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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 21 - Témoignages du 6 avril 2017


OTTAWA, le jeudi 6 avril 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres et comportant d'autres mesures, se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre notre étude du projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres et comportant d'autres mesures.

Nous sommes heureux d'accueillir, devant le comité, Michael Board, président, et Karen Kancens, directrice, Politiques et affaires commerciales, de la Fédération maritime du Canada; M. Kirk Jones, président intérimaire, M. Serge Le Guellec, membre, et M. Daniel Hohnstein, avocat, de l'Association des armateurs canadiens; Marlene Usher, chef de la direction, et l'honorable David Dingwell, C.P., conseiller juridique, de la Société de développement du port de Sydney, sur la belle île du Cap-Breton; et Frank Schiller, conseiller, de Nunavut Eastern Arctic Shipping Inc.

Nous discutons d'un sujet très important, et je rappelle qu'il est souhaitable d'entendre les points de vue de tout le monde. Je demande donc aux témoins de s'en tenir à une brève déclaration préliminaire. Je demande aussi, par le fait même, aux sénateurs de poser des questions concises et aux témoins de fournir des réponses succinctes durant la période des questions.

Sans plus attendre, je cède la parole à notre premier témoin de la Fédération maritime du Canada.

Michael Broad, président, Fédération maritime du Canada : Bonjour, monsieur le président, et merci de l'occasion de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international au sujet de l'Accord économique et commercial global et le projet de loi C-30.

En guise d'introduction, la Fédération maritime du Canada, qui a été constituée en personne morale par une loi du Parlement en 1903, représente les propriétaires, les exploitants et les agents des navires transportant les importations et les exportations canadiennes vers les marchés mondiaux et en provenance de ceux-ci. Nos membres représentent plus de 200 entreprises maritimes qui œuvrent dans tous les secteurs du transport maritime et dans tous les ports d'escale du Canada, de la côte atlantique à la côte pacifique, en passant par le fleuve Saint-Laurent, les Grands Lacs et l'Arctique. L'objectif général de notre association est de permettre la mise en place d'un système de transport maritime sécuritaire, efficient, compétitif et durable sur le plan environnemental.

Nous tenons à commencer en exprimant notre soutien ferme à l'AECG, qui non seulement générera des échanges commerciaux supplémentaires de marchandises, mais créera aussi une nouvelle demande pour des services de transport, ce qui aura une incidence positive sur les ports canadiens, les routes commerciales et, de façon générale, le milieu des affaires.

Nous nous intéressons tout particulièrement au chapitre de l'AECG sur les services maritimes, qui libéralise un certain nombre d'activités actuellement interdites aux navires étrangers en vertu de la législation canadienne sur le cabotage. Plus précisément, l'AECG permettra à des transporteurs de l'UE admissibles de fournir des services d'apport entre les ports de Montréal et de Halifax — dans le contexte général du transport des importations et des exportations — et de repositionner leurs conteneurs vides entre les ports canadiens sur une base non payante. Nous croyons que la libéralisation de ces activités créera de nouvelles occasions pour les importateurs et les exportateurs canadiens et augmentera l'efficience du réseau logistique desservant les routes commerciales canadiennes.

Cela dit, nous sommes préoccupés par le libellé utilisé dans le projet de loi C-30, qui vise à mettre en œuvre les dispositions de l'AECG sur le repositionnement des conteneurs vides. En effet, le libellé est trop restrictif et ne reflète pas la façon dont l'industrie du transport maritime fonctionne, ce qui détournera grandement l'attention des répercussions positives potentielles de ces dispositions.

Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que, au titre de l'article 92 du projet de loi, les seules parties qui pourront vraiment procéder au repositionnement de leurs conteneurs vides sont les propriétaires de navires de l'UE, définis comme ceux qui, à la fois, sont propriétaires d'un navire et en assurent l'exploitation. La définition de propriétaire de navire est importante parce qu'elle signifie essentiellement que les seules parties qui pourront repositionner leurs conteneurs vides sont les propriétaires de navires de l'UE sur lesquels les conteneurs vides sont transportés, ce qui exclura automatiquement tout autre propriétaire de navires de l'UE dont les conteneurs peuvent aussi être à bord du même navire dans le cadre d'un accord de partage de la capacité.

De tels accords de partage de la capacité sont chose courante dans l'industrie du transport maritime de conteneurs, car ils permettent de réduire les coûts et de gérer la capacité excédentaire. En outre, le fait que ces accords ne soient pas reconnus dans le projet de loi C-30 représente à la fois une occasion manquée et une grave omission.

Voici un exemple de la façon dont ces accords fonctionnent : un groupe de cinq entreprises concluent un accord en vertu duquel chaque entreprise affecte un navire au marché canadien; chaque navire assume par rotation le rôle de transporteur principal ou, encore, les navires des différents transporteurs sont utilisés en alternance. Même s'il y a un seul propriétaire, c'est-à-dire celui qui est à la fois propriétaire du navire et propriétaire-exploitant du navire dans le cadre d'un voyage donné, dans ce scénario, les cinq transporteurs parties à l'accord se partagent le contrôle opérationnel et déterminent la façon dont les bâtiments visés par l'accord doivent être utilisés et le moment où ils le sont. Par conséquent, ils prennent des décisions communes sur des enjeux comme l'horaire des services, la fréquence, les ports d'escale, la rotation des ports, les types et les tailles de bâtiments à utiliser, l'ajout ou le retrait de capacité et ainsi de suite.

C'est précisément ce concept de contrôle opérationnel conjoint, qui est essentiel à la façon dont le secteur de transport par conteneurs fonctionne, qui ne se retrouve nulle part dans le projet de loi C-30, et ce, en raison de la définition très étroite de « propriétaire » — la partie qui a à la fois la propriété du navire et qui en assure l'exploitation —, ce « propriétaire » étant considéré comme la seule partie pouvant repositionner ses conteneurs vides entre les ports canadiens. Par conséquent, dans le cadre de la version actuelle du projet de loi C-30, si les cinq transporteurs de notre exemple sont des entités de l'UE, seul le transporteur principal pourra repositionner ses conteneurs vides dans le cadre d'un voyage donné, les autres partenaires de l'UE qui ont aussi des conteneurs à bord du bâtiment étant essentiellement inadmissibles à de telles manœuvres dans le cadre du voyage et de nombreux autres voyages s'ils n'agissent pas à titre de transporteur principal.

À l'opposé, aux États-Unis, où le cabotage est régi par la Jones Act, qui, selon certains, est beaucoup plus restrictive que la Loi sur le cabotage du Canada, non seulement les bâtiments étrangers ont le droit de repositionner leurs conteneurs vides entre les ports américains, mais il en va de même pour tous les partenaires des accords de partage de la capacité, peu importe si c'est leur navire qui est considéré comme le transporteur principal dans le cadre d'un voyage donné. C'est parce que les États-Unis reconnaissent depuis longtemps le rôle des accords de partage de la capacité dans le secteur des transports par conteneurs et, par extension, le contrôle opérationnel ainsi conféré aux parties d'un accord en ce qui concerne les navires utilisés.

Nous croyons que, pour mettre en œuvre de façon efficace l'AECG au Canada et pour que les exportateurs canadiens et les autres intervenants puissent bénéficier pleinement de ses dispositions sur le repositionnement des conteneurs vides, alors tous les partenaires qui sont des entités de l'UE et qui concluent des accords de partage de la capacité devraient pouvoir repositionner leurs conteneurs vides.

Par conséquent, nous suggérons que l'article 92 du projet de loi C-30 soit modifié pour permettre à tous les propriétaires-exploitants de navires admissibles de repositionner leurs conteneurs vides entre des ports canadiens, et pas seulement aux propriétaires de navire admissibles comme c'est le cas actuellement. Une telle modification élargirait le seuil actuel du projet de loi C-30 en matière de repositionnement des conteneurs vides de façon à inclure tous les partenaires des accords de partage de la capacité, reconnaissant ainsi le contrôle opérationnel conjoint qu'ils assument tous.

Il convient de souligner que cette modification n'exigerait pas de changer la définition de propriétaire de navire de la Loi sur le cabotage. Il faudrait plutôt modifier la délimitation, au titre de la loi, des parties admissibles au repositionnement des conteneurs vides entre les ports canadiens. Il s'agirait d'une modification très ciblée et liée directement à une activité très précise.

Le fait d'apporter une telle modification est la meilleure façon de s'assurer que les dispositions du projet de loi C-30 sur le repositionnement des conteneurs vides sont appliquées d'une façon qui reflète les réalités et le fonctionnement du secteur du transport par conteneurs. Une telle modification serait bénéfique pour un large éventail d'intervenants, des compagnies maritimes aux importateurs et exportateurs canadiens en passant par l'ensemble des intervenants des chaînes d'approvisionnement.

Merci beaucoup d'avoir écouté ce que nous avions à dire sur cet important enjeu. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.

Le vice-président : Merci beaucoup. Nous cédons maintenant la parole à l'Association des armateurs canadiens.

Kirk Jones, président intérimaire, Association des armateurs canadiens : Bonjour, monsieur le président et membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Au nom de l'Association des armateurs canadiens, nous tenons à vous remercier de nous permettre de comparaître ici afin de discuter de nos préoccupations liées aux dispositions sur la mise en œuvre de l'AECG du projet de loi C-30, dans la mesure où cela touche l'industrie du cabotage canadienne.

Je suis le président intérimaire de l'AAC, l'Association des armateurs canadiens, et vice-président des affaires gouvernementales et industrielles de la Société maritime CSL, un membre de l'AAC. Je suis accompagné de M. Serge Le Guellec, président et directeur général de Transport Desgagnés, dans la ville de Québec, et de M. Daniel Hohnstein, de Tereposky & DeRose, l'avocat de l'AAC responsable des questions commerciales.

L'AAC représente les intérêts d'un groupe d'entreprises canadiennes qui offrent des services de cabotage entre les ports canadiens dans les Grands Lacs, la voie navigable du Saint-Laurent, l'Arctique canadien et les Maritimes grâce à des navires immatriculés au Canada, appartenant à des intérêts canadiens et dotés de marins canadiens. Chaque année, nous transportons des millions de tonnes de marchandises en vrac, de marchandises diverses et de cargaisons liées à un projet. Nous fournissons aux industries et aux collectivités canadiennes des services d'expédition fiables, sécuritaires, économiques et durables d'un point de vue environnemental. Nos membres représentent une industrie de services nationale essentielle qui constitue une importante source d'emplois au Canada. L'industrie crée, en effet, de nombreux emplois bien rémunérés, à terre et sur mer.

Les préoccupations de l'AAC, aujourd'hui, concernent les articles 91 à 94 du projet de loi C-30. Ce sont les dispositions qui auront pour effet de modifier la Loi sur le cabotage et de mettre en œuvre les concessions en matière d'accès au marché prévues dans l'AECG. Ce sont ces dispositions qui permettront à des bâtiments étrangers de réaliser des activités de cabotage au Canada sans obtenir le permis habituellement requis.

Au cours des prochaines minutes, je vais vous exposer rapidement nos préoccupations, que nous avons décrites plus en détail dans notre mémoire. Nous serons heureux de discuter de ces points ou de répondre à vos questions à ce sujet.

J'aimerais commencer par souligner le fait que les marins canadiens sont parmi les mieux formés et les plus qualifiés du monde et, de plus, que nos navires canadiens sont quant à eux parmi les plus perfectionnés et les mieux entretenus qui soient. Nos marins et nos navires respectent les normes canadiennes de renommée mondiale en matière de sécurité et de protection de l'environnement.

Nous avons fait d'importants investissements au cours des dernières années pour nous assurer que la flotte canadienne est totalement conforme aux exigences intransigeantes imposées aux navires canadiens par le régime réglementaire du Canada. Nous pouvons compétitionner avec les autres transporteurs du pays et réussissons à le faire à armes égales, en ayant toujours à l'esprit la sécurité et le respect de l'environnement. Cependant, le respect de ces normes importantes entraîne d'importants coûts opérationnels.

La plupart des pays du monde, y compris les États-Unis, protègent leurs marchés nationaux de cabotage contre les navires étrangers. Ils procèdent ainsi afin de maintenir des règles équitables pour leurs fournisseurs de services nationaux, entre autres, parce que leurs navires ne peuvent pas livrer concurrence aux navires immatriculés à l'étranger, dont les exploitants ont le droit de payer des salaires extrêmement bas aux équipages.

Les coûts liés à l'équipage représentent la majeure partie des coûts opérationnels quotidiens d'un navire. Les coûts d'équipage mensuels moyens d'un navire enregistré au Danemark ou aux Pays-Bas ne sont qu'une fraction des coûts d'équipage mensuels moyens d'un bâtiment équivalent immatriculé au Canada. L'ouverture du marché du cabotage canadien à de tels navires étrangers créera des conditions inégales qui mineront les débouchés concurrentiels des navires immatriculés au Canada, appartenant à des Canadiens et dotés d'équipages canadiens.

Avant l'AECG, le marché canadien était protégé par la Loi sur le cabotage. Cette loi interdit généralement aux navires étrangers de fournir des services de cabotage sauf s'ils le font conformément aux exigences associées à l'obtention d'un permis. De façon générale, un permis est seulement délivré si aucun navire canadien n'est capable de fournir les services requis ou n'est disponible pour le faire. Cette règle est assortie de certaines exceptions, par exemple, dans le cas des navires qui effectuent des recherches ou qui fournissent une aide aux personnes en détresse.

Le projet de loi C-30 élargit les exceptions pour permettre aux navires étrangers de fournir des services de cabotage sans permis, y compris le transport de conteneurs vides entre des ports canadiens et les services d'apport, c'est-à-dire le transport de fret entre les ports de Halifax et de Montréal.

Fait important, les résultats négociés de l'AECG incluent des exigences, des conditions et des limites précises qui s'appliquent à ces conditions d'accès aux marchés. On les trouve dans l'AECG lui-même, au paragraphe 4, Réserve II- C-14 de la liste du Canada de l'annexe II. Par exemple, seuls les navires étrangers inscrits aux premiers registres ou registres nationaux qui respectent les exigences liées à la propriété en vue de l'exploitation peuvent fournir continuellement des services d'apport, ce qui signifie qu'ils peuvent rester au Canada et faire indéfiniment le lien entre les ports de Halifax et de Montréal. Les navires étrangers inscrits aux seconds registres ou registres internationaux peuvent seulement fournir des services d'apport d'un seul trajet, et la cargaison est limitée aux marchandises en conteneurs. Ces règles ont des répercussions importantes, en pratique, sur la mise en œuvre.

Il convient de souligner que le gouvernement du Canada n'a pas consulté du tout les représentants de l'industrie du cabotage canadiens avant d'offrir un accès au marché des services de cabotage. L'AAC a seulement été informée de ces résultats négociés après qu'ils ont été convenus. Par conséquent, nous avons été mis devant le fait accompli.

