Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 18 - Témoignages du 15 février 2017
OTTAWA, le mercredi 15 février 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi S-219, Loi visant à dissuader l'Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l'incitation à la haine et des violations des droits de la personne, se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Chers collègues, nous allons poursuivre aujourd'hui notre étude du projet de loi S-219, Loi visant à dissuader l'Iran de parrainer des actes constituant du terrorisme, de l'incitation à la haine et des violations des droits de la personne.
Nous allons entendre en direct de New York, par vidéoconférence, M. Richard Nephew, maître de recherche universitaire, Center on Global Energy Policy, de l'Université Columbia.
Merci de vous joindre à nous, monsieur Nephew. Nous allons d'abord écouter votre exposé, puis les sénateurs auront certainement des questions à vous poser. Vous avez la parole.
Richard Nephew, maître de recherche universitaire, Center on Global Energy Policy, Université Columbia : Merci, monsieur le président. Je suis très heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant votre comité aujourd'hui. Je suis par ailleurs ravi de pouvoir témoigner par vidéoconférence, une technologie que j'aimerais que le Congrès de mon propre pays envisage d'utiliser.
Je suis ici aujourd'hui en tant qu'ami du Canada, et non pas en tant que citoyen canadien. J'ai été invité à faire part de mes observations concernant le projet de loi S-219 et je le fais en étant conscient du fait que mon témoignage pourrait orienter les décisions d'un autre pays souverain. Dans ce contexte, je crois qu'il serait mieux que je donne mon point de vue en établissant des parallèles avec ce que j'estime être des pratiques courantes en matière de sanctions et d'exprimer mes opinions à titre d'ex-intervenant et de professeur en exercice d'art des sanctions.
Je dis cela entre autres parce que, même si j'estime que son intention initiale est louable, je crois que ce projet de loi pourrait entraîner des problèmes et qu'il comporte des lacunes. Je ne suis absolument pas concerné par les aspects politiques entourant ce projet de loi; toutefois, j'ai en commun avec le Canada le désir d'assurer la prospérité de votre pays et l'efficacité de son régime de sanctions. Après tout, j'espère un jour pouvoir travailler de nouveau avec le gouvernement canadien, et les sanctions sont un outil que nous avons utilisé ensemble avec une grande efficacité.
Je regrouperai mes commentaires et mes réactions en trois parties, chacune reliée à un aspect problématique en particulier.
En premier lieu, je crois que ce projet de loi fait ressortir de manière utile le caractère très répandu des discours haineux et de l'incitation à la haine en Iran de même que son soutien de longue date aux actes terroristes et son dossier déplorable en matière de droits de la personne. Toutefois, je suis d'avis que l'exigence de ce projet de loi, voulant que tous ces actes répréhensibles soient corrigés avant l'allègement des sanctions, est une pratique dangereuse et qui risque de compromettre les possibilités de progrès sur l'un ou l'autre de ces plans.
Autrement dit, si je comprends bien, ce projet de loi exige de l'Iran qu'il fasse des progrès relativement à un si grand nombre d'actes répréhensibles qu'il prive le Canada de la capacité de réagir à un progrès quelconque et de le récompenser. L'expression « Tous pour un, un pour tous » est un bon cri de ralliement, mais, en matière de sanctions, elle aboutit souvent à une absence de progrès concrets sur plusieurs fronts. Pour un gouvernement étranger, il n'existe tout simplement aucune raison suffisante de prendre des mesures potentiellement difficiles afin de corriger un mauvais comportement, parce qu'il s'attendra à ce que l'État ayant imposé des sanctions multiplie indéfiniment ses exigences.
En d'autres termes, ce projet de loi pourrait constituer une entrave à la capacité du gouvernement canadien d'encourager l'Iran à apporter des changements positifs en ce qui concerne le terrorisme et les droits de la personne. Le simple fait qu'un représentant du gouvernement iranien prononce les mots « mort aux États-Unis » empêcherait toute offre d'allègement des sanctions, selon ce que je comprends de ce projet de loi. En tant que citoyen des États-Unis, je préférerais nettement que les autorités iraniennes maintiennent cette pratique horrible et teintée de sectarisme si, en contrepartie, elles amélioraient véritablement leurs politiques en matière de droits de la personne et de terrorisme. Quoi qu'il en soit, cette stratégie, qui vise clairement à forcer l'Iran à apporter des changements considérables à tous les niveaux, présente le risque que le Canada perde la valeur coercitive de ses sanctions visant des améliorations de politiques en particulier.
Cet aspect problématique m'amène à aborder une autre question, laquelle concerne les définitions. Les termes employés dans le projet de loi vont bien au-delà de ce que je considère comme la norme en matière de sanctions internationales. Évidemment, cela pourrait être une bonne chose si l'intention du Canada était d'aller encore plus loin. Mais je crains que le Canada n'en vienne ainsi qu'à s'exclure des relations internationales avec l'Iran.
Prenons par exemple la décision de considérer le fait d'avoir été membre du Basij ou du CGRI comme un motif suffisant pour refuser une demande d'immigration au Canada ou comme une possible raison pour imposer des sanctions. Plusieurs des membres du Basij et du CGRI n'ont pas demandé à se joindre à ces forces : ils ont en fait été conscrits. Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne fait aucune distinction entre les membres conscrits et les fervents croyants qui se sont enrôlés de plein gré. Les États-Unis n'utilisent pas cette norme-là, du moins pas depuis l'annulation du décret exécutif que le président Trump avait signé, et cette norme est à mon avis excessive pour le Canada.
