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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 30 - Témoignages du 25 mars 2015


OTTAWA, le mercredi 25 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi S-208, Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie et je viens de la Nouvelle-Écosse. Je préside le comité et je vais inviter mes collègues à se présenter eux-mêmes, en commençant par les sénateurs à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto, vice-président du comité.

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : James Cowan, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Nancy Ruth : Nancy Ruth, de l'Ontario.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Raine : Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le président : Je vous remercie, chers collègues. Avant de souhaiter la bienvenue à nos visiteurs aujourd'hui, je rappelle que nous sommes ici pour étudier le projet de loi S-208, Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice.

Tout comme nous l'avons fait pour les séances précédentes portant sur ce sujet et comme en a convenu le comité directeur, nous vous demanderons de poser une question à la fois, en rondes successives. Lorsque vous posez votre question, si vous voulez en poser une autre, indiquez-le immédiatement et vous pourrez passer à la ronde suivante.

Cela étant entendu, je suis très heureux d'accueillir nos visiteurs aujourd'hui. Comme convenu, je vais commencer par présenter Terry Coleman, chef de police retraité, qui représente l'Association canadienne des chefs de police.

Terry Coleman, chef de police à la retraite, Association canadienne des chefs de police : L'Association canadienne des chefs de police vous remercie sincèrement de l'occasion qui lui est donnée de prendre la parole aujourd'hui et de participer à cette importante discussion.

Comme vous l'avez entendu, je représente l'Association canadienne des chefs de police en tant que membre de son Comité sur les ressources humaines et l'apprentissage, qui est chargé de ce dossier, et ancien coprésident du Sous- comité de la police et la santé mentale. J'ai travaillé pendant 38 ans au sein de services policiers, notamment le Service de police de Calgary et celui de Moose Jaw, où j'ai occupé les fonctions de chef de police. Je suis également l'ancien sous-ministre des Services correctionnels, de la Sécurité publique et des Services de police du gouvernement de la Saskatchewan.

Je travaille actuellement comme consultant indépendant en sécurité publique, principalement en ce qui concerne les services de police ainsi que la santé mentale en rapport avec les services de police et les services correctionnels. À ce titre, je travaille aussi en étroite collaboration avec la Commission de la santé mentale du Canada.

Lorsqu'il a présenté ce projet de loi, le sénateur Cowan a cité un certain nombre de personnes, y compris notre ancien président, le chef de police Jim Chu, et mentionné de nombreuses statistiques, dont les 20 000 appels que reçoit chaque année le Service de police de Toronto.

Notre président actuel, le chef de la police de Saskatoon, Clive Weighill, regrette sincèrement de ne pas pouvoir être ici aujourd'hui. Il m'a cependant demandé de vous faire part de ce qui suit :

Les membres de l'Association canadienne des chefs de police et le grand public sont profondément convaincus que les personnes qui sont aux prises avec une telle maladie ont bien plus besoin du système de santé que du système de justice. Cette question retient l'attention de tous les dirigeants d'un service de police du Canada.

La maladie mentale est l'une des cinq grandes sources de préoccupation au sein des services de police du Canada. Nous ne pouvons pas nous permettre de sous-estimer l'importance de ce problème pour les services de police et encore moins pour la population que nous servons. Les policiers sont, de facto, les premiers répondants pour les situations de crise en santé mentale et autres situations liées aux troubles mentaux et à la maladie mentale qui surviennent dans nos collectivités, et ce, à toute heure du jour, tous les jours de la semaine.

Le travail des policiers d'aujourd'hui ne se limite plus seulement aux interventions en cas de crime. Ils doivent souvent pallier les lacunes des systèmes sociaux comme les services sociaux et le système de santé. Ils doivent composer avec les symptômes de problèmes sociaux plus vastes.

En général, seulement 20 p. 100 des appels destinés aux services de police ont réellement un lien avec la criminalité. La très grande majorité des appels d'urgence découlent de problèmes sociaux, notamment de problèmes de maladie mentale, de consommation et de toxicomanie.

Une étude réalisée récemment par un détachement de la GRC en Colombie-Britannique a permis de déterminer que, au cours d'une période de quatre ans, sur l'ensemble du territoire du détachement, huit personnes ayant des besoins en santé mentale étaient à l'origine de pas moins de 1 500 appels aux services policiers.

De nombreuses personnes se concentrent sur la diminution du taux de criminalité au pays, mais cet aspect ne représente qu'une partie des responsabilités des services de police canadiens. De façon générale, le nombre d'appels aux services policiers continue d'augmenter, et les interactions avec des personnes atteintes de maladie mentale ou ayant des problèmes de santé mentale semblent représenter une grande proportion de ces appels, auxquels on doit par conséquent consacrer des ressources considérables.

Reconnaissant le besoin impérieux pour les services policiers de se pencher sur les questions de santé mentale, l'Association canadienne des chefs de police s'est associée à la Commission de la santé mentale dans le cadre d'un certain nombre de projets au cours des 10 dernières années, notamment la présentation de deux importantes conférences nationales portant sur ce sujet.

D'abord, en mars 2014, 350 représentants des chefs de file du domaine de la justice pénale et de la santé mentale, chercheurs et personnes ayant été touchées par la maladie mentale se sont réunis à l'occasion d'une conférence ayant pour titre « D'une situation de crise à l'instauration de changements fondamentaux : améliorer les interactions policières avec les personnes ayant une maladie mentale ». Les participants ont pu discuter des mesures efficaces, des approches à améliorer et des pratiques prometteuses et ont cherché à trouver des réponses novatrices à la question « Comment rendre plus sécuritaires les interactions entre les personnes ayant une maladie mentale, les corps policiers et nos collectivités? »

La conférence a permis de mettre en lumière un grand nombre de pratiques prometteuses, telles les équipes d'intervention en cas de crise, qui sont composées de policiers et de professionnels de la santé mentale qui interviennent conjointement, et que l'on trouve le plus souvent dans les grands centres urbains, de même que l'approche HUB, qui est très répandue en Saskatchewan à l'heure actuelle. Celle-ci regroupe un vaste éventail de services communautaires des domaines de la police, de la santé, des services sociaux et de l'éducation dans le but de favoriser une intervention commune et précoce lorsqu'une personne semble être à risque.

La conférence a donné lieu à une série de recommandations en vue de l'établissement d'un nouveau cadre national relatif à la formation et à la sensibilisation des policiers destiné à être adopté par les forces policières canadiennes ainsi qu'à la publication du rapport TEMPO, que j'ai rédigé en collaboration avec la Dre Dorothy Cotton et qui vise à servir de plan pour un programme de formation approfondi et de sensibilisation dont il a déjà été question devant votre comité, si je ne me trompe pas. Ce rapport a été approuvé par l'Association canadienne des chefs de police et la Commission de la santé mentale en août dernier.

Le mois dernier, l'Association canadienne des chefs de police, l'ACCP, et la Commission de la santé mentale ont parrainé conjointement une deuxième conférence couronnée de succès, qui avait pour titre « La Conférence sur la préparation mentale : Stratégies de santé et sécurité psychologiques dans les organisations policières ». L'activité, à laquelle 250 personnes ont assisté, visait à reconnaître que pour bien servir la population, nous devons d'abord prendre soin de nous. Elle a notamment permis de lancer un appel à tous les services de police du Canada et aux entités qui en assurent la gestion pour les inciter à mettre en place une stratégie claire et cohérente visant le bien-être mental de leurs membres et de leur personnel.

L'ACCP applaudit sans réserve à l'objet du projet de loi et à la reconnaissance des répercussions souvent néfastes de l'équation santé mentale et système de justice. Il s'agit d'une question complexe.

Faudrait-il élargir le rôle de la Commission de la santé mentale du Canada ou créer une nouvelle commission canadienne, qui s'occuperait à la fois de santé mentale et de justice? Nous reconnaissons et soulignons le fait que la Commission de la santé mentale a vu le jour grâce aux efforts de votre comité. L'ACCP, qui a un mandat de 10 ans venant à échéance en 2017, estime que la Commission de la santé mentale du Canada a besoin d'un mandat permanent et élargi qui inclut plus concrètement les interactions entre la santé mentale et le système de justice pénale.

La Commission de la santé mentale s'est beaucoup préoccupée de la rencontre de ces deux univers jusqu'à présent et son travail a permis de réaliser de nombreuses recherches, d'élaborer des lignes directrices et de favoriser l'échange de connaissances.

La Commission de la santé mentale ne devrait pas se trouver devant un avenir incertain. On devrait en outre lui accorder un mandat lui qui permettrait de jouer un rôle catalyseur pour que la recherche nécessaire s'effectue. Ce domaine constitue une grande lacune au Canada, et je crois que vous avez déjà reçu le mémoire d'un groupe dont la Commission de la santé mentale et moi-même faisions partie, qui recommandait l'élaboration d'un programme national de recherche sur la santé mentale, la justice et la sécurité.

Compte tenu de la nature complexe du problème, il est nécessaire d'adopter une approche stratégique pour obtenir de réels changements. Une approche fondée sur les systèmes s'impose également pour faire en sorte que nos partenaires en santé mentale de première ligne disposent des ressources et du financement nécessaires pour améliorer la situation pour toutes les parties en cause dans les interactions entre les forces policières et les personnes ayant des problèmes de santé mentale. En fait, on cherche surtout à améliorer le sort des personnes ayant connu des problèmes de santé mentale.

Nous devons tous passer d'un modèle d'intervention en cas de crise à un modèle de prévention de crise, ce qui suppose que les acteurs collaborent entre eux afin de trouver une solution concertée au lieu de constamment essayer de traiter les symptômes. Le système de justice pénale ne permettra pas de régler ce problème à lui seul. Il faut plutôt miser à la fois sur le système de justice pénale et le système de soins de santé ainsi que d'autres systèmes sociaux.

Nous vous remercions d'avoir soulevé cette importante question, et je répondrai avec plaisir à vos questions le moment venu. Merci beaucoup.

Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Coleman.

Je souhaite maintenant la bienvenue à Anita Szigeti, présidente du portefeuille de la santé mentale de la Criminal Lawyers' Association.

