Aller au contenu
SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 15 - Témoignages du 30 mars 2015


OTTAWA, le lundi 30 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 45, pour examiner la teneur du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, en ce lundi 30 mars 2015. Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais présenter les gens autour de la table. Je suis le sénateur Dan Lang, du Yukon. À ma gauche se trouve la greffière suppléante, Cathy Piccinin.

J'invite maintenant les sénateurs à se présenter et à indiquer la région qu'ils représentent.

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.

Le sénateur Day : Joseph Day, de la ville de Hampton, au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Runciman : Bob Runciman, de Mille-Îles et lacs Rideau, en Ontario.

Le président : Je souhaite la bienvenue à la sénatrice Jaffer et au sénateur Runciman. Le sénateur Runciman parraine le projet de loi C-51 au Sénat. Il posera les premières questions lorsque nous serons rendus à cette étape.

Le Sénat a renvoyé au comité la teneur du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Pour lancer notre étude préalable du projet de loi C-51, nous accueillons l'honorable Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et l'honorable Peter MacKay, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Les ministres sont accompagnés de M. François Guimont, sous-ministre de Sécurité publique Canada; M. Michel Coulombe, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité; et M. Bob Paulson, commissaire à la Gendarmerie royale du Canada. Nous accueillons également deux représentants du ministère de la Justice : Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques; et Doug Breithaupt, directeur et avocat général, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques.

Messieurs les ministres, je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes heureux que vous soyez là, alors que nous entreprenons notre étude préalable. J'espère que vous allez répondre à certaines des préoccupations que le projet de loi a soulevées.

Monsieur Blaney, comme vous êtes le principal responsable du projet de loi C-51, nous vous invitons à faire votre déclaration et ensuite, nous entendrons le ministre MacKay.

[Français]

L'honorable Steven Blaney, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Merci beaucoup, monsieur le président. Je voudrais, d'entrée de jeu, remercier les membres du comité pour leur accueil chaleureux et intime et nous excuser, le ministre MacKay et moi, de notre retard causé par un vote en Chambre qui portait sur le prolongement de la mission au Moyen-Orient.

Je viens vous voir aujourd'hui avec le sentiment du devoir accompli pour vous présenter le résultat d'un travail colossal exécuté au cours des derniers mois.

Je voudrais également vous remercier de cette étude préalable du projet de loi, qui démontre le sérieux que vous y accordez et l'importance de mener une étude complète et exhaustive dans des délais raisonnables, afin que nous puissions faire en sorte que nos forces de l'ordre et nos services du renseignement aient les outils nécessaires pour lutter contre la menace terroriste à laquelle nous sommes confrontés.

De plus, je voudrais remercier mon collègue, Peter MacKay, ministre de la Justice et procureur général du Canada, avec qui nous avons travaillé en étroite collaboration pour mettre ce projet de loi sur pied.

Je suis accompagné de mon sous-ministre, M. François Guimont, de M. Michel Coulombe, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, ainsi que du commissaire Bob Paulson, de la Gendarmerie royale du Canada.

[Traduction]

Le premier devoir du gouvernement, et ma responsabilité à titre de ministre de la Sécurité publique, est de protéger les Canadiens. C'est pourquoi nous avons présenté le projet de loi antiterroriste de 2015, afin que nos organismes de sécurité nationale aient les outils dont ils ont besoin pour protéger les Canadiens contre les nouvelles menaces des terroristes djihadistes. Il y a cinq éléments que j'aimerais souligner, et je laisserai au ministre MacKay le soin d'expliquer les mesures très importantes que nous vous proposons d'examiner dans le cadre de cette étude préalable.

Comme vous le savez, le projet de loi fait partie de l'engagement continu du gouvernement à lutter contre la menace terroriste. Je suis venu ici, il n'y a pas si longtemps, pour vous parler de la protection des Canadiens contre les terroristes et de l'éclaircissement du rôle du SCRS, et je vous remercie de votre recommandation et de votre étude à ce sujet. Comme vous le savez, cette mesure s'inscrit dans notre stratégie continue de lutte contre le terrorisme, à savoir notre stratégie antiterroriste qui repose sur quatre piliers : empêcher, déceler, priver et intervenir.

Aujourd'hui est une autre étape face à la menace imminente à laquelle nous avons été confrontés ou dont nous avons été témoins, que ce soit à Saint-Jean-sur-Richelieu ou ici, à Ottawa. Nous savons que nos alliés ont connu le même sort : songeons notamment aux attaques à Paris, contre Charlie Hebdo et le marché Hyper Cacher, à Sydney pendant le temps des Fêtes et même à Copenhague.

Le premier élément du projet de loi vise les paroles qui mènent à la violence et au terrorisme et qui sont un vecteur de radicalisation. Le ministre MacKay vous en dira plus, mais c'est pour cette raison que nous estimons si important qu'au sein du gouvernement, la main gauche sache ce que fait la main droite.

Permettez-moi de vous citer les propos d'un ancien juge de la Cour suprême, M. John Major :

Il ne fait pas vraiment de doute, et vous pouvez le constater, dans notre rapport sur la tragédie d'Air India, que l'absence de voies de communication de l'information entre la GRC et le SCRS a été une cause majeure l'incident, car c'est pour cette raison que les terroristes ont réussi à faire sauter l'avion. Si l'information avait circulé librement entre le SCRS et la GRC, il est très probable que le complot aurait été éventé.

Il n'est donc pas étonnant que la Commission d'enquête sur l'affaire Air India ait recommandé que nous assurions l'échange de renseignements entre les organismes fédéraux. Bon nombre de Canadiens, et en fait de nombreux témoins, ont été surpris d'apprendre que cela n'est pas déjà le cas, mais c'est ce que nous voulons faire.

[Français]

Nous voulons accorder aux institutions fédérales ce pouvoir clair et explicite, cette capacité de divulguer des renseignements aux institutions fédérales désignées lorsque ces renseignements se rapportent à leur mandat et à leurs responsabilités à l'égard de la sécurité nationale.

[Traduction]

Nos organismes de sécurité nationale visent à mettre fin à la violence, et c'est pourquoi tous les ministères doivent pouvoir échanger des renseignements d'une manière qui respectent notre Constitution, notre Charte des droits et libertés et aussi nos lois sur la protection de la vie privée. Nous nous attendons donc à ce que tous les ministères avec lesquels nous conclurons une entente de communication d'information agissent comme il se doit dans le respect de la loi, en faisant une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, conformément aux recommandations et aux directives du commissaire à la protection de la vie privée. C'est le premier élément de ce projet de loi, que nous jugeons très important.

Bien sûr, chaque fois que nous parlons de sécurité, certains disent que nos libertés sont menacées. Les Canadiens comprennent que leur liberté et leur sécurité vont de pair. Ils s'attendent à ce que les deux soient protégées, et le projet de loi prévoit des garanties à cet effet.

C'est justement l'avis de Robert Morrison, ancien agent de la GRC qui a eu une carrière distinguée de 35 ans au sein de la GRC et qui est aussi un expert en matière d'échange d'information. Voici ce qu'il a dit :

Le projet de loi C-51 garantira la communication de renseignements exacts, en temps voulu et de façon fiable, tout en protégeant la vie privée de nos citoyens.

Selon moi, ceux qui critiquent le projet de loi ont peut-être pris quelques bribes sans lire tout le texte. J'estime que c'est une nécessité. Je ne sais plus combien de personnes m'ont dit, depuis un mois ou deux : « Vous voulez dire que nous n'échangeons pas d'information? Nous ne le faisons pas? Je ne comprends pas. » Eh bien, nous allons corriger la situation.

L'essentiel à retenir, c'est que nos services de police et nos organismes de sécurité nationale s'efforcent de protéger nos droits et libertés. Ce sont les terroristes djihadistes qui menacent notre sécurité et qui cherchent à nous priver de nos libertés.

[Français]

La deuxième mesure que nous souhaitons prendre est très simple. À la suite des attentats de 2001, nous avons établi une liste de passagers qui pouvaient constituer ou représenter un risque à la sécurité du trafic aérien. Au moment où on se parle, on ne peut inscrire à cette liste le nom de personnes qui désireraient voyager dans le but de commettre des actes terroristes. Nous souhaitons donc élargir cette liste aux voyageurs à haut risque qui pourraient représenter une menace en participant à des activités terroristes.

C'est la raison pour laquelle nous proposons d'apporter une réforme au Programme de protection des passagers par l'intermédiaire de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. Nous prenons des mesures devant le nombre croissant de personnes qui voyagent par avion pour prendre part à des activités terroristes à l'étranger.

