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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 15 - Témoignages du 8 décembre 2016


OTTAWA, le jeudi, 8 décembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi S-226, Loi prévoyant la prise de mesures restrictives contre les étrangers responsables de violations graves de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale et apportant des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. La présidente du comité, la sénatrice Andreychuk, parraine le projet de loi; elle ne présidera donc pas cette réunion. C'est moi qui la présiderai en ma qualité de vice-président.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-226, Loi prévoyant la prise de mesures restrictives contre les étrangers responsables de violations graves de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale et apportant des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Nous recevons deux témoins aujourd'hui. Tout d'abord, par vidéoconférence à partir de Londres, au Royaume-Uni, nous recevons Bill Browder, qui est le directeur de la campagne internationale Justice pour Sergueï Magnitski et qui a aussi écrit un excellent livre, Red Notice. Si vous ne l'avez pas encore lu, je vous encourage fortement à le faire. C'est un livre fascinant qui est très bien écrit.

Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation à témoigner devant nous à nouveau, monsieur Browder.

Nous recevons également Thor Halvorssen, président et chef de la direction de la Human Rights Foundation, à partir de Dallas, au Texas.

Nous avons hâte de vous entendre. Après vos exposés, les sénateurs vous poseront des questions. Sans plus attendre, je demanderais à M. Browder de nous présenter son exposé.

William Browder, directeur la campagne internationale Justice pour Sergueï Magnitski et auteur de Red Notice, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. La conversation sur les sanctions Magnitski et la façon dont le Canada devrait aborder la question dure depuis longtemps. J'aimerais, rapidement, résumer l'historique des sanctions Magnitski de sorte que tous comprennent où nous en sommes et quelles doivent être les prochaines étapes.

Comme la plupart d'entre vous le savent, Sergueï Magnitski était mon avocat en Russie. Sergueï Magnitski a découvert un énorme stratagème de corruption en Russie et l'a exposé. Pour cela, il a été arrêté et torturé pendant 358 jours avant d'être tué le 16 novembre 2009. Le 17 novembre, lorsque j'ai appris que mon collègue et ami avait été tué, j'ai décidé qu'à partir de ce moment, j'allais me consacrer à obtenir justice pour lui et à veiller à ce que les gens qui l'avaient tué ne jouissent pas de l'impunité. Voilà la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui.

Dans le cadre de ma campagne pour obtenir justice, j'ai travaillé en 2011 avec Irwin Cotler, alors député, à l'élaboration d'une mesure législative qui s'appelait la loi Magnitski, dans laquelle nous demandions l'imposition de sanctions relatives aux visas et le gel des avoirs des personnes qui avaient tué Sergueï Magnitski et de celles qui avaient commis des violations graves des droits de la personne dans les diverses régions du monde.

Au cours des années suivantes, je me suis rendu à Ottawa à plusieurs reprises pour rencontrer les députés et le gouvernement afin de discuter de la loi Magnitski et de la défendre. Le 25 mars 2015, la Chambre des communes a accepté à l'unanimité les modifications proposées par Irwin Cotler, qui demandaient au gouvernement de mettre en œuvre la loi Magnitski. Le 5 mai 2015, le Sénat a également voté en ce sens.

Par la suite, j'ai rencontré le ministre des Affaires étrangères conservateur de l'époque, qui m'avait assuré que la loi serait mise en œuvre.

Malheureusement, la loi n'a pas été mise en œuvre à temps. Le gouvernement a changé. Lors de la campagne électorale, tous les partis — les conservateurs, les libéraux et les néo-démocrates — avaient promis par écrit de mettre en œuvre la loi Magnitski s'ils étaient élus.

J'aimerais citer un énoncé public du Parti libéral du Canada :

Le Parti libéral du Canada croit qu'en imposant des sanctions, nous pouvons infliger des pénalités significatives aux violateurs des droits de la personne et décourager des violations dans l'avenir.

Dans leur lettre, les libéraux disaient qu'un gouvernement libéral ajouterait des noms à la liste des Russes visés par des sanctions.

Comme nous le savons tous, le Parti libéral a été élu et nous attendions avec impatience la mise en œuvre de la loi Magnitski. Le 12 mai 2016, le député James Bezan a demandé au ministre des Affaires étrangères ce qu'il ferait pour veiller à ce que la loi soit mise en œuvre. Le ministre des Affaires étrangères, M. Dion, a répondu ceci :

Je souligne que les dispositions actuelles de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés nous permettent déjà d'arrêter ceux qui commettent de tels crimes, car elle permet de vérifier l'admissibilité à la frontière. Nous sommes déjà en mesure de le faire.

Le comité devra étudier minutieusement la Loi sur les mesures économiques spéciales pour s'attaquer à ce genre de problème.

Il est clair, d'après mes connaissances de la situation canadienne, que la loi ne permet aucunement d'empêcher les violateurs des droits de la personne d'entrer au pays.

De plus, il n'y a aucune loi qui permette de geler les avoirs des violateurs des droits de la personne au Canada. C'est ce qu'a confirmé le directeur général des affaires juridiques d'Affaires mondiales Canada, Hugh Adsett, lors de son témoignage, en disant que la LMES ne permettait pas pour l'instant d'empêcher les auteurs de violations des droits de la personne d'entrer au pays.

Je suis donc très heureux d'être ici avec vous pour discuter du projet de loi de la sénatrice Andreychuk, qui permettra de combler les vides dans la loi du Canada et de faire avancer la loi de Sergueï Magnitski.

Je vais m'arrêter ici. Je serai heureux de répondre à vos questions détaillées. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Browder. Nous allons maintenant entendre notre prochain témoin, Thor Halvorssen. Vous avez la parole, monsieur.

Thor Halvorssen, président et chef de la direction, Human Rights Foundation : Bonjour et merci. En mars 2015, le président Barack Obama a émis un décret visant à imposer des sanctions ciblées, surtout le refus de visa et le gel des avoirs, de sept représentants du gouvernement vénézuélien impliqués dans la dissimulation de l'exécution extrajudiciaire et de la torture de dizaines d'étudiants qui manifestaient pour la démocratie.

Les sanctions ciblées ont été prises en vertu de la Venezuelan Defense of Human Rights and Civil Society Act of 2014, signée par le président américain le 18 décembre 2014.

En avril 2013, l'administration Obama avait déjà publié une liste de 18 Russes ciblés par des sanctions similaires. Cette fois-ci, les sanctions avaient été prises en vertu de la Sergei Magnitsky Rule of Law Accountability Act of 2012, qui avait été adoptée en novembre 2012 et édictée le 14 décembre 2012.

Deux ans plus tard, le 29 décembre 2014, le secrétaire d'État américain John Kerry a ajouté quatre noms supplémentaires à la liste et a fait valoir que bien qu'à l'avenir, le nombre de personnes associées à la mort de M. Magnitsky allait diminuer, le département d'État s'engageait à continuer d'appliquer la loi Magnitski pour les personnes impliquées dans les violations graves de droits de la personne.

Notre organisation, la Human Rights Foundation, s'est réjouie de ces mesures et a fait valoir ce qui suit : les gouvernements autoritaires seraient impuissants s'ils n'avaient pas d'agents d'exécution prêts à arrêter, à torturer et à exécuter de façon arbitraire des innocents. Ces sanctions, prises par le gouvernement américain, ciblent les personnes qui ont choisi d'être des agents d'exécution de la brutalité, de l'injustice et de l'oppression, peu importe le coût pour leurs concitoyens. Selon la réalité des gouvernements autoritaires, les agents d'exécution sont rarement des gens immoraux. Ce sont plutôt des gens normaux qui ont fait un choix rationnel en pesant le pour et le contre de chacune des options et qui ont déterminé qu'en restant du côté du gouvernement oppresseur, eux et leur famille continueraient de jouir d'un certain prestige, de la stabilité et de la sécurité, qu'ils auraient même un peu plus d'argent, et pour certains d'entre eux, la possibilité de voir leurs enfants visiter régulièrement des pays occidentaux démocratiques et prospères.

Les sanctions ciblées simples comme le refus de visa et le gel des avoirs par les pays démocratiques comme les États- Unis peuvent changer la mentalité des agents d'exécution du gouvernement et les motiver à abandonner les structures politiques qu'ils appuient.

Comme vous le savez, le Canada n'a pas les instruments juridiques nécessaires pour imposer des sanctions ciblées et simples contre les régimes répressifs du monde et les particuliers, qu'ils fassent partie d'une structure autoritaire ou même dictatoriale, qui sont reconnus pour leur recours à la torture, aux meurtres extrajudiciaires et aux disparitions forcées.

En somme, le Canada n'a pas l'instrument juridique explicite nécessaire pour empêcher l'entrée ou geler les avoirs des pires individus et des pires dictatures du monde qui violent de façon flagrante les droits des personnes innocentes.

Aujourd'hui, ces crimes sont motivés par la corruption et les centaines de millions de dollars en jeu. Comme l'a dit Bill Browder, le collègue de Sergueï Magnitski, qui mène ses efforts en la mémoire de son ami, on a su récemment que les produits d'une fraude de 230 millions de dollars en Russie avaient été envoyés au Canada.

Ce n'est pas surprenant pour nous, à la Human Rights Foundation, puisque nous avons maintenant 10 années d'expérience dans la dénonciation de la corruption et des violations flagrantes des droits de la personne dans divers pays, notamment le Venezuela, le Kazakhstan, la Guinée équatoriale et le Gabon, qui sont complètement différents sur le plan culturel, mais très similaires sur le plan institutionnel.

Lors de mon témoignage précédent devant le Comité de la Chambre sur un sujet connexe il y a quelques semaines, j'ai souligné une chose qui me paraît importante. Le dictateur moderne ou le leader autoritaire, qu'il soit élu ou placé au pouvoir par la force, sans aucune quête d'une utopie communiste ou d'une idéologie de droite, est presque toujours un kleptocrate pathologique. Il pourrait même justifier son enrichissement personnel à titre de compensation bien méritée pour avoir assuré le maintien du pays. Pour y arriver, il mise sur les importantes ressources minières naturelles, l'or et le diamant, les réserves de pétrole et de gaz, les forêts et l'eau, pour réaliser plus de profits pour lui et pour sa famille.

De façon tout aussi importante, il se fie à ses acolytes pour réaliser ses activités à l'échelle nationale et s'associe parfois à des sociétés occidentales qui sont prêtes à accepter une partie des gains en échange de leur silence complice.

Les mandataires et les acolytes du gouvernement sont libres de voyager à l'Ouest. Ils peuvent voyager au Canada. Ils possèdent des appartements luxueux et font des investissements importants ici et ailleurs.

