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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 15 - Témoignages du 2 avril 2015


OTTAWA, le jeudi 2 avril 2015

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 h 36, pour étudier la teneur du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense du jeudi 2 avril 2015. Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais commencer par présenter les personnes qui prennent place autour de la table. Je m'appelle Dan Lang, et je suis sénateur du Yukon. Immédiatement à ma gauche se trouve la greffière intérimaire du comité, Cathy Piccinin, et j'aimerais faire un tour de table et inviter chaque sénateur et sénatrice à se présenter et à dire quelle région il ou elle représente, à commencer par notre vice-président.

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l'Ontario.

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le président : Chers collègues, d'autres membres se joindront à nous dans quelques minutes parce qu'ils sont occupés ailleurs. Je vois le sénateur White, de l'Ontario, qui nous rejoint.

Bienvenue, sénateur White.

Chers collègues, le Sénat nous a renvoyé le projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

Nous accueillons un premier groupe d'experts du ministère de la Justice : M. Donald K. Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques; et M. Doug Breithaupt, directeur et avocat général, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques.

De Sécurité publique Canada, nous recevons M. John Ossowski, sous-ministre délégué; Mme Lynda Clairmont, sous-ministre adjointe principale, Secteur de la sécurité et de la cybersécurité nationale; et M. John Davies, directeur général, Politique de la sécurité nationale, Secteur de la sécurité et de la cybersécurité nationale.

Nous sommes ravis de vous accueillir aujourd'hui pour répondre à des questions précises concernant le projet de loi.

Monsieur Ossowski, je crois savoir que vous avez des remarques liminaires à prononcer.

[Français]

John Ossowski, sous-ministre délégué, Sécurité publique Canada : Honorables sénateurs, je suis heureux de comparaître devant vous afin de vous aider dans votre étude du projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015.

Comme le président l'a mentionné, je suis accompagné de Mme Lynda Clairmont, sous-ministre adjointe principale, Secteur de la sécurité et de la cybersécurité nationale, ainsi que de M. John Davies, directeur général, Politique de sécurité nationale.

[Traduction]

Le projet de loi C-51 est un projet de loi exhaustif sur la sécurité nationale qui contient un éventail de mesures, y compris les suivantes : améliorer l'échange d'information à des fins de sécurité nationale; empêcher les terroristes de voyager à 1'étranger; offrir aux organismes d'application de la loi et aux organismes de renseignement les outils dont ils ont besoin pour répondre à la menace changeante; aider à prévenir les attaques avant qu'elles ne soient commises; et criminaliser la promotion du terrorisme. Pendant le temps qui m'est alloué aujourd'hui, je vous présenterai une vue d'ensemble des mesures qui sont du ressort du portefeuille de Sécurité publique Canada.

La première composante de ce projet de loi est la nouvelle Loi sur la sécurité de l'échange de renseignements au Canada. Cette loi confère aux institutions gouvernementales un pouvoir clair d'échanger des renseignements avec un nombre limité de leurs homologues, lorsqu'il est question de leurs responsabilités et de leur mandat en matière de sécurité nationale.

À l'heure actuelle, les institutions fédérales ont effectué de longues évaluations juridiques pouvant retarder ou empêcher 1'échange de renseignements avec des organismes de sécurité nationale. La nouvelle loi éliminera ces obstacles, ce qui permettra d'échanger des renseignements de façon rapide, efficiente et responsable.

Il est important de noter que des mesures de protection appropriées sont en place afin de veiller à la gestion responsable des renseignements en vertu de cette loi. À titre d'exemple, les institutions ne sont pas obligées d'échanger des renseignements et tous les échanges de renseignements seront effectués sous l'examen minutieux des organes d'examen actuels pour le SCRS et la GRC.

Il est important de noter que les institutions fédérales auront recours à ces nouvelles dispositions de manière responsable, qui respecte les libertés et les droits fondamentaux des Canadiens.

Le Commissariat à la protection de la vie privée et le Bureau du vérificateur général du Canada examinent les activités des institutions fédérales, y compris en ce qui concerne les activités d'échange de renseignements. En outre, chaque année, tous les ministères sont tenus de produire des rapports au Parlement sur leur respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

La deuxième composante du projet de loi est la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, qui renforcera le Programme de protection des passagers. Dans le cadre du programme actuel, le gouvernement ne peut dresser la liste des personnes soupçonnées de voyager par avion afin de soutenir des activités liées au terrorisme ou d'y prendre part. Les changements proposés au programme pallieront une lacune importante dans notre capacité à prévenir les déplacements à des fins terroristes. À cette fin, en application de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile sera autorisé à inclure les personnes qui posent une telle menace dans la liste.

Qui plus est, le ministre pourra émettre des directives opérationnelles afin de perturber leurs déplacements, y compris une vérification supplémentaire avant 1'embarquement ou le refus d'embarquement. Afin de protéger davantage les droits des personnes dont le nom est indiqué sur la liste, un mécanisme de recours amélioré sera mis en place pour permettre aux personnes qui se sont vues refuser 1'embarquement de présenter une demande au ministre afin que ce dernier examine de nouveau leur inclusion dans la liste.

La prochaine composante du projet de loi C-51 comprend des modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Monsieur le président, à l'heure actuelle, le SCRS ne possède pas un mandat qui lui permet d'agir contre les menaces à la sécurité du Canada — il ne peut que collecter des renseignements sur ces menaces et conseiller le gouvernement. Le projet de loi C-51 conférerait au SCRS un nouveau mandat clair, qui lui permettrait d'entreprendre un éventail de mesures pour perturber les menaces à la sécurité du Canada, au Canada ou à l'étranger. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a très clairement dit que ces nouveaux pouvoirs seront utilisés en vertu des mesures de protection juridiques et sur la protection des renseignements personnels qui régissent les activités de collecte du SCRS depuis 30 ans. En d'autres termes, le SCRS continuerait de demander l'approbation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et devrait obtenir un mandat de la cour avant d'entreprendre toute activité intrusive.

Monsieur le président, le dernier élément du projet de loi qui est du ressort de Sécurité publique Canada porte sur les changements proposés à la section 9 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, y compris les procédures du certificat de sécurité. On recourt à ces procédures lorsqu'il est nécessaire que le gouvernement compte sur des renseignements classifiés et qu'il les protège afin de déterminer si des non-citoyens peuvent entrer au Canada et y rester. Ces renseignements pourraient porter atteinte à la sécurité nationale ou mettre en danger la sécurité de personnes s'ils étaient divulgués.

Les changements proposés protégeront contre cette divulgation des deux façons suivantes : d'abord, en vertu du projet de loi, le gouvernement pourrait interjeter appel de toute ordonnance visant à divulguer publiquement des renseignements classifiés pendant les procédures, plutôt que d'attendre que ces dernières soient terminées. Ensuite, le projet de loi précise les renseignements qui feraient partie des preuves, ce qui signifie des renseignements pertinents sur lesquels le gouvernement compte afin d'établir sa preuve et les renseignements qui permettent à la personne d'être raisonnablement informée de la preuve contre elle.

[Français]

En résumé, le projet de loi C-51 renforcera la capacité du Canada à déceler et à prévenir les actes terroristes et contribuera à aborder la menace que posent les terroristes voyageurs tout en garantissant des mesures de protection et un examen adéquat.

Je vous remercie, et je répondrai avec plaisir aux questions du comité.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole au vice-président du comité, le sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci à tous d'être venus. C'est bon de vous voir. J'ai déjà rencontré certains d'entre vous pendant ma séance d'information et je vous en sais gré.

Je voudrais d'abord parler de surveillance. Je sais qu'il s'agit d'une question délicate. J'espère ne pas tomber dans le côté politique de la chose, car je sais que ce n'est pas votre domaine. On m'a fait valoir que, bien que l'on se préoccupe grandement du manque de ressources dont dispose le CSARS pour surveiller le SCRS, dans une certaine mesure, une partie de son travail est maintenant du ressort du ministère actuel. Je me demande si vous pourriez nous dire quelle partie du budget ministériel est consacrée à des travaux de surveillance comme ceux du CSARS en ce qui touche le SCRS.

M. Ossowski : Merci d'avoir posé la question. En ce qui touche ce ratio en particulier, je laisse à mes collègues le soin de vous répondre. John serait peut-être en mesure de vous fournir une réponse aussi détaillée.

John Davies, directeur général, Politique de sécurité nationale, Secteur de la sécurité et de la cybersécurité nationale, Sécurité publique Canada : Merci, sénateur. Je n'ai pas le budget exact devant moi, mais dans mon groupe, il y a une quinzaine d'analystes au sein de la Division des politiques du renseignement à la Direction générale de la sécurité nationale qui s'occupent directement des responsabilités des ministres au titre de la Loi sur le SCRS. Il s'agit d'analystes qui assument des fonctions de surveillance quotidiennes des activités du SCRS. Il est ici question d'un budget d'environ 1,5 million de dollars pour couvrir les salaires ainsi que les dépenses de fonctionnement et d'entretien.

Le sénateur Mitchell : Est-ce que ce serait eux qui, en gros, assumeraient maintenant la responsabilité de l'inspecteur général de faire rapport des activités du SCRS au ministre? Si tel est le cas, que perd-on s'ils ne jouissent pas de la même autonomie que l'inspecteur général?

M. Davies : Je ne crois pas que l'on perde la moindre chose puisqu'ils travaillent pour le ministre, tout comme le faisait l'inspecteur général. Certaines des ressources dont disposait l'inspecteur général — équivalents temps plein, ETP, budget salarial — ont été affectées à notre groupe tandis que d'autres ont été affectées au CSARS.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Ossowski, pendant votre présentation, vous avez dit :

À titre d'exemple, les institutions ne sont pas obligées d'échanger des renseignements et tous les échanges de renseignements seront effectués sous l'examen minutieux des organes d'examen actuels pour le SCRS et la GRC.

Cependant, je crois savoir que le CSARS n'a pas le pouvoir de faire le suivi de l'échange de renseignements entre le SCRS et la GRC ou tout autre organisme. En fait, les documents rédigés par le CSARS et déposés il y a deux jours à la Chambre des communes ont fait valoir cet argument de façon explicite. Ils ne peuvent pas faire le suivi des renseignements. Il n'est pas seulement question du SCRS et de la GRC, mais aussi de renseignements susceptibles d'être transmis au CSTC, à l'Agence canadienne d'inspection des aliments, à l'ARC et à toutes sortes d'organismes. Le CSARS sera-t-il en mesure de faire le suivi de ces renseignements?

M. Ossowski : Il est clair que le CSARS aurait accès à tout renseignement transmis au SCRS dans le cadre de ses activités. Comme vous le savez, le CSARS est pleinement indépendant et capable d'examiner tous les renseignements du SCRS, sauf les documents confidentiels du Cabinet.

Le sénateur Mitchell : Qui fait le suivi des renseignements susceptibles d'être échangés entre l'ASFC et l'ARC?

M. Ossowski : Le commissaire à la vie privée, le vérificateur général et les processus internes réguliers que nous suivons lorsque nous respectons le flux d'information — des ententes avec les ministères concernant l'échange de renseignements. Pour être bien clair, ce projet de loi supprimera les entraves à l'échange de renseignements pour permettre pareil échange.

Le sénateur Mitchell : Si cela convient à l'ASFC — et j'inverse l'ordre de mes idées pour insister sur le fait que, selon moi, nous avons plus besoin du CSARS — et vous dites que cela convient pour aller chercher des renseignements susceptibles d'être échangés entre deux autres organismes, alors pourquoi devons-nous nous inquiéter que le CSARS supervise le SCRS? Pourquoi le commissaire à la vie privée convient-il dans tous les autres cas, alors qu'il doit surveiller le SCRS avec le CSARS? Pourquoi le CSARS ne surveille-t-il pas tout le reste lui aussi?

M. Ossowski : C'est une question hypothétique en termes de ce qu'ils pourraient ou non faire.

Je crois que le CSARS est très centré dans ses activités de surveillance du SCRS. Comme vous le savez, pour ce qui est des activités proposées dans le projet de loi à l'étude, le CSARS a dit qu'il est tout à fait apte à honorer le mandat que nous lui avons confié. Cela convient compte tenu des raisons pour lesquelles le gouvernement a mis en place cet organe autonome.

Le sénateur Mitchell : Croyez-vous que le CSARS aura suffisamment de ressources pour accomplir le travail supplémentaire qu'on lui demandera de faire, comme celui de superviser la nouvelle procédure d'alerte et, en particulier, l'examen des activités de perturbation? Cela pourrait être assez important. Si je comprends bien, le CSARS ne reçoit pas de financement supplémentaire, alors que le SCRS aura beaucoup de nouveaux rôles à jouer.

M. Ossowski : Au fil du temps et au fur et à mesure que ces activités feront l'objet des mandats de la cour dont il est question dans le contexte de ce nouveau régime, si le CSARS se retrouve en position de ne pas pouvoir prendre les mesures qu'il juge nécessaires, il pourra suivre un processus pour demander des ressources supplémentaires.

La sénatrice Stewart Olsen : Je m'excuse d'être en retard de quelques minutes.

Ma première question porte sur l'expression « menace envers la sécurité », qui n'est pas vraiment bien définie. Pourriez-vous me la définir dans le contexte du projet de loi C-51?

Deuxièmement, qu'est-ce qui, selon vous, constituerait de la « propagande terroriste » dans le contexte du projet de loi? Pourriez-vous me donner une définition complète de cette expression?

M. Ossowski : « Menace envers la sécurité » est définie dans le projet de loi. La définition est assez générale parce que nous ne connaissons pas le type de choses auquel nous pourrions être confrontés. En conséquence, elle n'est peut- être pas aussi précise qu'elle pourrait l'être, mais nous ne voulons pas la limiter inutilement.

Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques, ministère de la Justice Canada : « Propagande terroriste » est définie dans le projet de loi pour englober deux choses : du matériel qui « conseille la perpétration d'une infraction de terrorisme » ou du matériel qui « préconise ou fomente la perpétration d'infractions de terrorisme en général », la nouvelle infraction proposée. Il s'agirait de la définition de propagande que l'on propose dans le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai deux questions à poser. La première s'adresse à M. Ossowski.

[Traduction]

Pour le mandat proposé à l'article 21, le ministère est-il d'accord pour que le juge soit investi du plein pouvoir d'exiger un rapport de suivi de la part du SCRS sur la façon dont le mandat a été exécuté et de veiller à ce qu'il soit conforme aux conditions du mandat? De quelles ressources un juge disposera-t-il pour assurer pareille surveillance des mandats?

M. Piragoff : Sénateur, quelle est votre question exactement?

Le sénateur Dagenais : Le mandat proposé à l'article 21.

M. Piragoff : De la Loi sur le SCRS?

Le sénateur Dagenais : Oui.

M. Davies : Merci d'avoir posé la question, sénateur. Vous avez raison; la juge peut, à n'importe quel moment, ajouter les conditions qu'elle aimerait exiger dans le cadre des pouvoirs proposés d'interruption de menaces ou des mandats percepteurs existants. La Cour fédérale dispose des ressources nécessaires. Si elle le demande, elle aura les ressources voulues pour prier le service de faire rapport de l'issue de ces mandats. Ce n'est pas tant une question de ressources pour les enquêtes qu'une question de demander au service de rendre compte exactement de ce qui a été suivi dans le mandat.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Au lieu d'accorder le pouvoir au SCRS d'intervenir dans les activités terroristes, pourquoi ne pas confier cette mission à la GRC?

M. Ossowski : Je vous remercie de votre question.

[Traduction]

Le SCRS a un mandat très différent de celui de la GRC. La GRC se concentre sur les poursuites criminelles. Le SCRS dispose de ressources très différentes pour ce qui est de l'accès au renseignement au stade pré-criminel où il est souvent le mieux placé. De plus, son empreinte diffère de celle de la GRC, ce qui lui permettrait d'interrompre la menace à un stade plus précoce. Leurs capacités sont donc très différentes. C'est simplement un autre outil dans une partie différente du processus que le SCRS pourrait utiliser.

Le sénateur Kenny : J'aimerais obtenir des détails sur le fonctionnement de l'échange de renseignements. Prenez un organisme qui transmet des renseignements à un autre organisme. Dites-moi quand le commissaire à la vie privée est concerné. Est-ce prospectivement, avant que vous puissiez transmettre les renseignements, ou rétrospectivement, après? Si M. Breithaupt voulait donner quelque chose à M. Piragoff, que devraient-ils faire s'ils étaient assujettis à cette loi? Comment cela fonctionnerait-il?

M. Ossowski : Merci d'avoir posé la question. La façon dont cela fonctionne et dont cela est envisagé dans la loi... Premièrement, je pense qu'il est vraiment important de comprendre qu'aucun nouveau renseignement n'est recueilli dans ce cas. L'information se trouve déjà entre les mains des fonctionnaires d'un ministère qui a procédé à une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée et qui dispose d'un régime pour traiter ces renseignements. Une fois que ce projet de loi aura été adopté, certains ministères pourraient se retrouver en position, généralement, de mettre à jour ces évaluations des facteurs relatifs à la vie privée. Si l'on présume que ce n'est pas le cas, comme je l'ai mentionné, ils ne sont pas contraints de transmettre ces renseignements, mais la loi permettrait que ceux-ci soient transmis aux fonctionnaires désignés dans l'organisme destinataire.

L'information doit correspondre à la définition à laquelle nous avons fait allusion. La mesure est donc très précise et ciblée. Il s'agit ici d'écarter des interdictions particulières visant la communication. On donne souvent comme exemple la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques où il est stipulé que l'information ne peut pas être communiquée.

De plus, la disposition habilitante autorise la communication de l'information au SCRS, à la GRC ou à toute autre instance susceptible d'en tirer profit s'agissant du mandat actuel de la sécurité nationale.

Le sénateur Kenny : Vous n'avez pas répondu à la question; on vous demandait de décrire les étapes aboutissant à la communication de l'information et de quelle façon le commissaire à la protection de la vie privée intervenait dans le processus. J'ai précisément dit : « Est-ce que la question a été posée avant ou après au commissaire à la protection de la vie privée? » Vous n'avez rien dit sur ces éléments.

M. Ossowski : Désolé, j'ai mal compris. Ce que je comprends, c'est qu'aux termes du régime de protection de la vie privée qui est en vigueur pour ce type d'information, puisqu'il s'agit d'une information actuelle, l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, toute la gestion de cette information, rien ne change. Le commissaire à la protection de la vie privée n'interviendrait pas à moins que le ministère, s'agissant des pouvoirs mis en place pour communiquer cette information, n'estime nécessaire de mettre à jour ses procédures en regard des nouveaux pouvoirs. Il pourrait décider de mettre à jour le processus d'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée et d'interpréter de façon différente le mode de gestion de l'information.

La loi indique clairement ce qu'on entend communiquer, à qui et dans quelles circonstances. Ainsi, le commissaire à la protection de la vie privée s'intéresserait plutôt au cadre global de communication de l'information qu'à des circonstances particulières.

Lynda Clairmont, sous-ministre adjointe principale, Secteur de la sécurité et de la cybersécurité nationale, Sécurité publique Canada : J'ajouterais simplement que nous avons eu des discussions avec le commissaire à la protection de la vie privée et que ces discussions se poursuivront au moment du déploiement des nouvelles mesures.

Le sénateur Kenny : On doit comprendre du texte qui figure à la page 4 que c'est la même situation que celle que nous avons aujourd'hui, qu'on procède à un examen lorsque l'information est reçue ou rendue publique, mais que la communication de l'information d'un ministère à l'autre ne concerne pas vraiment le commissaire à la protection de la vie privée. Est-ce que c'est ce qu'il faut comprendre?

M. Ossowski : Eh bien, non. Le commissaire à la protection de la vie privée ferait en sorte que, premièrement, le régime soit respecté, que l'administration et les contrôles soient en place, que les mesures de protection envisagées soient respectées, plutôt que d'intervenir dans certaines circonstances découlant de plaintes, par exemple.

Le sénateur Kenny : Le commissaire à la protection de la vie privée n'a donc pas à valider chaque communication?

M. Ossowski : Non.

Le sénateur Ngo : Merci, monsieur Ossowski. Ma question a trait aux médias et aux gens qui s'opposent au projet de loi C-51, au motif qu'il accorde trop de pouvoirs aux agences de sécurité et viole ainsi la Charte. Pourquoi le ministère a-t-il recommandé que le projet de loi permette au SCRS de violer la Charte en ayant recours à un mandat? Pourriez- vous élaborer à ce sujet?

M. Ossowski : Merci de la question.

Cela fait maintenant 30 ans que le SCRS fonctionne dans un régime de mandats. Nous le consultons régulièrement lorsque nous entrons dans une zone où l'on pourrait enfreindre les droits des citoyens prévus à la Charte. Il s'agit simplement de poursuivre de façon semblable, s'agissant de ces activités.

Ce ne sont pas toutes les opérations que mènerait le SCRS pour perturber des menaces qui exigeraient un mandat. Prenons le simple exemple suivant : si le service constate, au cours de la collecte d'informations, qu'un jeune consulte des sites web djihadistes, il pourra dorénavant signaler aux parents que leur fils consulte ces sites. Il ne s'agit pas d'une intrusion dans la vie privée nécessitant un mandat.

Mais si le SCRS envisageait des activités de perturbation plus intenses, il devrait obtenir l'autorisation des tribunaux avant de les mener.

M. Piragoff : Dans la même veine, j'aimerais simplement ajouter qu'on a reproché au projet de loi de permettre la violation de la Charte en amenant les juges à la violer. Cela n'est pas possible, car même les juges sont assujettis à la Constitution. Comme tout le monde, les juges doivent respecter la Charte.

