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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 14 - Témoignages du 30 novembre 2016


OTTAWA, le mercredi 30 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi S-226, Loi prévoyant la prise de mesures restrictives contre les étrangers responsables de violations graves de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale et apportant des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous sommes prêts à commencer la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant que nous passions au point inscrit à l'ordre du jour, je voulais porter un certain nombre de questions à votre attention. La semaine dernière, nous avons eu des difficultés. Vous vous en souviendrez. Nous sommes allés en Argentine, et l'une de nos activités consistait à visiter l'ESMA, le musée qui rend hommage aux gens qui ont été tués à l'époque du coup d'État. Les gens avaient été regroupés dans une énorme académie navale, qui se trouve en plein centre-ville de Buenos Aires. Ils ont été interrogés, séparés en différents groupes, et certains ont été envoyés en prison. Or, bon nombre d'entre eux ont été mis dans un avion et jetés dans l'océan.

Si vous vous souvenez bien, tous ces faits étaient connus, mais personne n'était prêt à témoigner à ce sujet parce que les gens avaient encore peur compte tenu de la présence des militaires, et cela a pris des années. Ce qui s'est passé, c'est que des femmes qui se trouvaient dans les installations étaient enceintes. Elles ont donné naissance, et les enfants leur ont été enlevés et ont été adoptés. Les grands-mères ont essayé de découvrir où se trouvaient leurs enfants, et leurs petits-enfants par la suite.

La situation des grands-mères était très bien connue au Canada, si vous vous souvenez bien. Elles ont été certainement proposées pour le prix Nobel à maintes reprises. De plus, elles ont reçu le prix de l'Action mondiale des parlementaires, ce à quoi j'ai participé.

On a établi un musée, toute cette académie navale, et nous, les membres du comité, nous nous sommes scindés en deux groupes et nous l'avons visité. Comme vous pouvez le comprendre, c'est très émouvant pour des milliers de personnes.

Dans leur transition vers un régime démocratique, un grand nombre de gens se sont joints aux grands-mères pour commencer à enquêter, et l'une des bonnes choses qui est arrivée, ce sont les analyses d'ADN, car on a été en mesure d'identifier des gens, et cetera.

De plus, parmi les nombreux pilotes, deux ont admis ce qui s'était passé, et ils sont devenus en quelque sorte des héros, non pas en raison de ce qu'ils avaient fait, mais parce qu'ils ont eu le courage de défier l'autorité. Ils avaient été réduits au silence, comme ils le disaient, et ils ont rompu ce silence. Nous avons visité le musée.

Je l'ai signalé lors d'une réunion précédente, il y a quelque temps, et j'ai proposé que nous préparions un document d'information. Nous l'avons fait traduire, et je vais le faire distribuer maintenant, à titre informatif.

À ce moment-là, j'ai également suggéré que puisque la sénatrice Ataullahjan, le sénateur Ngo et moi-même faisons partie du Comité des droits de la personne, nous devrions présenter ce document à ce comité parce qu'il s'agit d'une question relative aux droits de la personne importante, et je crois que cela devrait être porté à leur attention. Vous avez donc ce document, et j'ose espérer que nous en tiendrons compte dans notre rapport.

Ensuite, nous n'avons rien entendu au sujet de l'AECG, qui est l'énorme accord de libre-échange entre le Canada et l'Europe. Le comité de la Chambre des communes est toujours en train de discuter du projet de loi. Le bruit court qu'il sera étudié la semaine prochaine et qu'il passera à l'étape de la troisième lecture à la Chambre. Personne ne semble vouloir faire courir des rumeurs sur ce qui se passera.

C'est l'un des projets de loi que nous attendons depuis un certain temps. L'étude du projet de loi C-13, qui nous a été renvoyé aujourd'hui, tombe à point nommé, et je veux remercier les membres encore une fois. Le sénateur Downe et moi avons fait valoir de très bons arguments sur le fait que nous avons besoin du temps voulu pour étudier des projets de loi et que nous devons le faire conformément nos règles, et non parce que quelqu'un nous dit de le faire.

Je ne me suis pas exprimé tout à fait de cette façon. J'espère avoir été un peu plus délicate, mais j'ignore comment nous allons nous occuper de l'AECG s'il est présenté la semaine prochaine, disons, et quelles sont les règles. Personne ne nous a encore bien informés. Il s'agit d'un projet de loi majeur, et nous devons l'étudier.

Deux rapports sont à l'étape de la rédaction. Nous avançons pour ce qui est du rapport sur le commerce. Le comité de direction a vu le rapport, et nous venons de travailler aux recommandations.

Sénateur Downe, avez-vous reçu les recommandations proposées?

Le sénateur Downe : Je crois que oui. Elles se trouvent dans mon bureau, mais je n'ai pas eu l'occasion de les examiner.

La présidente : Elles sont en cours de traduction. Je crois comprendre qu'elles seront présentées cette semaine ou au début de la semaine prochaine. Nous pourrons ensuite nous occuper du rapport sur le commerce. Il convient que ce soit avant l'AECG.

L'autre rapport, c'est celui qui porte sur l'Argentine. Il est peut-être encore en cours de traduction. Je n'ai vu que des parties du rapport et non le document au complet. Je peux seulement dire que comme d'habitude, Natalie a fait du bon travail. Je lui ai dit de poursuivre dans la même voie, et nous discuterons des recommandations. Elle a des suggestions. Il est à espérer que le comité de direction sera en mesure de s'en occuper bientôt. Voilà les deux questions qui doivent encore être réglées.

Nous avons deux projets de loi d'initiative parlementaire. Il y a le projet de loi S-219, qui est parrainé par le sénateur Tkachuk, et il a été proposé que nous l'étudiions. Il a été présenté ici d'abord. Toutefois, le sénateur Tkachuk est absent pour des raisons personnelles et le sera toute la semaine. Voilà pourquoi nous étudions le projet de loi S-226.

J'ai consulté tout le monde, et je pourrais continuer de présider la présente séance, mais je préfère ne pas le faire. De plus, le sénateur Downe et moi avons convenu qu'il le ferait chaque fois que l'étude du projet de loi S-226 sera à l'ordre du jour. Le sénateur Downe occupera le fauteuil à ma place.

À moins qu'il y ait d'autres points à soulever ou d'autres questions, je vais céder ma place et nous pourrons continuer.

Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Honorables sénateurs, nous commençons maintenant notre étude du projet de loi S-226, Loi prévoyant la prise de mesures restrictives contre les étrangers responsables de violations graves de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale et apportant des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

La sénatrice Andreychuk est l'auteure du projet de loi, et nous lui avons demandé de comparaître aujourd'hui. La parole est à vous.

L'honorable A. Raynell Andreychuk, marraine du projet de loi : Je remercie le comité. Nous avons été saisis de certaines des questions liées au projet de loi S-226. Cela relève du Parlement, et je tiens à signaler qu'il y a quelques années, Irwin Cotler, une personne avec laquelle je collabore très étroitement sur bon nombre de questions internationales relatives aux droits de la personne, a proposé des motions et des projets de loi, si je ne m'abuse, à la Chambre des communes, qui n'ont jamais franchi toutes les étapes.

Lorsqu'il a quitté le Parlement, bon nombre de personnes, et je dois dire, tous partis confondus, se sont intéressés vivement à l'initiative visant à mettre les droits de la personne sur un pied d'égalité avec d'autres questions de politique étrangère, qu'il s'agisse du terrorisme ou de la sécurité du Canada, et cetera.