Afin d'illustrer la nature mondiale du problème et l'exploitation du système financier canadien, je vais vous donner un autre exemple, qui n'a rien à voir avec la Russie.

Un groupe d'hommes d'affaires vénézuéliens a formé une association criminelle, connue sous le nom de Derwick Associates. Ses dirigeants sont dans la vingtaine et la trentaine. Ils n'avaient aucune expérience préalable dans la passation de marchés avec le gouvernement du Venezuela, mais en l'espace d'un an, ils ont passé 12 marchés de construction et d'approvisionnement avec le gouvernement pour des centrales électriques. Les hommes d'affaires, des Vénézuéliens, qui détiennent aussi des passeports espagnols, italiens et allemands, ont donné tous les travaux en sous- traitance à une entreprise américaine de second ordre.

Ils ont facturé 2 milliards de dollars en trop et ont par la suite commis une fraude relative au taux de change. Le montant total d'argent volé dépasse les 4 millions de dollars canadiens. Ils ont offert des pots-de-vin aux responsables du gouvernement vénézuélien et ont blanchi l'argent, notamment par l'entremise de la Banque Royale du Canada. Ils ont ensuite investi des centaines de millions de dollars de leurs gains mal acquis dans diverses entreprises, notamment deux sociétés pétrolières, dont une au Texas, d'où je témoigne aujourd'hui. Ils ont aussi acheté 20 p. 100 d'une entreprise canadienne cotée en bourse, la Pacific Rubiales Energy Corp. À cause de leurs manigances, la valeur des actions de Pacific Rubiales n'a jamais été aussi basse, ce qui a entraîné la perte de centaines de millions de dollars pour les actionnaires du Canada et d'ailleurs.

Au Canada, ils ne fonctionnent pas sous le nom de Derwick Associates, mais plutôt celui d'O'Hara Group. Les membres du groupe sont Leopoldo Alejandro Betancourt López, Pedro José Trebbau López, Francisco Convit, Orlando Alvarado et Francisco D'Agostino. Ce dernier est le beau-frère de l'actuel président de l'Assemblée nationale du Venezuela, Henry Ramos.

Tout acte de corruption associé à un régime est nécessairement un geste qui habilite le gouvernement et lui permet de continuer de violer impunément les droits de la personne. C'est un geste qui renforce les dictatures ou les États autoritaires. Dans ce cas-ci, la société Derwick Associates a eu recours à des pots-de-vin, au blanchiment d'argent et à la fraude. Elle a utilisé sa richesse mal acquise pour procéder à l'arrestation illégale et à la persécution des dénonciateurs. Elle a mené des campagnes de salissage contre les dénonciateurs de quatre pays. Elle a corrompu les systèmes financiers de l'Espagne, d'Andorre et des États-Unis, et a touché celui du Canada.

À l'heure actuelle, en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et en l'absence d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, votre gouvernement ne peut imposer des sanctions aux administrations étrangères et aux particuliers que lorsqu'il estime « [...] qu'une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales est susceptible d'entraîner ou a entraîné une grave crise internationale. »

En d'autres termes, vous n'allez pas au bout des choses. La loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, ou la loi de Sergueï Magnitski, ajoutera les violations flagrantes des droits de la personne reconnus à l'échelle internationale, surtout la torture et les meurtres extrajudiciaires, à titre de motif permettant d'imposer des sanctions aux ressortissants d'autres pays en vertu de la LMES.

Le Canada a maintenant l'occasion de rattraper et même de dépasser largement les lois américaines sur les sanctions ciblées visant la Russie ou le Venezuela. De plus, en adoptant la loi Magnitski, non seulement le Canada respecterait-il une promesse de campagne bipartisane de 2015, mais il deviendrait aussi une référence mondiale dans le domaine de la responsabilisation en matière de droits de la personne tout en empêchant les auteurs de violations graves de droits de la personne provenant des pires dictatures au monde de profiter des avantages du régime de droits de propriété du Canada et de votre mode de vie prospère.

Au nom de la communauté des droits de la personne qui interagit tous les jours avec des dissidents comme Sergueï Magnitski, qui risqueraient tout pour la démocratie et les libertés fondamentales, je vous incite fortement à leur faire comprendre que leurs oppresseurs et leur argent mal acquis ne sont pas les bienvenus au Canada. Je vous encourage donc à adopter la loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, ou loi de Sergueï Magnitski. Merci beaucoup.

Le vice-président : Je vous remercie de votre exposé.

Monsieur Browder, avant de passer à la liste de questions, vous avez dit publiquement que selon vous, certains des produits de la fraude en Russie avaient été placés au Canada. Pourriez-vous nous en dire davantage?

M. Browder : Je vous remercie de votre question. La campagne de justice pour Sergueï Magnitski, vise deux objectifs.

D'abord, un objectif politique : nous faisons la promotion de lois comme celle dont nous parlons ici aujourd'hui dans d'autres pays.

Ensuite, un objectif en matière de justice pénale. Nous nous sommes dit : si Sergueï Magnitski a été tué parce qu'il avait découvert un vol de 230 millions de dollars, pourquoi ne retrouverions-nous pas cet argent pour savoir qui en a profité et dans quels pays ils se trouvent? Nous pourrions ensuite demander aux organismes d'application de la loi de ces pays de faire enquête, de geler et de saisir l'argent puis de poursuivre ces gens en justice.

Nous participons à cette enquête depuis maintenant sept ans. Nous avons pu déterminer où la presque totalité de l'argent est allée. Petit à petit, nous avons convaincu les organismes d'application de la loi de geler l'argent. Une partie de l'argent a été placée aux États-Unis. Le département de la justice a saisi des appartements d'une valeur de 14 millions de dollars à Manhattan, qui avaient été achetés avec l'argent du crime Magnitski. Une autre partie de l'argent a été placée dans des banques suisses. Le procureur général de la Suisse a gelé 20 millions de dollars au pays. L'argent a aussi été placé à Monaco, en France et au Luxembourg. Le juge d'instruction français a gelé 10 millions de dollars dans ces pays et dans nombre d'autres pays.

Tout récemment, nous avons découvert que plusieurs millions de dollars avaient été placés au Canada. Certaines entreprises et banques canadiennes ont été utilisées pour blanchir jusqu'à 14 millions de dollars, par un réseau qui avait profité du crime Magnitski.

Nous avons déclaré ce crime il y a environ un mois à la GRC et aux organismes d'application de la loi des provinces où se trouvent les banques qui ont servi à blanchir cet argent. Nous nous attendons à une solide intervention de la part des organismes d'application de la loi canadiens.

Pour terminer, je dirais que dans le cadre de mon travail de représentant de la loi Magnitski à Ottawa, la question qu'on m'a le plus souvent posée est la suivante : quel est le lien avec le Canada? Puisque des millions de dollars émanant du crime Magnitski — l'argent du sang — ont été placés au Canada, le pays est directement impliqué dans cette affaire. Il ne s'agit pas d'une notion hypothétique ou abstraite. C'est une situation dans laquelle un homme a été assassiné pour de l'argent, et une partie de cet argent a été placée au Canada.

Le vice-président : Sans compromettre l'enquête policière, pourriez-vous nous expliquer comment l'argent est parvenu au Canada? Est-ce que c'est par l'entremise des banques canadiennes ou des banques étrangères au Canada? Est-ce qu'il est passé par des entreprises de construction? Comment cela s'est-il passé?

M. Browder : Ces gens passent par de longs chemins tortueux pour blanchir l'argent. Au départ, l'argent était en Russie. Dans ce cas en particulier, il a été transféré en Moldavie. De là, il a été transféré soit vers Chypre, soit vers des pays baltes comme la Lettonie, la Lituanie ou l'Estonie. Je crois que dans le cas du Canada, l'argent provenait de la Lituanie.

Je n'ai pas les chiffres exacts avec moi, mais l'argent est passé par un certain nombre de banques et par diverses provinces pour divers types d'achats. Il a aussi été placé dans les comptes bancaires de certains particuliers.

On peut établir un lien direct entre le crime, les banques de ces divers pays et le Canada. Je ne veux pas en dire plus avant que les responsables de l'application de la loi ne commencent leur enquête, parce que je ne voudrais pas compromettre un privilège relatif à l'exécution de la loi.

La sénatrice Andreychuk : Monsieur Browder, vous avez déjà témoigné devant nous. Je crois que vous vous réjouissiez que tous les partis s'intéressent au projet de loi Magnitski. Vous avez parlé des promesses électorales faites par tous les partis.

Vous avez témoigné devant le comité de la Chambre des communes. Croyez-vous qu'il existe une volonté collective pour mettre en vigueur les droits de la personne, ici, au Canada, au moyen du projet de loi Magnitski?

M. Browder : C'est une excellente question. J'ai notamment constaté au cours de ma campagne — et ce n'est pas particulier au Canada ni à aucun autre pays — qu'il est presque impossible à quelqu'un de bien d'être contre notre proposition, laquelle est assez simple : devons-nous autoriser aux auteurs de tortures et de meurtres l'entrée du Canada, l'usage du système bancaire canadien et la possession de biens au Canada? Toute personne normale répondrait : « Non, nous devons leur ôter ces privilèges ».

Aucun des députés et sénateurs, peu importe leur parti, que je rencontre quand je viens au Canada ne peut me regarder droit dans les yeux et me dire que nous ne devrions pas adopter ce projet de loi. Bien sûr que nous devons l'adopter.

Ma campagne m'a notamment enseigné que l'accession au pouvoir change l'opinion de certains. Ce n'est pas une question de parti; je l'ai vu dans chaque pays. Les membres du gouvernement aspirent essentiellement à une vie tranquille. Elle est plus pépère quand on ne s'oppose pas aux bafoueurs des droits de la personne. Il est simplement plus facile de ne rien faire.

Mais chacune de mes visites ici ancre dans mon cœur la conviction profonde que le Canada est peuplé de personnes correctes. Votre pays a la réputation d'accueillir les opprimés, d'ouvrir ses portes aux réfugiés et de défendre les droits de la personne. Alors, malgré le réflexe du gouvernement — et, encore une fois, ce n'est pas une question de parti, mais seulement la réaction d'un gouvernement qui ne veut rien faire —, c'est une occasion à saisir. Nous avons l'adhésion d'assez de membres des différents partis pour déclencher quelque chose.

Je pense que quelque chose arrivera, mais ça exige, dans une certaine mesure, l'appui des personnes ici présentes.

