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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 14 - Témoignages du 23 mars 2015


OTTAWA, le lundi 23 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 13 heures pour étudier le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres lois qui lui a été déféré.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la séance du lundi 23 mars 2015 du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Avant d'accueillir nos témoins, je vais présenter les membres du comité.

Je m'appelle Dan Lang et je suis un sénateur du Yukon. Immédiatement à ma gauche se trouve la greffière du comité, Josée Thérien. Nous allons maintenant faire un tour de table, et j'inviterais les sénateurs à se présenter et à nommer la région qu'ils représentent, en commençant par le vice-président du comité.

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, de la province de Québec.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Day : Joseph Day, du Nouveau-Brunswick. Je tiens à faire une déclaration d'intérêt : je suis diplômé du Collège militaire royal du Canada, là où un de nos témoins enseigne.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Baker : George Baker, de Terre-Neuve-et-Labrador. Je ne suis pas un membre du Comité de la défense. Je suis un membre du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je suis venu ici pour assister aux témoignages et peut-être poser deux ou trois questions, si le président le veut bien.

Le président : Je tiens à souhaiter la bienvenue au sénateur Baker.

Sénateur, vous devenez rapidement le doyen du Sénat. C'est toujours un grand plaisir lorsque vous venez nous faire profiter de votre sagesse.

Chers collègues, le Sénat a déféré au comité le projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres lois.

Tandis que nous poursuivons notre étude du projet de loi, je suis heureux d'accueillir Christian Leuprecht, professeur agrégé au Département de sciences politiques et d'économie du Collège militaire royal du Canada, et Garth Davies, professeur agrégé à l'École de criminologie de l'Université Simon Fraser.

Messieurs, nous vous remercions d'avoir pris le temps de comparaître pour discuter du projet de loi C-44. Je crois savoir que vous avez chacun une déclaration préliminaire. Je vais demander à M. Leuprecht de commencer. M. Davies passera ensuite.

Christian Leuprecht, professeur agrégé, Département de sciences politiques et d'économie, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Merci de me donner la possibilité de témoigner devant le comité. Je crois qu'il s'agit d'une loi très importante. Je voudrais émettre trois courtes remarques. Je n'ai pas présenté d'observations écrites, mais je serai heureux de vous en fournir après la discussion dans le but de répondre de façon plus approfondie aux questions que vous nous poserez.

Pour commencer, selon moi, ce projet de loi est un peu comme un retour vers le futur. Les gens semblent croire que, en quelque sorte, le projet de loi donne beaucoup de nouveaux pouvoirs au SCRS. Ce n'est pas le cas. La pratique dont il est question ici est en fait une pratique courante du Groupe des cinq depuis sa création. Essentiellement, cette pratique est de mise en raison du contexte de menaces et des capacités technologiques. Il ne s'agit pas vraiment de quelque chose de fondamentalement nouveau lorsqu'on regarde bien ce qui est vraiment proposé. C'est pourquoi je vois la situation comme un retour vers le futur. C'est pour cela que je ne suis pas aussi préoccupé par le projet de loi que le sont peut-être d'autres personnes.

Je tiens aussi à souligner que la raison pour laquelle nous sommes tous ici aujourd'hui... Je ne suis pas au courant du cas en tant que tel, alors je ne peux pas savoir si le SCRS a trompé le juge Mosley ou si ce dernier a plutôt mal interprété les circonstances. Le juge Mosley comprend très bien le dossier de la sécurité nationale, mais, à mon avis, le projet de loi soulève aussi certaines questions intéressantes quant à la mesure dans laquelle nous devons nous assurer de limiter l'intervention du pouvoir judiciaire dans ce genre de dossiers.

Aujourd'hui, j'aimerais formuler deux suggestions précises au comité. Ce sont des suggestions que je vais aussi formuler ce soir à la Chambre des communes, où je comparaîtrai dans le cadre de l'étude du projet de loi C-51.

Premièrement, il y a certaines craintes liées au processus d'examen du travail du SCRS. Ce qui me préoccupe tout particulièrement au sujet du processus d'examen, c'est que, actuellement, la compétence du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité se limite au SCRS. Lorsque le SCRS transmet des renseignements à d'autres organismes — notamment lorsque les lettres de divulgation que le SCRS fournit à la GRC mènent au processus de transformation en preuve des informations ou lorsque des renseignements sont communiqués à d'autres organismes —, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité n'a pas le pouvoir de faire un suivi de ces renseignements. Il n'a pas la capacité de s'assurer que ces autres organismes — comme vous le savez probablement, il y en a 15, à l'exclusion du ministère de la Défense nationale — manipulent réellement ces renseignements conformément à la loi et au mandat en vertu duquel ils ont été recueillis ou communiqués par les autres partenaires étrangers.

J'aimerais suggérer une légère modification du mandat du SCRS afin qu'on puisse faire un suivi des renseignements communiqués à d'autres organismes. Je tiens à souligner que je ne propose pas la création d'un super CSARS. Je ne suggère pas non plus d'élargir le champ de compétence du comité à toute l'infrastructure de sécurité nationale ni ne propose d'accorder au CSARS une quelconque compétence relativement aux enquêtes de la GRC. Je crois que c'est là un faux débat, et ce, d'un grand nombre de points de vue juridiques et opérationnels.

Je mentionne seulement que le CSARS devrait pouvoir faire un suivi de renseignements précis qui sont communiqués à un autre organisme pour savoir où ils sont allés, de quelle façon ils ont été manipulés et s'ils l'ont été conformément à la loi.

Le CSARS peut actuellement appeler la GRC, l'ASFC et le ministère des Affaires étrangères. Le problème, en ce moment, c'est que, lorsque c'est le cas, il se fait habituellement dire : « Vous n'avez pas vraiment de compétence et vous ne pouvez pas nous obliger à faire quoi que ce soit. » De façon générale, il n'obtient jamais rien à une exception près, le CST.

C'est l'une de mes propositions concrètes, et je crois qu'une modification relativement simple du libellé remédierait au problème si le gouvernement n'est pas disposé à l'inclure dans le projet de loi C-51. J'espère que vous serez disposé à l'inclure dans le projet de loi C-44. Cela n'exigerait pas de nouvelles ressources, de nouvelles lois ni de nouvelles structures bureaucratiques. Je crois qu'on pourrait ainsi grandement améliorer le processus d'examen touchant les renseignements de sécurité au sein du gouvernement.

Mon autre proposition concerne le fait que, au bout du compte, certains affirment que le processus d'examen actuel est en lambeaux et qu'il faut adopter une imposante nouvelle architecture.

C'est là un argument valable. Selon moi, le SCRS vous dirait que le CSARS a fait de lui un bien meilleur organisme, parce que c'est un peu comme un processus d'examen par les pairs. L'objectif est non pas seulement de confirmer que tout a été fait selon les règles, mais de s'assurer que la méthode, le perfectionnement professionnel et toutes les capacités voulues sont en place et de se demander ce qui aurait pu être mieux fait et quelles sont certaines des lacunes.

Il y a peut-être matière à réflexion générale en ce qui concerne l'architecture de sécurité nationale. Peut-être qu'un processus d'examen plus général serait utile, mais je ne suis pas un grand partisan de l'adoption d'une structure pangouvernementale. Selon moi, les cinq principaux organismes de renseignement de sécurité sur lesquels il faut mettre l'accent sont le CST, le SCRS, l'ASFC, la GRC et le ministère des Affaires étrangères. Cependant, je ne crois pas que, dans la situation actuelle, ce soit absolument nécessaire, parce que les trois autres organismes, à part le SCRS et le CST, ne s'adonnent pas concrètement pas à la collecte cachée de renseignements. Une bonne partie des renseignements qu'ils manipulent sont de source ouverte ou viennent d'autres partenaires.

On pourrait faire valoir l'opportunité d'adopter un cadre d'examen plus robuste, mais je ne crois pas que ce soit là un aussi grand défi. Le SCRS est l'organisme de renseignement de sécurité le plus contrôlé de l'Occident et, par définition, du monde entier. Il est aussi important de trouver un juste équilibre entre la liberté dont les gens ont besoin pour faire leur travail et leur imputabilité.

À ce sujet, je ferais valoir que le principal défi ne tient pas vraiment à l'examen. Le défi principal, c'est de convaincre les Canadiens que le cadre d'examen est efficace et qu'il fonctionne. Les Canadiens se demandent : « De quelle façon le gouvernement peut-il s'assurer que mes droits et libertés n'ont pas été violés? » Eh bien, je proposerais, en réaction, un processus semblable à celui adopté au Royaume-Uni et dans le cadre duquel l'opposition pourrait soumettre des candidats au premier ministre. Le premier ministre pourrait choisir deux ou trois personnes dont le nom figure dans la liste et leur accorder les autorisations nécessaires. Essentiellement, on mettra en place un comité distinct parce que, comme vous le savez, dans le cadre d'une procédure parlementaire, on ne pourrait pas tout simplement utiliser la structure de comité actuelle. Il faudrait créer un comité distinct. Ce comité, qui serait composé de personnes autorisées à consulter des documents très secrets et ayant été assermentées en tant que conseillers privés — ce qui signifie qu'elles doivent préserver la confidentialité —, pourrait lire les rapports du CSARS et du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. Le commissaire et le CSARS comparaîtraient devant le comité pour l'informer, ce qui permettrait aux membres de l'opposition de poser des questions. De telles réunions auraient lieu assez régulièrement.

Les membres de ce comité ne pourraient pas parler publiquement de ce qu'ils ont appris en raison de l'autorisation reçue et de leur assermentation, mais je crois vraiment que nous avons besoin d'un processus qui est, essentiellement, non partisan. Je sais que, aux yeux du gouvernement, un mot de trop, c'est un vaisseau en moins, mais il y a beaucoup de personnes d'expérience au sein du Parlement qui comprennent l'importance des documents classifiés. En outre, si nous les choisissons prudemment, nous pouvons trouver des personnes très compétentes qui poseraient de très bonnes questions.

Si le gouvernement adoptait cette proposition, qui exigerait une modification du libellé juridique actuel, je suggérerais que la liste des membres de l'opposition contienne non pas seulement des représentants de la Chambre des communes, mais aussi des sénateurs parce que, bien sûr, il y a des gens de grande expérience au Sénat. Cela donnerait aussi au premier ministre une plus grande marge de manœuvre quant au choix des membres du comité.

Cela termine ma déclaration préliminaire, monsieur le président.

Le président : Merci.

Nous allons maintenant passer à M. Davies.

Garth Davies, professeur agrégé, École de criminologie, Université Simon Fraser, à titre personnel : Bonjour. Merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. C'est un réel honneur d'être ici. Par respect pour le travail du comité, je serai bref, et j'espère que les membres auront des questions à me poser après.

Je ne suis pas un avocat. J'étudie le terrorisme depuis environ 20 ans, et c'est à ce titre que je m'adresse à vous aujourd'hui. Je vais laisser les détails juridiques à des gens qui sont bien mieux placés que moi pour en parler.

J'ai trois choses à vous dire. La première, c'est que le danger que représente l'extrémisme violent est bien réel. J'entends beaucoup de belles paroles à ce sujet, mais je ne suis pas convaincu que tout le monde comprend vraiment bien le changement de paradigme que nous vivons dans le contexte actuel. Je crois que les dangers — les menaces contre le Canada et le mode de vie canadien — sont bien réels, et c'est pour cette raison qu'il faut agir.

Sans vouloir être alarmiste, les défis auxquels nous sommes confrontés sont sans précédent. Nous entrons dans une ère tout à fait nouvelle, y compris, par exemple, le fait que nous vivons dans un monde hyperconnecté où les frontières ne veulent plus dire grand-chose aux gens mal intentionnés. Les moyens de recrutement et de radicalisation sur Internet s'accroissent et évoluent rapidement. Il y a des menaces accrues liées à certains types de terrorisme local et aux loups solitaires. En outre, il y a des risques potentiels de violence associés aux personnes qui reviennent après être allées se battre à l'étranger, ceux qu'on appelle les combattants étrangers. Dans une certaine mesure, ce sont des choses que nous avons déjà vues, mais pas de façon aussi intense.

Ce genre de menaces — et ma liste n'était pas exhaustive — donnent à penser et signifient qu'il faut moderniser notre mode de réflexion concernant le renseignement de sécurité et le contre-terrorisme. À mon avis, le projet de loi C-44 est nécessaire dans le cadre du processus de modernisation : il fait partie de la réaction à ce que nous avons reconnu être notre nouvelle réalité.

Deuxièmement, à la lumière de mon étude de la question au fil des ans, l'une des caractéristiques les plus frappantes et les plus problématiques du terrorisme, c'est la vitesse à laquelle les groupes et les organisations terroristes s'adaptent aux diverses techniques de détection et aux obstacles auxquels ils sont confrontés. Ils changent constamment de tactiques. En fait, une bonne partie de l'histoire du terrorisme et du contre-terrorisme consiste à faire du rattrapage : de leur côté, les terroristes font preuve d'innovation, et nous, du nôtre, nous essayons de réagir. Selon moi, une bonne partie de nos méthodes actuelles n'ont pas été conçues pour gérer cette menace, raison pour laquelle elles sont maintenant périmées.

Par exemple, il y a de moins en moins de groupes que l'on peut infiltrer. On ne peut plus cibler les têtes dirigeantes de ces organisations. Il n'y a personne avec qui négocier. Il s'agit d'un contexte qui est fondamentalement nouveau. Par exemple, actuellement, nous gérons une version très extrême de la notion de résistance non dirigée de Louis Beam. Cette notion a été multipliée à la puissance X et est poussée à l'extrême.

La question qu'il faut maintenant se poser est la suivante : « À quoi faut-il maintenant s'attendre? » En effet, les choses vont inévitablement changer. Elles vont changer, et il est très difficile de savoir ce qui nous attend. Par exemple, certaines personnes ont prédit que la prochaine vague de terrorisme sera technologique, et nous frémissons à l'idée de ce que cela signifiera et de notre capacité d'y réagir. Il ne s'agit même pas nécessairement de personnes qui n'ont ne serait-ce qu'une idéologie précise quelconque.

Ce que nous savons, c'est qu'il y a un processus d'apprentissage en cours. C'est ce que nous apprennent les événements récents. Et je parle de l'apprentissage de ceux qui nous veulent du mal, de leurs actions et des stratégies et tactiques qu'ils utilisent.

Selon toute vraisemblance, la prochaine attaque — la prochaine vague — sera différente. Il est peu probable qu'ils essaient encore de contourner la sécurité pour s'attaquer à la Colline du Parlement. Il est peu probable que cette attaque se reproduise. Ce sera quelque chose d'autre. Je ne peux pas vous dire de quoi il s'agira, mais je crois que nous avons besoin d'outils comme ceux proposés dans le projet de loi C-44. Des outils qui nous donneront la souplesse et la marge de manœuvre nécessaires dans le cadre de notre approche de façon à ce que nous puissions nous attaquer à ces problèmes.

Troisièmement, dans ce contexte, j'estime que l'accès à de l'information en temps réel est critique. Un tel accès sera peut-être nécessaire. En effet, il le sera bel et bien, ne serait-ce que pour rester à l'affût des complots potentiels. Nous pouvons imaginer des situations où il faudrait privilégier un informateur ou communiquer de l'information.

Le projet de loi inclut clairement des mesures qui sont très différentes des pratiques du passé. J'affirme que ces mesures reflètent la réalité actuelle et permettent d'anticiper de potentielles situations futures.

Merci de votre temps.

Le président : Merci beaucoup de vos exposés. À titre d'observation au sujet du projet de loi C-44 et de la question de la surveillance et du processus d'examen qui est déjà en place, de même que du projet de loi lui-même ainsi que des enjeux auxquels nous sommes confrontés, je veux rappeler aux sénateurs que le projet de loi C-51 s'en vient. Et on parlera à ce moment-là longuement de la question de la surveillance.

Il y a des articles précis du projet de loi C-44 qui concernent nos organismes d'application de la loi. Je vous demande de poser des questions là-dessus — je ne dis pas que vous ne pouvez pas parler de surveillance —, puisque nous devons parler des aspects du projet de loi et nous assurer que les experts que nous rencontrons formulent des observations à ce sujet.

Sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci, messieurs. Vos déclarations étaient très intéressantes. Je vais commencer par M. Davies.

Une de vos remarques a vraiment piqué ma curiosité. Vous avez parlé des choses qui changent et de la façon dont les attaques ou les menaces de demain seront très différentes. Il n'y a plus de chefs, alors ces groupes sont encore plus difficiles à cibler.

Certains d'entre nous estiment que l'un des problèmes, c'est le manque de ressources. Je ne sais pas dans quelle mesure vos recherches ont porté sur le SCRS, la GRC ou d'autres organismes, mais, si on coupe leurs budgets alors qu'ils arrivent déjà à peine à trouver les ressources dont ils ont besoin, les 600 employés responsables d'autres dossiers au sein de la GRC qui seront affectés aux enquêtes quotidiennes... Qui réfléchit à ce que sera la prochaine phase et à la façon réagir aux possibilités technologiques ou cybernétiques? Où réfléchit-on à ces questions? Qui a les ressources pour le faire?

M. Davies : On réfléchit à ces choses, sénateur. Je suis d'accord. Il est évident qu'il y a, d'un côté, ce que nous proposons du point de vue des lois et des capacités, et, de l'autre, les ressources qui permettent, concrètement, de tout mettre en place. Même si nous étirons les ressources, c'est une situation à laquelle on pourrait remédier. Mais nous aurions tout de même besoin d'un cadre pour y arriver.

Pour répondre à votre question, régulièrement, dans le cadre de discussions avec l'EISN, dans la division E — parce que je vis à l'autre bout du monde, à Vancouver —, d'une façon ou d'une autre, des gens réfléchissent à ces questions, que ce soit en travaillant sur le coin d'un bureau ou dans le cadre de divers projets, ils essaient de définir certaines de ces choses. Bien sûr, ces personnes trouvent malheureux d'avoir à travailler sur ces divers projets sur le coin de leur bureau, pour mettre au point, par exemple, des technologies.

Je discute donc avec les représentants de l'EISN-E au sujet d'un ensemble d'algorithmes que nous avons mis au point pour optimiser les recherches sur Internet. Les gens sont au courant, alors on en parle. C'est un processus progressif dans le cadre duquel on mobilise une personne, puis une autre, et on essaie ainsi de gravir les échelons.

Comme vous l'avez dit, globalement, il n'y a pas assez de ressources, de temps et d'attention consacrés à ces questions à l'échelle organisationnelle. Actuellement, ce semble être le travail ou l'intérêt de deux ou trois personnes qui s'y consacrent vraiment et qui tentent de faire avancer le dossier.

M. Leuprecht : J'ai deux réflexions à ce sujet. L'une, c'est que nous vivons dans une démocratie fondée sur une prévention limitée de l'État et, au bout du compte, la question que nous nous posons consiste à savoir quel niveau d'intervention étatique nous privilégions, quel pouvoir nous voulons accorder à l'État et quels coûts nous sommes prêts à engager. Nous devons discuter non seulement des ressources, mais des outils. Certaines personnes estiment qu'il faut accorder plus de ressources à ces organismes, mais, selon moi, si un plombier arrive chez un client avec les mauvais outils — ou, disons, avec comme seul outil un marteau — pour résoudre un problème de plomberie complexe, plutôt que d'appeler un deuxième plombier qui, pas plus que le premier, n'aura les bons outils, il est préférable de s'assurer que le premier plombier a les bons outils pour faire le travail. Au bout du compte, si nous sommes préoccupés par les libertés individuelles, il faut reconnaître que le fait de consacrer plus de ressources à ce dossier constitue peut-être une plus grande menace aux libertés. En effet, simplement en raison de leur effectif accru, nous nous retrouverions avec des organismes qui sont parmi les plus puissants et les plus susceptibles de compromettre les libertés des gens. Je préfère avoir le bon nombre de personnes et leur fournir les bons outils plutôt que de simplement consacrer plus d'argent au problème.

J'ai des points de vue très arrêtés en ce qui concerne la question précise de savoir si la GRC manque de ressources. L'un des défis de la GRC, c'est non pas qu'elle n'a pas suffisamment de ressources, mais plutôt qu'elle doit mettre en place un bon programme de perfectionnement professionnel afin que les gens puissent faire le travail qu'on leur demande.