L'année dernière, cependant, l'AAC a participé à un groupe de travail administratif mené par Transports Canada sur la mise en œuvre des résultats négociés. Il s'agissait d'un processus utile pour le gouvernement et l'industrie. Il a permis de communiquer les renseignements qui étaient utiles et qui permettaient de comprendre les modifications maintenant proposées à la Loi sur le cabotage.

Cela nous amène aux deux points que nous voulons soulever.

Premièrement, l'AAC comprend que les résultats négociés de l'AECG sont un fait accompli et qu'ils seront mis en œuvre. Nous savons que les exigences et conditions liées à l'accès au marché dont j'ai parlé tantôt sont des éléments importants des résultats. Le Canada a obtenu ces exigences et conditions dans le cadre de la négociation de l'accès aux marchés. Elles sont aussi importantes dans le cadre de la mise en œuvre que les concessions liées à l'accès au marché elles-mêmes.

Selon nous, les modifications de la Loi sur le cabotage prévues dans le projet de loi C-30 — dans leur version actuelle — sont conformes aux résultats négociés dans l'AECG, y compris en ce qui concerne les exigences et conditions d'accès aux marchés. Ces dispositions n'ont pas à être modifiées ou amendées à cette étape-ci. De plus, il ne devrait pas y avoir de changements au projet de loi C-30 qui auraient pour effet d'élargir les conditions d'accès aux marchés au-delà des résultats négociés dans l'AECG.

Le vice-président : Je suis désolé de vous interrompre pour un instant. Vous dépassez le temps qui vous a été alloué. Je vous demande de bien vouloir conclure afin que nous puissions passer aux autres témoins.

M. Jones : La deuxième source de préoccupation de l'AAC, c'est la mise en œuvre d'un cadre efficace de contrôle et d'application des dispositions du projet de loi C-30. Selon nous, un tel cadre est essentiel pour veiller à la conformité complète avec les conditions et exigences associées aux nouvelles dispositions de la Loi sur le cabotage. Jusqu'à ce qu'un tel cadre soit en place, il n'y aura rien pour décourager la non-conformité avec les exigences et conditions des nouvelles exceptions liées à l'accès aux marchés de la Loi sur le cabotage.

Actuellement, il n'y a aucun renseignement quant à savoir si un cadre de contrôle et d'application sera mis en place, la façon et le moment où il le sera ni la disponibilité d'un budget, d'employés et d'autres ressources en quantités suffisantes.

Nous vous remercions encore de l'occasion qui nous a été donnée et nous répondrons volontiers à toutes vos questions sur ces points et serons heureux d'en discuter avec vous.

Le vice-président : Merci. Je cède maintenant la parole à la Société de développement du port de Sydney, s'il vous plaît.

Marlene Usher, chef de la direction, Société de développement du port de Sydney : Merci, monsieur le président, et merci aussi aux autres distingués sénateurs de me permettre de présenter un exposé aujourd'hui au comité permanent. Je trouvais important, en tant que chef de la direction du port de Sydney, de venir ici expliquer l'impact qu'aura le projet de loi C-30 sur notre port. Pour ce faire, je veux vous fournir quelques renseignements contextuels au sujet du port de Sydney.

D'importants investissements ont été faits récemment au port de Sydney. En 2012, le gouvernement du Canada a versé 19 millions de dollars dans le cadre du processus de dragage de 38 millions de dollars du port. De plus, des contributions à parts égales par les trois ordres de gouvernement d'une valeur de 20 millions de dollars seront investies afin de bâtir un deuxième poste d'accostage au terminal de Sydney au cours de la prochaine année, soit 2017-2018.

Même si les navires de croisière constituent notre principale source de revenus, nous accueillons aussi du trafic commercial. Cette année, il y aura une augmentation de 68 p. 100 des navires de croisière, et environ 90 de ces navires passeront par notre port. En outre, plus de trois millions de litres de carburant seront livrés à notre quai.

En plus de ces activités, Sydney est sur le point d'établir un important carrefour et terminal de conteneurs où, en plus du transport ferroviaire, les activités de transbordement seront un aspect important et très stratégique de sa réussite.

Vous vous demandez peut-être pourquoi Sydney? Eh bien, Sydney est le premier port d'escale après la grande route circulaire. En fait, bon nombre de nos navires de croisière en route vers l'Europe passent par Sydney pour obtenir du carburant parce que c'est le port le plus près.

Il n'y a aucune restriction en matière de tirant d'air et la profondeur d'eau est de 16,5 mètres. Le site du terminal a en fait été créé avec les déblais du dragage qui ont créé une installation d'élimination confinée.

De plus, il y a un site vierge de 500 acres à côté duquel il y a un autre site vierge de 1 200 acres de plus pour un parc logistique. Tout ce site est connecté à l'autoroute transcanadienne et au réseau ferroviaire. Les approbations environnementales et les consultations auprès des Autochtones sont toutes terminées.

Ce qui est très important, c'est que le site est protégé et loin du centre-ville. Il n'y a pas de congestion, contrairement à de nombreux ports sur les côtes Atlantique et Pacifique de l'Amérique du Nord qui sont situés près des centres-villes où il y a beaucoup de circulation. Il n'y a pas de circulation à notre port. Nous pourrons déplacer des centaines de milliers, voire des millions, de conteneurs très rapidement.

Un consortium privé appelé Sydney Harbour Investments Partners a réuni les piliers nécessaires à la mise en place du terminal. Le financement a été obtenu, et tous les bailleurs de fonds sont du secteur privé.

Le contrat de l'exploitant du terminal portuaire est en place. Ports America, le plus important exploitant de terminaux portuaires des États-Unis gérera le terminal de Sydney.

La conception et la construction du terminal reviendront à la firme de génie AECOM et à China Communications Construction Company, la plus importante entreprise de construction du monde. Leur partenaire, ZPMC, fournira les grues. Des entreprises de construction et des entrepreneurs locaux s'occuperont des travaux.

Avant la première pelletée de terre, il faut obtenir des engagements minimaux en matière de volume, et nous avons presque terminé le travail de ce côté-là. On s'attend à ce que les travaux débutent en 2018.

Notre projet, un méga carrefour sur la côte de l'Atlantique, sera le moteur de la création d'une vraie porte de l'Atlantique. Il générera un trafic accru sur la côte atlantique du Canada.

Vu l'importante augmentation prévue du trafic maritime à Sydney, l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne est extrêmement important pour nous.

Plus particulièrement, à la page 77 du projet de loi C-30, les dispositions sur les services d'apport, les paragraphes 2.3 et 2.4, permettront aux navires de l'Union européenne de fournir des services d'apport entre deux ports nommés, soit Halifax et Montréal. Ma question est la suivante : pourquoi a-t-on exclu d'autres ports, comme les ports de Québec, de Saint John, de St. John's et de Sydney?

Tous les ports du Canada atlantique devraient se voir réserver le même traitement dans le cadre du projet de loi. Le fait d'inclure tous les ports dans cette disposition créerait des conditions équitables pour tous les intervenants.

Pour être clair, j'ai rencontré des représentants fédéraux des Transports à deux occasions pour discuter de cet enjeu. Cependant, en tant que chef de la direction du port de Sydney, je n'ai jamais été consultée sur les modifications apportées à l'AECG.

J'espère que les paragraphe 92(2.3) et 92(2.4) seront modifiés pour inclure tous les ports du Canada atlantique.

Merci beaucoup.

Le vice-président : Merci. Pour le dernier exposé, nous nous tournons vers Nunavut/Nunavik Eastern Arctic Shipping, puis, nous passerons aux questions.

Frank Schiller, conseiller, Nunavut/Nunavik Eastern Arctic Shipping Inc. : Merci de m'offrir l'occasion aujourd'hui de vous parler du projet de loi C-30 et des modifications apportées à la Loi sur le cabotage.

Au cours des 15 dernières années, j'ai eu l'immense privilège de travailler pour l'équipe de direction du groupe d'exécution NEAS sous la direction de Mme Suzanne Paquin.

NEAS est une entreprise canadienne novatrice qui offre des services de transport maritime et de fret maritime et dont l'histoire remonte au tout début des activités de réapprovisionnement dans l'Arctique canadien. Parmi les intervenants, mentionnons Transport Nanuk, une coentreprise réunissant l'entreprise Logistec et The North West Company, ainsi que la Société Makivik et des entreprises innues locales du Nunavut. NEAS a crû et exploite actuellement une flotte de porte-conteneurs polyvalents de cote glace 1 modernes immatriculés au Canada et embauchant des Canadiens à bord.

Depuis 2000, NEAS a poursuivi sa stratégie de rajeunissement de sa flotte grâce à d'importants investissements, y compris des investissements innus liés à des navires canadiens.

NEAS s'oppose aux modifications proposées de la Loi sur le cabotage dans le projet de loi C-30, y compris, premièrement, des dispositions sur le repositionnement des conteneurs vides, et, deuxièmement, les services d'apport entre les ports en eaux canadiennes.

Plus précisément, le projet de loi C-30 offre aux propriétaires de navires de l'UE non seulement un accès, mais un accès préférentiel, au marché du cabotage canadien, un marché de grande valeur, y compris pour ce qui est des services supérieurs de transport de conteneurs et d'apport. Les concessions proposées aux propriétaires de navires de l'UE créent une situation inéquitable qui met les entreprises immatriculées au Canada, comme NEAS, en situation de désavantage concurrentiel à l'avenir et leur est préjudiciable.

Dans les faits, le projet de loi C-30 offre une subvention de longue durée aux opérateurs de l'UE en eaux canadiennes en leur accordant des exemptions permanentes aux règles du travail et fiscales du Canada, des exemptions auxquelles n'ont pas accès les entreprises battant pavillon canadien. Cette situation mine la compétition nationale appropriée et le processus d'établissement des prix dans le marché du transport intermodal du Canada.

On a traditionnellement reconnu que les navires d'immatriculation canadienne doivent assumer des coûts opérationnels plus élevés découlant du fait qu'ils sont assujettis à des conditions d'exploitation réglementaires et juridiques qui ne s'appliquent pas aux navires étrangers.

Les sénateurs ne doivent pas oublier que l'industrie du transport maritime du Canada n'est pas une industrie à prix élevé, non compétitive et inefficace.

Le cabotage au Canada est une industrie à valeur élevée qui emploie des Canadiens compétents et qualifiés. Ce sont de bons emplois, de bons emplois de la classe moyenne, et nous voulons les conserver. Nous voulons poursuivre sur la voie de la croissance durable.

Malheureusement, cependant, grâce au projet de loi C-30, les propriétaires de navire de l'UE pourront œuvrer en eaux canadiennes avec des navires battant pavillon de complaisance étrangers de pays n'appartenant pas à l'UE avec, à leur bord, des équipages de ressortissants étrangers ne venant pas de l'UE non visés par le cadre de négociations collectives de l'UE. Pour dire les choses simplement, cela signifie que les propriétaires de navires de l'UE auront accès aux lucratifs marchés du cabotage du Canada avec des membres d'équipage étrangers de l'extérieur de l'UE gagnant aussi peu que 1,26 $ l'heure, selon des études crédibles sur la main-d'œuvre.

Il convient de souligner que les dispositions sur l'accès aux marchés du cabotage ne sont pas réciproques pour les navires battant pavillon canadien au titre de l'AECG ou du projet de loi C-30. Il n'y a aucun libre accès pour les navires immatriculés au Canada au sein de l'UE. En fait, les pays de l'UE continuent de maintenir un ferme protectionnisme de leurs marchés du cabotage. Par exemple, le Danemark et son territoire du Groenland continuent de maintenir le monopole d'une entreprise de transport maritime appartenant à l'État sans accès pour les navires ou les équipages du Canada. Cependant, les propriétaires de navires de l'UE, y compris les entreprises du Danemark, demandent un accès préférentiel aux marchés du cabotage de haute valeur du Canada en n'offrant rien en retour.

Il faut aussi souligner qu'on fait des comparaisons avec les États-Unis, où le repositionnement des conteneurs est permis, mais il ne faut pas oublier qu'aux États-Unis, cette possibilité est seulement offerte aux pays qui offrent un droit réciproque aux exploitants américains, contrairement à ce qu'on fait ici, au Canada.

Honorables sénateurs, veuillez examiner de près et étudier la justification sous-jacente à la libéralisation proposée des marchés du cabotage du Canada aux propriétaires de navire de l'UE. Il n'y a aucun motif stratégique lié à l'intérêt public pour soutenir ces changements. Aucun. En fait, les modifications apportées au cabotage dans le projet de loi C- 30 vont à l'encontre de l'objectif de l'AECG lui-même, y compris la promotion de l'expansion réciproque du commerce et des conditions de juste concurrence ainsi que le renforcement des relations économiques entre le Canada et l'UE aux alinéas 7b) et 7c).

Les concessions liées aux marchés du cabotage sont fondées sur des erreurs de négociation et des faussetés qui auraient pu être évitées grâce à des consultations appropriées auprès des intervenants de l'industrie. Pour que ce soit clair : il n'y a eu aucune consultation auprès de l'industrie avant que le Canada accepte ces changements.

Prenez, par exemple, une récente déclaration d'un représentant devant des parlementaires relativement au projet de loi C-30. Il parlait du positionnement des conteneurs vides. Le représentant a affirmé aux sénateurs et députés : « Je dois dire que cette disposition particulière n'a soulevé aucune objection, ni aucune controverse. »

Ce n'est tout simplement pas vrai. NEAS s'est opposé. Ce qui est proposé...

Le vice-président : Pouvez-vous conclure?

M. Schiller : ... est extrêmement controversé et a fait l'objet de demandes d'autorisation contestées depuis des années devant l'Office des transports du Canada.

L'OTC a toujours tranché qu'il y a des navires disponibles et appropriés pour offrir ces services. Et là, NEAS risque de perdre entre 300 à 500 $ par conteneur repositionné au titre de l'AECG.

Dans les faits, le projet de loi C-30 s'immisce dans ce qui devrait être des négociations équitables sur le commerce et réattribue d'importantes quantités de cargaisons de haute valeur d'exploitants battant pavillon canadien à des exploitants de l'UE. Nous prions les sénateurs de se pencher sur cette question.

Nous prions les sénateurs, qu'ils soient des libéraux indépendants ou des conservateurs, de soutenir et de renforcer l'objectif de l'AECG en éliminant les modifications corrélatives pertinentes à la Loi sur le cabotage à l'article 92.2.

En conclusion, il est, selon moi, important de ne pas oublier nos valeurs lorsque nous tentons de conclure des accords commerciaux. Le premier ministre a cerné un important défi pour notre temps lorsqu'il a dit que la mondialisation ne semble pas fonctionner pour la classe moyenne, pour les gens ordinaires.