La sénatrice Andreychuk : Monsieur Halvorssen, vous avez parlé des droits de la personne en termes plus généraux. Le projet de loi C-226 que nous étudions signale et renforce, je pense, ce qui, au début, était une copie du projet de loi Magnitski, en précisant que les infractions flagrantes doivent être commises aux dépens de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale. Ces droits ne sont donc pas choisis par le Canada, mais en fonction de normes internationales.

Croyez-vous que le projet de loi sort renforcé de cette prépondérance des normes internationales sur le credo canadien?

M. Halvorssen : Les deux ne s'opposent pas nécessairement.

Je veux souligner mon accord avec M. Browder sur la position plutôt spéciale qu'occupe le Canada dans le domaine des droits de la personne. À vrai dire, je ne peux comparer son gouvernement qu'aux gouvernements scandinaves et, plus précisément, à celui de la Norvège, pour la culture qui accorde vraiment la primauté à la notion de droits de la personne et aux définitions internationales de ces droits.

Bien sûr, je suis plutôt partial : nous devons accepter sans contredit que les droits civils et les droits politiques sont des droits fondamentaux universels. Les questions sociales, économiques et culturelles peuvent d'ordinaire se décider dans l'isoloir. Donc, pendant qu'un gouvernement au Canada peut considérer un certain niveau d'imposition comme excessif, un autre peut considérer que la fourniture de certains biens ou services au peuple est obligatoire ou ne l'est pas. Mais, ce qui est sans discussion possible, c'est sûrement les droits fondamentaux comme la liberté d'expression, la protection contre la détention arbitraire, l'application régulière de la loi, le droit de propriété et d'autres droits qu'on range parmi les droits civils et politiques.

La sénatrice Andreychuk : Une dernière question, monsieur Browder. Vous avez déjà fait le point, pour nous, sur ce qui se passait aux États-Unis et ailleurs. Vous vivez au Royaume-Uni et, d'après mes renseignements, on envisage d'adopter là-bas un projet de loi. Pourriez-vous faire pour nous le point sur ce qui se passe là-bas et ailleurs?

M. Browder : Bien sûr. C'est une excellente question. En fait, l'idée de sanctions Magnitski fait boule de neige dans le monde entier. Voyons d'abord nos réussites les plus concrètes : La semaine dernière, la Chambre des représentants, aux États-Unis, a adopté avec à peu près 90 p. 100 des voix une loi Magnitski applicable au monde entier pour la protection des droits de la personne. Le Sénat américain se prononcera sur cette loi aujourd'hui ou demain. On m'a dit qu'il est presque sûr qu'après son adoption par les deux chambres, le président Obama la signera, et c'est la loi qui ressemble le plus à celle que vous étudiez maintenant.

Je suis aussi très fier de vous annoncer, je viens de l'apprendre dans le taxi que j'ai pris pour venir au centre de vidéoconférence où je me trouve, que l'Estonie vient d'adopter une loi Magnitski qui vise les mêmes objectifs.

Enfin, pour vous répondre au sujet du Royaume-Uni, notre chambre des communes vient d'être saisie d'un amendement Magnitski. Il fait partie du projet de loi sur les finances criminelles. Il permettra au gouvernement, à des ONG privées ou à des particuliers de présenter à la Haute Cour des preuves de violations flagrantes des droits fondamentaux des lanceurs d'alerte, des dissidents politiques, des membres de l'opposition politique et d'autres. Si la Haute Cour estime les preuves crédibles, elle notifiera une désignation Magnitski qui autorisera les tribunaux et le gouvernement à bloquer les avoirs des personnes visées au Royaume-Uni.

Si l'amendement est adopté, la sanction est grave, parce que le Royaume-Uni est peut-être l'un des endroits les plus recherchés par les brebis galeuses de nombreux pays pour s'acheter de vastes demeures et beaucoup de biens.

Mes deux grands projets, actuellement, sont le Royaume-Uni et le Canada, et j'espère que, dans les deux cas, ils porteront fruit.

La sénatrice Eaton : Messieurs, je vous remercie. Ma question vous semblera peut-être naïve. J'appuie le projet de loi; je l'appuierai certainement. Comment choisissez-vous les noms des responsables de violations flagrantes des droits internationaux de la personne. Les tirez-vous des journaux? De témoignages qu'on vous fait? Les obtenez-vous de prisonniers? Comment identifiez-vous les violateurs des droits de la personne?

M. Browder : C'est une excellente question. D'abord, ce n'est ni moi ni Thor ni aucun de nous qui choisit les noms. L'arbitre qui détermine qui sera sanctionné est votre gouvernement.

J'en ai maintenant l'expérience, parce que, en 2012, les États-Unis ont adopté un projet de loi Magnitski. Nous connaissons donc le processus depuis longtemps. Aux États-Unis, et j'imagine que ce sera pareil au Canada, le gouvernement assujettit la sélection à une norme extrêmement rigoureuse. La norme reposera sur des preuves tangibles, bien attestées. Ces preuves doivent être présentées conformément à une norme de justice pénale, ce qui signifie que, en fin de compte, les personnes sanctionnées ne seront pas si nombreuses. On n'y recourra pas à la légère ou on ne s'en servira pas pour assouvir des vengeances. Comme je l'ai fait remarquer, les gouvernements ont tendance à s'éloigner de ce genre de mesure. On leur présentera tant de preuves accablantes qu'il sera évident, d'après les preuves qu'ils pourront présenter aux tribunaux, que quelqu'un a bafoué de façon flagrante les droits de la personne. J'insiste sur le mot « flagrante », parce que c'est un critère juridique bien marqué.

Croyez-moi, il nous a fallu beaucoup d'efforts pour faire inscrire ces noms sur la liste Magnitski américaine, et nous avons dû fournir énormément de preuves. Nous en avons aussi fourni sur 282 personnes, et seulement 32 d'entre elles ont fini par être sanctionnées. Ce n'est donc pas facile. Ne craignez pas son utilisation à la légère et comprenez que l'inscription repose sur un processus objectif, fondé sur des données probantes fournies par des tiers.

Le sénateur Ngo : La question est pour vous deux.

Le projet de loi, comme vous dites, allongera la liste des étrangers qui peuvent être visés par des sanctions et dont les avoirs au Canada peuvent être bloqués. Prévoyez-vous des répercussions sur les relations commerciales bilatérales du Canada, du fait de ce projet de loi? Nous voyons, tous les jours, des exemples de la prépondérance des intérêts économiques sur la protection des droits de la personne. Craignez-vous un conflit entre ces intérêts et le projet de loi?

M. Browder : Thor, je prends la première question et vous prenez la deuxième. Ça vous va?

M. Halvorssen : Absolument.

M. Browder : En entendant le mot sanctions, certains pensent tout de suite à des sanctions ou à des guerres commerciales, à la rupture des liens commerciaux, et cetera. Ce n'est pas l'effet du projet de loi. Il dit simplement que si le gouvernement canadien associe quelqu'un, spécifiquement, à des actes de tortures, à une exécution sommaire ou à d'autres types de violations flagrantes des droits de la personne, cette personne sera sanctionnée, pas son gouvernement, pas son pays.

L'adoption de la loi Magnitski, aux États-Unis, en 2012, n'a pas débouché sur des guerres commerciales. Les Russes étaient très mécontents, mais rien n'a changé dans les échanges commerciaux.

Je ne peux pas prédire qu'une sanction pourrait mécontenter un gouvernement au point de perturber les échanges commerciaux, mais ça dépend de la personne sanctionnée. Si c'est un chef d'État, ça pourrait très bien arriver. Si c'est un directeur de prison, pourquoi le gouvernement de son pays perturberait-il les échanges commerciaux quand c'est dans son intérêt à lui aussi de les préserver?

Il n'y a pas de réponse absolue, mais il faut surtout comprendre que les sanctions sont extrêmement ciblées, comme un médicament anticancéreux moderne. Anciennement, les anticancéreux tuaient la maladie et achevaient presque le patient, mais, aujourd'hui, ils s'attaquent uniquement aux cellules cancéreuses. Les sanctions ciblées ont une précision analogue. Elles visent des individus précis, sans perturber l'ensemble des relations bilatérales.

Peut-être que Thor a d'autres opinions là-dessus.

M. Halvorssen : J'en ai et je voudrais répondre à la question d'une manière un peu différente.

Je pense que le projet de loi donne au Canada la possibilité de préserver sa realpolitik. Manifestement, ceux d'entre nous qui militons pour les droits de la personne, nous voudrions que le Canada agisse beaucoup plus énergiquement à l'égard de certains de ses partenaires commerciaux importants qui violent de manière flagrante les droits de la personne, parce que c'est la politique de l'État, comme la Chine.

Ce projet de loi ne permet pas d'atteindre nos objectifs. À la place, avec une précision chirurgicale, presque celle d'un rayon laser, il retire à certaines personnes désignées le privilège d'entrer au Canada. Pour les motifs énumérés, elles n'y sont plus les bienvenues.

Si vous me permettez l'analogie, un de mes collègues ne cessait de dire que si nous voulions vraiment que l'Amérique latine cesse de violer certains droits de la personne, il suffisait de refuser à certains demandeurs le visa pour les États- Unis, ce qui fermerait à leurs familles les portes de Disney World ou de Disney Land. Nous verrions alors la situation s'améliorer.

Loin de moi l'idée d'être frivole ou désinvolte, mais, pour certains, le privilège de visiter et de voir le Canada et de se sentir membres du reste de l'humanité suffit à les remplir de honte et à en inciter d'autres à ne pas commettre les mêmes actions pour ne pas se retrouver sur la même liste.

Nous ne vous demandons pas de sanctionner un pays, mais certains individus dont les crimes ont atteint un certain niveau. Bien sûr, ces individus peuvent sûrement mettre sur pied un système pour contester leur inscription et fournir des preuves disculpatoires. Mais, essentiellement, nous ne réclamons pas la prison pour eux; nous vous demandons de leur retirer le privilège d'entrer dans votre pays ou d'utiliser votre système financier.

Le sénateur Ngo : Je saisis la perche que vous avez tendue en parlant de la Chine. Comme vous le savez, en Chine, au Vietnam et dans les autres régimes communistes, les dictateurs sont officiellement contrôlés par le gouvernement. Comment avez-vous mis ces violateurs des droits de la personne, en Chine ou ailleurs, dans votre mire?

M. Halvorssen : Ce projet de loi ne vise pas la totalité du gouvernement. Vous disposez déjà de mesures en ce sens. Votre politique étrangère répond en partie à ce besoin, par des admonestations dirigées vers ces pays ou des propositions de mesures correctrices que ces pays peuvent prendre.

