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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 23 - Témoignages du 3 mai 2017


OTTAWA, le mercredi 3 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres et comportant d'autres mesures, se réunit aujourd'hui à 16 h 17 pour étudier le projet de loi.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international reprend ses travaux.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-30, Loi portant mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne et ses États membres et comportant d'autres mesures.

Nous accueillons aujourd'hui une brochette d'intervenants très relevée : Larry Brown, président du Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public; Sujata Dey, responsable de la campagne sur le commerce du Conseil des Canadiens; Hadrian Mertins-Kirkwood, chercheur du projet sur le commerce et l'investissement du Centre canadien de politiques alternatives, ainsi qu'Archana Rampure, qui représente le Trade Justice Network.

Merci de participer à nos travaux. Comme nous avons peu de temps, nous avons invité les témoins à se concentrer sur l'essentiel. Soyez assurés que nous lirons tous les mémoires qui nous ont été soumis et que nous leur accorderons le même poids qu'à tout ce qui se dira aujourd'hui.

Nous commencerons par entendre vos déclarations préliminaires, puis nous vous poserons des questions, comme c'est la coutume ici.

Bienvenue au comité. Il ne semble pas y avoir d'ordre particulier. J'ai décliné la liste des témoins telle qu'elle figure sur la feuille. Savez-vous si un ordre de comparution a été établi, ou dois-je respecter l'ordre dans lequel je vous ai présentés?

Sujata Dey, responsable de la campagne sur le commerce international, Conseil des Canadiens : Je vais commencer. Je m'appelle Sujata Dey et je suis responsable de la campagne sur le commerce international au sein du Conseil des Canadiens.

[Français]

Je peux répondre aux questions en français, mais, pour le moment, je vais faire ma présentation en anglais.

[Traduction]

Comptant plus de 100 000 membres-citoyens, le Conseil des Canadiens compte parmi les groupes leaders dans le domaine du commerce. Le conseil a été créé dans la foulée du premier accord de libre-échange avec les États-Unis. Ces dernières années, l'Accord économique et commercial global, ou AECG. Notre porte-parole, Maude Barlow, et d'autres membres du conseil, dont moi-même, nous sommes associés à des représentants de la société civile pour faire des actions de pression auprès de politiciens de l'Union européenne et de différents pays européens autour de l'AECG, tout en poursuivant notre combat au Canada.

C'est un honneur pour nous de témoigner devant le comité sénatorial. Je sais que vous partagez nos réserves concernant la manière dont les accords de libre-échange sont conclus. Je suis ravie que le comité exerce la diligence requise et procède à l'étude de l'accord, comblant ainsi une grave lacune depuis le début.

Nous sommes tout à fait d'accord avec les recommandations du comité selon lesquelles les parties prenantes devraient faire partie intégrante du processus dès le départ. C'est loin de la réalité. Durant les négociations qui ont entouré l'AECG et dans les pourparlers en cours sur l'accord du Partenariat transpacifique, avec la Chine et sur l'ALENA, il semble que les parties prenantes ont été tenues à l'écart — quand leur avis est sollicité, c'est après-coup, au détriment des accords que nous signons.

Nous voici donc rendus au terme du processus de ratification de l'AECG par le Canada, et en plein milieu du processus européen. C'est maintenant qu'on nous demande de sauter dans la mêlée, pratiquement au fil d'arrivée et une fois l'accord bien scellé. Pourtant, selon ce que nous avons constaté en Europe, nous aurions tort de nous précipiter. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres, car l'AECG pourrait très bien avorter dans les 36 États de l'UE qui ne l'ont pas encore ratifié.

La Lettonie et la Croatie l'ont ratifié, mais il faut que les autres pays le signent à leur tour. En France, la plupart des candidats aux élections à la présidence, à l'exception de Macron, se sont prononcés contre l'AECG dès le début, et même lui a fini par se ranger du côté des opposants. Récemment, Emmanuel Macron a déclaré qu'il reconsidérerait sa position sur l'AECG et qu'il chargerait une commission d'experts d'en faire une analyse exhaustive. Par ailleurs, la France a demandé à une commission constitutionnelle d'étudier la constitutionnalité de l'AECG.

Toujours à propos de la pression électorale, les sorties de Marine Le Pen contre l'AECG et l'impopularité de l'entente nous prédisent que la ratification ne sera pas un long fleuve tranquille. D'ailleurs, selon les sondages, l'entente est loin de faire l'unanimité dans la plupart des pays de l'Europe de l'Ouest.

Et bien entendu, il faut compter avec la Wallonie, où le mécontentement persiste à l'égard des mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Les inquiétudes des Wallons sont partagées par beaucoup d'Européens et de Canadiens. Rappelons-nous les nombreuses réserves formulées par de nombreux gouvernements, dont ceux de l'Autriche, de l'Allemagne et de la France, auxquelles s'ajoute la déclaration du président bulgare comme quoi son pays n'adopterait pas l'AECG.

Au cours de la dernière année, la Wallonie, la Roumanie, la Communauté française de la Belgique, la Slovénie et la Hongrie se sont prononcées contre l'AECG dans sa forme actuelle. Un référendum sur l'accord est prévu aux Pays- Bas, et d'autres régions belges ont indiqué qu'elles voteraient contre le système judiciaire appliqué aux investisseurs à l'étape de la ratification.

L'indifférence par rapport aux préoccupations de la population continuera d'obstruer le processus de ratification de l'AECG. Énormément de Canadiens et d'Européens sont inquiets, à juste titre, de voir que l'AECG est essentiellement un plan d'action axé sur le commerce, qui traite abondamment de droits des entreprises, de protection des investissements, des brevets, de services publics et d'harmonisation réglementaire, sans rien de concret pour les défenseurs de l'environnement ou des intérêts de la société civile.

Je vais déposer un mémoire dans lequel nous expliquons les passages précis de l'accord qui nous préoccupent. Ce mémoire est également accessible sur notre site web.

L'autre aspect qui nous préoccupe au plus haut point concerne le battage autour des avantages des accords de libre- échange, souvent exagérés. En l'absence de stratégies industrielles et commerciales, un accord de libre-échange est tout à fait inutile, comme le comité l'a souligné.

Le directeur parlementaire du budget a déclaré que l'AECG entraînerait une hausse des déficits commerciaux dans l'Union européenne, et que ses avantages seraient négligeables. Ces prévisions sont à mille lieues des promesses de création de 80 000 emplois et des retombées se comptant en milliers de dollars pour les citoyens. Le constat est d'autant plus décourageant si l'on considère que la Grande-Bretagne serait la destinataire de la plupart des exportations commerciales dans le cadre de l'AECG, et que personne n'a encore analysé les incidences du Brexit. Aucune réaction non plus au sujet des indemnités faméliques prévues pour les agriculteurs, de la montée des prix des médicaments et de la perte de garanties pour les pêcheurs et le secteur maritime.

L'AECG et, de fait, l'Union européenne dans son ensemble sont relativement progressistes. Par conséquent, l'entente concoctée aurait dû être innovante et refléter nos valeurs communes, mais c'est loin d'être le cas. Pourtant, la montée en importance des activités commerciales et de l'intérêt de la population à l'égard de l'accès qu'elles procurent — ce que les campagnes électorales américaines et françaises ont démontré —, le contexte semble propice à un changement des manières de faire. Partout sur la planète, nous assistons à une croissance soutenue des échanges commerciaux dont les conséquences ont une ampleur inédite sur l'égalité et la destruction de l'environnement, et dont l'importance commande des ententes d'un nouveau genre. Mais avant tout, nous devons nous assurer que la population en fait partie prenante.

Si la population continue d'être ignorée, nous amenons de l'eau au moulin des Trump et des Le Pen de ce monde, qui martèlent à qui mieux mieux que la mondialisation du commerce se fait au détriment des gens ordinaires et qu'il faut revenir en arrière, même si leur proposition ne mène nulle part. Dans le cas de l'AECG, il faudra prendre le temps nécessaire pour mener à bien le processus, qui n'est pas terminé. C'est la voie à suivre pour en arriver à un accord commercial différent des versions copier-coller qui nous sont servies depuis 30 ans.

Merci.

Larry Brown, président, Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public : Même si je ne pourrai pas parler aussi vite que Sujata, je commencerai par dire que j'acquiesce entièrement à tout ce qu'elle a dit.

J'aimerais revenir sur un point qu'elle a soulevé concernant l'acte de foi qui nous est demandé concernant les avantages des accords commerciaux. Les gouvernements qui nous imposent ces accords font très peu de recherches, mais ils nous demandent de leur accorder notre confiance aveugle quand ils disent que la libéralisation des échanges est avantageuse, parce qu'elle est avantageuse. Leurs arguments sont aussi creux les uns que les autres. Les avantages, selon les analyses que nous avons réalisées, sont largement surfaits, et les désavantages sont rarement pris en compte.

Hier, pendant notre préparation en vue de notre comparution d'aujourd'hui, et comme vous le savez sans doute, le directeur parlementaire du budget a publié un nouveau rapport. Ce rapport comporte plusieurs lacunes, mais j'ai trouvé particulièrement intéressant d'y lire que le revenu moyen par habitant devrait augmenter de 220 $. J'y vois deux aspects dignes de mention. Premièrement, pendant tout ce temps où le gouvernement a essayé de nous vendre l'AECG, il nous a parlé d'une hausse de 2 200 $, et il nous arrive maintenant avec un dixième à peine de ce qu'il nous avait promis quand il a commencé à négocier l'entente. C'est plutôt significatif.

Deuxièmement, la somme de 220 $ représente en fait une moyenne. Madame la présidente, si par exemple vous obtenez 440 $ alors que moi, je n'obtiens rien, et si nous faisons la moyenne, cela signifie que je devrai absorber une hausse de 220 $. C'est loin d'être juste ou équitable. C'est ce qui nous est promis.

Les accords commerciaux soulèvent la question suivante : comment l'argent sera-t-il réparti? À ce chapitre, l'expérience nous apprend que l'entrée en vigueur d'accords commerciaux entraîne une stagnation du revenu des travailleurs. Les salaires ont stagné après l'entrée en vigueur de l'ALENA, ce qui est facilement vérifiable, malgré un bond phénoménal de notre économie. La répartition des avantages a été inégale, et rien ne permet de croire que le résultat sera différent pour l'AECG.

Au contraire. Des études réalisées par l'ONU et l'Université de Delft prévoient plutôt une baisse de revenu de l'ordre de 2 460 $ pour les salariés moyens. Ces prédictions émanent d'une série d'analyses beaucoup plus rigoureuses que le rapport assez insipide qui nous a été présenté hier.

L'économiste Jim Stanford, qui a fait du bon travail ici avant de partir pour l'Australie, a affirmé que l'AECG se solderait par un déficit de 30 000 à 150 000 emplois pour le Canada. Le comité parlementaire de l'Union européenne qui a étudié l'accord a conclu qu'il aurait pour résultat net d'abolir des emplois en Europe — et probablement au Canada, si l'on suit le même raisonnement.

La seule analyse des répercussions de l'AECG dans chaque pays fait état d'une perte de quelque 200 000 emplois en Europe. À l'époque de l'entrée en vigueur de l'ALENA, on nous avait promis une forte hausse des emplois. En réalité, le Canada et les États-Unis ont plutôt connu un recul, tandis que le Mexique a subi une régression des salaires. Il existe de très nombreuses preuves comme quoi ce type d'accords commerciaux est désavantageux pour les travailleurs, mais très peu de preuves du contraire.

Peu importe, la propagande se poursuit pour nous faire croire que ces accords commerciaux sont avantageux parce qu'ils empêchent le protectionnisme ou qu'ils sont tout le contraire de ce que Trump pense. D'autres bonnes raisons ont surgi pour que nous achetions ces accords chat en poche, mais nous avons analysé les faits et nous avons conclu que rien ne démontre qu'ils sont foncièrement avantageux.

Permettez-moi de conclure en revenant à ce que j'ai dit tantôt concernant la multitude de désavantages de ces accords. Ils ne traitent pas de droits du travail, ou alors ces droits sont inapplicables. Ils ne traitent pas de protection de l'environnement, ou les droits en la matière sont inapplicables. Ils mettent en péril les services publics parce qu'ils contiennent une liste négative, c'est-à-dire qu'il sera probablement impossible de créer de nouveaux services publics au Canada sous le régime de l'AECG. Nous redoutons aussi l'effet cliquet, qui empêchera de revenir sur une décision visant la privatisation d'un service.

Les rares avantages sont loin de compenser les nombreux désavantages qu'on nous demande d'accepter sans un mot.

Je vais conclure en revenant là ou Mme Dey a commencé, c'est-à-dire à ses remerciements au Sénat de prendre le temps d'étudier cet accord commercial et d'y réfléchir au lieu de mener la claque pour nous faire gober une série d'hypothèses non fondées.

Merci d'avoir pris le temps de m'entendre.

La présidente : Merci, monsieur Brown. Je donne maintenant la parole à M. Mertins-Kirkwood.

Hadrian Mertins-Kirkwood, chercheur, Projet de recherche sur le commerce et l'investissement, Centre canadien de politiques alternatives : Merci beaucoup de me permettre de participer à votre étude. Tout comme mes prédécesseurs, je tiens à exprimer ma gratitude au Sénat de prendre le temps d'étudier l'accord et le projet de loi C-30.