J'affirme qu'obliger les navires canadiens et les équipages canadiens à livrer une concurrence inéquitable en eaux canadiennes à des bâtiments et des équipages étrangers gagnant aussi peu que 1,26 $ l'heure n'est pas le genre de mondialisation que nous voulons.

Le vice-président : Merci beaucoup. Nous allons devoir vous interrompre ici, parce que votre temps est écoulé depuis longtemps.

Chers collègues, je rappelle à tout le monde que la réunion se termine à 11 h 30 parce qu'il y a un deuxième groupe de témoins. Nous allons donc passer à travers la liste. Une fois rendu à la fin de la liste, si tous les sénateurs n'ont pas eu l'occasion de le faire, je leur demanderai simplement de poser leurs questions, et les témoins pourront envoyer une réponse écrite à la greffière, qui nous la distribuera plus tard.

La sénatrice Eaton : J'ai deux questions rapides. Je suis surprise que le Canada ait fait autant des pieds et des mains pour protéger le marché du cabotage pour les compagnies aériennes nationales alors qu'ils vous ont en quelque sorte jetés aux lions.

Ce qui me préoccupe vraiment — et je m'adresse ici à l'Association des armateurs canadiens — c'est le fait que nous ne savons pas quelles sont les normes de sécurité que ces navires respecteront lorsqu'ils navigueront près de nos côtes très sensibles, si l'on pense au passage du Nord-Ouest, à l'Arctique et au fleuve Saint-Laurent. Qu'avez-vous à dire à ce sujet? Est-ce que les normes de sécurité seront les mêmes que les nôtres?

M. Jones : Je vais demander à notre avocat de répondre à cette question, puisqu'il s'est déjà penché sur ce dossier.

Daniel Hohnstein, avocat, Tereposky & DeRose LLP, Association des armateurs canadiens : Très bien. Je vais commencer à répondre, mais je suis sûr que mon collègue, Serge, aura quelque chose à ajouter lui aussi.

Nous savons qu'il y a des dispositions dans le projet de loi C-30 qui exigent que les normes en matière de protection de l'environnement et de sécurité qui s'appliquent habituellement au Canada s'appliquent aussi à tous les navires exploités au Canada au titre des exemptions de l'AECG. Je peux vous montrer directement la disposition.

La sénatrice Eaton : Je vous crois. Tous les sénateurs ont beaucoup de questions à poser.

M. Hohnstein : D'accord. Ce qu'il est important de savoir, c'est que les navires canadiens, conformément aux exigences des normes réglementaires canadiennes, sont optimisés pour tenir compte des défis et des exigences des voies navigables du Canada. Cette optimisation inclut des caractéristiques comme des propulseurs d'étrave et des propulseurs arrière, des mécanismes de direction redondants et ce genre de choses. De plus, nos marins ont une expérience particulière de la navigation dans les eaux navigables canadiennes et, comme je l'ai dit, des défis et des exigences propres à ces cours d'eau.

La sénatrice Eaton : Demanderont-ils, dans certaines situations, à des pilotes canadiens ou des gens d'expérience de monter à bord des navires de l'UE?

Serge Le Guellec, membre, Association des armateurs canadiens : La réponse à votre question, c'est oui. Lorsque des navires naviguent dans les eaux contrôlées, il doit y avoir des pilotes à bord. La différence, bien sûr, c'est que le pilote relève — pour ce qui est de la navigation et du contrôle du navire — du capitaine. Un pilote n'est jamais laissé seul sur le pont. Le capitaine et l'équipage travaillent avec le pilote et effectuent le suivi de ce qu'il fait.

Pour pouvoir le faire, ils doivent avoir une compréhension des eaux dans lesquelles ils se trouvent. Nos marins canadiens possèdent cette compréhension parce qu'ils naviguent ici depuis longtemps. Les gens qui viennent de l'étranger n'ont pas ce niveau de compréhension et, par conséquent, du point de vue de la sécurité, il y a une préoccupation.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup.

Ma deuxième question est destinée à NEAS. Monsieur Schiller, lorsque NEAS a été informée des changements proposés au titre de l'AECG, a-t-elle cherché des solutions? Avez-vous tenté d'obtenir des occasions commerciales réciproques au sein de l'UE? Par exemple, vous avez parlé du Groenland et dit que le Danemark a affirmé qu'il n'en était pas question et que le Groenland, par exemple, n'est pas considéré comme une entité réciproque parce qu'elle est hors des limites.

M. Schiller : Lorsque NEAS a reçu l'avis de Transports Canada, en janvier 2014, et a été mise au courant des concessions offertes dans le cadre des négociations de l'AECG en ce qui concerne le cabotage, l'entreprise a immédiatement demandé un accès réciproque aux services d'apport de l'UE, particulièrement à destination du Groenland.

Les représentants canadiens nous ont dit que ce n'était pas possible et que c'était non négociable. Nous avons tenté d'obtenir une uniformisation des règles du jeu sous la forme des registres seconds liés à l'utilisation d'équipages étrangers dont les membres ne viennent pas de l'UE, et on nous a dit que ce n'était pas possible non plus.

Nous avons participé, avec d'autres propriétaires de navires, à un groupe de travail, mais, à mesure que les travaux avançaient, il est devenu encore plus évident qu'il n'y avait aucune possibilité d'uniformiser les règles du jeu et de protéger les propriétaires de navires canadiens dans le cadre du processus adopté par Affaires mondiales et Transports Canada relativement aux concessions qui avaient été faites.

Nous avons tenté d'obtenir des droits réciproques, qu'on nous a refusés. Nous avons tenté d'uniformiser les règles du jeu dans le marché canadien très compétitif, et on nous l'a refusé. Nous avons essayé de travailler en collaboration avec des représentants d'Affaires mondiales et de Transports Canada, vraiment, depuis 2014, pour obtenir un genre de mesure d'adaptation, et nous n'avons eu aucun succès.

De notre point de vue, nous croyons que les concessions liées au cabotage ne faisaient pas vraiment partie de l'AECG et que ce sont des concessions qui ont été accordées à la dernière minute et qui n'étaient pas liées à l'objectif ou l'intention centraux de l'AECG. Nous croyons que les sénateurs peuvent modifier les dispositions sur le cabotage du projet de loi C-30 sans d'aucune façon miner l'intention ou l'engagement du Canada à l'égard de l'AECG. Merci.

Le sénateur Marwah : Merci d'avoir formulé tous vos commentaires. Au départ, je voulais poser ma question à M. Jones, de l'Association des armateurs canadiens, mais je crois maintenant que je dois la poser à toutes les organisations représentées ici.

Certains d'entre vous ont exprimé des préoccupations liées à différentes dispositions de l'AECG, mais nous ne pouvons plus retourner en arrière. Il fait peu de doute pour moi que l'AECG apportera des bénéfices considérables pour les Canadiens et le Canada. L'accord a déjà été ratifié par l'UE, qui attend notre ratification.

Par conséquent, que pouvons-nous réellement faire à cette étape-ci pour aider à dissiper certaines de vos préoccupations? Nous n'allons pas rouvrir les négociations et nous n'allons pas commencer à modifier le tout ce qui pourrait compromettre ce qui a été fait. Il faut maintenant réfléchir à ce que nous pouvons faire concrètement pour atténuer vos préoccupations.

Si j'ai bien compris, le port de Sydney a suggéré une modification, soit de modifier les dispositions afin d'accorder le même accès à tous les ports. Je ne sais pas quelles seraient les ramifications d'un tel changement, mais je vais me pencher sur la question. Quelle pourrait être une solution réaliste pour atténuer certaines de vos préoccupations, sans tout recommencer du début?

M. Jones : Je crois que la réponse à cette question est principalement l'épine dorsale de notre intervention.

Dans des négociations, c'est du donnant-donnant : nous donnons quelque chose et nous obtenons quelque chose en retour. Notre document précise que nous en sommes là où nous sommes, que c'est un fait accompli, et que vous pouvez dissiper nos préoccupations en n'élargissant pas les résultats négociés de l'AECG.

Ensuite, nous avons laissé entendre qu'il fallait s'assurer de créer un cadre de contrôle et d'application afin que les arrangements liés aux concessions durant les activités du groupe de travail soient appliqués. Par exemple, lorsqu'un exploitant international offre des services d'apport en eaux canadiennes, il doit payer les salaires en vigueur, de façon à ce qu'il y ait des conditions équitables si un exploitant canadien veut s'engager dans de tels échanges commerciaux.

Le sénateur Marwah : Je suis sûr que vous avez exprimé ces préoccupations au gouvernement. Quelle a été la réponse? A-t-il dit non? A-t-il dit oui? A-t-il dit qu'il allait se pencher sur la question?

La sénatrice Cools : Pouvez-vous nous le dire clairement?

M. Hohnstein : Bien sûr. L'année dernière, l'AAC a participé aux travaux d'un groupe de travail administratif sur la mise en œuvre de l'AECG. Transports Canada a mené, dirigé et organisé ces séances.

Nous ne savons pas quel cadre de réglementation, de contrôle et d'application doit être en place avant l'entrée en vigueur de l'AECG, et cela inclut les dispositions du projet de loi C-30 qui auraient pour effet de modifier la Loi sur le cabotage pour créer les nouvelles exclusions liées à la prestation de services de cabotage commercial par des navires étrangers en vertu des restrictions et conditions. Ce sont actuellement ces conditions et restrictions qui sont essentielles à la mise en œuvre. Ce sont seulement les ports de Halifax et de Montréal qui sont en cause.

Je crois que, jeudi dernier, Steve Verheul a fourni une réponse très convaincante en ce qui a trait à la raison pour laquelle ce corridor avait été choisi. C'était parce que, du point de vue de Transports Canada et du négociateur de l'époque, la décision n'allait pas avoir d'impact sur le reste du secteur du cabotage canadien, qui est une industrie protégée et qui est et a été protégée par la Loi sur le cabotage. C'était une façon de fournir à l'Union européenne certains avantages qu'elle demandait sans causer de préjudice à l'industrie canadienne.

Si cette condition — cette limite — liée au corridor entre les ports de Montréal et de Halifax est élargie pour inclure d'autres ports, alors nous commençons à dépasser les résultats négociés de l'AECG, mais nous le faisons d'une façon qui sera préjudiciable pour les fournisseurs de services de cabotage du pays, c'est-à-dire les propriétaires de navires qui utilisent des navires appartenant à des Canadiens et battant pavillon canadien qui emploient des marins canadiens.

M. Schiller : Si je peux me permettre de préciser au bénéfice des sénateurs, NEAS n'est pas membre du groupe que l'AAC représente, et nous ne partageons pas son point de vue.

Selon moi, il faut absolument que les sénateurs comprennent qu'il n'y a aucune limite ni restriction à la libéralisation du cabotage accordée au titre de l'AECG. Plus précisément, l'Union européenne bénéficiera maintenant automatiquement de toute mesure de libéralisation subséquente que le Canada offrira à d'autres pays dans le cadre d'accords de libre-échange futurs, et ce, sans avoir à fournir un accès réciproque. D'autres négociations commerciales sont en cours, y compris, par exemple, l'ACS, dans le cadre duquel les pays possédant le statut de nation la plus favorisée pourraient, théoriquement, obtenir le même accès que celui accordé à l'UE. Tandis que nous renégocions l'ALENA, les Américains demanderont très probablement le même accès à nos marchés de cabotage que nous venons d'offrir à l'UE.

Selon nous, si les sénateurs et le gouvernement ne sont pas prêts à recommander la modification du projet de loi et à le corriger de façon adéquate, alors il faut préparer des trousses de compensation appropriées propres aux entreprises qui subissent des pertes et des préjudices. La perte du transport des conteneurs et des services d'apport entre Montréal et Halifax représente un préjudice économique important et mesurable pour les propriétaires de navires du Canada, y compris NEAS.

M. Le Guellec : Si vous me le permettez, monsieur le sénateur, j'aimerais ajouter quelque chose. L'industrie canadienne a investi massivement au cours des dernières années pour acquérir de nouveaux navires. Nous l'avons fait à la lumière de modèles d'affaires dans le cadre desquels les navires canadiens ont du travail au pays.

Le vice-président : J'aimerais savoir si d'autres témoins ont aussi des commentaires à formuler.

David C. Dingwall, conseiller juridique, The Darius Group Inc., Société de développement du port de Sydney : Je vais laisser Michael répondre, puis je répondrai.

M. Broad : Je veux simplement établir quelques faits en ce qui a trait au positionnement des conteneurs vides. L'ensemble des activités de positionnement des conteneurs vides au Canada sont réalisées par rail ou camion, mais majoritairement par rail. C'est ironique que, en raison de la Loi sur le cabotage, ce sont les compagnies de chemin de fer qui font le travail. Nous ne pouvons même pas déplacer nos conteneurs d'un port à l'autre. Nous ne facturons rien, ce sont nos propres conteneurs.

Les propriétaires de navires canadiens ne sont pas dans le secteur à l'heure actuelle et ne l'ont jamais été. Par conséquent, cette idée de transporter nos propres conteneurs est, essentiellement, une façon de réduire les coûts pour les exportateurs canadiens, particulièrement dans le Canada atlantique, où il y a des conteneurs frigorifiques qui doivent être repositionnés par rail jusqu'à Halifax, ce qui est très coûteux. Si nos navires peuvent le faire, on réduirait ainsi les coûts pour les exportateurs canadiens.

Par conséquent, concrètement, ici, si qui que ce soit essuie des pertes commerciales, ce sont les compagnies de chemin de fer canadiennes qui transporteront moins de conteneurs vides.

M. Dingwall : Pour répondre à la question du sénateur, il a raison. L'administration précédente a fait preuve d'une grande clairvoyance en entreprenant le processus lié à cet accord avec l'Europe. L'administration actuelle a emboîté le pas. Nous en sommes maintenant à la neuvième manche, si je peux m'exprimer ainsi. Le dossier sera approuvé. Y a-t-il des façons, du point de vue des négociations, d'y changer quoi que ce soit? La réponse, c'est oui. Je crois que M. Schiller a fourni des pistes de réponse très intéressantes. Il y a les dispositions du comité mixte, si vous voulez, de l'accord, selon lesquelles des engagements peuvent être donnés et demandés à l'autre partie.

Selon moi, il y a deux points qui sont pertinents à votre discussion précise. La présidente du comité, le 30 mars, en réponse au sénateur Downe et au négociateur en chef a dit ce qui suit :

Cela a peut-être à voir avec la façon que vous avez négocié. Vous semblez avoir négocié en mode réactif. Je me serais plutôt attendue à ce que vous anticipiez les changements en matière de circulation et d'occasions favorables, et cetera. Alors, nous avons dit que c'était les itinéraires qui allaient faire partie des négociations, et nous avons maintenant un accord qui est basé là-dessus.