Le projet de loi nous permet de nommer des individus qui violent de façon flagrante les droits de la personne partout dans le monde, au Bélarus comme à Cuba, en Angola ou en Azerbaïdjan. Une loi semblable a déjà été adoptée aux États-Unis, très facilement, et, par principe, le Canada devrait faire de même en modifiant à cette fin la Loi sur les mesures économiques spéciales.

Essentiellement, nous exigeons que, dès qu'un certain seuil est franchi, ça déclenche au Canada une réaction pour retirer à certaines personnes le privilège d'entrer dans notre pays. Nous vous demandons de combattre une culture de l'impunité.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie tous les deux pour vos observations.

Monsieur Browder, vous avez déjà comparu devant notre comité pour exposer des violations des droits de la personne. Je vous remercie donc d'être encore ici.

Tous les deux, vous avez parlé d'autres lois : des lois américaines, de projets de loi en Estonie et au Royaume-Uni. Ces textes renferment-ils des dispositions que, peut-être, nous devrions intégrer dans la loi canadienne ou bien notre loi est-elle actuellement excellente?

M. Browder : La loi canadienne est excellente. Je l'ai lue un certain nombre de fois pendant le certain nombre d'années qu'elle a évolué, qu'on en a discuté et débattu et qu'on en fait l'analyse juridique.

Un seul élément qui découle de l'expérience du Royaume-Uni pourrait être utile. Au Royaume-Uni, un exemple très malheureux de blanchiment d'argent, qui mettait en jeu des montants importants, beaucoup plus que ceux qui sont entrés au Canada par suite du crime contre Magnitski, nous a amenés à nous adresser cinq fois aux autorités policières, lesquelles ont refusé d'ouvrir une enquête criminelle.

Nous en avons notamment conclu que, au Royaume-Uni, nous ne pouvons pas compter sur le gouvernement pour qu'il fasse son propre travail. Nous avons donc tenté de modifier la loi, dans l'espoir que cette modification sera adoptée, et je dois préciser que ça reste à mettre aux voix, pour autoriser les particuliers à s'adresser aux tribunaux pour faire sanctionner des personnes si le gouvernement décide de ne rien faire. Je ne veux pas brouiller les pistes au Canada, mais le projet de loi canadien est peut-être beaucoup plus efficace que tous les autres dans le monde entier, parce qu'il n'oblige pas à compter sur un processus en deux temps.

Ici, nous essayons de faire adopter le projet de loi. Ensuite, je sais que je reviendrai à Ottawa pour pousser le gouvernement, le cajoler, l'embarrasser, pour qu'il applique la loi.

La sénatrice Cordy : Merci. C'est une idée que nous pourrions examiner pour déterminer comment faire appliquer la loi.

À la page 5, le paragraphe 4(3) du projet de loi dit : « Le gouverneur en conseil peut tenir compte de renseignements obtenus par d'autres pays et organisations non gouvernementales qui surveillent les violations des droits de la personne ».

Existe-t-il assez d'accords entre les pays qui mettent en œuvre des projets de loi et les autres, pour permettre la libre circulation de ces renseignements, ou en faut-il de nouveaux?

M. Browder : Actuellement, la collaboration internationale dans ce domaine se fait à la bonne franquette et au petit bonheur. Je ne crois pas que des accords officiels autorisent ces échanges de renseignements. De temps à autre, dans des organismes comme l'OFCE — et je sais que le Canada est un observateur au Conseil de l'Europe —, il se présente des occasions de s'échanger des renseignements à la faveur de ces processus parlementaires et intergouvernementaux. Mais il n'existe pas de processus officiel, et si les États-Unis débusquent, après analyse, un violateur des droits de la personne, ils communiqueront le dossier de leurs preuves aux autres pays. Ils communiqueront les noms, mais pas nécessairement les éléments qui les ont convaincus que ces personnes étaient les bonnes.

Actuellement, chaque pays doit analyser les crimes et les preuves sur le fond et selon ses préalables.

La sénatrice Cordy : Essentiellement, il reviendra à chacun des pays de déterminer s'il discutera de la question avec ses homologues. Est-ce que le processus devrait être rendu plus officiel ou est-ce que ça restera comme à la bonne franquette?

M. Browder : D'après moi, avant de courir il faudra marcher et même, avant, apprendre à marcher. Je préfère que les mécanismes en place fonctionnent avant que nous cherchions à les améliorer. Ne laissons pas le mieux devenir l'ennemi du bien.

Cela dit, les pays, effectivement, pourraient mieux communiquer entre eux, mais il me déplairait qu'ils s'empêtrent en visant la perfection.

La sénatrice Cordy : Mettons le processus en marche. Nous nous inquiéterons de ces détails après. Merci.

La sénatrice Cools : Je remercie la sénatrice Andreychuk d'avoir proposé ce projet de loi et je remercie aussi les témoins pour leur démarche élevée, juste — je dirais même noble — et vertueuse.

J'aborde la question avec prudence. J'ai eu le privilège de faire partie de la Commission nationale des libérations conditionnelles. J'ai vu beaucoup de détenus qui avaient été arrêtés au Canada pour de mauvaises actions. C'était des étrangers, et le système les traitait sans ménagement. Mais, quelles que soient la noblesse ou la vertu des intentions, la méchanceté de ces personnes, je ne suis pas convaincue que le Parlement du Canada ait la compétence de faire des lois. Contre les mauvaises actions, notre gouvernement peut invoquer le Code criminel, mais la compétence du Parlement n'est pas dans les affaires étrangères; la compétence du Canada se limite purement aux affaires intérieures.

Vous êtes tous les deux très versés dans ces questions. Pourquoi ne cherchons-nous pas à trouver dans notre Code criminel les moyens de viser les crimes qui sont mauvais mais qui, d'une manière ou d'une autre mettent en cause le Canada ou des personnes se trouvant au Canada ou des opérations financières ayant lieu au Canada?

Par exemple, je me souviens, quand je faisais partie de la Commission des libérations conditionnelles, d'une jeune détenue qui s'est démenée pour nous convaincre qu'elle ignorait que la valise pleine d'argent qu'elle avait l'habitude de déposer tel jour, une fois par semaine, était un produit de la criminalité.

Je pense que les intentions de la sénatrice Andreychuk sont si bonnes et si excellentes et que les enjeux moraux sont si élevés et si importants que, peut-être, nous devrions chercher une façon plus sûre de réussir, parce que je ne vois pas comment ce projet de loi sera accepté par le gouvernement. Je pourrais me tromper, et ce serait tant mieux! Cela aiderait votre cause de façon très magnanime, mais je soupçonne que vous devez limiter un peu vos ambitions et permettre au Canada de définir certains crimes au Canada, conformément au Code criminel. Il se peut que j'aie tort. J'appuie l'idée, parce que j'ai vu, de mes yeux vu, certaines de ces opérations. Je suis de tout cœur avec vous. Mais c'est un métier que d'être législateur, et ce serait agréable si nous pouvions réussir.

M. Browder : Je vous remercie de vos observations. Je dois signaler quelques distinctions à faire entre votre expérience et ce que nous proposons ici.

Vous avez absolument raison : la prison est une sanction très sérieuse, qui exige une analyse juridique très scrupuleuse des motifs pour priver la personne de sa liberté. Je ne veux pas laisser entendre que l'analyse n'est pas sérieuse, mais nous ne privons personne de liberté. Nous proposons plutôt de retirer un privilège à quelqu'un, et non un droit. Ce n'est pas un droit de venir au Canada, et c'en n'est vraiment pas un de se servir du système bancaire canadien. Ce sont deux privilèges.

Nous proposons une norme très rigoureuse, peut-être même plus rigoureuse que celle qu'emploie la justice pénale canadienne, la norme internationale pour la définition de la violation, et un seuil très élevé, c'est-à-dire leur caractère flagrant, qui nous permet de priver les coupables de leurs privilèges et non de leurs droits. La distinction est très importante. Le Canada ne devrait jamais avoir la compétence de juger d'un meurtre qui a eu lieu en Russie ou en Angola, mais il a absolument le droit et les compétences de ne pas accorder de privilège à l'auteur d'une très mauvaise action qu'on peut prouver.

Je vous entends bien, je respecte votre opinion, mais je pense que c'est légèrement différent d'une incarcération dans le système pénitencier canadien.

La sénatrice Cools : J'ai cité cet exemple pour que vous sachiez que le Canada possède une police très efficace qui a obtenu un très haut taux de réussite quand il s'agit de traduire de mauvaises personnes en justice.

Mon intention réelle est de trouver pour ce projet de loi une instance internationale, ce que la plupart des lois n'accordent pas. C'est là que se trouvent les points faibles du projet de loi. C'était ce qui m'inquiétait.

Autrement dit, toute poursuite, toute mesure prise ici au Canada par nos fonctionnaires doit être conforme au droit canadien, et la loi qui régit habituellement ce genre d'atrocités — j'espère que le mot n'est pas trop fort — se trouve habituellement, sous une forme ou une autre, dans la criminalité.

M. Browder : Je pense que nous essayons ici de modifier le droit canadien.

La sénatrice Cools : D'accord, mais il faut le faire conformément aux normes et aux pratiques canadiennes. J'y suis très favorable.

Le vice-président : Ce sont d'excellentes questions, mais je pense que le prochain groupe de témoins, des fonctionnaires d'Affaires mondiales Canada, pourra mieux y répondre.

La sénatrice Cools : Le Canada a confié ces questions à un vaste réseau de personnes. Il ne faut pas sous-estimer un instant le travail que notre pays réalise déjà sur certaines de ces questions.

Le vice-président : J'inscris votre nom sur la liste de ceux qui interrogeront le prochain groupe.

La sénatrice Cools : Certainement. Le fait qu'on cherche à obtenir une compétence internationale pour ce projet de loi me préoccupe.

Le vice-président : Au nom du comité, j'aimerais remercier les témoins d'avoir pris le temps de comparaître devant nous aujourd'hui. Nous savons que votre temps est très précieux et nous vous sommes très reconnaissants, non seulement de votre participation et de vos exposés, mais également des réponses que vous avez fournies à nos nombreuses questions. Nous espérons que vous comparaîtrez à nouveau devant le comité. Merci.

Pendant la deuxième partie de notre réunion, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-226, Loi prévoyant la prise de mesures restrictives contre les étrangers responsables de violations graves de droits de la personne reconnus à l'échelle internationale et apportant des modifications connexes à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Aujourd'hui, nous accueillons un groupe de témoins de l'organisme que nous appelons maintenant Affaires mondiales Canada, mais que de nombreux Canadiens continuent d'appeler le ministère des Affaires étrangères. Je demanderai aux témoins de se présenter dans un instant.