Je représente le Centre canadien de politiques alternatives, un laboratoire de réflexion sur les politiques publiques, indépendant et non partisan. Nos bureaux sont à Ottawa. Nous comptons à notre actif une trentaine d'années d'expérience de recherches sur les accords sur le commerce et les investissements, axées surtout sur les répercussions sociales et économiques pour le Canada. Nous avons publié plusieurs rapports et commentaires sur le thème de l'AECG au cours des dernières années.

J'aimerais en premier lieu souligner l'importance de la coopération internationale en matière de commerce et d'économie pour le Canada et son économie. Je crois que nous sommes tous d'accord à ce sujet. Malheureusement, il ressort de nos analyses que l'AECG ne propose pas un modèle de commerce et d'investissement internationaux inclusif, durable et démocratique. C'est pourquoi nous remettons en question la ratification de l'accord dans sa forme actuelle.

Comme d'autres témoins l'ont exprimé, il a été démontré, preuves à l'appui, que même les plus modestes avantages prévus dans les études sur l'AECG sont exagérés. Certaines études parviennent même à la conclusion que les incidences macroéconomiques et commerciales pourraient même être défavorables pour le Canada. Notamment, comme vous l'avez déjà entendu, il est permis de penser que l'AECG réduira la part des revenus du travail dans l'économie, c'est-à- dire par un recul des emplois et des salaires même si l'économie est florissante.

Cela étant dit, l'aspect le plus important, pour renchérir sur les propos de Larry, est sans doute celui des répercussions non économiques. L'AECG met en cause tout un éventail d'enjeux stratégiques qui ont très peu de liens avec le commerce, mais qui forceront le Canada à faire énormément de compromis défavorables en matière de politiques.

Je vais concentrer mon exposé autour de trois grands enjeux et, si vous le souhaitez, nous pourrons revenir plus longuement sur tous les autres. Premièrement, l'AECG prévoit un élargissement des droits de propriété intellectuelle protégeant les produits pharmaceutiques qui coûtera très cher au régime de santé canadien. Plusieurs dispositions du projet de loi C-30, y compris celles qui portent sur le rétablissement de la durée des brevets des médicaments de marque, retarderont la mise en marché des médicaments génériques. On estime que ces modifications — qui, soit dit en passant, sont unilatérales puisque l'UE n'opérera pas de réforme comparable — entraîneront une hausse des dépenses pharmaceutiques, publiques et privées, de l'ordre de 850 millions de dollars par année. Si nous remettons ce chiffre en contexte, la Commission européenne estime que l'AECG fera économiser aux exportateurs européens quelque 700 millions de dollars en droits de douane. Autrement dit, la réduction du prix des biens de consommation que l'AECG promet aux Canadiens — si, et je dis bien si, ces économies profitent aux consommateurs — sera largement ou entièrement annulée par la hausse des prix des médicaments.

Le deuxième enjeu est celui du système judiciaire pour les investisseurs. Le Canada a un lourd passé au chapitre du règlement des différends entre les investisseurs et l'État sous le régime de l'ALENA. Les multinationales et les investisseurs étrangers ont abondamment usé de ce dispositif pour contester diverses mesures d'intérêt public des gouvernements canadiens devant les tribunaux, et notamment ses règlements en matière de santé et d'environnement. Si l'AECG est intégralement mis en œuvre, le système des droits spéciaux des sociétés sera étendu à des investissements de l'UE au Canada d'une valeur de 400 milliards de dollars.

Il est important de souligner que le système judiciaire pour les investisseurs améliore certaines procédures du système de l'ALENA pour le règlement des différends entre les investisseurs et l'État, mais les deux accords octroient des droits fondamentaux similaires aux investisseurs. Le système judiciaire pour les investisseurs proposé par l'AECG fait encore passer les droits des multinationales et des investisseurs étrangers devant ceux des investisseurs nationaux et des citoyens ordinaires. Comme c'est le cas avec l'ALENA, ce système d'arbitrage risque fort d'imposer aux contribuables canadiens un fardeau financier considérable et de nuire aux politiques publiques.

À l'instar de Larry, je trouve important de souligner l'univers qui sépare la manière dont l'AECG traite les droits des investisseurs et les droits en matière de travail ou de protection de l'environnement. Même si l'AECG contient des chapitres sur le travail, l'environnement et le développement durable, leurs dispositions sont pour la plupart inapplicables. Pour la plupart, les mesures progressistes de l'AECG sont un écran de fumée qui masque la facture tout à fait conventionnelle de cet accord de libre-échange calqué sur l'ALENA.

Le troisième enjeu, aussi évoqué tout à l'heure, par Mme Dey cette fois-ci, concerne la précipitation dont fait preuve le Canada dans le processus de ratification, avant d'avoir mené toutes les études et les consultations voulues. À notre avis, il est primordial de pousser les études et les consultations sur le projet de loi C-30, d'autant plus quand on constate le climat d'incertitude entourant le processus de ratification par l'UE. Absolument rien ne justifie de se précipiter pour ratifier cette entente pour l'instant.

Le Sénat devrait envisager l'inclusion d'une mesure de temporisation de certaines dispositions du projet de loi C-30. Nous avons du mal à comprendre pourquoi le Canada s'engagerait unilatéralement à faire des concessions si l'UE ne ratifie pas l'intégralité de l'entente. Si le Canada ratifie l'AECG, mais pas l'UE, certaines ou la totalité des dispositions du projet de loi devront être revues, et particulièrement celles qui modifient la Loi sur les brevets, qui selon nos analyses feront grimper le prix des médicaments au Canada. Cela étant dit, la temporisation offrira tout au plus une solution de fortune. Une refonte plus exhaustive de l'entente serait nettement préférable.

Je vais m'arrêter ici. Je discuterai volontiers avec vous d'autres enjeux tels que la mobilité transfrontalière des travailleurs, les incidences potentielles sur les services publics ou la réglementation nationale. Le mémoire que nous vous avons soumis aborde tous ces thèmes.

Merci d'avoir pris le temps de m'entendre.

Archana Rampure, Trade Justice Network : Merci, madame la présidente. À l'instar de mes collègues, j'aimerais tout d'abord vous remercier de votre invitation à témoigner devant vous. Nous sommes préoccupés au sujet de l'AECG. En fait, ces préoccupations sont à l'origine de la création du Trade Justice Network. Nous représentons des organismes environnementaux, de la société civile, étudiants, autochtones, culturels, agricoles, ouvriers et de justice sociale. Nous avons fondé le réseau pour promouvoir la nécessité d'un cadre commercial international plus durable, plus juste socialement et plus équitable.

Comme l'a évoqué l'un de mes collègues tout à l'heure, nous ne sommes pas contre le commerce. L'objectif de notre démarche est d'en arriver à un meilleur modèle commercial, équitable pour tous.

Comme nous représentons des organismes très variés, nous partageons beaucoup des préoccupations que mes collègues ont soulevées à l'égard des droits de propriété intellectuelle, du travail et de l'environnement. Comme je dispose de cinq minutes seulement, je vais me concentrer sur les marchés publics, qui font l'objet d'un chapitre de l'AECG, et sur l'incidence que ce chapitre pourrait avoir sur l'éventuelle renégociation de l'ALENA et d'autres accords de libre-échange.

On estime que la valeur des marchés publics au Canada dépasse de loin les 2 milliards de dollars par année. Je tiens à souligner que cette estimation vaut pour la période précédant la décision du gouvernement fédéral actuel d'investir massivement dans les infrastructures. Par conséquent, il ne faut pas se surprendre que les négociateurs de l'UE aient entamé les négociations en réclamant un accès considérablement facilité aux marchés publics canadiens. Leur objectif était « de couvrir tous les secteurs des marchés publics des gouvernements centraux et sous-centraux ».

De toute évidence, l'UE a obtenu gain de cause. Voici un extrait d'un article publié par le cabinet d'avocats Langlois, favorable à l'Accord : « Ces engagements du gouvernement canadien constituent les engagements en matière de marchés publics les plus complets que le Canada ait jamais pris sur les paliers fédéraux, provinciaux/territoriaux et municipaux. »

Il s'ensuit une grave atteinte au privilège dont jouissent tous les gouvernements canadiens de mettre à contribution les marchés publics pour enrichir les programmes sociaux. C'est ce qui fait de l'AECG un accord commercial de nouvelle génération. Peut-être avez-vous entendu ce terme de la bouche de ses promoteurs. Cet accord commercial de nouvelle génération aura des répercussions qui dépassent, et de loin, celles de l'ALENA et d'autres accords commerciaux précédents sur l'économie canadienne.

J'aimerais donner quelques précisions à ce sujet. Les entités publiques qui sont visées par l'AECG, au chapitre des marchés publics en particulier, et celles du gouvernement fédéral englobent la majorité des ministères et des agences, exception faite des agences de sécurité et de renseignement, du Parlement et des agents du Parlement. Je ne pense pas que vous y soyez assujettis, mais presque tous les autres le seront. Les entités sous-centrales, définies par chaque province et territoire, sont assez nombreuses. D'autres entités sont classées en deux sous-catégories. La première regroupe les sociétés d'État, qui peuvent être fédérales, provinciales ou territoriales, et les sociétés ou les entités, dont les municipalités sont propriétaires ou responsables. Figure sur cette liste un très grand nombre de services publics comme les aéroports, les sociétés de transport en commun, les installations de distribution d'eau potable, de traitement des eaux, et cetera.

Dans l'AECG, des listes de biens et de services sont incorporées au chapitre sur les marchés publics. Théoriquement, cela signifie que les biens et les services engloberont les domaines du génie, de l'architecture, des technologies de l'information, de la consultation, de la construction — y compris tous les services de construction, toujours en théorie.

Je sais que certains d'entre vous ont fait de la politique à tous les échelons, et que vous êtes sûrement curieux de connaître les seuils fixés pour l'application des engagements. Ils vont d'un maximum de 7,5 $ millions de dollars pour les projets de construction à un minimum de 200 000 $ pour les marchés publics du gouvernement fédéral et de ses entités en matière de biens et de services. Ces seuils sont très bas.

Ces dispositions soulèvent toutes sortes de questions, mais je m'attarderai à deux problèmes précis. Le premier a trait à la complexité effarante des marchés publics si jamais les appels d'offres et les processus sont ouverts à toutes les sociétés de l'UE intéressées. Le deuxième problème tient au fait que les marchés publics font partie des moyens privilégiés qu'ont utilisés tous les ordres de gouvernement pour stimuler le développement économique local au Canada. Les gouvernements s'en sont servis pour diversifier les économies régionales et, dans certains cas, les économies fondées sur les ressources naturelles. Le levier économique que procurent les marchés publics aux gouvernements est menacé.

Nous dénonçons vivement le bradage de ces droits dans l'AECG à l'insu de la population. En fait, nous sommes très préoccupés de constater que très peu de consultations ont été faites, et pratiquement aucune aux échelons provincial, territorial ou municipal.

Il nous est tout aussi difficile de penser qu'en ratifiant l'AECG, le gouvernement fédéral créera un précédent et pourra difficilement éviter l'inclusion des marchés publics dans les futurs accords commerciaux, y compris le PTP et le futur ALENA qu'il s'apprête à renégocier. J'aimerais appuyer cette prédiction par une citation du secrétaire au Commerce nommé par le président Trump, Wilbur Ross, au sujet de ce que le Japon était prêt à concéder dans le cadre du PTP :

Quand les dés sont joués, ils sont joués. Même si une joute [le PTP] est annulée, tout ce qui a été engagé par écrit est scellé. Les jeux sont faits, rien ne va plus. Ceux qui voudraient rejouer leurs dés vont nous trouver sur leur chemin.

Je vous invite tous à réfléchir très sérieusement à ce que cela signifie pour le Canada.

Rien ne nous permet de croire que les Américains accepteront que le Canada soit moins généreux avec eux qu'il ne l'a été avec les Européens et qu'il leur offre moins que ce qu'il avait concédé dans le cadre des négociations du PTP.

Par ailleurs, il est impératif de bien comprendre que la convoitise des Américains à l'égard des marchés publics du Canada risque de surpasser celle des Européens. Il faut s'attendre à ce que beaucoup d'Américains offrent les mêmes services que les fournisseurs canadiens à un jet de pierre de la frontière.

Nous comptons énormément sur votre appui à notre conclusion du caractère hautement problématique du chapitre de l'accord sur les marchés publics. Nous vous exhortons à demander que le chapitre de l'AECG soit modifié en vue d'en exclure les marchés publics sous-nationaux.

C'est la position du gouvernement du Canada depuis des décennies et nous ne voyons aucune raison de la modifier dans le cas de l'AECG, surtout que cela créerait un précédent pour les négociations commerciales à venir.

Vous savez très certainement que toute une série de négociations commerciales doit commencer sous peu. Nous avons entendu parler d'une entente commerciale éventuelle entre le Canada et la Chine. Nous savons, évidemment, que la nature de la renégociation de l'ALENA évolue parfois d'heure en heure, mais elle va débuter très rapidement.