Le régime stipule que les juges doivent examiner l'activité envisagée et déterminer si elle peut être menée de façon raisonnable, proportionnelle, éventuellement sous certaines conditions, et conforme à la Charte. C'est ce qui se fait tous les jours devant les tribunaux. Chaque fois qu'un juge émet un mandat de perquisition, il doit essentiellement se demander si la perquisition enfreindrait la Charte. Chaque fois qu'un juge émet un mandat d'arrestation, il doit se demander si celle-ci serait illégale et enfreindrait la Charte. La même chose pour une autorisation d'écoute électronique.

Les juges traitent aussi de situations dans lesquelles la Charte pourrait intervenir. Par exemple, ils peuvent ordonner le retrait d'un site web de propagande de haine ou de pornographie infantile. Là encore, l'ordonnance relèverait de la liberté d'expression.

Les juges peuvent ainsi ordonner à la presse, par exemple, de ne pas publier d'information sur un témoignage fait devant un tribunal. Ce serait une violation de la liberté d'expression des médias, sauf que le juge soupèse les droits d'un particulier en vertu de la Charte, d'une part, et l'intérêt public, d'autre part. Le juge a ainsi le droit de concilier ces intérêts et de déterminer s'ils peuvent être tous les deux satisfaits en assortissant son ordonnance des conditions nécessaires, et cetera.

Si ce n'est pas possible, le juge ne pourra pas émettre d'ordonnance. Si le service n'est pas en mesure de proposer un moyen que le juge estime conforme à la Charte, ce dernier n'émettra pas d'ordonnance. Comme n'importe qui, le juge est lui aussi soumis à la Constitution.

Il est donc faux de dire que cela autorise les juges à violer la Charte. Les juges ne peuvent pas violer la Charte. Tout le monde est soumis à la Constitution.

Le sénateur Ngo : Vous avez répondu aux questions que j'allais poser ensuite. Merci beaucoup.

Le président : Sénateur White?

Le sénateur White : Ça va, il a déjà répondu à mes questions, merci beaucoup.

Le président : Sénatrice Jaffer?

La sénatrice Jaffer : Si vous me le permettez, j'aimerais avoir une précision concernant votre exposé. Vous dites que les institutions fédérales procèdent à de longues évaluations juridiques. Que voulez-vous dire par là? Quelles sont les étapes d'une longue évaluation juridique?

M. Ossowski : Pour être bien honnête avec vous, elles doivent examiner dans la loi qui les régit les éléments d'information qu'elles ne peuvent pas communiquer. Elles doivent souvent consulter les responsables du ministère de la Justice pour voir s'il est possible de trouver un équilibre qui leur permettrait de communiquer l'information si elles le jugent nécessaire, mais souvent, elles ne le peuvent pas. Cela reste à déterminer de façon ponctuelle. Mais comme je l'ai mentionné dans mes remarques, certaines lois devront être changées avec l'adoption de ce projet de loi afin de surmonter certaines interdictions liées au partage de l'information.

La sénatrice Jaffer : Combien de temps, en moyenne, prennent les évaluations que l'on fait actuellement?

M. Ossowski : Je ne sais pas. En avez-vous une idée, John?

M. Davies : Chaque partie de la loi comporte son propre processus d'élaboration qui peut être plus ou moins long. Si l'on prend la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité, il aura certainement fallu plus d'un an d'analyses juridiques détaillées.

La sénatrice Jaffer : Puis-je poser au représentant du ministère de la Justice une question sur le libellé? Vous avez décidé d'utiliser la nouvelle définition de « menaces à la sécurité du Canada » plutôt que de reprendre celle qui figure à l'article 2 de la Loi sur le SCRS. Est-ce que cela ne va pas entraîner une certaine confusion?

M. Davies : En effet, et nous avons essayé de régler cette question au comité de la Chambre des communes.

Dans l'article de de la Loi sur la communication d'informations ayant trait à la sécurité du Canada, les exemples cités aux alinéas a) à i) vont au-delà du terrorisme et concernent par exemple la contre-prolifération et le fait d'entraver le fonctionnement d'infrastructures essentielles.

Le point important à noter est que nous avons couvert tous les mandats des institutions chargées de la sécurité nationale. Les gens ont la fausse impression que le SCRS est le fondement de cette loi. Il ne l'est pas. Outre le SCRS, il y a 16 autres ministères et agences chargés de la sécurité nationale, qui sont mentionnés en annexe de la loi. Ils sont tous concernés par cette loi, leurs mandats doivent faire l'objet d'un examen et l'information qu'ils reçoivent doit relever du mandat dont il est ici question.

Le point important à souligner ici est la déclaration du préambule selon laquelle l'activité doit porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité et à l'intégrité territoriale du Canada.

La sénatrice Jaffer : Pour en revenir à la question de la menace à la sécurité, cela concerne aussi les activités licites de défense d'une cause. Je sais que vous ne pouvez pas faire de commentaire à ce sujet, mais il se peut que cette mention soit retirée. Si c'est le cas, devrions-nous envisager d'amender la loi sur le SCRS afin de tenir compte des éléments qui ont mené au retrait de cette mention?

M. Davies : On l'a retirée au comité l'autre jour.

La sénatrice Jaffer : Avez-vous donc envisagé de la retirer du SCRS également?

M. Davies : Encore une fois, la Loi sur le SCRS a sa raison d'être.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Le président : Avant de passer à la deuxième ronde de questions, chers collègues, j'aimerais poser quelques questions.

Pourriez-vous élaborer sur les instances que vous avez consultées au moment de préparer le projet de loi afin de déterminer les critères constitutionnels qui feront en sorte qu'il ne puisse être contesté devant des tribunaux? Quels sont les critères constitutionnels exacts que vous avez envisagés lors de l'élaboration du projet de loi?

M. Piragoff : Nous n'avons pas consulté d'experts, mais seulement les juristes du ministère de la Justice et en particulier les spécialistes du droit constitutionnel. Ils ont quotidiennement donné des avis au ministère de la Justice et à Sécurité publique Canada sur les diverses options envisagées et les facteurs de risques correspondants. Le gouvernement en a choisi certaines en tenant compte des divers facteurs de risques que lui avait signalés le ministère de la Justice.

Est-ce que la loi est conforme à la Charte? Je pense que le ministre a déjà répondu à cette question. Le Parlement n'aurait pas été saisi de cette mesure législative si le ministre avait été d'avis qu'elle n'était pas conforme à la Charte.

Le président : Et vous en êtes entièrement convaincu?

M. Piragoff : Oui.

Le président : Si vous me permettez d'aborder un autre point, chers collègues, j'aimerais parler des dispositions du Code criminel concernant les crimes motivés par la haine. On nous dit que les dispositions actuelles ont une portée suffisante pour traiter des questions de la haine et de la glorification de cette dernière. Or, des représentants de vos ministères ont fait remarquer au comité que très peu de poursuites, voire aucune, n'ont été intentées en vertu de ces dispositions. Compte tenu des menaces qui pèsent sur le Canada, peut-on s'attendre à ce que des poursuites soient intentées aux termes des dispositions actuelles du Code criminel?

M. Piragoff : Je ne peux pas faire de commentaire sur la politique relative aux poursuites. Les dispositions concernant la propagande haineuse relèvent des procureurs généraux provinciaux et du Service des poursuites pénales du Canada qui, comme vous le savez, est une instance indépendante qui détermine ses propres politiques relatives aux poursuites.

De leur côté, les services de police élaborent leurs politiques d'enquête qui leur permettent de déterminer s'il faut recommander que des poursuites soient intentées, que ce soit au niveau provincial ou fédéral. Je ne peux donc pas faire de commentaire sur les politiques relatives aux poursuites.

Le président : Qui pourrait commenter?

M. Piragoff : Les procureurs généraux des provinces ou le directeur du Service des poursuites pénales du Canada.

Le président : Autre question, votre ministère s'est dit inquiet du peu de poursuites ayant été intentées compte tenu des menaces qui pèsent sur le Canada. Et votre ministère n'est peut-être pas le seul à le penser.

M. Piragoff : C'est l'une des raisons pour lesquelles nous allons au-delà de la loi actuelle, en proposant la création d'une nouvelle infraction, à savoir préconiser ou fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme. Il s'agissait de combler une lacune venant du fait que certaines infractions ne pouvaient pas permettre de conclure, dans certaines circonstances et étant donné la nature du discours, qu'il s'agissait de préconiser ou de fomenter la perpétration d'infractions de terrorisme. Même s'il n'est pas exactement précisé s'il s'agit d'une activité terroriste, d'un acte de violence, de l'attaque d'un train à la bombe ou simplement d'exhorter des gens à prendre l'avion ou à faire des dons, toutes ces activités constituent des infractions de terrorisme. Très souvent, le langage utilisé sur Internet ou dans des discours est nuancé et ne précise pas vraiment que quelqu'un devrait commettre un acte de violence, mais qu'il défend une cause et devrait faire quelque chose de mal contre le Canada parce que ce dernier a une mauvaise politique étrangère, et cetera. Il s'agit donc clairement d'un acte d'encouragement à faire quelque chose, sans spécifier de quoi il s'agit, et la nouvelle infraction permet de combler la lacune qui se trouve dans la loi actuelle.

Le président : Pour conclure, peut-on s'attendre à voir davantage de poursuites intentées dans ce domaine précis? Je sais que les Canadiens s'en soucient. Peut-on s'attendre à des poursuites plus vigoureuses intentées contre les auteurs de ces infractions?

M. Piragoff : Il y aura poursuite si la police enquête. Et cela dépendra de ses priorités. Si la GRC commence à multiplier les enquêtes liées à la propagande haineuse, le service des poursuites devra y donner suite.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Piragoff, je m'intéresse à votre argument convaincant selon lequel les mandats visent à rendre légal ce qui ne le serait pas sans eux. J'ai deux questions qui sont tellement liées l'une à l'autre, qu'elles vont se transformer en une seule.

Dans la mesure où des mandats seront autorisés pour l'action internationale menée par le SCRS — et je suppose qu'il s'agit d'activités perturbatrices — est-ce que ces mandats devront être autorisés conformément à la Constitution canadienne? Est-ce le cas, même s'il ne s'agit pas d'une activité canadienne qui sera perturbatrice dans un autre pays? Pour une action menée en dehors du Canada, est-ce que le mandat doit être conforme à la Constitution canadienne, qu'il vise un Canadien ou un étranger?

M. Ossowski : Les juges se conforment à la loi canadienne et si les activités proposées dans le contexte du mandat n'y sont pas conformes, c'est ce qu'ils doivent évaluer.

Le sénateur Mitchell : Quel que soit l'endroit où cela s'applique.

M. Ossowski : Oui, que ce soit au pays ou à l'étranger.

Le sénateur Mitchell : Vous avez le sentiment, quoique vous n'ayez probablement pas le choix — et je ne mets pas en doute votre sincérité — vous avez le sentiment, dis-je, que la surveillance est adéquate. Or, le bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications nous a dit encore la semaine dernière que le renforcement du centre et les compressions budgétaires imposées à ses services sont pour lui un souci constant. Au risque de me répéter, il s'agit peut-être d'une nouvelle information ou d'une information sur laquelle on remet l'accent. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a averti que les postes qui sont constamment vacants au sein du conseil composé de cinq membres, son incapacité d'enquêter sur les opérations que mène le SCRS avec d'autres agences et les retards que prend le SCRS pour fournir l'information requise, tout cela présente de graves risques par rapport à son mandat. Comment pouvons-nous donc être sûrs que même le seul domaine de toute la communauté du renseignement, le SCRS, et celui des 15 ou 16 autres agences, le CSTC, soient convenablement supervisés si les organes de surveillance eux-mêmes disent qu'ils n'ont tout simplement pas les ressources pour remplir leur mandat?

M. Ossowski : Je vous remercie de la question. Je suppose que nous avons tous besoin de plus d'argent pour remplir nos mandats. D'après mon expérience dans le milieu, tant au bureau du commissaire du CSTC qu'au CSARS, on a affaire à des gens chevronnés. Ils ont un accès intégral à l'information. Ils savent à quels signes prêter attention. Ils savent, grâce à une approche axée sur les risques, sur quoi concentrer leurs activités de contrôle.

Cela dit, je rappelle que, lors de son témoignage devant le comité de la Chambre, le directeur exécutif du CSARS a dit : « Pouvons-nous remplir le mandat? Absolument. » Il est donc convaincu d'y parvenir. Comme je l'ai dit tout à l'heure, si les activités commencent à exercer des pressions au-delà de ce qui est raisonnablement faisable et au point d'empêcher de gérer les risques adéquatement, le directeur exécutif pourra alors demander de nouvelles ressources.

Le sénateur Mitchell : Autrement dit, vous ne pouvez pas répondre à la question. Mais on se demande tout de même quand croire les propos du directeur exécutif : quand il témoigne devant le comité ou quand il écrit un rapport?

Mon autre question concerne votre déclaration au sujet de la liste d'interdiction de vol, qui soulève des préoccupations. Une des conséquences, c'est qu'à la porte d'embarquement, le personnel des compagnies aériennes pourrait être obligé d'affronter un individu inscrit sur une liste d'interdiction de vol. Je sais que les compagnies aériennes — et je suis sûr que vous êtes au courant — s'inquiètent beaucoup des risques que cela pose pour la sécurité de leur personnel. A-t-on songé à la façon dont les compagnies aériennes sont censées remplir ce mandat, d'assumer cette responsabilité?

M. Ossowski : C'est une situation qui existe déjà pour les compagnies aériennes. Heureusement, John dirige le Programme de protection des passagers; il pourra donc peut-être en dire davantage.

M. Davies : Les compagnies aériennes ont raison de s'inquiéter en général, mais comme M. Ossowski l'a dit, ce programme existe depuis sept ans et il fonctionne très bien. Lorsqu'il y a une alerte dans le système, l'employé à la porte d'embarquement doit appeler le centre des opérations de Transports Canada. L'appel est ensuite transféré aux forces de l'ordre, aux agents de sécurité de l'aéroport, et cetera. À partir de là, ce sont eux qui prennent le relais. Il n'y a donc aucun affrontement. Les autres passagers ne s'en rendraient même pas compte. Souvent, ce processus sera déclenché bien avant l'embarquement; nous sommes donc au courant de la situation avant que l'individu se rende à l'aéroport. Ce n'est pas comme si le préposé à l'enregistrement disait : « Oh, vous êtes sur la liste du programme canadien. » Tout se fait très rapidement, en coulisse.

En passant, ce processus permet aussi d'éviter les faux positifs. C'est un processus de confirmation d'identité, et il arrive très rarement, sinon jamais, que des personnes manquent un vol à la suite d'une vérification d'identité. On atteint ainsi un double objectif.

Le sénateur Mitchell : Pourquoi le projet de loi supprime-t-il la définition de « renseignement confidentiel désigné » qui se trouve dans la Loi de l'impôt sur le revenu? Cette disposition est liée au transfert d'information, et nous sommes tous très inquiets. Le paragraphe 6(2) du projet de loi supprime cette définition, ce qui aurait des répercussions sur le type de renseignements pouvant être transférés. Pourtant, on s'attendrait à ce que la protection de ces renseignements soit irréprochable.

M. Davies : Nous allons devoir transmettre la réponse au comité. Cette loi devait être modifiée pour des raisons bien particulières, contrairement aux autres lois, compte tenu des pouvoirs en cause. En tout cas, nous pouvons vous faire parvenir la réponse.

Le sénateur Mitchell : Ce serait très utile. Merci.

Le président : Vous nous transmettrez l'information au cours des prochaines semaines, si je comprends bien.

Le sénateur Runciman : J'ai quelques questions rapides. Parlons d'abord du projet de loi sur la sûreté des déplacements aériens, et j'ai abordé ce point, l'autre jour, avec le ministre de la Sécurité publique. L'article 8, qui porte sur la liste, ne fait pas mention de photos ou d'images. Je n'ai pas obtenu une réponse claire, l'autre jour.

La raison pour laquelle je soulève cette question à nouveau, c'est que j'ai entendu un reportage ce matin — je crois que c'était une estimation d'après un rapport des Nations Unies — selon lequel il y a 25 000 combattants étrangers en Syrie et en Irak, dont au moins une centaine sont des Canadiens. Nous avons vu récemment quelques cas de gens qui ont quitté le Canada, sans se faire prendre, pour se rendre en Syrie. Apparemment, il s'agit d'individus dont le passeport a été révoqué; c'est donc dire qu'ils quittent le pays avec de faux documents. Je crois qu'il y a lieu de se poser la question suivante : s'ils peuvent quitter le pays si facilement, ne peuvent-ils pas revenir avec autant d'aisance? D'où l'intérêt, me semble-t-il, d'inclure une photo ou une image dans la liste prévue à l'article 8. À mon avis, nous devrions envisager d'adopter la technologie de reconnaissance faciale, surtout pour être en mesure de repérer ces gens à leur retour au pays. Nous voulons savoir, avec certitude, à quel moment ils franchiront nos frontières.

Est-ce là une faiblesse administrative, du moins à votre avis? Si c'est le cas, devons-nous modifier la loi, ou y a-t-il lieu de remédier à la situation au moyen d'un changement administratif ou par voie de réglementation?

M. Ossowski : Merci d'avoir posé la question. Encore une fois, c'est John le spécialiste en la matière.

M. Davies : L'article 8 proposé de la loi porte sur la façon dont la liste est créée et communiquée aux compagnies aériennes. On y trouve donc quelques points de données sur la personne : son nom, sa date de naissance, son sexe. Plus on y ajoute de points de données, comme des photos, et cetera, plus on risque de porter atteinte à la vie privée, car nous devons transmettre actuellement la liste aux compagnies aériennes pour qu'elles fassent leur propre contrôle.

Aux termes de la réglementation, s'il y a une correspondance avec ces points de données, la compagnie aérienne doit communiquer avec le centre des opérations de Transports Canada, lequel disposerait d'autres détails — comme une photo, le numéro de passeport, et cetera — pour confirmer que nous avons la bonne personne.

Pour revenir aux chiffres que vous avez donnés relativement au nombre de Canadiens qui voyagent à l'étranger pour des raisons liées au terrorisme, le problème qui se pose à l'heure actuelle, c'est que le programme ne dispose pas des moyens nécessaires pour arrêter ces gens. Nous ne pouvons qu'établir une liste de personnes qui constituent une menace imminente pour la sécurité aérienne. Si nous savons qu'ils quittent le pays, sans toutefois être certains qu'ils présentent un risque pour l'avion, nous ne pourrons pas les inscrire sur la liste. La nouvelle loi nous permettra de le faire.

Le sénateur Runciman : Je comprends cela, mais on ne règle pas vraiment la question des gens qui ont réussi à passer entre les mailles du filet.

M. Davies : Mais ce changement pourrait corriger la situation.

Le sénateur Runciman : Non, je ne vois pas les choses ainsi. L'individu de Windsor, par exemple, s'était fait saisir son passeport, et il a disparu. Manifestement, il avait un faux passeport. Je pense que c'est là une hypothèse assez prudente.

Par ailleurs, sachant que d'autres pays utilisent la technologie de reconnaissance faciale, s'agit-il d'une option que nous prenons, à tout le moins, en considération?

M. Davies : Là encore, nous devrions en parler avec l'ASFC, et tout le reste, pour connaître leurs plans en ce qui concerne la biométrie; toutefois, relativement à ce programme, cela ne serait pas vraiment réaliste. Il s'agit uniquement de permettre aux compagnies aériennes de demander à une autre entité, à un organisme gouvernemental, de confirmer l'identité d'une personne. Si des gens voyagent avec de faux documents, nous ne pourrons rien y faire pour l'instant, ni par l'entremise du Programme de protection des passagers ni par la révocation des passeports.

Le sénateur Runciman : Nous pourrons peut-être poursuivre la discussion à une autre occasion.

Je voudrais passer à un autre sujet. J'ai vu un commentaire dans un des médias nationaux, ce matin, sur les craintes liées à la réduction du seuil pour la détention préventive. Quand j'examine la disposition sur l'engagement de ne pas troubler l'ordre public se rapportant à une activité terroriste, je constate qu'il ne s'agit pas d'un critère négligeable. Quelles sont les exigences à respecter lorsque les agents estiment qu'il y a une menace qui nécessite une intervention immédiate? Je me demande si vous pourriez donner suite à cette préoccupation constante. Je suis conscient que nous traitons des libertés individuelles, mais les mesures de protection en place sont, il me semble, plus que suffisantes. Pourriez-vous en parler brièvement?

Doug Breithaupt, directeur et avocat général, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques, ministère de la Justice Canada : Merci de la question. Si je comprends bien, vous faites allusion à l'engagement assorti de conditions lorsque vous parlez d'arrestations préventives.

Le sénateur Runciman : C'est exact.

M. Breithaupt : À l'heure actuelle, il s'agit d'un critère à deux volets : des motifs raisonnables de croire qu'une activité terroriste sera entreprise et des motifs raisonnables de soupçonner que l'imposition d'un engagement est nécessaire pour éviter que l'activité terroriste ne soit entreprise. Ce qui est proposé dans le projet de loi, c'est d'abaisser le seuil en remplaçant l'expression « une activité terroriste » par ce qui suit : des motifs raisonnables de croire à la possibilité qu'une activité terroriste soit entreprise et des motifs raisonnables de soupçonner que l'imposition d'un engagement aura vraisemblablement pour effet d'empêcher que l'activité terroriste soit entreprise. Je suppose que l'objectif est de faciliter le recours à ce moyen de prévention afin de mieux empêcher les activités terroristes.