Le mécanisme actuel de perfectionnement professionnel de la GRC, si je peux me permettre, ne fonctionne pas. Nous pourrions avoir moins de ressources et mener des enquêtes tout aussi efficaces ou même meilleures si les intervenants bénéficiaient de la formation adéquate pour s'acquitter des tâches complexes qui leur incombent. Un système qui récompense un agent d'un détachement sous contrat de la GRC en l'affectant aux crimes financiers à Toronto n'est pas un mécanisme de formation approprié.

Je travaille sur un projet distinct dans le cadre duquel nous proposerons de séparer complètement les services de police fédéraux et de créer un mécanisme d'application de la loi authentiquement fédéral et indépendant ayant le mandat de la GRC et des services de police à contrat sans qu'il y ait de mouvement entre les deux instances.

Le défi, ici, ce ne sont pas les ressources, c'est plutôt de s'assurer que les bonnes personnes font les bonnes choses. Malgré tous les efforts de la GRC, et malgré le fait qu'elle emploie des personnes très compétentes, je ne suis pas convaincu que la structure actuelle de recrutement, de formation et de perfectionnement de la GRC lui permet de répondre à nos besoins en matière de sécurité nationale aussi bien qu'elle ne le pourrait.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais poursuivre dans la même veine. C'est une affirmation puissante que vous venez de faire, et elle résonnera tant chez les membres du comité qu'auprès du public. Essentiellement, vous dites, dans une certaine mesure, ne pas croire que les membres de la GRC bénéficient de la formation adéquate pour offrir les services de sécurité nationale ou mener les enquêtes sur la sécurité nationale, comme on s'attend à ce qu'ils le fassent dans la situation actuelle.

M. Leuprecht : Je crois qu'on demande à la GRC de faire trop de choses. D'après ce que j'en sais, aucun autre service de police dans le monde démocratique n'a un mandat aussi large que celui de la GRC. Il y a des problèmes liés à la structure hiérarchique; on ne peut tout simplement pas faire passer les gens des crimes financiers au crime organisé, à la contrebande de tabac, à la traite de personnes ou à la pornographie infantile, puis leur demander de gérer un service de police local à contrat pour ensuite les affecter à une enquête sur la sécurité nationale ou à d'autres enquêtes en cours de nature très délicate. Aucun autre service de police fédéral ou national important que je connaisse dans le monde occidental ne fonctionne de cette façon.

Nous pourrions le faire, s'il y avait, au sein de l'organisation, des gens formés et qualifiés qui ont l'ensemble de compétences nécessaires pour pouvoir passer facilement d'une fonction à une autre. Cependant, une organisation qui, dans un premier temps, demande des qualifications minimales — il faut avoir un diplôme d'études secondaires et pas de casier judiciaire — et dans laquelle il est par la suite possible de gravir les échelons en suivant quelques cours ici et là... Je suis désolé, mais, pour moi, ce n'est pas une bonne façon d'assurer la sécurité nationale.

Le sénateur Mitchell : Un autre point important que vous avez soulevé, c'est que, même si vous croyez que la question de la surveillance est moins préoccupante que certains le disent, vous avez tout de même souligné l'incapacité du CSARS de faire un suivi des renseignements que le SCRS communique, non seulement aux membres du Groupe des cinq — ce que, inévitablement, elle fait presque systématiquement —, mais aussi avec les 14 ou 15 autres organismes. Puis, vous avez très bien souligné, comme un avocat se doit de le faire, la question des libertés civiles et du niveau d'intrusion acceptable.

Vous dites que nous devons pouvoir, assurément, faire un suivi des renseignements communiqués, n'est-ce pas? Et vous le dites dans le contexte du dossier Maher Arar, dans lequel nous n'avons pas fait de suivi de l'information une fois qu'elle n'était plus entre nos mains.

M. Leuprecht : Nous célébrons le 800e anniversaire de la Magna Carta cette année. Il s'agit de la prémisse fondamentale de la démocratie. Si nous retournons à l'époque romaine et à Juvenal — qui nous rappelle tous la question de savoir qui observe ceux qui nous observent —, je crois que c'est très important.

Sénateur, permettez-moi de faire une distinction très claire : je parle non pas de surveillance, mais d'examen. Lorsque nous parlons de surveillance, nous parlons d'un système semblable à celui du Congrès américain, qui politise les enquêtes en cours. Je suis très préoccupé lorsque les gens parlent de surveillance, parce que je ne crois pas qu'il faut faire de la politique dans ce domaine. La dernière chose que nous voulons, c'est politiser ces enquêtes très délicates et ces organismes qui font un travail très délicat. Je ne crois pas qu'il faut les politiser par l'intermédiaire d'une surveillance.

Ce dont nous avons besoin, c'est d'un solide mécanisme d'examen pour nous assurer que tout a bel et bien été fait dans les règles de l'art. Selon moi, globalement, même si notre système a parfois des ratés, comme vous l'avez souligné avec justesse dans le cas du dossier Arar, nous avons de bons mécanismes en place pour essayer de régler ces cas, et nous devons nous assurer de ne pas faire d'un cas une tendance lourde. Le cas Arar était un problème de la GRC et non un problème général du renseignement de sécurité.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai deux questions. Ma première s'adresse à M. Leuprecht. Dans l'hypothèse où le projet de loi ne serait pas adopté, pouvez-vous me donner des exemples de la façon dont cela pourrait nuire au travail du SCRS? En fait, le projet de loi devrait soutenir le travail du SCRS. Pouvez-vous me donner des exemples?

[Traduction]

M. Leuprecht : La limite du système actuel, c'est que le SCRS réalise une bonne partie de ses activités à l'extérieur du pays aux termes du mandat prévu à l'article 12. À ce titre, sa capacité de recueillir des renseignements est très limitée.

Selon moi, pour un petit pays comme le Canada, il devient indispensable de se doter d'un mécanisme d'échange efficace avec nos alliés, et en particulier avec le Groupe des cinq. Si on réfléchit à l'infrastructure de sécurité internationale, le Groupe des cinq se trouve au sommet de la pyramide. Le fait d'être au sommet de cette pyramide signifie qu'il doit y avoir un certain niveau de réciprocité entre les organismes pour dépasser le sophisme de composition et de façon à ce que l'ensemble soit effectivement plus grand que la somme de ses parties.

Selon moi, le projet de loi rétablit et facilite ces gains positifs nécessaires pour maintenir notre position au sommet de la pyramide de la sécurité internationale.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'imagine que vous connaissez la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Re X; en quoi cette décision de la Cour d'appel dans l'affaire Re X a-t-elle influé sur les enquêtes du SCRS à l'étranger?

[Traduction]

M. Davies : Je suis désolé, sénateur. Je ne crois pas avoir les qualifications nécessaires pour bien répondre à cette question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Pourriez-vous ajouter quelque chose, monsieur Leuprecht? Connaissez-vous la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Re X?

M. Leuprecht : Parlez-vous de la décision du juge Mosley?

Le sénateur Dagenais : Oui, effectivement. Comment cette décision a-t-elle influé sur les enquêtes du SCRS?

M. Leuprecht : Est-ce la plus-value des moyens prévus par le projet de loi C-44 qui vous intéresse? Est-ce bien la question?

Le sénateur Dagenais : Oui, effectivement.

[Traduction]

M. Leuprecht : Un des défis, c'est que nous avons un service de renseignement extérieur, mais pas de service de renseignement humain extérieur. Notre service de renseignement extérieur, c'est le CST, le Centre de la sécurité des télécommunications. Il s'agit d'un organisme de renseignement d'origine électromagnétique. Par conséquent, notre principal moyen pour recueillir des renseignements internationaux à l'étranger, c'est lorsque le SCRS, dans le cadre d'enquêtes justifiées, demande au CST de lui fournir certains types de renseignements. Je tiens à souligner qu'il faut pour cela que le SCRS obtienne un cadre juridique requis avant de se tourner vers le CST pour lui demander ce type de renseignements. De plus, cela exige que nous travaillions avec ces pays, nos alliés les plus proches, qui possèdent des services de renseignement humains et qui, en raison de leurs ressources, peuvent recueillir et analyser des renseignements d'une façon que ne peut pas utiliser le SCRS, et ce, non seulement en raison des contraintes juridiques actuelles, mais aussi pour des raisons de financement.

Est-ce que, personnellement, je préférerais que le gouvernement fasse ce qu'il faut et libelle le chèque de 500 millions de dollars nécessaires pour vraiment séparer les activités de renseignement étranger du SCRS de ses activités de renseignement au pays? Oui, mais lorsque le gouvernement — et ce n'est pas juste le gouvernement actuel, ce sont aussi les gouvernements passés — voit la facture dont s'assortit cette proposition, il dit simplement : « Nous n'avons pas ces fonds, continuez simplement à faire ce que vous faites aux termes des articles 12 et 16. » Comme nous n'avons pas de service de renseignement humain extérieur, vous comprenez que les mesures prévues dans le projet de loi sont absolument indispensables si l'on veut que le SCRS puisse réaliser son mandat au Canada, mais aussi son mandat au sein du Groupe des cinq et pour qu'on puisse vraiment mettre l'épaule à la roue comme il faut le faire lorsqu'on participe à une initiative collective de renseignement de sécurité.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, messieurs, d'être là.

J'ai bien aimé vous entendre parler des outils, parce que je suis d'accord avec vous. Je crois que les outils sont essentiels et qu'il nous en faut des meilleurs. En ce qui concerne le projet de loi, je vais m'en tenir à deux aspects : l'amélioration de la coopération entre le SCRS et la GRC et les citoyens à double nationalité et le droit de retirer la citoyenneté dans certaines conditions bien précises.

Pouvez-vous tous les deux nous parler de ces dispositions?

M. Leuprecht : Je crois que la relation du SCRS et de la RCMP évolue. Je peux vous fournir les références précises des décisions des tribunaux. Il y a maintenant une procédure normale d'exploitation simple sur la coopération entre le SCRS et la GRC, mais il reste des obstacles juridiques à la pleine coopération qui est requise. Je crois que le projet de loi C-44 élimine certains des obstacles dans la relation de travail entre le SCRS et la GRC, comme cela a été défini à la suite de certaines décisions précises des tribunaux.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci.

M. Davies : Je me ferai l'écho de ce que M. Leuprecht a dit au sujet de la GRC et du SCRS. Ayant travaillé en collaboration avec la GRC, je sais que la relation n'est pas aussi conflictuelle qu'elle l'a déjà été. Je réalise certains travaux en collaboration avec le RTIC, le Real Time Intelligence Centre, en Colombie-Britannique. Des membres du SCRS participent aux activités du centre ou peuvent y participer, et la relation de travail est positive. Je crois que le projet de loi va plus loin pour essayer de déterminer quelles sont certaines de ces choses.

Il serait intéressant de savoir ce qui ressortira du projet de loi C-51, quant à la mesure dans laquelle nous modifierons le mandat du SCRS et ce qui a été appelé ses « pouvoirs cinétiques », et dans quelle mesure ce chevauchement fera en sorte que les deux groupes s'affronteront sur le terrain et sur le plan juridique. C'est l'une des choses qui sont intéressantes en raison de la présentation simultanée des projets de loi C-44 et C-51. Nous essayons de jongler avec tout cela. Qu'est-ce qui se produira? Les dominos tombent à des moments différents. C'est utile dans cette optique, mais il reste beaucoup de choses à déterminer avant qu'on puisse avoir une idée du résultat final.

M. Leuprecht : Je ne suis pas trop préoccupé par les dispositions sur la double citoyenneté et le fait de retirer la citoyenneté à certaines personnes, à une exception près. Il y a des pays où l'on ne peut pas renoncer à sa citoyenneté, alors le gouvernement doit mettre en place un processus en vertu duquel quelqu'un peut communiquer avec le gouvernement et renoncer effectivement à son autre citoyenneté. Essentiellement, elle pourrait quasiment le faire en remettant son passeport de l'autre pays. Dans notre système fondé sur la primauté du droit, je ne crois pas que nous devrions pénaliser ces citoyens qui aimeraient pouvoir faire preuve d'une allégeance sans compromis à l'État, mais qui ne peuvent pas le faire parce que leur propre gouvernement ne leur permet pas de renoncer à leur autre citoyenneté.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends. Merci à vous deux.

Le sénateur Day : Messieurs, merci beaucoup de vos observations. Vous nous laissez avec un certain nombre de pistes de réflexion intéressantes.

Je tiens à apporter une précision par rapport à ce vous avez dit, monsieur Leuprecht. En ce qui concerne votre deuxième recommandation selon laquelle le CSARS devrait avoir le pouvoir faire un suivi des renseignements communiqués par le SCRS, vous avez dit que diverses organisations peuvent recevoir des renseignements au Canada d'un des membres du Groupe des cinq. C'est ce que je voulais préciser. Par conséquent, votre recommandation consiste simplement à élargir les pouvoirs du CSARS afin qu'il puisse faire un suivi des renseignements qui sont communiqués à d'autres organismes canadiens par le SCRS? C'est exact?

M. Leuprecht : Exactement, sénateur.

Le sénateur Day : Il y a quelque chose que je ne comprends pas très bien, et vous pourrez peut-être régler ce problème assez rapidement. L'article 8 du projet de loi C-44 porte sur l'article 21 de l'actuelle Loi sur le SCRS et concerne le directeur, ou tout employé désigné à cette fin, voulant obtenir un mandat pour des motifs valables. Si vous regardez le début du projet de loi, on y précise le fait que le SCRS peut exercer ses fonctions au Canada et à l'étranger.

Est-il prévu implicitement que, lorsque le service travaille à l'extérieur du Canada, il doit toujours obtenir un mandat? Ou, comme M. Leuprecht l'a mentionné au sujet du recours au Centre de la sécurité des télécommunications, qui lui, s'occupe de la collecte de renseignements à l'étranger, le CST doit-il obtenir un mandat avant de pouvoir s'acquitter des tâches que le SCRS lui demande de faire à l'extérieur du Canada?

M. Leuprecht : Toute activité qui concerne des citoyens canadiens est justifiée, et toute activité qui concerne des citoyens des pays du Groupe des cinq doit être une activité justifiée par les autres membres du Groupe des cinq. Si cela exige la communication de renseignements avec un service canadien, il faudra alors que le SCRS respecte la norme juridique canadienne avant de pouvoir communiquer ce type de renseignement. Il est important de faire une distinction entre les citoyens canadiens, les citoyens du Groupe des cinq et les particuliers qui ne sont pas des citoyens. Les résidents permanents relèvent d'une catégorie légèrement différente. C'est ce que j'en comprends, mais je ne suis pas un avocat du SCRS.

Le sénateur Day : Moi non plus, mais je comprends la question des citoyens canadiens. Il y a tellement de qualificatifs associés à l'exigence des motifs raisonnables. C'est tout dans cet article... C'est « exigé », mais on n'explique pas quelles sont les exigences.

M. Leuprecht : Bien sûr, « les motifs raisonnables » sont un seuil plus élevé que le seuil requis pour les mandats que le SCRS peut obtenir, parce que ceux-ci sont principalement obtenus en vertu de motifs raisonnables de soupçonner. Il s'agit d'un critère de preuve plus élevé, et le CST peut seulement communiquer des renseignements au SCRS sur des citoyens canadiens lorsque ce dernier peut justifier la chose; c'est ce qu'on appelle des activités justifiées.

Le sénateur Day : Merci, c'est très utile.

Le président : J'aimerais apporter une précision supplémentaire, parce que je crois que le sénateur Day a soulevé un point très important au sujet de la législation. L'approbation du ministre est aussi nécessaire. Je crois que c'est très important du point de vue des mécanismes de contrôle du système quant à savoir si le mandat est justifié. N'est-ce pas exact?

M. Leuprecht : En effet, c'est quelque chose que j'ai souvent souligné. Premièrement, bien sûr, le mandat doit être préparé par le SCRS en tant qu'institution. Puis, il est transféré à un comité interministériel qui l'approuve. Ensuite, c'est au ministre de le signer, et le processus se termine par l'autorisation judiciaire.

Il faut aussi se rappeler que les juges ne font pas que simplement signer ces mandats. Ils posent des questions sans ménagements et peuvent imposer des conditions aux mandats. Le juge peut dire : « Après que ce sera fait, vous devez revenir me voir pour me dire ce que vous avez fait et de quelle façon vous avez procédé et me prouver que vous avez vraiment travaillé dans le respect de la loi. » Par conséquent, les juges jouent un rôle important dans le processus.

Je crois que l'accusation selon laquelle tout ce qu'il faut, c'est la signature d'un juge n'accorde pas au processus de responsabilité toute la crédibilité qu'il mérite. Au bout du compte, c'est une responsabilité ministérielle dans le cadre d'un gouvernement responsable. Cette accusation passe sous silence l'incroyable rôle de gardiens que les juges jouent au sein de notre système de sécurité nationale.

Le président : Chers collègues, je voulais simplement le préciser pour le compte rendu.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs, de vos excellents exposés. Vos connaissances sont exemplaires.

J'ai aimé vos commentaires sur les outils, parce que je parle à l'occasion aux responsables de l'administration et aux différents ministères, et c'est faux de dire qu'on leur demande d'en faire plus avec moins. En fait, ils préféreraient obtenir de meilleurs résultats avec moins de ressources, en ayant les bons outils et en dépensant moins l'argent des contribuables. J'apprécie toutes les observations que vous avez formulées quant à la façon dont nous faisons les choses, et j'espère que nous en prendrons bonne note.

En ce qui concerne le projet de loi C-44, pouvez-vous me dire si, de votre point de vue, vous êtes d'accord avec la protection des renseignements obtenus de sources humaines? En outre, quelles autres mesures nous recommanderiez-vous de prendre pour nous assurer que le SCRS peut vraiment protéger les Canadiens tout en protégeant leurs renseignements personnels? Cette question semble être très préoccupante.

M. Davies : Je crois qu'on peut facilement imaginer des situations où, évidemment, les protections qu'on envisage d'accorder aux informateurs vont faire l'objet d'abus ou être jugées problématiques. Je tiens à faire valoir qu'on peut tout aussi bien imaginer des situations en période normale où ces mesures pourraient être nécessaires dans le cadre d'enquêtes. Cela nous ramène à ce qu'on a dit au sujet du fait que l'information est un peu ce qui mène la barque pour ainsi dire.

Les limites au sujet des préoccupations liées à la vie privée — qui seront soulevées par les avocats de droit constitutionnel et d'autres personnes — s'ajoutent nécessairement à ce qu'on peut préserver dans le contexte législatif actuel. On pourrait faire en sorte qu'il fonctionne, et je crois que c'est nécessaire.

La sénatrice Beyak : Merci.

M. Leuprecht : Madame la sénatrice, en ce qui concerne les outils, je crois que l'un des problèmes que nous avons relativement à ce projet de loi et aussi au sujet du projet de loi C-51, c'est que tous les Canadiens sont allés à l'école et ils comprennent donc les politiques sur l'éducation. Tous les Canadiens sont allés voir un médecin, ce qui fait en sorte qu'ils comprennent les politiques sur les soins de santé. Cependant, lorsqu'il est question de sécurité, pour la plupart d'entre nous, le pire qui nous soit arrivé, c'est une contravention pour vitesse excessive sur une route.

Par conséquent, je crois que le grand public a une compréhension très limitée du fonctionnement de nos organismes de sécurité et des contraintes qui leur sont imposées. Le problème, c'est que chaque fois qu'on entend parler d'un organisme de sécurité, c'est soit parce qu'on regarde une émission américaine à la télévision ou parce qu'on entend parler de ce que les organismes de renseignement de sécurité ou les forces policières nationales fédérales font dans des États autoritaires.

Nous brossons un tableau avec un pinceau qui est complètement inapproprié pour notre régime en superposant des éléments de culture populaire et des bribes de nouvelles sur ce qui se passe vraiment au Canada, et le résultat ne pourrait pas être plus loin de la réalité. Les gens qui comparent ce que font la NSA et le CST devraient lire la législation.

Je crois qu'il est là, l'enjeu relativement aux outils : nous le faisons dans tous les autres secteurs de politiques. Certaines choses fonctionnent, et d'autres, non. Nous changeons les choses qui ne fonctionnent pas. C'est la raison pour laquelle nous élisons des gouvernements démocratiques. Selon certains, il faudrait une plus grande intervention de l'État, alors que d'autres croient qu'il en faudrait un peu moins.

