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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 13 - Témoignages du 24 novembre 2016


OTTAWA, le jeudi 24 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 37, pour procéder à l'étude article par article du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues, la Loi sur les produits dangereux, la Loi sur les dispositifs émettant des radiations, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), la Loi sur les produits antiparasitaires et la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation et apportant des modifications connexes à une autre loi, et pour poursuivre son étude sur le potentiel de renforcement de la coopération avec le Mexique depuis le dépôt du rapport du comité, en juin 2015, intitulé Voisins nord-américains : maximiser les occasions et renforcer la coopération pour accroître la prospérité.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international doit se pencher sur trois choses aujourd'hui.

Un avis de convocation révisé a été reçu selon lequel nous nous occuperons en premier du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues, la Loi sur les produits dangereux, la Loi sur les dispositifs émettant des radiations, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), la Loi sur les produits antiparasitaires et la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation et apportant des modifications connexes à une autre loi. L'étude article par article y est mentionnée.

Le seul enjeu restant dont le comité avait parlé, c'était l'obtention du renseignement supplémentaire des ministères en cause. Ces ministères avaient témoigné de vive voix et avaient répondu à nos questions, mais il restait une dernière question qui nous causait encore des problèmes. Nous avons envoyé dans vos bureaux par voie électronique la réponse du ministre à la question en suspens soulevée durant la dernière réunion. Par conséquent, j'ai examiné la lettre et je suis prête à écouter les commentaires que les sénateurs veulent formuler. Nous pourrons ensuite procéder à l'étude article par article.

Quelqu'un veut-il formuler d'autres commentaires?

Le sénateur Downe : J'allais m'en remettre au sénateur Black, parce que ses interventions sont toujours très instructives. J'apprends toujours quelque chose de lui, et l'inverse n'est peut-être pas aussi vrai. Merci, madame la présidente.

Je veux faire un survol et un bref examen à l'intention de certains des sénateurs qui sont ici ce matin pour la première fois. Le comité a posé une série de questions il y a une semaine. Nous avions obtenu des réponses à toutes ces questions, sauf une, qui concernait les articles actuellement en circulation au pays et les contrôles connexes; en d'autres mots, s'il y a eu des accidents, des détournements et des vols et il y a des articles qui n'auraient pas dû entrer dans notre environnement ou auxquels des travailleurs ont été exposés.

La réponse que nous avons reçue concernait 2015. La question initiale que j'avais posée concernait les cinq dernières années, ce qui nous aurait permis de déterminer les choses qui se passaient. La réponse obtenue précisait que le système semblait bien fonctionner, mais qu'ils n'avaient pas vraiment de renseignements préalables à 2015 à nous fournir, ce qui est décevant.

D'après moi, vu l'urgence d'adopter le projet de loi, j'aurai certes très hâte d'obtenir l'information en question à un moment donné, mais je ne m'opposerai pas à ce que le projet de loi soit adopté, si l'information fournie par le gouvernement est correcte. En ce moment, je n'ai aucune raison de ne pas le croire.

Cependant, je tiens à dire encore une fois que le Sénat a été bousculé et qu'on lui a demandé d'adopter le projet de loi avec une certaine rapidité. J'ai siégé à la Chambre des communes beaucoup plus longtemps qu'au Sénat. La ministre, par exemple, nous a dit que cette législation entrera en vigueur lorsque 110 pays l'auront approuvée, et nous en sommes actuellement à 96. Je lui ai demandé : « pourquoi ne pouvons-nous pas attendre une autre semaine? Est-ce que 14 pays l'approuveront dans la semaine? » Elle m'a répondu : « Absolument : les 14 pays l'approuveront dans la prochaine semaine », et a précisé qu'elle ne voulait pas que le Canada perde la face en ne l'approuvant pas et étant dans le peloton de queue, si je peux m'exprimer ainsi. Bien sûr, nous ferons un suivi pour nous assurer que les choses ne se passent pas autrement que ce qu'elle a dit et nous nous attendons à ce que les 14 pays ratifient la législation. Sinon, nous aurions pu avoir plus de temps pour l'étude. Nous ne l'avons pas fait parce que la ministre nous a garanti que 14 pays allaient adopter la législation au cours de la prochaine semaine, et que nous serons parmi eux. C'est pourquoi, madame la présidente, je retire mon objection.

La présidente : Merci, sénateur Downe. Je tiens à rappeler que, vu ces chassés-croisés pour obtenir l'information manquante, je propose d'envoyer une lettre au nom du comité, avec l'accord du comité directeur, bien sûr. Il y a un nouveau gouvernement au pouvoir, mais la situation, elle, n'a rien de nouveau. Nous sommes continuellement lésés au Sénat. Un projet de loi peut poireauter pendant un an — et j'ai vu, ici, des projets de loi poireauter pendant plus longtemps qu'un an —, et, ensuite, on s'attend à ce qu'on l'adopte en une journée : première, deuxième et troisième lectures. C'est le pire des scénarios, mais j'ai présidé un comité qui a dû le faire, et il a fallu soupeser l'importance du projet de loi et ce que j'appellerais le manque de respect à l'égard du Sénat.

Et là, dans ce cas-ci, le délai était, bien sûr, plus court, et tout ça, et c'est un nouveau gouvernement, mais c'est toujours la même excuse. Je propose de rédiger une lettre pour dire que si d'importants projets de loi liés au commerce s'en viennent, nous voulons des garanties des ministres responsables qu'on nous accordera suffisamment de temps en fonction de notre processus, et pas seulement en fonction des décisions de la Chambre ou du gouvernement. Il faut continuellement le rappeler. On ne devrait pas avoir à le faire, mais il en est ainsi.

Lorsque nous posons des questions aux fonctionnaires en cause, nous nous attendons à recevoir des réponses rapidement. Ils devraient prévoir que nous posons des questions importantes au nom du public et que nous avons besoin de réponses. Nous avons besoin de toutes les réponses. S'ils ne peuvent pas répondre à nos questions, ça aussi, c'est une réponse, mais nous avons besoin d'une réponse qui est utile. Je prends cette situation en exemple, parce que le sénateur Downe a mentionné cinq ans. Eh bien, ils ont mis en place un système de suivi afin de pouvoir procéder à des vérifications, et c'est une mesure qui semble appropriée conformément à n'importe quelle norme gouvernementale pour 2015. Ils étaient peut-être réticents à nous avouer qu'ils ne possédaient pas de système de suivi pour les quatre années précédentes, mais ils auraient dû jouer franc-jeu.

Le projet de loi ira de l'avant, alors nous savons qu'il y a maintenant un système de suivi, en date de 2015. Nous devrions pouvoir connaître les statistiques pour 2016-2017 et, ce qui fait toute la beauté du Sénat, c'est que nous avons la mémoire longue, alors nous avons bien l'intention de continuer à faire un suivi.

Le sénateur Downe : À ce sujet, j'ai l'intention de faire un suivi en présentant des demandes d'accès à l'information. C'est une vieille règle. Nous leur faisons confiance, mais nous voulons confirmer l'information.

La présidente : Notre travail en est un de supervision.

Le sénateur Downe : C'est ce que je ferai au cours de la prochaine année.

Le sénateur Black : Très rapidement, madame la présidente, je tiens à souligner vos commentaires. Je ne crois pas que le comité a eu le respect qu'il méritait, et je l'ai dit de façon franche aux représentants. Ce n'est pas suffisant, et ça n'a pas été suffisant. Je vous dirais aussi que, en tant que parrain du projet de loi, j'ai trouvé le processus extrêmement compliqué aussi. C'est aussi mon intention de poursuivre mes interventions afin de m'assurer que les prochains parrains de projets de loi ne se retrouveront pas dans la même situation que moi.

Je suis tout à fait d'accord avec vos commentaires et ceux du sénateur Downe. Peu importe ce qui a été dit précédemment, nous avons du travail à faire, et je vous remercie de votre leadership et de votre soutien durant ce processus.

Sénateur Downe, je tiens à vous remercier de vos interventions très opportunes et appropriées. Même si vous m'avez peut-être frustré — et vous vous en êtes peut-être rendu compte —, je comprends tout à fait que vous donniez suite à une préoccupation tout à fait légitime, qui aurait dû être dissipée il y a sept jours. En ce qui concerne la divulgation complète, nous sommes sur la même longueur d'onde, et je vous remercie de permettre au dossier de suivre son cours.

La présidente : Merci. Mesdames et messieurs les sénateurs, acceptez-vous que le comité entreprenne l'étude article par article du projet de loi C-13?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. Nous voilà à l'étape de l'étude article par article. L'étude du titre est-elle réservée?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. L'article 1 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : J'ai une version abrégée, ici. Pouvons-nous regrouper les articles?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. Les articles 2 à 10 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

La présidente : Les articles 11 à 20 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. Les articles 21 à 30 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

La présidente : Les articles 31 à 40 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

La présidente : Les articles 41 à 50 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. Les articles 51 à 60 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. Les articles 61 à 73 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport? Non? D'accord. Il n'y aura pas d'observation. Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?

Des voix : D'accord.

La présidente : Je l'ai dit, mais pas avec les mots qu'on utilise habituellement. Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. Et est-ce que...

La sénatrice Cools : La question devrait être : est-ce que nous adoptons le projet de loi? Il ne s'adopte pas tout seul, c'est nous qui l'adoptons.

La présidente : Nous l'avons fait deux fois. Pouvez-vous me dire exactement ce que je dois dire afin qu'on ait les trois libellés pour le compte rendu?

La sénatrice Cools : Oui. « Adoptons-nous le projet de loi? » C'est nous qui adoptons le projet de loi, nous qui adoptons les articles; ça ne se fait pas tout seul.

La présidente : D'accord. Est-ce que nous adoptons le projet de loi?

Des voix : D'accord.

La présidente : On l'a trois fois. C'est ce qu'ils font à l'église.

Le sénateur Downe : Nous sommes-nous occupés du titre?

La présidente : Oui, j'ai dit : le titre est-il adopté?

La sénatrice Cordy : Non, nous ne l'avons pas fait. Nous avons demandé s'il était réservé.

Le sénateur Downe : C'est un projet de loi difficile.

La présidente : La greffière dit qu'il a été adopté.

Le sénateur Downe : Bien.

La présidente : Dois-je faire rapport du projet de loi au Sénat?

La sénatrice Cools : Absolument.

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. Bon, ça a été un long périple. Je remercie tous les sénateurs, et je crois que, comme d'habitude, le temps que nous y avons consacré a permis de renforcer le projet de loi, parce que je crois que, à partir de maintenant, la structure de surveillance appropriée sera en place pour veiller à ce que le projet de loi donne les résultats mis de l'avant.

