Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 14 - Témoignages du 9 mars 2015
OTTAWA, le lundi 9 mars 2015
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres lois, se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.
Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais présenter les gens autour de la table. Je suis le sénateur Dan Lang, du Yukon. À ma gauche se trouve la greffière du comité, Josée Thérien. Nous allons faire un tour de table, et j'invite chaque sénateur à se présenter et à indiquer la région qu'il représente.
Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.
Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.
La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.
Le sénateur Day : Joseph Day, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l'Ontario.
Le président : Chers collègues, le Sénat a renvoyé au comité le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres lois. Nous sommes très heureux d'accueillir l'honorable Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui discutera avec nous de ce projet de loi.
Nous sommes également heureux d'accueillir de nouveau Michel Coulombe, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité, et François Guimont, sous-ministre, Sécurité publique Canada.
Monsieur le ministre, comme il s'agit de votre première comparution devant notre comité, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue ici. Je suis persuadé que vous reviendrez nous voir très bientôt. Même si vous êtes ici pour parler du projet de loi C-44, nous vous invitons à aborder d'autres questions qui, selon vous, sont importantes dans le cadre de vos fonctions et des travaux du Parlement.
Avant de vous céder la parole, je tiens à vous dire que, à mon avis, les Canadiens apprécient votre volonté de parler sans détour des menaces terroristes auxquelles notre pays doit faire face. Nous espérons que ce langage direct, et non la rectitude politique, deviendra la norme.
Le ministre sera avec nous jusqu'à 14 heures. Les responsables qui l'accompagnent, quant à eux, resteront ici jusqu'à 15 heures.
De nouveau, je tiens à vous souhaiter la bienvenue au comité, monsieur le ministre. Je crois que vous avez des remarques liminaires.
L'honorable Steven Blaney, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Monsieur le président, je tiens à vous remercier, vous et vos collègues, de m'accueillir pour la première fois au sein de votre comité. Je tiens à souligner le travail remarquable et important que votre comité et l'ensemble du Sénat ont accompli au fil des années pour toute la population canadienne.
[Français]
J'aimerais vous remercier, monsieur le président, de m'accueillir aujourd'hui. J'ai la chance de connaître certains sénateurs personnellement. Je vous remercie de la contribution que vous apportez à la démocratie de notre pays et de l'important travail que vous faites sur ce projet de loi qui vise à clarifier les autorités du Service canadien du renseignement de sécurité.
[Traduction]
Comme vous le savez, le projet de loi sur la protection du Canada contre les terroristes devait être présenté le 22 octobre, soit le jour même où un terroriste djihadiste a commis des actes terribles à Ottawa. Je pensais que, ce jour-là, nous pourrions présenter le projet de loi et entreprendre son étude, puisque nous ne siégeons pas les jours prévus pour les réunions du caucus. Je m'attendais à présenter le projet de loi le mercredi après-midi, mais cela n'a pas été possible.
Ce criminel s'en est pris délibérément au caporal Nathan Cirillo, qui, vêtu de l'uniforme militaire canadien, était de garde devant le Monument commémoratif de guerre du Canada, en plein cœur de notre capitale nationale. Il s'agissait indubitablement d'un attentat terroriste, d'un crime répugnant.
[Français]
C'est une attaque qui a été commise dans la foulée de celle qui est survenue à Saint-Jean-sur-Richelieu, deux jours plus tôt, mais aussi de celles qui ont suivi en Australie, à Sydney, ainsi qu'à Paris.
[Traduction]
Ces terribles attentats nous ont montré très clairement que nous devons faire tout en notre pouvoir pour trouver et arrêter les terroristes qui sont prêts à tout pour causer du tort à des Canadiens innocents. Comme je l'ai déjà dit à maintes reprises, monsieur le président, nous devons non garder de réagir mollement à la menace terroriste, mais nous ne devons pas non plus avoir une réaction excessive.
[Français]
C'est la raison pour laquelle il est important de veiller à ce que l'ensemble des quatre piliers que nous avons pour prévenir le terrorisme soit renforcé.
[Traduction]
Permettez-moi de rappeler les raisons pour lesquelles je comparais devant vous aujourd'hui. Je suis ici pour vous parler du projet de loi C-44. Cette mesure législative était prête à être présentée avant même que soient perpétrés les attentats terroristes.
[Français]
Et nos sénateurs le savent. Les menaces à la sécurité du Canada ne s'arrêtent pas à nos frontières. Des personnes voyagent, arrivent et quittent le pays en direction de zones d'instabilité afin de prendre part à des activités terroristes.
Nous devons nous assurer que le Service canadien du renseignement de sécurité, mis en place il y a 30 ans, continue de disposer des outils nécessaires pour enquêter sur ces menaces et prévenir les actes terroristes qui pourraient suivre.
J'aimerais vous donner un aperçu du projet de loi.
[Traduction]
Monsieur le président, je tiens à le répéter : le projet de loi à l'étude aujourd'hui ne vise qu'à apporter des modifications ciblées et limitées à la Loi sur le SCRS. Il était en voie de préparation bien avant que soient perpétrés des attentats terroristes qui ont secoué tous les Canadiens.
Ces modifications sont nécessaires pour donner suite aux questions soulevées par les tribunaux. Elles n'auront pas pour effet d'élargir le mandat du SCRS ni de modifier ses fonctions. Elles permettront simplement au SCRS de continuer d'assumer son rôle efficace, qui consiste à recueillir des renseignements dans le but de protéger les Canadiens.
Le SCRS a toujours eu le pouvoir d'enquêter sur des menaces pour la sécurité du Canada à l'étranger. Le Parlement souhaite depuis toujours que le SCRS puisse effectuer des enquêtes là où peuvent se produire des activités liées à une menace pour la sécurité du Canada.
[Français]
Il serait inconcevable que le Canada fasse en sorte que ces enquêtes sur le terrorisme ne puissent être entreprises qu'à l'extérieur de ses frontières. Ce qui est en jeu, toutefois, c'est le fait qu'une décision récente de la Cour d'appel fédérale est venue soulever des questions importantes quant à certains aspects du mandat et des pouvoirs d'enquête du SCRS. C'est pourquoi il est important pour nous, législateurs, qu'il soit écrit noir sur blanc dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité que le service possède effectivement le pouvoir d'entreprendre des enquêtes à l'étranger.
Nous nous assurons ainsi qu'il sera très clair dans la loi que la Cour fédérale aura compétence pour lancer des mandats autorisant le service à entreprendre certaines activités à l'étranger lorsqu'il enquête sur des menaces à la sécurité du Canada.
[Traduction]
De plus, ce projet de loi indiquera clairement que la Cour fédérale doit tenir compte de toutes les dispositions législatives canadiennes pertinentes avant de délivrer des mandats autorisant ces types d'activités. Autrement dit, les tribunaux ne seront pas tenus de prendre en considération les lois du pays étranger où se dérouleront les activités en question.
Monsieur le président, nous croyons que la Charte canadienne des droits et libertés contient suffisamment de lignes directrices pour orienter les activités du SCRS. Malgré ce que certains ont laissé entendre, il serait tout simplement ridicule de demander au SCRS de se conformer aux lois en vigueur dans des États en déroute, où des activités de ce genre pourraient avoir lieu.
Lorsqu'il a adopté la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le Parlement de l'époque ne souhaitait pas que le SCRS soit tenu de répondre à des critères semblables. Le Parlement actuel ne devrait pas s'attendre non plus à ce que ce soit le cas.
[Français]
Tout comme ce qui se fait au sein des différents corps policiers, le SCRS compte fortement sur des renseignements fournis par des sources humaines au cours de ses enquêtes. Comme c'est souvent le cas, les agents de police ont recours à des informateurs pour obtenir des détails indispensables afin de parvenir à arrêter et à inculper un criminel. Ils sont en mesure d'accéder à ces renseignements, parce que la common law offre depuis longtemps de solides mécanismes de protection contre la divulgation de l'identité des informateurs de police dans le cadre de procédures judiciaires. Ces mécanismes de protection permettent aux agents de donner aux informateurs l'assurance que leur identité ne sera pas révélée, sauf dans certaines circonstances.
[Traduction]
Vous avez peut-être examiné les définitions figurant dans le projet de loi et constaté l'importance que revêtent la protection des renseignements personnels et les liens de confiance qui doivent exister entre l'agence et ses sources dans le but de recueillir des renseignements exacts. Le SCRS doit entretenir des liens de confiance avec ses sources.
En mai 2014, dans l'arrêt Harkat, la Cour suprême a statué que le privilège de common law protégeant l'identité des informateurs de la police ne s'appliquait pas aux sources humaines du SCRS. Elle a confirmé la décision rendue au sujet des certificats de sécurité, mais nous devons maintenant veiller à ce que les sources humaines soient protégées en vertu des lois canadiennes.
Cette situation crée un problème grave pour le SCRS. En effet, les sources humaines qu'il utilise pourraient décider de ne pas communiquer les renseignements qu'elles ont recueillis si elles pensent que leur identité ne sera pas protégée. C'est pourquoi nous souhaitons modifier la Loi sur le SCRS afin d'interdire la divulgation de l'identité des sources humaines du SCRS dans le cadre de procédures judiciaires, sous réserve de certaines exceptions visant à assurer la cohérence avec les lois canadiennes.
Vous pouvez examiner l'article 18 du projet de loi, qui énonce clairement comment nous entendons procéder afin de nous conformer entièrement avec les lois canadiennes.
[Français]
Enfin, nous apportons aussi des modifications qui contribueront à protéger les employés du SCRS. À l'heure actuelle, il est interdit par la loi de révéler l'identité d'un employé du SCRS qui participe actuellement ou qui a déjà participé à des opérations secrètes. Le fait de révéler cette information constitue un acte criminel. Toutefois, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité n'a pas le libellé nécessaire pour appliquer ce même mécanisme de protection aux employés susceptibles de participer à une activité secrète dans l'avenir. Nous pensons à la jeune relève d'agents du renseignement qui, parce que l'on divulgue leur nom, pourraient ne pas avoir accès à ce type d'activité. Nous souhaitons donc rectifier cette situation en modifiant le libellé dans la mesure législative.
[Traduction]
Le projet de loi C-44 propose également des modifications à la Loi renforçant la citoyenneté canadienne pour que certains articles puissent entrer en vigueur plus tôt que prévu. On pourrait parler en quelque sorte de dispositions visant à accélérer les choses. Ces articles portent sur la capacité des autorités canadiennes de révoquer la citoyenneté d'une personne ayant la double nationalité qui est reconnue coupable de terrorisme, de haute trahison, de trahison ou d'espionnage, selon la peine infligée.
La citoyenneté canadienne est un bien précieux. Les individus qui commettent des actes de terrorisme rejettent les valeurs fondamentales de tous les autres Canadiens. Ils trahissent leur serment d'allégeance. Le gouvernement est convaincu que nous ne devrions pas partager notre citoyenneté avec des individus qui sont prêts à décapiter des gens qui ne sont pas d'accord avec eux.
Le gouvernement et les Canadiens ne comprennent pas pourquoi l'opposition s'oppose à ces mesures importantes. Des événements survenus récemment au pays et à l'étranger nous montrent qu'il est nécessaire d'adopter ces mesures le plus tôt possible. C'est ce que nous vous suggérons d'appuyer aujourd'hui.
[Français]
Monsieur le président, les Canadiens s'attendent à ce que le gouvernement les protège contre les menaces terroristes, plus particulièrement celles auxquelles nous faisons face actuellement. Ils s'attendent à ce qu'on les protège contre toutes les formes de terrorismes, mais plus particulièrement celle à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui, le djihadisme international; ils s'attendent à ce qu'on le fasse ici et à l'étranger. C'est la raison pour laquelle il est important de le clarifier.
Nous voulons donc simplement confirmer la capacité du Service canadien du renseignement de sécurité d'opérer ici et à l'extérieur du pays; nous voulons protéger les sources de renseignement et permettre de ne pas dévoiler l'identité des employés qui, éventuellement, pourraient être destinés à des activités de prévention et d'échange d'information.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions sur le projet de loi, et j'espère avoir la chance de revenir bientôt pour vous parler des autres mesures que notre gouvernement met en place pour lutter contre le terrorisme.
[Traduction]
Le président : Monsieur le ministre, je vous remercie de nous avoir présenté les grandes lignes du projet de loi.
Pour en revenir à l'historique de notre comité parlementaire, comme vous l'avez mentionné, un certain nombre de témoins ont comparu devant nous au cours des deux dernières années, dont le président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, l'an dernier, le conseiller à la sécurité nationale et le commissaire à la protection de la vie privée. Ces témoins ont insisté sur l'obligation de rendre compte du SCRS, une question qui s'inscrit dans le cadre du débat politique au Parlement.
J'aimerais vous poser une première question. Pourquoi n'avez-vous pas prévu plus de mesures d'examen dans le projet de loi afin que le CSARS puisse vous appuyer dans votre travail?
M. Blaney : Merci de votre question, sénateur Lang. Nous devons absolument veiller à ce que les activités du milieu du renseignement fassent l'objet d'une surveillance attentive de la part d'un organisme indépendant.
Nous pouvons être fiers du modèle canadien à bien des égards, car il oblige notre milieu du renseignement, en particulier le SCRS, à rendre des comptes.
Comme vous pouvez le constater dans le processus, chaque fois que le SCRS souhaite s'adonner à une activité qui pourrait porter atteinte aux droits des Canadiens, il doit demander un mandat. Par conséquent, la surveillance judiciaire est intégrée au processus. Avant de faire cela, le SCRS doit s'adresser à moi, le ministre de la Sécurité publique, afin que j'évalue sa demande. Pour ce faire, je me fie à l'avis des experts du ministère de la Sécurité publique. Ainsi, le processus comporte un deuxième niveau de surveillance.
Vous savez aussi très bien que, outre ces mécanismes de surveillance, nous disposons d'un solide organisme d'examen, soit le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Mandaté par le gouvernement, ce comité se voit comme le prolongement du Parlement. Il rend compte au Parlement des activités menées par le SCRS. Composé de membres compétents, ce comité est indépendant et permanent et constitue sans doute un outil très important.
Vous savez peut-être que la Cour suprême a statué que le CSARS avait trouvé un juste équilibre entre la protection de la vie privée et la nécessité de mener des activités de renseignement de sécurité.
J'avoue qu'aucun modèle n'est parfait, mais nous sommes certainement fiers du modèle canadien que nous avons mis en œuvre. Comme vous le savez, ce projet de loi contient déjà des dispositions destinées à protéger les personnes qui pourraient être citées à procès à la suite de la communication de renseignements pouvant donner lieu à des accusations.
Je serai très heureux de comparaître de nouveau devant votre comité pour parler du projet de loi C-51, qui fait aussi l'objet d'un débat à l'heure actuelle. Comme vous pourrez le constater, ce projet de loi propose de nombreuses mesures qui nous permettront d'accroître la surveillance judiciaire et l'examen et, ainsi, de veiller à ce que les droits, la liberté et la vie privée des Canadiens soient protégés.
Le sénateur Mitchell : Monsieur le ministre, ce qui est troublant dans le débat sur la radicalisation en général et, plus particulièrement, sur les projets de loi C-44 et C-51, c'est notamment la tendance qu'ont certains à stigmatiser et à isoler un groupe donné, ainsi qu'à nommer des personnes et à faire des allégations non fondées sur leurs liens présumés. Évidemment, il arrive trop souvent qu'on montre du doigt les Canadiens de confession musulmane. Or, comme vous et moi, ces gens aiment leurs enfants et contribuent à faire du Canada un grand pays. Le premier ministre et vous pouvez faire preuve de leadership pour changer et éclairer le contexte dans lequel se tient le débat.
Je me demandais si vous aviez pris le temps de préciser que les musulmans canadiens font partie de la famille canadienne ou si vous pouviez demander au premier ministre de le préciser, lui aussi. Diriez-vous que nous sommes tous dans le même bateau, que les musulmans le comprennent et qu'ils collaborent avec tous les autres Canadiens pour que nous traitions le problème de la radicalisation de manière équitable, ouverte et efficace?
M. Blaney : Tout à fait, sénateur Mitchell, je ne saurais dire mieux. Nous sommes tous dans le même bateau, avec tous les Canadiens.
Comme vous le savez, le terrorisme est certainement une priorité en matière de sécurité nationale. C'est notre priorité et c'est ma priorité, mais nous constatons que le nombre de voyageurs à haut risque augmente. Nous sommes en présence d'un problème canadien : des Canadiens nés ici pourraient vouloir se rendre à l'étranger pour y commettre des attentats terroristes.
Évidemment, le Canada condamne toutes les formes de terrorisme, peu importe sa provenance. Le projet de loi à l'étude aujourd'hui et le projet de loi C-51 visent tous les deux à mieux préparer les Canadiens et à mieux les protéger contre ces dangers.
Pour revenir à ce que vous venez de dire, je me rappelle clairement qu'après l'attentat terroriste du 22 octobre, le premier ministre Harper a remercié les communautés musulmanes qui ont condamné ces actes de violence. Je participe à des tables rondes et des réunions interculturelles avec des membres de toutes les communautés ethniques, et il est certainement important que nous continuions d'œuvrer dans cette optique.
Comme vous le savez, le projet de loi dont nous parlons aujourd'hui s'inscrit dans une démarche plus globale et vise évidemment à répondre à l'invitation du tribunal de préciser dans la loi ce qui serait légal. En somme, si je puis me permettre, nous combattons le terrorisme et, pour ce faire, nous devons prévenir la radicalisation, repérer les personnes susceptibles de se faire embrigader par la ruse et les empêcher de passer à l'acte ou, au besoin, réagir. Pour la première fois de l'histoire, nous avons élaboré et défini une stratégie antiterroriste où nous mettons fortement l'accent sur la prévention et sur la diffusion d'une contrepropagande à l'intention des personnes sujettes à la radicalisation, que l'on empêchera ainsi de partir.
Alors, nous devons effectivement agir en chef de file. La communauté doit, elle aussi, agir en chef de file. En tant que Canadien, je trouve qu'il est important que nous prenions nos distances à l'égard de toute forme d'appui au terrorisme. Comme vous le savez, il en est question dans le projet de loi C-51, que nous voudrions soumettre bientôt à votre comité.
Le sénateur Mitchell : Merci pour cette réponse, dans laquelle vous dites clairement que le terrorisme est une priorité. Toutefois, le commissaire est venu nous dire vendredi qu'il avait retiré 600 enquêteurs des autres dossiers pour les affecter à la lutte contre le terrorisme. D'une certaine manière, c'est une bonne décision, mais il l'a prise alors que des compressions de 15 p. 100 sont appliquées. Donc, il manque au moins 600 enquêteurs pour s'occuper des autres types de crimes. Comment pouvez-vous concilier la nécessité de lutter contre la criminalité en général avec l'idée d'appauvrir certains budgets et d'utiliser du personnel qui était ailleurs? Qui s'occupe de faire le travail de ce personnel?
M. Blaney : Je suis heureux de voir que la GRC s'adapte à l'évolution du danger et qu'elle réaffecte ses ressources humaines à court terme pour affronter le terrorisme.
Comme vous le savez, le gouvernement appuie fortement les deux organismes de renseignement canadiens — M. Coulombe est présent aujourd'hui — ainsi que la GRC. Nous avons multiplié par sept les budgets de nos policiers et de nos agents du renseignement. Néanmoins, comme n'importe quel autre organisme public, ils doivent rationaliser et optimiser leur travail, conformément aux attentes des contribuables à l'égard de nous tous, selon moi.
Cela dit, le budget de la GRC a connu une augmentation d'un tiers depuis que nous formons le gouvernement, et nous surveillons et évaluons constamment les besoins en ressources de la GRC pour qu'elle puisse s'acquitter de son mandat. Je suis d'accord avec vous pour dire que, tandis que nous mettons l'accent sur la lutte contre le terrorisme et que nous y affectons des ressources, il demeure important de maintenir la pression et de prévoir des ressources suffisantes dans d'autres domaines, comme le crime organisé, la cybercriminalité et les activités liées à la drogue. Nous surveillons constamment l'évolution des besoins de la GRC.
Mais je dois vous dire que l'importante réaffectation des ressources qui a eu lieu en dit long sur les dangers auxquels nous devons faire face et sur l'importance, pour les policiers et pour les politiciens que nous sommes, de réagir à ces dangers de manière responsable.
Nous devons premièrement redonner à la communauté canadienne du renseignement les outils de base dont elle a besoin et dont elle se sert pour recueillir de l'information et la communiquer à nos alliés, comme la France, l'Australie, le Royaume-Uni, et les États-Unis. À certains égards, nous fonctionnons actuellement à l'aveuglette parce que nous ne pouvons pas procéder à des échanges d'information. C'est particulièrement problématique dans le cas des Canadiens qui se rendent à l'étranger. Nous nous trouvons dans une situation où il nous est interdit d'échanger de l'information avec nos partenaires comme nous le faisions dans le passé. Je pense qu'il est essentiel que nous puissions le faire et que c'est la raison pour laquelle votre appui au projet de loi C-44 est très important.
Malheureusement, nous n'avons pas obtenu l'appui du NPD, mais les libéraux appuient le projet de loi. Nous espérons maintenant que vous appuierez cet important projet de loi. Nous avons la responsabilité de voir à ce que la loi autorise ceux dont le devoir est de nous protéger à avoir recours aux outils dont ils ont besoin pour agir. Même si on augmente grandement les sommes d'argent, il ne sera pas possible d'atteindre l'objectif de protéger les Canadiens si les pouvoirs nécessaires ne sont pas accordés.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur le ministre.
Dans votre discours à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-44, vous avez indiqué que la stratégie antiterroriste comportait trois volets, notamment celui qui consiste à bâtir les capacités des collectivités. Pourriez-vous nous indiquer précisément ce que vous faites pour bâtir les capacités des collectivités, au-delà de la contrepropagande dont vous avez déjà parlé? Êtes-vous présent dans les collectivités? Leur fournissez-vous des services et de l'aide? De quel type?
M. Blaney : Merci pour votre question.
Premièrement, notre stratégie d'échec au terrorisme repose sur quatre piliers, qui sont très faciles à saisir : prévenir, protéger, détecter et intervenir. Cette stratégie a été préparée par mon prédécesseur. Nous n'avons pas obtenu l'appui de l'opposition pour mettre en œuvre cette stratégie, mais nous la croyons importante.
Évidemment, cette stratégie est mise en œuvre par le ministère de la Sécurité publique, le SCRS et la GRC, qui joue un rôle vital pour établir des relations avec les collectivités. Le commissaire Paulson pourra vous en dire davantage à ce sujet si vous le souhaitez. Des centaines d'activités de la GRC lui permettent d'établir des liens avec les collectivités de l'ensemble du pays, y compris avec les dirigeants locaux qu'elle rencontre. Comme je l'ai déjà indiqué auparavant, j'ai moi-même rencontré un grand nombre d'entre eux à notre table ronde, tout comme mon collègue le ministre MacKay. Nous collaborons avec les dirigeants à l'échelle locale et nous sommes certainement prêts à améliorer les moyens que nous prenons pour entretenir des relations avec la population canadienne.
Je dois vous dire que nous pouvons être fiers des efforts déployés par la GRC. Elle a mis en ligne un site web où l'on peut télécharger sa stratégie pour prévenir la radicalisation de même que de l'information sur de nombreuses activités. Elle s'investit beaucoup, mais nous devons maintenir ces efforts considérables parce que, de toute évidence, le danger est bel et bien présent.
La GRC cultive ses relations avec la population, mais je peux vous donner un exemple de problème que nous n'arriverons pas à résoudre avec le projet de loi actuel. À l'heure actuelle, il existe un site web qui fait la promotion d'une idéologie haineuse et extrémiste, mais nous ne pouvons pas bloquer l'accès à ce site au Canada. Voilà pourquoi je souhaite revenir m'adresser à votre comité, pour voir si nous pouvons résoudre ce problème. Mais, pour l'instant, je vous demande d'appuyer le projet de loi C-44.
[Français]
Le sénateur Dagenais : On sait qu'il existe une liste de terroristes potentiels. Au moment où on se parle, avez-vous mis à jour cette liste de terroristes islamiques qui se trouvent au Canada ou à l'extérieur du Canada?
M. Blaney : Évidemment, ce sont des questions d'ordre opérationnel. Je ne voudrais pas mettre l'odieux sur personne. Je répondrai pour la Gendarmerie royale, puisqu'elle n'est pas représentée ici, aujourd'hui. Un certain nombre de noms avait été divulgué. La Gendarmerie royale, pour des raisons opérationnelles, a cessé de divulguer ces données-là. Ce qui est important pour nous, c'est de veiller à ce qu'elle ait les outils et les ressources nécessaires pour faire face à l'évolution de cette demande. M. Coulombe pourrait vous en dire davantage.
Michel Coulombe, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité : J'aimerais ajouter que, lorsqu'on avait divulgué les données il y a environ un an, on croyait alors qu'il était important de donner un aperçu de l'envergure du problème. Au fil du temps, je vois moins l'utilité de divulguer des données qui changent constamment; cela peut avoir un impact sur les opérations en illustrant l'impact sur notre capacité d'enquête.
Au lieu de donner un chiffre précis, on dit qu'il y a une croissance, pas vertigineuse, mais que le phénomène représente un problème en ce qui a trait au nombre croissant de gens qui voyagent ou qui aspirent à voyager, comme l'a mentionné le commissaire Paulson vendredi passé.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Coulombe, je voudrais revenir sur ce que M. Zehaf-Bibeau a dit. On sait qu'il avait un dossier criminel assez chargé et, malgré tout, on sait qu'il se promenait entre Seattle, Washington et Ottawa.
Le nouveau projet de loi nous permettra-t-il maintenant de détecter les déplacements de présumés terroristes islamiques?