Mais, lorsqu'il est question de sécurité, là où il faudrait avoir des discussions rationnelles et raisonnables comme dans les autres secteurs de politique, eh bien, soudainement, on tombe dans une discussion extrêmement émotionnelle et idéologique. Il y a tellement de personnes qui ne comprennent pas ce qui se passe et qui croient que le SCRS va les enregistrer dans leur salle de bain ou quelque chose du genre, et qu'il y aura des agents de sécurité du gouvernement à chaque coin de rue qui ne respectent aucune règle et qui tenteront de recueillir des renseignements pour les transmettre à la GRC, laquelle s'en servira pour les mettre en prison pour des périodes indéterminées.

La discussion que nous avons est importante, parce qu'il faut que les gens comprennent mieux et qu'on puisse avoir une meilleure discussion publique sur les outils en place et les outils qui sont nécessaires.

Je suis sûr que des intervenants du milieu du renseignement ont dit que la protection des sources est absolument cruciale dans leur domaine. Ce qui est encore plus essentiel, c'est la conviction des membres du Groupe des cinq que, lorsqu'ils nous fournissent des renseignements, leurs sources seront protégées. En effet, si nous compromettons leurs sources ou leurs méthodes de collecte, ils ne nous fourniront plus de renseignements, et nous serons exclus du Groupe des cinq avant même d'avoir compris ce qui se passe.

Je sais que c'est un faux débat, mais je ne peux pas vous dire de quelle façon on pourrait, d'un point de vue juridique, résoudre ce problème. Nous ne pouvons pas comparer la protection des sources policières avec ce qui se passe dans le milieu du renseignement. Il s'agit de deux environnements totalement différents, et la coopération est elle aussi totalement différente. Je crois que c'est un aspect important du dossier, mais je vais laisser à des gens plus férus que moi la tâche de déterminer exactement de quelle façon on peut concilier ces activités avec notre système constitutionnel.

La sénatrice Beyak : Merci de nous avoir fourni cette réponse très rassurante et très complète. Et pour ce qui est des personnes qui nous écoutent à la maison, je suis sûre qu'elles comprennent maintenant beaucoup mieux la situation grâce à votre intervention.

Le président : M. Leuprecht pourrait peut-être prendre le relais et parler du fait qu'il y a déjà des dispositions législatives visant la GRC et ses informateurs et qu'elles offrent déjà une protection, ce qui permet à la Gendarmerie d'utiliser des informateurs pour réaliser ses activités d'application de la loi. En quoi le fait que nous attribuons maintenant cette responsabilité au SCRS est-il problématique, puisque nous avons déjà donné ce pouvoir à la GRC?

M. Leuprecht : Compte tenu de ma compréhension limitée du dossier, je m'en tiendrai à vous renvoyer à l'arrêt Stinchcombe de 1991 et à l'exigence de divulgation pleine et entière.

Je crois qu'un des faux débats concerne le fait que des renseignements pourraient être fournis à la GRC en tant qu'éléments de preuve et que le SCRS ne communiquera pas de renseignements pouvant compromettre ses sources. Nous devons nous assurer que les sources du SCRS continuent de bénéficier d'une protection adéquate.

Cela ne semble pas répondre tout à fait à votre question, sénateur.

Le sénateur Mitchell : Mais la situation inverse n'est-elle pas elle aussi dangereuse? Si nous donnons trop vite et trop facilement à une source l'assurance d'un anonymat et d'une protection, nous pourrons avoir des problèmes plus tard s'il y a des poursuites et qu'une source de renseignement ne peut pas être utilisée pour obtenir une condamnation, comme ça a été le cas dans le dossier d'Air India. Il faut peaufiner la façon dont on promet explicitement une protection aux sources humaines.

Les services de police comprennent très bien le problème des poursuites, alors on nous a dit qu'ils ont tendance à utiliser ces garanties de façon beaucoup plus parcimonieuse.

N'est-ce pas là ce qui pourrait arriver avec le SCRS si on ne fait pas attention à la façon dont il accorde cette protection? Il pourrait la donner à tout le monde. En fait, il y a une suggestion implicite dans le projet de loi selon laquelle tout le monde obtiendrait la protection, et on ne pourrait donc pas engager de poursuites.

M. Leuprecht : C'est la raison pour laquelle on a mis en place le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. D'après ce que j'en sais, c'est l'une des questions sur lesquelles le CSARS s'est déjà penché dans le but non seulement de s'assurer que tout est fait conformément à la loi, mais de trouver les points faibles relativement aux enjeux actuels. Dans une certaine mesure, je crois qu'il faut s'appuyer sur le CSARS, qui s'assurera que tout est fait de façon adéquate et non pas d'une façon qui compromet quoi que ce soit à l'avenir.

Le sénateur Mitchell : Selon vous, faudrait-il dire explicitement dans la loi que le CSARS a le pouvoir d'examiner les décisions touchant l'anonymat des renseignements et l'anonymat des sources?

M. Leuprecht : Selon moi, il faut accorder le plus de pouvoirs possible au CSARS relativement aux activités du SCRS, surtout en l'absence... J'étais en faveur de l'élimination du bureau de l'inspecteur général du SCRS, mais je crois que, en l'absence de ce bureau, on a une raison de plus d'accorder cette compétence au CSARS et de s'assurer qu'il en bénéficie.

Le sénateur Ngo : Je vous pose la question suivante à tous les deux. Pourquoi croyez-vous qu'il est important de permettre au SCRS d'accroître ses activités de perturbation?

M. Davies : Voulez-vous dire de façon précise, par exemple le fait qu'il pourra maintenant réaliser de telles activités à l'étranger?

Le sénateur Ngo : C'est exact.

M. Davies : Je crois que nous vivons dans un monde où, de plus en plus, les frontières ne veulent plus dire quand-chose. En fait, elles ne veulent plus rien dire. Même s'il faut respecter l'intégrité territoriale de ces endroits, souvent, eux ne respectent pas la nôtre. Par conséquent, je fais valoir que ce n'est plus suffisant de limiter nos activités aux confins de nos frontières. Nous ne pouvons plus nous arrêter là.

Par exemple, nous voyons de plus en plus de groupes comme l'EI — je n'aime pas les nommer — qui ont maintenant conquis des zones dans deux pays et qui en ont à l'œil un troisième. Nous nous demandons quel est leur territoire et dans quelle mesure exactement nous pouvons réaliser nos activités, par exemple, dans leur domaine. Nous parlons de personnes qui recrutent des Canadiens dans ces zones et de la possibilité de recueillir des renseignements. Il s'agit de personnes qui ne viendront jamais ici, de gens qui sont dans des régions telles qu'ils ne mettront jamais, jamais les pieds en sol canadien.

Selon moi, le fait de permettre au SCRS de s'attaquer à cette réalité-là et de réaliser des activités de perturbation — pas seulement en ce qui concerne des complots ici, mais aussi des complots qui finiront par se transposer ici... Les dangers potentiels liés aux combattants étrangers, à ces personnes qui vont là-bas, puis qui reviennent. Il faut pouvoir remonter à la source et les empêcher de partir dès le départ.

Mais s'ils se rendent là-bas, c'est autre chose. De quelle façon pouvons-nous faire le suivi des gens, poser des questions et être capables d'obtenir des renseignements une fois qu'ils sont là-bas? Je crois que la nature changeante du phénomène elle-même exige que nous réfléchissions bien à ce genre de choses.

M. Leuprecht : Nous réfléchissons encore comme en 1648 à la lumière de la paix de Westphalie et de la notion d'État-nation souverain. Nous croyons que si nous construisons des murs plus hauts et de plus larges douves, on empêchera les mécréants d'entrer. L'un des défis de la mondialisation — surtout en raison de l'évolution dans les domaines des communications et des transports —, c'est qu'il est très facile de se rendre partout et d'obtenir des renseignements, peu importe où l'on se trouve. Un des défis liés à l'information, c'est la bulle dans laquelle les gens vivent et le fait qu'ils obtiennent seulement l'information qui renforce leurs préjugés.

Cette approche que les universitaires appellent le nationalisme méthodologique et qu'on appelle aussi parfois le piège territorial, et qui consiste à croire que nous pouvons fermer nos frontières et ainsi stopper toutes les menaces, eh bien, elle ne fonctionne pas. En fait, si nous examinons ce qui s'est passé au cours des 130 dernières années environ et la façon dont nous réalisons les activités liées à la sécurité — et je peux vous le retracer historiquement —, nous avons constamment repoussé les frontières. Essentiellement, je vois cela comme un processus qui consiste à repousser les frontières plutôt qu'à s'en tenir aux lignes tracées sur les cartes : il faut tenir compte d'où les menaces viennent.

Cette situation exige de tout revoir. Le défi auquel nous sommes confrontés, c'est que les institutions étatiques actuelles — je ne veux pas parler d'État-nation dans le contexte canadien — ne sont pas bien adaptées aux types de déplacements et de mouvements du XXIe siècle. Par conséquent, le défi consiste à déterminer de quelle façon on pourra concilier les institutions que nous avons et les mouvements, légaux et illégaux, partout dans le monde. Selon moi, les pouvoirs que l'on propose ici ne sont qu'un volet du processus d'adaptation en constante évolution.

N'oubliez pas qu'une bonne partie des activités de perturbation auxquelles s'adonne le SCRS seront tout à fait légales. Prenons un exemple très simple. Au Canada, conformément à une lecture très stricte de la loi, le SCRS n'a pas le droit de dire aux parents que leur enfant parle peut-être à un recruteur et qu'ils devraient peut-être lui parler parce qu'il s'en va dans une mauvaise direction.

Une bonne partie de ce que nous considérons comme des activités de perturbation n'ont rien à voir avec des complots élaborés. Il s'agira d'activités très simples et directes, par exemple, de dire au SCRS qu'il peut procéder à ce type d'interaction avec les parents.

Ces techniques de perturbation, surtout celles pouvant exiger traditionnellement une autorisation étendue, seront très rarement utilisées, voire jamais. En effet, le SCRS sait très bien que ces techniques sont très controversées, et la dernière chose qu'il veut, c'est de provoquer une grande enquête nationale sur certaines de ses interactions. Je crois que le SCRS gérera de façon très judicieuse les activités auxquelles il s'adonnera. En fait, je tiens à souligner qu'il le fait déjà.

Je dirais que, de façon générale, les mécanismes actuels de recrutement, de formation et de perfectionnement professionnel du SCRS sont assez efficaces, même s'ils pourraient bénéficier, par exemple, d'une proposition qui a été présentée il y a longtemps, soit la création d'une école nationale du renseignement, pour s'assurer de ne pas uniquement fournir aux étudiants un cadre juridique, mais de leur permettre de socialiser entre eux afin de favoriser un certain esprit de corps nécessaire.

Je travaille au Collège militaire royal. Ce n'est pas pour rien que les militaires se sont payé leur propre université. En effet, ce n'est pas simplement en raison de la valeur ajoutée que nous offrons vu notre expertise précise — comme dans le cadre de notre discussion d'aujourd'hui —, mais en plus, cela permet aux étudiants de socialiser pendant presque quatre ans et de le faire en fonction d'une certaine culture. Je crois que nous devons nous assurer que les gens comprennent bien la loi et aussi les valeurs générales, les normes et le contexte social et qu'ils savent qu'une décision qu'ils prennent aujourd'hui, et qui est peut-être la bonne décision sur le plan tactique, pourrait entraîner la chute du gouvernement demain.

Le SCRS a fait preuve de beaucoup de jugement dans ses activités, mais je crois qu'il faut en faire plus, surtout si nous lui fournissons de nouvelles capacités.

Le sénateur Baker : Merci de me permettre de poser une question, monsieur le président. Je ne suis pas membre du comité. Je suis le vice-président du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je tenterai d'être bref, même si ce sera difficile, compte tenu des témoignages que nous avons entendus.

Pour commencer, j'aimerais revenir sur ce qui a été dit au sujet du juge Mosley. Après avoir parlé du juge Mosley, vous avez dit que le pouvoir judiciaire ne devrait pas aller trop loin. Je ne sais pas de quelle façon vous en êtes venu à la conclusion que les tenants du pouvoir judiciaire allaient trop loin en ce qui concerne le SCRS. Si vous lisez tous les jugements, de Blanchard à la Cour d'appel en passant par Mosley, je ne crois pas que quiconque soit allé trop loin. En outre, je crois que la Cour suprême du Canada, qui, il y a deux semaines, a approuvé la demande d'appel du SCRS contre le gouvernement, finira par trancher dans ce dossier.

Je vais poser ma question tout de suite avant que le président ne m'interrompe.

Vous travaillez avec le CSARS. Pour commencer, auriez-vous préféré que les nouveaux pouvoirs donnés au SCRS soient accordés par un ministre? En d'autres mots, prenons le Centre de la sécurité des télécommunications : aux termes de la Loi sur la défense nationale, il doit obtenir des mandats auprès du ministre pour intercepter des communications privées et poser des appareils d'écoute dans les maisons et les voitures des gens, et ainsi de suite. Il ne se présente pas devant un tribunal. Il n'a pas à le faire aux termes de la législation. Cependant, les mêmes paramètres s'appliquent.

Auriez-vous préféré que le gouvernement emprunte cette voie plutôt que de demander au service de se tourner vers le système judiciaire pour obtenir le même mandat que le CST obtient tout simplement du ministre?

Ensuite, pour ce qui est du CSARS, la raison pour laquelle vous avez mentionné le juge Mosley, c'est à cause de son intervention judicieuse dans le cadre d'un dossier datant de 2013, lorsque le commissaire a déclaré que quelque chose ne tournait pas rond, que le SCRS devait informer les juges de ce qu'il avait l'intention de faire avec les mandats et que le service ne devait pas demander et obtenir un mandat pour effectuer une fouille dans un véhicule pour ensuite s'en servir pour fouiller une résidence. Le service ne peut pas obtenir un mandat pour fouiller des Canadiens au Canada — un mandat précis à cet effet et pour rien d'autre —, pour ensuite procéder à des activités semblables à l'étranger.

En 2013, le CSARS a produit un rapport dans lequel il indiquait avoir examiné le travail du SCRS. Le rapport s'intitule Examen du nouveau pouvoir octroyé au moyen du mandat en vertu de l'article 21. Dans son rapport annuel, le CSARS commence par dire ce qui suit : « Il s'agit là du premier examen du CSARS d'un nouveau pouvoir octroyé au moyen d'un mandat en vertu de l'article 21 de la Loi sur le SCRS, qui a été à l'origine autorisé par la Cour fédérale en 2009 ». C'est tout faux. Le commissaire a vu ce qui était correct et il a recommandé que, à compter de ce moment-là, le SCRS se présente devant un juge pour lui dire ce qu'il a l'intention de faire.

En tout, 673 mandats ont été délivrés aux termes de ce que les tribunaux appellent maintenant un pouvoir illégitime. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de tous les éléments de preuve accumulés, mais c'est une question intéressante. Nos prochains témoins pourront peut-être en parler. Ils ont formulé une recommandation dans le rapport de 2013. Le CSARS a constaté que, même s'il y a des avantages évidents à tirer parti des actifs d'une autre partie — je parle du Groupe des cinq — pour ce qui est de l'exécution de ce nouveau pouvoir lié à un mandat — qu'il n'avait pas — il y a aussi des dangers manifestes, y compris l'absence de contrôle sur les renseignements une fois qu'ils sont communiqués.

C'est ce que vous vouliez faire valoir, non? C'est exactement ce que vous dites : vous voulez qu'il obtienne ce pouvoir.

Le président : Sénateur, pouvons-nous revenir à votre question?

Le sénateur Baker : Oui. Je crois avoir déjà posé deux ou trois questions auxquelles les témoins voudront peut-être répondre.

Est-ce là que vous avez pris votre idée selon laquelle le CSARS devrait obtenir le pouvoir qu'il a demandé en 2003, compte tenu du fait qu'il ne pouvait pas savoir que des mandats étaient délivrés de façon illégitime de 2009 à 2013?

Le président : Messieurs?

M. Leuprecht : Je ne veux pas entrer dans le détail de ce dossier. L'enjeu, en ce qui concerne le juge Mosley, est lié à la question de savoir s'il a eu l'impression que le SCRS l'a trompé.

Le sénateur Baker : Il a été trompé par le SCRS.

M. Leuprecht : Eh bien, je crois que le SCRS dirait que c'était la pratique courante et qu'il n'avait pas à obtenir une autorisation judiciaire chaque fois qu'il réalisait ce genre d'activité précise. Qu'il ait raison ou tort...

Le sénateur Baker : La Cour suprême du Canada.

M. Leuprecht : Je ne veux pas aborder ce cas précis maintenant. Je ne suis ni un avocat ni un juge.

Il y a, bien sûr, deux modèles : celui des mandats délivrés par le ministre et celui des mandats délivrés par un juge. Dans ce cas-ci, je préfère le modèle des mandats délivrés par un juge, mais, au bout du compte, c'est au gouvernement et aux législateurs de déterminer quel modèle est le plus approprié dans le contexte canadien.

J'aimerais vous rappeler que, dans le cadre de notre discussion, nous ne tentons pas de mettre en place uniquement une législation pour nous attaquer aux menaces et aux risques actuels. Nous essayons aussi de mettre en place un système qui pourra évoluer en même temps que la menace, qui évolue beaucoup plus rapidement que les capacités du milieu de la sécurité nationale et que le cadre législatif actuel. Les méchants ont le chic d'exploiter les vulnérabilités des systèmes en place.

D'un côté, nous devons absolument penser à demain, pas juste à aujourd'hui. Mais, de l'autre, nous présumons qu'il y a un statu quo au Canada, mais nous voulons nous assurer que, dans le cas très improbable où un événement majeur se produit au Canada, nous n'aurons pas à faire appel à toutes sortes de décrets ou je ne sais quoi d'autre pour prendre le contrôle de la situation. Nous voulons nous assurer de mettre en place un cadre législatif et redditionnel robuste afin de pouvoir réagir adéquatement et rapidement sans avoir à accorder trop de pouvoir à l'exécutif quant à la façon dont un incident précis sera géré. Pour y arriver, cela exige certains compromis.

Le sénateur Baker : Vous m'avez interrompu, monsieur le président.

Le président : Je ne ferais jamais cela, sénateur Baker. Vous le savez.

Chers collègues, il est passé 14 heures. Au nom du comité, je tiens à remercier nos deux témoins d'avoir répondu à nos questions aujourd'hui. Il est évident que vous nous avez fourni beaucoup de renseignements et avez abordé beaucoup d'enjeux que les responsables de la sécurité publique gèrent quotidiennement. Nous avons hâte de réexaminer ce que vous nous avez dit.

Tandis que nous poursuivons notre étude du projet de loi C-44, je souhaite à nouveau la bienvenue à Craig Forcese, professeur agrégé de la faculté de droit, de la Section de common law, de l'Université d'Ottawa, et à Paul Copeland, avocat pour les droits de la personne, de Copeland Duncan, Barristers and Solicitors. Je vais demander à M. Copeland de commencer.

Paul Copeland, avocat pour les droits de la personne, à titre personnel : Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité. Je vais vous présenter un bref historique de ce qui m'amène ici aujourd'hui.

Lorsqu'un comité de la Chambre des communes a étudié le projet de loi C-44, j'ai présenté une demande afin de comparaître. Il y avait seulement deux jours d'audience, et, évidemment, je n'ai pas pu participer. J'ai préparé certaines observations par écrit que j'ai ensuite envoyées à deux ou trois sénateurs. C'est la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui, comme par magie.

Vous avez sous la main les observations écrites que j'ai préparées, mais elles portent uniquement et de façon très précise sur la question des sources humaines.

Avant d'aborder cette question, je tiens à souligner... Je présume que vous avez tous reçu les documents que j'ai envoyés, y compris un curriculum vitæ, des observations écrites, puis certaines questions concernant la surveillance qu'a faite la GRC de Couture-Rouleau. J'ai aussi demandé la production d'un rapport de la CBC. C'est ce dont je veux parler brièvement dans ma déclaration préliminaire.

Le sénateur Day : J'ai une précision. Je suis désolé, monsieur Copeland, mais je n'ai obtenu aucun des documents dont vous venez de parler, et je me demande si je suis le seul.