Par ailleurs, le projet de loi aurait pour effet de changer la définition de la propriété et du contrôle, pour ce qui est du CGRI ou du CEOIK, en faisant passer le seuil à seulement 10 p. 100. Dans l'état actuel de l'économie iranienne, cela équivaut à exiger un embargo. Le fardeau de déterminer si la participation dans une entité s'établit à 11 p. 100 — peut- être par l'entremise d'intermédiaires et de prête-noms — empêcherait la plupart des entreprises de faire des affaires avec l'Iran. Le gouvernement canadien pourrait ne jamais recueillir suffisamment de preuves pour imposer un gel des avoirs, mais les entreprises interpréteraient fort probablement cela comme une indication que les transactions ne sont pas possibles, et elles agiraient en conséquence. Ce scénario pourrait bien correspondre à l'objectif du Canada, mais, en tant que praticien, si c'est votre objectif, je vous encouragerais fortement à opter pour un embargo global et à prévoir des exemptions pour les transactions que vous acceptez. Une telle approche serait plus saine, plus commode pour les entreprises et leurs employés chargés de veiller à la conformité et, bien franchement, plus honnête et transparente.
En dernier lieu, ce projet de loi réduit de beaucoup la marge de manœuvre et l'autonomie du gouvernement pour ce qui est de l'association du CGRI au terrorisme et des sanctions contre le CEOIK. Essentiellement, cela fausse la donne en définissant les actes répréhensibles du CGRI de telle sorte qu'il serait presque impossible pour les ministres concernés de ne pas imposer de sanctions. De même, le CEOIK est d'emblée présumé être une entité mauvaise, sans élément de justification.
Lorsque Barack Obama était président, je travaillais pour le Conseil de sécurité nationale des États-Unis. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai dirigé le processus qui a mené à l'inscription du CEOIK par les États-Unis sur la liste des entités désignées. À titre de coordonnateur adjoint en matière de sanctions du département d'État, j'ai approuvé la décision, en 2013, d'inscrire le CEOIK sur la liste des entités désignées et j'en comprenais toute la complexité. Ce qu'il est important de souligner, c'est que le principal crime du CEOIK — pour ce qui est des sanctions définies par les États-Unis — était qu'il facilitait l'évitement de toutes les sanctions liées au dossier du nucléaire que les États-Unis avaient imposées; toutefois, le CEOIK ne commettait des actes répréhensibles que dans la mesure où d'autres sanctions imposées par les États-Unis étaient visées. Voilà pourquoi les États-Unis ont abandonné les sanctions contre le CEOIK lorsque le plan d'action conjoint a été adopté. Les actes répréhensibles sous-jacents n'avaient alors plus lieu; par conséquent, de ce point de vue, les sanctions des États-Unis n'avaient plus de raison d'être.
Selon mon avis professionnel, il est absolument indispensable, si l'on envisage d'imposer des sanctions, de s'appuyer sur une évaluation indépendante des actes répréhensibles et de déterminer clairement la nature de ces actes répréhensibles. Cela permet de s'assurer que les sanctions visent les problèmes qu'elles cherchent à corriger, ce qui suscite un sentiment d'équité et de justice et donne à l'entité visée le moyen de se sortir du pétrin. À mon avis, mettre en place des cadres rigides pour l'inscription sur des listes — ce que le projet de loi ferait en éliminant toute marge de manœuvre pour l'exécutif et sur le plan de la politique étrangère — nuit à l'outil que constituent les sanctions et compromet ses principes juridiques et éthiques.
Il existe des solutions pour chacun des enjeux que j'ai abordés, et elles aideraient à améliorer ce projet de loi et à assurer sa cohérence par rapport aux pratiques courantes en matière de sanctions. J'encourage les rédacteurs à envisager d'y apporter ces changements, et j'invite le comité à accepter mon point de vue externe pour ce qu'il est, à savoir celui d'un ami du Canada, d'un ancien représentant des États-Unis qui a collaboré étroitement avec le ministre canadien des Affaires étrangères et, peut-être, d'un universitaire exagérément pointilleux.
Une fois de plus, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité. Je serais ravi d'entendre vos commentaires et de répondre à vos questions.
Le vice-président : Avant de passer aux questions, j'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez des sanctions, et que vous répondiez en tant qu'expert en chef des sanctions de l'équipe du gouvernement des États-Unis qui négociait avec les Iraniens. Étaient-elles efficaces?
M. Nephew : Je crois que oui, et je m'appuie sur deux points, pour dire cela : premièrement, nous avons constaté que le président Rohani était prêt à entamer des négociations avec nous, lorsqu'il a été élu et qu'il a vu que les coffres de l'État étaient vides et qu'il n'avait pas beaucoup d'options quant à la façon de les remplir. Deuxièmement, lorsque nous avons entamé les négociations, les Iraniens ont d'abord tenté de faire les fanfarons en disant : « Nous n'avons pas besoin que vous leviez vos sanctions, puisqu'il ne s'agit pas d'un marché; nous voulons tout simplement rééquilibrer les choses. » Mais quand nous leur avons dit : « D'accord, très bien, nous ne toucherons pas aux sanctions et vous pouvez rééquilibrer les choses en prenant des mesures quant aux programmes nucléaires sans rien demander en échange », ils ont rapidement rétorqué : « Non, nous avons quand même besoin que les sanctions soient levées. »
Je crois qu'ils étaient motivés à s'asseoir à la table parce que les sanctions leur pèsent et qu'ils avaient, je crois, désespérément besoin que nous levions ces sanctions.