Je tiens à informer les membres du comité que je dois m'absenter brièvement et qu'un troisième membre du comité de direction, le sénateur Ngo, présidera la réunion à ce moment-là.

J'aimerais demander aux témoins de se présenter. Je présume qu'une seule personne livrera l'exposé. Nous entendrons d'abord M. Rex et ensuite les témoins suivants.

Kevin Rex, directeur général par intérim, Relations Europe de l'Est, Affaires mondiales Canada : Merci, sénateur. Je suis heureux de vous revoir. Je suis Kevin Rex, directeur général, Affaires circumpolaires, Europe de l'Est et Eurasie.

[Français]

Marc-Yves Bertin, directeur général, Politiques économiques internationales, Affaires mondiales Canada : Bonjour, je suis Marc-Yves Bertin, directeur général des politiques économiques internationales.

[Traduction]

Carolyn Knobel, directrice générale par intérim, Affaires juridiques, Affaires mondiales Canada : Bonjour. Je m'appelle Carolyn Knobel, je suis directrice, Direction du droit onusien, des droits de la personne et du droit économique.

Richard Arbeiter, directeur général, Bureau des droits de la personne, des libertés et de l'inclusion, Affaires mondiales Canada : Bonjour. Je m'appelle Richard Arbeiter, et je suis directeur général du Bureau des droits de la personne, des libertés et de l'inclusion.

Le vice-président : Parfait. Merci. Nous entendrons d'abord votre exposé et nous passerons ensuite aux questions.

[Français]

M. Bertin : Mes collègues et moi sommes heureux d'être ici aujourd'hui afin de participer à l'étude du comité sur le projet de loi d'initiative parlementaire S-226. L'étude du projet de loi S-226 se produit à un moment opportun. Comme vous le savez, la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus font l'objet d'un examen législatif par le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.

Parallèlement à cela, le gouvernement du Canada réexamine ses politiques et ses programmes pour veiller à ce que les initiatives internationales du Canada reflètent les réalités mondiales actuelles. Ce réexamen comprend notamment l'étude d'un certain nombre de politiques conformément aux lettres de mandat des ministres.

Dans ce contexte, et avant de répondre aux questions du comité, permettez-moi de parler brièvement des éléments clés de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de sa pertinence dans le cadre de vos réflexions, en particulier en ce qui concerne les droits de la personne.

Comme vous le savez peut-être, la loi permet au Canada d'imposer des sanctions économiques par l'entremise de règlements dans deux situations précises : lorsqu'une organisation ou une association internationale dont le Canada est membre appelle à la prise de mesures économiques contre un État étranger ou lorsque le gouverneur en conseil estime qu'une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationale est susceptible d'entraîner ou a entraîné une grave crise internationale.

Habituellement, le Canada impose des sanctions en vertu de cette loi pour compléter des sanctions existantes mandatées par les Nations Unies ou lorsque le Conseil de sécurité des Nations Unies n'est pas en mesure de parvenir à un consensus, par exemple dans le cas des sanctions contre la Russie pour ses actions en Crimée.

En ce qui concerne les violations des droits de la personne, la loi peut être invoquée contre l'État en présence de l'un des deux éléments déclencheurs existants. Cela a été le cas dans des situations de violation des droits de la personne au Myanmar, au Zimbabwe et en Syrie, lorsque le gouverneur en conseil a jugé que l'élément déclencheur relatif à la violation grave était présent.

Une fois que le Canada a pris des mesures contre un État étranger, la loi lui permet de limiter ou de contrôler les activités de Canadiens ou de personnes qui se trouvent au Canada en interdisant leur participation à ce qui serait autrement des activités commerciales ou économiques légales avec l'État étranger ou avec les personnes ou les entités qui y sont associées.

Par exemple, le blocage d'un bien, soit l'interdiction d'effectuer des opérations portant sur un bien détenu par une personne désignée, est l'un des outils ciblés qui peuvent être utilisés pour imposer des mesures économiques en présence de l'un des deux éléments déclencheurs énoncés dans la loi. L'identification des personnes ou des entités désignées aux fins d'un blocage de bien se fait en collaboration avec d'autres pays qui ont des vues similaires et à la suite de consultations interministérielles.

[Traduction]

Le projet de loi S-226 soulève aussi l'importante question de savoir quelle est la meilleure réponse à donner devant des actes de corruption commis à l'étranger et des avoirs illicites qu'ils génèrent, une question qui va au-delà des sanctions.

Le Canada souscrit à des approches approuvées à l'échelle internationale pour s'attaquer à la corruption à l'étranger. Pour concrétiser ces approches et gérer de telles situations, le Canada dispose d'un certain nombre d'instruments législatifs qui sont du ressort d'Affaires mondiales et d'autres ministères clés, par exemple la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, ou la LBBDEC, dans notre ministère. La LBBDEC permet au Canada de bloquer temporairement des biens de dirigeants étrangers corrompus à la demande d'un État lorsqu'il y a des troubles internes ou une situation politique incertaine.

Il faut également souligner l'existence de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, dont l'application relève du ministre des Finances et du ministre de la Sécurité publique. Cette loi aide les organisations canadiennes responsables de l'application des lois et de la sécurité nationale dans leur lutte contre le blanchiment d'argent, le financement d'activités terroristes et les menaces à la sécurité du Canada.

Comme je l'ai mentionné, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes a entrepris un examen exhaustif des dispositions et du fonctionnement de la LMES et de la LBBDEC. Dans le cadre de cet examen, le comité a dûment étudié une vaste gamme de questions concernant les mesures canadiennes, y compris la situation de M. Magnitsky, et examiné des mesures potentielles pour répondre à des violations des droits de la personne reconnus à l'échelle internationale.

Nous attendons avec beaucoup d'intérêt le rapport de ce comité, ainsi que les délibérations et les travaux de votre comité. Ces conclusions et ces délibérations guideront nos travaux en cours au sujet du régime de sanctions du Canada et de la promotion des objectifs plus larges du gouvernement en matière de droits de la personne.

En tenant compte de ces considérations, mes collègues et moi serons heureux de répondre à vos questions.

Afin de vous mettre en contexte et de vous donner une idée de la façon dont nous répondrons à certaines des questions, je peux vous parler de l'organisation du ministère. Il y a d'abord le secteur des politiques et le secteur juridique qui forment l'assise de la politique en matière de sanctions et des questions liées aux droits de la personne, mais la décision ultime concernant le moment d'invoquer ou d'utiliser des sanctions pour les définir, y compris l'échéance, est régie par nos directions générales géographiques dans le contexte de la gestion d'une relation bilatérale.

À ma gauche se trouve ce que j'aime appeler les fonctionnaires principaux, et à ma droite un exécuteur, en quelque sorte.

Le vice-président : Je vous remercie de votre exposé et je vous remercie également d'être ici ce matin. Nous vous en sommes très reconnaissants.

La sénatrice Eaton : Cette loi sera-t-elle rétroactive? À votre avis, combien de personnes responsables de graves violations des droits de la personne vivent maintenant au Canada?

Mme Knobel : Je vais tenter de répondre à la question sur la rétroactivité. Il faut présumer que le projet de loi sera adopté dans sa forme actuelle. Je ne vois pas comment la loi pourrait être rétroactive. Habituellement, une loi s'applique le jour de son entrée en vigueur.

M. Bertin : En ce qui concerne la question du nombre de personnes responsables de violations des droits de la personne qui habitent au Canada, la réponse simple, c'est que je ne sais pas si nous avons ce renseignement. Cela va au- delà de mes compétences. Cela dit, les questions relatives aux activités criminelles relèvent de la GRC.

La sénatrice Eaton : Excusez-moi. Je suis très étonnée que nous ayons une telle loi et qu'elle existe depuis plusieurs années. D'après ce que je comprends, elle vient aussi du gouvernement précédent. Honnêtement — je ne vous demande pas de préciser des noms ou des provinces —, mais vous ne pensez pas qu'à votre connaissance, des gens responsables de violations des droits de la personne vivent au Canada?

M. Bertin : Je ne veux pas me livrer à des conjectures, mais j'aimerais ajouter que mon ministère n'est pas un organisme d'application de la loi. Nous ne sommes pas un service de police. Les questions liées aux enquêtes criminelles concernant les violations ou les violations potentielles des droits de la personne relèvent de la GRC.

La sénatrice Eaton : Personne ne vous a signalé qu'un voisin immédiat ou qu'une personne qui vit au bout de la rue pourrait avoir commis des violations des droits de la personne? Si quelque chose comme cela m'arrivait, ces gens s'adresseraient à la police et ne communiqueraient pas avec leur ambassade ou avec Affaires mondiales Canada?

M. Bertin : Si une telle affaire nous était présentée, nous la prendrions manifestement très au sérieux et nous enverrions le dossier à la GRC.

La sénatrice Eaton : Vous ne répondrez pas à ma question. Merci. Je ne peux pas croire que vous n'ayez aucune idée du nombre de ces personnes qui vivent au Canada.

Le sénateur Ngo : Essentiellement, ce que vous avez répondu n'est pas ce que je vais vous demander. J'aimerais vous demander sur quel type de faits et de renseignements relatifs aux droits de la personne le gouvernement fonderait sa décision lorsqu'il s'agit d'imposer des sanctions. Comment ce projet de loi modifie-t-il votre évaluation des violations de droits de la personne?

M. Bertin : J'aimerais demander à mon collègue d'illustrer la façon dont nous fonctionnons par un exemple.

M. Rex : Je ne parlerai pas des éléments juridiques du projet de loi et de la question de savoir s'ils affectent ou non notre évaluation. Je crois que cette question a été posée aux témoins précédents. Je vais utiliser l'exemple d'individus qui font actuellement face à des sanctions en Russie et en Ukraine en raison du conflit qui sévit là-bas. Dans un cas, le gouvernement actuel de l'Ukraine a identifié ces individus à la suite du changement de gouvernement qui s'est produit dans ce pays. Dans les autres cas, nous avons recours à nos ambassades et aux renseignements qu'elles peuvent nous fournir. Nous utilisons les renseignements que nous partageons au sein du Groupe des cinq. Manifestement, nous collaborons très étroitement avec les Américains. Au bout du compte, comme on l'a mentionné plus tôt, il revient au gouvernement de décider si certaines personnes répondent aux critères que nous jugeons nécessaires pour faire l'objet de sanctions en ce moment en vertu des règlements de la LMES ou de la LBBDEC.