Vous avez évoqué la question des mesures de protection. En effet, le projet de loi contient un certain nombre de mesures de protection, notamment l'interdiction d'engager une procédure sans le consentement du procureur général. Le juge décide s'il faut délivrer un acte de procédure, et il peut simplement relâcher la personne. En outre, le juge peut décider si un maintien en détention s'impose. En cas d'arrestation préventive par la police, les dispositions prévoient la possibilité d'une arrestation ou d'une détention de 24 heures et, par la suite, la personne doit être traduite devant la cour dès que possible. Ces propositions n'y changent rien.

Par ailleurs, il y a une disposition qui permet de prolonger la durée des détentions ordonnées par les juges. À l'heure actuelle, il est possible d'ordonner une détention supplémentaire de 48 heures. Le projet de loi prévoit la possibilité de deux périodes supplémentaires de 48 heures au maximum.

Le juge peut déterminer si le maintien en détention est justifié en fonction de motifs stricts, par exemple si la détention est nécessaire pour assurer la comparution de la personne, pour protéger la sécurité du public ou pour ne pas miner la confiance envers l'administration de la justice. En ce qui concerne les deux périodes supplémentaires de 48 heures qu'un tribunal peut ordonner, le juge doit tenir compte d'un autre motif. Ainsi, la Couronne devrait déterminer si l'enquête sur laquelle s'appuie la mise sous garde de la personne est menée de façon diligente.

Enfin, pour ce qui est des mesures de protection, il y a encore des exigences de rapports annuels, et la disposition de temporisation prévue dans la Loi sur la lutte contre le terrorisme de 2013, s'applique toujours.

Le sénateur Runciman : Pourtant, cela ne semble pas calmer les détracteurs. Selon moi, ce sont les suspects habituels qui reprochent fréquemment au gouvernement de réduire le pouvoir discrétionnaire des juges. Nous avons ici un cas où le gouvernement fait tout le contraire et permet aux juges de participer très activement au processus pour surveiller ce qui se passe.

Le sénateur Kenny : Monsieur Davies, je suis ravi de vous voir ici et d'apprendre que vous êtes chargé du Programme de protection des passagers. Il s'agit d'un programme broche à foin. Des gens se sont fait prendre là-dedans et ils ne peuvent plus s'en sortir. Nous ne parlons pas de terroristes, mais de citoyens canadiens ordinaires. Quelles mesures avez-vous prises pour faire en sorte que les Canadiens qui n'ont pas d'affaire à être sur une liste d'interdiction de vol aient la possibilité de s'en retirer?

M. Davies : Je crois que vous confondez ce programme avec un autre.

Le sénateur Kenny : Probablement.

M. Davies : Je peux vous dire que, tous les 30 jours, les représentants du milieu de la sécurité nationale se réunissent pour s'entendre sur l'ensemble de la liste. Nous la passons en revue et nous ajoutons ou supprimons des noms, au besoin. Ensuite, le délégué du ministre y appose sa signature en guise d'approbation.

Vous faites peut-être allusion à d'autres problèmes et inconvénients que subissent les gens dans les aéroports et qui n'ont rien à voir avec le Programme de protection des passagers.

Le sénateur Kenny : Bon, d'accord. J'ai deux fils, dont l'un est procureur de la Couronne à Toronto. Il participe d'ailleurs aujourd'hui à une poursuite dans une affaire de meurtre. Il est sur la liste depuis un certain nombre d'années. Mon autre fils est inscrit sur une liste, lui aussi. Chaque fois qu'ils se pointent au comptoir d'enregistrement, l'agent de bord finit par composer le numéro dont vous avez parlé. Ils restent là, à attendre, pendant que quelqu'un à l'autre bout essaie de confirmer qu'ils ne sont pas les gars recherchés.

J'ai consacré du temps à cette question. Si je la soulève, ce n'est pas seulement parce que mes enfants sont concernés. Cela me permet de mieux comprendre à quel point il est inconvénient pour les Canadiens d'être pris dans ce système. Si ce n'est pas votre liste, quelles sont les autres listes qui empêcheraient des gens de monter à bord d'un avion tant que vous n'avez pas vérifié auprès du ministère des Transports?

M. Davies : Il y a une foule de raisons. Les compagnies aériennes ont leurs propres préoccupations. D'autres pays ont leurs programmes. Je peux vous dire que les problèmes dont vous parlez n'ont rien à voir avec le Programme de protection des passagers.

Le sénateur Kenny : Eh bien, ce n'est pas ce que M. Baird a dit lorsque nous lui en avons parlé.

M. Davies : Par exemple, si quelqu'un est arrêté à la porte d'embarquement en raison du Programme de protection des passagers, on lui remettra un feuillet dans lequel on explique exactement ce qui se passe, à savoir qu'il n'est pas autorisé à monter à bord de l'avion, aux termes du Programme de protection des passagers, et on lui fournit le numéro du Bureau de réexamen lié au programme.

Le sénateur Kenny : Cela n'arrive jamais.

M. Davies : C'est ce qui passe si la personne est arrêtée dans le cadre du Programme de protection des passagers.

Le sénateur Kenny : Cela ne s'est jamais passé ainsi dans les cas qui ont été portés à mon attention.

M. Davies : C'est parce qu'ils ne faisaient pas partie du Programme de protection des passagers.

Le sénateur Kenny : J'aurais bien voulu que ce soit le cas, mais Air Canada affirme n'y être pour rien.

M. Davies : Je le répète, ce n'est pas le programme de sécurité de l'aviation du gouvernement du Canada, connu sous le nom de Programme de protection des passagers.

Le président : Puis-je demander une précision à ce sujet, sénateur?

Vous dites que des noms sont ajoutés à la liste ou qu'ils en sont retirés.

M. Davies : Oui.

Le président : Pouvez-vous nous dire, grosso modo, combien de noms ont été retirés de la liste et combien y ont été ajoutés par année, disons, au cours des trois dernières années? Ce n'est pas que nous voulions nous immiscer dans la vie privée des gens, mais cette information nous donnerait une idée du volume exact auquel nous avons affaire dans le cadre de ce programme particulier.

M. Davies : Je ne peux pas répondre pour des raisons de sécurité. Nous n'aimons pas parler, directement ou indirectement, de la taille de la liste ni de son volume en général.

Le sénateur Kenny : Pour ce que cela vaut, monsieur le président, il s'agit de la même liste sur laquelle figurait le sénateur Kennedy. Un grand nombre de personnes ont été sur ces listes et, de toute évidence, il s'agit de listes générées par le gouvernement.

Le président : À titre de précision, parce que nous n'allons pas nous étendre là-dessus, qui prend la décision stratégique de ne pas rendre publics ces chiffres? À qui revient cette décision au juste?

M. Davies : Eh bien, le ministère a pris la décision stratégique...

Le président : Le ministère ou le ministre?

M. Davies : À vrai dire, la commissaire à l'information est actuellement saisie d'une plainte sur cette question; nous débattrons donc de cette question devant la Cour fédérale cet été.

Le président : Vous n'avez pas répondu à ma question. Qui prend au juste la décision de ne pas rendre publics les chiffres annuels? S'agit-il d'une politique du ministre ou du ministère?

M. Davies : Eh bien, c'est une politique du ministère, mais nous travaillons pour le ministre. Évidemment, le ministre aurait un...

Le président : Le ministre pourrait donc changer cette politique.

M. Davies : S'il le voulait, oui.

Le sénateur Runciman : En ce que concerne l'ASFC, quelles sont les répercussions du projet de loi C-51 sur les opérations de première ligne?

M. Ossowski : Les représentants de l'ASFC viendront témoigner à la prochaine séance du comité.

Le sénateur Runciman : Nous en parlerons avec eux.

Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.

La sénatrice Jaffer : Je voudrais revenir sur la détention préventive et le processus d'enquête. Je crois comprendre qu'un des processus n'a pas été utilisé. S'agit-il de la détention préventive ou du processus d'enquête?

M. Breithaupt : J'ai axé mes observations sur l'engagement assorti de conditions. Cela n'a pas été utilisé jusqu'à maintenant.

En ce qui concerne l'arrestation à titre préventif, les conditions demeurent essentiellement les mêmes qu'auparavant. Cela s'appliquerait dans le cas où les motifs pour le dépôt d'une dénonciation seraient réunis, mais que l'urgence de la situation... Cela s'appliquerait, par exemple, s'il advenait que l'urgence de la situation rende difficilement réalisable le dépôt d'une dénonciation au titre du paragraphe, ou qu'une sommation ait été décernée par suite de la dénonciation déposée, et dans les deux cas, l'agent de la paix doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner que la mise sous garde de la personne est actuellement nécessaire et, en vertu de ces modifications, qu'elle aura vraisemblablement pour effet de l'empêcher de se livrer à une activité terroriste.

La sénatrice Jaffer : Je vais vous poser la question de nouveau. Le processus d'enquête a été utilisé, mais la détention préventive n'a jamais été utilisée. Est-ce bien cela?

M. Breithaupt : L'audience d'investigation a été demandée, mais en fait, elle n'a jamais été tenue. On n'a jamais eu recours à l'engagement assorti de conditions.

La sénatrice Jaffer : J'ai une dernière question à vous poser au sujet de ce qu'est un terroriste. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Il ne s'agit pas de personnes ayant été reconnues coupables, et pourtant, on les considère comme des terroristes? Pourriez-vous nous éclairer là-dessus, s'il vous plaît?

M. Ossowski : Vous parlez de la définition qui se trouve dans la Loi sur le SCRS?

La sénatrice Jaffer : Je parle des personnes qui ne seraient pas autorisées à prendre l'avion ou que vous surveillez.

M. Ossowski : La définition d'un terroriste dans la Loi sur la sûreté des déplacements aériens? Nous avons déjà parlé de la définition que l'on trouve actuellement dans la loi, mais pour ce qui est de la définition exacte, John pourrait peut- être nous en parler.

M. Davies : Pour inscrire le nom d'une personne sur la liste du Programme de protection des passagers, on doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner que cette personne est susceptible de constituer une menace à la sûreté des transports. L'interdiction d'embarquement serait un motif raisonnable de soupçonner qu'une personne représente une menace imminente pour l'aviation. En vertu du nouveau programme, le motif serait une menace à la sûreté des transports ou un déplacement dans le but de commettre une infraction de terrorisme. À cela s'ajoutent certaines dispositions relatives aux infractions de terrorisme reprises du Code criminel.

Le président : J'aimerais revenir sur la question de la perturbation, qui est une source de préoccupation pour le grand public. Où exactement ces pratiques seraient-elles utilisées, et comment? Au pays, on s'inquiète du fait qu'on pourrait très bien en abuser. Que répondez-vous aux organisations qui se font un devoir de tenir des réunions et des manifestations pacifiques et qui craignent que cet article vise ce type d'activités?

M. Ossowski : Je vous remercie de la question. Comme John l'a expliqué tout à l'heure, la définition qui figure dans la Loi sur le SCRS ne change pas.

Quant aux mesures de protection qui sont en place, d'abord, si cela met en cause les droits consentis à une personne par la Charte, un processus judiciaire sera entrepris en vue de l'obtention d'un mandat pour autoriser cela, comme John l'a expliqué.

En cas de perturbation des menaces, le ministre fournira une directive ministérielle. La loi précise également ce qu'il est strictement interdit au service de faire dans le cadre de ces activités de perturbation.

Il y a ensuite, bien sûr, l'examen effectué par le CSARS et les autres organismes de surveillance.

Le président : Dans la même veine, au sujet de la perturbation, on a encore une fois exprimé des préoccupations concernant le fait que même s'il y a des mesures de protection au sein du système, entre les tribunaux et le ministre, au bout du compte, lorsque le mandat aura été délivré, nous ne saurons peut-être pas ce qui a résulté de l'activité liée au mandat. Selon une certaine école de pensée, il devrait y avoir une obligation de faire rapport au juge, d'une manière ou d'une autre. Pourquoi n'a-t-on pas prévu cela dans le projet de loi?

M. Ossowski : Je vous remercie de la question. Le juge peut demander, à sa discrétion, qu'on lui fournisse cette information. De plus, la loi précise que le CSARS effectuera un examen annuel de toutes les activités de perturbation des menaces. Il y aura chaque année un méta-examen, si vous voulez, en ce qui concerne toutes ces activités.

Mme Clairmont : Et des rapports publics.

Le président : Le grand public ne sait peut-être pas que le juge a le pouvoir implicite de le demander.

Avez-vous envisagé d'obliger le SCRS, lorsqu'il présente une demande de mandat, à indiquer également dans cette demande comment il entend faire rapport au tribunal et au CSARS, afin qu'au bout du compte, nous ayons la certitude que la boucle sera bouclée lorsque l'activité sera terminée? Avez-vous envisagé cette possibilité?

M. Ossowski : John, est-ce que nous l'avons envisagée?

M. Davies : Oui, mais au bout du compte, comme on l'a déjà dit, il est prévu que le juge puisse déjà demander un rapport. Il va sans dire que si des mandats sont renouvelés, il sera également implicite dans les nouveaux affidavits qu'il y ait des rapports sur le succès des techniques ou mesures utilisées précédemment. En outre, le CSARS peut examiner ce qu'il veut en tout temps.

Le président : Je comprends.

Revenons au système actuel et à la façon dont il fonctionne quand des mandats sont délivrés. Normalement, le juge réclame-t-il qu'on lui présente un rapport à la fin de l'activité pour laquelle on demande un mandat? Le fait-il dans la moitié des cas, dans la totalité des cas?

M. Davies : Je n'ai pas les pourcentages. J'ignore s'il serait même possible de le calculer, mais je dirais que c'est très fréquent. Je m'attendrais à ce que ce soit très fréquent, en particulier aux premiers jours de ces nouveaux pouvoirs.

Le sénateur Runciman : J'ai une question concernant la disposition relative à la saisie de la propagande terroriste. On ne sait pas quelle est la portée de cette disposition. Vise-t-elle toutes les communications sur Internet, y compris dans les médias sociaux? Vise-t-elle uniquement les sites web au Canada?

M. Piragoff : Elle vise tous les supports physiques et les médias électroniques au Canada. À l'extérieur du Canada, notre loi ne s'applique pas.

Par exemple, dans le domaine de la pornographie juvénile, même si nos lois ne s'appliquent pas à l'extérieur du pays, lorsque les FSI sont mis au courant de la situation, ils offrent souvent leur aide. Nous espérons que grâce à cette nouvelle loi, les FSI refuseront eux-mêmes l'accès à leurs clients s'ils se rendent compte qu'il y a des sources extérieures de renseignements, comme ils le font pour la pornographie juvénile.

Le sénateur Runciman : Pouvez-vous nous parler aussi du fardeau de la preuve?

M. Piragoff : Pour la saisie?

Le sénateur Runciman : Oui.

M. Piragoff : Un juge doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le matériel constitue de la propagande terroriste. Je sais que certaines personnes ont prétendu qu'il s'agissait d'une audience secrète. Ce n'est pas une audience secrète. D'ailleurs, c'est ce qu'on appelle un régime « d'avis et de retrait ». On est censé donner un avis à la personne. On donne un avis au FSI, mais on en donne également un à la personne qui a publié le matériel, lorsqu'on connaît son identité. C'est une procédure judiciaire qui ne se fait pas à huis clos. La personne peut assister à l'audience pour préciser les raisons pour lesquelles il ne s'agit pas de matériel de propagande; le FSI peut aussi le faire. Mais la loi est claire : même si on ne peut retracer l'individu qui a publié le matériel, le tribunal peut tout de même ordonner le retrait de ce matériel.

Le sénateur Runciman : Il est malheureux que ces messages ne se rendent pas jusqu'au grand public.

M. Piragoff : Comme l'a dit M. Davies à propos du pouvoir discrétionnaire des juges, si le juge souhaite désigner un intervenant désintéressé, un avocat ami de la cour, il a déjà ce pouvoir. Il peut désigner quelqu'un pour défendre l'autre point de vue s'il n'y a qu'une partie devant lui. C'est possible en vertu de la loi actuelle.

Le sénateur Moore : Je remercie les témoins de leur présence.

L'une des principales critiques formulées au sujet de ce projet de loi, c'est le manque de surveillance. Les gens en parlent partout, dans tous les médias et dans les rues; ils n'aiment pas cela, car il n'y a pas de surveillance.

Mais nous avons une solution. Au Sénat, nous avons le projet de loi S-220. Le connaissez-vous? Il prévoit la surveillance des organismes du renseignement de sécurité du Canada en constituant un comité parlementaire. Qu'en pensez-vous?

M. Ossowski : Eh bien, je crois que le régime qui est en place actuellement, dans lequel le CSARS assure la surveillance du SCRS, fonctionne bien. Ce régime est en place depuis 30 ans. Je crois qu'avec l'ajout du régime judiciaire qui oblige à demander un mandat lorsqu'on entre en conflit avec les droits garantis par la Charte, cela fonctionne bien. Les juges ont le pouvoir discrétionnaire de dire non s'ils estiment que ce n'est pas raisonnable.

Le commissaire à la protection de la vie privée et le vérificateur général examinent ces activités, et je pense que cela donne de bons résultats.

Le compromis, c'est la relation d'indépendance du CSARS. Ses responsables témoignent devant un comité parlementaire; ils fournissent des rapports annuels. Cela fonctionne bien.

Le sénateur Moore : Vous ne seriez donc pas d'accord pour que les parlementaires exercent une surveillance?

M. Ossowski : Je crois personnellement que cela pourrait être compliqué. La présence d'un organisme indépendant qui a de l'expérience, qui a établi des relations, qui comprend les risques et qui sait vers où diriger son attention s'est avérée très précieuse au fil des ans.

Le sénateur Moore : Tout le monde doit commencer quelque part. Il s'agit d'un groupe de parlementaires qui connaîtrait le dossier et qui serait informé. On ne parle pas d'un groupe d'écoliers.

Le président : Nous avons dépassé le temps prévu. Je tiens à remercier nos témoins de leur patience. Je vous suis reconnaissant d'être venus nous donner votre avis. Encore une fois, merci d'être ici.

Dans notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons aujourd'hui Mme Béatrice Maillé, directrice générale, Politique consulaire; et M. Mark Glauser, directeur général par intérim, Sécurité internationale et renseignement, tous deux du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement.

Nous accueillons également deux représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada, Mme Caroline Weber, vice-présidente, Direction générale des services intégrés; et M. Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives à l'exécution de la loi et au renseignement.

Je crois que vous avez chacun une déclaration préliminaire à faire.

Mark Glauser, directeur général par intérim, Sécurité internationale et du renseignement, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Monsieur le président, honorables sénateurs, je tiens d'abord à vous remercier d'avoir invité le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement à prendre la parole aujourd'hui au sujet de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada. Je suis le directeur général par intérim de la Sécurité internationale et du renseignement, et je suis accompagné de ma collègue, que vous avez déjà présentée.

Pour mieux faire comprendre le point de vue du ministère sur la loi, il pourrait s'avérer utile de situer brièvement le contexte. Comme vous le savez, ce projet de loi est présenté à un moment où le Canada doit faire face à un large éventail de menaces pour la sécurité nationale et internationale. Ces menaces existent dans de nombreuses régions. Nous sommes particulièrement préoccupés par le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Par exemple, le Canada est vivement préoccupé par la menace pour la paix et la sécurité internationale que constitue le soi- disant État islamique en Irak et au Levant, l'EIIL, et il participe à la coalition formée pour combattre cette organisation terroriste.

Que ce soit au Moyen-Orient ou ailleurs, d'autres groupes terroristes continuent également de susciter des préoccupations. À l'échelle internationale, nous collaborons étroitement avec de nombreux partenaires aux vues similaires pour contrer la menace posée par les terroristes et les combattants étrangers.

Nous sommes également préoccupés par l'instabilité persistante en Syrie. Le programme syrien d'armes chimiques fait partie de ces préoccupations. Or, nous sommes heureux d'avoir pu collaborer avec nos partenaires internationaux pour faciliter l'expédition à l'extérieur de la Syrie des agents et précurseurs chimiques à usage militaire, en vue de leur destruction, sous les auspices de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques.

À l'extérieur de la Syrie, nous continuons à collaborer avec des partenaires internationaux pour renforcer les mesures visant à contrôler l'exportation de matières servant à la fabrication d'armes chimiques et d'autres types d'armes de destruction massive.

Ces exemples mettent en lumière les efforts déployés par le gouvernement à l'échelle internationale face aux menaces à la sécurité nationale et internationale. Par ailleurs, en complément de nos efforts internationaux, et de concert avec des partenaires du gouvernement, nous veillons à la poursuite des objectifs de sécurité nationale et internationale du Canada.

La loi a pour but d'aider le gouvernement à améliorer ses méthodes internes face à des enjeux de sécurité nationale, notamment en améliorant la communication d'information relative à la sécurité à l'échelon national. Elle permettra aussi de communiquer l'information ayant trait à la sécurité nationale de manière efficace et responsable.

Certains ministères et organismes fédéraux échangent déjà quotidiennement de l'information à des fins de sécurité nationale. De même, dans le respect de ses obligations en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le ministère est déjà en mesure de communiquer à d'autres ministères et organismes gouvernementaux canadiens de l'information pouvant avoir une incidence sur la sécurité nationale. Nous avons mis en place des pratiques et des mécanismes pour guider la communication de cette information.

Toutefois, la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada permettra au ministère de surmonter certains obstacles à ce chapitre. La Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques en est un bon exemple. Cette loi fixe les modalités juridiques applicables à la communication d'information recueillie en vertu de ses dispositions.

L'autorité nationale canadienne, au MAECD, a pour mandat de veiller à l'application de la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques. À cette fin, elle recueille de l'information sur la fabrication, le traitement, la consommation, l'importation et l'exportation de certains produits chimiques, ainsi que sur les installations connexes.