Le président : Je viens de recevoir les questions concernant la surveillance, par la GRC, de Martin Couture-Rouleau. C'est le seul document que j'ai reçu.

Le sénateur Day : J'imagine que vous ne pouvez donc pas présumer que nous avons tous eu la chance de le consulter.

M. Copeland : Avez-vous vu celui-ci? Le titre du document est « Questions concernant la surveillance par la GRC de Martin Couture-Rouleau ». J'avais demandé à la greffière de photocopier un bref rapport de la CBC sur ce sujet.

Le seul commentaire que j'aimerais faire à ce sujet, c'est que je vous demande de lire tout ce qui touche le dossier de Couture-Rouleau. Le document a été préparé en novembre. Par la suite, il y a eu une révélation devant le comité — je crois que c'est lorsque vous avez accueilli le commissaire Paulson — selon laquelle, à un moment donné, la GRC croyait avoir tout ce qu'il fallait pour arrêter Couture-Rouleau, mais elle a ensuite obtenu un avis juridique selon lequel ce n'était pas le cas. Je prie tous les membres du Sénat, et, en fait, de la Chambre des communes de demander une copie de l'avis juridique que la GRC avait reçu. Comme je l'ai dit, dans les questions que j'ai soulevées concernant Couture-Rouleau, je crois que la GRC avait assez de preuve pour l'arrêter. Si elle l'avait fait, évidemment, il n'aurait pas assassiné Patrice Vincent, et je ne suis pas sûr que le deuxième meurtre aurait eu lieu non plus. Mais ce n'est pas l'objet de mes observations. C'est simplement quelque chose qui me préoccupe depuis novembre dernier.

Le président : C'est maintenant dit sur la place publique.

M. Copeland : Merci.

Vous avez mon curriculum vitæ. J'ai presque seulement pratiqué en tant qu'avocat criminaliste, mais je le fais depuis très, très longtemps. Je traite des questions liées à la sécurité nationale depuis le début des années 1970. J'avais aidé deux ou trois professeurs à entrer au pays après qu'ils se sont vu refuser l'accès pour des motifs de sécurité nationale. Je me suis occupé de deux ou trois cas devant le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. J'ai comparu durant l'enquête sur l'affaire Arar et l'enquête sur l'affaire Iacobucci au nom d'Abdullah Almalki. J'ai donc participé à ces enquêtes. J'ai aussi été l'avocat de Mohamed Harkat durant ses premiers démêlés avec la sécurité. L'affaire s'est retrouvée devant la Cour suprême du Canada, et la législation a été déclarée inconstitutionnelle. Ensuite, ce qui m'a un peu pris par surprise, c'est que j'ai obtenu une autorisation de sécurité nationale au niveau très secret et je suis devenu avocat spécial de Mohamed Harkat et d'Hassan Almrei, et j'ai donc participé à ces dossiers.

Je pense que je vous ai fourni quatre pages d'observations. Dans ces observations, j'ai tenté d'expliquer au comité la distinction entre le recours à des informateurs dans des affaires pénales et à des sources humaines dans le cadre du processus relatif aux certificats de sécurité. Ce que j'ai souligné, c'est que, dans le processus pénal, les informateurs sont utilisés pour obtenir des autorisations d'écoute électronique et des mandats de perquisition. Ils ne témoignent pas à l'audience, et leur témoignage ne fait pas partie de la poursuite.

Dans les cas de certificat de sécurité, les sources humaines, dont certaines sont payées — et qui sont nombreuses à l'être —, fournissent des renseignements aux agents du SCRS. Ces renseignements aboutissent dans un document qui est ensuite présenté aux avocats spéciaux et au tribunal dans le cadre des audiences secrètes concernant les affaires de certificat de sécurité. Dans ces cas-là, si vous avez parcouru le mémoire, vous verrez que nous avons tenté d'interroger les sources humaines et tenté — si nous avons réussi à les interroger, je suppose — de les appeler à témoigner. Il s'agissait dans tous les cas de renseignements qui avaient une grande incidence sur la façon dont on avait traité la personne qui était visée par le certificat de sécurité et sur les décisions qui allaient être prises à son égard.

J'ai inclus dans le document un renvoi à la décision du juge Mosley dans Almrei, où il a conclu que le SRCS avait fourni au tribunal de l'information sur les renseignements qu'avait fournis une source humaine, et il y avait d'autres renseignements qui n'avaient pas été présentés par le gouvernement au tribunal, mais que mon collègue l'avocat spécial Gord Cameron a trouvés dans le document de 8 000 pages dont nous disposons, lesquels contredisaient totalement cette information. C'est en bas de la page 3 des observations que je vous ai soumises.

Dans l'affaire Harkat, il s'est avéré que, à un certain moment, alors que nous traitions de renseignements provenant d'une source humaine... pour être juste, peut-être que les avocats du gouvernement ont découvert que la source humaine avait échoué à un test polygraphique. Ils ne se sont jamais donné la peine de nous en informer. Ils nous ont fourni une liste de sources qui donnait un peu d'explications contextuelles sur la source humaine, mais ils ne nous ont pas dit : « Oh, en passant, le gars a échoué à un test polygraphique. ». En conséquence, des audiences ont été tenues devant le juge Noël à ce sujet.

Au début de l'audience, il a ordonné qu'une source humaine complète nous soit fournie; nous avons donc pu voir cela et savoir qui était la source. À la fin de l'audience, quand il a principalement exonéré le SCRS d'avoir omis de dire au tribunal que la source avait échoué au test polygraphique, il a ordonné qu'une autre source humaine nous soit fournie. Nous avons donc appris qui étaient les sources humaines. Nous avons découvert combien elles étaient payées, leurs antécédents et d'autres aspects. Ces renseignements ne sont jamais sortis du lieu de l'audience secrète. Il n'y a jamais eu de divulgation de renseignements confidentiels.

Pourtant, ce que font le SCRS et le gouvernement, à mon avis, grâce au nouvel article 18.1 et à certaines nouvelles dispositions du projet de loi C-51, c'est tenter d'accorder l'immunité aux sources humaines de sorte que personne ne puisse jamais les interroger et que personne ne puisse jamais les contre-interroger.

Nous avons réglé cette question. Au départ, le juge Noël a conclu que, essentiellement, la source humaine était visée par le privilège de l'informateur. La Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont dit qu'elle n'était pas visée par ce privilège. La Cour suprême du Canada a déclaré que, si on voulait que les sources humaines soient visées par le privilège de l'informateur, il incombait au gouvernement de le faire, pas aux tribunaux.

Dans ce cas-ci, cela n'a pas été fait directement, mais l'effet des modifications apportées par ce nouveau projet de loi à une partie du projet de loi C-51 est de s'assurer qu'aucune personne visée par un processus de certificat de sécurité n'a la possibilité de contre-interroger des sources humaines. Ce pourrait être une question de vie ou de mort pour la personne ou les personnes qui sont visées par le certificat de sécurité.

C'était ma déclaration préliminaire.

Le président : Merci.

Monsieur Forcese?

Craig Forcese, professeur agrégé, faculté de droit (Section de common law), Université d'Ottawa, à titre personnel : Je remercie les membres du comité de m'accueillir aujourd'hui et de me permettre de témoigner. Je vais exposer mes points de vue en bref, puis je formulerai deux ou trois commentaires au sujet du projet de loi C-44.

Devant le comité de la Chambre des communes qui se penche sur le projet de loi C-44, j'ai fait part de mon soutien en principe des modifications proposées des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS que vous avez maintenant sous les yeux. J'ai également signalé trois omissions dans le projet de loi que le législateur devrait corriger. Depuis, le gouvernement a présenté le projet de loi C-51 et a encore omis de corriger ces omissions.

J'estime qu'il est maintenant nécessaire que je caractérise davantage mon appui au projet de loi C-44 et que je soulève des doutes quant à sa viabilité.

Avant d'en venir à cette question, je me présente aujourd'hui également au nom de M. Kent Roach, qui a offert des données probantes sur l'aspect du projet de loi C-44 liées au privilège de l'informateur devant le comité de la Chambre des communes. Je souhaite commencer par le privilège de l'informateur. M. Copeland a déjà a abordé des parties de cette question, mais, pour résumer, M. Roach et moi croyons que, du fait qu'elles ne tiennent pas compte des recommandations de la Commission d'enquête sur l'affaire Air India, nouvelles dispositions du projet de loi C-44 risquent de rendre moins utile notre outil antiterrorisme qui donne les meilleurs résultats, soit les poursuites pénales.

Quatre ans après l'étude, la commission a conclu que le SCRS ne devrait pas pouvoir accorder de privilège générique aux informateurs. Le juge Major a souligné ce qui suit :

Les promesses d'anonymat faites aux sources humaines pourraient souvent être prématurées et risqueraient, si elles étaient exécutoires, de compromettre l'engagement subséquent de poursuites antiterroristes.

Dans l'arrêt Harkat, la Cour suprême a également reconnu ce qui suit :

Les policiers ont intérêt à ne pas promettre l'anonymat [...] parce que s'ils le font, il sera plus difficile d'avoir recours à lui comme témoin.

Toutefois, le SCRS n'aura aucun intérêt à être judicieux au moment d'élargir le privilège.

À notre avis, le nouveau privilège rend prioritaires les objectifs en matière de renseignement du SCRS par rapport au besoin de poursuivre les terroristes. Il s'agit d'un choix discutable. Le renseignement est important pour ce qui est de prévenir le terrorisme; mais les poursuites le sont également. La Commission d'enquête sur l'affaire Air India a proposé des solutions aux problèmes que pose la conciliation de ces objectifs, notamment une surveillance exécutive plus étroite des décisions prises au sujet du renseignement qui pourrait être déployée dans le cadre de poursuites. Le gouvernement n'a pas donné suite à ces recommandations.

De surcroît, le projet de loi C-44 reconnaît que le nouveau privilège doit être assujetti à l'exception concernant la démonstration de l'innocence de l'accusé, mais cette exception du projet de loi est constitutionnellement sous-inclusive, puisqu'elle ne s'étend pas au recours au privilège dans le certificat de sécurité et peut-être à d'autres régimes qui rendent applicable l'article 7 de la Charte. Par conséquent, le projet de loi C-44 est myope d'un point de vue stratégique et entraînera inévitablement une autre série de litiges constitutionnels qui pourraient combler certaines de ses lacunes, mais au prix d'années d'incertitude.

Je passe maintenant à la question de l'espionnage étranger. En promulguant les modifications de l'article 8, vous demanderez à un tribunal d'approuver des activités de surveillance secrète du SCRS qui pourraient enfreindre le droit international ou des lois étrangères. Dans notre système, le législateur a le pouvoir de conférer expressément des pouvoirs qui constituent une infraction au droit international, pourvu que ces pouvoirs ne contreviennent pas également à la Constitution. J'ai dit aux membres du comité de la Chambre des communes que je ne voyais aucune plainte constitutionnelle, en présumant que nous limitons notre discussion aux questions touchant la surveillance.

Je dois maintenant amplifier et caractériser ce point de vue. Je le fais parce que, dans le projet de loi C-51, on utilise la même formule, qui consiste à permettre au SCRS d'enfreindre les lois étrangères, et on veut étendre son application bien au-delà des questions de surveillance. Je dois également caractériser mes commentaires, puisque la Cour suprême a accepté d'instruire l'affaire Re X. À ce moment-là, nous devrions nous attendre à ce que l'on demande à la cour de tenir compte de l'intention qu'elle avait lorsqu'elle a rédigé ce qui suit dans l'arrêt Hape, en 2007 :

S'il n'obtient pas le consentement de l'autre État, le Canada ne peut exercer sa compétence d'exécution lorsque l'objet de cette dernière se trouve sur le territoire de cet autre État. Comme il ne peut alors être donné effet au droit canadien, le domaine échappe à la compétence du Parlement et des législatures provinciales.

Une interprétation de ce passage et de son libellé est que le Parlement dépasse sa compétence constitutionnelle en autorisant l'action physique d'un organisme canadien en territoire étranger sans la permission de l'État étranger.

Si la cour confirme ce point de vue, cela aura pour conséquence de rendre inconstitutionnels les aspects extraterritoriaux du projet de loi C-51 et peut-être aussi du projet de loi C-44. Ce sera une affaire que les tribunaux devront trancher.

Je souhaite toutefois me concentrer sur une première omission dans le projet de loi C-44 qui pourrait également être soulevée dans Re X. Plus précisément, le projet de loi ne prévoit pas clairement les situations où le service sera obligé d'obtenir un mandat de surveillance à l'étranger. La loi existante prévoit qu'il faut qu'il y ait des motifs raisonnables de croire qu'un mandat est nécessaire. Dans le cadre d'activités de surveillance sur le territoire national, ces motifs peuvent être invoqués lorsque le défaut d'obtenir un mandat contreviendrait à l'article 8 de la Charte, qui porte sur les fouilles, perquisitions et saisies. Mais on ne peut pas dire avec certitude que la Charte s'applique aux activités de surveillance à l'étranger. En conséquence, le critère actuel des motifs raisonnables est inutilement ambigu quand il est question des nouveaux pouvoirs relatifs aux mandats extraterritoriaux prévus dans le projet de loi. Comme le projet de loi n'est pas catégorique, cette question devra être tranchée dans le cadre d'une instance.

Par conséquent, je prie instamment le comité d'éviter l'incertitude en ajoutant un libellé clair concernant les éléments déclencheurs de l'obtention d'un mandat de surveillance à l'étranger. J'ai proposé un libellé dans l'annexe de mon mémoire.

Ensuite, depuis le dépôt du projet de loi, la Cour suprême a rendu son arrêt dans Wakeling. Cette affaire concernait la GRC, mais, en pratique, la décision s'applique également au SCRS. Dans une décision majoritaire, la cour a conclu que l'article 8 de la Charte s'applique au cas du partage de communications interceptées entre des autorités du Canada et leurs homologues de l'étranger. Pour être constitutionnelle, une loi raisonnable doit autoriser le partage des communications interceptées. Une loi raisonnable, c'est une loi qui prévoit suffisamment de mesures redditionnelles et de mécanismes de protection.

À l'heure actuelle, il n'existe aucune disposition claire sur le partage des communications internationales interceptées par le SCRS. Au mieux, il existe une permission générique, plus ouverte, qui ne survivrait probablement pas à une contestation fondée sur la Constitution. Le risque est que cela nuise à la communication par le SCRS de renseignements internationaux importants pour, voire essentiels à la sécurité nationale canadienne. Étonnamment, le projet de loi C-51 ne règle pas ce problème, même avec ses dispositions grandement exagérées relativement à la communication de renseignements.

Je prie instamment le comité, encore une fois, d'éviter des années de litiges en codifiant une autorisation obligatoire expresse sur le partage des communications interceptées qui comprendrait un type de normes qui seraient susceptibles de satisfaire à la norme établie dans Wakeling. Je répète que j'ai proposé un libellé dans l'annexe de mes observations.

Pour terminer, nous soulignons le 10e anniversaire de la commission Arar. Je remarque avec une grande inquiétude que le législateur n'a intégré à ses lois aucune des recommandations essentielles de la commission qui portaient sur la collaboration entre les organes d'examen du SCRS, du CST et de la GRC. Or, la collaboration entre les services de sécurité est plus étroite et plus profonde, mais l'examen de chacun demeure résolument cloisonné.

Comme vous le savez, dans le sillage du projet de loi C-51, ces inquiétudes sont maintenant vives. Je crois très sincèrement qu'il serait irresponsable d'adopter les projets de loi C-44 et C-51 sans avoir comblé les lacunes au chapitre de la responsabilisation, et j'irai jusqu'à les étiqueter de projets de loi les plus mal avisés jamais présentés par un gouvernement canadien dans le domaine du droit en matière de sécurité nationale depuis les conclusions de la commission McDonald.

Je m'arrêterai là-dessus. Merci.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, messieurs. Il est difficile de savoir par où commencer. Ce sont des exposés puissants.

Monsieur Copeland, je vais commencer par votre préoccupation au sujet de la question des sources humaines. Je veux seulement obtenir certaines précisions.

Votre préoccupation tenait en partie au fait que, dans ce projet de loi, l'exemption dans les cas où la révélation de l'identité assurerait l'exonération d'une personne qui, autrement, ne serait pas exonérée, ne s'applique qu'aux poursuites pénales, pas aux certificats de sécurité ni à d'autres tribunaux administratifs et décisions en matière d'immigration qui pourraient, de fait, mettre en péril la vie d'une personne.

M. Copeland : En ce qui concerne les poursuites pénales, je ne connais aucun cas — et corrigez-moi si je me trompe — où une source humaine du SCRS a été appelée à témoigner. Je ne suis donc pas certain de pouvoir formuler beaucoup de commentaires à ce sujet.

Là où j'ai vu cela, c'est dans les cas de certificat de sécurité. Certains des certificats de sécurité sont produits devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et on a recours à des avocats spéciaux pour ces certificats. Je n'ai pas participé à l'un de ces processus, alors je ne connais pas le contexte à cet égard. Je suis désolé de ne pas pouvoir donner une meilleure réponse à votre question.

Le sénateur Mitchell : Ce n'est pas grave.

Monsieur Forcese, vous avez formulé un commentaire très puissant, et il concerne directement la préoccupation au sujet des libertés civiles par rapport aux outils de protection. Quel genre de surveillance proposeriez-vous pour régler le problème que vous avez formulé si clairement? Selon vous, quelle sorte de mécanisme de surveillance — que nous n'avons pas — serait adéquat, ou est-il tout simplement impossible de corriger le droit ou le projet de loi?

M. Forcese : Je pense que le projet de loi peut être corrigé. Selon moi, le projet de loi C-51 peut être corrigé, et je ne pense pas qu'il faudrait y apporter beaucoup de modifications.

En fait, je crois en un super-SCARS. M. Leuprecht a fait part de certains doutes. Selon moi, l'établissement d'un super-CSARS est l'objectif que nous devons viser. Il miserait sur l'expérience des Australiens, de leur inspecteur général du renseignement et de la sécurité —, et ils réussissent à bien faire fonctionner ce système en plus d'être dotés d'un comité parlementaire très solide sur la sécurité nationale.

Mais je reconnais que, dans le contexte du projet de loi C-44, il sera difficile de créer une architecture de super-CSARS qui aura un pouvoir sur l'ensemble du renseignement gouvernemental, mais il devrait au moins y avoir ce que l'on appelle les passerelles législatives. La commission Arar a laissé entendre qu'il doit y avoir des passerelles législatives qui permettraient aux trois organes d'examen cloisonnés pour le CST, la GRC et le SCRS de coordonner leurs enquêtes et d'échanger des renseignements secrets afin qu'ils puissent mieux remplir leurs fonctions d'examen.

Cela n'exige pas un libellé législatif important, et, en prime, j'ai proposé un libellé dans mon mémoire. Voilà donc l'équation en ce qui concerne l'examen.

Je pense qu'on pourrait prendre des mesures au chapitre de la surveillance — l'aspect préautorisation de la responsabilisation —, et je pense ici au processus lié au mandat judiciaire.

L'un des aspects préoccupants en ce qui a trait au processus d'obtention du mandat — et c'est une préoccupation dans le cas du projet de loi C-44 ainsi que du projet de loi C-51 —, c'est que, une fois que le juge délivre le mandat, il n'y a aucun mécanisme de rétroaction automatique. Cela soulève la préoccupation du juge Mosley qui a été abordée par le groupe précédent, soit que le juge avait essentiellement découvert dans des circonstances fortuites que le SCRS avait dépassé la perception du juge de ce que permettait le mandat.

Il me semble qu'il faudrait établir des mécanismes qui exigent une rétroaction plus constante du service au juge. Autrement dit, le juge devrait avoir la capacité de charger le CSARS de faire le suivi.

Nous avons beaucoup parlé du CSARS. En principe, ce comité peut faire le suivi. Le problème, c'est que ses ressources sont tellement limitées qu'il ne peut effectuer que sept ou huit examens par année. Même dans le contexte actuel au pays, le SCRS reçoit plus de 40 mandats. Le CSARS n'examine pas tous les mandats, et encore moins quoi que ce soit d'autre que puisse faire le SCRS. La capacité actuelle du CSARS de fournir une rétroaction utile est limitée par ses préoccupations à l'égard des ressources.