M. Coulombe : Je ne peux pas parler du cas spécifique de M. Zehaf-Bibeau, car une enquête criminelle entourant ses activités est en cours. Premièrement, le projet de loi C-44, en confirmant notre capacité de travailler à l'étranger et aussi en clarifiant le fait que la Cour fédérale pourra accorder des mandats pour le service à l'extérieur du pays, nous permettra définitivement de déterminer exactement dans quel genre d'activités ces gens sont impliqués.
[Traduction]
Le sénateur White : Monsieur Coulombe, je vous remercie beaucoup pour votre réponse, mais il serait important que les Canadiens comprennent la gravité de la situation que nous devons affronter. Je conviens qu'il n'est peut-être pas très utile de connaître le nombre de 131 personnes, mais je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il est important, dans l'optique de la préparation d'un projet de loi, de savoir que le problème prend de l'ampleur et que le nombre dépasse la centaine.
M. Coulombe : Comme je l'ai indiqué, si vous vous rappelez bien, les chiffres que l'on a entendus sont de l'ordre de 140 à 150. Le nombre de personnes progresse à petits pas, alors il ne saurait être question de milliers de personnes à l'heure actuelle.
Le sénateur White : Compris.
M. Coulombe : Je suis réticent à donner des chiffres parce que, comme je l'ai dit, les gens finissent par avoir une fixation sur le nombre qu'on leur donne une journée, même si ce nombre peut être inexact le lendemain ou 10 minutes plus tard. De plus, si nous annoncions constamment le nombre de djihadistes, nous révélerions où nous devons déployer des ressources, et je suis réticent à faire une chose pareille.
M. Blaney : Je souscris à cette décision. Une fois qu'un nombre circule, les gens veulent savoir comment il se répartit. Où sont les Canadiens en question? Sont-ils au pays où à l'étranger? Sont-ils encore en vie? Annoncer les nombres comporte de nombreux problèmes.
Il nous importe avant tout de mettre en œuvre la stratégie, les outils et les ressources nécessaires pour nous attaquer au problème. Comme M. Coulombe l'a indiqué, il faut comprendre que nous n'avons pas la capacité, à l'heure actuelle, de suivre les personnes concernées une fois qu'elles ont quitté le pays, car nos ressources à l'étranger sont insuffisantes. Si nous pouvions procéder à des échanges d'information avec nos alliés, nous serions mieux placés pour surveiller ces personnes et nous assurer qu'elles ne représenteront pas un danger le jour où elles seront prêtes à rentrer au Canada.
Le président : Je pense qu'il s'agit de prendre une décision stratégique très importante, alors que les Canadiens ne sont pas nécessairement bien au courant de la magnitude du danger auquel ils sont exposés. Je sais que les chiffres changent quotidiennement, et la plupart des Canadiens en sont pleinement conscients. Mais, en réalité, lorsque les chiffres ont été fournis à notre comité, cela a eu pour effet de porter à l'attention des Canadiens le fait qu'un danger réel existait bel et bien. Puis, les événements qui ont eu lieu ont confirmé l'existence et l'ampleur de ce danger.
Monsieur le ministre, seriez-vous prêt à envisager une façon ou une autre d'informer régulièrement les Canadiens, sans que ce soit chaque jour, évidemment, mais de manière à ce que nous puissions nous faire une idée du danger et surtout, de manière à alerter les Canadiens pour qu'ils puissent être aux aguets et vous appeler s'ils sont témoins de quelque chose? Si nous ne sommes pas au courant de l'étendue du danger, vous ne recevrez peut-être pas l'appel que vous auriez dû recevoir. Je voulais simplement vous soumettre ce point de vue.
M. Blaney : Monsieur le président, je comprends. Comme vous le savez, nous évaluons régulièrement le risque d'attentat terroriste. Une unité spéciale a été constituée au sein du SCRS pour évaluer le risque et en informer ceux qui s'emploient sur le terrain à assurer la sécurité publique.
Comme vous le savez, nous publions chaque année un rapport sur le risque d'attentat terroriste, et les gens l'utilisent et s'y réfèrent largement. Nous pouvons également le mettre à la disposition des membres du comité.
Le sénateur Kenny : Monsieur le président, vous n'étiez pas en train de suggérer au ministre la publication d'un rapport seulement une fois par année?
Le sénateur Lang : C'est exact, sénateur Kenny. J'avais à l'esprit un rapport trimestriel permettant de tenir les Canadiens informés. Le public canadien serait ainsi constamment au courant du risque qui existe et serait sur ses gardes. Si nous ne sommes pas informés, nous serons tous d'ici deux semaines de retour à nos activités normales et nous ne ferons pas attention à ce qui se passe autour de nous.
Quoi qu'il en soit, je vous laisse y réfléchir et je cède la parole au sénateur White.
Le sénateur White : Monsieur Coulombe, en ce qui a trait au Comité d'approbation et de révision des cibles, pourriez-vous, sans entrer dans les détails — car je sais que cela ne vous est pas permis —, nous donner une idée des dangers présents, à part l'EIIL, Boko Haram et les autres groupes du genre? Existe-t-il d'autres groupes contre lesquels il faut mobiliser des énergies, dans le dossier du terrorisme?
M. Coulombe : Manifestement, les événements en Irak et en Syrie ont beaucoup retenu l'attention au cours des 18 derniers mois, alors l'EIIL occupe l'avant de la scène. Je dirais premièrement que nous ne devrions pas perdre de vue qu'Al-Qaïda, et plus précisément ce que nous appelons le cœur d'Al-Qaïda, c'est-à-dire l'organisation de Ben Laden, demeure une puissante organisation terroriste qui n'est pas uniquement basée en Afghanistan et au Pakistan, mais qui a également des groupes affiliés au Yémen, soit Al-Qaïda dans la péninsule arabique, dans le Sahel et ailleurs. Nous ne pouvons pas nous permettre de l'oublier.
Pour revenir à l'EIIL, c'est une organisation qui a pris naissance en Irak et en Syrie, mais qui, comme vous avez pu le voir dans les médias, est en train d'étendre ses tentacules en Libye, en Afghanistan, au Pakistan. Boko Haram vient tout juste de jurer allégeance à l'EIIL. Le phénomène des excroissances de l'EIIL existe aussi.
Nous devons aussi avoir à l'œil les groupes comme le Hezbollah et les autres groupes chiites qui restent des organisations terroristes et dont les activités sont encore préoccupantes. Alors, le danger ne s'arrête pas à l'EIIL. Il est important de ne pas le perdre de vue.
Le sénateur White : Il est important que les Canadiens comprennent que le phénomène n'est pas nouveau pour nous et qu'il existe depuis un bon moment.
Monsieur le ministre, nous avons entendu le commissaire Paulson la semaine dernière, mais à dire vrai, avant le 22 octobre, nous avions déjà entendu les dirigeants des services de police, y compris le commissaire, nous parler de la difficulté d'intervenir rapidement et d'obtenir des engagements à ne pas troubler l'ordre public.
Nous avons entendu certains témoins de la Couronne déclarer qu'ils font confiance au système et qu'il est nécessaire de demander la permission à la Couronne, au procureur général. Je ne suis pas certain que, dans le monde actuel, nous ne devrions pas faire en sorte que les services de police, en particulier la GRC, puissent obtenir plus rapidement des engagements de ne pas troubler l'ordre public, afin de protéger les Canadiens. On nous a dit que le problème s'était posé relativement à l'une des personnes impliquées en octobre.
Pouvons-nous prévoir un changement dans la loi qui nous éviterait à l'avenir de devoir affronter des circonstances semblables?
M. Blaney : Je vous remercie pour votre question, qui concerne le projet de loi C-51, plutôt que le projet de loi C-44.
Le sénateur White : Vous m'en voyez désolé, monsieur le ministre.
M. Blaney : Comme vous le savez, des dispositions sont proposées à ce sujet et je m'attends à revenir vous voir pour parler de l'abaissement du seuil, une question qui nous paraît importante. Nous croyons qu'il est de la plus grande importance que les policiers et les agents du renseignement agissent dans le respect des lois canadiennes et de la Charte canadienne des droits et libertés. Ils doivent respecter le droit à la vie privée des Canadiens. C'est pourquoi le projet de loi dont j'espère pouvoir venir parler à votre comité contient des dispositions non seulement pour assurer une surveillance judiciaire stricte, si un engagement de ne pas troubler l'ordre public ou un engagement assorti de conditions est demandé, mais également pour exiger le consentement du procureur général.
Nous sommes d'avis que le projet de loi qui sera présenté améliorera en fait les droits des Canadiens, tout en protégeant mieux leur vie privée. Parallèlement, de façon plus pratique, il accroîtra les capacités de nos policiers lorsqu'il est question d'une menace imminente; ils pourront ainsi prévenir cette menace et mieux protéger les Canadiens.
Le sénateur White : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie d'être ici. Ma première question porte sur les mesures qui amélioreraient la sécurité au sein du pays. Je songe plus particulièrement à l'Agence des services frontaliers du Canada et à sa liste des personnes les plus recherchées. Envisageriez-vous de créer une liste similaire pour le SCRS, qui serait fondée sur des preuves sans équivoque, et non sur des allégations farfelues? Cette liste pourrait être remise aux divers organismes canadiens afin que les gens soient bien informés et conscients de ce qui se passe.
M. Blaney : Je vous remercie de votre proposition. J'ai bien reçu la proposition faite plus tôt, qui consiste à bien informer les Canadiens.
La liste des personnes les plus recherchées de l'ASFC a connu un franc succès. En effet, la population a joué un rôle très important à cet égard. Nous constatons que chaque fois que nous nous dotons d'un outil qui permet à la population d'aider nos forces de l'ordre et nous aider, nous, c'est un énorme succès. Je vais tenir compte de votre recommandation et la communiquer aux gens de mon ministère et du milieu du renseignement.
Bien entendu, ces listes sont le fruit d'un effort collectif, car un grand nombre de personnes participent à leur élaboration, mais il s'agit d'une excellente recommandation. Comme je l'ai mentionné, une telle liste est également utile puisque les Canadiens sentent qu'ils ont un rôle à jouer dans le processus et qu'ils peuvent faire quelque chose.
Cela dit, ce qui peut parfois être frustrant, c'est qu'il est difficile de lutter contre la menace terroriste. Ce qui me plaît aussi de votre idée, c'est qu'elle nous ramène à la définition d'une attaque terroriste. En effet, dans la définition de ce qu'est une attaque terroriste, on peut lire qu'il s'agit d'un acte visant à intimider la population et à la cibler, à des fins politiques, et à user de violence. Le but d'une attaque terroriste est de créer des dommages et d'intimider l'ensemble de la société. C'est donc pour cette raison que je tiendrai compte de cette recommandation fort utile.
La sénatrice Stewart Olsen : J'aimerais faire une brève observation quant au fait que les Canadiens sont conscients de ce qui se passe. Le comité a entendu un grand nombre de témoins. Nous avons ainsi pu constater que les parents, les proches et les membres de la famille des personnes qui se sont radicalisées sont tout à fait dévastés. Ils n'ont rien vu venir. Plus nous pourrons obtenir de renseignements qui nous aideront à identifier ces gens et mieux nous nous en porterons, car c'est une menace qui nous guette tous. C'est ce que le comité a pu démontrer après avoir entendu des gens de tous les horizons.
J'aimerais maintenant vous poser une question au sujet du problème posé par le financement étranger qui entre ici, au pays, et qui est utilisé pour radicaliser des gens. Existe-t-il des façons de surveiller ces activités ou d'y mettre fin?
M. Blaney : Oui. Je vous remercie de vos observations et de vos questions, qui sont, à mon avis, tout à fait exactes.
Malheureusement, ce n'est sans doute pas la dernière fois qu'un ministre de la Sécurité publique comparaît devant le comité pour parler de la lutte contre le terrorisme. Depuis 2001, notre pays a participé à de nombreux efforts visant à régler ce problème et à s'adapter à son évolution. C'est pour cette raison que nous avons établi une liste des entités terroristes.
Cette liste est essentielle et très importante. Pourquoi? Parce qu'elle permet d'éliminer à la source le financement de ces organisations. Nous avons constaté que l'argent passe par le Canada, puis est acheminé ailleurs pour appuyer des entités terroristes. Nous savons maintenant que l'argent qui vient de l'extérieur pourrait servir à financer des activités terroristes. Je remercie d'ailleurs les membres du comité du travail qu'ils accomplissent dans ce dossier. Je crois également savoir que le Comité des finances étudie lui aussi la question. J'attends avec impatience vos recommandations. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éliminer les sources de financement de ceux qui voudraient financer ou appuyer des activités terroristes au pays.
Pour revenir à votre première question, qui porte sur ce que la GRC appelle, à juste titre d'ailleurs, l'étape qui précède la criminalisation, nous pouvons prendre beaucoup de mesures ici, au pays, pour empêcher certaines personnes de se radicaliser, avant qu'elles soient traitées comme des criminels. C'est pour cette raison qu'il est absolument essentiel de renforcer le premier pilier de notre stratégie, en l'occurrence la prévention. Le projet de loi C-51 comporte certaines dispositions qui visent à s'attaquer à ce problème, notamment en cessant la criminalisation, en criminalisant la promotion du terrorisme, une activité où les mots revêtent une grande importance, et en donnant à nos agents du renseignement la capacité de réduire la menace une fois qu'ils ont identifié une personne qui pourrait se radicaliser. Si nous pouvions empêcher la radicalisation au lieu de réagir aux attaques terroristes, nous pourrions exercer une influence énorme sur la situation et réduire considérablement la menace.
Oui, nous participons aux efforts de prévention, et oui, nous devons déterminer comment nous pouvons aider davantage les familles touchées par la radicalisation. C'est pour cette raison que, comme vous le savez, le gouvernement et mon ministère ont investi dans le projet Kanishka, dont l'objectif consiste à mener les recherches nécessaires pour déterminer le mode de fonctionnement des terroristes. Vous êtes au fait de certaines initiatives, comme la campagne Extreme Dialogue, qui découlent de ce projet et qui nous permettent d'évoluer dans la bonne direction.
La sénatrice Beyak : Monsieur le ministre, je vous remercie de votre excellente présentation. Vous avez bien expliqué le projet de loi C-44 aux Canadiens, qui se réjouissent de constater que vous offrez de nouveaux outils. La population canadienne est diversifiée, et elle sait être accueillante et bienveillante. Ce qui nous inquiète, ce n'est ni la race, ni l'origine ethnique des gens, mais bien les extrémistes qui se trouvent parmi nous. Le projet de loi nous donne des outils réels qui nous aideront à les identifier.
Je me pose des questions au sujet de deux publications, intitulées Rapport public de 2014 sur la menace terroriste pour le Canada et Renforcer la résilience face au terrorisme : Stratégie antiterroriste du Canada. Les deux documents exposent en termes très clairs la menace à laquelle nous sommes confrontés.
Depuis 2012, la terminologie s'est quelque peu relâchée, et il est désormais question de « voyageurs extrémistes ». Pouvez-vous me garantir que votre ministère, le SCRS et la GRC reviendront aux termes clairs que les Canadiens comprennent afin que nous puissions signaler les menaces lorsque nous en voyons?
M. Blaney : Oui. J'ai appris une expression anglaise, selon laquelle tout ce qui marche comme un canard et crie comme un canard est probablement un canard, donc, oui, je suis tout à fait d'accord avec vous. Il faut appeler un chat un chat.
[Français]
Un penseur français, Albert Camus, a dit que de mal nommer les choses ajoute aux malheurs du monde. Il est important que nous employions le langage approprié pour décrire les menaces auxquelles nous sommes confrontés, en évitant d'ostraciser quelque portion de la population que ce soit, tout en faisant preuve de lucidité et de réalisme.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Monsieur le ministre, je me pose aussi une autre question. Votre ministère sera-t-il en mesure de continuer de faire preuve de diligence raisonnable en ce qui concerne les personnes avec qui nous travaillons? Nous savons que les sénateurs sont tenus de poser des questions difficiles au sujet des allégeances politiques des gens, de leurs sources de financement et de leurs conseils d'administration. Est-ce qu'un secteur de votre organisation accomplit des tâches semblables?
M. Blaney : Oui. Il est toujours important de faire preuve de prudence à cet égard. Jusqu'à maintenant, je crois que nous avons adopté la bonne approche.
J'ai cru comprendre, en écoutant votre question, que nous ne devons pas non plus tolérer que certaines personnes entretiennent des liens avec des indésirables ou des gens qui pourraient être liés à des activités terroristes ou qu'elles bénéficient de leur appui. Bien entendu, nous sommes conscients de cela.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.
Le sénateur Kenny : Monsieur le ministre, j'ai été ravi d'entendre que vous appuyez un programme visant à lutter contre la radicalisation avant la criminalisation. Pouvez-vous dire au comité quel est le montant du financement que vous avez alloué à cette initiative, en plus des sommes qui ont déjà été consacrées au projet Kanishka?
M. Blaney : Je pourrai vous communiquer ces chiffres ultérieurement.
En ce qui concerne les activités que nous avons menées, en fait, il s'agit d'activités qui sont en ce moment menées par la GRC, qui a reçu le mandat de diriger les efforts visant à prévenir la radicalisation. J'ai en main un numéro de téléphone. La GRC a offert des ateliers de sensibilisation au terrorisme et à la radicalisation à plus de 1 800 personnes, y compris des agents d'application de la loi et des premiers intervenants, partout au pays. Nous pouvons aussi vous fournir une liste de toutes les organisations que la GRC a rencontrées. Je ne l'ai pas en main aujourd'hui, sénateur, mais je vous la transmettrai volontiers. Les agents de la GRC ont rencontré des centaines d'organisations partout au pays. Ils ont pris part à diverses initiatives. Ils ont également approfondi le dialogue avec les collectivités en organisant chaque année des dizaines de rencontres dans les collectivités. Ils accomplissent un travail important sur le terrain.
Il importe également de mentionner que nous ne sommes pas seuls. Nous travaillons aussi en collaboration avec nos partenaires provinciaux et fédéraux qui cherchent eux aussi à prévenir la radicalisation. Les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux sont déterminés à travailler en collaboration pour éviter que d'autres personnes se radicalisent.
Même si le budget du projet Kanishka était géré par le ministère de la Sécurité publique — mon sous-ministre me dit qu'il s'agissait d'un budget de 10 millions de dollars sur cinq ans —, la GRC a également consacré des ressources à la prévention de la radicalisation, de façon permanente.
Le sénateur Kenny : En fait, ma question porte sur le financement. J'aimerais que vous nous fournissiez plus de renseignements à ce sujet.
M. Blaney : D'accord.
Le sénateur Kenny : De plus, certains détails liés à ces chiffres sont très surprenants. Peut-être pourriez-vous nous donner plus de renseignements sur les dates, l'endroit où ces rencontres ont eu lieu et ce que cela supposait. Par exemple, s'agit-il tout simplement d'une liste d'envoi à laquelle sont inscrites 1 800 personnes, à qui on envoie des messages? S'agit-il de rencontres qui ont lieu à Ottawa ou ailleurs?
Il serait intéressant de savoir quelle est la proportion d'activités qui sont nouvelles et quelle est la proportion d'activités qui sont mises en œuvre graduellement, depuis que le gouvernement a commencé à mettre l'accent sur cet aspect.
M. Blaney : Je vous remercie de votre question, qui est très intéressante.
La semaine dernière, j'ai rencontré des représentants de la collectivité à Toronto, et j'ai aussi eu le privilège de rencontrer des policiers de Toronto, qui participent aussi à des programmes d'approche communautaire et qui mettent graduellement en œuvre, dans le cadre de leurs activités, des mesures de lutte contre la radicalisation. J'ai rencontré un homme qui vient de l'Afghanistan et qui travaille maintenant pour le service de police. Je peux sans aucun doute vous fournir une liste des rencontres qui ont été organisées par la GRC dans les collectivités partout au pays.
Si vous me posez la question, je dirais que oui, nous devrons accorder des ressources spéciales, mais nous devons également considérer ces activités comme une partie intégrante du travail des policiers, qui doivent réduire la criminalité et faire de la sensibilisation dans les collectivités.
Oui, bien entendu, je vais veiller à ce que vous receviez cette liste. Je ne l'ai pas avec moi. Le commissaire me l'a montrée à quelques reprises. J'ai posé la même question que vous.
Le sénateur Ngo : Dans quelle mesure les membres d'une même famille qui pratiquent la même religion sont-ils prêts à dénoncer ceux qui se sont radicalisés? Est-ce le genre de chose qui arrive fréquemment?
M. Blaney : S'il est question du soutien de la collectivité, je peux vous donner un exemple célèbre : les 18 de Toronto. Il s'agissait de l'une des pires attaques terroristes que notre pays aurait pu connaître, et grâce à un chef musulman, nous avons pu non seulement empêcher cette attaque, mais aussi déposer des accusations contre les personnes responsables. Voilà un excellent exemple illustrant à quel point il est important de bénéficier de l'appui des collectivités. Je ne peux pas trouver de meilleur exemple montrant que la collaboration est essentielle pour faire échouer une attaque terroriste qui aurait été, j'oserais dire, d'une ampleur sans précédent.
Pour ce qui est de l'aspect opérationnel, il faudrait demander aux personnes concernées de répondre à la question, qu'il s'agisse des activités des policiers à l'échelle locale ou des activités du SCRS.
Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Coulombe?
Le sénateur Ngo : Savez-vous si certains parents dénoncent leur fils? Nous savons qu'à Ottawa, une femme, Mme Walrond, l'a fait, mais y a-t-il d'autres cas? Est-ce fréquent?
M. Coulombe : Il y a eu d'autres cas. J'ai du mal à vous dire si c'est fréquent ou non, car certaines personnes s'adressent aux policiers dans leur ville, à la GRC. Je ne suis donc au courant que d'une partie de ces cas, mais oui, il y a des dénonciations faites par des membres de la famille.
Le président : A-t-on déjà songé à établir une ligne téléphonique pour ceux qui veulent dévoiler certains renseignements? Il est certes important pour les autorités d'obtenir ces renseignements, mais de toute évidence, la confidentialité est aussi un élément important.
M. Blaney : Je pense que M. Coulombe voudra répondre à cette question. Lorsque vous communiquez avec les policiers de votre localité, que vous habitiez à Lévis, ma ville, ou encore au Yukon ou ailleurs, sachez que ces derniers travaillent en collaboration et que les renseignements que vous leur communiquez seront transmis aux personnes appropriées. M. Coulombe voudra peut-être ajouter quelque chose à ce sujet.
M. Coulombe : Je ne veux certes pas parler au nom de la GRC, mais je sais que cette organisation a une ligne téléphonique de dénonciation. Nous avons nous aussi une ligne téléphonique. Si vous voulez nous communiquer des renseignements ou nous faire part de certaines inquiétudes, vous pouvez consulter notre site web, où vous trouverez des moyens de communiquer avec nous, que ce soit par courriel ou par téléphone.
Le président : Je vais aller sur le site web pour voir si je peux trouver ces renseignements.
M. Coulombe : C'est un bon point, car comme toujours, le plus important, c'est de veiller à ce que les gens sachent que ces moyens sont à leur disposition, et comme vous l'avez mentionné, ce sont des renseignements qu'on peut trouver rapidement.
Le président : Je vais vous le faire savoir.
Le sénateur Mitchell : La semaine dernière, le comité a entendu le témoignage de deux professeurs, M. Dawson et M. Hiebert, qui effectuent d'excellentes recherches sur les causes et les origines possibles de la radicalisation, car beaucoup de gens passent par le même processus et ne se radicalisent pas. Ces chercheurs et d'autres personnes reçoivent des fonds dans le cadre du projet que vous venez tout juste de mentionner, le projet Kanishka. Ce financement arrivera à échéance dans un an. Avez-vous envisagé de renouveler le financement? Ces gens nous ont bien dit qu'ils commencent à peine à comprendre le processus menant à la radicalisation et que nous devons effectuer des recherches structurées et concertées afin d'en savoir plus sur le sujet.
M. Blaney : Oui. Je suis heureux que vous reconnaissiez l'importance des recherches qui ont été menées pendant cinq ans dans le cadre du projet Kanishka. Comme vous le savez, ce projet découle d'une autre tragédie.
Au cours des cinq dernières années, nous avons établi une base de connaissances sur le mode de fonctionnement des terroristes, la façon dont ils abaissent, si je peux m'exprimer ainsi, les gens, ainsi que les répercussions de ces actions. Donc, nous avons bâti ces connaissances. Je pense que nous sommes maintenant prêts à passer à la deuxième étape et à mettre en œuvre des initiatives plus dynamiques de prévention de la radicalisation et de lutte contre ce phénomène. Prenons par exemple les recherches qui ont été menées dans le cadre du projet Kanishka; nous sommes maintenant rendus à la fin du cycle de cinq ans. Le moment est donc venu de transposer ces recherches en mesures concrètes. Vous avez peut-être déjà entendu parler du projet de recherche appliquée Extreme Dialogue, qui mise sur la diffusion de vidéos. Je suis allé sur Internet, où j'ai pu voir la réaction d'une mère dont l'adolescent s'était radicalisé. Au bout du compte, il a perdu la vie.
Je crois qu'à l'heure actuelle, nous devons transposer cette base de recherche en mesures concrètes.
La sénatrice Beyak : Merci, messieurs. Vous avez déjà répondu à la plupart de mes questions aujourd'hui. Cela dit, je m'interroge au sujet du manuel intitulé Unis contre le terrorisme, car les témoins nous ont envoyé des messages contradictoires à ce sujet. J'aimerais bien que l'un d'entre vous nous fournisse des précisions à ce sujet. Certains témoins nous ont dit que la GRC a décidé de retirer sa participation à ce manuel en raison de son ton accusateur. L'un des auteurs nous a dit que non, la GRC n'a pas retiré sa participation au manuel et n'a pas non plus demandé que son logo soit lui aussi retiré, tandis qu'un autre témoin, lui, nous a dit qu'en fait, certaines personnes dont le nom figure dans le manuel entretiennent des liens avec des groupes islamistes radicaux.