Cette information est importante du point de vue de la sécurité nationale. À l'heure actuelle, les données recueillies en application de cette loi peuvent être communiquées à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, située à La Haye, y compris aux fins prévues par la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Elles peuvent aussi être communiquées dans une situation d'urgence, pour des raisons de sécurité publique, ou aux fins de l'application de la loi. Toutefois, en raison des limites imposées par la loi, le ministère ne peut actuellement communiquer l'information à d'autres institutions du gouvernement du Canada pour des raisons de sécurité nationale.

Or, le projet de loi à l'étude aujourd'hui aura pour effet de modifier la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques afin de permettre au MAECD de communiquer ce genre d'information au besoin.

Du point de vue du ministère, il est évident que la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada n'aura aucune incidence sur le type d'information qu'il recueille ni sur la procédure suivie à cette fin. Elle ne modifiera pas non plus la façon dont il communique l'information au niveau international. La loi vise seulement la façon de communiquer l'information ayant trait à la sécurité nationale sur le territoire canadien.

En vertu de la loi, d'autres ministères et organismes gouvernementaux seront clairement autorisés à demander au MAECD de l'information ayant trait à la sécurité nationale. Cela comprend des renseignements clés liés aux affaires consulaires et considérés comme relevant clairement de la sécurité nationale.

Pour l'examen de ces demandes d'information, nous continuerons à appliquer la procédure mise en place par le ministère ces dernières années pour faciliter la communication de renseignements consulaires dans des dossiers relevant de la sécurité nationale.

Il importe de préciser que des procédures et restrictions ont été mises en place afin que seuls les renseignements pertinents, fiables et précis soient communiqués, et ce, en réponse à une demande précise, appuyée par des motifs clairs liés à la sécurité nationale.

La demande doit aussi respecter les règles juridiques applicables, y compris les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La communication d'information est une question que le gouvernement du Canada prend au sérieux. C'est pourquoi elle se fait toujours en consultation étroite avec nos services juridiques.

J'aimerais attirer l'attention sur un dernier point, à savoir la sécurité de nos missions dans le monde. Il est essentiel d'assurer la sécurité de notre personnel. L'information ayant trait à la sécurité dans nos missions peut provenir de diverses sources et être communiquée au moyen d'un grand nombre de mécanismes différents. Cela peut se faire dans le cadre de relations officielles et bien établies au sein du gouvernement fédéral, mais ce n'est pas toujours le cas.

Grâce à la loi, les autres ministères et organismes seront clairement autorisés à communiquer au ministère toute l'information pouvant avoir une incidence sur la sécurité de son personnel ou de ses missions.

En somme, la loi créera de nouvelles possibilités pour la communication d'information ayant trait à la sécurité nationale. Elle ne créera pas l'obligation de communiquer certains renseignements précis.

Comme je l'ai expliqué précédemment, le ministère communique déjà de l'information ayant trait à la sécurité nationale à des ministères et à des organismes nationaux. Toutefois, les pouvoirs conférés par la loi lui seront également utiles. Le gouvernement pourra ainsi mieux s'attaquer à d'importants enjeux nationaux et internationaux en matière de sécurité liés au terrorisme et prévenir la prolifération des armes de destruction massive.

Le président : Merci.

Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives à l'exécution de la loi et au renseignement, Agence des services frontaliers du Canada : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Nous tenons à vous remercier de nous donner l'occasion de parler des répercussions que les modifications proposées dans le projet de loi C- 51 auront sur l'Agence des services frontaliers du Canada et de la raison pour laquelle le projet de loi est important pour l'ASFC en tant que partenaire de la sécurité nationale.

Parlons du contexte mondial en matière de risque. L'ASFC a été créée en 2003 et s'est vu confier la responsabilité de fournir des services frontaliers intégrés pour l'ensemble des activités frontalières.

Monsieur le président, l'ASFC doit constamment évoluer et s'adapter afin de suivre le rythme du contexte mondial en matière de risque dans lequel elle exerce ses activités. Au cours des dernières années, elle a notamment dû percevoir la frontière d'une autre façon, c'est-à-dire comme un corridor où une séquence de décisions est prise avant même l'arrivée d'une personne ou de marchandises et pas simplement comme les limites géographiques du pays.

[Français]

Par conséquent, la gestion frontalière moderne ne se limite pas à une présence physique aux points d'entrée partout au pays, mais elle dépend forcément du travail réalisé au sein d'une collectivité plus vaste. L'échange d'information est nécessaire pour évaluer les risques et protéger le pays.

Quelles sont les autorisations actuelles de l'ASFC en matière d'échange d'information? Les renseignements relatifs aux menaces pour la sécurité nationale peuvent souvent prendre différentes formes et se trouver à différents endroits à l'échelle du gouvernement. Ils doivent être rassemblés en un tout cohérent afin que les mesures voulues puissent être prises.

La capacité de rassembler l'information en un tout est essentielle lorsqu'on mène des activités dans le contexte de la sécurité nationale. Or, à l'heure actuelle, ceux qui ont besoin de l'information sont tributaires des exigences en matière de communication prévues par un certain nombre de lois fédérales.

[Traduction]

Actuellement, à quelques petites exceptions près, l'ASFC peut seulement communiquer ses renseignements aux termes de la Loi sur les douanes et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans le contexte de la sécurité nationale, conformément à l'alinéa 107(4)h) de la Loi sur les douanes, l'ASFC peut communiquer des renseignements douaniers expressément à des fins de sécurité nationale à toute entité détenant le pouvoir légal de recueillir et d'utiliser de tels renseignements.

Selon le cadre actuel de communication de renseignements, l'organisation qui reçoit les renseignements doit avoir un mandat en matière de sécurité nationale, et les renseignements sont fournis sur demande.

L'alinéa 107(4)h) de la Loi sur les douanes autorise aussi l'ASFC à communiquer des renseignements douaniers liés à la sécurité nationale à des entités autres qui ne font pas partie du gouvernement fédéral, comme des entités municipales, provinciales ou étrangères ou des organismes internationaux, pourvu que l'entité détienne le pouvoir légal de recueillir et d'utiliser de tels renseignements.

En ce qui concerne les renseignements non douaniers, comme les renseignements relatifs à l'immigration, la Loi sur la protection des renseignements personnels ne prévoit pas de dispositions semblables permettant l'échange de ces renseignements à des fins de sécurité nationale. Ainsi, sans la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, ou la LCISC, aucune disposition précise ne permet de communiquer des renseignements non douaniers à ces fins. Quels sont donc les avantages de la LCISC?

[Français]

La Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, qui est proposée dans le projet de loi C-51, est un outil qui permettrait à l'agence et aux autres partenaires fédéraux de communiquer des renseignements essentiels afin de répondre collectivement aux menaces pour le Canada. Cette loi permettrait aussi d'adopter des pratiques uniformes à l'échelle du gouvernement en ce qui a trait à l'échange interministériel de renseignements à des fins de sécurité nationale.

Conformément à la loi, bien que toutes les institutions gouvernementales du Canada puissent communiquer des renseignements liés à la sécurité nationale du Canada, seulement certains ministères désignés ayant un mandat en matière de sécurité nationale ont le droit de recevoir les renseignements.

[Traduction]

Selon son mandat, qui est énoncé au paragraphe 5(1) de la Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC est chargée de soutenir la sécurité nationale en fournissant « des services frontaliers intégrés ». Par conséquent, l'ASFC pourrait avoir le droit de recevoir des renseignements, mais il faudrait qu'elle démontre en quoi les renseignements recueillis en vertu de la LCISC correspondent à ses responsabilités frontalières.

Comme tous les partenaires fédéraux, l'ASFC serait liée par les restrictions légales prévues par la LCISC ainsi que par les lois existantes sur l'échange de renseignements que nous devons actuellement respecter en vue de régir l'échange de plus amples renseignements en vertu de la loi.

Que signifie la LCISC pour l'ASFC? La LCISC conférerait à l'ASFC, en tant qu'organisme fournissant des renseignements, deux nouveaux pouvoirs, soit un pouvoir supplémentaire pour communiquer des renseignements douaniers et un deuxième pouvoir pour autoriser la communication de renseignements non douaniers.

La LCISC vient modifier l'alinéa 107(5)j) de la Loi sur les douanes en vue de permettre à l'ASFC de communiquer des renseignements douaniers à Citoyenneté et Immigration Canada « pour l'application ou l'exécution du droit fédéral en matière de passeports ou autres documents de voyage ». En ce moment, aucune disposition de la Loi sur les douanes ne permet de communiquer de tels renseignements. Cette modification permettrait, par exemple, à l'ASFC de fournir à CIC des renseignements tels que les antécédents de voyage d'une personne aux fins d'une demande de passeport.

La deuxième modification, qui se rapporte à la communication de renseignements non douaniers, permettrait à l'ASFC et à Citoyenneté et Immigration Canada de surmonter les difficultés liées à la communication de renseignements recueillis en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ou la LIPR, à des fins plus vastes de sécurité nationale.

[Français]

Dans son ensemble, la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada fournit un cadre qui faciliterait la communication de renseignements pertinents en matière de sécurité nationale à l'échelle du gouvernement fédéral, ce qui éliminerait les obstacles systémiques et réduirait les lacunes sur le plan du renseignement. Elle permettrait ainsi d'accéder à des renseignements essentiels pour repérer les menaces et de prendre les mesures voulues lorsqu'il semble y avoir un risque.

J'aimerais maintenant parler de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, qui fait partie du projet de loi C-51. Comme le comité en a été informé par le ministre de la Sécurité publique, le projet de loi C-51 vise également à modifier la Loi sur la sûreté des déplacements aériens de façon à confier au programme de la Protection des passagers le mandat de repérer les personnes susceptibles de constituer une menace à la sûreté des transports, de même que les personnes qui tentent de se rendre à l'étranger pour appuyer des activités liées au terrorisme, et ce, afin d'inscrire leur nom sur une liste et d'atténuer les menaces en question.

[Traduction]

Cela signifie que l'ASFC pourrait recevoir des renseignements relatifs à la liste des personnes interdites de vol, tout comme Transports Canada, Citoyenneté et Immigration Canada, la GRC, le SCRS et d'autres organismes désignés, et qu'elle pourrait communiquer des renseignements à ces partenaires.

L'ASFC serait aussi autorisée à communiquer les renseignements qu'elle obtient des systèmes de réservation des transporteurs aériens et à confirmer aux transporteurs aériens que le nom d'un passager correspond à un nom figurant sur la liste des personnes interdites de vol. Seul le ministre de la Sécurité publique peut communiquer ces renseignements à l'échelle internationale, conformément à une entente écrite. Ainsi, le ministère de la Sécurité publique serait le ministère fédéral chargé de communiquer les renseignements, à moins que le ministre délègue ce pouvoir.

J'aimerais traiter brièvement des répercussions sur la protection des renseignements personnels.

[Français]

L'ASFC comprend que ces modifications soulèvent des préoccupations en matière de protection des renseignements personnels, et elle prend ces préoccupations au sérieux. Les pratiques de communication de renseignements de l'ASFC sont régies par des lois, des règlements et des politiques. Des mécanismes d'examen ont été établis pour toutes les activités de communication, dans le cadre du régime juridique actuel, pour veiller au respect de l'attente raisonnable d'une personne en matière de protection de la vie privée.

[Traduction]

Les examens peuvent être effectués à l'externe, notamment par le commissaire à la protection de la vie privée, le vérificateur général et les tribunaux, ainsi qu'à l'interne, notamment au moyen de nos mécanismes de vérification, d'appel et de plainte.

Voilà ce qui conclut notre déclaration. Nous répondrons avec plaisir à toute question que vous ou les membres du comité pourriez avoir.

Le président : Merci de votre déclaration exhaustive, monsieur Leckey.

Il est un peu plus de 15 heures. La sonnerie se fait entendre pour la tenue d'un vote à 15 h 29. Je propose que nous posions des questions aux témoins jusqu'à 15 h 10. Cela devrait nous laisser suffisamment de temps pour nous rendre au Sénat et voter. Nous suspendrons nos travaux pour ce faire, puis nous reviendrons terminer la séance avec le panel.

Le sénateur White : Pourrions-nous seulement nous « pairer » au lieu d'y aller?

Le sénateur Mitchell : Quel est l'objet du vote?

Le sénateur White : Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Nous pourrions nous « pairer » et poursuivre nos travaux, n'est-ce pas?

Le sénateur Mitchell : Cela me convient.

Le sénateur White : La décision vous revient, monsieur le président.

Le sénateur Moore : Quel est le projet de loi?

Le président : C'est le projet de loi C-479.

Le sénateur Moore : Je sais. De quoi est-il question dans le projet de loi?

Cathy Piccinin, greffière suppléante du comité : Je peux vous le dire, si vous le voulez. Il s'agit de la troisième lecture du projet de loi C-479, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (équité à l'égard des victimes).

Le sénateur White : C'est un projet de loi d'initiative parlementaire. Allons-y pour le pairage. Je ne sais pas ce qu'en pensent le président et le vice-président.

Le sénateur Mitchell : Je ne crois pas que le pairage soit un problème. Je préfère rester ici et terminer la séance.

Le sénateur Day : Je présume que cela ne plairait pas aux whips.

Le président : Je crois que nous devrions suspendre nos travaux à 15 h 10. Je cède la parole en premier au sénateur Mitchell. Allez-y.

Le sénateur Mitchell : Nous pouvons rester ici, parce que nous ne sommes pas soumis à la discipline de parti. Nous sommes des sénateurs libéraux indépendants. Nous vous tiendrons occupés.

Le président : Ce n'est pas ce qu'a dit votre collègue le sénateur Day.

Le sénateur Mitchell : Il est de la vieille école, dans le bon sens du terme.

Je trouve intéressant que le SCRS soit surveillé par le CSARS et que le CST ait un commissaire. Les organismes ont également en place tous les autres mécanismes d'examen que vous avez mentionnés et que d'autres témoins ont mentionnés précédemment. Bref, dois-je en comprendre que vos renseignements ne sont pas aussi importants que ceux du SCRS pour être examinés par le CSARS? Pourquoi ne pouvez-vous pas faire l'objet d'une sorte d'examen spécial de la part du CSARS?

Caroline Weber, vice-présidente, Direction générale des services intégrés, Agence des services frontaliers du Canada : Merci de votre question. Je suis chargée de la fonction de recours à l'ASFC. Je vais donc vous répondre.

D'entrée de jeu, la manière dont nous voyons le domaine de l'examen et de la surveillance, c'est que tous les agents du Parlement ont évidemment accès à l'ASFC : le vérificateur général, le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire à l'information, et cetera. Nous leur présentons des rapports, et ils ont également une fonction de gestion des plaintes.

La GRC enquête sur nous s'il y a un problème. Les exigences normales concernant la présentation de rapports au Parlement s'appliquent à l'ASFC, parce que notre organisme se trouve à l'annexe IV et fait donc partie de l'administration publique centrale, contrairement à certains organismes que vous avez mentionnés. Notre configuration administrative est très différente des autres organismes.

Il est également possible d'en appeler devant la cour. Je sais que c'est toujours considéré comme une avenue laborieuse. Il y a aussi des tribunaux. Les tribunaux sont accessibles, notamment la Commission des droits de la personne ou le Tribunal de révision agricole.

Enfin, à l'interne, il est toujours possible d'interjeter appel auprès du ministre, et nous avons des mécanismes d'examen internes, comme l'examen des normes professionnelles et des vérifications internes.

Par ailleurs, un recours et un mécanisme pour interjeter appel sont prévus dans la loi. En vertu de la Loi sur les douanes, de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et agroalimentaire et de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, il faut prévoir un mécanisme de recours. C'est en fait assez bien défini en ce qui a trait aux périodes, à la manière de le faire et aux règlements.

Nous sommes environ 100 personnes à l'ASFC pour répondre à ce genre d'appels par l'intermédiaire des moyens prévus dans la loi, et ce sont des exigences. Actuellement, nous devons assurer ainsi la prestation d'un tel service.

Nous comprenons également que certains voudront peut-être avoir un autre type de mécanisme pour formuler leurs plaintes; c'est pourquoi nous offrons un mécanisme officieux en la matière. Je répète que ce sont des mécanismes internes, mais c'est centralisé au sein de la Direction générale des services intégrés. Nous recensons le tout et consignons la provenance des plaintes, la manière dont nous y répondons, et cetera.

J'ai des statistiques à ce sujet, si vous voulez les consulter, parce que cela fait l'objet d'un examen trimestriel.

Le sénateur Mitchell : Oui. Nous aimerions les voir.

Le président : Pourriez-vous nous remettre vos statistiques?

Mme Weber : Je ne les ai pas avec moi, mais si cela vous intéresse...

Le président : Vous les ferez parvenir à la greffière, n'est-ce pas?

Mme Weber : Absolument.

Le président : Merci.

Le sénateur Mitchell : La question s'adresse aux représentants du MAECD. Lorsque vous communiquez des renseignements à un autre groupe, le faites-vous avec des organismes du Groupe des cinq ou d'autres pays? Ensuite, peu importe l'organisme avec lequel vous communiquez des renseignements, quel contrôle avez-vous sur ces renseignements après coup? Je pense au cas Arar.

M. Glauser : Merci de votre question. Dans ce contexte, je crois que les renseignements qui intéressent le plus les gens sont les renseignements personnels des Canadiens que reçoit le ministère par l'entremise de l'exercice de la fonction consulaire, et ma collègue pourra vous en parler directement.

Dans ce contexte, la communication de renseignements consulaires qui se fait déjà entre le ministère et le service, par exemple, est encadrée par les éléments dont je parlais plus tôt. Le Commissariat à la protection de la vie privée peut vérifier la communication de ces renseignements par le ministère dans un tel contexte.

Les conditions auxquelles j'ai fait référence sont importantes dans ce contexte. Les renseignements communiqués par le ministère au service ou à la GRC, par exemple, se font à l'intérieur du gouvernement et ne sont pas communiqués à d'autres sans l'autorisation explicite du directeur général des opérations consulaires, ce dont ma collègue pourra vous parler plus en détail.

Le président : Chers collègues, je dois interrompre la séance. Nous suspendrons nos travaux. Je présume que les représentants des ministères seront là à notre retour. Veuillez prendre une pause aussi brève que possible.

Nous suspendons nos travaux jusqu'à l'appel de la présidence.

(La séance est suspendue.)

——————

(La séance reprend.)

Le président : Chers collègues, je vous propose de poser des questions au panel durant 10 minutes, étant donné que nous avons eu une interruption et que nous pouvons les réinviter à témoigner, si c'est nécessaire aux fins des délibérations sur le projet de loi.

Je cède la parole en premier au sénateur Moore.

Le sénateur Moore : Ma première question s'adresse à M. Glauser. Lorsqu'Edward Snowden a fait ses révélations, nous avons appris que les États-Unis surveillaient le cyberespace du Canada et d'autres pays. Le saviez-vous? Aviez- vous connaissance de ce qui se tramait dans le milieu, étant donné que vous avez parlé du renseignement de sécurité sur la scène internationale?

M. Glauser : Le Groupe des cinq, évidemment les autres organismes — le gouvernement du Canada collabore étroitement avec ses alliés. Certaines divulgations non autorisées de M. Snowden...

Le sénateur Moore : Nous l'en remercions.

Le président : Sénateur Moore, veuillez laisser le témoin répondre.

Le sénateur Moore : Bien entendu.

M. Glauser : ... ont dévoilé sur la place publique certains renseignements classifiés. Les organismes du gouvernement du Canada qui collaborent avec leur homologue des gouvernements du Groupe des cinq étaient évidemment au courant de certains éléments qui ont été rendus publics. Je préfère ne pas faire de commentaires détaillés au sujet du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement dans ce contexte.

Le sénateur Moore : Cela démontre la nécessité d'une surveillance.

Monsieur le président, ma prochaine question concerne l'ASFC.

Madame Weber, j'ai entendu vos commentaires. Votre organisme a un grand effet sur les Canadiens et nos visiteurs. Il n'y a aucune surveillance pour ainsi dire. Tout se fait à l'interne. C'est comme si je corrigeais mes propres examens. Vous avez perdu des gens en prison qui sont morts. Nous l'avons uniquement su après le fait, lorsque des médias ont trouvé l'information dans les rapports des coroners. J'ai présenté un projet de loi au Sénat en vue d'exiger la surveillance de votre organisme. Qu'en pensez-vous?

Mme Weber : Merci de votre question. Cette décision ne nous revient pas. Ce sont les élus qui devront la prendre. Nous sommes vraiment de loyaux fonctionnaires, et nous respectons les lois. Nous suivons les cadres que les élus nous demandent de suivre.

Le sénateur Moore : Faites-vous allusion aux parlementaires? Incluez-vous le Sénat?

Le président : Il y a un appel au Règlement.

Le sénateur Runciman : Monsieur le président, en ce qui concerne les propos du sénateur Moore, c'est une question inappropriée à poser à des fonctionnaires, parce qu'ils exprimeraient une opinion personnelle. Les témoins sont ici pour nous faire part de leurs points de vue et de leur expertise au sujet du projet de loi dont nous sommes saisis.

Le sénateur Moore : Cela assure une surveillance. Voyons donc!

Le président : Chers collègues, sénateur Moore.

Le sénateur Runciman : Vous leur demandez d'exprimer des opinions personnelles.

Le sénateur Moore : Ils travaillent pour nous.

Le président : L'appel au Règlement est recevable.

Compte tenu de l'heure — il est 15 h 45 — et de l'interruption, je vais appeler le prochain groupe de témoins.

Merci d'être venus. Je suis certain que nous ferons de nouveau appel à vous.

Notre dernier groupe de témoins est composé de M. Kent Roach, qui témoigne par vidéoconférence à titre personnel, de M. Craig Forcese, de M. Christian Leuprecht et de M. Joe Fogarty, ancien agent de liaison en matière de renseignements de sécurité entre le Canada et le Royaume-Uni.