Il m'a semblé qu'étant donné que notre pays accorde beaucoup d'importance aux droits de la personne et compte tenu de la mesure dans laquelle nous les avons ancrés dans nos lois et du rôle de premier plan que nous jouons partout dans le monde sur le plan des questions internationales relatives aux droits de la personne, il conviendrait que nous ayons un levier concernant les sanctions qui équivaut aux autres moyens d'action que nous avons mis au point au fil des ans.

Pour l'essentiel, le projet de loi S-226 indique que si des violations graves et persistantes des droits de la personne sont commises — et j'y reviendrai —, des sanctions pourraient être imposées contre les étrangers qui les ont perpétrées.

Bon nombre de pays ont adopté de telles mesures, sous une forme ou une autre, dans le cadre de leurs lois, et la plupart des discussions dans le domaine des droits de la personne sur la scène internationale portent sur la question suivante : si les droits de la personne constituent un pilier dans votre politique étrangère, quelles sont les conséquences? Pour ce qui est du terrorisme, nous avons des sanctions commerciales, mais nous n'avons pas de sanctions pour ce dernier pilier que sont les droits de la personne.

Le projet de loi S-226 stipule que nous avons une mesure, la Loi sur les mesures économiques spéciales, qui a été élaborée pour que des sanctions soient imposées.

L'objectif de mon projet de loi, c'est que si des violations graves et persistantes sont commises, le gouvernement sera en mesure d'imposer des sanctions au dirigeant étranger qui est responsable de ces atrocités. Cela pourrait mener à des sanctions précises. Il ne s'agit pas d'utiliser ces mesures contre un pays en tant que tel, et elles ne visent pas une population, mais bien les gens qui ont commis les actes.

Je veux revenir sur des observations que j'ai présentées au Sénat. En bref, le projet de loi vise à prévoir la prise de mesures restrictives contre les étrangers responsables de violations graves de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale. L'intention n'est pas de dire que le Canada établira à lui seul les droits de la personne pour lesquels, s'ils sont violés, des sanctions seront imposées. Le but, c'est de déterminer s'ils respectent les normes que nous avons adoptées en tant que collectivité et les membres de la collectivité internationale qui souhaitent respecter les normes et les droits internationaux.

Il s'agit de dire que nous examinons l'ordre international tel que nous le connaissons et tel que nous souhaitions qu'il soit maintenu. Nous savons que des gens soit ne respectent pas l'ordre international, soit ne respectent pas les normes en matière de droits de la personne. Nous mettrons en place des leviers au Canada, tout d'abord pour faire de la question des droits de la personne à l'échelle internationale une question fondamentale de notre politique étrangère.

Le projet de loi S-226 prévoit des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Nous savons que le Canada et ses citoyens ont, de diverses façons, renforcé le respect des droits de la personne tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale, mais il n'a pris aucune mesure concernant les étrangers qui peuvent avoir des biens ou mener des activités au Canada. Il s'agit de disposer d'un levier permettant au Canada d'agir à cet égard.

M. Kara-Murza, qui est dans l'opposition en Russie, est venu témoigner devant le comité sénatorial — et je ferai référence aux témoignages que nous avons entendus. Il a fait l'objet d'une attaque à laquelle il a survécu. Lors de sa comparution devant notre comité, il a dit une chose que j'ai trouvée très frappante. Il a dit que la différence entre le système soviétique et le système russe d'aujourd'hui, c'est que dans le régime soviétique, la société était fermée. Les auteurs d'infractions restaient dans ce cadre et ne sortaient que pour participer à des rencontres internationales, par exemple. De façon générale, leurs avoirs étaient quelque part, mais pas dans ce pays.

Il a dit qu'à son avis, la différence maintenant, c'est qu'en Russie, ces auteurs de crimes ont pris des avoirs du gouvernement et, au moyen de la corruption, les ont déplacés dans des pays occidentaux, pour ainsi dire, car je ne parle pas seulement du Canada. On parle de maisons, de frais de scolarité et de vacances. S'il peut être prouvé, conformément à des normes internationales que ces avoirs appartiennent à des dirigeants corrompus, nous devrions pouvoir les saisir, et voilà sur quoi porte cette mesure législative.

Je n'en parlerai pas plus longuement.

Je veux rappeler aux sénateurs que le Comité des droits de la personne a effectué une étude sur les mécanismes liés aux droits de la personne à l'échelle internationale. Le rapport de décembre 2001, qui a été déposé au Sénat, s'intitulait Des promesses à tenir : le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne. Si nous nous conformons aux normes internationales, nous voulons aller un peu plus loin et dire qu'au Canada, nous appliquerons des mesures, du mieux que nous le pouvons, pour toute violation.

Nous avons donc examiné les forces et les faiblesses. Je dirai en tout respect que le projet de loi met le Canada sur la bonne voie, comme cela a été le cas à d'autres moments. Il s'agit d'une lacune que nous voulons combler.

Il y a de nombreux exemples de violations des droits de la personne qui ont été commises dans le monde. Le projet de loi ne vise aucun pays en particulier, bien qu'il s'inspire de ce qui est arrivé à Sergei Magnitsky.

Le projet de loi S-226 vise à renforcer la capacité du gouvernement canadien à protéger et à promouvoir les droits de la personne reconnus à l'échelle internationale. Les menaces de détention illégale, de torture et de mort sont souvent employées pour réduire au silence les dissidents et les défenseurs des droits de la personne dans leur pays et ailleurs. De plus, l'impunité rend inefficaces nos mécanismes de protection des droits de la personne. Nous voyons de plus en plus des pays ignorer les normes, les traités et les accords internationaux.

Au Canada, nous devons poursuivre nos efforts par l'intermédiaire des organismes internationaux chargés d'appliquer les traités, des Nations Unies et des groupes régionaux, ainsi que par tous les autres moyens à notre disposition, pour veiller à ce que les droits de la personne soient non seulement respectés, mais aussi renforcés pour une société moderne.

Par conséquent, je crois qu'il est urgent, tout d'abord, que nous renouvelions nos efforts pour protéger notre système international de défense des droits de la personne, qui est menacé à l'heure actuelle. Tout le travail que nous avons accompli au fil des décennies semble ne pas être bien accueilli par certains pays et leurs dirigeants. Je crois que cette mesure, le projet de loi S-226, marque un tournant pour ce qui est de combler les lacunes en matière de reddition de comptes à l'échelle internationale.

Je vais citer le préambule du projet de loi :

Attendu que l'ajout des violations graves aux droits de la personne reconnus à l'échelle internationale aux motifs justifiant l'imposition de sanctions contre un État étranger ou contre un ressortissant étranger réitérerait le soutien du Canada envers le respect des droits de la personne et renforcerait son obligation de protéger les militants des droits de la personne [...]

À l'heure actuelle, et je vais encore une fois citer un passage du préambule du projet de loi, la Loi sur les mesures économiques spéciales

[...] autorise le gouvernement du Canada à prendre des mesures économiques contre un État étranger ou un ressortissant étranger afin de mettre en oeuvre une décision, une résolution ou une recommandation d'une organisation internationale d'États ou d'une association d'États, ou lorsqu'il estime qu'une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales est susceptible d'entraîner ou a entraîné une grave crise internationale [...]

Le paragraphe 4(1) de la Loi sur les mesures économiques spéciales dit ceci :

Il peut aussi, par décret, saisir, bloquer ou mettre sous séquestre, de la façon prévue par le décret, tout bien situé au Canada et détenu par un État étranger, une personne qui s'y trouve, un de ses nationaux qui ne résident pas habituellement au Canada ou en leur nom.