Cela dit, mesdames et messieurs les sénateurs, nous en venons maintenant au point à l'ordre du jour prévu pour aujourd'hui, et je demande à Colin Robertson de s'approcher. Nous passons à l'étude sur le potentiel de renforcement de la coopération avec le Mexique depuis le dépôt du rapport du comité, en juin 2015, intitulé Voisins nord-américains : maximiser les occasions et renforcer la coopération pour accroître la prospérité.

À titre de contexte, puisque je vois qu'il y a quelques nouveaux sénateurs, nous avons profité de l'occasion, en 2015, et je ne suis pas vraiment sûre maintenant... il y a un rapport. Vous pouvez demander à la greffière le rapport. Il s'agissait d'une étude sur les échanges trilatéraux et la façon dont nous pouvions renforcer les processus, particulièrement dans les dossiers économiques, et nous avons énuméré les enjeux qui nous intéressaient et qui faisaient intervenir le Canada, les États-Unis et le Mexique, du point de vue tant trilatéral que bilatéral. En outre, l'accent a été mis sur les relations entre le Canada et le Mexique. Vous pouvez lire le rapport en question.

M. Robertson avait comparu ici alors et il nous avait donné d'excellentes directives quant à la façon d'aborder le rapport, mais beaucoup de choses ont changé depuis. Des gouvernements ont changé et un autre changera aux États- Unis. Par conséquent, nous avons saisi l'occasion, au titre de notre mandat général, pour essayer d'obtenir de plus amples renseignements et de mettre à jour notre rapport. Nous sommes d'avis que nous avons un mandat et que le comité directeur présentera ce rapport au Mexique. Nous avons retardé le processus en raison de tous les changements.

Je suis très heureuse que Colin Robertson soit parmi nous, aujourd'hui. Il connaît ce sujet comme personne d'autre. Nous lui avons demandé de venir très souvent, alors je ne vais pas le présenter. Les membres du comité le connaissent. Nous sommes en retard, et je ne veux pas lui enlever du temps. Je dirai seulement qu'il est vice-président et chercheur de l'Institut canadien des affaires mondiales et cadre supérieur de l'École de politique publique de l'Université de Calgary.

Monsieur Robertson, vous vous prononcez sur de nombreux enjeux, mais, assurément, dans ce cas-ci, nous nous tournons vers vous pour votre expertise. Merci de votre patience et merci d'avoir attendu. La parole est maintenant à vous, comme d'habitude. Bienvenue au comité.

Colin Robertson, vice-président, membre de l’institut et cadre supérieur, École de politique publique, Université de Calgary : Merci, madame la présidente.

Les États-Unis d'Amérique sont une relation primordiale, tant pour le Canada que pour le Mexique. L'élection de Donald Trump s'avère, du moins à court terme, aussi perturbante pour les relations canado-américaines et les relations entre le Canada et le Mexique que le 11 septembre. Même si nous avons chacun nos intérêts et notre programme, il y a de nombreux dossiers sur lesquels le Canada et le Mexique peuvent et doivent coopérer et collaborer pour assurer la gestion de notre voisin commun et de notre voisinage.

Les annonces de M. Trump — qui menace de déchirer l'Accord de libre-échange nord-américain, de se retirer de l'Accord de Paris sur le climat et d'abandonner le Partenariat transpacifique — et le fait qu'il dise à ses alliés qu'ils devront payer leur part en ce qui a trait à la défense et la sécurité, sont perturbatrices pour nos deux pays.

La réponse canadienne doit être intelligente. Un retour à l'antiaméricanisme, qui est souvent notre attitude par défaut, serait une erreur. Il faut plutôt planifier, mettre des choses en branle et, surtout, s'engager. Nous devons cerner nos intérêts. Nous devons préparer les données qui décrivent les avantages mutuels que nous tirons tous du commerce et des investissements. Nous devons le faire pour chaque État, chaque district congressionnel et même chaque circonscription électorale — les emplois générés par le commerce avec le Canada et les emplois générés par les investissements canadiens — et nous devons mentionner précisément les entreprises en cause.

Nous devons communiquer avec l'équipe de transition de Trump. Nous devons communiquer avec le Congrès et les assemblées des États. Nous devrions utiliser, par exemple, la fête d'investiture à l'ambassade du Canada à cet effet, en faisant bien attention au moment de dresser la liste des invités. C'est le meilleur endroit pour regarder la parade passer.

Après le 11 septembre, nous avons conclu l'Accord sur la frontière intelligente avec les États-Unis d'Amérique. Des initiatives subséquentes — le Partenariat pour la sécurité et la prospérité, l'initiative Par-delà la frontière, le Conseil de coopération en matière de réglementation et, maintenant, le nouveau départ entre Trudeau et Obama — ont eu le même objectif : l'ouverture transfrontalière pour permettre le déplacement légitime des marchandises, des services et des voyageurs. La plupart du temps, l'administration de ces initiatives est bilatérale, mais s'applique souvent de façon trilatérale.

L'élection de Trump soulève de nombreux défis stratégiques tandis que nous redéfinissons les paramètres des relations canado-américaines et nord-américaines. Grâce à l'élection du gouvernement Trudeau, nous avons élaboré une approche nord-américaine commune en matière climatique. Si l'administration Trump n'est pas prête à travailler en collaboration, il reste tout de même pas mal de choses que nous pouvons faire avec le Mexique. Il y a aussi beaucoup de choses que nous pouvons réaliser au niveau des États aux États-Unis, où il y a déjà de solides travaux de collaboration et d'innovation en matière d'atténuation des changements climatiques, y compris divers régimes liés au prix du carbone. L'initiative probablement la plus connue est celle qui réunit le Québec, l'Ontario et la Californie, la Western Climate Initiative.

Les États jouent des rôles clés en matière de relations commerciales. Le Canada est le principal marché d'exportation de 25 des 30 États qui ont voté pour Trump, et nous arrivons au deuxième rang dans la plupart des autres États. Cela signifie des emplois, mais le savent-ils? Nous devons communiquer ce message. Le Mexique devrait faire la même chose.

Encourageons l'administration Trump à poursuivre les réunions bilatérales et trilatérales des ministres au sujet du commerce, de l'énergie et de la défense. Les réunions des ministres de l'Énergie sont les moteurs d'initiatives concrètes comme la cartographie énergétique de l'Amérique du Nord. En obligeant les représentants à rendre souvent des comptes, on fait progresser l'indépendance énergétique nord-américaine, ce qui devient un avantage concurrentiel, surtout vu le désir du président Trump de rétablir le secteur manufacturier.

Ces réunions des ministres sont centrales pour gérer les enjeux importants qui ne peuvent pas être réglés au niveau des représentants ou des ambassadeurs ou qui ne le seront pas en raison des répercussions politiques. Avant, ces enjeux se retrouvaient à l'ordre du jour des réunions des dirigeants, où ils prenaient trop de place. Condi Rice, qui était alors secrétaire d'État, les décrivait comme des problèmes entre copropriétaires de condos.

On se demande actuellement dans quelle mesure nous devrions travailler en étroite collaboration avec le Mexique. Certains estiment que nous devons faire cavalier seul, puisque le Mexique est une cible principale, vu la promesse de M. Trump de construire un mur et d'accroître les expulsions. Je crois que c'est là la mauvaise approche. Nous devrions plutôt travailler en collaboration avec le Mexique sur les enjeux où nous partageons la même cause, surtout lorsqu'il est question d'énergie, de climat et de commerce et de l'avenir de l'Accord de libre-échange nord-américain et du Partenariat transpacifique.

Pour le reste, la frontière et la sécurité, il faut quand même garder le contact. Nous ne serons pas toujours d'accord, en fonction de nos différents intérêts, mais notre principe commun et global devrait être d'éviter les surprises en assurant un dialogue continu par l'intermédiaire de nos ambassadeurs et entre les ministères, les bureaux administratifs et les législateurs, les parlementaires. Il y a toute une gamme de groupes sectoriels privés et publics, y compris le milieu des affaires, le milieu universitaire et les environnementalistes qui peuvent aussi être utiles.

Voici certains faits de base au sujet du Canada et du Mexique :

Nous sommes devenus troisième partenaire commercial l'un de l'autre. Le Canada a fait d'importants investissements dans le secteur bancaire et les industries des ressources, surtout l'exploitation minière et, maintenant, l'énergie, au Mexique. Ensemble, nous fabriquons des trains, des avions et des automobiles. Plus de 2 millions de Canadiens ont passé plus de 22 millions de nuitées au Mexique, ce qui place le pays au deuxième rang des destinations les plus populaires des Canadiens après les États-Unis.

Avec une classe moyenne de 44 millions de personnes, le Mexique est un marché qui ne fera que croître. D'ici 2050, on s'attend à ce que le Mexique arrive au cinquième rang des économies mondiales. Vous m'avez bien compris, il sera parmi le G5.

Voici certains autres faits stratégiques qui ont un impact direct sur notre relation à long terme avec les États-Unis : la population hispanique ou latino-américaine compte maintenant 57 millions de personnes, ce qui signifie que les hispanophones sont le groupe ethnique qui affiche le deuxième taux de croissance en importance après les Asiatiques. Plus des deux tiers des hispanophones ont leurs racines au Mexique. Actuellement, les hispanophones représentent 18 p. 100 de la population américaine, comparativement à 5 p. 100 en 1970.

Un nombre record de 27,3 millions d'hispanophones étaient admissibles pour voter en 2016, et les politiciens qui possèdent des origines latines des deux côtés de l'allée — les frères Castro, Ted Cruz et Marco Rubio — sont tous des acteurs de la vie politique américaine.

La salsa fait maintenant partie de l'ADN des États-Unis, et nous devons tenir compte des conséquences sociales, économiques et politiques pour les relations canado-américaines. C'est la raison pour laquelle le fait de renforcer le partenariat avec le Mexique est logique pour le Canada d'un point de vue stratégique.

La visite en juin du président mexicain Enrique Peña Nieto à Québec, à Toronto et à Ottawa a permis de définir un plan pour une collaboration plus étroite, et il ne manque vraiment pas d'instrument de collaboration. Le partenariat entre le Canada et le Mexique, compte des membres des secteurs privés et publics, est en place depuis 2004. Son programme possède les bons enjeux : l'énergie, le domaine agroalimentaire, la mobilité de la main-d'œuvre, le capital humain, le commerce, les investissements, l'innovation, l'environnement, l'exploitation minière et la foresterie. Nous pouvons aussi discuter de questions liées à la sécurité.

Nous travaillons en étroite collaboration avec le Mexique dans le domaine du commerce. Après une collaboration au sein de l'Organisation mondiale du commerce, en décembre dernier, nous avons convaincu le Congrès de revenir sur l'exigence protectionniste concernant l'étiquetage du pays d'origine aux États-Unis, mesure qui menaçait nos exportations de viande en sol américain. M. Trump veut revoir tout le dossier de l'étiquetage du pays d'origine. Les arguments qui ont convaincu le Congrès, la Chambre et le Sénat républicain d'annuler l'exigence sur l'étiquetage d'origine obligatoire sont toujours là. Il faut les présenter à la nouvelle administration.