Messieurs, bienvenue devant le comité. Je crois comprendre que vous avez des exposés.

Je vous remercie de nouveau de comparaître. Nous apprécions certainement les efforts que vous avez déployés, particulièrement dans le cas de M. Forcese, et tout le travail et le temps que vous avez investis dans ce projet de loi à l'autre chambre. Ces efforts n'ont pas échappé aux membres de ce comité.

Kent Roach, professeur, titulaire de la Chaire Prichard-Wilson en droit et en politique publique, faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Honorables sénateurs, merci de nous permettre de témoigner de nouveau devant vous. Comme vous le savez fort bien, le projet de loi C-51 est un projet de loi omnibus complexe qui ajoute deux nouvelles lois en matière de sécurité et modifie 15 lois existantes, notamment le Code criminel et la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

M. Forcese et moi-même avons publié sur le site web antiterrorlaw.ca des commentaires exhaustifs et un long tableau où nous proposons de nombreux amendements soigneusement étudiés au projet de loi. Nous n'aurons pas le temps de tous les décortiquer aujourd'hui, mais nous nous ferons évidemment un plaisir de répondre à vos questions.

À la Chambre des communes, le gouvernement a apporté quelques modifications, qui n'atténuent pourtant pas notre inquiétude quant au fait que le projet de loi aura des conséquences majeures sur les droits de la personne, ainsi que des effets non prévus, mais néfastes sur la sécurité, notamment sur les enquêtes criminelles et les poursuites en matière de terrorisme. Ce projet de loi fait toujours fi de parties importantes des recommandations de 2006 de la Commission Arar, des recommandations de 2010 de la Commission d'enquête sur l'affaire Air India et des recommandations de 2011 du Comité sénatorial spécial que présidait le sénateur Segal, ou alors il y est contraire. Le rejet radical des preuves rassemblées par ces commissions explique dans une large mesure pourquoi nous persistons dans notre critique du projet de loi.

En association avec le projet de loi C-44, le projet de loi C-51 modifie radicalement la législation canadienne en matière de sécurité. Il transformera le SCRS, un organisme s'occupant exclusivement de renseignement, en un organisme qui pourra prendre des mesures avec et sans mandat pour réduire les menaces à la sécurité au Canada. Nous craignons que cela puisse avoir l'effet non escompté de rendre plus difficiles les poursuites en matière de terrorisme, notamment celles touchant les quatre nouvelles infractions pouvant s'appliquer à des terroristes, que le Parlement a judicieusement ajoutées au Code criminel en 2013. En bref, nous nous inquiétons que le projet de loi C-51 menace les droits et les libertés sans accroître notre sécurité.

Le Sénat, à titre de chambre du second examen objectif, présente la dernière possibilité de modifier ce projet de loi. Du fait des effets imprévus de cette mesure et de la conjoncture dynamique relativement aux menaces, nous pressons le Sénat d'exiger un réexamen parlementaire triennal de ce texte complexe, un examen pour lequel il faudrait pouvoir avoir accès aux renseignements secrets qui seront pertinents pour comprendre les effets du projet de loi. Juste pour la présente séance, le comité a demandé des renseignements sur le nombre de personnes inscrites sur la liste du Programme de protection des passagers, renseignements qu'il a n'a pas reçus. Voilà qui montre que l'on a besoin d'avoir accès aux renseignements secrets.

Nous ajouterions également que cet examen ne prendra tout son sens que si l'ensemble du projet de loi, et pas seulement les dispositions sur l'arrestation préventive, est assujetti à cet examen.

En ce qui concerne la communication d'informations, la partie 1 du projet de loi reconnaît la nécessité d'échanger des renseignements, comme l'ont d'ailleurs fait la Commission Arar et toutes les commissions. Mais il va beaucoup plus loin que ce que justifieraient les craintes légitimes quant au terrorisme en présentant le nouveau concept d'activités portant atteinte à la sécurité du Canada. C'est tout simplement la définition la plus large d'intérêt de sécurité nationale que M. Forcese et moi n'ayons jamais vue.

Nous sommes favorables à l'exception pour toutes les formes de protestation et pas seulement celles qui sont légales, comme il a été initialement proposé. Il demeure que le gouvernement n'a pas correctement expliqué pourquoi une si large définition de sécurité est nécessaire ou pourquoi la définition de menaces envers la sécurité du Canada que prévoit actuellement la LSCRS ne peut être employée.

Cette sorte d'échange d'informations et de compilation d'importants dossiers de données à grande échelle doit au moins faire l'objet d'un examen indépendant proportionnel, comme la commission Arar l'a recommandé. La partie 1 ne prévoit aucun contrôle judiciaire de la communication de renseignements et, comme le commissaire à la protection de la vie privée l'a souligné, 14 des 17 ministères concernés ne sont pas assujettis à un examen. Les trois autres ne font l'objet que d'un contrôle vertical ou cloisonné. L'an dernier à peine, le commissaire à la protection de la vie privée a indiqué, dans un rapport spécial intitulé Mesures de vérification et de contrôle remis au Parlement le 28 janvier, qu'il était préoccupé par le fait qu'il ne possédait pas de pouvoir d'examen adéquat dans le domaine de la sécurité.

Nous soulignons aussi que la nouvelle loi sur la communication d'informations n'a pas intégré la recommandation de communication obligatoire de renseignements qu'avait présentée la Commission d'enquête sur l'affaire Air India, sous réserve de surveillance renforcée par le conseiller du premier ministre en matière de sécurité nationale. Nous faisons remarquer qu'un comité sénatorial présidé par le sénateur Segal a repris cette recommandation en 2011.

La liste d'interdiction de vol est assujettie à un contrôle judiciaire, mais aucune disposition ne porte sur les avocats spéciaux. En outre, en raison de la modification de la LIPR, il sera plus difficile pour ces derniers d'exercer les fonctions qu'exige la Constitution. Ce projet de loi se caractérise par une suffisance quant au caractère adéquat des mécanismes de contrôle du Canada et donne l'impression qu'un contrôle critique ou indépendant devrait être considéré comme l'ennemi de la sécurité ou des personnes dévouées qui travaillent au sein de nos forces de sécurité, ce que nous rejetons. Nous accomplissons tous du meilleur travail quand quelqu'un l'examine.

Enfin, je voudrais parler un peu du crime de parole et du fait de préconiser et de fomenter des infractions de terrorisme en général. Même si le ministre MacKay a comparu devant le comité au sujet de ce projet de loi et lui a remis un document de deux pages à ce sujet, nous persistons à croire que cette infraction est exagérée et viole la liberté d'expression.

Lors de son témoignage, le ministre de la Justice a fait remarquer avec justesse que l'incitation au génocide est indéfendable, mais le génocide concerne la violence de masse, alors que « les infractions de terrorisme en général », selon le terme utilisé pour décrire l'infraction proposée, pourraient inclure le financement d'activités non violentes d'un groupe terroriste désigné.

Le ministre a défendu l'exigence relative à la connaissance de cette nouvelle infraction en invoquant le jugement rendu dans l'affaire Hamilton sur la formulation de conseils, ajoutant du même souffle que cette nouvelle infraction ne doit pas se limiter à la prestation de conseils, puisque les infractions qui existent à cet égard ne sont pas adéquates, selon lui.

Nous continuons de maintenir que les exigences plus strictes quant à la faute volontaire et à la défense de bonne foi que comprennent les dispositions sur la propagande haineuse, soit les paragraphes 319(2) et 319(3) du Code criminel, sont nécessaires. Nous soutenons aussi que l'infraction existante sur le fait de commander une activité terroriste est une solution plus adéquate.

La nouvelle infraction aura pour effet d'inhiber la liberté d'expression légitime, et je demanderais aux sénateurs de ne pas aller plus loin que la dernière phrase du premier paragraphe complet du rapport que le ministre de la Justice a présenté au comité plus tôt cette semaine. Il y est question d'une infraction qui vise des personnes ou de mesures non précisées prises pour faire du mal aux Canadiens ou à nos alliés, ou pour soutenir le djihadisme extrême. Voilà une manière incroyablement large de décrire ce qu'englobera cette nouvelle infraction. Selon nous, cette disposition inhibera la liberté d'expression et pourrait même nuire à notre capacité de travailler avec ceux qui ont des opinions radicales, mais qui pourraient faire l'objet d'une déradicalisation légitime grâce à des interventions multidisciplinaires du type de celles envisagées dans de récentes mesures législatives britanniques. La décision de ne pas établir de lien entre l'infraction et le concept constitutionnel établi de préconisation des activités terroristes pourrait permettre de poursuivre des gens qui conseillent d'envoyer de l'argent à un groupe terroriste ou même des journalistes qui publient sciemment l'appel d'une autre personne à se joindre à la lutte terroriste à l'étranger tout en sachant que quelqu'un pourrait suivre ce conseil. Cette infraction devrait donc soit être éliminée du projet loi, soit faire l'objet d'amendements importants inspirés des dispositions sur la propagande haineuse.

Mon collègue, M. Forcese, va maintenant continuer notre exposé conjoint.

Craig Forcese, professeur agrégé, faculté de droit (Section de common law), Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous. Je serai heureux de traiter, lors de la période de questions, des engagements à ne pas troubler l'ordre public et de la détention préventive, que nous appuyons habituellement, sous certaines conditions. Je souhaite toutefois parler particulièrement des modifications très préoccupantes à la LSCRS.

Nous commençons en soulignant les conséquences des nouveaux pouvoirs sur la sécurité. Nous devons tous nous inquiéter des problèmes que la police et le SCRS éprouvent depuis longtemps au chapitre de l'harmonisation de leurs activités. Les nouveaux pouvoirs du SCRS risquent fort de créer des chevauchements et d'avoir une incidence sur les enquêtes criminelles subséquentes de la police sur les activités terroristes ou même de leur nuire. Nous craignons que les activités du SCRS dans ces eaux troubles ne portent atteinte à notre outil le plus efficace de lutte contre le terrorisme : le droit pénal. C'est une possibilité qui doit préoccuper tous ceux qui se sont intéressés à l'affaire Air India.

Nous n'avons pas le temps de soulever d'autres implications en matière de sécurité comme celles que le CSARS a lui- même soulevées en 2009, quand il s'est penché sur les pratiques perturbatrices existantes du SCRS, qui sont bien plus banales.

Mais même si le gouvernement pense que les inconvénients sur le plan de la sécurité valent le risque, sachez que nous pouvons atteindre les objectifs qu'il s'est donnés sans ouvrir la porte aussi grande aux erreurs que pourrait commettre un organisme secret. Le gouvernement affirme qu'il a besoin de ces pouvoirs pour que le SCRS puisse aviser les familles qu'un enfant se radicalise, ce qu'il fait déjà. Mais ce projet de loi va bien plus loin. Il existe un décalage entre les justifications du gouvernement et le libellé du projet de loi.

Nous vous implorons d'amender le projet de loi afin d'en éliminer tout ce qui concerne les infractions du SCRS par rapport à la Charte. Le gouvernement s'accroche à sa nouvelle théorie juridique selon laquelle ces mesures ne sont qu'une variation de ce qui se fait déjà. Comme le ministre Blaney l'a indiqué quand il a témoigné lundi, il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

Mais c'est plus qu'une nouveauté : c'est un changement radical. Comme l'Association du Barreau canadien l'a fait remarquer, cette position est indéfendable. Je tiens à souligner, au regard des observations du ministre Blaney, que cette association est une honorable organisation de 119 ans représentant 37 000 avocats, juges, notaires, professeurs de droit et étudiants en droit. Permettez-moi donc de me montrer précis quant à la logique juridique bancale du gouvernement.

Le nouveau pouvoir conféré par mandat proposé est très différent de celui confié par des mandats de perquisition et d'arrestation. Ces mandats doivent respecter les droits prévus dans la Charte, lesquels sont assortis de qualificatifs. L'article 8 de la Charte ne parle que de protection contre les perquisitions et les saisies « abusives ». Quant à l'article 9, il ne prévoit qu'une protection contre les détentions « arbitraires ». Un mandat de perquisition ou d'arrestation satisfaisait exactement à ces conditions, et un gouvernement agissant en vertu de ces mandats n'enfreint pas la Charte.

En comparaison, la plupart des autres droits de la Charte ne sont pas assortis de tels qualificatifs. Il n'y est pas question de liberté d'expression permise, de traitement cruel arbitraire, de droits à la mobilité appropriés pour entrer au pays ou en sortir, ou d'habeas corpus limité.

Ces droits ne peuvent être restreints qu'en vertu de l'article 1 de la Charte ou si le gouvernement invoque l'article 33 sur la disposition de dérogation, ce qu'il ne fait pas dans le projet de loi C-51.

Nous devons toutefois indiquer que les situations évoquées à l'article 1 ne sont pas résolues au moyen d'un mandat en toute autre circonstance. Maintenant, pour la première fois, on demande aux juges d'approuver à l'avance une violation des droits de la Charte lors d'une audience secrète où seul le gouvernement est représenté, et ce, sans possibilité d'appel. Ce que le gouvernement propose est un « mandat de violation de la Constitution ». C'est une idée radicale qui dénature l'interprétation fondamentale de la Constitution et le rôle des tribunaux. On l'a comparée avec justesse à un recours furtif à la disposition de dérogation, car les juges, et non le Parlement, se voient demander de faire le sale travail d'abroger des droits.

Lundi, le ministre a fait référence à plusieurs reprises à l'article 25.1 du Code criminel en disant qu'il faisait précédent. Or, ce n'est pas le cas. Il n'autorise pas les agents de police à enfreindre la Charte. Cet article ne s'applique qu'aux enquêtes criminelles et n'englobe pas le concept bien plus vaste de sécurité que l'on trouve dans la LSCRS. Qui plus est, l'article 25.1 prévoit des mesures de contrôle absentes du projet de loi C-51. La police doit indiquer publiquement quand elle enfreint la loi; quand il ne s'agit pas de violation mineure, elle avise également l'intéressé après un certain temps.

Le ministre a également laissé entendre que les nouveaux pouvoirs du SCRS sont simplement les mêmes que ceux dont se prévalent les agences alliées. Nous ne sommes pas des experts en droit étranger, mais nous avons parlé à quatre professeurs de droit du Royaume-Uni, à deux d'Australie et à plusieurs des États-Unis, dont certains ont par la suite parlé au personnel des services de sécurité. Sachez en outre qu'un article paru le 14 mars dans Le Devoir fait état des points de vue de fonctionnaires d'ambassades étrangères possédant, selon le ministre, des pouvoirs similaires à ceux prévus dans le projet de loi C-51. Les réponses obtenues ne corroborent pas les affirmations du gouvernement du Canada, selon lesquelles les services étrangers ont le pouvoir de violer les lois ou les constitutions du pays. J'espère donc que le comité demandera au ministre d'expliquer les fondements de ses affirmations en lui remettant son étude, qui ne serait pas protégée par le secret professionnel parce qu'elle porte sur le droit étranger et non national. Si cette étude nous est remise, nous nous ferons un plaisir de la transmettre à des collèges étrangers pour qu'elle soit examinée par des pairs.

En résumé, les nouveaux pouvoirs du SCRS équivalent à une aventure constitutionnelle sans précédent, qui a des inconvénients considérables sur le plan de la sécurité. En une ou deux lignes simples, votre comité pourrait éliminer le concept permettant à notre service secret de violer le Charte. Il pourrait imposer de nouvelles limites raisonnables aux pouvoirs du SCRS, notamment une limite ferme sur la détention, par exemple. Nous ne pouvons pas prendre le risque d'instaurer un système de détention parallèle géré par un organisme secret pouvant agir contre des gens qui n'ont commis aucun crime.

Mais comme le gouvernement l'a lui-même admis au cours de l'examen article par article à la Chambre des communes, la limite aux « pouvoirs d'exécution de la loi » ajoutée lors de cette étude ne ferme pas la porte à la détention. Il a aussi reconnu publiquement qu'il ne fermait même pas la porte à l'extradition. L'extradition, comme vous le savez, est un terme utilisé pour désigner le fait d'enlever une personne pour l'emmener d'un pays à un autre, parfois aux fins de procès; mais cette pratique a aussi parfois donné lieu à des interprétations abusives. Aucune loi du pays ne devrait accorder autant de discrétion à un service secret, particulièrement si ce service n'est assujetti qu'à un modeste contrôle.

Je terminerai sur des observations sur le CSARS et le présent processus législatif.

Que les nouveaux pouvoirs prévus par le projet de loi C-51 soient ou non constitutionnels ou nécessaires, il est incroyablement irresponsable de les instaurer sans effectuer un investissement redoublé dans notre système de reddition de comptes désuet et dépassé.

Le CSARC n'est plus au sommet de son art. Tout respecté qu'il soit, il ne fait plus l'envie du monde, comme l'a souligné le ministre. En raison de ses contraintes et de sa conception, il ne peut examiner qu'une petite partie des activités du SCRS. Nous ne faisons que répéter les inquiétudes que le CSARS a lui-même exprimées. Il vous a déjà indiqué qu'il se préoccupait de sa capacité à garder le rythme.

En outre, le CSARS et d'autres organes d'examen sont inutilement gênés par des limites légales qui les empêchent de suivre des pistes quand des organismes gouvernementaux collaborent, une pratique qui est de plus en plus courante. Le projet de loi C-51 accroîtra certainement cette collaboration.

Avec quelques paragraphes de texte législatif, vous pourriez créer de nouveaux pouvoirs permettant à des organes d'examen de collaborer afin d'ouvrir la voie à une réingénierie globale de l'examen de la sécurité nationale.

Enfin, je vous conseillerais de prendre en compte le précédent créé par l'édiction initiale de la LSCRS. Lundi, le ministre Blaney semblait dire que la BC Civil Liberties Association et d'autres groupes ayant exprimé des préoccupations en 1983 au sujet du projet de loi initial faisaient une campagne de peur et n'étaient pas crédibles en ce qui concerne la présente mesure. Il ne comprend pas l'histoire. Le premier projet de loi sur le SCRS, déposé en 1983, a suscité de vives inquiétudes chez les groupes de défense des libertés civiles, notamment celles de la BCCLA qu'il a citées.

Mais en 1983, le gouvernement a écouté un grand nombre de ces préoccupations. Il a laissé le projet de loi sur le SCRS mourir au Feuilleton en 1983 en raison de ces préoccupations. Vos prédécesseurs ont plutôt décidé de former un comité sénatorial spécial. Ses membres ont travaillé pendant l'été, ils ont entendu de nombreux témoins et formulé des recommandations pour créer, selon leurs propres mots, « un meilleur équilibre entre la sécurité collective et la sécurité individuelle. » Ces changements comprenaient notamment des dispositions plus solides sur les mandats et des pouvoirs d'examen élargis pour le CSARS. Presque tous les changements apportés par le Sénat, plus de 40 en tout, ont été acceptés par le gouvernement, qui a ensuite déposé un nouveau projet de loi amélioré. Ce projet de loi est devenu la Loi sur le SCRS et cette loi est en vigueur depuis 30 ans.

Nous sommes très redevables aux personnes qui ont amélioré le projet de loi inadéquat de 1983. Si nous étions en mesure de mener ces délibérations à l'époque, nous le sommes sûrement aujourd'hui.

Nous vous remercions de votre intérêt et de vos travaux.

Le président : Merci.

Christian Leuprecht, professeur agrégé, Département de science politique et d'économie, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : La sécurité est comme l'air que nous respirons; nous ne nous rendons pas compte qu'elle a disparu avant qu'il ne soit trop tard. Nous avons déjà dit que la population en général avait de la difficulté à comprendre les politiques en matière de sécurité nationale, car elle n'y est pas exposée souvent.

[Français]

J'ai aussi remarqué une certaine hypocrisie de la part de critiques de ce projet de loi, parce qu'on ne se rend pas compte du professionnalisme et de l'imputabilité dont font preuve nos forces de sécurité qui sont déjà en place. Il y a aussi une certaine naïveté de la part d'une partie du grand public face à l'environnement de sécurité qui est en train d'évoluer actuellement.

[Traduction]

J'aimerais attirer l'attention des membres du comité sur deux révolutions en particulier. La première est la révolution des communications. Il est très facile de communiquer avec n'importe qui, n'importe où dans le monde et d'obtenir des renseignements. L'autre révolution est la révolution des transports, car elle a vraiment raccourci les distances. C'est pourquoi, autrefois, nous pouvions prétendre que toutes ces instabilités étaient très loin de nous, mais elles sont maintenant à nos portes.

Ce défi nous cause des difficultés, car nous travaillons avec des institutions et des cadres juridiques de souveraineté qui remontent au Statut de Westminster de 1648. Les institutions avec lesquelles nous travaillons ont été, à de nombreux égards, établies au XIXe siècle, et nous tentons de les appliquer à des mouvements transfrontaliers du XXIe siècle.

Comment pouvons-nous réconcilier nos cadres institutionnels et souverains et les défis auxquels nous sommes confrontés sur la scène internationale? Nous devons déterminer les concessions que nous sommes prêts à faire, non seulement en ce qui concerne l'argent des contribuables, mais également les droits et libertés.

D'un côté, nous célébrons le 800e anniversaire de la Magna Carta cette année. De l'autre, le préambule de l'article 91 nous rappelle que le gouvernement a le devoir et la responsabilité de préserver la paix, l'ordre et la bonne gouvernance au pays.