Le sénateur Dawson : Pour commencer, j'ai de grandes réserves quant à ce projet de loi, mais vous avez dit qu'il était possible d'y apporter certains changements et vous vous êtes dit prêt à collaborer avec les rédacteurs. Vous utilisez l'expression « fignolage », une expression utilisée justement cette semaine par l'un de vos importants citoyens. On peut interpréter de deux manières l'expression « fignolage », selon que l'on est un éléphant ou une souris; ce que l'éléphant estime être de simple fignolage est pour la souris une grave menace. Comme vous le savez, le Canada est la souris, et les États-Unis sont l'éléphant.
Je ne crois pas qu'il soit possible que le projet de loi puisse être fignolé. Je crois que mes réserves sont trop grandes. Vous avez dit que vous présenteriez des recommandations aux rédacteurs. Si nous devions le modifier, j'aimerais pouvoir étudier les amendements que vous proposez, si vous avez des exemples clairs de fignolage.
M. Nephew : Oui, monsieur le sénateur, c'est avec plaisir que je vous fais part de quelques réflexions. Par exemple, je crois que l'on pourrait fignoler tout ce qui concerne la propriété et le contrôle de façon à respecter davantage les pratiques normales associées à cette définition. Dans le projet de loi, on propose d'établir le seuil à 10 p. 100, mais c'est très bas, et je crois, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, que c'est trop bas pour avoir une efficacité quelconque et ne pas imposer un fardeau de vérification de la conformité à toutes les personnes qui essaient de respecter la loi. Cela pourrait être changé.
Aux États-Unis, notre définition ordinaire, aujourd'hui, est un seuil de 50 p. 100. Je crois que le Canada devrait normalement utiliser cette définition standardisée. Je crois que vous pourriez améliorer le projet de loi en établissant que le seuil normal sera de 50 p. 100. Personnellement, j'hésiterais à aller plus bas que 50 p. 100, mais vous pourriez...
Le sénateur Dawson : Vous avez dit 50 ou 15?
M. Nephew : J'ai dit 50, cinq zéro.
Le sénateur Dawson : Selon certaines interprétations, on aurait pu fixer le seuil à 15, mais j'ai entendu votre correction.
M. Nephew : Si vous utilisez le seuil de 50 p. 100, plus conforme à la pratique normale, vous allégeriez en même temps le fardeau de la conformité qui pèse sur les entreprises et les fonctionnaires qui essaient de déterminer si des actes répréhensibles ont ou non été commis. Personnellement, je ne recommanderais à personne de fixer le seuil à moins 50 p. 100, mais, si l'on veut traiter l'Iran avec plus de sévérité, franchement, plus le seuil est élevé, plus il est facile de déterminer avec toutes les justifications possibles quel est le problème. À mon avis, il vaut mieux un seuil proche de 50 qu'un seuil proche de 10. C'est un exemple.
Vous pourriez aussi changer la façon dont le CEOIK est traité dans tout ce texte de loi. Vous pourriez par exemple exiger un rapport sur les activités du CEOIK établissant qu'il est ou non engagé dans des activités qui préoccupent le Canada, par exemple le terrorisme, les violations des droits de la personne et ainsi de suite, et ce rapport serait le fondement des décisions. Dans le projet de loi dans sa forme actuelle, vous supposez tout simplement que le CEOIK est mal intentionné et qu'il faut lui imposer des sanctions. Je ne crois pas que ce soit la meilleure façon d'atteindre votre cible.
De la même façon, je crois que vous pourriez changer des choses quant au service dans les forces de l'ordre, dans les rangs du CGRI ou de Basij pour que la disposition s'applique, par exemple, à un soldat qui a assumé un commandement, qu'il s'agisse d'un militaire d'expérience qui s'était enrôlé de plein gré ou d'un officier supérieur, peut- être au-delà du grade de major, quelque chose du genre. Je le dis parce que, dans un tel cas, cette personne a elle-même décidé de faire carrière au sein du CGRI. Elle a décidé d'accéder aux échelons supérieurs et de participer davantage à la prise de décisions; ce n'est pas la même chose qu'un jeune de 18 ans qui ne voulait pas aller en prison pour avoir refusé de s'enrôler en Iran.
Voilà des exemples des modifications que vous pourriez apporter et qui rendraient votre projet de loi plus conforme à la pratique internationale tout en produisant les résultats recherchés.
Le sénateur Marwah : Merci de ces très utiles commentaires. Ils nous permettent certainement de voir les choses sous un autre angle.
J'avais une question d'ordre plus général. Je comprends très bien qu'il nous est possible de modifier ou d'améliorer le projet de loi, mais, si nous nous arrêtions une minute... Compte tenu de votre expérience des sanctions en général, est-ce qu'un petit pays comme le Canada pourrait vraiment tirer avantage à suivre tout seul cette voie-là alors que le reste du monde semble avoir choisi la direction opposée? Est-ce que cela peut vraiment être efficace?
M. Nephew : Monsieur le sénateur, je crois qu'il est vrai que, si vous voulez imposer des sanctions, il vaut mieux que vous ayez des amis. Et cela n'est pas vrai seulement pour le petit pays, c'est certainement vrai pour les États-Unis aussi. Je parlerai par exemple de notre expérience des dernières années. Nous avons été les seuls à imposer des sanctions à l'Irak entre 1996 et 2006 environ. Un petit nombre d'autres pays ou groupes ont pris quelques mesures ciblées, de très petites choses, et n'ont pas obtenu de véritables résultats. L'Iran ne pouvait plus commercer avec les États-Unis, mais il pourrait commercer avec l'Europe, le Japon, le Canada, d'autres endroits. Nos résultats dans ce domaine ont eux aussi été limités.