C'est la raison pour laquelle il y a une modification connexe à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. On veut ainsi s'assurer que ce ne sont pas les résidents permanents du Canada qui sont visés, mais bien les personnes de nationalité étrangère ayant des activités au Canada.

Ce projet de loi n'est pas d'application obligatoire pour le gouvernement. Nous pourrons y revenir plus en détail un autre jour. Je voulais seulement vous en exposer le cadre. Le projet de loi n'oblige pas le gouvernement à prendre quelque mesure que ce soit; il lui permet tout simplement de le faire. C'est un outil de plus dans la trousse du gouvernement. Il incombe au gouvernement de mettre en place la réglementation pertinente et d'évaluer dans le contexte général de sa politique étrangère s'il convient pour lui de se servir des leviers que ce projet de loi met à sa disposition. D'après moi, c'est ce qui manque actuellement.

Il nous est arrivé de travailler à l'étude de projets de loi en réponse à une situation de crise. Je pense notamment au moment où l'on a découvert qu'il y avait au Canada d'importants actifs appartenant à l'ancien régime tunisien. Nous n'avions pas alors les moyens nécessaires pour bien composer avec la situation. Nous avons dû nous débrouiller pour concocter un projet de loi. Celui que je présente ici permet en quelque sorte d'anticiper l'évolution de certains enjeux internationaux et deviendra de ce fait un outil précieux pour le gouvernement. Je crois que certains pays envisagent des mesures semblables, alors que d'autres en ont déjà prises. Nous devrions certes l'ajouter à notre bagage législatif.

Le fait d'avoir cet outil à la disposition du gouvernement pour que celui-ci puisse l'utiliser à sa discrétion dans les conditions prescrites envoie le bon signal à la communauté internationale et équipe le Canada pour intervenir positivement contre les auteurs de violations graves de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale.

Le projet de loi permettrait en outre au Canada d'exercer, de défendre et de faire valoir les droits et libertés reconnus internationalement en pouvant compter sur une mesure de plus dans son arsenal.

Je voulais simplement vous exposer d'entrée de jeu les motifs et les justifications de ma démarche avant que nous entreprenions l'étude de ce projet de loi et que nous convoquions des fonctionnaires pour discuter de la Loi sur les mesures économiques spéciales. C'est la raison pour laquelle je vous ai parlé des effets qu'il pourrait avoir. Je me dois toutefois de rappeler à mes collègues sénateurs le destin tragique de Sergueï Magnitsky, dont nous honorons la mémoire avec ce projet de loi. Les grandes lignes de son histoire sont d'ailleurs rapportées dans le préambule. Ce n'est qu'un cas parmi tant d'autres, mais c'est lui qui a inspiré le projet de loi S-226 dans sa forme initiale tout comme dans sa mouture actuelle.

Sergueï Magnitsky était un avocat qui vivait à Moscou. Alors qu'il travaillait pour une société de placement américaine dans cette ville en 2008, M. Magnitsky a découvert un stratagème de corruption à hauteur de 230 millions de dollars mettant en cause de nombreux hauts responsables du ministère russe de l'Intérieur. À la suite de son témoignage contre ces hauts responsables, M. Magnitsky a été accusé de fraude fiscale impliquant des montants comparables et arrêté. Il a passé les années suivantes en prison, dans des conditions de salubrité déplorables. On lui a refusé un procès équitable, son arrestation et son inculpation ayant été caractérisées par un manque de transparence et d'application régulière de la loi.

Il avait différents problèmes de santé, mais on lui a sans cesse refusé un traitement médical adéquat. Un soir de décembre 2009, plusieurs gardes armés sont entrés dans la cellule de M. Magnitsky. Alors qu'il se tordait de douleur sur le sol humide de sa cellule, M. Magnitsky a été sauvagement battu. Étant donné que sa santé était déjà chancelante, les blessures qu'il a subies ont eu raison de lui. Le 16 décembre, à l'âge de 37 ans, Sergueï Magnitsky a succombé à ses blessures et est mort avant son procès. Ses deux jeunes enfants, son épouse et sa mère lui ont survécu.

Un peu partout dans le monde, plusieurs personnes, y compris de nombreux parlementaires, se sont intéressées à son cas. L'affaire de M. Magnitsky est unique du fait qu'il a méticuleusement documenté les mauvais traitements qu'on lui a infligés. Pour bien des gens dans la même situation, aucune trace ne persiste. Mais l'avocat qu'il était a pris bien soin de mettre au jour ces agissements. Il n'était pas reconnu à proprement parler comme un défenseur des droits de la personne, mais il a voulu protéger les intérêts de son pays et il en a payé le prix.

Il a profité de ses 358 jours d'emprisonnement pour déposer 450 plaintes en matière criminelle. Toutes ces démarches ont grandement facilité la défense de sa cause sur de nombreuses tribunes internationales.

Malgré les preuves produites, aucun des agresseurs de M. Magnitsky n'a été traduit en justice. En fait, c'est plutôt lui qui a été cité à procès à titre posthume, et le tribunal russe qui a entendu sa cause l'a reconnu coupable le 11 juillet 2013, conformément à une stratégie utilisée ces derniers temps en Russie pour inverser les rôles, si je puis dire.

Le sacrifice de M. Magnitsky est celui d'un nombre incalculable de militants et de dissidents de partout dans le monde. Son cas illustre également à merveille les obstacles que doit surmonter la communauté internationale dans le dossier des droits de la personne. Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui se veut un premier pas dans les actions à entreprendre pour remédier à la situation. Il ne s'arrête toutefois pas là, puisqu'il permettrait au Canada de prendre les devants dans les efforts visant à renforcer concrètement les dispositions du droit international sur la perpétration d'infractions et de crimes.

Le projet de loi tient compte de la nécessité de cibler directement les principaux contrevenants aux droits de la personne, où qu'ils se terrent et où que soient cachés leurs avoirs. Il reprend à son compte les normes reconnues sur la scène internationale, et non seulement les normes canadiennes.

Pourquoi présenter le projet de loi S-226 maintenant? Il va sans dire que notre monde est plus interconnecté que jamais. La mobilité et le cyberespace permettent aux activités répréhensibles, tout comme à celles qui ne le sont pas, de franchir nos frontières. Il s'agirait donc d'un outil de plus à la disposition du gouvernement pour prévenir ces activités et les contrecarrer, ou à tout le moins éviter qu'on ne facilite la tâche aux individus qui bafouent les droits de la personne.

Je vous ai déjà cité M. Kara-Murza dont le témoignage a été très convaincant. Il nous a notamment dit que les temps ont changé et que le Canada a désormais certaines de ces activités dans sa mire. En combinaison avec les autres mesures à notre disposition, cet outil contribuera à débusquer les coupables.

J'ai déjà pris la parole au Sénat à ce sujet, et je vous invite simplement à lire mon intervention pour que nous ne perdions pas trop de temps aujourd'hui. Plusieurs instances ont adopté des lois semblables, à commencer par les États- Unis; le Parlement européen qui a pris des résolutions à cet effet; l'assemblée de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe; et il y en a d'autres. Je crois que le Canada devrait être à l'avant-garde de cette initiative. C'est ce que ce projet de loi nous permettrait de faire.

Je dois rendre hommage à M. William Browder. Il a joué un rôle déterminant, car c'est en étudiant son dossier que M. Magnitsky a pu mettre au jour ces agissements répréhensibles. Il a déjà témoigné devant nous. Je propose que ces témoins comparaissent devant le comité.