Comme nous l'avons dit lors d'une comparution précédente devant le comité, je préfère toujours veiller à ce que nos organismes de sécurité possèdent les outils nécessaires, plutôt que d'investir plus d'argent dans ces organismes. Je crois que le problème auquel nous sommes aux prises actuellement, c'est que notre boîte à outils n'est pas assez diversifiée pour relever certains des défis auxquels nous faisons face, qu'il s'agisse de jeunes qui quittent le pays pour se joindre à des organisations extrémistes ou que ces organisations extrémistes convainquent de quitter le pays, qu'il s'agisse de pertes de vies humaines, comme nous l'avons vécu en octobre, car la GRC n'était pas en mesure d'imposer un engagement de ne pas troubler l'ordre public à la personne ou aux personnes qui sont sur la liste de surveillance antiterrorisme et elles peuvent monter à bord d'avions, car elles ne représentent pas une menace immédiate à la sécurité aérienne. Il pourrait s'agir d'une personne qui entre dans l'une de nos ambassades à l'étranger, par exemple à Beyrouth, et qui demande à un représentant consulaire de lui fournir des documents de voyage provisoires, même si elle a une balle dans l'épaule, et ce représentant consulaire n'est pas en mesure de communiquer au SCRS ses préoccupations liées au fait que cette personne pourrait être en route pour le Canada. Certains de ces changements sont très sensés.

Nous devons également protéger les personnes d'elles-mêmes, surtout les jeunes qui envisagent de voyager à l'étranger, et comme le démontrent les données empiriques, nous n'avons manifestement pas assez de ressources pour y arriver.

Nous avons également des obligations internationales de ne pas exporter le terrorisme ou de ne pas fournir un appui financier ou matériel au terrorisme par inadvertance. J'aimerais attirer l'attention des membres du comité sur les résolutions 1373, 1624, 2178 et 2195 du Conseil de sécurité des Nations Unies, les deux dernières ayant été prises l'an dernier. Il s'agit de résolutions du Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII et elles ont donc force de loi pour tous les États membres.

Ces résolutions visent, par exemple, à prévenir la radicalisation menant à des actes extrémistes et violents à caractère politique, à interdire l'incitation aux actes terroristes violents et le recrutement à cette fin, à réprimer l'appui financier pour le terrorisme et pour les combattants terroristes étrangers, et à interdire les déplacements aux combattants terroristes étrangers.

Le défi auquel nous faisons face dans ce cas-ci, et qui a déjà été mentionné dans une discussion précédente, c'est que nous pouvons adopter toutes les lois que nous souhaitons, si nous n'avons pas les compétences et les capacités nécessaires dans certaines sections de notre cadre de sécurité nationale pour les mettre en œuvre et les appliquer... Je fais référence à une discussion que nous avons eue il y a 10 ans, mais également à une discussion que nous avons eue il y a deux jours devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes, où l'on m'a demandé de témoigner sur le financement des terroristes aux côtés de Paul Kennedy. Paul Kennedy a également fait valoir que la GRC n'est pas équipée pour faire face aux défis liés aux services de police fédérale qui se posent aujourd'hui. En effet, la GRC est trop occupée avec des services de police à contrat, qui requièrent deux tiers des agents, et elle est trop autonome sur le plan institutionnel en ce qui concerne les différentes régions. Il est nécessaire d'effectuer un examen approfondi des capacités de notre service de police nationale et des capacités policières, non seulement pour veiller à ce que les dispositions du projet de loi soient appliquées, mais également pour veiller à éviter les pièges liés à l'administration de la justice que mes collègues viennent tout juste de mentionner.

Vous connaissez déjà mes propositions sur l'élargissement des attributions du CSARS pour que l'organisme soit en mesure de suivre les renseignements une fois qu'ils ont été communiqués à d'autres organismes de sécurité au sein de l'infrastructure du gouvernement du Canada. Je ne propose pas la création d'un super CSARS ou de nouvelles attributions pour cet organisme, mais seulement qu'il soit en mesure de suivre ces renseignements.

Vous connaissez également mes propositions qui s'inspirent du système en place au Royaume-Uni et qui visent à permettre à certains députés de l'opposition d'être informés par le commissaire du CST, ainsi que par le CSARS. Cela réassurerait les Canadiens qui se demandent si leurs droits et libertés ont été violés.

J'aimerais également rappeler aux membres du comité que cet examen ne vise pas seulement à veiller à ce que les gens accomplissent leur travail de façon appropriée, mais également à les aider à mieux faire leur travail. Le SCRS vous dira que le CSARS l'a rendu beaucoup plus efficace. À cet égard, les organismes de sécurité qui ne font pas l'objet d'un examen en ce moment, par exemple l'ASFC, mais aussi la GRC — qui a des attributions très limitées en ce qui concerne les examens —, pourraient être visés par le type d'examen par les pairs offert par le CSARS.

Comment cela est-il mis en œuvre? Nous devons nuancer les capacités de cueillette de renseignements du SCRS et du CST qui diffèrent des capacités élargies fournies par Affaires étrangères, l'ASFC et la GRC, des attributions plus générales des 16 organismes de sécurité, et du mandat distinct du ministère de la Défense nationale.

Je ne crois pas qu'une architecture générale peut englober tous ces éléments et nous avons besoin d'une approche nuancée pour les examens, mais il y a certainement un devoir et une possibilité d'en faire plus avec les avantages offerts par un examen.

Pour terminer, j'aimerais formuler deux commentaires. Nous n'adoptons pas seulement des lois pour aujourd'hui, mais nous les adoptons également pour l'avenir. Si notre pays fait face à un incident majeur, nous ne voulons pas que le premier ministre soit forcé d'enterrer les organismes de sécurité sous les décrets. Nous voulons adopter des lois solides qui seront en mesure de protéger la continuité du gouvernement constitutionnel dans notre pays.

J'aimerais terminer avec ce commentaire : n'oublions pas qu'un terroriste a seulement besoin d'être chanceux une fois. Les gens qui participent à la lutte contre le terrorisme doivent être chanceux chaque fois.

Le président : Merci beaucoup.

Joe Fogarty, à titre personnel : Je vous remercie sincèrement de m'avoir invité à comparaître devant le comité. J'espère pouvoir vous présenter un bref exposé et ainsi consacrer le plus de temps possible à vos questions.

Je ne suis pas citoyen canadien, mais je suis citoyen du Royaume-Uni, proche allié du Canada et pays qui souhaite ardemment appuyer, dans la mesure du possible, la sécurité publique et la sécurité nationale au Canada. C'est dans cet esprit que je témoignerai aujourd'hui.

Il y a quelques années, lorsque j'étais en poste à Ottawa en tant qu'agent de liaison auprès de la communauté canadienne du renseignement de sécurité, on m'a demandé de m'entretenir en privé avec un groupe de hauts fonctionnaires de la GRC et du SCRS. Je devais expliquer pourquoi, au Royaume-Uni, la relation entre le service de police et le MI5 semblait si étroite, pourquoi il y avait un partage aussi facile de l'information et des résultats aussi uniformément solides sur le plan des arrestations, des poursuites et des condamnations dans les affaires de sécurité nationale.

À l'époque de cet entretien, il y avait eu, depuis 2001, près de 30 arrestations liées au terrorisme au Canada et un petit nombre de poursuites étaient en cours. Pour la même période, au Royaume-Uni, il y avait eu près de 2 000 arrestations et plus de poursuites et de condamnations que ce dont je peux me souvenir — et c'était sans compter l'Irlande du Nord.

Comme j'avais une grande expertise de ces activités, on m'a également demandé d'exposer les enseignements que le Canada pouvait tirer de cette expérience. Ces enseignements sont directement liés au projet de loi C-51.

En général, une enquête de sécurité nationale devra, pour réussir, atteindre trois objectifs en même temps. Tout d'abord, elle devra cerner les menaces à la sécurité nationale et à la sécurité publique. Deuxièmement, elle contribuera à empêcher que ces menaces ne se concrétisent. Troisièmement, et cet objectif est fréquemment négligé, même s'il est très important, l'enquête solidifiera ou préservera la capacité du pays de s'attaquer aux menaces futures de manière aussi efficace, voire plus efficace.

Ces enquêtes et ces activités doivent également être menées de manière à refléter les valeurs de la société qu'elles cherchent à protéger. Les activités doivent donc comporter des mesures proportionnelles à la menace et être raisonnablement nécessaires, légales et susceptibles d'être efficaces et efficientes. Si tel est le cas, elles peuvent donc être raisonnablement considérées comme étant éthiques. Autrement, il ne faut pas les mener. La politique opérationnelle et les lois en matière de sécurité nationale devraient idéalement afficher ces mêmes qualités pour constituer le cadre adéquat au sein duquel les organismes opérationnels peuvent mener les activités qui appuient la sécurité publique et nationale.

Lors de mon entretien avec cette équipe de hauts fonctionnaires de la GRC et du SCRS, j'avais fait remarquer que les systèmes opérationnels du Royaume-Uni et du Canada se distinguaient par un facteur clé, à savoir que le SCRS et la GRC n'avaient pas constitué de cadre leur permettant de se communiquer largement l'information et de se protéger contre toute divulgation de capacité et de relations sensibles lorsqu'ils se trouvaient face au système de justice pénale. Cette situation dure depuis la création du SCRS, en 1984. C'est manifeste depuis 1985, avec l'enquête sur la catastrophe d'Air India, et dans de nombreuses affaires depuis, dont la plupart ne sont pas du domaine public, mais qui comprenaient l'enquête sur Jeffrey Delisle, ancien officier de la marine canadienne qui a offert ses services aux Russes ici à Ottawa en 2007 et a travaillé pour les organismes de renseignement russes sans être identifié pendant de nombreuses années.

Compte tenu de l'absence d'un cadre parfaitement fonctionnel assurant une collaboration opérationnelle, le système ne pouvait pas être, à mon avis, aussi efficace sur le plan pénal qu'il devrait l'être. Un tel cadre ne peut être raisonnablement créé que par le Parlement, par la voie législative, ce que le Parlement britannique a fait — avec grand succès — par une loi promulguée en 1996 qui prévoit que l'information peut à la fois être communiquée par des équipes de sécurité nationale aux organismes d'application de la loi et être protégée efficacement contre toute divulgation non nécessaire. Je serai heureux de décrire ce système plus en détail à l'intention des membres du comité pendant la période de questions, si vous le jugez utile.

J'avais constaté qu'un facteur important compliquait la situation au Canada, c'est-à-dire l'absence de comité parlementaire autorisé à tenir à huis clos des discussions classifiées sur la politique, les activités et la législation en matière de sécurité nationale. Privé d'un tel mécanisme et compte tenu de l'incapacité des parlementaires de savoir ce qui se passait effectivement sur le plan des activités secrètes, le Parlement ne pouvait qu'adopter des lois en demeurant, au mieux, partiellement ignorant de la situation réelle. Rien de surprenant à ce que le Canada n'ait pu trouver une solution au manque de communication entre le SCRS et la GRC.

Le projet de loi C-51 qui, à juste titre, met en lumière la nécessité d'une meilleure communication des renseignements, ne résout pas le problème fondamental du partage de renseignements entre le SCRS et la GRC, ni n'exige d'intervention à cet égard. À mon avis, la raison principale en est que personne ne peut dire au Parlement ce qui s'est réellement passé dans ces enquêtes ni expliquer, sans rendre publics des renseignements classés et délicats, le danger auquel le pays s'expose si le Parlement ne peut correctement répondre à ces questions.

Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, avec tout le respect que je dois à ses membres, n'a pas pu combler cette lacune, malgré un désir manifeste d'assumer, au mieux de ses capacités, le rôle que lui confère la loi. Il ne peut à lui seul expliquer au Parlement, lors d'une discussion classifiée, ce qui s'est effectivement passé lors d'affaires opérationnelles et en matière de politiques opérationnelles. Il dispose d'un mandat limité qui ne lui permet pas de suivre efficacement les activités opérationnelles dans le cadre des frontières organisationnelles. Il ne peut, au mieux, compte tenu des dispositifs actuels, que présenter un résumé annuel non classifié de ses activités, ce qui est insuffisant pour permettre aux législateurs de comprendre les principaux enjeux.

C'est avec grand plaisir que je répondrai à vos questions sur ce que je viens d'exposer ou sur les pouvoirs de perturbation que le projet de loi C-51 propose d'accorder au SCRS.

Pourrais-je ajouter une dernière chose, monsieur le président? Je n'ai pas inclus cela dans mon exposé, mais une personne qui possède mes antécédents a tendance à être plutôt timide en public. J'ai été invité à comparaître aujourd'hui, et je vous suis très reconnaissant de m'avoir donné l'occasion de vous parler. Une partie de mon commentaire s'adresse aux médias au fond de la pièce. Après mon témoignage, je vous serais très reconnaissant de me laisser quitter la pièce et disparaître, si vous êtes d'accord.

Le président : Nous éprouvons tous ce sentiment à l'occasion.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais remercier tous les témoins. Ce sont d'excellents témoignages. M. Roach et M. Forcese sont pratiquement des membres du comité, car ils comparaissent très souvent. Je les remercie beaucoup.

La surveillance m'intéresse beaucoup, et sans vouloir le provoquer, je suis probablement en désaccord avec M. Leuprecht lorsqu'il affirme que la surveillance exercée est suffisante.

J'aimerais que M. Fogarty, s'il le veut bien, approfondisse ses commentaires sur la nécessité d'exercer une surveillance parlementaire et sur son fonctionnement au Royaume-Uni. J'aimerais également que M. Forcese, M. Roach et M. Leuprecht formulent des commentaires à cet égard.

M. Fogarty : Cette expérience n'est pas unique, mais elle est probablement très rare. J'ai une expérience de travail classifiée auprès du CSARS, et j'ai parlé d'un certain nombre de choses avec le personnel de ce comité. J'ai aussi une expérience dite secrète auprès de l'Intelligence and Security Committee, qui est maintenant un comité parlementaire du Royaume-Uni. Selon moi, l'une des différences fondamentales est la capacité d'interagir avec des parlementaires très expérimentés venant de différents horizons — ancien secrétaire d'État aux Affaires étrangères, l'équivalent de l'ancien greffier du Conseil privé, et cetera. Les organismes sont donc en mesure de discuter sérieusement avec les haut placés de la sécurité de ce qui se passe vraiment dans la communauté et de ce qui doit être fait pour régler les problèmes opérationnels.

Malgré le très grand respect que j'ai pour le CSARS, il faut reconnaître que cette conversation n'a pas toute la profondeur voulue. Il est donc très difficile pour le CSARS de bien expliquer de quoi il retourne au Parlement puisqu'il ne peut même pas avoir cette discussion secrète au Parlement.

Je ne suis plus dans ma fonction d'agent de liaison. Si je l'avais été, j'aurais parlé des avantages et des inconvénients de chaque système, et cetera, comme le ferait un bon agent de liaison. Je peux néanmoins vous dire que je n'ai pas le moindre doute sur la nette supériorité du cadre de l'Intelligence and Security Committee par rapport à celui du CSARS, et sur le fait que l'ISC est beaucoup plus efficace que le CSARS pour orienter le travail des organismes opérationnels.

Me permettez-vous de dire une dernière chose, une chose que l'on oublie parfois? Ce que vous débattez revêt aussi une dimension morale. Au Royaume-Uni et dans un certain nombre d'autres pays, il y a un groupe d'hommes et de femmes ordinaires qui travaillent dans ces organismes, des gens qui mettent régulièrement leur vie en danger pour leur pays. Lorsque vous cherchez à défendre la démocratie parlementaire de votre pays, il est incroyablement bénéfique pour le moral si le Parlement a l'extrême courtoisie de vous inviter à huis clos dans le cadre d'une conversation secrète pour que vous expliquiez ce qui se passe vraiment et pour vous guider dans votre travail. C'est quelque chose qui n'existe pas au Canada, et je crois que cette absence est vraiment déplorable.

M. Leuprecht : Je ne veux pas être mal compris : je suis pour un examen plus rigoureux. La surveillance me préoccupe beaucoup, surtout s'il s'agit d'une surveillance qui s'inspire de celle qu'exerce le Congrès américain. Je crois que nous comprenons que l'examen et la surveillance sont peut-être deux choses différentes.

Je suis aussi préoccupé par le fait que nous passons trop de temps sur les questions relatives au CSARS et au CSTC — qui sont certes tous les deux importants en raison de leurs mandats particuliers — au détriment d'autres organismes qui ne sont pratiquement pas examinés, comme c'est le cas de l'ASFC, l'Agence des services frontaliers du Canada. Je crois aussi que les gens n'arrêtent pas de parler d'Arar et de la GRC, mais il y aurait tellement plus à faire pour assurer l'examen adéquat des activités de la GRC.

Le sénateur Mitchell : C'est un élément très important que vous soulevez là. Et il n'y a pas que l'Agence des services frontaliers du Canada. Il y a aussi le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement et Citoyenneté et Immigration Canada. Il y a environ 15 organismes qui ont à voir avec le renseignement. Nous avons le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, et la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes pour la GRC, qui intervient de loin une fois le fait accompli. Mais il n'y a pas grand-chose d'autre pour contrôler en continu.

Pour ma prochaine question, j'aimerais avoir des précisions au sujet d'une chose que M. Fogarty a dite. C'est très intéressant, mais je ne suis pas absolument certain de comprendre où vous vouliez en venir avec ceci :

[...] ce que le Parlement britannique a fait — avec un grand succès — par une loi promulguée en 1996 qui prévoit que l'information peut à la fois être communiquée par des équipes de sécurité nationale aux organismes d'application de la loi et être protégée efficacement contre toute divulgation non nécessaire.

Ce que vous dites c'est qu'ils pouvaient s'échanger des renseignements, et qu'il y avait des mécanismes pour éviter que ces renseignements soient utilisés ailleurs à mauvais escient, comme cela s'est produit dans l'affaire Arar. Dans une certaine mesure, je crois que c'est ce que visent MM. Forcese et Roach. Je ne veux pas leur faire dire des choses qu'ils n'ont pas dites. Alors, comment cela fonctionne-t-il?

M. Fogarty : À vrai dire, il faut regarder la chose d'un point de vue opérationnel. Je vais tenter d'être aussi bref que possible, car il s'agit d'une loi d'une grande complexité. C'est la loi sur la procédure criminelle et les enquêtes criminelles de 1996.

D'un point de vue opérationnel, l'échange de renseignements permet aux organismes d'avoir une certitude en matière d'enquête avant de s'acquitter de leur mandat. Il y a trois piliers. Je vais vous expliquer en quoi ils consistent et pourquoi ils permettent cela.

Le premier pilier, c'est qu'en vertu de cette loi, on donne à tous les documents qui touchent à la sécurité nationale le statut de document détenu par une tierce partie aux termes de la loi dans le cas de poursuites criminelles. C'est immensément important pour l'équipe de la sécurité nationale. C'est un pilier qui n'existe pas au Canada et qui n'a pas été inclus dans le projet de loi C-51.

D'un point de vue opérationnel, je crois qu'il est d'importance cruciale de donner cette certitude à vos organismes. Ce que cela signifie c'est que, pour l'équipe de la sécurité nationale, l'orientation que prendra l'enquête n'a pas d'importance. Ce que fait l'équipe de la sécurité nationale n'a pas d'importance. Elle sait dès le début que dans une affaire criminelle, le matériel sera considéré comme étant détenu par une tierce partie, ce qui limite la capacité de divulguer des renseignements de nature délicate.

Le deuxième pilier, qui est intimement lié au premier, c'est que lorsqu'il s'agit de documents relatifs à la sécurité nationale, aucun organe d'application de la loi — qu'il s'agisse des forces policières, des douanes ou de toute autre entité — ne peut prendre de décision en matière de divulgation. Il leur est interdit de le faire. Cela signifie que l'équipe de la sécurité nationale n'a pas besoin d'avoir noué au préalable des liens de confiance avec les organes d'application de la loi pour parler sans retenue et en tout temps de ce qui se passe, des menaces à la sécurité publique, des personnes qu'on devra peut-être arrêter, et cetera, puisqu'elle sait que ces organes ne peuvent pas prendre de décisions en matière de divulgation sans en avoir obtenu l'autorisation.

Cela donne automatiquement lieu à un système d'opération conjointe, comme cela doit être instauré au Canada en raison des conséquences des divulgations.

Ces dispositions sont très puissantes. Elles expliquent pourquoi nous en sommes rendus à, je crois, plus de 5 000 arrestations depuis 2001 — si l'on inclut l'Irlande du Nord — et à de multiples poursuites. Cela montre qu'il s'agit d'un système très efficace.

Le troisième pilier, c'est que l'ensemble de la documentation en matière de sécurité nationale est soumis au procureur avant la procédure criminelle en cour, et que le procureur en question est tenu d'en faire l'examen. Tout ce qui, dans cette documentation, est susceptible de nuire à la poursuite doit être communiqué à la défense — à très juste titre — pour que l'accusé ait un procès équitable. Tout ce qui pourrait aider la défense doit aussi être divulgué — à très juste titre — pour que l'accusé ait un procès équitable.

Ces dispositions ont deux effets. Tout d'abord, on se retrouve avec un système de justice pénale très efficace, puisque les audiences préparatoires pour essayer de trouver des documents au-delà de ce mur impénétrable deviennent superflues, les documents étant divulgués d'office. Et c'est grâce aux deux premiers piliers que cela ne pose aucun problème aux équipes des renseignements de sécurité du Royaume-Uni. Elles ont déjà mené des opérations conjointes avec les responsables de l'application des lois. Ces opérations sont menées avec le plus grand soin, selon une norme de preuve, pour veiller à éviter tout ce qui pourrait miner une poursuite ou alimenter une défense.

Ces dispositions font en sorte qu'il est possible d'avoir de multiples procès sans avoir à divulguer des renseignements de nature délicate si ce n'est pas nécessaire dans le cadre de ces procès. C'est un système extrêmement efficace, et je ne suis pas convaincu qu'à ce jour, le Parlement s'en est pleinement rendu compte.