[Traduction]

Pour ce faire, nous élargirons le mandat du Programme de protection des passagers afin d'y inclure ceux qui se déplacent en avion dans le but de participer à des activités terroristes à l'étranger.

[Français]

Nous allons donc élargir le mandat du Programme de protection des passagers afin d'y inclure ces personnes qui souhaiteraient voyager par avion afin de participer à des activités terroristes.

[Traduction]

Permettez-moi de citer Marc-André O'Rourke, du Conseil national des lignes aériennes du Canada. Nous comprenons « la nécessité de mettre à jour le programme de protection des passagers à la lumière de l'évolution des menaces à la sécurité, et nous sommes toujours en faveur du programme prévu par » la Loi antiterroriste. Donc, échanger des renseignements, empêcher les terroristes de monter à bord — jusque-là, ça va.

Troisièmement, un autre changement important que nous proposons concerne le mandat du SCRS.

[Français]

Depuis plus de 30 ans, le Service canadien du renseignement de sécurité a approfondi son expertise de la collecte de renseignements et de l'offre de conseils au gouvernement sur les menaces à la sécurité. Toutefois, aux termes de son mandat actuel, il ne peut que collecter des renseignements; il ne peut pas réduire la menace, contrairement à nos alliés.

Par exemple, le SCRS peut uniquement interroger une personne dans le but de recueillir des renseignements et non de la dissuader de perpétrer une activité terroriste. Nous ne pouvons pas non plus nous permettre de sous-utiliser cette capacité au moment où la menace terroriste évolue.

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons faire en sorte que nos agents du service du renseignement puissent intervenir en amont dans le processus de radicalisation, par exemple, en allant vers des parents dont l'enfant pourrait sombrer dans la radicalisation. À l'heure actuelle, ils ne peuvent le faire. C'est l'activité de réduction de la menace.

[Traduction]

En vertu de son nouveau mandat, le SCRS pourra employer toute une gamme de techniques afin de contrecarrer des plans ou de modifier un comportement, et toute mesure de réduction de la menace serait prise dans le cadre de garanties solides et d'un examen rigoureux.

Soyons clairs : chaque fois que le SCRS aura à recueillir des renseignements et à réduire une menace, il devra obtenir l'approbation du ministre et se procurer un mandat judiciaire dans les cas où il faut utiliser des méthodes intrusives.

Permettez-moi de souligner encore une fois, cet après-midi, que nous serons le seul pays à exiger un mandat pour des activités de perturbation des menaces qui empiéteraient sur le droit des Canadiens. À ce jour, je n'ai vu aucun autre exemple semblable chez nos alliés.

Certains, dont l'Association du Barreau canadien, ont dit qu'en donnant au SCRS le pouvoir d'obtenir des mandats de la Cour fédérale aux fins de la collecte d'informations et de perturbation de menaces, la Loi antiterroriste, et je cite, « met en péril les droits et les libertés garantis par la Charte, [...] mine la primauté du droit et [...] confie aux juges des tâches contraires à leur rôle fondamental de protecteurs des droits constitutionnels au Canada. » Je me sens tout à fait confiant aux côtés du ministre de la Justice, mais je regrette de dire que cette citation me paraît plutôt ridicule. Peut- être que le ministre de la Justice aura quelque chose à dire à cet égard, mais pour ma part, je pense que cela mine la crédibilité de cette association, car, à mon avis, ce n'est pas exact. En réalité, la délivrance de mandats fait déjà partie des attributions des juges, et ce, depuis des années.

L'expression « il faut appeler un chat un chat » s'applique bien ici. Les juges décernent des mandats. Cela n'a rien de nouveau. En effet, aucune autorité n'est mieux placée pour examiner ces affaires, et j'ai confiance en notre système de justice. Les juges au Canada ont déjà pour rôle d'approuver ou de rejeter les demandes de la police et des organismes de sécurité nationale.

Je vous recommande le paragraphe 25(1) du Code criminel, qui accorde de nombreux pouvoirs aux policiers, des pouvoirs bien plus intrusifs que ceux proposés dans le projet de loi C-51. Je le répète, c'est une pratique de longue date au Canada, et je renvoie poliment tous ceux qui font ce genre de commentaires à l'article 25 du Code criminel, s'ils ne sont pas convaincus.

Le SCRS ne pourra entreprendre ce genre d'activités que si un juge de la Cour suprême croit que c'est nécessaire pour assurer la sécurité des Canadiens et l'approuve expressément. Bien sûr, le juge peut refuser d'accorder le mandat et il peut le modifier.

[Français]

Il y a des gens qui se sont donné la peine de lire le projet de loi, article par article, dans les détails, et ils ont constaté qu'il y avait plusieurs mesures qui réduisent et qui encadrent les pouvoirs. En fait, il y a des gens qui ont jugé que le projet de loi sur l'antiterrorisme augmente les pouvoirs judiciaires et les mécanismes de surveillance. Je pense, par exemple, à la sœur de l'adjudant Patrice Vincent, qui a été abattu le 20 octobre, et je la cite :

J'ai aussi remarqué autre chose : du moment où le corps policier arrive avec son information, il n'y a rien qui a changé. Le juge doit être certain que les mesures demandées sont proportionnelles à ce qui est reproché à la personne (page 49 de la loi). On a des chiens de garde partout. Il n'y a rien de facile ou d'automatique. L'employé constate une situation, demande la permission au ministre et doit ensuite demander un mandat au juge. Il va toujours y avoir une ordonnance (page 50 de la loi). Le juge doit évaluer la menace avant d'émettre le mandat (page 53).

Elle poursuit ensuite en s'exprimant ainsi :

Il n'y a rien de facile. Ils vont préparer un dossier, ils seront obligés de l'émettre. Quant à moi, il y a encore beaucoup de lourdeur là-dedans, mais je suis prête accepter que ce soit au moins comme cela.

Elle est prête à accepter des mécanismes judiciaires, de revue et de surveillance, parce que le but ultime est de protéger les citoyens.

Monsieur le président, le projet de loi propose d'autres mesures importantes. J'ai pu vous en présenter quelques- unes. Je vais maintenant passer la parole à mon collègue, mais auparavant, j'aimerais vous citer une dernière citation.

[Traduction]

Permettez-moi de citer la BC Civil Liberties Association :

C'est vraiment un chèque en blanc, car il n'y a rien qui échappe à cette description. Du coup, tout se prête à la surveillance : ce qu'une personne possède dans sa bibliothèque, sa discothèque, sa vidéothèque, ses écrits, ses enseignements, et cetera, de même que sa façon d'occuper ses loisirs et avec qui.

Ces mots ont-ils été prononcés dans le contexte du débat que nous avons maintenant? Non. Cela remonte à 1983, lors du débat sur la création du SCRS. Chaque fois qu'un gouvernement présente un projet de loi relatif à la sécurité nationale, il y a des groupes pour semer la peur. Nous sommes persuadés que le projet de loi est ce dont les Canadiens ont besoin pour continuer à vivre dans un pays libre, démocratique et ouvert, grâce à de solides mesures de protection.

J'inviterais mon estimé collègue à vous expliquer davantage certaines des très bonnes mesures que nous avons aussi incluses dans le projet de loi C-51.

[Français]

L'honorable Peter MacKay, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Honorables sénateurs, j'apprécie l'occasion de me joindre à vous. Je suis honoré d'être ici avec mon collègue, l'honorable Steven Blaney, et nos collègues du ministère.

[Traduction]

Nous sommes heureux, comme M. Blaney l'a dit, que votre comité se soit engagé à faire l'étude préalable de cet important projet de loi, une mesure législative, comme le disait à juste titre mon collègue, qui vise à dissuader, à déceler et à empêcher le terrorisme ici au Canada.

C'est la 54e fois que je comparais devant un comité parlementaire à titre de ministre. Je pense qu'il y a peu d'initiatives législatives qui se comparent en importance pour assurer la sécurité du public.

Je vais me concentrer sur la partie 3 du projet de loi, qui relève de mon mandat en tant que ministre de la Justice et procureur général, et sur les réformes qui sont vraiment destinées à renforcer notre Code criminel et notre législation criminelle en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme.

Vous savez sans doute, honorables sénateurs, que le gouvernement a indiqué que le projet de loi serait modifié, et vous avez peut-être suivi le témoignage des experts qui ont comparu devant le comité de la Chambre des communes au cours des deux dernières semaines.