Pour conclure, je tiens à vous répéter ce que je vous ai dit au début de mon exposé, soit que le Trade Justice Network est également sérieusement préoccupé par d'autres questions qui vont de celles abordées dans le chapitre sur le travail à celles figurant dans le chapitre sur l'environnement, sans oublier les mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les systèmes judiciaires. Comme nous n'avons pas le temps d'aborder ces questions en détail, je me contenterai de vous demander d'inscrire au procès-verbal de cette réunion que nous appuyons les modifications recommandées par les autres experts qui témoignent devant vous aujourd'hui. Je vous remercie du temps que vous avez bien voulu m'accorder.

La présidente : Je tiens à remercier tous les témoins que nous avons entendus aujourd'hui d'avoir respecté le temps qui leur était imparti. Cela nous facilite beaucoup la tâche. Je trouve que vous êtes bien parvenus à mettre de l'avant les points essentiels à vos yeux et à nous communiquer vos points de vue. Vous avez suscité l'intérêt des sénateurs qui étaient nombreux à vouloir vous poser des questions. C'est là pour moi une façon de demander énergiquement à mes collègues de poser leurs questions rapidement et même peut-être de demander aux témoins de répondre aussi efficacement que possible dans le temps dont ils disposent. Cela nous permettra d'entendre tous les sénateurs qui souhaitent intervenir.

Le sénateur Woo : Je vais prendre au sérieux votre rappel, madame la présidente, et me limiter à une seule question, mais, si possible, j'aimerais pouvoir intervenir à nouveau plus tard.

Ma question s'adresse essentiellement à M. Mertins-Kirkwood, mais les autres témoins peuvent également intervenir.

Elle porte sur ce qui me paraît être au centre de l'objection que vous avez contre cette entente commerciale et les autres, à savoir que les effets distributifs de ces ententes ne sont pas positifs. Vous nous avez tous dit convenir que le commerce est une bonne chose. Je me demande si vous pourriez m'aider à comprendre quels sont les mécanismes de transmission qui font qu'une entente commerciale aboutit à une réduction dans le PIB de la part des revenus allant aux travailleurs. Comment cela se produit-il et quelle en est la cause propre aux ententes commerciales ou quel est le mécanisme de transmission qui fait que les travailleurs voient leur part des revenus diminuer avec le temps? D'autres forces dans notre économie en sont-elles responsables comme, par exemple, les politiques en matière de concurrence? La politique fiscale appliquée au Canada pourrait-elle en être responsable?

Nous convenons tous que l'inégalité des revenus est un problème important. Il se peut même qu'elle s'aggrave et qu'il y ait un lien avec les ententes commerciales. Je ne saisis pas précisément comment des accords de libre-échange peuvent contribuer à ce phénomène.

M. Mertins-Kirkwood : Je vous remercie de poser cette importante question à laquelle il n'est pas si facile que ça de répondre. Je crois que si vous la posiez à 10 économistes, vous obtiendriez 10 réponses différentes.

La réponse simple est que le libre-échange est conçu pour faciliter le fonctionnement du capitalisme.

Or le capitalisme ne vise pas nécessairement à profiter aux travailleurs. Il est conçu pour faciliter l'accumulation du capital qui, selon le cas, va profiter ou non aux travailleurs.

Lorsqu'on choisit cette voie, ce qui importe est de disposer d'une couverture sociale. C'est sans doute là l'une des questions importantes à prendre en compte.

Au Canada, il nous manque des mécanismes de réajustement commercial efficaces. Il faut donc savoir, lorsque le gouvernement nous parle de l'AECG ou d'autres ententes de ce type, que certains vont y gagner et d'autres y perdre. Or, nous ne nous occupons pas des perdants. Il nous faudrait un système bien adapté pour détecter qui sont ces personnes ou ces industries afin de leur venir en aide. Si vous voulez que je désigne un unique mécanisme économique, il s'agit alors de la concurrence. La concurrence n'est pas nécessairement bonne pour tout le monde. Il faut que nous en prenions conscience.

Je crois que l'élément qui nous manque est un système de soutien social adapté. C'est l'un de nos motifs de préoccupation en ce qui concerne l'AECG et les autres ententes avec leurs dispositions qui traitent des services publics, des droits des travailleurs, des dispositions qui, par ailleurs, ont non seulement pour effet d'accroître les pressions concurrentielles sur les travailleurs, mais également d'amoindrir la capacité du gouvernement à faire face à ces pressions.

Le sénateur Woo : Êtes-vous d'avis que les accords commerciaux ont, de façon inéluctable, pour effet d'accroître l'inégalité des revenus et, en particulier, de réduire la part des revenus du travail dans le PIB?

M. Mertins-Kirkwood : Je ne crois pas que ce soit inéluctable, mais je crois que c'est l'une des conséquences d'un libre-échange intégral si vous ne vous dotez pas d'un système de soutien social adapté.

Le sénateur Marwah : Une fois encore, je n'entends pas débattre ici des avantages et des inconvénients du libre- échange, ni argumenter qu'il s'agit ou non, dans le cas de l'AECG ou de toute autre entente, d'un accord de libre- échange. Nous n'avons pas de contrôle sur le moment auquel nous pouvons intervenir, mais je crois que, à cette étape, prétendre mettre un terme à cette entente ou vouloir la renégocier ne serait pas réaliste ni, en toute franchise, responsable.

Quels sont, à votre avis, les autres points sur lesquels nous devrions nous concentrer? Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que c'est un mauvais accord pour le Canada. C'est trop tard. Vous en avez évoqué un... Il me semble que les marchés publics sont un bon sujet. Je devrais l'approfondir.

À l'étape à laquelle nous sommes rendus, y a-t-il d'autres questions que nous devrions approfondir?

M. Brown : Nous pourrions vous donner toute une liste. C'est précisément là le problème.

Le sénateur Marwah : Une longue liste ne nous serait pas très utile non plus. Si nous devions retenir trois sujets, quels devraient-ils être, selon vous?

M. Brown : Je pourrais vous donner une liste et vous laisser choisir vos sujets dans celle -ci. Ce sera une liste négative de libéralisation parce que cette entente présente un danger pour l'élaboration de nouvelles politiques publiques au Canada, ainsi qu'en Europe. Il faut se débarrasser de cet effet d'engrenage parce que celui-ci aura pour effet que, si une décision de privatisation d'un service public a été prise manifestement à tort, elle pourra être facilement renversée. Lorsqu'un service public est privatisé, il est pratiquement inévitable qu'il le reste à cause de cet effet d'engrenage.

L'absence de tout droit du travail exécutoire nous ramène à la question sur la nature du problème que posent les ententes commerciales qui se traduisent par la réduction forcée des coûts du travail. Permettez-moi, à titre d'exemple, de vous rappeler ce qui s'est passé chez Caterpillar. Il n'y a pas très longtemps, la direction a dit à ses travailleurs : « Prenez la moitié de vos salaires et la moitié des avantages sociaux. Nous allons diviser tous les coûts par deux ou nous allons passer à un régime de droit au travail. » Les travailleurs ont rejeté la proposition et l'entreprise est passée à un régime de droit au travail. Elle peut continuer à revendre ses produits au Canada, sans devoir acquitter de droits, malgré cet État de fait. Il est évident qu'une entente commerciale qui permet ce genre de choses n'est dans l'intérêt de personne au Canada, et le texte d'une entente commerciale devrait comporter des dispositions nous permettant de mettre fin à cette pratique.

Je pourrais poursuivre avec des exemples de ce genre, mais je me contenterai de vous dire que cette entente commerciale comporte des dispositions qui sont fondamentalement néfastes. Nous demander de vous dire laquelle aura les effets les plus néfastes est très difficile pour nous parce que nous avons étudié le texte de cette entente et nous savons que c'est le cas d'un grand nombre de dispositions.

Le sénateur Gold : Je vous remercie d'être venus nous rencontrer aujourd'hui et j'apprécie à sa juste mesure que vous nous fassiez part d'arguments aussi bien structurés et justifiés, en termes économiques.

Les Canadiens investissent en Europe; les Européens investissent au Canada. Je dirais même qu'il me semble que c'est là fort probablement une bonne chose. Même si vous formulez des objections concernant les mécanismes de résolution des différends, comme vous le faites, seriez-vous néanmoins prêts à convenir, comme M. Mertins-Kirkwood, que des améliorations ont été apportées au régime de règlement des différends opposant un investisseur et un État? Ce qui est encore plus important pour moi est de savoir, si vous rejetez le système de l'AECG, quels mécanismes vous voudriez mettre à sa place pour protéger les investisseurs canadiens à l'étranger et les investisseurs européens au Canada.

M. Mertins-Kirkwood : La réponse brève et facile à votre question est que nous estimons que nos tribunaux nationaux respectifs pourraient fort bien régler ces différends. Si vous êtes un investisseur canadien en Europe, vous pouvez fort bien vous en remettre aux tribunaux européens pour faire respecter vos droits en application des lois européennes et des dispositions pertinentes de ces ententes commerciales. Nous estimons de la même façon que les tribunaux canadiens sont parfaitement en mesure de protéger les droits des investisseurs européens au Canada.

Il ne nous paraît pas nécessaire de mettre en place ce système extrajudiciaire ou même pseudo judiciaire alors que nos deux économies disposent déjà d'un système de tribunaux parfaitement en mesure de régler ces différends.

Un tel système de règlement des différends entre un investisseur et la partie contractante d'accueil n'est justifié que si vous faites des affaires dans un pays qui n'est pas doté d'un système juridique de bonne réputation et que vous craignez que des acteurs politiques locaux n'interfèrent dans cet investissement. C'est la seule raison qui justifierait l'intervention d'une tierce partie pour arbitrer un différend.

Comme les économies du Canada et de l'Union européenne sont toutes deux bien développées et dotées de systèmes juridiques efficaces, un tel système de règlement des différends nous paraît inutile.

La présidente : Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais poursuivre sur le même sujet. Vous nous dîtes que les pays de l'Union européenne disposent de systèmes juridiques bien développés, mais, avec ses élargissements récents, elle a accueilli un certain nombre de pays dont les économies et les diverses infrastructures accusent encore du retard. Êtes-vous d'avis que, dans le cas de ces nouveaux membres de l'Union européenne, les entreprises canadiennes pourraient avoir le même niveau de confiance envers leurs institutions et leurs systèmes juridiques?

Pour moi, à ce que j'ai pu lire sur leurs structures et leurs institutions, celles-ci sont encore fragiles et en cours de développement. Si j'étais un investisseur, j'y réfléchirais à deux fois parce que le parapluie de l'Union européenne ne me protégerait que dans une certaine mesure, mais sans doute pas lorsque je devrais m'adresser à un tribunal national d'un de ces nouveaux membres de l'UE.

M. Brown : J'aimerais ajouter à ce qu'a déjà dit M. Mertins-Kirkwood qu'il y a deux éléments qu'il serait possible de modifier dans ce mécanisme de règlement des différends qui modifieraient sensiblement la situation.

L'un serait de revenir à un mécanisme de règlement des différends entre États. Ce serait revenir au modèle traditionnel. Ce modèle assure une certaine protection en empêchant l'apparition de cas excentriques et garantit dans une certaine mesure que les droits des investisseurs individuels ne seront pas amputés ou, pour le formuler différemment, que les États conserveront le droit de se gouverner eux-mêmes.

Un mécanisme de règlement des différends entre États constituerait une meilleure réponse à ce problème. L'autre point est qu'il faudrait considérer l'intégralité de ce mécanisme entre États comme étant destinée exclusivement aux problèmes de droits des investisseurs, et à rien d'autre. Ce système ne confère aucun droit particulier aux États. Il en va de même pour les personnes. Donc, si une personne contrevient aux dispositions des chapitres sur l'environnement et le développement durable, ou à celles du chapitre sur les droits des travailleurs, nous n'avons aucun droit de les poursuivre alors qu'elles peuvent encore nous attaquer.

Si, au bout du compte, un système se rapprochant de celui d'un tribunal international est mis en place, il faudrait, en toute justice, que n'importe qui puisse s'en prévaloir. Actuellement, il est prévu que seuls les investisseurs pourraient recourir à ce système. Cette disparité est fondamentalement inacceptable.

Le sénateur Woo : Vous nous avez dit qu'un système de règlement des différends entre un investisseur et la partie contractante d'accueil privilégie les investisseurs étrangers aux dépens des investisseurs locaux. Je crois que vous vouliez dire qu'ils ont accès à un système juridique de recours alors que ce n'est pas le cas des investisseurs locaux. Est- ce bien là le point essentiel que vous soulevez?

Je vous ai donc bien compris. Cependant, l'AECG permet bien évidemment au gouvernement d'adopter des règlements dans l'intérêt public dans les domaines de la santé, de l'environnement, et cetera. Vous avez donc tout à fait raison, une entreprise peut tenter de poursuivre le Canada devant les tribunaux parce qu'elle a l'impression d'avoir été traitée de façon injuste, et cetera, mais ne croyez-vous pas que les protections autorisant à réglementer dans l'intérêt public montrent clairement que cette poursuite est perdue d'avance?