Deuxièmement, David Emerson, un ancien collègue du Parlement du Canada — un ancien ministre de la Couronne — a réalisé un examen de la Loi sur les transports au Canada. Il a dit ce qui suit à la page 210 de sa présentation :

Le transport maritime est le moyen le plus rentable de transporter de grands volumes de marchandises, particulièrement sur de longues distances. Par conséquent, l'infrastructure et la capacité des ports sont essentielles dans les pays qui veulent s'adonner au commerce international des produits de base.

On s'attend à ce que le commerce maritime à l'échelle internationale double quasiment, passant de 10 milliards de tonnes en 2014 à de 19 à 24 milliards de tonnes d'ici 2030. Notre propos aujourd'hui est conforme à l'intention de l'accord, c'est-à-dire de tourner le regard vers l'avenir, tenir compte non seulement des deux ou trois choses avec lesquelles on veut composer, mais créer des règles du jeu équitables pour tous de façon à ce que, à l'avenir, nous puissions tirer profit de ces occasions.

Le vice-président : Je remercie les témoins. Nous devons passer à la prochaine question. Encore une fois, si vous avez d'autres choses à dire au sujet des questions posées, fournissez l'information à la greffière, qui la distribuera à tous les membres. Vous aurez l'occasion de communiquer ce que vous avez à dire. Je veux permettre au plus grand nombre de sénateurs de parler, parce que nous avons tous des questions différentes à poser et des points de vue différents.

Le sénateur Oh : Merci aux témoins. La principale préoccupation de l'Association des armateurs du Canada, c'est que les salaires versés aux membres des équipages par certains États membres de l'UE sont beaucoup moins élevés que nos coûts d'équipage, ici. Cela rend les navires canadiens moins compétitifs.

Savez-vous pourquoi les coûts d'équipage moyens des navires du Danemark et des Pays-Bas ne sont qu'une fraction des nôtres? Dans notre pays, est-ce que le gouvernement subventionne les salaires? Quelqu'un a aussi mentionné le fait que les salaires s'élevaient seulement à 1,26 $ l'heure. Combien payons-nous nos équipages, ici, au Canada?

M. Jones : Les membres de nos équipages... pour un permis de classe moyenne, un officier de quart gagne probablement de 60 000 à 75 000 $ par année. Ces gens paient de l'impôt au Canada.

Le sénateur Oh : Combien gagnent-ils l'heure?

M. Jones : Ce serait 20 ou 18 $ l'heure, dans ces eaux-là. Pour répondre à votre question, les navires dont vous parlez figurent dans le registre second, et les équipages viennent donc habituellement de pays du tiers-monde ou de pays où les normes du travail sont moins élevées. Ces personnes ne paient pas d'impôt sur le revenu. C'est la réponse.

M. Le Guellec : C'est un bon résumé. Je n'ai rien à ajouter.

Le vice-président : Sénateur Oh, avez-vous une question complémentaire? Non?

M. Broad : J'aimerais simplement savoir d'où vient le chiffre de 1,26 $ l'heure parce que, assurément, les membres des équipages de nos navires qui naviguent le long du fleuve Saint-Laurent ou qui font escale à Vancouver ou à Halifax ne gagnent pas cette somme.

Le sénateur Oh : Quelqu'un vient de mentionner ce montant.

M. Schiller : Si vous me permettez, monsieur le sénateur, l'information vient en fait d'une recherche qui a été présentée devant le comité permanent de la Chambre qui étudiait le projet de loi, une solution de rechange stratégique, je crois. Il s'agissait aussi d'un exposé présenté par un des instituts, si je ne m'abuse. Je peux vous fournir ces études sans problème.

Je crois qu'on en revient vraiment à la principale raison pour laquelle certains propriétaires de navire s'opposent à ces dispositions, parce que ce que les propriétaires de navire de l'UE veulent, c'est un accès préférentiel. Non seulement ils veulent l'accès au marché canadien selon les mêmes conditions que le Canada et les navires battant pavillon canadien, mais en plus ils veulent de meilleures conditions. Ils veulent avoir la capacité d'utiliser des navires et des équipages de l'extérieur de l'UE qui ne sont pas assujettis à leur cadre de négociations collectives. C'est là où nous mènent ces salaires médiocres et bas.

Je crois qu'il est aussi important pour les sénateurs de comprendre que l'impact potentiel des dispositions de l'AECG sur la réduction des tarifs pour conteneurs pour les importateurs et exportateurs canadiens a été mentionné. Il n'y a aucune donnée connue qui soutient une telle affirmation. En fait, les tarifs pour conteneurs des entreprises de l'UE augmentent. S'il y a des données qui confirment les affirmations selon lesquelles les tarifs pour conteneurs diminueront pour les Canadiens, nous aimerions bien que l'information soit présentée afin qu'on puisse l'examiner. En fait, selon nos données, en raison des distorsions causées au sein d'un marché équitable, les Canadiens devront s'attendre, au bout du compte, à payer plus dans le secteur de l'importation, de l'exportation et du commerce transatlantique.

La sénatrice Saint-Germain : Je vais parler dans ma langue. Je vais vous donner le temps — pour ceux qui en ont besoin — de mettre vos écouteurs.

Pour commencer, je tiens à tous vous féliciter de la qualité de vos exposés et de la qualité de votre consultation avant l'audience.

[Français]

Ma question s'adresse plus particulièrement à M. Michael Broad, président de la Fédération maritime du Canada. D'abord, je note, à l'attention de tous, l'expertise que vous avez et le fait que votre industrie, compte tenu de son importance financière, aurait justifié une consultation préalable. Je suis très déçue d'apprendre que cela n'a pas été le cas avant que l'accord soit conclu. Cela étant dit, nous sommes rendus plus loin, à l'étape de la mise en oeuvre, et vous avez très bien saisi les limites de ce qui peut être fait maintenant.

L'accord ne peut pas et ne doit pas être modifié, et vous appuyez cet accord. Vous nous faites donc une proposition de modification législative à l'article 3 de la Loi sur le cabotage, en ce qui concerne le repositionnement des conteneurs vides. Sous un angle très pragmatique, il est certain que nous allons examiner les enjeux avec nos légistes; vous l'avez fait avec les vôtres. Ma question très précise est la suivante : d'un point de vue pragmatique, est-ce que, en plus, il peut y avoir des ententes avec vos homologues? Je comprends que les choses se passent bien avec vos partenaires de l'Union européenne, mais est-ce que vos homologues, qui sont aussi vos compétiteurs, auraient intérêt à ce que les mêmes arrangements soient faits avec eux, s'agissant du transport des conteneurs vides au sein des pays de l'Union européenne?

M. Broad : Vous voulez dire pour que les compagnies canadiennes aient les mêmes droits?

La sénatrice Saint-Germain : Est-ce qu'ils ont le même problème? Est-ce que cette solution canadienne pourrait aussi être une solution européenne?

[Traduction]

Est-ce une situation gagnant-gagnant pour le secteur maritime?

M. Broad : Je crois que c'est une situation gagnant-gagnant. C'est très pratique, comme vous l'avez mentionné. Même l'AAC a reconnu, il y a un certain nombre d'années, qu'il serait pratique de permettre le repositionnement des conteneurs vides. Je ne vois aucun préjudice pour l'industrie canadienne. En fait, je crois qu'une bonne partie des peurs ont été — je ne dirais pas grossies hors de proportion —, mais je crois que les préoccupations ne devraient pas être aussi grandes. Les gouvernements canadien et européen ont négocié l'AECG. C'est un accord très restrictif. Même les déplacements de conteneurs vides sont limités aux propriétaires de l'UE seulement. Les propriétaires d'Asie et d'Amérique du Sud ne peuvent pas participer à ce marché. C'est très limité.

En ce qui a trait à la réglementation sur les services d'apport et le transbordement, elle est aussi très restrictive. Je ne vois pas en quoi ce pourrait être préjudiciable pour les propriétaires canadiens qui ne sont pas présents dans ce marché.

La sénatrice Saint-Germain : Merci de la réponse.

Karen Kancens, directrice, Politiques et affaires commerciales, Fédération maritime du Canada : Si vous nous permettez d'ajouter quelque chose sur la nature restrictive des dispositions sur le repositionnement des conteneurs vides, ce que nous essayons de dire, c'est que la façon dont les dispositions sont actuellement rédigées dans le projet de loi C-30, ce ne sont même pas tous les propriétaires de navire européen qui pourront en profiter. Lorsque nous parlons à nos membres européens au sujet du repositionnement des conteneurs vides, ils disent : « Nous ne pensons pas le faire. » En effet, vu la façon dont les accords de partage de la capacité sont appliqués en raison du nombre de partenaires en cause et du nombre de partenaires de l'UE qui ne seraient pas admissibles, cela deviendrait tellement compliqué que, à certains égards, la disposition, tel qu'elle est rédigée actuellement, perdrait tout son sens. C'est la raison pour laquelle nous croyons qu'il est important, au moins, que la disposition reconnaisse la façon dont l'industrie fonctionne et son applicabilité aux exploitants de l'UE.

La sénatrice Cordy : Je tiens à affirmer à nouveau ce que la sénatrice Saint-Germain vient de dire. Vos exposés étaient excellents et contenaient beaucoup de très bons renseignements.

En tant que sénatrice de la Nouvelle-Écosse, j'aimerais adresser mes commentaires aux représentants du port de Sydney. Pour commencer, je tiens à vous féliciter pour les importantes améliorations que vous avez apportées au port de Sydney : le dragage du port, la création du deuxième quai et le merveilleux Pavillon de croisière Joan Harriss, qui est non seulement de toute beauté, mais aussi fonctionnel et devant lequel on trouve un merveilleux violon géant que les gens utilisent maintenant comme repère lorsqu'ils doivent se rencontrer dans le secteur riverain de Sydney.

Ma question concerne l'impact que cela aura sur les petits ports, particulièrement dans le Canada atlantique. Vous avez mentionné le corridor Halifax-Montréal dans votre déclaration, et vous avez dit que Sydney a été exclu, et, j'imagine que Port Hawkesbury et un certain nombre d'autres petits ports dans la région ont aussi été exclus. Quel sera l'effet de l'AECG sur les petits ports du Canada atlantique et probablement sur les petits ports un peu partout au pays? Serez-vous avantagés? Ou s'agit-il d'une situation où, comme on dit, on n'a rien sans mal?

Mme Usher : Nous croyons que l'accord nous sera bénéfique. Il y a beaucoup de recherches et d'études réalisées par l'Agence de promotion économique du Canada atlantique sur la nature des marchandises et la façon dont les importations et les exportations seront touchées par l'AECG. Nous prévoyons que beaucoup de nouveaux navires passeront par nos ports, qu'ils contiennent du fret ou des conteneurs. Par conséquent, Port Hawkesbury, les ports de Saint John et de Yarmouth — tous les petits ports — en sortiront gagnants. Je crois que le principal gain prévu concernera les conteneurs. Par conséquent, des ports comme ceux de Halifax et de Saint John ont aussi beaucoup de choses à gagner.

La sénatrice Cordy : Merci. Vous en avez déjà parlé, alors nous n'allons peut-être rien ajouter, mais en ce qui concerne l'équipage des navires, votre commentaire, monsieur Schiller, c'est un peu que nous avons abandonné nos valeurs pour conclure un accord commercial.

Vous avez aussi dit qu'il pourrait y avoir des navires au Canada dont les membres d'équipage ne venaient pas de l'UE. Essayez-vous de dire que des navires d'autres pays s'enregistreraient et battraient pavillon de l'UE sans pour autant être de l'UE? Est-ce ce que vous essayez de dire?

M. Schiller : Oui, on revient ici au commentaire selon lequel la raison pour laquelle les modifications apportées au cabotage ne sont pas à la hauteur des objectifs de l'AECG, c'est parce qu'elles n'accordent pas seulement un accès, elles accordent un accès préférentiel aux exploitants de l'UE comparativement aux navires battant pavillon canadien. C'est parce que, au sein de l'UE, on peut enregistrer son navire dans un registre second, et les navires peuvent alors battre pavillon de complaisance pour un État-nation à l'extérieur de l'UE et ce bâtiment peut être doté de marins étrangers de pays autres que ceux faisant partie de l'UE. L'avantage, ici, pour les propriétaires de navire de l'UE, c'est que ces marins qui ne viennent pas de l'UE ne sont pas visés par les négociations collectives au sein de l'UE. Par conséquent, ils peuvent réunir un équipage de Philippins pour 1 000 $ par jour, essentiellement, comparativement à de 25 000 à 30 000 $ par jour — facilement, pour un équipage au Canada.

C'est un peu pour ces raisons que ce n'est pas approprié. À la base, ce n'est pas une question de juste compétition ou de libre-échange. Le problème, c'est qu'on donne à un groupe très précis un accès préférentiel à notre marché. On leur permet d'accroître leur rentabilité aux dépens des fournisseurs de services canadiens.

Si vous me permettez un dernier commentaire : il a été dit qu'aucune entreprise canadienne n'offre ce service actuellement, qu'il n'y aura pas de préjudice, pas de mal. Cependant, ce n'est pas vrai. Il y a des entreprises canadiennes organisées pour offrir ce service. Transports Canada a investi des dizaines de milliers de dollars dans des études approfondies sur le transport maritime à courte distance entre les Grands Lacs et Montréal, Halifax et d'autres régions. C'est un marché en croissance. On parle ici de marchés de cabotage haut de gamme, à valeur élevée, et on les donne sans rien demander en retour. Un des sénateurs a dit...

Le vice-président : Je suis désolé, je dois vous interrompre parce que nous manquons de temps.

Madame la sénatrice Cordy, avez-vous d'autres questions? Le sénateur Woo et le sénateur Pratte veulent poser des questions. Je vais leur demander de poser leurs questions, et nous demanderons aux témoins de bien vouloir répondre par écrit et d'envoyer le tout à la greffière, qui distribuera les réponses à tout le monde.

Le sénateur Woo : Je tenterai d'être bref. Ma question est destinée principalement à la Fédération maritime et au port de Sydney et concerne votre demande au sujet de la modification de l'AECG, essentiellement, si j'ai bien compris, en augmentant davantage la libéralisation unilatérale — parce que, du point de vue des négociations, ce sont des concessions que nous donnerions sans même demander quoi que ce soit aux Européens — dans le cas des ports, en ajoutant Sydney à la liste des ports désignés. Dans le cas de la Fédération maritime, vous demandez l'inclusion d'autres entités pouvant participer aux activités de repositionnement des conteneurs et ainsi de suite.