Malgré l'ambition déclarée et le cadre de collaboration, la relation avec le Mexique reste cependant moins que la somme de ses parties. L'imposition arbitraire d'un visa en juillet 2009 a froissé les Mexicains et surtout miné les essentiels liens entre les gens sur lesquels s'appuient les relations durables. Le visa sera remplacé au début décembre — probablement la semaine prochaine — par un système d'autorisation de voyage électronique canadien, dont la mise en place a été beaucoup retardée.

Il y a seulement 5 000 étudiants mexicains parmi les 200 000 étudiants étrangers au Canada. Les gouvernements canadiens, tant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux, devraient faire une promotion dynamique des possibilités d'étude des Mexicains au Canada. Pour donner une erre d'aller à cette initiative, pourquoi ne pas demander au gouverneur général David Johnston de diriger une délégation de présidents d'universités canadiennes qui se rendrait au Mexique pour promouvoir des occasions d'étude conjointe et de la coopération en matière d'innovation?

Les visites de haut niveau mènent à l'action. Justin Trudeau devrait mettre le Mexique dans son calendrier de voyage en 2017. Et pourquoi pas une mission commerciale et d'investissement avec les premiers ministres?

Nous devrions aussi demander à nos consuls généraux aux États-Unis — les Mexicains ont 51 consulats comparativement à nous, qui en avons 13 — de trouver des occasions pour rappeler conjointement aux Américains que le commerce continental est bénéfique pour tous.

L'existence du partenariat Partenariat transpacifique, qui avait pour effet de mettre à jour l'ALENA, est maintenant problématique. Nous devrions discuter avec le Mexique pour voir quelles dispositions nous pouvons tous les deux conserver d'un point de vue bilatéral, en les assortissant de dispositions permettant d'ajouter les États-Unis et d'autres pays.

Tandis que le gouvernement Trudeau envisage de renouveler la participation canadienne aux opérations de maintien de la paix, il devrait dans un premier temps réfléchir aux défis dans notre propre hémisphère. Pouvons-nous participer afin de soutenir le processus de paix en Colombie? Pouvons-nous aussi aider le Mexique à gérer ses problèmes à la frontière Sud qui découlent des troubles au Guatemala, au Honduras et au El Salvador?

Le chemin qui nous attend sera cahoteux. Nous devons travailler en tandem avec le Mexique. Nous devons faire des plans, interagir et faire preuve d'initiative auprès de l'administration Trump. Nous devons créer de meilleurs réseaux avec l'Amérique de Trump et les milliers de points de contact au sein du Congrès et des États.

Merci, madame la présidente.

La présidente : Merci, monsieur Robertson. Beaucoup d'intervenants veulent vous parler. Je vais commencer par le sénateur Downe.

Le sénateur Downe : Merci, madame la présidente. Je serai bref. Merci de nous avoir présenté votre exposé, qui était, comme toujours, intéressant.

L'amélioration de la situation au Mexique est liée directement à l'ALENA. Par conséquent, si on retire l'ALENA de l'équation — le président désigné Trump veut soit renégocier, soit annuler l'Accord, et nous devons, soit renégocier, soit voir l'Accord annulé —, il y aura un déclin au Mexique. La renégociation de l'ALENA aura de toute évidence un impact au Canada. Selon vous, quel pays souffrirait le plus de l'annulation de l'ALENA?

M. Robertson : Je crois que vous avez raison, monsieur le sénateur Downe. Le Mexique sera démesurément touché. Comme le Canada, les États-Unis resteront son principal partenaire commercial. Dans notre cas, environ 75 p. 100 de nos exportations sont destinées au marché américain, tandis que, pour le Mexique, c'est un peu moins, environ 70 p. 100. Nous possédons l'Accord de libre-échange canado-américain, qui est un accord de loin inférieur à l'ALENA, mais qui restera en vigueur si ce dernier devait être annulé. Dans le cas du Mexique, ce serait un réel défi.

Je crois qu'il ne faut pas oublier qu'une des raisons qui ont poussé le président George H.W. Bush et le président Clinton à donner suite à l'ALENA, c'était la crainte stratégique aux États-Unis selon laquelle, si on ne faisait rien pour aider le Mexique à renforcer son économie, les Américains se retrouveraient avec un État en déroute au sud. En outre, si M. Trump est préoccupé par l'exode de Mexicains vers les États-Unis maintenant — en fait, il y a un équilibre actuellement, et autant de personnes partent qu'il y en a qui reviennent depuis deux ou trois ans —, ce serait un important défi pour les États-Unis.

Je crois que ce sont les mêmes raisons qui ont poussé, en premier lieu, le président Reagan à envisager une telle chose, puis le président George H. W. Bush et le président Clinton à aller de l'avant avec l'ALENA, une entente que le président George W. Bush et le président Obama ont jugé très importante... Je crois que le président désigné Trump, qui, au moins à court terme, a déclaré qu'il serait prêt à réévaluer toutes ces choses, pourrait y réfléchir à deux fois pour des raisons stratégiques.

Le sénateur Downe : Il a été dit que l'accord entre le Canada et les États-Unis restera en vigueur si l'ALENA est annulé. Êtes-vous du même avis?

M. Robertson : Oui, monsieur. Pas tout, mais des parties. Cependant, cela ne nous protège pas parce qu'une administration Trump, si elle décide d'abroger l'Accord de libre-échange nord-américain, peut aussi très bien revoir l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis dans le but — comme M. Trump l'a dit — de négocier un meilleur accord.

Je crois que nous devons planifier pour une éventualité que nous n'avons pas prévue, mais nous devons tout de même nous préparer. Je crois qu'il y a des arguments convaincants concernant la raison pour laquelle ce ne devrait pas se produire, et c'est maintenant qu'il faut tendre la main à l'équipe de transition de Trump et mobiliser nos alliés. Nous trouverons beaucoup d'appui support au sein du milieu des affaires américain, des intervenants qui ne voudront pas chambouler les relations commerciales continentales et les chaînes d'approvisionnement qui sont bénéfiques aux trois pays.

Le sénateur Downe : J'en suis à ma dernière question, madame la présidente.

Est-ce que la priorité du président désigné Trump, dans la mesure où il pourra le faire et qui consiste à rétablir les emplois dans le domaine manufacturier que, selon lui, les États-Unis ont perdu au profit du Mexique l'emporterait sur toute préoccupation au sujet d'un État en déroute parce qu'il envisage de construire un mur que, apparemment, ce sont les Mexicains qui payeront? C'est ce qu'on lit dans tous les journaux.

M. Robertson : Comme je l'ai mentionné, les États-Unis sont le principal marché du Mexique, ce dernier y envoyant 40 p. 100 de ses exportations, et 40 p. 100 de ce que le Mexique exporte là-bas venaient des États-Unis. Cela vous donne une idée du caractère profondément entrelacé de leur chaîne d'approvisionnement à l'heure actuelle. Par conséquent, l'assemblage final d'un produit est réalisé au Mexique, mais une bonne partie des pièces venaient des États-Unis. Pour ce qui est du Canada et des États-Unis, environ 20 ou 25 p. 100 de ce que nous exportons aux États- Unis dans sa forme finale prend origine, justement, aux États-Unis.

Nous bénéficions vraiment d'un marché continental qui fonctionne très bien. Je crois que M. Trump, en tant qu'homme d'affaires, ne le comprend peut-être pas vraiment, mais c'est ce qui lui rappelleront les principales sociétés américaines, qui souligneront, c'est ce que je crois, que le système fonctionne très bien pour les États-Unis.

La sénatrice Poirier : J'ai deux ou trois questions. En fait, vous avez abordé un peu mes deux questions dans votre déclaration préliminaire.

Évidemment, depuis le 8 novembre, on a beaucoup parlé de l'ALENA en raison des commentaires formulés par le président désigné des États-Unis. Certains ont dit qu'il fallait mettre à jour l'Accord pour l'adapter à l'économie du XXIe siècle. Pouvez-vous nous dire ce que, selon vous, il faut mettre à jour dans l'ALENA?

M. Robertson : Oui, madame la sénatrice. Selon moi, pour commencer, à l'époque nous avons négocié l'ALENA — j'ai fait partie de l'équipe de négociation —, nous n'utilisions pas ces choses. Nous sommes maintenant passés à une économie numérique. Par conséquent, une bonne partie des professionnels qui peuvent se déplacer de part et d'autre de la frontière ne sont tout simplement pas inclus dans la liste de l'ALENA, qui permet de faciliter les mouvements transfrontaliers, des Américains venant au Canada et des Canadiens allant aux États-Unis. Ce serait l'une des premières choses qu'il faudrait mettre à jour, et, en effet, c'est l'un des dossiers sur lesquels nous nous sommes penchés dans le cadre de l'Accord du Partenariat transpacifique, et qui devenait en fait une mise à jour de l'Accord de libre- échange nord-américain.

La sénatrice Poirier : Vous avez aussi parlé des nombreux commentaires sur la possible renégociation de l'ALENA, beaucoup de commentaires étant négatifs, et vous avez déjà mentionné quelques choses ici. Selon vous, serait-il possible pour le Canada et le Mexique de renforcer leur relation économique afin de la rendre plus bénéfique pour les deux pays?

M. Robertson : Si les États-Unis devaient se retirer de l'ALENA, en fait, l'ALENA resterait en place entre le Canada et le Mexique, et je crois que nous devrions tenir compte d'un certain nombre de choses que nous voulions faire avec les États-Unis dans le cadre du Partenariat transpacifique et les appliquer, ce que nous pourrions très bien faire, à un nouvel accord mis à jour entre le Canada et le Mexique. Et, si c'était moi, j'inclurais des dispositions qui permettraient d'ajouter des partenaires, parce que je crois que, au fil du temps, les États-Unis — qui, par l'intermédiaire du président Reagan, ont été dans une certaine mesure les instigateurs du rapprochement des relations commerciales continentales à l'échelle de l'hémisphère et pour l'ensemble de l'Amérique du Nord — tireront à nouveau cette conclusion.

La sénatrice Eaton : Dans sa plate-forme, le président Trump a parlé du projet d'oléoduc Keystone XL. Si nous devions aller de l'avant avec le projet Keystone, ne pourrions-nous pas essayer de proposer une politique énergétique à l'échelle du continent permettant d'atténuer certains des problèmes que nous allons avoir avec Trump relativement à l'ALENA? N'est-ce pas là un point de négociation?