Nous vous saurions gré de bien vouloir nous fournir des éclaircissements à ce sujet aujourd'hui ou ultérieurement.
M. Blaney : Merci. Nous n'y manquerons pas.
Il y a également la ligne de dénonciation, monsieur le président : le numéro est le 613-993-9620.
[Français]
Si des gens ont des renseignements à donner aux autorités pour traquer les terroristes, ils peuvent appeler à ce numéro et l'information sera prise en considération.
[Traduction]
Le sénateur Kenny : S'agit-il de la ligne de dénonciation du ministère?
Le président : Je vais ajouter ce numéro dans mon BlackBerry.
Chers collègues, j'ai une dernière question globale, qui fait suite à la question du sénateur Mitchell et aux questions d'autres sénateurs en ce qui concerne l'avenir et les mesures que nous allons prendre; dans certains cas, il est question de la communauté indienne, dans d'autres, des extrémistes, parfois, il s'agit d'autres communautés, et bien entendu, il est aussi question de la communauté musulmane.
Prenons par exemple les témoins qui ont comparu devant le comité — je peux en nommer quelques-uns, comme Dave Hayer, un ancien député provincial, Ujjal Dosanjh, un ancien premier ministre, ainsi que Balraj Deol. Nous avons également accueilli des membres très respectés de la communauté musulmane, notamment Salim Mansur et Syed Sohail Raza; nous avons aussi entendu le témoignage de Michelle Walrond, la mère d'une personne ayant été mêlée, d'une façon ou d'une autre, à des activités extrémistes, ainsi que celui d'Homa Arjomand.
J'ai donc une question globale. Ceux qui se sont présentés ici, devant les caméras, sont des Canadiens très courageux; ils étaient là pour nous aider à mieux comprendre la façon dont ils perçoivent la situation au quotidien ici, au Canada. Donc, monsieur le ministre, j'aimerais vous demander à vous, ainsi qu'aux autres ministères, ce que vous entendez faire pour offrir à ces gens et à leurs organisations le soutien moral dont ils ont besoin pour être reconnus au sein de leurs communautés, pour que le gouvernement les considère comme des gens honnêtes et ayant bonne réputation, et pour offrir des solutions en vue de lutter contre cette menace bien réelle au Canada.
M. Blaney : Je pense que vous tracez la voie qui nous mènera à la prochaine étape de nos efforts de lutte contre le terrorisme, qui consiste à trouver des façons de prévenir la radicalisation et de lutter contre les discours de l'extrémisme. Je pense que les personnes que vous venez tout juste de nommer sont des chefs de file avec qui nous devons travailler. À mon avis, étant donné que je dois faire preuve de leadership en ce qui concerne l'établissement d'une stratégie de lutte contre le terrorisme, il serait assurément intéressant de tendre la main à ces gens et de constituer un réseau de spécialistes qui jouiront d'une bonne crédibilité auprès de ceux qui pourraient être radicalisés.
Vous m'avez donné de bons conseils sur les objectifs que nous devons poursuivre activement et je vous en remercie.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Nous avons légèrement dépassé l'heure prévue. Nous vous remercions d'être venu ici pour discuter avec nous, et nous espérons vous revoir très bientôt.
M. Blaney : J'espère aussi revenir bientôt.
Le président : J'aimerais souhaiter de nouveau la bienvenue à M. François Guimont, le sous-ministre de Sécurité publique Canada, ainsi qu'à M. Michel Coulombe, le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité.
Monsieur Guimont, pourriez-vous s'il vous plaît nous présenter les autres témoins?
François Guimont, sous-ministre, Sécurité publique Canada : Mme Girard travaille à Citoyenneté et Immigration Canada. Elle est ici avec nous aujourd'hui si jamais il y a des questions au sujet de l'évolution de certaines dispositions portant sur la révocation des passeports. Quant à Mme Clairmont, elle est la sous-ministre adjointe principale responsable de la sécurité nationale à Sécurité publique Canada. Tout le monde connaît M. Coulombe. Ritu Banerjee travaille avec Mme Clairmont; elle est la directrice responsable des questions de sécurité. Mme Nathalie Benoit est avocate, et comme M. Coulombe, elle travaille au SCRS.
Nathalie Benoit, avocate générale, Service canadien du renseignement de sécurité : Je suis aussi avocate pour Citoyenneté et Immigration.
Le président : Je crois savoir qu'il n'y aura pas d'exposés. Il est question du projet de loi C-44.
Sénateur Mitchell, vous avez la parole.
Le sénateur Mitchell : Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui.
Les mesures de protection sont l'un des principaux éléments du projet de loi C-44, et elles nous amènent à parler de l'anonymat des sources. Tout cela nous amène à nous poser quelques questions, notamment à nous demander comment la GRC et le SCRS collaborent, surtout parce que la GRC applique des normes plus strictes en ce qui concerne la protection des personnes, que ce soit parce que cette organisation comprend plus précisément de quoi il est question ou parce que ses besoins exigent qu'il en soit ainsi. En effet, si une personne a été protégée trop rapidement ou si la protection qui a été accordée était inappropriée, il se pourrait qu'il soit impossible d'intenter une poursuite.
Quant au SCRS, il cherche à obtenir des renseignements. Il peut agir de façon préventive, ce qui est une bonne chose. Dans l'affaire Air India, les poursuites n'ont pas été fructueuses, car une personne avait été protégée trop rapidement.
Comment vous y prenez-vous pour établir un équilibre à cet égard dans la mesure législative? Vous aurez en fait le pouvoir de protéger quelqu'un. Utiliserez-vous ce pouvoir dans le cadre de vos discussions et de votre collaboration plus étroite avec la GRC?
M. Guimont : Je vous remercie de votre question. Je vais commencer à y répondre, puis je vais demander à mon collègue de terminer la réponse.
Essentiellement, le projet de loi C-44 vise à offrir aux employés du SCRS un niveau de protection semblable à celui dont bénéficient les employés de la GRC en vertu du Code criminel. C'est le raisonnement qui sous-tend le tout, car à un certain moment, certains supposaient que cette protection existait bel et bien. Nous allons tout simplement indiquer clairement que les employés qui ont participé aux activités par le passé, y participent à l'heure actuelle ou y participeront à l'avenir pourront être protégés.
Je vais laisser mon collègue finir de répondre à la question.
M. Coulombe : Vous avez parlé des liens que nous entretenons avec la GRC, et vous avez parlé d'Air India. Cet incident est survenu il y a plus de 30 ans. Je travaille pour le SCRS depuis 29 ans. J'ai vu évoluer ces relations et, d'une certaine façon, j'ai contribué à les façonner ces relations, et je dois dire qu'elles sont plus solides que jamais. Pour s'en convaincre, il suffit de penser au nombre de poursuites fructueuses en matière de terrorisme. Vous pouvez remonter jusqu'en 2004, année de l'affaire Momin Khawaja.
Le commissaire a témoigné devant un comité parlementaire, par exemple. Il a alors parlé du centre des opérations conjointes, qui est dirigé par la GRC. D'autres partenaires y jouent un rôle, comme nous, CIC et d'autres organisations, et s'occupent de la gestion des cas. En fin de compte, dans chaque cas, il faut déterminer quelle est la meilleure façon de procéder pour atteindre notre objectif commun, soit garantir la sécurité de la population. Le SCRS et la GRC collaborent et discutent afin de déterminer les mesures à prendre, tout en veillant à ce que celles-ci ne nuisent pas à d'éventuelles poursuites criminelles ou encore aux enquêtes parallèles que nous menons. C'est ce qui se passe tous les jours, que ce soit dans les régions ou à l'administration centrale. Donc, je ne pense pas que les mesures prévues dans le projet de loi C-44, qui visent à protéger nos sources humaines, modifieront les interactions entre le SCRS et la GRC.
Le sénateur Mitchell : Le projet de loi C-44 vise à conférer des pouvoirs supplémentaires, et le projet de loi C-51, lui, va encore plus loin à cet égard. Par le passé, un inspecteur général facilitait la présentation de rapports au ministre sur les activités du SCRS. Le Comité de surveillance des activités de renseignement, ou CSARS, a critiqué ce processus en affirmant qu'il n'était pas très efficace. On imagine facilement qu'il sera encore moins efficace sans l'inspecteur général. L'argument invoqué est que cette responsabilité incombe maintenant au CSARS, mais le CSARS n'a pas obtenu la somme de 1 million de dollars nécessaire pour s'en acquitter, et par ailleurs, il ne dispose pas d'un budget très élevé. Donc, comment pouvons-nous garantir aux Canadiens que les activités menées par le SCRS sont déclarées de façon adéquate et efficace, en temps opportun, à tout le moins au ministre, pour que nous puissions avoir l'assurance qu'il existe une certaine transparence, bien que j'utilise ce mot à la légère, dans cette relation?
M. Coulombe : La dernière fois que j'ai comparu devant le comité — c'était il y a un an, je crois —, j'ai dit à ce moment-là, et je pense toujours la même chose, que le CSARS constitue un mécanisme d'examen solide grâce auquel le SCRS est devenu une meilleure organisation.
En ce qui concerne l'inspecteur général et le fait que c'est maintenant le CSARS qui est responsable, par exemple, de garantir que le rapport annuel que je présente au ministre est exact et que toutes les mesures que nous avons prises respectent la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité ainsi que la directive ministérielle, je vais me permettre de citer l'extrait suivant, qui est tiré du dernier rapport annuel du CSARS :
Toutefois, loin de compromettre son indépendance, cette relation a sensiblement renforcé le rôle du CSARS dans le mécanisme de reddition de comptes, et a même amélioré sa capacité à fournir au Parlement et aux Canadiens une assurance sur l'exercice des fonctions du Service.
Les gens du CSARS ont dit dès le départ, il y a deux ans, qu'ils s'inquiétaient à l'idée d'assumer cette responsabilité, mais deux ans plus tard, ils affirment qu'elle a contribué à faire du CSARS un meilleur organisme d'examen.
M. Guimont : J'aimerais également ajouter, question de ne pas perdre de vue que le ministère a également un rôle à jouer en ce qui concerne les rôles et les responsabilités du SCRS, que Mme Clairmont et moi et, de toute évidence, le ministre devons assumer ces responsabilités et que nous nous en acquittons. Je tiens à le souligner. Par exemple, je dois approuver les mandats, le ministre doit les approuver, et ils doivent être examinés par un juge.
Enfin, j'aimerais mentionner que le CSARS est au cœur du processus d'examen, mais que le Bureau du vérificateur général peut, en tout temps, examiner lui aussi certains aspects des activités du SCRS. Donc, le ministère et le ministre sont responsables, je suis moi aussi responsable, le CSARS se trouve au centre de tout cela, et parfois, le BVG peut décider d'examiner n'importe quel aspect des activités du SCRS.
Je tenais tout simplement à le mentionner. Parfois, nous oublions le rôle joué par ceux qui sont en première ligne, le rôle joué par le ministère et aussi, le rôle joué par le BVG dans le mandat du SCRS.
Le sénateur Mitchell : Pour faire suite à ma première question, dans le cadre de son enquête, l'ancien juge Major a recommandé que les sources ne bénéficient pas d'une protection ou de l'anonymat de façon implicite — certains craignent d'ailleurs que le projet de loi rende ces deux choses implicites. Donc, toute personne devrait plutôt bénéficier d'une protection explicite. On a jugé qu'il ne s'agissait pas d'une modification nécessaire ou acceptable à cette loi, mais plusieurs grands juristes ont indiqué qu'il devrait en être ainsi. Autrement, on se heurtera à des problèmes, comme l'incapacité d'exercer des poursuites avec succès, si une personne a tenu pour acquis qu'elle bénéficierait d'une protection et de l'anonymat et réussit à faire valoir ce point.
Mme Benoit : Je peux fournir certaines précisions à ce sujet. La définition du terme « source humaine » que l'on trouve dans le projet de loi C-44 indique qu'il s'agit d'une personne qui a reçu une promesse d'anonymat. Nous avons mentionné qu'il n'est pas nécessaire d'inscrire le terme « explicite » dans la loi, car cela pourrait rebuter certaines sources, mais la réalité, c'est qu'une promesse suffisante doit avoir été faite, conformément à la définition qui figure à l'article 2 du projet de loi C-44.
Le sénateur White : Je vous remercie tous d'être ici aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants d'être avec nous.
Je crois savoir qu'il existe une exception en ce qui concerne la divulgation de l'identité d'une source. Pourriez-vous nous donner plus de précisions à propos de cette exception et nous parler des répercussions qu'elle pourrait avoir, ou même nous donner un exemple pour ceux qui nous regardent?
M. Coulombe : Il existe deux exemptions, en fait. Premièrement, l'une des parties d'une instance peut demander à la Cour fédérale d'établir une ordonnance exigeant la communication de ces renseignements si elle croit que l'identité que nous protégeons ne correspond pas à une source humaine — selon la définition qui sera fournie dans la Loi sur le SCRS —, ou si elle croit que les renseignements que nous tentons de protéger permettraient de découvrir l'identité de cette personne. Il existe aussi un processus d'appel. C'est la première exemption.
La deuxième exemption porte sur les poursuites au criminel. L'identité d'une source peut être révélée si on croit que cette divulgation est nécessaire pour établir l'innocence de l'accusé.
Le sénateur White : Dans le cas de la deuxième exemption, la Couronne peut-elle choisir de retirer la preuve liée à une source au lieu d'identifier cette source, comme cela peut se faire pendant un procès criminel?
M. Coulombe : Oui, cette option est toujours possible, et pas seulement pendant un procès criminel, selon moi. Il est possible de retirer des éléments à tout moment si on croit que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale.
Le sénateur White : Dans les faits, les changements proposés seraient très semblables à ce qu'on voit déjà au Canada dans les procès criminels, quelle que soit la force policière concernée. La différence, c'est qu'on propose d'étendre ces possibilités aux enquêtes du SCRS.
M. Coulombe : En effet, le privilège de protection serait plus ou moins semblable à celui dont bénéficient les indicateurs de police.
Le président : J'aimerais demander des précisions, car je n'ai pas de formation en droit. Je pense aux instances. On parle de l'un des crimes les plus graves qui soient en matière de terrorisme, une gravité que confirment l'arrêt Khawaja et d'autres décisions judiciaires. Si quelqu'un demande de divulguer l'identité de la source, est-ce que l'audience pourrait se dérouler à huis clos plutôt qu'en public, de façon à ce que tous les aspects de l'affaire soient traités avec les précautions nécessaires?
Mme Benoit : D'après la modification proposée, un juge de la Cour fédérale, un juge désigné, examinera les renseignements et déterminera si l'audience se tiendra à huis clos ou, si possible, en public. Ce sera à la discrétion du juge.
Le président : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins. Monsieur Coulombe, de quelle façon le fait de ne pas adopter le projet de loi C-44 pourrait-il entraver la capacité du Service canadien du renseignement de sécurité à exécuter son mandat?
M. Coulombe : Il y a trois façons, à mon avis. Nous avons parlé de la protection des sources humaines. Ces gens, surtout dans le domaine du terrorisme, collaborent avec le SCRS et le font non seulement au risque de leur vie si leur identité est dévoilée, mais aussi à celle de leur famille, et je dirais même de leur famille étendue lorsque celle-ci se trouve encore dans leur pays d'origine, par exemple.
À ce sujet, je voudrais souligner l'importance de cette protection. Lorsque la Cour suprême s'est penchée sur l'affaire Harkat en statuant que les sources du SCRS ne jouissaient pas du même privilège de protection que les informateurs des corps policiers, la Cour supérieure a tout de même dit ce qui suit, et je cite :
[Traduction]
Le fait d'appeler des sources humaines à témoigner devant les tribunaux, même à huis clos, pourrait nuire grandement au recrutement de sources.
[Français]
Ce n'est pas seulement la question de protéger les gens qui est primordiale; c'est que si, de façon routinière, les sources sont dévoilées, il sera extrêmement difficile pour le SCRS de recruter des gens qui voudront collaborer. C'est la première façon.
Nous avons également parlé de la protection des employés du SCRS. La loi actuelle stipule que si des employés du SCRS sont présentement impliqués dans des activités opérationnelles secrètes ou l'ont été dans le passé, nous ne pouvons pas dévoiler leur identité. Le projet de loi propose de faire bénéficier de cette protection des employés qui, dans l'avenir, seront impliqués.
Par exemple, il y a de jeunes agents du renseignement qui arrivent au SCRS. Si, au cours de la première année de leur travail, le fait qu'ils travaillent au SCRS est dévoilé, il sera impossible d'utiliser ces gens dans des activités secrètes, et ce, pour le reste de leur carrière.
La troisième façon dont le projet de loi va nous aider, nous en avons parlé, c'est en clarifiant le fait que nous avons l'autorité de mener des opérations à l'étranger et que les juges de la Cour fédérale ont l'autorité de décerner des mandats qui seront applicables à l'étranger.
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse maintenant à Mme Benoit. En quoi la décision de la Cour d'appel, dans l'affaire Re X, a-t-elle touché les enquêtes du SCRS à l'étranger?
Mme Benoit : Si je comprends bien, votre question porte sur le fait que le projet de loi précise que la Cour fédérale aura la compétence d'émettre des mandats qui pourront s'appliquer à l'étranger.
Le sénateur Dagenais : Oui, tout à fait.
Mme Benoit : Il faut comprendre que les amendements ne visent que la capacité de la Cour fédérale d'émettre des mandats à l'étranger. C'était nécessaire car, dans le passé, les décisions de la Cour d'appel fédérale n'étaient pas toujours claires. Le fait que les juges pouvaient lancer des mandats qui s'appliquaient à l'étranger n'était pas assez précis. Cette précision viendra enlever toute ambiguïté dans l'avenir, et les juges n'auront plus à se poser la question à savoir s'ils peuvent lancer un mandat qui pourrait s'appliquer à l'extérieur du Canada. Cela vient clore une longue saga judiciaire avec la Cour fédérale.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Day : Merci à vous tous pour votre participation. Je dois dire que je regarde ce qui se passe dans les médias et que les projets de loi C-44 et C-51 semblent se confondre parfois. Le projet de loi C-51 retient beaucoup l'attention ces jours-ci, mais nous sommes ici saisis du projet de loi C-44. C'est donc sur celui-là que je tenterai de me concentrer pendant mes questions. Si je m'égare vers l'autre mesure, j'espère que vous me ramènerez sur le droit chemin.
Je vois que les articles 12 et 15 proposés dans le projet de loi C-44 viennent en fait confirmer ce que le SCRS fait déjà au Canada et à l'étranger. J'aurais toutefois besoin de précisions à propos de la modification apportée à l'article 21 de la loi. Je me demande dans quel contexte une demande de mandat pourrait être soumise à un juge en vertu de l'article 21, puisque le directeur ou une autre personne désignée doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'un mandat est nécessaire.
Étant donné cette exigence, j'aimerais savoir sur quels motifs se fonderait le ministère pour déterminer s'il doit demander un mandat. Je vois que le texte proposé parle de « menaces envers la sécurité du Canada », au Canada ou à l'extérieur du pays, et de l'idée « d'exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l'article 16 ». On a donc une combinaison de fonctions normales et de normes de sécurité plus strictes.
Pourriez-vous me fournir des précisions sur les liens entre ces deux volets et l'article 16? Avez-vous élaboré un protocole à l'intention du ministre? Le ministre doit approuver la demande avant qu'elle soit soumise au juge.
M. Coulombe : Je ferai de mon mieux.
Pour ce qui est des motifs raisonnables confirmant la nécessité d'un mandat, nous devons démontrer au juge de la Cour fédérale que nous avons tenté d'obtenir les renseignements par d'autres moyens. Nous devons lui démontrer que cela s'est avéré impossible, ou que les autres méthodes ont échoué, ou encore que la menace est imminente — s'il faut, par exemple, recruter une source humaine en raison de l'échéance. Il faut démontrer au juge que, comparativement à d'autres façons d'obtenir les renseignements, le mandat constitue une méthode raisonnable.
Pour revenir à l'article 16, il y est question de renseignements étrangers, donc des moyens, des intentions ou des activités d'un État étranger. Il faut savoir que l'article 16 prévoit des limites géographiques claires : la collecte d'informations en vertu de l'article 16 est permise seulement au Canada.
Cette collecte peut aussi se faire dans le cadre d'un mandat. Cela suppose de suivre le même processus, c'est-à-dire d'obtenir l'approbation du ministre de la Sécurité publique, ou plutôt du sous-ministre et du ministre, puis de demander à la Cour fédérale un mandat autorisant la collecte d'informations en vertu de l'article 16, mais cet article se limite au Canada.
Le sénateur Day : Vous avez déjà le pouvoir d'agir à l'extérieur du pays, et vous établissez une distinction entre les renseignements étrangers et les enjeux de sécurité à l'intérieur du Canada?
M. Coulombe : En effet. Le renseignement de sécurité est traité à l'article 12 et porte sur les menaces envers la sécurité. Ces activités ne sont soumises à aucune limite géographique; elles peuvent être menées au Canada ou à l'étranger. Le projet de loi dit maintenant explicitement que, aux fins de l'article 12 de la Loi sur le SRCS, les enquêtes concernant des menaces peuvent être menées à l'étranger. Aucune disposition du projet de loi ne modifie l'article 16, qui continue de s'appliquer seulement au Canada.
Le sénateur Day : La dernière partie de ma question porte sur le protocole que vous avez convaincu le ministre de suivre. S'agit-il de démontrer que la demande de mandat repose sur des motifs raisonnables, comme M. Coulombe l'a expliqué?
M. Guimont : Le ministre doit être d'avis que la demande de mandat est fondée sur les motifs appropriés.
En général, l'équipe de Mme Clairmont est en communication avec le SCRS pendant l'élaboration du dossier. Une fois le dossier prêt, Mme Clairmont l'approuve et me le transmet. Je m'assois, je participe à une séance de breffage suivie d'une discussion, et je m'assure que le dossier soit aussi complet que possible. Ce processus se répète au bureau du ministre, où il y a une autre séance de breffage. C'est un processus itératif et structuré, qui prévoit de nombreuses occasions de poser des questions et d'obtenir des réponses.
Quand le ministre a donné son approbation, la demande de mandat est transmise à un juge fédéral, essentiellement pour son approbation, bien qu'il puisse la refuser ou la modifier. La qualité de notre travail fait en sorte que nous obtenons généralement les mandats demandés. Il ne faudrait toutefois pas penser qu'ils sont accordés automatiquement, sans contrôle judiciaire. Le juge a un pouvoir discrétionnaire.
Le sénateur Day : Ma prochaine question s'inspire des enjeux de confidentialité et du fait que la GRC avait des sources humaines dont vous n'avez pas pu bénéficier étant donné un procès et certaines limites de cette mesure législative. La mesure ne parle pas de la collecte de renseignements effectuée par les ministères des Affaires étrangères et de la Défense nationale. Pourtant, je suis certain qu'il y a eu des discussions plus globales, auxquelles participaient des acteurs autres que les ministères et agences que vous représentez.
Serait-il nécessaire d'élargir la portée de ces protections? Devrions-nous envisager de protéger les sources d'autres ministères qui recueillent des renseignements?
M. Coulombe : Je vous remercie de votre question. En toute honnêteté, elle dépasse la compétence de notre service. Elle entraînerait une discussion sur les politiques qui relèverait davantage du gouvernement et des parlementaires. Je ne peux pas vraiment parler au nom des ministères de la Défense nationale ou des Affaires étrangères.
Le sénateur Day : Ce que je veux dire, c'est qu'il y a sûrement eu des discussions plus générales pendant l'élaboration de cette décision. Quelqu'un a probablement jeté un coup d'œil global sur la situation, regardé qui procédait à des collectes de renseignements et à quelles fins, et demandé si cette protection devrait couvrir d'autres organismes que le SCRS. Ou la modification s'inspire-t-elle seulement de l'affaire Harkat?
M. Guimont : Tous les gens ici présents se souviennent probablement de la décision qui remettait en question la capacité du SCRS de faire ce qu'il faisait depuis des années. C'est sur ce point que se concentre la solution élaborée par le gouvernement.
Je tiens à rappeler que tout ce travail a commencé avant le 22 octobre; l'élaboration a pris un certain temps. Nous avons examiné les pouvoirs dont le service disposait mais qui étaient remis en question. Nous voulions apporter des éclaircissements.
À notre avis, il ne s'agit pas de nouveaux pouvoirs, en fait. L'enjeu porte plutôt sur la certitude juridique, la transparence, la prévisibilité. C'est pourquoi nous avons précisé les points qui semblaient manquer de clarté. Les modifications sont le fruit d'un processus très structuré.
Signalons que la réponse plus globale du gouvernement au problème du terrorisme se trouve plutôt dans le projet de loi C-51. Pour sa part, le projet de loi C-44 fournit des précisions à propos de pouvoirs que le directeur du SCRS et le ministère croyaient, en toute honnêteté, déjà détenir.
Le sénateur Day : Je vous remercie pour ces observations très utiles.
La sénatrice Stewart Olsen : Peut-être pourriez-vous clarifier un point qui m'embête. Je ne suis pas avocate, mais je vois que, d'après l'article 18 de la Loi sur le SCRS, on commet une infraction si on communique des informations qui permettraient de découvrir l'identité d'une source humaine ou d'un employé occupé à des activités cachées du SCRS.