J'essaie simplement de comprendre : si on décidait qu'il s'agissait là d'une bonne chose, de quelle façon pourrait-on le faire? C'est vraiment un débat interne au Canada. Il ne serait pas nécessaire de rouvrir les négociations avec l'UE — c'est mon hypothèse —, mais il y aurait évidemment une certaine opposition, peut-être des représentants des compagnies de chemin de fer, qui ne seraient pas très heureux — je ne sais pas, vous aurez peut-être quelque chose à dire à ce sujet — et peut-être de certains propriétaires de navire et ainsi de suite.

Essentiellement, ma question concerne la faisabilité d'accroître la localisation unilatérale relativement à l'AECG, qui n'aurait pas d'impact sur les autres parties aux négociations, mais ferait l'objet d'une certaine ratification au pays. Pourrait-on le faire? De quelle façon faudrait-il procéder?

Le sénateur Pratte : Pouvez-vous s'il vous plaît, par l'intermédiaire de la greffière, confirmer l'impression que j'avais jusqu'à ce matin selon laquelle toutes les lois canadiennes — sur le travail, l'environnement et la sécurité — s'appliqueront aux navires européens et étrangers qui se trouvent en eaux canadiennes?

Le président : Merci, sénateur Pratte. Je remercie les sénateurs Woo et Pratte de leur compréhension. Nous avons hâte d'obtenir les réponses de chacun d'entre vous ou vos réponses collectives. Veuillez les envoyer à la greffière.

Au nom du comité, je vous remercie beaucoup de nous avoir consacré du temps aujourd'hui, de nous avoir présenté vos exposés et de l'intérêt que vous accordez à ces questions. Nous avons été très impressionnés par ce que nous avons entendu. Nous vous remercions beaucoup d'être venus.

Durant la deuxième partie de notre réunion, nous poursuivons notre examen du projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres et comportant d'autres mesures.

Nous accueillons Mathew Wilson, vice-président principal, des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, et Rebecca Lee, directrice générale, et M. Ken Forth, président du Comité du commerce et du marketing du Conseil canadien de l'horticulture.

Merci d'être parmi nous aujourd'hui. Je vais demander à M. Wilson de présenter sa déclaration en premier.

Mathew Wilson, vice-président principal, Manufacturiers et Exportateurs du Canada : Bonjour monsieur le président et bonjour aux honorables sénateurs. Je suis heureux d'être ici au nom des 90 000 manufacturiers et exportateurs du Canada et des 2 500 membres directs de notre association pour discuter de la Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et la soutenir pleinement.

Les MEC sont la plus importante association industrielle et professionnelle du Canada. L'organisation a des bureaux dans chaque province. Nous sommes membres de la Coalition des manufacturiers du Canada, qui représente 55 associations manufacturières sectorielles. Plus de 85 p. 100 de nos membres sont des petites et moyennes entreprises, qui représentent tous les secteurs industriels, tous les secteurs liés aux exportations et toutes les régions du pays.

Le secteur manufacturier est le premier secteur en importance au Canada. Ses ventes ont dépassé les 600 milliards de dollars en 2016, pour la troisième année consécutive, et il compte directement pour 11 p. 100 des activités économiques totales du pays. Les manufacturiers emploient plus de 1,7 million de Canadiens dans des postes très productifs, à valeur ajoutée et bien rémunérés.

Les manufacturiers sont aussi directement responsables de la majeure partie des exportations du Canada. En 2015 et 2016, les exportations de biens manufacturiers ont atteint près de 350 milliards de dollars, un record de tous les temps, et représentaient près de 70 p. 100 des exportations canadiennes à ce moment-là. Ces exportations créent et soutiennent des millions d'emplois directs et indirects et sont essentiels à la création de richesses nécessaires pour maintenir le niveau de vie de chaque Canadien.

La raison pour laquelle les exportations et le commerce international de façon générale sont aussi importants, c'est parce que le marché national du Canada est tout simplement trop petit. En fait, plus de la moitié de la production industrielle du Canada est directement exportée, dans le cadre des chaînes d'approvisionnement mondiales ou du système de fabrication intégré ou sous forme de biens de consommation finis dans presque toutes les catégories de produits imaginables.

En 2016, les MEC ont entrepris la tâche ambitieuse de consulter les intervenants de l'industrie du pays relativement à un plan d'action pour doubler la production manufacturière et les exportations à valeur ajoutée d'ici 2030. Cette initiative, Industrie 2030, a permis d'interagir avec près de 1 250 cadres d'entreprise d'un bout à l'autre du pays pour leur demander leur opinion et leur demander conseil sur la façon dont nous pouvions aider à soutenir la croissance de leurs entreprises. Même si les rapports et les recommandations découlant de cet exercice abordent un large éventail d'enjeux, y compris les compétences, l'adoption des technologies et le climat d'investissement, un pilier important concerne directement la croissance des exportations et le fait d'aider les entreprises à trouver de nouveaux consommateurs dans le marché national et les marchés étrangers.

Du point de vue de la croissance des ventes à l'exportation, le marché américain reste une priorité pour la plupart des intervenants de l'industrie au Canada. Cependant, une part de plus en plus importante de nos membres veulent tirer profit des occasions nouvelles et émergentes au-delà de l'ALENA, surtout dans les pays représentés par l'UE. En fait, le marché de l'UE a été classé au deuxième rang des marchés les plus prometteurs pour la croissance selon les 550 entreprises qui ont répondu à notre sondage en ligne, 24 p. 100 des répondants affirmant qu'il s'agissait d'un marché de croissance clé. L'UE arrive donc devant le Mexique, à 19 p. 100, et la Chine, à 18 p. 100, en ce qui a trait au potentiel de croissance des ventes à l'exportation.

De plus, dans le cadre de notre étude, nous avons demandé directement aux répondants s'ils soutenaient l'AECG et les autres accords de libre-échange, et 34 p. 100 d'entre eux ont dit croire que l'accord allait avoir un impact positif sur leur entreprise, seulement 3 p. 100 indiquant qu'il aurait un impact négatif.

La raison pour laquelle le niveau de soutien pour l'AECG est si élevé, et la raison pour laquelle les MEC appuient l'AECG depuis les premières étapes, c'est que nous croyons que l'accord a été conclu entre des partenaires égaux. Les MEC ont toujours dit qu'aucun accord commercial ne vaut la peine d'être signé sauf s'il respecte trois objectifs simples : il crée des règles du jeu équitables pour les fabricants et les exportateurs canadiens, il permet des exportations à valeur ajoutée du Canada et pas seulement des exportations de ressources naturelles et il ne mine pas les chaînes d'approvisionnement manufacturières intégrées actuelles découlant des accords de libre-échange précédents, surtout l'ALENA.

C'est cette approche fondée sur des principes en matière d'accords commerciaux que nous continuons à soutenir, et nous croyons que l'AECG est un accord qui respecte l'approche. Nous croyons aussi que la structure de l'entente est un modèle pour les accords commerciaux futurs, y compris la possible renégociation de l'ALENA, puisque l'AECG tient compte de nombreux enjeux bien réels liés au commerce, comme les obstacles non tarifaires auxquels les fabricants sont confrontés, dont les normes et la réglementation et l'approvisionnement gouvernemental, pour ne nommer que ceux-là.

Cependant, la mise en œuvre de l'AECG n'est qu'un aspect du travail qu'il faut accomplir. Il faut aussi préparer les entreprises canadiennes à tirer profit de l'entente. Pour être direct, le Canada a de piètres antécédents en matière de mise en œuvre réussie des accords de libre-échange. À part l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, très peu d'accords ont entraîné des augmentations à long terme des exportations canadiennes. Honnêtement, il y a peu de raisons de signer des accords si les entreprises canadiennes n'en tirent pas profit pour assurer leur croissance.

Même lorsque nous avons demandé aux répondants s'ils soutenaient l'AECG, 31 p. 100 d'entre eux ont dit ne pas en savoir assez au sujet de l'entente pour dire s'il allait être bénéfique pour eux, soit environ le même pourcentage de répondants qui avaient déclaré y être favorables, et ce, malgré des années de couverture médiatique, de webinaires, de séminaires et d'ateliers sans fin. Je ne pointe pas le gouvernement du doigt, mais je recommande directement d'augmenter le soutien des exportateurs du Canada, de créer des partenariats avec le secteur privé pour mettre en place des mesures proactives et coordonnées de façon à soutenir les exportateurs.

Pour commencer, nous devons faire un meilleur travail de sensibilisation des entreprises canadiennes sur le potentiel à l'étranger et les services auxquels elles ont accès. Malgré notre réussite et notre haut niveau d'exportations, très peu d'entreprises canadiennes se tournent vers les marchés internationaux. Nous devons mettre en place des programmes pour sensibiliser les entreprises aux nouveaux débouchés et accroître la capacité interne et l'expertise en matière de commerce international.

Un programme d'accélérateur intensif dans le secteur des exportations, similaire à ce qui est offert dans d'autres marchés, serait un bon départ à cet égard. Des missions commerciales accrues à l'étranger qui créent des liens entre des entreprises et des acheteurs étrangers doivent être soutenues grâce à de meilleurs modèles de financement de façon à soutenir la participation des PME. Les exportateurs ont aussi besoin de meilleurs renseignements sur les marchés étrangers et de meilleures connexions avec des partenaires d'affaires à l'échelle internationale qu'un meilleur Service des délégués commerciaux pourrait permettre de fournir. On pourrait aussi offrir un soutien supplémentaire pour des initiatives du secteur privé, comme le Réseau Entreprises Canada, un service qui crée des liens entre des entreprises canadiennes et européennes grâce à un réseau mondial, le réseau Entreprise Europe.

Les MEC croient que, avec le bon réseau de soutien en place relativement à l'AECG et à d'autres marchés, le Canada peut doubler sa production manufacturière en exportations à valeur ajoutée d'ici 2030, l'objectif ultime de notre initiative 2030, qui est conforme à l'objectif déclaré du gouvernement, soit une augmentation de 30 p. 100 des exportations d'ici 2025.

En conclusion, je tiens encore une fois à vous remercier d'avoir accueilli les MEC, ici, aujourd'hui; cela nous a permis d'exprimer notre soutien à l'égard de la mise en œuvre de l'AECG. Nous saluons le leadership du gouvernement qui aide les fabricants et les exportateurs canadiens à assurer la croissance de leurs entreprises dans les marchés internationaux grâce à des accords comme l'AECG. Cependant, nous devons nous assurer d'avoir la bonne structure d'investissement en place et les bons mécanismes de soutien pour aider les manufacturiers canadiens à tirer profit de ces nouveaux débouchés. Encore merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Rebecca Lee, directrice générale, Conseil canadien de l'horticulture : Merci de l'occasion que vous nous offrez de comparaître aujourd'hui. Le Conseil canadien de l'horticulture représente les producteurs de fruits et légumes frais du Canada, et ce, depuis près de 100 ans. La compétitivité est une grande priorité, et nous avons donc hâte de voir les nombres accrus d'occasions qui découleront de la mise en œuvre de l'AECG.

Nous reconnaissons qu'il est important de conclure un accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne afin de supprimer les tarifs douaniers. Toutefois, nous devons nous assurer d'abattre les obstacles techniques pour nos produits du même coup. Il y a actuellement trois obstacles techniques extrêmement importants sur lesquels nous voulons insister.

Premièrement, le Canada et l'Union européenne divergent quant aux limites maximales acceptables de résidus, et ce, pour un grand nombre de produits. Par exemple, la Nouvelle-Écosse a cessé d'exporter ses pommes vers l'UE depuis que celle-ci a abaissé sa limite maximale de résidus pour la diphénylamine — un produit couramment utilisé dans le traitement des pommes entreposées — à 0,01 partie par million. Au Canada, la limite maximale de résidus pour ce produit est de 5 parties par million.

Le problème ne se limite pas aux pommes. Il y a quelques données dans la note de bas de page, si vous voulez d'autres exemples. La plupart du temps, on utilise une quantité par défaut. Lorsque les limites maximales de résidus ne sont pas les mêmes, les producteurs sont réticents à explorer de nouveaux marchés parce que le risque est souvent trop élevé. Les récoltes d'un producteur qui sont en parfaite conformité avec les limites canadiennes pourraient être rejetées par le pays importateur parce qu'elles ne respectent pas les limites dans ce pays.

Le deuxième grand obstacle non tarifaire au commerce avec l'Union européenne est le fait qu'un pays peut simplement refuser d'importer des marchandises parce qu'un produit est homologué pour utilisation au Canada. Par exemple, la France a interdit l'importation de cerises en provenance de tout pays ayant homologué le diméthoate, un insecticide. L'interdiction ne s'applique pas uniquement aux produits qui dépassent la limite maximale de résidus, même lorsque celle-ci est de zéro. C'est une interdiction générale. En d'autres mots, un producteur de cerises qui n'utilise même pas le diméthoate ne pourra pas exporter ses cerises vers la France simplement parce que ce produit est homologué pour utilisation au Canada.

Le troisième et dernier obstacle non tarifaire dont je veux parler concerne le fait que l'Union européenne a une approche fondamentalement différente de la nôtre relativement aux décisions réglementaires. L'Union européenne prend ses décisions en fonction de la simple existence d'un danger, alors que le Canada examine les cas d'utilisation concrète dans le but d'atténuer le risque tout en permettant d'utiliser le produit.

L'approche de l'Union européenne revient à bannir l'électricité parce que son utilisation comprend un risque d'électrocution. Nous savons tous que le risque d'électrocution est minime, pourvu que les mesures de sécurité appropriées soient en place.

Nous ne voulons pas que de simples pressions politiques nous fassent perdre des produits qui ont été approuvés par des scientifiques et des organismes de réglementation canadiens. Pendant la mise en œuvre de l'AECG, nous devons veiller à ce que des mesures d'atténuation fondées sur des données scientifiques soient prises en considération dans l'homologation des produits phytosanitaires.

En conclusion, même si l'AECG ouvrira de nouveaux marchés, notre secteur est préoccupé par le manque d'harmonisation entre les limites maximales de résidus, par le refus catégorique de marchandises si le Canada a homologué un produit phytosanitaire pour la marchandise en question et par l'approche axée sur le danger plutôt que sur le risque de l'Union européenne au moment de prendre des décisions réglementaires. Ces obstacles techniques au commerce vont gravement limiter la capacité du Canada à tirer parti du plein potentiel des marchés, et ce, malgré l'élimination des tarifs douaniers.

Je vous remercie de votre temps. Je vais maintenant céder la parole à Ken Forth.

Ken Forth, président, Comité du commerce et du marketing, Conseil canadien de l'horticulture : Messieurs, mesdames, le seul point que je veux aborder ici aujourd'hui concerne la ratification de la Convention no 98 de l'OIT par le gouvernement canadien comme exigence de l'AECG.