M. Mertins-Kirkwood : Non. Je crois qu'il y a une distinction importante qu'il faut faire. Elle s'impose dans le cas d'un système de règlement des différends entre investisseurs et États et, de façon plus générale, d'un système judiciaire appliqué aux investisseurs. Le fait que vous ayez le droit de réglementer ne vous dispense pas d'avoir à verser des dédommagements à ces entreprises.

Il en découle que même dans des domaines comme la santé et dans certains services publics dont il est fait explicitement mention dans le texte, les investisseurs peuvent encore entamer des poursuites demandant un traitement juste et équitable et même des expropriations. Il se peut donc que le gouvernement du Canada ait le droit de déclarer un moratoire sur un projet minier donné. Il a effectivement le droit d'agir de cette façon, mais cela ne le soustraie pas au risque de devoir verser un dédommagement d'un montant donné à un investisseur mécontent.

Le sénateur Gold : En quoi cela est-il malvenu si on a auparavant promis à l'investisseur un traitement équitable et qu'il est ensuite victime de discrimination? Il ne faut pas oublier qu'on parle ici du cas d'un investisseur étranger qui, par définition, à ce qu'il me semble, est traité de façon différente de son homologue canadien.

M. Brown : Ce n'est pas ainsi, monsieur, que les choses se passent dans la pratique. Dans les faits, ce droit consenti aux investisseurs s'est développé de façon exponentielle, alors que le droit de réglementer en application de l'AECG tourne, d'une certaine façon, en rond. Vous avez le droit de réglementer dans les limites autorisées par l'entente, ce qui nous ramène aux pouvoirs que l'AECG vous confère et que vous utilisez. Je vois là une argumentation un peu circulaire.

Nous pourrions vous remettre une liste de cas de différends entre des investisseurs et des États qui reposaient sur la notion d'un traitement injuste d'un investisseur et qui n'ont rien à voir avec cela.

Le plus récent est le cas Bilcon. Pour être bref, un groupe de personnes de Nouvelle-Écosse siégeant à un comité qui se consacrait aux questions environnementales, mis sur pied par le gouvernement de cette province, a décrété que la construction d'une carrière à un endroit précis nuirait à l'environnement. En quoi cela était-il discriminatoire? Pourtant, Bilcon a eu gain de cause.

On nous a expliqué que la notion qui prévaut est celle de la protection des investisseurs étrangers. Elle a pour effet de conférer aux investisseurs étrangers davantage de pouvoirs que nos gouvernements, puisqu'ils peuvent contester des décisions légitimes de ceux-ci, ce qu'ils ne se sont pas privés de faire à de maintes occasions.

M. Mertins-Kirkwood : J'aimerais revenir sur ce que je vous ai dit précédemment. Ce n'est pas que ces entreprises n'ont pas droit à un dédommagement, mais qu'elles ont déjà la certitude d'en obtenir un en application des lois canadiennes et de l'Union européenne. Elles portent plainte auprès des tribunaux locaux pour faire appliquer ce droit.

Il n'est donc pas nécessaire de mettre à leur disposition un système additionnel qui leur accorde de façon générale une plus grande marge de manœuvre pour demander des dédommagements plus élevés qu'elles n'en obtiendraient dans leur pays.

Le sénateur Dawson : Ma question s'inscrit dans la même veine que celle du sénateur Marwah. Vous nous avez dit, monsieur Brown, être ravi d'avoir l'occasion de témoigner devant nous. Vous entendre fait partie de notre rôle. Nous essayons de donner l'occasion de s'exprimer aux gens qui ne sont pas écoutés par ailleurs. Nous ne sommes pas très contents de n'avoir été impliqués dans cette question qu'à la dernière minute, mais c'est la situation dans laquelle nous nous trouvons, et nous faisons avec.

Quant à moi, je vais voter en faveur de ce texte, mais cela ne m'empêche pas de vous demander, comme le sénateur Marwah, de nous dire maintenant ce que vous entendez nous dire dans deux ans : « Je vous avais bien dit que... ». Nous pratiquons la sagesse du hibou et nous tenons à inscrire dès maintenant vos commentaires au compte-rendu. Ils seront lus. Nous avons réalisé une étude dans laquelle nous indiquions vouloir être impliqués plus rapidement dans le processus. Nous voulons que, comme nous, d'autres personnes puissent y participer plus tôt.

Cette fois-ci, nous traitons une question que nous allons devoir adopter d'ici peu. Que voulez-vous voir figurer au procès-verbal comme plancher des modifications que vous demandez? Nous allons espérer que la prochaine fois que nous aurons à suivre ce processus nous serons en mesure de formuler ces commentaires pendant le déroulement de celui-ci et non pas à sa toute fin.

Le sénateur Marwah vous a demandé de nous dire, si vous le pouvez, quelles sont les mesures que nous allons regretter d'avoir acceptées.

Le sénateur Marwah : Nous remettre une liste d'une trentaine de mesures ne nous aiderait pas parce que nous ne pourrions pas les modifier. En restant dans les limites du pratique, quelles sont les mesures qui resteraient du domaine du possible étant donné l'étape à laquelle nous sommes rendus dans l'ensemble du processus.

Mme Dey : Je vais vous faire quelques suggestions. L'un des éléments les plus fondamentaux de l'opposition que nous manifestons à cet accord est le mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Doubler ce mécanisme d'obligations pour les sociétés serait absolument extraordinaire. C'est une mesure qui changerait complètement notre vision de cette entente, mais qui ne figure pas actuellement dans celle-ci.

Un autre élément serait de prévoir une forme quelconque de système d'évaluation parce que, pour nombre de ces ententes commerciales, nous ignorons si elles ont réellement pour effet de créer des emplois. Nous ne savons pas ce qui se passe. Prévoir d'y ajouter des modalités de contrôle, par exemple un système de coopération en matière de réglementation, serait une excellente chose et permettrait de suivre les résultats imputables à l'AECG, tout comme aux ententes commerciales qui seront négociées par la suite. Les choses se passent de la même façon avec la négociation de l'accord commercial entre le Canada et la Chine, avec le nouveau PTP et, encore une fois, avec la renégociation de l'ALENA. Cette entente est en cours de négociation et lorsque viendra pour nous le temps de la commenter, il sera encore beaucoup trop tard.

Nous réalisons que, nous aussi, nous intervenons beaucoup trop tard dans ce processus. Il est difficile pour quiconque, cinq ans plus tard, de dire : « Très bien, voilà où vous vous en allez. » En plus, étant donné la situation du mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États, si l'AECG doit être adopté, il va être modifié.

Je ne peux pas imaginer qu'il n'en soit pas ainsi. C'est pourquoi il faut maintenant formuler quelques recommandations sur les modifications qui devraient y être apportées.

Il me paraît tout à fait possible de mettre celles-ci en œuvre. À long terme, il faut que nous obtenions un type d'entente très différent, mais ces modifications pourraient fort bien être négociées maintenant.

Mme Rampure : Comme j'ai déjà parlé des marchés publics nationaux, je ne vais pas y revenir. Sujata vous a déjà expliqué que même si vous parvenez à la fin de votre étude au Canada, il n'est pas encore trop tard pour y apporter des modifications.

Le processus que va devoir suivre l'Union européenne avant que cette entente n'entre pleinement en vigueur est long et difficile. Je partage l'avis de Sujata selon lequel d'autres modifications y seront apportées et rien ne vous empêche d'en apporter vous-même maintenant quelques-unes, tout en veillant à ce que la mise en œuvre provisoire de cette entente n'autorise pas l'application de dispositions dont vous convenez avec nous qu'elles sont problématiques.

Nous croyons savoir que lorsque cette entente aura été entérinée par le Canada, on passera à une phase d'application provisoire de celle-ci. Elle n'entrera pas en vigueur intégralement. On disposera encore alors du temps nécessaire pour y apporter des modifications. Nous tenions à vous le rappeler.

Mme Dey : Le Parti libéral du Canada a formulé, dans les mémoires qu'il nous a remis, un certain nombre de recommandations qu'il serait intéressant de suivre et qui concernent la quantification de ce qu'il va advenir des coûts des médicaments et des effets sur l'industrie laitière. Celles-ci visent aussi à s'assurer que ses conséquences seront évaluées. Nombre d'entre nous sont d'anciens libéraux, des libéraux indépendants, des indépendants. Ce sont là des choses que le gouvernement lui-même devrait vouloir savoir. Ce sont des choses qu'il est possible de faire dès maintenant.

Toutefois, à nos yeux, il est indispensable de lancer un projet à long terme et c'est ainsi qu'il faudrait aborder tout accord de libre-échange en examinant l'équilibre des droits que celui-ci fixe. C'est là une discussion tout à fait indispensable et j'espère que votre comité va l'indiquer dans une recommandation énergique afin de tenter de modifier ce paradigme.

Le sénateur Pratte : Vous venez de nous parler d'une application provisoire de l'entente, et si nous votons en faveur du projet de loi, et que cela déclenche l'application provisoire de l'entente, la première chose qui va se produire est que les tarifs douaniers vont bien évidemment diminuer des deux côtés de l'Atlantique.

À votre avis, est-ce là une bonne chose, que les tarifs douaniers soient diminués de façon très importante par les deux parties, et donc que les biens canadiens puissent entrer sur le marché européen en étant presque exonérés de ces tarifs douaniers, et qu'il en soit de même pour les biens européens entrant sur le marché canadien. Les tarifs douaniers devraient en effet être ramenés pratiquement à zéro sur plus de 95 p. 100 des lignes tarifaires.

M. Brown : Je vais vous donner deux réponses différentes. La première consiste à vous rappeler que le tarif douanier moyen lors des échanges commerciaux entre l'Union européenne et nous est maintenant de 2,5 p. 100. Le ramener presque à zéro ne va pas changer grand-chose. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec les membres de comités européens qui parlaient avec enthousiasme de l'amélioration de l'accès par les deux parties au marché de l'autre. Je leur ai proposé de se rendre chez les concessionnaires Volvo et Mercedes les plus proches ainsi que dans un magasin IKEA. Lorsqu'ils ont eu terminé leurs visites, je leur ai demandé quels sont les produits qui, actuellement, ne peuvent pas entrer au Canada. Il n'y en a pas beaucoup. L'affirmation voulant que cette entente permette d'élargir les échanges commerciaux ne repose pas sur des bases très solides. Il n'y a pas beaucoup d'entraves aux échanges commerciaux entre nous et rares sont les choses qui ne sont pas disponibles dans chacun des pays.

Pour l'instant, laissons cela de côté pour en venir à l'autre volet de votre question. Si cette entente portait sur les tarifs douaniers, elle ne dépasserait probablement pas deux ou trois pages alors que la dernière fois que j'ai vérifiée, celle-ci faisait 980 pages, si je me souviens bien. Ce n'est donc pas une entente sur les tarifs douaniers. Si cette entente avait pour objet les questions commerciales traditionnelles, son texte serait passablement court et condensé. Nous discuterions alors de savoir si ces tarifs douaniers devraient être de 0 ou de 2 p. 100. On retrouve dans l'AECG quantité de choses qui n'ont rien à voir avec cela. Ce sont ces choses-là qui retiennent particulièrement notre attention.

Le sénateur Pratte : Je conviens avec vous que cette entente ne porte pas uniquement sur les tarifs douaniers, mais ceux-ci y sont bien abordés. Si leur moyen est relativement faible, il n'empêche qu'il y a des industries pour lesquels ces tarifs sont importants. J'ai un peu l'impression que la plupart d'entre vous examinez le contenu de cette entente comme s'il s'agissait d'une rue à sens unique. Vous parlez des marchés publics.

Il est exact que pour certains gouvernements nationaux, ces marchés publics seront ouverts aux entreprises européennes, mais la symétrie est vraie, et cela représente un marché énorme pour les entreprises canadiennes et leurs travailleurs. N'est-ce pas une bonne chose?

M. Brown : Une étude réalisée par le gouvernement du Canada montre que seulement 5 p. 100 des entreprises canadiennes ont accès au commerce international. L'argument voulant qu'une armée de petites entreprises canadiennes s'attaque au marché européen et s'enrichisse en construisant des ponts avec l'Europe est un peu fallacieux.

Des entreprises européennes sont des spécialistes du domaine des infrastructures, et elles vont venir chercher des marchés au Canada. La question fondamentale qui se pose est alors celle-ci : « Qu'y a-t-il de mal à ce que le gouvernement canadien utilise l'argent de ses contribuables pour le bien de sa population et de son économie? » Lorsque des municipalités, des provinces ou le gouvernement fédéral dépensent notre argent, une partie de celui-ci vient de ma poche et de la vôtre. Ces divers paliers de gouvernement ont le droit de le dépenser pour favoriser le développement de l'économie canadienne en achetant des produits locaux.

Le sénateur Pratte : Cela s'appelle du protectionnisme.

M. Brown : Eh bien, le protectionnisme a une réputation intéressante, n'est-ce pas? Où est-il écrit que le procès sionisme veut dire que nous ne pourrions pas utiliser de façon raisonnable l'argent canadien dans l'intérêt des Canadiens? C'est une question qui mérite qu'on se la pose.