L'article 6 du projet de loi maintient l'infraction relative à la communication d'informations mais avec un léger changement : il semble que la communication d'informations à propos d'une source du SCRS ne soit plus une infraction. Cette infraction existe-t-elle encore dans le projet de loi? Si oui, où se trouve-t-elle dans la Loi sur le SCRS?
Mme Benoit : Je vois que vous comprenez bien la Loi sur le SCRS. Le projet de loi C-44 propose d'abandonner cette infraction et d'opter plutôt pour une protection contre la communication d'informations pendant les instances. La Loi sur la protection de l'information érige en infraction le fait de communiquer l'identité d'une source humaine.
Nous renforçons la protection des sources humaines au moment le plus important, soit pendant les instances. L'infraction en question figure dans la Loi sur la protection de l'information depuis son entrée en vigueur, en 1985.
La sénatrice Stewart Olsen : Quelle est la sanction prévue pour la communication d'informations?
Mme Benoit : Si je me souviens bien, la Loi sur la protection de l'information prévoit une peine d'au moins 10 ans.
La sénatrice Stewart Olsen : Et maintenant?
Mme Benoit : La peine est maintenant de 10 ans. Elle était de 2 ans auparavant. J'en suis certaine.
La sénatrice Stewart Olsen : Très bien.
Mme Benoit : C'est la situation actuelle, mais le niveau de gravité de l'infraction sera haussé.
La sénatrice Stewart Olsen : Parmi les activités que le SCRS mène à l'extérieur du Canada, lesquelles nécessiteraient un mandat?
M. Coulombe : Pour le moment, que les activités touchent le Canada ou l'étranger, les catégories d'activités nécessitant un mandat seraient les mêmes. Lorsqu'une démarche enfreint l'article 8 de la Charte, il faut obtenir un mandat.
La sénatrice Stewart Olsen : Le projet de loi prévoit-il la même chose?
M. Coulombe : Oui.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie.
La sénatrice Beyak : Merci pour tout le travail que vous avez consacré au projet de loi C-44. C'est une excellente mesure législative, complète et équilibrée. Je vous en remercie. Mes préoccupations sont semblables à celles du sénateur Day, mais je crois que vous y avez répondu.
J'aimerais savoir pourquoi vous n'avez pas jugé nécessaire de modifier l'article 16 de la Loi sur le SCRS. Le pouvoir concernant l'extérieur du Canada s'appliquera-t-il au ministre de la Défense nationale et au ministre des Affaires étrangères s'ils ont besoin de votre aide?
M. Coulombe : En ce qui touche la protection des sources?
La sénatrice Beyak : Oui.
M. Coulombe : Ce sont deux situations différentes. En ce qui concerne la protection des sources humaines du service, la mesure se concentre sur les sources qui fournissent des informations dans le cadre des articles 12 et 16. La protection est la même.
Pour revenir à la question précédente à propos des sources qui travaillent avec la Défense nationale plutôt qu'avec nous, j'aimerais rappeler que cette mesure fait suite à la décision de la Cour suprême qui touchait à la protection des sources humaines du service.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.
Le président : Nous avons déjà parlé un peu du processus suivi pour l'obtention d'un mandat. Pourriez-vous nous donner une idée du nombre de mandats que vous demandez chaque année? Y en a-t-il un par jour, par exemple? Pourriez-vous nous donner une idée réaliste de la situation?
M. Coulombe : Ces données figurent dans le rapport annuel du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS. J'aimerais donc consulter le rapport puisque, comme mes collègues pourront vous le confirmer, ma mémoire me joue parfois des tours. Je ne voudrais pas vous induire en erreur. Il suffit de consulter le rapport.
Le président : Les modifications proposées auraient-elles pour effet d'augmenter le nombre de mandats?
M. Coulombe : Je ne prévois pas d'augmentation marquée. Les modifications proposées nous permettront d'obtenir des mandats pour mener certaines activités à l'étranger. Les demandes de mandats pourraient augmenter à la suite des modifications, mais je ne prévois pas d'augmentation marquée.
M. Guimont : Je crois qu'en raison de l'incertitude juridique entourant la capacité du service d'agir à l'extérieur du Canada, nous avons évité de demander des mandats à cet égard en attendant que ce point soit clarifié.
Les demandes de ce genre ont probablement diminué. Leur nombre devrait donc se rétablir pour tenir compte des menaces actuelles.
M. Coulombe : En fait, depuis que le juge Moseley a rendu sa décision à l'automne 2013, nous avons laissé de côté les mandats applicables à l'extérieur du Canada. Ces chiffres ont donc chuté légèrement mais, comme l'a dit M. Guimont, ils reviendront probablement au même niveau qu'en 2013.
Notons toutefois que ces prévisions ne portent que sur les retombées du projet de loi C-44. Elles excluent l'augmentation du nombre de personnes qui font l'objet d'enquêtes, ce qui est une autre paire de manches.
Pour revenir au début de votre question, voici quelques données tirées du dernier rapport annuel du CSARS. Nous avons demandé 50 nouveaux mandats en 2011-2012 et nous en avons demandé 85 en 2013-2014, deux ans plus tard. Ce nombre ne tient pas compte des renouvellements de mandats; ceux-ci sont restés à peu près stables, passant de 156 à 178. L'augmentation touchait surtout les nouveaux mandats, un changement attribuable, comme je viens de le mentionner, au fait que le nombre de personnes faisant l'objet d'une enquête a augmenté.
Le président : J'essaie d'examiner la mesure législative dont nous sommes saisis sous un angle pratique. Depuis 2013, avez-vous constaté que l'incertitude juridique a, dans une certaine mesure, empêché le service de s'acquitter de ses responsabilités et d'obtenir, à l'échelle internationale, les renseignements nécessaires auprès de ses partenaires et sur le terrain? Cette incertitude a-t-elle eu des effets négatifs concrets sur votre travail quotidien?
M. Coulombe : Elle a eu des effets considérables. Prenons par exemple le cas des « combattants étrangers », comme on les appelle. Une fois que ceux-ci avaient quitté le Canada, il nous était pratiquement impossible d'avoir recours à des pouvoirs accordés par mandat pour garder l'œil sur eux et savoir exactement où ils se trouvaient, ce qu'ils faisaient et quand ils prévoyaient revenir au Canada.
Le président : Ce sera donc un outil très utile, qui vous aidera à affronter les situations épineuses auxquelles nous sommes confrontés actuellement.
M. Coulombe : Étant donné les menaces actuelles, c'est un outil essentiel.
Le sénateur Mitchell : J'aurais trois questions rapides. D'après l'une des questions adressées au ministre, il semble que des institutions et des groupes canadiens reçoivent des fonds de l'étranger pour financer des efforts de radicalisation. Avez-vous des preuves à ce sujet? Si oui, pourquoi ne fait-on rien pour mettre fin à ces agissements, du moins à ma connaissance? Pourriez-vous nous fournir des statistiques à propos de ce problème? Votre façon de le traiter serait-elle différente du travail que fait le CANAFE?
M. Coulombe : Je n'ai pas de chiffres à portée de la main. Comme vous l'avez dit, le financement terroriste ne concerne pas seulement le service; le CANAFE y travaille aussi. Nous collaborons avec des partenaires : le CANAFE, l'Agence des services frontaliers du Canada, la GRC et le service unissent leurs efforts pour que le Canada cesse de recevoir et d'envoyer des fonds destinés à des activités terroristes.
Je n'ai pas les chiffres avec moi. Je pourrai toutefois en transmettre au comité s'il le désire, monsieur le président.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais voir des données qui confirmeraient que oui, ce problème existe réellement, que tel genre de groupe reçoit environ telle somme, et que vous vous occupez de ce problème. Pour le moment, nous n'avons que des allégations, sans preuve documentaire.
Ma question suivante fait suite à celle que le président a posée au ministre au sujet d'une ligne téléphonique spéciale. Il a répondu qu'il en existait au moins deux, une à la GRC, l'autre au SCRS. Par ailleurs, il semble que certaines familles hésitent à communiquer avec la police ou un organisme semblable quand un enfant commence à s'engager sur une mauvaise voie, parce qu'elles craignent qu'il se retrouve en prison pour 30 ans. Si je ne m'abuse, les États-Unis ont mis en place un service téléphonique spécial qui prévoit un niveau d'intervention avant qu'on s'adresse à la police. Avez-vous considéré qu'un service comme celui-là pourrait encourager les gens à obtenir de l'aide plus tôt?
M. Guimont : Le ministre faisait allusion au projet Kanishka et au travail que font la Sécurité publique, la GRC et le SCRS pour prévenir la radicalisation. Dans le cadre du projet Kanishka, des chercheurs universitaires et d'autres personnes se consacrent, séparément ou ensemble, à des projets approuvés par le ministère qui nous aideront à comprendre la radicalisation et les activités terroristes. C'est le premier point que je voulais mentionner.
Ces travaux donnent des résultats intéressants. Ils ont notamment mis en lumière le phénomène dont vous parlez, c'est-à-dire que, lorsqu'il s'agit d'activités liées au terrorisme, l'entourage d'une personne ou les membres de sa famille peuvent être conscients du processus de radicalisation. Comme vous le mentionnez, une intervention précoce auprès des familles et des collectivités pourrait être très importante.
Deuxièmement, j'aimerais souligner que la Sécurité publique, la GRC et le SCRS travaillent activement auprès des collectivités et maintiennent un dialogue avec elles. La prévention de la radicalisation s'organise autour de trois pôles. Le premier est la formation.
Comme le sait parfaitement l'un des sénateurs, les forces de l'ordre sont habituées à une variété de situations et leur univers évolue rapidement. La radicalisation représente toutefois un phénomène à part. C'est pourquoi les policiers et les premiers intervenants doivent apprendre à reconnaître les déclencheurs de la radicalisation, ses facettes et ses manifestations. La formation constitue donc le premier pôle d'activité.
Le deuxième pôle se concentre sur l'engagement. C'est de celui-là que vous parliez, en fait. Ce volet montre que tout le monde a son rôle à jouer, tant la famille et la collectivité que les leaders d'opinion. Nous avons un rôle à jouer, tout comme la GRC et le SCRS. Dans ces contextes informels, nous établissons le dialogue afin de comprendre les messages qui circulent et de pouvoir proposer un autre fil narratif.
Le troisième pôle est consacré à des interventions ciblées : au lieu de nous adresser à l'ensemble des collectivités, nous nous concentrons de façon plus systématique sur des secteurs prioritaires. Le SCRS a déjà procédé de la sorte par le passé. Voilà les différents axes qui servent à prévenir la radicalisation. Chaque axe regroupe une variété d'activités.
Finalement, j'aimerais souligner que le ministre, le ministère et nos collègues participent à cette initiative et échangent aussi avec la table ronde transculturelle, qui rassemble des leaders d'opinion canadiens de différents milieux. Ce groupe se réunit assez régulièrement et se voit confier différentes tâches. Ses conseils judicieux nous aident à faire progresser plusieurs dossiers, dont la prévention de la radicalisation.
Voilà, dans les grandes lignes, les formes que prend actuellement la prévention de la radicalisation.
Le sénateur White : Aux États-Unis, le procès d'un des auteurs de l'attentat de Boston est en cours actuellement. Nous savons que, dans ce cas précis, la police locale n'avait pas été informée des démêlés du FBI avec les personnes qui allaient, par la suite, perpétrer l'attentat du marathon de Boston.
On craint qu'un pareil manque de communication se produise aussi au Canada et que les services de police locaux ne soient pas informés. Cela pourrait se produire parce que la GRC n'agit pas comme police locale au Québec et en Ontario, les deux plus grandes provinces, et que les services de police locaux n'ont pas nécessairement les cotes de sécurité nécessaires pour recevoir des données provenant du SCRS ou de la GRC, du moins dans certains cas.
Le ministère serait-il d'accord pour qu'on exige que les services de police de partout au pays obtiennent une cote de sécurité plus élevée? Ainsi, l'absence de communication ne serait pas inévitable, comme c'est le cas maintenant. Elle ne se produirait que si les autorités oublient, par mégarde, de transmettre les renseignements.
Cette question ne porte pas directement sur le projet de loi C-44, mais elle m'apparaît appropriée ici, monsieur le président.
M. Guimont : C'est une question pertinente, dont nous n'avons jamais discuté.
Le sénateur White : Peut-être pourriez-vous me répondre plus tard, si vous le désirez.
M. Guimont : D'accord. Nous nous pencherons sur cette question, monsieur le président.
Le sénateur White : Merci beaucoup.
Le sénateur Day : J'aimerais revenir aux demandes de mandats et clarifier un point. Je crois que les tribunaux examinent actuellement la portée de l'article 21. Sait-on si la Cour suprême du Canada entendra l'appel?
Mme Benoit : L'appel ira à la Cour suprême.
Le sénateur Day : La Cour suprême a accepté d'entendre l'appel?
Mme Benoit : Oui.
Le sénateur Day : Merci pour cette précision. Ce processus judiciaire est donc en cours, et nous avons ici un processus législatif. Il sera intéressant de voir s'ils auront certains points d'intersection. Nous devons garder à l'esprit l'existence de cet autre processus.
Le projet de loi modifie l'article 21 pour préciser qu'il s'applique à l'intérieur comme à l'extérieur du Canada. Il ajoute aussi à l'article 21 le paragraphe (3.1). Celui-ci ne touche que certaines activités, alors que le paragraphe (1) a une portée plus générale. Pourquoi ajoute-t-on ces restrictions?
Mme Benoit : Il faut savoir que les modifications ne changent rien au régime de mandats en place depuis 1984. Elles confirment simplement que la Cour fédérale peut décerner des mandats applicables à l'extérieur du Canada.
Le sénateur Day : Ainsi qu'au Canada?
Mme Benoit : Ainsi qu'au Canada, oui. Des décisions judiciaires ont mis ce pouvoir en doute.
Le sénateur Day : La Cour suprême est maintenant saisie de cette question?
Mme Benoit : La Cour suprême doit se pencher sur deux points. Je ne peux pas vraiment les commenter, puisqu'ils font l'objet d'un processus judiciaire. Le pouvoir de décerner un mandat applicable à l'extérieur du Canada en vertu de l'article 21 a fait l'objet d'une décision de la Cour d'appel fédérale. À ma connaissance, la Cour suprême ne se penchera pas sur cette question. Elle étudiera les deux autres points.
Le sénateur Day : Pourquoi a-t-on jugé nécessaire d'ajouter le paragraphe (3.1), alors que le paragraphe (1) parle déjà du Canada et de l'extérieur du pays? Pourquoi le paragraphe (3.1) est-il nécessaire? Il se lit comme suit :
[...] le juge peut autoriser l'exercice à l'extérieur du Canada des activités autorisées par le mandat décerné, en vertu du paragraphe (3), pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité [...]
Il est question de menaces envers la sécurité, et non de cueillette d'informations à l'étranger.
Mme Benoit : La réponse à cette question comprend deux volets. Tout d'abord, nous tenions à être clairs parce que la clarté est essentielle lorsqu'on demande au tribunal de décerner un mandat applicable à l'extérieur du Canada sans se préoccuper des lois internationales ou des lois de l'autre pays. Par ailleurs, si cette disposition ne modifie pas l'article 16, le pouvoir s'appliquera au Canada, comme le dit l'article 16. À l'article 21, l'ajout du paragraphe (3.1) ne s'applique qu'aux mandats liés à l'article 12, qui concernent les menaces à la sécurité du Canada.
Le sénateur Day : Je n'ai malheureusement pas la loi à portée de la main.
Mme Benoit : Le paragraphe 21(3) de la Loi sur le SCRS prévoit actuellement que le juge peut décerner un mandat « par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique », une réserve indiquant que le SCRS doit fournir des chiffres. Cette disposition se trouvait déjà dans la loi. Nous apportons simplement une précision pour que les tribunaux ne remettent plus en question le fait qu'ils sont autorisés à décerner de tels mandats.
Le sénateur Day : Cela m'amène à mon autre question. Vous avez déclaré plus tôt que le projet de loi C-44 était déjà en chantier avant les événements qui se sont produits le 22 octobre au Parlement et au Monument commémoratif de guerre.
Certaines dispositions sur la citoyenneté ont été adoptées dernièrement, et le projet de loi à l'étude viendra accélérer leur mise en œuvre. Était-ce déjà prévu avant le 22 octobre, ou est-ce que ce désir d'agir plus rapidement a été inspiré par les événements du 22 octobre?
Nicole Girard, directrice générale, Direction du programme de la citoyenneté et du multicultarisme, Citoyenneté et Immigration Canada : Vous avez tout à fait raison. Les mesures de la Loi renforçant la citoyenneté canadienne ont reçu la sanction royale en juin 2014, et leur mise en vigueur est déjà en cours depuis un certain temps.
On cherchait certainement à en accélérer l'adoption à la lumière de ces derniers événements, comme le ministre l'a mentionné dans la première heure, et les objectifs sont les mêmes. Il s'agit de protéger la sûreté et la sécurité des Canadiens.
Afin d'éviter tout malentendu, je précise que ce sont des amendements de forme mineurs qui ont été apportés à la Loi renforçant la citoyenneté canadienne. Aucun changement important n'y a été apporté. On cherche simplement à faire en sorte que les dispositions en question entrent en vigueur un peu avant les autres.
Le sénateur Day : Les amendements n'auraient pas été proposés si les événements du 22 octobre n'avaient pas eu lieu? Tout se serait déroulé comme prévu, au printemps 2014?
Mme Girard : Je ne peux pas vraiment avancer d'hypothèse, mais ça me semble raisonnable.
Le sénateur Day : Merci.
Le sénateur Ngo : Les documents du SCRS obtenus par demande d'accès à l'information indiquent que les cibles du service sont caractérisées comme étant des terroristes, des extrémistes, des partisans et des sympathisants. Pourriez-vous en premier lieu définir chacun de ces termes pour la gouverne du comité?
Ensuite, pourriez-vous expliquer ce que cela entend lorsque le SCRS caractérise une cible à enquêter de sympathisant?
M. Coulombe : Pour ce qui est définitions précises, je vais devoir vous revenir là-dessus. Je ne leur rendrais pas honneur si je devais les réciter de mémoire.
Le sénateur Ngo : Aucun problème.
M. Coulombe : Ce qu'il faut absolument comprendre, c'est qu'il y a deux raisons pour lesquelles nous employons un tel lexique. Nous voulons en premier lieu veiller à l'uniformité des descriptions des personnes faisant l'objet d'une enquête dans l'ensemble de l'organisation. L'établissement d'un lexique nous a également été recommandé par une commission d'enquête afin que les descriptions que nous mettons à la disposition de nos partenaires soient uniformes et correctes et qu'elles reflètent clairement les types d'activités auxquelles participe la personne en question.
Lorsqu'on décide de s'intéresser à quelqu'un, la définition n'est plus importante. C'est en fonction des activités observées que nous décidons d'enquêter. Ces activités répondent-elles à la définition et aux critères établis dans la Loi sur le SCRS? Avons-nous des motifs raisonnables de soupçonner que M. Untel use de violence ou de menaces de violence pour promouvoir l'atteinte d'un objectif politique, religieux ou idéologique, conformément à la définition figurant à l'alinéa 2c)? Voilà un des critères que nous appliquons lorsque nous décidons de faire enquête sur quelqu'un.
C'est en fonction des activités que mène cette personne que nous décidons de la caractériser de sympathisant ou d'autre chose. Une personne qui participe au financement ou au soutien logistique n'est pas dans la même catégorie qu'une personne qui apprend à fabriquer des bombes en Irak ou en Syrie, par exemple.
Ce qu'il faut retenir, c'est que les critères auxquels une personne doit répondre avant de faire l'objet d'une enquête se fondent entièrement sur les activités entreprises, à savoir si elles constituent un motif raisonnable de soupçonner.
Le sénateur Ngo : Autrement dit, vous lancez seulement une enquête après avoir étiqueté quelqu'un de terroriste, de sympathisant ou de partisan; c'est bien ce que vous voulez dire?
M. Coulombe : Ce que je veux dire, c'est qu'à partir du moment où quelqu'un est porté à notre attention et nous faisons la détermination, nous faisons enquête en fonction du type d'activité entreprise. Si possible, je vous communiquerai la définition.
Le sénateur Ngo : Je ne comprends toujours pas. Disons que vous commencez à faire enquête sur un sympathisant. Peut-être qu'un sympathisant appuie une certaine idéologie sans pour autant participer à quelconque activité.
M. Coulombe : Je ne veux pas vous induire en erreur, car je n'ai pas la définition à portée de main. Disons qu'on apprend que quelqu'un passe ses journées à regarder des vidéos de djihadistes sur Internet; des vidéos de l'EIIS. Disons qu'il a une page Facebook sur laquelle il affirme que l'EIIS fait de bonnes œuvres. Si j'avais la définition à portée de main, peut-être pourrais-je confirmer que cette personne serait caractérisée de sympathisant. Est-ce un renseignement suffisant pour lancer une enquête? Je répète qu'il faudra appliquer les critères afin de déterminer s'il y a des motifs raisonnables de soupçonner que les activités entreprises par cette personne justifient une enquête.
Une personne qui planifie un attentat ou qui achète les matériaux nécessaires pour fabriquer une bombe participe à des activités d'un autre niveau.
Je pense que tout sera plus clair lorsque vous aurez les définitions.
La sénatrice Beyak : Je vous remercie encore de votre travail dans le dossier. Le comité est tout aussi déterminé que vous à y prendre les mesures appropriées. Les Canadiens qui nous regardent à la maison ont beaucoup de respect pour le SCRS et pour le travail que vous faites; ils ont des préoccupations, mais ils ont bien plus d'information que je ne le pensais au sujet de la menace terroriste. Le Comité d'approbation et de réévaluation des cibles du SCRS, présidé par le directeur et d'autres cadres supérieurs, étudie et approuve les demandes d'enquête soumises par les agents. Le SCRS a trois niveaux d'enquête. Le niveau 3 est celui qui comporte le plus haut degré d'intrusion; conformément à la loi, il est soumis aux mesures de contrôle les plus strictes. Les enquêtes de niveau 2 peuvent comprendre des entrevues personnelles et une filature limitée. Celles de niveau 1 ont une durée brève et permettent au SCRS de recueillir de l'information provenant de sources ouvertes et de dossiers conservés par des services étrangers de police, de sécurité ou de renseignement.
Pouvez-vous nous expliquer, dans le temps dont on dispose, de quelle façon le SCRS repère les personnes qu'elle considère comme une menace à la sécurité puis les « cible » dans le cadre d'une enquête de sécurité?
M. Coulombe : Avant de parler de la façon dont on les repère, j'aimerais apporter une correction. La structure que vous décrivez n'est plus en vigueur. Il y a maintenant deux niveaux d'enquête, le niveau 1 et le niveau 2, et le Comité d'approbation et de réévaluation des cibles n'existe plus. En fait, le pouvoir de lancer une enquête a été délégué. La description que vous avez faite n'est plus vraiment d'actualité.
Quelqu'un peut être porté à notre attention de maintes façons. Plus tôt, on a parlé des membres de la famille ou de la communauté qui composent le numéro d'information. C'est une des façons dont on obtient de l'information. On est parfois avisé par nos partenaires étrangers. Un partenaire étranger nous contacte, disons, si un Canadien à l'étranger participe à des activités liées au terrorisme. Ce sont parfois nos sources humaines qui nous informent. Quelqu'un peut être porté à notre attention de toutes sortes de façons.
La sénatrice Beyak : Pourriez-vous nous dire quelle disposition a été supprimée, précisant si c'est aux termes de ce projet de loi ci ou d'un autre qu'elle est supprimée?
M. Coulombe : Ce que je viens de décrire ne figure pas dans la loi. Ce sont les politiques internes du service. Conformément à la Loi sur le SCRS, avant de changer nos politiques internes, il faut d'abord consulter le ministre de la Sécurité publique. Il faut également informer le CSARS de ces changements. Ce n'est pas la loi qui a changé, mais bien la politique interne.
Le président : J'ai une question à poser. Elle porte sur la citoyenneté canadienne, plus précisément sur ce qui arriverait à une personne à double nationalité qui participe manifestement à des activités terroristes. J'aimerais mieux comprendre les étapes concrètes du processus. Une fois que la décision est prise de priver quelqu'un de sa citoyenneté canadienne, comment se déroule le processus exactement, combien de temps la révocation prendrait-elle?
Mme Girard : Tout dépend des circonstances de l'affaire. La décision revient à deux personnes. Dans la grande majorité des cas, les cas les plus clairement définis — particulièrement ceux dont il a été question plus tôt où la personne a été condamnée pour terrorisme, trahison, haute trahison ou espionnage — la décision revient au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ou à son délégué. C'est au ministre que revient la décision dans de tels cas. Dans les cas plus complexes impliquant un membre soupçonné d'un groupe armé, d'une force armée ou d'un groupe organisé armé engagé dans un conflit armé avec le Canada, la décision revient à la Cour fédérale.
En général, le processus prend plusieurs mois. Il est assorti de divers mécanismes de sécurité afin de veiller à l'intégrité des décisions.
Il se déroule en général comme suit : le ministère soumet à l'examen du ministre un dossier contenant tous les éléments de preuve recueillis. Le ministre décide ensuite si la révocation de la citoyenneté est justifiée. Dans l'affirmative, un avis d'intention de révoquer la citoyenneté est envoyé à la partie concernée, qui est également informée des allégations officielles la concernant et les preuves sur lesquelles elles se fondent. La partie concernée est informée des éléments de preuve en question. Puis, elle est invitée à plaider son cas et à réfuter ces éléments de preuve, le cas échéant.
Puis, si c'est au ministre que revient la décision, tous les renseignements lui sont communiqués. C'est ensuite à lui de décider de permettre la tenue d'une audience orale, en fonction des facteurs établis dans le règlement. Quoi qu'il en soit, toutes les personnes visées ont l'occasion de plaider leur cas sur papier.