M. Robertson : Oui, madame la sénatrice. J'ai classé les principaux enjeux liés à l'administration Trump dans trois catégories : la sécurité frontalière, le commerce et l'énergie. J'utilise le mot « énergie » en pesant bien mes mots, parce que c'est le langage qu'ils utilisent. Ils ne parlent pas de climat et ne parlent pas d'environnement. Je crois qu'on peut parler d'énergie propre et en arriver au même point. Une des choses que j'ai apprises au sujet des États-Unis, c'est qu'il faut les laisser choisir le libellé, mais ensuite définir ce que cela signifie du point de vue canadien. C'est souvent ainsi qu'on peut atteindre nos objectifs.

Je crois que le dossier de l'énergie est l'un des domaines où M. Trump a indiqué qu'il y avait un certain nombre de convergences, pas seulement entre le Canada et les États-Unis, mais aussi entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Je crois très certainement que, dès le départ, nous devrions examiner les choses en collaboration avec l'administration Trump pour trouver ces domaines où nous pouvons commencer à renforcer la confiance. Ce travail nous aidera lorsqu'on abordera des questions plus difficiles.

M. Trump a déclaré qu'il aimerait que TransCanada présente une nouvelle demande de permis présidentiel. Le Congrès est républicain, et le président est en faveur du projet. Tous les travaux et les études qui ont été réalisées, les études sur l'oléoduc qui ont été réalisées par le département d'État, même l'étude environnementale, ont conclu que l'oléoduc était la façon la plus efficiente et la plus propre de transporter du pétrole et du gaz.

La sénatrice Eaton : Et cela pourrait aider le Mexique aussi?

M. Robertson : Je crois bien, oui. Il y a des oléoducs. TransCanada travaille sur un oléoduc, par exemple, pour acheminer du gaz naturel des États-Unis au Mexique. Il y a plusieurs niveaux. Ces relations sont si complexes de nos jours qu'il y a un niveau très élevé d'intégration, dont une bonne partie n'est pas apparente.

La sénatrice Eaton : Je suis sûre que vous y avez réfléchi. En tout cas, moi, j'y pense : en tant que Canadiens, nous serons très désavantagés si M. Trump n'impose pas de taxe sur le carbone à ses industries et s'il réduit les impôts des sociétés. Actuellement, nous avons un léger avantage, n'est-ce pas, du côté de l'impôt des sociétés?

M. Robertson : Oui, madame la sénatrice. Nos impôts de société sont environ la moitié de ceux des Américains.

La sénatrice Eaton : Nous perdrons si nous les augmentons. Cela n'aurait-il pas un impact sur notre capacité commerciale? Vous ne voyez pas nos taxes être...

M. Robertson : Pour ce qui est d'une taxe sur le carbone au Canada, nous avons l'expérience de la Colombie- Britannique où la taxe sur le carbone est neutre. Dans ce dossier, je vais laisser les économistes se prononcer. Je crois que les champs de pétrole réagiront auprès de la première ministre Notley, du premier ministre Wall et d'autres. Les premiers ministres sauront assez vite comment le milieu des affaires voit les choses. Bien sûr, le gouvernement Trudeau a laissé aux provinces la tâche de s'occuper de ce dossier au cours des deux ou trois prochaines années.

Selon moi, nous devrions probablement revoir cette taxe, parce que l'intention était d'y aller en tandem avec les États-Unis, comme nous l'avons fait pour ce qui est des normes d'émissions, par exemple, des véhicules et des camions, les normes que l'administration Obama a appliquées. Le gouvernement Harper y allait en tandem avec les États-Unis. Nous avons tendance à procéder ainsi parce que nous tenons compte de l'Amérique du Nord dans son ensemble et que nous voulons nous assurer que les règles et les normes sont identiques des deux côtés afin de ne pas désavantager un côté ou l'autre.

La sénatrice Eaton : Tout ça s'appliquerait également, j'imagine, puisque le PTP est mort, si nous tournons le regard vers des pays comme l'Inde, la Chine et le Japon?

M. Robertson : Je crois que nous devrions, en fait, essayer de nous diversifier.

La sénatrice Eaton : Je suis d'accord. Nos impôts nous désavantageraient aussi dans nos échanges avec ces pays, n'est-ce pas, puisqu'ils n'ont aucunement l'intention d'appliquer une taxe sur le carbone?

M. Robertson : Il y a de nombreux facteurs qui entrent en ligne de compte lorsqu'on prend des décisions d'investissement. Un facteur clé, c'est le maintien de l'accès aux États-Unis. Ce que nous ne voulons pas, c'est de devenir un rayon. Nous avons de nombreux avantages au Canada, comme la stabilité et une population hautement scolarisée, mais l'accès au marché américain, cet accès privilégié au marché américain a toujours été l'un de nos arguments de vente en ce qui concerne les investissements étrangers.

Le sénateur Ataullahjan : J'ai un article récent ici, du 22 novembre, qui dit que l'impact de l'ALENA sur les emplois aux États-Unis est contesté. Certaines critiques disent que l'Accord a fait perdre 850 000 emplois aux États-Unis, tandis que la chambre de commerce américaine affirme qu'il a permis de créer 5 millions d'emplois nets aux États-Unis. De son côté, la Congressional Research Service a affirmé que l'Accord a seulement eu un effet positif sur la croissance américaine, mais qu'il a aidé les fabricants américains à devenir plus compétitifs grâce à des chaînes d'approvisionnement plus efficientes. Où se situe la réalité?

M. Robertson : Monsieur le sénateur, selon moi, l'ALENA a été bénéfique pour les trois économies. Lorsque la Chine a accédé à l'Organisation mondiale du commerce —, selon moi, c'est une bonne chose de l'intégrer dans le système international —, cela a eu un impact négatif et on a noté des pertes d'emploi de façon générale en Amérique du Nord, et ce, en partie en raison de l'arrivée de la Chine, mais cela n'avait rien à voir avec l'ALENA. Cependant, je crois... Les études que j'ai vues — je m'appuie sur le Peterson Institute, à Washington, et sur d'autres études que vous avez soulignées — sont grandement favorables à l'ALENA.

Ce qui a changé, ce sont les technologies et la transformation que ces technologies ont provoquée. Par conséquent, lorsqu'on visite une usine de véhicules ou une usine de fabrication, actuellement, il y a beaucoup plus de robotique. On voit moins de personnes sur place. Il n'y a plus de chaînes dans les usines, mais il ne faut pas oublier que derrière les robots, il y a beaucoup d'ingénieurs en logiciel. On parle donc de genres d'emploi différents. La transformation était causée par la technologie, et moins par le commerce.

Le sénateur Housakos : Selon vous, quelles sont les occasions qui s'offrent au Canada dans le cadre de la renégociation de l'ALENA avec les États-Unis et le Mexique? Aurait-on raison de dire que, même si nous avons vraiment bénéficié de notre relation commerciale avec les États-Unis, l'impact n'a peut-être pas été le même pour le Mexique? Si ça se trouve, beaucoup de personnes pourraient faire valoir que c'était un mauvais accord pour ce qui est du Canada et du Mexique, dans la mesure où il y a eu une perte nette d'emplois. Certains font valoir que ça n'a tout simplement pas été aussi bénéfique que l'accord commercial entre les États-Unis et le Canada. Les Américains ont-ils une propension à ouvrir l'accord? Y a-t-il des occasions pour nous de renégocier l'accord afin que ce soit bénéfique pour le Canada? Et quelles seraient ces occasions?

M. Robertson : J'ai mentionné le fait d'ajouter des professions sur la liste pour la mobilité. C'est l'une des choses que j'aimerais bien voir. Il faudrait aussi probablement penser à l'accès à la frontière, parce qu'il reste encore des défis à la frontière, comme, par exemple, les préautorisations. Nous avons certains projets de loi à faire adopter ici, mais le Congrès américain aussi. Il y a des choses que nous pourrions faire et que nous pourrions exiger des Américains afin qu'il soit le plus facile possible pour les Canadiens d'aller aux États-Unis et d'en revenir.

Le sénateur Housakos : Quels pourraient être deux ou trois éléments que les Américains voudraient renégocier avec le Canada? Selon vous, quelles seraient les principales choses qu'ils n'apprécient pas dans l'accord actuel?

M. Robertson : Leur cheval de bataille traditionnel, et je crois qu'on le verrait aussi avec le président Trump, c'est la propriété intellectuelle. Ils formuleraient des demandes sur la durée que nous garantissons, en un sens, à ceux qui créent la propriété intellectuelle. Dans le domaine pharmaceutique, par exemple, c'est la bataille entre les grosses sociétés pharmaceutiques et les producteurs de médicaments génériques. Aux États-Unis, les périodes de protection sont beaucoup plus longues qu'au Canada et que, en fait, sur une bonne partie de la planète. C'est quelque chose qui a déjà été souligné par le sénateur Orrin Hatch, qui préside le Comité des finances du Sénat, et je crois que M. Trump serait du même avis, alors c'est l'un des domaines où les ambassadeurs américains qui se sont succédé ont aussi exercé des pressions, la protection de la propriété intellectuelle.

La sénatrice Cordy : Merci. Votre déclaration était très intéressante. Je l'ai vraiment aimée. Vous avez parlé du besoin d'engagement dans votre déclaration préliminaire. Je m'intéresse à la question de l'engagement relativement à l'étiquetage indiquant le pays d'origine, et je sais que les sénateurs et les députés canadiens qui sont membres de l'association canado-américaine ont travaillé de façon très active dans le cadre de toutes leurs réunions avec les membres du Congrès et du Sénat; et l'ambassadeur Doer était justement l'ambassadeur à ce moment-là et il a fait beaucoup de travail pour conclure l'accord, pour le mettre en place après toutes les discussions.

Je me questionne au sujet du travail de relations publiques que nous devons faire auprès des États-Unis afin de leur expliquer l'importance des échanges commerciaux avec le Canada. Un certain nombre d'États, ceux près de la frontière — et je vais parler de l'est du Canada puisque je viens de là —, envoient une bonne partie de leurs exportations au Canada. Si on fermait ces portes, ces États seraient durement touchés. Que devons-nous faire du point de vue de l'engagement et des relations publiques?

Ensuite, pour ce qui est de l'importance de discuter avec le Mexique, de trouver les choses que nous avons en commun et les dossiers sur lesquels nous pouvons travailler ensemble, de quelle façon devons-nous nous y prendre pour faire ce genre de choses?

M. Robertson : Pour revenir sur ce que vous venez de dire, les législateurs et les sénateurs comme vous ont un rôle crucial à jouer en se rendant là-bas pour aller voir leurs homologues. Vous avez parlé précisément du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis, et il y a un groupe similaire Canada-Mexique. Selon moi, nous devrions probablement réunir ce groupe Canada-Mexique.