Je crois qu'il est vrai, en effet, que les sanctions sont plus efficaces lorsqu'elles constituent des instruments multinationaux, qu'elles sont imposées par un grand nombre de partenaires et de coalitions. Si j'ai prévu de passer du temps à Ottawa, c'est pour travailler avec votre gouvernement à la mise sur pied d'une coalition de pays aux vues similaires, de façon que l'Iran subisse vraiment une pression de toutes parts.
Cela dit, je ne veux pas minimiser le résultat que l'on peut obtenir en faisant preuve de leadership. Il ne fait aucun doute qu'il vaut mieux s'unir, mais si d'importants dirigeants internationaux sont prêts à prendre clairement position en faveur des droits de la personne, par exemple, et à affirmer qu'ils refuseront de faire des affaires avec certains pays en raison du traitement qu'ils réservent aux droits de la personne, cela équivaut à un rôle de leader allant bien au-delà des répercussions économiques concrètes.
J'aimerais souligner que le leadership du Canada, qui insiste pour que les Nations Unies désignent un rapporteur spécial sur les droits de la personne, une initiative en bonne partie canadienne, a eu d'énormes répercussions. Il est certain qu'il a amené les Iraniens à réfléchir et à s'en préoccuper. Je crois que, pour cette raison, le Canada ne devrait pas se tromper en imposant des sanctions limitées liées aux droits de la personne; cependant, elles n'auront probablement pas la même incidence concrète. C'est davantage une question de leadership, si vous voyez ce que je veux dire, monsieur le sénateur.
Le sénateur Woo : Merci, monsieur Nephew, de votre témoignage.
Vous avez dit être d'avis que, si le projet de loi était adopté, le Canada se retrouverait en marge des relations avec l'Iran. Nous serions un cas limite. Pourriez-vous en dire davantage sur ce que cela signifie, être en marge des relations avec l'Iran, et expliquer, en particulier, quelle incidence cela aurait sur les intérêts commerciaux des Canadiens, les Canadiens d'origine iranienne, les visiteurs, les touristes qui vont en Iran, les touristes iraniens qui viennent ici, tout l'éventail des liens qui existent actuellement entre le Canada et l'Iran? Je ne sais pas si vous êtes au courant de l'état actuel de notre processus de retour à la diplomatie, mais vous pourriez peut-être en parler aussi?
M. Nephew : Je crois qu'il y a deux ou trois pays qui n'ont absolument aucune relation avec l'Iran, qui s'en tiennent à des interactions des plus limitées. Mon pays en est un exemple, malgré les tentatives faites par John Kerry et Javad Zarif de travailler un peu plus étroitement, au cours de la dernière année, à peu près, de l'administration Obama. Mais en dehors de cela, je dirais que la plupart des pays de la Terre entretiennent des liens différents avec les Iraniens, c'est-à- dire des liens commerciaux et, à tout le moins, des relations diplomatiques un peu plus étendues avec l'Iran.
Je suis tout à fait au courant des enjeux relatifs à la reprise des relations de quelque nature que ce soit entre le Canada et l'Iran et je connais une partie de l'historique. Le Canada est probablement plus proche des États-Unis, dans ce dossier, que les pays d'Europe et d'ailleurs. Et cela fait que le Canada, s'il n'est pas présent en Iran, perdra deux choses. Il perdra la capacité d'assurer une présence diplomatique et d'entretenir des relations avec le gouvernement iranien et il perdra aussi par ailleurs la capacité de recueillir des renseignements et de fournir des évaluations éclairées.
S'il impose de trop nombreuses sanctions, il pourrait obtenir des résultats semblables, parce que les Iraniens réagissent avec vigueur aux sanctions imposées, à parler franchement, lorsqu'elles sont imposées par des partenaires qui ne sont pas essentiels à leur propre santé économique. Si vous représentez la Chine et que vous achetez la plus grande partie du pétrole de l'Iran, l'Iran vous traitera avec beaucoup plus de délicatesse. Ce sera la même chose si vous représentez l'Inde, que vous livrez beaucoup de riz et que vous achetez du pétrole, ou si vous représentez un pays européen, puisque l'Europe poursuit ses efforts de réintégration. Quoi qu'il en soit, ces relations vous donnent en quelque sorte accès au système iranien, si vous vous inquiétez de ce que l'Iran manigance.
À mon avis, l'une des raisons pour lesquelles l'Union européenne a assez bien réussi à discuter avec l'Iran des droits de la personne — bien que je reconnaisse que les résultats ne sont pas tout à fait positifs —, c'est que l'Iran désire maintenir des relations correctes avec l'Europe, pour favoriser les échanges commerciaux, le tourisme et tout le reste. L'Union européenne est assez imposante, elle peut faire sentir sa présence, mais cela n'empêcherait pas les Iraniens de lui dire de quitter les lieux.