Si la décision revient au ministre et celui-ci décide de révoquer la citoyenneté, et si la personne visée choisit de se prévaloir d'un tel recours, la décision fait l'objet d'un examen judiciaire par la Cour fédérale.
Le président : Chers collègues, j'aimerais remercier nos invités d'avoir comparu devant nous.
Notre prochain témoin est M. Ray Boisvert, ancien directeur adjoint, Renseignement, SCRS. M. Boisvert a passé plus de 20 ans au service et a une compréhension pratique de la loi et de l'impact des modifications recommandées sur les personnes sur le terrain qui sont tenues de respecter les exigences juridiques en vigueur.
Monsieur Boisvert, bienvenue au comité. Sauf erreur, vous avez une déclaration liminaire à faire.
[Français]
Ray Boisvert, ancien directeur adjoint, Renseignement, SCRS, à titre personnel : Bonjour à tous. J'aimerais passer directement aux questions, parce que, à mon avis, c'est vraiment la meilleure façon d'échanger des idées.
[Traduction]
Comme je ne suis pas normalement de nature à suivre un scénario préétabli, j'aimerais quand même exprimer, aux fins du compte rendu, certaines idées que j'ai eues au sujet du projet de loi et décrire ce que c'était de travailler dans une organisation comme le Service canadien du renseignement de sécurité.
Cela fait deux ans et demi que j'ai quitté le SCRS, après avoir rempli les fonctions d'agent du renseignement, de gestionnaire et ensuite de cadre supérieur pendant près de trois décennies. Lorsque j'ai quitté, j'étais directeur adjoint du service du renseignement, comme l'a indiqué le sénateur Lang.
Durant cette période, j'ai vu le service mûrir en tant qu'institution et qu'organisation. Je l'ai vu s'adapter aux diverses menaces et à l'évolution rapide de l'environnement dans lequel travaillent ses agents.
Nous sommes passés de la guerre froide, avec ses espions et ses éléments subversifs présumés, aux questions de sécurité nationale comme le terrorisme arménien et sikh dans les années 1980, qui s'est manifesté à plusieurs reprises ici même, notamment lorsqu'Atilla Altikat, attaché militaire turque, fut assassiné en 1982.
Puis, il y a les insurrections qui ont criblé l'Amérique latine, que ce soit le Sentier lumineux au Pérou, la menace sandiniste au Nicaragua ou encore l'avènement de l'extrémisme chiite ou du Hezbollah dans les pays comme le Liban dans les années 1980, jusque dans les années 1990, époque où l'extrémisme sunnite version Al-Qaïda a commencé à se manifester, avant le 11 septembre puis en abondance après les attentats.
Durant mes années au service de la sécurité nationale, je dois dire que je n'ai jamais constaté un changement aussi rapide et intense que celui qui s'opère actuellement à mesure que nous sommes confrontés à des menaces de violence dans l'atteinte d'objectifs politico-religieux.
Bien que je m'intéresserai particulièrement au contreterrorisme cet après-midi, je m'en voudrais de ne pas attirer l'attention du comité sur le fait que la menace actuelle va bien au-delà d'Al-Qaïda, de l'État islamique ou même d'une des principales questions d'actualité, soit la radicalisation de Canadiens.
J'aimerais citer quelques exemples afin que nous n'oubliions pas l'importance et l'impact dévastateur de cyberattaques prenant pour cible notre propriété intellectuelle. Souvenons-nous du piratage du Conseil national de recherches qui a eu lieu cette année; du fait que toutes les deux secondes aux États-Unis, une personne est victime de vol d'identité, comme nous l'a appris le Money Report de CNN de cette année; et de la réalité selon laquelle notre infrastructure essentielle est prise en cible, qu'elle est l'une des composantes du cinquième élément de la guerre, qu'elle sera très probablement la cible d'une attaque et que, à mon avis, elle n'est pas adéquatement défendue actuellement.
Deuxièmement, comme nous l'ont montré récemment les événements dans certains points chauds, comme l'Ukraine, je crois que nous entrons de nouveau dans une ère de menaces et d'affrontements à forte odeur soviétique. Le danger pour nous de la guerre hybride et de faible intensité que livre à l'Occident, avec ruse, le régime totalitaire de Russie est selon moi sous-estimé.
La Chine, dont les dépenses militaires devraient, selon les prévisions, augmenter plus rapidement que le PIB et entraîner une transformation, comme le signale le magazine The Economist, ce mois-ci, est considérée comme l'un des pays les plus agressifs en matière d'attaques informatiques. Elle est de plus en plus de connivence avec la « kleptocratie » de Russie et représentera à l'avenir une menace colossale pour la sécurité nationale.
Si je souligne ces questions, c'est pour dire que les améliorations de la Loi sur SCRS ne devraient pas être considérées comme avantageuses uniquement pour les programmes antiterroristes du pays. Elles ont une portée beaucoup plus vaste que cela.
Mais revenons au sujet principal du danger croissant du terrorisme au XXIe siècle. Comme l'a souligné récemment le rapport du département de la Sécurité intérieure, aux États-Unis, entre 2007 et 2010, environ 200 attentats liés à Al-Qaïda et à l'EIIL ont été perpétrés dans le monde. En 2013, les statistiques dont nous disposons indiquent que le nombre d'attentats perpétrés par les mêmes organisations a atteint 600, donc que le total a triplé. Il est clair que la tendance n'est pas particulièrement encourageante.
Compte tenu de mon expérience professionnelle, je vous dirais que l'environnement ne devrait pas devenir moins dangereux dans un avenir prévisible. En outre, il faut être bien conscient que la mondialisation a transformé le terrorisme et le risque pour les systèmes informatiques tout autant qu'elle a engendré des transformations économiques dans les secteurs secondaire et tertiaire.
Permettez-moi maintenant d'aborder les deux éléments les plus importants du projet de loi C-44. Premièrement, j'attache une grande importance à la disposition visant à accorder aux sources du SCRS la même protection qu'aux informateurs de la police dans les procédures judiciaires. Deuxièmement, il est très important de permettre au SCRS, avec l'aide de partenaires au pays et à l'étranger d'effectuer une surveillance ininterrompue des cibles d'enquête autorisées.
Dans l'environnement consécutif aux attentats du 11 septembre 2001, le SCRS a été obligé d'adopter une nouvelle doctrine régissant ses activités dans le but de gérer plus efficacement les nouveaux dangers qui apparaissaient à l'époque et qui se sont propagés depuis à l'échelle mondiale.
Je reparlerai de ce thème dans quelques instants, mais je dirais que le terme « menace intérieure » est mal compris par le public. Il est associé à une approche, puis une doctrine qui est très mal comprise du public, mais qui oriente néanmoins notre façon de voir les choses. Nous nous sommes dit que nous devions affronter le danger où qu'il soit, ce qui nous est apparu comme essentiel et s'est révélé efficace pour contrecarrer divers complots visant les Canadiens.
Pour mieux comprendre la doctrine en question, prenons l'exemple d'une équipe de hockey. Il n'est pas possible, pour l'équipe, de bien défendre son but si tous les joueurs restent derrière leur ligne bleue. Alors, par analogie, l'offensive est devenue un élément primordial de la lutte antiterroriste à la suite des attentats du 11 septembre 2001.
Un autre exemple qui illustre facilement la réalité et qui se rattache à mon expérience personnelle est le développement nécessaire de nos relations avec toute une gamme de partenaires dans le monde, et non simplement avec le Groupe des cinq ou le Groupe des cinq élargi. Ce développement a été un moyen facile de passer à l'offensive hors de nos frontières nationales ou traditionnelles.
Autrement dit, il était également important de recruter des informateurs pour pénétrer les organisations ou les cellules les plus difficiles d'accès. Dans certains cas, il a fallu leur permettre de s'infiltrer en amont, dans des installations ou des camps d'entraînement, ce qui a engendré des opérations complexes et difficiles à gérer.
C'est la raison pour laquelle les informateurs ont une importance vitale pour le SCRS. Ils font partie de la méthode qui a été perfectionnée pendant des dizaines d'années par le Canada, qui est passé maître dans l'art de l'employer. Personnellement, j'ai pu constater pendant plusieurs années que nous figurions parmi les meilleurs services de renseignement au monde, dans l'utilisation de cette méthode.
Ce constat est important pour évaluer l'apport du Canada à l'alliance internationale du renseignement sur laquelle il s'appuie quotidiennement dans ses décisions. Bref, grâce à son programme efficace d'informateurs, le Canada verse plus d'information qu'il n'en puise dans le bassin du renseignement international de sécurité. Sans un programme d'informateurs efficace, les décideurs canadiens ne pourraient pas bénéficier d'une banque de renseignements rassemblés par des spécialistes canadiens. Ils seraient obligés de s'en remettre à des services de renseignement étrangers, avec leur lot de filtres et de miroirs déformants. Sans entrer dans les détails des opérations, il est donc souhaitable, si ce que je dis est vrai, de chercher à obtenir une réponse à la question suivante : dans quelle mesure le SCRS est-il efficace pour gérer ses informateurs?
Eh bien, grâce à une planification soignée, à d'importants efforts de contrôle, à des méthodes de vérification rigoureuses, à des directives ministérielles efficaces et à des politiques garantissant entre autres la protection et le traitement éthique des informateurs, le programme des informateurs donne d'excellents résultats.
Mais, selon moi, c'est un programme que met en péril l'incapacité du SCRS d'accorder à ses informateurs la même protection que les informateurs de police. Dans un monde où nous savons que le SCRS et la GRC doivent mener des enquêtes parallèles mais distinctes, pour paraphraser le juge Dawson lors des procès des 18 hommes de Toronto, et que ces enquêtes se font particulièrement dans le domaine de la lutte antiterroriste, nous devons tenir pour acquis que le nombre de poursuites pénales augmentera probablement. Et, dans cette optique, le projet de loi C-44 est essentiel pour que la dualité de la GRC et du SCRS donne de bons résultats.
Abstraction faite de la rétribution équitable et raisonnable pouvant être versée aux informateurs pour les risques et le temps qu'ils prennent, un facteur important garantit les liens solides entre eux et le SCRS, et c'est la protection de leur identité sans laquelle ils s'exposeraient à des atteintes à leur réputation et verraient leur vie et celles des membres de leur famille élargie mises en danger.
En ce qui concerne la capacité d'enquêter sur des personnes au Canada et à l'étranger, que l'on propose d'accroître en modifiant l'article 21 de la Loi sur le SCRS, je vous renvoie à mon propos de tout à l'heure sur la mondialisation et les changements rapides dans les menaces planant sur nous.
Si j'ai fait une observation tout à l'heure concernant la méconnaissance de la réalité des menaces intérieures, c'est que, de nos jours, il y a en fait peu de différence entre les menaces intérieures et étrangères. Contrairement aux acteurs considérés traditionnellement comme des menaces, y compris les membres du crime organisé au Canada, la plupart des gens dangereux répondent aujourd'hui aux ordres d'entités étrangères ou agissant de concert avec elles et obéissent à leurs idéologies, qui prennent racine à l'étranger. Vu la prolifération des zones de conflit au Moyen-Orient et l'apparition de nouvelles zones ailleurs, les personnes constituant une menace, y compris celles qui sont inspirées localement, se rendent de plus en plus à l'étranger pour y commettre des actes d'une extrême violence ou pour aider ceux qui les commettent.
En outre, comme nous avons pu le voir, des détenteurs de passeport canadien ont été au cœur d'attentats terroristes extrêmement tragiques, par exemple, en Algérie ou en Somalie. S'il est essentiel pour le SCRS de maintenir ses activités sans que rien n'y paraisse et de poursuivre sa collecte de renseignements susceptibles de nous permettre d'agir, dans diverses parties du monde, est le reflet des menaces qui planent sur la sécurité publique au XXIe siècle et la réalité qui s'y rattache.
Ce constat est particulièrement vrai dans les parties du monde où il est hautement improbable que l'on arrive, au moyen des preuves recueillies, à intenter des poursuites judiciaires ayant des chances d'aboutir à une déclaration de culpabilité. Par conséquent, faute d'être en mesure d'intenter des poursuites, il est important de pouvoir neutraliser les menaces grâce à la perspicacité des agents du renseignement et à des politiques souples.
Pour terminer, je voudrais dire, à titre d'ancien du milieu ayant été responsable d'obtenir de bons résultats dans cet environnement très difficile où sévissent divers dangers et ayant eu bien franchement à rendre des comptes à cet égard, je tiens à vous dire que j'appuie sans hésitation les changements proposés à la loi.
À l'inverse, je rejette l'idée défendue par certains selon laquelle le Canada mettrait en danger les intérêts et les valeurs canadiens en améliorant l'efficacité de la collecte de renseignements à l'étranger ou en protégeant mieux les informateurs du SCRS. Je tiens à vous assurer, compte tenu encore une fois de mon expérience personnelle, que la communauté du renseignement a su tirer les leçons de l'affaire Arar. Je sais que les organismes canadiens ont raison de soulever cette affaire et qu'ils ont également intérêt à le faire. Cependant, mon expérience au sein du SCRS et de la communauté du renseignement me dit aussi que les échanges d'information constituent l'une des méthodes les plus rigoureuses et les mieux rodées que le SCRS employait pendant que j'y étais. Et je suis prêt à parier que ces échanges se sont améliorés encore depuis mon départ.
La collecte d'information d'origine étrangère figurait aussi parmi les activités les mieux gérées si je me fie à mon expérience antérieure. Elle était réglée par certains facteurs déterminants : les dangers menaçant la vie des agents et de leurs informateurs; les limites inhérentes aux lois, aux politiques et aux règles d'éthique; la nécessité d'obtenir de bons résultats. Voilà les raisons pour lesquelles ces programmes se sont avérés fiables et fructueux, ce qui fait qu'il n'a jamais été facile d'envisager qu'on les sacrifie.
Je vous remercie beaucoup et je serai heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Boisvert. Il est bon que nous puissions entendre le témoignage d'un homme du milieu, qui est monté au front. Je voudrais vous poser une question générale. C'est une question qui demande une réponse subjective et qui est peut-être un peu à côté du sujet, alors vous n'êtes pas obligé d'y répondre si vous ne voulez pas.
Il est intéressant de constater qu'aussitôt qu'une dimension ethnique entre en ligne de compte, plus précisément lorsqu'il est question d'un musulman, nous qualifions le crime d'attentat terroriste. Personne n'a qualifié de terroriste le tireur de Moncton qui a assassiné trois agents de la GRC. Personne n'a qualifié de terroristes les jeunes de Halifax. On les a plutôt qualifiés de désaxés assassins. Pourquoi faut-il que, lorsqu'il s'agit d'un musulman, on dise que c'est un terroriste, alors que si ce n'est pas le cas, c'est un autre genre de criminel?
M. Boisvert : Eh bien, sénateur, je ne suis pas d'accord parce que le fait d'avoir affaire à un musulman n'y est pour rien dans le choix du qualificatif. L'auteur du crime doit être mû par une idéologie identifiable. La fusillade de Moncton est un excellent exemple de crime que je considère comme autre chose que du terrorisme, car le meurtrier n'a pas agi en raison d'une idéologie, mais bien parce qu'il avait apparemment une profonde aversion pour les personnes portant un uniforme ou pour les autorités. Faisons la comparaison avec Anders Breivik, en Norvège. Il y a cinq ans, cet individu a fait exploser des bombes à Oslo, puis a tué 69 personnes sur une île après avoir revêtu la tenue d'un policier. Cet homme épousait une idéologie chrétienne extrémiste et folle. Il avait rédigé une thèse et défini sa propre idéologie par écrit. C'était nettement un terroriste, et ses crimes constituaient du terrorisme. Ce n'est pas la foi ou l'appartenance religieuse qui déterminent ce qui est terroriste et ce qui ne l'est pas, mais bien les motifs du criminel. Le critère nous permettant de porter un jugement figure clairement dans la définition des activités terroristes de la Loi sur le SCRS ou du Code criminel.
Le sénateur Mitchell : Lorsque la Russie attaque l'Ukraine, est-ce du terrorisme? J'essaie simplement de voir s'il y a une idéologie dans ce cas.
M. Boisvert : Ce serait plutôt un acte de guerre. Je ne suis ni un avocat ni un expert du droit international, mais il s'agit d'un conflit entre États. Certaines méthodes qu'ils ont utilisées pourraient être catégorisées, du moins en partie, comme le recours à leurs milices ou leurs forces officielles, par exemple, les forces spéciales Spetsnaz qui sont prétendument intégrées aux troupes locales dans cette partie de l'Ukraine. Je n'ai aucun cas précis à l'esprit, mais si nous prenions le temps de bien regarder, nous pourrions certainement repérer ces soldats là-bas.
Le sénateur Mitchell : C'est très bon à savoir.
J'ai posé la question un certain nombre de fois, mais je voudrais entendre votre point de vue sur la question — et c'est peut-être un terme trop fort — de la protection policière accordée à un informateur, dont il faut être conscient qu'elle ne peut être accordée trop tôt sous peine de ne pas pouvoir utiliser l'information ou l'informateur dans le cadre d'un procès, tandis que le SCRS n'a pas besoin de se plier à un critère aussi rigoureux puisqu'il cherche simplement de l'information afin de prévenir un crime. Voyez-vous comment la protection d'un informateur peut se faire tout en réduisant au minimum le risque que son témoignage ne puisse pas être utilisé plus tard dans une poursuite judiciaire?
M. Boisvert : Comme vous le laissez entendre, il faut bien isoler le travail des policiers de celui des agents du renseignement. J'ai commencé ma carrière dans la GRC et j'ai fait des enquêtes sur le trafic de stupéfiants à Vancouver, notamment sur des associations de malfaiteurs qui vendaient de la cocaïne et de l'héroïne. J'ai fait mes armes dans cet univers. J'ai pu constater que le travail policier est très différent de celui d'un agent du renseignement, simplement dans la manière de choisir le bon informateur et de lui confier la besogne à accomplir.
Pour vous aider à comprendre, permettez-moi de vous parler rapidement des méthodes de la police, qui recrute typiquement un informateur pour deux raisons : agir comme intermédiaire permettant à un agent d'infiltration de s'approcher des criminels ou encore avoir recours à l'informateur pour témoigner lors d'un procès et lui permettre de bénéficier du programme de protection des témoins. Je simplifie pour ne pas abuser de votre temps.
Mais, dans le cas du SCRS — où je suis entré en 1984, au moment de la création de cet organisme —, la sélection des informateurs se faisait selon une approche très différente, avec beaucoup de vérifications en cours de route pour voir si l'on pouvait se fier à la personne. En fin de compte, lorsqu'on estimait pouvoir compter sur la coopération d'un informateur, c'est que celui-ci était pleinement disposé à coopérer. À l'inverse, dans l'univers policier, il pouvait arriver que l'informateur coopère pour des raisons moins reluisantes, par exemple parce qu'on lui avait forcé la main. Je simplifie encore une fois un peu trop.
Si la question consiste davantage à savoir s'il peut y avoir des conséquences néfastes à protéger les informateurs du SCRS, je n'en vois aucune puisque le SCRS n'est pas porté à choisir ses informateurs sans les avoir soumis à beaucoup de vérifications étalées dans le temps. L'histoire du renseignement est quand même jalonnée d'événements marquants, où on apprend que l'informateur surnommé « balle courbe » a inventé les armes de destruction massive et on se demande pourquoi il n'a pas été soumis à de réelles vérifications. Comme je l'ai dit, dans le monde où je travaillais et où le SCRS était soumis à des examens, on savait tirer rapidement les leçons et les appliquer immédiatement sur le terrain.
Alors, je sais pertinemment que le SCRS fait un travail de recrutement des informateurs qui est différent de celui des services de police. C'est un travail très spécialisé et très particulier, et je pense que le SCRS arrive à choisir comme informateurs des personnes qui méritent d'être protégées comme le prévoit ce projet de loi.
Le sénateur White : Merci d'être venu témoigner. J'allais citer une liste de cas de terrorisme n'ayant rien à voir avec les musulmans, mais vous avez mieux exprimé cette idée que j'aurais pu le faire. Je vous en remercie.
J'aurais une question à vous poser sur la protection des informateurs. Pourriez-vous nous en parler plus en détail? Nous avons entendu parler des exceptions dans le cas des personnes ayant déjà témoigné. Pourriez-vous nous faire voir la différence entre la sélection d'un informateur et celle d'un agent, par exemple, pour que les gens puissent comprendre la différence entre obtenir de l'information et donner des directives pour en obtenir?
M. Boisvert : Je vais vous dire ce que je disais aux jeunes agents du temps où j'étais au SCRS, que je sois en train de m'adresser à eux dans un cours de superviseur ou, plus tard, en tant que cadre en train de transmettre les ordres à l'équipe des gestionnaires supérieurs, afin qu'ils sachent bien les attentes à leur égard en matière d'étendu du contrôle.
En fin de compte, le SCRS est un organisme de renseignement d'origine humaine, mais c'est ironiquement l'organisme de renseignement d'origine électromagnétique le plus important au Canada en raison des pouvoirs et des capacités importants que lui confère l'article 21. Mais le SCRS utilise presque exclusivement le renseignement d'origine électromagnétique pour déceler les pistes à suivre dans les activités de renseignement d'origine humaine et pour mieux gérer les ensembles de cibles.
Je disais aux jeunes agents « maintenant que vous êtes un agent du renseignement, vous devez comprendre que chaque personne que vous rencontrez a de la valeur. » Au premier niveau des sources de valeur, il y a, entre autres, les personnes capables de vous renseigner sur les allées et venues d'une personne et celles capables de vous obtenir la clé de l'entrée principale ou de la porte arrière d'une installation pour y mener à bien une opération à trois heures du matin. Il s'agit de sources ambiantes et indépendantes qui, un jour, vous appellent pour vous dire qu'un groupe de personnes tient des propos qui les effraient ou qu'une personne dans une ambassade, qu'elles pensent être un agent du renseignement, essaie de les recruter.
Au deuxième niveau des sources de valeur pour le SCRS, il y a les contacts fiables, les personnes avec qui le service entretient des contacts fréquents pour la combinaison des trois ou quatre autres choses que j'ai mentionnées.
Au dernier niveau, il y a les personnes qui, d'après l'équipe d'enquête, constituent un atout et qui doivent être encadrées. C'est une décision consciente et, pendant le processus de validation, la personne devra, entre autres, exécuter des tâches de mise à l'épreuve. L'objectif est de s'assurer que la personne est à la hauteur de la tâche à accomplir.
Le SCRS fonde son expérience sur les opérations qu'il a menées durant la guerre froide. C'est la cruauté des miroirs, l'effet de l'agent double ou triple, le besoin de savoir. Le recrutement de sources est très complexe et le SCRS s'en est inspiré pour la lutte ciblée contre le terrorisme.
Je me rappelle avoir essayé de recruter une personne très haut placée dans un organisme. C'était il y a près de 20 ans. À l'époque, j'étais superviseur de bureau. Un jour avant d'accepter le plan — nous avions courtisé cette source pendant près de six mois et, si nous avions manqué notre coup, cela aurait pu déclencher une controverse —, mon directeur général m'a dit que c'est un peu comme une demande en mariage : il faut connaître la réponse avant de poser la question. Cela m'a marqué et je me suis rendu compte que cela résume bien la méthodologie.
Le sénateur White : Merci beaucoup pour cette excellente réponse. Le projet de loi C-44 accorderait-il la même protection dans chacun de ces scénarios, y compris celui où la source est encadrée?
M. Boisvert : Le projet de loi offrirait une meilleure protection. J'ai témoigné chaque fois qu'un certificat de sécurité a été demandé au cours des 10 dernières années. Au cours des dernières années, lorsque j'étais directeur général de la sécurité opérationnelle, je devais justifier l'importance de protéger l'expertise et les atouts. Autrement dit, nous pouvons tout vous dire au sujet des renseignements, mais vous devez nous donner les outils nécessaires pour protéger nos sources humaines et notre méthode de travail. L'incertitude régnait et je savais que ces sources ne bénéficiaient d'aucune protection législative. Au bout du compte, on pouvait les obliger à témoigner.
Il fallait toujours que je trouve, et c'était très difficile, une très bonne raison qui soit dans l'intérêt du public. Je crois savoir qu'il existe une disposition visant à protéger l'innocence. Il faut, à tout le moins, avoir une sorte de bouton sur lequel on peut appuyer si les choses se passent très mal dans une enquête et qu'il faut protéger une source. J'espère toutefois que cela ne sera nécessaire que dans des circonstances très exceptionnelles. Nous devons protéger les sources, car la seule chose qu'on leur promet, c'est de protéger leur identité et de préserver leur anonymat.
Le sénateur White : Juste pour préciser encore un peu plus le contexte, contrairement à une enquête policière, où il y a une scène du crime et où on peut recueillir quantité de preuves, les sources sont le principal atout du SCRS, n'est-ce pas?
M. Boisvert : Tout à fait.
Le sénateur White : Sans cet atout, le SCRS peut faire son travail, mais c'est plus difficile?
M. Boisvert : Surtout aujourd'hui, après les événements du 11 septembre. Ce n'est pas la première fois que je fais ce commentaire. Lorsque j'ai commencé à travailler au SCRS, les enquêtes duraient parfois quatre ans. Le nouvel agent du renseignement soviétique — qui, d'ordinaire, était le chef du service des échanges commerciaux de l'ambassade — arrivait et, pendant trois ou quatre ans, une petite équipe analysait des renseignements. À l'issue de cette période, nous répondions à la question suivante : « Est-il un agent avéré ou suspecté du renseignement? » Voilà, essentiellement, quel était le résultat.