L'un des défis que nous rencontrons, c'est au moment d'attirer l'attention des législateurs américains. Selon moi, si nous abordions les choses d'un point de vue trilatéral, nous serions plus susceptibles d'assurer la participation des législateurs américains. Je crois vraiment que vous, individuellement — parce que vous pouvez le faire maintenant en utilisant votre système de points — devriez vous rendre à Washington afin d'apprendre à connaître vos homologues.

Une des principales relations ayant permis de régler le problème de l'étiquetage concernant le pays d'origine, c'est celle entre Chrystia Freeland et Pat Roberts, un républicain conservateur du Kansas, qui préside le comité de l'agriculture. Mais vous tous, si vous faites ce qu'il faut, si vous informez vos homologues — et cela signifie d'aller là- bas, parce qu'ils sont moins susceptibles de venir vous voir, ici —, si vous allez tous là-bas donc pour voir vos homologues, cela peut vraiment avoir un impact.

Lorsque j'étais à l'ambassade et que des sénateurs venaient et tissaient des liens personnels avec certains intervenants, les dossiers avançaient. Je crois qu'il faut miser à nouveau sur ces relations personnelles particulièrement celles avec les gens dans le pays de Trump. Comme je l'ai dit, pour 30 des 35 États qui ont voté pour M. Trump, leur principal marché d'exportation, ce qui signifie des emplois, c'est le Canada, et, pour les cinq autres, nous arrivons au deuxième rang. Mais ce sont ces relations personnelles, particulièrement au niveau législatif, qui sont importantes, et le Sénat pourrait jouer un rôle crucial ici. C'est donc par là que je commencerais.

Ensuite, comme je l'ai dit, il faut des milliers de points de contact et il faut raconter notre histoire en présentant les faits. Nous devons faire du meilleur travail pour réunir tous les faits afin que, lorsqu'on s'assoit avec un sénateur américain — parce que ces sénateurs cherchent habituellement des emplois, de l'argent et des votes —, nous pouvons parler des emplois et des investissements et le faire très bien. Cependant, nous avons besoin de ces faits et de ces chiffres, et on devrait vous les fournir à vous tous, comme je vous ai entendus le dire au début de votre conversation. Vous avez besoin de ces renseignements. C'est dans notre intérêt que vous fassiez ce travail personnellement.

La sénatrice Cools : Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre témoin et à le remercier de son exposé très réfléchi. Je tiens aussi à souligner que vos commentaires sont très opportuns et pertinents parce que les enjeux que vous avez soulevés sont probablement les plus importants auxquels nous serons confrontés à court terme.

Et là, les traités sont étranges d'une certaine façon parce qu'il s'agit, en fait, du point de vue juridique, des accords entre États souverains. Cependant, les États souverains, d'habitude, ont peu d'argent à consacrer à l'activation et à l'actualisation des traités, donc ils s'appuient sur les deux chambres, pour faire ce que nous appelons — et je suis sûr que vous connaissez cette expression — de l'affectation de fonds de façon à faire bouger les choses.

Je n'en sais pas assez au sujet du fonctionnement du Congrès américain, et c'est pourquoi je vous pose la question, puisque vous suivez peut-être ces dossiers très étroitement et allez peut-être le savoir. Est-ce que leurs chambres, le Congrès et le Sénat, ont un rôle à jouer dans ces traités? En d'autres mots, est-ce qu'ils ont approuvé ces traités grâce à un vote officiel? Le savez-vous?

M. Robertson : Oui, madame la sénatrice. Le Sénat doit donner son accord pour les traités. Beaucoup de choses peuvent être faites par décret présidentiel, mais pour ce qui est des traités, la Constitution des États-Unis...

La sénatrice Cools : Le Sénat doit être d'accord?

M. Robertson : Il doit approuver.

La sénatrice Cools : C'est une excellente nouvelle. Je crois que nous devons porter attention à cet aspect des choses et commencer à élargir notre point de vue un peu.

Durant la réunion du Comité des finances nationales, hier soir, nous avons entendu un témoignage surprenant. Un des témoins que nous avons accueilli nous a parlé de la construction du pont Gordie Howe et du corridor entre Windsor et Détroit. Ce témoin nous a fourni des renseignements merveilleux. Il nous a dit que le tiers des échanges commerciaux du Canada passe par ces corridors, ce que je ne savais pas. Je le dis simplement parce que c'est très pertinent. Nos recherchistes pourraient peut-être retrouver le témoignage d'hier soir. Il nous a aussi parlé des millions — j'ai oublié les chiffres, je vais devoir les trouver moi-même — de camions qui passent chaque jour ou chaque année par les corridors. Je ne me souviens plus du nombre. Ce que vous dites aujourd'hui est lié à ce qui a été dit hier soir. Donc, encore une fois, je demande vivement aux membres du comité : emparons-nous de cette information et donnons- y suite de façon vigoureuse et énergique.

Ces groupes d'amitié interparlementaire — un Président du Sénat, le sénateur Kinsella, appelait ça la « diplomatie parlementaire » — sont très importants, et je crois que nous devons bien comprendre et ne pas oublier ces enjeux à mesure qu'ils évoluent. Je crois que nous devons passer à l'action rapidement. J'espère que vous êtes d'accord avec moi, madame la présidente.

La présidente : Je suis totalement d'accord avec vous au sujet des commentaires que vous avez formulés.

La sénatrice Cools : Parfait.

La présidente : Avec un peu d'indulgence, puis-je passer à la sénatrice Lankin?

La sénatrice Cools : Absolument. En ce qui me concerne, vous pouvez toujours passer à la sénatrice Lankin.

La sénatrice Lankin : Je vous remercie de votre exposé. J'ai beaucoup aimé votre suggestion stratégique au sujet de l'examen du PTP entre le Canada et le Mexique. Vous avez parlé de certaines dispositions précises, puis des dispositions liées au possible ajout d'autres administrations comme les États-Unis. Pouvez-vous nous dire rapidement quels dossiers ou enjeux on pourrait inclure dans un PTP bilatéral? Est-ce les mêmes enjeux que vous avez mentionnés au sénateur Housakos en ce qui concerne les améliorations qu'il faudra apporter à l'ALENA? Y a-t-il un parallèle à faire entre les deux?

M. Robertson : Bien sûr. J'ai parlé de l'économie numérique dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Il y a une série de dispositions qui concernent les services et les protections liées à la protection intellectuelle dans le Partenariat transpacifique qui ont été négociées avec l'administration Obama et que, selon moi, nous pourrions facilement reprendre et appliquer à un arrangement Canada-Mexique dans l'espoir que les États-Unis se joignent à la partie à l'avenir, par exemple. Je parlerai encore une fois des professions aussi.

La sénatrice Lankin : La mobilité?

M. Robertson : La question de la mobilité.

La sénatrice Lankin : Est-ce que ces enjeux précis pourraient intéresser les États-Unis aussi? Vous avez déjà parlé des droits de propriété intellectuelle.

M. Robertson : Oui, madame la sénatrice. De plus d'une façon, le Partenariat transpacifique était une initiative d'Obama. Tout a commencé avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili et, je pense, peut-être, Singapour. Ça s'est passé lorsque le président Obama, peu après son élection, s'est soudainement intéressé à la question en tant que mesure plus générale liée à la sécurité en Asie. Il a vu là un complément commercial.

Il y a de nombreux hauts gradés militaires — j'ai passé la dernière fin de semaine au Forum de Halifax sur la sécurité internationale, et les hauts gradés militaires étaient là, ils relèvent encore de l'administration Obama —, et ils voient encore là une valeur stratégique. C'est peut-être un enjeu auquel M. Trump réfléchira, par rapport à la position qu'il a adoptée durant sa campagne.

N'oublions pas que, lorsque Bill Clinton s'est présenté aux élections de 1992, il s'est dit contre l'ALENA, comme l'avait fait, dans une certaine mesure, M. Chrétien. Puis, nous avons ajouté les accords relatifs au travail et à l'environnement, en 1993-1994. En 2008, les candidats Obama et Clinton de l'époque ont aussi fait campagne contre une partie de l'ALENA, mais une fois Obama au pouvoir, l'ALENA a été maintenu.

La présidente : Je me permets de vous poser une question. Vous avez très bien réussi à mettre la table lorsque nous avons commencé notre étude trilatérale, et c'est ce que vous faites encore ici. Je considère que notre prochain témoin va présenter l'autre côté de la médaille, alors nous sommes très chanceux de vous avoir tous les deux.

Une partie de notre problème concerne les politiques, pas les accords; ce sont les mythes qu'on raconte des deux côtés de la frontière ou encore dans les trois pays. Le mythe, c'est que les emplois ont été délocalisés. Vous avez déjà souligné le fait que, en raison des importantes interrelations dans le secteur manufacturier, il y a eu des gains et des pertes, mais les gens croyaient tout de même que les accords commerciaux avaient permis de créer des emplois.

Nous avons le même problème ici. Nous n'avons pas fait du très bon travail pour vendre l'idée. J'ai entendu un des conseillers du président Obama dire qu'elle était là la faiblesse, et nous n'avons pas vraiment réglé ces problèmes.

L'autre faiblesse, c'est de tenir compte dans ces accords commerciaux des personnes qui seront désavantagées ou qui devront déménager ou qui devront suivre une nouvelle formation pour, d'une façon ou d'une autre, saisir de nouvelles occasions. Est-ce une des tâches dont nous devons aussi nous acquitter? Parce que nous avons besoin de fournir les bons renseignements à nos citoyens et que nous avons besoin de fournir les bons renseignements aux États-Unis, mais tout se perd pour des raisons de politique et, pour certains politiciens, c'est à leur avantage de dire le contraire. Si je peux m'exprimer ainsi, ils font preuve d'un peu de malice.

M. Robertson : Oui, madame la présidente. Je suis d'accord. Le niveau d'activité de fabrication aux États-Unis est environ stable depuis 25 ans. Ce qui a chuté, ce sont les emplois liés à ce secteur. Il y a une diminution, et pourtant le pourcentage est passé d'environ 20 p. 100 à environ 8 p. 100, en partie, encore une fois en raison des technologies.

Cependant, pour revenir à votre point au sujet de la sensibilisation liée au commerce, c'est absolument crucial. Lorsque nous avons conclu un accord de libre-échange avec les États-Unis, alors que 25 p. 100 du pays était en faveur, 25 p. 100, contre et environ 50 p. 100 au milieu, nous avons appris en chemin que nous devions mieux informer les Canadiens au sujet des avantages du commerce.

Autrefois, nous maintenions cette sensibilisation. Les parlementaires jouaient un rôle crucial à cet égard. Nous fournissions de l'information à vos bureaux, à mesure que nous entendions les histoires de réussite relatives à des exportations, à des entreprises dans les provinces et dans les circonscriptions. Nous transmettions cette information aux membres du Parlement. En conséquence — si on regarde aujourd'hui —, l'un des grands changements survenus depuis 1988, c'est que tous les premiers ministres provinciaux, qu'ils soient séparatistes, socialistes, libéraux ou conservateurs, favorisent le commerce parce qu'ils constatent que c'est cela qui leur a permis de mettre du pain sur la table et qui a créé la croissance que tout le monde veut. Nous en sommes arrivés là en rappelant aux députés et aux sénateurs ce qui fonctionnait afin que vous puissiez l'inscrire dans les bulletins parlementaires et dans des choses de ce genre.