La Convention no 98 concerne le droit de négociation collective, y compris le droit de grève. Les lois en vigueur sont généralement conformes à la Convention no 98. Même si le Canada s'est doté d'une solide législation en matière de droits du travail afin de protéger les travailleurs, les lois peuvent être adaptées en fonction des circonstances dans différentes régions et dans différents secteurs, entre autres l'agriculture. Les exigences inflexibles de l'OIT en matière de politiques qui sont prévues dans la Convention no 98 sont incompatibles avec l'approche stratégique plus flexible adoptée par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux dans toute une gamme de secteurs, y compris l'agriculture.

Par exemple, jusqu'à maintenant, les gouvernements au Canada ont, dans l'ensemble, pu élaborer des modèles de rechange pour les relations de travail dans les secteurs où le système traditionnel est inadéquat ou inapplicable. L'agriculture est l'un de ces secteurs. La Cour suprême du Canada a elle-même reconnu que, selon la Charte, les gouvernements peuvent instaurer des régimes de relations de travail non traditionnels qui sont compatibles avec les caractéristiques uniques de l'agriculture.

Le Comité de la liberté syndicale de l'OIT, par contre, a conclu que les travailleurs agricoles ont le droit, en vertu de la liberté d'association, de prendre part à une forme traditionnelle de négociation collective, ce qui comprend le droit de grève. Cette décision va directement à l'encontre de celle de la Cour suprême à ce sujet.

Le droit canadien diverge aussi, par exemple, en ce qui concerne les syndicats minoritaires, lesquels ne sont pas reconnus par le droit canadien : au Canada, une majorité de travailleurs doit se prononcer en faveur du syndicat pour qu'il obtienne son accréditation. Il y a aussi l'arbitrage obligatoire, qui va à l'encontre de la Convention no 98, mais qui est exigé par le droit du travail canadien. On a affirmé que des intervenants — des agriculteurs — ont été consultés par rapport à l'ajout de la Convention no 98. Cependant, ce n'a pas été le cas en Ontario, ni dans le reste du pays.

En conclusion, vous pouvez comprendre, d'après ce que je viens de dire et d'après le mémoire que je vous ai fait parvenir, qu'il y a d'importantes différences fondamentales entre le droit du travail canadien et la Convention no 98. Ces différences pourraient entraîner des conséquences concrètes importantes relativement au droit du travail canadien, surtout que les tribunaux canadiens se fient de plus en plus à l'avis des organismes de contrôle de l'OIT.

Cela soulève une préoccupation toute particulière dans un secteur non traditionnel comme l'agriculture. Les organismes de contrôle de l'OIT pourraient exiger d'appliquer des principes de négociation collective inflexibles et inappropriés qui font fi de la réalité des exploitations agricoles canadiennes et des conclusions de la Cour suprême du Canada à cet égard.

En résumé, cette situation pourrait mettre en péril les agriculteurs et leur famille qui travaillent dans le secteur des fruits et des légumes et dans les autres secteurs de l'agriculture. Merci.

Le vice-président : Merci à tous de nous avoir présenté vos exposés.

Le sénateur Woo : J'ai une question pour Manufacturiers et Exportateurs du Canada. Vous êtes fortement en faveur de l'AECG, et vous avez bien expliqué l'importance de l'accord pour les exportations canadiennes. Un grand nombre de Canadiens qui sont favorables au libre-échange calculent généralement les avantages de n'importe quel accord commercial en fonction du nombre de nouvelles exportations générées. Cependant, j'aimerais que vous nous parliez un peu de l'importance de l'augmentation des importations également, en particulier en ce qui concerne les importations de biens intermédiaires dont vos manufacturiers, vos membres, ont besoin, qui ajoutent de la valeur et qui pourraient, au bout du compte, être exportés vers un troisième pays. Pouvez-vous nous renseigner un peu à propos du rôle essentiel que jouent les importations dans la réussite d'un accord commercial?

M. Wilson : Je ne sais pas si vous avez vraiment besoin que j'en dise davantage : on dirait que vous en savez déjà beaucoup à ce sujet.

Le Canada n'est pas une île. Nous avons des exportations. Pour produire pratiquement n'importe quel bien, nous avons besoin de toutes sortes d'intrants. Il peut s'agir de matières premières pour faire de l'acier, de pièces automobiles ou aérospatiales, d'objets pour l'alimentation ou des machines et d'équipement utilisés dans l'usine. Ces produits sont très importants.

L'Allemagne est un très bon exemple. L'Allemagne est l'un des principaux fournisseurs de technologies de pointe pour le secteur manufacturier. Ces technologies sont en train de révolutionner le secteur manufacturier dans le monde entier.

Ce sera beaucoup plus facile d'importer les machines et l'équipement afin de permettre aux travailleurs de les installer si on abolit les tarifs douaniers. Sans le processus réglementaire en vigueur, ce sera beaucoup plus facile pour les manufacturiers canadiens d'être efficients.

On parle des exportations, de la prospérité croissante uniquement en regardant les exportations. De l'autre côté de la médaille, les intrants sont souvent oubliés.

L'automobile est probablement le produit le plus commercialisé au Canada et dans l'Union européenne actuellement. Ce secteur va probablement récolter certains des plus grands avantages. Une grande partie des affaires commerciales est attribuable uniquement au secteur automobile. Il y a de grands fabricants de pièces automobiles canadiens qui mènent des activités en Europe, et d'importants équipementiers automobiles qui sont exploités là-bas et au Canada. On améliorerait énormément l'efficience globale de la chaîne d'approvisionnement si on pouvait faire circuler des pièces d'une chaîne d'approvisionnement à l'autre dans les deux marchés.

Les exportations sont importantes à toutes les étapes, y compris en ce qui concerne les intrants, parce que tout n'est pas produit nationalement. C'est un excellent point.

Le sénateur Woo : Pouvez-vous nous donner une idée des tarifs douaniers pour les machines et l'équipement en provenance de l'Union européenne? Avez-vous une approximation?

M. Wilson : Je n'en ai aucune idée. Je regrette, mais le problème, c'est que je ne sais pas combien de milliers de lignes tarifaires existent. Je suis désolé. Les organismes responsables dans les différents secteurs, ceux qui s'occupent des machines et de l'équipement manufacturier, le sauraient, mais pas moi. Excusez-moi.

Le vice-président : Monsieur Wilson, dans votre exposé, vous avez abordé nos mauvaises expériences passées avec les accords commerciaux ainsi que la façon dont ils n'ont pas mené à une augmentation des exportations.

Cela fait un moment que cela me préoccupe. Selon les statistiques d'Industrie Canada, malgré le grand nombre d'accords commerciaux que nous avons conclus, notre balance commerciale s'est, dans les faits, détériorée au lieu de s'améliorer.

On dirait que les autres pays se sont préparés à ces accords et ont ciblé certains secteurs particuliers du marché canadien, et ils ont bien réussi. Il faut examiner le marché avant de signer un accord commercial. Par exemple, nous avons récemment signé un accord avec la Corée. En 2015, notre déficit commercial était de 3,1 milliards. L'année dernière, c'était 6,2 milliards. Il y a un tas d'exemples. Le déficit commercial du Mexique était de 2,9 milliards l'année avant qu'il ne signe l'ALENA. L'année dernière, c'était 25 milliards. Un autre exemple : le Costa Rica. Son déficit commercial est passé de 126 millions à 364 l'année dernière. Il y a aussi le Pérou, et plein d'autres. Il y a très peu d'accords commerciaux, comme vous l'avez mentionné, sauf ceux conclus avec les Américains, auxquels nous étions préparés.

Donc, la question que je me pose depuis un certain temps est la suivante : qu'est-ce que le gouvernement canadien néglige de faire et que devrait-il faire afin de préparer nos industries, nos citoyens, en vue de ces accords commerciaux? Par exemple, il y a — c'est drôle — l'annonce d'Exportation et développement Canada à la télévision qui dit : « Votre cravate vient d'Italie. Vos souliers viennent de France. Et vous, pourquoi ne pourriez-vous pas exporter? » Ce n'est pas un plan. Ce sont des niaiseries, une perte de temps. Selon vous, qu'est-ce que le gouvernement néglige de faire, et que devrait-il faire?

M. Wilson : Je suis assez sûr qu'on a déjà eu la même conversation au sein du comité à propos d'un autre accord il y a un an ou environ. Il y a deux ou trois choses que je peux dire à ce sujet.

C'est très décourageant, pour un groupe comme le nôtre — qui soutient le secteur manufacturier, qui veut sa prospérité et davantage d'exportations canadiennes — de voir qu'on signe ces accords de libre-échange qui ne génèrent essentiellement qu'un afflux d'importations et pratiquement aucune exportation. Les importations sont importantes. Nous avons besoin de l'importation pour faire fonctionner nos entreprises au Canada, mais nous n'en tirons pas parti.

Nous devons prendre conscience de deux ou trois choses. Premièrement, il y a le fait que la structure économique du Canada est très différente de celle de l'Allemagne ou de la plupart des pays européens. La structure ici favorise grandement les très petites entreprises. Par petites entreprises, je veux dire les entreprises de moins de 20 employés.

Soixante-dix pour cent des exportations canadiennes proviennent du secteur manufacturier. Il y a 20 p. 100 qui proviennent des produits énergétiques, comme le pétrole, le gaz et d'autres ressources naturelles. Il ne reste pas beaucoup de place pour les autres secteurs. Le problème avec le secteur manufacturier est qu'environ 95 p. 100 des entreprises de ce secteur comptent moins de 20 employés. Ces entreprises ne veulent pas vraiment exporter leurs produits en Europe. Il y a un grand apprentissage à faire. Si vous allez en Allemagne, en France ou en Italie ou dans d'autres pays qui sont mentionnés dans la publicité, vous verrez que les entreprises sont beaucoup plus grandes; elles veulent s'attaquer aux marchés mondiaux dès le début, parce que c'est dans ce genre de marchés qu'elles évoluent.

Nous avons critiqué un peu le gouvernement dans le passé, entre autres parce que — à nouveau, je crois que nous en avons déjà parlé ici — le Canada semble naturellement réticent à choisir les gagnants et les perdants. Si on regarde ce que fait la Corée du Sud, on voit qu'elle a conclu son accord commercial et élaboré sa stratégie commerciale en misant sur deux entreprises : Hyundai et Samsung. Voilà sa stratégie commerciale, conclure des accords de libre-échange qui vont lui permettre d'exporter des produits électroniques et des automobiles.

Et nous, quelle est notre stratégie? Sur quoi voulons-nous miser? Je ne sais pas. Je représente la communauté des exportateurs, le groupe responsable de la plupart des exportations canadiennes. Nous faisons des efforts un peu ici et là ainsi que dans l'ensemble du pays. Je crois que je vous ai déjà dit qu'une meilleure approche serait d'étudier les secteurs qui ont une véritable capacité d'exportation. Commençons par déployer des efforts dans ces secteurs afin de voir si on pourrait les développer. Prenez le secteur automobile. Prenez le secteur aérospatial, l'industrie de l'acier, celle des produits chimiques. Prenez les industries qui fonctionnent déjà bien, et voyons comment on peut les aider à prospérer. Une fois que certains de ces secteurs clés prospèrent, ensuite nous pourrons aider certains des autres secteurs. Mais le fait est qu'un grand nombre de ces secteurs ne sont pas prêts à exporter leurs produits. Ce n'est pas quelque chose que de très petites entreprises peuvent faire. Donc, voilà ce qui est, selon moi, notre principale recommandation : commencer à cibler un peu plus efficacement les entreprises.

J'aimerais aussi dire, en toute honnêteté, que, selon nos membres, EDC réussit bien de ce côté, alors je ne vais pas m'en plaindre. Cependant, une critique courante — et nous pouvons fournir au comité des statistiques sur ce que nos membres ont répondu dans nos sondages à propos d'EDC, de la BDC ou du Service des délégués commerciaux du Canada; nous savons comment les entreprises les utilisent et ce qu'elles en pensent — c'est que la plupart des entreprises ne savent même pas que ces services existent. C'est un problème.

Un autre problème tient au moment où de l'aide est demandée. Le Service des délégués commerciaux du Canada est un bon exemple. Compte tenu de sa mission, ce service est vraiment sous-financé. Il essaie d'aider toutes les entreprises à exporter leurs produits partout dans le monde, et il n'y arrive pas. Il n'y a pas assez d'argent. Nous avons demandé depuis longtemps de lui accorder plus de financement. Si vous voulez qu'on prospère, il faut financer le Service des délégués commerciaux. Aidez-le à cerner les secteurs qui peuvent réussir ainsi que les marchés qu'ils visent. Actuellement, il s'agit d'un service de nature générale parce que c'est tout ce qu'on peut faire avec le financement accordé. Selon moi, on pourrait accomplir beaucoup plus.

Le sénateur Pratte : Ma question s'adresse au Conseil canadien de l'horticulture.

Vous avez mentionné le problème des obstacles techniques qui nuisent au commerce; c'est évidemment un problème très important pour le commerce international. Avec l'AECG, on veut instaurer un cadre afin de tenter de régler ces problèmes. Vous avez soulevé le fait que, même si les tarifs douaniers diminuaient, les obstacles techniques demeureraient, et ce, même s'il y a un cadre pour essayer de les régler. Donc, que recommandez-vous — parce qu'il n'y a aucune recommandation dans votre mémoire — au gouvernement canadien afin que ses activités commerciales soient plus efficientes, afin d'essayer de régler ces obstacles commerciaux?

Mme Lee : Comme vous l'avez dit, il y avait déjà un mécanisme en place, et il faudra probablement déployer beaucoup d'efforts si nous voulons éliminer certaines des différences.

Nous pouvons adopter un certain nombre d'approches pour régler la situation. Nous pouvons prendre des approches multilatérales, des approches axées sur différents pays ensemble ou une approche bilatérale. Ce problème n'est pas unique à l'AECG, c'est l'ensemble des accords de libre-échange qui en souffrent. Nous avons ce genre de problème tout particulièrement avec les LMR.

Un examen conjoint international pourrait se faire de façon parallèle. Lorsqu'un pays examine la matière active d'un pesticide avant même son homologation en même temps qu'il examine les données pour décider si le produit doit être homologué ou non, un autre pays pourrait aussi examiner les données, et les deux pourraient fixer leurs LMR en même temps. Lorsqu'on sait à l'avance qu'il pourrait y avoir un problème, les deux pays pourraient tenter de régler le problème avant même l'homologation du produit. Ce serait une façon d'harmoniser les choses à l'avance pour ce genre de produits.

Pour l'élaboration et l'application de normes internationales, il y a le Codex Alimentarius et la liste des LMR du Codex, qui sont acceptés par toute l'OMC. Ce pourrait être un mécanisme. On devrait y avoir recours plus souvent. Un certain nombre de pays l'ont déjà accepté, même si cela n'a pas nécessairement été mis en œuvre et appliqué. S'appuyer sur des normes internationales est une façon très pratique et très efficiente de faire les choses.