Anita Szigeti, présidente, Portefeuille de la santé mentale, Criminal Lawyers' Association : Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs de cette occasion qui m'est donnée de parler du projet de loi visant à constituer la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice. Je témoigne aujourd'hui au nom de la Criminal Lawyers' Association, dont je préside le portefeuille de la santé mentale.

La CLA, qui compte actuellement plus de 1 300 membres, est l'un des plus gros organismes juridiques spécialisés du Canada. L'association s'est toujours intéressée de près aux questions de santé mentale et de justice pénale et possède une expertise reconnue en la matière. Nos membres représentent des clients ayant de graves problèmes de santé mentale devant les tribunaux pénaux de même que des personnes ayant été jugées inaptes à subir un procès ou déclarées non criminellement responsables qui se retrouvent chaque jour devant les commissions d'examen provinciales et territoriales. Nous représentons également des clients qui interjettent appel devant toutes les instances.

En 23 ans de carrière, j'ai représenté plus de 6 000 clients atteints de graves troubles mentaux. J'ai également participé à plus d'une dizaine d'enquêtes sur la mort de personnes atteintes de maladie mentale. Au moins cinq de ces enquêtes visaient à déterminer pourquoi une personne s'était suicidée dans un milieu sécurisé, que ce soit dans un établissement de détention ou un institut psychiatrique. Les autres enquêtes portaient sur le décès de personnes en situation de crise mortes aux mains de la police.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais présenter trois principes directeurs adoptés par notre association en ce qui concerne les questions soulevées par le projet de loi S-208.

La CLA convient que, de façon générale, les personnes atteintes d'une grave maladie mentale devraient, premièrement, être tenues à l'écart du système de justice pénale lorsque c'est possible; deuxièmement, ne pas être emprisonnées lorsque c'est possible; et troisièmement, ne pas être internées dans des hôpitaux psychiatriques lorsque c'est possible. Autrement dit, lorsque la situation le permet, ces personnes devraient recevoir le soutien dont elles ont besoin dans la communauté, notamment sous la forme d'un logement adéquat, de prestations de maintien du revenu, ainsi que d'un soutien professionnel et éducatif. On devrait également leur fournir un accès à des traitements et à un suivi et à des soins psychiatriques, si elles le désirent.

Une chose est cependant essentielle pour la CLA : les clients atteints de maladie mentale sont des êtres humains autonomes dont les décisions devraient et doivent être respectées. Cela signifie que les avocats qui représentent ces clients devant un tribunal pénal doivent suivre les directives de ces derniers, et ce, à toutes les étapes de la procédure judiciaire, depuis la libération sous caution jusqu'au plaidoyer, et en ce qui concerne la décision de réclamer ou d'accepter un verdict de non-responsabilité criminelle. Une exception à ce modèle de défense fondée sur les directives du client est prévue uniquement pour les personnes qui ont été jugées inaptes à subir un procès.

L'autre élément important, c'est que chaque personne vit des circonstances uniques et que la solution qui lui est proposée doit être personnalisée en fonction de ses besoins, surtout une fois qu'elle a été en contact avec le système de justice pénale.

Je tiens à souligner ces points parce que la CLA est préoccupée par le fait que chaque fois qu'une analyse systémique quelconque est proposée, on assiste à une tendance consistant à se tourner vers la justice thérapeutique et à orienter le système de justice vers une approche davantage axée sur la médicalisation, où la médication psychiatrique est considérée comme la principale forme de traitement et où des éléments comme l'intervention précoce sont trop souvent imposés de force.

Cela dit, la CLA se réjouit de voir les nombreuses mesures prévues dans le projet de loi qui reconnaissent l'importance des déterminants sociaux de la santé plutôt que de préconiser la médication comme seule solution.

La CLA appuie la création d'une commission nationale de la santé mentale et de la justice, et ce, pour trois raisons. Premièrement, nous convenons que les problèmes que vivent les personnes atteintes de maladie mentale qui ont des démêlés avec la justice pénale atteignent des proportions effarantes et que pour les régler, il faut des personnes spécialisées dans le domaine et une solution globale. Deuxièmement, nous reconnaissons qu'un mandat législatif est nécessaire pour obtenir des résultats concrets. Troisièmement, nous appuyons l'objectif général du projet de loi, tel qu'il est énoncé dans le préambule et qui, dans l'ensemble, propose une optique fondée sur les droits et une approche visant à réduire la stigmatisation et à respecter l'autonomie et la dignité de la personne au centre de la tourmente. Nous vous en félicitons.

Nous avons cependant quelques réserves à l'égard de certaines dispositions du projet de loi.

D'abord, selon le projet de loi, le conseil consultatif devrait comprendre soit un client ayant lui-même été pris en charge par le système de justice pénale ou un proche parent d'une telle personne. Nous ne croyons pas que ce devrait être l'un ou l'autre. La CLA estime que la commission doit inclure les personnes ayant de graves troubles mentaux qui ont ou ont déjà eu des démêlés avec la justice pénale ou encore qui se sont déjà retrouvées devant une commission d'examen. Le point de vue des membres de la famille ne saurait se substituer au vécu même de la personne en question.

Ensuite, selon le projet de loi, les membres du conseil consultatif ne seraient pas payés pour leur temps. La CLA estime que si cette mesure demeure inchangée, la commission ne pourra pas compter sur les personnes qui possèdent réellement de l'expérience et des connaissances spécialisées dans le domaine, puisque celles-ci ne pourraient pas se permettre de participer aux travaux du conseil. Cela inclut non seulement les clients, les survivants eux-mêmes, mais aussi souvent les membres de notre propre association qui ne sont pas des travailleurs salariés mais qui pratiquent plutôt le droit de façon autonome ou au sein de petits cabinets ou encore qui travaillent pour ce groupe de clients moyennant les honoraires versés par l'aide juridique. À cet égard, nous croyons qu'il serait essentiel de faire appel à des avocats de la défense qui possèdent une vaste expérience et de grandes compétences dans la représentation de ce groupe de clients extrêmement vulnérables pour participer aux travaux d'une éventuelle commission de la santé mentale et de la justice. Nous croyons que nos avocats possèdent un point de vue qui est unique à nos membres et qui diffère de celui des procureurs de la Couronne ou des théoriciens. Nous sommes très heureux de voir que le projet de loi prévoit une représentation équilibrée de la santé et de la justice au sein de la commission, mais nous tenons à souligner que les avocats de la défense ont un rôle essentiel à jouer dans le mandat de cette commission.

Enfin, il est suggéré que les intervenants du système de justice soient formés de manière à pouvoir dépister les problèmes de santé mentale. La CLA soutient respectueusement que ces personnes devraient d'abord être renseignées sur le droit des troubles mentaux, surtout les avocats de la défense. Les maladies mentales graves ne sont pas difficiles à reconnaître. Le défi pour les avocats sur le terrain consiste non pas à déterminer qui est atteint de maladie mentale mais plutôt à représenter leur client selon ses directives et en respectant sa volonté, comme ils le feraient pour tout autre client, au lieu d'outrepasser leurs pouvoirs et de prendre des décisions qu'ils estiment être dans l'intérêt du client compte tenu de sa situation.

Un grand défi, sans doute le plus grand, auquel nos avocats font face lorsqu'ils essaient de représenter adéquatement cette population vulnérable est le sous-financement chronique de l'aide juridique, en Ontario et partout au Canada. Nous espérons que la commission s'attaquerait à ce problème et qu'elle reconnaîtrait que le travail des avocats qui défendent des personnes atteintes d'une maladie mentale grave est important et qu'il devrait être rémunéré de manière à permettre aux avocats de continuer à servir cette population assez longtemps pour développer une expertise dans le domaine, en vue de représenter avec compétence les clients qui ont des démêlés avec la justice pénale. Il ne faut pas oublier que 99,9 p. 100 des clients atteints de troubles mentaux qui se retrouvent devant un tribunal pénal n'ont pas les moyens de se payer un avocat et qu'ils doivent recourir au régime d'aide juridique ou à un avocat de l'aide juridique, lorsqu'il y en a.

Soyons clairs : ce que nous proposons n'a pas pour but d'enrichir les avocats de la défense. Si nous soulevons cette question, c'est parce que nous estimons que l'incapacité de trouver un avocat constitue le plus grand défi que doivent relever les contrevenants atteints de troubles mentaux dans le système de justice pénale. Trop souvent, ils ne peuvent pas avoir l'avocat de leur choix pour les représenter selon leurs directives. De fait, de nombreux avocats d'expérience ont cessé de servir cette clientèle lorsque le financement de l'aide juridique a été réduit et qu'il est devenu impossible pour eux de représenter ces clients de façon responsable, professionnelle ou éthique. Il faut bien comprendre que les avocats qui servent ce genre de clients consacrent au moins trois fois plus de temps à leur dossier qu'ils le feraient pour un autre client et qu'ils finissent donc par assurer la majorité des services gratuitement ou presque. À la longue, cette situation représente un défi de taille pour le barreau.

À notre avis, ces clients ont besoin d'un avocat spécialisé et expérimenté qui pourra obtenir que leur cause soit traitée autrement que par les voies de la justice criminelle et de la prison, défendre leur droit à la liberté et montrer qu'ils sont dignes de confiance. Plus que quiconque dans le système de justice pénale, ils méritent la plus forte représentation avec la plus grande protection de leurs droits, sur le plan procédural, parce qu'ils sont tellement vulnérables à tous points de vue. Il faut aussi leur attribuer un avocat avec qui ils choisiront de collaborer, parce qu'il faut beaucoup de temps pour bâtir une relation avec ces clients. Il faut gagner leur confiance et vraiment comprendre leur situation. Leur assigner au hasard un avocat de garde ou les assujettir au système de justice standard est une injustice pure et simple pour ces clients.