Aucun de ces trois piliers ne figure dans le projet de loi C-51. D'un point de vue opérationnel, les inclure de quelque façon que ce soit dans le projet de loi vous permettra d'après moi d'élargir considérablement votre capacité en matière de sécurité nationale et de protection du public.

Pour l'instant — c'est une chose que j'ai dite en privé au SCRS et à la GRC ainsi qu'à la conférence de l'Association canadienne pour les études de renseignement et de sécurité de 2013 —, et c'est très regrettable, persévérer dans cette façon de faire où votre agence de renseignement de sécurité hésite, pour de très bonnes raisons, à communiquer ses renseignements aux responsables de l'application de la loi équivaut à mettre la table pour une tragédie.

Il y a quelques années, je ne sais plus qui m'a demandé d'examiner quels aspects de la relation opérationnelle propre au Canada j'incorporerais au système du Royaume-Uni. En tant qu'agent de liaison, on s'attendait effectivement de moi que je me montre curieux et que je sois à l'affût des pratiques exemplaires à l'échelle de la planète. J'avais répondu qu'en toute déférence, je n'incorporerais pas un seul aspect du régime canadien parce que c'est un système dangereux.

Voulez-vous que je continue ou que j'arrête?

Le président : Je crois que nous commençons à manquer de temps.

Le sénateur Mitchell : C'est très bien.

Le sénateur Kenny : J'aimerais entendre ce qu'il a à dire.

Le président : Pendant deux minutes encore?

M. Fogarty : Je serai aussi bref que possible. Je vais devoir circonscrire mes propos parce que les vraies preuves de ceci ne font pas partie du domaine public et je ne peux pas vous en faire part.

Ceci ne répond pas exactement à la question, mais c'est un pas dans la bonne direction. Il vous arrive d'avoir des opérations réussies — le cas des 18 de Toronto en est l'un des meilleurs exemples, et la GRC a fait de l'excellent travail, compte tenu du peu de renseignements qu'on lui avait transmis —, mais je vais vous donner deux exemples de ce que je veux dire. Ce sont des choses qui sont du domaine public, mais, en général, les gens ne s'en rendent pas compte. Il s'est passé beaucoup de choses durant cette enquête. En voici deux.

Durant cette opération, le Service canadien du renseignement de sécurité a découvert l'emplacement de ce que l'on soupçonnait d'être une base d'entraînement terroriste en sol canadien. Ce n'est pas une découverte anodine. Or, comme l'organisme n'a pas de pouvoir exécutif — ce n'est pas un service de police et, à l'époque, il n'était pas autorisé à perturber —, il décide de ne rien dire à la GRC.

Je l'ai déjà dit il y a un moment, en privé : si vous prenez ce type de décision et que vos opposants sont rapides et sophistiqués, les conséquences pourraient bel et bien être tragiques. J'ai fait un parallèle. Imaginez ce qui aurait pu se produire si, dans les années 1980, 1990, une équipe du MI5 avait découvert une base provisoire de l'IRA au Royaume- Uni et avait décidé de ne rien dire à personne.

Mon deuxième exemple parmi de nombreux autres pour l'affaire des 18, c'est que, plus tard pendant l'enquête, le SCRS s'est aperçu que la GRC suivait les mauvais suspects. À ce moment-là, le SCRS, lui, a ciblé certaines personnes qu'il soupçonnait d'être des menaces pour la sécurité publique, mais il a décidé de ne rien dire à la GRC alors qu'il savait qu'elle faisait fausse route.

En reprenant l'exemple de tout à l'heure, imaginez que le MI5 constate la présence d'une unité de service active dans une base provisoire de l'IRA, qu'il réalise que l'armée et la police sont sur une mauvaise piste, mais qu'il décide de ne rien dire. C'est une bombe à retardement.

Vous avez été extrêmement chanceux, en tant que pays, de ne pas avoir eu affaire depuis 2001 à des opposants rapides et sophistiqués, car vous auriez pu vivre des moments tragiques.

Encore une fois, si vous êtes en mesure d'intégrer ces trois piliers dans vos lois, vous empêcherez cela de se produire ou vous permettrez aux organismes opérationnels d'empêcher que cela se produise.

La raison pour laquelle le SCRS n'a rien dit à la GRC est tout à fait compréhensible, étant donné le cadre à l'intérieur duquel l'organisme doit opérer. Ce n'est pas de sa faute. La raison pour laquelle il ne dit rien c'est parce qu'il ne peut pas se permettre de donner l'apparence de travailler conjointement avec la GRC. Autrement, dans une affaire criminelle, le SCRS sera assujetti à une divulgation de type Stinchcombe. Le Royaume-Uni a réglé le problème en 1996 et a éliminé le risque que de telles situations se produisent.

Je m'excuse d'avoir pris tant de temps.

Le sénateur Runciman : Cela était très intéressant, c'est le moins que l'on puisse dire.

Monsieur Leuprecht, en répondant à M. Fogarty, je crois que vous avez dit avoir certaines réserves au sujet du type de surveillance parlementaire qu'il propose, ce qui a piqué ma curiosité. Je ne suis pas sûr si c'est vous qui avez écrit une lettre d'opinion là-dessus dans l'Ottawa Citizen, mais on pouvait y lire que le système parlementaire ou le système de Westminster n'était pas compatible avec ce type de surveillance parce qu'il n'y avait pas de séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif du gouvernement.

Je me demande si vous pouviez étoffer votre pensée à cet égard, et nous en dire plus long sur vos préoccupations concernant ce type de surveillance. À moins que j'aie mal compris ce qui vous avez dit.

M. Leuprecht : Cette lettre n'était pas la mienne, mais j'ai bel et bien publié quelque chose là-dessus dans le Globe and Mail.

Je crois qu'il y a des systèmes plus sophistiqués, mais une façon simple de remédier à la situation actuelle serait d'adopter une version du système en place au Royaume-Uni, en vertu de laquelle l'opposition pourrait proposer des noms au premier ministre. Le premier ministre pourrait choisir deux personnes de cette liste, les soumettre à une enquête de sécurité, les assermenter à titre de membre du Conseil privé, et créer un comité parlementaire séparé. Je proposerais que cette liste comprenne des sénateurs, et que ce comité soit en mesure de s'entretenir avec le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications dans le but précis d'instaurer ce dialogue qui nous fait actuellement défaut. La teneur du dialogue n'est pas la seule chose qui compte ici. L'exercice est aussi important pour ces Canadiens qui se demandent si leurs droits et libertés sont bafoués. Nous pourrons alors voir autre chose que le seul pouvoir exécutif qui tente de rassurer ces Canadiens en leur disant qu'il n'en est rien. Nous avons aussi des membres de l'opposition qui peuvent affirmer que le système fonctionne comme il le devrait.

Le sénateur Runciman : Nous avons entendu M. Forcese parler de la question des violations de la Charte, et c'était en complète contradiction avec ce que nous disait plus tôt aujourd'hui M. Piragoff, du ministère de la Justice. Quel est votre point de vue sur la question?

Certaines activités comme les fouilles et l'écoute électronique exigent une autorisation judiciaire, et le juge peut les accorder ou les refuser. Le fait qu'elles soient assujetties à des autorisations judiciaires les rend légales.

Je crois que d'affirmer que cette façon de faire est dangereuse ou radicale me pose problème. Le représentant du ministère de la Justice était un sous-ministre adjoint. Ses propos n'avaient donc pas d'intention partisane. J'aimerais connaître votre opinion sur cet élément de la mesure législative.

M. Forcese : Bien sûr.

Le sénateur Runciman : Ma question s'adressait en fait à M. Leuprecht. Je connais déjà votre opinion.

M. Leuprecht : Je ne suis pas un avocat. Je crois que M. Forcese est beaucoup mieux placé que moi pour répondre à votre question, sénateur.

Le sénateur Runciman : Il a déjà répondu. Il nous a déjà fait part de son opinion. Voilà la raison pour laquelle je cherchais à entendre un autre son de cloche.

Le président : Sénateur, pouvons-nous entreprendre une deuxième série de questions, si vous n'y voyez pas d'inconvénient?

Le sénateur Runciman : Bien sûr.

Le sénateur Kenny : Monsieur Fogarty, plus tôt cette semaine, nous avons entendu le ministre de la Justice, et nous lui avons parlé d'un comité de surveillance parlementaire. En fin de compte, il a répondu qu'il ne croyait pas que les parlementaires respecteraient le serment qu'ils pourraient être appelés à prêter. Comme un tel comité aborderait des questions graves, il craignait que le comité ne puisse pas comprendre de parlementaires.

Quelle est l'expérience du Royaume-Uni en matière de fuites, et quels mécanismes ont été mis en place pour les prévenir? Je vais commencer par ces questions.

M. Fogarty : En quelques mots, il n'y a pas eu de fuite. C'est une expérience fascinante à vivre. J'ai eu le privilège de parler au Intelligence and Security Committee du Royaume-Uni. Je ne crois pas qu'il conviendrait que je formule des observations à propos des parlementaires canadiens. Je ne participe même pas aux élections canadiennes. Par conséquent, je ne pense pas avoir le droit de faire des commentaires à ce sujet.

Toutefois, je peux vous dire que, lorsqu'on regarde la période des questions à l'autre endroit et qu'on la compare avec la période des questions du premier ministre du Royaume-Uni, on a l'impression que Tom Mulcair et le premier ministre du Canada sont les meilleurs amis qui soient.

Au Parlement du Royaume-Uni, il y a ce que j'appellerais une partisanerie très productive. En public, les parlementaires font preuve d'une partisanerie notable parce qu'ils ont des rôles politiques à remplir. Toutefois, aucune partisanerie ne règne au sein du comité. Le sujet de discussion est fabuleux et incroyablement sérieux. Il n'y a pas de caméras ou de galeries à épater. Il n'y a aucune élection à remporter. Les échanges sont objectifs et graves, et cela donne de bons résultats.

Si je pouvais ajouter quelque chose d'autre, je vous prierais de mettre en œuvre ce système, si vous le pouvez. Ayez l'obligeance de le faire, car cette approche fonctionne vraiment. Avec tout le respect que je vous dois, je dois admettre que leur système est bien meilleur que le vôtre.

Le sénateur Runciman : J'ai une question complémentaire à poser.

Le sénateur Kenny : Je n'ai pas fini de poser ma question.

Le sénateur Runciman : Ma question est dans le même ordre d'idées.

Le président : Sénateur Kenny.

Le sénateur Kenny : À quoi attribuez-vous le fait qu'il n'y ait pas eu de fuite jusqu'à maintenant, et quelles conséquences une fuite aurait-elle?

M. Fogarty : Votre deuxième question est remarquablement intéressante. Je ne suis pas certain d'en connaître la réponse. Des poursuites pourraient bien être intentées. Selon moi, si un comité équivalent était constitué ici, les parlementaires seraient forcés de s'engager par écrit à respecter la Loi sur la protection de l'information, et je présume que, pendant toute leur vie, ils seraient liés par le devoir de confidentialité.

L'une des raisons pour lesquelles une fuite ne s'est pas produite — et je ne crois pas faire preuve de naïveté en affirmant cela et, manifestement, je ne peux parler que des parlementaires britanniques à cet égard —, c'est que c'est l'un des services les plus importants qu'on peut rendre à son pays. Les parlementaires ont véritablement le sentiment qu'il importe de maintenir la confidentialité de ces questions pour assurer la sécurité de leur pays.

Je suis peut-être naïf, mais je serais étonné qu'un parlementaire dévoué à son pays décide de divulguer des renseignements de ce genre. Quel pourrait être le but d'une telle divulgation? Par conséquent, ce problème n'est pas survenu. Je ne m'attends pas à ce que des problèmes de ce genre se produisent dans les années à venir ou, du moins, pas en vertu de ce système.

J'espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Runciman : Ma question était identique à celle que vous avez qualifiée de remarquablement intéressante.

M. Leuprecht : J'aimerais intervenir très brièvement à ce sujet. Des membres très compétents du Parlement ont obtenu une cote de sécurité de niveau très secret, dont d'anciens membres des Forces armées canadiennes, le solliciteur général et le procureur général. Le Parlement compte des gens qui ont prouvé qu'ils pouvaient garder pour eux des renseignements confidentiels et qui comprennent les intérêts des nations et de leur pays.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Forcese, j'ai écouté votre présentation attentivement, et j'avoue que j'ai trouvé cela un peu inquiétant. Vous me corrigerez si je me trompe. À vous écouter, on croirait que les avocats ne font pas confiance aux juges pour protéger les citoyens. Si on écoute tout le monde, on a l'impression qu'on ne peut plus faire confiance à la police, au SCRS, au Comité de déontologie policière, ni à l'agence de surveillance des activités terroristes. Qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on crée un autre groupe de personnes qui n'auront plus la confiance des groupes de pression dès qu'une décision ne leur conviendra pas? C'est comme si on s'en allait dans un cul-de-sac qui nous condamne à ne pas nous protéger des terroristes qui, en passant, ont ciblé les Canadiens le 22 octobre. Cela ne venait pas de l'extérieur.

J'aimerais vous entendre à ce sujet, parce que nos idées ne se rejoignent pas.

[Traduction]

M. Forcese : En ce qui concerne votre premier point, j'approuve tout ce qui a été dit à propos de la structure de responsabilité. Je ne crois pas qu'en demandant la mise en place d'un système de freins et de contrepoids robuste, nous supposons nécessairement que les responsables des services sont de mauvaise foi. Notre système repose sur l'emploi de freins et de contrepoids. Le SCRS mentionne régulièrement que le CSARS améliore son rendement. Je suis d'accord avec les gens qui ont décrit les mérites d'un comité parlementaire.

D'autres alliés, comme le CSARS, ont procédé à des examens spécialisés et ont déterminé que les membres d'un comité parlementaire travaillent bien ensemble. Par conséquent, je n'estime pas que le service n'est pas digne de confiance et qu'il fait preuve de mauvaise foi.

Toutefois, le fait est que les organismes commettent des erreurs. Ces erreurs sont plus fréquentes lorsque les comptes à rendre sont moins nombreux et lorsqu'il est possible que ces erreurs ne soient jamais révélées. Je répète qu'il faut s'assurer que des freins et des contrepoids sont en place.

En ce qui concerne les juges, je demande au comité de veiller à ce que les juges canadiens ne soient pas forcés d'autoriser des actes illégaux et inconstitutionnels. Cela les placerait dans une position intenable qui serait sans précédent. Je souligne de nouveau que les mandats de perquisition et de détention sont conçus pour garantir que le gouvernement continue de respecter la Constitution, et qu'il ne viole pas la Charte des droits et libertés. Nous n'avons pas l'habitude de décerner des mandats visant d'autres droits. Cela ne fait pas partie de nos coutumes.

Ce que je tente de faire valoir, c'est que nous demandons aux juges de prendre des mesures qu'ils n'ont jamais prises auparavant, et qui les placent dans une position intenable. Il ne me semble pas nécessaire de demander au service de mener des activités qui violent les droits des Canadiens garantis par la Charte.

Je pense que, dans une grande mesure, M. Fogarty m'a convaincu que l'ensemble des pouvoirs de perturbation est motivé en partie par le fait qu'au final, le SCRS continue de craindre de perdre le contrôle qu'il exerce sur ses renseignements. Et cela explique vraiment l'existence du régime global de perturbation.

Je ne sais pas si M. Fogarty partage mon avis.

[Français]

M. Leuprecht : Toutefois, il faut considérer que nous avons maintenant plusieurs juges qui ont de l'expérience dans le domaine de la sécurité nationale, compte tenu des différents cas survenus récemment. J'ai confiance que nos juges pourraient rendre une décision éclairée face à ces questions difficiles.

Le sénateur Dagenais : Vous me rassurez.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, si vous me le permettez, j'aimerais donner suite à la question du juge, des mandats et de leur utilisation en demandant à MM. Forcese et Leuprecht de parler de ces enjeux.

Premièrement, tout ce que je souhaite dire à M. Fogarty, c'est que j'ai entendu les observations qu'il a formulées au sujet du système canadien, de l'échange de renseignements et du fait que les Canadiens sont en danger en raison de la structure du système.

Nous venons de revenir de Toronto. Nous avons passé une journée et demie là-bas en compagnie des équipes intégrées de la sécurité nationale de la GRC et de représentants du SCRS et d'autres organismes d'application de la loi. Cette visite m'a convaincu qu'en raison de la participation du Bureau du procureur de la Couronne, de tous les organismes d'application de la loi, des organismes du renseignement et de toute autre organisation qui prend part à une certaine activité ou qui joue un rôle à un certain endroit, le système que nous avons mis en place fonctionne, bien que les intervenants du système doivent travailler d'une façon beaucoup plus intensive, compte tenu des menaces que nous affrontons.

En ma qualité de membre et de président du comité, je tiens à dire — et je crois que je peux le dire au nom de tous les membres du comité qui ont participé à la visite — que nous avons été très impressionnés par les mesures que prennent en ce moment nos organismes d'application de la loi et nos organismes du renseignement. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il nous est impossible de faire mieux.

Ma question reprend les propos du sénateur Dagenais qui portaient sur la question de l'utilisation du système judiciaire pour obtenir des mandats et sur le fait que, si je ne m'abuse, monsieur Forcese, vous avez mentionné être préoccupé parce qu'entre autres, vous ne saviez pas vraiment, dans la plupart des cas, ce qui se produisait après le lancement du mandat.

Premièrement, avant votre arrivée, nous avons entendu un témoin dire que, dans beaucoup plus de 50 p. 100 des mandats décernés, les juges ont exigé que des comptes soient rendus sur l'utilisation du mandat et sur les événements liés à cette activité.

Deuxièmement, j'ai une question à vous poser précisément à ce sujet. Si un règlement établi par le gouverneur en conseil était adopté et que ce règlement exigeait que la demande de mandat présentée par le SCRS décrive clairement l'ensemble des comptes à rendre non seulement au juge, mais aussi au CSARS, de manière à ce que la conclusion du mandat en question soit suivie à la fois par le tribunal et l'organisme de réglementation, cela vous satisferait-il?

M. Forcese : Est-ce que je considérerais cela comme une amélioration? Absolument. Cette amélioration serait-elle satisfaisante? Non.

Manifestement, je n'ai pas accès aux mandats, car ils ne sont jamais divulgués; ils sont secrets. Il va de soi que je ne suis pas en mesure de formuler des observations sur leur contenu ou sur le pourcentage d'entre eux qui comprennent des mécanismes de rétroaction.

En revanche, j'ai accès à la décision du juge Mosley qui indique qu'il n'a pas été tenu au courant des mesures prises dans le cadre du mandat et qu'il n'a découvert que — je ne dirai pas « par accident » — fortuitement l'étendue exacte des activités que le service a exercées.

En ce qui concerne la tentative plus générale de rectification des mandats, je pense encore une fois que les mandats pourront être corrigés à condition qu'ils soient liés aux aspects de la Charte visés par le mandat. Des mandats efficaces de détention sont une chose, mais des mandats efficaces de surveillance, de perquisition ou de saisie en sont une autre.

Toutefois, il n'est pas vrai qu'on devrait confier à un juge la tâche d'autoriser une violation d'autres droits garantis par la Charte qui ne sont pas accompagnés des mots « raisonnable » ou « arbitraire », comme c'est le cas pour la perquisition ou la détention, et de lui demander d'approuver ces violations à l'avance en fonction d'une théorie constitutionnelle créative selon laquelle le juge procédera à un genre d'analyse particulière en vertu de l'article 1. Ces actes seraient simplement inconstitutionnels, et ce problème ne pourrait pas être réglé à l'aide d'un règlement.

Le président : Vous vous adressez à un garçon de la campagne, et vous parlez de la Constitution et des avocats. Toutefois, je tiens à vous demander comment, sur le plan pratique, vous accomplirez cela. Supposons qu'un terroriste s'apprête à s'attaquer au métro. J'ai besoin qu'on m'autorise légalement à prendre certaines mesures dans un laps de temps très court. Vous consultez un juge, vous obtenez un mandat, et vous prenez les mesures nécessaires. Je ne comprends pas vraiment. C'est une chose d'aborder ces questions, mais comment pouvez-vous, d'une manière pratique, neutraliser ces gens?

M. Forcese : Ma question est la suivante : pourquoi faut-il que le SCRS s'occupe de cette tâche? Je n'ai pas encore reçu de réponses claires à cette question. Encore une fois, M. Fogarty pourrait peut-être y répondre en s'appuyant sur l'expérience qu'il a acquise au Royaume-Uni.

Le président : Je suis le président. Par conséquent, je vais céder de nouveau la parole au sénateur White.

Le sénateur White : Je vous remercie tous les deux de votre présence, et je remercie M. Roach de participer à notre séance par voie électronique.

Je m'adresse à vous, monsieur Fogarty, à propos de la question des échanges de renseignements. Nous parlons de cette question dans le cas présent, mais nous n'axons pas vraiment nos efforts sur l'échange de renseignements avec les services de police.

Le Canada compte environ 198 services de police, dont la GRC. Elle est le seul service de police qui remplit les conditions requises en matière de cotes de sécurité pour recevoir des renseignements du SCRS. Certains des autres organismes emploient des agents qui ont les cotes de sécurité requises, mais ce n'est pas le cas de la grande majorité d'entre eux.

Le Royaume-Uni fait-il face à ce problème? Je sais que vous avez réduit le nombre de vos organismes d'application de la loi, qui est passé de quelque 30 à 12, je crois. Si les cotes de sécurité ne vous empêchent pas de recevoir de l'information des services du renseignement, qu'avez-vous fait pour surmonter cet obstacle?

M. Fogarty : Non, il n'y a pas du tout d'obstacle. De mémoire, l'Angleterre et le pays de Galles comptent en ce moment 43 forces policières, alors que l'Écosse n'en compte qu'une seule. Il y en avait huit auparavant. En outre, l'Irlande du Nord dispose aussi d'une force policière.