Enfin, en ce qui concerne les accords bilatéraux — entre le Canada et l'UE — différentes approches sont possibles. Par exemple, si le pays importateur n'a pas fixé de LMR, il pourrait y avoir des dispositions qui permettent au pays importateur d'accepter ou d'utiliser la LMR du Codex entre-temps. Il pourrait y avoir des processus à court terme qui utilisent les données du pays partenaire pour la LMR lorsqu'il n'y en a pas d'établie. On pourrait avoir une approche commerciale provisoire jusqu'à ce que la LMR pour l'importation vers le pays en question soit établie. Il y a toutes sortes d'approches différentes qu'on pourrait utiliser pour renforcer l'efficience, promouvoir le commerce et permettre de contourner les obstacles jusqu'à ce qu'un plan à long terme soit mis en œuvre.

Le sénateur Pratte : J'ai une autre question pour M. Forth. C'est une question similaire à propos de la Convention no 98 de l'OIT : vous déplorez le fait que le Canada a accepté de signer la Convention, mais vous ne proposez pas de solution. Puisque cela fait partie de l'accord, c'est un fait accompli.

M. Forth : J'avais l'impression qu'on examinait encore la ratification de la Convention no 98.

Le sénateur Pratte : Vous en savez peut-être davantage que moi à ce sujet.

M. Forth : C'est ce que disent nos avocats. Vous devriez en savoir plus que moi là-dessus.

Le sénateur Pratte : Pas nécessairement.

M. Forth : Ça change considérablement les choses, parce que le Canada est une fédération de provinces. D'un grand nombre de façons, ce n'est pas un pays uni.

Beaucoup de lois sont provinciales, et ces lois ont été élaborées en fonction de certains secteurs et de certaines régions des provinces. Cela risque de disparaître en grande partie, et je ne sais pas ce que le secteur de l'agriculture va faire rendu là.

Le droit de grève peut sembler acceptable si vous êtes M. Entreprise Automobile. M. Entreprise Automobile ne vit pas dans son entreprise automobile, mais nous, si. Tout est au même endroit : l'entreprise, la maison et la famille. Le droit de grève pourrait avoir des conséquences désastreuses. J'ai dû traverser des piquets de grève pour entrer dans des immeubles alors que les employés étaient en grève, mais pas nous.

Pouvez-vous imaginer votre petit-fils de quatre ans qui doit franchir un piquet de grève devant votre ferme pour aller prendre l'autobus? Il y aura même peut-être un tas de gens qui sont venus avec d'autres personnes et qui ne sont même pas des travailleurs. Ce genre de choses nous fait vraiment peur.

Pour répondre à votre question, je dirais qu'il faut donner aux provinces une certaine marge de manœuvre en ce qui concerne le droit du travail si on veut protéger les travailleurs et les entreprises. Voilà ma réponse.

La sénatrice Bovey : Merci de nous avoir présenté vos exposés. J'avais une première question que je voulais poser, mais on y a déjà assez bien répondu. Madame Lee, j'ai été très intéressée par votre exposé. Merci. J'allais demander ce qu'on pourrait faire pour harmoniser les limites de résidus, mais vous avez répondu à cette question jusqu'à un certain point. Je ne sais pas si vous vouliez ajouter quoi que ce soit.

Plus loin, vous avez mentionné — comme troisième point — les décisions réglementaires qui sont axées sur les dangers et qui ne prévoient aucune zone grise. Vous avez mentionné que la mise en œuvre de l'AECG doit prévoir des approches d'atténuation du risque axées sur des données probantes pour l'homologation de produits phytosanitaires. Que recommandez-vous par rapport à cela?

Mme Lee : Vous devez vous fier aux scientifiques. Nous avons des organisations au Canada, comme l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, ou l'ARLA, qui a effectué des recherches très fiables. Il faut que les entreprises qui veulent homologuer leurs produits lui fournissent les bonnes données, qu'elle fasse le suivi des recherches qui ont été faites jusqu'ici et qu'elle étudie la question sous tous les angles avec des données scientifiques probantes. Ainsi, l'information et la décision prise en conséquence devraient pouvoir être utilisées pour établir les LMR, ou même pour savoir si un produit doit être homologué en premier lieu. C'est ce genre de processus qui est utilisé pour établir l'innocuité alimentaire; il faut que les consommateurs soient convaincus que ce qu'ils mangent est sans danger. Cela va sans dire, les agriculteurs veulent savoir s'ils utilisent un produit qui va avoir un effet néfaste non seulement sur leur santé, mais également sur la santé des gens qui vont acheter leurs produits. Ce sont les premiers à vouloir que les choses soient faites de la bonne façon.

Nous sommes préoccupés principalement par deux choses : d'abord, avec les médias sociaux d'aujourd'hui — les gens obtiennent une bonne part de leurs renseignements de cette façon —, les politiques adoptées sont susceptibles d'être influencées par les préoccupations des consommateurs, même si elles ne sont pas soutenues par des données scientifiques. C'est une chose de vouloir écouter ses électeurs, mais il faut aussi peut-être leur faire comprendre que les décisions doivent être fondées sur des données scientifiques.

Ce que je veux souligner, c'est l'approche différente de l'UE : elle accepte ou refuse catégoriquement les produits. « S'il y a un risque, on ne va même pas songer à utiliser le produit. » C'est ce genre de chose qu'on aimerait négocier. Sur le plan technique, on ne peut pas justifier ainsi de refuser un produit chimique ou tout autre produit. Si la décision est fondée sur des données scientifiques et que les scientifiques communiquent entre eux, alors on peut en venir à un accord.

La sénatrice Bovey : Selon vous, y a-t-il assez de scientifiques qui travaillent dans ce domaine, et les scientifiques ont- ils les moyens de faire connaître les résultats de leurs recherches à tout le secteur? J'aimerais aussi savoir comment on pourrait y arriver. J'ai une foi inébranlable dans la recherche scientifique — ou dans toutes sortes de recherches —, mais comment pouvons-nous faire en sorte que les résultats de la recherche soient connus du grand public?

Mme Lee : C'est une très bonne question. Nous avons un arriéré pour ces produits ici au Canada. Non seulement pour les nouveaux produits qu'on veut mettre sur le marché afin de remplacer les produits existants, mais également pour les produits qui doivent être réévalués pour que l'on puisse voir si on va les garder sur le marché. Il y a un arriéré très important pour ces produits, et cela complique la tâche.

Si l'ARLA, par exemple, ou les organisations qui appuient ses recherches, avaient des moyens financiers plus importants, on pourrait probablement procéder plus rapidement. Je serais d'accord avec cela.

La sénatrice Eaton : Pour faire suite à la question de la sénatrice Bovey à propos de la science, je veux dire que les scientifiques n'ont pas eu l'esprit très ouvert à propos du canola ou des OGM, n'est-ce pas? Ou est-ce que la situation a changé?

Mme Lee : D'après ce que j'en sais, ils ne sont pas très ouverts à ces produits.

La sénatrice Eaton : C'est vrai, c'est un combat que nous menons depuis de très nombreuses années.

Dans votre exposé, vous avez parlé de la France, qui a interdit les cerises importées en provenance de n'importe quel pays qui a homologué l'insecticide diméthoate. N'est-ce pas seulement une décision stratégique afin de protéger ses propres agriculteurs, les fruiticulteurs?

Mme Lee : C'est possible que ce soit un obstacle commercial déguisé, effectivement. Cela s'applique à tous les pays qui utilisent le diméthoate, peu importe le produit.

La sénatrice Eaton : Le produit utilisé sur les récoltes voisines pourrait se répandre sur les cerises, c'est ça?

Mme Lee : Non, cela repose entièrement sur le pays. Si le Canada a homologué le diméthoate, cela ne fait pas de différence si c'est pour les cerises, les pommes, les pois ou les patates. L'important, c'est que le produit est homologué.

La sénatrice Eaton : Pour pouvoir être conforme, il faudrait donc qu'on retire son homologation à ce pesticide?

Mme Lee : On pourrait croire que ce serait une solution, mais cela ne justifie pas le rejet du produit sur le plan technique.

La sénatrice Eaton : Puisque le produit est homologué ici, est-ce que la France va rejeter les cerises qu'on lui envoie?

Mme Lee : Actuellement, jusqu'à ce que la situation soit réglée, nos producteurs de cerises ne vont même pas essayer de les exporter là-bas. C'est trop risqué.

La sénatrice Eaton : Savez-vous combien de produits horticoles seront touchés?

Mme Lee : J'ai donné l'exemple des cerises, mais je peux me renseigner.

La sénatrice Eaton : Savez-vous combien de personnes au Canada ne pourront plus exporter leurs produits?

Mme Lee : Toutes les récoltes pour lesquelles l'utilisation du diméthoate est homologuée pourraient être visées. Je pourrais vérifier l'étiquette du produit et vous fournir l'information. L'étiquette du diméthoate va indiquer pour quelles récoltes il est homologué. En théorie, si la France refuse tous les produits pour lesquels on utilise le diméthoate, alors tous les produits qui sont indiqués sur l'étiquette sont concernés.

La sénatrice Eaton : Avons-nous des obstacles non tarifaires ici au pays, peu importe lesquelles, contre l'importation de certains produits?

M. Forth : C'est une bonne question.

Mme Lee : Il n'y en a qu'une seule qui me vient à l'esprit, et c'est d'ailleurs l'exemple des bleuets dans la note de bas de page : si les LMR étaient différentes, alors ce pourrait être un obstacle non tarifaire. J'espère que l'ARLA, l'organisation qui fixe les LMR, justifie sa décision à l'aide de données scientifiques, mais c'est quelque chose qui mérite d'être examiné.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le sénateur Marwah : Monsieur Wilson, je tiens à vous remercier. Dans votre mémoire, vous avez discuté avec éloquence d'un sujet depuis longtemps abordé, mais qui n'a jamais été si bien expliqué : je veux parler de la façon dont nous, en tant que nation, ne tirons pas pleinement parti, loin de là, des accords de libre-échange.

Selon moi, le rôle des gouvernements est de négocier des accords commerciaux, d'instaurer un cadre de travail, d'établir la réglementation et de fournir l'impulsion. Ensuite, il revient au secteur manufacturier et à l'industrie de tirer parti de tout cela et d'exporter et d'importer les produits. Pourquoi est-ce que rien ne se passe? Je ne crois pas que la faute revient au gouvernement. Les Canadiens ont-ils seulement peur de prendre des risques? Pourquoi est-ce que rien ne se passe?

M. Wilson : J'ai parlé de l'initiative Industrie 2030 qui est mise en œuvre d'un bout à l'autre du pays. Grâce à cette initiative, j'ai pu parler à environ 1 000 dirigeants d'entreprise. Ce problème que nous avons avec la prise de risque et l'entrepreneuriat m'est apparu très clairement. Notre pays invente beaucoup de choses géniales, et cela ne date pas d'hier, mais nous peinons à en tirer parti. Nous laissons d'autres personnes profiter de nos inventions. Le gouverneur général a écrit un livre à propos de 150 grandes inventions canadiennes, ou un titre du genre. Si vous fouillez un peu plus loin, vous réalisez que, souvent, ce sont d'autres personnes qui commercialisent et mondialisent nos inventions. Je crois que c'est un problème plus profond qu'on ne peut pas résoudre simplement en discutant de ce qu'on ne fait pas.

Cela me ramène aux types d'entreprises que nous avons au Canada. Nous avons des très petites entreprises qui ont beaucoup de difficulté à se tailler une place sur la scène internationale et à l'étranger. La plupart des entreprises restreignent leurs activités commerciales à leur province ou à leur ville. Souvent, l'entreprise a été montée pour répondre à un besoin local émanant de quelqu'un d'autre ou peut-être même de l'entreprise elle-même. Un problème à régler est défini, puis une entreprise et un produit sont conçus pour régler le problème. On ne songe pas vraiment aux différentes façons dont on pourrait pousser les choses plus loin. Je ne sais pas pourquoi. Une partie du problème tient peut-être à la façon dont les gens ont été élevés. On ne parle pas beaucoup de l'importance de la commercialisation ou de la mondialisation à l'école. Peut-être pourrons-nous prendre un autre virage culturel pour les prochaines générations, mais actuellement, dans l'ensemble, les entreprises ne veulent pas prendre de risque.

Je suis d'accord avec vous sur le fait que le rôle du gouvernement est de mettre en place les conditions nécessaires à la réussite, et que le rôle des entreprises est d'en tirer parti, que ce soient des entreprises dans le secteur de l'horticulture, le secteur manufacturier, celui des services ou dans tout autre secteur. Toutefois, il y a certaines choses que le gouvernement pourrait améliorer dans les mesures qu'il prend pour aider. Une partie de la réponse passe par la formation et l'éducation dont nous venons un peu de parler. Il faut aussi aider les entreprises à saisir les occasions favorables. Dans certains cas, cela suppose, en quelque sorte, de guider un peu les entreprises au début du processus. C'est pourquoi certains des programmes que le gouvernement a mis en œuvre au cours des dernières années — par exemple, il y a le programme de croissance accélérée d'Industrie Canada, ou ISDE comme on l'appelle aujourd'hui, et d'Affaires mondiales Canada — ont pu cibler une centaine — et je crois qu'on veut aller jusqu'à un millier — d'entreprises qui convenaient à ce qu'on voulait. Je crois que ce genre d'efforts pourrait donner de très bons résultats pour ce qui est d'améliorer les chiffres dont nous avons parlé plus tôt. Nous devons créer une culture plus forte relativement à l'entrepreneuriat et encourager les entreprises à comprendre qu'elles peuvent réussir sur la scène mondiale. Ce n'est pas facile, et ce n'est pas, comme vous l'avez mentionné, uniquement la responsabilité du gouvernement. Le secteur privé doit également faire un effort. Mais ce n'est pas une tâche facile, c'est certain.

Le sénateur Woo : Madame Lee, à propos des obstacles techniques au commerce dans l'UE, je me demandais si l'établissement du nouveau mécanisme de règlement des différends — cette idée de tribunal permanent qui n'a pas encore été définie — pourrait être, selon vous, une solution pour régler les problèmes relatifs aux obstacles techniques au commerce.

Je veux savoir, essentiellement, si vous croyez que certains de ces obstacles non tarifaires reposent sur un problème d'interprétation, un problème qui pourrait être réglé par un tribunal, comme cela s'est vu dans le passé. Beaucoup de tribunaux de l'OMC ont tranché en notre faveur lorsqu'il était question d'obstacles techniques au commerce ou à des problèmes liés aux produits phytosanitaires. Croyez-vous que l'institution d'un groupe spécial de règlement des différends canado-européen nous permettrait d'abattre certains de ces obstacles non tarifaires?

J'ai aussi une autre question à poser à Manufacturiers et Exportateurs du Canada.