Nous avons cessé de le faire au milieu des années 1990, et je pense que c'était une grave erreur. Nous devons recommencer, parce que, de tous les pays du G8, le Canada dépend vraiment du commerce. C'est ce qui nous permet de payer notre système de santé et notre système d'éducation. Le commerce aide à faire de nous des Canadiens, mais nous n'avons pas fait un assez bon travail.

Je sais que le gouvernement actuel a amorcé un processus de consultation concernant le PTP. J'espère que nous allons profiter de cette occasion pour rappeler aux Canadiens toute l'importance qu'a le commerce pour eux. La plupart des gens ignorent que ce qu'ils pourraient faire est lié au commerce, et je pense que c'est particulièrement le cas au sud de la frontière, mais nous, les Canadiens, devrions commencer par là.

La présidente : Je formule un simple commentaire éditorial dans le but de maintenir le dialogue, mais pas vraiment pour obtenir une réponse : nous nous concentrons sur les parties prenantes et sur les consultations avec elles, mais c'est le public, et cela n'a pas été compris. Vos propos à ce sujet m'interpellent.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes pile à l'heure, ce qui est absolument magnifique.

Monsieur Robertson, merci de vous être présenté. Je vous remercie du travail que vous faites. Je pense que vous êtes une ressource très précieuse, étant donné votre expérience personnelle et votre dévouement. Vous êtes toujours à l'avant-garde des sujets qui touchent le Canada, et particulièrement celui du commerce, et c'est extrêmement important. Nous vous remercions de toutes les choses que vous faites et d'avoir toujours le temps de répondre et de venir comparaître devant nous à court préavis. Nous vous en sommes très reconnaissants. Ce que vous nous avez donné aujourd'hui sera extrêmement utile au moment où nous déterminerons quelles parties nous pouvons étudier et comment nous pouvons renforcer le rôle du Canada.

M. Robertson : Merci, madame la présidente.

La présidente : Je vois que notre prochain témoin est là. Vous être libre de rester, monsieur Robertson, ou bien, si vous avez un autre engagement, sentez-vous à l'aise de partir maintenant.

M. Robertson : Je peux toujours écouter le témoignage de Laura.

La présidente : Nous allons inviter Mme Laura Dawson, directrice, Institut canadien, à présenter son exposé dès maintenant.

Madame Dawson, merci de vous être présentée. Je sais que vous aviez d'autres engagements et que vous nous avez fait une place dans votre horaire, alors nous vous en sommes très reconnaissants. Je ne prendrai pas le temps de vous présenter. Je pense que les membres du comité ont reçu votre biographie, et, encore une fois, vous nous rendez souvent visite, et nous vous sommes très reconnaissants d'avoir contribué plus tôt à l'étude et de comparaître à nouveau.

Vous êtes la directrice de l'Institut canadien, au Woodrow Wilson Center, et êtes fréquemment invitée aux émissions-débats que je regarde, qui sont extrêmement utiles. Vous avez mis le Canada en perspective, et, donc, certains d'entre nous, mordus de politique étrangère — si je peux nous appeler ainsi —, apprécions beaucoup vos interventions et votre compréhension du Canada. Nous sommes heureux du poste que vous occupez et du fait que vous vous concentrez sur le Canada.

Je pense que vous connaissez le sujet, alors veuillez prononcer votre déclaration préliminaire, puis nous entendrons les questions de nos sénateurs, comme d'habitude. Bienvenue au comité.

Laura Dawson, directrice, Institut canadien, Woodrow Wilson Center : Merci, madame la sénatrice Andreychuk, et mesdames et messieurs les autres sénateurs. Je suis ravie d'être de retour parmi vous. Je me suis adressée à vous à un certain nombre d'occasions, auparavant, mais, depuis la dernière fois, je suis devenue la directrice de l'Institut canadien du Woodrow Wilson Center, à Washington, D.C. En fait, je travaille pour le gouvernement américain, d'une certaine manière. Nous sommes administrés par le Smithsonian, alors je suis tenue de déclarer que tout ce que je vous dirai aujourd'hui reflète ma propre opinion, pas celle de mes employeurs.

Je devrais également mentionner le fait que mon expérience de comparution devant votre comité a été si souvent positive que je me suis mise à me sentir très à l'aise, et, donc, quand on m'a demandé de comparaître devant un comité sénatorial américain sur la sécurité intérieure, je me suis dit : « Oh, ce sera agréable. Les gens se soutiennent beaucoup; ils ont un très grand nombre de bonnes idées. » L'environnement n'était pas du tout le même. Le comité sénatorial américain était très, très difficile. Il s'agit donc d'une plainte que je formulerai auprès de vous. Vous devez être plus durs envers vos témoins afin de les mettre en forme pour affronter les autres.

La présidente : N'encouragez pas les sénateurs.

Le sénateur Downe : Nous avons fait cela hier.

Mme Dawson : L'une des choses importantes au sujet du comité, c'est que vous avez joué un rôle très, très déterminant pour ce qui est d'aider à recharger et à rétablir une relation importante entre le Canada et le Mexique. Votre travail, vos enquêtes et vos rapports ont joué un rôle déterminant pour ce qui est d'aider à promouvoir une révision fondamentale de la façon dont le Canada et le Mexique dialoguent.

C'est une relation difficile, car nous sommes séparés des points de vue de la situation géographique, de la culture et de la langue, mais c'est une relation importante de toutes sortes de manières nuancées que nous ne comprenons peut- être pas au premier coup d'œil. Vos travaux ont eu une importance réelle à cet égard, et je vois cette preuve maintenant, quand je m'adresse à des représentants du gouvernement canadien et que je travaille avec eux sur un programme nord- américain, un programme trilatéral. Il s'agit vraiment d'une mobilisation trilatérale entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, et je pense que le travail que vous faites ici a été la clé de cette mobilisation.

Toutefois, le sujet que nous voulons aborder aujourd'hui est plutôt sérieux. Les changements possibles dans la relation entre les États-Unis et le Mexique poussent de nombreux Canadiens à réévaluer la reprise relativement récente de notre dialogue avec le Mexique. Le message que je vous envoie, c'est : maintenez le cap. La rupture du dialogue avec le Mexique ne permettra d'atteindre aucun but stratégique. Elle n'améliorera pas la relation du Canada avec les États- Unis, et elle ne ressuscitera pas la fabuleuse relation spéciale dont certains croient que le Canada et les États-Unis jouissaient durant des décennies révolues.

De nombreuses personnes ont formulé l'hypothèse selon laquelle, si l'ALENA était dissous, l'Accord de libre- échange Canada-États-Unis se trouverait en dessous et procurerait un accès préférentiel aux États-Unis dont peu d'autres pays dans le monde profiteraient. Eh bien, cela semble être une bonne chose, n'est-ce pas? Mais le retour à un accord de libre-échange bilatéral comme en 1989 reviendrait à tirer le meilleur parti d'une mauvaise situation. Ce sera bien pire que de maintenir un dialogue trilatéral solide dans le cadre de l'ALENA.

Tout d'abord, l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis reflète les priorités commerciales de 1989, avant Internet, avant l'économie numérique, avant la fabrication avancée et avant les chaînes d'approvisionnement intégrées. Il est très bon pour l'exportation de haricots et de métaux, mais pas autant pour l'exportation — disons — de BlackBerry, de produits de santé de pointe, de services d'ingénierie complexes, et cetera.

La rupture des relations avec le Mexique n'est pas logique, d'un point de vue commercial. Le Canada est en mesure de conserver des emplois à valeur élevée dans son secteur manufacturier parce qu'il prend part à des chaînes d'approvisionnement intégrées, où le Mexique fournit des compétences fiables et efficientes en matière d'assemblage. Il y a des emplois à Guelph, à Toronto et à Vaughan parce que des assembleurs mexicains travaillent à Monterrey. Le Mexique n'enlève pas d'emplois au Canada; il maintient les emplois au Canada.

Même si la contribution centrale du Mexique à la chaîne des valeurs nord-américaine, c'est du capital humain, ce n'est pas de la main-d'œuvre bon marché. Nous devrions l'affirmer très clairement. Le Mexique fournit une main- d'œuvre qui est qualifiée, fiable et efficiente, et qui nous rend donc tous plus efficients.

J'ai un document intitulé An Arranged Marriage Comes of Age, qui a été produit par la faculté des politiques publiques de l'Université de Calgary, dans lequel je décris en détail cette relation.

Le Mexique est un partenaire idéal pour le Canada en raison de sa démographie. Nous sommes une population vieillissante. De nombreuses personnes quittent la population active pour prendre leur retraite. En même temps, plus de la moitié de la population du Mexique est âgée de moins de 40 ans. Une main-d'œuvre jeune et qualifiée constitue un excellent complément aux besoins du Canada.

En outre, le Mexique possède un marché croissant de consommateurs de la classe moyenne. Quelque 40 millions de personnes appartiennent à la catégorie des consommateurs du Mexique, et, à mesure qu'elles deviennent plus prospères, le Canada connaît également du succès. La classe moyenne mexicaine veut acheter des choses que le Canada a à vendre. Des produits de consommation, des produits de santé, des produits alimentaires de luxe, des services financiers — comme des assurances —, le savoir-faire technologique en matière de construction, d'ingénierie et de technologie écologique. Alors, il s'agit là d'une autre raison importante pour laquelle nous devons maintenir cette relation.

Le dur labeur lié aux aspects juridiques et à l'intégration avec le Mexique a eu lieu il y a 20 ans. L'ALENA est un accord commercial complexe et bien élaboré qui aide à aligner nos deux et trois pays sur un vaste éventail d'enjeux techniques, juridiques et commerciaux. Cette intégration fait l'envie de la plupart des partenaires commerciaux du monde entier. Malgré les différences liées à la langue, à la culture et au développement, le Canada et le Mexique ont une facilité à faire des affaires dont la plupart des pays du monde ne profitent pas et dont le Canada ne profite pas avec d'autres pays en développement qui sont ses partenaires commerciaux.

Les campagnes politiques et les investissements commerciaux fonctionnent selon des horizons temporels très différents. Les investissements commerciaux sont décidément passés au Mexique. Cela ne signifie pas nécessairement qu'ils ont quitté le Canada ou les États-Unis, mais le Mexique est maintenant un marché très, très important pour toutes les marques nord-américaines que nous connaissons bien. Au cours de la dernière semaine, je me suis adressée aux cadres supérieurs de Home Depot, de la société Kohler — entreprise d'approvisionnement en produits de plomberie —, et ils ont tous souligné l'importance du Mexique pour leurs plans commerciaux.