Le sénateur Mitchell : J'ai une question de suivi directement liée à cela.

M. Leuprecht a dit que, eh bien, le système de mandats est sous-estimé, que, en fait, le juge peut exiger comme condition à l'octroi du mandat de recevoir une rétroaction. Je ne suis pas insensible à ce que vous dites, mais comment répondez-vous à cet argument?

M. Forcese : Je proposerais que le juge exige comme condition au mandat — certainement dans les situations où le mandat pourrait se révéler problématique — que le ministre demande au CSARS de présenter un rapport en vertu de l'article 54 sur son rendement aux termes du mandat et que ce rapport soit ensuite mis à la disposition du juge.

Il est donc possible, selon moi, de créer un tel régime dans le droit actuel, mais, si j'étais le CSARS, j'aurais des inquiétudes à l'égard de la probabilité que, si cela devenait pratique courante, l'attention du comité soit détournée de ces mandats et qu'il ne soit pas plus en mesure de mener le genre d'examen qu'il aurait pu effectuer sur d'autres affaires, dans le contexte des ressources actuelles.

M. Copeland : Puis-je simplement ajouter un élément à cela? Gord Cameron était l'amicus dans l'affaire Re X. Il me semblerait — et il va probablement le faire valoir devant la Cour suprême du Canada — que, dans les cas où un juge a décidé de faire appel à un amicus, l'amicus pourrait recevoir un certain rapport afin que les juges n'essaient pas d'examiner tout ce qui provient du mandat. On présume que l'amicus serait au courant du but de mandat et de la façon dont il a été accordé et d'autres aspects du mandat.

Le sénateur Mitchell : Mais le suivi et l'examen demeurent problématiques?

M. Copeland : Oui.

Le président : Pour clarifier le compte rendu, à ce que je crois comprendre, le juge a le droit d'assumer la responsabilité de demander ce suivi et il peut le faire, s'il choisit de le faire. Par conséquent, le droit légal existe s'il souhaite l'exercer.

M. Forcese : Aux fins d'un mécanisme de suivi, selon moi, ce droit peut être exercé aux termes du droit actuel, sous réserve de mes préoccupations au sujet de ce que cela pourrait signifier pour le CSARS, qui pourrait être distrait de ses autres activités. Bien entendu, cela ne répondrait pas à la première question que j'ai soulevée au sujet du cloisonnement des organes d'examen du point de vue de leur fonction d'examen conventionnelle.

La question concernait l'amélioration de l'examen et de la surveillance. La fonction d'examen doit être corrigée. Quant à la surveillance, du point de vue d'un rôle judiciaire, je pense qu'on pourrait faire de grandes avancées sous le régime du droit actuel, mais que, si on ne règle pas le problème des ressources afin de pouvoir investir dans le CSARS afin qu'il puisse participer à ce nouveau système, on aboutirait avec une réduction nette de ce que le service pourrait faire sur le plan de ses autres fonctions.

La sénatrice Stewart Olsen : Vous avez répondu à une de mes questions sur cette possibilité dans votre lettre d'opinion sur les dispositions relatives au privilège. Je comprends maintenant ce que vous voulez dire.

Je ne suis pas avocate, mais je m'adresse à vous en tant que personne moyenne dans la rue qui se demande — si nous réfléchissons trop à tout cela — si nos organismes responsables du renseignement parviendront à faire quoi que ce soit — s'ils doivent dire : « Je suis peut-être en train d'enfreindre cette loi; je pourrais faire l'objet d'une contestation en vertu de la Charte ».

Voyez-vous où je veux en venir? Cela devient tellement difficile, d'un point de vue juridique, que tout le monde est confus au sujet de tout. Certes, lorsqu'on a besoin d'un avocat, on a besoin d'un avocat, mais je suis inquiète au sujet du message transmis à notre public, qui veut être protégé, absolument; de façon absolue, il veut que le gouvernement le protège. Il veut que nos lois le protègent.

Ne considéreriez-vous pas que, si on va de l'avant, oui, on peut faire des erreurs dans le projet de loi, et on fait de notre mieux pour ne pas en faire, mais que nous devons aller de l'avant? Selon le témoignage général de la plupart de nos témoins, nous devons rajuster l'état actuel des choses aujourd'hui en fonction de l'aspect mondial du terrorisme.

Je vous soumets cette question, en raison d'un état de confusion au sujet de vos exposés très bien formulés, parce que vous les avez présentés avec beaucoup de force, et je souscrirais à l'opinion du sénateur Mitchell, mais je veux simplement dire que ce n'est pas vraiment cette voie que les gens dans la rue veulent voir le gouvernement emprunter.

M. Forcese : Les objectifs du gouvernement sont légitimes, et je pense que toutes les personnes ici présentes visent ces objectifs. La question est toujours celle de l'exécution. Ma préoccupation est principalement liée au projet de loi C-51, mais, dans la mesure où j'ai également remarqué ces omissions dans le projet de loi C-44, il s'agit de lacunes prévisibles, de carences prévisibles dans ces projets de loi. S'ils finissent par être adoptés, ce qui semble probable, la situation même que vous décrivez, comme l'incertitude à l'égard de ce que peut faire le SCRS et peut-être la mise en péril de l'efficacité du service, toutes ces choses se produiront.

Il me semble qu'un grand nombre de ces problèmes — tant dans le projet de loi C-44 que dans le projet de loi C-51 — pourraient être réglés grâce à une rédaction plus prudente et que les objectifs du gouvernement pourraient tout de même être atteints.

Concernant les projets de loi C-51 et C-44, Kent Roach et moi, ainsi que d'autres personnes, avons proposé un libellé qui, selon nous, tient compte des objectifs avoués du gouvernement, mais qui permettent aussi de faire la quadrature du cercle pour ce qui est de s'assurer que cette éruption d'incertitude ne découle pas de ces projets de loi adoptés à la hâte.

Dans le passé, l'un des problèmes liés à la sécurité nationale canadienne était qu'elle était réactive. Personne n'a procédé à des rénovations, alors ce qui est arrivé, c'est qu'on s'est efforcé au coup par coup d'improviser des solutions à des problèmes causés par des lois inadéquates qui sont ensuite invalidées par la Cour suprême. Ce projet de loi concerne l'affaire Harkat, et ce qu'il en est de Re X. Il est réactif. Des dispositions législatives un peu plus préventives qui s'attaquent clairement aux problèmes prévisibles nous empêcheraient de retomber dans ce cercle vicieux.

M. Copeland : Je formulerais deux commentaires, dont l'un qui nous ramène à ce que je vous ai présenté au départ au sujet de Martin Couture-Rouleau. Si les lois actuelles — et c'est quelque chose dont vous allez devoir vous rendre compte — étaient adéquates, un bien plus grand nombre des dispositions du projet de loi C-51 que de celui-ci ne seraient pas nécessaires. Encore une fois, c'est davantage lié au projet de loi C-51. Toute l'histoire du mandat de perturbation me terrifie. Je suis là depuis assez longtemps pour avoir vu la commission McDonald. J'ai eu des clients dont les activités ont été perturbées. J'ai eu des dispositifs d'écoute électronique dans mon bureau, et j'ai examiné attentivement les Commissions d'enquête Keable et McDonald, et j'ai vu ce que la GRC avait fait. Je suis très nerveux à l'idée d'accorder au SCRS les pouvoirs nécessaires pour perturber généralement et, occasionnellement, d'avoir besoin de l'autorisation d'un tribunal pour procéder à certaines perturbations vraiment extrêmes.

Il est clair que tout le monde au pays voudrait s'assurer que personne d'autre n'est tué par des actes terroristes commis dans le pays et qu'aucun autre incident ne mettra en péril la sécurité de ses citoyens, mais je ne suis pas sûr que ce projet de loi — et, encore une fois, pas tant celui-ci que l'autre — aura cet effet.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vois. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Avant de poser ma question, je vais faire un commentaire. Je pense qu'on doit prendre le temps d'analyser les projets de loi, autant le projet de loi C-44 que le projet de loi C-51, mais il y a encore des actes terroristes qui sont commis, notamment en Tunisie. Le diable est dans les détails, et nous sommes ici pour les analyser, mais n'oublions pas qu'il y a des attentats qui continuent d'être commis, et peut-être qu'il y en aura encore au Canada, aujourd'hui même.

Ma question s'adresse à M. Copeland.

[Traduction]

Nous avons récemment appris que la GRC devait attendre 30 jours avant que les tribunaux puissent entendre une demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Que considéreriez-vous comme l'incidence de ce délai sur les ressources du SCRS? Seriez-vous d'accord pour dire que le législateur pourrait souhaiter envisager des dispositions supplémentaires afin de prolonger la période de détention à risque élevé jusqu'à ce qu'un juge puisse entendre une demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public?

M. Copeland : Le projet de loi actuel contient déjà des dispositions à cet égard. Si je comprends bien, c'est le projet de loi C-51, pas celui-ci... et on abaisse la norme relative à l'application d'un engagement à ne pas troubler l'ordre public en la faisant passer de « motifs raisonnables de croire » à « pourrait participer à une activité terroriste ».

Encore une fois, j'aimerais voir l'avis juridique que la GRC a obtenu selon lequel elle ne pouvait pas arrêter M. Couture-Rouleau, et, à ce moment-là, j'aurai peut-être un point de vue différent sur la question. Mais la disposition qui est entrée en vigueur en 2002 a été appliquée pendant cinq ans, est devenue caduque, puis est redevenue applicable, mais elle a à peine été utilisée. Je ne suis donc pas certain qu'on ait besoin de quelque chose de plus important. Ce serait ma perception des choses actuellement, tant que je n'aurais pas vu l'avis juridique que les avocats du gouvernement ont donné.

Le sénateur Dagenais : Avez-vous un commentaire, monsieur Forcese?

M. Forcese : Non, je suis satisfait de cela.

Le sénateur Day : Vous avez présenté beaucoup de renseignements intéressants et utiles, messieurs. Je remercie chacun d'entre vous. J'ai deux ou trois questions à clarifier.

Monsieur Forcese, pourriez-vous me dire, si je relis ce que M. Roach avait à dire à la Chambre des communes — vous avez affirmé qu'il avait présenté des observations à la Chambre — s'il est possible que son point de vue ait changé, d'une certaine façon, comme le vôtre? Vous étiez un peu plus enthousiaste au sujet du projet de loi C-44 avant de voir le projet de loi C-51. Maintenant que vous voyez l'orientation que le gouvernement pourrait prendre, je crois comprendre d'après votre témoignage que vous appuyez un peu moins le projet de loi C-44. En va-t-il de même pour M. Roach?

M. Forcese : Devant le comité de la Chambre, M. Roach s'est concentré exclusivement sur le privilège de l'informateur, et son point de vue est demeuré constant. Selon moi, s'il y a eu un changement, c'est que ses craintes ont doublé, puisque, maintenant, bien sûr, nous n'avons pas que la perspective de conflit dû au fait que le SCRS élargit excessivement le privilège de l'informateur du point de vue des poursuites; nous avons également le problème de conflit soulevé par le fait que le service prend maintenant part à des mesures cinétiques, ce qui pourrait aussi avoir une incidence sur la réussite subséquente de la GRC dans le cadre d'une poursuite. Je pense que cette crainte de conflit a doublé à ses yeux.

Lorsque je me suis adressé à la Chambre au sujet du projet de loi C-44, je me suis concentré exclusivement sur les questions touchant l'espionnage étranger. À ce moment-là, la seule considération était la suivante : le SCRS fonctionne-t-il de façon extraterritoriale en ce qui a trait à la collecte de renseignements conventionnelle? J'ai été moins préoccupé par cette notion, et, à ce moment-là, la Cour suprême n'avait pas accepté d'instruire l'affaire Re X. Maintenant qu'elle a accepté de le faire, je pense qu'elle le fera en tenant compte du projet de loi C-51. Beaucoup de questions seront soulevées dans le cadre de ce litige.

Le sénateur Day : Si nous n'avons pas vu le document présenté, c'est peut-être pour une raison. Selon une de nos règles, les documents distribués à tous les sénateurs doivent être dans les deux langues officielles, et je crois savoir qu'ils ne peuvent qu'être rédigés qu'en anglais. Nous l'obtiendrons en temps voulu, mais certains des amendements que vous avez proposés... viennent-ils exclusivement de vous ou de M. Roach et vous?

M. Forcese : Eh bien, ce sont les mêmes que ceux que j'avais préparés pour le comité de la Chambre. Je ne peux pas parler au nom de M. Roach, mais je n'ai aucune raison de croire qu'il les contesterait. C'est d'ailleurs ma faute s'ils ont été présentés si tard. Je ne les ai malheureusement reçus que ce matin.

Le sénateur Day : Je ne cherche pas à jeter le blâme. Il serait utile d'examiner ces amendements à la lumière des renseignements que vous nous avez fournis aujourd'hui, et j'ai hâte de les recevoir.

Monsieur Copeland, je soupçonne que nous ayons le même problème avec bien des documents que vous avez mentionnés au début. Le seul dont je dispose concerne M. Couture-Rouleau. Je viens tout juste de le recevoir.

M. Copeland : N'avez-vous pas reçu celui du comité permanent...

Le sénateur Day : Non.

M. Copeland : Il a été envoyé il y a deux semaines.

Le sénateur Day : Pourriez-vous nous nommer tous les documents que nous devrions avoir, selon vous, pour pouvoir comprendre votre témoignage? Nous allons en dresser la liste.

M. Copeland : Eh bien, pour les questions concernant la surveillance de Martin Couture-Rouleau par la GRC, il y a un document d'une demi-page, une réimpression d'un rapport de la CBC datant du 15 janvier. Il s'intitule « Martin Couture-Rouleau peace bond denied weeks before fatal attack » — Une demande d'engagement de ne pas troubler l'ordre public présentée par Martin Couture-Rouleau refusée quelques semaines avant l'attaque fatale. Le document principal contient quatre pages d'observations et certaines pièces jointes présentant les dispositions législatives initiales et les amendements proposés par la suite; il s'intitule « Comparution devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense au sujet du projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres lois ». Comme je l'ai dit, ce document a été envoyé il y a deux semaines, et j'ai cru comprendre qu'il était en train d'être traduit et distribué aux membres du comité.

Le sénateur Day : Nous pourrions faire d'autres copies, au cas où ils se seraient perdus en chemin.

Le président : Sénateur, on en fera le suivi.

M. Copeland : Je peux laisser mes exemplaires ici, si vous voulez. Je n'ai qu'à appuyer sur un bouton à l'ordinateur pour les reproduire.

Le sénateur Day : Je remercie chacun d'entre vous pour vos observations très claires.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs.

Je lis votre mémoire, monsieur Copeland, et il me semble qu'il justifie d'autant plus notre besoin des projets de loi C-44 et C-51 : parce que les policiers avaient les mains liées. Ils ne pouvaient rien faire qui leur aurait permis de l'appréhender. Du moins, c'est ma façon de voir les choses.

Je partage les préoccupations de la sénatrice Stewart Olsen à l'égard de la perception du public; il veut que nous fassions quelque chose. Les membres du public ont les yeux qui deviennent vitreux lorsqu'ils lisent ces articles des projets de loi qui semblent se contredire.

M. Copeland : Pouvez-vous vous arrêter là?

La sénatrice Beyak : Certainement.

M. Copeland : Si l'avocat du gouvernement a eu tort de donner son conseil à la GRC, il s'agit d'une situation très différente. Je ne suis pas convaincu de la nécessité des deux projets de loi, mais il faut obtenir une réponse à cette question, à mon avis, avant de passer à la prochaine étape.

Il est certain que j'ai fait affaire avec beaucoup d'avocats du gouvernement. Je souscris à certains de leurs conseils, et je ne suis pas d'accord avec d'autres, mais je pense que vous devriez l'examiner.

La sénatrice Beyak : C'est dommage.

Les projets de loi C-44 et C-54 ont été rédigés dans la meilleure des intentions, avec l'aide de nos meilleurs alliés, le Groupe des cinq. Pourriez-vous commenter les rapports entre le projet de loi C-44 et les bonnes intentions des autres pays?

M. Copeland : Je n'ai pas préparé de mémoire à ce sujet. D'après mon expérience de travail en tant qu'avocat spécial, lorsque nous avons vu des documents qui provenaient du Groupe des cinq, je peux vous dire que cela arrivait sous forme de renseignements. Des restrictions y sont appliquées. Ils sont tous très secrets. Ils ne peuvent pas être transmis à d'autres personnes.

À mon avis, les membres du Groupe des cinq échangent des renseignements depuis toujours. On a empêché le Canada d'espionner des Canadiens, la NSA d'espionner des Américains, et je pense que le Quartier général des communications du gouvernement britannique a été visé par la même interdiction. J'avais l'impression qu'ils communiquaient tout le temps des renseignements et que ces échanges se poursuivaient. Je ne peux pas documenter ces échanges, mais c'était assurément mon impression quant à ce qui est arrivé. Je ne pense pas que les révélations de M. Snowden ajoutent des doutes dans mon esprit à ce sujet.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

Le sénateur Baker : Messieurs, merci de votre présence. Vous avez tous deux apporté une excellente contribution au droit canadien en vos qualités respectives, et vous le faites depuis des années. Vous avez façonné le droit canadien, et c'est très impressionnant.

Mon premier commentaire auquel vous voudrez peut-être donner suite concerne les sources. Le gouvernement a raison, c'est-à-dire que les sources doivent rester confidentielles. N'êtes-vous pas d'accord pour dire que votre problème survient lorsque les seuls renseignements dont vous disposez pour entamer une poursuite ou obtenir un mandat ou un certificat proviennent de sources? Pourtant, lorsqu'on regarde nos lois, au Canada, et qu'on retourne à l'affaire Garofoli, où il est dit qu'on ne peut compter seulement sur des sources, on sait qu'il faut au moins une enquête policière pour confirmer les faits présentés par les sources. Les sources à elles seules ne suffisent pas.

Il y a une phrase dans le projet de loi... Monsieur Forcese, peut-être que vous voudrez la commenter, et je vais vous dire pourquoi vous devriez le faire. Cette phrase est ainsi libellée : « Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger [...] », vous avez dit, monsieur, qu'il s'agissait d'une affirmation assez courageuse. C'est le terme que vous avez employé, « courageuse ».

Vous dites maintenant au comité, aujourd'hui, que vous avez jeté un coup d'œil à l'arrêt Hape de la Cour suprême du Canada. Selon cet arrêt, on ne peut pas faire obstacle à la souveraineté d'une autre nation en ce qui a trait à ses lois, et vous avez tout à fait raison. Mais, tout récemment — il y a six mois —, la Cour suprême du Canada vous a cité abondamment dans quatre paragraphes, dans une affaire appelée Kazemi (succession) c. République islamique d'Iran. C'est un document que vous avez rédigé en 2007, je crois. Voici ce qu'elle déclare :

Tout comme les États étrangers ne veulent pas que leurs mesures exécutives, législatives ou publiques soient remises en question devant les tribunaux canadiens, le Canada préfère éviter de devoir défendre ses mesures et politiques devant les tribunaux étrangers.

Elle vous cite, vous, M. Forcese, au paragraphe 135. J'ai consulté ce paragraphe, que vous avez rédigé il y a de nombreuses années, qui s'intitule De-immunizing Torture : Reconciling Human Rights and State Immunity — Cesser d'immuniser la torture : Concilier les droits de la personne et l'immunité des États —, et votre première phrase renvoie à la simple réciprocité. Vous avez déclaré que les représailles du type œil pour œil, dent pour dent, nuiraient assurément à la diplomatie internationale. Vous parlez de réciprocité,

Maintenant, nous sommes en train d'adopter une loi qui, selon vous, est peut-être illégale, mais la Cour d'appel fédérale a récemment affirmé qu'il est illégal de faire obstacle aux lois d'une autre nation. N'êtes-vous pas préoccupé par la réciprocité? Nous adoptons ce projet de loi selon lequel nous pouvons faire ce que nous voulons grâce à un mandat aux États-Unis, écouter des conversations, puis, selon le principe de réciprocité, comme vous le soutenez dans votre argument de 2007, les États-Unis mettraient nos téléphones sur écoute, installeraient des dispositifs d'écoute dans nos voitures et nos chambres à coucher au Canada sans avoir obtenu l'autorisation de le faire. N'est-ce pas en réalité la réciprocité plutôt que la légalité du fait d'enfreindre les lois de l'État souverain d'une personne qui suscite des préoccupations?