Dans le cas du Canada, un pays beaucoup plus éloigné, avec qui les échanges commerciaux sont plutôt modestes, le fait de prendre des mesures agressives, surtout si elles ne sont pas prises de concert avec d'autres acteurs, amènerait les Iraniens à se dire : « Oublions ça. Nous n'avons quand même pas besoin tant que ça de faire affaire avec vous. »
À mon avis, le Canada aurait un rôle à jouer s'il veut attirer l'attention sur les actes répréhensibles, et je pense que l'on pourrait modifier certaines dispositions du projet de loi de façon à ce que ce rôle soit accepté, par les Canadiens, sans nuire à la capacité du Canada d'interagir avec les Iraniens. C'est l'équilibre que devrait rechercher le gouvernement du Canada, afin de pouvoir attirer l'attention sur les actes répréhensibles tout en conservant la possibilité de vraiment rétablir les relations avec les Iraniens de façon à pouvoir les encourager à s'améliorer, que ce soit au chapitre du terrorisme, des droits de la personne ou de quoi que ce soit d'autre.
La sénatrice Bovey : J'aimerais moi aussi vous remercier d'être venu ici aujourd'hui et des commentaires que vous avez formulés. J'aimerais vous dire à quel point j'ai apprécié l'article que vous avez rédigé, en avril 2015, sur les impacts humanitaires des sanctions; c'est de cela que je veux parler.
J'ai lu cet article, et j'aimerais en citer quelques extraits.
Vous dites :
Quand on pose à ceux qui imposent des sanctions des questions sur les impacts humanitaires de leur outil de prédiction, ils donnent souvent l'une des deux réponses suivantes : ils nient qu'il y a des répercussions, disant que les sanctions prévoient des exemptions visant à atténuer de telles conséquences; ou bien ils font porter le blâme au pays ciblé, disant que c'est sa mauvaise conduite qui est la cause première du problème.
Dans votre conclusion, vous dites ceci :
Les sanctions, le plus souvent, causent bien moins de dommages qu'un conflit armé — surtout pour les populations visées [...] mais les sanctions restent une arme, et les armes causent des dommages. Il faut donc les manier avec précaution, avec intelligence et en reconnaissant pleinement les coûts qu'elles entraînent.
Cela dit, j'aimerais bien entendre vos commentaires sur les résultats des sanctions non liées au nucléaire et les changements de la société en Iran. J'aimerais bien que vous donniez quelques exemples des progrès qu'ont entraînés les sanctions non liées au nucléaire et de leur incidence sur le peuple iranien.
M. Nephew : Merci beaucoup de poser la question; je suis heureux que vous ayez pris connaissance de cet article. C'est un sujet sur lequel j'avais vraiment le goût d'écrire, quand j'ai quitté mon poste au gouvernement. Vous pouvez bien comprendre qu'un fonctionnaire ne peut pas parler de certaines choses tant qu'il n'est pas un « ancien » fonctionnaire, et ça m'a bien servi.
La sénatrice Bovey : J'imagine que vous avez rédigé cet article pour répondre à la question d'un étudiant, et j'ai trouvé cet angle intéressant.
M. Nephew : En effet. En fait, cet étudiant était beaucoup plus aimable que le militant qui s'en est pris à moi lorsque j'appartenais encore au gouvernement, mais c'était quand même ma source de motivation.
J'aimerais dire trois choses : premièrement, je crois encore fermement à ce que je dis à la fin de cet article. C'est en partie la raison pour laquelle je prends autant au sérieux l'imposition de sanctions, et je crois que tout le monde devrait faire la même chose, tous les pays qui veulent imposer des sanctions. Dans une certaine mesure, les conséquences imprévues — voire, parfois, les conséquences recherchées — peuvent être assez graves.
Dans le cas qui nous occupe, les conséquences imprévues, les répercussions humanitaires de ce projet de loi, seraient probablement légères, parce que les mesures elles-mêmes sont raisonnablement ciblées : elles visent toutes les personnes mal intentionnées et leurs manigances. Encore une fois, les définitions posent problème. Vous allez peut-être éviter de faire affaire avec des personnes légitimes, mais vous savez bien qu'il se peut que cela ait des répercussions humanitaires négatives; elles seront probablement raisonnablement légères, s'il existe d'autres canaux humanitaires.
Je crois que les répercussions négatives les plus grandes concerneraient les soldats recrutés de force par le CGRI et le Basij. J'ai remarqué que le projet de loi comprend une disposition qui permet au ministre de faire des exceptions, au cas par cas. Imaginez une famille de réfugiés qui fuit l'Iran et dont le fils de 18 ans a été conscrit; la famille décide de ne pas essayer de venir au Canada en raison du risque de se voir refuser l'accès et que ce fils soit renvoyé chez lui. Il pourrait tout autant s'agir d'une personne âgée de 60 ans, qui avait été conscrite de nombreuses années plus tôt et qui ne se souvient peut-être même pas des circonstances de son service; elle pourrait peut-être être exclue pour cette raison même. Tout cela peut avoir des conséquences humanitaires négatives; cela dépend des circonstances.
Encore une fois, l'exemption pourrait limiter les répercussions, mais je ne connais pas suffisamment, madame la sénatrice, les mécanismes canadiens de l'examen au cas par cas et je ne sais pas non plus si l'examen se fait rapidement ni à quoi le processus ressemble. Si je faisais encore partie du gouvernement, ce serait une des questions auxquelles j'aurais à répondre, au sujet de votre système, de la façon dont il permettrait de se prémunir contre ce type de risque.