De temps à autre, nous arrivions alors à convaincre le ministère des Affaires étrangères d'expulser cette personne, la persona non grata. Aujourd'hui, avec les modifications, il y a beaucoup plus de potentiel. Lorsque j'étais directeur général du programme de lutte contre le terrorisme, j'avais pour doctrine de privilégier, dans la mesure du possible, le recours à l'application de la loi. Par conséquent, nous essayons de recueillir autant de renseignements utilisables que possible, afin de pouvoir les convertir en preuves utilisables. Ce n'est pas facile et, sans protection des sources, je pense que ce sera de moins en moins possible, car, comme je l'ai dit plus tôt, dans ce nouvel environnement, les sources risquent de mourir, de ternir leur réputation ou d'exposer leur famille élargie à des menaces.
La sénatrice Stewart Olsen : J'ai une brève question. La Commission d'enquête sur l'affaire Air India avait recommandé une plus grande coopération entre la GRC et le SCRS. J'aimerais avoir votre avis. Y a-t-il une meilleure coopération? S'est-elle intensifiée? À votre avis, la coopération est-elle satisfaisante ou y a-t-il place à l'amélioration?
M. Boisvert : C'est une excellente question, car la coopération a toujours été un défi, pendant tout le temps que j'ai travaillé au SCRS. Je vais faire un bref rappel historique.
En juin 1985, au moment de l'attentat contre le vol d'Air India, le SCRS existait depuis même pas un an. En conséquence, les deux organisations ont, selon moi, littéralement perdu les pédales. J'étais un très jeune agent. C'était ma première année au SCRS, mais je comprenais la culture de la GRC et j'étais immergé dans la façon de faire du SCRS. Je travaillais dans un très petit service du SCRS, un service mal aimé, celui de la lutte contre le terrorisme. À l'époque, à peine 10 p. 100 des ressources y étaient affectées, car la guerre froide battait son plein et la majorité des agents travaillaient dans le service de contre-espionnage. C'était la réalité de l'époque. Voilà la transition que le SCRS, le FBI et d'autres ont dû faire au fil des ans.
Nous avons tous tiré des leçons. Beaucoup de gestionnaires actuels du SCRS ont été profondément marqués par cette tragédie et beaucoup sont partis depuis. C'étaient des années très difficiles. À mon avis, tout le monde avait honte. Sans vouloir verser dans la médisance, je pense qu'il y avait beaucoup de squelettes dans le placard et d'anciens membres de la GRC haïssaient le service de sécurité, parce qu'il entachait la réputation de la police montée; ils n'aimaient pas les novices et les novices détestaient tout ce que la police montée représentait. Nous étions en transition, nous embauchions. Il y avait tout simplement des frictions.
Passons à mai 2006, à l'arrestation des 18 de Toronto. C'était le point culminant d'années d'efforts acharnés pour renverser ce paradigme et créer une structure de travail. C'est une structure laborieuse, parce que c'est un travail très complexe de convertir des renseignements en preuves. En raison de la décision Stinchcombe concernant la divulgation complète, tout le monde comprend que nous, le service du renseignement, ne voulons pas être le fruit empoisonné d'une poursuite intentée avec succès. Bien sûr, nous nous battrions pour protéger les sources et les méthodes de travail. Nous ne voudrions pas devoir retirer les preuves à la dernière minute, voilà pourquoi nous avons créé plusieurs techniques et méthodes. Ces dernières ont évolué. Lorsque, quelques années plus tard, je suis devenu directeur du principal service de lutte contre le terrorisme, j'ai compris que notre système est bon.
Nous avons également fait beaucoup de formations conjointes. C'est un bon système, mais les employés vouent une appartenance quasi tribale à leur institution, alors c'est un aspect qu'il faut continuer à travailler. La haute direction doit envoyer un message clair. Le chef du programme de lutte contre le terrorisme de la GRC et moi avons rencontré les sergents, les sergents-chefs, les caporaux, les chefs de bureau et les agents du renseignement et leur avons dit que l'échec n'est pas une option, que si nous ne parvenons pas à collaborer, des gens mourront, tout simplement. Entre autres, nous avons réussi à leur faire comprendre que les employés du SCRS ne peuvent pas dire grand-chose et que, en fait, ils ne s'attendent à rien, mais qu'ils ont de très grandes oreilles. Ils peuvent tout écouter. Passez à autre chose. Aux employés du SCRS, nous avons dit que tout ce qu'ils peuvent faire pour la GRC doit être fait conformément aux processus en vigueur, tout en étant fait sur-le-champ et en étant aussi utile que possible. Je pense que ces efforts constants ont facilité la coopération.
Est-ce que nous pouvons nous endormir sur nos lauriers? Non, pour les raisons que je viens de mentionner, je pense qu'il faudra toujours poursuivre nos efforts en ce sens.
La sénatrice Beyak : Je vous remercie de votre présence aujourd'hui.
M. Boisvert : C'est moi qui vous remercie.
La sénatrice Beyak : J'aimerais revenir sur la question de la sénatrice Stewart Olsen. Vous travaillez depuis longtemps au SCRS et vous avez des connaissances et une expertise qui seront, à mon avis, inestimables pour nous.
À titre de comparaison avec l'État islamique et les Frères musulmans aujourd'hui, comment la communauté sikhe avait-elle réagi aux éléments radicaux en leur sein?
M. Boisvert : C'est un très bon exemple. Je pense que nous aurions dû l'analyser plus en profondeur, parce que nous aurions pu en tirer beaucoup de bonnes leçons. Merci pour cette question.
C'est drôle, car lorsque j'ai finalement quitté la GRC pour le SCRS, c'est l'un des premiers bureaux pour lesquels j'ai travaillé. L'extrémisme sikh était l'enjeu de l'heure en matière de lutte contre le terrorisme. La tentative d'assassinat en Arménie venait d'avoir lieu. Je me rappelle avoir appris les rouages de l'exploitation des sources. J'avais un très bon chef de bureau. Nous faisions le tour et il avait une multitude de contacts, de sources ambiantes et directes. J'ai beaucoup appris avec lui. J'ai donc immédiatement hérité d'une grande coterie de personnes de confiance. Nous frappions aux portes et disions qu'il est important pour le gouvernement du Canada de savoir comment la communauté se sentait au sujet de la stigmatisation possible à la suite de l'attentat d'Air India. C'était leur 11 septembre, en tant que communauté.
C'est le résultat d'un dialogue continu — voilà pourquoi cela m'irrite lorsque j'entends dire que certains groupes n'aiment pas quand le SCRS vient frapper à la porte. Cela m'a toujours hérissé. Récemment, j'ai discuté avec quelqu'un dans une communauté en particulier et j'ai dit : « Il y a deux façons de faire les choses. Dans la plupart des pays dans le monde, les services du renseignement travaillent dans le secret en installant des microphones et des caméras. Ils utilisent tous les moyens clandestins. Au Canada, neuf fois sur dix, les agents du SCRS commencent par frapper à la porte, montrent leur carte d'identité et disent : « Bonjour, nous sommes du SCRS et aimerions vous parler. J'aimerais savoir ce que votre communauté pense de tel ou tel problème. » C'est la meilleure façon de recueillir tous ces renseignements.
Je vais essayer de répondre plus efficacement à votre question.
À mon avis, la communauté sikhe s'est ralliée à l'idée qu'il valait mieux s'occuper du problème. La mesure la plus efficace qu'elle a prise, c'est d'ostraciser ceux qui promeuvent ou préconisent la violence. Les diverses communautés musulmanes au pays font la même chose. Toutefois, la communauté sikhe était plus petite et beaucoup plus intégrée, raison pour laquelle c'était peut-être plus facile. La communauté musulmane est beaucoup plus grande et comprend plusieurs sous-groupes.
La sénatrice Beyak : J'ai des amis musulmans partout au Canada et aux États-Unis, autant des hommes que des femmes et des familles, et ils sont très inquiets pour les bons et les mauvais, les radicaux. Comment savoir à qui nous pouvons faire confiance. Nous avons entendu des témoins de tellement de groupes. Notre travail, en tant que sénateurs, c'est de déterminer les affiliations et les associations des gens ainsi que la provenance des fonds. Nous voulons savoir comment nous pouvons leur faire confiance. Avez-vous des conseils à nous donner?
M. Boisvert : Le commentaire que j'ai fait plus tôt au sujet de la cruauté des miroirs cadre plutôt bien. Je ferais attention toutefois. Je vais vous faire part de certaines de mes réflexions.
Lorsque j'étais directeur adjoint du renseignement, j'étais responsable des connaissances, de ce que nous savions au sujet des menaces. J'informais les ministres, les sous-ministres et d'autres de ce que nous savions, qu'il s'agisse de nouvelles cybermenaces, de menaces terroristes ou d'ingérence étrangère, entre autres. Une des complexités — outre essayer d'expliquer l'ingérence étrangère ou la menace que posent les entreprises d'État — qui se trouvait en tête de ma liste de problèmes complexes, c'était de déterminer comment et s'il fallait inscrire une organisation au complet, comme le Hezbollah ou les Frères musulmans, sur la liste des organisations terroristes. Il serait peut-être réconfortant, facile et évident de le faire, mais il faut vraiment décortiquer l'organisation, examiner tous les tenants et aboutissants et faire une analyse approfondie.
Certaines branches de ces groupes sont affiliées par nom seulement et ont une vision du monde très différente sur certains sujets. Il s'agit de lever le voile. Toutefois, parfois, si une organisation se comporte comme une organisation terroriste, qu'elle est associée à d'autres organisations terroristes, il faut se rendre à l'évidence.
Il faut poser ces questions difficiles, sonder le terrain, les écouter avec autant de candeur que possible et reconnaître que personne ne cherche à traquer ceux qui sont réputés être actifs sur le marché gris des idées, mais notre rôle consiste à déterminer qui est vraiment transparent et honnête.
Comme je l'ai mentionné, dans d'autres circonstances, je suis totalement intolérant à l'intolérance. Je dénoncerais toute personne malhonnête.
Le président : Si vous me le permettez, chers collègues, j'aimerais ajouter aux observations. La question des particuliers ou des organisations qui représentent certains aspects d'une communauté — qu'il s'agisse de la communauté sikhe, de la communauté musulmane ou de la communauté chrétienne fondamentaliste d'extrême droite — est une question importante qui a été soulevée tout au long des témoignages que nous avons entendus. Les témoins ont souligné que malgré les meilleures intentions du monde, les organismes d'application de la loi en particulier nouent des relations avec la base de ces communautés pour essayer de recoller les morceaux, pour rétablir la confiance et donner un sentiment de sécurité à la vaste majorité des membres de ces communautés.
Pourtant, en même temps, les témoins nous ont parlé de plusieurs cas de représentants de la communauté dont les objectifs divergent de ceux de nos organismes d'application de la loi et du grand public.
Existe-t-il un processus aux termes duquel les organismes d'application de la loi font appel au SCRS pour vérifier leurs renseignements? Le SCRS est censé avoir tous les renseignements ou, du moins, une bonne partie des renseignements permettant aux organismes comme la GRC, entre autres, de savoir à qui ils ont à faire et qui sont ces personnes. Ce n'est pas parce qu'ils viennent boire un café avec vous que vous êtes forcément dans leurs bonnes grâces.
Est-ce que votre bureau ou l'un de vos employés a déjà été contacté par un organisme d'application de la loi voulant faire vérifier des renseignements? Un tel processus a-t-il déjà existé? Sinon, est-ce que ce projet de loi et le futur projet de loi C-51 mettront en place un tel processus pour favoriser l'échange de renseignements? Cela permettrait d'approcher les bonnes personnes pour essayer de contrer les menaces auxquelles nous sommes confrontés.
M. Boisvert : Je vais vous donner une réponse en deux parties. Tout d'abord, je vais vous répondre franchement : un tel mécanisme ou système n'existe pas. L'échange de renseignements se fait de manière très ponctuelle et je vais vous expliquer pourquoi. Il y a une bonne raison à cela. En partie, c'est en raison de la primauté de l'enquêteur principal et de l'enquêteur. Ils ont le droit de nouer des contacts et de chercher à obtenir des renseignements additionnels.
Je suppose que nous pourrions imposer — je ne pense pas qu'il y ait des objections, mais je ne représente pas le milieu de l'application de la loi — un mécanisme aux termes duquel les organismes d'application de la loi et le SCRS s'entendent pour dire que les personnes pourraient ou devraient être approuvées.
J'ai fortement tendance à préconiser qu'elles le soient. Cela déborde le cadre de l'application de la loi. À mon avis, cela s'applique parfois aux parlementaires et à d'autres personnes qui sont souvent appelées à rencontrer des électeurs et des membres des groupes dirigeants. Souvent ces personnes sont sollicitées ad nauseam, à l'instar des sénateurs et d'autres personnes. On sollicite leur présence ou leur participation à divers événements, notamment des campagnes de financement. Il est parfois difficile de savoir si la campagne de financement est vraiment légitime. Se fait-elle réellement au profit des veuves et des orphelins ou a-t-elle une autre visée?
Trouver la source, le financement des activités terroristes, est complexe. Il est parfois difficile de déterminer à quoi exactement servira l'argent.
Pour répondre à la dernière partie de votre question, je pense que grâce au projet de loi C-51, qui propose des mécanismes de partage des renseignements, et au projet de loi C-44, qui propose de mieux protéger les sources, il y aura davantage d'échanges. Pourquoi? Je peux l'affirmer en m'appuyant sur l'expérience que j'ai acquise au fil des ans.
Examinons l'historique : la Charte canadienne des droits et libertés a été adoptée en 1982 suivie de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels en 1983. La Loi sur le SCRS a été adoptée un an plus tard, en 1984. Toutes les politiques qui découlent de ces mesures législatives ont le même défaut : la protection des renseignements personnels avant tout. Par conséquent, les policiers ne savent pas s'ils ont le droit de demander des renseignements au SCRS, étant donné que cela pourrait constituer une violation de la protection des renseignements personnels de la cible.
Nous avons toujours été réticents à divulguer certains renseignements, puisqu'ils ne servaient pas à porter des accusations. Si on porte atteinte à la réputation d'un organisme ou d'un particulier, en l'inscrivant par exemple sur la liste des personnes interdites de vol du Canada, il faut s'attendre à ce que ce dernier fasse appel de la décision. C'est là que les choses se compliquent.
Le sénateur White : Vous avez parlé du partage de renseignements. Nous avons discuté avec d'autres témoins — et ce n'était pas la première fois que nous avons eu cette discussion — du fait que l'un des problèmes, au Canada, à l'égard des quelque 66 000 policiers et 198 services de police, c'est que la vaste majorité des policiers, sauf ceux de la GRC, n'ont pas l'autorisation de sécurité nécessaire pour discuter avec le SCRS. Recommanderiez-vous que nous modifiions les mesures législatives ou règlements, afin d'exiger que les forces policières obtiennent une autorisation de sécurité pour leurs policiers, de sorte que les organismes de sécurité et les services de police puissent partager leurs renseignements dès à présent?
M. Boisvert : Je n'avais jamais examiné la question sous cet angle, parce que, bien sûr, la plupart de mes interlocuteurs étaient des policiers de la GRC qui possédaient presque tous au moins une autorisation de sécurité de niveau secret. Certes, cela présenterait des avantages, car, en tant que fournisseur de renseignements — en tant que directeur adjoint du renseignement —, il arrivait souvent que nous ne puissions pas partager des renseignements utilisables et recevables, parce que nous partions du principe que l'autorité provinciale ou municipale ne possédait pas l'autorisation de sécurité nécessaire.
Je pense que je serais d'accord, eu égard à la réalité du XXIe siècle et à l'évolution rapide de la menace opérationnelle que j'ai mentionnée dans mon introduction. Je pense que ce serait très utile.
Le sénateur Day : Le projet de loi C-51 sera présenté et pourrait contenir des dispositions sur le partage des renseignements entre diverses entités.
Je dois dire que je suis surpris d'apprendre que, une année après la création du SCRS, la coopération entre la GRC et le SCRS n'était pas bonne, car je crois savoir que presque tous les agents du SCRS de l'époque étaient d'anciens policiers de la GRC. J'aurais pensé que, à tout le moins, il y aurait eu beaucoup de coopération informelle. Je comprends ce que vous dites. Bien sûr, l'enquête sur la tragédie d'Air India a permis de clarifier et d'appuyer votre affirmation.
Ma question porte sur les enquêtes auxquelles vous avez peut-être participé en lien avec l'article 15 de la loi en vigueur. Qu'est-ce qui vous poussait à demander un mandat à un juge et qui faisait l'évaluation initiale menant à une demande de mandat?
M. Boisvert : Quelle disposition de l'article 15? La vérification de sécurité?
Le sénateur Day : Oui. D'autres articles s'appliquent-ils? C'est le processus qui m'intéresse. J'aimerais savoir quel est l'élément déclencheur qui vous poussait à demander un mandat à un juge.
M. Boisvert : C'est un plaisir de répondre à cette question. Je suis astreint au secret à perpétuité aux termes de la Loi sur la protection de l'information, alors je dois faire attention de ne pas trop parler des activités de renseignement, afin de ne pas exposer de détails opérationnels. Je pense toutefois pouvoir répondre adéquatement à votre question concernant la nature du travail.
En ce qui concerne les mandats prévus à l'article 21, les pouvoirs conférés par mandat existent depuis que j'étais jeune officier. Plus tôt, j'ai parlé de mon expérience en tant que jeune agent du renseignement affecté à la lutte contre le terrorisme. Nous ne pouvions pas obtenir ce genre de ressources, car, en raison du poids, du pouvoir et de tout le travail que cela impliquait, ces ressources étaient réservées aux opérations de contre-espionnage d'envergure mises sur pied durant la guerre froide qui visaient le service du renseignement soviétique. Cela vous donne une idée à quel point ce processus était sélectif, même aux premiers jours du SCRS.
Le processus a également été façonné par des directives ministérielles et des conventions internes du SCRS. Ce type d'intrusion doit être proportionnel à l'ampleur de la menace. Ce principe a guidé le processus de ciblage au SCRS lorsque j'y travaillais et, bien sûr, il reflète le travail de Gordon Osbaldeston dans l'étude qu'il a réalisée sur le SCRS en 1987. Ce dernier a formulé 34 recommandations, y compris que le directeur ou chef du SCRS doit lui-même être responsable de toutes les décisions de ciblage et de demandes de mandat.
D'ordinaire, les jeunes agents devaient gérer quelques cibles et, après avoir fait le travail de base, comme faire du porte-à-porte et parler à quelques sources existantes, et prouvé le bien-fondé de la demande, il était possible d'obtenir plus de pouvoirs, comme demander une surveillance physique ou autre. Il était possible de prendre des mesures un peu plus intrusives.
Il y a toujours eu une gradation. L'intervention devait être proportionnelle au niveau de menace. Nos motivations étaient très égoïstes; nous voulions nous assurer que nos ressources étaient affectées aux menaces de haut niveau ou classées prioritaires, mais nous voulions également protéger les droits de la personne et les libertés personnelles.
Après un certain temps, l'agent parvenait peut-être à prouver le bien-fondé de sa théorie — ou à la réfuter — voulant que la personne ne présente pas une menace à la sécurité nationale, parce que, après six mois, deux mois ou trois semaines il avait pu réunir suffisamment de renseignements pour dire que, non, l'information originale fournie par la source était erronée. L'information pouvait, par exemple, provenir d'un organisme étranger, se résumer à deux lignes disant que Ray Boisvert présente une menace, sans donner de contexte. Cela nous incitait à faire des recherches sur cette personne et à réunir des renseignements.
Ce n'est qu'après un certain temps, si je ne parvenais pas à réfuter ma théorie, que je pouvais présenter une demande pour utiliser des méthodes d'enquête plus intrusives, autrement dit obtenir un mandat prévu à l'article 21.Cela me permettait, dans le meilleur des cas, d'intercepter les communications personnelles de la cible. C'est une intrusion grave dans la vie privée et personnelle d'une personne. Le seuil était très très élevé.
Je repense au nombre de mandats que nous avions essayé d'obtenir à l'époque où j'étais directeur général de la lutte contre le terrorisme. Robert Fowler et Louis Guay avaient été enlevés au Mali et au Niger et Amanda Lindhout en Somalie. Il y avait une demi-douzaine d'autres cas d'enlèvements. Le rythme et l'intensité du travail étaient élevés dans notre service. Nous étions également aux prises avec plusieurs nouvelles menaces au Canada. Le nombre de mandats, le temps et les efforts, la « confirmation des faits », l'examen de la « confirmation des faits », les sous-groupes, l'équipe et l'avocat du diable; le processus était très minutieux, des centaines de pages.
Par conséquent, au moment de saisir la cour fédérale, après avoir obtenu l'autorisation du ministre de la Sécurité publique, et prouvé le bien-fondé au directeur et au comité responsable d'examiner les mandats, nous étions persuadés de pouvoir obtenir un mandat.
C'est un processus très minutieux.
Le président : Combien de temps prend ce processus?
M. Boisvert : Le processus doit, au besoin, être très rapide, surtout en cas de situation d'urgence, comme lorsque Abu Nidal est arrivé à Montréal. Nous venions d'être informés. C'est un organisme étranger qui nous avait mis au courant quelques heures auparavant ou nous avions identifié cette personne. On dirait un épisode de la série télévisée 24 ou Homeland. Il faut agir rapidement, être en mesure d'obtenir les ressources et saisir le tribunal pour obtenir le mandat. Je ne peux pas vous dire combien de temps cela prendrait, car c'est un détail opérationnel, mais parfois les choses bougent rapidement.
Dans les autres cas, toutefois, il fallait s'assurer de bien faire les choses, de ne pas salir la réputation du service ou du gouvernement, et de ne pas causer des torts indus à la cible.
Le sénateur Day : Tout ceci est intéressant. J'ai pris connaissance des exigences à respecter dans le cadre d'une demande en vertu de l'article 21. Ce n'est pas vous qui vous occupiez de tout cela. Vous venez d'expliquer que c'est beaucoup de travail sur le plan opérationnel. Ce n'est pas le genre de chose à laquelle vous êtes habitué — toute cette paperasse, toute cette recherche. Vous ne feriez pas tout cela si vous n'en ressentiez pas le besoin. Lorsqu'Abu Nidal vient tout juste d'arriver à Montréal, on peut lui affecter des ressources sans obtenir de mandat. Qu'est-ce qui vous a amené à vouloir faire valoir au ministre la nécessité d'obtenir un mandat, en l'occurrence?
M. Boisvert : Un jugement quant à la gravité de la menace. C'est en fonction de ce critère que l'équipe d'enquête décide de se prévaloir de techniques d'enquête plus poussées, comme l'interception des communications.
Le sénateur Day : Tiendrait-on compte, lorsqu'on détermine la gravité de la menace, du degré de radicalisation de la personne en question ou encore de renseignements laissant croire que quelque chose allait se passer?
M. Boisvert : Permettez-moi de répondre à votre question en vous décrivant une mise en scène. Elle est tirée de faits réels. C'est une situation dans laquelle je me suis trouvé à maintes reprises.
Il n'est pas évident de faire la distinction entre un haut degré de radicalisation et une rhétorique incendiaire. Il y en a qui parlent de choses horribles. Ils racontent à n'importe qui toutes les choses effroyables qu'ils feraient subir aux gens s'ils en avaient l'occasion. Mais ils ne rentrent jamais dans les détails. Ils ne démontrent aucune capacité. Ils ne manifestent jamais la capacité d'organiser quelque chose qui pourrait vraiment nuire aux autres.
Nous sommes confrontés à ce dilemme en permanence. C'est durant cette analyse-là que la balance peut pencher d'un côté comme de l'autre. On obtient des renseignements de sources humaines. On obtient de l'information ambiante d'autres sources, comme par exemple les organismes de renseignements alliés. Et voilà qu'on en arrive à croire qu'une personne est vraiment déterminée à commettre un acte de violence ou d'extrémisme grave. C'est à ce moment-là qu'on commence à envisager la présentation d'une demande en vertu de l'article 21.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Boisvert, pour votre témoignage. J'ai deux questions qui seront peut-être répétitives.
J'ai bien aimé votre façon de faire quand vous dites que vous cognez à la porte de l'organisme pour parler à des sources possibles. Êtes-vous en mesure d'évaluer à quel point les terroristes se sont servi d'organismes de charité afin de cacher leurs activités?
M. Boisvert : J'ai l'impression que c'est une méthodologie qui est beaucoup utilisée. L'utilisation d'organisations cachées, d'organisations de façade date vraiment de la période de la guerre froide. Aujourd'hui, les organismes de charité sont très efficaces dans la façon de mobiliser les citoyens ou les membres de leur communauté, en leur montrant, par exemple, les images d'une attaque ou d'un événement au Moyen-Orient ou en Asie, pour leur expliquer par après qu'un tel événement a certainement eu des effets négatifs sur la population civile. Il y a des façons de motiver ou de cacher certaines choses en disant que les bénéficiaires sont des hôpitaux, des écoles ou encore des sans-abri. Il y a toutes sortes de raisons pour affirmer que c'est très efficace. Effectivement, les organisations terroristes utiliseront tous les outils disponibles pour recevoir des fonds et continuer de rester, espèrent-ils, sous le radar de Revenu Canada.
Le sénateur Dagenais : On parlait de Montréal, d'où je suis originaire. Ils pourraient éventuellement se servir de certaines mosquées à Montréal pour ramasser et transférer ces fonds?
M. Boisvert : Oui, certainement, des centres religieux, des centres communautaires, la boulangerie du coin, des endroits où on voit souvent des boîtes de collecte. Je présume que cela fait partie de la même campagne de propagande lorsqu'il s'agit de venir au secours de leurs coreligionnaires qui sont victimes de la violence de l'Occident. Je crois que cela arrive un peu partout.
Le sénateur Dagenais : Vous avez travaillé longtemps pour le SCRS. Dans l'éventualité où le projet de loi ne serait pas adopté, en quoi cela pourrait-il entraver la capacité du SCRS à exécuter son mandat?