En terminant, j'en arrive aux documents que j'ai demandé qu'on vous distribue aujourd'hui, soit le rapport d'enquête sur G.A. et les mémoires présentés par la Criminal Lawyers' Association à Aide juridique Ontario concernant la stratégie de cet organisme en santé mentale. Ces deux documents soulignent et étayent tout ce que je viens de vous raconter, et illustrent les nombreux torts de la justice criminelle face aux clients ayant des troubles mentaux.

Je répondrai avec plaisir à toute question concernant ces documents ou autre chose. Je vous remercie de votre temps.

Le président : Merci beaucoup.

Je vais maintenant permettre à mes collègues de poser des questions. Je rappelle à tous que cette séance doit se terminer au plus tard à 17 h 15. Je répète que chacun ne pourra poser qu'une seule question à la fois, mais que nous ferons plusieurs tours de table. Je donne la parole au sénateur Cowan.

Le sénateur Cowan : Merci de votre contribution à cette importante discussion. Ma question est plutôt une demande de précision que j'adresse à M. Coleman.

D'après ce que vous avez dit au nom de votre association, vous seriez d'accord avec Mme Szigeti sur le fait que ces questions dont traite le préambule du projet de loi exigent qu'on y porte plus d'attention et qu'il faudrait qu'elles soient traitées comme un enjeu national, ou qu'elles fassent l'objet d'un leadership national, si je peux m'exprimer ainsi. Vous vous demandez si la création d'une commission distincte et indépendante est le bon moyen de traiter ces questions, ou s'il serait préférable d'accorder un mandat élargi à la Commission de la santé mentale du Canada en lui conférant un mandat officiel à long terme. Comme vous le disiez, son mandat, pour le moment, vient à échéance en 2017. Bien sûr, il faudrait aussi lui accorder les ressources lui permettant de faire le travail. Nous avons entendu la Commission de la santé mentale. Elle nous a dit qu'elle était prête à assumer un tel mandat. De toute évidence, elle n'a pas pu accomplir tout ce qu'il aurait fallu parce qu'elle fait du bon travail dans tellement d'autres domaines et que son mandat arrive à échéance. Ai-je bien compris votre position, monsieur?

M. Coleman : Tout à fait. Je ne parlerais pas seulement d'un plus long mandat pour, par exemple, la Commission de la santé mentale. Je dirais plutôt qu'il faut un mandat inscrit dans la loi, pour qu'il ne risque pas de disparaître selon les ressources disponibles et les vœux du gouvernement de l'heure.

Le sénateur Cowan : Merci.

Le sénateur Eggleton : Madame Szigeti, vous avez expliqué très clairement pourquoi le projet de loi S-208 méritait d'être appuyé. Selon vous, il définit très clairement l'enjeu et prévoit le genre de ressources qu'il faut, mais vous avez parlé ensuite de la nécessité d'avoir un bon avocat, et vous avez dit que les compressions dans le système d'aide juridique font qu'il est difficile de trouver des gens qui sont capables de représenter adéquatement les personnes ayant une maladie mentale. Cela relève surtout de la compétence des provinces, du moins en ce qui concerne le financement, mais de toute évidence beaucoup de ces personnes se retrouveront dans un établissement fédéral. Si le comité voulait présenter des recommandations sur cette question en particulier, que devrait-il recommander au juste?

Mme Szigeti : Vous pouvez toujours recommander une augmentation du financement fédéral aux régimes d'aide juridique provinciaux. Il existe déjà un tel financement. Une chose est sûre, c'est que les personnes ayant de graves troubles mentaux qui sont aux prises avec la justice criminelle ne pourront pas obtenir justice si elles n'ont pas un avocat spécialisé et compétent qui peut les représenter comme elles le désirent. Si vous créez une commission entièrement dédiée aux besoins en santé mentale, en services sociaux ou autres, il y aura toujours des gens qui seront aux prises avec la justice criminelle. Quand cela se produit et que ces personnes font face à des accusations devant un tribunal, elles ont besoin d'un avocat qui sait ce qu'il faut faire. Elles ont besoin d'une personne qui les écoute, et l'avocat est souvent la seule personne dans le système qui respectera leur autonomie.

Je ne sais pas ce que vous pouvez faire à ce sujet. Vous reconnaissez l'existence du problème et vous vous assurez qu'il y ait du financement. Vous vous assurez qu'il existe une formation, puisque le projet de loi envisage que de la formation soit offerte aux intervenants du système de justice pénale. Vous vous assurez que tout avocat œuvrant dans le système qui se voit assigner un tel client soit compétent et capable d'utiliser les meilleures ressources du système de justice en ce qui a trait aux troubles mentaux.

La sénatrice Merchant : Merci à vous deux d'être ici et de représenter la police et l'association des avocats.

Vous venez de parler de formation, tant dans le secteur de la police que pour les gens qui représentent ces clients. La police a-t-elle une certaine formation concernant ces cas, dans le cadre de ses études? Les avocats ont-ils une formation à cet égard à l'école de droit ou pendant leur stage? Quel serait le meilleur endroit pour eux, pour recevoir une telle formation, et comment fait-on le lien entre eux et l'association pour la santé mentale ou un organisme comme celui qui est suggéré dans le projet de loi, ou un mélange des deux? Pouvez-vous nous l'expliquer un peu?

M. Coleman : Mme Cotton et moi-même avons fait beaucoup de travail au nom de la Commission de la santé mentale dans ce domaine. Nous avons réalisé notre première étude en 2008 et notre deuxième en 2010. La plus récente a été réalisée en 2014 sur ce sujet particulier. Cela se trouve sur notre site web. Je ne m'étendrai pas sur ce qu'elles disent. Vous pouvez vous en servir si vous choisissez de le faire.

Je vais vous dire une chose. En 2008, nous avons examiné tous les collèges d'enseignement des techniques policières au Canada, et nous avons constaté que la formation dans ce domaine était inégale. À cette époque, Terre-Neuve avait connu deux crises ayant abouti à une enquête. Cette province donnait, en collaboration avec l'Université Memorial, un bon programme d'une semaine de 40 heures ayant une large portée. Par contre, dans beaucoup d'autres endroits au pays, les collèges et les écoles n'offraient qu'une demi-journée. C'était une formation de base insuffisante, à notre avis.

En 2010, nous avons recensé tout le pays pour savoir quels programmes de perfectionnement étaient offerts au personnel de la police dans le cadre du travail — car il n'y a pas que les policiers en cause. Il faut offrir une formation adéquate aux gens qui prennent les appels et les renvoient, à ceux qui sont chargés des services aux victimes, et aux autres.

Nous l'avons fait une deuxième fois et avons constaté une certaine amélioration en 2010, surtout en ce qui a trait à la formation offerte dans le cadre du travail, mais certaines choses laissaient encore à désirer. Nous avons publié ces constats et les avons portés à l'attention des chefs de police.

En 2014, nous l'avons fait de nouveau et avons constaté une amélioration importante. Il y avait encore du retard à rattraper à certains endroits mais, dans l'ensemble, cette formation était assez valable.

Cela nous amène à cette question : à quel point le contenu de cette formation est-il retenu, et comment est-il mis en pratique par la suite? Le fait que cette formation existe et qu'elle soit mieux conçue pour des étudiants adultes, la prestation des cours faisant appel à divers médias, donne l'impression qu'elle est plus efficace dans l'ensemble. À une époque, elle prenait la forme de cours magistraux, ce qui n'était pas très utile.

J'ai parlé du cadre TEMPO. C'est ce que l'Association des chefs de police et la Commission de la santé mentale du Canada ont adopté comme cadre pour la formation du personnel policier au Canada. Il est fondé sur nos constatations quant à ce qui est fait dans notre pays, sur une recension des recherches à l'échelle internationale et sur les pratiques d'autres pays.

On a fait quelques travaux préliminaires pour déterminer l'efficacité de la formation du personnel policier. Il existe un projet devant être mené sur cinq ans, aux États-Unis. Il est en cours depuis un an et demi, et nous avons hâte d'en connaître les résultats.

Chez nous, il n'y a pas assez de recherches qui sont faites sur cette question en lien avec le système de justice pénale, surtout dans le domaine des interventions policières et du système correctionnel.

Mme Szigeti : Je vais prendre un moment pour parler de la formation des policiers. J'ai travaillé un an et demi à des enquêtes sur des situations impliquant des malades en crise où des policiers avaient utilisé leur arme. Le Service de police de Toronto, par exemple, reçoit une formation extraordinaire. Les nouvelles recrues suivent une formation donnée par des survivants, des clients qui ont été en crise. Cette formation est fantastique. Une partie de la difficulté tient au fait que le service de police local arrive après la Police provinciale de l'Ontario. Or, ce service policier travaille dans un esprit complètement contraire à celui du service de Toronto. Les policiers de la PPO acquièrent un bagage de connaissances très différent. Ils apprennent que les malades mentaux sont dangereux, puis ils apprennent qu'ils ne le sont pas. L'enquête nous a permis de découvrir que nos clients se font encore blesser par balle quand ils sont en crise, parce qu'ils brandissent un petit couteau ou un petit marteau.

Le message se perd en partie au niveau des divisions. Nous pensons que les recrues reçoivent une bonne formation, mais ces connaissances doivent être rafraîchies auprès des policiers en poste, parce que la culture policière prend le dessus chez les policiers sur le terrain, s'il n'y a pas de rafraîchissement obligatoire. J'en connais davantage sur la formation des policiers que sur la formation des avocats, mais Terry Coleman en sait encore beaucoup plus que moi évidemment.

Concernant la formation des avocats, je ne sais pas que dire d'autre que le fait que cela relève de moi et de mon association, la Criminal Lawyers' Association. Il y a quelques semaines, deux de mes collègues et moi avons coprésidé une journée de formation sur le droit et les troubles mentaux en cour criminelle. Elle a reçu un accueil incroyable. Nous avons eu 200 inscriptions, et les gens avaient soif d'apprendre. Ils étaient très attentifs. Mais ce genre de formation n'existe pas si nous ne l'offrons pas nous-mêmes. Elle n'est pas obligatoire et n'est pas enseignée à l'école de droit. En fait, on n'apprend pas grand-chose au cours des études en droit, du moins rien qui ait une valeur pratique.