M. Forcese : Il y a beaucoup d'éléments.

L'article auquel vous renvoyez porte sur l'immunité des États, qui est une notion très différente. Il concerne la capacité des tribunaux d'un État de poursuivre un autre État. Le principe de la réciprocité est assez important, c'est-à-dire que c'est la raison de l'existence de ce barreau.

La grande question concerne le droit et l'espionnage internationaux, plus particulièrement l'espionnage en temps de paix, et le droit international est créativement ambigu. Alors, lorsque je me suis présenté devant le comité de la Chambre des communes qui se penche sur le projet de loi C-44, comme j'avais rédigé un autre article sur l'ambiguïté du droit international en ce qui a trait à l'espionnage en temps de paix, je n'étais pas prêt à dire que l'espionnage par le Canada dans un État étranger en temps de paix constituerait une violation du droit international dans tous les cas, et je ne suis toujours pas prêt à le dire.

Ce qui me préoccupe au sujet de cet extrait de l'arrêt Hape, qui laisse entendre que, dès qu'on passe à une participation active de son gouvernement sur un territoire étranger — ce qu'on appelle la « compétence d'exécution », l'emploi de la force physique dans une administration étrangère —, c'est à ce moment qu'on viole le droit international. Ce passage de Hape, qui figure là sans explication, donne à penser que cela pourrait être constitutionnellement inadmissible.

Cela me surprendrait, je dois dire, car il s'agirait d'une nouvelle compréhension de notre Constitution, du moins, selon la compréhension que j'en ai toujours eu, mais le passage est là, et cette question sera mûre pour Re X.

Selon moi, cette question touche davantage le projet de loi C-51 parce qu'elle autorise un service à se rendre à l'étranger et à y faire des choses physiquement, d'une certaine manière, alors que le projet de loi C-44 concerne, du moins, en principe, davantage la collecte de renseignements, même si je reconnais que la collecte de renseignements peut être très intrusive et physique, dans certains cas.

Le dernier élément concerne la Cour d'appel fédérale dans Re X. Cette cour n'a pas répondu à la question à savoir si ce serait permissible. Elle a dit que le sujet n'avait pas été assez bien formulé en tant qu'argument. Je ne suis pas certain que cela empêchera la Cour suprême d'aborder la question.

Le sénateur Baker : Merci.

Monsieur Copeland, vous avez obtenu beaucoup de succès dans certaines des instances auxquelles vous avez pris part. J'en ai examiné une. Vous l'avez évoquée il y a un moment. Il s'agit d'une phrase tirée d'un jugement de la Cour fédérale, qui figure au paragraphe 134 de la décision Almrei, où le juge Mosley déclare ce qui suit :

Le contenu de ces rapports était pertinent quant au bien-fondé du certificat et à la requête présentée par les avocats spéciaux [...]

— c'est vous —

[...] visant à faire annuler le certificat au motif qu'il y a eu manquement à l'obligation de franchise.

C'est-à-dire le fait de ne pas donner tous ces renseignements au juge ou à la personne qui délivre le certificat, de ne pas avoir été franc et de ne pas avoir dit toute la vérité au sujet de ce qui se passait.

Le rapport annuel de 2013 du SCRS mentionne de nombreux jugements qui ont été rendus et de nombreux mandats qui ont été délivrés qui, selon les tribunaux, étaient illégaux. La question que je vous pose est la suivante : ne pensez-vous pas que tout avocat de la défense... si des renseignements figurant dans seulement un des mandats qui ont été délivrés — selon eux, il n'y en a eu 673 — allaient être contestés par un tribunal du pays si jamais ils étaient présentés dans le cadre d'un procès, le mandat n'aurait pas été délivré, puisque la demande de mandat ne respectait pas l'obligation de franchise à l'égard du juge qui délivrait le mandat et que cela allait poser problème?

M. Copeland : Je m'attendrais certes à ce que l'avocat de la défense, si des éléments de preuve sont présentés à la suite du mandat... je présume que vous parlez d'un mandat d'intercepter des conversations, puis d'une conversation tenue par l'accusé dans le cadre du procès. Dans ces circonstances, je m'attendrais à ce que l'avocat de la défense tente d'attaquer le mandat.

Je suis désolé. Je ne vais pas me souvenir de l'affaire. Il y en a une qui date de près de 30 ans, où le gouvernement a abandonné la poursuite parce qu'il avait menti pour obtenir une autorisation.

Le sénateur Baker : Oh, il y en a plusieurs.

M. Copeland : Non, non, il s'agissait d'une affaire liée à la sécurité nationale.

Il sera attaqué, c'est certain, ou bien une demande sera présentée dans le but d'exclure les éléments de preuve. Leur exclusion dépendra du juge président, et on trouvera un juste équilibre aux termes de l'article 24 de la Charte.

Le sénateur Baker : Du paragraphe 24(1).

M. Copeland : Dans une telle situation, je ne sais pas ce que ferait le juge. S'il s'agit d'un oubli d'avoir dit au tribunal qu'on allait avoir recours à un organisme étranger pour obtenir les renseignements, je m'attendrais plutôt à ce que le juge dise que ce n'est pas assez grave pour exclure les éléments de preuve obtenus grâce à l'écoute électronique, car la conversation qu'a eue la personne pourrait très bien constituer une partie importante de la poursuite.

Alors j'ignore quel sera le résultat, mais il y aura certainement un litige à ce sujet, ainsi que des contestations en vertu de la Charte à l'égard de l'admissibilité de la déclaration.

Le président : Me permettriez-vous d'intervenir, chers collègues? Nous nous retrouvons dans une discussion entre avocats, et c'est très divertissant, mais revenons au gros bon sens. Si une personne présente un mandat et omet sciemment de fournir tous les renseignements, ne contrevient-elle pas d'emblée à une loi?

Dans ce cas précis, lorsqu'il s'agit de sécurité publique, si le juge décide qu'un mandat sera appliqué, il sera délivré, mais le juge voudra recevoir un compte rendu et continuera de surveiller ce qui est fait en vertu de ce mandat; il me semble que cet article est très bien.

M. Copeland : La question qui m'a été posée concernait une poursuite pénale qui entraîne la collecte de renseignements en vertu d'un mandat. C'est très différent du juge qui le délivre et qui fait un suivi pour voir ce qu'on fait avec l'autorisation. Il s'agit d'un juge de première instance qui va rendre la décision quant à l'admissibilité des communications qui ont été interceptées.

Le président : Dans ce cas, il s'agit d'un frein et d'un contrepoids intégrés au système.

M. Copeland : Oui.

M. Forcese : Pourrais-je simplement revenir à mon commentaire initial, c'est-à-dire que le mandat constituera une autorisation pour le service et que, si le service dépasse la portée du mandat, c'est dans ces cas-là que nous avons des problèmes. La question, cependant, c'est qu'il est très difficile de déterminer clairement quand un mandat sera requis pour intercepter des communications extraterritoriales parce que l'élément déclencheur, qui est implicite au pays, n'existe pas du côté international. Dans l'intérêt du service, il me semble qu'il serait utile que le législateur précise quelles sont les situations où on aurait un motif raisonnable de croire qu'un mandat est requis.

Le risque que nous courons maintenant, c'est que personne ne le sache vraiment avant que quelqu'un ne porte l'affaire en justice. En attendant, il y aura de l'incertitude, et après, il y aura un autre scandale, car le tribunal pourrait décider que le service a agi de façon inappropriée jusqu'à ce moment-là.

Il me semble qu'il incombe au législateur de préciser dans la loi quels sont les éléments déclencheurs de l'obligation du service de s'adresser d'emblée à un juge pour demander un mandat, dans un contexte où ce n'est fondamentalement pas clair.

Le sénateur Baker : Les arrêts Morelli — paragraphe 44 — et Araujo — paragraphe 46 — répondent à la question. Bien entendu, la Cour suprême du Canada va maintenant répondre à la question dans le cadre de l'appel qu'elle a accepté d'entendre il y a deux semaines. Toutefois, dans des circonstances normales, tout mandat grâce auquel des éléments de preuve ont été obtenus est contesté devant un tribunal lorsqu'il s'agit d'un procès au criminel. Si des renseignements sont considérés comme n'ayant pas été fournis au juge qui a délivré le mandat, alors, comme vous le dites, monsieur Copeland, le juge doit déterminer si le mandat aurait été délivré, compte tenu des nouveaux renseignements qui auraient dû être présentés au juge.

Selon moi, compte tenu de l'historique de ces jugements, le tribunal va tout simplement le rejeter, et on se retrouvera avec 673 mandats dont le résultat aura été jeté aux poubelles.

M. Forcese : C'est vrai dans un contexte policier, mais, dans le contexte du SCRS, seul un nombre déterminé de mandats finissent par aboutir devant un tribunal pénal. Il est presque certain que la personne qui est visée par un mandat du SCRS ne saura jamais qu'elle est surveillée, qu'elle n'aura jamais la possibilité de contester la légalité de cette mesure, alors nous dépendons du fait que le SCRS dispose des ressources nécessaires pour examiner de près ce qu'ont fait les agents du SCRS. Comme je l'ai dit, il y a une limite finie à ce que le CSARS peut examiner.

Le sénateur Baker : En vertu ou en application d'un certificat, mais je parle d'une poursuite pénale aux termes du Code criminel.

M. Forcese : C'est très rare dans le cas des mandats du SCRS.

Le sénateur Mitchell : Il y a une autre nuance. Ce n'est peut-être pas si nuancé.

L'autre jour, un avocat m'a présenté un argument selon lequel ce qui est vraiment en jeu dans ce processus de mandat aux termes duquel on demande, dans un sens — peut-être explicitement — à un juge de la Cour fédérale d'autoriser une activité illégale dans un autre pays — ce qui, on pourrait le faire valoir, est problématique —, c'est la crainte du SCRS que ses agents n'aient pas l'immunité s'ils enfreignent des lois. Si la vraie question est l'immunité, pourquoi ne pas simplement aborder l'immunité comme on le fait dans l'affaire britannique, où on aborde tout simplement l'immunité et, en conséquence, on contourne beaucoup d'aspects de ce problème? N'est-ce pas un argument légitime?

Il me semble que, selon cette information, il l'est très certainement. C'est le SCRS, je pense, qui affirme être préoccupé au sujet de l'immunité de ses agents. Il s'agit d'un moyen contourné de régler le problème, qui crée d'autres problèmes, et on leur accorde simplement l'immunité.

M. Forcese : C'est vrai. Bien entendu, ils n'auront pas l'immunité contre les lois étrangères. S'ils se font prendre en train de commettre une infraction à une loi étrangère...

Le sénateur Mitchell : Ils enfreignent également des lois canadiennes.

M. Forcese : Ils pourraient enfreindre des lois canadiennes, mais le problème, c'est que les lois canadiennes s'appliquent rarement au-delà des frontières du Canada et que même la Charte ne s'étend habituellement pas au-delà des frontières du pays. Dans la mesure où ils tentent de se protéger par l'immunité, les agents tentent de s'attaquer à l'ambiguïté. Ce que j'espère, c'est que vous dissiperez cette ambiguïté en précisant exactement quand ils doivent obtenir un mandat.

Vous avez raison; le mandat leur conférerait ensuite l'immunité contre, disons, des poursuites aux termes de la partie VI du Code criminel pour l'interception illicite de communications privées.

Le sénateur Baker : La partie VI est exclue.

M. Forcese : Elle est exclue dans la mesure où les agents ont un mandat, mais s'ils agissaient en dehors du cadre d'un mandat et qu'ils interceptaient des communications privées, les protections — l'exclusion — ne s'appliqueraient pas.

Le président : Encore une fois, pour le compte rendu, concernant cet article en particulier, des éléments de preuve nous ont été présentés selon lesquels certaines instances n'ont pas eu lieu parce que l'immunité n'avait pas été accordée aux personnes qui auraient été impliquées, si tel avait été leur choix.

M. Forcese : S'agit-il du privilège de l'informateur?

Le président : Non, c'était dans le cadre d'un autre témoignage présenté devant le comité concernant cet article précis du projet de loi. Le fait que les personnes impliquées n'ont pas encore l'immunité cause des problèmes parce que certaines personnes ont dit qu'elles n'étaient pas prêtes à participer parce qu'elles ne savaient pas quelle était leur situation. Il y a donc un autre fardeau inverse sur le plan de la responsabilité du gouvernement à l'égard des personnes qui aideraient à porter devant les tribunaux des affaires qui sont dans l'intérêt public.

M. Forcese : Je ne le conteste pas du tout.

Le président : Par conséquent, je dirais que cet article particulier est important et qu'il devrait être pris en compte aux fins de l'adoption du projet de loi.

M. Forcese : Je suis d'accord, mais, encore une fois, ma préoccupation n'est pas liée à l'existence de cette disposition; elle concerne l'absence de critères clairs quant au moment où il faut demander le mandat. Une fois qu'on l'a, on est protégé par l'immunité.

La préoccupation est liée au fait qu'on ne sait pas clairement quand on a besoin du mandat. Quand savez-vous que vous devez obtenir le mandat afin de recevoir...

Le président : Nous n'entrerons pas dans un débat exhaustif, mais je voulais approfondir un peu cette question, chers collègues, parce que je pense qu'elle est importante.

De nombreux témoins se sont présentés devant le comité et ont expliqué comment la menace évolue et la mesure dans laquelle elle s'accroît avec les jours qui passent. On nous présente un très grand nombre de nouveaux aspects concernant ce à quoi nos organismes d'application de la loi doivent faire face.

Selon le projet de loi, il faut s'adresser aux tribunaux pour obtenir diverses autorisations pour faire contrepoids dans le système, comme l'a expliqué plus tôt un témoin, tout juste avant votre arrivée.

La question que je vous pose concerne le fait que nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve, compte tenu de la façon dont la situation évolue et que, tous les jours, il y a une nouvelle révélation, et nous devons pouvoir accorder une certaine marge de manœuvre aux organismes d'application de la loi. Si on dispose d'un mécanisme de freins et contrepoids au tribunal, cela n'annulerait-il pas certains des problèmes que vous prévoyez à la suite de l'adoption du projet de loi?

M. Forcese : C'est ce dynamisme de la situation et la nécessité que le Canada soit en mesure de recueillir des renseignements auprès de personnes qui traversent les frontières qui justifient cette disposition. Selon moi, vous avez peut-être besoin d'une disposition prévoyant qu'« il est entendu que » qui précise les situations où le service aura des motifs raisonnables de croire qu'un mandat est effectivement requis.

Les situations n'exigeront pas toutes un mandat, comme c'est le cas au pays. Ici, on sait qu'on a besoin d'un mandat dès qu'on enfreint la Charte. À l'étranger, on n'arrive même pas à déterminer clairement si la Charte s'applique, alors quand a-t-on besoin du mandat à l'étranger?

Tant que la Cour suprême n'aura pas clarifié la jurisprudence sur l'étendue de la Charte à l'étranger, le service va agir dans l'incertitude quant aux situations où ses agents doivent s'adresser à un juge pour obtenir l'un de ces mandats extraterritoriaux.

Tout ce que je suggère au comité, c'est qu'il prévoie, pour une plus grande précision, qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un mandat est requis dans telle ou telle circonstance.

Le président : Je pourrais poursuivre sur cette lancée, chers collègues, mais je ne le ferai pas.

Le temps alloué à cette partie précise de la séance est déjà écoulé. Je voudrais remercier nos témoins. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de votre présence.

Je voudrais permettre aux témoins de se retirer.

Sénateur Mitchell, je pense que vous voulez invoquer le Règlement.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, monsieur le président.

Je sais qu'on souhaite adopter ce projet de loi. Nous comprenons tous l'importance de régler le problème en question et sommes conscients que nous avions prévu une étude article par article aujourd'hui. Je suis un peu préoccupé par la perspective de procéder à une étude article par article du projet de loi immédiatement après avoir entendu les témoins, mais surtout aujourd'hui en raison de la substance de ce que nous avons entendu.

Les quatre témoins étaient exceptionnellement bons, très précis. Ils ont soulevé des questions auxquelles, je l'estime, nous aurons besoin de réfléchir pendant un certain temps. J'ai assurément besoin d'un peu de temps pour les prendre en considération et étudier la possibilité d'effectuer des amendements à l'étape de l'étude article par article.

Si on tient compte du moment de la question, nous ne terminerons pas la troisième lecture avant la semaine prochaine, de toute façon. Ainsi, si nous procédions à l'étude article par article lundi prochain, cela nous donnerait la possibilité de tenir compte de ce genre de puissants témoignages précis et substantiels. Je pourrais dresser la liste de certaines des questions qui ont été soulevées. Le renoncement à la citoyenneté, qui serait un amendement très simple, en serait une. Le suivi par le CSARS de la communication des renseignements en est une autre qui renforcerait le projet de loi.

Non seulement nous aurions la possibilité d'envisager des amendements qui ont été soulevés dans le cadre de ce témoignage et qui pourraient renforcer le projet de loi et dissiper certaines préoccupations, mais en plus, nous ne retarderions pas l'adoption du projet de loi à la troisième lecture, puisqu'il est très peu probable qu'il fasse l'objet d'une troisième lecture cette semaine de toute manière.

Le président : Chers collègues, nous avons entendu le sénateur invoquer le Règlement. Je voudrais signaler que le prochain point à l'ordre du jour porte sur le projet de loi C-27. C'est très important.

Ensuite, nous aborderons le projet de loi C-44. Si la majorité des membres acceptent de traiter du projet de loi C-44, une motion sera proposée à cette fin. Je suggérerais que nous suspendions la séance pour 30 minutes, que nous revenions pour traiter de la mesure législative relative aux anciens combattants, puis que nous décidions si nous allons poursuivre avec le projet de loi C-44 ou pas.

Le sénateur Kenny : Une motion a été proposée, monsieur le président, dont nous pouvons tous parler.

Le président : Il s'agissait d'un rappel au Règlement.

Le sénateur Kenny : D'accord. C'est une motion, et nous pouvons tous en discuter.

Le président : J'attendais que les gens abordent le rappel au Règlement, mais personne n'a levé la main.

Le sénateur Kenny : Vous aviez quelque chose à dire, et je voulais vous laisser terminer.

Le président : Voudriez-vous discuter du rappel au Règlement?

Le sénateur Kenny : Oui, s'il vous plaît.

Selon moi, lorsque des témoins viennent nous parler de documents qu'ils nous ont envoyés, mais que nous n'avons pas encore vus, le fait que nous laissions entendre que nous allons procéder à l'étude finale du projet de loi constitue un manque de respect de la part du comité à l'égard des témoins qui ont présenté l'information. Il semblerait que certains des renseignements aient été fournis il y a un certain temps.

Je pense que, par respect pour nos témoins et pour l'intégrité du système, aucun d'entre nous ne veut sembler faire de jugement hâtif sans avoir pris connaissance de tout le matériel qui nous a été présenté.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends ce que vous voulez dire, mais je pense que les témoins se sont extrêmement bien exprimés lorsqu'ils ont expliqué leur mémoire. Même si nous n'avons pas vu les documents à l'avance, les témoins ont certainement pu nous présenter très clairement leurs impressions et leurs pensées. Je ne verrais pas cela comme un manque de respect envers les témoins, puisque nous leur avons accordé une audience complète et que nous avons écouté leur témoignage en entier. J'estime donc que nous devrions nous en tenir à l'ordre du jour et continuer. Mais je ne suis pas certaine que nous soyons encore rendus là. Cela viendra plus tard, selon moi.

Le président : Sénateur Day, au sujet du rappel au Règlement.

Le sénateur Day : Concernant le rappel au Règlement, je veux tout d'abord dire que les témoins d'aujourd'hui ont présenté d'excellents exposés et qu'ils nous ont donné beaucoup de matière à réflexion. Mon rôle — et la raison pour laquelle je suis sénateur —, c'est de tenter de faire de mon mieux pour améliorer le plus possible le projet de loi qui nous est présenté. Dans ce cas particulier, certains amendements — que nous n'avons pas encore vus — sont recommandés dans les observations présentées par l'un de nos derniers témoins. Aucun d'entre eux n'a pu présenter l'ensemble de ses observations, mais tous en ont parlé.