M. Browder a indiqué que le Canada, étant donné le leadership qu'il exerce en matière de droits de la personne, est un pays qui devrait montrer la voie à suivre, et je crois que c'est ce qui a incité Irwin Cotler à rencontrer M. Browder pour entreprendre ces démarches.

Je dois souligner que ce projet de loi a son pendant à la Chambre des communes. Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire, et je ne sais pas à quel moment on va en traiter. Quoi qu'il en soit, j'estime important que nous agissions. Nous avons les ressources nécessaires et c'est l'occasion pour le Sénat de prendre l'initiative. Je crois que c'est ce que nous avons fait par le passé et que nous devrions poursuivre dans le même sens. Au Sénat, nous pouvons convoquer des témoins, même si j'estime que l'affaire est déjà assez bien connue.

Je dois préciser que tous les partis se sont engagés, pendant la campagne électorale et auparavant, à adopter une loi de ce type. Il y a dans les deux chambres des parlementaires qui ont exprimé leur soutien et continuent d'être favorables à une telle mesure. Je crois que cela devrait rendre les choses plus faciles pour le gouvernement. Je ne pense pas que le gouvernement s'en trouverait menotté. C'est un levier de plus à sa disposition pour que nous puissions nous montrer à la hauteur des principes que nous nous sommes donnés.

Je souhaiterais donc que nous amorcions l'étude de ce projet de loi au Sénat. J'ose espérer que vous voudrez bien appuyer cette démarche. C'est avec plaisir que je répondrai à toutes vos questions, quitte à devoir vous transmettre une réponse ultérieurement s'il ne m'est pas possible de le faire aujourd'hui.

Le vice-président : Merci, sénatrice Andreychuk, pour votre exposé.

Le sénateur Ngo : Sénatrice Andreychuk, je vous remercie beaucoup d'avoir pris l'initiative de présenter ce projet de loi. C'est une mesure très importante qui arrive à point nommé. Je pense qu'il est grand temps que le Parlement adopte une loi en la matière.

Ce projet de loi permet d'ajouter des étrangers à la liste de ceux qui sont visés par des sanctions et qui voient leurs actifs être bloqués au Canada. Pourriez-vous nous expliquer comment le Canada pourrait s'y prendre pour recueillir l'information nécessaire afin d'imposer des sanctions aux responsables de violations des droits de la personne dans d'autres pays. Je pense à l'exemple du Vietnam, de la Chine et d'autres pays de la sorte. Comment les auteurs de ces violations seraient-ils sanctionnés par ce projet de loi?

Pensez-vous qu'il y aurait des impacts sur les relations commerciales du Canada avec les pays en cause?

La sénatrice Andreychuk : Vous me posez au moins trois questions; j'espère pouvoir y répondre.

Nous avons déjà par exemple des mesures législatives exigeant la comptabilisation des transferts de fonds. Ainsi, la Loi sur les mesures économiques spéciales mise sur certains dispositifs en place pour suivre la circulation des fonds. Nous sommes reliés à des organisations internationales et régionales comme l'Interpol.

Il y a différentes façons d'envisager les choses. Il ne s'agit pas de s'attaquer directement aux problèmes constatés dans un autre pays et de s'en prendre à ses actifs. Il faut pouvoir faire le nécessaire lorsqu'on porte atteinte aux droits de la personne ailleurs dans le monde en s'assurant de disposer au Canada d'un outil permettant de sanctionner les coupables en ciblant leurs actifs ou leurs activités dans notre pays.

J'espère que ce projet de loi deviendra — et je crois pouvoir parler au nom de ceux qui l'appuient — une norme d'excellence susceptible d'inciter d'autres pays à adopter des lois similaires. Il ne s'agit pas de remédier directement aux actes répréhensibles qui peuvent se produire dans un autre pays, mais plutôt d'assurer l'application des normes internationales.

Si je mets à la place du gouvernement, je ne pense pas que je voudrais cibler expressément un pays A, B ou C. Nous disons simplement qu'il existe des ententes internationales qui devraient être respectées, et que nous voulons nous assurer de ne pas être pris au dépourvu en l'absence d'une mesure valable lorsque des gens qui contreviennent à ces ententes ont des activités au Canada.

Je préconiserais une réglementation qui définirait les moyens à prendre pour vérifier si on a transgressé les normes et, le cas échéant, déterminer s'il y a des activités au Canada qui doivent être sanctionnées.

Vous voulez savoir comment on peut mettre au jour une telle situation. Il y a bien des façons possibles. Nous avons des militants très actifs pour la défense des droits de la personne et un grand nombre de lois qui nous permettent d'aller au-delà de nos frontières pour trouver de l'information. Je ne privilégie pas un moyen ou un autre. Le projet de loi ne prescrit rien à cet effet. C'est un outil qui permet d'imposer des sanctions suivant les modalités qui seront clairement définies par le gouvernement dans sa réglementation. Ce n'est pas une obligation; c'est un outil.

Je pourrais sans doute penser à des exemples d'applications possibles, mais je vais m'en abstenir car je veux surtout que le gouvernement lance un message clair, tant aux Canadiens qu'au reste du monde, en indiquant que nous nous préoccupons peut-être de nos échanges commerciaux, de nos relations internationales et de notre diplomatie, mais nous accordons aussi une grande importance au respect des droits de la personne, et nous allons trouver le moyen de faire tout ce qui est nécessaire pour protéger, notamment grâce à ce projet de loi, tous ces défenseurs des droits de la personne qui se tiennent debout et en paient le prix.

La sénatrice Eaton : Le sénateur Ngo a déjà posé ma première question; je me demandais comment nous allions savoir qu'une personne est coupable. De toute évidence, ces gens-là ne se retrouvent pas devant un tribunal ou tout au moins devant une instance généralement reconnue. Y a-t-il d'autres pays qui ont adopté des lois similaires? Si nous promulguions cette loi, pourrions-nous compter sur les États-Unis ou nos partenaires du Groupe des cinq pour qu'ils fassent de même de manière à ce que l'impact soit vraiment important, comparativement au simple fait de bloquer les fonds d'une personne ou de l'empêcher de venir au Canada ou d'y faire des affaires.

La sénatrice Andreychuk : Les États-Unis ont adopté une loi Magnitski.

La sénatrice Eaton : Alors les deux pourraient aller de pair?

La sénatrice Andreychuk : Eh bien, l'intention est la même, mais les deux pays ne procéderaient pas nécessairement de la même manière...

La sénatrice Eaton : Ils ont adopté une loi et nous pouvons faire de même. D'accord.

La sénatrice Andreychuk : Le but visé est que le Canada devienne un chef de file en la matière. Je crois qu'il y a tout lieu d'être optimiste, car de nombreux pays ont pris des mesures semblables sous différentes formes. C'est une lacune qui a été relevée dans le cas du Canada. Nous allons offrir cet outil et voir si d'autres peuvent s'en inspirer en vue d'apporter des correctifs de cet ordre pour ce qui est des comptes à rendre.

De plus en plus, les forces se coalisent pour imposer des sanctions à ceux qui bafouent les droits de la personne. Si nous croyons vraiment à l'importance de ces questions, nous pourrions intervenir comme nous le faisons déjà notamment pour des motifs de sécurité et de terrorisme. Ne devrions-nous pas considérer que les droits de la personne sont tout aussi importants dans notre évaluation de nos relations internationales? Nous ne voulons pas servir d'asile à ces individus et à leurs avoirs.