Mme Knobel : Dans le cadre actuel, en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES, comme vous l'avez sûrement entendu, il existe actuellement deux déclencheurs qui donnent lieu à l'imposition de sanctions. Dans le premier cas, il faut qu'une organisation ou une association internationale d'États dont le Canada est membre préconise l'imposition de sanctions. Ce déclencheur a été utilisé à deux reprises, soit en ancienne Yougoslavie et en Haïti.

Le deuxième déclencheur est utilisé lorsque le gouverneur en conseil juge qu'une situation représente une grave violation de la paix et de la sécurité internationales et que cela a provoqué ou provoquera probablement une crise internationale grave. Actuellement, nous avons imposé des sanctions entraînées par ce deuxième type de déclencheur à neuf reprises, si ma mémoire est bonne.

Dans la mesure où la situation d'un pays, de l'avis du gouverneur en conseil, entraîne une grave violation de la paix et de la sécurité internationales, des mesures peuvent être imposées contre cet État étranger, notamment en ciblant des personnes qui se trouvent dans cet État étranger ou des nationaux d'un État étranger dont les biens seront bloqués.

Comme mon collègue l'a dit, différentes sources de renseignements alimentent les mécanismes que nous utilisons pour identifier ces individus, et j'aimerais ajouter qu'actuellement, la norme en matière d'imposition de sanctions indique qu'il faut avoir des motifs raisonnables de croire que ces personnes répondent aux critères qui justifient l'ajout de leur nom à la liste des individus qui peuvent faire l'objet de sanctions. Habituellement, dans chaque cas, nous établissons une catégorie de personnes qui peuvent être assujetties à des sanctions.

Le sénateur Ngo : Le Congrès des États-Unis, en vertu de la Foreign Assistance Act of 1961 ou de la Trade Act of 1974, a l'obligation de présenter un rapport annuel sur les pratiques relatives aux droits de la personne dans d'autres pays avec lesquels il a des relations bilatérales. Cela permet à tout le monde d'agir conformément aux mêmes renseignements et d'atteindre les mêmes objectifs en matière de droits de la personne.

Allons-nous dans la même direction?

M. Bertin : J'aimerais apporter quelques éclaircissements. Voulez-vous connaître l'approche que nous utilisons pour surveiller les pratiques relatives aux droits de la personne à l'étranger et la façon dont nous intégrons ces renseignements dans le processus décisionnel du gouvernement ou parlez-vous plutôt de la question de l'uniformité entre les ministères?

Le sénateur Ngo : Je parle de la présentation de rapports annuels sur les droits de la personne, afin d'informer tous les autres pays avec lesquels nous avons des relations bilatérales. C'est l'essentiel de ma question.

M. Arbeiter : À ce jour, aucun gouvernement canadien n'a décidé de publier un rapport annuel sur la situation des droits de la personne dans les autres pays du monde. Nous faisons connaître notre point de vue par l'entremise d'autres mécanismes, qu'ils soient multilatéraux ou publics. Le mécanisme le plus visible est l'examen périodique universel. Les participants se réunissent à Genève et tous les pays du monde y participent.

La politique du Canada consiste à formuler des recommandations à chaque pays participant à l'examen périodique universel. Ces recommandations comprennent l'avis du gouvernement sur la façon dont un certain pays peut améliorer sa situation relative aux droits de la personne.

Le sénateur Ngo : Si le projet de loi est adopté, serons-nous tenus de publier un rapport annuel sur les pays avec lesquels nous avons des accords bilatéraux ou que nous aidons, et cetera, afin que nous puissions avoir accès aux mêmes renseignements et aux mêmes préoccupations lorsque nous souhaitons imposer des sanctions aux représentants de ces pays?

M. Bertin : Je crois que vous savez manifestement qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi émanant du gouvernement. Il serait peut-être plus approprié — et je vois que le sénateur hoche la tête — de poser cette question à la sénatrice.

Le vice-président : La sénatrice Andreychuk arrivera bientôt. Nous pourrons donc lui parler dans quelques minutes.

Le sénateur Ngo : Merci, monsieur le président. J'aimerais poursuivre avec une question similaire à celle de la sénatrice Eaton.

Selon votre expérience en gestion de questions liées aux droits de la personne au Canada, sommes-nous la destination de choix des personnes responsables de violations de droits de la personne?

M. Arbeiter : Je suis désolé. Je n'essaie pas d'éviter la question, mais je ne me livrerai pas à des conjectures sur les préférences en matière de voyage des personnes responsables de violations des droits de la personne dans le monde. Je ne suis pas certain de leurs préférences et de leurs projets, mais je peux certainement vous assurer que nous nous sommes engagés à améliorer la situation des droits de la personne à l'échelle mondiale et de veiller à mettre fin à l'impunité.

Le sénateur Oh : Ils ne vont certainement pas à Cuba, au Vietnam, en Chine ou en Afghanistan. Vous occupez-vous de nombreux cas de violations des droits de la personne ici au Canada comparativement aux États-Unis, au Royaume- Uni ou à d'autres pays? Pouvez-vous répondre à cette question?

M. Arbeiter : J'aimerais que vous précisiez votre question. Parlez-vous de violations des droits de la personne ici au Canada?

Le sénateur Oh : Oui. Je parle des responsables de violations de droits de la personne qui vivent ici.

M. Arbeiter : Le gouvernement a énoncé clairement qu'aucun pays n'est parfait. La protection des droits de la personne est un élément absolument essentiel du programme du gouvernement. Le gouvernement a parlé d'une série d'efforts visant à améliorer la situation des droits de la personne au Canada. Je peux parler du point de vue de mon ministère. Il s'agit entre autres de veiller à ce que le Canada soit ouvert à la surveillance exercée par les observateurs internationaux qui peuvent nous communiquer leur avis d'expert sur les types d'améliorations que nous pourrions apporter ici, au Canada.

J'aimerais vous donner quelques exemples à cet égard. En octobre dernier, les membres du Groupe de travail d'experts des Nations Unies sur les personnes d'ascendance africaine sont venus au Canada. Ils sont allés à Montréal, à Toronto, à Ottawa et à Halifax. Ils ont rédigé un rapport sur la façon dont le Canada pourrait améliorer la situation des personnes d'ascendance africaine dans notre pays, en formulant des recommandations précises et ciblées pour tous les paliers de gouvernement.

Le Canada participe également à tous les organismes créés en vertu de traités internationaux des droits de la personne pour les traités que nous avons ratifiés. Cela signifie que nous devons régulièrement envoyer un rapport à ces organismes créés en vertu de traités internationaux sur l'exécution de nos obligations internationales en matière de droits de la personne. Nous avons récemment comparu devant le comité responsable des droits politiques et civils, et des droits économiques, sociaux et culturels et du comité responsable de l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Nous prenons ces responsabilités extrêmement au sérieux.

Ces éléments ne font pas exclusivement partie du mandat du ministère des Affaires mondiales du Canada, car ils concernent l'exécution de nos obligations internationales à l'échelle nationale. Selon le problème en jeu, nos partenaires du ministère de la Justice, de Condition féminine Canada et du ministère de la Sécurité publique comparaîtront devant des comités internationaux pour parler des efforts du Canada en vue d'améliorer la situation, selon l'enjeu thématique qui fait l'objet d'une discussion, et encore plus important, pour entendre les recommandations et les observations formulées par les organismes créés en vertu de traités, afin que le Canada continue de tenter d'améliorer la situation en confrontant la communauté visée ou la situation au Canada.

La sénatrice Cools : Si vous me le permettez, j'aimerais poser quelques questions. Je remercie les témoins d'avoir comparu devant nous. Je dois admettre que j'appelle toujours votre organisme le ministère des Affaires étrangères. Pardonnez-moi si je commets cette erreur à l'occasion. Bien honnêtement, je crois que les noms « Affaires étrangères » et « Affaires extérieures » sont beaucoup plus appropriés et décrivent plus précisément le rôle du ministre. En effet, je ne crois pas que notre ministre des Affaires étrangères s'occupe du monde entier, mais il s'occupe certainement de nos relations avec les pays étrangers. De toute façon, c'était seulement une précision que je tenais à formuler.

Le sénateur Ngo a mentionné les rapports sur les droits de la personne qui ont été présentés au Congrès et au Sénat des États-Unis. Il y a quelques années, en fait plusieurs années, les Américains se sont penchés sur le cas du Canada au sujet de quelque chose que les Canadiens avaient fait dans un pays étranger. Je n'ai pas pensé à cet incident depuis plusieurs années. Il vient tout juste de me revenir à la mémoire, car nous ne sommes pas toujours du côté des États- Unis. En effet, lorsque cela leur convient, les Américains aiment nous donner quelques tapes sur les doigts pour nous rappeler qu'ils sont les plus forts, et nous ne disons rien, car nous savons que cela ne vaut pas la peine.

Vous souvenez-vous de ce rapport? Je me rappelle qu'il a causé beaucoup d'angoisse au Canada. Je ne me souviens pas s'il concernait la situation en Somalie, mais il a provoqué beaucoup de réactions. Si vous ne connaissez pas ce rapport, vous êtes peut-être trop jeune. Je suis beaucoup plus âgée que vous, et je comprendrais donc très bien cela. J'ai une autre question. Allez-y.

M. Arbeiter : Très brièvement, je ne suis pas certain du rapport auquel vous faites référence, mais je dirais que nous formulons certainement des commentaires sur la situation liée aux droits de la personne aux États-Unis et que nous l'avons fait lorsque ce pays a comparu dans le cadre de l'examen périodique universel qui s'est déroulé à Genève l'an dernier. Comme je l'ai dit plus tôt, nous formulons des commentaires sur la situation de chaque pays par l'entremise de ce mécanisme.

La sénatrice Cools : Je crois que cette ouverture est très souhaitable.

Selon ce que je comprends, des agents de la GRC font partie du personnel de nos ambassades canadiennes à l'étranger, c'est-à-dire de certaines ambassades très précises, mais pas toutes, je crois. Leur rôle consiste à mener des enquêtes sur des crimes, des actes répréhensibles et tout ce qui entre dans la catégorie du maintien de l'ordre et des actes criminels dans un grand nombre de ces pays. Savez-vous quelque chose sur ce sujet? J'ai parlé à certaines de ces personnes, et je sais donc qu'elles existent.

Mme Knobel : Je vais tenter de répondre à la question, mais je crois que mes collègues de la GRC seraient mieux en mesure d'y répondre. D'autres personnes peuvent me corriger si je me trompe.