Je vais faire de l'annonce pour Aide juridique Ontario. Cet organisme travaille actuellement à une stratégie en santé mentale. C'est tout à son honneur. Cela nous pose cependant quelques problèmes. Mais nous sommes des avocats; nous voyons des problèmes partout. Aide juridique Ontario veut s'assurer que les avocats qui obtiennent un certificat d'aide juridique aient une formation en santé mentale. Mis à part cette formation, le reste dépend de nous, et nous nous en occupons pour les membres de notre association. Nous ne pouvons pas obliger les autres à la suivre, mais nous croyons que les besoins sont immenses dans ce domaine, surtout pour les procureurs. Il faut que l'ensemble des procureurs comprennent mieux quand plaider la non-responsabilité criminelle, quand ne pas le faire et quelles sont les conséquences dans les deux cas. Les besoins en formation sont énormes. Avec tout le respect que je dois à Son Honneur, qui est le prochain témoin, les juges auraient besoin d'en apprendre un peu aussi.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie pour ces exposés. À vous deux, vous détenez un trésor d'expérience et de connaissances. Avez-vous travaillé avec la Commission de la santé mentale du Canada auparavant?

Mme Szigeti : Je vous remercie pour cette question. Je disais justement à M. Coleman, il y a un moment, que, étrangement, le sous-comité de la justice de la Commission de la santé mentale ne comptait aucun membre de l'Ontario. Nous avons dans notre province une vigoureuse organisation de défense des droits, sur les plans juridique et non juridique. Nous avons près de 1 400 membres. Pour une raison ou une autre, aucun de ces défenseurs des droits de l'Ontario n'est membre du sous-comité de la santé mentale et de la justice. L'accent est mis sur les régions de l'Ouest et de l'Est. Nous n'avons pas été consultés et n'avons pas eu notre mot à dire sur ces questions.

Mon collègue Archie Kaiser, d'Halifax, a fait un travail extraordinaire. Il est professeur de droit et se spécialise dans ce domaine. Mais le sous-comité de la santé mentale et de la justice de la Commission de la santé mentale ne se concentre pas sur la justice criminelle en soi. Il s'intéresse à la législation civile d'un bout à l'autre du pays. Il a aussi fait du bon travail sur des questions relatives à la police. Nous avons aussi le rapport d'Anne Crocker, qui a été utile pour ses statistiques sur la non-responsabilité criminelle. Malheureusement, nous n'avons aucun lien et nous ne sommes pas nécessairement particulièrement bien informés des résultats concrets, mis à part les travaux de Terry Coleman, que je connais. Nous avons donné des conférences ensemble. Dorothy Cotton et lui ont fait du très bon travail.

La réponse simple à votre question, c'est que, je ne sais pas pourquoi, mais on n'invite pas beaucoup l'Ontario à participer aux projets.

Le sénateur Enverga : Avez-vous essayé de les y inciter? A-t-on eu besoin de leur participation?

Mme Szigeti : La réponse courte est non.

La sénatrice Frum : Ma question est la suite logique de la précédente. Sachant maintenant que vous n'avez pas été consultée en tant qu'Ontarienne — et je suis aussi une représentante de l'Ontario — je peux vous dire que, lorsque la vice-présidente de la Commission de la santé mentale a témoigné, et vous avez peut-être vu son témoignage, elle a signalé que l'une des priorités de la commission était le système correctionnel et la justice. La commission réclame des mesures visant à empêcher que des personnes vivant avec des troubles mentaux se retrouvent aux prises avec le système correctionnel, à promouvoir les droits des personnes ayant une maladie mentale au sein du système judiciaire et correctionnel, à améliorer les politiques et les pratiques concernant les personnes ayant une maladie mentale au sein de ce système et à offrir un soutien adéquat à celles qui ont affaire au système de justice pénale. Je présume que vous jugez ces priorités assez raisonnables.

Mme Szigeti : Cela me convient en grande partie. Au début de mon exposé, j'ai dit que ce sont les objectifs, en général, tout en gardant à l'esprit que la personne est libre de ses décisions.

Il restera toujours des cas. Il n'est pas rare que la personne accusée ne soit pas libre de se tenir éloignée du système de justice. Les procédures de déjudiciarisation pour raisons de santé mentale peuvent parfois garder un accusé devant les tribunaux de neuf mois à un an, alors que s'il avait plaidé coupable, il aurait purgé sa peine et serait déjà libéré. C'est une nuance que je voulais apporter, mais dans l'ensemble, oui, nous partageons ces sentiments.

La difficulté, c'est que malgré tout le travail de la commission, et malgré certains excellents travaux — comme je le disais, le rapport et les statistiques présentés par Anne Crocker concernant la récidive sont vraiment utiles —, il faut encore travailler à l'atteinte de tous ces merveilleux objectifs.

Il m'importe peu de savoir qui y travaillera, mais je crois vraiment qu'il faut que ce soit fait en vertu d'un mandat législatif. On ne peut pas le faire en vertu d'un mandat qui arrive à expiration et n'existera plus dans un an ou deux. Il faut qu'un organisme y travaille en permanence, et il faut qu'une procédure garantisse la participation et la consultation des avocats de la défense ainsi que des gens du milieu qui travaillent de façon concrète avec ces clients.

Tout cela semble très beau. Malheureusement, si ce n'est pas fait en vertu d'une loi, c'est un tigre de papier, ce qui est réellement problématique.

C'est un enjeu si énorme, si important et si urgent. Je suppose que l'une des options est d'en confier le mandat à la Commission de la santé mentale. Si cela doit se produire, j'aimerais que la commission soit modifiée sur le plan de sa constitution afin qu'elle regroupe les gens que je considère comme les plus grands experts du domaine ayant les liens les plus privilégiés avec les clients. Des amis des clients doivent aussi être amenés à participer, ce que la commission ne tente pas de faire non plus, à ma connaissance.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup à tous les deux. C'est très intéressant.

Monsieur Coleman, pourriez-vous nous en dire plus long sur les deux différentes approches de l'équipe d'intervention en cas de crise, dont vous avez parlé? Je crois avoir compris que cela existe davantage dans les centres urbains. Pourriez-vous nous en parler plus en détail, surtout en ce qui a trait à la méthode des HUB, qui serait plus facile à appliquer, selon vous, dans les petites localités des régions rurales?

M. Coleman : Il existe plusieurs modèles d'intervention policière. Un policier peut intervenir tout seul ou en tant qu'élément d'un modèle d'intervention conjointe avec des travailleurs spécialisés en santé mentale. Il peut s'agir d'infirmiers psychiatriques, des travailleurs sociaux spécialisés ou d'autres professionnels du domaine.

À Ottawa, ils ont la chance d'avoir un psychiatre et des internes de l'Hôpital Royal qui peuvent patrouiller avec la police. C'est un programme qui a beaucoup de succès.

Il y a différents types d'intervention en collaboration. Au Canada, la plupart ont maintenant un travailleur en santé mentale, psychologue ou travailleur social, qui les accompagne. C'est une méthode qui s'avère efficace.

Pour ce qui est des HUB, le modèle a été créé à Glasgow et a été repris à Prince Albert. Il s'est répandu en Saskatchewan et commence maintenant à prendre racine en Ontario. C'est un mécanisme qui réunit régulièrement, habituellement une fois par semaine, des représentants de tous les organismes sociaux — police, santé, services sociaux, ONG spécialisées en toxicomanie ou santé mentale et d'autres. Ceux-ci peuvent ainsi partager l'information. Des protocoles de partage de l'information ont été conçus spécialement pour leurs besoins, puisqu'ils travaillent souvent avec les mêmes personnes, les mêmes clients. S'ils ne se réunissent pas pour en parler, ils risquent de prendre des mesures contradictoires ou de ne pas vraiment comprendre ce que font les autres intervenants.

Je n'en parlerai pas plus longtemps, mais cette méthode s'est avérée très efficace. Il faudra en faire une évaluation rigoureuse à un certain moment, mais je suis sûr que cette évaluation montrera que c'est un bon moyen de s'y prendre et que cette méthode se répand fructueusement au Canada.

Le sénateur Cowan : Dans l'exposé qu'elle a présenté au comité, il y a environ une semaine, la Commission de la santé mentale du Canada a soutenu, sur la base de son mémoire prébudgétaire, qu'elle est prête, bien disposée et apte à assumer ce rôle et à faire ce qui doit être fait en vertu du projet de loi. Le mémoire a par la suite été distribué à tous les membres du comité.

Le seul passage du mémoire de soumission prébudgétaire faisant état de la question se trouve sous « certains enjeux émergents sur lesquels nous nous pencherons avec nos partenaires ». Le passage traite de la justice pénale et des premiers intervenants et se lit comme suit :

Les premiers intervenants sont souvent appelés à traiter avec des personnes atteintes de troubles mentaux, et ils évoluent aussi dans un milieu de travail où le stress élevé peut occasionner des difficultés personnelles de santé mentale. Les premiers répondants ont besoin de nouveaux moyens de soutien personnel et d'une formation accrue sur la façon de traiter avec des personnes ayant une maladie mentale.

Nul doute qu'il s'agit d'un problème important. J'ai été étonné de constater qu'on n'accordait pas plus d'attention au recoupement entre les domaines de la santé mentale et celui de la justice pénale.

Selon vous, est-ce qu'une telle approche conviendrait si la commission recevait un nouveau mandat à cet effet? À votre avis, répondrait-elle aux besoins que l'on entend satisfaire avec ce projet de loi?

Mme Szigeti : La formation des premiers intervenants et les interactions des policiers avec les personnes souffrant de maladie mentale sont des objectifs louables, liés à d'énormes enjeux aux conséquences fatales. Il ne s'agit toutefois que d'une petite partie de tout l'éventail de problèmes vécus par les clients en matière de justice pénale — pensons aux accusations, à la question d'aptitude, en passant par les tribunaux de la santé mentale, les programmes de soutien et de déjudiciarisation et la non-responsabilité criminelle.

L'honorable juge Schneider vous parlera de la commission d'examen dans un instant. Il faut de la formation, du financement et un examen des soutiens sociaux.