Le terrorisme fait peser une grave menace sur ce pays. C'est indéniable. Ce n'est pas une affirmation alarmiste ou partisane. Ce n'est pas affaire de rhétorique, mais de réalisme. Il suffit de regarder les nouvelles de fin de soirée ou de discuter avec les fournisseurs de services de sécurité de première ligne pour comprendre à quel point cette menace reste sérieuse.

Les modifications que nous proposons au Code criminel tombent dans quatre catégories : renforcer les engagements assortis de conditions et les engagements de ne pas troubler l'ordre public se rapportant à une activité terroriste; créer une nouvelle infraction relative au fait de préconiser ou de fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme en général; autoriser les tribunaux à ordonner la saisie ou la confiscation de matériel de propagande terroriste ainsi que sa suppression des systèmes informatiques situés au Canada; et, enfin, protéger les témoins, notamment ceux qui jouent un rôle dans le cadre d'une instance et d'une poursuite mettant en cause la sécurité nationale.

En ce qui concerne la première partie, c'est-à-dire l'engagement assorti de conditions et l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, les modifications qui y sont proposées, de manière générale, abaissent les seuils. Cela permettra d'imposer une condition mieux ciblée, comme la remise d'un passeport ou la restriction à une région géographique. Bien sûr, le juge pourra, à sa discrétion, imposer d'autres conditions, comme l'interdiction de s'associer avec certaines personnes ou de posséder des armes ou des explosifs.

Dans tous ces cas, pour ce qui est de l'engagement assorti de conditions, il y a une disposition qui prolonge la période de détention préventive, laquelle passe de trois jours à un maximum possible de sept jours, le tout conjugué à un examen judiciaire périodique, en général toutes les 48 heures suivant les 24 premières heures de détention. Comme ces mesures préventives seront plus faciles à obtenir, notamment en abaissant les seuils, la police et les procureurs pourront présenter une demande lorsque la preuve disponible ne respecte pas les normes actuelles, même s'il y a lieu de croire en l'existence d'une menace.

Le Canada n'est pas le seul à renforcer la détention préventive en cas de menace terroriste. Le Royaume-Uni permet la détention préventive de présumés terroristes pendant 14 jours avant que des accusations ne soient portées, soit le double de ce qui est prévu dans le projet de loi, tout en exigeant un examen indépendant pour des motifs semblables énoncés dans notre projet de loi.

Le Royaume-Uni a également un outil semblable à notre engagement de ne pas troubler l'ordre public se rapportant à une activité terroriste; c'est ce qu'on appelle là-bas une mesure de prévention et d'enquête du terrorisme. Cela permet d'imposer des conditions lorsque la prépondérance des probabilités indique que la personne est impliquée ou a été impliquée dans une activité liée au terrorisme. L'Australie a également des mesures de détention préventive à l'échelon fédéral, et bien que certains États permettent la détention préventive pour une durée de 14 jours, l'Australie impose aussi des ordonnances de contrôle semblables à notre engagement de ne pas troubler l'ordre public; ces ordonnances permettent d'imposer des conditions à une personne s'il y a tout lieu de croire qu'elle pourrait commettre une infraction terroriste.

Deuxièmement, le projet de loi C-51 crée une nouvelle infraction au Code criminel, soit le fait de préconiser ou fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme en général. Cette nouvelle infraction comblera une lacune dans la législation criminelle en érigeant en infraction le fait pour une personne de sciemment préconiser ou fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme en général, sachant que la communication entraînera la perpétration de l'une de ces infractions ou sans se soucier du fait que la communication puisse ou non entraîner la perpétration de l'une de ces infractions.

À l'heure actuelle, le droit criminel s'applique uniquement au fait de conseiller la perpétration d'un acte terroriste précis, comme le fait de dire à quelqu'un d'aller faire sauter une gare de train. Cependant, la loi actuelle ne s'appliquerait pas nécessairement à une personne qui encourage activement d'autres personnes à commettre des infractions de terrorisme de manière plus générale.

Par exemple, dans un contexte de terrorisme, lorsqu'une personne en appelle d'autres à commettre des attaques contre le Canada, sans mentionner d'infractions particulières, la disposition proposée dans le projet de loi permettrait ainsi de combler cette lacune.

Certains ont dit que l'actuel article 83.22, qui criminalise le fait de charger une personne de se livrer à une activité terroriste, est suffisant pour contrer le comportement visé par la nouvelle infraction. C'est faux. L'article 83.22 suppose qu'une personne soit en mesure de commander à quelqu'un de faire quelque chose. En outre, l'expression « activité terroriste » est définie beaucoup plus étroitement que l'expression « infractions de terrorisme » en général; elle exclurait, par exemple, toutes les nouvelles infractions relatives au fait de voyager pour participer à des activités terroristes, infractions créées par le projet de loi S-7, Loi sur la lutte contre le terrorisme, adopté en 2013. Donc, cette disposition a une portée beaucoup plus restreinte que l'infraction proposée.

Il est également important de savoir qu'il y a une étroite relation entre la nouvelle infraction de préconiser le terrorisme et l'infraction actuelle de conseiller la perpétration d'un crime. Bref, dans l'affaire Queen c. Hamilton, en 2005, la Cour suprême a statué que « conseiller » veut dire inciter activement, soit la même interprétation qu'elle a donnée des termes « préconiser ou fomenter ». À cet égard, je vous renvoie aux arrêts R. c. Keegstra, 1990, et R. c. Sharpe, 2001. Ces termes sont exactement les mêmes que ce que nous utilisons dans les dispositions créant ces nouvelles infractions.

À ceux qui disent que cette nouvelle infraction viole la liberté d'expression, je me permets d'exprimer respectueusement mon désaccord. Je vous signale que le droit pénal impose déjà des limites à la liberté d'expression lorsque celle-ci est jugée suffisamment nuisible, par exemple l'infraction de propagande haineuse et l'encouragement au génocide, pour lesquels la loi ne prévoit aucun moyen de défense. Il est clair que certaines communications dépassent les limites de la liberté d'expression, car elles causent des torts, fomentent la haine et se traduisent par certaines activités dans la collectivité.

Troisièmement, chers collègues, le projet de loi prévoit la saisie et la confiscation de propagande terroriste. Ce troisième élément de la réforme concerne deux nouveaux mandats de saisie : la confiscation ou la suppression de propagande terroriste. On entend par là tout matériel qui conseille la perpétration d'une infraction de terrorisme ou qui préconise ou fomente la perpétration d'infractions de terrorisme en général.

[Français]

Ces modifications proposées permettraient à un juge d'ordonner la saisie de documents de propagande terroriste imprimés ou de propagande diffusée sous forme d'enregistrements sonores. Elles permettraient également à un juge d'ordonner la suppression de la propagande terroriste, qui est diffusée sous forme électronique et est accessible au public par l'entremise de fournisseurs canadiens de services Internet. Ces modifications sont semblables aux dispositions actuelles du Code criminel qui permettent la saisie et la confiscation ou la suppression de formes de matériel qui constitue de la propagande haineuse réputée de nature criminelle.

En ce qui a trait aux mesures de protection, j'aimerais faire remarquer que le consentement du procureur général constituerait une condition préalable à l'établissement d'une procédure visant l'obtention de l'un ou l'autre de ces mandats, ce qui garantirait la prise en considération de questions d'intérêt public, notamment en ce qui concerne la protection de la liberté d'expression.

[Traduction]

Enfin, un certain nombre de modifications importantes sont proposées afin de mieux protéger les personnes en cause dans les instances et les poursuites touchant la sécurité nationale. Notamment, ces modifications accorderont une plus grande discrétion aux tribunaux pour rendre des ordonnances sur la manière de recevoir des témoignages; pour protéger l'identité des procureurs fédéraux et du personnel d'application de la loi qui obtient l'autorisation d'effectuer des écoutes électroniques; et pour faire en sorte que les actes d'intimidation dans le contexte des instances en matière de sécurité nationale soient punis de manière plus efficace.

Comme mon collègue M. Blaney l'a déjà indiqué, les juges autorisent régulièrement bon nombre des activités qui, normalement, seraient considérées comme une infraction aux droits constitutionnels d'une personne — comme la mise sur écoute, l'entrée dans un bâtiment et l'obtention de certains éléments de preuve.

Dans le même ordre d'idées, en ce qui a trait à certaines des dispositions du Code criminel, nous nous basons sur des exemples de comportements criminels qui existent déjà. Par exemple, en matière de propagande haineuse ou de pornographie juvénile, le retrait de contenu est déjà autorisé par le Code criminel.