Nous ne pouvons pas faire le travail qui est attendu de nous sans examiner ces documents et les comparer à ce que les témoins avaient à dire. Je ne sais pas ce qu'une demi-heure nous apporterait. Sans les documents, la demi-heure ne me sera d'aucune utilité. Je proposerais que vous tranchiez à l'égard de cette question particulière à cette étape, sauf si vous vouliez que nous fassions autre chose durant la demi-heure.

Le président : Chers collègues, y a-t-il d'autres commentaires?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur le président, lorsque j'étais policier, j'avais beaucoup de difficulté avec les avocats de la défense, et c'est peut-être pour cette raison que, en écoutant les témoins, j'ai trouvé qu'ils avaient l'air de deux avocats de la défense, qui passent leur temps à blâmer les policiers. C'est peut-être ce qui me fait rebrousser le poil.

J'ai eu l'impression qu'on n'analysait pas le projet de loi, mais qu'on faisait plutôt le procès du SCRS et de la GRC. J'avais de la difficulté à les écouter, et je suis de plus en plus convaincu qu'on devrait adopter le projet de loi C-44, et peut-être même le projet de loi C-51.

Je comprends les avocats, monsieur le président. Je ne veux choquer personne, si des avocats se trouvent dans la salle ou autour de la table. Les avocats disent souvent que le diable est dans les détails, et ils cherchent les détails. Par contre, les projets de loi visent à nous protéger des actes terroristes. Or, on vient de recevoir des enveloppes suspectes, à l'édifice du Centre et à l'édifice Victoria. Pendant que des attentats se poursuivent, on fait l'analyse approfondie du travail des policiers. Je tenais à faire ce commentaire.

J'étais prêt aujourd'hui à passer à l'étude article par article. À mon avis, on doit respecter l'ordre du jour.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, j'aimerais formuler l'observation suivante : nous avons bel et bien un ordre du jour, comme je l'ai mentionné plus tôt, lorsque nous avons commencé à discuter du rappel au Règlement. Nous avions prévu de débattre et de discuter de deux autres projets de loi au sein de notre comité. Le premier est le projet de loi C-27, qui nous a été adressé par le Sous-comité des anciens combattants et que nous devrions étudier. Ce sera le premier point à l'ordre du jour cet après-midi.

Ensuite, une motion sera proposée afin de déterminer si nous devrions procéder à la lecture du projet de loi C-44. Je pense que certains membres ont fait valoir leurs arguments assez clairement, mais nous allons prendre une décision à ce moment-là, alors je suspendrais la séance jusqu'à 15 h 45.

La sénatrice Stewart Olsen : Quinze minutes seulement.

Le sénateur Day : Monsieur le président, je suis prêt à passer au projet de loi C-27 dès maintenant.

Le président : Je voudrais suspendre la séance pour 15 minutes, alors nous allons reprendre les travaux à 15 h 35.

(La séance est suspendue.)

——————

(La séance reprend.)

Le président : Chers collègues, je crois savoir que le premier point à l'ordre du jour est le projet de loi C-27. Sénateur Day, vous avez la parole.

Le sénateur Day : Merci, monsieur le président.

Au nom de la sénatrice Stewart Olsen et d'autres membres du Sous-comité des affaires des anciens combattants ainsi qu'en mon propre nom, nous voudrions remercier le comité d'avoir envoyé le projet de loi C-27 au sous-comité. Nous avons tenu trois réunions et entendu 12 témoins dans le cadre de notre étude de ce projet de loi. En complément, le nouveau ministre des Anciens Combattants nous a présenté un témoignage au sujet de ce projet de loi particulier. C'était la première fois qu'il assistait à une réunion du Sénat.

À la suite de ces réunions et des délibérations, nous avons tenu une réunion afin de procéder à l'étude article par article. Cette réunion a eu lieu plus tôt aujourd'hui, et je suis heureux de vous annoncer que le sous-comité a adopté le projet de loi à l'unanimité.

Monsieur le président, j'ai une motion à proposer : que le comité adopte le projet de loi C-27, Loi modifiant la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (accès élargi à l'embauche pour certains militaires et anciens militaires des Forces canadiennes) sans amendement et que le président fasse rapport du projet de loi au Sénat.

Le président : Y a-t-il un débat sur la motion?

La sénatrice Stewart Olsen : Avez-vous besoin d'un comotionnaire?

Le sénateur Day : Pas au sein du comité, mais je pense que vous devriez l'appuyer de toute manière.

Le président : Tous ceux qui sont pour?

Des voix : D'accord.

Le président : C'est unanime.

Chers collègues, nous avions un autre point à l'ordre du jour. Il s'agissait de l'étude article par article du projet de loi C-44. Plus tôt dans l'après-midi, nous avons abordé la question de savoir si nous devrions procéder ou non à cette étude, après le départ des derniers témoins.

Par conséquent, je vais poser la question pour que nous en débattions : plaît-il au comité de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d'autres lois?

Le sénateur Day : Non.

La sénatrice Stewart Olsen : D'accord.

Des voix : D'accord.

Le président : Avec dissidence? D'accord.

Nous allons procéder à l'étude article par article, dans ce cas. Est-il convenu de reporter l'étude du titre?

Des voix : D'accord.

Le président : Est-il convenu de reporter l'étude de l'article 1, qui contient le titre abrégé?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 2 est-il adopté?

Le sénateur Mitchell : J'ai un amendement à proposer, monsieur le président.

Le président : Chers collègues, le sénateur Mitchell m'a informé du fait qu'il avait trois amendements à proposer concernant trois articles différents du projet de loi. Je demanderais à la page de bien vouloir distribuer tous les amendements, puis nous pourrons procéder en conséquence.

Le sénateur Mitchell : Merci.

Le président : Je veux remercier le sénateur Mitchell. Il nous avait donné un avertissement concernant les amendements afin que nous ayons le temps de nous préparer.

Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur le président.

L'amendement que je propose d'apporter à l'article 2 est le suivant :

Que le projet de loi C-44 soit modifié à l'article 2, à la page 1, par substitution, à la ligne 11, de ce qui suit :

« reçu une promesse expresse d'anonymat et qui, par la ».

L'explication de cet amendement, c'est que la préoccupation que nous avons entendue est, dans un sens, ironique, et que, même si on renforce la capacité du SCRS d'offrir l'anonymat et la confidentialité à ses informateurs — en raison d'un jugement des tribunaux selon lequel le service n'avait pas ce pouvoir que les policiers ont maintenant —, le risque que l'on court, c'est que le projet de loi prévoie implicitement que tout le monde obtiendra cette confidentialité. Au bout du compte, alors que les policiers font très attention à la façon dont ils utilisent ce pouvoir, car, une fois accordée, la confidentialité peut ruiner la capacité d'utiliser cette source dans le cadre d'une poursuite, ce qui est préoccupant, c'est que, si l'on tient pour acquis qu'il s'agit d'une garantie de confidentialité générale pour une source du SCRS, ces sources pourraient ne pas être disponibles aux fins d'un procès ultérieur. De fait, on a fait valoir que l'une des raisons pour lesquelles la poursuite a échoué dans l'affaire d'Air India tenait exactement à cela. Une source anonyme n'a pas pu présenter de témoignage au procès. Par conséquent, les éléments de preuve n'étaient pas adéquats, et la poursuite a échoué.

Ce que cet amendement permettrait de faire, ce serait de dire qu'il n'y a pas de supposition implicite que la confidentialité et l'anonymat d'une source de renseignement humaine du SCRS, en tant que catégorie, seront protégés, mais que cette protection doit être accordée explicitement. En fait, cet amendement nous procure le meilleur des deux mondes. Il permet au SCRS de faire ce que les tribunaux ont dit qu'ils n'avaient pas le pouvoir de faire, tout en assurant une certaine prudence afin de réduire la probabilité que, un jour, une source ne puisse pas être utilisée dans le cadre d'une poursuite.

Nous présentons cet amendement pour trouver un équilibre et avoir le meilleur des deux mondes. C'est une simple question de bon sens.

Le sénateur Kenny : Je devrais d'abord commencer par dire aux membres du comité que, de manière générale, je suis en faveur du texte législatif à l'étude et que l'amendement proposé par le sénateur Mitchell relève vraiment de l'ironie et pose vraiment problème.

Je pense que nous comprenons qu'il faut offrir l'anonymat, mais, si nous l'offrons de façon générale et que cela fait en sorte que les gens ne puissent pas prendre part à une procédure judiciaire subséquente, nous devrions faire très attention au choix des personnes à qui nous accordons cet anonymat.

On pourrait presque dire qu'il y a anonymat implicite lorsqu'un agent, ou encore un policier, s'il s'agit d'une affaire criminelle, dit : « Nous allons nous occuper de vous. Ne vous inquiétez pas. Votre intérêt nous tient à cœur. » Il est alors présumé qu'une mesure corrective va être prise, et il s'agit presque invariablement d'accorder la confidentialité à la personne concernée.

Le problème que cela pose, à mes yeux, c'est qu'il y a des intervenants du système qui ne sont pas conscients d'autres délits qui se profilent et ne se rendent pas compte qu'ils pourraient compromettre le processus. Si nous ne créons pas un système dans lequel l'ensemble de la chaîne de commandement sait qu'une offre de confidentialité est présentée, il se peut très bien que nous nous retrouvions dans une situation où nous nuisons par inadvertance au déroulement de procédures judiciaires ultérieures.

J'aimerais que nous prenions tous cela en compte. Je n'essaie pas de détourner le projet de loi. J'essaie d'en faire un texte législatif plus efficace que nous ne regretterons pas d'avoir adopté.

La sénatrice Stewart Olsen : Je prends certainement acte de vos arguments. Ma principale préoccupation — et je pense que c'était aussi la préoccupation principale du SCRS et des personnes qui ont rédigé le projet de loi —, c'est que les sources seront hésitantes à divulguer quoi que ce soit si on ne leur accorde pas la confidentialité.

Il s'agit d'un autre monde. J'entends parler de procédures judiciaires et peut-être de l'échec de ces procédures, mais je préfère permettre aux organismes de renseignement d'offrir une confidentialité de sorte que les témoins ou les sources puissent leur communiquer de l'information susceptible de protéger les Canadiens sans que ces gens pensent que cela mettra leur vie en jeu.

Je pense qu'il faut tenir compte de cela. Je pense que c'est la première étape pour le SCRS, c'est-à-dire le fait que nous devons obtenir l'information. Nous nous préoccuperons des poursuites ultérieurement, mais il faut que les gens nous divulguent les renseignements pour que nous puissions protéger la population. Je pense que c'est pour le plus grand bien de la population.

Je serais contre l'amendement.

Le sénateur Day : Il s'agit en réalité d'une question de clarification. Le libellé actuel du projet de loi est « a reçu une promesse d'anonymat, et le libellé de l'amendement est « a reçu une promesse explicite ». Y a-t-il une définition d'« explicite » ou une explication de ce qui est entendu par là? Comment vous attendez-vous à ce que cela soit interprété?

Le sénateur Mitchell : Il y a deux choses. La première, c'est une promesse explicite d'anonymat, et l'autre aspect, c'est que l'identité de la personne ne sera pas dévoilée. L'amendement précise davantage le fait que l'identité demeure confidentielle. Qu'est-ce vraiment qu'une promesse d'anonymat? L'amendement précise cela pour offrir plus de sécurité aux personnes concernées.

À « explicite », nous pourrions ajouter quelque chose comme « par écrit », mais mettre ces choses par écrit pourrait poser problème dans certains cas et laisser une trace susceptible de faire peur à une personne désireuse d'obtenir la protection dont il est question ici. Le mot « explicite » englobe « par écrit ». Il comprend « nous vous promettons de vous protéger ». L'utilisation de ce mot permettra au SCRS de choisir parmi divers moyens.

Le sénateur Day : J'ai remarqué qu'il est question de l'identité de la source humaine dans l'article 7 du projet de loi et dans l'article 18.1 proposé. Ces dispositions portent sur l'identité, ce qui suit votre modification.

Le sénateur Mitchell : Exactement.

Le sénateur Day : Le terme « identité » est utilisé.

Le sénateur Mitchell : Il n'est pas mentionné ici. Il s'agit simplement d'une promesse concernant l'anonymat et non l'identité, ce qui nous pousse à nous demander quel sens a le mot « anonymat » dans le contexte.

Le sénateur Day : Merci.

Le président : Chers collègues, avant de passer au sénateur Kenny, je voudrais mentionner que des fonctionnaires du ministère sont ici. L'avocate générale de Justice Canada et le chef de la direction des politiques et des partenariats stratégiques sont parmi nous si nous avons des questions. Je voulais vous le faire savoir.

Le sénateur Mitchell : Certainement.

Le président : Sénateur Kenny?

Le sénateur Kenny : Merci, monsieur le président. Lorsque j'ai entendu le commentaire de la sénatrice Stewart Olsen, j'ai pensé que je ne m'étais pas bien expliqué.

La sénatrice Stewart Olsen : Non, non.

Le sénateur Kenny : Je ne voulais pas donner l'impression que j'étais contre le fait d'accorder l'anonymat. Je pense qu'il faut simplement préciser que la promesse est « explicite », puisque le problème qui se pose jusqu'à maintenant, dans le domaine criminel, c'est le fait qu'elle est implicite. Vu la façon dont les gens sont traités par les agents procédant à l'arrestation, il y a parfois une présomption qui n'est vraiment pas fondée. Ce que nous disons, au fond, c'est que s'il doit avoir une promesse — et je ne suis pas contre; je comprends ce que vous dites, que la personne ne parlera pas tant qu'elle n'aura pas l'impression de pouvoir bénéficier d'un certain degré d'anonymat —, l'insertion du mot « implicite » ici rend plus probable ou même garantit qu'il va à ce moment-là y avoir un système au SCRS qui fera en sorte que tous les intervenants connaissent et comprennent la situation, ainsi que la possibilité que soient prises en compte les répercussions sur d'autres affaires judiciaires, lorsqu'on sait qu'il peut y en avoir. C'est pourquoi l'adoption d'un processus plus officiel, un processus explicite, est un petit changement, mais un changement important.

Le président : D'autres commentaires?

Dans ce cas, selon la procédure, je dois lire la motion pour qu'une décision puisse être prise.

Honorables sénateurs, vous plaît-il d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Le président : Avec dissidence? Convenons-nous que la motion d'amendement a été rejetée? D'accord; elle a été rejetée.

C'est une nouvelle procédure pour moi, chers collègues, alors soyez indulgents avec moi.

Le sénateur Kenny : Elle est nouvelle pour nous tous aussi. Je n'avais jamais entendu cette version auparavant.

Le président : Je vous demande d'être patient.

L'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 3 est-il adopté?

La sénatrice Stewart Olsen : L'article est adopté.

Le sénateur Day : L'article 2 a été adopté avec dissidence, étant donné qu'il y avait une motion qui a été rejetée.

Le président : L'article 2 est-il adopté avec dissidence?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 3 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

L'article 4 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

L'article 5 est-il adopté?

La sénatrice Stewart Olsen : D'accord.

Le sénateur Baker : Me permettriez-vous de demander une précision concernant cet article?

Le président : À qui?

Le sénateur Baker : À vous, au vice-président ou à l'un des experts à la tribune?

Le président : Allez-y.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, je viens de jeter un coup d'œil sur ce que m'a remis la greffière, c'est-à-dire le texte de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, et plus précisément l'article 5. J'ai remarqué que la version anglaise dit « a corporation » et que nous sommes en train d'adopter un texte en français qui dit « les personnes morales ».

Je pose la question parce que, dans la Loi sur les corporations canadiennes, c'est évidemment l'expression « corporations canadiennes » qui est utilisée en français, et il y a aussi la « Loi canadienne sur les sociétés par actions », donc l'expression « les sociétés par actions ».

Dans la Loi sur le SCRS, l'équivalent français de « corporation » est « personnes morales ». Je suppose que la plupart des gens diraient qu'il est contradictoire d'appeler les corporations des « personnes morales », mais j'aime bien l'expression. Je me demande pourquoi cette expression est utilisée dans le projet de loi qui nous occupe, alors que « corporation » et « sociétés par actions » sont utilisées dans d'autres textes législatifs.

Le président : Chers collègues, nous avons parmi nous des représentants du ministère. Peut-être que l'un de ces représentants pourrait s'avancer et répondre à la question.

Le sénateur Day : Pouvez-vous me dire de quel article il s'agit?

Le sénateur Baker : C'est l'article 5.

Le président : Chers collègues, j'aimerais souhaiter la bienvenue à notre témoin. Est-ce que le témoin peut se présenter?

[Français]

Nathalie Benoit, avocate générale, ministère de la Justice : Bonjour. Je ne m'attendais pas à cette question.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Je suis désolé, je ne m'attendais pas moi-même à poser la question.

Mme Benoit : Le projet de loi C-44 modifie l'article en question, alors l'expression « personnes morales » figurait déjà dans la loi en 1984. Il se peut que la modification ait été apportée en raison du Code civil du Québec. Au Québec, l'expression « une personne morale » désigne toute corporation ou société. C'est probablement pour cette raison que vous voyez l'expression « personne morale » dans le texte.

Le sénateur Baker : Vous n'avez cependant pas répondu à ma question. Ma question est la suivante... et si l'expression figurait dans la loi à l'origine, « une personne morale » dans la loi originale, « une ».

Mme Benoit : Il s'agit de l'article 16 de la version actuelle de la Loi sur le SCRS.

Le sénateur Baker : Oui, de l'alinéa 16(1)b). Ce qui m'intéresse, c'est de savoir pourquoi l'expression « corporation canadienne » figure dans la Loi sur les corporations canadiennes et pourquoi l'expression « les sociétés par actions » figure dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Dans ce cas-ci, dans la Loi sur le SCRS, l'expression utilisée est « personne morale ». À votre connaissance, s'agit-il d'une distinction pertinente en droit?

Mme Benoit : Pas que je sache. Cela s'explique probablement par le fait que, dans le cas des corporations fédérales, la loi est fédérale et s'intitule « Loi sur les corporations ». Lorsqu'on a harmonisé la loi dans le contexte du bijuridisme, à un moment donné, on a peut-être modifié les termes utilisés dans la version française pour tenir compte du bijuridisme canadien, et l'expression « personne morale » concorde mieux avec le Code civil du Québec. L'expression « personne morale » convient mieux que « corporation » en français. C'est tout.

Le sénateur Baker : Voilà la réponse, monsieur le président. Cela convient mieux en français.

Le président : Chers collègues, je peux peut-être demander au témoin de rester là pour le cas où il y aurait d'autres questions pendant que nous examinons le projet de loi. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 5 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

Le sénateur Day : J'essaie toujours de comprendre la dernière discussion.

Le sénateur Baker : Elle dit qu'en français, c'était « une personne », au singulier, et que le seul changement, c'est qu'elle met maintenant cette expression au pluriel.

Je pense que c'est ce que vous disiez.

Mme Benoit : Le changement apporté à la loi ne concerne pas précisément l'expression « une personne morale ». Il porte sur la signature du ministre, mais l'expression « une personne morale » englobe à la fois la corporation et...

Le sénateur Baker : Oui, mais le changement concerne le passage du singulier au pluriel. C'est ce que vous dites. Nous parlons encore de « personnes morales », mais vous avez dit que, dans le texte original, c'était « une ». C'est « une », au singulier?

Mme Benoit : Oui.

Le sénateur Baker : Et maintenant c'est au pluriel. C'est le seul changement, selon vous, et vous m'avez donné une explication à cet égard. En français, il convient mieux d'utiliser « personne morale » que « corporation », comme dans la législation canadienne.

Mme Benoit : C'est exact.

Le président : Sénateur Day, êtes-vous satisfait?

Le sénateur Day : Je suis plus que satisfait.

Le président : L'article 5 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté

L'article 6 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

L'article 7 est-il adopté?

Le sénateur Mitchell : J'ai un amendement à proposer pour l'article 7. Je propose :

Que le projet de loi C-44 soit modifié à l'article 7, à la page 3, par substitution, à la ligne 22, de ce qui suit :

« cence de l'accusé ou pour assurer l'équité de la procédure et le respect des principes de justice fondamentale et que cette communication ».