Ces dernières années, j'ai étudié les relations entre les policiers et les personnes atteintes d'une maladie mentale — cette question m'intéresse personnellement. Il s'agit toutefois que d'un point mineur parmi tous les problèmes que vivent ces individus dans le système de justice pénale.

Limiter le mandat à cela serait un peu restrictif. En fait, ce que vous venez de lire correspond tout à fait, d'après ce que je comprends, à l'excellent travail qu'effectue la Commission de la santé mentale par rapport au travail policier face à la maladie mentale, notamment les travaux de Terry Coleman et de Dorothy Cotton. Selon moi, c'est ce qui se fait dans le domaine de la justice pénale, en plus du rapport d'Anne Crocker.

M. Coleman : Je suis assez d'accord avec ma collègue concernant l'élargissement du mandat. Je crois que la Commission de la santé mentale s'intéresse davantage au système de justice pénale qu'il n'y paraît, et certainement plus que ce qu'on vous a laissé entendre lors de la présentation dont vous parlez.

Je représente la Commission de la santé mentale au sein du groupe de travail des responsables des services correctionnels sur la santé mentale. J'ai travaillé avec le groupe toute la semaine. En fait, je l'ai quitté cet après-midi pour assister à la présente rencontre. Il n'y a pas si longtemps, nous avons élaboré une stratégie nationale pour les services correctionnels canadiens. J'ai posé la question aux délégués cette semaine. Puisqu'il existe 14 juridictions, il est impossible d'accorder un tel mandat à l'échelle du pays, comme vous le savez. Je constate que les participants à la rencontre d'aujourd'hui l'utilisent comme point de référence pour le travail qu'ils effectuent dans leur propre province, ce qui est gratifiant.

La Commission de la santé mentale joue donc un rôle plus important que certains le pensent, mais je suis plutôt d'accord avec ma collègue. Je crois que le mandat pourrait être élargi et la composition du groupe pourrait être modifiée. Je ne suis pas contre cela.

Le sénateur Eggleton : Je vais m'attarder un moment sur le fond du projet de loi, qu'il soit exécuté par une commission spéciale ou par la Commission de la santé mentale, dont on aurait élargi le mandat pour ce faire. Le projet de loi est très substantiel.

Autre point que je souhaite aborder : les horribles statistiques qui nous sont communiquées sur le pourcentage élevé de détenus souffrant de maladie mentale. Si certains d'entre eux en sont atteints avant leur incarcération, bon nombre de détenus développent une maladie mentale ou voient leur cas s'aggraver en prison, étant donné le manque de traitement adéquat. Les taux de suicide atteignent des niveaux alarmants, particulièrement chez les détenus mis en isolement.

J'aimerais rapporter les propos d'un sous-commissaire de la GRC que je trouve particulièrement pertinents, car ils s'appliquent à l'aspect policier de la question. Ce sous-commissaire utilise une métaphore où le dernier filet tendu au bas d'une rivière représente le travail policier. Plus on intervient en amont, moins on attrape de choses dans le filet.

Pour en revenir à la substance du projet de loi, comment celui-ci contribuera-t-il à offrir des solutions en amont, que le mandat soit confié à la Commission de la santé mentale ou à la commission spéciale que prône le sénateur Cowan? C'est à cet égard qu'il faut intervenir pour que le problème se règle.

M. Coleman : Vous avez tout à fait raison. La situation actuelle est attribuable à la désinstitutionnalisation dont nous avons été témoins il y a plusieurs années. Malheureusement, les ressources communautaires en santé mentale sont depuis longtemps insuffisantes pour que soient pris en charge les gens qui devraient vivre en établissement. Loin de moi l'idée de proposer un retour à l'institutionnalisme, croyez-moi.

La police s'est trouvée à agir de plus en plus en tant qu'agent de dernier recours. En fait, au risque de paraître un peu incisif, je dirais que les gens se sont souvent tournés vers la police pour accéder au système de soins en santé mentale.

Si les policiers pouvaient limiter leurs interventions auprès des personnes atteintes d'une maladie mentale et s'il y avait plus de services en santé mentale dans les collectivités... Une amélioration a eu lieu à cet égard au cours des 10 dernières années, en partie grâce à la création d'équipes d'interventions mixtes, où des travailleurs en santé mentale collaborent avec des policiers, le plus souvent dans des cas d'infractions mineures. Avec l'aide du travailleur en santé mentale, qui travaille de concert avec le policier, le client se trouve redirigé vers un autre organisme, un endroit où il trouvera la sécurité ou l'aide nécessaire, plutôt que d'être accusé d'une infraction criminelle, de passer dans le système et d'aboutir dans les services correctionnels. Je n'ai pas de statistiques, mais, selon l'expérience de gens à qui j'ai parlé, ce genre d'intervention est courant.

Mme Szigeti : Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus : étant donné l'insuffisance d'appui communautaire, de logements subventionnés et d'autres ressources, certaines personnes sont laissées pour compte. On pense souvent — les familles surtout — qu'en faisant appel aux policiers, que la personne aura assurément accès à un traitement, sera hospitalisée, ou recevra des soins médicaux. Les familles communiquent donc avec le service 911, ce qui fait augmenter exponentiellement l'implication de la police. Celle-ci reçoit toutes sortes d'appels qui ne lui seraient pas acheminés si des services adéquats existaient et si les familles en étaient informées.

Autre difficulté : le système médicolégal de santé mentale — c'est-à-dire la commission d'examen, qui revoit la situation de personnes déclarées non responsables criminellement ou inaptes à subir un procès — est perçu comme la Cadillac des systèmes et avec raison, car il est largement financé. Les gens poussent donc nos clients à prendre la voie criminelle et médicolégale dans l'espoir d'avoir accès à de meilleurs soins de santé mentale. Il y a énormément de contacts inutiles avec les policiers et plus il y a de contacts, plus les risques de conséquences fatales ou néfastes sont grands.

Il existe de nombreux moyens de corriger la situation : éduquer, informer et empêcher les gens de communiquer avec le service 911 quand ce n'est pas nécessaire.

La sénatrice Raine : Il y a une chose que j'ai du mal à comprendre. La création de la Commission de la santé mentale du Canada est relativement récente. Il est clair que son mandat doit être élargi, mais je ne vois pas la nécessité d'un deuxième organisme. Les besoins des personnes, dont certaines passent entre les mailles du filet, de même que les problèmes et les défis entourant la situation sont manifestes, mais il me semble que l'association des services de police et le système de justice y répondent déjà. Peut-être faudrait-il distribuer les ressources différemment au lieu d'ajouter une autre instance. J'aimerais entendre vos observations là-dessus.

M. Coleman : J'ai discuté de la question avec le chef Weighill et son conseil d'administration et je peux vous dire que l'association des chefs reconnaît qu'il faut régler le problème et elle appuie le concept du projet de loi. Selon les chefs de police, plutôt que de créer un autre organisme, il faut inscrire dans la loi le mandat de la Commission de la santé mentale et l'élargir pour qu'il comprenne ce dont il a été question ici. Voilà le point de vue de l'association des chefs.

Mme Szigeti : Notre opinion est quelque peu différente. Comme le sénateur Cowan l'a souligné dans son allocution initiale, la santé mentale et la justice pénale sont deux domaines où les décès, la violence, les meurtres, les suicides, la misère, l'isolement et la ségrégation sont chose courante. Il y a tant de choses qui ont une incidence directe sur les libertés. C'est d'un tout autre ordre.

La Commission de la santé mentale a fait des tas de bonnes choses et son mandat devrait être élargi. L'approche Logement d'abord devrait certainement demeurer, car elle s'est révélée efficace sur le plan de l'itinérance, du logement et d'autres déterminants sociaux de la santé. Mais le droit pénal et la santé mentale, c'est une autre paire de manches. Franchement, la façon dont nous traitons les personnes atteintes d'une maladie mentale est une honte nationale. Le problème est énorme et urgent.

Si la Commission de la santé mentale, dans sa forme actuelle, peut garantir qu'elle est en mesure d'agir rapidement et efficacement, tout en jouissant d'un appui législatif, c'est bien. Mais simplement élargir son mandat sans la doter du soutien législatif nécessaire, d'une structure et de ressources supplémentaires, et sans faire participer les intervenants sur le terrain?

La portée du projet de loi me plaît parce que celui-ci est à la fois exhaustif tout en étant ciblé. En lui accordant un mandat législatif, nous donnerions à la commission une véritable chance de réussir.

La sénatrice Seidman : J'aimerais faire une observation à laquelle vous pourriez peut-être répondre. À la question du sénateur Cowan au sujet de la soumission prébudgétaire, dans laquelle vous aviez indiqué qu'un seul point était directement lié à la justice pénale, vous avez répondu, monsieur Coleman, qu'en fait, il y avait peut-être plus qu'un seul point, et vous avez mentionné un plan d'action dont vous aviez entendu parler. En effet, lors de sa comparution, Jennifer Vornbrock, de la Commission de la santé mentale du Canada, nous a remis une note d'information comprenant une liste d'initiatives entreprises par la commission. Dans cette liste figure la création d'un plan d'action en matière de santé mentale pour le Canada, en consultation avec de nombreux intervenants. Le plan servira de guide pour le prochain mandat de la commission. Selon les commentaires recueillis jusqu'à maintenant, on s'attend à ce que ce mandat comprenne des activités liées au système de justice et à la santé mentale.

Je ne lirai pas la liste en entier, car elle est assez longue. Elle comprend huit points, dont la formation des policiers en matière d'interactions; la prestation de conseils aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en matière de santé mentale et de justice; la formulation de 63 futurs indicateurs de santé mentale pour le Canada, qui feront l'objet d'un rapport dont la publication est prévue en 2015; leur projet national des trajectoires, qui pose la question à savoir si le Code criminel permet d'établir un équilibre entre la protection des droits des personnes atteintes d'une maladie mentale et la sécurité publique; leur étude interne sur l'itinérance; leur centre d'échange des connaissances. À la fin du document, on nous informe que la structure organisationnelle et le système de gouvernance de la Commission de la santé mentale du Canada ressemblent beaucoup à ce qui est proposé dans le projet de loi S-208.