Quant à votre question plus générale sur les répercussions des sanctions non liées au nucléaire, je dirais que, à mon avis, les sanctions liées aux droits de la personne imposées à l'Iran ont eu un impact. Il est certain que les Iraniens ne les apprécient pas. Dans l'histoire de l'Iran, et en particulier de la révolution iranienne, le peuple a toujours cherché à défendre ses droits contre le shah, et je crois que bon nombre de membres du gouvernement iranien prennent ombrage de se faire qualifier de violateurs des droits de la personne. Cela va à l'encontre de leur sentiment d'identité nationale. Je vous le dis, nous avons inscrit sur la liste des centaines d'officiers iraniens; si c'était en lien avec les missiles ou le soutien au terrorisme, ils ne sourcillaient même pas. Mais si c'était en lien avec les droits de la personne, ils étaient furieux.
Le message a certes de la valeur, mais je crois qu'il doit être bien ciblé et être associé à un dialogue sur la façon d'améliorer les circonstances sous-jacentes. J'espère que cela vous aide.
Le sénateur Oh : Merci, monsieur Nephew, de vos commentaires.
Il est certain que les sanctions sont plus efficaces lorsqu'il y a un consensus au sein de la communauté internationale. Est-ce que d'autres pays ont adopté des lois semblables au projet de loi S-219?
M. Nephew : Monsieur le sénateur, le seul pays qui aurait adopté une loi similaire, à ma connaissance, ce sont les États-Unis. Je ne crois pas qu'il y ait de lois semblables en Europe, au Japon ou en Corée, nos plus importants partenaires quant aux sanctions prises contre l'Iran. Il se peut que la désignation de certains individus entraîne des chevauchements, comme pour le CGRI, par exemple, mais ce n'est pas tout à fait la même question, à mon avis.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de comparaître devant nous aujourd'hui et merci de votre interprétation de notre projet de loi.
Le projet de loi indique que le ministre du Canada doit présenter un rapport annuel au Parlement; le paragraphe 3(3) fournit la liste des représentants officiels sur lesquels portera son rapport, et le CEOIK figure sur cette liste. Mais le CEOIK ne relève même pas du Parlement iranien, alors, est-il vraiment réaliste de s'attendre à ce qu'un ministre canadien puisse recueillir des données à son sujet et au sujet d'une longue liste d'autres représentants officiels du gouvernement iranien afin d'en faire rapport au Parlement?
M. Nephew : Madame la sénatrice, je crois que c'est le principal problème de ce genre de listes, pour être honnête. Les détails qui font que ces rapports sont efficaces sont dans certains cas tout simplement trop difficiles à trouver, et le CEOIK en est un bon exemple. Les gens qui connaissaient cet organisme n'étaient pas nombreux jusqu'à ce qu'il soit désigné, en 2013, en raison de son association avec le Bureau du Guide suprême; jusque-là, son administration était très discrète.
Je crois qu'il sera difficile de réunir de l'information sur ces organismes. Je sais que les services de renseignement, évidemment, peuvent aider les gouvernements à constituer des dossiers, mais il sera toujours très difficile de recueillir des éléments de preuve sur les actes répréhensibles, peu importe la cible. Je crois que cela s'applique également au CEOIK.
La sénatrice Cordy : Je crois que nous sommes tous au courant des violations des droits de la personne et des problèmes que nous avons en Iran; alors, à quoi cela sert-il d'adopter une loi, le projet de loi dans sa forme actuelle, s'il est pratiquement impossible qu'un ministre canadien obtienne toute cette information?
M. Nephew : Je crois qu'une partie du problème tient au fait qu'il sera toujours difficile de juger de la culpabilité des auteurs de ces actes répréhensibles avec un niveau de cohérence conforme aux normes juridiques.
C'est une question intéressante, en partie parce que les gens ont tendance à présumer que, bien sûr, il est évident que le Guide suprême est directement complice de ces actes répréhensibles — il ne peut pas en être autrement, n'est-ce pas? — que tout son cabinet est complice, et ainsi de suite. Mais cela n'est pas une justification juridique. J'aimerais vous rappeler que nos amis de l'Union européenne ont eu un problème lorsqu'ils ont voulu justifier l'imposition de sanctions et de désignations en se fondant sur ces « évidences » et qu'ils ont pour cette raison perdu beaucoup de procès devant les tribunaux européens. Leur programme de sanctions semble plutôt mou et inefficace, et il subit en conséquence une énorme pression.
J'imagine qu'il y a dans le système canadien le même niveau d'examen judiciaire qu'à New York et qu'en Europe. Si c'est le cas, le fait que le rapport puisse servir de fondement à certaines désignations, en particulier vu le petit volume des informations, pourrait nuire grandement au cadre de désignation du Canada et à la capacité du pays de prendre des sanctions.
Si vous accumulez les infractions touchant l'application régulière de la loi, comme cela est arrivé à l'Union européenne, encore une fois, et comme cela est arrivé dans mon pays, le mois dernier, en raison de l'interdiction de voyager promulguée par le président Trump, cela peut nuire grandement à l'intégrité du système. Cela me préoccuperait quant à l'efficacité du système de sanctions du Canada, si les données nécessaires n'étaient pas accessibles.
Le sénateur Gold : Merci d'avoir comparu et merci de votre exposé. Vous semblez avoir une vision très lucide, nous devions nous y attendre, de certains des actes répréhensibles commis par l'Iran, que cela concerne le soutien au terrorisme ou les droits de la personne. Je comprends en outre que, malgré les conséquences inévitables des sanctions, celles-ci sont parfois nécessaires, j'irais même jusqu'à dire qu'elles sont souhaitables, si l'on veut que les éléments récalcitrants reviennent à la table de négociation, comme on l'a vu en Iran.
Si ce projet de loi n'est pas approprié, pour toutes les raisons qui ont été exposées, quels autres instruments devrions- nous envisager, qu'est-ce que vous nous recommanderiez? N'y voyez aucun sous-texte caché, parce que nous...
