyse, chaque opération menée par les différents éléments des forces armées aurait besoin de plus de capacité. Vous devez tous faire des choix difficiles, eu égard aux ressources dont vous disposez. Je comprends cela. Cependant, professionnellement parlant, pensez-vous que le niveau de planification de scénarios, dans le cadre de l'évaluation des risques et des menaces, et les outils d'analyse des renseignements en temps réel et des sources ouvertes dont vous disposez, vous permettent de faire une analyse précise de l'ampleur et de la gravité des menaces auxquelles s'exposent vos collègues des forces armées et d'autres personnes. Pensez-vous être en mesure de faire cela?
Mgén Rousseau : Ce qui est intéressant, c'est que si vous posiez la même question à mes homologues américains, ils diraient qu'ils n'ont pas assez de ressources ou de gens affectés à ces tâches, bien que 110 000 sont exclusivement affectés au renseignement de défense. Il n'y a jamais assez de ressources affectées au renseignement. Si vous savez ce qui vous attend au tournant, vous voulez savoir ce qui vous attend aux prochains tournants. Nous pourrions dépenser 10 fois plus dans le renseignement et j'aurais quand même l'impression qu'avec seulement cinq personnes de plus je pourrais savoir ce qui nous attend au prochain tournant.
En fait, il faut essayer de décider ce qui est vital pour le Canada et sa défense, puis de bien comprendre notre place sur l'échiquier mondial. Je parle spécifiquement du Canada. Lorsque nous étions au milieu d'opérations en Afghanistan, nos analystes du renseignement écoutaient tout ce qui se passait, car nous voulions tout savoir et être certains d'avoir les meilleurs renseignements pour pouvoir cerner les risques immédiats.
Lorsque nous ne participons pas à des opérations de combat, nous avons le temps de nous concentrer sur d'autres choses. Je le répète, vous pourriez me donner 10 fois plus d'analystes et je vous dirais quand même que je ne peux pas répondre à toutes vos questions.
Le sénateur Segal : J'ai une question complémentaire. Êtes-vous surpris de ce qui s'est passé en Crimée? Saviez-vous que cela allait se produire? Étiez-vous au courant quelques jours avant que cela ne se produise? Pensez-vous que nos alliés étaient au courant?
Mgén Rousseau : C'est une question très pertinente. J'ai mentionné, au début, que nous avons une vue d'ensemble du monde, parce que nous avons nos alliés et nous utilisons nos ressources intelligemment. Nous partageons le fardeau avec nos alliés. Le Canada a été responsable de certains pays pendant les 72 premières heures d'une crise; c'est nous qui fournissions les renseignements à nos alliés. Par exemple, la crise au Mali était du ressort du Canada. À l'époque, nous étions le centre de l'attention; les Américains s'adressaient à nous pour savoir ce qui se passait au Mali. L'Ukraine était la responsabilité première d'un autre allié. Nous nous en remettions à lui pour obtenir de l'information. Nous n'avons pas été pris par surprise.
En ce qui concerne l'Ukraine, comme il s'agissait d'une situation politique et qu'il n'y avait pas de dimension militaire, ce n'était pas une priorité pour moi. À la fin des Jeux olympiques de Sotchi, il y a eu un changement de gouvernement en Ukraine, ce qui a inquiété la Russie et a provoqué des réactions négatives de sa part. C'est là que nous avons commencé à affecter des ressources à cette crise. Nous avons vu le grand exercice militaire et constaté qu'il cachait le déploiement de six bataillons sur la côte en préparation de ce qui s'est avéré être une invasion. Il est difficile de comprendre l'intention, mais avec le déplacement des capacités on peut la cerner.
Le président : Notre temps est écoulé. Je remercie les témoins, ce fut une heure fructueuse. Nous espérons pouvoir compter sur vos contributions futures.
J'aimerais prendre une pause de deux minutes avant de siéger à huis clos pendant quelques minutes, afin d'examiner des visites que nous comptons faire au cours des prochains mois.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance reprend en public.)
Le président : Nous avons examiné plusieurs possibilités de déplacements au cours des prochains mois. Je présente deux budgets proposés. Le premier, d'un montant de 3 510 $, concerne un déplacement à l'ASFC. J'invite un membre à proposer la motion d'acceptation de ce budget, afin que nous puissions le soumettre au comité directeur.
Le sénateur Dallaire : Que cette motion soit proposée.
Le président : La motion est proposée par le sénateur Dallaire, avec l'appui du sénateur White. Est-ce que tout le monde est en faveur?
Des voix : D'accord.
Le président : Le deuxième, d'un montant de 53 620 $, concerne la visite des membres du comité à Washington le mois prochain. C'est un déplacement très important pour le comité. Je demande qu'on propose la motion.
Le sénateur Dagenais propose la motion, avec l'appui du sénateur Segal. Est-ce que tout le monde est en faveur?
Des voix : D'accord.
Le président : Merci. Je suis impatient de voir ceux qui ont pu se libérer pour participer à la visite, d'une durée de deux jours, du NORAD à Colorado Springs, la semaine prochaine, en lien avec notre rapport sur la défense antimissile balistique. Nous ferons rapport de ce que nous avons appris aux membres qui ne nous accompagnent pas.
Merci de votre temps.
(La séance est levée.)