Voilà un survol général de la liste qui fera partie, je présume, du mandat de la commission, si elle se voit confier un autre mandat, ce qui est bien sûr une question importante. Toujours est-il que tout cela vient confirmer ce que vous disiez quand vous avez mentionné qu'il existait bel et bien un important plan d'action en matière de santé mentale et de justice pénale.

M. Coleman : Heureusement, lorsque la commission a été mise sur pied, sept comités consultatifs ont aussi été créés, dont l'un portait sur la santé mentale et la loi. Tous ont été démantelés cinq ans plus tard, à l'exception d'un d'entre eux, si je ne m'abuse. Beaucoup de travail a été accompli durant cette période. Je peux en témoigner pour le comité auquel j'ai siégé. Nous avions du financement et pas mal de travaux de recherche ont été accomplis. Le projet d'Ann Crocker a été lancé grâce à ce comité, tout comme le mien et celui de Dorothy. Il s'y est passé pas mal de choses.

Certains travaux se sont poursuivis après l'abolition des comités. Actuellement, je travaille à forfait pour la Commission de la santé mentale sur certains de ces projets, y compris celui sur les services correctionnels dont j'ai parlé plus tout à l'heure. L'approche pourrait être plus robuste. Les choses se sont un peu essoufflées depuis l'abolition des comités en 2012, soit cinq ans après leur création.

Le sénateur Cowan : Je veux éclaircir un point. Je n'avais pas du tout l'intention de critiquer l'excellent travail accompli par la Commission de la santé mentale du Canada. Vous avez tous les deux signalé qu'il s'agit d'un énorme dossier. Le domaine de la santé mentale est en soi un domaine immense et la commission fait du très bon travail. Il reste qu'elle ne s'est pas attaquée au problème à l'étude, probablement pour de très bonnes raisons. Voilà pourquoi il faut ajouter à son mandat une nouvelle fonction, assortie d'un financement adéquat, ou alors créer une autre commission.

M. Coleman : Je suis tout à fait d'accord.

Le président : Merci à tous deux d'avoir apporté des précisions et de nous avoir fait profiter de votre vaste expérience dans ce domaine essentiel. Je vous remercie, au nom du comité, de votre présence et des réponses que vous nous avez données. Je remercie encore une fois mes collègues du comité des questions qu'ils ont soulevées, lesquelles contribueront à lever le voile sur cette question importante.

Honorables sénateurs, nous allons accueillir nos deux prochains témoins dans un instant. Je vous rappelle que la limite d'une question par ronde reste en vigueur et que cette séance se terminera au plus tard à 18 h 15.

Cela dit, étant donné que nous ne savons pas si nos témoins se sont battus pour savoir qui prendra la parole en premier, je vais les appeler dans l'ordre inscrit sur la liste, à moins que cela ne soulève l'ire au bout de la table. Par conséquent, je suis très heureux de souhaiter la bienvenue à l'honorable juge Richard Schneider, président de la Commission ontarienne d'examen. Vous avez la parole.

L'honorable juge Richard D. Schneider, président, Commission ontarienne d'examen : Merci, monsieur le président. Comme vous l'avez mentionné, je suis le président de la Commission ontarienne d'examen. Il s'agit d'un tribunal administratif quasi judiciaire régi par les dispositions du Code criminel du Canada. La commission s'occupe de toutes les personnes déclarées inaptes à subir un procès ou non criminellement responsables en raison de troubles mentaux. Par souci d'économie, j'utiliserai les termes « inaptes » et « NCR » dans ma présentation pour décrire ces personnes.

Quelque 170 membres de la commission tiennent les audiences. Il s'agit de juges, d'avocats, de psychiatres, de psychologues et de membres du public. En Ontario, nous tenons plus de 2 200 audiences par année pour quelque 600 personnes accusées. En outre, nous rendons des mesures ou des ordonnances qui lient à la fois l'accusé et les parties aux procédures afin de mettre en application ce que nous appelons la disposition la moins sévère et la moins privative.

Il s'agit principalement de personnes qui ont des démêlés avec la justice en raison d'une maladie mentale non ou mal soignée. Toutefois, seul un petit pourcentage de délinquants atteints d'une maladie mentale se voit imposer un tel verdict et se retrouve devant la commission d'examen. En effet, la plupart d'entre eux sont incarcérés dans une prison ou un établissement correctionnel.

Fait important — et un très bon article a été publié dans le Toronto Star la semaine dernière — la plupart des personnes qui se retrouvent devant la commission ont déjà eu affaire au système civil de soins de santé mentale avant de commettre l'infraction ayant mené au verdict d'inaptitude à subir un procès ou de non criminellement responsable. Honorables sénateurs, on ne peut s'empêcher de conclure que ces personnes n'auraient peut-être pas eu de démêlés avec le système de justice pénale si le système civil de soins de santé mentale les avait mieux pris en charge en premier lieu. Le système civil serait un filet en amont, comme l'a mentionné le sénateur Eggleton. Un système civil de soins de santé mentale solide et pourvu des ressources nécessaires est la meilleure façon de remédier au problème actuel de surreprésentation, dans le système de justice pénale, des personnes atteintes d'une maladie mentale.

Dans l'ensemble, la Commission ontarienne d'examen souscrit aux arguments de Mme Szigeti et de M. Coleman. En fait, nous sommes d'accord sur presque tous les points.

Nous sommes d'accord avec les objectifs énoncés dans le projet de loi S-208 et appuyons résolument sa mise en œuvre. Comme vous pouvez le deviner, ce qui nous intéresse le plus, ce sont les efforts permettant de réduire le nombre de personnes atteintes de maladie mentale qui ont des démêlés avec la justice et de réduire le nombre de personnes atteintes de maladie mentale qui se retrouvent derrière les barreaux. Comme nous l'avons entendu à maintes reprises — le plus récemment dans les recommandations résultant de l'enquête sur le cas d'Ashley Smith —, les prisons sont un lieu totalement inadapté pour ces personnes.

La Commission ontarienne d'examen est totalement d'accord avec l'état de la nation, si je puis m'exprimer ainsi, décrit dans le préambule du projet de loi S-208.

Dans les séances précédentes, les participants ont débattu d'un éventuel élargissement du mandat de l'actuelle commission ou la création, par une loi, d'une nouvelle commission. Je tiens à signaler que, comme d'autres l'ont mentionné, la Commission de la santé mentale du Canada a fait de l'excellent travail. Toutefois, je suis d'avis que, jusqu'à présent du moins, elle a surtout eu des aspirations, si je puis m'exprimer ainsi. Elle a formulé des stratégies et fait quelques recherches. Elle fait des recommandations et de l'excellent travail. Tout le monde sait que son mandat viendra à échéance dans deux ans. Comme tout organisme ayant une durée de vie limitée dont le mandat vient à échéance, la commission se retrouve dans une situation où elle ne peut pas prendre des engagements à long terme envers d'autres organismes. Si elle avait été créée par une loi, elle aurait pu le faire.

Même si je suis d'accord avec tous les objectifs énoncés dans le préambule — je pense que je glane l'intention du projet de loi; je pense qu'elle est énoncée plus ou moins explicitement —, je crois qu'il est essentiel d'avoir un organisme qui poursuit ces objectifs, mais pour cela, il ne suffit pas de simplement formuler des recommandations. L'organisme doit être capable d'aller sur le terrain et de contribuer à mettre en œuvre ou à appliquer certaines de ces politiques, afin d'aider les autorités à réaliser des projets visant à réduire le risque que des personnes atteintes de maladie mentale aient des démêlés avec le système de justice pénale.

Je pense que mes cinq minutes sont écoulées. Je suis impatient de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Je donne maintenant la parole au Dr Alexander Simpson, vice-président de l'Académie canadienne de psychiatrie et droit.

Dr Alexander (Sandy) Simpson, vice-président, Académie canadienne de psychiatrie et du droit : Merci beaucoup de nous avoir invités à comparaître au sujet de ce projet de loi. Je m'exprime au nom de l'Académie canadienne de psychiatrie et droit, l'organisme qui représente les psychiatres qui œuvrent dans le domaine de la psychiatrie médicolégale. En outre, elle participe à la formation au Collège royal et aide ce dernier à établir les normes en matière de psychiatrie médicolégale. De plus, j'ai l'approbation de l'Association des psychiatres du Canada, laquelle souscrit également au contenu du document que je vous ai remis.

Les deux organismes accueillent favorablement ce projet de loi. Comme l'a dit le juge Schneider, nous sommes totalement d'accord avec les dispositions énoncées dans le préambule du projet de loi et convenons qu'une structure législative permettrait de mieux cibler les questions intersectorielles complexes dont nous discutons.

Aux pages 2 et 3 du document que je vous ai remis, j'ai dressé la liste des huit principaux domaines de politique publique qui nous mettent actuellement des bâtons dans les roues et qui aggravent les problèmes déjà soulevés.

Même si je suis un pêcheur, je n'aime pas l'analogie de la pêche dans cette situation. Il est question de gens qui vont bien et qui vont de moins en moins bien. Il faut trouver le moyen d'empêcher ces derniers d'emprunter la mauvaise voie et de les aider à rester sur la bonne voie.

Tout d'abord, il y a la structure sociale qui encadre les personnes les plus vulnérables. À bien des égards, nos politiques sociales échouent. Nous avons entendu parler du logement, du soutien social et des occasions d'emploi, entre autres.

Ce que je m'apprête à dire n'est pas très politiquement correct, mais il est important que je le dise : l'allocation de ressources et l'accès à des services de santé mentale de haute qualité ne sont pas les seuls problèmes; il y a également ce qu'on appelle l'internement civil ou les lois en matière de santé mentale qui, souvent, ne permettent pas la prise en charge rapide, appropriée et suffisante des personnes atteintes d'une maladie mentale. C'est bien d'avoir des services, mais si la législation en matière de santé mentale ne répond pas aux besoins des personnes et ne permet pas de les soigner adéquatement, alors on ne parle plus des mailles d'un filet entre lesquelles passent les gens, mais d'une lacune préfabriquée dans les services qui se traduit par le déclin du fonctionnement des gens.