La sénatrice Eaton : Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais d'un autre point de vue, vous savez mieux que moi que la conjoncture politique n'est pas figée et que le jugement que l'on fait de certaines personnes peut évoluer avec le temps. Si l'on considère que des gens dont le nom s'est retrouvé sur une liste d'interdiction de vol ont eu de la difficulté à le faire rayer de cette liste, pouvez-vous me dire s'il existe des garanties, ou des moyens de laver sa réputation, si je puis m'exprimer ainsi?

La sénatrice Andreychuk : Oui, c'est prévu dans le projet de loi.

La sénatrice Eaton : C'est prévu dans le projet de loi.

La sénatrice Andreychuk : Comme c'est le cas pour toutes les autres sanctions, le ministre peut retirer un nom de la liste s'il a de bonnes raisons de le faire. Les mesures proposées ici sont toutefois très ciblées. J'aurais tendance à croire que le gouvernement va prendre toutes les précautions nécessaires avant de se prévaloir de ces dispositions. Je pense que c'est d'application moins générale qu'une liste d'interdiction de vol. Il faut d'abord faire la preuve qu'il y a eu violation grave. Cela ne va pas se faire du jour au lendemain.

La sénatrice Eaton : Ce n'est pas à un tribunal de le faire.

La sénatrice Andreychuk : Non, mais il y a des cours qui existent pour faire appliquer les normes internationales, et il se pourrait fort bien aussi que ce soit un tribunal. Je ne suis pas en train de dire que c'est impossible.

Je dois reconnaître la contribution de nos analystes juridiques qui ont participé à la rédaction de ce projet de loi. Je ne tiens pas mordicus au libellé actuel. Je veux surtout que l'on arrive à bien faire comprendre le message et l'intention de ce projet de loi. J'espère que nous aurons droit dans le cadre de notre étude à certains témoignages sur des situations concrètes. Ma déclaration d'aujourd'hui ne visait qu'à lancer la discussion.

La sénatrice Ataullahjan : Merci, sénatrice Andreychuk.

Qui devrions-nous cibler, les hauts responsables qui se rendent complices en demandant à ce que l'on commette de tels actes ou bien ceux-là mêmes qui se rendent directement coupables des violations?

Faudra-t-il conclure de nouvelles ententes pour l'échange de renseignements avec d'autres pays ou est-ce que nos accords existants nous permettent déjà de le faire?

La sénatrice Andreychuk : Je peux vous donner une réponse en deux volets. Ce sont simplement mes opinions. Nous avons déjà un grand nombre d'ententes, mais est-ce qu'elles sont pour autant mises en œuvre? Nous pouvons conclure un accord avec un gouvernement, mais les dirigeants en poste peuvent ensuite changer. Nous voulons donc viser les auteurs de ces violations graves.

Vous me demandez s'il faut s'en prendre à celui qui a donné l'ordre ou à celui qui l'a exécuté. Nous pourrions viser les deux à la fois. C'est ce qu'il faut faire. Dans le cas de Sergueï Magnitski, ce sont des fonctionnaires de l'impôt qui ont commis des actes répréhensibles à son endroit. Mais tout cela s'est produit au sein d'un régime qui s'est toujours montré plutôt hésitant à assurer le respect des droits de la personne et à garantir la liberté d'expression et d'autres formes de liberté. Alors, peut-on cibler un individu en particulier? C'est possible.

Je pense que les deux formes d'intervention sont envisageables, mais il faut pouvoir les évaluer en fonction de normes internationales. C'est ce qui est difficile quand on considère la façon dont les choses se passent à la Cour pénale internationale et au sein d'autres instances auxquelles nous participons. Vous devez établir la preuve de vos allégations à l'encontre de l'individu ou de l'auteur des actes répréhensibles, et je ne crois pas qu'il soit possible d'affirmer de façon prescriptive que l'un ou l'autre devrait être exempté, selon qu'il soit passé ou non à l'acte.

C'est un éternel débat dans le domaine des droits de la personne. Certains font valoir qu'ils ne faisaient que suivre les ordres pendant que les autres ne sont pas prêts à avouer qu'ils ont donné des ordres semblables. J'ai aussi pu constater que dans plusieurs pays, ce n'est pas vraiment un ordre qui est donné, mais une directive plus subtile comme : « Faites le nécessaire. »

Je trouve qu'il est difficile de nous en prendre aux coupables et de faire respecter les normes internationales. Je n'arrive pas ici en vous parlant d'abord des normes canadiennes. Lorsqu'il est question de politique étrangère, je parle toujours des normes internationales. Je pense que nous avons tout lieu d'être fiers du rôle que nous jouons dans l'application de ces normes, et j'espère que nous pourrons poursuivre dans la même veine.

L'imposition de sanctions commerciales n'est pas chose plus facile car il y a toujours une crainte de représailles. Un peu de la même manière, on peut aussi s'interroger sur les conséquences possibles lorsque des mesures de sécurité sont prises. Il y a ainsi toujours une tension qui persiste. Il peut effectivement y avoir des répercussions sur nos relations étrangères, reste à savoir si nous sommes prêts à payer ce prix.

Comme me l'ont dit les représentants d'au moins trois partis, si ce n'est quatre, les droits de la personne sont importants et il devrait y avoir des conséquences. Celles-ci devraient prendre la forme de sanctions ciblées aussi sévères que dans les autres secteurs où nous intervenons.

Je m'en remets aux éminents experts du gouvernement pour établir la réglementation applicable. Il y a encore du travail à faire, et c'est dans cette optique que le projet de loi vise à encourager les actions pour la défense des droits de la personne en indiquant que des sanctions sont effectivement envisageables. Il restera ensuite aux brillants esprits qui travaillent dans ce domaine à établir les règlements de telle sorte que l'on cible les bonnes personnes et que l'on retire de la liste, comme le prévoit le projet de loi, le nom de celles qui ne devraient pas y figurer.

La sénatrice Ataullahjan : Nous sommes toutes les deux membres du Comité des droits de la personne où il a été amplement question des échanges commerciaux et des sanctions dans le contexte du respect de ces droits. Il est possible que vous ne vouliez pas répondre, mais je veux quand même vous poser la question. Croyez-vous qu'il devrait y avoir un lien entre nos échanges commerciaux et les violations des droits de la personne? Nous avons déjà posé la même question à de nombreux représentants gouvernementaux. Je sais que c'est une question délicate. Vous ne voudrez peut- être pas y répondre, mais je me sentais obligée de vous la poser.

La sénatrice Andreychuk : Je ne suis pas certaine que nous établissions un lien entre le commerce et les droits de la personne. Nous constatons que certains individus se rendent coupables de violations à ce chapitre, et nous nous demandons s'il convient de maintenir nos échanges commerciaux. C'est exactement ce que je disais. Cette situation est difficile dans l'état actuel des choses, car il nous est possible d'imposer des sanctions lorsque les accords commerciaux ne sont pas respectés et qu'il devrait en être de même pour les violations des droits de la personne.

Le projet de loi permettrait de remédier à la situation en faisant en sorte que le gouvernement assume ses responsabilités en évaluant les répercussions possibles sur ses relations internationales pour déterminer si c'est l'avenue à privilégier. C'est la raison pour laquelle l'application n'est pas obligatoire.

Nous pourrions même aller un peu loin. Si le gouvernement indique que cela pourrait entraver nos relations avec l'autre pays, il n'y a rien à redire. Ces répercussions peuvent être prises en compte, mais les enjeux liés aux droits de la personne doivent être considérés au même titre que les questions commerciales.