On comprend que le secteur commercial soit resté silencieux durant les élections américaines. C'est compréhensible, étant donné que personne ne savait quel serait le résultat du vote, mais, maintenant que nous avons un président désigné, les entreprises feront la file sur l'avenue Pennsylvania pour expliquer à la nouvelle administration toute l'importance des chaînes d'approvisionnement trilatérales, à quel point les échanges commerciaux seraient difficiles si on imposait un tarif de 30 ou 50 p. 100 sur les importations de matériel servant à fabriquer les produits nord- américains et en quoi les allègements fiscaux, à eux seuls, ne rétabliront pas le caractère concurrentiel du secteur manufacturier. Un processus considérable de sensibilisation et d'information est mené en ce moment auprès de la nouvelle administration.

L'intervenant précédent a parlé de ce que peut faire le président et de ce que peut faire le Congrès. Il est relativement facile pour le président de se débarrasser d'un traité, mais il est incroyablement difficile de modifier ce traité. Si les Américains doivent modifier l'ALENA, il va falloir beaucoup de querelles législatives. Si le président veut s'en débarrasser, c'est relativement simple, mais la modification de l'ALENA va nécessiter beaucoup de querelles législatives, alors nous ne sommes pas près de voir de sitôt des modifications apportées à notre régime actuel.

Entretemps, la force et la relation du Canada et du Mexique sont encore relativement fragiles. La question irritante des visas a été réglée, mais il reste encore de nombreux aspects de nos partenaires mexicains que nous ne connaissons tout simplement pas bien, et il y a ce gros objet brillant qui nous sépare — c'est-à-dire les États-Unis —, qui est une distraction pour nous deux.

La relation avec les États-Unis a pour effet de médier et de façonner notre relation avec le Mexique depuis 1994. Il n'y a pas beaucoup de commerce direct et bidirectionnel entre les deux pays, mais il y a beaucoup d'échanges commerciaux trilatéraux intégrés, où le matériel servant à la fabrication d'un produit est fait au Canada, une partie de l'assemblage, aux États-Unis et une autre partie de l'assemblage, au Mexique. Voilà comment nous avons établi une configuration trilatérale.

Si le pire se produit et que les États-Unis se retirent de l'ALENA et imposent les politiques punitives dont nous entendons parler à l'égard du Mexique, il ne sera pas du tout avantageux pour le Canada de se retirer de cette relation non plus. Au moment où les États-Unis établissent leur nouveau modèle de priorités étrangères et commerciales, le Canada a l'obligation envers ses voisins du Sud de maintenir le cap. L'autre solution consistant à abandonner le Mexique n'offre aucun avantage économique ou relativement aux politiques étrangères. Fait plus important : se soutenir les uns les autres en tant que voisins durant les périodes d'incertitude, c'est la bonne chose à faire.

La présidente : Merci. Vous avez parlé des chaînes d'approvisionnement qui se trouvent à l'intérieur des trois pays. Dans le cadre d'une autre étude que nous menons sur le commerce, nous avons entendu beaucoup de témoignages selon lesquels il s'agit maintenant de chaînes de valeur mondiales. Dans quelle mesure cela entrera-t-il en ligne de compte? Nous savons qu'il y a là un mélange tridirectionnel, mais, les échanges se font de moins en moins dans trois directions seulement, c'est plus que cela.

Mme Dawson : Oui, exactement.

La présidente : Comment pouvons-nous préserver ce que nous faisons ailleurs si cela a une incidence sur ce que font les États-Unis ou le Mexique? Y aura-t-il un effet domino, ou bien y a-t-il une façon dont nous pouvons contourner ce problème?

Mme Dawson : Je pense que le message de maintenir le cap s'applique également à l'expansion commerciale continue et à la stratégie de diversification du Canada.

Pendant que nous attendons de voir ce qu'il va advenir de l'ALENA, le Canada fait un grand nombre d'autres choses importantes, partout dans le monde, afin de prendre de l'expansion et de se diversifier. Je vous ai entendu parler plus tôt du Partenariat transpacifique. Je pense que ce partenariat est peut-être dans une période de coma, actuellement, mais il n'est pas mort. Les États-Unis pourraient vouloir ressusciter cet accord pour de nombreuses raisons. Ils pourraient vouloir lui donner une nouvelle image. Ils pourraient vouloir le renommer. Ils pourraient ajouter un autre « T » au PTP, mais nous avons amplement d'exemples précédents de situations où un accord a été négocié par un gouvernement, puis examiné, présenté sous un jour un peu différent et mis en œuvre par le gouvernement suivant.

Je sais que le Canada est encore assis entre deux chaises au sujet du PTP, mais, si vous me demandez mon avis, le fait d'appuyer cet accord de tout cœur serait une très bonne idée.

Il est possible qu'un accord soit conclu avec le Japon. Ce pays est un genre d'atout dans un monde postérieur au PTP. Certains représentants influents du gouvernement américain ont affirmé que, s'ils ne ratifient pas le PTP, les États-Unis devraient conclure un accord avec le Japon. Il s'agit d'une possibilité pour eux, mais, d'après ce que j'ai entendu les responsables japonais dire, ils préféreraient une approche multilatérale ou régionale. Ils ne veulent pas emprunter la voie bilatérale.

Le Canada a réussi à mener à terme une entente conclue avec l'Europe, bien joué, enfin, et il s'agit donc d'une autre occasion à saisir pour le Canada.

Vous parlez maintenant d'étudier la possibilité de négociations avec la Chine. C'est une très bonne idée. Ce sera un accord très, très difficile à conclure. Ce ne sera pas pour les pleutres, mais l'Australie a déjà conclu un accord et est un concurrent important pour le Canada avec la Chine; par conséquent, le fait d'envisager un dialogue plus sérieux avec la Chine fait partie des choses que le Canada peut faire en attendant de voir ce qui arrivera ensuite.

Le Canada ne peut pas rester les bras croisés en attendant de réagir à ce que feront les États-Unis. Je pense qu'il est très important que nous maintenions le cap sur une stratégie de diversification qui est audacieuse, dont la portée est vaste et qui tient compte de ce que seront les avantages à venir du Canada dans l'économie mondiale, c'est-à-dire, selon moi, la fabrication de type haute technologie par une main-d'œuvre hautement qualifiée et innovatrice.

La présidente : Simplement pour revenir sur l'Australie, si ma mémoire est bonne, ce pays a décidé stratégiquement, à la fin des années 1980, au début des années 1990, qu'il allait se retirer de certaines régions géographiques et se concentrer sur l'Asie. Il a non seulement changé d'initiatives commerciales, et cetera, mais il a aussi beaucoup modifié son capital politique et d'autres choses. Bien entendu, les Australiens ont fait circuler l'immigration dans les deux sens. Ils ont étudié stratégiquement l'Indonésie et Singapour et ont observé le mouvement de certaines démocraties à l'intérieur de ces pays et leur concentration sur la Chine.

Comme vous l'avez dit, nous entendons de plus en plus dire que nous devrions regarder l'exemple de l'Australie. Nous sommes de la même taille, et nous accueillons des immigrants de ces pays, lesquels contribuent à nos collectivités, et cetera. Toutefois, les différences sont-elles suffisantes? S'agirait-il d'un exemple à suivre pour nous, ou bien sommes- nous uniques dans nos différences? Les Australiens ont procédé de façon stratégique, et ils ont investi 20 années. Il faudrait probablement que nous fassions la même chose.

Mme Dawson : Oui, il s'agit d'une excellente question. L'une des grandes différences entre le Canada et l'Australie, c'est que ce pays est une économie qui est entourée par des pays qui sont très différents de lui et qui ne l'aiment pas beaucoup, alors que le Canada, avec les États-Unis, profite de la sécurité d'un marché étroitement aligné qui achète la majeure partie de nos produits et avec lequel nous pouvons facilement commercer également. L'Australie a dû adopter une position plus stratégique et plus défensive dans le monde et a investi dans sa position en Asie. Il y a assurément des différences sur le plan des points de départ et de la perspective stratégique.

Là où nous avons des similitudes, ou bien où le Canada peut être avantagé, c'est parce que l'Australie a dû être une machine à négocier dure et impitoyable, qu'elle a mis en œuvre des politiques qui sont utiles pour le Canada et avant- gardistes par rapport aux nôtres et que nous en avons adopté un certain nombre. L'une des plus importantes a été l'émulation du Canada concernant le système de points économique dans le domaine de l'immigration. Vous n'êtes peut-être pas au courant du fait qu'aux États-Unis, bien des personnes regardent le nouveau système de points économique de l'immigration du Canada avec beaucoup d'envie. C'est un excellent exemple.

Je ne veux pas m'attirer d'ennuis en abordant des choses comme les réformes intérieures, et tout cela, que l'Australie a entreprises afin de se rendre plus concurrentielle dans le monde. Le Canada n'a pas eu à en faire autant, mais il est très utile pour le Canada d'étudier l'expérience de l'Australie.

Dans le cas des négociations avec la Chine, je pense que les leçons que nous pouvons en tirer sont que la Chine ne négocie pas d'accords commerciaux conformément à une interprétation rigoureuse des règles et des principes qui ont été établis par les fondateurs du GATT et de l'OMC, selon lesquels le pays le plus favorisé, le traitement national et la réciprocité sont les principes clés de l'accord en question. La Chine regarde un accord commercial et dit : « La réciprocité n'est pas une obligation très stricte pour nous, car nous faisons partie des plus grandes économies du monde. Nous allons conclure une entente qui, selon nous, est équilibrée, mais les obligations ne seront pas les mêmes pour les deux parties. »

Dans le cadre de l'Accord de libre-échange Chine-Australie, par exemple, les engagements à l'égard des services sont très différents. L'Australie a pris une série d'engagements, et la Chine, une autre, mais les pays ont convenu qu'il s'agissait d'un équilibre pour eux. Le Canada peut considérer l'Australie comme une source de leçons tirées et peut-être de bons exemples, mais, comme vous le savez, il y a aussi suffisamment de différences qui distinguent nos deux expériences.

La sénatrice Eaton : Madame Dawson, vous avez lancé une phrase anodine, c'est-à-dire que le Japon ne souhaitait pas conclure d'accord bilatéral. Disons que la pire situation se produit et que Trump rejette vraiment le PTP et ne se donne pas la peine de le négocier ou de lui donner une nouvelle image et qu'il se contente de le mettre en veilleuse. Pouvez-vous nous dire pourquoi le Japon ne souhaiterait pas conclure d'accord bilatéral avec le Canada?

Mme Dawson : J'ai beaucoup de phrases anodines comme cela. Je m'excuse, madame la sénatrice.