Troisièmement, dans toutes les mesures que nous prenons, y compris en cas d'internement civil, nous devons nous concentrer sur le rétablissement. Nous sommes un peu étroits d'esprit dans ces domaines. Ce que l'on constate, au fil du temps, c'est que si la police intervient souvent et qu'on a souvent recours à l'internement civil à court terme, sans réel résultat, les gens se détachent de plus en plus et évitent de plus en plus de se faire soigner, ce qui accélère leur déchéance. Nous devons donc revoir notre façon de penser.

Nous avons entendu parler du bon travail des policiers. Je n'ajouterai rien à ce que Terry Coleman a déjà dit. En effet, j'avais discuté avec la précédente Commission de la santé mentale et j'avais conclu que c'était l'une de leurs principales forces.

Ce qu'il faut déterminer, c'est quels services il faut offrir dans nos collectivités pour aider ceux qui ont des démêlés avec la justice. Comment faire pour les intercepter lorsqu'un juge est saisi de leur dossier?

Nous entendons beaucoup parler des tribunaux de la santé mentale et de leur modèle de fonctionnement. Ces derniers font l'objet d'une évaluation limitée et nous ne savons pas dans quelle mesure de tels tribunaux efficaces sont accessibles dans nos collectivités. Si je suis atteint d'une maladie mentale, que je commets une infraction et que je me retrouve devant un tribunal, quelles sont les chances que je me retrouve devant le tribunal du juge Schneider à Toronto ou devant un tribunal ordinaire où le procureur, l'avocat de la défense et le juge n'ont pas beaucoup d'expérience des problèmes de santé mentale? Quelles sont mes chances d'avoir accès à un programme de déjudiciarisation qui m'aidera à être orienté vers des services mieux adaptés et plus efficaces, à condition bien sûr que de tels services soient disponibles? Il faut mettre en place un système de qualité, bien pourvu en ressources et facilement accessible de services de santé mentale communautaires afin d'encadrer et de soigner ces personnes. Savons-nous dans quelle mesure ces services sont disponibles? Non.

Il a beaucoup été question des services correctionnels provinciaux et fédéraux. Les besoins y sont criants. Notre modèle de prestation de services de santé dans ces établissements n'est pas aussi efficace que nous le souhaiterions. D'ordinaire, les services de santé offerts dans les établissements ne sont pas aussi efficaces que les services de santé mentale offerts dans les collectivités locales où les patients sont comparés à la collectivité au lieu d'être isolés dans un univers parallèle.

Nous devons également penser aux répercussions que nos pratiques et lois de justice pénale ont sur la santé mentale. Si nous instaurons des mesures comme les peines minimales obligatoires ou la justice rétributive, nous risquons d'augmenter le risque de récidive, surtout chez les auteurs d'infractions mineures. Nous avons déjà entendu parler de problèmes dans le système de justice pénale, comme la surutilisation de la ségrégation, lesquels peuvent avoir des répercussions négatives sur la santé. Nous devons donc critiquer, sous l'angle de la santé mentale, les mesures que nous prenons.

Finalement, à l'étape de la libération conditionnelle, lorsque les personnes sortent des établissements correctionnels, le transfert vers les services de santé mentale civils s'avère souvent très difficile. Les services refusent de s'occuper de ces personnes. Souvent, il y a des retards dans l'obtention de la carte d'assurance-maladie et l'accès aux traitements. Par conséquent, les personnes sont deux fois plus à risque de perdre l'équilibre.

J'ai brièvement parlé des problèmes particuliers des Premières Nations, des Inuits et des Métis — et je serais ravi d'en parler plus en détail — et de l'augmentation rapide et préoccupante du nombre de cas, surtout chez les femmes.

Le mécanisme de la commission et les propositions présentées, comme l'ont mentionné d'autres témoins, tant de l'ACPD et de l'APC préconisent la reconduite du mandat de la Commission de la santé mentale. Nous avons mis en évidence les domaines dans lesquels elle a été efficace. Toutefois, en examinant la situation globale et la complexité des liens entre ces divers organismes, ce serait une très bonne idée de faire de la commission un organisme créé par une loi et de lui confier le mandat proposé dans ce projet de loi. Même s'il est probable que le mandat de la Commission de la santé mentale soit renouvelé, nous sommes résolument pour la création d'une commission par une loi, tel que proposé dans le projet de loi et nous serions ravis d'appuyer une telle commission et de lui prêter main-forte, de quelle que façon que ce soit.

Le président : Merci.

Je vais maintenant donner la parole à mes collègues, en commençant par le sénateur Cowan.

Le sénateur Cowan : Merci de vos contributions à la discussion.

Docteur Simpson, je ne savais pas, avant de lire les notes que vous nous avez fait parvenir l'autre jour, que le Comité consultatif sur la santé mentale et la loi de la Commission de la santé mentale du Canada avait été dissolu. Le précédent témoin y a fait allusion. Je crois qu'il avait complété cinq ans de son mandat de dix ans. Pouvez-vous nous dire pourquoi il a été dissolu? Qu'est-ce que cela dit au sujet de l'engagement de la commission ou, comme l'a dit le juge Schneider, des aspirations dans ce domaine préoccupant de la santé mentale et du système de justice pénale?

Dr Simpson : Je ne connais pas tous les motifs de cette décision. Si j'ai bien compris, la plupart des comités consultatifs ont mis fin à leurs activités en même temps. J'ai donc l'impression que ce comité ou ce secteur n'a pas été choisi en particulier, mais qu'il s'agit plutôt d'un changement stratégique de la commission quant à la façon dont elle envisage sa contribution aux travaux et aux moyens employés pour y exercer une influence. Les priorités énoncées dans son orientation stratégique bénéficient d'appuis, et l'interaction entre la justice pénale et la santé mentale est manifestement l'une d'entre elles.

Toutefois, en ce qui a trait aux nouvelles orientations stratégiques ou à l'importance accordée aux questions qui nous intéressent, à l'heure actuelle, l'avenir de la commission est incertain et son influence à cet égard demeure indéterminée. Je ne pense pas qu'elle ait le moindrement tenté d'éviter de faire face aux problèmes de ce secteur; je crois plutôt qu'il s'agit d'une réorientation de mandat de la commission. Une commission créée en vertu d'une loi ne procéderait manifestement pas de la sorte.

La sénatrice Frum : Je vous remercie tous les deux pour vos exposés.

Monsieur Simpson, je veux vous poser une question sur un élément qui se trouve dans votre présentation, mais dont vous n'avez pas parlé dans votre témoignage. Je cite :

Sur le plan de la politique publique, il est insensé de reproduire des structures existantes, mais nous n'avons aucune assurance que les activités de la CSMC se poursuivront.

Je comprends cet état d'esprit et je pense que tous les gens réunis autour de cette table et pratiquement tous les témoins que nous avons entendus souhaitent que la CSMC poursuive ses activités. J'aimerais toutefois que vous en disiez plus long sur la première partie de la phrase, c'est-à-dire : « Sur le plan de la politique publique, il est insensé de reproduire des structures existantes [...] ».

Dr Simpson : Il serait évidemment étrange que les mandats de deux commissions — l'une créée par la loi et l'autre pas — se chevauchent. Il est clair que si cette mesure législative est adoptée et que la commission est créée, la Commission de la santé mentale du Canada pourrait se réorienter vers d'autres secteurs, pour autant que son mandat soit maintenu, et travailler en partenariat avec une commission comme celle proposée qui assumerait le leadership pour ce qui est de l'interaction entre la santé mentale et la justice pénale. Il serait logique que les mandats soient réorientés pour s'adapter à la situation, de façon à ce que les deux organismes ne se fassent pas concurrence, mais qu'ils travaillent de façon intégrée.

Si cette mesure législative est adoptée et que le mandat de la commission est renouvelé, j'estime que les deux organismes devront trouver la manière de gérer leur interaction et déterminer qui sera responsable des politiques dans chaque domaine.

La sénatrice Frum : Comme vous le savez, la commission a une approche globale. Par conséquent, est-ce que cela ne nuirait pas à la Commission de la santé mentale si l'on retirait de son mandat cet aspect de la santé mentale?

Dr Simpson : Je pense que cela serait effectivement difficile, sans toutefois être un obstacle insurmontable. La commission joue un rôle de premier plan et préconise l'établissement de mesures dans l'ensemble du domaine de la santé mentale, notamment en ce qui concerne les principes du rétablissement et les approches en matière de prestation de services. Tout cela s'appliquerait tout à fait à notre domaine. Cependant, il faudrait diviser de façon cohérente le travail sur les politiques visant les enjeux relatifs aux indicateurs et aux interactions entre la santé mentale en général et les services judiciaires, ainsi que les services généraux et les services de santé mentale, d'une part, et les services correctionnels et les corps policiers, notamment, d'autre part.

Le sénateur Eggleton : Je me permets de revenir sur ce que la sénatrice Frum vient de dire parce que nous en avons beaucoup discuté.

Nous sommes attachés à la Commission de la santé mentale du Canada, qui a été créée sur la recommandation de notre comité. Monsieur le juge Schneider, vous avez toutefois dit que bien des projets de cette commission reflètent davantage des aspirations qu'autre chose dans le cadre du système de justice pénale. Pouvez-vous en dire plus long à ce sujet?

M. Schneider : Je le répète, comme je ne faisais pas partie de la commission, je ne suis pas au courant de quoi que ce soit en particulier. Je fonde plutôt mon opinion sur mon observation du travail de la commission, qui se concentre principalement sur les stratégies, les recommandations et la recherche, ce qui est bien sûr très utile.

De mon point de vue, le projet de loi S-208 pousse plus loin et propose que la commission mette la main à la pâte, commence à appuyer des projets sur le terrain et contribue à apporter les changements qui découlent des recommandations de la commission, ce qui fait bien sûr partie des activités prévues dans le cadre du projet de loi S-208.