Le vice-président : Nous éprouvons un problème technique, nous allons nous arrêter un instant.
Le sénateur Gold : Monsieur Nephew, nous entendez-vous?
M. Nephew : Je vous entends et j'entends d'autres voix.
Le vice-président : Tout est rétabli. Monsieur le sénateur Gold?
Le sénateur Gold : Ma question était la suivante : quels autres instruments pourrions-nous envisager? C'est que, par ailleurs, notre comité étudie une loi inspirée de la loi Magnitsky, et — je ne veux pas vous demander d'aller dans les détails —, mais j'aimerais savoir, de façon générale, quels instruments politiques vous nous recommanderiez d'utiliser, si vous avez des instruments à suggérer?
M. Nephew : Monsieur le sénateur, quelle excellente question. Je crois que je pourrais vous soumettre trois suggestions. Premièrement, en ce qui concerne une loi inspirée de la loi Magnitsky, je dois vous avouer qu'au départ, je doutais énormément de la valeur de la loi Magnitsky pour le système américain et d'une loi Magnitsky à l'échelle mondiale, et cette question a été analysée par les membres du Congrès américain. Je crois que la question reviendra de nouveau sur la table, cette année. Je sais qu'elle suscite beaucoup d'intérêt.
J'ai revu ma position à cet égard. Je crois que la désignation de hauts fonctionnaires, ciblés par leur nom, a un effet de démonstration utile. Cette désignation revient à dire que la personne — le chef de l'appareil judiciaire, le directeur de la prison, et ainsi de suite — est particulièrement mal intentionnée, surtout si cette personne est interdite de visa ou voire même que l'on a demandé le gel de ses actifs. Donc, si vous ciblez le chef de l'appareil judiciaire, cette personne ne pourra pas venir au Canada, sauf pour traiter d'affaires liées aux Nations Unies, mais cette situation serait plus problématique pour nous que pour le Canada, probablement, et ces personnes n'auraient pas le droit d'entrer au pays, elles n'auraient pas le droit d'y venir en vacances ni d'y dépenser de l'argent, tant qu'elles n'auront pas corrigé leur comportement.
Je crois que c'est d'une très grande utilité, surtout si c'est fondé sur les enjeux relatifs aux droits de la personne ou à la corruption, si on braque les projecteurs sur quelqu'un qui vole son État ou qui détourne des ressources absolument nécessaires — des choses du genre —, quand on cherche sincèrement à faire voir le danger qu'une personne représente pour sa propre population. Voilà un instrument qui, à mon avis, est bien ciblé, dont les impacts sont distincts et que l'on peut associer à un message spécifique touchant par exemple l'amélioration du comportement, ce qu'il n'est pas possible de faire, par exemple, quand on cible de manière générale les soldats conscrits par le CGRI ou le Basij. C'est un exemple.
Les autres types de mesures dépendent un peu, à mon avis, de l'acte répréhensible auquel vous essayez de vous attaquer. Quand il s'agit du soutien au terrorisme, par exemple, je crois toujours fermement qu'il est raisonnable de geler les actifs des banques et des institutions de l'Iran ou de n'importe quel autre pays qui soutient les actes de terrorisme. Je crois que c'est logique. C'est utile, car cela aide à isoler toutes ces personnes mal intentionnées.
Au bout du compte, nous ne devons pas nous attendre à ce que cela modifie les relations que l'Iran entretient avec le Hezbollah, par exemple, que certains ont montré du doigt en disant qu'il suffirait d'imposer des sanctions à quelques banques iraniennes pour qu'elles cessent de soutenir le Hezbollah. Elles soutiennent le Hezbollah depuis 1984 et elles continueront de le soutenir jusqu'en 2084, si le Hezbollah existe toujours.
Je crois que ces mesures ont des répercussions directes, jusqu'à un certain point, mais nous devons être honnêtes avec nous-mêmes quant à l'efficacité que nous leur attribuons, en particulier quand on sait que tout l'appareil d'un État est prêt à reprendre le flambeau si une banque ou une autre doit laisser sa place.
Et cela m'amène, monsieur le sénateur, à un troisième point, le plus fondamental : certains problèmes ne peuvent tout simplement pas être réglés par des sanctions. Je ne crois pas que les sanctions, peu importe leur nombre ou leur importance, comme je l'ai dit, empêcheraient l'Iran de soutenir le Hezbollah ou de s'impliquer en Irak. Il s'agit ici des intérêts liés à la sécurité nationale de l'État iranien, et, c'est simple, ils priment sur les répercussions des sanctions, du moins les sanctions qui n'entraînent pas de problèmes humanitaires ou qui ne menacent pas le Plan d'action global commun, lequel est essentiel pour traiter avec le programme nucléaire de l'Iran.
Dans cette optique, je crois que nous devrions envisager d'autres types de mesures, par exemple des interdictions, ou l'arrêt direct des livraisons d'armes à destination du Hezbollah, au Yémen, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, par exemple, ou une collaboration directe avec des gouvernements comme le gouvernement de l'Irak, qui nous permettrait d'essayer de diminuer l'influence globale et l'impact des agents iraniens en activité dans le pays. Franchement, étant donné ce qui se passe depuis une dizaine d'années en Irak, je crois que nos attentes en matière d'efficacité devraient dans son cas être plutôt modestes.
J'espère que cela répond à votre question, monsieur le sénateur.