Il y a un bonhomme qui s'appelle Donald Trump qui vient d'être élu chez nos voisins du Sud. Je ne sais pas si j'ai le droit de dire que c'est un cinglé pendant que les micros sont ouverts. Il a été élu précisément parce que tout ce qu'on nous raconte sur les bienfaits du libre-échange ne se vérifie pas pour les travailleurs. Si c'était le cas, il n'occuperait pas la Maison-Blanche.

Le sénateur Pratte : Pour moi, je pense que les entreprises canadiennes, petites, moyennes et grandes, peuvent réussir sur les marchés européens tout comme les entreprises européennes peuvent réussir sur le marché canadien, pour le bien des Canadiens et des Européens.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Ma question s'adresse à Mme Dey, et je vais la poser en français. Je crois que vous comprenez le français, n'est-ce pas?

Mme Dey : Oui.

La sénatrice Saint-Germain : Vous recommandez l'exemption des services publics de la portée de l'accord. On l'a dit, il est trop tard pour qu'une telle recommandation soit mise en œuvre, mais quelle est votre interprétation des gains que feraient les Canadiens compte tenu de l'importance du marché des services publics des pays membres de l'Union européenne?

Vous manifestez beaucoup d'inquiétudes quant aux menaces concernant le programme d'assurance-maladie publique et d'autres services sociaux. Ma préoccupation est très sociétaire, et j'aimerais savoir comment cette crainte au sujet de l'assurance-maladie publique et des services sociaux pourrait être atténuée.

Mme Dey : Merci beaucoup de votre question en français. D'abord, il y a deux aspects à considérer.

Une évaluation de l'AECG a été faite par des économistes des Nations Unies qui ont analysé le nombre d'emplois qui seront perdus au Canada, et ils ont estimé qu'il y en aurait 23 000. Ils ont également dit qu'avec la hausse de la compétitivité, il y aurait une diminution des sommes taxables et que cette diminution entraînera une réduction des sommes d'argent disponibles pour les services publics.

À notre avis, il est important de garder cela à l'esprit. Il faut évaluer les facteurs d'inégalité dans l'accord. Par exemple, si on parle de fiscalité, existe-t-il des mécanismes dans l'accord qui permettent d'empêcher l'évasion fiscale et de prévoir un traitement juste? Il n'y en a pas.

L'important n'est pas d'évaluer simplement les choses et de dire qu'il y aura une création de 80 000 emplois. Il faut aussi savoir quel sera l'impact de cet accord sur le pays.

La sénatrice Saint-Germain : Vous avez dit que cette étude provenait des Nations Unies. Est-ce que vous pourriez nous la fournir?

Mme Dey : Oui, bien sûr. Il s'agit d'une étude faite par des économistes des Nations Unies pendant leur congé sabbatique.

La sénatrice Saint-Germain : Je reviens à ma question. Comment, aujourd'hui, dans le contexte d'une loi de mise en œuvre, pourrait-on atténuer les risques que vous avez cernés pour préserver les programmes de santé publique et les services sociaux?

Mme Dey : D'abord, il faut dire qu'on ne le sait pas nécessairement, parce qu'un accord se mesure par des exportations, et que les exportations vont augmenter, ce qui signifie que le Canada sera plus riche et qu'il y aura beaucoup plus d'emplois.

En réalité, dans l'étude que j'ai mentionnée des Nations Unies, s'il y a une augmentation des exportations, il n'y a pas nécessairement une augmentation du PIB. Il y a un lien, mais il n'est pas très solide. Ensuite, il n'y a pas nécessairement une égalité dans la distribution de cette richesse. Dans l'analyse sur l'AECG, ils ont dit que, pour chaque dollar qui va aux entreprises, moins d'argent ira aux travailleurs.

Lorsqu'on fait une évaluation pour déterminer si l'accord économique est réussi ou non, on n'a pas d'indications. On n'a pas de mécanisme de suivi. Il serait utile de le faire, s'il y avait un intérêt, par exemple, en Wallonie. On pourrait faire un processus d'évaluation avec eux. Ensuite, on pourrait mesurer les résultats économiques et ajuster l'AECG en conséquence par la suite. Présentement, on n'a même pas d'idée des résultats. Comme mon collègue l'a dit, on fait chaque accord en promettant une meilleure productivité avec l'ALENA et beaucoup plus de richesse, mais on ne mesure même pas les résultats. On ne sait pas.

La sénatrice Saint-Germain : Donc, vous suggérez la mesure de l'impact fiscal et de la répartition de la fiscalité par le gouvernement.

Mme Dey : Exactement, et la mesure de l'impact sur les services publics et les impôts.

[Traduction]

Le sénateur Woo : En réfléchissant à la dimension politique des négociations commerciales, je crois que vous avez tous convenus être d'accord avec certains aspects de l'AECG. Il aurait fallu y consacrer davantage de temps, négocier plus soigneusement certaines dispositions, tout vérifier et revérifier, mettre en œuvre, et cetera. Le résultat final de tout ceci est que vous nous dites : « Prenez votre temps. Ne vous précipitez pas en acceptant tout. Il y a quantité de dispositions qu'il faut modifier, et cetera. »

Pensez-vous vraiment que si nous devions voter contre ce projet de loi, rouvrir les négociations, ce qui reviendrait pour l'essentiel à revenir sur ce dont nous avions déjà convenu, cela irait dans le sens des forces progressistes et partisanes des échanges commerciaux au lieu d'apparaître comme un soutien de ceux qui veulent fermer leurs frontières, précisément ceux que vous avez écorchés, les Trump de ce monde si vous préférez le formuler ainsi? À mes yeux, le risque serait beaucoup plus important si nous décidions de dire maintenant que nous n'aimons pas cette entente, que nous voulons reprendre sa rédaction et donc la négocier à nouveau. Je crois qu'alors les politiciens européens ayant des tendances isolationnistes diraient : « Nous vous l'avions dit. C'est précisément ce que nous disions et nous partageons l'avis des Canadiens. Nous ne voulons pas négocier d'entente. » Je fais ici de la spéculation, mais j'aimerais connaître votre réaction à cette hypothèse.

Mme Rampure : Merci. C'est une question très intéressante.

Je crois bien que ce pourrait être une conséquence à court terme, mais, à long terme, les gens ont besoin de voir d'eux-mêmes les avantages du libre-échange, et cet accord ne les aidera pas à faire ça. Tant et aussi longtemps que les gens ne voient pas les avantages pour eux du libre-échange, que celui-ci ne se traduit pas vraiment en de meilleures conditions de travail, qu'il ne fait pas augmenter le revenu de tout le monde, nous verrons se poursuivre l'intensification de la xénophobie qui motive une grande partie des forces que nous voyons s'exercer en Europe et aux États-Unis.

Le sénateur Woo : Vous êtes donc disposés à appuyer sur le bouton Pause pour les accords de libre-échange?

Mme Rampure : Oui, parce que nous ne savons pas forcément qu'un nouveau modèle d'échanges créera plus d'acceptation, mais nous savons que poursuivre le programme d'échanges comme cela a été fait au cours des deux dernières décennies ne fera qu'envenimer la situation davantage.

M. Brown : Si vous me permettez d'ajouter une chose, j'aimerais vous reporter aux remarques faites par notre premier ministre actuel au Parlement européen. Ce qu'il a dit là-bas est quelque chose que, à mon avis, vous devriez pondérer. Il a dit que c'est la dernière occasion pour les peuples de s'engager vraiment dans ce genre d'accords commerciaux. Parce que, si l'AECG ne réussit pas, nous ne serons jamais plus en mesure d'en signer un autre. Votre préoccupation est liée, en quelque sorte, à cela, n'est-ce pas? C'est tout un risque qu'il y a là. Si nous avons raison, que cet accord présente un danger réel pour les travailleurs, pour les fermiers et pour les personnes qui croient en l'environnement, et si le premier ministre Trudeau a raison, c'est une mauvaise combinaison, et on a tout intérêt à prendre le temps de s'assurer qu'on fait les choses correctement.

Et une dernière idée me vient à l'esprit.

La présidente : Une idée rapide, je vous prie, parce que je crois que Mme Dey veut répondre.

M. Brown : C'est un accord qui a été négocié par un gouvernement précédent, et auquel le gouvernement actuel a donné suite. Ce n'est pas un accord de ce gouvernement, et il l'a simplement accepté en quelque sorte. Même au point de dire que, en tant que nouveau régime, il aurait dû consacrer plus de temps à s'assurer que l'accord est logique pour nous, et il ne l'a pas fait.

Le sénateur Woo : Merci.

Mme Dey : J'allais tout simplement dire, très rapidement, qu'on n'a peut-être pas le choix. Sous sa forme actuelle, l'accord peut imploser et quelle meilleure formation de pays que l'Union européenne pour démontrer ce de quoi pourrait avoir l'air un accord de libre-échange progressif, parce qu'il y a plusieurs peuples de ce côté-là? Plutôt que d'attendre la catastrophe que sont ces accords commerciaux, pourquoi ne pas faire quelque chose de positif, donner un exemple qui amènerait les gens à dire : « Bon, voici un nouveau modèle d'échanges »? Parce qu'à l'heure actuelle, à l'échelle mondiale, ça ne fonctionne pas, que ce soit au sein des États-Unis, que ce soit dans une partie de l'Europe, en Europe centrale, personne n'est convaincu.

Le sénateur Woo : Merci.

La présidente : Merci. Cet accord de libre-échange a été qualifié de nouveau concept d'échanges par le gouvernement précédent aussi bien que le gouvernement actuel. Je voulais donc faire une remarque qui soit pondérée, et préciser que le fait que les parlementaires n'ont pas eu de rôle dans les négociations des accords de libre-échange constitue le dilemme. Certaines raisons valident ça du point de vue historique; au gré de notre évolution, la branche de direction par opposition à la branche parlementaire, et nous voilà devant un accord de libre-échange qui a été négocié par un gouvernement. Le projet de loi C-30 est l'instrument législatif de mise en œuvre de tout ce qui doit être changé dans le droit canadien. C'est quelque chose dont nous tenons compte et c'est ainsi, je crois, que certaines des questions ont été formulées.

J'aimerais rappeler aux témoins que ce comité a pris la décision, il y a quelques mois — de fait, quelques années — d'étudier les accords de libre-échange en temps que concepts. J'aimerais vous renvoyer à ce rapport pour voir ce que nous avons dit, c'est-à-dire que, aujourd'hui, il devrait y avoir un rôle, ou un rôle différent, pour la société civile, et ainsi de suite. Je reconnais que cet accord a eu plus de contribution de la part des provinces et de la part des parties prenantes. Dans notre rapport, nous élargissions cela pour que ce soit plus inclusif dans les accords commerciaux futurs.

Nous avons aussi dit que le Parlement a un rôle, et que celui-ci devrait intervenir bien plus tôt. Nous devrions être informés de ce qui se passe pour que nous puissions avoir notre mot à dire parce que nous représentons les citoyens d'une façon différente.

Enfin, ce qui à mon avis est des plus importants, nous avons dit que nous devrions connaître la stratégie de mise en œuvre, les résultats attendus, pour que nous puissions les suivre. Par conséquent, une certaine partie de ce que vous avez dit aujourd'hui est quelque chose que nous avons dit auparavant et nous en sommes, pour cet accord, au point de la mise en œuvre en pratique. Nous avons le projet de loi C-30, et j'espère que vous verrez une partie de ce que vous avez dit être intégrée.

Nous avons dit que les accords de libre-échange sont un outil pour la prospérité économique. Nous avons dit que les accords commerciaux, en eux-mêmes, ne produisent pas la prospérité, qu'il y a de nombreuses autres étapes et que c'est un aspect très important. Donc, je crois avoir entendu de certains sénateurs et d'autres personnes qui ont témoigné que, à leur avis, c'est un accord moderne, mis à jour, mais qui ne réussira pas si on va de l'avant avec la stratégie de mise en œuvre et toutes les choses dont vous avez parlé, gagnants et perdants, ainsi que les ajustements.

Dans notre rapport, nous avons dit que nous comprenons pleinement que certains accords sont en cours et d'autres sont déjà terminés, mais que, quoi qu'il en soit, nous espérons que toutes les étapes que nous avons recommandées seront prises en compte. Dans ce cas particulier, nous allons porter entièrement notre attention, en tant que comité, non pas forcément sur l'étude du projet de loi C-30, mais sur la stratégie de mise en œuvre. C'est ce vers quoi nous nous dirigeons. J'espère que nous avons trouvé certains points communs pour certaines des questions. Nous respectons votre perspective des accords commerciaux. Nous avons entendu d'autres personnes et entendu votre message. Nous avons entendu vos observations et nous les inclurons dans nos délibérations.

Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins, David Wilkes, vice-président principal à la Direction des épiceries et relations gouvernementales du Conseil canadien du commerce de détail, suivi de Sarah Clark, présidente-directrice générale de la Fraser River Pile and Dredge. Et enfin, du Réseau québécois sur l'intégration continentale, nous avons Ronald Cameron, coordonnateur, et Jessica Olivier-Nault, chercheuse.

Je m'excuse du retard. Vous avez entendu les demandes d'intervention courtes. Vos points principaux seulement, je vous prie, pour que nous puissions avoir la période de questions et réponses.

Bienvenue au comité.