Est-ce que j'ai tenu compte de tous les aspects de la question?

Le sénateur Eggleton : Oui, j'ai compris.

[Français]

La sénatrice Chaput : Docteur Simpson, le projet de loi S-208 encourage l'élaboration de politiques en matière de santé mentale et de justice pénale. Évidemment, lorsqu'on parle de politiques, il s'agit de politiques qui s'appuient sur des analyses et des preuves. Pour que cela puisse se faire, il faut effectuer de la recherche approfondie, et qu'elle soit bien faite, auprès d'acteurs reconnus dans diverses disciplines, telles la criminologie ou la psychiatrie.

À votre connaissance, existe-t-il de telles recherches qui pourraient contribuer à élaborer des politiques? Si c'est le cas, par qui? Verriez-vous la commission ou une autre entité travailler de pair avec les entités qui sont déjà en place?

[Traduction]

Dr Simpson : Je vous remercie de votre question. Oui, il y a des recherches qui sont menées dans ce domaine. Je pense qu'on a fourni au comité les résultats d'un atelier qui a eu lieu à Montréal pendant l'hiver, au cours duquel on a tenté d'établir un programme de recherche dans ce secteur. J'en suis l'un des coauteurs et c'est l'équipe d'Anne Crocker qui a dirigé le travail. On essaie donc d'établir un programme dans ce secteur.

Le comité a entendu parler du projet national Trajectoire, un très beau projet visant le segment de la population composé de personnes non criminellement responsables. Toutefois, l'étude porte sur les personnes déclarées non criminellement responsables entre 2000 et 2005. Il faut que ce type de recherche soit menée de façon continue parce qu'il y a beaucoup de facteurs qui changent au fil du temps. Le projet de loi C-14, qui a été adopté depuis, risque fort de modifier la fréquence d'utilisation des dispositions de non-responsabilité criminelle. En Ontario, les recherches que nous effectuons en collaboration avec la Commission ontarienne d'examen révèlent très clairement que le nombre de personnes qui sont prises en charge par cet organisme décroît rapidement. Le régime public n'est donc pas immuable.

Il y a de bonnes recherches qui se font dans le domaine correctionnel, mais nous connaissons encore trop peu les besoins des femmes, des Autochtones, des Inuits et des Métis qui sont incarcérés. Nous savons peu de choses sur leur parcours et sur les politiques qu'il faudrait mettre en place. D'excellents chercheurs en criminologie, en psychologie, en sciences sociales et en psychiatrie travaillent dans le secteur.

Cependant, il n'y a pas de programme de recherche global prioritaire dans le domaine et les projets de recherche sont décousus. Il se fait de l'excellent travail, mais il n'y a pas de plan d'ensemble. Dans une certaine mesure, la stratégie qu'Anne Crocker a présentée au comité, il me semble, tente d'indiquer quels secteurs comportent des lacunes.

L'autre problème, c'est la mesure dans laquelle les politiques publiques tiennent compte des données qui résultent des recherches effectuées. En toute honnêteté, nous avons été consternés par l'approche non fondée sur des données probantes adoptée en matière de politique publique dans ce domaine. C'est une question problématique.

La sénatrice Stewart Olsen : Messieurs, je vous remercie de vos exposés. Je m'intéresse vivement à la perspective du juge Schneider sur le travail de terrain des commissions. D'après mon expérience, ce n'est pas le rôle des commissions. Peut-on procéder autrement?

Je suis moi aussi partisane de l'intervention de première ligne. C'est une question personnelle, mais j'aimerais qu'il y ait plus de travail réalisé en première ligne. Je me demande si vous pouvez tous les deux proposer une autre façon de procéder, plutôt que d'imposer aux commissions d'aller au cœur des choses sur le terrain, là où il faut probablement agir.

M. Schneider : Je pense que tout projet ou toute activité qui consiste à mettre la main à la pâte doit commencer par des recherches : l'activité ou le projet doit être fondé sur des données probantes et s'inspirer d'un document quelconque. Je crois que ces documents finissent trop souvent par ramasser de la poussière sur des étagères. Ce à quoi je pense, c'est un organisme qui serait en mesure de prendre ces études et, sans nécessairement les appliquer concrètement, d'aider les gens sur le terrain à mettre en œuvre et à appliquer leurs recommandations essentielles. Cela pourrait être la prochaine génération, ou peut-être même la troisième génération, de la commission actuelle.

Le sénateur Cowan : Monsieur le juge Schneider, vous avez participé en novembre dernier à une réunion organisée par la Commission de la santé mentale du Canada et par les Instituts de recherche en santé du Canada pour créer un programme dont tout le monde a parlé au cours des audiences. Mme Crocker a dirigé l'équipe responsable du projet national Trajectoire, qui a produit un rapport dont elle a remis une copie au comité. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de l'ajouter à notre liste de témoins, mais j'aimerais connaître votre opinion sur les propos suivants, qui figurent dans le mémoire qu'elle nous a fait parvenir :

Cela correspond exactement à nos recommandations qui figurent dans le rapport sur la Création d'un programme national de recherche sur la santé mentale, la justice et la sécurité, notamment en a trait à la nécessité de créer une Commission de la santé mentale et de la justice. Ainsi, les enjeux touchant les personnes atteintes de maladie mentale qui ont des démêlés avec la justice seraient étudiés de façon adéquate et systématique à l'échelle nationale, afin de favoriser la formation et la prise de décisions fondées sur des données probantes, et pour diffuser les connaissances et sensibiliser le public sur les questions relatives à la santé mentale, à la justice et à la sécurité.

J'en conclus que vous appuieriez cette position. Avez-vous quoi que ce soit à ajouter à cela?

M. Schneider : Non, mais au risque de me répéter, j'appuie sans réserve ces propos de Mme Crocker. J'ai participé à d'innombrables initiatives du genre, d'où découlent d'excellentes recommandations qui n'aboutissent à rien. Je le répète, j'aimerais que la mesure adoptée aille un peu plus loin à long terme, et j'espère ne pas avoir mal compris le projet de loi S-208.

Le sénateur Eggleton : Docteur Simpson, au cours de votre exposé, vous avez parlé de huit priorités en matière de politique publique. J'ignore si vous avez analysé ces priorités en fonction des dispositions prévues dans la mesure législative, mais pensez-vous que cette dernière fournit un cadre qui permettrait d'élaborer adéquatement une telle politique?

Dr Simpson : Oui, je le pense. Je crois que le projet de loi a défini un large éventail de préoccupations qui couvrent ce secteur.

Comme je l'ai signalé dans mon mémoire, le seul domaine sur lequel on n'insiste pas est celui de la santé mentale des jeunes dans le contexte judiciaire. Pour reprendre l'analogie avec la pêche, que je n'aime pas mais à laquelle je reviens toujours — c'est l'un de mes nombreux défauts —, je pense qu'il faut intervenir plus tôt dans la vie à certains égards. Les interventions thérapeutiques visant le trouble des conduites ont permis d'obtenir des données probantes sur le niveau très élevé de coexistence de la maladie mentale et du trouble des conduites. C'est un domaine complexe, notamment en raison de nombreux organismes qui financent la recherche. J'aimerais qu'on insiste aussi explicitement sur ce domaine, mais c'est la seule chose que je tiens à ajouter.

Le sénateur Cowan : Je veux demander des précisions au Dr Simpson à propos d'une question que la sénatrice Frum a posée plus tôt. Elle a lu le premier paragraphe de votre mémoire, daté du 26 mars, qui a été distribué au comité. Pour le mettre en contexte, je voudrais lire tout le paragraphe et savoir si vous avez des observations à formuler. Voici la phrase que la sénatrice vous a soumise :

Sur le plan de la politique publique, il est insensé de reproduire des structures existantes, mais nous n'avons aucune assurance que les activités de la CSMC se poursuivront.

Et voici les deux phrases qu'elle n'a pas lues :

Qui plus est, sans directives explicites, nous ne sommes pas certains que les problèmes signalés ci-dessus seront traités par une commission générale de la santé mentale. Nous sommes d'accord pour qu'une commission ait le mandat explicite de traiter les problèmes particuliers qui chevauchent la santé et la justice; nous accueillons donc favorablement le projet de loi et les orientations qu'il propose.

Vous avez parlé de cela au cours de la dernière réponse, mais je vous inviterais à préciser vos propos, maintenant que la phrase citée par la sénatrice Frum a été mise dans le contexte du paragraphe.

Dr Simpson : De prime abord, à quoi bon créer une nouvelle commission, en particulier lorsque l'ancienne bénéficie d'un appui considérable dans le secteur? Je pense que les autres arguments présentés dans le paragraphe expliquent pourquoi.

Les objectifs explicitement définis dans la mesure législative sont solides et accueillis favorablement. De plus, le fondement législatif donnera une plus grande assurance que la commission se penchera sur les questions complexes du domaine qui touchent plusieurs compétences et ministères. C'est pourquoi nous appuyons le projet de loi, bien que la coexistence de deux commissions semble un peu étrange.

La sénatrice Frum : J'ai une question complémentaire à poser. Advenant que la Commission de la santé mentale soit reconduite, et son mandat renouvelé, y a-t-il quelque chose qui empêche le nouveau mandat de porter sur la même chose?

Dr Simpson : Cela serait évidemment énoncé dans un mandat non prévu par la loi, mais la fonction législative prévue dans le projet de loi ferait défaut.

Le président : Merci beaucoup, chers collègues.

Je tiens à remercier les témoins qui se sont présentés devant nous aujourd'hui. Vous avez ajouté une perspective globale aux témoignages que nous avons entendus à propos de ce projet de loi. Je pense que tous les membres du comité comprennent désormais très bien les enjeux et les concepts qui y sont liés, à savoir les enjeux dont nous devons tenir compte pour prendre des décisions sur l'avenir de ce secteur crucial. Vous nous avez tous deux grandement aidés aujourd'hui en nous fournissant des renseignements qui sont importants pour nous.

Je remercie une fois de plus mes collègues, dont les questions ont permis de mieux comprendre ces autres aspects de la question.

(La séance est levée.)


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