Le sénateur Woo : Je ne voudrais pas en imposer trop à notre témoin, mais j'espère que le président envisagera de l'inviter de nouveau pour discuter justement du projet de loi Magnitsky que nous sommes en train d'étudier. J'espère que vous aurez l'occasion de prendre connaissance de notre version de la loi Magnitsky de façon que vous puissiez, peut-être, en faire un examen plus rigoureux.
En ce qui concerne le projet de loi que nous étudions aujourd'hui, j'aimerais savoir ce que c'est que vous qualifiez de problème du « Tous pour un et un pour tous », une sorte d'enjeu de responsabilité conjointe et solidaire attaché à ce projet de loi, et j'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur les raisons pour lesquelles vous estimez problématiques certains des critères servant à évaluer l'amélioration de la situation relative aux droits de la personne en Iran.
Je remarque, en parcourant rapidement la liste, qu'il y a l'incitation à la haine, et vous avez donné un exemple du problème que ce critère pourrait entraîner, mais il y a d'autres critères, par exemple l'ouverture à la liberté d'expression, ce qui comprend un accès moins restreint à Internet, l'interdiction de par la loi de toute forme de discrimination fondée sur une longue liste de motifs qui suit. Pourriez-vous parler des autres problèmes que vous pourriez relever dans cette longue et assez exhaustive liste de critères?
M. Nephew : Monsieur le sénateur, avec plaisir. Ce serait également pour moi un plaisir et un honneur de lire votre version de la loi Magnitsky et de formuler mes commentaires, si vous le voulez, à n'importe quel moment.
En ce qui concerne précisément votre question, vous avez mis le doigt sur le problème, c'est-à-dire que, pris isolément, chacun des éléments de la liste est un bon élément. Personne, ni chez vous ni chez nous, ne serait contre la notion selon laquelle la libre expression est un droit que nous devons chérir et encourager; même chose en ce qui concerne l'incitation à la haine, le terrorisme, et tout cela.
Tout cela nous ramène à la question de savoir — et je déteste devoir dire les choses crûment — à quels progrès nous pouvons nous attendre de façon réaliste dans un pays comme l'Iran, et quel est le niveau minimum acceptable d'amélioration que vous seriez prêts à accepter.
Par exemple, si l'Iran décidait d'abolir la peine de mort pour les personnes âgées de moins de 18 ans; s'il changeait les règlements liés à ces exécutions de façon qu'elles ne soient possibles que pour les crimes les plus haineux qui soient, le meurtre, le viol et tout le reste; s'il libérait la plupart de ses prisonniers politiques, malgré que nous le soupçonnions d'en cacher deux ou trois quelque part; s'il tolérait jusqu'à un certain point davantage la liberté d'expression et l'accès à Internet, même si, évidemment, il fermait les robinets, tout comme le font d'autres pays autour du monde, j'imagine que la question fondamentale serait la suivante : est-ce que ces améliorations ne vaudraient pas une récompense, surtout que le risque, si on ne donnait pas de récompenses, c'est que les Iraniens pourraient dire : « Oublions cela. Nous ne bougerons pas le petit doigt »?
J'ai donné un exemple, il est peut-être extrême, en disant que le seul fait de prononcer les mots « mort aux États- Unis » voulait dire qu'aucun progrès n'était plus possible. Si j'ai bien lu le projet de loi, il n'en faudrait vraiment pas plus que ça. Encore une fois, l'Iran ne conclura pas ce marché-là. Mais je vous dirais maintenant une chose : si les Iraniens sont prêts à cesser de faire affaire avec le Hezbollah et de soutenir cette organisation, si votre ministre est capable de confirmer cela dans deux rapports, comme la loi l'exige, je crois que nous devrions lever les sanctions et cela même si à chaque anniversaire de la prise de l'ambassade des États-Unis, ils disent toutes sortes d'horribles choses.
Ce serait la même chose si nous pouvions observer de grandes améliorations au chapitre des droits de la personne, dans ce pays. Supposons, comme je le disais, que le nombre des exécutions diminue, mais que l'Iran soutient toujours le Hezbollah. Ne devrions-nous pas récompenser l'Iran des améliorations relatives aux droits de la personne, pour l'inciter à continuer dans la même voie?
Il est très difficile de répondre à cette question. C'est une question à laquelle nous ne cessons de chercher une réponse, nous aussi, mais, ce qui me préoccupe, c'est que, en reliant toutes sortes de choses distinctes, vous créez un problème semblable à celui que l'on aurait pu avoir, dans le dossier du nucléaire, si le président Obama n'avait pas déclaré qu'il fallait diviser le monde en deux clans, c'est-à-dire en imposant des sanctions liées au nucléaire ou non liées au nucléaire. Puisqu'il n'y a pas de coopération pour ce qui concerne la menace « mort aux États-Unis », nous n'arrivons pas à empêcher les Iraniens d'obtenir quelque chose qui permettrait d'obtenir ce résultat.
Le vice-président : Monsieur Nephew, je vous remercie au nom de tous les membres du comité. Vu votre expertise, vos travaux et votre instruction, nous avons vraiment reçu ici aujourd'hui un témoin expert. Nous apprécions énormément que vous nous ayez consacré de votre temps. Nous espérons pouvoir vous recevoir de nouveau un jour.
M. Nephew : Merci beaucoup, monsieur le président. J'ai apprécié l'occasion qui m'a été donnée.
Le vice-président : Nous allons suspendre la séance et nous réunir rapidement à huis clos, pour régler quelques questions administratives.
(La séance se poursuit à huis clos.)