David Wilkes, vice-président principal, Direction des épiceries et relations gouvernementales, Conseil canadien du commerce de détail : Merci beaucoup, et merci aux sénateurs de cette possibilité de comparaître devant vous.

Le secteur du commerce de détail est le plus gros employeur au Canada, avec plus de deux millions de Canadiens travaillant dans notre secteur. En 2015, il a généré plus de 59 milliards de dollars de masse salariale et plus de 340 milliards de dollars de ventes, et il représente la composante de détail qui ne comprend pas les véhicules et l'essence.

Nos membres représentent plus des deux tiers des ventes au détail dans le pays, avec de petites, moyennes et grandes entreprises de détail dans toutes les collectivités du Canada. Les 45 000 magasins que nous représentons comprennent les catégories de détail comme les grands magasins, les épiceries, les magasins de produits électroniques, les détaillants de livres au rabais et les détaillants en ligne.

Les épiceries membres du CCCD représentent plus de 95 p. 100 des denrées alimentaires vendues dans le pays. Elles fournissent des services essentiels, sont une source importante d'emplois dans les grandes et petites collectivités, et elles offrent de fortes marques privées et vendent des produits de toutes les catégories d'aliments.

Essentiellement, du point de vue d'un conseil de commerce de détail, nous sommes fortement en faveur d'échanges plus libres, que ce soit par le truchement d'accords bilatéraux ou multilatéraux comme l'AECG. La raison pour laquelle nous avons cette opinion est simple. Les accords de libre-échange éliminent les tarifs douaniers imposés aux biens que nous importons. Cela permet aux détaillants d'offrir des prix plus concurrentiels au consommateur canadien. Au fur et à mesure que les prix et la concurrence augmentent dans notre secteur, cela mène théoriquement à une augmentation des volumes de vente et au niveau associé d'activités économiques et d'emplois.

Ces droits de douane dans certains cas sont loin d'être négligeables. Par exemple, les souliers représentent d'importantes importations à partir de l'Europe. Ces articles sont passibles de droits de douane de 18 à 20 p. 100. De même, la plupart des produits d'habillement sont passibles de droits de douane de 18 p. 100. Ces droits sont ensuite assujettis aux taxes de vente et finissent généralement par augmenter de plus d'un cinquième le prix des biens taxés de 18 à 20 p. 100.

L'élimination des tarifs ne réduira pas seulement les prix, mais augmentera le choix pour les consommateurs. Les biens qui seraient autrement non concurrentiels deviendraient commercialisables.

En plus des détaillants qui appuient la réduction des tarifs, nos épiceries membres appuient aussi fortement les dispositions de l'AECG concernant l'augmentation des importations de plus de 16 000 tonnes métriques de fromages européens. Le CCCD recommande que 100 p. 100 de ce nouveau quota de fromage soit attribué directement aux détaillants. Le modèle que nous proposons représenterait d'importants avantages tant pour les agriculteurs que pour les consommateurs canadiens. Permettez-moi de vous donner certains faits saillants, tout d'abord en ce qui concerne notre collectivité agricole.

Le CCCD propose que chaque part de détaillant de ces fromages qui est attribuée soit fondée sur les ventes de l'année précédente de fromages canadiens et importés. Le fait de relier les attributions futures aux détaillants aux ventes à l'intérieur de la catégorie entière des fromages offre une forte motivation à l'augmentation des ventes de fromages tant canadiens qu'importés et, à notre avis, offre un avantage direct aux agriculteurs canadiens.

Deuxièmement, l'appétit du consommateur canadien augmente considérablement et, de fait, d'un point de vue international, nous consommons moins de fromage que de nombreux autres pays. L'attribution des quotas de fromage directement à l'épicier permettra à nos membres de faire en sorte que le bon produit soit offert aux consommateurs à des prix très concurrentiels.

Les détaillants seront non seulement en mesure de faire en sorte que le quota soit utilisé pour faire venir des fromages que les consommateurs veulent, mais, à notre avis, cela éliminera les éléments inflationnistes que comporte le système actuel de quotas de tiers, et aussi, d'après ce qu'ont évalué nos membres, 20 à 40 p. 100 des coûts supplémentaires présentement intégrés dans ce système.

Les membres du CCCD attendent impatiemment la ratification de l'accord et nous enjoignons à ce comité d'appuyer cela. Aussi, nous lui demandons d'envisager la recommandation concernant l'attribution des fromages directement à la communauté des détaillants.

J'accueillerai avec plaisir la discussion à venir, et vous remercie beaucoup de cette occasion.

Sarah Clark, présidente directrice générale Fraser River Pile and Dredge : Bon après-midi. Je suis la directrice des opérations chez Fraser River Pile & Dredge, une compagnie dont le siège est à Vancouver, en Colombie-Britannique, mais nous avons des activités de dragage partout dans l'Ouest canadien et les Territoires du Nord-Ouest. Je suis ici aujourd'hui afin de parler au nom d'une coalition de sociétés canadiennes de dragage qui exercent leurs activités d'est en ouest. Des représentants de ces sociétés m'accompagnent aujourd'hui.

Nous remercions très sincèrement les membres du comité pour l'occasion qu'ils nous donnent de présenter notre point de vue sur les conséquences que pourrait avoir une modification à la Loi sur le cabotage prévue dans le projet de loi C-30.

Bien entendu, nous comprenons que l'esprit de l'Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l'Union européenne reflète le désir des deux instances directrices et des deux peuples de nouer de meilleurs liens économiques et de créer un avenir plus prospère. Nous appuyons les efforts du gouvernement visant à accroître le commerce et à rendre notre économie aussi concurrentielle que possible.

À cet égard, nous souhaitons faire part de nos inquiétudes concernant les effets négatifs que l'AECG aura sur le secteur canadien du dragage. Nous sommes d'avis que les amendements à la Loi sur le cabotage, comme prévu dans le projet de loi C-30, accorderaient un avantage indu aux sociétés étrangères de dragage aux dépens des entreprises canadiennes et, finalement, des travailleurs canadiens.

Nous demandons tout simplement que le comité recommande dans son rapport que les navires de dragage battant pavillon de l'UE soient assujettis aux mêmes normes de fonctionnement strictes que les bateaux canadiens de dragage, et que soit fermée toute échappatoire dans les accords de sous-traitance pour les navires ne battant pas pavillon de l'UE.

Nous ne craignons pas la concurrence. Nous l'affrontons au quotidien dans notre secteur, que ce soit au Canada ou à l'étranger. Toutefois, dans le cadre de l'AECG, il n'y a pas de réciprocité. Aucun nouveau débouché n'a été créé pour l'industrie canadienne du dragage. Nous demandons simplement que les règles du jeu soient équitables.

J'aimerais dire quelques mots sur le rôle important que joue le secteur du dragage pour le Canada en tant que nation maritime et commerçante. Le dragage des ports et des voies navigables constitue un travail essentiel pour notre économie nationale. Ouvrir ces routes aux navires marchands canadiens et étrangers amène des biens de consommation dans les marchés canadiens et envoie nos produits partout dans le monde. Sans navires de dragage, les ports des grandes villes seraient inaccessibles au commerce mondial et au transport. Les opérations industrielles — à la fois côtières et intérieures — ne pourraient pas fonctionner.

Nos compagnies de dragage se conforment activement aux rigoureux règlements du gouvernement concernant la main d'œuvre, la protection de l'environnement et les normes d'exploitation, tout en se soumettant régulièrement à de méticuleuses inspections de routine de Transports Canada qui comptent parmi les plus rigoureuses au monde.

Aussi, les entreprises canadiennes de dragage offrent de bons emplois et des salaires concurrentiels dans un milieu de travail syndiqué. Notre secteur soutient pleinement la gérance de l'environnement ainsi que la santé et la sécurité au travail de centaines de familles canadiennes de la classe moyenne.

Malheureusement, tous ces bienfaits sont menacés par les amendements à la Loi sur le cabotage proposés dans le projet de loi C-30.

Ces amendements ouvrent le marché canadien du dragage à des entreprises européennes, tout en fermant le marché européen aux entreprises canadiennes. La relation n'est pas réciproque.

Bien que cela pourrait être considéré comme une conséquence déplaisante des affaires dans un marché global, plusieurs facteurs interviennent pour créer une situation où les sociétés étrangères gagnent un avantage structurel et commercial par rapport aux sociétés canadiennes. Si des règles du jeu équitables ne sont pas appliquées, les sociétés canadiennes de dragage seront confrontées à un handicap structurel lorsqu'elles répondront à des appels d'offres puisqu'elles ont signé des accords qui les obligent de verser des salaires et des garanties équitables à leurs membres d'équipage.

De leur côté, les équipes étrangères reçoivent un salaire qui équivaut généralement aux deux tiers de ces normes. Par exemple, en 2015, le salaire mensuel moyen d'un chef mécanicien assigné à un navire canadien de dragage était de 15 000 $ US, alors qu'un employé occupant le même poste sur un bateau hollandais recevait seulement 7 000 $ US.

Permettez-moi de vous renvoyer aux renseignements de l'Association des armateurs du Saint-Laurent que nous avons distribués aujourd'hui, ainsi qu'aux observations présentées à ce comité par le Syndicat international des marins.

Comme les salaires constituent le gros du coût d'exploitation d'un navire, les entreprises étrangères jouiraient d'un avantage concurrentiel important par rapport aux entreprises canadiennes, ce qui se traduirait par des pertes d'emploi pour les marins canadiens. Selon un tel scénario, les règles du jeu sont totalement inégales dans le secteur national du dragage, au détriment des entreprises canadiennes ainsi que de leurs employés et leur famille.

Nous comprenons en outre qu'il y a eu des pressions pour élargir la définition de la propriété en vertu de la Loi sur le cabotage, qui pourrait avoir des conséquences imprévues, par exemple en autorisant les navires américains dans notre marché par une porte arrière créée par l'AECG. À la lumière de la loi américaine très restrictive dite Jones Act, nous demandons respectueusement au comité d'examiner davantage cette question.

Je vais maintenant dire quelques mots sur le processus actuel au Canada. Actuellement, les navires battant pavillon étranger doivent, en vertu de la Loi sur le cabotage, obtenir une licence de cabotage. Par ce processus, les navires battant pavillon étranger se soumettent aux mêmes lois et règlements que les navires canadiens, y compris en ce qui a trait au paiement de droits et au respect des conventions maritimes.

Cependant, même cette structure a dû faire face à des défis en matière d'exploitation et d'inspection, ce pour quoi nous demandons qu'une seule agence gouvernementale soit pleinement responsable d'assurer la conformité et le respect des règlements. En vertu de l'AECG, les dragueurs européens auront un plus grand accès à nos eaux territoriales et davantage de moyens d'éviter de se conformer à la réglementation.

C'est pourquoi nous devons avoir une entité pour administrer ce régime — tout comme les autres pays. Selon notre expérience à ce jour, l'application d'une seule agence accroît considérablement la probabilité de conformité.

En résumé, notre coalition de sociétés canadiennes de dragage demande simplement que ce comité recommande ce qui suit : Attendu que, selon les amendements à l'AECG, les navires de dragage battant pavillon de l'UE doivent être assujettis aux mêmes normes de fonctionnement que les navires canadiens, nous recommandons que le gouvernement du Canada charge une seule agence gouvernementale d'assurer la conformité et le respect des lois et règlements.

Nous remercions sincèrement les membres du comité d'envisager cette recommandation et de nous avoir donné l'occasion d'exprimer notre point de vue sur les conséquences d'un amendement à la Loi sur le cabotage, comme prévu dans le projet de loi C-30.

La présidente : Merci, madame Clark.

[Français]

Ronald Cameron, coordonnateur, Réseau québécois sur l'intégration continentale : Bonjour, madame la présidente et membres du comité permanent. Au nom du Réseau québécois sur l'intégration continentale, je tiens à remercier tout particulièrement le comité de nous avoir invités à la présente réunion.

Le réseau est une coalition qui regroupe près d'une vingtaine d'organisations sociales du Québec, y compris une majorité d'organisations syndicales, qui représentent plus de 1 million de personnes. Le réseau reconnaît l'importance de la coopération internationale, des échanges de biens et de services, et da mobilité des personnes.

Cependant, si l'ouverture des marchés procure plus de richesse, elle doit bénéficier à tous et respecter les valeurs de la population du Canada. Pour le réseau, l'Accord économique et commercial global (AECG) fragilise les droits des Canadiens, particulièrement ceux des travailleurs qui connaissent déjà un recul de leurs conditions de vie et de travail. Je vais passer la parole à Jessica, qui fera un survol de certains faits saillants.

Jessica Olivier-Nault, chercheure, Réseau québécois sur l'intégration continentale : Beaucoup d'éléments ont été abordés dans les présentations du groupe de témoins précédent. Je vais essayer de mettre en lumière des points différents, quitte à écourter certains passages.

L'AECG est un accord dont la portée dépasse largement le commerce international. Les mécanismes qui y sont inscrits visent une libéralisation encore plus large de l'économie et attaquent de manière virulente le caractère démocratique de nos sociétés. L'évaluer simplement comme un accord de commerce nous conduirait à nous méprendre sur les enjeux, notamment les aspects de dérégulation qu'il comporte.