Le but de l'amendement est d'élargir la protection accordée à un accusé qui pourrait être innocent. Il vient protéger davantage le projet de loi contre une contestation fondée sur la Charte en reprenant, d'après ce que je comprends, le contenu de l'article 7 de la Charte — l'amendement vient ajouter les mots suivants — « pour garantir que la procédure est équitable et menée conformément aux principes de justice fondamentale ».

Je pense qu'il s'agit d'un argument d'une assez grande importance. La loi et le projet de loi ne relèvent pas du droit pénal; le projet de loi porte sur la Loi sur le SCRS. Lorsqu'on commence à établir une exception en ce qui concerne la protection d'identité, cela peut évidemment avoir des répercussions sur des choses qui ne relèvent pas du droit pénal, dont ce qui nous intéresse ici, mais l'exception ne porte pas précisément sur les certificats de sécurité ou d'autres procédures administratives liées à l'immigration, par exemple, sauf erreur de ma part. L'amendement permettrait donc à un juge d'avoir une certaine marge de manœuvre, en faisant en sorte que la divulgation de l'identité de l'accusé ne soit pas la seule possibilité, puisqu'il n'aurait pas nécessairement à aller jusque-là. Pour garantir l'équité de la procédure, il aurait simplement à la communiquer à l'avocat spécial ou à fournir de l'information à l'avocat spécial.

L'argument qui appuie l'amendement tient donc vraiment aux observations de ce genre, au fait qu'il protège davantage la disposition visée et la loi contre une contestation fondée sur la Charte.

La sénatrice Stewart Olsen : Je crois comprendre où vous voulez en venir avec ces propos et votre amendement, mais, en réalité, je suis disposée à laisser cela à la discrétion du juge.

Le sénateur Mitchell : Pouvez-vous répéter?

La sénatrice Stewart Olsen : Je ne veux pas vraiment limiter la marge de manœuvre du juge dans ce cas-ci, alors je serais contre cet amendement pour cette raison. J'ai l'impression qu'il nous amène peut-être sur un terrain où nous ne voulons pas nous aventurer.

Le sénateur Day : J'ai une question à poser au sénateur Baker ou peut-être à notre témoin, et cette question concerne les lignes 21 et 22, plus précisément l'expression « établir l'innocence de l'accusé », qui est reprise dans l'amendement. Normalement, dans une affaire criminelle, il suffit de prouver que l'accusé est coupable. S'il n'est pas coupable, il est déclaré non coupable, mais s'il faut établir l'innocence, s'agit-il d'un critère différent, plus strict?

[Français]

Mme Benoit : C'est la formulation consacrée qui a été utilisée.

[Traduction]

Elle est utilisée dans les milieux policiers lorsqu'il est question du privilège de l'informateur; c'est donc cette formulation qui est reprise. Ce que cela suppose, c'est que, si l'information est d'une importance telle que l'accusé sera déclaré coupable s'il ne l'obtient pas, alors il devrait pouvoir l'obtenir. Ce n'est pas un critère différent. C'est simplement un terme qui est utilisé depuis des siècles et qui est bien connu des criminalistes.

Le sénateur Day : L'innocence?

Mme Benoit : Si c'est ce qui est en jeu, oui.

Le sénateur Baker : Je pense que ce qui est important ici, c'est le libellé proposé par le motionnaire, c'est-à-dire que la procédure — je cite l'amendement — « est équitable et menée conformément aux principes de justice fondamentale ». Cette expression figure textuellement dans l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Je pense que c'est ce qui est important dans l'amendement proposé.

Le sénateur Mitchell : L'amendement établit qu'il ne s'agit pas simplement ou seulement d'établir l'innocence d'un accusé, ce qui pourrait permettre... il y a d'autres raisons d'éventuellement accorder l'exception concernant la divulgation de l'identité. Autrement dit, quelqu'un pourrait être identifié pour d'autres raisons que le simple fait d'établir l'innocence de l'accusé, ces autres raisons tenant à l'équité de la procédure. L'amendement permet de veiller à ce qu'une procédure qui pourrait autrement être contestée au motif d'un manque d'équité parce que le juge n'a pu décider qu'il s'agissait d'une exception pour certaines raisons, de veiller, donc à ce que cette procédure soit équitable parce que le juge a pu tenir compte de l'équité comme le prévoit la loi, laquelle découle de la Charte. L'amendement élargit donc la gamme des raisons pour lesquelles le juge peut agir, ce qui vient appuyer l'argument selon lequel la procédure est équitable et donc limiter les possibilités de contestation fondées sur la Charte. C'est assez logique.

Le président : Le témoin a-t-il une observation à faire?

Mme Benoit : J'ajouterais simplement que l'amendement viendrait en fait réduire la portée des exceptions prévues dans la loi. Il réduirait la protection prévue dans la version actuelle de la loi, ce qui fait que moins de sources humaines seraient protégées.

Le sénateur Day : Pourquoi dites-vous cela?

Mme Benoit : Parce que, en matière d'immigration, par exemple, si une personne peut être assurée que son identité sera protégée, puisque l'article 7 peut être évoqué, il se peut qu'elle décide de ne pas communiquer la formation qu'elle possède vu qu'elle ne se verra pas accorder l'exception permettant que son identité ne soit pas divulguée. Cela réduira la portée prévue de la disposition figurant dans le projet de loi déposé devant le Parlement.

Le sénateur Mitchell : Par contre, cela réduira aussi la probabilité qu'un innocent soit déclaré coupable.

Mme Benoit : Le juge désigné aura toujours la possibilité de ne pas tenir compte de l'information présentée, puisque le régime de la LIPR, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, est un peu différent. Le juge exerce son emprise sur la preuve, et il peut décider d'écarter certains éléments de preuve s'il ne peut connaître l'identité de la source.

Le sénateur Mitchell : L'accusé serait donc libéré.

Mme Benoit : La liberté de l'accusé serait protégée.

Le sénateur Mitchell : Je me demande si je dois retirer mon amendement. Vu ce qui a été dit, je vais le retirer, oui.

Le président : La motion a été retirée par le motionnaire. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 7 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

L'article 8 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, pour respecter la procédure, je dois passer l'article 8 avant que nous n'abordions le nouvel amendement, qui n'est pas un amendement à l'article 8, n'est-ce pas?

Le sénateur Mitchell : C'est un ajout à l'article 8.

Le sénateur Baker : Puis-je poser une question au sujet de l'article 8? Vu l'excellente réponse donnée par le témoin aux autres questions... J'ai fait une recherche dans la jurisprudence, dans Quick Law, dans Carswell et dans Westlaw, à partir de l'expression « Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger », et je n'ai pas été en mesure de trouver d'expression similaire en droit canadien. Ai-je passé à côté de quelque chose?

Mme Benoit : Je ne crois pas.

Le sénateur Baker : Merci.

Le président : Sénateur Day, avez-vous une question?

Le sénateur Day : J'ai un commentaire.

Le président : Ce n'est pas une question, mais si vous voulez faire un commentaire, sénateur Day, vous avez la parole.

Le sénateur Day : Mon commentaire est le suivant : l'article 8 du projet de loi, qui modifie l'article 21 de la loi en vigueur, est l'un des articles qui doivent être amendés, comme l'a indiqué très clairement M. Forcese, de l'Université d'Ottawa, qui a témoigné ici il y a une demi-heure et qui connaît très bien le sujet. Par conséquent, comme je n'ai pas eu la possibilité de passer son mémoire en revue, puisqu'il n'a pas encore été distribué, je ne peux voter en faveur de cet article.

Le président : Évidemment, sénateur, vous pourrez faire valoir cette position en troisième lecture également à l'égard de divers articles du projet de loi.

Le sénateur Mitchell : J'attends seulement de présenter mon amendement concernant l'article 8.1.

Le président : L'article 8 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Le sénateur Day : Non.

Le président : L'article est adopté, avec dissidence.

Sénateur Mitchell, j'attendais ce moment avec grande impatience.

Le sénateur Mitchell : Très bien. Mon amendement aurait pour effet de créer un nouvel article, article 8.1. Je propose :

Que le projet de loi C-44 soit modifié, à la page 4, par adjonction, après la ligne 39, de ce qui suit :

« 8.1 (1) L'alinéa 38(1)a) de la même loi est modifié par adjonction, après le sous-alinéa (iii), de ce qui suit :

(iii.1) examiner les pratiques quant aux promesses d'anonymat des sources humaines,

(2) L'alinéa 38(1)a) de la même loi est modifié par adjonction, après le sous-alinéa (v), de ce qui suit :

(v.1) surveiller les mandats décernés en vertu du paragraphe 21(3) autorisant l'exercice d'activités à l'extérieur du Canada au titre du paragraphe 21(3.1), ».

L'objectif de cet amendement est de donner suite, en premier lieu, aux témoignages que nous avons entendus aujourd'hui et ailleurs dans une certaine mesure en accordant au CSARS certains pouvoirs précis relativement au suivi des procédures et de l'application de ces procédures en ce qui a trait aux promesses d'anonymat faites à des sources humaines; et, en second lieu, de permettre un suivi et une surveillance à l'égard de tout mandat délivré en vertu de la loi. L'amendement renforce la capacité du CSARS, quoiqu'il ne lui accorde pas de nouvelles ressources à cette fin. Il renforce la capacité du CSARS et lui donne les outils, pour utiliser le vocabulaire que nous avons utilisé jusqu'à maintenant, visant à garantir que ces deux pratiques font au moins l'objet d'un examen plus approfondi que ce ne serait le cas sans cet amendement.

Le sénateur Day : D'accord.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends ce que vous dites. Après avoir écouté les témoignages, je ne puis affirmer que je ne sois pas en faveur de l'examen du CSARS, mais j'examine le texte législatif qui nous a été soumis. Je ne crois pas que le rôle du Sénat soit d'ajouter quoi que ce soit au projet de loi que nous avons devant nous ni de le réécrire. Pour cette raison, je dirais que je vais voter contre cet amendement.

Le sénateur Kenny : J'ai une question à poser au sénateur Mitchell, monsieur le président.

Pouvez-vous nous décrire les conséquences découlant du fait de ne pas adopter l'amendement? Quel genre de choses se produirait?

Le sénateur Mitchell : Le CSARS ne recevrait pas d'instructions directes et explicites concernant la surveillance des mandats. Je pense qu'il aurait par exemple plus de difficulté à justifier les ressources qu'il demanderait pour le faire.

L'idée qui a été exposée, c'est que, même si les juges peuvent exiger le suivi eux-mêmes, cela ne figure nulle part dans la loi et vient certainement encore une fois limiter le travail du véritable organisme de surveillance qui possède l'expertise, le CSARS. Voilà une conséquence. Le CSARS n'aurait tout simplement pas le pouvoir que l'amendement lui permettrait d'exercer.

Il n'est pas inconcevable qu'il arrive à passer en revue les pratiques du service, mais il n'est également pas précisé qu'il doit le faire en ce qui concerne l'anonymat accordé aux sources humaines. Je dirais donc que l'amendement constitue un renforcement, une précision, une instruction et un argument pour justifier l'obtention des ressources nécessaires et qu'il jouera un rôle moral important dans l'établissement des priorités du CSARS.

Le sénateur Baker : Le motionnaire pense-t-il à ce qui est arrivé dans le passé? Comme vous l'avez mentionné, cette tâche confiée au CSARS ne s'assortit pas de nouvelles ressources, mais, en 2013, le CSARS a passé en revue quelque 34 mandats à l'extérieur du Canada, sur les 673 qui avaient été délivrés, et il n'a relevé absolument aucune erreur. En réalité, les gens du CSARS pensaient qu'un juge de la Cour fédérale avait autorisé la chose, ce qui n'était pas le cas.

Vous affirmez donc que la nouvelle disposition obligerait le CSARS à examiner de plus près les mandats délivrés à l'extérieur du Canada pour voir quel en est l'effet, ce qu'il advient de l'information, et peut-être utiliser ses ressources limitées pour embaucher des amicus curiae? De toute évidence, les gens du CSARS n'ont pas compris le contenu du mandat qui a été délivré, puisque celui-ci était contraire à ce qu'ils affirmaient dans leur rapport de 2013.

Est-ce que votre intention est de mettre l'accent là-dessus et d'utiliser les ressources limitées du CSARS pour embaucher des experts et les charger d'examiner ces mandats? Il est évident qu'il n'a pas été en mesure de le faire dans le passé.

Le sénateur Mitchell : Exactement. Le fait est qu'il n'a pas été en mesure de le faire adéquatement. Il pourrait très bien y avoir beaucoup d'autres mandats à surveiller. En réalité, le pouvoir accordé par la loi aux gens qui autorisent la délivrance de mandats va en soi faire en sorte que les mandats seront d'une teneur différente et prendront une nouvelle importance également.

Je pense qu'il s'agit d'insister sur l'importance de l'entrave aux droits et libertés que ces mandats peuvent représenter. Il appartient au législateur — à nous, donc — de s'assurer que cela ne tombe pas dans l'oubli.

Le sénateur Baker : Excellent.

Le président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Le président : La motion est adoptée, avec dissidence.

La sénatrice Stewart Olsen : Non, elle n'est pas adoptée.

Le président : La motion est rejetée, avec dissidence.

L'article 9 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

L'article 10 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

L'article 11 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

L'article 12 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

L'article 13 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

Chers collègues, l'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article est adopté.

Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le titre est adopté.

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Le président : Le projet de loi est adopté, avec dissidence.

Le sénateur Day : Monsieur le président, puis-je expliquer mon « non »? Je crois qu'il est important, lorsqu'on fait partie d'un groupe aussi agréable que celui-ci, qui, normalement, essaie de trouver un consensus, d'expliquer pourquoi je ne peux appuyer le projet de loi.

J'estime que ce qui s'est passé aujourd'hui est contraire aux bonnes pratiques du Sénat. Je parle d'une pratique qui a été établie au fil de nombreuses années, celle de ne pas procéder à l'étude article par article d'un projet de loi immédiatement après avoir entendu les témoignages, à moins qu'il y ait une raison vraiment particulière de le faire. Nous avons entendu de très bons témoignages aujourd'hui, et les témoins ont laissé entendre que nous devrions examiner certains documents dont ils sont les auteurs. Nous n'avons pas vu les documents en question, et nous ne sommes donc pas informés des modifications proposées par les témoins. MM. Forcese et Copeland en particulier ont présenté des recommandations très sérieuses qui permettraient d'améliorer la loi. Nous n'avons pas eu la possibilité de les examiner, et pourtant, nous avons procédé à l'étude article par article du projet de loi alors qu'il n'y avait aucune raison explicite de le faire. J'estime donc que mon privilège de sénateur — devant servir au mieux la nation canadienne — a été miné par la procédure.

Le sénateur Kenny : J'aimerais ajouter quelque chose à ce que le sénateur Day a à dire. Tout cela s'est fait alors que rien ne menaçait vraiment de nuire à l'adoption du projet de loi. Le sénateur Mitchell a précisé que, selon lui, le travail aurait pu être fait en une semaine, d'ici lundi prochain. Il n'y avait donc ni prix à payer ni conséquence justifiant cette précipitation, et il est malheureux que le seul argument qui ait réellement été présenté, c'est que nous avons les chiffres. Eh bien, parfois, lorsqu'on a les chiffres, il faut aussi essayer de voir ce qui compte.

Le sénateur Mitchell : Je voudrais simplement appuyer les observations de mes deux collègues. Je pense que nous aurions pu avoir le meilleur des deux mondes. Nous aurions pu avoir une semaine pour nous pencher sur des témoignages très puissants sans pour autant retarder l'adoption du projet de loi. Je crois qu'il aurait pu être renforcé à tout le moins par les deux amendements que j'ai proposés qui ont été rejetés, alors ma dissidence à l'étape du comité reflète cette situation.

Le président : Chers collègues, avant que nous ne poursuivions, j'aimerais énoncer ma position en tant que président et membre du comité.

Nous avons tous été présents ici au cours de l'étude du projet de loi. Je pense que nous avons examiné de très près les répercussions du projet de loi et son importance, ainsi que son incidence sur nos organismes d'application de la loi, et en particulier le SCRS.

J'étais convaincu que — même les témoins d'aujourd'hui — l'essentiel de la discussion d'aujourd'hui portait sur l'incidence du projet de loi à l'étude sur le projet de loi C-51. Le projet de loi que nous examinons a été élaboré avant le dépôt du projet de loi C-51. Les divers ministères concernés ont travaillé à ce projet de loi pendant une longue période avant que ne surviennent les incidents qui ont eu lieu au Québec et sur la colline du Parlement. Depuis, nous avons entendu toutes les révélations concernant le terrorisme au Canada et ailleurs, de semaine en semaine et de mois en mois.

À titre de membre du comité, je suis convaincu que le projet de loi atteint les objectifs visés. Il s'agit d'un projet de loi de nature technique qui vise à faciliter les opérations quotidiennes du SCRS et d'autres organisations, ainsi que des tribunaux, en faisant en sorte que les personnes à qui nous demandons de faire le travail à notre place disposent des outils nécessaires pour le faire. Cela a été expliqué clairement par l'une des personnes qui ont témoigné aujourd'hui à l'égard du projet de loi à l'étude, avec beaucoup de force — et je pourrais ajouter que j'ai trouvé que l'explication était très bien formulée.

Je comprends certaines des préoccupations des membres du comité, de l'autre côté. Il ne s'agit pas d'un cas d'adoption d'un texte législatif à tout prix. Je veux que ce soit très clair.

Nous avions pleinement l'intention de nous occuper du projet de loi C-51 à la prochaine séance du comité. Pour l'instant, c'est en suspens. J'espère que nous pourrons recevoir les deux ministres lundi prochain pour commencer l'étude du projet de loi C-51, car il s'agit de l'élément essentiel du cadre législatif qui nous permettra de faire des progrès dans la lutte contre le terrorisme.

Franchement, le projet de loi que nous avons examiné aujourd'hui est plutôt un projet de loi de nature technique. Je pense que, compte tenu de notre horaire, nous devrions procéder sans tarder à l'adoption du projet de loi qui nous a été soumis. Cela ne veut pas dire que ce qui s'est dit ici aujourd'hui ne sera pas pris en compte dans le cadre de l'étude du projet de loi C-51, puisque, au fond, beaucoup de choses qui ont été dites peuvent en réalité être appliquées au projet de loi C-51, et pas nécessairement au projet de loi C-44. Cette idée a été énoncée et admise en partie dans certains des témoignages que nous avons entendus aujourd'hui. Pour ma part, je voulais simplement dire cela pour le compte rendu.

Le sénateur Day : Monsieur le président, vous avez parlé du projet de loi C-51. Ce projet de loi est encore devant la Chambre des communes. Il n'est pas devant nous, et nous ne devrions pas discuter du projet de loi C-51 avant qu'il ne soit soumis. La moitié de vos commentaires avaient trait à une chose qui est sans pertinence par rapport au projet de loi C-44.

Le président : Dans ce cas, cher collègue, je vous dirais que cela confirme évidemment ce que je viens de dire par rapport à l'objet du débat. Je vous dirais que le projet de loi C-44 est très important pour le gouvernement pour le cas où le projet de loi C-51 ne serait pas adopté, vu l'essence du projet de loi qui nous occupe.

Le sénateur Day : Il peut très bien être important pour le gouvernement...

Le président : Il s'agit de la population du Canada.

Le sénateur Day : ... mais, en tant que sénateurs, nous avons un rôle à jouer. Ce que nous faisons nous empêche de faire ce qu'on attend de nous. Peu m'importe que le projet de loi soit important ou non pour le gouvernement. Ce qui m'importe, c'est que le projet de loi nous a été renvoyé par le Sénat pour que nous l'examinions et formulions des commentaires au sujet de toute modification qui, selon nous, devrait être apportée ou faire l'objet de notre rapport.

Le président : Chers collègues, je crois avoir expliqué ma position.

Chers collègues, le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Le président : Le projet de loi est adopté.

Est-ce que le comité veut annexer des observations au rapport?

La sénatrice Stewart Olsen : Non.

Le président : D'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Le président : D'accord. Il en est convenu.

Chers collègues, je vais libérer le témoin. Merci beaucoup. Vous avez grandement contribué à l'étude article par article du projet de loi.

Mme Benoit : Merci.

Le président : Chers collègues, je demanderais à tous de rester pendant quelques minutes pour que nous puissions discuter à huis clos de notre voyage à Toronto et de toute autre question que vous aimeriez aborder.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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