En raison des piliers de la loi dont j'ai parlés auparavant, rien n'entrave les échanges d'information. Chacune de ces forces compte des membres du personnel ayant fait l'objet d'une vérification de sécurité en premier lieu. Des équipes opérationnelles mixtes assurent la liaison entre le British Security Service et les services de police de l'ensemble du pays. Des renseignements sont échangés quotidiennement, mais ils doivent être dans l'intérêt de la sécurité nationale. Aucun obstacle n'entrave ces échanges.

Avec un peu de chance, je dirais que, compte tenu de la situation qui existe ici, il ne fait absolument aucun doute qu'il serait très utile d'accroître — à l'échelle municipale, provinciale et territoriale — le nombre d'agents de police qui détiennent une cote de sécurité.

Toutefois, ce n'est pas là le principal problème. La mise en place d'un cadre législatif qui autorise l'organisme du renseignement de sécurité à communiquer avec vous est le principal obstacle à surmonter. L'attribution de cotes de sécurité ne suffira pas à résoudre le problème.

Le sénateur White : Je vous remercie beaucoup de votre réponse. Êtes-vous en train de me dire qu'au Royaume-Uni, une norme nationale oblige les services de police à soumettre des ressources à une vérification de sécurité, afin qu'elles puissent recevoir l'information en premier lieu?

M. Fogarty : Oui, cette exigence a réellement un caractère historique. Elle nous a été léguée par les générations précédentes. Je ne m'attarderai pas sur cette question.

Le sénateur White : Cela ne pose pas de problèmes.

M. Fogarty : Chaque service de police du système britannique était doté d'une section appelée Special Branches, qui était responsable d'appuyer le MI5, et c'est ainsi que le système s'est développé. Les cotes de sécurité découlent de cette structure. Il faut premièrement détenir des cotes de sécurité. Chaque force policière doit employer des membres détenant des cotes de sécurité. Cet état de choses s'est simplement poursuivi jusqu'à maintenant.

Le sénateur Moore : Ma question est destinée à M. Roach. Je viens de la Nouvelle-Écosse, de la province de Joseph Howe, qui nous a apporté un gouvernement responsable, la liberté de presse et la liberté d'expression. Si un groupe de Canadiens décidaient d'organiser une manifestation en faveur de l'adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale ou en faveur de la formation d'un État palestinien, en dépit du fait que la Palestine abrite le Hamas et que le Canada s'élève contre ces deux positions, ces Canadiens enfreindraient-ils le projet de loi?

M. Roach : Non, je ne crois pas qu'ils commettraient la nouvelle infraction. Toutefois, s'ils brandissaient une pancarte qui disait « Faites un don au Hamas », parce que ce groupe pourrait être le seul gouvernement capable de gérer efficacement la Cisjordanie, ils se rendraient coupables de la nouvelle infraction proposée.

Le gouvernement a indiqué très clairement qu'il ne souhaitait pas lier ce projet de loi à des activités terroristes; le gouvernement veut le lier à des infractions de terrorisme comprenant des actes qui peuvent être criminalisés à juste titre, comme le financement du terrorisme, mais qui ne sont pas violents. Par conséquent, je crois que cela permettra effectivement d'appliquer cette nouvelle infraction, assortie d'une peine de cinq années d'emprisonnement, à des gens qui préconisent la commission générale d'infractions de terrorisme, des infractions qui ne sont pas nécessairement violentes dans l'immédiat.

Le sénateur Moore : C'est très intéressant. Merci.

Le sénateur Mitchell : Je tenais à revenir sur votre argument, monsieur Forcese, parce qu'il m'intéresse vraiment dans la mesure où il est réellement crucial. Il est important pour la protection des libertés civiles. Je ne suis pas un avocat, ce qui est probablement très évident à ce stade. Je souhaite poser la question suivante pour obtenir des précisions, parce que je suis tout à fait favorable à vos propos.

Comment prétendez-vous que la police devrait agir pour ne pas enfreindre la Charte alors que le SCRS enfreindrait la Charte si elle agissait, même avec un mandat signé par un juge? Je ne comprends pas très bien la distinction et je veux comprendre.

M. Forcese : Je répondais à l'hypothèse de la présidence — vous pouvez me corriger si je me trompe —, et il était question d'une attaque imminente. En pareilles circonstances, j'ai présumé que nous franchissions la limite entre un comportement criminel et un comportement qui ne l'est pas. C'est à ce point que la police est libre d'intervenir.

Je suis frappé par l'exemple que M. Fogarty a donné concernant le SCRS qui n'a pas transmis les renseignements relatifs à un camp d'entraînement de terroristes. Est-ce que le SCRS va décider de ne rien dire à la police, mais d'entreprendre d'autres choses pour faire de la perturbation? La tenue d'un camp d'entraînement de terroristes franchit presque certainement les limites de l'un des 15 crimes de nature terroriste que nous avons déjà. Pourquoi opter pour la perturbation s'il ne s'agit que de transmettre l'information à la GRC pour que celle-ci ait le pouvoir d'enquêter et de porter des accusations menant à des déclarations de culpabilité?

Cela me donne à croire que la préoccupation liée à la perturbation que nous constatons partout dans ce projet de loi est essentiellement une manière de contourner un problème non réglé de diffusion de l'information.

Le sénateur Mitchell : On pourrait soutenir qu'en réalité, la perturbation est justifiée quand il est impossible de prouver qu'une chose est en fait criminelle. Est-ce juste? C'est une façon d'abaisser la norme de l'activité policière en cas d'activité à la limite de ce qui est criminel.

M. Forcese : Il ne fait aucun doute que les pouvoirs ou les mesures de perturbation, comme on les appelle dans le projet de loi, s'appliqueront à l'ensemble du mandat du SCRS en vertu de l'article 2, lequel ne se limite pas au terrorisme, mais englobe également la subversion, l'espionnage, le sabotage et les prétendues activités influencées par l'étranger. Cela englobera divers comportements qui ne sont en fait pas criminalisés, et nous parlons alors de comportements qui ne relèvent pas du terrorisme.

Encore une fois, la question est la suivante. Dans notre société, en sommes-nous rendus au point où nous avons besoin d'un service capable de prendre des mesures dont les seules limites seraient de ne pas causer de lésions corporelles, de ne pas violer l'intégrité sexuelle et de ne pas faire entrave à la justice, et d'agir même au-delà de la loi et de la Charte pour tout un éventail de préoccupations liées à la sécurité? Franchement, le gouvernement n'a pas démontré que c'est justifié. Le gouvernement a affirmé à maintes reprises qu'il faut que le SCRS puisse parler aux familles. C'est bon. Il le fait déjà. Dans d'autres circonstances, pour les vraies questions de lutte contre le terrorisme, les limites actuelles de la Loi antiterroriste sont profondément enracinées dans des comportements qui étaient, autrefois, tout simplement précriminels.

Je ne comprends pas pourquoi nous ne cherchons pas d'abord à résoudre le problème de partage de l'information entre la GRC et le SCRS, problème que ce projet de loi ne résout pas, comme l'a dit M. Fogarty, avant de nous lancer dans de toutes nouvelles aventures comportant de prétendues tactiques de perturbation en guise d'outil antiterroriste ainsi que des comportements qui pourraient très bien violer la Charte si on arrive à convaincre un juge d'y donner son approbation.

Le sénateur Mitchell : Vous dites que s'ils pouvaient eux-mêmes prendre des mesures de perturbation, ils seraient vraisemblablement moins portés à transmettre les renseignements à la GRC pour qu'elle puisse prendre des mesures.

M. Forcese : C'est ce que je crois.

Le sénateur Mitchell : Ce serait un frein, en réalité.

M. Forcese : En effet, oui.

Le sénateur White : Les agences de sécurité d'autres pays ont un pouvoir de perturbation parce qu'elles ne sont pas soudées aux services de police de ces pays, et le SCRS et la GRC ne sont pas soudés ensemble non plus. En fait, nous avons entendu une description du groupe des 18 de Toronto que j'avais déjà entendue. J'étais le chef de police de la RGT quand nous avons travaillé à cette affaire. Les deux services n'étaient pas toujours soudés ensemble.

Le fait est qu'en un moment, quelque chose pourrait se produire, et sans le pouvoir de prendre des mesures de perturbation, vous risquez de devoir tout simplement regarder les choses se produire, tout comme M. Fogarty l'a décrit.

Mon point de vue concernant la perturbation est en fait très clair. Les mesures de perturbation ne vont pas se substituer à la transmission de renseignements à la GRC. On y recourra quand il est impossible de transmettre l'information à la GRC, parfois parce qu'il n'y a pas assez de temps. Est-ce logique selon vous?

M. Forcese : Oui, mais la question est de savoir ce qu'on entend par « perturbation ». Il y a confusion quant à la définition.

Quand je discute de cela avec des collègues au Royaume-Uni, en Australie et ailleurs — et M. Fogarty pourra vous en dire plus sur la situation au Royaume-Uni —, ce qu'ils soulignent, c'est qu'il faut des outils précis énumérés dans la loi, limités par la loi, qui leur permettent de faire plus que de la simple surveillance.

On a en Australie l'exemple du nouveau pouvoir conféré à l'ASIO d'intervenir dans un système informatique après avoir obtenu un mandat. Ce n'est pas une invitation ouverte à faire n'importe quoi sauf causer des lésions corporelles, faire entrave à la justice ou violer l'intégrité sexuelle d'une personne. C'est plutôt un outil soigneusement prescrit.

J'inviterais le Sénat à déterminer ce qu'il faut vraiment au service, puis à établir exactement les paramètres du pouvoir. Autrement dit, énumérer les pouvoirs plutôt que de tout simplement ouvrir toute grande la porte et dire : « Eh bien, c'est simplement tout ce que le service estime raisonnablement proportionnel. »

Le sénateur White : Vous n'êtes pas en train de dire, en réalité, que vous n'êtes pas d'accord sur le plan de la nécessité de mesures de perturbation?

M. Forcese : Non. Je ne suis pas contre le principe de la perturbation. M. Roach et moi avons essayé d'être clairs à ce sujet. Nous ne contestons pas les objectifs du gouvernement. Ce qui nous préoccupe, c'est la mise en œuvre.

À mes yeux, ce projet de loi ne permet pas de résoudre de nombreux problèmes. Il crée un nouvel ensemble d'énigmes, y compris la question d'ordre constitutionnel complexe dont nous parlions précédemment. Il nous semble qu'avec un peu d'effort, nous pourrions en arriver à un ensemble de dispositions codifiées qui répondraient aux besoins relatifs à la sécurité tout en réglant bon nombre des objections soulevées concernant les libertés civiles.

Le sénateur White : Merci beaucoup.

Le sénateur Kenny : J'aimerais aborder deux aspects. Le premier est la perturbation.

Le SCRS intervient en matière de perturbation depuis ses débuts. Cela fait partie de la façon dont nous en sommes venus à le percevoir. Franchement, on peut très bien faire valoir que la perturbation est un moyen bien plus utile que les solutions d'ordre juridique. Elle est certainement moins coûteuse et peut, elle, prévenir les événements.

À mes yeux, le projet de loi protège les mesures de perturbation qui existent déjà et il garantit qu'un agent du SCRS ne devra pas, à un moment donné, se défendre devant un juge d'avoir fait quelque chose d'inapproprié. C'est là la définition. Puis-je avoir une réaction à cela?

M. Fogarty : L'un des principes de la perturbation, c'est qu'il n'y a aucun doute dans mon esprit concernant la nécessité de donner à notre service du renseignement de sécurité une capacité de perturbation. Il n'y a aucun doute là- dessus.

Ce dont il est question est un peu différent. Il y a une nuance, je pense. D'après mon expérience, la majorité écrasante des activités se prêtent au traitement que leur réserve le système de justice pénale. C'est parce que cela reflète les valeurs de la société que vous cherchez à protéger en tout temps, et c'est ce que votre service du renseignement de sécurité devrait faire. Il n'est pas question de dire que vous ne devriez pas avoir un pouvoir de perturbation, mais plutôt de vous demander dans quelle mesure il faut donner cette possibilité.

Je vais revenir à mon expérience. Si un parlementaire du Royaume-Uni demandait : « Aimeriez-vous avoir le pouvoir, sous mandat, d'enfreindre la Loi sur les droits de la personne ou la Déclaration des droits? », la réponse serait : « Non, merci. » La raison de cela, c'est que si vous avez déjà une excellente relation avec les organismes d'application de la loi, vous avez déjà résolu au moins 90 p. 100 de votre problème et les mesures auxquelles vous avez accès vous permettent de régler le reste du problème.

Ce n'est pas une question de principe. Ce n'est qu'une question d'échelle. C'est au Parlement qu'il appartient de décider de l'échelle que vous voulez donner au SCRS, au fond.

M. Leuprecht : Nos organisations au sein du gouvernement fédéral ont des pouvoirs extraordinaires, notamment les Forces armées canadiennes, lesquelles ont un système de perfectionnement professionnel du berceau au tombeau qui leur permet de veiller à ce qu'ils soient utilisés convenablement.

Une des choses qui me préoccupent, c'est que la discrétion que le pouvoir de perturbation donne au SCRS n'est pas harmonisée avec le système de perfectionnement professionnel du SCRS ni avec le code du secteur de la sécurité nationale du gouvernement parce qu'il n'y en a pas en ce moment. Nous avons peu de cours et de formation ponctuels.

Si nous voulons donner une aussi vaste discrétion, nous devons également veiller à ce que le perfectionnement professionnel soit convenable et corresponde à la discrétion que nous donnons aux agents.

Le sénateur Kenny : Ma deuxième question porte sur l'inspecteur général.

Monsieur Fogarty, je ne sais pas si vous aviez l'inspecteur général, quand vous étiez ici. Nous n'avons plus d'inspecteur général. Comment réagissez-vous à cela?

M. Fogarty : Je crois que Michael Doucet a mentionné cela devant un autre comité. Si le rôle du SCRS s'accroît, il faut naturellement augmenter la capacité d'examiner cela dans l'intérêt de tout le monde, y compris le SCRS. Honnêtement, c'est le SCRS qui dira si cela fonctionne convenablement, car c'est lui qui a hérité du rôle d'inspecteur général. Je reviens à la question fondamentale à savoir si c'est le bon système pour commencer, et à quel point l'examen parlementaire entre en jeu.

Je ne sais pas si cela répond bien à la question.

Le sénateur Kenny : J'ai toujours vu l'inspecteur général comme étant la dernière protection que le ministre de la Sécurité publique avait — le canari dans la mine de charbon, en quelque sorte. J'ai été abasourdi de voir le ministre du moment abolir cela. C'était sa protection. Il me semble que s'il veut veiller à ce que le gouvernement actuel et les gouvernements futurs aient un système d'avertissement rapide, c'est la bonne solution, et c'est une assurance peu coûteuse.

M. Fogarty : Je suis d'accord.

Le sénateur Kenny : Ce sont mes opinions. J'aimerais connaître les vôtres.

M. Fogarty : Je ne crois pas que cela signifie nécessairement qu'il faut rétablir le poste d'inspecteur général. Ce n'est pas nécessairement le cas. Voulez-vous avoir la capacité d'obtenir un examen bien éclairé de ce qui se passe? Oui, sans aucun doute. Si vous étendez la portée des attributions d'une agence, est-ce qu'il vous semble que votre mécanisme d'examen actuel est adéquat? Non.

Le sénateur Runciman : J'aimerais avoir des éclaircissements de la part de M. Roach. J'ai noté une chose qu'il a dite précédemment, et j'ai peut-être mal entendu, mais je pense qu'il était question des modifications au Code criminel et du paragraphe 83.22(1). J'ai noté cela rapidement — que la nouvelle infraction pourrait s'appliquer à des journalistes qui citent les commentaires de djihadistes ou de personnes qui encouragent les gens à envoyer de l'argent à des terroristes. Est-ce que je vous cite bien?

M. Roach : Oui, et je serai ravi de vous expliquer comment le libellé du projet de loi aurait cet effet.

Le sénateur Runciman : Selon la lecture que je fais de cela, les mots clés sont « sciemment... préconise ». Je pense que dans une telle situation, si une personne préconise sciemment, par exemple, d'envoyer de l'argent à des terroristes, nous trouverons tous que c'est problématique. Pas vous?

M. Roach : Eh bien, non. Ce que je dis, c'est qu'en raison de l'utilisation du mot « sciemment » plutôt que du mot « volontairement », il serait possible qu'un journaliste sache que ce qui est publié comporte le risque — ce qui correspond au principe de l'insouciance — d'amener quelqu'un à commettre un acte terroriste dans le sillage de la communication.

Je n'ai pas eu à partir à la recherche d'une telle hypothèse, sénateur. Si on avait utilisé « volontairement » au lieu de « sciemment », comme on l'a fait dans le paragraphe 319(2) du Code criminel quand on parle de fomenter volontairement la haine, mon hypothèse serait nulle. Mais puisqu'on a délibérément utilisé le mot « sciemment » — je le présume —, je fais quelque chose sciemment même si je ne veux pas que quelque chose se produise si je sais qu'il y a une probabilité. C'est ce qui me préoccupe.

Le sénateur Runciman : Ce n'est pas une chose qui me préoccupe. Je suis content que vous ayez éclairci cela. Merci.

M. Roach : Puis-je ajouter quelque chose? M. Fogarty et moi avons discuté de cela. Ce qu'il décrit — et je veux simplement le rappeler au comité —, c'est qu'il s'agit du problème de conciliation du renseignement et de la preuve dont le juge Major a parlé ailleurs et, manifestement, dans son rapport de 2010. Je suis tout à fait d'accord avec l'analyse que fait M. Fogarty après avoir travaillé pendant quatre ans à cette question dans un environnement classifié.

En fait, le nouvel amendement du gouvernement qui dit que le SCRS n'a pas de pouvoir d'application de la loi a pour effet d'aggraver le problème de la perturbation possible en tant qu'élément restreint d'une stratégie complète de lutte contre le terrorisme.

Nous avons quatre nouvelles infractions, et c'est la raison pour laquelle M. Forcese et moi disons constamment de ce projet de loi, depuis son dépôt, qu'il ne va pas que menacer les droits; il va menacer la sécurité parce que ce qu'il va faire, c'est donner au SCRS le pouvoir de continuer de prendre des décisions peut-être rationnelles au sujet des menaces pour la sécurité sans devoir le dire à la GRC et à d'autres corps de police. Cela confirme que le SCRS va continuer de ne pas appliquer la norme de preuve, alors que M15, son pendant au Royaume-Uni, le fait. Cela va donner lieu à un système de justice parallèle — oui, un système de justice dans le cadre duquel on obtiendra l'approbation d'un juge de la Cour fédérale lors d'une audience à huis clos et on aura des jugements fortement caviardés et des mandats que nous ne verrons jamais.

Mais si, en fin de compte, vous voulez appliquer les 15 infractions et démontrer que le Canada s'oppose au terrorisme, mais ce, équitablement dans le cadre d'un procès public, ce n'est pas ce que vous aurez avec le projet de loi C-51. Rien dans le projet de loi C-51 ne facilite la conversion du renseignement en preuve.

Le gouvernement a demandé au juge Major de se pencher sur la question et il y a consacré quatre ans. Il a de sérieuses réserves au sujet de ce projet de loi, sur le plan de la sécurité. C'est une chose de rejeter cela sous prétexte que ce sont les suspects habituels qui se préoccupent des droits. Franchement, je ne serais pas ici à plaider cela — et je l'ai dit quand j'ai comparu devant le comité avant — si je ne pensais pas véritablement que ce projet de loi conjugué au projet de loi C-44 aura l'effet non voulu de rendre plus difficiles les poursuites relatives au terrorisme. Comme M. Fogarty vous l'a rappelé, parce que vous n'avez pas accès à des renseignements classifiés, vous pourriez ne jamais savoir que cela a cet effet.

Si c'est la voie que nous allons suivre, ayez à tout le moins l'humilité de dire qu'il faudrait revoir tout cela au bout de trois ans.

Le président : Chers collègues, il est 17 h 15. Avant de lever la séance, je veux faire une observation et je veux réitérer ce que j'ai dit précédemment au sujet de la façon dont nos agences travaillent ensemble et au sujet de leur collaboration dont nous avons été témoins. Nous en sommes tous revenus beaucoup plus confiants qu'avant notre visite.

Le sénateur Kenny : Je précise respectueusement que j'allais faire un commentaire à ce sujet, mais que je me suis retenu. Puisque vous revenez là-dessus, je tiens à dire que le tiers du comité n'y était pas et que c'était la première fois que le comité visitait un bureau régional du SCRS, et la première fois en trois ans que le comité visitait l'EISN. Ce n'est donc pas comme si le comité avait acquis une profonde expertise de cela.

Le président : De toute évidence, nous sommes en train d'en apprendre sur notre système et sur les diverses agences. Je pense que nous pouvons tous dire que nous en sommes revenus beaucoup plus confiants qu'avant notre visite. C'est du moins mon cas et celui des autres membres auxquels j'ai parlé, et je me rappelle vous avoir aussi entendu dire...

Le sénateur Kenny : J'ai dit qu'il y avait beaucoup à faire.

Le président : Il est 17 h 20. Je vous remercie tous beaucoup de cette séance très animée. Vous avez présenté beaucoup d'information au public. Cette information fera l'objet de mûres réflexions pendant notre étude du projet de loi.

Encore une fois, monsieur Roach, je vous remercie d'avoir passé ce temps dans ce que je présume être une petite pièce munie d'une caméra vidéo. Je vous remercie de votre patience.

Les témoins sont maintenant libres de partir.

(La séance est levée.)


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