Alors, monsieur le président, en ce qui concerne la constitutionnalité du projet de loi C-51, cette mesure législative n'aurait pas été déposée au Parlement si nous n'avions cru qu'elle respectait la Constitution. Si j'avais conclu, après avoir consulté les experts du ministère de la Justice, que le projet de loi allait à l'encontre des objectifs et des dispositions de la Charte, il n'aurait tout simplement pas été déposé.

Cela ne veut cependant pas dire qu'il n'y aura pas de contestations en vertu de la Charte. Comme pour de nombreux nouveaux projets de loi, il y a souvent des contestations judiciaires de la part des avocats de la défense.

D'après moi, le projet de loi propose des réponses qui sont raisonnables et appropriées à la menace terroriste au Canada et qui sont accompagnées d'un certain nombre de mesures de protection : la surveillance judiciaire, l'intervention et le pouvoir discrétionnaire des juges, l'exigence d'obtenir le consentement du procureur général pour l'utilisation de nombreux des outils et des exigences rigoureuses en matière de mens rea.

En conclusion, il importe également de noter que l'engagement assorti de conditions demeure important et fait l'objet d'une disposition de temporisation de même que d'un rapport annuel au Parlement. La tendance de l'époque me porte à croire — et mon collègue est du même avis — qu'en plus de respecter la Constitution, il est du devoir du gouvernement de faire tout ce qu'il peut pour protéger les Canadiens. Voilà l'objectif ambitieux et optimiste du projet de loi C-51.

Comme vous le savez, un certain nombre d'enquêtes et de poursuites antiterroristes ont été couronnées de succès depuis la Loi antiterroriste de 2001. Récemment, il y a eu des condamnations concernant les projets d'attaque contre VIA Rail à Toronto, en Ontario. Il faut féliciter nos services de renseignement militaire, nos forces de l'ordre et nos services de poursuites pénales d'avoir protégé les Canadiens contre la menace réelle et changeante du terrorisme au Canada. Permettez-moi de profiter de l'occasion pour dire que je suis particulièrement fier du Service des poursuites pénales du Canada, qui a fait aboutir les poursuites dans cette affaire difficile. Que cela serve d'exemple dissuasif, tant général que particulier, pour démontrer que ces comportements menaçants ne seront pas tolérés ici.

Notre rôle, comme parlementaires, est de faire en sorte que tous les outils existants soient offerts aux intervenants de première ligne pour mener ce combat, et que ces outils soient aussi solides que possible. Voilà ce que vise le projet de loi C-51.

Le gouvernement continue aussi de participer aux efforts de sensibilisation. Vendredi, j'ai assisté à une réunion de la table ronde transculturelle pour discuter de prévention, de radicalisation récurrente et des efforts de recrutement avec des représentants de nombreuses communautés d'un bout à l'autre du pays, et j'ai demandé leurs commentaires sur le projet de loi.

J'aimerais terminer mon exposé en citant un des témoins que nous avons reçus à la Chambre des communes la semaine dernière, M. Salim Mansur, qui a fait une remarque pertinente. Voici ce qu'il a dit :

Le projet de loi C-51 vise les djihadistes islamistes et a pour but de les empêcher de concrétiser leurs menaces terroristes contre les pays occidentaux, y compris le Canada. Les menaces sont bien réelles et elles se sont multipliées depuis que les événements du 11 septembre ont amené le terrorisme islamiste en Amérique du Nord.

C'est un professeur de l'Université Western. Le projet de loi reconnaît cette froide réalité et essaie d'y remédier directement.

Je vous remercie et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants d'être venus ici pour nous présenter les principes du projet de loi.

Chers collègues, j'aimerais commencer par une question, si vous me le permettez. Le comité mène une étude sur le terrorisme depuis octobre, et on ne saurait sous-estimer la gravité de la menace. Dans le cadre de nos audiences, nous avons appris que plus de 300 Canadiens avaient participé directement ou indirectement, sur le plan matériel ou autre, aux activités terroristes. Nous avons également appris que plus de 600 transactions financières ayant trait au terrorisme ont été rendues publiques au cours de cette période.

Sauf que pendant la même période, il y a eu très peu de poursuites. Nous sommes ravis des poursuites qui viennent d'aboutir, et dont vous avez parlé plus tôt, mais il y a eu beaucoup moins de poursuites comparativement au Royaume- Uni, à la France ou à d'autres pays.

Avec l'abaissement des seuils, pensez-vous qu'il y aura plus de poursuites pour combattre la menace à laquelle fait face le Canada?

M. MacKay : Merci, monsieur le président. C'est une question très pertinente.

Au Canada, il y a eu des condamnations dans environ 19 cas. Je serai très franc avec vous : certaines dispositions — comme celles de l'engagement — n'ont pas été invoquées. Cependant, je tiens à souligner que l'absence de leur utilisation ne devrait pas donner l'impression qu'elles ne sont pas nécessaires. Je dirais également, pour répondre directement à votre question, que l'abaissement de ces seuils permettra un plus grand accès aux dispositions sur l'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

Je veux également insister sur le fait que les services policiers et le SCRS devront se présenter devant un juge, avec le consentement du procureur général, pour présenter une demande fondée sur des preuves; il s'agit d'un rôle judiciaire très important qui consiste à examiner les éléments de preuve et à imposer un engagement assorti de conditions.

Je dirais enfin qu'il s'agit toujours de prévention. En somme, il s'agit souvent de comportements qui sont observés dans la communauté et qui sont signalés aux autorités par des proches, des amis ou des collègues de la personne qui affiche un comportement potentiellement dangereux.

Ces mesures et la conclusion inévitable du recours à des engagements de ne pas troubler l'ordre public, entre autres, seront grandement améliorées grâce au projet de loi, et je dirais que cela pourrait mener à plus d'arrestations et de poursuites.

Le président : Je cède maintenant la parole au sénateur Runciman, qui est le parrain du projet de loi C-51. Une fois que vous aurez terminé, je passerai au sénateur Mitchell pour la troisième intervention.

Le sénateur Runciman : J'ai d'abord deux questions pour le ministre MacKay concernant des sujets qui ont beaucoup attiré l'attention des médias et qui traitent de la protection des renseignements personnels. Lorsque je lis les interprétations de la Loi sur la protection des renseignements personnels, force est de constater que la loi permet déjà la communication de renseignements personnels pour des raisons de sécurité ou d'enquête criminelle. C'est ainsi que je comprends la loi. Je crois aussi qu'en vertu de la loi existante, le commissaire à la protection de la vie privée peut recevoir des plaintes, faire enquête sur celles-ci et même décider d'ouvrir une enquête, tout en ayant un accès complet aux organismes concernés.

Je suis curieux. En lisant les critiques, il me semble que le projet de loi C-51 n'enlève rien au pouvoir d'examen indépendant. Je me demande si vous pouvez nous parler des dispositions en vigueur qui, selon ce que je comprends, s'appliqueront toujours au projet de loi C-51.

M. MacKay : Sénateur, vous avez bien compris. Les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels s'appliqueront au projet de loi, comme aux autres mesures législatives. Les plaintes peuvent venir de l'extérieur, ou le commissaire à la protection de la vie privée peut décider lui-même d'examiner certaines circonstances ou situations qui soulèvent des questions. Pour cette raison, je suis d'accord avec vous pour dire que cette mesure de protection, si on veut, cet organisme indépendant du Parlement, a la capacité d'examiner les circonstances pouvant découler de l'application du projet de loi.

Le sénateur Runciman : Nous allons entendre le commissaire à la protection de la vie privée dans le cadre de notre étude; alors, j'espère que nous pourrons comprendre ses inquiétudes. Pour l'instant, je ne les comprends pas.

Un autre sujet qui a fait couler beaucoup d'encre, c'est l'affirmation selon laquelle le projet de loi force les juges à autoriser des infractions à la Charte de la part d'agents du SCRS. Il me semble que nous avons eu cette discussion par rapport au projet de loi C-13; d'ailleurs, dans sa décision dans l'affaire Spencer, la Cour suprême a indiqué que l'obtention de renseignements sans autorisation de la cour est une infraction à la Charte, mais qu'avec une autorisation de la cour, cela respecte la Charte. Je me demande si vous pouvez clarifier cette question aussi.

M. MacKay : Eh bien, je vous remercie de me donner l'occasion de le faire. Le ministre Blaney et moi l'avons mentionné dans nos remarques préliminaires. Je pense que les Canadiens savent, surtout ceux qui font partie du système judiciaire, que les juges sont prêts à approuver et rejeter les demandes de la police et des organismes de sécurité nationale pour mener certaines activités. C'est une pratique de longue date au Canada, dans notre système judiciaire. Soyons clairs : le SCRS ne pourra entreprendre certaines activités que si un juge, une cour fédérale, croit qu'elles sont nécessaires pour protéger les Canadiens. C'est une pratique en place depuis déjà longtemps.