M. Boisvert : Le plus grand avantage, finalement, selon la nouvelle loi, serait que le SCRS disposerait d'une méthode agréée pour suivre ses cibles du Canada à l'étranger. Il y aurait ainsi une continuité dans la logique et dans la capacité de collecte de renseignements contre les cibles. C'est important.
L'un de nos problèmes, pour l'instant, est que nous ne connaissons pas le nombre de Canadiens qui se trouvent à l'étranger et le but dans lequel ils s'y trouvent. Nous ne disposons pas réellement de façon de sécuriser nos frontières. Ils ont quitté le pays avec un certain objectif. Vont-ils le garder à l'étranger? Vont-ils continuer leur planification opérationnelle qui pourrait nuire à des intérêts canadiens, et peut-être même prendre en main la vie d'autres étrangers, comme on l'a vu en Algérie dans le cas de deux Canadiens qui ont été impliqués? C'est dans ce domaine que le projet de loi entraînera une différence importante, car, maintenant, les sujets d'enquête sont locaux et internationaux. Voilà le problème.
[Traduction]
Le sénateur Kenny : Pourriez-vous parler au comité du compromis à faire entre le financement et la législation? Lorsque vous étiez gestionnaire, vous souciez-vous des moyens d'améliorer les outils législatifs à votre disposition ou d'obtenir plus de fonds pour grossir vos rangs? Si vous le voulez bien, j'aimerais que vous nous décriviez combien il est difficile d'améliorer l'efficacité de l'organisation tout en veillant à ce qu'elle demeure conforme à la loi et que vous nous parliez des limites de la capacité de l'organisation.
M. Boisvert : Je vais commencer par la question de la conformité à la loi, car cela me rappelle ce que j'ai vécu pendant mes années de service au SCRS. On plaisantait souvent du fait que l'organisation est née d'un scandale, celui auquel s'est intéressée la Commission MacDonald dans les années 1980. Nous sommes nés les chaînes aux pieds. Autrement dit, le SCRS était le service du renseignement le plus surveillé au monde, à l'exception de l'Australian Security Intelligence Organisation, ou ASIO.
Au tout début, nous sentions que nous nous faisions sans cesse fustiger par les rapports du SCARS, sous la direction de Ron Atkey. C'est lui qui a déclaré que le comité ne serait le chien de poche de personne. Cela a très bien servi au Canada et aux Canadiens, car nous trouvions que notre organisation était supérieure aux autres de par le fait que, selon nous, elle était surveillée de très près. Tous nos gestes pouvaient faire l'objet d'un examen et entraîner de graves conséquences. C'était une bonne chose. Le fait que nous étions surveillés nous rendait plus futés.
Pour ce qui est des ressources, à mon avis, l'organisation était très bien nantie vers la fin de la guerre froide, surtout après la chute du mur, mais par la suite, on a commencé à se demander quel était l'intérêt. C'était avant la montée du terrorisme. Le contre-espionnage est resté d'actualité pendant encore cinq ans, mais l'examen des programmes a commencé en 1992-1993, juste après la guerre froide, et les ressources du SCRS ont diminué d'un tiers; à maints égards c'était une bénédiction, mais bon, les choses se passent comme elles se passent. La situation s'est inversée. Pour la première fois, en ma qualité de jeune superviseur, j'ai dû procéder à des mises à pied. Je n'avais jamais eu à renvoyer qui que ce soit auparavant.
Tout cela a contribué au renforcement de l'organisation, car nous avons renversé l'ordre de mérite. Nous avons pris certaines mesures qui ont renforcé l'organisation et lui ont permis de mieux cibler ses efforts, mais nos ressources étaient limitées. Très limitées.
La tentative d'attentat au World Trade Center en 1993 était un des premiers cas précurseurs. À la lumière des maints kidnappings au Liban et d'autres événements, nous commencions déjà à faire valoir au gouvernement qu'il n'y avait plus de raison de s'inquiéter de l'extrémisme chiite. Il y avait une nouvelle menace, terrifiante et en pleine croissance. Elle disposait de ressources importantes. C'était un peu comme ce qui s'est passé avec l'EIIS : en six mois, il est passé d'être caractérisé de ligue junior à être considéré comme une menace réelle. C'était plus ou moins la même chose.
Nous avons intensifié nos activités. Il ne fait aucun doute que le service a bénéficié de ressources accrues après les attentats du 11 septembre. Le budget a crû énormément. La gestion de la croissance était notre plus grand défi à l'époque. Et compte tenu du fait que la formation d'un nouvel agent du renseignement prend cinq ans, je ne vous fais pas dire que c'était un défi considérable.
Lorsque j'étais directeur général de la direction du contre-terrorisme, jusqu'à 86 p. 100 des agents avaient moins de deux ans d'expérience. C'était une cohorte très jeune à gérer. Elle était particulièrement douée. La plupart des jeunes agents avaient un diplôme d'études supérieures, avaient voyagé et avaient une connaissance des réseaux informatiques. Ils étaient très forts, mais il fallait les surveiller de près pour veiller à notre sécurité, les règles d'engagement étant très strictes. Ce serait si facile pour quelqu'un de partir à la dérive dans un excès d'enthousiasme, ce qui revient au point que j'ai fait au sujet de l'acquisition de mandats et des autres exigences à respecter lors de la détermination de cibles. C'était une période très difficile au travail.
Je dirais que cela revient vraiment aux ressources humaines et aux ressources financières, car ces deux facteurs sont liés. Les modifications législatives sont très utiles. C'est la première chose à laquelle je pensais. J'ai besoin de certains outils pour faire mon travail. Ces outils, ce sont le gouvernement et les habitants du Canada qui les mettent à notre disposition.
Et ensuite, il nous faut l'effectif. Il nous faut un effectif bien formé, et il faut avoir les moyens financiers d'effectuer des dépenses discrétionnaires aux fins opérationnelles. Les opérations ont un prix. Il faut des ressources considérables pour mettre une personne sous surveillance. On ne me permettrait pas de préciser combien de personnes cela entend, mais c'est une opération de taille, l'argent est donc très important.
Il coûte extrêmement cher de mener des opérations à l'étranger. Par exemple, le coût des opérations en Afghanistan était faramineux, mais des vies canadiennes ont été épargnées. Des soldats canadiens sont toujours en vie grâce aux équipes de détection d'engins explosifs improvisés. Un certain nombre des opérations que nous avons menées, notamment à la recherche des hauts dirigeant d'Al-Qaïda en Afghanistan et ailleurs, ont coûté énormément d'argent.
C'est un processus sans fin, mais à l'heure actuelle, nous avons besoin d'argent et de personnel.
Le sénateur Kenny : Parlant de ressources, j'aimerais décrire une situation en guise d'exemple. Vous n'avez pas le droit de donner de détails, ce que je comprends tout à fait, mais disons qu'il faut 30 personnes pour suivre quelqu'un pendant une longue période. Au-delà d'une semaine, il faudrait 34 ou 35 personnes. Disons que vous dirigez un bureau régional. Il est très peu probable, voire inconcevable, que vous ayez les moyens de surveiller plus d'une personne à la fois.
À quelle fréquence un gestionnaire du SCRS se retrouve dans une situation à vouloir rendre service à un pays ami — disons un membre du Groupe des cinq qui entre en communication pour l'informer de la présence au Canada d'une personne qu'il voudrait qu'on surveille pendant un certain temps. Le réflexe est d'accéder à la demande car il s'agit d'un ami, mais les ressources sont insuffisantes, et on prévoit que l'individu en question atterrira dans deux jours.
M. Boisvert : Il ne fait aucun doute que notre marge de manœuvre était quasi nulle à l'époque où je travaillais dans le contre-terrorisme. Je ne peux même pas m'imaginer combien la situation est difficile aujourd'hui. On pensait que la situation était pénible lorsque j'étais là, en 2009-2010.
Il y a des choix très difficiles à faire, c'est certain, et on se remet sans cesse en question. On travaille en fonction d'une matrice des menaces. Il y a les entités dans la zone rouge, les entités les plus susceptibles de passer à l'acte. Puis il y a celles dans la zone jaune, qui pourraient aller dans un sens comme de l'autre. Nous disions parfois qu'elles étaient enclines à passer à l'acte sans pour autant montrer aucun signe concret de le faire. Il fallait souvent revenir sur nos décisions. Parfois, une entité passait de la zone orange à la zone rouge, et parfois elle revenait à la zone orange.
Il y avait toutes sortes de menaces émergentes. Les attentats du 7 juillet au Royaume-Uni en sont un excellent exemple. J'ai passé du temps avec des collègues là-bas. Je sais que MI5 a eu des décisions difficiles à prendre, car l'organisation était dépassée par le nombre de cibles, et elle l'est toujours. On en parle très ouvertement là-bas. Les auteurs des attentats étaient dans la zone rouge, mais d'autres priorités les ont déclassés.
Est-ce la même chose dans d'autres pays? Absolument. Je n'en ai aucun doute. Nous jetons sans cesse les dés. Pas seulement au SCRS. C'est la même galère à la GRC.
Pour en revenir à ce que vous avez dit au sujet des coûts, n'oubliez pas que l'existence de ces deux organisations parallèles nous amène parfois à employer deux équipes de surveillance, une pour la GRC et l'autre pour le SCRS. La première s'intéresse au renseignement et l'autre recueille des éléments de preuves, mais elles n'ont aucune interaction, sauf lorsqu'il s'agit d'harmoniser les opérations. C'est ce qu'on fait au quotidien pour veiller à ne pas épuiser ou gaspiller nos ressources tout en évitant le fruit empoisonné de la poursuite judiciaire, comme le dit le proverbe.
Le sénateur Kenny : Il est souvent difficile pour le comité de déterminer les besoins concrets, surtout lorsqu'un ministre comparaît devant nous, comme c'était le cas ce matin. Les projets de loi proposés n'entraînent essentiellement aucun coût. Outre le coût évident des rédacteurs législatifs, les mesures proposées par le gouvernement n'entraînent aucun coût permanent.
Le simple fait de laisser entendre qu'une organisation a besoin de grossir ses rangs peut faire beaucoup de bruit, surtout lorsqu'il est question, comme il en a été cette dernière semaine, de réaffecter 300 ou 400 agents d'une section de la GRC à une autre. Ce que j'en conclus, du moins personnellement, c'est que quelque part, l'effectif de la GRC est insuffisant et qu'il faut augmenter son budget si on s'attend à ce qu'elle s'attaque au crime organisé et au terrorisme, ou bien au crime en col blanc et au terrorisme. Comment le SCRS peut-il ou devrait-il pouvoir exprimer ces besoins?
M. Boisvert : Je suppose que ce sont les dirigeants, le commissaire Paulson ou le directeur Coulombe, qui communiquent avec le ministre à ces sujets, car c'est lui leur principale personne-ressource pour toutes les questions liées au financement. J'ai quitté le service il y a deux ans et demi, je n'ai donc aucune connaissance de ce qui s'y passe actuellement. J'essaye toujours de me tenir à l'écart de ces questions afin de pouvoir demeurer objectif et parler de mon expérience lorsque je travaillais là. Je suis porté à croire que les ressources sont importantes à l'heure actuelle. L'argent est important. En premier lieu, il est toujours utile de modifier la loi, mais cela dit, d'après mon évaluation de la situation actuelle, je dirais qu'on a grandement besoin d'argent.
Ils réussissent probablement à se débrouiller car, comme je l'ai déjà mentionné, ils se servent d'une matrice des menaces pour gérer le risque et déterminer les menaces les plus graves dont les éventuelles conséquences sont les plus graves. Ce qui veut dire que beaucoup d'entités dans la zone grise pourraient surgir soudainement.
Lorsque j'étais au service, j'ai constaté que la période de temps qui sépare la détermination d'une menace potentielle de l'attentat même — le moment même où l'explosion retentit — rétrécit rapidement, et elle continue de rétrécir. Il y a des années, cette période s'étendait sur plusieurs mois; elle peut maintenant durer quelques semaines, voire quelques jours. Je pense qu'il est tout à fait concevable aujourd'hui qu'il s'écoule seulement quelques heures entre le moment où une menace est cernée et celui où on dispose des moyens de la réaliser et de faire du mal. La seule façon d'atténuer ces risques, c'est d'investir plus de ressources.
Le président : J'aimerais vous poser une question sur le projet de loi C-44. Pendant vos années au service de renseignement, avez-vous été témoin d'une situation où on a refusé une source parce qu'on n'allait pas lui fournir de protection juridique?
M. Boisvert : Permettez-moi de plonger dans mes souvenirs. J'ai été responsable du secteur des sources humaines il y a quelques années déjà. Je dirais que oui, cela s'est produit, mais je n'arrive pas à me souvenir d'un cas en particulier. Je devrais me garder de répondre, parce que je ne peux affirmer quoi que ce soit avec certitude.
Le président : Deuxièmement, en raison de l'absence de protection juridique, avez-vous déjà eu à annuler des poursuites graves que vous auriez pu entamer?
M. Boisvert : Cela a suscité de nombreuses discussions dans tous les cas de doubles enquêtes, ainsi que dans les dossiers d'immigration relatifs à des certificats de sécurité et autres.
Le président : Vous affirmez qu'il y a eu des cas où l'on n'a pas entamé de poursuites en raison, du moins en partie, de l'absence de protection juridique?
M. Boisvert : Je me rappelle de certains dossiers dans le cadre desquels des poursuites ont été entamées, toutefois celles-ci ont dû être retirées lorsque le dossier a fait l'objet d'une analyse plus poussée.
Le président : Je vous remercie pour votre témoignage, monsieur Boisvert. Nous aurons peut-être la chance de vous entendre à nouveau. Il est évident que vous avez beaucoup d'expérience dans le domaine sur lequel nous nous penchons et vous faites preuve d'une grande sagesse.
Pour cette dernière table ronde de la journée, nous accueillons des représentants du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, soit M. Michael Doucet, directeur exécutif, et Mme Lindsay Jackson, directrice adjointe de Recherche. Se joignent également à nous M. Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada et Mme Leslie Fournier-Dupelle, conseillère stratégique en politiques et recherche au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.
Monsieur Therrien, je crois qu'il s'agit de votre première comparution devant le comité, j'aimerais donc profiter de l'occasion pour vous souhaiter la bienvenue. Nous sommes heureux que vous ayez pu vous joindre à nous pour discuter du projet de loi C-44.
M. Doucet et M. Therrien ont tous les deux une déclaration préliminaire à faire. J'inviterais M. Doucet à prendre la parole le premier, et M. Therrien pourra ensuite faire sa déclaration.
Bienvenue. La parole est à vous.
Michael Doucet, directeur exécutif, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour à tous. Je vous remercie d'avoir invité le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à témoigner aujourd'hui. C'est un honneur de comparaître devant vous, et j'espère que mes observations susciteront une discussion fructueuse et productive.
J'aimerais d'abord vous transmettre les salutations des membres du comité qui n'ont pas pu se joindre à nous aujourd'hui. Je suis ravi de parler au nom du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, que je désignerai par le sigle CSARS, et de donner un aperçu de nos travaux afin de nourrir la discussion sur l'imputabilité du Canada en ce qui concerne les activités de renseignement de sécurité.
[Français]
Le comité a été créé pour fournir au Parlement l'assurance que le SCRS respecte la loi dans l'exercice de ses fonctions. Ce faisant, le comité s'assure que le SCRS ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés du peuple canadien, tout en remplissant son mandat, qui consiste à recueillir des renseignements et à offrir des conseils sur les menaces à la sécurité nationale.
[Traduction]
Le CSARS est la seule organisation externe indépendante qui dispose du mandat et de l'expertise nécessaires pour passer en revue les activités du Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS. L'expression « organisation externe indépendante » signifie que notre comité est indépendant du gouvernement et ne relève d'aucun ministre. Nous devons rendre des comptes directement au Parlement. En outre, notre comité a le pouvoir absolu d'examiner toutes les activités du SCRS, sans égard à la nature délicate ou classifiée des renseignements qu'il traite — exception faite des renseignements confidentiels du Cabinet. Je me suis rendu compte, en discutant avec mes homologues d'autres pays, que les pouvoirs conférés au CSARS font l'envie de bon nombre d'entre eux.
Le CSARS a été invité aujourd'hui à parler du projet de loi C-44, dont le Sénat est saisi, qui propose de nombreuses modifications à la Loi sur le SCRS. Ces modifications visent à préciser que les enquêtes relatives aux menaces envers la sécurité du Canada aux évaluations de sécurité — abordées aux articles 12 et 15, respectivement — peuvent être menées au Canada ou à l'extérieur du pays. Qu'est-ce que ces changements signifieront pour le CSARS?
Tout d'abord, cela fait plusieurs années que le rôle et les activités du SCRS à l'étranger prennent de l'ampleur, tout comme le mandat du CSARS. Le CSARS a toujours relevé et signalé les défis liés aux activités à l'étranger du SCRS, comme la gestion des demandes concurrentes auxquelles le SCRS doit faire face en termes de tâches administratives quotidiennes, mais aussi de fonctions de liaison clés et d'activités opérationnelles complexes; les changements dans la façon dont le SCRS traite avec les agences de renseignement étrangères; l'obligation de travailler, dans certaines régions du monde, avec un petit nombre de partenaires étrangers qui peuvent poser problème; des risques opérationnels potentiels plus importants et plus nombreux; et l'importance d'une communication interministérielle efficace, en particulier entre le SCRS et le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, qui est responsable de la gestion des relations internationales du Canada.
Le CSARS s'est penché attentivement sur ces questions et activités et il continuera à le faire. Chaque année, le CSARS se rend dans l'un des postes éloignés du SCRS. Il évaluera sans doute la possibilité d'augmenter le nombre de postes éloignés visités chaque année.
Deuxièmement, le CSARS continuera à fournir au Parlement son analyse d'expert indépendant et à veiller à ce que le SCRS enquête sur les menaces à la sécurité nationale d'une façon qui respecte la primauté du droit et les droits des Canadiens. Toutefois, pour effectuer une surveillance efficace, le CSARS doit avoir la capacité de suivre l'évolution des réalités opérationnelles du SCRS.
Dans la foulée du rapport de la commission O'Connor, publié en 2006, le SCRS a informé le gouvernement que l'on pourrait élargir ou réviser la portée de l'article 54 de la Loi sur le SCRS de façon à ce que, à la demande du ministre de la Sécurité publique et avec l'assentiment du ministre compétent, le CSARS soit habilité à entreprendre une étude sur un ou plusieurs organismes autres que le SCRS.
Comme il arrive que les enquêtes du SCRS et celles d'autres ministères et organismes se recoupent, il est souvent difficile d'avoir une vue d'ensemble. Le CSARS croit qu'en autorisant la tenue d'enquêtes conjointes entre le SCRS et d'autres organismes d'examen, le gouvernement pourrait avoir une meilleure compréhension des activités entourant la sécurité nationale.
Bien que le CSARS ait un accès illimité à tous les renseignements du SCRS, à l'exception des documents confidentiels du Cabinet, il n'a toujours pas la possibilité de suivre le déroulement d'une enquête du SCRS ou de consulter les renseignements fournis par un autre ministère ou organisme du gouvernement. La collaboration accrue et l'échange d'information sont essentiels dans le domaine du renseignement contemporain. Le CSARS doit être en mesure d'assurer le suivi des activités du SCRS et de les passer en revue efficacement lorsqu'elles concernent d'autres ministères ou organismes. Le CSARS doit avoir à sa disposition les outils juridiques ainsi que les ressources gouvernementales adéquates pour suivre l'évolution des réalités opérationnelles du SCRS et pour s'assurer que le système de vérifications et de contrepoids enchâssé dans son mandat demeure pertinent et efficace.
Je vais mettre un terme à ma déclaration préliminaire pour laisser du temps à la discussion. J'aimerais, à titre de conclusion, citer le rapport de la commission royale d'enquête qui a mené à la création du SCRS au début des années 1980. Le rapport comporte une citation de l'ancien premier ministre Lester B. Pearson qui, bien qu'ayant quelques années, demeure pertinente et d'actualité. On y souligne que, selon Pearson, l'importance que « la notion de protection de notre sécurité ou le travail relié à cette protection ne portent jamais atteinte aux droits de la personne ou aux libertés auxquels nos institutions démocratiques sont attachées. » Les menaces à notre sécurité collective ont changé de nature et de portée au cours des 30 dernières années, mais le Comité reste fidèle à cette vision dans ses tâches.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner aujourd'hui et je serai ravi de répondre aux questions tout à l'heure.
Le président : Merci, monsieur Doucet.
La parole est à vous, monsieur Therrien.
[Français]
Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs. Je suis heureux d'avoir la possibilité de vous faire part des répercussions sur la vie privée que pourrait avoir le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres lois.
Le projet de loi C-44 vise entre autres à autoriser le SCRS à exercer ses activités à l'extérieur du Canada, y compris en faisant appel à des États étrangers, à la suite d'un jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Re X de 2014. Dans cette décision, la cour a émis certaines réserves quant aux pouvoirs de présenter, sous le régime de la loi actuelle, des demandes d'aide aux États étrangers. Ce type de demandes soulève la possibilité d'une communication plus vaste de l'information entre organismes du renseignement internationaux. Or, comme l'ont démontré les Commissions d'enquête O'Connor et Iacobucci, cette activité peut entraîner de graves atteintes aux droits de la personne. Certaines personnes ont été torturées à la suite de la communication de renseignements par le SCRS à des États étrangers. Le commissariat croit que les mesures qui sont en place pour assurer une protection contre le risque de ce type d'atteintes ne sont pas adéquates. La Charte des droits et libertés, telle qu'elle est appliquée par les tribunaux, constitue, bien sûr, une importante mesure de protection. Cependant, le Parlement aussi a un rôle important à jouer, et nous pensons que vous devriez légiférer pour empêcher que le Canada viole ses obligations internationales.
À ce sujet, j'aimerais porter à votre attention un récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Wakeling c. États-Unis d'Amérique qui a confirmé l'importance de mesures d'imputabilité et de surveillance pour protéger l'information communiquée à des États étrangers.
[Traduction]
Le juge Moldaver suggère notamment plusieurs moyens pour protéger les renseignements personnels communiqués à des États étrangers contre un mauvais usage éventuel. La juge Karakatsanis affirme quant à elle au nom des juges dissidents qu'il appartient au législateur de décider quelles mesures sont adéquates et de quelle façon il conviendrait de les mettre en œuvre.
En l'absence de mesures de protection prévues par la loi, la protection des individus contre le risque de mauvais traitements reposerait sur l'application de principes constitutionnels généraux qui n'ont pas encore été définis clairement dans le contexte de la communication d'information entre organismes nationaux du renseignement. Il y a tout lieu de croire que cette situation entraînerait des années de litiges et d'incertitude concernant le niveau de protection auquel les individus ont droit.
Au nombre des questions qui pourraient être litigieuses, mentionnons l'incidence du paragraphe 21(3.1) de la Loi sur le SCRS, qui serait ajouté en vertu du paragraphe 8(2) du projet de loi C-44, selon lequel la Cour fédérale peut « sans égard à toute autre règle de droit », y compris, peut-être, les principes du droit international, autoriser le SCRS à faire enquête à l'extérieur du Canada sur une menace à la sécurité nationale.
Si les tribunaux ont un rôle à jouer pour protéger les individus contre les atteintes aux droits de la personne, j'estime que le Parlement a aussi un rôle important à jouer pour s'assurer que les nouveaux pouvoirs conférés au SCRS sont exercés d'une manière qui respecte les obligations internationales du Canada en matière des droits de la personne en général et de la Convention contre la torture en particulier. Des règles législatives claires s'imposent pour empêcher que la communication d'information par le SCRS puisse entraîner un manquement aux obligations internationales du Canada.
À mon avis, une approche législative équilibrée comprendrait également des dispositions dans le projet de loi C-44 prévoyant une surveillance indépendante des activités de tous les ministères et organismes fédéraux œuvrant dans le domaine de la sécurité nationale. Bien que le projet de loi C-44 se limite à élargir directement le mandat du SCRS et indirectement celui du Centre de la sécurité des télécommunications Canada, et même si ces deux organismes font l'objet d'une surveillance indépendante, d'aucuns réclament depuis plusieurs années que l'on remédie aux lacunes dans la surveillance de la sécurité nationale mises au jour par la Commission d'enquête O'Connor.
Pour conclure, j'aimerais souligner qu'avec le dépôt du projet de loi C-44 et, plus récemment, du projet de loi C-51 qui accroît beaucoup l'échange d'information et élargit le mandat du SCRS, je considère qu'il serait important d'examiner toutes les lois antiterroristes dans leur ensemble afin de traiter cet enjeu important et de renforcer la confiance des Canadiens dans le travail de leurs organismes chargés de la sécurité nationale.
Je vous remercie et je serai heureux de répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci.
J'aimerais commencer par vous poser une question, monsieur Therrien, au sujet de votre rôle en tant que commissaire à protection de la vie privée.
Les enjeux abordés dans le projet de loi à l'étude et dans le projet de loi C-51, qui sera aussi examiné par ce comité, sont très importants pour le pays et auront une incidence sur notre capacité de fournir aux agents d'application de loi les outils nécessaires pour faire leur travail, d'autant plus que, selon les renseignements dont nous disposons, la menace est de plus en plus grande.
Ma question porte sur l'évaluation des mesures législatives appliquée à des causes judiciaires comme l'affaire Khawaja entendue par la Cour d'appel de l'Ontario. J'ignore si vous avez eu la chance de lire cette décision, mais on y indique que le fait de commettre un acte terroriste ou d'en organiser un devrait être passible d'une sentence d'emprisonnement de 20 années ou plus et que cela ne devrait pas nous étonner. En d'autres mots, ces infractions sont très graves parce qu'elles touchent directement la population.