D'après ce que je comprends, les agents de la GRC qui sont affectés à certaines missions qui se déroulent à l'étranger — mais pas tous — sont des agents de liaison. Une grande partie de leur rôle consiste à assurer la liaison avec les entités d'application de la loi de l'État hôte. Plus tôt, on a posé des questions sur la capacité du Canada d'exercer sa compétence à l'extérieur de son territoire, et encore une fois, je m'en remettrais probablement à mes collègues du ministère de la Justice pour préciser ce que permet le Code criminel et ce qu'il ne permet pas. Je serais en mesure de dire qu'il y a certainement des limites à la capacité du Canada d'exercer sa compétence en matière de droit pénal à l'extérieur de son territoire.

La sénatrice Cools : Cela fait partie du point que je tente de faire valoir. Je sais que ces personnes existent et qu'elles sont constamment à l'écoute de ce qui se passe sur le terrain, et qu'elles sont donc en mesure de fournir d'excellents renseignements sur demande.

M. Arbeiter : J'aimerais également ajouter qu'en plus de ceux qui sont affectés à nos missions à l'étranger, un grand nombre d'agents de la GRC et des services de police municipaux participent à l'entraînement et au renforcement des capacités dans différents endroits dans le monde. Des contingents importants sont allés en Afghanistan et à Haïti dans le cadre de nos efforts.

La sénatrice Cools : À des fins de formation et de partage de renseignements là-bas.

M. Arbeiter : Dans certains cas, c'était pour les former ou les sensibiliser aux différents types de problèmes, par exemple la sensibilisation aux distinctions fondées sur le sexe et la façon d'enquêter dans des situations liées aux violations des droits de la personne, et pour leur montrer à produire des documents à cet égard. C'est l'un des instruments de la boîte à outils qui nous aide à promouvoir le respect des droits de la personne.

La sénatrice Cools : Je suis au courant du bon travail qu'ils effectuent dans le domaine du maintien de l'ordre. Parfois, il ne s'agit pas seulement des agents de la GRC, mais également des services de police locaux et municipaux.

Je tentais seulement de faire savoir aux membres du comité que le gouvernement du Canada est très vigilant en ce qui concerne plusieurs enjeux. Il ne le dit pas assez souvent. Je ne crois pas qu'on devrait annoncer ce type de choses trop ouvertement, mais je crois que notre ministère des Affaires étrangères est plus conscient et informé de nombreuses réalités que nous ne connaissons vraiment pas. C'est peut-être une bonne chose.

Il y a quelques années, une série de procès concernant des criminels de guerre nazis se sont tenus au Canada. Je crois qu'ils se sont déroulés à la Cour fédérale. Vous en souvenez-vous? Plusieurs procès de ce genre ont eu lieu.

Dans un certain cas, un employé d'un ministère a subi des torts, car ces affaires ne progressaient pas. Il s'est adressé au juge en chef, et le ministre de la Justice de l'époque en a fait toute une histoire, ce qui a nui à l'employé du ministère de la Justice et au juge en chef de la Cour fédérale de l'époque. Manifestement, ces événements se perdent dans le temps. Mais cela ne remonte qu'à environ 10 ans.

Quoi qu'il en soit, comme je l'ai dit, j'estime que ce projet de loi est un pas dans la bonne direction et qu'il est très bien ficelé. Cette question de compétences reste toutefois problématique.

Je suis d'avis qu'un tel projet de loi devrait cheminer avec le soutien du ministre des Affaires étrangères. En fait, il devrait être présenté comme un projet de loi d'initiative ministérielle et jouir de l'appui du gouvernement.

Merci beaucoup. Je suis ici depuis 32 ans, alors je vous demande de m'excuser.

La sénatrice Andreychuk : Je crois bien qu'il y aura d'ici peu de nombreuses discussions entre la sénatrice Cools et moi.

La Loi sur les mesures économiques spéciales ne touche pas au droit pénal, n'est-ce pas?

Mme Knobel : Si la Loi sur les mesures économiques spéciales est enfreinte, des peines sont prévues aux termes de ladite loi, peines qui peuvent aller jusqu'à l'emprisonnement.

La sénatrice Andreychuk : Mais ces peines ne visent pas des personnes qui sont au Canada. Vous faites une évaluation selon certaines normes afin de déterminer si vous allez imposer des peines ou non.

Mme Knobel : La Loi sur les mesures économiques spéciales exige que les personnes qui sont au Canada — et, de façon générale, les Canadiens qui sont à l'étranger — se conforment à ses règlements. Une personne qui enfreindrait la loi et qui tomberait dans l'une de ces deux catégories — c'est-à-dire une personne au Canada ou un Canadien à l'étranger — ferait l'objet d'une enquête de la GRC et pourrait être poursuivie si le Service des poursuites pénales juge qu'il est important de le faire.

La sénatrice Andreychuk : À l'intérieur des limites de la Loi sur les mesures économiques spéciales?

Mme Knobel : Aux termes de cette loi, oui.

La sénatrice Andreychuk : En fonction des normes fixées par la Loi sur les mesures économiques spéciales. Je crois que quelqu'un a dit que la règle qui s'applique est le fait qu'il y ait des « motifs raisonnables de croire ».

Mme Knobel : La règle à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure — ces « motifs raisonnables de croire » — est la norme qui s'applique pour mettre une personne sur la liste. Cela n'a rien à voir avec les dispositions sur les infractions comprises dans la Loi sur les mesures économiques spéciales.

La sénatrice Andreychuk : Il y a eu confusion avec le fait de porter des accusations pour des infractions criminelles aux termes du Code criminel, mais il est ici question de la Loi sur les mesures économiques spéciales, et ce que nous disons, c'est que la condition qui s'applique n'est pas la règle de la preuve. La condition serait d'établir — j'essaie de retrouver ma propre référence — s'il y a eu, selon les normes internationales, violation grave des droits de la personne.

Voilà en quoi consisterait la condition. C'est la règle qui serait observée. Je tiens seulement à ce que cela soit dans le compte rendu.

Présentement, le Canada a assurément une certaine responsabilité sur le plan international lorsqu'une personne se trouvant dans un pays qui appuie les normes internationales est torturée, brutalisée ou tuée. Tous les jours, vous recevez des demandes pour vous prier d'examiner des problèmes relatifs au non-respect de ces normes.

Beaucoup d'ONG vous rapportent des problèmes de cet ordre, n'est-ce pas?

Je regarde M. Arbeiter.

M. Arbeiter : Malheureusement, les abus et les violations des droits de la personne sont des choses qui se produisent sur une base quotidienne. Au Canada comme à l'étranger, il y a des organismes de la société civile qui assument une fonction essentielle à l'échelle mondiale, soit celle de porter ces causes et ces cas particuliers à l'attention des partenaires locaux et des partenaires internationaux.

Alors oui, nous recevons fréquemment de l'information au sujet de cas d'abus présumés ou de violations présumées, tant d'intervenants canadiens que d'intervenants internationaux.

La sénatrice Andreychuk : Avec vos conseils et ceux d'autres sources, le ministre doit décider ce qu'il y a lieu de faire. Le Canada doit-il rester muet? Devrions-nous faire une déclaration? Devrions-nous tenter d'exercer notre influence sur la scène internationale? Devrions-nous prendre des mesures à l'interne?

M. Arbeiter : Il est correct de juger de ces cas sur une base individuelle. Le jugement s'appuie sur une série de considérations très importantes.

Tout d'abord, il y a le contexte local du cas, c'est-à-dire ce qui se passe dans cet environnement particulier. Compte tenu de cet aspect, quel est l'outil le mieux approprié?

Le deuxième principe est de ne pas causer de tort. Dans bien des cas, l'outil que vous choisissez d'appliquer pourrait aggraver la situation de façon irréversible, pourrait empirer les choses pour la personne visée, pour l'organisme que cette personne représente ou pour la collectivité dont elle fait partie. On réfléchit énormément à ce qu'il faut faire pour éviter d'aggraver inutilement la situation.

Je devrais aussi préciser que les moyens qui sont à notre portée sont nombreux et variés. Les sanctions sont utilisées en dernier recours. Le gouvernement a toute une gamme d'autres outils dont il peut se servir avant d'en arriver aux mesures les plus percutantes, et même dans ces cas-là, il doit tenir compte du contexte local et de la nécessité de ne pas causer de tort.

M. Bertin : Dans la foulée de l'une des observations que Richard vient de formuler sur le fait que les sanctions font partie d'un ensemble d'outils, de la vaste gamme d'activités que le gouvernement peut mettre en œuvre dans le cadre de relations bilatérales, je crois qu'il est important de souligner qu'il est possible d'utiliser la Loi sur les mesures économiques spéciales dans sa forme actuelle pour les violations des droits de la personne. En fait, la loi a été utilisée à trois reprises dans de tels cas : une fois au Zimbabwe, une fois au Myanmar et, plus récemment, en Syrie.

Je crois que c'est la question sur laquelle nous devons nous pencher en ce qui a trait au projet de loi S-226 et à d'autres délibérations : devrions-nous examiner de façon précise la mise en place d'un nouveau dispositif de déclenchement en matière de droits de la personne? Si c'était le cas, il y a un certain nombre de questions que le comité voudra peut-être examiner de plus près. Je pense qu'il y a trois secteurs d'activités auxquels le comité devrait s'intéresser.

Tout d'abord, il faut établir ce qui pourrait justifier l'application d'une nouvelle sanction? Quel en serait l'objectif précis? Essayons-nous de provoquer un changement politique ou de promouvoir la justice, et savons-nous précisément ce que nous cherchons à accomplir? Ou s'agit-il d'autre chose? Le cas échéant, la mesure utilisée est-elle bien alignée sur l'objectif? Est-il question des droits de la personne en général ou de certains droits de la personne? S'agit-il des défenseurs des droits publics ou des victimes?

L'autre question sous-jacente qu'il faut se poser est la suivante : le train de mesures proposé est-il essentiel et efficace pour réaliser l'objectif stratégique? Les instruments que l'on compte utiliser seront-ils vraiment en mesure de provoquer le changement que l'on cherche à provoquer? De toute évidence, ces considérations sont celles que nous soupesons au moment d'envisager l'application de sanctions. Si nous parlons d'une nouvelle loi, je crois qu'il est important de nous poser ces questions.

Troisièmement, quelles seront les répercussions de tel ou tel mécanisme? Si nous devons en utiliser un ou en créer un, comprenons-nous bien les répercussions que ce mécanisme peut avoir, et est-ce que ces répercussions sont en harmonie avec ce que nous cherchons à accomplir?