Je vais vous donner deux exemples. À l'heure actuelle, lorsque les juges font ce qui est prévu ici, dans le cadre de procédures criminelles à huis clos, ils peuvent limiter la liberté d'expression. Le tribunal siège parfois à huis clos lorsqu'il s'agit de procédures criminelles. Il peut s'agir de demandes de mandats de perquisition aux termes de l'article 487, de mandats pour saisir certains documents ou de mandats généraux en tant que tels. Il y en a d'autres : les demandes de dépôt d'éléments de preuve, et vous vous en souvenez sans doute puisque vous avez déjà été procureur général. Souvent, le juge peut demander qu'on évacue la cour et que des témoignages soient entendus en l'absence du jury, comme lorsqu'il s'agit de témoignages concernant les activités sexuelles passées d'un plaignant. De la même façon, un juge peut exclure le public de certains procès, en vertu de l'article 486 du Code criminel. Il peut ordonner à des personnes de remettre leur passeport afin de les empêcher de quitter le Canada, aux termes de l'alinéa 515(4)e) du code. Le Code criminel permet déjà aux juges d'ordonner que certains contenus soient retirés d'Internet, limitant la liberté d'expression d'une personne. J'ai donné, tout à l'heure, les exemples de la propagande haineuse et de la pornographie juvénile.

Nombre de ces dispositions sont fondées sur des articles du Code criminel et des pouvoirs qui existent déjà afin de permettre certaines activités qui seraient autrement jugées inconstitutionnelles.

Le sénateur Mitchell : Merci aux deux ministres de leurs exposés.

Il y a environ trois ans, le gouvernement a commencé à réduire les budgets de la GRC. Il l'a fait de façon importante et, récemment, cette tendance a vite touché le SRCS. On nous a dit que jusqu'à 600 agents de la GRC ont été réaffectés aux enquêtes sur les activités terroristes, laissant de côté des centaines de dossiers en matière de crime organisé, de crimes liés à la drogue ou de crimes financiers. Nous avons entendu des témoignages selon lesquels le SCRS a dû établir des priorités, exercice qui s'est avéré douloureux. Cet organisme n'a pas suffisamment d'argent.

Pour employer une expression populaire, quand allez-vous joindre l'acte à la parole et soutenir ces institutions, ces organisations? C'est une chose de leur donner des outils supplémentaires, mais ils ne servent à rien s'il n'y a pas de travailleurs pour les utiliser.

M. Blaney : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je dirais que nous avons adopté une approche cohérente dès notre arrivée au pouvoir, et c'est pourquoi, actuellement, les budgets de la GRC et du SCRS ont augmenté d'un tiers depuis que nous formons le gouvernement.

Je veux certainement féliciter les chefs de ces deux organismes qui accomplissent un travail très important — en fait, un travail exceptionnel — dans des circonstances très difficiles et qui ont fait preuve de souplesse face à la menace changeante que présentent les voyageurs à haut risque et les terroristes djihadistes. Ils ont su s'y adapter, et nous sommes conscients qu'il y a d'autres besoins, d'autres secteurs importants dont il faut tenir compte.

[Français]

Il y a une expression en français selon laquelle il ne faut pas déshabiller Pierre pour habiller Paul.

[Traduction]

Alors, il est évident que la réaffectation des ressources exerce des pressions sur nos services de renseignement et nos corps policiers. Nous en avons discuté avec le commissaire Paulson et M. Coulombe, et nous en sommes conscients. Comme vous le savez, nous avons toujours fait en sorte que les ressources soient là en cas de besoin.

Comme vous l'avez dit dans votre question, on a beau avoir les ressources, si on n'a pas les pouvoirs, on ne peut pas agir. Le ministre MacKay vient de donner un exemple frappant. Même s'il y a 10 policiers dans un bureau, s'ils n'ont pas l'autorisation du juge et du procureur général pour intervenir dans une situation imminente, même s'ils ont tout l'argent nécessaire, ils ne pourront pas agir. Voilà pourquoi le projet de loi vise avant tout à offrir les bons outils.

Je suis certain que les membres s'occuperont de mesures touchant les ressources en temps et lieu. Mais pour l'instant, nous parlons d'outils — outils que le commissaire Paulson a demandés publiquement et qui, comme le ministre MacKay vient de l'indiquer, nous aideront à combattre les terroristes djihadistes.

Le sénateur Mitchell : Au sujet de l'augmentation d'un tiers dont vous venez de parler, je rappelle qu'après 2012, ces organismes étaient réputés avoir suffisamment de ressources pour faire leur travail, mais ils n'étaient alors pas soumis aux pressions découlant des enquêtes sur le terrorisme, comme c'est le cas aujourd'hui.

Ma prochaine question...

M. Blaney : Désolé, mais selon les budgets de 2006 jusqu'à aujourd'hui, il s'agit d'une augmentation d'un tiers pour la GRC et le SCRS, sans compter toutes les mesures que nous avons mises en place...

Le sénateur Mitchell : Mais il y a une réduction depuis 2012.

Ma prochaine question s'adresse au ministre MacKay. Vous avez fait une déclaration très forte et rassurante : le gouvernement fait tout ce qu'il peut pour protéger la population. J'aurais été plus rassuré si vous aviez dit qu'il fait également tout ce qu'il peut pour trouver l'équilibre par rapport aux libertés civiles des Canadiens. Pour défendre certaines des dispositions dans la partie du projet de loi qui est de votre ressort, vous avez utilisé les exemples du Royaume-Uni et de l'Australie, mais vous n'avez pas dit qu'il y a, dans ces pays, un mécanisme de surveillance parlementaire et d'autres formes de surveillance que nous n'avons pas. Je trouve quand même curieux que le projet de loi ne fasse pas mention de surveillance.

Comment se fait-il que, d'une part, vous défendez le projet de loi en évoquant les expériences de l'Australie et du Royaume-Uni, mais d'autre part, vous négligez de dire que presque toutes les aspérités du projet de loi qui font peur aux Canadiens, c'est-à-dire les craintes relatives aux libertés civiles, auraient disparu si vous aviez inclus de nouveaux pouvoirs de surveillance appropriés, par exemple une surveillance parlementaire, des pouvoirs supplémentaires pour le CSARS et peut-être une commission d'enquête publique sur la GRC? Pourquoi ne l'avez-vous pas fait alors que cela aurait permis de vendre le projet de loi et, à bien des égards, d'éliminer la crainte qu'il constitue une menace pour les libertés civiles?

M. MacKay : Je vous remercie de votre question. C'est évidemment un sujet litigieux. On en a beaucoup parlé au comité de la Chambre des communes.

Voyez-vous, premièrement, il y a plusieurs choses que je sais que vous connaissez bien. Au Canada, nous avons la Charte. Ce n'est pas le cas au Royaume-Uni ou en Australie. Nous avons un système solide de freins et de contrepoids, pour utiliser votre description, grâce au CSARS, mais je laisserai mon collègue, M. Blaney, en parler.

J'étais récemment à un sommet mondial sur le droit au Royaume-Uni. C'était très intéressant de voir que le comité de surveillance parlementaire dont vous parlez et qui existe dans le modèle de Westminster était mal en point parce que le président lui-même avait été pris dans un scandale assez troublant d'accès en échange d'argent. Alors, je crois que les comités parlementaires ne sont pas les meilleurs organismes de surveillance lorsqu'il est question de sécurité nationale. Une organisation comme le CSARS, qui est un expert dans ce domaine, est en mesure d'agir et de suivre le genre d'activités dont on parle; cela devrait rassurer les Canadiens, et c'est d'ailleurs le cas.

Et puis, il y a les rapports au Parlement. Il ne faudrait surtout pas donner l'impression que ces activités sont hors de portée pour les parlementaires. Nous sommes ici pour témoigner au sujet du projet de loi. Deux des hauts fonctionnaires les plus importants, soit les chefs de la GRC et du SCRS, sont régulièrement convoqués devant des comités comme le vôtre.

Donc, je crois que les Canadiens font énormément confiance à leur système, qui est en fait supérieur aux autres que j'ai mentionnés. Je ne les ai évoqués que pour montrer que les pouvoirs accrus en matière de prévention et de détention existent déjà là-bas. Ce sont les pays avec lesquels nous collaborons le plus et avec lesquels nous échangerons probablement des renseignements à l'avenir dans le cadre de cette lutte mondiale.