Ce n'est pas d'hier que nous nous posons ces questions. Je me souviens de l'époque de l'apartheid en Afrique du Sud. Devrions-nous imposer des sanctions à tout un pays? Les sanctions commerciales n'affectent-elles pas surtout les plus vulnérables? L'Iran est un autre exemple. Les militants des droits de la personne vous diront qu'il y a un prix à payer pour nous, mais ces gens-là vont payer un prix encore plus élevé si nous n'intervenons pas en utilisant les leviers à notre disposition. Nous avons consacré beaucoup de temps aux problèmes de l'Afrique du Sud. Certains estimaient que nous n'aurions pas dû le faire, mais la plupart de ceux qui sont revenus de là-bas nous ont dit que nos efforts avaient porté fruit.

Ce que nous faisons à l'heure actuelle, c'est que nous ciblons les groupes visés. Le débat dans les années 1960 portait sur l'application de sanctions ou non. Actuellement, il porte sur l'imposition de sanctions précises, ce qui fait mal aux portefeuilles et a une incidence sur le leadership. Des gens tirent les ficelles, si bien que les sanctions sont plus précises et moins génériques. On estime qu'elles sont plus efficaces, mais il y a des problèmes. C'est pourquoi nous avons besoin d'avoir des mesures prévues dans des règlements qui permettraient de lever ces sanctions.

Aucune situation internationale n'est statique. Les choses évoluent constamment, et c'est pourquoi, à mon avis, nous avons besoin d'outils que nous pouvons utiliser au besoin, et c'est un jugement du gouvernement. Je pense que nous devons assumer un rôle de surveillance à cet égard.

La sénatrice Lankin : J'ai de nombreuses courtes questions à poser, alors vous risquez de devoir m'interrompre, puis je poursuivrai à la deuxième série de questions. Je cherche simplement à comprendre quelques-uns des concepts. Permettez-moi de dire que j'appuie de façon générale l'intention de ce projet de loi.

L'article qui confère un pouvoir de réglementation comporte un critère en vertu duquel il faut fournir des preuves fiables et appropriées. Est-ce le critère qui existe actuellement dans la LMES en ce qui a trait aux États étrangers, ou est-ce un nouveau critère relatif aux ressortissants étrangers?

La sénatrice Andreychuk : Je pense que les critères sont différents. Je vais devoir vous revenir là-dessus. Je n'ai pas examiné la loi depuis un certain temps.

La sénatrice Lankin : Je n'ai pas passé en revue la LMES.

La sénatrice Andreychuk : Je pense que le critère est un peu différent, mais je ne vais pas revenir sur le sujet pour l'instant, car les droits de la personne sont subjectifs dans certains endroits, et le projet de loi vise à tenir compte des normes internationales.

La sénatrice Lankin : Ce serait un sujet à examiner dans le cadre de notre étude du projet de loi, mais j'aimerais comprendre un peu plus ce qu'il en est.

Si je comprends bien les modifications à la LMES, elles visent essentiellement à appliquer les mesures qui existent dans la LMES aux ressortissants étrangers. Ces modifications n'élargissent pas, n'est-ce pas, les pouvoirs prévus dans la LMES en ce qui a trait aux sanctions, aux saisies et ainsi de suite? Est-ce déjà une mesure qui est prévue dans la loi?

La sénatrice Andreychuk : Non. Les modifications visent à inclure les droits de la personne en tant que facteur.

La sénatrice Lankin : Il est question du devoir de rendre une décision, qui s'applique aux banques, aux coopératives de crédit, aux compagnies d'assurance et à diverses sociétés. Est-ce la même liste qui se trouve dans la LMES, et c'est la responsabilité à laquelle ces entités sont habituées? Auront-elles plus ou moins de responsabilités? Je sais qu'il incombera au gouvernement de décider de façon sélective s'il prendra des mesures, mais ces entités sont-elles préoccupées par le devoir de rendre une décision et du fardeau y étant associé?

La sénatrice Andreychuk : Le projet de loi ne vise pas à accroître les responsabilités. Il établit simplement quand les entités doivent faire rapport. Ce que je dis, c'est que le gouvernement peut s'en servir pour répondre au critère des droits de la personne. C'est ce que le projet de loi vise à faire. Si le gouvernement n'intervient pas, alors le projet de loi veillera à ce qu'il le fasse.

Je sais que les banques et d'autres institutions, lorsque la LMES a été proposée initialement, et certainement lorsqu'on a élargi sa portée, c'était une lourde tâche, mais nécessaire. La majorité des institutions sont très responsables.

Ce que j'en comprends, et nous pouvons convoquer des fonctionnaires à venir témoigner, c'est qu'ils veulent s'assurer que les institutions agissent de façon responsable, et c'est parfois difficile. C'est donc un processus en cours.

La sénatrice Lankin : Je comprends ce que vous dites, à savoir que c'est une lourde tâche mais que c'est nécessaire. J'essaie de comprendre si nous nous attendons que ce soit un tout nouveau secteur d'activité dont les institutions devront s'occuper et si ce sera mis en œuvre de façon graduelle.

La sénatrice Andreychuk : Je ne pense pas que ce sera mis en œuvre de façon graduelle. On voudrait que le devoir de recueillir les renseignements sur les fonds qui traversent les frontières, notamment, et le devoir de les divulguer s'appliquent à la norme relative aux droits de la personne, comme on le fait pour n'importe quelle autre norme. C'est l'intention.

La sénatrice Lankin : J'ai trouvé intéressant l'examen parlementaire et je suis un peu préoccupée par le libellé selon lequel on pourrait examiner chaque année, dans les deux Chambres, les personnes qui figurent sur la liste et formuler des recommandations pour ajouter d'autres personnes.

Comment un comité parlementaire pourrait-il obtenir des preuves fiables et appropriées? J'ai l'impression que c'est presque empirique. Je ne devrais pas utiliser ce terme. Il pourrait s'agir de rapports provenant de défenseurs des droits de la personne dans d'autres pays qui pourraient nous prévenir d'une situation. Cependant, comment un comité parlementaire aurait-il le même accès à ces rapports pour répondre à ce critère de la preuve afin de recommander au gouvernement d'inscrire une personne sur la liste?

La sénatrice Andreychuk : Nous imposons un grand nombre de sanctions internationales et inscrivons de nombreuses personnes sur des listes, et ce, depuis les attentats terroristes du 9 septembre. Les Nations Unies ont des listes, qui sont passées en revue. D'où l'idée que tout le monde doit faire preuve de plus de transparence. C'est très difficile.

Je ne devrais pas penser que nous, en tant que comités, interviendrons dans les différents cas, à moins que quelqu'un soulève un cas précis. Nous voudrions savoir si le gouvernement a appliqué correctement les règles, si bien que nous surveillons le processus autant que nous surveillons les individus.

La sénatrice Lankin : Je vous demanderais peut-être de prendre connaissance du libellé et de nous dire si vous pensez que c'est ce qu'il fait plutôt que d'ouvrir la porte à un examen par le comité et à l'ajout de noms. Je veux simplement que l'on réfléchisse à quel niveau le comité devrait intervenir.

Je vous ai entendu parler clairement de l'unanimité politique en faveur de ce projet de loi. Y a-t-il des détracteurs au Canada, et où sont-ils?

La sénatrice Andreychuk : Je n'ai entendu personne s'opposer au projet de loi. J'ai entendu dire que le gouvernement n'a pas donné suite au projet de loi, et je ne vais pas avancer d'hypothèses quant à savoir pourquoi pour le moment.

Quelqu'un sait-il ce que le gouvernement en pense? J'aimerais que le gouvernement nous dise, à M. Cotler, M. Bezan ou à moi, qui parraine un projet de loi ou quel comité étudie en ce moment toutes sortes de sanctions et de leviers économiques à la Chambre.