Concernant le système juridictionnel des investissements, il convient de rappeler que le Canada est le pays industrialisé qui a fait l'objet du plus grand nombre de poursuites, soit 37 poursuites, dans le contexte de la procédure de règlement des différends de l'ALENA. Les affaires actuellement en cour sont évaluées à 2,5 milliards de dollars. Avec le mécanisme de protection des investissements mis en œuvre par l'AECG, et malgré la récente déclaration interprétative, les multinationales les plus riches auront toujours la possibilité de poursuivre le Canada par l'intermédiaire d'un tribunal qui pose problème à plusieurs égards. Ce sujet a été abordé plus tôt. Si vous avez des questions, on pourra en reparler.

Le RQIC et les organisations qui le composent souhaitent porter à votre attention le fait qu'il est, selon nous, tout à fait inacceptable qu'un gouvernement élu démocratiquement, et ayant pris une décision dans l'intérêt général, puisse subir de telles poursuites. De plus, ces recours entraînent un effet de dissuasion. Le législateur prend en compte le risque de poursuite lorsqu'il légifère, donc il ne légifère plus uniquement en se rapportant à l'intérêt général et au bien commun.

Sur la question des services publics, l'AECG limite la capacité des gouvernements de créer de nouveaux services publics et de les réglementer, ou de les ramener dans le domaine public en cas d'échec des processus de libéralisation ou de privatisation.

Larry Brown, tout à l'heure, a défini pour vous le principe de la liste négative, de l'effet statu quo et de l'effet cliquet. Je ne reprendrais donc pas ces définitions. Toutefois, j'aimerais porter à votre attention le fait que, selon nous, ces trois mécanismes mettent en œuvre une libéralisation qui devient la règle, et une réglementation publique qui devient l'exception.

Nous souhaitons vous exhorter à reconnaître qu'un gouvernement doit conserver sa capacité à réglementer dans l'intérêt du bien commun. Il faut s'assurer de préserver, pour nos gouvernements et dans l'intérêt général, le droit de rapatrier à l'interne un service privatisé si la sous-traitance coûte plus cher et ne livre pas les résultats escomptés.

Nombreuses ont été les interventions qui ont porté à votre attention la protection des brevets pharmaceutiques. J'aimerais simplement vous signifier que le RQIC est extrêmement préoccupé par une hausse des coûts des médicaments de l'ordre de 2 à 3 milliards annuellement. Une telle hausse ne pourra pas se faire sans avoir un impact sur l'offre de soins et de services au pays. Une telle hausse du coût des médicaments va nécessairement remettre en question les transferts, à savoir comment ce dossier pourra être géré.

J'ai aussi quelques propos sur l'ouverture des marchés publics des gouvernements sous-centraux, thème qui a aussi été abordé plus tôt. L'AECG détermine des seuils si bas qu'on peut affirmer qu'une majorité des commandes devront être accessibles aux entreprises étrangères privées. Différentes évaluations ont été effectuées, mais on parle d'environ 80 p. 100 des commandes. Ce faisant — et c'est une transformation majeure —, l'AECG va emprisonner les gouvernements sous-centraux dans une logique d'octroi de contrats au plus bas soumissionnaire. Les gouvernements sous-centraux seront privés d'un outil important de développement économique, local et régional. Pourtant, selon nous, il est primordial que ces gouvernements conservent le droit de créer des politiques d'achat qui contribuent au développement économique local, qui veillent à la protection de l'environnement, qui respectent le droit des travailleuses et des travailleurs, et qui tiennent compte des aspirations, des besoins ou des spécificités des collectivités locales dans lesquelles ces contrats sont octroyés.

M. Cameron : J'aimerais ajouter un dernier mot sur la diversité culturelle. Pour la population du Québec, il s'agit d'un enjeu important. L'AECG aura des effets sur la culture. La culture a été négociée, chapitre par chapitre, alors qu'il aurait fallu une exception générale, étant donné qu'il y a des trous. Les premières lectures nous font craindre le pire, entre autres, sur le secteur du livre. Cela pourrait toucher les auteurs québécois.

Pour conclure, l'AECG ne résoudra pas le problème de l'emploi, et nous craignons que des poursuites s'attaquent aux protections sociales et à nos marchés publics locaux au détriment des politiques publiques et des populations. C'est pourquoi nous recommandons de ne pas mettre en œuvre cet accord, surtout dans le contexte d'incertitude qui règne en Europe sur la même question. Si, toutefois, le projet va de l'avant, le réseau et ses membres demandent de faire partie des mécanismes de suivi qui seront mis en place.

[Traduction]

La présidente : Merci à nos témoins. J'ai une liste, commençant par le sénateur Dawson.

[Français]

Le sénateur Dawson : Je vais vous poser les mêmes questions qui ont été posées au groupe précédent en ce qui concerne les recommandations que vous aimeriez que nous formulions dans notre rapport, qui vous permettront de nous dire, dans quelques années : « On vous l'avait dit. » J'ai déjà dit que j'appuyais l'accord.

[Traduction]

Nous avons une très bonne représentation des gens qui sont pour et de ceux qui sont contre.

[Français]

J'aimerais quand même entendre vos commentaires sur ce que vous voudriez avoir à nous reprocher dans quelques années.

[Traduction]

Madame Clark, dans votre cas, nous avons au moins trois ou quatre membres du Comité des transports ici. Quoi qu'il arrive ici, ce qui est assez évident, je crois, nous pouvons à un moment donné écouter vos plaintes concernant le dragage et le transport maritime.

Tout d'abord, je vis près du Saint-Laurent et donc je peux voir à quel point votre secteur est important. Je vous vois tous les jours. Si vous regardez mon CV, vous verrez que j'ai déjà travaillé dans le secteur du transport maritime, et donc j'avoue une certaine partialité.

Je vous dirais la même chose. Nous vous avons offert la possibilité d'être entendus. Notre premier objectif était d'offrir cette possibilité. Nous ne l'avons pas fait tôt dans le processus et vous êtes parmi les derniers à être entendus. Les derniers seront demain peut-être.

Vous avez l'occasion de faire enregistrer dans le compte rendu vos observations, mais nous devons être très honnêtes. L'accord sera soit approuvé, soit rejeté; il ne sera pas modifié. Si vous voulez verser quelque chose au compte rendu, je vous invite à le faire comme je l'ai fait pour les groupes précédents.

[Français]

Mme Olivier-Nault : Il faut une protection des services publics. Pour protéger correctement les services publics — parce que l'accord ne le fait pas en ce moment —, il faut éliminer l'effet cliquet. Il faut renégocier à partir d'une liste positive. Il faut s'assurer que les nouveaux services ne soient pas automatiquement privatisés.

Or, il y a un problème avec le mécanisme de règlement des différends entre les États. Il n'est pas nécessaire de passer par-delà les services. On a des systèmes de justice nationaux qui sont bien en place. Je réitère le fait que les systèmes de justice nationaux sont en mesure de remplir le mandat que l'on donne au mécanisme de règlement des différends entre les États. Ce mécanisme, ou le système juridictionnel, car il a changé de nom, souffre d'un problème d'équité procédurale. On pourrait parler longtemps de tous ces problèmes, mais ce sont les deux points que je porterais à votre attention.

Le sénateur Dawson : Le gouvernement du Québec appuie l'entente. On peut comprendre que vous avez des revendications, mais on écoute aussi l'autre porte-parole, qui est le gouvernement du Québec, qui a participé davantage au processus que nous, d'ailleurs. Le gouvernement du Québec était à la table, alors que le Sénat vous invite à témoigner à la dernière minute. Je veux donc mettre un léger bémol à vos propos, car le gouvernement québécois appuie l'entente. Il ne peut donc pas y avoir que des côtés négatifs.

M. Cameron : Il y a des débats au Québec sur l'impact de l'accord, même au sein de l'Assemblée nationale.

Le sénateur Dawson : Il y en a ici aussi.

M. Cameron : Oui. Il s'agit d'un accord central qui implique le gouvernement fédéral avec une constituante européenne. Nous croyons que cet accord vient jouer dans la répartition des juridictions dans l'État fédéral. Dans le domaine de la santé, si notre évaluation est juste quant aux coûts, la hausse des coûts devra être financée. De ce point de vue, est-ce que, parmi les mesures prises par le gouvernement, il y aura une hausse des compensations dans les transferts fédéraux aux provinces en matière de santé? Je ne sais pas où M. Couillard se tiendra sur cette question. Cependant, la culture est un domaine extrêmement important. M. Couillard, qui a voulu financer les compensations dans le dossier du bois d'œuvre, devra aussi dépenser de l'argent pour dédommager les auteurs québécois s'ils subissent les conséquences de l'entente. À mon avis, le débat doit se poursuivre pour qu'on puisse mesurer l'impact de l'accord sur la répartition des juridictions au sein de l'État fédéral. Ce débat est extrêmement important.

[Traduction]

M. Wilkes : J'aimerais offrir, si vous me le permettez, quelques réflexions concernant les questions du sénateur. Je serai très bref et succinct au sujet de deux choses. Comme l'élimination des tarifs mentionnée par le groupe de témoins précédent entre en vigueur immédiatement, je demanderais la transparence et la clarté quant au moment précis où ces tarifs cesseront d'être imposés. Les détaillants achètent leurs produits de nombreux mois à l'avance, de fait il y a déjà trois à six mois maintenant. Par conséquent, pour s'assurer que les avantages de la réduction des tarifs se rendent jusqu'aux consommateurs et qu'il n'y ait pas, si j'ose m'exprimer ainsi, d'accrocs dans le système, il faut présenter cette précision claire immédiatement, de sorte que les détaillants puissent parler aux personnes de qui ils importent leurs produits pour faire en sorte que les économies soient réalisées.

Deuxièmement, il y a là une occasion de prendre des mesures et de faire quelque chose différemment, comme je l'ai dit, en ce qui concerne les fromages. Nous avons travaillé très fort non seulement avec nos propres membres, mais aussi avec certains détaillants représentés par la Fédération canadienne des épiciers indépendants, et nous sommes convaincus que le système que nous avons décrit dans notre mémoire concernant la façon dont le fromage pourrait être réparti, comment cela pourrait être à l'avantage des consommateurs canadiens, comment il incorpore une protection pour nos propres agriculteurs, tout cela en fait un système unique, et je vous encourage à envisager de le recommander et de l'utiliser vraiment dans l'esprit de l'AECG, pour offrir une approche novatrice à l'avantage du consommateur canadien.

Mme Clark : Pour répondre à la question du sénateur, le document que nous avons distribué aujourd'hui comporte une demande précise concernant notre recommandation. Pour que nous puissions concurrencer sur un pied d'égalité, l'application des règlements du Canada doit être rigoureuse. À l'heure actuelle, quand un navire arrive au Canada pour des activités de dragage au titre de l'AECG, trois agences différentes sont en cause, et il n'y a pas forcément de coordination. C'est là à notre avis que les choses pourront déraper.

Un navire qui arrive doit avertir l'ASFC de son arrivée, pour que celle-ci sache qu'il est là. Il doit avertir Transports Canada, pour que celui-ci puisse déterminer si le navire respecte les définitions au titre de l'AECG et est admissible à l'exemption de la licence de cabotage. Ensuite, pour une raison que nous n'avons pas pu nous faire expliquer, l'EDSC doit vérifier que les employés du navire sont conformes au processus de travailleurs temporaires étrangers et que le processus d'EIMT a été appliqué, et aussi que les navires paient un salaire équitable, ce qui, comme je l'ai déjà précisé, constituerait le plus grand coup pour les Canadiens s'il n'y a pas conformité.

Voilà pourquoi nous estimons qu'une seule agence gouvernementale chargée d'assurer la conformité et le respect des règlements est la meilleure façon de faire les choses.

Le sénateur Gold : Nous traitons de questions de très haut niveau, presque philosophiques, et d'autres au niveau du détail. Permettez-moi de descendre au niveau du détail et de vous poser une question sur le fromage.

Si je me souviens bien, nous avons entendu des recommandations et vu des mémoires de producteurs de fromage au Canada qui ont insisté pour recevoir la répartition supplémentaire afin de protéger les producteurs et de rationaliser l'offre des produits au consommateur, en fin de compte, et la sécurité des aliments.

Pouvez-vous commenter cela? Bien sûr, vous savez que c'est essentiellement la situation actuelle. Pourquoi votre proposition est-elle mieux pour les Canadiens en ce qui concerne le choix des produits, le coût des produits et la sécurité des produits?

M. Wilkes : Merci de cette question. En effet, en me préparant pour la séance d'aujourd'hui, j'ai passé en revue certaine des remarques précédentes, comme vous pouviez vous y attendre.

En ce qui concerne la sécurité des aliments, je commencerai par la fin. La sécurité des aliments est primordiale. C'est une obligation fondamentale qu'a l'industrie alimentaire canadienne, dans son ensemble, du fournisseur jusqu'au détaillant, puis en ce qui concerne le devoir d'informer le consommateur sur la façon de conserver et de manipuler correctement ses aliments.

Je suis très fière de dire que, selon une étude de l'Institut C.D. Howe, la fiche de sécurité des aliments du Canada est en première position, avec l'Irlande, parmi les pays de l'OCDE. Donc, du point de vue du détaillant, c'est quelque chose que nous prenons très au sérieux. Je ne crois pas que la façon dont la répartition se fera influencera la sécurité des aliments. Je sais assurément que, du point de vue du détaillant, c'est une chose qui peut porter atteinte à la réputation, et donc, qui ne peut être compromise.