De préférence, les Japonais privilégieraient les accords régionaux, car l'une des choses que font les accords régionaux et multilatéraux, c'est regrouper et centraliser beaucoup d'engagements relatifs à la mise en œuvre d'un accord.

La différence entre les accords bilatéraux et les accords régionaux, c'est comme la différence entre le fait de se rendre dans un centre commercial et d'avoir à payer au moyen d'une monnaie différente à chaque magasin et le fait de se rendre dans ce centre commercial et de pouvoir utiliser la même monnaie, les mêmes règles, et cetera, couramment comprises par l'ensemble des partenaires commerciaux.

Les frais de transaction liés aux accords bilatéraux sont plus durs. Comme le Japon possède un système manufacturier très intégré, il reçoit du matériel de partout dans le monde. Toutefois, s'il avait le choix entre un accord bilatéral ou rien, je suis certain qu'il prendrait l'accord bilatéral.

La sénatrice Eaton : L'autre façon d'envisager la situation est la suivante : le PTP pourrait-il être ratifié sans les États-Unis? Je sais que certaines personnes disent : « Non, actuellement, cela ne peut pas être fait », mais, si on prenait le Canada, le Mexique, le Chili, le Pérou et peut-être certains autres joueurs, ne pourrait-on pas considérer cela comme un accord multilatéral?

Mme Dawson : Oui, je souscris à l'orientation de votre argument. Une règle applicable à la mise en œuvre du Partenariat transpacifique exige que la majeure partie du PIB des parties négociantes approuve l'accord, et, actuellement, on aurait besoin des États-Unis et du Japon, sans quoi il n'y a pas d'accord.

Il y a la loi du commerce des biens durables et celle du commerce des produits de base autres que les métaux. Le Partenariat transpacifique est un accord tellement nouveau, somme toute, que les règles et les protocoles ont été rédigés au cours des quatre ou cinq dernières années. Je pense qu'il y a une certaine marge de manœuvre, où on pourrait dire : « D'accord, nous n'avons pas pu suivre le plan A, mais nous avons tout de même obtenu un consensus important de la part des autres parties quant au fait qu'il s'agit d'un bon accord, alors trouvons un moyen d'établir un plan B. » Je pense qu'il y a suffisamment de souplesse dans la façon dont fonctionnent le Partenariat transpacifique et l'APEC pour que ce soit une possibilité.

La sénatrice Eaton : Encourageriez-vous le gouvernement canadien à étudier ces types de possibilités?

Mme Dawson : Tout à fait.

La présidente : Simplement pour effectuer un suivi : la critique à l'égard du PTP découlait de certaines des dispositions que les États-Unis voulaient absolument inclure dans l'accord, et je pense à certaines des questions relatives à la propriété intellectuelle. Selon vous, le plan B mettrait-il de côté les exigences des États-Unis auxquelles d'autres pays résistaient pour tenter d'aller dans cette direction, ou bien s'agirait-il de prendre le cadre et de dire : « Quelle est sa place sans les États-Unis? » et de simplement l'adapter en conséquence? Quelle serait l'approche privilégiée?

Mme Dawson : Eh bien, je m'en remettrais à vos compétences supérieures en matière d'analyse politique à ce sujet, pour déterminer s'il serait plus logique de conclure un accord qui correspond tout à fait à ce que veulent les États-Unis afin que l'on puisse les inciter à revenir ou s'il serait plus logique de le remodeler un peu afin qu'il reflète les intérêts des parties. Je ne suis pas tout à fait certaine de la réponse.

Je signalerai — je pense qu'il importe d'en tenir compte — que, quand on a fait la promotion du Partenariat transpacifique à Washington, quand le gouvernement Obama le vendait aux intervenants, on ne le vendait pas principalement en tant qu'accord économique. On le vendait en tant qu'accord géostratégique qui allait avoir une incidence sur le pivot américain face à l'Asie. Il s'agissait d'une situation très particulière où des généraux quatre étoiles allaient à Washington parler des règles d'origine pour le secteur de l'automobile.

Une des choses qu'a déclarées le président Obama — je ne le cite pas directement —, c'était : « Les États-Unis ont besoin d'être partie au Partenariat transpacifique. Nous avons besoin d'établir les règles afin que la Chine ne le fasse pas. » Eh bien, si le pays s'absente du Partenariat transpacifique, cela devient inévitable. L'administration Trump veut discipliner la Chine. Si c'est le cas, j'aurais tendance à penser qu'il lui serait utile de bénéficier de la force du PTP pour l'appuyer.

Une parenthèse importante, c'est que, pendant que nous nous sommes concentrés sur le Partenariat transpacifique, il y a eu une autre petite négociation commerciale appelée le PEIR, le Partenariat économique intégral régional, qui est l'accord commercial de l'ANASE dirigé par la Chine, l'Inde et un grand nombre des partenaires du PTP. Il ne s'agit pas d'un accord commercial très évolué. Il ne comprend pas le genre d'engagements de l'ALENA 2.0, des engagements relatifs aux barrières non tarifaires — comme ce que renfermait le PTP —, mais il s'agit d'un accord commercial fonctionnel qui présente toutes les possibilités de devenir une règle internationale au cours des prochaines années.

La sénatrice Ataullahjan : Dans votre témoignage de ce matin, vous avez lancé toutes ces phrases qui ont maintenu l'intérêt. Des réformes intérieures en Australie. Vous affirmez que nous accusons du retard et que les Australiens ont établi certaines politiques. Pourriez-vous nous parler un peu de celles qui sont particulièrement bonnes?

Mme Dawson : Je vais esquiver cette question. Cela a forcé l'Australie à faire un choix parmi les secteurs et à dire : « Nous nous attendons à ce que ce secteur ressorte gagnant à long terme, et nous ne sommes pas certains si ce sera le cas de celui-ci. » Voilà le défi auquel fait face le Canada relativement à des secteurs comme celui de la gestion de l'offre. Il s'agit d'un bourbier politique dans lequel je préférerais ne pas mettre les pieds.

La sénatrice Ataullahjan : Vous n'avez lancé cela que pour susciter notre intérêt.

Mme Dawson : C'est exact.

La sénatrice Ataullahjan : Au sujet des 40 millions de personnes de la classe moyenne du Mexique, comme c'était le cas en Inde, où nous avons vu la nouvelle classe moyenne avoir une énorme incidence sur l'économie de son pays, observerons-nous le même phénomène au Mexique?

Mme Dawson : Oui, absolument. Nous observons déjà une énorme incidence au Mexique. Le volume des importations augmente, et les types de produits qui sont consommés se diversifient. Il est révélateur qu'une entreprise comme Grupo Bimbo ait acheté Canada Bread il y a deux ou trois ans. Il n'est plus question du Mexique en tant que pays en développement, où il n'y a que du maïs, des haricots et des gens qui portent des sombreros. Sa croissance est très rapide, son économie, perfectionnée, et sa capacité d'absorber des produits et services canadiens est grande.

Je suis certaine que vous avez déjà entendu l'histoire de la Banque Scotia. Cette banque a établi un partenariat solide avec le Mexique et est très présente dans ce pays. Il semble que la Banque Scotia compte davantage d'employés hispanophones que d'employés anglophones ou francophones, ce qui est assez étonnant. À mesure que les revenus augmentent, ils achètent des choses comme des produits et services financiers, des produits d'assurance... des choses qu'ils n'achetaient pas auparavant.

La sénatrice Lankin : Vous venez tout juste de mentionner le PEGR? Ai-je bien compris?

Mme Dawson : Oui. Je ne suis même pas encore certaine de quoi il s'agit.

La sénatrice Lankin : Alors, cette question est peut-être prématurée. Concernant ce que vous en savez, vous affirmez qu'il présente toutes les indications de pouvoir devenir la règle internationale dans un avenir rapproché. Ce partenariat contient-il des dispositions qui suscitent ou susciteraient des préoccupations pour le Canada? Le fait d'étudier la possibilité de faire quelque chose pour sauver le PTP nous donne-t-il une quelconque nouvelle impulsion?

Mme Dawson : La disposition dont le Canada devrait s'inquiéter le plus, c'est simplement qu'il coûtera moins cher de faire des affaires à l'intérieur de ce bloc qu'à l'extérieur. Cela aura un effet de détournement commercial. Si on a le choix entre un échange commercial avec son partenaire du PEGR et un échange commercial avec le Canada, qui a établi des barrières relativement plus élevées, on va choisir son partenaire le plus rapproché. Alors, en réalité, c'est une exclusion de ce bloc qui pourrait susciter des préoccupations pour le Canada.

Le grand avantage pour le Canada, c'est que, en tant que petite économie — une économie qui s'entend assez bien avec tout le monde —, rien ne l'empêche de se joindre à ces négociations. Actuellement, le Canada n'est pas membre de l'ANASE, mais il pourrait l'être. Il n'y a aucune raison pour que le Canada ne puisse pas être partie à la fois au PTP et au PEGR.

De nombreuses personnes croient que les États-Unis et la Chine mènent ce genre de guerre mondiale des titans pour gagner le cœur et l'esprit du système de commerce mondial et remporter sa suprématie. Je pense que ces deux pays veulent commercer ensemble. Si on regarde la mesure dans laquelle ils tiennent des conversations productives au sujet du commerce et des investissements — si on n'écoute pas leur rhétorique, mais qu'on regarde les actes —, en fait, ils se rapprochent beaucoup. Si l'idée est que la Chine et les États-Unis vont finir par s'unir, que le PEGR est contrôlé en grande partie par la Chine et que, pendant un moment, le PTP est contrôlé en grande partie par les États-Unis, le fait pour le Canada d'être partie à ces deux partenariats l'aidera à mieux profiter de cette convergence.

La présidente : Nous pourrions poursuivre cette discussion encore longtemps, et j'espère que vous serez ouverte à une invitation ultérieure, pendant que nous continuons à surveiller et à étudier les enjeux liés au commerce, plus particulièrement le trilatéralisme et son incidence sur tout le reste. Cela comprend un aspect que nous n'avons pas abordé, car le président désigné des États-Unis affirme qu'il souhaite régler la question des relations entre la Chine et les États-Unis, ce qui aura une incidence sur nous aussi. Nous n'avons pas vraiment discuté du fait que le Canada devrait ou non effectuer des échanges commerciaux et dialoguer de façon bilatérale au-delà de ce que nous avons entendu dans la sphère publique.

Merci de vous être présentée moyennant un court préavis, et plus particulièrement du contenu que vous nous apportez toujours. Je sais que votre témoignage est précieux, tant pour ce qui est des explications fournies que des idées concernant les façons dont, en tant que comité, nous pourrions contribuer au débat d'un point de vue parlementaire. Merci de votre présence aujourd'hui et d'avoir modifié notre horaire pour répondre à nos besoins.

(La séance est levée.)


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