Vous avez dû tenir compte de la gravité des crimes et des questions relatives à la protection des renseignements personnels — dont vous avez fait mention et avec lesquels nous sommes tous d'accord — dans le cadre de votre évaluation du projet de loi. Avez-vous aussi pris en considération le fait que nous ne vivons pas dans un monde parfait et que nous nous efforçons de trouver un équilibre qui soit acceptable pour tous et qui permette d'assurer la sécurité du public?
M. Therrien : Merci pour cette question, monsieur le président.
Je ne cherche pas à minimiser les menaces à la sécurité qui planent sur le Canada, loin de là. Je suis commissaire à la protection de la vie privée du Canada, mais j'ai aussi été avocat principal au ministère de la Sécurité publique et dans plusieurs organismes, y compris le SCRS, qui relèvent du ministre de la Sécurité publique. J'ai joué ce rôle pendant plusieurs années, je suis donc bien placé pour savoir que la menace est réelle et qu'il ne faut pas la minimiser.
Je suis d'accord avec ce que vous avez dit au sujet de l'affaire Khawaja : la décision prise dans ce dossier montre bien que les tribunaux prennent la menace terroriste très au sérieux et que cela les pousse à imposer des sentences lourdes à ceux qui participent à ce genre d'activités. Il est vrai que les tribunaux s'entendent aussi pour dire que le terrorisme est un problème grave qu'il faut régler. Je crois que cela illustre aussi, en partie, que le Canada dispose déjà des mesures législatives ou juridiques qu'il peut utiliser lorsqu'il est question de terrorisme. M. Khawaja a été reconnu coupable et a été condamné à 20 ans d'emprisonnement. Voilà, à mon avis, qui illustre clairement qu'il y a des lois solides à cet égard.
Cela ne veut absolument pas dire que l'on ne devrait pas chercher à améliorer ces lois. La menace et son intensité évoluent, et il est tout à fait normal que les lois évoluent aussi afin de respecter le niveau de la menace.
Au bout du compte, je crois que les lois du Canada sont déjà très solides. Évidemment, cela ne nous empêche pas de les modifier pour tenir compte de la menace moderne, mais nous devons nous efforcer de le faire en respectant les objectifs relatifs à la sécurité ainsi que les droits de la personne. Nous ne devons pas favoriser l'un de ces éléments au détriment de l'autre.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais remercier nos visiteurs de leur présence aujourd'hui. Ma première question s'adresse aussi à vous, monsieur Therrien.
Vous avez mentionné que les projets de loi C-44 et C-51 devraient être assortis d'une surveillance accrue. Faites-vous référence à une surveillance parlementaire, au moyen d'un comité supérieur multipartite, sénatorial et parlementaire, ou parlez-vous plutôt d'une organisation semblable au CSARS qui superviserait les activités de l'Agence des services frontaliers du Canada, du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et de la Gendarmerie royale du Canada, en l'occurrence? Quel type de surveillance serait nécessaire, à votre avis?
M. Therrien : Il y a trois types de surveillance. Premièrement, la surveillance spécialisée, dont s'occupe notamment le CSARS. Nous avons besoin d'une surveillance spécialisée qui s'occupe surtout de vérifier que les activités des ministères chargés de la sécurité nationale sont licites et raisonnables. Voilà le premier type de surveillance.
Le projet de loi C-44 touche au mandat du SCRS. Cet organisme fait évidemment déjà l'objet d'une surveillance spécialisée par le CSARS. Je recommande, dans le cadre de l'examen du projet de loi C-44, que cette surveillance tienne compte des renseignements communiqués aux autres organismes nationaux de sécurité que le SCRS. Cette recommandation concerne peut-être davantage le projet de loi C-51, mais ce projet de loi, comme vous le savez, prévoit déjà la communication de renseignements entre divers ministères fédéraux; aux 17 organismes, pour être exact, qui s'occupent aussi de sécurité nationale. Parmi ces 17 organismes, seulement 3, y compris de SCRS, font l'objet d'une surveillance ou d'un examen par des organismes spécialisés.
Si votre question porte sur la question globale de la surveillance et de l'examen des organismes de sécurité nationale — il est d'ailleurs plus question d'examen que de surveillance — dans le cadre des projets de loi C-44 et C-51, je crains bien que, parmi ces 17 organismes à qui des renseignements seraient communiqués en vertu du projet de loi C-51, 14 ne feraient pas l'objet de surveillance ou d'examen de la part d'un organisme spécialisé.
Le deuxième type de surveillance, c'est celui dont vous avez parlé, c'est-à-dire l'examen parlementaire. Les mesures de surveillance spécialisée qui vérifient la légitimité et le bien-fondé des activités menées n'empêchent pas la tenue d'un examen parlementaire, qui pourrait alors s'intéresser davantage à la portée générale des politiques. Les parlementaires n'ont peut-être pas toujours le temps, ni la volonté et l'expertise pour se pencher sur telle ou telle activité, mais je crois qu'ils ont un rôle précis à jouer, pour des raisons d'intérêt public, et c'est d'examiner les activités des organismes gouvernementaux qui se rapportent à la sécurité nationale.
Enfin, je crois — et je parle plus particulièrement du projet de loi C-51 — que la surveillance judiciaire est elle aussi insuffisante, surtout si l'on considère que je dois veiller dans une certaine mesure à ce que les dispositions de la future loi sur la communication d'information et les pratiques des organismes fédéraux à cet égard soient conformes à la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais le gouvernement n'est pas tenu de respecter mes conclusions. À mon avis, il serait important et nécessaire que les tribunaux puissent combler cette lacune et ordonner au gouvernement fédéral de respecter les principes de la protection des renseignements personnels énoncés dans le droit canadien, et que mon mandat ne se limite pas à recommander seulement au gouvernement que les problèmes soient corrigés, sans force exécutoire.
Le sénateur Mitchell : Très bonne réponse. Je vous remercie; c'était très complet.
Ma prochaine question s'adresse à M. Doucet. Elle n'est pas étrangère à la question de l'examen et de la surveillance, mais vous avez dit que vous n'aviez pas le pouvoir, en ce qui concerne les problèmes soulevés, de suivre les fils conducteurs et de poursuivre votre investigation dans d'autres organismes, comme l'ASFC et la GRC. Que faudrait-il pour que vous disposiez de ce pouvoir? Faudrait-il fusionner le CSARS et le mécanisme équivalent de la GRC — je crois qu'il s'agit de la CCETP — ou créer un autre organisme? Comment voyez-vous les choses?
M. Doucet : Je vous remercie, sénateur. C'est une excellente question. Vous avez tout à fait raison. Lorsque le CSARS procède à un examen, son mandat et la loi ne lui permettent pas d'étendre son enquête à d'autres organismes que le SCRS. Nous ne pouvons pas suivre les fils conducteurs d'un organisme à l'autre.
Plusieurs choses pourraient être faites pour que ce pouvoir soit accordé, à commencer par des modifications législatives. Ce serait sans doute un excellent moyen. L'information circule entre les organismes, mais nous avons les mains liées; nous ne pouvons pas suivre les fils conducteurs qui mènent à d'autres organismes.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie.
Le sénateur White : Pour donner suite à la question et à votre réponse, la même chose est vraie pour les 198 services policiers et pour le SCRS. Vous ne pourriez pas divulguer votre information à l'Unité des enquêtes spéciales ni avoir accès aux renseignements dont elle dispose en Ontario. C'est vrai pour tous les organismes, pas seulement la GRC. La législation qui régirait deux organismes fédéraux ne changerait rien aux organismes provinciaux et municipaux, n'est-ce pas?
M. Doucet : Elle ne changerait absolument rien entre les différents ordres de gouvernement.
Le sénateur White : Je vous remercie. Ce n'était pas ma question, mais une simple précision.
Les services policiers protègent actuellement les sources humaines confidentielles, et les tribunaux permettent seulement à la source elle-même de renoncer à ce droit, de divulguer ses renseignements et de révéler son identité. La Loi sur la preuve au Canada protège nettement les sources. Seriez-vous d'accord pour dire que le projet de loi C-44 ne va pas plus loin concernant les sources du SCRS? Je sais que vous connaissez la réponse parce que vous travaillez dans le domaine. Nous ne demandons pas que les sources soient mieux protégées par le Service canadien du renseignement de sécurité qu'elles ne le seraient par les autres services policiers?
M. Therrien : Je dirais, si la question s'adresse à moi, que je suis d'accord. L'une des parties du projet de loi C-44 vise à protéger les sources humaines du SCRS à peu près de la même façon que les sources de la GRC ou des autres services policiers. Les mesures de protection équivaudraient donc à celles qui protègent les informateurs des corps policiers.
Le sénateur White : Et dans le même but, j'ose espérer. Sinon, il n'y aurait pas de sources humaines, et le mot « confidentiel » ne serait pas utilisé. Il s'agirait de sources humaines non confidentielles, et si on ne pouvait pas les protéger dans une certaine mesure, il serait difficile pour les services policiers et le SCRS de mener leurs activités.
M. Therrien : Oui. Mes observations portaient de façon générale sur la communication des renseignements, mais vous avez raison en ce qui concerne la protection des sources humaines.
Le sénateur White : Je vous remercie infiniment.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Therrien. Aujourd'hui, avec Internet et les nouvelles technologies, les gens s'exposent publiquement et la vie privée est de moins en moins protégée. Face au terrorisme, doit-on porter davantage attention à la protection de la vie privée des citoyens au détriment de la sécurité?
M. Therrien : Absolument pas. À mon avis, on doit faire attention aux deux aspects, à la sécurité et à la vie privée. Cette question est liée davantage au projet de loi C-51 qu'au projet de loi C-44. Mes remarques et mes recommandations au sujet du projet de loi C-51 visent à assurer que la sécurité et la vie privée sont respectées et protégées, mais non pas au détriment l'une de l'autre.
[Traduction]
Le sénateur Day : Ma première question s'adresse à M. Therrien. Le mémoire que vous avez présenté au comité de la Chambre des communes ne nous a pas été remis. Nous pourrions l'obtenir : il est dans les dossiers de la Chambre des communes. Mais pourriez-vous nous aider en nous le faisant parvenir?
M. Therrien : Tout à fait.
Le sénateur Day : La déclaration que vous avez « émise en octobre avec les autres commissaires à l'information et à la protection de la vie privée fédéraux, provinciaux et territoriaux » accompagne-t-elle votre mémoire?
M. Therrien : Au comité de la Chambre des communes, oui.
Le sénateur Day : Si vous nous le soumettiez aussi, il ferait partie des documents du comité, ce qui serait utile, selon moi. Dans ce mémoire, vous demandez notamment au gouvernement fédéral de fonder ses nouvelles mesures législatives sur des données factuelles. Voulez-vous dire que, jusqu'à présent, les projets de loi du gouvernement ne le sont pas et qu'il faudrait qu'ils le soient à l'avenir?
M. Therrien : Vous vous souvenez sans doute de la déclaration que les autres commissaires et moi avons faite, en collaboration avec mes collègues provinciaux, a été publiée après les événements qui se sont produits à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu, mais avant que les projets de loi C-44 et C-51 ne soient présentés. Il s'agissait de conseils à l'intention des parlementaires et d'autres personnes, parce que certaines indications nous portaient à croire que le gouvernement voulait adopter des lois pour accroître la sécurité. Le mémoire avait donc pour but de rappeler certains principes généraux après les événements tragiques qui se sont produits, mais avant la présentation des deux projets de loi. Il serait utile que le gouvernement précise en quoi les deux projets de loi qu'il a présentés permettraient de combler les lacunes mises au jour lors des événements d'octobre.
Cela dit, le projet de loi qui nous occupe a pour but d'accroître les pouvoirs du service de sécurité à l'étranger à la suite de certaines décisions de la Cour fédérale. Cela ne me pose pas problème en soi. D'autres pays occidentaux ont confié des mandats extraterritoriaux à leurs services de sécurité. Je n'y vois pas d'inconvénient. J'ai parlé de certains risques associés à la communication de renseignements que le Parlement pourrait vouloir prévenir en respectant les obligations internationales.
Mais je ne vois pas d'inconvénient à ce que le mandat des services de sécurité s'étende à l'extérieur du Canada. Comme je l'ai dit dans le mémoire que j'ai présenté sur le projet de loi C-51, je ne vois pas vraiment d'inconvénient à ce qu'on communique davantage de renseignements afin de détecter de nouvelles menaces à la sécurité, à condition que certaines normes et certaines balises soient respectées.
En théorie, l'augmentation des renseignements communiqués et l'élargissement des pouvoirs du SCRS à l'étranger ne me posent donc pas problème.
Le sénateur Day : Comme on pourra le voir dans le compte rendu, les précédents témoins, y compris le ministre, ont dit que le projet de loi C-44 était en préparation avant le 22 octobre et, mis à part les dispositions sur la citoyenneté, il devait porter sur certaines questions déjà établies, notamment le mandat extraterritorial.
Nous n'avons pas encore été saisis du projet de loi C-51, mais nous le serons sans doute un jour.
Voici ma deuxième question, monsieur Doucet. Il faut que ce soit clairement dit : combien de membres le comité que vous représentez compte-t-il?
M. Doucet : Je vous remercie de la question. Le comité est actuellement composé de quatre membres. Le CSARS compte 18 employés à part moi, le directeur exécutif.
Le sénateur Day : Combien de crédits vous sont affectés chaque année?
M. Doucet : Selon les prévisions budgétaires, on nous affectera l'an prochain environ 2,7 millions de dollars.
Le sénateur Day : C'est à peu près la même somme que l'an dernier? Je suppose que l'information se trouve dans le budget des dépenses.
M. Doucet : Oui. Le budget du CSARS est relativement stable depuis 10 ans. Il tourne autour de 3 millions de dollars.
Le sénateur Day : La loi prévoit combien de membres au comité?
M. Doucet : La Loi sur le SCRS prévoit quatre membres et un président.
Le sénateur Day : Il vous manque une personne?
M. Doucet : À l'heure actuelle, oui, il nous manque une personne.
Le sénateur Day : L'autre question que je voulais vous poser est la même que celle que j'ai posée à maintes reprises cet après-midi au sujet de la décision concernant les demandes de mandat. Revoyez-vous les décisions rendues par le SCRS? Cela fait-il partie de votre mandat? Et quelles normes appliquez-vous alors?
M. Doucet : Je vous remercie de la question. Je suis content d'expliquer le rôle du CSARS en ce qui concerne les mandats.
Premièrement, le CSARS est un organisme d'examen; nous nous penchons donc sur des faits passés. Il examine les activités qui ont été menées. Il ne s'agit pas d'un organisme de surveillance qui prend part aux processus de décision et à l'attribution des tâches du SCRS.
Le SCRS commence par recevoir un mandat, puis, plus tard, nous examinons les activités qu'il a menées dans le cadre de ce mandat. A-t-il respecté son mandat? Y a-t-il eu atteinte à la vie privée ou d'autres choses semblables?
Nous ne faisons donc pas partie du processus de demande de mandats. Nous sommes chargés de l'examen des activités menées dans le cadre des mandats reçus.
Le sénateur Day : Si je comprends bien, la surveillance se fait pendant les activités et l'examen se fait après. Est-ce bien cela?
M. Doucet : C'est exact, oui.
Le sénateur Day : Pendant l'examen, étudiez-vous les activités du SCRS pendant une certaine période et cherchez-vous à déterminer s'il aurait fallu ou non demander un mandat?
M. Doucet : C'est une excellente question, sénateur. Nous n'examinons pas vraiment le processus de demande et ne cherchons pas davantage à déterminer s'il aurait fallu ou non demander un mandat. Nous nous penchons sur les activités qui ont été menées dans le cadre des mandats obtenus.
Le sénateur Day : D'accord.
M. Doucet : Cela ne veut pas dire que nous ne pourrions pas le faire, mais il faut comprendre que le SCRS présente sa demande à un juge fédéral. Comme vous l'avez vu cet après-midi, nous n'examinons pas le processus de justification du mandat auprès du ministère et du ministre. Nous étudions seulement les activités menées dans le cadre du mandat.
Le sénateur Day : Vous avez dit que vous pourriez le faire. Les activités qui pourraient être menées à l'étranger changeraient-elles les choses? Vous faudra-t-il déterminer s'il aurait fallu ou non demander un mandat?
M. Doucet : Rien ne nous interdit d'examiner le processus de demande de mandat, tant qu'aucun secret du Cabinet n'est concerné. Toutefois, nous n'étudions généralement pas la question à savoir s'il aurait été pertinent ou non de demander un mandat.
D'un autre côté, si une opération donnée a été exécutée sans mandat alors qu'un mandat aurait été nécessaire, il est certain que nous le soulignons.
La sénatrice Beyak : Merci, messieurs, de vos présentations.
Monsieur Doucet, veuillez m'éclairer sur un point. Certaines personnes laissent entendre ces jours-ci que vous n'êtes pas en mesure de mener à bien vos examens et que la situation ira en empirant, étant donné le projet de loi C-44 et le mandat modifié du SCRS. D'après votre présentation, il semble pourtant que vous avez les choses bien en main. J'aimerais entendre vos observations à ce sujet.
M. Doucet : Merci, sénatrice. Voilà une excellente question à laquelle je m'attendais de répondre.
Comme vous le savez, nous menons des examens et, pour ce faire, nous disposons de certaines ressources. À mon humble avis, nous nous acquittons de notre tâche de très bonne façon.
Le monde évolue et se complexifie. Les liens qu'entretient le service au pays et à l'étranger se multiplient. J'estime que, dans un tel contexte, la question à poser devrait être : disposons-nous de ressources suffisantes pour mener des examens avec le niveau de profondeur nécessaire?
Actuellement, nous effectuons en général de sept à huit examens par année. Étant donné que les activités du service iront en s'intensifiant, est-ce que ce nombre d'examens sera suffisant pour couvrir l'essentiel de celles-ci? C'est une question qu'il faut se poser, d'après moi.
La sénatrice Beyak : Avez-vous abordé le sujet avec les membres du comité ou le ministre au cours de la dernière année?
M. Doucet : Je vous assure que les membres du comité ont discuté de ce qu'il est possible de faire avec les ressources actuelles. Je ne me gêne pas pour m'exprimer clairement au sujet du mandat du CSARS et de sa capacité à l'assumer.
J'essaie de me souvenir si nous en avons discuté avec le ministre. Je ne suis pas tout à fait certain que nous l'ayons fait.
Le sénateur Ngo : J'aimerais revenir sur la question de la sénatrice Beyak.
Êtes-vous convaincu que vous serez en mesure de remplir votre mandat à la suite des changements qu'apportera le projet de loi C-44?
M. Doucet : Nous sommes en mesure d'accomplir notre mandat. Celui-ci consiste à examiner les activités du service, traiter les plaintes formulées contre le service aux termes des articles 41 ou 42 de la Loi sur le SCRS et valider le rapport annuel du directeur à l'intention du ministre. Je crois que le ministre a parlé de ce rapport.
Les ressources dont nous disposons nous forcent à déterminer avec une grande précision les examens qui seront menés durant une année. Ce mois-ci, en mars, nous soumettrons notre plan pour la prochaine année financière à l'approbation de notre comité, pour entreprendre ensuite les examens prévus pour la prochaine année financière.
Nous sommes en mesure d'accomplir notre mandat. Il faudrait peut-être discuter de notre budget, qui n'a pas augmenté depuis 10 ans. Environ 75 p. 100 de ce budget va aux salaires. Résultat : le financement discrétionnaire qui pourrait aller à de nouvelles tâches ne cesse de diminuer.
Pouvons-nous remplir notre mandat? Absolument. Nous pouvons traiter les plaintes contre le SCRS, valider le rapport annuel du directeur et mener des examens. Il faut se demander si cela suffira à l'avenir, étant donné la complexification des activités du service. Selon moi, au fil des ans, nous verrons décroître le pourcentage des activités du service qui feront l'objet d'un examen.
Le sénateur Ngo : Vous voulez dire qu'étant donné les changements qu'entraînera le projet de loi C-44, un plus grand nombre d'examens seront nécessaires — comparativement aux huit examens menés chaque année, à peu près — et que, pour cette raison, vous aurez besoin, entre autres, de financement et de personnel supplémentaires?
M. Doucet : Le projet de loi C-44 — prenons les opérations à l'étranger, par exemple. J'ai mentionné durant ma présentation que nous visitons un bureau à l'étranger par année. À l'avenir, est-ce que cela suffira pour couvrir les opérations du service à l'étranger? Aujourd'hui, la réponse est bien simple : notre budget ne nous permet pas d'effectuer plus d'une visite à l'étranger par année.
Le sénateur Day : Monsieur Doucet, vous avez mentionné que vous faites un rapport annuel au ministre.
M. Doucet : C'est-à-dire que nous validons le rapport que le directeur soumet annuellement au ministre. Aux termes de la Loi sur le SCRS, le directeur du service doit fournir au ministre un rapport annuel sur les activités du SCRS. Évidemment, il s'agit d'un rapport classifié. Nous attestons que le rapport est complet, exact, et cetera. Vous vous souviendrez peut-être que cette tâche revenait auparavant à l'inspecteur général du SCRS. Lorsque cette fonction a été abolie, la responsabilité nous a été confiée.
Le sénateur Day : Vous faites également rapport au Parlement.
M. Doucet : Oui, c'est exact.
Le sénateur Day : Et cela contribue, en partie, à établir votre indépendance à titre d'organisme d'examen.
M. Doucet : Absolument. Oui, c'est exact, sénateur.
Pour chaque examen que nous exécutons, nous fournissons un rapport classifié au directeur du SCRS et au ministre. Notre rapport annuel contient un résumé de chacun des examens, desquels est retirée toute information relative à la sécurité nationale, secrète ou potentiellement préjudiciable à l'intérêt du pays. Un document hautement classifié de 30 à 40 pages à l'intention du ministre, du ministère et du SCRS peut être résumé en une seule page dans le rapport annuel.
Le sénateur Day : Je crois que quelqu'un a laissé entendre tout à l'heure que, de par son indépendance de l'exécutif, le CSARS se considère comme le prolongement du Parlement.
M. Doucet : En effet, le ministre l'a dit un peu plus tôt aujourd'hui.
Le sénateur Day : C'est cela. Je savais que quelqu'un avait utilisé le terme, mais que ce n'était pas vous. J'ai trouvé l'expression intéressante, si nous établissons un parallèle avec le vérificateur général, qui est un agent du Parlement. Peut-on vous considérer comme un comité? Non, nous ne pouvons vous appeler un comité. Vous n'êtes pas un organisme, mais une entité du Parlement, en quelque sorte?
M. Doucet : Jusqu'à ce jour, je n'avais jamais entendu l'expression « prolongement du Parlement ». C'est avec beaucoup de fierté que je parle, en public ou en d'autres circonstances, de notre indépendance et du fait que nous faisons rapport au Parlement. C'est ainsi que je vois notre organisation : très indépendante — farouchement indépendante, selon certains. En effet, nous décidons nous-mêmes des examens qui seront menés durant l'année financière subséquente. Nous soumettons ce plan à l'approbation du comité, mais ce sont nos chercheurs qui décident du plan de recherche, que je dois approuver, évidemment.
Tous les ans, nous déterminons quels examens devraient entrer dans le plan de l'année suivante, en nous basant sur les travaux exécutés au cours des cinq dernières années. En outre, il est possible qu'une constatation faite durant l'année financière courante nous emmène à effectuer un autre examen important au cours d'une année suivante.
C'est ainsi que nous fonctionnons. Je suis très fier de notre indépendance, car je l'estime absolument essentielle pour effectuer notre travail comme il se doit.
Le sénateur Day : Deux choses découlent de votre réponse. La première concerne votre budget. Pour ce qui est de l'indépendance — nous avons discuté de ce sujet avec des agents du Parlement —, si l'exécutif fixe votre budget, cela limitera votre marge de manœuvre. Pensons au directeur parlementaire du budget. Comment votre budget est-il établi et quel rôle joue l'exécutif à cet égard?
M. Doucet : Voilà une question excellente et brûlante d'actualité. Si nous établissons à l'avenir qu'il nous faut davantage de financement pour mener à bien le travail qui nous est confié en vertu de la loi, nous nous soumettrons à un cycle budgétaire, où nous créerons un budget et demanderons des ressources.
Le sénateur Day : Au Conseil du Trésor?
M. Doucet : C'est exact. Nous nous adresserions au Conseil du Trésor. Nous ferions une demande basée sur nos prévisions quant à l'avenir.
Le sénateur Day : La deuxième chose qui découle de votre réponse a trait au prolongement du Parlement. Je présume que si les quatre membres et le président étaient tous des parlementaires, le comité serait d'autant plus considéré comme un prolongement du Parlement.
M. Doucet : En effet. En ce moment, il en est autrement : le comité est formé d'une parlementaire à la retraite, l'honorable Deborah Grey, et de trois autres personnes qui n'ont jamais fait partie du Parlement. À mon arrivée dans l'organisation, certains membres étaient issus de la politique provinciale — des députés provinciaux.
Le sénateur Day : Un peu plus tôt, il a été question de Ron Atkey, un ancien parlementaire dont on dit beaucoup de bien.
Le président : Pourrais-je faire une demande à M. Therrien? Vous avez mentionné durant votre présentation que 14 organismes faisaient l'objet d'aucune surveillance. Pourriez-vous faire parvenir une liste de ces organismes à la greffière?
M. Therrien : Oui. Je parlais des organismes destinataires en vertu du projet de loi C-51.
Le président : Oui.
M. Therrien : La liste se trouve à l'annexe 3 du projet de loi C-51.
Le président : Nous allons la trouver.
Chers collègues, nous voici à la fin de la séance. Je remercie les témoins de leur présence et je leur permets de disposer.
(La séance est levée.)