Je conteste l'opinion qu'un groupe particulier de la chaîne d'approvisionnement aurait une meilleure approche de gestion de la sécurité des aliments. Celle-ci n'est pas négociable, à notre point de vue.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, nous constatons un investissement de plus en plus prononcé dans la catégorie des fromages. Nos membres détaillants ont recours à des choses comme les connaisseurs de fromage qui travaillent directement avec les consommateurs pour ce qui est de conseiller les types de fromage qui vont avec les différents types de repas, et d'impartir une éducation et un savoir au sujet des types de fromage disponibles.

Notre consommation de fromage dans ce pays n'est pas aussi élevée que celle de nos homologues américains et de nombreux pays européens. Selon les renseignements que nous avons obtenus de la Commission canadienne du lait, il semblerait que nous soyons bien en deçà des niveaux des autres pays en ce qui concerne le fromage.

Fournir le produit directement aux détaillants, qui sont en contact quotidien avec les consommateurs, permettra et garantira que ces demandes des consommateurs canadiens puissent être comblées grâce à cet accord.

Nous estimons qu'un intermédiaire entre les consommateurs et ceux qui importent le fromage n'a pas lieu d'être.

Comme je l'ai déjà dit, le seul autre point que j'aimerais souligner, une fois de plus, et que j'ai mentionné dans ma déclaration liminaire, c'est que nous estimons qu'il y a là une occasion de simplifier la chaîne d'approvisionnement, de produire des économies et de veiller à ce qu'il n'y ait pas de coûts ajoutés par d'autres personnes contribuant à cette chaîne d'approvisionnement. Si le fromage est importé directement par les détaillants qui ont l'occasion de faire en sorte que le système soit le plus efficace possible, je crois qu'on éliminerait les coûts mentionnés précédemment.

Le sénateur Gold : Ne peut-on pas cependant s'inquiéter, à juste titre, que ceci a le potentiel de causer du tort aux producteurs canadiens de fromage à pâte molle qui seront alors confrontés à une plus grande quantité de fromage à pâte molle semblable venant d'Europe, alors que si de fait ils bénéficiaient du quota, ils pourraient gérer l'offre d'une variété de fromages d'une façon plus rationnelle de leur point de vue?

M. Wilkes : Je comprends certainement leur point de vue, et c'est effectivement la remarque qui a été faite. À notre avis, l'offre devrait être gérée à l'avantage du consommateur canadien. C'était l'intention de l'accord.

Nous avons aussi une responsabilité à l'égard de nos producteurs locaux. En effet, les Canadiens ont une forte tendance à acheter des produits locaux, quels qu'ils soient, de façon continue. Voilà pourquoi nous nous sommes mis au défi et avons décidé de ne pas demander le quota; de ne pas demander un financement supplémentaire. Nous avons décidé de relier cela à la production canadienne et de motiver la vente de davantage de fromage canadien afin de pouvoir profiter de l'avantage du nouveau quota offert.

Comme je l'ai précisé dans ma déclaration liminaire, en répartissant les fromages importés d'Europe en fonction des ventes totales de fromage, tant canadien qu'européen, on garantit une très forte motivation à continuer à travailler avec les producteurs de fromage canadiens et à vendre leurs produits, si l'on choisit de le faire en tant que détaillant, afin de pouvoir importer davantage de fromage européen.

Nous reconnaissons l'existence de cette préoccupation et nous voulions fournir une solution qui, à notre avis, serait novatrice par la présence d'une motivation de vendre des produits des deux catégories. En effet, cela produit l'effet catalyseur de soutenir les producteurs canadiens plus que la situation actuelle.

Le sénateur Woo : Merci à tous de vos témoignages.

J'ai une courte question de suivi pour M. Wilkes. Pouvez-vous expliquer de nouveau la formule de l'attribution du quota? Vous attribuez le quota en fonction des ventes totales de fromage, canadien plus étranger?

M. Wilkes : Exact.

Le sénateur Woo : Chez tous les différents détaillants que le quota intéresse?

M. Wilkes : Oui. Un seul autre éclaircissement : pour être admissible selon la formule que nous proposons, il faut être un détaillant de n'importe quelle taille, et avoir vendu directement du fromage.

C'est une définition axée sur la vente au détail que nous avons intégrée dans notre proposition. Mais oui, vous avez bien saisi les choses.

Le sénateur Woo : J'ai une question pour Mme Clark au sujet du dragage. Je crois que la réponse était déjà dans votre réponse au sénateur Dawson, mais j'aimerais être clair.

Vous avez parlé de l'importance des normes communes pour les sociétés de dragage européennes et les sociétés canadiennes. Ensuite, vous avez demandé un seul organisme de réglementation. Est-ce parce qu'il n'y a pas de normes communes présentement, ou que les normes ne sont pas appliquées et qu'il y a un manque de conformité, ou est-ce les deux?

Mme Clark : À l'heure actuelle, selon le système de licence de cabotage, il y a un processus de notification très rigoureux pour les navires qui tentent d'obtenir une licence. Une fois qu'ils sont autorisés à obtenir cette licence, il y a un certain nombre d'exigences rigoureuses qu'ils doivent respecter quant à l'état du navire et aux considérations de sécurité, ainsi que le respect de l'environnement. Et ce que nous voyons maintenant, sans ces avis adressés à Transports Canada, le processus sera fracturé, et comme les navires devront passer par trois agences différentes qui pourront ou non suivre le navire, les occasions de ne pas respecter les exigences concernant la main-d'œuvre ou la sécurité seront encore plus nombreuses.

L'AECG appuie aussi les navires européens battant pavillon de ports de complaisance, et souvent ces ports d'attache ont des normes inférieures aux normes de Transports Canada, qui sont parmi les plus rigoureuses au monde. Tant que nos navires sont ici, ils sont inspectés tous les ans. Nous payons des millions de dollars annuellement pour maintenir nos navires dans l'état exigé par le Canada, et ce, à juste titre. Ces exigences assurent la sécurité des personnes à bord et la protection de l'environnement.

Le sénateur Woo : Si je vous comprends bien, vous dites que si le système était pleinement appliqué de façon régulière et cohérente, il n'y aurait pas de différence de pratique parce que les mêmes normes seraient appliquées.

Mme Clark : C'est exact. Voilà pourquoi nous demandons à ce qu'il y ait une seule agence responsable.

Le sénateur Woo : Je ne suis pas certain que c'est quelque chose que ce projet de loi doit régler. Je suis sûr que cela pourrait être traité par une autre mesure du gouvernement.

La présidente : Si je comprends bien, pour éclaircir les choses, vous recommandez que ce soit examiné convenablement, et vous voulez que le gouvernement le prenne au sérieux.

Mme Clark : Oui.

La présidente : J'apprécie que vous ayez dit cela très clairement au départ. Cela a été très utile pour la gestion du processus du projet de loi C-30. Merci.

Le sénateur Woo : C'est une très bonne recommandation. Je ne sais pas si elle touche le projet de loi C-30 directement, mais c'est un sujet qui pourrait être traité dans une autre tribune.

Vous avez souligné qu'il n'y a pas réciprocité. La réciprocité a-t-elle été demandée, et les Européens l'ont-ils refusée au secteur?

Mme Clark : Nous ne pensons pas qu'elle a été demandée. La communauté de dragage n'a pas été consultée durant les négociations. D'après ce que nous avons compris, les concessions accordées dans l'accord découlent de discussions de dernière minute, et nous n'avons pas été consultés. On nous a informés que tout État européen qui interdit présentement le dragage étranger n'est pas tenu de lever ces restrictions au titre de l'AECG.

Le sénateur Woo : Il y a eu un appel de soumissions durant le processus de consultation et le secteur n'a rien présenté?

Mme Clark : Le secteur n'était pas au courant.

Le sénateur Woo : Merci.

Le sénateur Marwah : Merci, madame Clark. C'est un exposé très concis que vous avez présenté. Ma question est la même que celle du sénateur Woo, parce que vous avez déclaré sans équivoque ici que les amendements proposés ouvrent le marché canadien du dragage aux sociétés européennes et maintiennent la fermeture des marchés européens pour les sociétés canadiennes. Il n'y a aucune réciprocité pour nous en Europe?

Mme Clark : Pas dans l'AECG, non.

Le sénateur Marwah : Pourquoi cela serait-il spécifiquement à leur avantage de venir ici? Ils ont un accès ouvert à notre dragage et nous n'avons aucun accès au leur?

Mme Clark : Nous avons accès au dragage dans les pays européens qui permettent déjà cet accès, mais pour tout pays qui ne le permettait pas, cela n'a pas changé. Mes collègues du groupe Océan, au Québec, qui font du dragage dans les Caraïbes ne peuvent répondre à des appels d'offres pour de nombreux pays à cause de ça.

Le sénateur Marwah : Ils sont interdits par la loi là-bas? Êtes-vous interdits par la pratique ou par la loi?

Mme Clark : Pour vous donner simplement une idée du marché du dragage, 80 p. 100 du dragage dans le monde est fait par quatre sociétés, deux en Hollande et deux en Belgique. Elles ont des navires partout dans le monde, surtout au Panama, qui peuvent être déployés à partir d'un emplacement central.

La présidente : Quels sont déjà les deux pays que vous avez nommés?

Mme Clark : La Hollande et la Belgique.

La présidente : Nous n'avons pas accès à ces pays?

Mme Clark : Non.

La présidente : Il n'y a donc pas de réciprocité avec ces deux pays?

Le sénateur Pratte : J'aimerais donner suite simplement et peut-être clore le chapitre sur le dragage. En ce qui concerne les salaires, si je comprends bien, parce que c'est un point qui a été mentionné pour le cabotage et le même point est soulevé maintenant pour le dragage, si je comprends bien ce que vous dites au sujet des salaires, selon l'AECG et la situation actuelle, il ne serait pas permis pour un navire européen de payer son équipage la moitié de ce qu'un navire canadien paye. Vous vous inquiétez qu'ils seront en mesure de le faire, mais que nous ne pourrons pas le repérer et le surveiller?

Mme Clark : C'est ce qui nous inquiète. Nous savons même maintenant, selon le régime des licences de cabotage, qui est plutôt exhaustif, que cela se produit déjà, et le Syndicat international des marins qui a présenté un exposé à ce comité avait les mêmes préoccupations parce qu'il a la preuve que cela se produit, tout comme nous. Nous nous inquiétons de ne pas pouvoir savoir forcément s'il y a des navires étrangers arrivant sans l'avis de cabotage que nous recevons de façon routinière. Officieusement, les sociétés de dragage en mer font maintenant partie du processus de surveillance, parce que nous savons qui est dans le pays et qui ne l'est pas.

Le sénateur Pratte : Cette recommandation que vous faites pour la création d'une seule agence a-t-elle été déjà présentée au gouvernement au cours des années précédentes?

Mme Clark : Oui.

Le sénateur Pratte : Quelle a été la réaction? Y a-t-il eu une ouverture quelconque à cette idée?

Mme Clark : Pas jusqu'à présent, non. Nous avons eu des rencontres avec divers niveaux au sein du gouvernement. Nous avons participé à un groupe de travail l'année dernière, et nous avons présenté ces mêmes préoccupations depuis le début et déclaré que si la Loi sur le cabotage n'était pas modifiée en fonction de cette recommandation, un autre mécanisme devrait être institué pour produire le même type de régime d'exécution et de surveillance.

Le sénateur Pratte : À votre avis, le meilleur moyen de faire cela serait de modifier la Loi sur le cabotage de sorte que cette agence soit créée.

Mme Clark : C'est l'occasion de le faire. Le projet de loi exige un avis au ministre des Transports. La définition de cet avis reste encore à être précisée.

Le sénateur Pratte : Merci.

La présidente : Nous arrivons à la fin de notre séance. J'aimerais remercier tous les témoins de leur présence et de nous avons donné leur perspective. Nous sommes pris dans le même dilemme. Certains d'entre vous m'ont déjà entendue. Nous sommes à la fin d'un processus, et non pas au début d'une négociation commerciale. J'aimerais vous renvoyer à certaines de nos recommandations dans notre rapport sur le libre-échange produit en février. Nous allons faire de notre mieux pour nous acquitter de notre mandat en ce qui concerne l'examen minutieux du projet de loi C-30.

Merci de vous être présentés devant le comité.

Sénateurs, nous avons une série de témoins demain et cela met fin à la liste des témoins. Veuillez passer en revue tous les témoignages que nous avons eus. Nous avons eu des semaines de pause, et je ne voudrais pas que les témoignages que nous avons entendus soient perdus, en toute équité pour le comité. Si vous pouvez revoir les témoignages, nous entendrons les derniers témoins demain et nous devrons arriver à une conclusion sur l'étude du projet de loi C-30 très peu de temps après.

Merci de votre patience et d'avoir pris le temps d'étudier tous les témoignages. J'ai l'impression d'être un professeur. Cette classe est terminée, ou ce comité sénatorial est fermé.

(La séance est levée.)

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