Prenons un exemple diplomatique. Richard soulignait que les sanctions que l'on prend contre un pays donné ont toujours des conséquences négatives. C'est d'ailleurs pourquoi elles sont utilisées en dernier recours. C'est aussi pour cette raison que nous prenons ces mesures en harmonie avec d'autres pays, dans la mesure où les conséquences négatives ne seront pas ressenties que par l'État ciblé. Il faut garder à l'esprit que les entreprises canadiennes et les travailleurs canadiens pourraient être désavantagés sur le plan concurrentiel si le Canada agissait seul ou sans faire partie d'un groupe important de pays.

Le recours aux mesures soulève un certain nombre de questions, à la fois en ce qui concerne les conséquences pour le Canada et l'effet que les mesures pourraient avoir sur nos relations bilatérales. Quel effet les mesures auront-elles sur la dynamique du pouvoir dans le pays ciblé? Les mesures fourniront-elles au pays ciblé une occasion d'inciter l'opinion publique à se ranger sous les couleurs du drapeau, si vous me permettez l'expression?

J'ai parlé de représailles. J'ai parlé des répercussions négatives à grande échelle, y compris des conséquences que cela pourrait avoir sur ce que vous cherchez peut-être à accomplir en matière de droits de la personne.

Il est intéressant de signaler qu'aux États-Unis, par exemple, des lois comme la loi Magnitski permettent de séparer l'État des personnes. Aux termes de la Loi sur les mesures économiques spéciales, nous ciblons d'abord un État, puis nous pouvons nous en prendre à des personnes et à des entités, dans ce contexte.

Les liens inhérents au concept de responsabilité de l'État en matière de droits humains ont été rompus.

Sans parler de l'efficacité du régime de sanctions prévu aux termes de la loi Magnitski des États-Unis, il importe de souligner que les Russes ont répliqué de nouvelle façon en s'en prenant aux personnes qui cherchaient à adopter des enfants russes. Le gouvernement russe a donc créé ou fait intervenir un degré d'incertitude dans leur façon de réagir. À certains égards, ils ont en quelque sorte réussi à briser les liens ou à remettre tout ensemble.

Je ne vais pas parler des aspects légaux. Mon collègue voudra peut-être parler de certains de ces aspects. Dans une perspective opérationnelle, il y a aussi d'autres questions dont il faut tenir compte durant toute la durée de vie des sanctions. Vos objectifs et les moyens que vous prenez pour les atteindre sont-ils suffisamment clairs pour les Canadiens? En fin de compte, les banques, surtout elles, ont le devoir de se conformer, mais c'est aussi l'affaire des importateurs, des exportateurs et de Canadiens ordinaires.

L'approche, la mesure et l'instrument proposés sont-ils suffisamment définis pour que les citoyens canadiens et les entités canadiennes comprennent leur obligation de signaler s'ils possèdent des propriétés ou leur obligation de renoncer à acquérir une propriété ou des actifs dans le pays ciblé — ce qu'ils n'auraient pas le droit de faire aux termes de cette réglementation? Comprend-on les conséquences opérationnelles de cela dans la mesure où les Canadiens et les entreprises canadiennes chercheront à obtenir des précisions du gouvernement quant à la façon d'interpréter certaines de ces questions? Il y a un certain nombre de questions qui devront être examinées sous toutes leurs coutures. Je viens d'en porter quelques-unes à l'attention du comité.

Les sanctions sont plus qu'une simple déclaration politique. Ce sont des instruments qui ont une grande importance. Ce sont des instruments de dernier recours. Elles ne sont pas aussi fortes qu'un acte de guerre, mais elles sont empreintes de gravité. Si vous examinez le contexte des Nations Unies, les sanctions se retrouvent dans les chapitres qui portent sur la guerre et la violence.

C'est une façon d'illustrer l'importance que revêtent les sanctions. De toute évidence, lorsque vous vous poserez toutes ces questions, nous prêterons l'oreille parce que vos réflexions nourriront les nôtres au sujet de ce que nous cherchons à réaliser avec cette politique sur les sanctions.

La sénatrice Andreychuk : Voilà une façon intéressante d'approcher les droits de la personne. C'est la première fois que j'entends une réfutation fondée sur le fait de reléguer les droits de la personne au second rang. Ce que ce projet de loi essaie de faire — et je ne veux pas parler à la place de M. Cotler —, c'est de mettre les droits de la personne sur un pied d'égalité avec d'autres problèmes que vous avez exposés de façon bien complète, de faire en sorte que ces droits aient le même poids que les autres choses dans notre politique étrangère. Il est vrai qu'il peut y avoir des conséquences, des conséquences parfois non désirées, mais notre engagement à faire en sorte que les droits de la personne deviennent un pilier essentiel de notre politique étrangère est un engagement bien réel. Je crois que c'est la première chose à retenir.

Ce projet de loi affirme que les violations graves des droits de la personne — pas n'importe quelle forme d'abus, pas seulement dans tel ou tel pays — doivent être prises en compte dans notre politique étrangère. En essence, c'est ce qu'il faut retenir.

Le fait de dire que les sanctions sont des instruments percutants renvoie à une terminologie qui était utilisée lorsque nous avions l'habitude de museler des pays. Nous parlons d'instruments ciblés. Je crois que ce que la communauté internationale essaie de faire, c'est de raffiner sa façon d'utiliser ces instruments et de choisir où ils doivent être utilisés. Les témoins précédents ont été en mesure d'expliquer tout cela bien mieux que je ne saurais le faire.

Le problème, c'est que le monde change. Nous avons passé des décennies à tenter de créer des ordres internationaux et à essayer d'y regrouper le plus grand nombre de gens possible. La dynamique actuelle est complètement différente. Beaucoup de gens remettent en question l'ordre mondial, particulièrement dans le domaine des droits de la personne.

Cette loi avait donc comme objectif de renforcer les normes internationales que le Canada essaie de mettre en place depuis des décennies — depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme, en fait — et de doter le gouvernement d'un outil additionnel.

La loi n'a pas été conçue pour être un instrument percutant. Elle n'a pas été conçue pour être utilisée en tout temps. Elle vise à donner un outil de plus au gouvernement pour l'aider à faire des choix : faut-il dénoncer? Faut-il rester muet? Faut-il faire une déclaration? Faut-il se joindre aux autres? Nous devons nous assurer d'avoir autant d'outils que possible. En ce qui a trait au fait de cibler les auteurs de violations graves qui auraient placé leurs actifs au Canada — et il y a une norme internationale pour vérifier si cela s'applique —, j'ose espérer que le ministère trouvera des façons de faire cela plutôt que de poser toutes ces questions sur les aspects négatifs. J'apprécie le fait de cerner les aspects négatifs, mais je crois qu'il faut souligner les aspects positifs lorsqu'il s'agit de travailler avec la communauté canadienne. La communauté canadienne veut s'assurer que le respect des droits de la personne est à son plus haut point, et que nous avons vraiment fait tout ce que nous pouvions faire.

M. Magnitsky n'est pas mort parce qu'il faisait quelque chose de mal. Il défendait le droit de son pays à mettre la main sur de l'argent qui appartenait au peuple. Auparavant, M. Magnitsky n'était pas un défenseur des droits de la personne. C'était un avocat, mais il a pris son travail tellement à cœur qu'il a risqué sa vie, et qu'il en est mort.

Alors, beaucoup d'autres activistes des droits de la personne se sont manifestés. Voulons-nous que le Canada ait le plus grand nombre d'outils à sa disposition pour qu'un ministre puisse dire, une fois la preuve établie, « d'accord, selon les normes internationales, j'ai la preuve qu'il me faut, et je pourrais utiliser ce mécanisme »? La simple existence de cet outil suffira peut-être à inciter les personnes qui viennent ici avec de l'argent gagné malhonnêtement par des violations graves des droits de la personne à repenser à leur affaire.

Je ne vous demande pas de répondre à cela. Je sais que ce n'est pas vous qui décidez des politiques publiques, mais, quand vous répondrez — que ce soit de ce côté-ci ou du côté de la Chambre —, je vous prie instamment de réfléchir à comment les Canadiens pourraient faire mieux, ainsi qu'aux obstacles. Si un ministre dit : « Écoutez, nous allons sacrifier d'autres choses; il se peut que nous mettions telle ou telle communauté en péril. Il se peut qu'il y ait des conséquences négatives. » Je ne veux pas que le ministre ait à faire cela, mais je veux qu'il ait les outils qu'il lui faut, le cas échéant. Et je veux qu'il se prête au processus afin de déterminer s'il a fait tout ce qu'il pouvait. Je crois que la loi Magnitski affirme qu'il n'a pas fait tout ce qu'il pouvait faire, qu'il a encore une option.

Ce n'est pas mon point de vue. C'est un ensemble de partis politiques qui, au nom du Canada, réclame l'adoption de la loi Magnitski.

M. Arbeiter : Je sais que vous ne cherchez pas à obtenir une réponse, mais permettez-moi une clarification. Je n'essayais pas d'être positif ou négatif. Les sanctions peuvent être un instrument positif. Ce à quoi je faisais allusion, c'est à la gradation qui existe entre l'interventionnisme et un interventionnisme plus discret. Le gel des actifs ou les interdictions de voyager sont des mesures plus interventionnistes que d'autres outils qui font partie de la trousse, mais, assurément, jamais je n'ai tenté de dire si tel ou tel instrument de la trousse était bon ou mauvais. En fait, je crois que le gouvernement devrait disposer — comme c'est le cas maintenant — d'une vaste gamme de choix qui lui permettront de s'attaquer de la manière la plus efficace possible à la situation des droits de la personne dans d'autres pays. C'est la clarification que je voulais apporter. Merci.

La sénatrice Andreychuk : Sachez que je l'apprécie, tout comme j'apprécie le dialogue à ce sujet.

Je crois que la question à laquelle les partis politiques doivent répondre — comme moi, d'ailleurs —, c'est de savoir si les Canadiens veulent encourager les violations graves commises à l'international en permettant à leurs auteurs de déplacer leurs actifs au Canada. Voulons-nous devenir des complices plutôt que des défenseurs de ceux qui devraient être protégés? C'est la question qu'il faut se poser et qui est à la base de ce projet de loi. J'espère que vous allez en tenir compte lorsque vous donnerez votre avis au gouvernement.

Le vice-président : Merci, sénatrice Andreychuk. Au nom du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, je vous remercie d'avoir été là ce matin, et je vous remercie de votre contribution à nos travaux. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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