Mais je comprends ce que vous dites et je veux vous assurer que nous avons réfléchi à cet équilibre au moment de préparer le projet de loi. Il ne s'agit pas seulement d'accroître les pouvoirs; il faut aussi trouver un équilibre par rapport aux droits des particuliers, droits qui sont protégés sur tous les plans par la Charte des droits et libertés et par notre Constitution.

M. Blaney : Sénateur, je vous remercie de cette excellente question. Cela nous donne l'occasion de faire connaître aux Canadiens un modèle qui fait l'envie du monde. Grâce au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le gouvernement est en fait l'un des premiers gouvernements démocratiques du monde à créer un cadre législatif pour son service de sécurité.

Vous avez mentionné l'exemple australien, et nous en avons discuté plus tôt. Vous trouverez peut-être intéressant de savoir qu'il y a un mécanisme de surveillance parlementaire en Australie. Mais vous serez sans doute aussi heureux d'apprendre qu'il ne sert qu'à des fins administratives et ne s'occupe pas des questions opérationnelles. Par contre, le CSARS s'occupe des questions opérationnelles, et le projet de loi C-51 prévoit un mandat précis pour que notre Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité examine les activités de perturbation des menaces. Donc, en élargissant les pouvoirs du SCRS, nous donnons plus de pouvoirs au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. C'est à l'article 4 du projet de loi.

Il est très important de le dire, monsieur le président, et je ne suis pas le seul à le dire, comme en témoigne cette citation :

Ce processus d'examen du renseignement de sécurité constitue un exemple du régime juridique canadien qui cherche à trouver un meilleur équilibre entre la protection des renseignements sensibles et les droits procéduraux des particuliers.

Cela vient de la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Mitchell : Mais allez-vous leur donner le budget nécessaire pour faire ce travail supplémentaire, et le faire passer de 2,8 à 5 millions de dollars?

M. Blaney : Nous avons toujours veillé à ce qu'ils aient un financement suffisant. Je vous rappelle que récemment, M. Doucet, le directeur exécutif, a déclaré avoir toutes les ressources nécessaires pour s'acquitter de son mandat.

Le sénateur Runciman : Monsieur Blaney, étant parlementaire, vous savez que bon nombre des projets de loi qui sont déposés devant la Chambre et le Sénat comportent une disposition exigeant qu'un examen soit fait de la loi cinq ans après son entrée en vigueur. Est-ce qu'on envisage un amendement qui exigerait un tel examen après cinq ans?

M. Blaney : Je vous remercie de cette question.

Au sujet des amendements, pour répondre à votre question, le ministre MacKay a déclaré que, relativement à la réduction des seuils, une disposition de temporisation a déjà été prévue. D'autres mesures, comme la communication d'information, sont réclamées depuis longtemps, à la lumière de nombreuses études.

Ce que pourrait envisager le comité, à mon avis, c'est un amendement pour vraiment clarifier le rôle du projet de loi, c'est-à-dire celui de cibler les terroristes. Nous avons entendu ces discussions au sujet des manifestants. Sachez que le projet de loi ne vise pas les manifestants, que leurs activités soient ou non légitimes. Le projet de loi vise les terroristes qui représentent une menace et qui sont prêts à faire du tort aux Canadiens.

J'ai aussi entendu parler d'une hypothèse selon laquelle le SCRS créerait une prison quelque part. Non, absolument pas, parce que ce n'est pas un organisme d'application de la loi. Si les membres du comité estiment nécessaire, pour plus de certitude, de préciser que le SCRS et nos agents du renseignement ne sont pas des policiers, qu'ils ne peuvent pas faire d'arrestations et jeter les gens en prison, je pense que ce serait tout à fait pertinent, si c'est ce que vous souhaitez.

Mais pour revenir à votre question, comme vous l'avez constaté, toutes les dispositions du projet de loi qui visent à réduire les seuils ou à autoriser la perturbation des menaces portent sur des activités qui, pour la plupart, existent déjà depuis longtemps, comme les pouvoirs que l'on propose d'attribuer aux agents du renseignement. Je ne vois donc pas en quoi c'est nécessaire maintenant.

Le sénateur Runciman : Je n'en parle que parce que la disposition d'examen obligatoire est assez courante dans les lois.

Monsieur MacKay, encore une fois, divers commentaires ont été faits publiquement sur la nouvelle disposition du projet de loi qui érige en infraction le fait de préconiser ou fomenter le terrorisme; selon certains, ce nouvel article ratisse trop large. En l'examinant, j'ai repéré des expressions comme « sciemment », « sachant que » ou « sans se soucier » — autant de termes qui établissent les conséquences criminelles de l'acte prohibé. Pourriez-vous parler de ces termes qui, me semble-t-il, imposent à la Couronne une norme de preuve plus élevée que la normale dans les poursuites éventuelles?

M. MacKay : Je pense que c'est tout à fait exact, à savoir que la norme est effectivement plus élevée.

Par ailleurs, nous avons examiné les lois d'autres gouvernements et, bien que nous l'ayons envisagé, nous n'avons pas choisi d'inclure une disposition sur la glorification. Le projet de loi n'érige pas en infraction la glorification ou l'éloge du terrorisme, ce qui est le cas au Royaume-Uni.

Le projet de loi, comme vous l'avez laissé entendre, comporte des termes qui évoquent la notion d'encouragement actif. Cela va au-delà de l'expression passive, et il ne s'agit pas simplement d'un encouragement indirect. Je dirais que cela ne réduit en rien la liberté d'expression ou d'opinion. Cette disposition vise à interdire l'encouragement actif ou la perpétration d'infractions de terrorisme.

Vous remarquerez qu'à l'étonnement de bien des gens, le terme « terrorisme » ne figure nulle part dans le Code criminel. Nous avons affaire ici à l'activité terroriste ou à l'infraction de terrorisme. Dans ce contexte, donc, on vise à dissuader des gens, à interdire l'encouragement actif à la perpétration d'infractions de terrorisme, et non pas seulement l'expression d'opinions.

Il y a un précédent à cet égard, à la Cour suprême, qui est très instructif. Les tribunaux ont établi que les termes « préconiser », « fomenter » et « conseiller » signifient tous plus ou moins la même chose. Dans cet esprit — à la lumière de la notion d'encouragement actif —, cette nouvelle infraction s'inspire de celles qui se trouvent déjà dans notre Code criminel relativement au fait de conseiller à quelqu'un de commettre une infraction. Cette jurisprudence pertinente est utile pour intenter des poursuites fructueuses.

Le sénateur White : Je vous remercie tous d'être ici aujourd'hui.

Monsieur Blaney, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Finlande et la Norvège, par exemple, permettent à leurs organismes de sécurité respectifs de perturber, d'une façon ou d'une autre, les activités criminelles ou terroristes.

M. Blaney : C'est exact.

Le sénateur White : Le projet de loi C-51 en permettrait autant à notre organisme de sécurité. Pourriez-vous nous expliquer brièvement comment nous en sommes arrivés à la décision d'aller en ce sens et si le CSARS a exercé une influence sur notre démarche en vue de cette modification aux termes du projet de loi C-51.

M. Blaney : L'exemple que j'ai donné tout à l'heure sur les premières étapes de la radicalisation nous a fait reconnaître l'importance de réduire la menace. La GRC fait un excellent travail de recherche dans le cadre des enquêtes en cours, mais pour ce qui est de la phase antérieure à la criminalisation, on peut intervenir de façon précoce et, potentiellement, empêcher qu'une personne s'engage dans la criminalité; il est bon d'avoir la capacité d'intervenir auprès de ceux qui en sont aux premières étapes de la radicalisation. Nous travaillons sur de nombreuses initiatives de prévention, notamment au chapitre de la radicalisation.

Comme vous le savez, la GRC participe largement à cette démarche, en mettant à profit des formateurs et de nombreuses activités de sensibilisation. Le ministre McKay est, lui aussi, profondément engagé dans ce travail. Vendredi dernier, il a participé à notre table ronde transculturelle.

Donc, nous voulons faire de la prévention, mais pour y arriver, il faut avoir plus d'outils. Nous nous sommes inspirés de nos alliés et, de fait, ceux-ci recourent à des mesures de perturbation des menaces. C'est pourquoi nous proposons que le SCRS soit doté de ces pouvoirs.

Comme je l'ai dit, à supposer que ces pouvoirs enfreignent les droits des Canadiens, il y a possibilité de contrôle judiciaire, comme celui qui régit déjà la collecte de renseignements ou, dans un autre domaine, le travail des policiers. C'est ainsi que l'on procéderait.