J'entends parler que des gens veulent davantage de mesures en place et augmentent vraiment la sensibilisation à l'égard des droits de la personne et aux conséquences s'il y a violation de ces droits. Pourquoi le gouvernement ne va-t- il pas de l'avant avec le projet de loi? De nombreuses personnes, et je dirais des parlementaires de toutes les allégeances, ont demandé au gouvernement d'aller de l'avant avec le projet de loi.

Je serais ravie si ce projet de loi n'aboutit à rien car le gouvernement vient de présenter son propre projet de loi. J'espère sincèrement que c'est la réponse que le gouvernement nous donnera.

La sénatrice Lankin : Je pense que vous avez indiqué que le projet de loi dont le comité est saisi actuellement à la Chambre est un projet de loi d'initiative parlementaire.

La sénatrice Andreychuk : Je suis désolée; j'aurais dû l'apporter. Je peux le fournir au comité. Nos analystes pourraient peut-être nous dire ce que le comité de la Chambre étudie, car c'est plus vaste que ce projet de loi, même s'il étudiera probablement le projet de loi. Je sais qu'il a été soulevé à la période des questions.

Le vice-président : Je pense qu'au lieu de nous engager dans cette discussion, nous devrions simplement demander qu'on nous fournisse cette information.

La sénatrice Andreychuk : Merci.

Le sénateur Oh : Merci, sénatrice Andreychuk. Avez-vous une idée des derniers développements en Russie concernant l'affaire Magnitsky? Dans quelle mesure la Loi américaine Magnitski est-elle efficace pour faire pression sur les autorités russes pour traduire en justice les individus responsables de sa mort?

La sénatrice Andreychuk : Je peux vous faire part de ce que j'ai entendu dire. Je n'ai pas un accès direct à ces renseignements, mais vous avez peut-être un témoin qui peut nous en dire plus à ce sujet. Le gouvernement de la Russie ne se montre pas ouvert au projet de loi Magnitski ou à n'importe quelle autre mesure.

Je ne peux pas répondre à cette question parce que mon projet de loi est censé être un projet de loi générique. Il s'inspire de l'affaire Magnitsky, mais je ne l'ai pas retracée. Je sais qu'il n'y a pas suffisamment de justice pour le Comité des droits internationaux de la personne, pour l'opposition en Russie, ou pour le Conseil de l'Europe ou le Parlement européen. Ils estiment que justice n'a pas été rendue dans ce cas-ci. C'est tout ce que je peux dire. En ce qui concerne la dynamique à l'interne, je ne pense pas que je veux en dire plus que j'en ai dit.

Je pense que ce projet de loi est un levier pour toute violation commise n'importe où, à l'instar de nos autres lois. Il s'inspire de M. Magnitsky et de sa cause, mais l'intention est que le projet de loi doit être générique pour que le gouvernement puisse l'utiliser.

La sénatrice Cordy : Merci, sénatrice Andreychuk, du travail que vous faites dans ce dossier. Je pense que nous approuvons tous l'intention du projet de loi. Le tout est toujours dans les détails, comme on dit.

Comme la sénatrice Lankin l'a dit plus tôt, je suis tout à fait d'accord avec elle que les comités du Sénat et de la Chambre devraient étudier les lois pour voir si elles fonctionnent adéquatement, si des parties devraient être supprimées ou ajoutées, mais l'idée d'ajouter ou de supprimer des ressortissants étrangers à la liste m'inquiète un peu.

De plus, je m'interroge simplement sur les facteurs énoncés à la page 5 du projet de loi. Le gouverneur en conseil peut prendre en considération les renseignements obtenus par d'autres pays et organisations non gouvernementales qui surveillent les violations des droits de la personne. Je suis tout à fait en faveur de coopérer et d'échanger des renseignements avec des pays alliés. Je pense que c'est extrêmement important et que c'est ainsi que le monde fonctionne maintenant. Nous ne serions pas en mesure de gérer ces situations sans échanger des renseignements.

Par ailleurs, je pense à Maher Arar et je m'inquiète au sujet de l'échange de renseignements qui peut causer des torts à des gens. Lorsque votre nom figure sur la liste, qu'il soit retiré ou non, cela peut nuire à votre réputation et à votre nom.

Comment pouvons-nous nous assurer que les renseignements que nous obtenons d'autres pays et organisations non gouvernementales sont, en fait, exacts et qu'ils laisseraient entendre que le nom d'une personne devrait être ajouté à la liste?

La sénatrice Andreychuk : C'est ce qui serait prévu dans le règlement. Je pense que c'est un bon parallèle à établir compte tenu du terrorisme dont vous venez de mentionner. Vous devez surmonter de nombreux obstacles, et il est question ici d'une personne qui a déjà été identifiée en vertu des normes internationales des droits de la personne, et non pas par des pays qui communiquent ensemble.

Il y a de nombreux niveaux de protection en place, si et lorsque vous serez saisis d'un cas différent de celui-là.

J'espère que nous entendrons Irwin Cotler qui s'occupe de ces questions, et le projet de loi se base sur son expertise et sur sa compréhension de la façon de procéder. Je pense que nous devons nous attaquer à ce dossier, et nous obtiendrons peut-être les réponses en convoquant plus de témoins. Je serai ravie d'entendre n'importe quel témoin.

Je vous préviens que ce n'est pas du terrorisme. Nous avions un projet de loi précis au Canada, et c'est un mouvement totalement différent. Nous ne voulons emprisonner personne.

La sénatrice Cordy : Je comprends que ce n'est pas du terrorisme. Je comprends cela.

La sénatrice Andreychuk : Nous parlons des actifs.

La sénatrice Cordy : Je dis que si votre nom figure sur la liste, cela nuit à votre nom, même si votre nom est rayé de la liste six mois plus tard ou non. Je veux seulement être rassurée que les renseignements que nous obtenons proviennent de ce que j'appellerais des pays alliés, qu'ils sont exacts et que nous nous assurerons qu'ils sont corrects.

La sénatrice Andreychuk : C'est pourquoi il doit y avoir le critère international avant que nous intervenions. On a procédé à un examen et on a relevé que ces actifs sont assujettis à ce projet de loi, et c'est pourquoi ce n'est pas normatif; c'est discrétionnaire. J'oserais croire que n'importe quel gouvernement y penserait à deux fois avant d'intervenir. Il doit être assez certain et doit pouvoir fournir une justification. C'est vraiment l'intention ici.

Si l'on regarde le terrorisme, on assurera la sécurité des Canadiens avant tout.

La sénatrice Cordy : Absolument.

La sénatrice Andreychuk : Donc, l'identité des gens est bien connue. Ils ont fait l'objet de débat ailleurs. Il y aura de la surveillance. Nous ne parlons pas de privation comme nous le ferions avec la torture, si bien que ce sont deux choses différentes.

Le sénateur Housakos : Merci, sénatrice Andreychuk. Je dois dire que lorsqu'on examine un projet de loi que vous avez qualifié de « générique » qui confère de vastes pouvoirs discrétionnaires importants au gouvernement, nous devons faire très attention d'étudier les détails. Les droits de la personne sont quelque chose de merveilleux, et nous y sommes tous en faveur, jusqu'à ce que nous commencions à examiner les droits que nous appuyons et ceux que je considère être plus fondamentalement importants que d'autres.

De tous les ateliers auxquels j'ai participé sur la tribune internationale, celui qui semble être le plus vaste et qui fait le moins l'unanimité pour définir en quoi consistent les droits de la personne est celui qui porte sur les droits de la personne car, comme vous le savez, le tyran d'une personne est le héros d'une autre personne.