Mme Lee : J'espère que le processus de règlement des différends va pouvoir être utilisé, et qu'on va utiliser — ou soutenir l'utilisation — des outils existants afin de régler de façon efficiente les problèmes. Cela va prendre du temps. Même si les obstacles tarifaires vont être levés immédiatement, cela ne profitera pas à l'industrie. Ce sera peut-être utile, ou pas. Tout dépend du temps que cela prend pour régler ces problèmes.

Le sénateur Woo : Merci.

J'aimerais poser une question complémentaire sur les importations, les déficits, et cetera. Monsieur Wilson, vous avez déjà témoigné devant le comité et vous avez dit à nouveau aujourd'hui que très peu d'accords commerciaux ont entraîné une augmentation des exportations. Tout comme vous et le président, je suis préoccupé par le fait que les entreprises canadiennes n'ont pas la compétitivité ou l'esprit d'entrepreneuriat suffisant pour se tailler une place sur marchés internationaux.

Pouvez-vous rétablir la vérité en ce qui concerne le rendement des exportations canadiennes vers la Corée — avec qui nous avons conclu notre plus récent accord de libre-échange —, jusqu'à aujourd'hui? Bien sûr, je veux dire jusqu'en 2016, la dernière année pour laquelle nous avons des données. Comment ont évolué les exportations entre le Canada et la Corée, depuis 2012 jusqu'en 2016?

M. Wilson : Je suis content que vous me parliez de la Corée, parce que je m'y suis justement intéressé pendant que j'écrivais mon mémoire, et j'avais quelques commentaires sur la réussite de l'accord. J'ai bien étudié ce sujet-là.

Nos exportations ont augmenté un peu, mais pas celles des produits souhaités. Nos exportations de charbon ont beaucoup augmenté. C'est de là que vient la plus forte hausse des exportations. Si on prend les choses dans l'ensemble — et, franchement, c'est un problème avec la plupart des accords commerciaux —, il semble que l'augmentation a surtout touché les ressources naturelles. Vous n'avez pas besoin d'un accord de libre-échange pour exporter des ressources naturelles. La Corée du Sud n'en a pas beaucoup, et elle a besoin des nôtres de toute façon. Si nous signons un accord de libre-échange pour exporter des ressources naturelles, nous devrions repenser pourquoi nous signons des accords de libre-échange : ce que je veux dire, c'est : est-ce la bonne raison?

J'ai consulté les principales catégories de produits — les 25 premières — que nous exportons en Corée ainsi que les changements qui sont survenus durant la période de deux ans entre 2014 et 2016, ou de deux ans et deux mois ou peu importe combien de temps s'est écoulé depuis la mise en œuvre. Toutes les catégories de ressources naturelles ont augmenté, ce qui est bien, mais il n'y a pratiquement aucune catégorie parmi les 25 premières qui sont des produits à valeur ajoutée. Les exportations de produits à valeur ajoutée, ceux du secteur manufacturier, sont stables ou en baisse dans la plupart des cas. Il y en a deux ou trois qui ont légèrement augmenté. Dans l'ensemble, il y a peut-être eu une augmentation de 300 millions de dollars en deux ans, ce qui n'est pas mauvais, mais le charbon compte pour 150 ou 200 millions de dollars de ce chiffre. Ce n'est qu'un seul produit, et ce n'est pas un bon rendement dans l'ensemble.

Le sénateur Woo : L'augmentation a été de 25 p. 100 entre 2013 et 2016. Je crois que les gens dans le secteur des ressources naturelles auraient une autre opinion des avantages d'un accord de libre-échange qui augmente les exportations de ressources naturelles, dans la mesure où la Corée avait des tarifs punitifs qu'elle imposait aux produits agricoles canadiens, en particulier sur le porc, ce qui faisait en sorte que les exportateurs de porc canadien et d'autres produits agricoles étaient désavantagés par rapport à l'Australie et à d'autres pays qui avaient déjà un accord de libre- échange avec la Corée.

M. Wilson : Je veux être clair, quand je parle de ressources naturelles, je ne parle pas du porc ni de produits agricoles. Je veux parler des minéraux et des ressources naturelles primaires.

Le sénateur Woo : Cela fait beaucoup de produits.

M. Wilson : Oui, c'est vrai.

Le sénateur Woo : Par rapport à l'augmentation des importations en provenance de la Corée, savez-vous quelle partie est attribuable aux importations intermédiaires, aux machines et à l'équipement?

M. Wilson : Malheureusement, je n'ai pas les chiffres à portée de main. Je ne veux pas spéculer sur l'augmentation exacte. Je crois que le rapport que vous avez est peut-être juste.

Le sénateur Woo : C'est plus de 50 p. 100. Ces intrants vont au secteur manufacturier et aident votre industrie.

M. Wilson : Oui, absolument.

Le sénateur Pratte : J'ai une autre question complémentaire pour M. Wilson. Étant donné que la plupart de vos membres sont des PME, pouvez-vous nous donner des exemples concrets de secteurs — laissons de côté les obstacles techniques au commerce pour un moment — pour lesquels les tarifs réduits prévus dans l'AECG seraient particulièrement utiles?

M. Wilson : J'ai entendu l'avis de toute une gamme d'entreprises. Un bon exemple serait celles qui produisent de l'équipement agricole, même si je n'ai pas de pourcentages exacts à vous donner. Je me suis aussi intéressé aux fabricants d'automobiles — Ford et Honda — lorsque l'ancien premier ministre a annoncé l'accord pour la première fois. Ils voulaient augmenter de 25 000 leurs exportations de véhicules des usines d'Alliston et d'Oakville annuellement. J'ai aussi parlé à des entreprises de sidérurgie et aux entreprises de service comme SNC-Lavalin. C'est très large.

La réduction des tarifs est souvent un sujet mis de côté plutôt rapidement par les entreprises. On insiste davantage sur les tarifs qui sont acceptables, comme le disent mes amis ici dans le secteur horticole. Vous pouvez vous adapter à un tarif de 10 p. 100 sur un produit et prévoir ce coût dans votre structure de coût. Cela vaut pour beaucoup de produits. Si un produit est interdit sur toute la ligne ou si la réglementation change au beau milieu du processus, ce n'est pas quelque chose que vous pouvez régler. Il n'y a pas de solution. Même les grandes multinationales n'y arrivent pas.

Quand tout cela a commencé, il y a des années, et qu'on discutait avec le négociateur en chef et les gens d'Ottawa, on mettait l'accent exclusivement sur les obstacles non tarifaires, parce qu'on savait que les tarifs allaient disparaître. Ce n'était pas ce qui nuisait aux exportations. Le plus souvent, ce sont les différences dans la réglementation qui causent des problèmes pour les entreprises, et je sais qu'il y en a toujours dans le domaine de l'agriculture et des produits du porc. Je sais qu'il y a encore des problèmes dans ces domaines. De façon générale, toutefois, beaucoup des obstacles non tarifaires vont disparaître dans la plupart des secteurs, surtout dans le secteur manufacturier où il y a des différences réglementaires. La donne va changer pour beaucoup d'entreprises.

L'autre aspect, selon moi, c'est le fait que le gouvernement va ouvrir des marchés publics en Europe. C'est quelque chose d'énorme. Souvent, les gouvernements dépensent plus d'argent — à raison ou à tort — que n'importe qui d'autre. Nous avons d'excellentes entreprises dans ces secteurs, et ce sera un énorme avantage pour eux d'avoir accès à ces marchés. Par contre, évidemment, il y aura beaucoup plus de concurrence, mais ce n'est pas grave. Nos entreprises savent compétitionner.

Au bout du compte, on déploie davantage d'efforts au sujet des obstacles qui empêchent vraiment le commerce. Les tarifs n'empêchent jamais le commerce, ils ne font que le compliquer. Ce sont les obstacles non tarifaires qui rendent vraiment les choses difficiles. J'espère avoir répondu à votre question, du moins, un peu.

Le sénateur Pratte : Croyez-vous vraiment que les mécanismes prévus dans l'AECG vont éliminer beaucoup de ces obstacles non tarifaires?

M. Wilson : Jusqu'à preuve du contraire, je crois que oui. Du moins, c'est mieux que les dispositions de l'OMC, et ce, d'un grand nombre de façons. C'est beaucoup plus rapide. Lorsqu'il faut régler un différend dans le cadre d'un des accords existants, par exemple, même avec l'ALENA, cela prend beaucoup trop de temps pour les entreprises. On a besoin de quelque chose de beaucoup plus réactif aux besoins du marché et qui ne prend pas deux ou trois ans. Nous avons beaucoup plus confiance en ce qui va arriver. Je le redis, c'est seulement quand l'accord sera effectivement conclu qu'on pourra voir si c'est pratique ou pas et si ça aide les entreprises.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le vice-président : Merci, chers collègues. J'ai une dernière question.

Monsieur Wilson, dans votre document, vous avez indiqué, à juste titre, que le marché américain était le marché principal. Il y a tout un tas de raisons pour lesquelles les Canadiens ont de la facilité avec ce marché, comme l'emplacement géographique, la langue, la culture, et cetera. Cependant, la nouvelle administration américaine — tous les médias en parlent — ne veut rien d'autre qu'une relation commerciale équilibrée. Il pourrait trouver que le Canada est un problème à ce chapitre. Il pourrait se rendre compte, comme vous l'avez dit, que le charbon est le produit principal pour la Corée du Sud et, pour les États-Unis, c'est le pétrole. En Corée, j'ai remarqué que notre déficit commercial avait très exactement doublé en un an depuis que nous avons signé l'accord de libre-échange. Notre déficit commercial était de 3,1 milliards de dollars, et maintenant, une année plus tard, c'est 6,2 milliards de dollars.

Si les Américains décident de prendre des mesures par rapport à ce déséquilibre commercial — peu importe comment ils l'interprètent — quelles en seraient les conséquences pour vos membres? Seront-ils forcés, dans les faits, de prendre le taureau par les cornes et de se tourner vers d'autres pays, d'investir plus fortement dans les marchés du Chili, du Pérou et de l'Europe plus qu'actuellement? Y a-t-il un bon côté? Est-ce qu'il y a des gens qui s'intéressent à cela? Par exemple, nous savons maintenant que l'une des faiblesses de l'ALENA est que 75 p. 100 de ce que nous exportons va aux États-Unis, et 80 p. 100 des exportations du Mexique vont aussi aux États-Unis. Donc, les États-Unis ont un atout majeur. Est-ce que vos membres sont motivés par la discussion publique à prendre des mesures est à être proactifs?

M. Wilson : C'est une excellente question. Honnêtement, il nous faudrait plus que les deux minutes qui me restent probablement pour en discuter.

D'abord, il y a une très bonne raison pour laquelle nous exportons autant vers les États-Unis. Vous en avez déjà mentionné quelques-unes, comme la langue, la culture et la primauté du droit, qui sont presque identiques à ce que nous avons ici. Une autre raison, c'est parce que nous sommes intégrés. Cela remonte non pas à 5, 10 ou 15 ans, mais bien à 50 ou à 60 ans, depuis les premiers accords d'approvisionnement en matière de défense pendant les années 1950. Nos industries ont intégré le marché américain dans tous les secteurs, que ce soit le secteur alimentaire, automobile ou aérospatial, celui de la défense, de la sidérurgie, et cetera.

Nous exportons vers les États-Unis, et les chiffres sont très élevés parce que les produits circulent d'un côté comme de l'autre, et que nous construisons des choses ensemble. Nous ne faisons pas qu'exporter des voitures là-bas. Nous importons des pièces et nous exportons des voitures, et vice versa. C'est une relation commerciale très différente de celle que nous avons le Mexique et avec le reste du monde. À dire vrai, c'est une relation unique au monde.

Même si nous encourageons nos entreprises à explorer de nouveaux marchés, il y a une limite à ce qu'elles peuvent faire. Si vous êtes un fabricant de pièces automobiles dans le Sud de l'Ontario qui approvisionne cinq constructeurs automobiles qui sont tous à trois heures de route de votre usine, vous ne pouvez pas soudainement commencer à exporter en Corée du Sud. C'est une tout autre paire de manches, et, à dire vrai, dans la plupart des cas, nous avons seulement les moyens d'accroître la production et d'exporter. C'est aussi un facteur qui vient limiter énormément notre capacité de prospérer dans ces autres marchés. Encore une fois, tout est une question de structure industrielle.

Nous encourageons nos entreprises, et je crois que beaucoup d'entre elles le font, mais, à nouveau, elles sont limitées par les chaînes d'approvisionnement existantes. Il y a plus de choses qu'elles pourraient faire avec leur argent.

À mon avis, la deuxième partie de votre question sur le déficit commercial est plus intéressante. Le Canada a un déficit commercial avec les États-Unis, dans l'ensemble des secteurs, mais tous ont un lien avec le secteur énergétique. Le déficit commercial lié aux biens manufacturés, sur lequel le gouvernement américain insiste beaucoup, est nul. Je crois qu'il y a un surplus d'environ 2 p. 100 pour le commerce total si vous prenez les chiffres du Bureau du représentant des États-Unis pour le commerce ou ceux du département du Commerce des États-Unis. Ce chiffre ne m'inquiète pas vraiment.

Ce qui m'inquiète, c'est la discussion analogue que nous avons au Canada. Nous avons fait l'analyse, et je serais heureux de vous en faire part. Si nous prenons les marchés que le Canada a avec les pays qui ont des déficits commerciaux avec les États-Unis, on voit que nous avons exactement le même problème que les Américains. Ce que nous voulons savoir du gouvernement, c'est donc pourquoi nous n'avons pas les mêmes discussions? Sommes-nous satisfaits d'avoir un déficit commercial de 60 p. 100 avec la Chine, le même que celui des États-Unis? Si oui, alors d'accord, mais ne devrions-nous pas au moins en discuter?

En outre, si les États-Unis vont prendre des mesures à cet égard, nous croyons qu'il serait préférable pour nous de travailler avec les États-Unis pour prendre des mesures similaires. Si les États-Unis décident de prendre des mesures unilatérales, le Canada devient une cible facile où faire transiter des marchandises. Je ne veux pas blâmer la Chine de quoi que ce soit, mais il semble que ce soit une des préoccupations prioritaires pour les États-Unis. Si la Chine commence à faire transiter des biens par le Canada pour accéder au marché américain, alors nous avons un tout autre problème sur les bras. Nous allons devoir avoir une discussion de nature très délicate à court terme, et nous devons vraiment examiner les chiffres qui concernent le Canada également. Nous devons trouver une façon de travailler avec les États-Unis, parce que, honnêtement, nous avons exactement les mêmes problèmes qu'eux dans la plupart des cas.

Le vice-président : Merci. Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de nous avoir présenté vos exposés ce matin. Nous vous sommes reconnaissants de votre temps et de votre patience pendant la période de questions. Nous savons que vous êtes très occupés.

(La séance est levée.)

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