Même le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité reconnaît qu'en cas de menace, le SCRS, avec ses pouvoirs, serait mieux en mesure de protéger les Canadiens. Je peux vous assurer que ces activités de perturbation des menaces seraient couvertes par le CSARS et feraient l'objet d'un examen attentif. Nous demandons précisément dans le projet de loi que, chaque année, le CSARS se penche sur les activités liées à la perturbation des menaces.

Comme vous le savez, le CSARS peut décortiquer les activités du SCRS quand il le veut, où il le veut et dans la mesure où il le souhaite. Je n'hésite pas à dire que nous pouvons être fiers de ce modèle et que nous pouvons trouver des moyens de le renforcer encore plus. Vous n'êtes pas sans savoir que M. Holloway, le doyen d'une faculté de droit, vient d'être nommé quatrième membre du CSARS. Nous comptons en nommer un cinquième très bientôt pour appuyer l'équipe d'avocats et de spécialistes qui, forts de leur indépendance et de leur expertise, assurent avec succès la continuité des efforts, et ce, depuis 30 ans.

Le sénateur White : Je vous remercie, monsieur le ministre.

Monsieur MacKay, la Commission d'enquête sur l'affaire Air India a recommandé, entre autres, l'établissement de divisions spéciales chargées des poursuites pour terrorisme, et peut-être même la création de tribunaux spéciaux. Compte tenu de la situation actuelle — et ceci pourrait déborder de la portée du projet de loi C-51, mais je pense que la discussion mériterait d'être poursuivie —, pensez-vous que nous irons de l'avant en créant des unités spéciales de poursuites et peut-être aussi des tribunaux ou des postes de juges spéciaux?

M. MacKay : C'est une excellente question, sénateur White. En deux mots, j'espère que non. Je veux croire qu'il n'y aura pas une augmentation, mais plutôt une diminution du nombre d'infractions et d'activités liées au terrorisme au Canada.

Nous avons évolué, en conséquence des 19 cas dont j'ai parlé tout à l'heure, auxquels des membres du Service des poursuites pénales du Canada ont participé directement ou indirectement — ma réponse s'appuie en partie sur le fait que les gouvernements provinciaux et fédéral se partagent les compétences en matière d'administration de la justice. À l'échelon provincial, les procureurs doivent, eux aussi, s'y connaître en matière de poursuites aux termes du Code criminel.

Bref, je vous dirais que je ne prévois pas pour l'instant que nous ayons besoin de créer tout un bureau ou même un spécialiste en la matière.

Mais la menace évolue. Si nous devions constater une tendance en ce sens, nous pourrions envisager cette option. Ce serait, comme vous l'avez dit, en dehors de la portée du projet de loi.

Le sénateur White : Merci, monsieur le ministre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse au ministre Blaney. Monsieur le ministre, chaque fois que j'entends qu'un jeune garçon ou qu'une jeune fille s'est radicalisé sans qu'on puisse intervenir et a réussi à quitter le pays pour aller rejoindre l'État islamique, je trouve cela inquiétant, pour ne pas dire bouleversant.

On sait que, dernièrement, au Québec, six jeunes sont partis dont les parents ne savent pas où ils se trouvent. On constate aussi presque toujours que c'est par Internet qu'on les a initiés à ces idéologies de haine pour finalement les convaincre de se radicaliser. Avez-vous une idée du nombre de cas qui pourraient être soumis aux tribunaux si le projet de loi C-51 est adopté?

M. Blaney : Je vous remercie pour votre question, sénateur. Effectivement, il est très troublant de voir des jeunes qui sont radicalisés et qui souhaitent passer à l'action. C'est la raison pour laquelle le projet de loi sur les mesures antiterroristes prévoit des dispositions qui permettront à nos agents d'être en mesure d'intervenir à un stage plus précoce du processus de radicalisation. Nous serons ainsi en mesure de réduire à la source le phénomène de radicalisation et d'éviter la criminalisation de ces personnes.

C'est important, parce que les parents peuvent être confrontés au choix de voir leur enfant partir et risquer sa vie pour des idéologies extrémistes ou de voir son dossier criminalisé. On peut intervenir plus en amont du phénomène. Dans la sphère de précriminalisation, des éléments de criminalisation du terrorisme nous permettront de faire cesser les activités des sites Internet qui font la promotion du terrorisme.

Quant aux enquêtes en question, il s'agit de questions de nature opérationnelle et, à cet égard, je laisse le soin aux autorités policières, aux corps policiers provinciaux et municipaux et à la GRC d'en faire le suivi.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, messieurs les ministres, de vos exposés. Il ne fait aucun doute que la menace pèse sur notre pays, et il est certain que nous devons protéger tout le monde.

J'ai trouvé très intéressants vos propos de tout à l'heure, monsieur Blaney, sur la prévention et la détection. Quand le sénateur Mitchell parlait d'équilibre, j'ai entendu beaucoup d'observations au sujet des outils et des mesures prévues. J'aimerais qu'on parle plus longuement de la prévention et de la détection. Selon moi, il s'agit de sensibiliser les communautés.

Je suis très heureuse que la table ronde transculturelle se soit enfin réunie. J'aimerais savoir à quelle fréquence elle se réunit, de quelles ressources elle dispose, et si les deux ministres y participent.

Aussi, nous serons en sécurité si tout le monde, dans ce pays, se sent en sécurité. Que faisons-nous pour que cela puisse se réaliser?

M. Blaney : Je vous remercie, madame la sénatrice, de cette excellente question.

Comme ces outils sont nécessaires pour faire face à la menace imminente du terrorisme, ils sont intégrés à nos mesures de prévention et de lutte contre le terrorisme; ainsi, nos agents du renseignement ont notamment la possibilité d'intervenir à un stade précoce.

La disposition qui vise à criminaliser la promotion du terrorisme est importante, car, en faisant obstacle au message, nous empêchons, si je peux me permettre l'expression, le lavage de cerveau, littéralement, qui prône ces idéologies extrémistes. C'est pourquoi nous avons mené une activité de sensibilisation.

J'inviterais le commissaire Paulson, s'il le souhaite, à en parler. Le ministre MacKay est très au courant de la question, puisqu'il a pris part à bien des activités. Mais pour ce qui est des activités sur le terrain, le commissaire Paulson pourrait peut-être vous en parler.

Bob Paulson, commissaire, Gendarmerie royale du Canada : Je vous remercie, monsieur le ministre.

Je serai bref. Nous déployons depuis longtemps des efforts de prévention et de lutte contre des activités criminelles de tout genre. L'élément central de la prévention, c'est l'engagement et la mobilisation des membres de la communauté; ainsi, nous recherchons des gens dans les communautés qui peuvent mettre à contribution leur expertise en vue d'une action coordonnée.

Je pourrais parler longuement de certaines choses qui se passent actuellement, non seulement à la GRC, mais aussi dans d'autres services policiers. Sécurité publique Canada est en train de mettre en œuvre un programme de réorientation qui vise à coordonner toutes les ressources disponibles dans les collectivités, de façon à en accroître l'efficacité.

Ce qui me plaît le plus dans le projet de loi, surtout en ce qui a trait à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, c'est que cela n'aboutira pas à des poursuites, à moins que la personne ayant pris cet engagement ne respecte pas les règles; le projet de loi nous accorde aussi un outil dans le cadre des mesures de prévention, lorsque nous évaluons des gens à haut risque, avant qu'ils ne commettent un acte criminel, et selon les normes établies par le projet de loi, nous pouvons user de certains pouvoirs pour les intégrer au programme de prévention. C'est un aspect très intéressant du projet de loi.

M. Blaney : Je tiens à vous rassurer, madame la sénatrice, qu'il s'agit ici d'une approche pangouvernementale. Vous avez vu les efforts qu'a déployés la GRC. Nous devons présenter un argumentaire concret pour faire dérailler le discours qui attire ces gens et qui les radicalise. Nous sommes certes reconnaissants du travail accompli par votre comité, ainsi que par le CSARS, et nous avons des échanges avec nos partenaires afin d'accroître nos efforts de prévention de la radicalisation.

J'invite le ministre MacKay à dire quelques mots sur le sujet.

M. MacKay : Dans cet esprit de collaboration, M. Blaney a tout à fait raison. En ce qui concerne l'engagement de ne pas troubler l'ordre public, il n'y a pas l'ombre d'une différence entre la manière dont le Service des poursuites pénales et la GRC doivent travailler. J'ai peut-être fait un lapsus tout à l'heure quand j'ai dit que c'est le SCRS qui doit faire ces demandes. Il fait des demandes pour d'autres types de mandats; dans ce cas-ci, c'est la police.