Nous sommes maintenant dans une situation où nous devrons compter, dans certains cas, sur des preuves anecdotiques, car dans le passé, il était très difficile dans une tribune internationale d'obtenir des décisions concernant les droits de la personne d'un tribunal international des droits de la personne. Il est même encore plus difficile d'obtenir des décisions pour exécuter ces jugements.

Mon autre question porte sur le fait qu'il y a un certain nombre de pays dans le monde — et je ne veux pas fournir d'exemples précis — avec lesquels nous faisons des affaires, et nous oublions là où nous avons des entreprises canadiennes qui font des affaires importantes avec ces pays. Dans les cas comme celui que nous avons avec ce projet de loi particulier, quelles mesures allons-nous prendre si nous découvrons qu'il y a de la corruption, une violation des droits fondamentaux de la personne par la Russie, par des fonctionnaires au sein du gouvernement russe? Jusqu'où allons-nous aller pour obtenir justice au nom des droits de la personne? C'est ce qui me préoccupe avec ce projet de loi.

Où tracez-vous la ligne avec ce projet de loi? Vous pouvez interpréter ce projet de loi de façon très vaste ou limitée si vous êtes un fonctionnaire. Je n'ai aucun problème à l'interpréter largement.

La sénatrice Andreychuk : Je pense que l'expression « droits de la personne » est très largement utilisée, mais si vous regardez les normes et les instruments internationaux, ils sont très précis. Comme tout le reste, ils sont sujets à interprétation, bien entendu. Je ne parle pas d'une entité comme le Conseil des droits de l'homme qui peut se prononcer sur ces questions. Nous parlons de décisions qui sont prises. Soit nous défendons les valeurs qui sont à risque, comme vous l'avez mentionné, soit nous ne le faisons pas.

Croyons-nous vraiment que les droits de la personne ont une place? Croyons-nous vraiment que nous devrions détourner les yeux de l'argent que l'on prend de l'État? Ce que ce projet de loi stipule à tout le moins, c'est que nous devons le soupeser, et il a ajouté les obstacles. Nous devons prévoir plus de mesures dans le projet de loi avant que le Canada puisse exercer ces pouvoirs.

N'oubliez pas, ce n'est pas un jugement contre l'individu, mais bien contre ce qu'il fait au Canada. Dans quelle mesure encourageons-nous cette activité? C'est une chose de porter des jugements de valeur à l'égard d'autres pays et de les traiter de tyrans... Je n'utilise pas ces termes; je m'en tiens à la phraséologie juridique. C'est une chose de dire qu'un individu a été condamné ou qu'il est recherché en vertu d'un instrument quelconque, mais c'est une tout autre chose de le traiter de tyran. Une telle déclaration est un jugement de valeur.

Pour revenir aux instruments juridiques et normes établies que nous devons respecter — ce projet de loi ne précise pas notre discours ou ce que nous ne devrions pas faire. Ce qu'il dit, c'est si ces individus ont des biens ici, et que nous le savons, dans quelle mesure encourageons-nous leurs activités? C'est ce dont traite ce projet de loi.

Le sénateur Housakos : Je comprends cela. Dès qu'un individu est clairement inculpé pour une infraction et qu'il a des biens ici que le gouvernement pourrait saisir, je peux comprendre. Par contre, cela nous ramène à la même question : comment définir ce qu'est une violation des droits de l'homme?

Les normes canadiennes sont bien différentes de celles du Moyen-Orient ou des pays de l'Asie du Sud. Les normes relatives aux droits de l'homme varient d'un endroit à l'autre. Si ces normes sont trop larges, comment pourrons-nous — je me fais l'avocat du diable...

La sénatrice Andreychuk : Vous le faites très bien.

Le sénateur Housakos : ... car je ne connais aucun parlementaire qui s'opposerait à ce projet de loi. Ce que je dis, c'est que l'organe exécutif du gouvernement aura besoin d'énormes ressources pour faire appliquer cette mesure législative et qu'il aura besoin de la collaboration d'organismes internationaux. Je ne suis pas convaincu que les mécanismes internationaux et même ceux dont dispose le gouvernement fédéral soient suffisants pour soutenir ce projet de loi.

La sénatrice Andreychuk : Je ne suis pas d'accord avec vous que l'interprétation des droits de l'homme varie d'un endroit à l'autre. Certains utilisent mal le terme « droits de l'homme ». On s'appuie d'abord sur la Déclaration universelle des droits de l'homme, puis sur nos propres accords et lois et sur notre propre interprétation. Oui, le Canada porte un jugement de valeur et j'espère que cela ne changera pas. Je souhaite que nous appliquions les normes les plus strictes.

Cependent, ce projet de loi ne dit pas que nous allons procéder au hasard. Il concerne les violations flagrantes et persistantes des droits de l'homme et cette terminologie est utilisée dans bon nombre de forums. Les nombreux défenseurs et travailleurs des droits de la personne savent exactement ce que cela signifie. Il suffit de voir de telles violations pour le reconnaître. Cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir d'autres interprétations. C'est un jugement sur ce que les gens peuvent faire au Canada.

Le sénateur Housakos : Êtes-vous d'accord avec moi que le gouvernement aurait besoin d'instruments à plus grande portée pour faire appliquer cette mesure législative?

La sénatrice Andreychuk : Non.

Le sénateur Housakos : Non? Il a déjà les moyens de le faire?

La sénatrice Andreychuk : Oui. J'ajouterais une chose. Nous avons déjà entendu des témoignages sur le sujet. Je propose une motion — j'ignore si cela a déjà été fait — pour que les témoignages déjà entendus soient mis à la disposition des sénateurs, pour que ceux qui ne siégeaient pas au comité à l'époque puissent en prendre connaissance et pour que ceux qui y siégeaient puissent se rafraîchir la mémoire. Puis-je proposer la motion?

Le vice-président : Non. Nous devons attendre, enfin, vous devez attendre à la prochaine séance. Un témoin ne peut pas proposer une motion au comité, mais vous pouvez reprendre le fauteuil et proposer votre motion ou attendre à la prochaine séance.

La sénatrice Andreychuk : Je peux quitter mon siège de témoin et redevenir membre du comité.

Le vice-président : Oui. Il semble que vous pouvez proposer votre motion. C'est ce que je viens d'apprendre. Et, si c'est faux, ce sera la faute à la greffière.

La sénatrice Andreychuk : Je tiens à remercier les sénateurs. J'ai parfois de la difficulté à m'exprimer sur le sujet, car je suis trop portée sur les menus détails. Je vous encourage à lire les témoignages en question. J'aimerais que le comité accueille d'autres témoins qui pourront mieux s'exprimer que moi et qui se passionnent encore plus que moi pour ce sujet. Je crois que cela serait utile.

Ce sont vos questions relatives à ces témoignages qui seront répondues.

Le sénateur Housakos : Je crois que vous vous exprimez plutôt bien.

La sénatrice Andreychuk : C'est une question de jugement, et vous dites que nous ne devrions pas porter de jugement.

Le vice-président : Nous allons remettre une copie de la motion, dans les deux langues, aux membres du comité.

La sénatrice Andreychuk : Je propose :

Que la liste des témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, ainsi que celle de tous les mémoires, documents et témoignages reçus par lui au cours des réunions du 10 mars 2016, et du 18 mai 2016, soient jointes au procès-verbal officiel des présentes délibérations du comité.

Le vice-président : Plaît-il aux sénateurs d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Le vice-président : La motion est adoptée.

(La séance est levée.)

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