Pour revenir à votre question, cette table ronde transculturelle existe déjà depuis maintenant plus de 10 ans — elle est plus ancienne que le gouvernement actuel, et certains de ses membres y siègent depuis sa fondation. Elle est composée d'une douzaine ou quinzaine de membres de partout au pays, qui composent véritablement le visage du Canada et qui représentent les perspectives des Canadiens. Certains membres sont des avocats, d'autres viennent du milieu de l'éducation, mais tous sont véritablement des chefs de file au sein de leur communauté. Bref, c'est le genre de personnes sur lesquelles nous pouvons compter pour recevoir des conseils et des points de vue éclairés, mais il s'agit aussi de gens qui sont profondément engagés dans leur communauté et leurs activités, et qui comprennent bien, comme vous l'avez dit, que nous vivons une époque de tumulte où les jeunes sont plus vulnérables et plus exposés à la radicalisation et au type de recrutement dont nous avons malheureusement été témoins.

Il est très difficile, je pense, pour bien des Canadiens, de comprendre qu'un jeune, homme ou femme, qui a grandi dans ce pays, soit attiré par le genre de comportement meurtrier en puissance qu'on a vu sur Internet — les décapitations, les gens brûlés vifs. Qu'est-ce qui peut amener ces jeunes à quitter la protection et le confort de leur foyer pour aller vers une mort quasi certaine et, de surcroît, violente? Bien au-delà du projet de loi, nous devons nous efforcer de mieux comprendre ce qui motive les jeunes du pays à suivre cette voie.

Le commissaire a indiqué que les forces policières ont accru leurs activités de police communautaire et de prévention, si bien qu'elles ont réussi parfois à désamorcer les préjugés qu'ont certains envers la police et le gouvernement. Cela fait partie du tout.

Certains programmes de prévention qu'administrent le ministère de la Justice et celui de la Sécurité publique portent aussi sur la sensibilisation qui ne vise pas seulement à lutter contre le terrorisme, mais aussi à dissuader le comportement criminel.

Le sénateur White saura de quoi je veux parler. Je me souviens d'un cas où j'étais procureur, au Cap-Breton, et il y avait un homme de Whitney Pier.

Le sénateur White : Ce n'était pas un de mes parents.

M. MacKay : Non, en effet. C'était un jeune homme qui, ce jour-là, serait probablement envoyé passer quelque temps dans un centre correctionnel, courtoisie de Sa Majesté. Il y avait à l'époque une excellente équipe de baseball à Glace Bay. Un homme plus âgé parlait des mérites du sport, mais il y aurait aussi de la musique, de la danse et des arts. Mais il m'a dit ce jour-là : « Quand on grandit ici, on aboutit dans les sports ou devant les tribunaux. » J'ai trouvé cette expression très succincte et, si nous pouvons faire plus pour offrir des choix plus attrayants et plus productifs aux jeunes gens, je pense que cela ira beaucoup dans le sens de la prévention dont on parle.

Le président : J'aimerais faire un commentaire, en tant que président. Nous parlons beaucoup des jeunes, ici. De nombreux jeunes adultes participent à ces activités. Le procès de VIA Rail démontre que ce sont des gens dans la vingtaine, qui sont bien instruits et qui viennent d'un milieu aisé. Je ne voudrais pas donner l'impression que nous avons affaire à des adolescents, parce que, la plupart du temps, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Runciman : J'aimerais poser une question, très rapidement, au ministre Blaney, au sujet de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens. L'article 8 précise que « [l]e ministre peut établir une liste sur laquelle il inscrit les nom et prénom de toute personne », et cetera.

Quelques personnes sont passées entre les mailles du filet des autorités ces derniers temps, dont au moins un individu dont le passeport a été confisqué, mais qui a néanmoins pu quitter le pays et, d'après ce que j'ai compris, il est en Syrie maintenant. Je serais curieux de savoir, peu importe la gravité de la situation, s'il y a lieu d'inclure une photo ou une image. Cela nous empêche-t-il de recourir à la technologie de reconnaissance faciale pour régler des situations comme celles de ces gens qui, pour une raison ou une autre, utilisent apparemment de fausses pièces d'identité et qui réussissent ainsi à passer entre les mailles du filet? Cette disposition englobe-t-elle de telles mesures?

M. Blaney : Je vous remercie d'avoir posé cette question. Bien que nous ayons entendu les propos de notre témoin, nous estimons qu'il pourrait être nécessaire d'être plus précis et de clarifier le rôle du ministre. De toute évidence, l'objet de cet article est d'empêcher tout voyageur à haut risque de partir. Pour ce qui est de la nécessité ou non d'une photographie, je serais ouvert à votre recommandation.

Le sénateur Kenny : J'ai deux questions, brièvement. Toutes deux s'adressent à M. MacKay.

Je n'ai pas compris votre exemple au sujet de votre séjour au Royaume-Uni, où vous avez appris, à l'occasion d'une conférence, qu'un membre du comité parlementaire avait été pris dans une affaire de pot-de-vin. Je ne comprends pas tout à fait cet exemple. Quelle différence y a-t-il entre lui et M. Porter, qui a siégé au CSARC?

M. MacKay : L'exemple que j'ai donné est celui d'une personne qui était membre du comité parlementaire, et non pas de l'organe externe de surveillance. C'est contre cette personne qu'il y a eu recours.

Le sénateur Kenny : D'accord, mais s'il y a de mauvais éléments au sein d'un comité parlementaire à l'étranger et que c'est le cas aussi pour un comité dont les membres sont nommés, pourquoi nous donnez-vous cet exemple?

M. MacKay : Pour démentir l'idée selon laquelle un comité parlementaire serait mieux placé pour examiner les atteintes à la sécurité ou les activités de nos forces de la sécurité; si j'ai donné cet exemple du Royaume-Uni, c'est pour montrer que cela n'a pas toujours été à son avantage.

Le sénateur Kenny : Vous et moi avons siégé ensemble à un comité. Nous avions été nommés par la vice-première ministre de l'époque, Mme Anne MacLellan. Nous avions visité des pays du Groupe des cinq, mais pas tous. Nous n'étions pas allés en Nouvelle-Zélande, mais nous avions visité l'Australie. Nous avions examiné la situation au Royaume-Uni, et vous étiez très enthousiaste au sujet de la surveillance parlementaire. Vous aviez appuyé l'opinion majoritaire du comité, à savoir que cette surveillance était nécessaire au Canada et qu'un modèle existait. Pourquoi avez-vous changé d'avis?

M. MacKay : Pourquoi votre gouvernement n'a-t-il pas accepté le rapport?

Le sénateur Kenny : Eh bien, je suis désolé; je ne suis qu'un sénateur.

M. MacKay : C'est vrai, sans aucune affiliation, je le sais, mais vous étiez anciennement un sénateur libéral.

Écoutez, je pense que l'exemple que j'ai donné est clair — et il existe aussi des exemples plus récents dans notre propre Parlement, où une liste confidentielle de nominations potentielles à la Cour suprême a fait l'objet d'une fuite par un comité parlementaire.

Donc, en matière de sécurité nationale, je suis préoccupé par le traitement d'information de nature délicate qui pourrait littéralement mettre la vie d'une personne en danger. Il ne s'agit pas de condamner de quelque façon que ce soit les travaux d'un comité parlementaire, mais le traitement de ce type d'information pourrait très certainement nuire aux intérêts en matière de sécurité nationale, s'il servait à des usages partisans et si jamais l'information était divulguée, ne serait-ce que partiellement.

Ma façon de penser a donc évolué. Mon expérience au ministère des Affaires étrangères, au ministère de la Défense et au ministère que je dirige maintenant me laisse croire qu'un organisme de supervision indépendant et autonome et constitué d'experts ayant la capacité de suivre l'information et les activités servirait mieux le pays qu'un comité parlementaire quelquefois hautement partisan.

Le président : Chers collègues, il est 18 h 5. J'aimerais remercier les ministres d'avoir comparu.

M. MacKay : Monsieur le président, j'ai un bref document en anglais et en français qui porte précisément sur les idées fausses entourant les dispositions du projet de loi relatives au fait de préconiser la perpétration d'activités terroristes. J'aimerais déposer ce document auprès du comité, avec votre permission.

Le président : Votre document est déposé. Nous le remettrons à la greffière afin qu'elle en fasse des copies. Je vous remercie d'être venus et d'avoir passé du temps avec nous.

M. Blaney : Merci.

M. MacKay : Merci.

(La séance est levée.)


Haut de page